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édité par PAUL RATEAU Istituto per il Lessico Intellettuale Europeo e Storia delle Idee 2019 ILIESI digitale Ricerche filosofiche e lessicali 1714-2014 LIRE AUJOURD’HUI LES PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRÂCE DE G. W. LEIBNIZ

1714-2014: Lire aujourd’hui les Principes de la Nature et de la ......édité par PAUL RATEAU 1714-2014 LIRE AUJOURD’HUI LES PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRÂCE DE G. W. LEIBNIZ

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eacutediteacute par

PAUL RATEAU

Istituto per il Lessico Intellettuale Europeo e Storia delle Idee2019

ILIESI digitaleRicerche filosofiche e lessicali

1714-2014LIRE AUJOURDrsquoHUI LES PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRAcircCE

DE G W LEIBNIZ

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Assistente editorialeMaria Cristina DalfinoProgetto graficoSilvestro Caligiuri

Secondo le norme dellrsquoILIESI tutti i contributi pubblicati nella collana sono sottoposti a un processo di peer review che ne attesta la validitagrave scientifica

ILIESI digitale Ricerche filosofiche e lessicali

ISSN2464-8698

ISBN978-88-97828-13-6

eacutediteacute par

PAUL RATEAU

1714-2014LIRE AUJOURDrsquoHUI LES PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRAcircCE

DE G W LEIBNIZ

Istituto per il Lessico Intellettuale Europeo e Storia delle Idee2019

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INDEX

5 Preacuteface Paul Rateau

SECTION 1 MONADES SUBSTANCES CORPORELLES ET ACTIVITEacute PERCEPTIVE

9 Ideacutealisme et reacutealisme chez Leibniz la meacutetaphysique

monadologique face agrave une meacutetaphysique de la substance corporelle Leticia Cabantildeas

19 Double charniegravere Philosophie naturelle meacutetaphysique et perception dans les PNG

Enrico Pasini 33 ldquoEn simples physiciensrdquo La perception animale et la connaissance

sensible selon Leibniz en 1714 Evelyn Vargas 45 Activity and Final Causes On Principles of Nature and Grace sect3 Federico Silvestri

SECTION 2 PRINCIPE DE RAISON ET CAUSALITEacute

69 La question du ldquopourquoirdquo dans la formulation du principe de

raison Arnaud Lalanne 81 La transformation leibnizienne des principes Le principe de

raison comme principe pratique Juan Antonio Nicolaacutes 97 ldquoPlus simple et plus facile que quelque choserdquo Le rien et la raison

suffisante de Leibniz agrave Kant Ferdinando Luigi Marcolungo

1714-2014 Lire aujourdrsquohui les PNG de G W Leibniz Index

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105 Leibniz et Heidegger Principe de raison suffisante et Satz vom Grund

Martin Škaacutera

SECTION 3 LE STATUT DES EacuteSPRITS ET LrsquoORDRE DE LA GRAcircCE

123 Naturalizing Grace Leibnizrsquos Reshaping of the Two Kingdoms of

Nature and Grace between Malebranche and Kant Stefano Di Bella 145 Connexion universelle et enveloppement du futur dans le preacutesent

Laurence Bouquiaux 163 Apregraves le ldquotournant monadologiquerdquo Une redeacutefinition des esprits Martine de Gaudemar 189 Quelques observations sur la reacuteflexion cognitive et la reacuteflexiviteacute

de lrsquoesprit dans la penseacutee de Leibniz Davide Poggi 207 Au-delagrave de la nature Les principes de la gracircce chez Leibniz Ansgar Lyssy

SECTION 4 LrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIENNE

227 La variation dans le style drsquoeacutecriture leibnizien et la tradition

philosophique arabe Tahar Ben Guiza 241 ldquoMachinesrdquo et ldquomiroirsrdquo La Mettrie critique de Leibniz Marta de Mendonccedila 255 La reacuteception des Principes de la Nature et de la Gracircce dans

lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique lrsquoarticle ldquoSystegraveme des monadesrdquo Claire Fauvergue 273 Un romantique avant la lettre Leibniz et le concept de bonheur

dans les Principes de la Nature et de la Gracircce sect18 Mariangela Priarolo

PREacuteFACE En 1714 durant son seacutejour agrave Vienne Leibniz compose pour le Prince Eugegravene de Savoie un court texte en franccedilais sous le titre Principes de la Nature et de la Gracircce fondeacutes en raison Il le deacutecrit comme un ldquopetit discoursrdquo sur ldquo[sa] philosophierdquo dont le but est de ldquomieux faire entendre [ses] meacuteditationsrdquo (lettre agrave Reacutemond 26 aoucirct 1714) Le texte se distingue de ce que lrsquoauteur a publieacute jusque-lagrave Drsquoabord par son style Leibniz nrsquoy expose pas sa penseacutee en empruntant un langage scolastique ou carteacutesien mais dit-il ldquodrsquoune maniegravere qui puisse [ecirctre] entendue encore de ceux qui ne sont pas encore trop accoutumeacutes au style des uns et des autresrdquo (ibid) Il choisit donc drsquoeacutecrire en utilisant son propre vocabulaire philosophique et de srsquoadresser agrave un public non preacutevenu et plus large que celui des savants de profession ndash comme lrsquoillustre le choix du destinataire et de la langue franccedilaise ici preacutefeacutereacutee au latin

Mais les Principes de la Nature et de la Gracircce sont encore un texte original par son contenu mecircme Leibniz le qualifie drsquo ldquoabreacutegeacuterdquo de ses penseacutees (lettre agrave Bonneval fin 1714) Pourtant il ne saurait se reacuteduire agrave un simple reacutesumeacute ou preacutecis de sa ldquophilosophierdquo ndash qui nrsquoapprendrait rien de nouveau au lecteur familier des textes leibniziens de la mecircme peacuteriode ndash ni agrave une succession de thegraveses deacutelesteacutees par souci de concision de leurs preuves et de leurs deacutemonstrations comme pourrait le suggeacuterer le titre mecircme du texte Les Principes ne se limitent pas agrave lrsquoexposeacute de principes Lagrave ougrave la Monadologie ndash eacutegalement eacutecrite en 1714 ndash fait se suivre les thegraveses et restitue le plan drsquoun exposeacute philosophique presque complet (en vue drsquoune ldquomise en poeacutesierdquo par le poegravete Fraguier) les Principes sont un veacuteritable texte si lrsquoon entend par lagrave un discours articuleacute et continu ougrave la penseacutee porteacutee par un mecircme eacutelan va de la deacutefinition de la substance simple aux esprits de la composition des corps au royaume de Dieu des causes efficientes aux causes finales de lrsquoordre naturel au regravegne de la gracircce

Les articles que lrsquoon va lire sont reacutepartis en quatre sections principales (I Monades substances corporelles et activiteacute perceptive II Principe de raison et causaliteacute III Le statut des esprits et lrsquoordre de la gracircce IV Lrsquoeacutecriture leibnizienne) Ils sont issus de deux manifestations

1714-2014 Lire aujourdrsquohui les PNG de G W Leibniz Preacuteface

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scientifiques internationales La premiegravere est un colloque organiseacute agrave Milan les 15 et 16 septembre 2014 intituleacute ldquoBased on Reason Leibnizrsquos Principles of Nature and Gracerdquo La seconde est le premier Congregraves de la Socieacuteteacute drsquoEacutetudes Leibniziennes de Langue Franccedilaise (SELLF) tenu agrave Paris en Sorbonne les 27 28 et 29 novembre 2014 sous le titre ldquo1714-2014 Lire aujourdrsquohui les Principes de la Nature et de la Gracircce de G W Leibnizrdquo

Qursquoil me soit permis enfin de remercier chaleureusement le Professeur Antonio Lamarra drsquoavoir accepteacute drsquoaccueillir ces contributions dans la seacuterie ILIESI digitale

PAUL RATEAU

SECTION 1

MONADES SUBSTANCES CORPORELLES ET ACTIVITEacute PERCEPTIVE

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LETICIA CABANtildeAS

IDEacuteALISME ET REacuteALISME CHEZ LEIBNIZ LA MEacuteTAPHYSIQUE MONADOLOGIQUE FACE Agrave UNE MEacuteTAPHYSIQUE DE LA SUBSTANCE CORPORELLE

Reconstruire le chemin suivi par Leibniz au long des multiples aspects de sa penseacutee jusqursquoagrave sa meacutetaphysique finale et en donner une vision drsquoensemble se reacutevegravele ecirctre une tacircche difficile Ortega y Gasset parlait du ldquogigantesque presque surhumain Leibnizrdquo1 Le Baroque lrsquoeacutepoque ougrave veacutecut Leibniz est une peacuteriode tregraves complexe au cours de laquelle se deacuteveloppent des notions tregraves subtiles La penseacutee plurielle de Leibniz est aussi drsquoune extrecircme subtiliteacute Son eacutenorme varieacuteteacute drsquointeacuterecircts srsquoouvre sur plusieurs fronts ou lignes drsquoargumentation caracteacuteriseacutes par lrsquoampleur et la densiteacute de ses analyses Une penseacutee dont certains eacuteleacutements demeurent constants tout au long de sa carriegravere philosophique tandis que simultaneacutement beaucoup de ses doctrines changent et eacutevoluent dans une constante mise en question de ses theacuteories

Leibniz nrsquoa pas construit sa philosophie tout drsquoun bloc mais en adoptant provisoirement des doctrines qursquoil ne maintiendra pas par la suite Ses theacuteories tregraves eacutelaboreacutees sur le plan meacutetaphysique concernant le corps et la substance preacutesentent des coupures et des discontinuiteacutes et parfois des aspects opposeacutes en apparence du moins Il y a des eacuteleacutements irreacuteconciliables dans la penseacutee de Leibniz des theacuteories meacutetaphysiques incompatibles qui nrsquoarrivent jamais agrave un complet accord bien que les moments de clarteacute finissent par dissiper la confusion Donc la vision rigide classique drsquoun Leibniz qui se deacuteploie dans une continuiteacute monolithique depuis ses premiers eacutecrits jusqursquoagrave la Monadologie nrsquoest plus acceptable aujourdrsquohui

Agrave lrsquoeacutepoque moderne les lettres sont une forme semi-publique de communication Leibniz homme de dialogue eacuteprouve le deacutesir de partager et de transmettre ses ideacutees de les soumettre au jugement des autres Il a essayeacute de formuler une philosophie reacuteformeacutee en communiquant ses theacuteories agrave travers des lettres Crsquoest un infatigable

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correspondant avec un vaste reacuteseau de relations eacutepistolaires La correspondance de Leibniz avec le theacuteologien jeacutesuite Des Bosses essentiellement drsquoordre priveacute et drsquoune grande richesse speacuteculative commence en 1706 et se prolonge pendant dix ans jusqursquoagrave 1716 lrsquoanneacutee de la mort du philosophe avec un total de 138 lettres Cet eacutechange eacutepistolaire est parmi les plus longs et les plus importants de tout le corpus leibnizien et crsquoest aussi le plus complet pour lrsquoeacutetude des options ontologiques de Leibniz permettant drsquoappreacutecier pleinement sa philosophie Ces lettres sont caracteacuteristiques de sa penseacutee de la maturiteacute Drsquoune importance cruciale elles offrent une vision agrave la fois de sa meacutetaphysique finale et de la vie intellectuelle au deacutebut du XVIIIe siegravecle Elles mettent eacutegalement en lumiegravere la question controverseacutee de savoir si Leibniz a deacutefendu lrsquoexistence de creacuteatures vivantes corporelles ou si finalement il les a rejeteacutees en faveur drsquoune forme drsquoideacutealisme qui nie la reacutealiteacute ultime de toute chose agrave lrsquoexception des monades et ougrave on proclame un pheacutenomeacutenisme des corps eacutetendus2

Bien que la correspondance avec Des Bosses srsquoeacutetende tout au long des derniegraveres anneacutees de la vie de Leibniz on nrsquoy trouve pas cependant drsquoexposeacute deacutefinitif de sa meacutetaphysique ce qui est aussi le cas de la Monadologie lrsquoun de ses textes les plus aboutis et systeacutematiques eacutecrit deux ans avant sa mort et des Principes de la Nature et de la Gracircce lrsquoautre abreacutegeacute final de sa philosophie Il est vrai que Leibniz ne srsquoest jamais efforceacute drsquoeacutetablir un systegraveme deacutefinitif ce qui aurait signifieacute lrsquoacceptation drsquoun dogmatisme que lui-mecircme rejetait Par ailleurs la grande souplesse de sa philosophie permet des rapprochements divers entre des sujets et des auteurs diffeacuterents Cependant son souci drsquoune constante reacutevision de ses theacuteories exprime le principe systeacutematique selon lequel il nrsquoy a rien drsquoirrationnel rien drsquoaleacuteatoire dans un univers ougrave tout est entiegraverement deacutetermineacute Cela permet eacutegalement drsquoaffirmer que Leibniz est lrsquoun des grands creacuteateurs de systegravemes de lrsquohistoire de la philosophie

La correspondance mentionneacutee avec Des Bosses offre lrsquoun des exposeacutes les plus longs et les plus deacutetailleacutes sur la nature de la substance Elle examine la question de la substance corporelle et de la 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 2 Un principe fondamental de lrsquoideacutealisme de Leibniz ldquoNihil in rebus esse nisi substantias simplices et in his perceptionem atque appetitumhelliprdquo Agrave de Volder 30 juin 1704 GP II 270 Cf ldquoLa reacutealiteacute absolue nrsquoest que dans les monades et leurs perceptionsrdquo Lettre agrave Reacutemond 11 feacutevrier 1715 GP III 636 ldquoNihil aliud enim realitas quam cogitabilitasrdquo De iis quae per se concipiuntur A VI 4 26

Leticia Cabantildeas Ideacutealisme et reacutealisme chez Leibniz

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monade en tant que posseacutedant un corps organique3 Mais Leibniz nrsquoa pas reacuteussi agrave apporter une explication approprieacutee de lrsquoindividualiteacute des corps de lrsquounum per se lrsquointeacutegration de la forme et de la matiegravere dans la substance Il nrsquoest pas arriveacute agrave eacutenoncer un argument deacutecisif en faveur de lrsquoinclusion dans le concept de substance de la ldquosubstance corporellerdquo Il nrsquoa pas su expliquer avec certitude lrsquoexistence de cette substance corporelle agrave lrsquointeacuterieur du systegraveme de monades

Il est vrai que lorsque Leibniz parle de ldquosubstance corporellerdquo il nrsquoutilise pas le terme substance dans son sens traditionnel strict ayant rompu avec la notion de substance carteacutesienne Dans son opposition au concept carteacutesien de la matiegravere il deacuteveloppe une theacuteorie originale et radicale de la substance dont les caracteacuteristiques deacutefinitoires comprennent un principe intrinsegraveque de force ou drsquoaction et la possession drsquoun concept complet4 Cette theacuteorie leibnizienne ne coiumlncide pas non plus avec la conception aristoteacutelicienne de la substance malgreacute le fond aristoteacutelicien de la substance corporelle composeacutee drsquoun corps mateacuteriel organique et drsquoune acircme immateacuterielle ou forme substantielle ce qui est conforme au modegravele aristoteacutelicien des substances comme des uniteacutes de forme et matiegravere

Malgreacute lrsquoacceptation du meacutecanisme qui considegravere la nature comme un systegraveme de parties meacutecaniques mises en relation lrsquoheacuteritage aristoteacutelicien de Leibniz continue agrave exercer une influence consideacuterable sur sa meacutetaphysique Il cherche une voie moyenne entre les scolastiques et la philosophie meacutecaniste une nouvelle conception de cette philosophie meacutecaniste fondeacutee sur les formes substantielles des scolastiques tellement discreacutediteacutees agrave lrsquoeacutepoque En effet en 1678-79 il a deacutecideacute de reacutehabiliter lrsquoideacutee aristoteacutelico-scolastique de la ldquoforme substantiellerdquo qursquoil integravegre agrave sa philosophie agrave une peacuteriode de reacuteaction contre lrsquoaristoteacutelisme scolastique qui caracteacuterise la philosophie de la premiegravere moderniteacute Lrsquoobjectif vise agrave apporter au monde naturel un fondement meacutetaphysique Tout est explicable meacutecaniquement mais la philosophie meacutecaniste elle-mecircme doit srsquoappuyer sur quelque chose qui se situe au-delagrave du meacutecanisme La forme substantielle remeacutedie agrave

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lrsquoinadeacutequation drsquoun monde purement meacutecaniste en reacuteconciliant lrsquoexplication aristoteacutelicienne de la substance avec le meacutecanisme radical de Hobbes En meacutecanisant lrsquoactiviteacute mentale Leibniz cherche agrave sauver ce qui eacutetait nieacute par Hobbes

Leibniz introduit la doctrine des formes substantielles pour reacutesoudre le problegraveme de lrsquouniteacute des ecirctres corporels Mais son attitude face agrave la tradition scolastique est ambivalente car bien qursquoil reprenne la theacuteorie hyleacutemorphique drsquoAristote lorsqursquoil reacutehabilite la forme pour expliquer lrsquouniteacute des corps dans sa philosophie de la maturiteacute il finit par eacuteliminer la matiegravere nrsquoayant pas drsquoexistence en soi ce qui le conduit agrave supprimer lrsquoopposition classique entre forme et matiegravere5 Autrement dit Leibniz suit Aristote mais modifie la theacuteorie classique drsquoune forme substantielle aristoteacutelicienne comme contrepartie agrave la matiegravere premiegravere au profit drsquoune enteacuteleacutechie qui complegravete la matiegravere

Leibniz cherche une nouvelle theacuteorie de la substance un cadre conceptuel qui apporte de bases nouvelles agrave lrsquoancienne theacuteorie aristoteacutelicienne Il a proposeacute une alternative agrave lrsquoanalyse carteacutesienne du corps qursquoil a voulu reacutefuter agrave cause de sa vision trop limiteacutee qui nrsquoexplique pas convenablement les proprieacuteteacutes dynamiques des corps Leibniz pense que lrsquoeacutetendue ne permet pas drsquoexpliquer lrsquouniteacute et la coheacutesion du corps Au-delagrave de lrsquoeacutetendue il y a dans les corps des principes de mouvement ou principes drsquoaction qui fondent leurs proprieacuteteacutes dynamiques Il introduit ainsi sa propre explication agrave savoir une conception logico-dynamique de la substance tregraves diffeacuterente des points de vue de la meacutetaphysique carteacutesienne ce qui repreacutesente une alternative au carteacutesianisme Au meacutecanisme Leibniz ajoute le dynamisme les forces dans les corps qui gouvernent leurs

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Leticia Cabantildeas Ideacutealisme et reacutealisme chez Leibniz

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mouvements Il associe ces principes agrave lrsquoacircme et il les appelle ldquoformesrdquo ldquoenteacuteleacutechiesrdquo ou principes incorporels du mouvement et de lrsquouniteacute6

Lrsquoautre contribution eacutepistolaire majeure de Leibniz agrave la question de la theacuteorie de la substance ce sont les lettres agrave Arnauld une eacutetape importante dans le deacuteveloppement de la philosophie leibnizienne qui marque la pleine consolidation de sa penseacutee7 Cette correspondance annonce le Systegraveme Nouveau de 1695 la premiegravere publication du systegraveme meacutetaphysique de Leibniz ougrave il se preacutesentera publiquement comme philosophe Cela explique le fait que crsquoest lrsquoun des textes auxquels il a consacreacute plus des soins et drsquoattention Il repreacutesente une nouvelle forme de compreacutehension de la reacutealiteacute naturelle

Lrsquoeacutechange eacutepistolaire avec Arnauld a contribueacute de maniegravere deacutecisive agrave clarifier la notion leibnizienne de substance individuelle comme notion complegravete un aspect central dans le leibnizianisme Agrave la fin de la derniegravere lettre du 23 mars 1690 toute la penseacutee de Leibniz est reacutesumeacutee dans cette affirmation lrsquoentier univers est compris dans chaque substance La correspondance srsquoeacutetend de 1686 agrave 1690 crsquoest-agrave-dire pendant les anneacutees ougrave est questionneacute le statut des substances corporelles devient probleacutematique Lrsquoeacutechange eacutepistolaire commence agrave partir du Discours de Meacutetaphysique de 1686 dont Leibniz souhaite soumettre les thegraveses agrave lrsquoapprobation du grand theacuteologien de Port-Royal Cet eacutecrit essentiel sert de point de deacutepart agrave sa conception de la reacutealiteacute du corps de la substance corporelle un sujet deacutejagrave travailleacute anteacuterieurement mais maintenant clairement deacutefini Selon lui les corps sont faits de substances corporelles qui sont des constructions complexes subdiviseacutees en drsquoautres substances corporelles agrave savoir des organismes dans des organismes ad infinitum crsquoest-agrave-dire composeacutes drsquoun nombre infini de parties8

Il faut mentionner aussi une troisiegraveme correspondance avec le carteacutesien De Volder une lecture ideacutealiste cette fois ougrave les monades ne 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 6 Lettre agrave Arnauld 9 octobre 1687 A II 2 251 Cf ldquoAristote les appelle enteacuteleacutechies premiegraveres je les appelle peut-ecirctre plus intelligiblement forces primitives qui ne contiennent pas seulement lrsquoacte ou le compleacutement de la possibiliteacute mais encor une activiteacute originalerdquo Systegraveme nouveau GP IV 479 7 A II 2 3 ss 8 ldquohellipIl y a un Monde de Creacuteatures de vivants drsquoAnimaux drsquoEnteacuteleacutechies drsquoAmes dans la moindre partie de la matiegraverehellipChaque portion de la matiegravere peut ecirctre conccedilue comme un jardin plein de plantes et comme un eacutetang plein de poissons Mais chaque rameau de la plante chaque membre de lrsquoAnimal chaque goutte de ses humeurs est encor un tel jardin ou un tel eacutetangrdquo Monadologie sect 66-67 GP VI 618 Cf Mercer 2004 p 208

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sont plus les substances corporelles mais plutocirct le fondement qui est agrave lrsquoorigine de la substance corporelle La correspondance qui srsquoeacutetend de 1699 agrave 1706 nrsquoest pas eacutecrite avec lrsquointention drsquoecirctre publieacutee (il y a une frontiegravere chez Leibniz entre les eacutecrits destineacutes au public et les papiers priveacutes) Ces lettres montrent ouvertement les propres positions de Leibniz et elles sont lrsquoexpression manifeste de sa meacutetaphysique de la maturiteacute Le problegraveme central tourne autour de lrsquoextension du terme substance avec la theacuteorie des monades comme eacutetant la doctrine preacutefeacutereacutee et avec un rejet de la reacutealiteacute de la substance corporelle Strictement parlant il nrsquoy a dans lrsquounivers que des substances simples ou monades et en elles de la perception et de lrsquoappeacutetit Il nrsquoy a aucun sujet drsquoactiviteacute qui soit reacuteel hors des monades Mais pour une compreacutehension de la reacutealiteacute on a besoin de quelque chose de plus que les monades semblables aux acircmes et leurs perceptions harmoniques

Il est important de se demander quelle est pour Leibniz lrsquoextension du terme ldquosubstancerdquo La cateacutegorie des substances consiste-t-elle seulement en des corps animeacutes ou substances corporelles ou bien exclusivement en acircmes ou substances similaires aux acircmes ou mecircme srsquoapplique-t-elle indistinctement agrave lrsquoune et lrsquoautre possibiliteacute Autrement dit le terme substance peut-il indiquer un corps animeacute dont la puissance active est un principe appeacutetitif et dont la force passive est la base de sa corporeacuteiteacute ou bien au contraire deacutesigne-t-il une acircme ou entiteacute similaire agrave une acircme dont le pouvoir actif est aussi un principe appeacutetitif mais dont la force passive est reacuteduite agrave une perception confuse Il est extraordinairement difficile de tenter de reacutepondre agrave ces questions et il est probable que Leibniz lui-mecircme nrsquoait pas reacuteussi agrave reacutesoudre le problegraveme malgreacute son habiliteacute agrave donner une reacuteponse aux problegravemes philosophiques les plus complexes Lui aussi srsquoest vu confronteacute au dilemme eacuteternel de la continuiteacute entre la nature et lrsquoesprit

Agrave partir de 1698 le terme ldquomonaderdquo issu drsquoune longue tradition dans lrsquohistoire de la philosophie commence agrave apparaicirctre dans les eacutecrits de Leibniz Ce concept de monade drsquoorigine pythagoricienne constitue une innovation importante pour deacutepasser le dualisme carteacutesien Lrsquoideacutee drsquoune substance simple eacuteventuellement appeleacutee ldquomonaderdquo srsquoimpose jusqursquoagrave rompre avec les eacutecrits preacuteceacutedents ougrave Leibniz avait deacutefendu lrsquoideacutee drsquoune substance corporelle composeacutee drsquoune forme substantielle unie agrave un corps constitueacute drsquoun agreacutegat de substances corporelles chacune eacutetant agrave son tour composeacutee drsquoune

Leticia Cabantildeas Ideacutealisme et reacutealisme chez Leibniz

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forme substantielle jointe agrave un agreacutegat drsquoautres substances corporelles et ainsi agrave lrsquoinfini Quant agrave la monade elle est similaire agrave un atome spirituel doteacute de perception et drsquoappeacutetit avec la tendance de passer drsquoune perception agrave lrsquoautre9

La transition vers les substances simples ougrave Leibniz est parvenu agrave travers ses reacuteflexions sur la composition de la substance corporelle est localiseacutee entre 1695 et 1701 Les derniers eacutecrits se deacuteplacent le long drsquoune trajectoire en constante eacutevolution graduelle et continue mais pas uniforme qui part drsquoune meacutetaphysique qui comprend des substances corporelles composeacutees jusqursquoagrave arriver agrave la meacutetaphysique monadologique Cette ligne de penseacutee conduit Leibniz agrave la theacuteorie qursquoil a finalement deacuteveloppeacutee les seules substances sont des entiteacutes similaires aux acircmes les monades qui sont des ecirctres incorporels indivisibles simples et actifs Lrsquoargument selon lequel il nrsquoy a que des monades finit par eacuteliminer les substances corporelles Il y a des formes incorporelles dans les corps et la reacutealiteacute consiste uniquement dans des monades

Une analyse de ses derniers eacutecrits place le fondement dans quelque chose qui se trouve au-delagrave du monde visible la nature immateacuterielle de la substance mentale La derniegravere philosophie de Leibniz nrsquoest pas un dualisme meacutetaphysique de substances mentales et corporelles dont lrsquoaccord est assureacute par lrsquoharmonie preacuteeacutetablie La matiegravere et les corps sont le pheacutenomegravene reacutesultant drsquoune activiteacute incessante des veacuteritables uniteacutes meacutetaphysiques Il nrsquoy a que des monades et leurs repreacutesentations internes On se trouve face agrave lrsquoontologie finale de Leibniz la theacuteorie meacutetaphysique des derniegraveres anneacutees ou meacutetaphysique monadologique une intense eacutelaboration theacuteorique concentreacutee sur la doctrine des monades comme les derniers eacuteleacutements des choses10

Lrsquoordre drsquoexplication ontologique a son origine dans la reacutealiteacute des monades lrsquoauthentique reacutealiteacute des ecirctres immateacuteriels des ecirctres simples capables de percevoir ce qui entraicircne un rejet de la substantialiteacute du corps Drsquoapregraves la theacuteorie monadologique ideacutealiste tous les corps y compris les substances corporelles sont des pheacutenomegravenes qui reccediloivent leur reacutealiteacute ontologique des monades leur fondement meacutetaphysique Le corps composeacute est reacuteel lorsqursquoil est fondeacute 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 9 Monadologie sect 14 GP VI pp 608-609 10 Lodge 2015 pp 110-112

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sur des substances simples Les monades sont les seules substances proprement reacuteelles tandis que les corps sont des simples pheacutenomegravenes Le corporel se reacuteduit au monadique qui fonde la reacutealiteacute du monde

Lrsquoontologie des substances simples convient le mieux aux preacutemisses philosophiques et theacuteologiques leibniziennes Il y a des raisons speacutecifiques qui megravenent Leibniz vers la monadologie qursquoil appelle ldquomon systegravemerdquo et qui vont permettre une meilleure compreacutehension philosophique de la reacutealiteacute abandonnant ainsi la notion de substance corporelle Il nrsquoy a que des monades et leurs agreacutegats qui sont des pheacutenomegravenes deacutependants des perceptions monadiques11 La substance simple est la seule veacuteritable substance En deacutefinitive Leibniz entendu en un sens ideacutealiste nrsquoadmet que les monades dans la cateacutegorie de substance

Mais dans quelle mesure peut-on dire que Leibniz est un ideacutealiste crsquoest-agrave-dire quelqursquoun qui affirme que toutes les choses sont en derniegravere analyse des esprits immateacuteriels Bien que lrsquoideacutealisme allemand commence avec lui apregraves avoir inaugureacute la philosophie moderne du sujet en prenant comme point central non le monde mais lrsquohomme Leibniz nrsquoest pas un pur ideacutealiste puisqursquoil ne cesse pas drsquointeacutegrer des donneacutees de lrsquoexpeacuterience sensible dans sa penseacutee Il nrsquoest plus possible drsquoaccepter la vision traditionnelle drsquoun Leibniz ideacutealiste orthodoxe puisqursquoil y a chez lui des entiteacutes qui ne srsquoadaptent pas agrave une ontologie ideacutealiste (par exemple les substances corporelles les machines naturelles et les organismes) La question du rocircle et de la signification de tels concepts dans la meacutetaphysique leibnizienne reste drsquoailleurs tregraves controverseacutee

Des changements se produisent dans la position de Leibniz relative agrave lrsquoontologie de la substance La question qui se pose alors est la suivante la derniegravere meacutetaphysique exclut-elle effectivement les ecirctres corporels de la cateacutegorie de substance Comment expliquer lrsquoexistence de la substance composeacutee si les derniers constituants de la reacutealiteacute sont reacuteduits aux monades Une tension se creacutee alors entre lrsquoideacutee des substances simples et celle des substances corporelles

