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ENTRETIEN / 17 Une autre question qui a été débattue durant l’étude est la ques- tion de l’éthique et plus particulièrement la question de l’origine des fonds utilisés en philanthropie. C’est un débat qui a lieu à niveau mondial et pas uniquement en Afrique. D’ailleurs, les réponses que nous avons reçues reflètent selon nous cette réali- té: certains pensent que les fonds utilisés pour la philanthropie doivent être absolument transparents c’est-à-dire de sources honnêtes et déclarés aux autorités fiscales, d’autres pensent que la fin justifie les moyens, d’autres enfin pensent qu’il est pos- sible d’utiliser n’importe quels fonds tant qu’il ne s’agit pas d’argent issu de trafics ou d’actions illégales. C’est un débat, peut- on d’ailleurs seulement dire que l’argent n’a pas d’odeur? Ce qui ressort toutefois dans la majorité de nos interviews c’est la volonté d’accroître la transparence, de mettre en place des benchmark et d’avoir une vraie réflexion sur la façon de faire de la philanthropie. De manière générale, dans le cadre de notre conseil en philanthropie et en investissements durables, nous en- courageons nos clients à aligner leurs investissements avec leur vision philanthropique et leurs valeurs personnelles. Quel regard portez-vous sur cette évolution? Nous travaillons avec des philanthropes du monde entier mais réaliser cette étude sur la philanthropie africaine a véritablement été un exercice passionnant. D’une part car elle nous montre que peu importe le contexte, la philanthropie reste une histoire de passion et d’aventure humaine avec ses difficulté et ses succès. D’autre part car elle nous démontre, que la philanthropie afri- caine n’est absolument pas une histoire récente mais fait partie intégrante des cultures de ce continent. /// émotionnels plutôt dans le cadre d’un processus de sélection défi- ni. Trois raisons peuvent expliquer cette tendance: premièrement l’empreinte d’un contexte politique parfois instable qui compli- que l’exercice de planification, deuxièmement la confrontation quotidienne aux problèmes socio-économiques qu’ils souhaitent régler qui rend plus difficile de prendre du recul pour avoir une approche à long-terme, et troisièmement les aspects liés à la notion d’Ubuntu (qui signifie «être ouvert et disponible pour les autres») et qui explique notamment les mécanismes de solidarité. Cette même approche se perçoit dans la mesure d’impact. Si la plupart des philanthropes s’accordent sur la nécessité de mesu- rer l’impact de la philanthropie, la façon d’aborder la question varie grandement d’un philanthrope à l’autre. Certains prônent une approche très scientifique, d’autres préfèrent une mesure plus anecdotique, voire se satisfont d’observer la satisfaction du béné- ficiaire. La philanthropie africaine ne déroge pas à la règle mais nous avons observé que globalement les philanthropes interrogés estiment que leur philanthropie est efficace si l’aide arrive aux bénéficiaires et qu’ils peuvent observer un changement positif à ce niveau. C’est finalement une approche très pragmatique et plus émotionnelle avec une vraie volonté d’améliorer les choses. La diaspora africaine, c’est-à-dire les Africains vivant hors d’Afrique, semble aussi jouer un rôle dans cette philanthropie en soutenant leurs familles et leurs communautés restées au pays mais aussi des causes propres au continent. Il pourrait d’ailleurs être intéressant d’étudier plus en détails cette dimension-là. Ces pratiques engendrent des critiques? Il existe à ce jour très peu d’informations et de données sur la phi- lanthropie africaine. Cette étude en est l’un des rares exemples. De plus, les philanthropes africains collaborent peu entre eux, non pas par manque d’intérêt mais parce qu’il n’existe que très peu de plateformes d’échange, qu’elles ne sont pas toujours adaptées et surtout qu’elles sont peu connues. Ceci semble conduire à une fragmentation de l’effort philanthropique alors qu’une meilleure dissémination de l’information et des infrastructures philan- thropiques adaptées, telles que des organisations faîtières ou des réseaux, pourraient améliorer l’efficacité des dons. Cela permet- trait aussi de catalyser cet effort en définissant des priorités ou des domaines d’interventions privilégiés, de favoriser l’échange de meilleures pratiques et d’accroître la collaboration. Peut-être que la philanthropie africaine gagnerait à être plus stra- tégique même s’il est souvent difficile de trouver l’équilibre entre la passion qui est le cœur de la philanthropie et la rigueur que peut apporter une philanthropie plus basée sur une vision, des objectifs, des plans d’actions et des mesures d’impact. Il ne fau- drait cependant pas qu’elle perde la générosité propre à cette notion d’Ubuntu qui est l’essence de la philanthropie africaine. GRÉGORIE MUHR Conseillère en philanthropie chez UBS à Zurich, responsable pour la clientèle africaine et suisse Avec près de dix ans d’expérience dans le monde de l’entreprise et des fondations, Grégorie Muhr accompagne aujourd’hui ses clients dans la réalisation de leurs ambitions philanthropiques, que ce soit dans le développement d’une stratégie, en les met- tant en relation avec de potentiels partenaires ou en favorisant l’échange d’expérience entre des philanthropes et investisseurs sociaux du monde entier. Elle a également été le gestionnaire de projet et l’un des éditeurs de l’étude UBS-TrustAfrica intitu- lée «Africa’s Wealthy give back» sur la philanthropie africaine. Comment la générosité traditionnelle dépasse les conceptions occidentales La philanthropie africaine n’est pas une histoire récente. Elle fait partie intégrante des cultures de ce continent. U BS