Par ailleurs il est eacutegalement difficile de soutenir que la penseacutee de Leibniz eacutevolue du reacutealisme agrave lrsquoideacutealisme srsquoagissant de deux theacuteories 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 11 ldquoCes Estres [drsquoagreacutegation] nrsquoont leur uniteacute que dans nostre espritrdquo Lettre agrave Arnauld 30 avril 1687 A II 2 186

Leticia Cabantildeas Ideacutealisme et reacutealisme chez Leibniz

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en principe incompatibles La doctrine de la substance corporelle qui caracteacuterise les anneacutees allant de la fin des anneacutees 70 agrave la fin des anneacutees 90 est essentiellement diffeacuterente de la theacuteorie monadologique de la substance du Leibniz des textes philosophiques posteacuterieurs la conception meacutetaphysique ideacutealiste eacutetant geacuteneacuteralement rapporteacutee agrave la Monadologie12 Ce texte composeacute agrave Vienne pendant lrsquoeacuteteacute 1714 est lrsquoeacutecrit le plus ceacutelegravebre de Leibniz et crsquoest une reacutefeacuterence essentielle pour la connaissance de sa penseacutee meacutetaphysique Il donne un accegraves privileacutegieacute agrave sa meacutetaphysique de la maturiteacute agrave travers un reacutesumeacute magistral de 90 courtes sections un bref exposeacute mais en mecircme temps encyclopeacutedique de son systegraveme qui se trouve disperseacute dans drsquoautres travaux Mais nous savons bien que chez Leibniz les lignes indeacutependantes de penseacutee en se confrontant mutuellement contribuent au deacuteveloppement de sa meacutetaphysique

On peut trouver des textes ougrave Leibniz deacutefend le reacutealisme ainsi que drsquoautres ougrave il se reacutevegravele ecirctre un philosophe ideacutealiste (au sens eacutenonceacute plus haut) Toutefois il nrsquoa pas reacuteussi agrave apporter une solution totalement satisfaisante qui permette de comprendre la relation entre les corps soumis agrave lrsquoexpeacuterience et les monades qui sont leur fondement meacutetaphysique Lrsquoambivalence de Leibniz sur ce point srsquoeacutetend tout au long de sa trajectoire philosophique Crsquoest un problegraveme non reacutesolu qui lrsquooccupa jusqursquoagrave la fin de sa vie puisque chez lui la tension entre lrsquoideacuteal et le reacuteel ne disparaicirct jamais Mecircme dans la peacuteriode monadologique agrave partir du Systegraveme Nouveau on remarque les vestiges de la theacuteorie de la substance corporelle13

En reacutesumeacute la question est de savoir si la vision de Leibniz sur la meacutetaphysique du corps a subi un changement important dans les vingt derniegraveres anneacutees de sa vie jusqursquoagrave sa mort en 1716 Il srsquoagit lagrave drsquoune conception meacutetaphysique qui semble incompatible avec les conclusions monadologiques tardives Pourtant on essaie de reacuteconcilier la reacutealiteacute de la substance corporelle avec la theacuteorie des monades Une reacuteconciliation qui nrsquoest possible que si lrsquoon permet une ldquounion reacuteellerdquo de lrsquoacircme ou monade dominante avec les monades

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subordonneacutees de son corps En deacutefinitive expliquer le corps en termes de subordination monadique rend lrsquoacircme et le corps inseacuteparablement unis

On pourrait aussi dire que la theacuteorie premiegravere drsquoune substance corporelle se replie au cours des derniegraveres anneacutees mais sans disparaicirctre entiegraverement Loin drsquoecirctre deux ontologies incompatibles dans la philosophie de maturiteacute de Leibniz ce qursquoon trouve crsquoest une connexion sans faille entre ce qui est monadique et ce qui est organique deux axes drsquoanalyse de base chez Leibniz un point de vue unique qui comprendrait lrsquoordre des corps et celui des substrats monadiques un systegraveme qui rendrait compte de tous les niveaux de la reacutealiteacute14 Selon cette conception dans le cadre drsquoune lecture de la meacutetaphysique de Leibniz il ne faut pas exclure la substance corporelle Bien au contraire la theacuteorie des monades pourrait srsquoaccommoder du reacutealisme de la doctrine peacuteripateacuteticienne de la substance corporelle En reacutesumeacute le sujet de discussion consiste agrave savoir si Leibniz a eacuteteacute un meacutetaphysicien reacutealiste un ideacutealiste ou bien srsquoil a essayeacute de reacuteconcilier les deux tendances dans sa philosophie de la maturiteacute en syntheacutetisant et en conciliant lrsquoideacutealisme et le mateacuterialisme dans une sorte de systegraveme meacutetaphysique preacutekantien

BIBLIOGRAPHIE

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ENRICO PASINI

DOUBLE CHARNIEgraveRE PHILOSOPHIE NATURELLE MEacuteTAPHYSIQUE ET PERCEPTION DANS LES PNG1

1 Dance the Malebranche-Limbo with me

Dans le limbo les danseurs se penchent en arriegravere pour passer sous un bacircton sans toucher le sol avec les mains ni toucher le bacircton On est debout donc au commencement puis le mouvement va de haut en bas suivi drsquoune section presque horizontale et finalement on se relegraveve Quelque chose de semblable se passe aussi dans drsquoimportantes œuvres philosophiques du XVIIe un siegravecle ougrave les textes comme les compositions musicales srsquoorientent vers des formes structureacutees comme par exemple les quatre mouvements de lrsquoArt de penser de lrsquoEssai sur lrsquoentendement du Neues Organon Il y a aussi le mouvement descendant et ascendant (de Dieu agrave la creacuteation puis horizontalement aux creacuteatures et remontant ensuite aux acircmes aux esprits et au regravegne de la gracircce) qui caracteacuterise eacutegalement le Traiteacute de la nature et de la gracircce de Malebranche que Leibniz lit en 1685 dans lrsquoeacutedition de Rotterdam et le Discours de meacutetaphysique de ce dernier2 Dans une certaine mesure les Principes de la nature et de la gracircce3 dont le titre agrave lui seul rappelle deacutejagrave Malebranche semblent encore ecirctre animeacutes du mecircme mouvement lrsquoimitation leibnizienne du Malebranche-Limbo Mais il sera inteacuteressant ici de mettre en eacutevidence au contraire lrsquoaspect principal par lequel il srsquoen distingue

Au cours de la geacuteneacutealogie ou de lrsquohistoire de la naissance de la Monadologie le dernier eacutecrit qui preacutesente ce mouvement

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parfaitement triadique drsquoascension et de descente est en veacuteriteacute lrsquoEclaircissement sur les monades commenceacute pour lrsquoenvoyer agrave Reacutemond mais resteacute agrave lrsquoeacutetat drsquoeacutebauche4 Les PNG bien qursquoils preacutesentent encore une ressemblance eacutevidente avec leur ancecirctre commencent par la substance finie et sont qui plus est diviseacutes en leur milieu par une fracture Celle-ci seacutepare deux parties qui diffegraverent par leur contenu de faccedilon significative et non deacutepourvue de conseacutequences

Jusqursquoici nous nrsquoavons parleacute qursquoen simples physiciens maintenant il faut srsquoeacutelever agrave la meacutetaphysique en nous servant du grand principe peu employeacute communeacutement qui porte que rien ne se fait sans raison suffisante crsquoest-agrave-dire que rien nrsquoarrive sans qursquoil soit possible agrave celui qui connaicirctrait assez les choses de rendre une raison qui suffise pour deacuteterminer pourquoi il en est ainsi et non pas autrement5 Ce principe eacutenonceacute on sait que la premiegravere question qursquoon a droit de poser sera selon Leibniz ldquopourquoi y a-t-il plutocirct quelque chose que rien Et pour quelle raison les choses doivent exister ainsi et non autrement rdquo6 Cela non seulement comme le voulait Descartes parce que la lumiegravere naturelle nous dit qursquoon le peut demander mais pour la raison bien plus ldquomeacutetaphysiquerdquo comme le dit Leibniz que ldquole rien est plus simple et plus facile que quelque choserdquo7 Donc la meacutetaphysique commence en srsquooccupant des raisons ultimes des choses

2 Limbo gateways

Pour la premiegravere fois dans les Principes apparemment Leibniz ne danse donc plus le Malebranche-Limbo agrave lrsquoorigine - dans la premiegravere reacutedaction qui nrsquoeacutetait pas numeacuteroteacutee - il y avait mecircme seulement la bi-partition en physique et meacutetaphysique En mecircme temps un

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problegraveme toujours preacutesent de charniegraveres ou de jonctions se pose de faccedilon nouvelle8

Consideacuterons ce dont il srsquoagissait dans la partie ldquophysiquerdquo des PNG Il y eacutetait deacutejagrave principalement question de la substance et de son rocircle dans la constitution du monde tant physique que spirituel Au sect1 on apprend que pour simple ou composeacutee qursquoelle soit la substance est une monade ou uniteacute un ecirctre capable drsquoaction une vie toute la nature est donc pleine de vie Au sect2 on lit que les monades nrsquoont point de parties et que perceptions et appeacutetitions les distinguent drsquoougrave la copreacutesence de simpliciteacute et multipliciteacute Au sect3 que tout est plein et lieacute dans la nature il y a des substances simples partout qui sont le centre drsquoune substance composeacutee et le principe de son uniciteacute elles sont entoureacutees drsquoune masse composeacutee par une infiniteacute drsquoautres monades qui en forment par une harmonie parfaite et preacuteeacutetablie le corps organique ldquomachine de la naturerdquo Puis au sect4 la substance vivante avec ses organes la monade dominante les animaux et les esprits la diffeacuterence entre perception et aperception lrsquoimmortaliteacute et aux sectsect5-6 quelques deacutetails de cette doctrine de la substance vivante9

Une telle physique cosmologie avant la lettre avait eacuteteacute diffeacuteremment eacutevoqueacutee auparavant dans les eacutecrits de Leibniz Par exemple dans ses essais sur la res bibliothecaria on trouve les ldquoPhysicae generalis praecepta seu Somatologiardquo10 crsquoest-agrave-dire la doctrine des corps (somata) Elle entretient une relation eacutetroite avec la meacutedecine au moins en tant que physique speacuteciale ldquoΦysica (physica specialis jungatur medicis)rdquo 11 et les expressions ldquophysico-medicardquo ldquophysico-mathematico-medicardquo ldquophysiologia medicardquo se preacutesentent souvent On se rappellera du reste les miscellaneacutes medico-physica de lrsquoAcademia naturae curiosorum Il y a encore

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mention bien sucircr de la ldquoPhysica Generalisrdquo ou des ldquoGeneralia physicardquo

Mais degraves la seconde moitieacute des anneacutees 1690 agrave peu pregraves agrave lrsquoeacutepoque des eacutecrits sur la correction de la notion de substance et sur le nouveau systegraveme de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie la discipline se duplique Dans le De systemate scientiarum composeacute apregraves 1695 on lit ldquoSystema scientiae seu corpus philosophiae Theoreticae agit vel de veritate in universum et est Logica seu Rationalis vel de rebus et est Physiologia seu Naturalis sensu latiorerdquo De rebus qursquoeacutetait-ce donc que ces res Il srsquoagissait premiegraverement des pheacutenomegravenes en tant que doteacutes drsquoune reacutealiteacute substantielle au moins drsquoemprunt voire des substantiata ce qui marque lrsquointroduction drsquoun thegraveme qui va prendre beaucoup drsquoimportance dans la deacutecennie suivante puis des vraies substances comme Dieu les esprits le Moi

Res sunt phaenomena (nempe realia) seu Substantiata et Substantiae ipsae Phaenomena realia bene scilicet ordinata (somniis aut aliis deceptionibus opposita) vel sunt Emphatica ut arcus coelestis aliaque quae per sensus exhibentur ipsaeque massae corporeae Substantiae vero sunt Deus Spiritus ego12 La distinction entre physique geacuteneacuterale et physique ldquopartiellerdquo ou particuliegravere va elle aussi changer et on assiste ainsi agrave lrsquoapparition du nom de ldquocosmologierdquo ldquoEst autem physica partialis et totalis partialis est abstractiva generalis de qualitatibus et concretiva de objectis nempe de similaribus de ruderibus et de organicis Totalis est Cosmologiardquo Lrsquoobjet de cette science physique et sa deacutemarcation par rapport agrave celui de la meacutetaphysique sont preacutesenteacutes par Leibniz dans le nouveau cadre de sa meacutetaphysique

De Substantiis ipsis agit Metaphysica ubi de principiis rerum de Monadibus Animabus Spiritibus de Deo qui est ultima ratio rerum Complectitur ergo et Theologiam Huc ergo et Theologia naturalis combinanda revelata13 La connexion entre philosophie et theacuteologie naturelle va se deacutevelopper jusqursquoagrave se transformer en programme agrave lrsquooccasion drsquoune confeacuterence donneacutee agrave Vienne en 1714 dont le texte a susciteacute beaucoup drsquointeacuterecirct apregraves sa publication par Patrick Riley

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Theologia naturalis est quae ex seminibus veritatis menti a Deo autore inditis enascitur ad caeterarum scientiarum instar Revelata est quae ab antiquis hausta quibus Deus se manifestaverat familiarius et traditione propagata est [hellip] Itaque [hellip] dicendum est Barbaris quidem Veritates maximas circa divina deberi Graecis autem Philosophiam quandam sacram qua rerum divinarum et Spiritualium natura non explicatur tantum expressius sed etiam praeclaris rationibus demonstratur14

De ce point de vue toute physique deacutepend drsquoun savoir agrave la fois plus geacuteneacuteral et supeacuterieur Pour Descartes le matheacutematicien atheacutee nrsquoaura jamais une vraie et certaine science slsquoil ne reconnaicirct un Dieu au moins pour ecirctre certain de nrsquoecirctre pas trompeacute mecircme dans les passages les plus eacutevidents de ses deacutemonstrations Leibniz on le sait estime que le vrai problegraveme consiste dans lrsquoignorance du fondement sur lequel repose la connaissance et il lrsquoeacutecrit quelques anneacutees plus tard

Il est vray qursquoun Atheacutee peut ecirctre Geometre Mais srsquoil nrsquoy avoit point de Dieu il nrsquoy auroit point drsquoobjet de la Geometrie Et sans Dieu non seulement il nrsquoy auroit rien drsquoexistant mais il nrsquoy auroit rien Cela nrsquoempecircche pas pourtant que ceux qui ne voyent pas la liaison de toutes choses entre elles et avec Dieu ne puissent entendre certaines sciences sans en connoitre la premiere source qui est en Dieu15 3 Nature et monades

Ce nrsquoest pas que Vienne lui ait fait oublier la physique commune Agrave lrsquoeacutepoque mecircme de la confeacuterence que nous avons citeacutee ci-dessus crsquoest-agrave-dire drsquoailleurs peu avant la composition des PNG Leibniz avait eu lrsquooccasion de deacutefinir de maniegravere officielle la physique en relation avec la fondation possible drsquoune acadeacutemie des sciences agrave Vienne Lrsquoobjet de cette Socieacuteteacute allait revenir agrave trois classes la ldquoLitteacuterairerdquo la ldquoMatheacutematiquerdquo et la ldquoPhysiquerdquo ldquoLa Classe physique comprend les trois regnes de la Nature le Mineral le Vegetable et lrsquoAnimal avec les sciences et arts qui srsquoy rapportent comme la

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chymie botanique anatomie en faveur de lrsquooeconomie et de la Medecine et sur tout pour la derniererdquo16

Dans les eacutecrit de Leibniz agrave partir des anneacutees 1690 on trouve comme on lrsquoa dit de nombreuses mentions de la ldquophysiquerdquo prise en ce sens - ce qursquoil appelle mecircme la ldquovraierdquo physique crsquoest-agrave-dire comme une nouvelle forme de la philosophie naturelle dont preacuteciseacutement Leibniz srsquoest occupeacute lui-mecircme la physique matheacutematique agrave laquelle srsquoexercent Malebranche Mariotte Rohault Huygens Newton etc En ce sens ldquovera physica res novitia estrdquo17 Dans une lettre eacutecrite agrave Arnauld apregraves le voyage drsquoItalie Leibniz exprime cette doctrine en la preacutesentant comme une partie de ses nouvelles eacutelaborations philosophiques On se trouve ici agrave la croiseacutee des chemins pour cette nouvelle physique il y a certains principes qui caracteacuteriseront agrave jamais dans la penseacutee de Leibniz le domaine intermeacutediaire entre corps naturels et substances meacutetaphysiques

A lrsquoeacutegard de la Physique il faut entendre la nature de la force toute diffeacuterente du mouvement qui est quelque chose de plus relatif Qursquoil faut mesurer cette force par la quantiteacute de lrsquoeacuteffect Qursquoil y a une force absolue une force directive et une force respective Que chacune de ces forces se conserve dans le mecircme degreacute dans lrsquounivers ou dans chaque machine non communiquante avec les autres et que les deux dernieres forces prises ensemble composent la premiere ou lrsquoabsolue18 Dans les PNG cette incarnation de la science physique fait son apparition au sect11 drsquoune faccedilon extraordinaire pour ainsi dire crsquoest-agrave-dire au milieu de la partie meacutetaphysique Il est ici question de nouveau de la dynamique et des principes de conservation dans une formulation techniquement plus preacutecise La sagesse suprecircme de Dieu lui a fait choisir surtout les lois du mouvement les mieux ajusteacutees et les plus convenables aux raisons abstraites ou meacutetaphysiques Il srsquoy conserve la mecircme quantiteacute de la force totale et absolue ou de lrsquoaction la mecircme quantiteacute de la force respective ou de la reacuteaction la mecircme quantiteacute enfin de la force directive19 Ces sont lagrave les trois lois de conservation formuleacutees dans lrsquoEssay de dynamique sur les lois du mouvement qui date agrave peu pregraves de 1700

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Elles correspondent dans un ordre inverse agrave lrsquoeacutequation lineacuteaire de la conservation des vitesses dans le choc eacutelastique agrave la conservation du moment cyneacutetique ou ldquoinvariabiliteacute de la somme des quantiteacutes de mouvement orienteacutees dans un systegraveme mateacuteriel lorsqursquointerviennent des actions meacutecaniques entre les corps qui le composentrdquo 20 dont on peut deacuteriver lrsquoeacutequation de conservation de la force vivante Ils ont une signification immeacutediatement meacutetaphysique ldquoDe plus lrsquoaction est toujours eacutegale agrave la reacuteaction et lrsquoeffet entier est toujours eacutequivalent agrave sa cause pleinerdquo 21 Cette surcharge philosophique de la physique devient plus eacutevidente dans la version deacutefinitive des PNG ougrave lrsquoon assiste agrave un complet remplacement des mouvements par les actions

Le fait - eacutetabli par lui-mecircme - que dans la nature il y ait effectivement des forces permet agrave Leibniz drsquoopeacuterer un mouvement theacuteorique depuis la theacuteorie de la substance ougrave il y a une avanceacutee positive par laquelle se montre la vraie nature des substances vers la teacuteleacuteologie ougrave il y une sorte drsquoavanceacutee neacutegative les lois de la force ne pouvant pas ecirctre expliqueacutees sans poser une loi universelle dont la connaissance nous dirige vers le creacuteateur ldquoEt crsquoest une des plus efficaces et des plus sensibles preuves de lrsquoexistence de Dieu pour ceux qui peuvent approfondir ces chosesrdquo22

Chose curieuse il nrsquoest question de force dans la Monadologie que lorsqursquoil srsquoagit des lois de conservation et de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie crsquoest-agrave-dire de lrsquoensemble des conditions requises pour la coheacutesion du monde Il nrsquoy a cependant par de vraie opposition entre les PNG et la Monadologie mais plutocirct un deacuteveloppement un passage agrave lrsquointeacuterieur drsquoun seul et mecircme eacutedifice theacuteorique deacuteveloppeacute peu agrave peu pour reacutepondre agrave la crise - au deacuterangement - de lrsquoalliance de la physique et de la meacutetaphysique qui avait domineacute dans la phase des machines de la nature et du substantiatum une composition de

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theacuteorie aristoteacutelicienne de la substance de dynamique et de doctrine de lrsquoinfini qui est maintenant sur le point drsquoecirctre abandonneacutee

La theacuteorie de lrsquouniteacute est le nouveau vestibule du palais des doctrines leibniziennes Mieux en adaptant une meacutetaphore bien-aimeacutee par Leibniz elle seule nous permet de franchir la porte qui seacutepare lrsquoantichambre et la salle drsquoaudience ougrave sa philosophie va nous conduire dans ce temps ou dans ce monde avant drsquoentrer finalement dans le cabinet de la nature - lagrave ougrave nature physique et nature meacutetaphysique semble se superposer sans peine lrsquoune exprimant lrsquoautre

Non seulement donc le limbo nrsquoest plus lagrave mais la theacuteologie naturelle lie lrsquoune agrave lrsquoautre la physique et la meacutetaphysique qui plus est les monades sont incorporeacutees agrave la philosophie naturelle23 et se distribuent des deux cocircteacutes de la charniegravere Le problegraveme se pose alors de la distribution autour drsquoune autre charniegravere de la repreacutesentation ou de la perception voire la distribution de repreacutesentation et perception entre lrsquoindividu leibnizien comme entiteacute naturelle substance dans le monde et lrsquoindividu meacutetaphysique substance constituant du monde

4 Quand la monade a des organes

Dans les PNG la monade la solitaire socialite est toujours ldquoenvironneacutee drsquoune masse composeacutee par une infiniteacute drsquoautres monadesrdquo24 Si agrave partir de cette formule on se retourne vers les parties correspondantes du Discours de meacutetaphysique on nrsquoy repegravere que ldquoce grand mystere de lrsquounion de lrsquoame et du corps crsquoest agrave dire comment il arrive que les passions et les actions de lrsquoun sont

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accompagneacutees des actions et passionsrdquo et ici Leibniz se hacirctait drsquoajouter ldquoou bien des phenomenes convenables de lrsquoautrerdquo25

Lrsquoon sait bien que le corps dans le Discours nrsquoeacutetait qursquoun pheacutenomegravene Cette doctrine aussi commence agrave srsquoeacutecrouler dans la correspondance avec Arnauld dans un processus de transformation de certaines vues anteacuterieures de Leibniz qui va se compleacuteter au cours des anneacutees 169026 dans les discussions avec Fardella et dans les eacutecrits de theacuteorie de la substance et de dynamique puis on a la correspondance avec De Volder et le deacuteveloppement de la theacuteorie de lrsquoaggregatum comme substantiatum Crsquoest ici lrsquoacmeacute dans la trajectoire parabolique de ses efforts pour maintenir sa theacuteorie de la substance dans le champ de lrsquohylemorphisme aristotelicien qui va ecirctre abandonneacutee seulement autour des eacutecrits de 1714 comme les PNG

Dans les eacutetudes leibniziennes nous sommes familiers de cette formule ldquoil nrsquoy a que des monadesrdquo Mais ce nrsquoest pas rien que drsquoy avoir des monades et enfin crsquoest bien plus que srsquoil nrsquoy avait que des apparences Le corps des PNG comprend des monades une ideacutee qui eacutetait absente du Discours Lrsquoinnovation theacuteorique introduite sous le nom de machine de la nature machine organique etc nrsquoest pas seulement la deacutefinition drsquoune theacuteorie de lrsquoorganisme vivant bien que nous la rangions drsquohabitude sous cette rubrique mais bien une theacuteorie de la reacutealiteacute ou drsquoun certain degreacute de reacutealiteacute des corps des vivants ni simples apparences ni vraies substances en eux-mecircmes voir la composition du vivant agrave partir drsquoautres vivants du cocircteacute naturaliste et du cocircteacute meacutetaphysique de la correspondance entre les principes passifactif primaires des substances dans leurs perceptions harmonisantes Le cortegravege toujours changeant de la monade dominante ce domaine propre de la monade dominante contient drsquoautres monades comme on le sait elles ldquoconstituent le corps propre de cette monade centralerdquo Cette derniegravere ce qui est drsquoimportance majeure ldquosuivant les affections [de ce corps] elle repreacutesente comme dans une maniegravere de centre les choses qui sont

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hors drsquoellerdquo Or ldquocomme [hellip] chaque corps agit sur chaque autre corps [hellip] et en est affecteacute par reacuteaction il srsquoensuit que chaque monade est un miroir vivantrdquo - agrave ce point-lagrave la monade est deacutejagrave vivante et ce qui srsquoy ajoute est preacuteciseacutement drsquoecirctre un miroir27

La perspective des PNG nrsquoest donc plus deacutetermineacutee comme lrsquoeacutetait celle du Discours de meacutetaphysique par la substance individuelle si non de faccedilon logique in ideis Diffeacuteremment in mundo lrsquoexistant individuel se constitue de maniegravere harmonique ad modum harmoniae dans lrsquoarticulation tregraves compliqueacutee de ce cortegravege - comme ce cortegravege nrsquoest enfin que le corps Et ldquoce corps est organique quand il forme une maniegravere drsquoautomaterdquo de plus lrsquoautomate est une ldquomachine de la nature qui est machine non seulement dans le tout mais encore etcrdquo28 Attention le ldquoquandrdquo introduit une condition une hypothegravese or est-il vraiment possible qursquoil y ait un corps non organique rattacheacute agrave une monade 29 et pourtant Leibniz eacutecrit ce corps non le corps On srsquoattendrait agrave ce qursquoil dise il y a infiniteacute de degreacutes mais le corps drsquoune monade est toujours quelque peu organique30 Toutefois Leibniz admet souvent qursquoil y ait des monades situeacutees agrave un niveau tregraves eacuteloigneacute de celui des acircmes Et crsquoest des acircmes qursquoil va parler principalement dans les PNG et dans la Monadologie

Agrave partir de cette observation je vais poser pour conclure deux questions en les laissant bien entendu ouvertes Premiegraverement on se demande quel est le statut disons ldquomeacutetaphysiquerdquo de cette machine Lrsquoon sait que Leibniz nrsquoa pas toujours donneacute la mecircme reacuteponse agrave cette question ou mieux il nrsquoa jamais donneacute vraiment de reacuteponse mais il a essayeacute drsquoen trouver agrave lrsquoaide soit de theacuteories variables soit de concepts parfois bien diffeacuterents entre eux

Il y a autour des PNG comme nous lrsquoavons suggeacutereacute ci-dessus une veacuteritable charniegravere de ce deacuteveloppement bien qursquoelle ne soit pas deacutefinitive Dans le fameux Eclaircissement inacheveacute en particulier on trouve la derniegravere attestation viennoise de la theacuteorie des assemblages ldquotout lrsquoUnivers des Creatures ne consiste qursquoen 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 27 PNG sect3 GP VI 599 28 Ibidem 29 ldquoSi Dieu veut mettre une ame dans une portion de la matiegravere ou de lrsquoetendueuml il lui accordera des organes autrement il nrsquoagiroit point avec ordrerdquo (Leibniz agrave Hartsoeker 1711 D II 70) 30 Il me semble qursquoil srsquoagit ici drsquoune expression agrave valeur heuristique mais cela deacutepend peut-ecirctre de mon attitude envers les PNG qui est de les interpreacuteter comme un protreptique

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substances simples ou Monades et en leurs assemblages Ces substances simples [hellip] ont toutes de la perception (qui nrsquoest autre chose que la repreacutesentation de la multitude dans lrsquouniteacute) et de lrsquoappeacutetit (qui nrsquoest autre chose que la tendance drsquoune perception agrave une autre)rdquo Dans les PNG on trouve au commencement ldquoLa [substance] composeacutee est lrsquoassemblage des substances simples ou des monadesrdquo dans la Monadologie le seul ldquoassemblagerdquo est celui ldquode tous les Espritsrdquo en la citeacute de Dieu31

Dans les PNG chaque monade ldquoavec un corps particulier fait une substance vivanterdquo En plus ldquoil nrsquoy a pas seulement de la vie partout jointe aux membres ou organes mais mecircme il y en a une infiniteacute de degreacutes dans les monades les unes dominant plus ou moins sur les autresrdquo32 Nous assisterons en tregraves peu de temps agrave un glissement de la ldquosubstance vivanterdquo au ldquovivantrdquo qui se stabilise au cours de la reacutedaction de la Monadologie33 Clairement si le vivant nrsquoest pas en soi une substance (une substance distincte dis-je) il nrsquoy a pas neacutecessiteacute drsquoun lien substantiel qui lui soit particulier apregraves le limbo de Malebranche il abandonne aussi les gavottes imagineacutees avec Des Bosses Mais deacutejagrave dans les PNG quand la monade a des organes et des organes comme Leibniz lrsquoeacutecrit dans la premiegravere partie si ajusteacutes que par leur moyen il y a du relief et du distingueacute dans les impressions qursquoils reccediloivent et par conseacutequent dans les perceptions qui les repreacutesentent [hellip] cela peut aller jusqursquoau sentiment crsquoest-agrave-dire jusqursquoagrave une perception accompagneacutee de meacutemoire agrave savoir dont un certain eacutecho demeure longtemps pour se faire entendre dans lrsquooccasion et un tel vivant est appeleacute animal comme sa monade est appeleacutee une acircme34

Le mouvement theacuteorique qui relie la possession des organes agrave la sensation ldquoreleveacuteerdquo est renverseacute ce qui nrsquoest pas un cas unique dans la Monadologie Aussi voyons-nous que la Nature a donneacute des perceptions releveacutees aux animaux par les soins qursquoelle a pris de leur fournir des organes qui ramassent plusieurs rayons de lumiegravere ou plusieurs ondulations de lrsquoair pour les faire avoir plus drsquoefficace par leur union [hellip] Et

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jrsquoexpliquerai tantocirct comment ce qui se passe dans lrsquoacircme repreacutesente ce qui se fait dans les organes35

Si lrsquoacircme repreacutesente ce qui se fait dans les organes et mecircme dans les glandules et dans chaque partie du corps et encore hors de nous jusque dans les eacutetoiles les plus eacuteloigneacutees comme Leibniz le souligne toujours bien qursquoelle ne srsquoen aperccediloive pas toutefois puisque le corps est la raison du point de vue les organes sont la raison de la perception consciente Voilagrave une ambiguiumlteacute qui nous autorise agrave demander de quoi parle-t-on ici et dans quelle perspective En particulier dans la perspective de lrsquoentiteacute meacutetaphysique dominante ou dans celle de lrsquoindividu vivant corporellement dans le monde 36

Quand la monade a des organes des organes situeacutes dans une machine de la nature qui entoure la monade centrale comme lrsquoessaim drsquoabeilles entoure la reine (ou comme on le disait en ce temps-lagrave le roi) la situation est maintenant bien diffeacuterente de toute speacuteculation anatomique du temps du Discours de meacutetaphysique parce que cette organyzatio - ainsi que Jungius lrsquoaurait appeleacutee - nrsquoest pas comme elle lrsquoeacutetait alors purement pheacutenomeacutenique Elle a donc en mecircme temps soliditeacute et limitation Soliditeacute parce qursquoil srsquoagit bien de substances Limitation puisque la mise entre parenthegraveses de la theacuteorie de lrsquoassemblage ou aggregatum et du modegravele complexe de la constitution du substancieacute et de la substantiation parmi la geacuteneacuteration du passif et de lrsquoactif de lrsquoaggreacutegat substantiel agrave partir des principes actifs et passifs des substances qui y entraient semble devoir ou pouvoir deacutepouiller le vivant de la capaciteacute de tout repreacutesenter ou au moins de la capaciteacute de tout repreacutesenter agrave ce niveau secondaire du corps de la mecircme faccedilon que lrsquoacircme le fait primairement

Lrsquoharmonie preacuteeacutetablie nous rassure les perceptions dans la monade naissent ainsi les unes des autres par les lois des appeacutetits ou des causes finales (du bien ou du mal) qui consistent dans les perfections remarquables reacutegleacutees ou deacutereacutegleacutees comme les

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changements des corps et les pheacutenomegravenes naissent les uns des autres par les lois des causes efficientes crsquoest-agrave-dire des mouvements Et il y a une harmonie parfaite entre les perceptions de la monade et les mouvements des corps preacuteeacutetablie drsquoabord entre le systegraveme des causes efficientes et celui des causes finales

Et pourtant la perception paraicirct en mecircme temps dans la monade en tant que telle et dans le vivant crsquoest-agrave-dire que la monade des Principes et a fortiori celle de la Monadologie a des eacutetats repreacutesentatifs en tant que substance individuelle mais elle a des perceptions en tant qursquoacircme drsquoun certain animal corporel et il est presque banal de dire que les organes deacuteterminent les perceptions de la seconde cateacutegorie mais ne deacuteterminent pas celles de la premiegravere Lrsquoidentification entre les deux est deacutesirable mais nullement assureacutee et dans les eacutechanges de Leibniz avec ses correspondants il arrive parfois que les deux aspects interfegraverent mutuellement tout au moins parce qursquoil existe des aspects de la perception qursquoil ne lui est pas facile de distribuer correctement aux deux niveaux de la substance et du composeacute vivant comme le sont par exemple les perceptions insensibles Je veux suggeacuterer pourtant agrave titre de conclusion qursquoil srsquoagit dans ce cas autour de cette charniegravere speacutecifique non pas vraiment drsquoun problegraveme drsquoun bug mais plutocirct drsquoune feature drsquoun trait caracteacuteristique engendreacute peut-ecirctre ineacutevitablement par le redoublement entre le niveau de la monade en soi-mecircme et le niveau de lrsquoagreacutegation autour drsquoune acircme des monades en tant qursquoelles composent le corps qui complegravete le vivant On doit seulement admettre que les eacutetats substantiels comprendront toujours une repreacutesentation non seulement en premiegravere mais agrave la fois en troisiegraveme personne de lrsquoeacutetat perceptif subjectif de lrsquoensemble du vivant

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SELON LEIBNIZ EN 1714

1 Preacutesentation

Que la philosophie naturelle srsquooccupe des sens nrsquoest pas une innovation introduite par les philosophes modernes mais leur refus des qualiteacutes reacuteelles et des species sensibles neacutecessite drsquoeacutelaborer une nouvelle theacuteorie des sens Cette theacuteorie doit expliquer la valeur cognitive de la perception en accord avec les principes de la perspective meacutecaniste et reacutepondre agrave la question de la possibiliteacute drsquoune activiteacute de lrsquointellect seul opeacuterant de maniegravere complegravetement indeacutependante des sens La solution leibnizienne cherche agrave eacuteviter les positions extrecircmes que les carteacutesiens et Hobbes ont proposeacutees Drsquoune part le mateacuterialisme hobbesien en concevant la sensation comme mouvement du corps (EW I 390) aboutit agrave une conception reacuteductionniste de lrsquoentendement humain Pour Hobbes lrsquoimagination nrsquoest que la sensation deacutegradeacutee et le pouvoir de raisonner nrsquoest qursquoun enchaicircnement des imaginations (EW III 14-20) crsquoest-agrave-dire qursquoil ne consiste qursquoen certaines associations reacutegleacutees drsquoimages ce qui signifie que lrsquoautonomie de lrsquoactiviteacute intellectuelle est supprimeacutee Drsquoautre part Malebranche rejette lrsquoideacutee que les intellections ont besoin des images corporelles et inversement les sensations sont priveacutees de tout contenu intellectuel parce qursquoelles ne sont pas des ideacutees confuses repreacutesentant une cause mateacuterielle (Rech III ii) 1 cependant il faut consideacuterer un autre aspect de la perception sensible le jugement libre par lequel on croit que ce qursquoon perccediloit existe au dehors (par exemple que la chaleur existe dans le feu) et qui est agrave lrsquoorigine de lrsquoerreur (Rech I xiv iii)2 Il est bien connu que Leibniz srsquoappuie sur lrsquoexistence de la connaissance des veacuteriteacutes neacutecessaires pour prouver la reacutealiteacute de notre acircme mais il admet aussi le sentiment ou perception animale par laquelle les animaux ont des 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 1 Malebranche 1991 pp 388-391 2 Malebranche 1991 pp 130-131

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ldquoconseacutecutionsrdquo Ces liaisons entre leurs perceptions peuvent ecirctre compareacutees avec le raisonnement (GP VI 600 611) Les distinctions conceptuelles que Leibniz introduit lui permettent de surmonter des difficulteacutes susciteacutees par ses premiegraveres deacutefinitions du sensus et en conseacutequence de concilier les continuiteacutes entre les perceptions animale et humaine avec les conditions normatives et pourtant propositionnelles du jugement perceptuel Cette conception de lrsquoexpeacuterience du vivant eacutevite les difficulteacutes que lrsquoanalyse traditionnelle attribuait agrave la conception moderne et pourrait contribuer au deacutebat eacutepisteacutemologique contemporain en offrant des eacuteleacutements drsquoanalyse pour surmonter lrsquoopposition entre naturalisme et normativisme eacutepisteacutemologiques

Ainsi je commencerai par la description de cette conception tardive de la perception tant humaine qursquoanimale et comparerai cette notion avec la premiegravere notion de la perception et les difficulteacutes qursquoelle suscite finalement je preacutesenterai les avantages que la nouvelle conception peut offrir pour le problegraveme eacutepisteacutemique de la perception

2 La solution leibnizienne

21 Le fonctionnement du sens

La nouvelle physique fournit le cadre des notions et des principes pour la theacuteorie des sens expliquant le meacutecanisme physique de la stimulation sensorielle La perception animale est appeleacutee ldquosentimentrdquo pour la distinguer des perceptions comme actions internes caracteacuterisant toutes les monades (PNG 1 4 M 14 19)3 Le sentiment est une perception qui est ldquoplus distincterdquo (M 19) ou bien qui a ldquodu relief et du distingueacuterdquo (PNG 4) Mais le sentiment est aussi une perception ldquoaccompagneacutee de meacutemoirerdquo (M 19 PNG 4)

On peut donc caracteacuteriser le sentiment animal comme un certain degreacute de perception distincte (GP VI 599) et eacutegalement par le rocircle que joue la meacutemoire (GP VI 600 611) La disposition anatomique dans lrsquoorgane sensoriel rend plus efficace lrsquoeffet du stimulus physique

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(par exemple les humeurs dans les yeux favorisent la concentration des rayons lumineux (PNG 4 M 25) et il y a des meacutecanismes similaires dans les autres sens (M 25) Les organes sensoriels sont ainsi adapteacutes agrave leur fonction perceptuelle (PNG 4) parce que la perception repreacutesente lrsquoimpression dans lrsquoorgane crsquoest-agrave-dire que lrsquoeffet physique concentreacute dans lrsquoorgane produit une impression plus notable qui est repreacutesenteacutee par la perception distincte Ce meacutecanisme rend possible la persistance de lrsquoeffet (PNG 4)

Mais cette image sensible fournit des liaisons entre les perceptions la connexion entre les perceptions qui est fondeacutee dans la meacutemoire est appeleacutee conseacutecution (PNG 5 M 26) Leibniz ajoute que la plupart des comportements humains sont explicables par des conseacutecutions (PNG 5 M 28) et que les conseacutecutions imitent la raison (M 26) ou sont des liaisons similaires aux liaisons fournies par la raison (PNG 5)

Il donne un exemple de conseacutecutions chez les animaux avec le cas du chien qui fuit quand il voit le bacircton dans la main de son maicirctre Cette image eacutevoque le souvenir drsquoune autre perception celle de la douleur parce qursquoune sensation semblable est unie agrave lrsquoimage du bacircton dans lrsquoexpeacuterience passeacutee Le chien ldquoest porteacute agrave des sentiments semblablesrdquo (M 26) crsquoest-agrave-dire que les conseacutecutions causent des comportements involontaires

Ainsi les liaisons pourvues par la meacutemoire rendent compte des comportements appris et involontaires tant chez les animaux que chez les humains Cependant les passages citeacutes nrsquoapportent pas les deacutetails des opeacuterations par lesquelles les perceptions distingueacutees persistent si lrsquoobjet sensible est absent du champ perceptuel On peut dire que lrsquoimpression corporelle est en reacuteaction par rapport agrave lrsquoobjet suivant les lois dynamiques qui rendent efficaces les organes pour optimiser la fonction perceptuelle les perceptions sensibles repreacutesentant cette activiteacute corporelle sont distinctes parce que la distinction du contenu repreacutesentatif est le signe de lrsquoaccroissement de lrsquoactiviteacute de lrsquoacircme Si bien qursquoon comprend que des objets semblables suscitent des effets semblables ndash par exemple que les yeux concentrent les rayons de lumiegravere de maniegravere similaire en preacutesence des choses rouges ndash la meacutemoire eacutevoque un autre effet et ce pouvoir de la repreacutesentation sensible doit ecirctre expliqueacute par les lois de lrsquoappeacutetition Dans lrsquoexemple du chien lrsquoeffet eacutevoqueacute est de nature

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affective une douleur qui est accompagneacutee du mouvement corporel de la fuite Par les liaisons apporteacutees par la meacutemoire lrsquoimage sensible est unie agrave un autre eacuteleacutement sensible et la perception devient une structure teacuteleacuteologique qui deacutepasse lrsquoimage particuliegravere En mecircme temps lrsquoimage eacutevoqueacutee drsquoun objet ou drsquoun eacuteveacutenement absent est de nature mentale crsquoest-agrave-dire repreacutesentationnelle

Mais la conseacutecution doit rendre compte de lrsquoexpeacuterience comprise comme une notion eacutepisteacutemique Srsquoil eacutetait possible drsquoexpliquer la conduite humaine involontaire par des conseacutecutions sans aucune reacutefeacuterence aux eacutetats doxastiques du sujet il semblerait difficile de concevoir des expectatives humaines deacutepourvues drsquoassertions ou de croyances par exemple qursquoil fera jour demain Du reste mecircme quand la perception peut ecirctre abordeacutee sous lrsquoangle scientifique comme un processus qui enveloppe des meacutecanismes organiques la philosophie srsquointerroge sur les rapports normatifs entre la perception et la connaissance ou la croyance perceptuelle4 Comme on verra ensuite la premiegravere doctrine leibnizienne de la perception aboutit agrave expliquer cet eacuteleacutement doxastique de la perception humaine mais cette deacutefinition qui rend compte du contenu propositionnel associeacute agrave lrsquoexpeacuterience perceptuelle humaine ne peut expliquer la perception animale Si les animaux ont des rapports perceptifs au monde il faut qursquoils aient certains traits en commun avec notre rapport perceptif au monde Mais ces traits en commun ne sont pas neacutecessairement des conditions suffisantes de la connotation eacutepisteacutemique de la perception

22 La question eacutepisteacutemologique

221 La perception sensible comme sentiment distinct

Leibniz dit clairement que les hommes et les animaux ont des sentiments et des conseacutecutions cependant on peut se demander srsquoils peuvent partager une mecircme sorte de cognition Autrement dit il nrsquoest pas question de nier lrsquoopinion commune selon laquelle les animaux voient eacutecoutent et ont drsquoautres expeacuteriences sensibles Or lrsquoexpeacuterience animale peut-elle ecirctre speacutecifieacutee sans le recours agrave des

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meacutethodes introspectives Comme on lrsquoa dit la question eacutepisteacutemologique de la perception relegraveve de la relation de lrsquoexpeacuterience perceptuelle avec la connaissance mais dans le cadre de la theacuteorie de la connaissance traditionnelle cette relation peut ecirctre eacutetudieacutee sans consideacuterer ce qui est au-delagrave de la situation mentale du sujet percevant Selon cette conception ldquointernalisterdquo de la perception tant les expeacuteriences veacuteridiques que les illusions ont un trait commun et il y a pourtant une ressemblance exacte entre elles parce qursquoelles appartiennent au mecircme type drsquoeacutetat mental Srsquoil nrsquoest pas possible de rendre compte de la diffeacuterence entre une expeacuterience veacuteridique et une illusion ldquoderriegravere le voile des apparencesrdquo les conseacutequences sceptiques sont ineacutevitables Cependant il nrsquoest pas neacutecessaire de supposer que Leibniz soutient que la conception que nous appelons internaliste de lrsquoexpeacuterience perceptuelle doit ecirctre le veacuteritable point de deacutepart des consideacuterations eacutepisteacutemiques concernant le rocircle de la perception agrave lrsquoeacutegard de la formation de nos jugements fondeacutes sur lrsquoexpeacuterience Puisqursquoon concevait cette relation comme fondant une relation de justification la question est de speacutecifier les termes de cette relation en tant que rationnelle crsquoest-agrave-dire en tant qursquoils peuvent habiter ldquolrsquoespace des raisonsrdquo5 Pour comprendre les implications de la deacutefinition de lrsquoexpeacuterience sensible comme sentiment agrave lrsquoeacutegard de la connaissance perceptuelle il faut consideacuterer des formulations anteacuterieures

Les textes eacutecrits au deacutebut de la deacutecennie 1680 concernant les opeacuterations de lrsquoesprit preacutesentent des deacutefinitions du sentiment et de la perception mais crsquoest la perception qui est deacutefinie par le sentiment En effet les perceptions sont des sentiments distincts Cogitans concipiens sentiens intelligens (seu distincte concipiens) percipiens (seu distincte sentiens) (A VI 4 392) [1680-168485]

Et dans la suite du mecircme eacutecrit la perception est eacutequivalente au sentiment certain P e r c i p i m u s (seu cum certitudine sentimus) (A VI 4 396)

Certes ces deacutefinitions aboutissent agrave caracteacuteriser les penseacutees humaines

Cependant le texte nous offre une deacutefinition du sentiment dont les caracteacuterisations plus tardives du concept preacuteserveront lrsquointuition

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fondamentale Sentir signifie avoir des images sensibles unies agrave des efforts pour agir ou conatus Il eacutecrit

Itaque s e n t i r e est imaginari cum conatu impediendi aliquam imminutionem vel procurandi auctionem nostrae potentiae ex inde orto quod eadem imago conjuncta nunc est vel olim fuit cum tali imminutione vel augmento (A VI 4 395)

Leibniz explique que lrsquounion entre lrsquoimagination et lrsquoeffort pour agir se produit parce que lrsquoimage est unie agrave une modification de la puissance drsquoagir du sujet

Si le sentiment est lrsquoimage qui est unie agrave un conatus crsquoest parce que lrsquoaction drsquoimaginer est indeacutependante de lrsquoaction drsquoaffirmer lrsquoexistence de lrsquoobjet de lrsquoimagination Crsquoest la reacuteiteacuteration de lrsquoimage avec modification de la puissance qui produit des rapports analogues agrave des regravegles

Et quidem sciendum est cum nostrae cogitationi aut phaenomeno adjuncta est aliqua nostrae perfectionis vel potentiae auctio aut diminutio [nos] habere conatum efficiendi ut ea cogitatio duret aut desinat Reversa ea cogitatione habere eundem conatum nisi ea conjuncta sit cum cogitatione efficiente conatum contrarium Quod si haec saepe contingant oriri ex tot experimentis quasi regulas quasdam conandi aut non conandi in oblatis eaeque vel pendentes ex nostro experimento vel ex traditione aliorum qui experti sunt vel etiam eorum qui prophetarum instar dicant quid simus experturi (A VI 4 394)

Les images sont unies agrave des dispositions pour lrsquoaction mais crsquoest par la reacutepeacutetition qursquoun conatus particulier srsquounira agrave une image particuliegravere Et crsquoest lrsquounion de lrsquoimage avec un conatus qui rend compte de lrsquoaction assertive par laquelle lrsquoobjet A qui est repreacutesenteacute dans lrsquoimage est affirmeacute par la proposition ldquoA estrdquo

Et quoties ob aliquod phaenomenon conamur ita agere ac si inde nisi nos impediremus secuturum esset aliud phaenomenon conjunctum cum adjumento aut nocumento nostro statuimus id essehellip (A VI 4 394)

Lrsquoassertion ajoute agrave la proposition la disposition pour agir car la force assertorique drsquoaffirmer la proposition comme vraie est eacutequivalente agrave la disposition pour agir suivant le contenu de la proposition Le sentiment implique drsquoaffirmer que lrsquoobjet perccedilu existe et si la proposition est vraie le sentiment est appeleacute ldquoperceptionrdquo

De faccedilon similaire le contenu propositionnel du savoir ou de la croyance implique des actes assertoriques

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Videntur sentire et percipere se habere ut credere et scire Sentire percipere credere et scire commune habent ipsum statuere sive affirmare vel negare (A VI 4 394-5)6

Cette contribution agrave lrsquoeacutelucidation de la notion drsquoassertion est conforme aux premiegraveres deacutefinitions de la perception sensible impliquant que le sujet affirme que lrsquoobjet perccedilu existe Plus preacuteciseacutement la deacutefinition du ldquosensusrdquo preacutesente les conditions de la perception sensible au moyen des notions drsquoobjet et drsquoorgane

Si duo corpora sibi resistant et nos actionem passionemque unius percipiamus velut ad nos pertinentem alterius velut alienam illud corpus dicetur o r g a n o n hoc dicetur o b j e c t u m ipsa autem perceptio dicetur s e n s u s (A VI 4 1394) [1678-168081]

La perception sensible met en jeu la capaciteacute agrave reconnaicirctre lrsquoobjet comme diffeacuterent et reacutesistant au sujet Neacuteanmoins une telle conception de lrsquoexpeacuterience perceptuelle est probleacutematique agrave lrsquoeacutegard drsquoune ontologie qui attribue des perceptions agrave toutes les formes substantielles et distingue les acircmes par leurs perceptions plus distinctes

On peut trouver dans le De natura Mentis et Corporis un texte qui teacutemoigne des heacutesitations de Leibniz concernant la perception des animaux Drsquoune part Leibniz concegravede que les animaux ont du sens et de lrsquoimagination

In brutis itaque perceptionem agnosco sive sensum eorum quae fiunt agnosco et imaginationem sensu cessante manentem et ideo recursum priorum imaginum si qua nova imago uni priorum similis occasionem praebeat sed non agnosco in illis conscientiam ut scilicet oblata quadam cogitatione percipiant eam vel aliam similem jam sibi affuisse (A VI 4 1490) [1683-16856]

Le passage drsquoune image agrave une autre que lrsquoimagination animale rend possible est distingueacute de la meacutemoire comme un acte perceptif et reacuteflexif caracteacuterisant les esprits et ne deacutependant pas des images

Reflexio itaque seu memoria vel conscientia mentium propria est Reflexio proprie est memoria cogitationis proxime praecedentis In sui ipsius perceptione consistit imago divina nobis indita Non puto ab ullo bruto exerceri illam vim quam in me experior cum volo ut cogitem me nunc cogitare et hoc ipsum admirer et continue in me replicem nullo signi alicujus usu interveniente sed intima quadam perceptione 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 6 La proposition qui est affirmeacutee ajoute un preacutedicat B agrave un sujet A ldquoItaque si revera sentias A et ideo sic agas ad promovenda vel impedienda quae cum sentires B utique statuis A esse Brdquo (A VI 4 395)

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ubi vim simul nobis facimus imagines ab ea cogitatione avocantes amoliendo (A VI 4 1490) [1683-16856]

Drsquoautre part on peut constater que les derniers mots de lrsquoopuscule posent une interrogation est-ce que les animaux ont des cognitions distinctes ldquoNullane in bruto cognitio distincta rdquo (A VI 4 1491) [1683-16856 ]

Par des cognitions distinctes il faut comprendre quelque chose de plus que le simple passage drsquoune image sensible agrave une autre ou les accroissements de lrsquoactiviteacute des substances Le terme ldquocognitionrdquo deacutesigne les eacutetats mentaux intentionnels ou qui sont dirigeacutes vers quelque objet (A VI 802) Certes il nrsquoest pas question de nier que les sens animaux les renseignent sur leur environnement mais la perspective eacutepisteacutemologique pose une autre question celle des conditions par lesquelles les images sensibles deviennent des contenus propositionnels ou du moins quelque chose qui peut ecirctre un terme des relations de justification

222 Le sentiment comme perception plus distincte

Pour mieux comprendre la question il faut distinguer entre les motivations meacutetaphysiques de lrsquointroduction drsquoentiteacutes qui sont diffeacuterencieacutees par les degreacutes de perceptions dont elles sont capables et la question eacutepisteacutemologique concernant ce qui nous garantit que nos expeacuteriences repreacutesentent adeacutequatement les choses hors de nous Ces relations entre les repreacutesentations perceptuelles et lrsquoobjet perccedilu sont des relations de justification Mais les relations entre les impressions et les corps qui produisent les impressions appartiennent agrave un autre ordre Comme nous avons deacutejagrave vu la premiegravere formulation de la theacuteorie de la perception pouvait rendre compte des demandes de justifications car la perception impliquait des assertions qui eacutetaient unies agrave des images sensibles Et parce que ces associations sont apprises elles sont reacutevisables crsquoest-agrave-dire qursquoon peut juger si les croyances associeacutees sont veacuteritables Toutefois cette conceptualisation de la perception sensible demande des capaciteacutes cognitives reacuteflexives et ainsi une deacutefinition de la perception sensible qui eacutenonce des conditions suffisantes de la perception animale doit fournir une analyse de la perception plus geacuteneacuterale

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Il faut admettre que la deacutefinition du sens comme perception plus distincte est suffisamment geacuteneacuterale pour inclure des perceptions animales et humaines dans un mecircme cadre explicatif

Atque hoc principium actionum seu vis agendi primitiva ex qua series statuum variorum consequitur est substantiae forma Patet etiam quid perceptio sit quae omnibus formis competit nempe expressio multorum in uno quae longe differt ab expressione in speculo vel in organo corporeo quod vere unum non est Quodsi perceptio sit distinctior sensum facit (A VI 4 1625) [1688]

Les degreacutes de distinction caracteacuterisant des acircmes correspondent aux degreacutes drsquoactions des substances

Verum ea cujus expressio distinctior est agere cujus confusior pati judicatur nam et agere perfectionis est pati imperfectionis (A VI 4 1620) [1688]

En mecircme temps la description du processus perceptuel commun aux hommes et aux animaux ne suffit pas pour preacuteserver ldquolrsquoespace logique des raisonsrdquo

La deacutefinition plus tardive de la perception sensible comme sentiment introduit les conseacutecutions comme composantes essentielles de la perception sensible Voici une variante latine preacutesentant le sens comme perception avec meacutemoire ldquoSensio enim est perceptio quae aliquid distincti involvit et cum attentione et memoria conjuncta estrdquo (GP VII 330 [1710])

Dans ce passage Leibniz soutient que les perceptions sensibles

enveloppent quelque chose de distinct7 Il semblerait difficile de comprendre la maniegravere dont les perceptions des animaux impliquent des composantes distinctes car les notions du sens commun qui expriment les objets externes appartiennent agrave lrsquointellect8 et impliquent un certain degreacute de geacuteneacuteraliteacute9 (Par exemple on ne pourrait pas dire que le chien voit la ligne droite dans lrsquoimage du bacircton de la mecircme maniegravere qursquoon peut dire qursquoun homme qui se repreacutesente lrsquoimage claire drsquoun polygone reacutegulier particulier est en possession de lrsquoideacutee confuse

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de cette figure geacuteomeacutetrique)10 Or si la perception est deacutecrite comme distingueacutee il serait possible de rendre compte des perceptions dans le cadre de la philosophie naturelle ou ldquoen simples physiciensrdquo Les repreacutesentations sensibles expriment des meacutecanismes physiques de transmission et conservation des effets du corps perccedilu La structure commune des processus perceptifs humains et animaux devient lrsquoobjet drsquoune eacutetude scientifique dont la perspective dynamique surpasse le meacutecanisme inerte Du reste mecircme si lrsquoimage sensorielle peut ecirctre rapporteacutee agrave quelque objet (par exemple un bacircton) cet eacuteleacutement iconique nrsquoimpliquerait pas de capaciteacutes drsquoidentification ni de reconnaissance Crsquoest la chose semblable agrave celle que lrsquoanimal a perccedilue preacuteceacutedemment qui met en mouvement lrsquoopeacuteration de la conseacutecution Pour les ecirctres qui sont en possession de capaciteacutes conceptuelles lrsquoexpeacuterience perceptuelle rend possible lrsquoexercice de cette capaciteacute En mecircme temps on peut speacutecifier les conditions de lrsquoexpeacuterience veacuteridique mais ils ne deacutependent pas des proprieacuteteacutes que le sujet peut seulement connaicirctre de lrsquointeacuterieur11 Autrement dit par la conseacutecution Leibniz affirme agrave la fois les continuiteacutes des perceptions humaines et animales et le caractegravere normatif de la justification par la perception

3 Conclusion

Bien que la conception leibnizienne de la perception reconnaisse que les processus par lesquels les sens nous renseignent sur le monde hors du sujet percevant partagent une configuration commune avec la perception animale le point de vue purement physique demeure insuffisant pour deacuteterminer lrsquoeacutepisteacutemologie de la perception La perspective naturaliste fondeacutee sur des explications purement associationistes est incapable de rendre compte des relations de justification mais les conceptions internalistes de lrsquoexpeacuterience 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 10 On peut trouver cette comparaison entre lrsquoimage et lrsquoideacutee du polygone en NE II xxix 13 11 Mais la justification est accessible au sujet par reacuteflexion sur ses ldquopheacutenomegravenesrdquo Voir par exemple NE IV NE IV ii 14 ldquohellip de sorte que je crois que le vray Criterion en matiegravere des objets des sens est la liaison des pheacutenomegravenes crsquoest agrave dire la connexion de ce qui passe en diffeacuterents lieux et temps et dans les expeacuteriences de diffeacuterents hommes qui sont eux-mecircmes les uns aux autres des pheacutenomegravenes tregraves importants sur cet articlerdquo

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perceptuelle sont eacutegalement inadeacutequates pour deacuteterminer sa valeur cognitive Degraves les premiegraveres deacutefinitions Leibniz considegravere que les eacutetats perceptuels ne sont pas seacuteparables des conditions externes de la situation perceptive

Or lrsquoanalyse de la perception sensible comme sentiment preacutesente un double avantage agrave lrsquoeacutegard des premiegraveres deacutefinitions Drsquoune part si la meacutemoire fournit des connexions entre perceptions ces liaisons entre des images sensibles sont reacutealisables par des ecirctres qui sont deacutepourvus de fonctions intellectuelles Drsquoautre part les connexions entre perceptions peuvent constituer des contenus eacutevaluables du point de vue de la connaissance La connexion entre un pheacutenomegravene A et un pheacutenomegravene B qui le suit habituellement constitue un indice probable de la connexion neacutecessaire entre eux et deacutelimite lrsquoespace du raisonnable (GP VI 508) Mais si les percepts ne sont pas des contenus cognitifs per se mais en tant qursquoils sont en relation avec drsquoautres eacuteleacutements cognitifs Leibniz peut eacutechapper aux conseacutequences sceptiques du fondationnalisme empiriste pour lequel les percepts sont des fondements ou des raisons ultimes dans lrsquoordre de la justification car srsquoils ne sont connus que par lrsquointrospection le problegraveme de la distinction entre expeacuteriences veacuteridiques et non veacuteridiques reste entier comment ces eacuteleacutements singuliers qui opegraverent comme des intermeacutediaires entre lrsquoesprit et les choses hors de nous sont-ils adeacutequats En mecircme temps la solution leibnizienne au problegraveme eacutepisteacutemologique de la perception nrsquoimplique pas comme certains philosophes contemporains lrsquoont proposeacute de soutenir que la perception met en jeu des capaciteacutes agrave classer des objets autrement le terme ldquoperceptionrdquo deviendrait une expression eacutequivoque Pour Leibniz crsquoest la structure du processus cognitif perceptuel qui est commun agrave lrsquohomme et agrave lrsquoanimal Il nrsquoest pas prisonnier du ldquoMythe du donneacuterdquo

BIBLIOGRAPHIE Bouveresse J et Rosat J-J Philosophies de la perception Pheacutenomeacutenologie

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Philosophy of Science vol I 1956 H Feigl and M Scriven (eds) Minneapolis University of Minnesota Press