et la fondation panafricaine TrustAfrica ont publié le premier rapport panafricain sur les activités philanthropiques des Africains fortunés en Afrique. Intitulé Africa’s Wealthy Give Back (les riches Africains partagent), ce rapport s’appuie sur les témoignages et réponses à une enquête fournis par près de 100 Africains fortunés et experts issus du sud, de l’ouest et de l’est de l’Afri- que, notamment le Kenya, le Nigeria et l’Afrique du Sud. Il of- fre un aperçu clair de l’apport du mécénat au développement du continent et explore les domaines dans lesquels des progrès sont possibles. Le rapport montre que la philanthropie fait partie intégrante du mode de vie africain, où il est naturel d’aider sa famille, au sens large, et de soutenir la communauté. Les recher- ches menées révèlent également que les dons informels sont tout aussi importants que les dons formels et constituent une prati- que ancrée dans la culture et les croyances. Explications avec Grégorie Muhr, conseillère en philanthropie chez UBS à Zurich, responsable pour la clientèle africaine et suisse. Comment s’organise la recherche des fonds? Cette étude s’est surtout concentrée sur la philanthropie des africains les plus fortunés qui financent généralement leurs actions sur leurs revenus personnels. Nous avons aussi été surpris de découvrir que les philanthropes font une véritable distinction entre la philanthropie financée par des fonds personnels et celle réalisée par leur entreprise et que la philanthropie privée sem- ble occuper un rôle plus important que le mécénat d’entreprise. Bien entendu, lorsque quelqu’un est passionné par la cause qu’il soutient, et c’est souvent le cas en philanthropie, il est naturel de chercher à accroître les ressources disponibles pour cette cause. Cela peut notamment prendre la forme de collectes organisées dans leur entourage ou leur communauté. Cependant, les levées de fonds conséquentes, souvent relayées par les médias, ont sou- vent lieu suite à des catastrophes comme ce fut le cas des inon- dations massives au Nigeria en 2012 ou de la crise actuelle de l’Ebola. Enfin, ceux qui ont des fondations professionnelles vont pouvoir s’engager dans des partenariats avec d’autres fondations nationales ou internationales et faire des demandes de finance- ment auprès d’organismes internationaux ou étatiques. Quelles sont les motivations des donateurs? En Afrique, la philanthropie est guidée par la proximité que les philanthropes ont avec les causes qu’ils soutiennent. Je me souviens d’une interview réalisée avec un homme d’affaires et philanthrope africain qui a partagé avec moi qu’il n’a pas eu la chance d’aller à l’école car ses parents n’avaient pas les moyens de financer l’éducation de tous leurs enfants. Aujourd’hui, il at- Propos recueillis par NOËL LABELLE 16 / ENTRETIEN tribue des bourses d’étude aux enfants défavorisés. Beaucoup des philanthropes que nous avons interviewés sont confrontés tous les jours à la pauvreté ou aux manques d’infrastructures et veulent faire une différence. Pour une grande partie d’entre eux, le fait de donner est influencé par leurs croyances et pratiques culturelles. Elle se reflète dans leurs valeurs et devient souvent même une tradition familiale. De plus, beaucoup qui ont réus- si souhaitent sincèrement donner quelque chose en retour à la société, peut-être aussi car à un moment donné de leur vie ils ont bénéficié de cette solidarité. Enfin, certains participants recon- naissent, qu’ils «utilisent» la philanthropie pour améliorer leur image ou d’autres encore qu’ils se sentent «obligés» de donner, mais ils ne sont qu’une minorité. Quelles sont les principales causes supportées? Les causes supportées sont nombreuses et varient d’un philan- thrope à un autre. Il ne faut pas oublier que la philanthropie reste au départ un affaire de passion et que chacun tend à soute- nir les causes qui lui sont chères. Ce fut cependant un peu sans surprise que cette étude nous a révélé que les causes supportées par les philanthropes en Afrique sont l’éducation et la santé. En effet, il s’agit pour beaucoup de domaines où les besoins sont les plus prégnants et constituent la base du développement de la société. D’autres choisissent des causes plus spécifiques comme la santé maternelle, les œuvres religieuses, la protection animale, etc. D’autres enfin s’attaquent à la réduction de la pauvreté qui les entoure, s’engagent en faveur de l’aide d’urgence ou choisissent de soutenir l’entreprenariat car ils y voient une façon de créer durablement des emplois et du développement. Quels sont les mécanismes de dons? La majorité des personnes interrogées lors de cette étude donnent de façon informelle et formelle à la fois. Cet engagement peut prendre la forme de dons financiers, d’investissements d’impact, de prêts, mais aussi de dons en nature. Certains donnent aussi de leur temps, partagent leurs compétences ou ouvrent leur réseau. De plus, même si un philanthrope a mis en place une structure, son engagement dépasse souvent le cadre de sa fondation ou de son trust. Un autre aspect intéressant de la philanthropie africaine est sa mise en œuvre. La philanthropie moderne tend de plus en plus à s’inspirer du monde de l’entreprise, ce qui se traduit par une phi- lanthropie plus stratégique, plus planifiée et plus soucieuse d’at- teindre un impact et de le mesurer. Certes, la philanthropie afri- caine semble aussi en partie s’orienter dans cette direction mais au-delà des grandes fondations professionelles, elle reste encore très informelle et plutôt réactive. De nombreux projets visent à pallier aux besoins immédiats et sont sélectionnés sur des critères AGEFI MAGAZINE | éNERGIE | FéVRIER 2015 AGEFI MAGAZINE | éNERGIE | FéVRIER 2015