FEDERICO SILVESTRI

ACTIVITY AND FINAL CAUSES ON PRINCIPLES OF NATURE AND GRACE sect3

This paper analyses how the notion of final causation is related to the complex of Leibnizs account of activity of substances In doing so I will focus on the 3rd paragraph of the Principles of nature and grace and in other texts where a similar thesis is proposed I aim at showing that final causes are better intended as model of explanation rather than a distinct type of causes I will first analyse two points raised by the PNGs thesis that it applies to all simple substances and its opposition with causation as it occurs in bodies with the aim of highlighting some of the features of final causation in substances to then focus on two questions is final causation being situated al the level of simple substances the most fundamental causal process in Leibnizs metaphysics How should the causal role of goals be understood

1 Simple substances and final causes

In the 3rd paragraph of the Principles of nature and grace (hereafter PNG) Leibniz explains the raise of a perceptual state as happening in accordance with the law of final causes or of good and bad while the connection of two subsequent states of bodies is given by the law of efficient causes

1) ldquoEt la perception dans la Monade naissent les unes des autres par

les loix des Appetits ou des causes finales du bien et du mal qui consistent dans le perceptions remarquables regleacutees ou dereacuteegles comme les changements des corps et le phenomenes au dehors naissent les unes des autres par les loix des causes efficientes cest agrave dire du mouvemens Ainsi il y a une harmonie parfaite entre les perceptions de la Monade et les mouvemens des corps preacuteetablie dabord entre les

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systeme des causes efficientes et celuy des causes finalesrdquo1

A similar thesis is held repeatedly in texts of the late period yet a selection of texts allows to highlight some differences

2) ldquoTout se peut expliquer par les efficientes et par les finales

Mais ce qui touche les substances raisonnables srsquoexplique plus naturellement par la consideration des fins comme ce qui regarde les autres substances srsquoexplique mieux par les efficiensrdquo2

3) [] dum status praesens corporis ex statu praecedente

nascitur per leges causarum efficientium et status praesens animae ex statu praecedente nascitur per leges causarum finalium Illic series motuum hic seriem appetitum locum habet illic transitur a causa ad effectum hic a fine ad mediumrdquo3

4) Il y a une infiniteacute de figures et de mouvemens presens et

passeacutes qui entrent dans la cause efficiente de mon ecriture presente et il y a une infiniteacute de petit dispositions et inclinations preacutesentes et passeacutes de mon acircme qui entrent dans la cause finale4

5) ldquoLes ames agissent selon les loix des causes finales par

appetitions fins et moyens Les corps agissent selon les loix des causes efficientes ou des mouvemens Et les deux regnes celuy des causes efficientes et celuy des causes finales sont harmoniques entre euxrdquo5

6) [] tout agent qui agit avec choix suivant les causes finales

est libre quoyquil arrive quil saccorde avec celuy qui nagit que par des causes efficientes sans connoisance ou par Machine parce Dieu prevoyant ce que la cause libre feroit a regleacute dabord sa machine en sorte quelle ne puisse manquer de sy accorderrdquo6

1 PNG sect 3 GP VI p 599 For abbreviation see bibliography 2 Des causes efficientes et finales 1690 A VI 4b p 1665 3 AGS p 32 4 Monadologie sect 36 GP VI p 613 5 Monadologie sect 79 GP VI p 620 6 Leibniz to Clarke GP VII p 412

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While 2) the earlier passage I could find uses an epistemological language referring to explanation the PNG passage ends with a statement on two different and autonomous causal systems (5) and (6) are about an action made by final causes or by ends and means Apparently then in these last texts a strongest thesis is at stake perceptual states have final causes (corresponding) states of bodies have efficient causes Since the two are not at the same ontological level perceptual states laying at a more fundamental level final causes seem to be the most fundamental type of causation in Leibnizs system

Besides this difference there emerges one point that appears in most of the texts (1-3-5-6) Leibniz describes the distinction efficientfinal causes as a distinction of types of law that rules some activity laws of final causation namely the law of appetitions (tendencies toward new perceptions) and the laws of movements I will later discuss if and how from the distinction of laws derive a distinction of types of causes

By now I want to stress that the existence of a law of final causation that rules the appetition raises a serious problem for the extension of the thesis This law is in fact defined as law of good and evil It then seems that substances act according to a judgement of value or at least according to the perception of something as good while laws of motions are value-free This raises the first problematic point Can the ldquolaw of good and evilrdquo be applied to non-self-conscious or non-rational substances After all Good and evil can be recognized as such only by the intellect which is a faculty that can distinguish human beings (and angels) from other created beings For similar reasons some scholars have argued that the answer is or at least should be no In a pivotal paper Mark Kulstad referring to a doubt first raised by Robert McRae has argued that either final causes are equal to efficient causes or there are final causes for rational substances and efficient for the rest7 Other scholars had suggested in order to apply the thesis to all substances that the extension to non-rational substances might be intended by means of analogy non-rational substances act as if they perceive a future state as good8

7 See Kulstad 1990 and Mc Rae 1976 p 67 8 See the cautious suggestion in Adams 1994 pp 317-318 The defense of the extension of the PNG thesis to all substances is one the key argument for the

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The 3rd paragraph of PNG is explicit in speaking of final causes for every simple substance Yet other texts seem to restrict their realm to rational substance only A main example is 2) where the epistemological thesis is held Here not only they are applied only to rational substances but are opposed to what happens in other substances not in bodies In the controversy with Stahl (n 3) Leibniz uses the expression ldquofinal causesrdquo referring to Souls (animae) However this does not prove much for in this case Leibniz explicitly allows the use of ldquosoulsrdquo for all substances adopting the extension of the somehow Aristotelic notion of soul used by his opponent9 The example taken from the Monadology seems more relevant In paragraph 19 one finds the well-known statement that the world ldquoSoulrdquo is better used for rational substances only while the others should be better called simple substances or monads All occurrences of ldquofinal causesrdquo in the Monadology are related with souls though never explicitly denied for all simple substance Nonetheless even here the law of final causation is referred to appetition something that characterizes all simple substances The most explicit text allowing for a restricted reading is then a letter to Clarke (6) where Leibniz speaks of agents acting with choice Even in this last case however final causes are distinguished only from to the action of bodies As this last text confirms a restricted reading of this statement on final causes is based on the fact that final causation should apply to voluntary actions where goals are chosen No doubt voluntary actions are the place where one can more easily acknowledge the law of good and bad just considering that Leibniz here intends ldquogoodrdquo and ldquobadrdquo as ldquobelieved to be goodbadrdquo and not necessarily good or bad in an absolute sense With this restriction the representation of something as good or bad resulting from a deliberative process is what determine the will to orient the action toward that thing The identification of something as good or bad is

defense of ldquoneutral teleologyrdquo where teleology is considered without reference to goodness of goal or to Godrsquos ends developed in Jorati 2013 This reading identifies spontaneity of monads and activity by means of final causes while here the two concepts are distinguished (see infra) to maintain a meaning for the specification made in the PNG where final causes regards remarkable perceptions 9 A distinction between a wide and a restricted notion of soul can be found in a letter to Wagner GP VII p 529 where the restricted notion applies also to animals and in general to creatures where ldquonon nuda est facultas percipiendirdquo in oppositions to monads without sensation

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the final cause of the action and our law states that the action will always follow such a recognition that may come after a deliberative process where partial ldquobelieved to be good in this situationrdquo are considered

Then a restricted notion of final causation that applies only to souls is not only (partially) legitimated by texts but deals with one of Leibniz primary concerns The concept of voluntary action is built on notions that are the basis of moral responsibility of human beings they can deliberate with the help of the intellect and choose what to do This restricted notion that defines a subset of created agents by implying what makes them moral agents deserving rewards and punishments should then probably be allowed Nonetheless there are some reasons to believe that Leibniz is willing to establish a broader notion of activity by means of final causes First volitions defined as apperceived tendencies or sometimes tendencies that follows by apperception10 do not explain every human activity while the texts previously mentioned seem to apply to every action This holds not only for what in the mind correspond to the activity of vital functions of our organs or for some rather unnoticed reaction for instance there are thoughts we are conscious of (apperceived parts of a perceptual state) that raises from unnoticed internal tendencies as Leibniz explains in a passage of the Nouveaux essais11 Moreover an explicit judgement on good and bad made by the intellect is not a necessary condition for a volition The deliberative process is not just a calculus made by the intellect (that can go wrong) on what is the best thing to do It is rather a process where the will is determined by the outcome of noticed and unnoticed tendencies coming from our passions as well as from our intellect 10 ldquo[] la Volition est leffort ou la tendence (conatus) drsquoaller vers ce quon trouve bon et loin de ce quon trouve mauvais en sorte que cette tendence resulte immediatement de lapperception quon en a[] Ilya encore des efforts qui resultent des perceptions insensibles dont on ne sappercoit pas qui jaime mieux appeler appetitions que volitions (quoyquil y ait aussi des appetitions apperceptibles) car on nappelle actions volontaires que celles dont on peut sappercevoir et sur les quelles nostre reflexion peut tomber lors quelles suivent de la consideration du bien et du malrdquo (Nouveaux essais A VI 6 pp 172-173) 11 ldquoAu reste il nous vient des penseacutees involontaires en partie de dehors [hellip] en partie au dedans agrave cause des impressions (souvent insensibles) qui restent des perceptions preacutecedent [hellip] La langue allemande les appelle Fliegende gedancken- comme qui diroit des penseacutees volantes qui ne sont pas en nostre pouvoir []rdquo (Nouvaeaux essais A VI 6 pp 177)

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[n]ous ne suivons pas aussi tousjours le dernier jugement de lentendement practique en nous determinant a vouloir mais nous suivons tousjours en voulant le resultat de toutes les inclinations qui viennent tant du coteacute de raisons que des passions ce qui se fait souvent sans un jugement expregraves de lentendement12

The intellect may be too weak a passion or a habit (even a good one) too strong to let us explicitly rely on a consideration of what is good yet the action is voluntary as long as it had been produced by an apperceived tendency This may be one of the main reasons why in discussing the nature of the will and of deliberation Leibniz relies on a very utilitaristic notion of good and bad sometimes defining them as pleasure and pain13 even if he surely had an inter-subjective notion of what is good that is used in the field of ethics Indeed even from the point of view of human moral responsibility what matter is not that ultimately the will is determined by a judgement made by the intellect but the awareness of a tendency In various occasions Leibniz gives great importance to the fact that humans have the faculties that allow rational choices and judgements of value that can lead to a further deliberation albeit if and to what extent these faculties will be used in any single case depend on the circumstances and on the whole history of an individual From this point of view the difference between appetition as (usually) unnoticed tendencies and volition as apperceived tendencies is relevant since it is from the apperception of a tendency that a process of further deliberation may (under proper conditions) start

In sum the claim that since final causation requires a judgement of good and bad it is a prerogative of souls seems too strong and would lead to a complete dismissal not only of the PNG passage but of all the texts where it is used referring to action of souls in general The main characteristic underlined in the analysis of the process of

12 Essais de Theacuteodiceacutee GP VI p 130 a similar thesis appears also in a letter to Coste ldquoDans les autres substances intelligentes les passions souvent tiendront lieu de raison et on pourra tousjours dire agrave legard de la volonteacute en general que le choix suit la plus grande inclination sous laquelle je comprends tant passions que raisons vrayes ou apparentesrdquo(Leibniz to Coste December 1707 GP III pp401-402) 13 ldquoLe Bien est ce qui sert ou confere au plaisir comme le Mal ce qui confere agrave la douleur Mais dans le conflict avec un plus grand bien le bien qui nous en priveroit pourroit devenir veritablement un mal entant quil confereroit agrave la douleur qui en deuvroit naistrerdquo (Nouveaux essais A VI 6 p 195) The utilitaristic notion of good and bad allows to talk about final causes in a more literal way for animals which can perceive pleasure Still it seems it hardly fits the nature of lower monads (see GP VII p 529)

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human deliberation is in fact the apperception of the tendency toward something or rather that the action follows and is produced by the apperception of the tendency which underlines that a self-attribution of a goal can be considered as a sufficient requisite for activity While it seems reasonable to interpret voluntary actions as the basis for a restricted way of intending final causation implying moral responsibility they might also be a model to figure out how appetition works in non-conscious monads There is indeed at least one text that explicitly states that appetition albeit distinguished from volitions exactly by means of consciousness of the end work by ends and means too

Interim non inepte motus volontarii appellantur qui appetititbus distinctius cognitis connectuntur ubi media finibus ab anima nostra adaptari animadvertimus ipsi tametsi in motibus etiam caeteris appetitus ad suos fines per media procedat quanquam non animadvertimus nobis Voluntariae enim eae demum actiones proprie appellantur quas deliberato facimus et quarum consci sumus14

It might be suggested that Leibniz is defining appetition in a way similar to the one used with the notion of perception To have a grasp on what a perceptual state in non-conscious substances may be we cannot but start from our own internal experience and abstract from anything we can attribute to rational beings only such as apperception of the self intellect We are then left with a general definition of what all types of perception have in common they express multiplicity in the unity of the subject In a similar way from the consideration of our own voluntary actions we can reach a definition of appetition as a tendency towards something that is analogous to the one we experience when we orient ourselves toward some desiderable new state abstracting from every explicit judgement on goodness as well as from the apperception of the tendency This process of abstraction from our peculiar faculties lead to a general definition of what all substances have in common perception as multiplicity in unity and appetition as tendencies toward a new perceptual state Leibniz draws such an explicit parallelism between volition and appetition ldquoPorro ut in nobis intellectioni respondet voluntas ita in omni Entelechia primitiva perceptioni respondet appetitus seu agendi conatus ad novam perceptionem

14 AGS p 38

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tendensrdquo15 The strictest notion of final causes allows then to grasp a specific character of activity of substances namely its self-directedness toward a specific state If so directedness should be regarded as a cause or at least a full explanation of action in the same way in which the apperception of the resulting strongest tendency is a sufficient condition for volition

2 Final causes and bodies

I will return on this issue and on the causal role of goals in the following paragraphs By now another problem opened by the partially analogical extension of final causation to non-rational substances has to be considered namely why they are excluded from bodies16 For having in mind all the Leibnizian thesis on final causes and on their use in science they seem to regard bodies too and if one cannot appeal to the higher cognitive functions their exclusion from the realm of bodies had to be justified somehow In other words the PNG thesis seems to contradict the scientific use of final causes

For a long part of his philosophical career at least starting from 1678-79 Leibniz had defended the use of final causes in science and philosophy arguing against those thinkers mainly Descartes Hobbes and Spinoza who had in different way tried to discard them In Leibnizs writings various statements on their use can be found First final causes play a heuristic role in science since there are laws that can be discovered only (or in some texts more easily) by considering Gods ends in making this world Final causes are also important for the spreading of piety since they help us in recognizing the goodness of the Author of things by means of the recognizing of order and harmony of his creation Moreover albeit anything in nature happens mechanically the physical laws cannot be derived by the basic notion of mechanic alone since they depend on Gods ends Finally final

15 GP VII p 330 See also GP III p 581 16 Here I take the PNG thesis as a statement about causality in causally closed systems independent by considerations on their ontological status The underlying conviction is that any argument against final causes in bodies based on their lack of ontological consistence will equally affect efficient causation In other words I take the PNG thesis as meaning that insofar as it is legitimate to say that bodies act they do so in accordance with laws of efficient causation

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causes and efficient causes constitute (this is the most relevant point) two different and both complete model of explanation of natural phenomena In principle all natural phenomena can be derived either by a consideration of Gods end alone or only from the way bodies realizes those ends

The problem at stake in these theses are quite different from the one raised by PNG and to some extent it is no surprise Here Leibniz is facing the arguments developed by those who had refused final causes especially the Cartesian Argument on their being useless in science He uses way of reasoning and proves of their usefulness that aimed at being at a first glance independent by the complex of his metaphysics In some sense they are rather intended to show a path that should lead to the notion of substances force harmony and so on but does not presuppose them Another difference more important here regards which part of the process of final causation is relevant in the arguments listed above the use of final causes is based on the fact that something (the physical world or its law) had been a goal for an intelligent being while the PNG focuses on the fact that there are things in the world that have goals and this explains why or how they act Though through final causes one may be able to explain anything happening in bodies by deriving the law ruling their behaviour bodies do not act by final causes or according to a law of final causation for their teleological behaviour depends on the activity of an intentional agent (God) From the metaphysical point of view no tendency toward a goal follows from the essence of bodies while in the essence of simple substance there is something that is a goal-directed element namely appetition

Yet this is not the whole story For there seem to be a very relevant exception to this distinction a scientific use of final causes that deals with autonomous goals or ends pursued and realized by bodies alone the realm of biology

At the level of the practical use of final causes there is surely a difference in biology they are used mainly for descriptive purposes for deriving (hypothesis on) the structure of an organ by its goal and for deducing the goals needed by the more general scope of the complex of the natural machine17 They then play a descriptive role at 17 On the concept of natural machine see Fichant 2003 pp 1-28 The relation of mechanism and teleology in Leibniz biology has been the object of several studies in

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the abstract level of the common features of species while in simple substances the activity that causes a change of states is at stake Nonetheless recalling that for Leibniz any organism is ultimately a species on its own there should be something like a general end for each natural machine so that in principle we should be able to explain its behaviour as a tendency toward its goal Final causation as it is at stake in the realm of organic bodies should be able to provide at least an explanation of a state of a body and of its activity by individuating the way it reacts to a given state of the world The two problems are then can the goals be attributed in some sense to bodies Can them be said to act by virtue of their final causes

In the controversy with Stahl there are hints that point in different directions On the one hand final causation in organic bodies is referred to Gods ends The function realized by a single (or a set of similar) natural machine is a particular end of God that realizes something that concur in producing the more general ends18 In a derivative and weaker sense this applies to inorganic bodies as well Another passage however suggests a different reading In order to ground the distinction of organic and inorganic bodies Leibniz explains that the former have effects and goals by means of their own internal structure19 So not only organic bodies realize Gods ends expressed by the laws of nature that rule their behaviour but these ends are realized because these bodies follow autonomously their own goal and each of these goals constitute a requisite for the realizing of the whole complex of bodies With all the difficulties the organic-inorganic distinction may imply in Leibniz this seems a clear statement of the existence of autonomously pursued goals in bodies

recent years As minimal references see Hartz 2011 pp 29-37 Pasini 2011 pp 1261-1235 18 ldquoQuia igitur Autor rerum omnia intelligit ideo omnia agit cum ordine seu ad Finem Itaque duplices iterum oriuntur causae Finales particulares et generales Particulares apparent inprimis in Machinis naturae seu corporibus viventium organicis quae sunt Machinae divinae inventionis ad certum genus operationum comparatae et in nobis quidem a Ratiocinationem exhibendam [hellip] Licet autem praeter Machinas naturae multa videamus corpora quae rudia sunt et ruderibus similia in quibus non apparet fines speciales dubius tamen nullum esse debet Deum auctores spectantibus ipsa quoque ad fines speciales (etsi nobis ignotos) exquisitissime ordinata esse et omnia concurrere ad finem generalem qui est Harmonia rerumrdquo (AGS p 28) 19 ldquo[] magnum esse discrimen inter machinas et aggregata massaque quod machinae fines et effectus habent vi suae structurae at aggregatorum fines et effectus oriuntur ex serie rerum concorrentiumrdquo (AGS p 66)

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too If so for providing a full reason of the effort to achieve the scope of one natural machine there is no need to make a direct reference to those things who are the metaphysical conditions for the existence of the machine God who created it the simple substance that ldquoactualizes the machinerdquo Consequently a causal autonomy seems to hold in bodies for final causes too Moreover it seems quite reasonable to claim that at least for our knowledge ends of non-conscious monads are better described in biological rather than in cognitive terms Still the passage quoted above does not refer to final causation At first it may be noted that since Leibniz (to my knowledge) never speaks of the essence of one body (while he does for substances) and refers just to the essence of bodies in general from this essence no goal-oriented activity follows Yet one may object that insofar a natural machine can be defined one body then ends can be attributed to that single body

Even admitting that the basic element of Leibnizian physical world have goals not every change in bodies can be explained by goals that might be attributed to thing that changes Accepting the distinction made in the controversy with Stahl not only we cannot ascribe goals to inorganic bodies but the particular end that inorganic bodies may accomplish cannot be ascribed to the natural machines that compose the inorganic aggregate As problematic as the treatment of inorganic aggregates as one body may be in Leibniz there are changes in bodies that cannot be derived by the goal of the body (or aggregate of bodies) that changes even admitting that this change supervenues on goal-oriented changes in natural machines Though teleology is everywhere in bodies it does not lead to an autonomous and complete system of final causation A more problematic case might be the higher level of possible integration of bodies a state of the world considered as a state of a machine where in a strong sense the aggregate of bodies is not arbitrarily constructed In this case Leibnizrsquos use of teleology does not rely much on a tendency toward the following state but on the ratio of the change that being always in accordance to physical laws expresses Gods ends From this point of view it might be argued that following states do not play the role of ends insofar they are not presupposed in the description of change However as it will become clear in the next paragraph the whole set of bodies shares in some sense a

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property of simple substances which is fundamental for final causation namely spontaneity

In light of the rejection of final causation in bodies I then assume as a central point of the PNG thesis that the system of final causation in simple substances means that the activity of substances is caused or described only by goals that can fully be attributed to them I try now to argue that this is consistent with the generality of the PNG thesis only if the system of final causation is not situated at the most fundamental level of Leibnizs metaphysics

3 Final causes and monadic agency

As seen goals (in some cases by determining the thought of the means needed to reach them) can be intended as a cause of the activity of substances This activity consists in an effort a tendency toward a subsequent perceptual state as the definition of appetition states The point that I want to stress here is that while the ldquosystem of final causesrdquo can provide a reason for which a subsequent state is what it is it cannot identify the cause of the following state in the strictest sense The premise may look quite trivial not all efforts reach their goals Obviously this is something Leibniz as anyone else was aware of however this quite simple point assumes in his writings a more interesting meaning A reference to this fact can be found in a text of 1679 where thought in a different theoretical context is highlighted one point Godrsquos global ends are realized through a potentially conflictual composition of different particular tendency toward particular goods20 A similar point is made years later in a letter to Bourguet21 This last text doesnt stress much the conflict beyond the realization of Gods ends nor it highlights the possibility that perceived good may after all be an evil in an objective sense in

20 ldquoItaque Deus est Mens illa quae omnia ducit ad perfectionem generalem Anima autem est vis illa sentiens quae in unoquoque tendit ad perfectionem specialem Ortae autem sunt animae dum Deus omnibus conatum ad perfectionem specialem impressit ut ex eo conflictu oriretur maxima perfectio possibilisraquo (Anima quomodo agat in corpus 1679 A VI 4 p 1367) 21 ldquoLe concours de toutes les tendences au bien a produit le meilleur mais comme il y a des biens qui sont incompatibles ensemble ce concours et ce resultat peut emporter la destruction de quelque bien et par consequent quelque malrdquo (Leibniz to Bourguet 1712 GP III p 558)

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any case it states that particular goods are sometimes destroyed because of the concurrence of various tendencies

Some scholars22 have argued that this shows the pre-eminence in the world of natural teleology (Gods ends) on ldquodesire teleologyrdquo (substancesrsquo ends) While agreeing for natural teleology is the ultimate reason because the conflict of tendencies ends up in a determinate way and not in another it should be added that this is not enough to put the ldquosystem of final causationrdquo as distinguished from teleology in bodies at the deeper level of Leibnizs metaphysics At the same time Leibnizs statement does not imply that a reference to Gods ends is necessary to derive any change of state because the concurrence of tendencies in all substances is enough

These two points may worth a bit of clarification goal-oriented activity in one substance is not enough to provide a reason or a cause for its effect (a subsequent state) considered as an internal perceptual state because if we want to explain it in terms of goal-oriented activity one should consider the concurrence of all simple substances activity So the system of final causation may explain a new state only if one renounces to present it as the results of an immanent activity Beyond the final causes system there is the immanent activity of monads where following states are produced by previous ones In this case monadic activity includes in the form of its own internal limitation what final causes explain only in terms of concurrence of various substances Leibniz is hinting in this direction in the discussion of the well-known example of the beaten dog provided by Bayle against pre-established harmony He in fact holds that the unexpected pain the dogs soul feels when suddenly beaten while he was happily eating does not mean that the dog is seeking a new state of pain and wishing to abandon his happiness It rather means that the new state had been produced spontaneously by the substance activity from the previous state Leibniz draws a distinction between spontaneity by which any state of a substance is produced because of immanent action and voluntary action23 Here the

22 See Rutherford 2005 p 173 See also Adams 1994 p 318 23 ldquoCette incompatibiliteacute [sc the incompatibility between spontaneity and pain or more generally unpleasant perceptions] seroit certaine si spontaneacute et volontaire estoit la mecircme chose Tout volontaire est spontaneacute mais il y a des actions spontaneacutees qui sont sans election et par consequent qui ne sont point volontaires Il ne depend pas de lame de se donner tousjours les sentimens qui luy plaisent

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language of choice is once again used as a model to define tendencies toward a state but the example of the dog may make as said it a bit inadequate In any case this passage allows a distinction between two different meaning of ldquoactionrdquo of a substance Spontaneous activity is situated at the deeper level of a passage from a perception to another while voluntary (or voluntary-like) activity of one substance only partially explains the raise of its subsequent states In the ongoing of the discussion with Bayle namely in the remarks on the second edition of the Dictionnaire Leibniz tries to develop the notion of spontaneity as acting in accordance to a pre-established law by showing that only immaterial substances can fully ground that He starts with the comparison with the movement of a point a point moves along a line that is fully determined so it acts in accordance with a law Yet Leibniz adds if this point was the only one in the world this line would be a straight line If it is not it is because of the concurrence of the complex of bodies plus the law of movements In a rigorous sense then spontaneity is not in a single body for the accordance with the laws depends ultimately on the whole complex of bodies Even the basic elements of the physical world organic bodies are not fully spontaneous because while being complicated machine of perpetual motion they still presuppose the interaction with the environment in their functioning From this point of view however the whole world may be said to be spontaneous in some sense as Leibniz himself admits On the other hand entelechies can be spontaneous following the pre-established ldquopathrdquo without any interference The last lines of the texts show that spontaneity grounds the possibility to consider the passivity of one substance as a state autonomously produced because of its imperfection24 Another point to be highlighted is if the left-alone body

puisque les sentimens quelle aura ont une dependance de ceux quelle a eus (Eclaircissement des difficulteacutes que Monsieur Bayle a trouveacutees dans le systeme nouveau de lunion de lame et du corps 1698 GP IV p 519) On the relevance of this distinction for the attribution of an action to humanrsquos wills rather than Godrsquos and therefore for the whole theory of freedom see Murray 2005 pp 194-216 24 ldquoAinsi il ny a de la contrainte dans les substances quau dehors et dans les apparences [L]e mouvement de quelque point quon puisse prendre dans le monde se fait dans une ligne dune nature determineacutee que ce point a pris une fois pour toutes et que rien ne luy fera jamais quitter [hellip] Il est vray que cette ligne seroit droite si ce point pouvoit estre seul dans le monde et que mainteant elle est due en vertu des loix mecanique au concurs de tous les corps aussi est par ce concurs mecircme quelle est preeacutetablie Ainsi javoue que la spontaneiteacute nest pas proprement

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moving in a straight line do so in accordance to a law what seems impossible for bodies by their essence is the possibility to follow any law no matter how complicated and therefor to differentiate their behaviour without the concurrence of other bodies In this sense spontaneity is surely a requisite for final causation However the fact that this notion applies to the whole set of bodies suggests that it is not enough If voluntary actions are the model on which final causation has to be understood then they are to be referred to the strictest notion of activity where ends can be attributed to the subject at least as long as they identify the reason of its activity and not of what is due its passivity

If so describing monadic activity by means of final causes is just an abstraction on the deepest level where the concurrence is internalized With respect to this level it is a way of explaining the raise of a state and all its own internal features as long as the law of appetition is in every substance It is nonetheless an abstraction that is fully legitimate First final causation accounts for an effective property of appetition directedness that fully explains activity in the restricted sense Second there is a sense in which the restricted notion of activity can be intended as activity par excellence for it is a type of activity that follows from the perfection of one substance It is in fact because of this restricted notion that it is possible to say that one substance acts upon another According to the famous passage from Monadology the legitimacy of the use of transitive causation in explaining states of substances depends on the differences in the perfection of substances this difference consisting in the fact that the acting substance ldquocontains what can give an a priori reason of what happens in anotherrdquo Active goal directedness can constitute if not

dans la masse (agrave moins de prendre lunivers tout entiere agrave qui rien ne resiste) car si ce point pouvoit commencer destre seul il continueroit non pas dans la ligneacutee preeacutetablie mais dans la droite tangente Cest donc proprement dans lEntelechie (dont ce point est le point de veue) que la spontaneiteacute se trouve et au lieu que le point ne pouvant avoir de soi qui touche cette Ligne parce quil na point de memoire pour ainsi dire ny de presentiment lEntelechie exprime la courbe preeacutetablie mecircme les corps environnans ne pouvant point avoir dinfluence sur cette Ame ou Entelechie de sorte quen ce sens rien nest violent agrave son egard Quoyque ce que les hommes appellant violent ne laisse pas davoir lieu en tant que cette Ame a des perceptions confuses et par consequent involontairerdquo (Reponse aux reflexions contenues dans la seconde Edition du Dictionnaire critique de M Bayle GP IV p 558)

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the only at least one of the most important cases that exemplifies such an a priori reason

Incidentally so far it seems that what final causation cannot account for is mainly the passivity of substances considered (as it is) part of their nature25 Yet this statement should be precised The brief remarks made earlier on the notion of deliberation the fact that includes what comes from our passion and even the fact that one may be wrong in an intellectual deliberation shows that the passivity and limitation have to be taken into account in explaining someones action even when we can legitimately say that she is acting upon someone else An interesting statement that goes in this direction in terms of internal impediments can be found in the correspondence with De Bosses26 If so final causes do consider the activity of every created substance as intrinsically limited To some extent the limitation of activity is fundamental in the system of final causation because the limitation intrinsic to the activity differentiate the behaviours of created substances even if they all are instantiations of the general scheme of appetition It is because activity is limited in different ways ie there are different degrees in perfection that the laws of appetitions that rules the way in which they orient their actions is different What I believe final causes cannot account for unless they are referred to the whole set of created substances are those changes which occur to a substance whose reason are better understood in terms of the activity of another substance

4 The causality of ends

Nothing of what has been said so far can be seen as a reason to deny or to admit that goals are causes If the law of appetition could be enough to ground in some sense a different type of causes there will be a much stronger metaphysical grounding for final causations

In Leibnizs texts there are some statements that quite clearly

25 On the issue of limitation and imperfection in created substances see Mormino 2005 26 ldquo[Original sin] non est virtus agendi sed virtutis agendi impedimentum ut ignorantia vitium Per impedimenta autem prodeunt actiones quae sine ipsis non prodirent ut frigoris exemplo patetrdquo (Letter to De Bosses September 1706 LDB p 62)

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denies a specific and irreducible causal role to goals Admittedly this is not a recurrent theme yet to my knowledge this type of statements appears whenever Leibniz explicitly deal with the causal role of goals

7) At ergo finis non est causa Et sane fateor finem non esse

causam non enim existit sed eius conceptum esse causam et quidem inter efficientes nempe impellentem Efficiens est causa quae confert ad effectum agendo27

8) ldquoIllic [sc in bodies] series motuum hic [in souls] series

appetitum locum habet illic transitur a causa ad effectum hic a fine ad medium Et revera dici potest representationem finis in Anima causam efficientem esse repraesentationis Mediorum in eadem28

9) Causa de fine valde improprie dicitur [hellip] Si A facit B quia vult

C erit A efficiens B medium C finis29 10) Efficiens est causa activa [hellip] Finis est cuius appetitio est

causa sufficiens conatus in agente30

From the complex of this texts two different and apparently incompatible types of arguments can be drawn out The first two quotations suggest that goals as long as they act are efficient causes while the other two suggest that goals are not causes because they are not active

As for the first the distinction of two realms of causes does not lead to a distinction of types of causes Indeed in earlier writings Leibniz had used the distinction of the four types of cause as an example of obscure notion31 Beyond this argument there is an 27 Definitiones Aliquid nihil 1679 A VI 4a pp 308-309 28 AGS p 32 29 Definitiones notionum metaphysicarum atque logicarum 1685 A VI 4a p 630 30 [Table of definition] 1702-1704 C p 407 31 See Meditationes de cognitione veritate et ideis A VI 4 p 586 In Carlin 2006 the reducibility to efficient causes is read as the basis for a distinction of two kinds of efficient causes intentional and mechanical It seems to me that the stress is much more on the unique logical structure of the relation of causality by means of the concepts of conference and requisite than on the distinction of types of efficient causes which is not so explicit On the logical grounding of the concept of requisitum see Di Bella 2005 pp 63-93

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evident tentative to interpret univocally the way in which causality works Moreover at least in the case of human action Leibniz had done more than just stating reducibility to efficient causes The whole process of human deliberation and action is described by comparison with mechanical causes Indeed in his Eclaircissement to Bayle objection against pre-established harmony he states that the way a machine work can be a good analogy to comprehend the activity of a substances as determined by its internal state32 Mechanical metaphors are also used to describe the passages of the process of deliberation and action with the same purpose of underline its complete determination Against indifferentia equilibrium Leibniz repeatedly uses the metaphor of a balance to show that the prevalent motive moves infallibly the will A more interesting and complicated metaphor directly referable to Leibnizs dynamics is used to show how a goal can be constituted as such In the Nouveaux essais Leibniz describes the composition of the winning tendency as the result of impulses composed also by ldquoinfinitesimalrdquo tendencies from which the winning effort result It is basically the scheme that lead to consider the raise of live forces from the composition and repetition of the infinitesimal death forces here impulsus has a double ldquonaturerdquo on the one hand it coincides with impetus (momentaneous entity whose infinite repetition produce motion through time) on the other it can apply to the infinitesimal ldquocomponentrdquo of the impetus This way of explaining the process of deliberation highlights an important point already mentioned at another level all components of a perceptual state all motives let them come from the intellect or from passions act in the same way making their composition in the unity of the effect intelligible

Shall one conclude that after all efficient (mechanical-like) causes lay at the bottom of the created world Few doubt can be raised on the metaphorical status of this type of reasoning which highlights a way of functioning of deliberation but should not be taken 32 ldquo[] lame tout simple quelle est a tousjours un sentiment composeacute de plusieurs perceptions agrave la fois ce qui opere autant pour nostre but que si elle estoit composeacutee de piegraveces comme une machine Car chaque perception precedente a de linfluence sur le suivantes conformement agrave une loy dordre qui est dans le perceptions comme dans les mouvemens [hellip] Il auroit peutestre suffi de dire que Dieu ayant fait des Automates corporels en pourroit bien avoir fait aussi dimmateriels qui representent les premiers [hellip]rdquo (Eclaircissement des difficulteacutes que Monsieur Bayle a trouveacutees dans le systeme nouveau de lunion de lame et du corps 1698 GP IV pp 522-523)

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literally and where it is not explicitly stated like in the case of the discussion of the impulse the use of a model based on infinitesimal sounds as a proof that entia rationis are at stake Indeed a literal reading will equally fall under the second set of objections on causality of goals that ends are not causes because they do not act Only agents are causes The explicit limit of the balance metaphor is exactly this motives do not act on the will its the will that acts according to motives Explaining things the other way round would from the metaphysical point of view be like admitting a sort of retro-activity of derivative forces on primary forces Still the two types of objection may appear to be mutually contradictory Two features of Leibnizs theory of causality may help to show they are not The first is that causes are active the second is that a full cause contains all the requisite needed to produce its effect (exactly as it is) So monadic activity is the most fundamental cause and it is not strictly speaking caused by a perceptual state33 Describing a change as if perceptual state where causes of the action is the intrinsic limit both of final causes and of their reduction with mechanical metaphor A state is the immanent effect of an activity rather than its cause Nonetheless since it implies all the requisite of a subsequent states it can be treated as the full cause of it for there is no other way to define this set of requisites as long as one cannot apply to general notion of action to derive the nature of one concrete effect From this point of view ends are not cause yet the ldquosystem of final causationsrdquo constitute a way of explaining or unfolding full causes of a subsequent state while it is applied to all monads This said the fact the mechanical metaphors cover all the logical steps of the theory of voluntary action (composition of a goal determination of a volition action) may seem a reason for once again dismissing the PNG thesis After all one may legitimately say that the activity of a substances is modelled on efficient causes There surely is such a model of explaining activity still the possibility of a such a reduction does not affect I believe the priority of the system of final causation While mechanical metaphor ends in a complete passivity of the subject 33 On causal agency Bobro-Clatterbaugh 1996 pp 408-425 is still fundamental One point that might be added to their thesis that metaphysically speaking monadic activity is the only cause is that from an epistemological point of view perceptual states (plus laws of nature) can be said to be causes as long as they express the whole set of requisites for a subsequent state

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within the system of final causes we can account for monads to be active they act according to a law and toward an immanent effect If this account is correct final causes identify the active subject of change in strictest metaphysical sense Indeed in most of the occasion (though not always) Leibniz is quite accurate in describing final causation as activity in accordance with a law that drives its orientation to some good and not as an action caused by an end Moreover all the mechanical metaphors used assume that from the composition of motives the action will follow In doing so what is presupposed is exactly the law of appetition that states that the result of activity is fully grounded in the perception of the previous state The recomposition of motives in one single effect characteristic of the explanation of action by means of efficient causes presupposes some sort of distribution of the force intrinsic to each motive which can be obtained only by presupposing one specific instantiation of the ldquolaw of good and evilrdquo This law may then look as nothing more but is surely nothing less than a statement on determinism

BIBLIOGRAPHY Abbreviations A followed by series and volume number= Gottfried Wilhelm Leibniz Samtliche

Schriften und Briefe Hrsgg der Prussische Akademie der Wissenschaften then Berlin-Brandenburgischen Akademie der Wissenschaften und der Akademie der Wissenschaften in Goumlttingen Akademie Verlag then De Gruyter Darmstad 1923 and ff Leipzig 1938 and ff Berlin 1950 ff

AGS = GW Leibniz Obiezioni contro la teoria medica di Georg Ernst Stahl ed A M Nunziante Macerata Quodlibet 2011

C = GW Leibniz Opuscules et fragments inedits de Leibniz Extraits des manuscrits de la biblioteque royale de Hanovre ed Louis Couturat Paris 1903 rep Georg Olms Hildesheim 1961

LDB = The LeibnizDes Bosses corrispondence ed C Look Brandon e Donald Rutherford New Haven-London Yale University press 2007

GP followed by volume number = Leibniz Gottfried Wilhelem Die philosophischen schriften von Gottfired Wilhelem Leibniz ed by Carl Immanuel Gerhardt Berlin 1875-90 rep Hildesheim 1965 7 vol

Work cited Adams RM Leibniz determinist theist idealist Oxford Oxford University Press

1994 Bobro M-Clatterbaugh K Unpacking the monad Leibnizs theory of causality ldquoThe

monistrdquo 79 (1996) pp 408-425 Carlin Laurence Leibniz on Final Causes ldquoJournal of the History of Philosophyrdquo 44

2006 pp 217-233

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Di Bella S Leibnizs theory of conditions a framework for ontological dependence ldquoThe Leibniz Reviewrdquo 15 2005 pp 63-93

Hartz G Leibnizrsquos animals where teleology meets mechanism in J E H Smith and O Nachtomy Machines of nature and corporeal substances in Leibniz Dordrecht Springer 2011 pp 29-37

Jorati J Monadic teleology without goodness and without God ldquoThe Leibniz Reviewrdquo 23 2013 pp 43-72

Mc Rae R Leibniz perception apperception and thought University of Toronto Press Toronto 1976

Mormino G La limitation originaire des creacuteatures chez Leibniz in E Pasini (eacuted) La monadologie de Leibniz Genegravese et contexte Mimesis Paris-Milano 2005 pp 55-83

Murray M Spontaneity and freedom in JA Cover and D Garber (eds) Leibniz Nature and freedom Oxford- New York Oxford University Press 2005 pp 194-216

Pasini E Both mechanistic and teleological The genesis of Leibnizrsquos concept of organism with special regard to his ldquoDu rapport general de toutes chosesrdquo in H Busche (hrsg) Departure to Modern Europe Philosophy between 1400 and 1700 Hamburg Meiner 2011 pp 1216-1235

Rutherford D Leibniz on spontaneity in JA Cover and D Garber (eds) Leibniz Nature and freedom Oxford-New York Oxford University Press 2005 pp 156-180

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SECTION 2

PRINCIPE DE RAISON ET CAUSALITEacute

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ARNAUD LALANNE

LA QUESTION DU ldquoPOURQUOIrdquo DANS LA FORMULATION DU PRINCIPE DE RAISON

Rien ne se fait sans raison suffisante crsquoest agrave dire que rien nrsquoarrive sans qursquoil soit possible agrave celuy qui connoitroit asseacutes les choses de rendre une Raison qui suffise pour determiner pourquoy il en est ainsi et non pas autrement

A premiegravere lecture la formulation du principe de raison du paragraphe 7 des Principes de la Nature et de la Gracircce fondeacutes en raison est ldquocanoniquerdquo sans surprise Mais aussitocirct apregraves srsquoecirctre demandeacute pourquoi il en est ainsi et non pas autrement Leibniz formule la question suivante ldquoCe principe poseacute la premiere question qursquoon a droit de faire sera Pourquoy il y a plustocirct quelque chose que rien rdquo Leibniz invente ce qursquoon a coutume de nommer la ldquoquestion de la meacutetaphysiquerdquo

Mais ougrave est veacuteritablement lrsquoinnovation Nous pourrions reacutepondre simplement dans le changement de registre puisque Leibniz passe du discours physique au discours meacutetaphysique au moyen du principe de raison

Jusquici nous navons parleacute quen simples physiciens maintenant il faut seacutelever agrave la Meacutetaphysique en nous servant du grand principe peu employeacute communeacutement qui porte que Rien ne se fait sans raison suffisantehellip1

La parole du principe de raison eacutelegraveve donc agrave la meacutetaphysique Mais lrsquoinvention leibnizienne provient surtout de lrsquoeacutetablissement de la ldquopremiegravere questionrdquo ldquoPourquoy il y a plustocirct quelque chose que rien rdquo comme prolongement immeacutediat du principe de raison Crsquoest le principe de raison qui ldquoleacutegitimerdquo ou reconnaicirct ldquode droitrdquo le caractegravere questionnant du ldquopourquoirdquo dans la primauteacute du ldquoquelque choserdquo par rapport au ldquorienrdquo Nous pourrions aller plus loin et dire que le principe de raison srsquoidentifie avec la ldquopremiegravere question pourquoirdquo conccedilue comme ldquoquestion premiegravererdquo de la meacutetaphysique De faccedilon paradoxale Heidegger fait de la question ldquopremiegravererdquo de Leibniz ldquoPourquoi il y a plutocirct quelque chose que rien rdquo la ldquoquestion finale ou conclusiverdquo

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(Schluszligfrage)2 de la meacutetaphysique Leibniz aurait donneacute la structure fondamentale de la question de lrsquoEtre mais en la rapportant immeacutediatement agrave lrsquoeacutetant dans un sens causal (kausal) perdant le sens questionnant du ldquopourquoirdquo

Notre hypothegravese de lecture est que Leibniz pense le principe de raison de faccedilon veacuteritablement questionnante gracircce agrave lrsquoapprofondissement de la question pourquoi dans un sens meacutetaphysique

Pour veacuterifier cette hypothegravese nous eacutetudierons drsquoabord la genegravese de la formulation du principe de raison agrave partir de la question ldquopourquoirdquo et en particulier lorsque lrsquoadverbe interrogatif est substantiveacute le lexique leibnizien identifiant alors ldquola raisonrdquo avec ldquole pourquoirdquo Dans un second temps nous eacutetudierons la genegravese de la ldquopremiegravere questionrdquo du paragraphe 7 des Principes de la Nature et de la Gracircce fondeacutes en raison en tant qursquoelle deacutefinit le questionnement premier de la meacutetaphysique

1 La genegravese de la formulation du principe de raison agrave partir de la question

pourquoi

11 Lrsquoeacutequivalence entre la raison et ldquole pourquoirdquo (τὸ διότι)

Dans le De arte combinatoria (en 1666) Leibniz utilise lrsquointerrogatif grec διότι sous sa forme substantiveacutee ldquoτὸ διότιrdquo crsquoest-agrave-dire le ldquopourquoirdquo pour deacutefinir le terme latin ldquoratiordquo la raison ldquoIl est difficile ou bien de concevoir la raison crsquoest-agrave-dire le pourquoi ou bien si on la conccediloit de lrsquoexpliquerrdquo3 Cette deacutefinition drsquoinspiration aristoteacutelicienne4 nrsquoest pas donneacutee dans un cadre meacutetaphysique mais logico-matheacutematique pour le calcul des complexions Raison signifie alors rapport numeacuterique plutocirct que faculteacute de compreacutehension ou de

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Arnaud Lalanne La question du ldquopourquoirdquo dans le principe de raison

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reacuteflexion Il est possible de concevoir la ldquoraison pour laquelle une chose estrdquo mais pas de lrsquoexpliquer Seul le comment τὸ ὅτι est pleinement explicable

La mecircme distinction entre le pourquoi (τὸ διότι) et le comment (τὸ ὅτι) est reprise dans le contexte drsquoune reacuteflexion theacuteologique pour montrer la neacutecessiteacute pour la raison de ne pas chercher agrave deacutemontrer les mystegraveres de foi Par exemple lrsquoarticle 56 du Discours preacuteliminaire de la conformiteacute de la foy avec la raison eacutetablit que

Nous nrsquoavons pas besoin (hellip) de prouver les Mysteres a priori ou drsquoen rendre raison il nous sufficirct que la chose est ainsi (τὸ ὅτι) sans savoir le pourquoy (τὸ διότι) que Dieu srsquoest reserveacute5(sect 56 GP VI pp 81-82)

Ce passage confirme le rapprochement de la raison comme preuve a priori avec le pourquoi (τὸ διότι) mais Leibniz place la connaissance deacutemonstrative des mystegraveres ldquoau-dessus de la raisonrdquo et non ldquocontre la raisonrdquo Les mystegraveres repreacutesentent la limite du dominium de la raison humaine mecircme si nous pouvons nous repreacutesenter lrsquoentendement divin qui est la source de toute veacuteriteacute y compris des deacutemonstrations des veacuteriteacutes de foi

12 Le principe de raison une simple question de ldquocuriositeacuterdquo

Pourtant cette limitation de lrsquoempire de la raison ne satisfait pas tout agrave fait lrsquoesprit humain et agrave deacutefaut de connaicirctre reacuteellement lrsquohomme est curieux drsquoapprendre - au sens eacutetymologique de la curiositas crsquoest-agrave-

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dire de la faculteacute de poser la question pourquoi lrsquoadverbe interrogatif latin ldquocurrdquo signifiant ici agrave la fois la question ldquopourquoi rdquo et ldquole pourquoirdquo La recherche de la veacuteriteacute se fonde alors sur cet art du questionnement curieux et le principe de raison oriente cette recherche vers la connaissance du ldquopourquoirdquo Or dans la Confessio Philosophi (1673) Leibniz identifie explicitement la question ldquopourquoirdquo en latin ldquoCURrdquo avec la raison Le pourquoi devient ainsi le principe-mecircme de la recherche comme dans la meacutethode aristoteacutelicienne de lrsquoeacutetonnement eacuteveilleacute par la sensation que Leibniz deacutecrit ainsi

En effet tous les hommes lorsquils perccediloivent quelque chose (sentiunt aliquid) surtout si cette chose est insolite demandent pourquoi (cur) cest-agrave-dire en cherchent la cause ([raison] rationem) soit efficiente soit si lauteur est un agent rationnel finale6

Selon la traduction drsquoYvon Beacutelaval on pourrait traduire ldquocurrdquo en le substantivant et les hommes chercheraient alors ldquole pourquoi crsquoest-agrave-dire la raison ou bien efficiente ou bien finale si lrsquoauteur est un agent rationnelrdquo Lrsquooriginaliteacute de ce passage tient dans le fait non seulement que la raison est qualifieacutee drsquoefficiente -alors que crsquoest traditionnellement la cause qui est dite efficiente- mais encore qursquoelle se nomme fin ou finaliteacute quand il srsquoagit drsquoun agent doueacute de raison Le ldquopourquoirdquo est donc compris agrave la fois comme lrsquoobjet de la ldquorechercherdquo et comme ldquola raisonrdquo elle-mecircme soit comme pure efficience si la recherche porte sur la nature soit comme finaliteacute si la recherche porte sur les actions libres drsquoun agent rationnel

Une fois eacutetablie lrsquoidentiteacute de la raison et du pourquoi Leibniz deacutefinit le double aboutissement de cette ldquoquecircterdquo un savoir certain et neacutecessaire si la quecircte est meneacutee par un philosophe et une chose moins certaine mais familiegravere si la recherche est meneacutee par un quidam Tout deacutecoule de la question ldquoCurrdquo

De lagrave viennent les expressions avoir cure et curiositeacute comme queacuterir vient de quel ou quelles (quis quaeve) Et une fois quils ont rendu raison sils en ont le loisir ou sil leur semble que laffaire en vaut la peine ils cherchent la raison de la raison jusquagrave ce quils tombent srsquoil srsquoagit des philosophes sur une chose claire qui soit neacutecessaire cest-agrave-dire agrave soi-mecircme sa raison (sibi ipsi ratio est) et srsquoils sont de simples

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Arnaud Lalanne La question du ldquopourquoirdquo dans le principe de raison

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chercheurs sur une chose commune et qui leur soit deacutejagrave familiegravere agrave laquelle ils sarrecirctent7 (trad Belaval un peu modifieacutee pp 32-33)

La recherche de la ldquoraison de la raisonrdquo conduit donc le philosophe agrave une raison suffisante ou identique crsquoest-agrave-dire capable drsquoapporter une veacuteriteacute claire et neacutecessaire La curiositeacute implique donc une quecircte de la raison suffisante sauf pour le simple quidam qui srsquoarrecircte uniquement aux choses familiegraveres

13 La formulation du ldquoprincipe du pourquoyrdquo suffisant (Lettres agrave Hartsoeker ndash

1711-1712)

Pourtant lrsquoeacutetape essentielle pour pouvoir affirmer lrsquoidentiteacute de la raison suffisante avec ldquole pourquoirdquo consiste agrave nommer le principe de raison ldquoprincipe du pourquoirdquo Or crsquoest ce geste sans preacuteceacutedent qursquoaccomplit Leibniz entre 1711-1712 dans sa correspondance avec le physicien Nicolas Hartsoeker A notre connaissance crsquoest le seul endroit dans lrsquoœuvre de Leibniz ougrave apparaicirct un tel usage Faut-il interpreacuteter cet emploi speacutecial en le restreignant au contexte drsquoune poleacutemique physique Ou bien faut-il au contraire lrsquoeacutetendre aux autres domaines de la penseacutee leibnizienne Lrsquoobstacle agrave une geacuteneacuteralisation vient du fait que Leibniz nrsquoutilise ces formules nouvelles que dans le combat contre les thegraveses atomistes drsquoHartsoeker En effet ce dernier soutenant la dureteacute absolue de lrsquoatome Leibniz y voit selon ses termes les ldquoantipodes du pourquoi suffisantrdquo (lettre du 8 feacutevrier 1712 GP II pp 532-533) Nous voyons alors que le vocabulaire du pourquoi est non seulement interchangeable avec celui de la raison mais encore transposeacute pour qualifier le principe lui-mecircme Ainsi Leibniz utilise lrsquoexpression ldquogrand principe du pourquoirdquo pour deacutesigner le principe de raison lui-mecircme sous sa forme complegravete ldquoRien nrsquoarrive sans un pourquoi suffisant ou bien sans une raison deacuteterminanterdquo (lettre du 7 deacutecembre 1711 GP III p 529) Lrsquoordre est comme inverseacute Leibniz qualifie la raison de deacuteterminante au lieu de suffisante et il reacuteserve cet adjectif au seul ldquopourquoirdquo qui finit dans

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cette correspondance par prendre la place habituelle de la raison Avec ce qualificatif de ldquosuffisantrdquo le pourquoi devient mecircme lrsquoeacutequivalent de ldquola droite raisonrdquo dans la lettre du 8 feacutevrier 1712 (GP II pp 532-533)

Au terme de cette rapide genegravese des formules du principe de raison agrave partir de la question pourquoi il apparaicirct donc clairement que la question pourquoi substantiveacutee et la raison elle-mecircme sont devenues au tournant des anneacutees 17008 quasiment identiques y compris dans leurs ldquoprincipesrdquo

2 La genegravese de la premiegravere ldquoquestion meacutetaphysiquerdquo dans les Principes de la

Nature et de la Gracircce

Presque toutes les formules du principe de raison se structurent autour de deux interrogatives indirectes introduites par ldquopourquoirdquo Par exemple dans la Confessio philosophi Leibniz deacutefinit le principe de raison par le fait qursquoun ecirctre omniscient peut ldquoassigner la raison suffisante pourquoi une chose est plutocirct que de nrsquoecirctre pas et pourquoi elle est telle plutocirct qursquoautrementrdquo9 La premiegravere question deacutefinit la preacutevalence de lrsquoecirctre sur le non-ecirctre ou du ldquoquelque choserdquo (aliquid) sur le ldquorienrdquo (nihil) La seconde question porte sur la maniegravere drsquoecirctre crsquoest-agrave-dire sur ce qui distingue tel ecirctre de tel autre ou ce qui explique qursquoune chose est ainsi et non pas autrement Nous eacutetudierons ainsi la genegravese de cette ldquopremiegravere questionrdquo comme ldquoquestion premiegravere de la meacutetaphysiquerdquo dans les Principes de la Nature et de la Gracircce

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21 La ldquoquasi premiegravere question qursquoon peut fairerdquo (Lettre de mars 1706 agrave la

Princesse-Electrice Sophie)

Dans une lettre adresseacutee agrave la Princesse-Electrice Sophie en mars 1706 Leibniz pour la premiegravere fois agrave notre connaissance parle de la question ldquopourquoi il y a quelque choserdquo [sous-entendu ldquoplutocirct que rienrdquo] comme de ldquola quasi premiegravere qursquoon peut fairerdquo agrave partir du principe de raison ldquoqui porte que rien nrsquoest sans raison ou bien qursquoil y a toujours un pourquoirdquo (Correspondenz von Leibniz mit der Prinzessin Sophie eacutedition Onno Klopp Volume 3 (reprint Olms 1973) p 172) Lrsquoexpression ldquoquasi premiegravere questionrdquo est un peu mysteacuterieuse parce qursquoelle laisse supposer qursquoil pourrait y avoir drsquoautres ldquopremiegraveres questionsrdquo pleines et entiegraveres mais sans preacuteciser lesquelles Peut-ecirctre sous-entend-on la traditionnelle seconde question qui eacutetablit pourquoi crsquoest ainsi et non pas autrement

Pourtant la suite de la lettre affirme que ldquola mecircme Raison qui fait qursquoil y a plutocirct quelque chose que rien fait aussi qursquoil y a plutocirct beaucoup que peu de chosesrdquo (Ibid) Donc la seconde question formuleacutee agrave travers la distinction originale entre ldquobeaucouprdquo ou ldquopeurdquo nrsquoest pas la veacuteritable premiegravere question mais une autre question inteacutegreacutee agrave la raison ndash raison commune qui associeacutee agrave la question pourquoi en geacuteneacuteral devient peut-ecirctre la veacuteritable ldquopremiegravere questionrdquo La seconde question deacutecoule par conseacutequent de la ldquoquasi premiegravererdquo selon lrsquousage du principe de varieacuteteacute En effet srsquoil y a bien quelque chose comme lrsquoaffirme la premiegravere formule alors cette chose sera ainsi et non pas autrement ceci et non pas cela distinctes parmi une infiniteacute drsquoecirctre distincts Et de mecircme qursquoldquoil y a quelque choserdquo de mecircme ldquoil y a toujours un pourquoirdquo Nous sommes donc reconduits agrave la question drsquoorigine ldquopourquoi rdquo mais qui a besoin cette fois-ci drsquoune raison suffisante crsquoest-agrave-dire portant en elle la raison de son existence ldquoautrement la mecircme question ou difficulteacute subsisterait toujours de sorte que la derniegravere raison des choses nrsquoest autre chose que la substance absolument neacutecessairerdquo (Ibid) Dieu est alors la reacuteponse qui satisfait agrave la double question ldquopourquoi rdquo du principe de raison

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22 La premiegravere ldquopremiegravere questionrdquo (sect 22 des Remarques sur le Livre de lrsquoorigine du mal)

Dans la lettre de mars 1706 agrave la Princesse Sophie Leibniz heacutesite encore sur la ldquopremiegravere question agrave fairerdquo pour eacutelever le principe de raison dans le domaine meacutetaphysique qui lui est propre La ldquoquasi premiegravere questionrdquo est encore incomplegravete car elle ne formule qursquoune partie de lrsquoalternative ldquopourquoi il y a quelque choserdquo sans mentionner immeacutediatement ldquoplutocirct que rienrdquo et la seconde question prend la forme ineacutedite drsquoune alternative entre ldquobeaucoup de chosesrdquo ou ldquopeu de chosesrdquo au lieu de deacutefinir ce qui est ainsi et non pas autrement Or au paragraphe 22 des Remarques sur le Livre de lorigine du mal de William King que Leibniz publie en Appendice aux Essais de Theacuteodiceacutee10 se trouve le ldquochaicircnon manquantrdquo permettant drsquoeacutetablir non seulement lrsquoordre des questions mais eacutegalement leur porteacutee meacutetaphysique Crsquoest lagrave que se formule la premiegravere veacuteritable ldquopremiegravere questionrdquo

Dans ce passage Leibniz srsquooppose agrave la thegravese de King selon laquelle les premiegraveres eacutelections de Dieu au moment de la creacuteation sont arbitraires ou purement indiffeacuterentes En effet la volonteacute divine ne peut pas choisir de creacuteer le monde sans raison deacuteterminante agrave savoir sans ldquobonteacute ou commoditeacuterdquo (GP VI p 425) Pour reacutepliquer agrave ce systegraveme ougrave ldquoil nrsquoy a pas de pourquoyrdquo (Ibid) Leibniz propose un systegraveme de deacutefense deacutecoulant du principe de raison et dont la question centrale est le pourquoy lui-mecircme

hellipVoicy comment on verra manifestement quelle ne sauroit saccorder avec ce quon vient de dire La premiere Question sera Dieu creera-t-il quelque chose ou non ltet pourquoygt LAuteur repond a repondu quil creera quelque chose parce que crsquoest un moyen de communiq pour communiquer sa bonteacute Il nrsquoest donc point absolum ne luy est donc point indifferent de creer ou de ne point creer Apres cela on demande Dieu creera-t-il telle chose [1] ou une autre il y reacute [2] Lrsquoauteur repond [3] ltou bien une autre et pourquoygt il faudroit repondre (pour parler consequemment) que la mecircme bonteacute le fait choisir le meilleur et en effect lauteur y retombe dans la suite mais suivant son hypothese il repond quil creera telle chose mais quil ny a point de pourquoy parce que Dieu est absolument indifferent quoyqursquoil est vray qursquoil varie un ltpour les creatures qui nont leur bonteacute que de son choixgt (transcription AL)11