16 entretien 17 Comment la générosité traditionnelle

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Une autre question qui a été débattue durant l’étude est la ques-tion de l’éthique et plus particulièrement la question de l’origine des fonds utilisés en philanthropie. C’est un débat qui a lieu à niveau mondial et pas uniquement en Afrique. D’ailleurs, les réponses que nous avons reçues reflètent selon nous cette réali-té: certains pensent que les fonds utilisés pour la philanthropie doivent être absolument transparents c’est-à-dire de sources honnêtes et déclarés aux autorités fiscales, d’autres pensent que la fin justifie les moyens, d’autres enfin pensent qu’il est pos-sible d’utiliser n’importe quels fonds tant qu’il ne s’agit pas d’argent issu de trafics ou d’actions illégales. C’est un débat, peut-on d’ailleurs seulement dire que l’argent n’a pas d’odeur? Ce qui ressort toutefois dans la majorité de nos interviews c’est la volonté d’accroître la transparence, de mettre en place des benchmark et d’avoir une vraie réflexion sur la façon de faire de la philanthropie. De manière générale, dans le cadre de notre conseil en philanthropie et en investissements durables, nous en-courageons nos clients à aligner leurs investissements avec leur vision philanthropique et leurs valeurs personnelles.

Quel regard portez-vous sur cette évolution?Nous travaillons avec des philanthropes du monde entier mais réaliser cette étude sur la philanthropie africaine a véritablement été un exercice passionnant. D’une part car elle nous montre que peu importe le contexte, la philanthropie reste une histoire de passion et d’aventure humaine avec ses difficulté et ses succès. D’autre part car elle nous démontre, que la philanthropie afri-caine n’est absolument pas une histoire récente mais fait partie intégrante des cultures de ce continent. ///