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Lrsquoeacutetude du manuscrit du paragraphe 22 des Remarques reacutevegravele deux faits significatifs Le premier crsquoest le soin que Leibniz a pris de souligner le ldquopourquoyrdquo sous sa forme substantiveacutee ce qui met en eacutevidence que King ne choque pas tant le principe de bonteacute que le ldquoprincipe du pourquoyrdquo la raison drsquoecirctre de la creacuteation divine Le second eacuteleacutement significatif est le double rajout du ldquopourquoyrdquo dans les deux questions Ainsi dans la premiegravere version Leibniz eacutecrivait simplement ldquoDieu creera-t-il quelque chose ou nonrdquo sans qursquoil soit question de chercher ldquole pourquoyrdquo Mais en marge Leibniz rajoute le ldquopourquoirdquo sous sa forme questionnante Crsquoest la genegravese du geste meacutetaphysique des Principes de la Nature et de la Gracircce La question ldquoCreacuteer ou pas rdquo relegraveve uniquement de la puissance ldquoCreacuteer quelque chose plutocirct que rienrdquo relegraveve de la volonteacute libre du creacuteateur mais rendre la raison ldquopourquoi on creacutee quelque choserdquo relegraveve de ce que Leibniz nomme dans sa lettre agrave Bossuet du 8 Avril 1692 une ldquosagesse architectonique plus qursquoinfinierdquo (A II 2 N 145 p 516) Une fois cette premiegravere question ldquopourquoyrdquo formuleacutee dans une perspective meacutetaphysique Leibniz deacuteveloppe naturellement la seconde question ldquoDieu creacuteera-t-il telle chose ou une autre rdquo Or si nous eacutetudions la genegravese du passage nous constatons que la question ldquopourquoirdquo nrsquoapparaicirct qursquoagrave la troisiegraveme version dans les deux premiegraveres versions la question pourquoi ne figure pas et la reacuteponse de King est preacutesenteacutee deux fois directement agrave la suite Mais la troisiegraveme version eacutetablit lrsquoeacutequilibre avec la premiegravere question et montre la neacutecessiteacute de comprendre ce qui existe ldquoainsirdquo relativement au meilleur et agrave la veacuteritable bonteacute

23 La ldquopremiegravere question qursquoon a droit de fairerdquo (Principes de la Nature et de la

Gracircce)

Nous avons vu en introduction la formulation geacuteneacuterale du principe de raison dans les Principes de la Nature et de la Gracircce il ne nous reste plus qursquoagrave eacutetablir si la ldquopremiegravere questionrdquo complegravete qui en deacutecoule peut-ecirctre qualifieacutee en mecircme temps de ldquoquestion premiegravere de la meacutetaphysiquerdquo

Relevons tout drsquoabord ce qui distingue la question de la lettre agrave Sophie (ldquoQuasi la premiegravere question qursquoon peut faire est pourquoi il

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y a quelque choserdquo) de la question du sect7 ldquoCe principe poseacute [ie le principe de raison] la premiegravere question quon a droit de faire sera pourquoi il y a plutocirct quelque chose que rien rdquo12 Deux diffeacuterences apparaissent immeacutediatement En effet la premiegravere diffeacuterence vient de ce que la question de la lettre agrave Sophie nrsquoest exprimeacutee que comme une possibiliteacute (qursquoon peut faire) et comme une ldquoquasi-premiegravererdquo question alors que la question des Principes de la nature et de la gracircce est une question ldquode droitrdquo rendue leacutegitime par la supposition du principe de raison qui devient ainsi la condition drsquointelligibiliteacute de la question meacutetaphysique

La seconde diffeacuterence vient du fait que ldquole rienrdquo nrsquoapparaicirct pas dans la premiegravere question de la lettre agrave Sophie alors qursquoil est deacuteveloppeacute pour lui-mecircme degraves la premiegravere question des Principes agrave la faccedilon drsquoune objection agrave lrsquoexistence du ldquoquelque choserdquo puisque ldquole rien est plus simple et plus facilerdquo (Ibid) Mais le ldquorienrdquo signifie en reacutealiteacute lrsquoabsence de raison ou de pourquoi Comme lrsquoa montreacute le sect 22 des Remarques sur King le ldquorienrdquo peut servir de modegravele aux theacuteories du pur indiffeacuterentisme mais eacutegalement agrave celles du neacutecessitarisme qui reacuteduit tout au vide et aux atomes mateacuteriels (cf Lettre agrave Hartsoeker et agrave Reacutemond) et le principe de raison se deacutefinit alors comme le moyen de lutter contre ces theacuteories ougrave ldquoil nrsquoy a point de pourquoyrdquo et deacutefendre agrave tout prix lrsquoeacuteleacutevation agrave la perspective meacutetaphysique

Il faut ensuite expliquer une autre eacutetrangeteacute pourquoi faut-il ldquoposerrdquo le principe de raison avant drsquoavoir le ldquodroitrdquo de poser la question meacutetaphysique du ldquopourquoyrdquo Dans son article sur la seconde question Michaeumll Devaux a bien remarqueacute cette anteacuteposition du principe sur la question et ajoute une autre eacutetrangeteacute pourquoi Leibniz formule-t-il la seconde question avant la premiegravere 13 Nous pourrions reacutepondre que la premiegravere question est ontologiquement premiegravere mais expeacuterimentalement seconde tandis que la seconde question est premiegravere dans lrsquoordre de la contingence et seconde dans lrsquoordre de la neacutecessiteacute ontologique ndash de la mecircme faccedilon que le ldquoτὸ διότιrdquo est premier dans lrsquoordre de la sagesse divine mais second dans lrsquoordre de la connaissance humaine et que le ldquoτὸ ὅτιrdquo est originaire dans la connaissance humaine mais deacuteriveacute relativement agrave lrsquoordre divin Nous pouvons alors interpreacuteter lrsquoauto-13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 12 Cf eacutedition drsquoAndreacute Robinet 1954 pp 44-45 13 Devaux 2001 pp 289-296

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position ou ldquoauto-fondation du principe de raisonrdquo dirait Juan Nicolaacutes14 comme un fondement a priori dans lrsquoentendement divin qui rendrait la question de lrsquoecirctre leacutegitime et comme un fondement a posteriori pour lrsquointelligence Dans ce dernier cas il faut interpreacuteter la position du principe de raison comme une supposition agrave la faccedilon drsquoun raisonnement conditionnel ou de la simple hypothegravese de la sagesse divine

Enfin il reste une derniegravere difficulteacute agrave reacutesoudre pourquoi Leibniz reacutepegravete-t-il une deuxiegraveme fois la seconde question Si la premiegravere question porte immeacutediatement sur lrsquoecirctre et le non-ecirctre sur le quelque chose et le rien la seconde porte drsquoabord sur ldquolrsquoecirctre ainsirdquo le fait drsquoecirctre ainsi et non pas autrement et porte ensuite dans la deuxiegraveme formulation sur le fait de ldquodevoir-exister-ainsi et non autrementrdquo ldquoIl faut quon puisse rendre raison pourquoi elles doivent exister ainsi et non autrementrdquo (Ibid) Dans la premiegravere question il y a une veacuteritable balance entre lrsquoecirctre et le non-ecirctre le plateau pourrait pencher du cocircteacute du rien Dans la seconde question il y a une double injonction un double devoir il faut rendre raison et il faut que ce soit ainsi et non autrement Dans la premiegravere question que nous pouvons qualifier drsquoontologique le devoir de reacuteponse incombe agrave Dieu et le droit de demande agrave lrsquohomme alors que dans la seconde question que nous pouvons qualifier drsquoontologique puisqursquoelle concerne le ldquodevoir-ecirctrerdquo le devoir incombe agrave lrsquohomme (il doit rendre raison de ce qui est ainsi) et le droit agrave Dieu au sens ougrave le monde contingent doit se rapporter agrave sa source neacutecessaire Lrsquoeacuteleacutevation agrave la meacutetaphysique appartient donc agrave la question ontologiquement premiegravere et la consideacuteration du regravegne moral des fins appartient agrave la seconde question Creacuteer quelque chose plutocirct que rien relegraveve drsquoun choix meacutetaphysique ougrave la puissance de lrsquoEtre neacutecessaire srsquoaccorde avec sa sagesse pour envisager le ldquopourquoirdquo crsquoest-agrave-dire la raison drsquoecirctre des choses Mais pour rendre la raison pour laquelle les choses sont ainsi plutocirct qursquoautrement il faut srsquoeacutelever agrave la consideacuteration du bien en soi et du devoir-ecirctre du

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ldquodevoir-exister-ainsirdquo dans sa deacutetermination morale pourquoi les choses doivent-elles ecirctre ainsi et non autrement Parce qursquoil faut supposer la bonteacute du creacuteateur et le choix du meilleur

A la premiegravere question ldquoPourquoi il y a plutocirct quelque chose que rien rdquo le Dieu leibnizien reacutepondrait ldquoParce que cela est tregraves bonrdquo comme Dieu dans le Livre de la Genegravese et lrsquohomme curieux aurait le devoir de reacutepondre au terme de sa quecircte du ldquopourquoirdquo ou de la ldquoraison drsquoecirctrerdquo de ce qui est ldquoCrsquoest meilleur ainsi qursquoautrementrdquo

BIBLIOGRAPHIE Aristote Meacutetaphysique livre A trad Tricot Paris Vrin 1990 Devaux M La seconde question du principe de raison dans la meacutetaphysique reacuteelle

de G W Leibniz in Leibniz-Kongress Nihil sine ratione Berlin 2001 Heidegger M Einleitung zu Was ist Metaphysik Wegmarken GA 9 Frankfurt am

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JUAN ANTONIO NICOLAacuteS

LA TRANSFORMATION LEIBNIZIENNE DES PRINCIPES LE PRINCIPE DE RAISON COMME PRINCIPE PRATIQUE1

1 Introduction

Deux questions principales seront ici abordeacutees dans un premier temps la transformation de la conception des principes que fait Leibniz Cette transformation sera projeteacutee sur le modegravele de reconstruction de la philosophie leibnizienne appeleacute meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique Dans un deuxiegraveme temps le principe de raison sera concregravetement analyseacute et tout speacutecialement son aspect pratique Ce principe nrsquoest pas seulement un principe des raisonnements mais aussi de lrsquoaction Crsquoest la raison pour laquelle nous essayons drsquoanalyser dans ce contexte son fonctionnement dans le domaine de la raison pratique agrave savoir dans le domaine de lrsquoeacutethique et de la politique

Cette analyse sera meneacutee concernant deux aspects Drsquoune part en tenant compte du fait qursquoil existe certaines versions du principe de raison qui trouvent leur application dans le domaine de ce qui peut ou doit ecirctre fait Par exemple le principe de raison comme principe de la convenance2 Drsquoautre part il convient de souligner que Leibniz fait la distinction eacutepisteacutemologique drsquoun double sujet le sujet humain et le sujet divin Ces deux sujets repreacutesentent deux points de vue eacutepisteacutemologiques diffeacuterents mecircme srsquoils ont certains principes en commun Crsquoest pourquoi ces deux sujets font ce qui est plus convenable de diffeacuterentes faccedilons Du point de vue humain il se produit un processus de ldquoprogregraves perpeacutetuelrdquo3

En dernier lieu les versions pratiques du principe de raison sont lieacutees au principe dominant dans le domaine de lrsquoeacutethique et de la politique (le principe drsquoautrui) et avec le meacuteta-principe de la logique et

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de la rationaliteacute leibnizienne le principe de lrsquoordre4 tel qursquoil est deacutefini dans la meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique

2 La transformation de lrsquoattitude face aux principes vers un ordre dynamique

Lrsquoldquooceacuteanrdquo des textes de Leibniz relatifs au principe montrent comme premier aspect que ce ne sont pas toujours les mecircmes principes qui occupent la place de choix drsquoecirctre les ldquopremiersrdquo Il existe plusieurs ldquoclassificationsrdquo dans lesquelles il existe des principes communs et parfois non Consideacuterant que ce sujet est extrecircmement important pour Leibniz il nrsquoest pas exageacutereacute de penser que cela soit quelque chose de simplement fortuit ou secondaire Crsquoest pourquoi il faudrait sans doute prendre litteacuteralement ce fait au seacuterieux crsquoest-agrave-dire que cette diversiteacute de formulations srsquoexplique par le fait qursquoil doit en ecirctre ainsi et qursquoil ne peut pas en ecirctre autrement Autrement dit lrsquoordre des principes est en perspective associeacute agrave des domaines du savoir agrave des niveaux logiques agrave des structures rationnelles etc de sorte que les principes ne sont pas les mecircmes concernant tout le problegraveme ni dans tout lrsquoespace logique et rationnel et ne sont pas de la mecircme maniegravere et nrsquoont pas la mecircme formulation

Assumer ce fait signifie adopter face aux principes une attitude diffeacuterente des analyses reconstructionnistes habituelles qui partent de la preacutesupposition qursquoil existe une structure fixe et inamovible des principes de la raison qui peut ecirctre reconstruite Et lrsquoobjectif est de savoir quelle est lrsquoideacutee deacutefinitive de Leibniz agrave ce sujet Comme lrsquoa deacutemontreacute A Herrera5 cette strateacutegie eacutechoue dans sa tentative de trouver un ordre univoque et deacutefinitif Crsquoest pourquoi il faudrait sans doute changer cette hypothegravese et introduire une conception dynamique des principes chez Leibniz Cela expliquerait bien le fait qursquoil nrsquoexiste pas une classification unique ni deacutefinitive Les principes changent progressivement en ce qui concerne leur rocircle leur structure leur formulation et leurs relations mutuelles dans la totaliteacute

Cette hypothegravese nrsquoimplique pas lrsquoimpossibiliteacute de reconstruire un systegraveme leibnizien Parmi les commentateurs crsquoest probablement E

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de Olaso qui a le plus suivi cette ligne6 Il aborde le sujet depuis la perspective de la reacutefutation du scepticisme et montre lrsquoinsuffisance des efforts de Leibniz pour justifier les premiers principes du raisonnement et arrive agrave la conclusion que la rationaliteacute selon le modegravele leibnizien est en ldquobanquerouterdquo

Selon E de Olaso il nrsquoexiste que deux reacuteponses possibles agrave la question sur la justification des principes soit ils ne doivent pas ou ne peuvent pas ecirctre justifieacutes (Aristote) soit la dialectique est le seul moyen permettant agrave la penseacutee de pouvoir se justifier en soi (Hegel) Leibniz se trouverait dans une position dubitative entre les deux7 Il accepterait ldquode faccedilon aristoteacuteliciennerdquo que les principes ne peuvent pas ecirctre prouveacutes mecircme srsquoils ont besoin de lrsquoecirctre et tente parfois de trouver des ldquopreuvesrdquo ou des ldquojustificationsrdquo de lrsquoun des principes Dans ce deuxiegraveme cas Olaso examine plusieurs passages de Leibniz (fondamentalement concernant le principe de non contradiction principe suprecircme de la raison) et montre comment sa strateacutegie fondatrice essuie eacutechec sur eacutechec

Olaso prend comme hypothegravese que ldquoLeibniz a consideacutereacute que toute sa philosophie est deacuteductiverdquo8 De ce fait il reacuteduit les tentatives de Leibniz agrave une justification lineacuteaire des principes drsquoautrui jusqursquoau principe suprecircme qui selon Olaso serait le principe de non contradiction Dans ce cadre interpreacutetatif ce principe ldquone peut pas recevoir un doute ni une preuverdquo9 Cette thegravese est interpreacuteteacutee par Olaso comme la concession du fait que tout le systegraveme rationnel est (deacuteductivement) injustifiable et crsquoest lagrave ougrave reacuteside lrsquoeacutechec de Leibniz

Toutefois il faudrait remettre en question lrsquohypothegravese deacuteductiviste drsquoOlaso La penseacutee leibnizienne ne doit pas neacutecessairement ecirctre reconstruite dans ces termes Drsquoune part plusieurs propositions ont eacuteteacute avanceacutees dans drsquoautres directions Drsquoautre part la thegravese qursquoil existe des eacuteleacutements dans un systegraveme de penseacutee ne requeacuterant aucune deacutemonstration lineacuteaire-deacuteductive ni une remise en question peut ecirctre interpreacuteteacutee selon le modegravele de rationaliteacute qui tout juste apregraves Leibniz va atteindre sa formulation classique le modegravele transcendantal Tout ce qui est doteacute de ces

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caracteacuteristiques peut ecirctre consideacutereacute comme une condition de possibiliteacute du reste du systegraveme mais qui appartient agrave un autre niveau Il srsquoagit drsquohypothegraveses neacutecessaires pour expliquer la connaissance dont la neacutecessiteacute logique surgit de lrsquoauto-application reacuteflexive de lrsquoaction rationnelle et cognitive sur elle-mecircme Le principe de raison serait lrsquoinstrument leibnizien de cette voie de justification10

Pour avancer dans notre approche devant la position drsquoE drsquoOlaso il faudrait remettre en question deux de ses hypothegraveses drsquoune part que pour Leibniz il existe un ensemble de principes fixe et stable qui constitue le fondement de la rationaliteacute drsquoautre part que prouver ou justifier signifie toujours deacuteduire Leibniz a une attitude devant ces principes sui generis qui nrsquoest plus celle des logiques traditionnelles (aristoteacuteliciennes) Il srsquoagit drsquoune attitude tregraves creacuteative et libre dans laquelle il existe une invention constante de principes leur reformulation une application agrave des problegravemes et agrave des contextes tregraves diffeacuterents etc Cette attitude conduit agrave la transformation de la conception geacuteneacuterale des principes de leur rocircle dans le domaine de la rationaliteacute et de la relation existante entre eux

De ce fait Leibniz imprime un tournant dans son attitude face aux principes agrave caractegravere vitaliste et ldquodynamiquerdquo ce qui a motiveacute une conception transformeacutee de ces derniers

3 Tournant dynamique et vitaliste dans la conception des principes

Crsquoest Ortega y Gasset qui a souligneacute dans lrsquoaire culturelle espagnole et latino-ameacutericaine le rocircle des principes dans la penseacutee de Leibniz Agrave la suite de la remise en cause historique de tout un modegravele de rationaliteacute aristoteacutelicienne qui comprenait un systegraveme de principes deacutetermineacute avec toutes ses diffeacuterentes variantes meacutedieacutevales on arrive au XVIIegraveme siegravecle agrave Leibniz qui reprend de faccedilon centrale dans sa penseacutee cet outil intellectuel que sont les principes Quelle innovation Leibniz introduit-il dans sa conception de cette notion et dans le rocircle qursquoils jouent dans lrsquoensemble de la rationaliteacute Leibniz se contente-t-il de reacuteiteacuterer pour lrsquoessentiel la doctrine aristoteacutelicienne existante dans ce sens ou comme dans beaucoup drsquoautres

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domaines veut-il introduire une nouvelle conception qui assume lrsquoeacutemergence imminente de la science moderne et qui agrave la fois ne se limite pas seulement agrave celle-ci mais qui soit aussi capable drsquointeacutegrer agrave sa maniegravere les doctrines classiques Face agrave ces approches rationalistes dans le sens de conceptualistes Ortega propose lrsquoalternative drsquoune penseacutee qui vient drsquoen-bas (ldquopenser avec les piedsrdquo) qui tient compte de lrsquoinfrastructure de tout conceptualisme et qui fait figurer au premier plan ldquolrsquoalteacuteriteacute de la raison (conceptuel)rdquo Tout cet ensemble est repris par Ortega qui lrsquoinclut sous la notion de ldquoma vierdquo De ce fait concept (rationnel) ou vie voilagrave lrsquoalternative drsquoOrtega qursquoil reacutesout agrave travers cette synthegravese difficile ce qursquoil appelle ldquoraison vitalerdquo Comment classer Leibniz dans ce contexte et notamment sa doctrine des principes

Ortega ouvre ce deacutebat et propose une ligne de travail permettant drsquoy aborder cette reacuteflexion Pour cela nous disposons entre autres des importants travaux preacuteceacutedents de Bernardino Orio de Jaime de Salas et plus particuliegraverement drsquoAgustiacuten Andreu sur ce que lui-mecircme a appeleacute ldquomethodus vitaerdquo pour faire reacutefeacuterence agrave Leibniz Il srsquoagit donc de continuer le deacuteveloppement de lrsquoorientation marqueacutee par Ortega agrave cet eacutegard dans la discussion constante et lrsquoargumentation qursquoest la reacuteflexion philosophique Ce deacuteveloppement va se faire de faccedilon propre dans le cadre de ce que jrsquoai appeleacute la meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique de Leibniz Il srsquoagit drsquoune proposition de reconstruction et drsquointerpreacutetation de la philosophie leibnizienne agrave partir de principes et par conseacutequent conforme agrave la direction marqueacutee par Ortega

Sont notamment deacutefinis la place exacte qursquooccupent les principes dans lrsquoespace rationnel creacuteeacute dans ce modegravele de meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique les diffeacuterentes fonctions exerceacutees et la concreacutetisation qursquoils ont dans chacun des domaines qui constituent cette meacutetaphysique Avec toute cette analyse et la reconstruction nous allons ici soutenir la thegravese qursquoil existe aussi chez Leibniz un moyen particulier de conjuguer la raison selon les principes et le vitalisme

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31 Tournant vitaliste

Lrsquoexpeacuterience de la vie est omnipreacutesente dans toute la philosophie leibnizienne11 Elle parcourt toute sa production jusqursquoagrave ses textes les plus eacutelaboreacutes Leibniz adopte comme modegravele pour sa penseacutee non pas le modegravele deacuteductif des matheacutematiques ni le modegravele de la physique qui existe dans les grands domaines du savoir mais plutocirct le modegravele de la biologie Le vitalisme est aussi preacutesent chez Leibniz aussi bien agrave travers la voie du neacuteoplatonisme (philosophie hermeacutetique gnosticisme neacuteoplatonisme cabale) qursquoagrave travers la voie de la science biologique naissante agrave lrsquoeacutepoque Cette ligne de force de la penseacutee de Leibniz va mecircme jusqursquoagrave la notion centrale de sa meacutetaphysique la monade celle-ci est caracteacuteriseacutee comme ldquoun ecirctre capable drsquoactionrdquo12 Et comme il ne pouvait pas en ecirctre autrement elle va aussi jusqursquoau domaine des principes Leibniz arrive agrave formuler un rdquoprincipe vitalrdquo13

Dans ce contexte pour Leibniz les principes sont associeacutes agrave la vie la vie de la reacuteflexion chargeacutee de spontaneacuteiteacute de creacuteativiteacute et de nouveauteacute Agrave la lumiegravere de ce devenir impreacutevisible va avoir lieu cette reacuteflexion sur les principes toujours avec de nouvelles formulations de nouveaux problegravemes pour lesquels de nouveaux principes sont creacuteeacutes etc Leibniz a le courage intellectuel de ne pas se reacutefugier dans une structure deacutetermineacutee ou formuleacutee mais drsquoouvrir la voie des principes agrave lrsquoaventure de la penseacutee

32 Tournant dynamique

Leibniz introduit une nouvelle dynamique dans la consideacuteration theacuteorique des principes concernant la conception classique qui serait lrsquoapproche aristoteacutelicienne et toutes ses variantes meacutedieacutevales

Leibniz formule des principes dans chaque domaine du savoir dans lesquels il intervient dans chaque problegraveme qursquoil traite dans les sciences bien eacutetablies agrave lrsquoeacutepoque et dans celles que lui-mecircme contribue agrave creacuteer Et avec une naturaliteacute et une profusion inconnues

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avant et apregraves lui Bien loin de la rigide discipline logique et formelle ougrave il existe une stricte formulation des principes avec une stricte hieacuterarchisation qui assure le rocircle des principes nucleacuteaires comme telle une fois pour toutes avec une relation deacuteductive lineacuteaire et inamovible des uns et des autres agrave partir des premiers Crsquoest preacuteciseacutement dans cette discipline rigide que reacuteside la valeur des principes et de la logique qui les eacutetablit comme structure de base de toute penseacutee

Face agrave cette rigiditeacute extrecircme Leibniz montre une attitude libre creacuteative pragmatique innovante et sans crainte de reconsideacuterer les propositions et de les transformer chaque fois que les problegravemes traiteacutes lrsquoexigent Sur ce point la creacuteativiteacute leibnizienne est similaire agrave celle qursquoil deacuteveloppe dans drsquoautres domaines de lrsquoactiviteacute intellectuelle

De ce fait il creacutee toute une constellation de principes de porteacutee diffeacuterente que Leibniz nrsquoarrive jamais agrave fermer de faccedilon deacutefinitive Il existe de nombreuses tentatives drsquoinstaurer des hieacuterarchies de formuler les plus primordiaux drsquoeacutetablir des relations entre eux etc Quelques exemples Leibniz eacutelabore plusieurs fois une liste des premiers principes qui ne coiumlncident pas toujours totalement et selon les cas et les contextes il inclut les uns ou les autres Un autre exemple le principe de raison suffisante a pregraves de quarante formulations diffeacuterentes chez Leibniz

De ce fait comme dans le cas drsquoautres questions philosophiques Leibniz ne ferme jamais le systegraveme il nrsquoeacutecrit jamais un traiteacute deacutefinitif sur les principes Il garde une attitude ouverte constamment attentive libre et courageuse Il ne recule devant aucun problegraveme qursquoil juge inteacuteressant ce qui donne concernant le sujet traiteacute un festival de principes vu que mecircme srsquoil ne srsquoagit pas drsquoune reacutevolution il existe bel et bien une profonde transformation dans la faccedilon de faire face agrave cet instrument philosophique fondamental

Si Leibniz adopte une attitude aussi libre et innovante pourquoi respecter cette notion qui pourrait constituer un obstacle agrave sa creacuteativiteacute deacutemesureacutee Nrsquoimporte quelle reacuteponse agrave cette question se situerait toujours entre la fantaisie plus ou moins controcircleacutee et informeacutee de la personne qui la formule et la vraisemblance que donne la confrontation textuelle qui ne sera probablement jamais exhaustive Dans ce contexte lrsquohypothegravese suivante peut ecirctre lanceacutee

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Leibniz se trouve dans lrsquoalternative drsquoouvrir la voie des principes de lui donner une diffusion et une dynamique qursquoelle nrsquoavait jusqursquoagrave preacutesent jamais eue Ce qui permettra drsquoaugmenter consideacuterablement lrsquoefficaciteacute et la puissance de lrsquoesprit pour aborder des problegravemes et proposer des solutions Mais par ailleurs Leibniz ne veut pas perdre le controcircle rationnel des problegravemes ne veut pas se voir deacutebordeacute par sa propre creacuteativiteacute jusqursquoagrave entrer dans le domaine de lrsquoincontrocirclable Leibniz fuit aussi bien lrsquoordre fermeacute que le chaos Crsquoest la situation ldquoparadoxalerdquo14 que connaicirct Leibniz concernant les principes et qui est la mecircme concernant de nombreux autres sujets (par exemple dans le cas de la relation entre la finitude et lrsquoinfini)

Dans cette situation Leibniz donne aux principes une fonction essentielle drsquoune part ils permettent toute la diversiteacute la pluraliteacute et lrsquoapplicabiliteacute que Leibniz leur donne et drsquoautre part ils lui permettent de garder un minimum drsquoordre rationnel Il srsquoagit drsquoun ordre dynamique aussi bien concernant la consistance de chaque principe que concernant la relation entre eux dans des domaines particuliers et dans tout leur ensemble Crsquoest la dynamique des principes quasi dialectique dans laquelle srsquoinstalle Leibniz qui est le nouvel ordre de la raison agrave partir de principes qursquoil instaure

Nous nrsquoentrons pas maintenant dans une eacutetude approfondie des diffeacuterentes faccedilons dont on peut comprendre la notion de ldquoprinciperdquo Sur le plan opeacuterationnel nous utilisons une notion standard de principe comme quelque chose dont deacutependent ou deacutecoulent drsquoautres choses qursquoelles soient aussi bien des reacutealiteacutes que des propositions ou des concepts et par conseacutequent pour le moment la valeur aussi bien ontologique que gnoseacuteologique des principes est assumeacutee

Concernant les principes Leibniz affirme que

Il nrsquoy a que les atomes de substance crsquoest-agrave-dire les uniteacutes reacuteelles et absolument destitueacutees de parties qui soient des sources des actions et les premiers principes absolus de lrsquoanalyse des choses substantielles On pourrait les appeler points meacutetaphysiques ils ont quelque chose de vital et une espegravece de perception et les points matheacutematiques sont leur point de vue pour exprimer lrsquounivers15

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4 Fonction et caracteacuteristiques du systegraveme des principes

Il faut eacutetablir au moins les trois fonctions suivantes que les principes auront chez Leibniz

a) Fonction de multiplication et de diversification vu que de chaque principe sont suivis (par le biais drsquoune multitude de strateacutegies meacutethodologiques) drsquoautres regravegles reacutegulariteacutes ou nouveaux champs drsquoapplication non encore exploreacutes On retrouve ici la dimension geacuteneacuteratrice qui est agrave la base de la notion de principe depuis sa racine grecque ldquoarcheacuterdquo Les principes ont une fonction drsquoouverture

b) Fonction drsquounification et de coordination degraves lors qursquoils deacutetectent et formulent des convergences des liens et des paralleacutelismes entre des donneacutees ou des individualiteacutes de diffeacuterents types nrsquoayant apparemment aucun rapport Les principes ont une fonction de connexion

c) Fonction de systeacutematisation surgie agrave partir de relations de diffeacuterents types qui peuvent srsquoeacutetablir entre les principes soit de subordination drsquoappartenance de correacutelation ou drsquoabsorption diffeacuterencieacutee Cette fonction etou capaciteacute des principes permet de parler drsquoun ldquosystegravemerdquo dans le cas de la penseacutee de Leibniz Cela est exprimeacute par Leibniz de diffeacuterentes maniegraveres par exemple quand il eacutecrit que dans sa penseacutee et correacutelativement dans la reacutealiteacute ldquotout est lieacuterdquo16 ou concregravetement quand il fait reacutefeacuterence aux principes il exprime lrsquointerconnexion directe ou indirecte de tous avec tous quand il dit que ldquocelui qui connait lrsquoun des principes les connait tousrdquo17 Les principes ont une fonction de coordination

Le reacutesultat final auquel arrive cette reconstruction de la conception des principes chez Leibniz constitue un systegraveme dynamique qui a les caracteacuteristiques suivantes

(a) Ouverture elle est ouverte parce qursquoil est toujours possible drsquointroduire de nouveaux principes

(b) Variabiliteacute il nrsquoexiste pas une hieacuterarchie fixe mais dans lrsquointerrelation entre les principes il existe des valeurs relatives variables

(c) Theacuteorique et pratique lrsquoensemble des principes a un caractegravere theacuteorique et pratique 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 16 GP VI 599OFC 2344 17 GP II 412OFC 14327

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(d) Coheacutesion dans cette dynamique des principes ldquotout est lieacuterdquo (e) Gestion dynamique le changement et lrsquoordre deviennent

compatibles

5 Architectonique de la meacutetaphysique rationnelle le lieu du principe de raison

Nous entamons maintenant la deuxiegraveme partie de cette reacuteflexion ougrave la question sur la place du Principe de raison suffisante dans lrsquoensemble de la rationaliteacute est poseacutee et nous nous penchons sur son rocircle dans le domaine de la raison pratique Ainsi la notion transformeacutee des principes dans le cadre de la meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique18 est mise agrave lrsquoeacutepreuve

La meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique est configureacutee dans un espace logique et srsquoarticule autour des trois axes cateacutegoriels (individualiteacute-systeacutematiciteacute uniformiteacute-diversiteacute vitaliteacute-fonctionna-liteacute) qui agrave leur tour se subdivisent en quatre niveaux dont chacun se fonde sur un principe ou un ensemble de principes

- La logique de lrsquoordre de principes sect Principe geacuteneacuteral de lrsquoordre - Les principes dans lrsquoontologie de la raison vitale sect Principe vital - Les principes dans la gnoseacuteologie du perspectivisme corporel sect Point de vue absolu principe geacuteneacuteral de lrsquoordreprincipe du

meilleurprincipe de raison sect Point de vue humain principe du perspectivisme - Les principes dans lrsquoeacutethique de la reconnaissance sect Principe de la place drsquoautrui

6 Lrsquoaspect pratique du principe de raison rationaliteacute theacuteorique-pratique

Lrsquoun des principaux aspects de ce modegravele de rationaliteacute meacutetaphysique est son caractegravere theacuteorique et pratique qui comprend un cocircteacute theacuteorique (logique eacutepisteacutemologique ontologique) et un cocircteacute pratique (eacutethique politique) Lrsquouniteacute de ces cocircteacutes est deacutetermineacutee par

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des principes communs qui les caracteacuterisent tous Lrsquoun des principes les plus speacutecifiques de la penseacutee leibnizienne (du moins dans sa formulation) et deacuteterminant dans cette conception de la rationaliteacute est le principe de raison suffisante Apregraves de nombreuses controverses et de tentatives de justification Leibniz maintient finalement la porteacutee strictement universelle de ce principe19 Dans ce contexte cela signifie qursquoelle doit aussi ecirctre valable sur le plan pratique de la rationaliteacute crsquoest-agrave-dire concernant lrsquoeacutethique et la politique Comment cela est-il possible Comment Leibniz maintient-il cette application Comment Leibniz configure-t-il lrsquoeacutethique et la politique dans autant de domaines de rationaliteacute

Tout drsquoabord il faut souligner que le principe de raison a chez Leibniz plus de 40 formulations diffeacuterentes20 ce qui signifie une grande pluraliteacute de versions drsquoapplications et drsquoutilisations Il existe des versions du principe conccedilues pour un domaine particulier ou pour une application agrave un type de cas concrets Crsquoest pourquoi en plus des deacutenominations propres du principe de raison il existe drsquoautres qui peuvent ecirctre consideacutereacutes ldquoeacutequivalentsrdquo parce qursquoen une occasion Leibniz en a deacutecideacute ainsi21 Ce fait est tregraves important concernant le sujet traiteacute eacutetant donneacute que la question change et devient la suivante existe-t-il des versions du principe de raison qui soient principalement valables dans le domaine de la pratique De quelle faccedilon Leibniz rationalise-t-il lrsquoeacutethique et la politique jusqursquoagrave les introduire dans un domaine de rationaliteacute deacutetermineacute

La question nrsquoest pas nouvelle Il y a de cela quelques anneacutees J de Salas revendiquait pour la penseacutee de Leibniz la connexion entre le savoir le bonheur et le progregraves22 Et pour sa part Q Racionero a soutenu que ldquola raison theacuteorique ne trouve son veacuteritable accomplissement que quand elle srsquoinstitue elle-mecircme comme raison morale et srsquoinscrit dans un projet politiquerdquo23 La connexion entre raison theacuteorique et raison pratique est formuleacutee par Leibniz en ce sens que la sagesse suprecircme est la science du bonheur Crsquoest ici ougrave culmine toute lrsquoaction rationnelle

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Il existe trois versions du principe de raison speacutecialement proches dans le domaine de la pratique principium perfectionis principe de la convenance et principe du meilleur24 Le contenu de la perfection et du meilleur peut ecirctre consideacutereacute au sens moral (en plus des autres sens) et est deacutetermineacute par le principe de la convenance crsquoest-agrave-dire par le choix de la sagesse qui est la science du bonheur25 Depuis cette perspective il est possible de prendre en compte aussi bien lrsquoaction humaine que lrsquoordre de la nature Et tout cela est orienteacute vers le sens pratique vers ce que Leibniz appelle le ldquobonheurrdquo De telle sorte que lrsquointeacuterecirct pratique donne agrave lrsquoactiviteacute scientifique et rationnelle son propre but et que la science partage certains principes rationnels avec lrsquoorganisation des inteacuterecircts pratiques Ainsi les principes rationnels qui reacutegissent la recherche de la veacuteriteacute sont relieacutes aux principes qui reacutegissent la recherche du bonheur Tout ceci repreacutesente un complexe unique de rationaliteacute

Cependant le domaine de la ldquosciencerdquo du bonheur a des caracteacuteristiques speacuteciales qui nrsquoexistent pas dans drsquoautres ldquosciencesrdquo Il srsquoagit drsquoun domaine factuel et circonstanciel ougrave la neacutecessiteacute absolue ou meacutetaphysique nrsquoexiste pas mais seulement la neacutecessiteacute hypotheacutetique et ougrave convergent des inteacuterecircts diffeacuterents et parfois opposeacutes qui doivent ecirctre harmoniseacutes Pour analyser ce domaine de rationaliteacute il faut faire un pas suppleacutementaire et forger de nouveaux instruments drsquoanalyse

7 Le principe de la place drsquoautrui dans lrsquoeacutethique leibnizienne

Leibniz formule un principe speacutecifique pour ce domaine du contingent des inteacuterecircts concurrents de la discussion rationnelle sur des objectifs et des moyens Crsquoest le fameux ldquoprincipe de la place drsquoautruirdquo ldquoNe fais ou ne refuse point aiseacutement ce que tu voudrais qursquoon ne te fit ou qursquoon ne te refusacirct pasrdquo 26

Ce principe exprime une faccedilon speacutecifique de donner raison dans les actions et dans les deacutecisions relevant du domaine de lrsquoeacutethique et de la politique agrave travers la strateacutegie hermeacuteneutique de tenter de se

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mettre agrave la place de lrsquoautre Dans ce sens preacutecis il peut ecirctre consideacutereacute comme le ldquorepreacutesentantrdquo du principe de raison dans le domaine de lrsquoeacutethique et de la politique Cette strateacutegie peut nous eacuteviter de commettre des erreurs et des distorsions pouvant ecirctre parfois commises preacuteciseacutement si lrsquoon ne tient pas compte des points de vue des autres

Ce principe a des caracteacuteristiques propres qui le diffeacuterencient drsquoautres principes et qui sont au moins les suivantes

(a) Il inclut de faccedilon centrale le perspectivisme 27 il fait la distinction entre deux perspectives diffeacuterentes (moi-autrui) Cela nrsquoest pas exigeacute dans drsquoautres savoirs tels que la logique ou la dynamique Mais dans le domaine pratique il se produit un deacutedoublement en deux perspectives (moi-autrui) qui ouvre la voie de lrsquointersubjectiviteacute ldquoLa place drsquoautrui est le vrai point de perspective en politique aussi bien qursquoen moralerdquo ldquoMettez-vous agrave la place drsquoautrui et vous serez dans le vrai point de vue pour juger ce qui est juste ou nonrdquo 28

(b) Il part systeacutematiquement de la reconnaissance de la perspective de lrsquoautre comme lieu irreacuteductible au point de vue propre Crsquoest pourquoi on peut drsquoune certaine maniegravere parler drsquoune eacutethique de la reconnaissance Le fait de ldquose mettre agrave la place de lrsquoautrerdquo semble relever de la ldquofictionrdquo une expeacuterience mentale ldquoCette fiction excite nos penseacutees et mrsquoa servi plus drsquoune fois agrave deviner au juste ce qui se faisait ailleursrdquo

(c) Ce lieu irreacuteductible a un caractegravere cognitif La perspective de lrsquoautre fournit des donneacutees qui nrsquoauraient pas pu ecirctre obtenues autrement et de ce fait elle est utile pour acqueacuterir de nouvelles connaissances

Ainsi on peut dire que la place drsquoautrui en morale comme en politique est une place propre agrave nous faire deacutecouvrir des consideacuterations qui sans cela ne nous seraient point venues hellip nous aider dans la connaissance des conseacutequences et de la grandeur des maux que cela pourra faire naicirctre dans autrui

(d) Le principe a une valeur morale degraves lors qursquoil a comme

objectif de rendre compatibles nos inteacuterecircts propres avec ceux drsquoautrui Cet objectif srsquoinscrit dans lrsquointeacuterecirct de sauvegarder autant que possible tous les inteacuterecircts leacutegitimes concurrents et drsquoobtenir la position

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ou la deacutecision la plus juste ainsi le plus grand bonheur possible sera atteint pour tous ceux qui sont concerneacutes ldquohellipTout ce que nous trouverions injuste si nous eacutetions agrave la place drsquoautrui nous doit paraitre suspect drsquoinjusticerdquo

(e) Le principe a aussi un sens strateacutegique indispensable surtout dans le domaine de la politique deacutecouvrir les intentions de lrsquoautre pour ne pas ecirctre ingeacutenument trompeacute ldquohellipagrave la politique pour connaicirctre les vues que notre voisin peut avoir contre nousrdquo

(f) Le principe a une validiteacute dans le domaine du non-neacutecessaire crsquoest-agrave-dire lagrave ougrave il nrsquoexiste qursquoune neacutecessiteacute hypotheacutetique ldquoLa volonteacute est une marque infeacuterieure du jugement mais lrsquoun et lrsquoautre nrsquoest pas une marque certaine de la veacuteriteacute et ne sert qursquoagrave nous arrecircter agrave exciter notre attentionhelliprdquo

(g) Il creacutee une strateacutegie de justification mais aussi de deacutecouverte (h) Le principe a une valeur critique degraves lors qursquoil sert agrave mettre agrave

lrsquoeacutepreuve et le cas eacutecheacuteant agrave corriger les propres convictions connaissances et preacutevisions

On srsquoattache aux personnes aux lectures et aux consideacuterations favorables on ne donne point attention agrave ce qui vient du parti contraire et par ces adresses et mille autres qursquoon emploie le plus souvent sans dessein formeacute et sans y penser on reacuteussit agrave se tromper ou du moins agrave se changer et agrave se convertir ou pervertir selon ce qursquoon a rencontreacute29

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in GP IV 477-487

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FERDINANDO LUIGI MARCOLUNGO ldquoPLUS SIMPLE ET PLUS FACILE QUE QUELQUE CHOSErdquo

LE RIEN ET LA RAISON SUFFISANTE DE LEIBNIZ Agrave KANT

1 En meacutetaphysicien le principe de raison suffisante

Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison le titre mecircme du petit discours de Leibniz au prince Eugegravene de Savoie renvoie explicitement au Traiteacute de la Nature et de la Gracircce de Nicolas de Malebranche une œuvre que Leibniz connaissait fort bien et qui repreacutesentait certainement lrsquooccasion drsquoune longue confrontation entre deux philosophes agrave la fois si semblables et diffeacuterents dans leurs penseacutees Ce nrsquoest pas par hasard que Leibniz ajoute lrsquoexpression ldquofondeacutes en raisonrdquo afin de distinguer ses reacuteflexions de lrsquoœuvre de lrsquoOratorien agrave propos drsquoun argument si deacutelicat qui touchait la sensibiliteacute aussi bien des philosophes que des theacuteologiens

Lrsquoœuvre de Malebranche publieacutee pour la premiegravere fois en 1680 avait eu nombreuses eacuteditions dans les anneacutees suivantes jusqursquoagrave celle de 1712 deux anneacutees avant la reacutedaction des Principes de Leibniz La thegravese du meilleur des mondes possibles sur laquelle insiste la fin du notre texte est lrsquooccasion de souligner la diffeacuterence entre les deux penseurs lrsquoOratorien plus inteacuteresseacute agrave la simpliciteacute des lois divines et le logicien allemand qui voulait au contraire exalter la grandeur drsquoun Dieu capable de faire advenir la plus grande richesse par la lutte des possibles agrave lrsquoexistence

Mais pour Leibniz la distinction entre la nature et la gracircce est deacutepouilleacutee de toute reacutefeacuterence theacuteologique Au-delagrave du titre qui restreint le discours au niveau de la seule raison la cleacute de lecture semble se trouver au commencement du paragraphe 7 dans la distinction entre le physique et le meacutetaphysique ldquoJusqursquoici nous nrsquoavons parleacute qursquoen simples PHYSICIENS maintenant il faut srsquoeacutelever agrave la METAPHYSIQUE en nous servant du GRAND PRINCIPE peu employeacute communeacutement qui porte QUE RIEN NE SE FAIT SANS RAISON SUFFISANTErdquo1

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Tout drsquoabord crsquoest le niveau logique qui est supposeacute dans la possibiliteacute drsquoune analyse par laquelle ldquocelui qui connaicirctrait assez les chosesrdquo pourrait ldquorendre une Raison qui suffise pour deacuteterminer pourquoi il en est ainsi et non pas autrementrdquo2 Le verbe deacuteterminer suggegravere deacutejagrave la formulation qursquoon retrouve le plus souvent dans les textes leibniziens celle du principe de raison deacuteterminante La raison suffisante doit donner agrave nos connaissances la preacutecision qui permettrait de comprendre en profondeur ce qui arrive autour de nous

Toutefois il ne srsquoagit plus de parler ldquoen physicienrdquo mais drsquoentrer dans le domaine de la meacutetaphysique Les deacuteterminations speacutecifiques des choses doivent laisser place agrave lrsquoexistence radicale des choses Drsquoailleurs crsquoest une conseacutequence de la formulation geacuteneacuterale du ldquogrand principerdquo sans distinction entre le plan du connaicirctre et celui de lrsquoecirctre

Selon lrsquoordre des raisonnements ldquoce principe poseacuterdquo voilagrave la grande question qui se preacutesente alors ldquoPOURQUOI IL Y A PLUS TOT QUELQUE CHOSE QUE RIENrdquo3 Il srsquoagit de mettre en question lrsquoexistence mecircme de quelque chose dans une confrontation radicale avec le rien Lrsquoexpression ldquoquelque choserdquo semble nous rappeler lrsquoaliquid de la scolastique et le vocabulaire de lrsquoontologie Le discours semble rester au niveau geacuteneacuteral quelque chose est en mecircme temps ldquotoute choserdquo parce que toute chose preacutesente cette opposition radicale au rien

Andreacute Robinet disait agrave cet eacutegard

Ce sont les deacuteterminations existentielles que la meacutetaphysique prend en charge puisque la physique œuvre dans le constat du composeacute et dans la construction du simple Les deux questions auxquelles le principe de raison suffisante doit apporter reacuteponse sont en effet les tecirctes de liste de certaines classifications des cateacutegories fondamentales ldquoaliquid-nihilrdquo ldquoens-non ensrdquo ldquoens talerdquo et non plus la substance et ses modifications Les cateacutegories existentielles qui relegravevent de la science de vision apollinienne sont lrsquoobjet strict de la meacutetaphysique consideacutereacutee comme ontologie4

Peu apregraves Robinet souligne la radicaliteacute de la formulation que Leibniz nous donne dans le texte que nous venons drsquoexaminer

Dans son sens strict le principe de raison suffisante porte sur lrsquointerrogation radicale de lrsquoexistentiel ouvrant de la meacutetaphysique vers lrsquoontologie de lrsquoimaginaire deacuterivatif vers le conceptuel primitif Crsquoest de ce double sens du principe de raison que deacutependent les reacutedactions de la Theacuteodiceacutee et de la Monadologie drsquoune part et celle des Principes de la nature et de

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la gracircce drsquoautre part Dans le premier cas la meacutetaphysique peacutenegravetre la physique des veacuteriteacutes neacutecessaires qui assument la connaissance exacte des forces deacuterivatives et les relient agrave leur source substantielle primitive Dans le second cas ce sont les substances primitives qui se mettent en position deacuterivative en se subordonnant agrave plus primitif que soi entraicircnant la distinction entre les substances simples deacuterivatives et la substance simple primitive (Dieu)5

2 La raison suffisante et le rien

Une fois poseacutee la question radicale Leibniz semble suggeacuterer une sorte de justification de ce qursquoil vient de dire ldquoCar le rien ndash dit-il ndash est plus simple et plus facile que quelque choserdquo6 La premiegravere remarque qursquoon peut faire crsquoest la substantivation du rien auparavant employeacute dans la formulation du principe de raison sur un mode impersonnel

A la diffeacuterence du latin les langues romanes peuvent se servir de lrsquoarticle deacuteterminant ldquolerdquo pour indiquer lrsquoabstrait lrsquoessence de la chose ici ldquole rienrdquo Or mecircme lorsque lrsquoon eacutecrit en latin on sent le besoin au dix-huitiegraveme siegravecle de recourir agrave lrsquoarticle neutre de la langue grecque τὸ placeacute avant le terme latin (par exemple τὸ nihil pour dire ldquole rienrdquo)

Leibniz eacutecrit ldquoplus simple et plus facile que quelque choserdquo Tout drsquoabord on peut penser au zeacutero le chiffre arabe qui permettait les calculs dans le systegraveme deacutecimal mais qui pouvait mecircme rendre possible un nouveau calcul afin drsquoexprimer avec le zeacutero et lrsquouniteacute tous les nombres drsquoune faccedilon semblable agrave ce qui se passe de nos jours avec les ordinateurs et la numeacuterisation eacutelectronique des donneacutees

La simpliciteacute et la faciliteacute du rien semble impliquer lrsquoabsence de toute deacutetermination de ce qui pourrait impliquer une question un interrogatif agrave propos de la circonstance ou du milieu qui environne ce que lrsquoexpeacuterience nous offre En ce sens le rien nrsquoexige aucune preacutecaution le zeacutero infiniment reacutepeacuteteacute reste toujours zeacutero En quelque faccedilon il srsquoagit ici de lrsquoimpossibiliteacute drsquoune reacutegression agrave lrsquoinfini qursquoon peut retrouver deacutejagrave dans la Meacutetaphysique drsquoAristote

Mais crsquoest chez Thomas drsquoAquin que le thegraveme du rien devient une question philosophique classique notamment agrave partir de la discussion de la troisiegraveme voie de la preuve de lrsquoexistence de Dieu elle-mecircme theacutematiseacutee agrave partir des commentateurs arabes drsquoAristote 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 5 Robinet 1986 p 322 6 Leibniz 1986 sect 7 p 45

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en particulier drsquoIbn Sina Avicenne inspireacute par le neacuteoplatonisme Nous connaissons tous le texte thomasien agrave diffeacuterence du texte leibnizien le point de deacutepart nrsquoest pas du tout la notion qui deacutetermine lrsquoaliquid ldquoPourquoi il en est ainsi et non pas autrementrdquo mais lrsquoexistence concregravete de ldquocertaines choses qui naissent et disparaissentrdquo7

De lagrave naicirct la question de savoir si la totaliteacute du reacuteel peut ou non ecirctre marqueacutee de la mecircme contingence ldquoSi donc tout peut ne pas exister agrave un moment donneacute rien na existeacute Or si ceacutetait vrai maintenant encore rien nexisteraitrdquo8 Sans nous attarder sur les consideacuterations ulteacuterieures qui conduisent agrave lrsquoaffirmation du ldquoNeacutecessaire par lui-mecircme qui ne tire pas dailleurs sa neacutecessiteacute mais qui est cause de la neacutecessiteacute que lon trouve hors de luirdquo9 nous pouvons souligner le rocircle syntheacutetique joueacute ici par lrsquohypothegravese drsquoun moment ougrave tout serait purement possible sans qursquoil y ait quelque chose de neacutecessaire en ce cas il serait comme si rien nrsquoavait jamais existeacute et comme si rien nrsquoexistait mecircme maintenant

La proposition ldquole rien est plus simple et plus facile que quelque choserdquo semble indiquer la raison qui fait surgir la question radicale ldquoPourquoi il y a plus tocirct quelque chose que rienrdquo Et cela nrsquoest possible que parce que lrsquoopposition de quelque chose au rien surgit de lrsquoimportance et de la consistance du quelque chose agrave la diffeacuterence du rien Notons qursquoagrave ce moment-lagrave il nrsquoest question que de lrsquoexistence en geacuteneacuteral fucirct-elle un pur possible puisque Leibniz preacutesente une simple supposition ldquo(hellip) supposeacute que des choses doivent exister il faut qursquoon puisse rendre raison POURQUOI ELLES

DOIVENT EXISTER AINSI et non autrementrdquo10 Crsquoest un passage central dans lrsquoeacutelaboration du paragraphe 7 des

Principes de la nature et de la gracircce dans la mesure ougrave Leibniz pose la question ontologique radicale Il meacutetamorphose une question physique ordinaire en grande question meacutetaphysique la grande question de la meacutetaphysique 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 713 ldquoParmi les choses nou en trouvons qui peuvent ecirctre et ne pas ecirctre la preuve crsquoest que certaines choses naissent et disparaissent et par conseacutequent ont la possibiliteacute drsquoexister ou de ne pas existerrdquo13 8 Thomas drsquoAquin S Theol I 2 3 co ldquoSi igitur omnia sunt possibilia non esse aliquando nihil fuit in rebus Sed si hoc est verum etiam nunc nihil essetrdquo 9 Ibidem ldquoErgo necesse est ponere aliquid quod sit per se necessarium non habens causam necessitatis aliunde sed quod est causa necessitatis aliisrdquo 10 Leibniz 1986 sect 7 p 45

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Nous quittons alors lrsquoordre geacuteneacuteral de la logique (ldquoRien nrsquoarrive sanshelliprdquo) pour aborder la dimension veacuteritablement onto-logique ldquoPour quoi il y a plus tocirct quelque chose que rienrdquo

Et ce nrsquoest que dans un nouveau moment argumentatif introduit par le ldquoDe plusrdquo que Leibniz formule la question proprement existentielle ldquosupposeacute que des choses doivent exister il faut qursquoon puisse rendre raison POURQUOI ELLES DOIVENT EXISTER AINSI et non autrementrdquo11

Le cercle vertueux du raisonnement leibnizien semble avoir gagneacute agrave ce moment un point fixe qui lui permettra de proceacuteder ensuite agrave lrsquoaffirmation de lrsquoEcirctre neacutecessaire Au commencement du paragraphe suivant il nrsquoy a plus la consideacuteration du pur possible mais celle de lrsquoexistence concregravete de cet univers ldquoOr cette Raison suffisante de lrsquoExistence de lrsquounivers ne se saurait trouver dans la suite des choses contingentesrdquo12 Ce nrsquoest qursquoagrave ce moment preacutecis que Leibniz retrouve la tradition Thomiste

Nous ne suivrons pas ce deacuteveloppement qui reprend beaucoup drsquoobservations qursquoon peut retrouver dans la Theacuteodiceacutee ou dans les Principes de philosophie ou Monadologie dont la reacutedaction semble suivre sinon accompagner celle des Principes de la Nature et de la gracircce Notre but est drsquoattirer lrsquoattention sur le deacutenouement du discours leibnizien qui pose dans notre texte la question ontologique radicale sur laquelle Heidegger attirera notre attention

Lrsquointerpreacutetation existentielle peut toutefois masquer la deacutemarche originelle du raisonnement leibnizien Certes il srsquoagit drsquoun passage essentiel pour deacutefinir la porteacutee de la question ontologique mais crsquoest le fait drsquoune relecture contemporaine comme le montrera une comparaison preacutecise du texte leibnizien avec Wolff et Kant

3 Le rien et le possible de Wolff agrave Kant

Nous connaissons la maniegravere avec laquelle Wolff reprend et essentialise le proceacutedeacute leibnizien dans la Meacutetaphysique allemande (1719) ou dans la Philosophia prima sive Ontologia (1730) La deacutemonstration du principe de raison suffisante trouve son appui sur la 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 11 Ibidem 12 Ibidem sect 8 pp 45-47

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steacuteriliteacute du rien ldquoNous appelons rien ce agrave quoi ne correspond aucune notionrdquo13 En srsquoappuyant sur le principe de contradiction Wolff observe que si nous disions quelque chose du rien nous ferions du rien quelque chose Voilagrave la raison par laquelle on ne peut rien dire du rien Autrement le rien nihil (non aliquid) serait quelque chose (aliquid preacuteciseacutement) Et Wolff conclut

Si lrsquoon affirme quelque chose on devra admettre en mecircme temps quelque chose (ldquoaliquidrdquo) en vertu de laquelle on puisse comprendre pourquoi elle serait14

Lrsquoessentialisation peut srsquoaccomplir dans la mesure ougrave lrsquoon reconnaicirct lrsquoopposition radicale entre lrsquoaliquid et le rien agrave ce niveau il nrsquoest pas encore question drsquoune existence concregravete Le principe de causaliteacute est posteacuterieur au principe de raison suffisante et concerne les choses contingentes parce que Dieu nrsquoa pas besoin de cause

Mais il est significatif que Wolff distingue le principe de raison suffisante du principe de raison deacuteterminante crsquoest-agrave-dire de la formulation du grand principe que nous retrouvons le plus souvent dans les textes leibniziens Dans la seconde section de la premiegravere partie de lrsquoOntologie nous retrouvons lrsquoopposition entre le possible et lrsquoimpossible qui vient drsquoecirctre eacutetablie par le principe de contradiction et seulement ensuite celle entre le deacutetermineacute et lrsquoindeacutetermineacute qui ne sont pas lrsquoun le contraire lrsquoun de lrsquoautre parce que lrsquoindeacutetermineacute peut toujours ecirctre deacutetermineacute apregraves coup

Cette distinction logique semble redoubleacutee dans lrsquoopposition entre lrsquoEns et le Non-Ens entre lrsquoaliquid et le rien Crsquoest agrave ce second niveau que srsquoeffectue la deacutemonstration du principe de raison suffisante Agrave la formulation neacutegative du ldquorien nrsquoest sans une raison suffisanterdquo succegravede une formulation positive qui srsquoappuie sur lrsquoadmission de quelque chose crsquoest-agrave-dire du fait positif de lrsquoaliquid principe directeur de la distinction wolffienne entre raison suffisante et raison deacuteterminante15

Si la version neacutegative pourrait conduire agrave conclure qursquoil nrsquoy a rien [ldquonihil estrdquo] la version affirmative doit assumer le quelque chose lrsquoaliquid et conclure qursquoil doit y avoir une raison dans les choses

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Ferdinando Luigi Marcolungo Le rien et la raison suffisante de Leibniz agrave Kant

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mecircme si nous ne pouvons pas toujours la connaicirctre drsquoune faccedilon exhaustive ldquoen ce cas ndash conclut Wolff ndash nous connaissons une veacuteriteacute sans pouvoir dire que nous lrsquoavons atteinte drsquoune faccedilon suffisanterdquo16 Le principe de raison deacuteterminante ainsi comme le principe de certitude par rapport au principe de contradiction passe de lrsquoaffirmation de lrsquoaliquid et traduit lrsquoopposition radicale entre lrsquoaliquid et le rien au niveau de lrsquoexpeacuterience en geacuteneacuterale

Nous pouvons retrouver le mecircme deacutecalage lorsque Kant rappelle lrsquousage du principe de raison suffisante dans lrsquoAppendice agrave la Dialectique transcendantale ougrave il joue le rocircle de principe reacutegulateur de nos connaissances scientifiques et dans la radicale opposition entre le rien et le possible qui vient drsquoecirctre formuleacutee auparavant dans Lrsquounique argument possible pour deacutemontrer lrsquoexistence de Dieu de 1763 Crsquoest dans ce texte que nous retrouvons des affirmations semblables au deacutenouement theacuteorique du paragraphe 7 des Principes de la nature et de la gracircce

Dans Lrsquounique argument (Beweis) Kant semble reprendre lrsquoargumentation leibnizienne lorsqursquoil commence par la distinction entre la possibiliteacute interne et la possibiliteacute externe

Si donc on abolit toute existence rien nrsquoest absolument poseacute rien en geacuteneacuteral nrsquoest donneacute aucun eacuteleacutement mateacuteriel ne peut srsquooffrir agrave la penseacutee et par conseacutequent toute possibiliteacute fait entiegraverement deacutefaut Je reconnais que dans la neacutegation de toute existence il nrsquoy a aucune contradiction17

Nous pouvons entendre dans ces mots lrsquoeacutecho du passage leibnizien ldquoLe rien est plus simple et plus facile que quelque choserdquo Or selon Kant la contradiction surgit lorsqursquoon admet quelque chose mecircme au niveau de la possibiliteacute interne Mais qursquoil y ait une possibiliteacute quelconque et que cependant il ny ait rien de reacuteel il y a lagrave contradiction En effet si rien nrsquoexiste rien non plus nrsquoest donneacute qui puisse ecirctre penseacute et lrsquoon se contredit soi-mecircme si on veut neacuteanmoins que quelque chose soit possible18

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Dans ces reacuteflexions nous pouvons retrouver une fois encore la formulation de la question fondamentale des Principes de la nature et de la gracircce Pour conclure je voudrais souligner que la structure de lrsquoargumentation reste toujours la mecircme que ce soit chez Leibniz ou chez Wolff et Kant il ne srsquoagit jamais de tenir compte de lrsquoexistence actuelle par opposition au rien mais toujours de poser celle du pur possible comme lrsquoindique lrsquoemploi du terme aliquid crsquoest-agrave-dire le quelque chose en geacuteneacuteral Crsquoest dans lrsquoopposition entre lrsquoaliquid et le rien que se fonde la radicaliteacute de lrsquointerrogation ldquopourquoi il y a plus tocirct quelque chose que rienrdquo ldquoCar ndashnous le reacutepeacutetons avec Leibnizndash le rien est plus simple et plus facile que quelque choserdquo