émotionnels plutôt dans le cadre d’un processus de sélection défi-ni. Trois raisons peuvent expliquer cette tendance: premièrement l’empreinte d’un contexte politique parfois instable qui compli-que l’exercice de planification, deuxièmement la confrontation quotidienne aux problèmes socio-économiques qu’ils souhaitent régler qui rend plus difficile de prendre du recul pour avoir une approche à long-terme, et troisièmement les aspects liés à la notion d’Ubuntu (qui signifie «être ouvert et disponible pour les autres») et qui explique notamment les mécanismes de solidarité. Cette même approche se perçoit dans la mesure d’impact. Si la plupart des philanthropes s’accordent sur la nécessité de mesu-rer l’impact de la philanthropie, la façon d’aborder la question varie grandement d’un philanthrope à l’autre. Certains prônent une approche très scientifique, d’autres préfèrent une mesure plus anecdotique, voire se satisfont d’observer la satisfaction du béné-ficiaire. La philanthropie africaine ne déroge pas à la règle mais nous avons observé que globalement les philanthropes interrogés estiment que leur philanthropie est efficace si l’aide arrive aux bénéficiaires et qu’ils peuvent observer un changement positif à ce niveau. C’est finalement une approche très pragmatique et plus émotionnelle avec une vraie volonté d’améliorer les choses. La diaspora africaine, c’est-à-dire les Africains vivant hors d’Afrique, semble aussi jouer un rôle dans cette philanthropie en soutenant leurs familles et leurs communautés restées au pays mais aussi des causes propres au continent. Il pourrait d’ailleurs être intéressant d’étudier plus en détails cette dimension-là.

Ces pratiques engendrent des critiques? Il existe à ce jour très peu d’informations et de données sur la phi-lanthropie africaine. Cette étude en est l’un des rares exemples. De plus, les philanthropes africains collaborent peu entre eux, non pas par manque d’intérêt mais parce qu’il n’existe que très peu de plateformes d’échange, qu’elles ne sont pas toujours adaptées et surtout qu’elles sont peu connues. Ceci semble conduire à une fragmentation de l’effort philanthropique alors qu’une meilleure dissémination de l’information et des infrastructures philan- thropiques adaptées, telles que des organisations faîtières ou des réseaux, pourraient améliorer l’efficacité des dons. Cela permet-trait aussi de catalyser cet effort en définissant des priorités ou des domaines d’interventions privilégiés, de favoriser l’échange de meilleures pratiques et d’accroître la collaboration. Peut-être que la philanthropie africaine gagnerait à être plus stra-tégique même s’il est souvent difficile de trouver l’équilibre entre la passion qui est le cœur de la philanthropie et la rigueur que peut apporter une philanthropie plus basée sur une vision, des objectifs, des plans d’actions et des mesures d’impact. Il ne fau-drait cependant pas qu’elle perde la générosité propre à cette notion d’Ubuntu qui est l’essence de la philanthropie africaine.

GréGorie MuhrConseillère en philanthropie chez UBS à Zurich, responsable

pour la clientèle africaine et suisse

Avec près de dix ans d’expérience dans le monde de l’entreprise et des fondations, Grégorie Muhr accompagne aujourd’hui ses clients dans la réalisation de leurs ambitions philanthropiques, que ce soit dans le développement d’une stratégie, en les met-tant en relation avec de potentiels partenaires ou en favorisant l’échange d’expérience entre des philanthropes et investisseurs

sociaux du monde entier. Elle a également été le gestionnaire de projet et l’un des éditeurs de l’étude UBS-TrustAfrica intitu-lée «Africa’s Wealthy give back» sur la philanthropie africaine.

Comment la générosité traditionnelle dépasse les conceptions occidentalesLa philanthropie africaine n’est pas une histoire récente. Elle fait partie intégrante des cultures de ce continent.

UBS et la fondation panafricaine TrustAfrica ont publié le premier rapport panafricain sur les activités philanthropiques des Africains fortunés en Afrique. Intitulé Africa’s Wealthy Give Back (les riches Africains partagent), ce rapport s’appuie sur les témoignages et

réponses à une enquête fournis par près de 100 Africains fortunés et experts issus du sud, de l’ouest et de l’est de l’Afri-que, notamment le Kenya, le Nigeria et l’Afrique du Sud. Il of-fre un aperçu clair de l’apport du mécénat au développement du continent et explore les domaines dans lesquels des progrès sont possibles. Le rapport montre que la philanthropie fait partie intégrante du mode de vie africain, où il est naturel d’aider sa famille, au sens large, et de soutenir la communauté. Les recher-ches menées révèlent également que les dons informels sont tout aussi importants que les dons formels et constituent une prati-que ancrée dans la culture et les croyances. Explications avec Grégorie Muhr, conseillère en philanthropie chez UBS à Zurich, responsable pour la clientèle africaine et suisse.

Comment s’organise la recherche des fonds? Cette étude s’est surtout concentrée sur la philanthropie des africains les plus fortunés qui financent généralement leurs actions sur leurs revenus personnels. Nous avons aussi été surpris de découvrir que les philanthropes font une véritable distinction entre la philanthropie financée par des fonds personnels et celle réalisée par leur entreprise et que la philanthropie privée sem-ble occuper un rôle plus important que le mécénat d’entreprise. Bien entendu, lorsque quelqu’un est passionné par la cause qu’il soutient, et c’est souvent le cas en philanthropie, il est naturel de chercher à accroître les ressources disponibles pour cette cause. Cela peut notamment prendre la forme de collectes organisées dans leur entourage ou leur communauté. Cependant, les levées de fonds conséquentes, souvent relayées par les médias, ont sou-vent lieu suite à des catastrophes comme ce fut le cas des inon-dations massives au Nigeria en 2012 ou de la crise actuelle de l’Ebola. Enfin, ceux qui ont des fondations professionnelles vont pouvoir s’engager dans des partenariats avec d’autres fondations nationales ou internationales et faire des demandes de finance-ment auprès d’organismes internationaux ou étatiques.

Quelles sont les motivations des donateurs? En Afrique, la philanthropie est guidée par la proximité que les philanthropes ont avec les causes qu’ils soutiennent. Je me souviens d’une interview réalisée avec un homme d’affaires et philanthrope africain qui a partagé avec moi qu’il n’a pas eu la chance d’aller à l’école car ses parents n’avaient pas les moyens de financer l’éducation de tous leurs enfants. Aujourd’hui, il at-

Propos recueillis par Noël labelle

16 / entretien

tribue des bourses d’étude aux enfants défavorisés. Beaucoup des philanthropes que nous avons interviewés sont confrontés tous les jours à la pauvreté ou aux manques d’infrastructures et veulent faire une différence. Pour une grande partie d’entre eux, le fait de donner est influencé par leurs croyances et pratiques culturelles. Elle se reflète dans leurs valeurs et devient souvent même une tradition familiale. De plus, beaucoup qui ont réus-si souhaitent sincèrement donner quelque chose en retour à la société, peut-être aussi car à un moment donné de leur vie ils ont bénéficié de cette solidarité. Enfin, certains participants recon-naissent, qu’ils «utilisent» la philanthropie pour améliorer leur image ou d’autres encore qu’ils se sentent «obligés» de donner, mais ils ne sont qu’une minorité.

Quelles sont les principales causes supportées? Les causes supportées sont nombreuses et varient d’un philan-thrope à un autre. Il ne faut pas oublier que la philanthropie reste au départ un affaire de passion et que chacun tend à soute-nir les causes qui lui sont chères. Ce fut cependant un peu sans surprise que cette étude nous a révélé que les causes supportées par les philanthropes en Afrique sont l’éducation et la santé. En effet, il s’agit pour beaucoup de domaines où les besoins sont les plus prégnants et constituent la base du développement de la société. D’autres choisissent des causes plus spécifiques comme la santé maternelle, les œuvres religieuses, la protection animale, etc. D’autres enfin s’attaquent à la réduction de la pauvreté qui les entoure, s’engagent en faveur de l’aide d’urgence ou choisissent de soutenir l’entreprenariat car ils y voient une façon de créer durablement des emplois et du développement.

Quels sont les mécanismes de dons? La majorité des personnes interrogées lors de cette étude donnent de façon informelle et formelle à la fois. Cet engagement peut prendre la forme de dons financiers, d’investissements d’impact, de prêts, mais aussi de dons en nature. Certains donnent aussi de leur temps, partagent leurs compétences ou ouvrent leur réseau. De plus, même si un philanthrope a mis en place une structure, son engagement dépasse souvent le cadre de sa fondation ou de son trust. Un autre aspect intéressant de la philanthropie africaine est sa mise en œuvre. La philanthropie moderne tend de plus en plus à s’inspirer du monde de l’entreprise, ce qui se traduit par une phi-lanthropie plus stratégique, plus planifiée et plus soucieuse d’at-teindre un impact et de le mesurer. Certes, la philanthropie afri-caine semble aussi en partie s’orienter dans cette direction mais au-delà des grandes fondations professionelles, elle reste encore très informelle et plutôt réactive. De nombreux projets visent à pallier aux besoins immédiats et sont sélectionnés sur des critères

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