BIBLIOGRAPHIE Kant I Œuvres philosophiques eacuted publieacutee sous la direction de F Alquieacute I Des

premiers eacutecrits agrave la Critique de la raison pure Paris Gallimard 1980 Kant I Werke Akademie-Textausgabe [AA] Berlin De Gruyter 1902-1923 Leibniz G W Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison Principes de la

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introduction notes et index par J Eacutecole in Id Gesammelte Werke II 3 Hildesheim-Zuumlrich-New York Olms 1962

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MARTIN ŠKAacuteRA

LEIBNIZ ET HEIDEGGER PRINCIPE DE RAISON SUFFISANTE ET SATZ VOM GRUND

QUELQUES REMARQUES SUR LA DESTRUCTION HEIDEGGERIENNE

DU PRINCIPE DE RAISON (SUFFISANTE)

LE FONDEMENT (GRUND) DE 1929 ET LE SATZ VOM GRUND (1955-56)

Dans le preacutesent propos je me suis fixeacute comme objectif de faire une esquisse des deux diffeacuterentes approches que Martin Heidegger propose du principe de raison suffisante chez Leibniz Je ferai voir comment Heidegger traite la probleacutematique du principe de raison suffisante diffeacuteremment selon ces deux textes dont le premier a eacuteteacute publieacute sous le titre Die metaphysische Anfagsgruumlnde der Logik nach Leibniz de 1929 et le second notoirement connu sous le titre de Der Satz vom Grund de 1955 Principe de raison1 Plusieurs questions srsquoavegraverent ici neacutecessaires La toute premiegravere et une des plus difficiles concerne lrsquoeacutevolution du principe de raison suffisante (ci-apregraves PRS) chez Leibniz La pertinence de cette question pour identifier saisir analyser et deacutefinir le PRS se montre obligatoire2 Cependant cette tacircche ne peut ecirctre acheveacutee par le preacutesent article Pour cette raison toutes les occurrences de ce principium nobilissimum de Leibniz reacutefeacutereront agrave la peacuteriode qui suit 16863 Nrsquooublions pas que les premiegraveres formulations du PRS se trouvent dans les eacutecrits tels que Confessio Naturae contra Atheistas4 de 1668 ou Theoria motus abstracti5 de 1671 Ces sources constituent la gestation du principe pour enfin aboutir agrave sa forme mure et onto-logique (omne praedicatum in est subiecto) comme loi reacutegissant le domaine de la

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contingence La seconde question touche lrsquointerpreacutetation que donne Heidegger du PRS Pour suivre notre objectif il serait inutile de dresser un panorama de la penseacutee du ldquoberger de lrsquoEcirctrerdquo Toutefois puisqursquoil existe deux approches de la Seinsfrage il faut neacutecessairement prendre en consideacuteration que le premier texte de 1929 preacutecegravede le fameux ldquotournantrdquo (Kehre) tout en reposant sur la structure programmatique drsquoEcirctre et temps de 1927 Le deuxiegraveme est conccedilu dans lrsquointention de penser lrsquoEcirctre sans lrsquoeacutetant tacircche embleacutematique et eacutenigmatique de la penseacutee heideggerienne plus tardive Les textes se situent ainsi dans deux contextes theacuteoriques distincts drsquoavant et apregraves la Kehre Srsquoimposent tout de suite deux questions qui regardent lrsquoimportance de ces contextes Puisque la Seinsfrage de la premiegravere peacuteriode fait lrsquoobjet de la diffeacuterence ontologique entre lrsquoeacutetant et lrsquoecirctre sensuit-il que le PRS sera eacutegalement interpreacuteteacute agrave partir de cette distinction De maniegravere analogue la deuxiegraveme question consiste agrave se demander si dans la peacuteriode qui suit la Kehre Heidegger traite du PRS seulement au sens de lrsquoecirctre Il semble eacutevident que le texte de 1929 doit ecirctre compris comme une affirmation du ldquologiquerdquo (qui a lrsquoeacutetant pour objet) fondeacute sur la meacutetaphysique contrairement au texte de 1955 ougrave le ldquologiquerdquo ne joue plus aucun rocircle Apregraves la Kehre le concept drsquoeacutetant est abandonneacute et par le fait mecircme la logique de sorte qursquoil reste seulement la meacutetaphysique ou ce que Heidegger nomme la Penseacutee (das Denken) qui deacutepasse la meacutetaphysique elle-mecircme

A mon avis la question qui met en relation le ldquologiquerdquo et lrsquoldquoeacutetantrdquo rappelle de maniegravere plus exacte ce qui en principe inteacuteresse Leibniz sachant que les contextes approches et meacutethodes sont diffeacuterents chez les deux auteurs On doit cependant se demander pourquoi Heidegger srsquointeacuteresse-t-il agrave Leibniz En premier lieu Heidegger nous reacutevegravele dans lrsquoavantndashpropos de Qursquoest-ce que la Meacutetaphysique6 que la question leibnizienne exposeacutee dans ses Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison7 est la question la plus meacutetaphysique

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car la plus ldquofondamentalerdquo Selon Heidegger se poser la question ldquoPourquoi il y a quelque chose plutocirct que rien rdquo veut dire expresseacutement pourquoi il y a lrsquoeacutetant plutocirct que rien La question leibnizienne est fondamentale car elle est rattacheacutee au ldquofondrdquo Avant drsquoentamer lrsquoanalyse de ces deux approches je tiens pour essentiel de rappeler que le rapport entre Heidegger et Leibniz nous donne entre autres trois modegraveles de meacutetaphysique Plus preacuteciseacutement il srsquoagit de deux modegraveles de meacutetaphysique et drsquoun modegravele de penseacutee speacutecifique (das Denken) Le tout premier modegravele est bien celui de Leibniz interpreacuteteacute sous forme onto-theacuteo-logique Le deuxiegraveme modegravele de la meacutetaphysique est celui de jeune Heidegger lrsquoauteur de Sein und Zeit ougrave la Seinsfrage fait objet de la diffeacuterence ontologique entre lrsquoecirctre et lrsquoeacutetant Enfin le troisiegraveme modegravele qui nrsquoest plus meacutetaphysique car encore plus fondamental est le modegravele de penseacutee speacutecifique qui se fixe pour tacircche de penser lrsquoEcirctre sans lrsquoeacutetant Il est inteacuteressant de signaler qursquoen suivant lrsquoeacutevolution de ces modegraveles on srsquoapercevra qursquoil a y une certaine reacuteduction drsquoentiteacutes Dans le tout premier cas la meacutetaphysique sous forme drsquoonto-theacuteo-logie comprend Dieu lrsquoecirctre et lrsquoeacutetant Autrement dit le PRS sans Dieu perdrait son sens leibnizien Dans le deuxiegraveme modegravele le PRS (sans lrsquoideacutee de Dieu) est abordeacute par lrsquointermeacutediaire drsquoune ldquoradicalisationrdquo (en cherchant la ldquoracinerdquo du ratio son radix) Ecirctre plus radical veut dire pour Heidegger ecirctre plus pregraves de lrsquoorigine approche qui est caracteacuteristique du mode de penseacutee speacutecifique heideggeacuterien des œuvres de la maturiteacute Die metaphysische Anfangsgruumlnde der Logik nach Leibniz (1929) lrsquoanalyse de la theacuteorie des jugements en vue de preacuteparer le chemin vers les fonds meacutetaphysiques de la logique

Le titre mecircme de ce texte nous fait voir une ressemblance quant agrave la relation fondamentale de la logique et de la meacutetaphysique chez Leibniz A vrai dire la probleacutematique ldquode la logiquerdquo ou ldquodu logiquerdquo reste neacutegligeacutee Les nombreux exeacutegegravetes nrsquoont pas coutume de prendre en consideacuteration ce sujet pratiquement meacuteconnu chez Heidegger Pourtant selon JeanndashFranccedilois Courtine la porteacutee de la question Was ist das die Logik est capitale car cette mecircme question que le jeune philosophe se pose assez souvent permet

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ldquohellipde faire ressortir le fil conducteur de lrsquoœuvre de Heideggerhelliprdquo8 En tout premier lieu la fameuse Seinsfrage est bien eacutevidemment dans lrsquooptique du jeune philosophe la question du ldquosensrdquo Et le ldquosensrdquo ne peut ecirctre saisi qursquoagrave travers la logique9 Que veut donc dire la logique Was ist das die Logik Nous nous retrouvons devant une autre question la question de lrsquoessence de la logique Il est agrave noter que pour Heidegger lrsquoun des premiers sinon le premier contact de recherche sur la logique est la dissertation de Franz Brentano Von der Manigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles de 1862 qui aborde le philosophe et qui est parmi les premiers textes qui traceront ldquole chemin de sa penseacuteerdquo Heidegger reacutedige en 1912 un court traiteacute intituleacute Neuere Forchungen uumlber Logik10 Cependant ce texte nous ne donne pas la reacuteponse relative agrave lrsquoessence de la logique Il faut attendre le cours du semestre drsquohiver agrave lrsquoUniversiteacute de Marbourg de 1925ndash26 durant lequel Heidegger srsquoexplique de nouveau sur la question de la logique Le cours constitue le tome vingt et un de la Gesamtausgabe Logik Die Frage nach der Wahrheit11 Le jeune philosophe adopte deacutejagrave dans cette peacuteriode de sa penseacutee la meacutethode de la destruction Or cette meacutethode appliqueacutee agrave la question de la logique devient la destruction critique et historique de la logique Appliquer la meacutethode de la destruction nrsquoest pas du tout deacutetruire La destruction veut dire ici remonter aux sources depuis lesquelles la logique prend ses racines Crsquoest apregraves avoir identifieacute ces sources que lrsquoon sera agrave mecircme de voir ce que crsquoest que lrsquoessence de la logique Il faut donc remonter au λόγος agrave lrsquoἐπιστήmicroη λογική qui est la ldquoWissenschaft vom Redenrdquo12 Et cette parole en tant que λόγος dont la logique est la science a pour fonction premiegravere de ldquomettre quelque chose en eacutevidencerdquo La parole en tant que λόγος a pour but de Offenbarmachen13 Crsquoest tout agrave fait la fonction que remplit le λόγος ἀποφαντικός drsquoAristote Offenbarmachen chez Heidegger veut dire la mecircme chose qursquoἀποφαίνεθαι chez les Grecs et plus particuliegraverement Aristote Cela constitue lessence de la logique chez le jeune Heidegger Bien plus mettre quelque chose en eacutevidence le rendre

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eacutevident veut dire deacute-couvrir Et cette deacutecouverte est exactement lrsquoἀλήθεια des Grecs Finalement la logique ainsi conccedilue est la science de la parole qui a pour fonction de rendre quelque chose eacutevident crsquoest-agrave-dire de le rendre deacute-couvert donc veacuteritable La logique devient ainsi la ldquomeacutetaphysique de la veacuteriteacuterdquo

1 Exposition

Le cours sur la logique comprend trois sections dont la premiegravere est une introduction qui met lrsquoaccent sur lrsquoidentification de la logique dans la penseacutee philosophique et lequel indique quatre principes de base de la penseacutee (Grundegesaumltze des Denkens) ldquodas principium identitatis das principium contradictionis das principium exclus tertii und das princpium rationis sufficientisrdquo14 Crsquoest donc la premiegravere identification du PRS qui se trouve parmi les quatre principes de la penseacutee humaine Ce qui inteacuteresse Heidegger ce ne sont pas les enjeux eacutepisteacutemologiques de ces quatre principes (Grund ndash Saumltze) La fonction ou le rocircle voire lrsquoldquoessencerdquo de ces principes donc de ces Grund ndash Saumltze est qursquoils sont les fondements (Gruumlnde) non seulement de la compreacutehension (Verstehen) mais eacutegalement de lrsquoexistence de la compreacutehension de lrsquoecirctre Seinsverstaumlndnis) du Dasein et de la transcendance originaire (Urtranszendenz)15 Exprimeacute en termes kantiens ils sont les conditions de possibiliteacute des domaines susmentionneacutes Drsquoailleurs pour le philosophe de Maumlsskirch ldquoecirctre gouverneacuterdquo par de telles lois preacutesuppose la liberteacute qui sert de base agrave leur propre possibiliteacute16 Heidegger conclut donc que ldquole problegraveme fondamental de la logique la gouvernance de loi de la Penseacutee apparaicirct elle-mecircme ecirctre le problegraveme de lrsquoexistence humaine dans ses fondements le problegraveme de la liberteacuterdquo17 Une telle approche permet de postuler dans le contexte ougrave sont eacutelaboreacutees les notions de ldquoveacuteriteacuterdquo ldquonotionrdquo ldquoleacutegaliteacuterdquo et ldquoliberteacuterdquo qursquoil srsquoagit de chercher ici les

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fondements meacutetaphysiques de la logique donc de chercher les soi-disant initia logicae18

2 Chemins vers Leibniz agrave travers la destruction de la theacuteorie leibnizienne du

jugement conduisant aux problegravemes de la meacutetaphysique

Lrsquoapproche de Heidegger agrave lrsquoeacutegard des fondements meacutetaphysiques de la logique repose sur la destruction de la theacuteorie leibnizienne du jugement de maniegravere agrave aboutir aux problegravemes de la meacutetaphysique sujet programmatique du traiteacute Cette destruction touche sept principaux domaines 1) la theacuteorie de lrsquoinclusion 2) la distinction des veacuteriteacutes de faits et des veacuteriteacutes de raison 3) la theacuteorie des principes leibniziens (principe didentiteacute principe de contradiction et principe de raison suffisante) 4) lrsquoideacutee de connaissance ndash intuitus 5) lrsquoanalyse de la monade 6) les notions de base de lrsquoecirctre telles que essentia et connatus existentiaelig et finalement 7) la theacuteorie du jugement et la notion de lrsquoecirctre En regardant ces domaines de plus pregraves on saperccediloit que dans les trois premiers nous retrouvons lrsquointeacutegraliteacute de tout ce qui appartient agrave la probleacutematique du PRS la regravegle de lrsquoinndashesse les ldquoveacuteriteacutes de faitsrdquo et enfin le principe de raison suffisante Agrave la suite de ces analyses Heidegger conclut que la tacircche de la logique est de ldquo clarifier lrsquoessence de la veacuteriteacuterdquo19 Cependant une condition est agrave mettre en place La tacircche de la logique ainsi deacutefinie ne peut plus ecirctre reacutealiseacutee agrave partir de la logique elle-mecircme car lrsquoessence de la veacuteriteacute strictement parlant ne peut ecirctre traiteacutee qursquoen tant que sujet de la meacutetaphysique La logique doit donc renoncer agrave son nom pour enfin ecirctre baptiseacutee ldquomeacutetaphysique de la veacuteriteacuterdquo20 (Metaphysik der Wahrheit) Malgreacute lrsquoanalyse deacutetailleacutee des preacuteceacutedents domaines dans lesquels Heidegger traite des intentions et inteacuterecircts de Leibniz il est indispensable de speacutecifier la diffeacuterence entre les approches des deux philosophes Le premier Leibniz traite le PRS en tant que sujet ontondashtheacuteondashlogique tandis que le second Heidegger le traite en tant qursquoontondashlogique De plus il est agrave noter que la logique dans cette perspective ontondashlogique se transforme en une meacutetaphysique de la

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veacuteriteacute puisque sa tacircche consiste agrave rechercher lrsquoessence de la veacuteriteacute ce qui semble absorber lrsquoonto (lrsquoldquoontiquerdquo) ldquodansrdquo cette ontologie heideggeacuterienne En insistant sur cette diffeacuterence on pourrait preacutesumer que lrsquointerpreacutetation heideggeacuterienne de la meacutetaphysique de Leibniz est sans Dieu alors que la meacutetaphysique leibnizienne a essentiellement Dieu comme objet Comme il nrsquoy a pas Dieu le principe de raison perd son sens dorigine pour ecirctre remplaceacute par un concept totalement diffeacuterent et deacuteguiseacute

3 Conflit

Les propos du prophegravete de lrsquoEcirctre paraissent ecirctre clairs en ce que Leibniz nous renseignerait sur le PRS (avec certaines reacuteserves bien sucircr) jusqursquoau moment ougrave Heidegger eacutenonce lrsquoeacutequivociteacute obscure du PRS Pour lui ldquo cette partie centrale de la doctrine logique et meacutetaphysique leibniziennes est la plus obscurerdquo21 Le PRS prima facie donne effectivement lrsquoimpression drsquoecirctre clair et obscur Il est clair par son eacutenonciation nihil est sine ratione Mais il est obscur par la place qursquoil occuperait dans la meacutetaphysique Un plongeur de Deacutelos serait ici plus ou moins souhaitable Ce qui est plus que surprenant crsquoest lrsquoessence relationnelle du PRS que Heidegger relegraveve par les points suivants 1) Que le rapport du PRS au principe de contradiction nrsquoest pas suffisamment expliqueacute 2) Comment eacutevaluer le fondement du PRS 3) Quelle est son lien avec la monadologie qui est drsquoapregraves Heidegger complegravetement probleacutematique () 4) Quelle est la signification de ce principium et en quoi consiste son caractegravere principiel Enfin 5) Comment relier PRS agrave la doctrine logique et agrave la veacuteriteacute Faut-shy‐il plutocirct chercher son enracinement ailleurs En somme la relation du PRS agrave la veacuteriteacute devrait ecirctre abordeacutee en tant que principe meacutetaphysique

Puisque les reproches mentionneacutes par Heidegger ne peuvent pas rester sans reacuteponses jrsquoessaierai drsquoen eacutebaucher une pour chaque question On constate drsquoabord que la premiegravere question nrsquoest pas formuleacutee de maniegravere correcte Je suis persuadeacute que le rapport des deux principes ne peut pas ecirctre formuleacute de faccedilon isoleacutee crsquoestagrave-dire

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sans prendre en consideacuteration la classification de jugements Le rapport du principium contradictionis et le principium rationis suficientis est lieacute agrave la distinction entre propositions neacutecessaires et propositions contingentes consideacuterant que le principe de lrsquoin-shy‐esse et le problegraveme drsquoanalyse de preacutedicats permettent drsquoarticuler les deux sortes de propositions Drsquoailleurs on y retrouve agrave lrsquoeacutevidence la diffeacuterence entre la neacutecessiteacute et la contingence Heidegger speacutecifie plus ou moins ce rapport en preacutecisant que le principe de raison est un principe de nature potius quam autrement dit le principe du meilleur22 La deuxiegraveme question relative au fondement du PRS a deacutejagrave reccedilu une reacuteponse par lrsquoindication que le ldquopotius quamrdquo du principe sans que Heidegger ne preacutecise que le PRS permet ainsi de speacutecifier pourquoi lrsquoexistence dun eacutetant quelconque est tel ou tel et non pas autrement Ici il ne faut surtout pas oublier que le PRS prend ses racines dans le principe drsquoinesse23 Le lien dit probleacutematique du PRS avec la doctrine monadologique est difficile agrave reacutesoudre car lrsquoon ne sait pas exactement ce que Heidegger considegravere comme eacutetant la monadologie Si lrsquoon considegravere que Heidegger deacutesigne par la meacutetaphysique leibnizienne de la peacuteriode du Discours et celle qui suit la reacuteponse ne paraicirctrait pas aussi difficile agrave trouver Toutefois force est drsquoadmettre que cette troisiegraveme question est floue puisque la notion de la monadologie nrsquoest pas expliciteacutee par Heidegger La quatriegraveme question srsquointerrogeant sur le caractegravere principiel et la signification du PRS est agrave mon avis typiquement heideggerienne Elle concerne la meacutethode heideggerienne drsquoanalyse des notions qui consiste agrave rechercher la seacutemantique eacutetymologique drsquoune notion donneacutee En ce qui a trait agrave la notion de principium il est neacutecessaire de remonter agrave la notion grecque drsquoἀρχὴ pour saisir sa signification originelle Donc cette question nrsquoa pratiquement rien agrave voir avec la deacutemarche de Leibniz La derniegravere question poseacutee est au contraire proprement leibnizienne Elle nous oriente vers ce qui est le plus transparent dans la penseacutee du philosophe de Hanovre Cependant y reacutepondre agrave partir du systegraveme leibnizien dans son entier apparaicirct incorrect voire insaisissable La plupart de ceux qui tentent des reacuteponses de ce type oublient de prendre en consideacuteration les

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analyses logiques Je pense encore une fois au principe drsquoinesse Dans ce contexte le principe drsquoinesse est preacutealable au PRS De cette maniegravere seulement serions-nous capables de comprendre comment il est possible de saisir le principe meacutetaphysique en tant que principe logique sachant qursquoil ne srsquoagit pas drsquoun seul et mecircme principe qui se preacutesenterait agrave la fois comme principe meacutetaphysique et comme principe logique

Pour comprendre la raison pour laquelle Heidegger pose ces cinq questions nous devons expliquer plus preacuteciseacutement lrsquoapproche qursquoil adopte dans son cours de logique Son interpreacutetation du PRS nrsquoest compreacutehensible qursquoen caracteacuterisant cette approche de radicale24 Il faudrait une approche plus radicale que celle de Leibniz pour parvenir agrave une ldquoveacuteritablerdquo interpreacutetation heideggerienne de Leibniz Tel qursquoindiqueacute preacuteceacutedemment la radicaliteacute consiste agrave srsquointerroger sur la racine (radix en latin) de la notion rechercheacutee Ecirctre plus radical veut dire uniquement ecirctre plus proche de lrsquoorigine comme srsquoil srsquoagissait drsquoun reproche adresseacute agrave Leibniz en disant que ce dernier nrsquoa pas suivi la bonne meacutethode (crsquoest-agrave-dire celle de Heidegger) Crsquoest bien le cas de la notion de ratio Ratio pour Heidegger veut dire lrsquoἀρχὴ des Grecs que ce dernier traduit par la notion allemande de ldquoGrundrdquo Crsquoest ici que Heidegger oriente son cheminement lequel megravenera au cours de 1955ndash56 Satz vom Grund Toutefois plus lrsquoapproche de Heidegger est originaire plus elle srsquoeacuteloigne de Leibniz ce qui importe peu drsquoapregraves lui Heidegger se sert constamment des doctrines et concepts de ses preacutedeacutecesseurs pour pouvoir mieux affirmer (ou reacuteaffirmer) ses propres ideacutees

Satz vom Grund (1955ndash56)

La question du sens de lrsquoEcirctre apregraves le ldquotournantrdquo nrsquoest plus abordeacutee agrave partir de lrsquoideacutee drsquoune ontologie fondamentale drsquoune analytique du Dasein et de la temporaliteacute Un autre chemin apparaicirct Il srsquoagit maintenant de forger une καταβάσις agrave partir de la question de la veacuteriteacute de lrsquoEcirctre et de lrsquoldquoeacuteclaircierdquo de lrsquoEcirctre repreacutesentant ainsi le chemin de lrsquoapprofondissement se dirigeant vers le fond Le proceacutedeacute de

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lrsquoexplication de lrsquoEcirctre commence agrave se deacuteployer dans sa profondeur Et au fond de cette profondeur gicirct ce qursquoon appelle le Grund Crsquoest bien cette notion qui permet drsquoapprofondir la question de lrsquoEcirctre comme question de la veacuteriteacute de lrsquoEcirctre ou de lrsquoldquoeacuteclaircierdquo de lrsquoEcirctre Hans Georg Gadamer reacutevegravele cette perspective de maniegravere suivante

Sa question nrsquoest pas celle de la meacutetaphysique qui porte sur lrsquoeacutetant suprecircme (Dieu) ou sur lrsquoecirctre de lrsquoeacutetant Elle srsquointerroge plutocirct sur ce qui ouvre tout drsquoabord le domaine drsquoune telle question et qui constitue lrsquoespace au sein duquel se meut le questionnement de la meacutetaphysique25

Et cette penseacutee meacutetaphysique se transforme en une forme de rappel de souvenir et de reacuteminiscence de lrsquoEcirctre en somme elle se transforme en ce que son auteur lui-mecircme appelle lrsquoAndenken ou bien la penseacutee repreacutesentative ndash menschliche Vorstellen la re-preacutesentation humaine La Seinsfrage avant le tournant a pu ecirctre abordeacutee gracircce au meacutecanisme du λόγος ἀποφαντικός tandis que la Seinsfrage apregraves le tournant est abordeacutee par lrsquointermeacutediaire dun meacutecanisme complegravetement diffeacuterent celui du Grund Et pour Heidegger le chemin vers le Grund megravene eacutegalement agrave une nouvelle interpreacutetation du PRS

Les cours sur le Satz vom Grund des anneacutees 1955ndash56 sont constitueacutes de treize confeacuterences qui preacuteparent cette remonteacutee cette καταβάσις vers le fond donc vers le Grund Tout simplement parce que fonder quelque chose en raison crsquoest lrsquoapprofondir Pour Heidegger crsquoest bien le principe de raison qui nous permet drsquoaborder notre problegraveme Cependant la philosophie ne voit lrsquoeacutemergence de ce principe qursquoau XVIIe siegravecle chez Leibniz Cette longue peacuteriode depuis la naissance de la philosophie en Gregravece jusqursquoagrave la philosophie moderne qui traite finalement du PRS Heidegger lrsquoappelle la ldquodureacutee drsquoincubationrdquo La premiegravere analyse du PRS dans cette contribution consiste agrave accentuer la forme neacutegative du principe dans sa formulation latine nihil est sine ratione agrave la place de omne ens habet rationem Lrsquoidentification de la forme neacutegative est ici identique agrave lrsquoinsistance de Leibniz sur le rien des Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison que Heidegger examine dans Qursquoest-ce que la meacutetaphysique de 1949 Le proceacutedeacute meacutethodologique est plus que parlant dans les deux cas Pour Leibniz toutefois les deux cas 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 25 Gadamer 2001 pp 36ndash37

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(neacutegatif et positif) reviennent au mecircme Le ldquoquelque chose (eacutetant)rdquodes Principes est reacutegi par le PRS (ougrave la raison peut ecirctre interpreacuteteacutee eacutegalement comme lrsquoeacutetat actuel de chose) Alors que pour Heidegger les deux cas servent agrave la reacuteaffirmation de la question de lrsquoEcirctre penseacute sans lrsquoeacutetant Ce dernier attire notre attention sur la double neacutegation repreacutesenteacutee par le nihil et par sine26 Cette obscuriteacute de la double neacutegation le conduit vers la question de lrsquoessence du PRS Srsquointerroger sur lrsquoessence du PRS crsquoest srsquointerroger sur ce qursquoil est ldquoDer Satz vom Grund ist ein Grundsatzrdquo27 Voici la reacuteponse qui nrsquoest pas deacutefinitive car une preacutecision est immeacutediatement mise en œuvre ldquoDer Satz vom Grund ist der Grundsatz aller Grundsaumltzerdquo28 La syntaxe allemande permet agrave Heidegger de formuler cette deacutefinition de maniegravere approprieacutee (en tout cas agrave lui-mecircme) La traduction franccedilaise donne ceci ldquoLe principe de raison est le principe de tous les principesrdquo29 Une observation relative agrave un proceacutedeacute speacutecifique dans lrsquoeacutecriture heideggerienne srsquoavegravere ici neacutecessaire Matteacutei estime que le chiasme est un proceacutedeacute drsquoexpression propre agrave Heidegger Le cas concret du chiasme identifieacute dans la proposition ci-dessus agrave savoir ndash Der Satz vom Grund ist ein Grundsatz Matteacutei lrsquoappelle ldquoarticulation cruciale syntaxique de la propositionrdquo30 Si lrsquoon considegravere que la deacutefinition de la Satz vom Grund est la preacuteceacutedente (Der Satz vom Grund ist der Gurndsatz aller Gurndsaumltze) il nous sera permis drsquoaffirmer que le PRS est le fondement de tous les principes sans qursquoil soit neacutecessaire de le deacutemontrer et de lrsquoeacutenoncer de maniegravere axiomatique Ainsi ce principe fonde selon cette formulation le principe drsquoidentiteacute ce qui est absurde du point de vue logique mais pertinent du point de vue heideggerien Agrave vrai dire une telle ideacutee nous est proposeacutee quelques lignes plus loin ldquoLe principe drsquoidentiteacute pourrait donc ecirctre fondeacute sur le principe de raison suffisanterdquo31 Posons donc les deux cas drsquointerpreacutetation de la compreacutehension heideggeacuterienne du principe de raison Primo en recherchant lrsquoessence du PRS Heidegger la trouve dans le terme Grundsatz pour lrsquoidentifier avec le principe de principes Secundo le PRS ainsi deacutefini

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(en employant le Grundsatz comme le ldquodeacutefinissantrdquo) il est pertinent pour Heidegger de le deacuteclarer comme principe qui fonde mecircme le principe drsquoidentiteacute et ce dernier appartienne donc agrave lrsquoensemble des principes Cependant la deacutenomination du PRS chez Leibniz comme principium nobilissimum ne signifie pas qursquoil srsquoagisse du principe des principes Chez Leibniz le premier des principes crsquoest bien le principe drsquoidentiteacute Les deux cas de figure du PRS chez Heidegger mis en relation avec la theacuteorie de Leibniz sont donc contradictoires Le bon sens perd ici toute sa puissance au profit drsquoune finaliteacute drsquointerpreacutetation subjective Parle-t-on encore du PRS Ou bien subit-il une transformation une transmutation non seulement langagiegravere mais eacutegalement seacutemantique fonctionnelle et systeacutemique Agrave mon avis ce qui inteacuteresse Heidegger ce nrsquoest plus le PRS drsquoorigine mais son expression allemande ancreacutee par le terme de Grund lui-mecircme selon la traduction heideggerienne du terme latin de ratio Ainsi le PRS se change en un principe complegravetement diffeacuterent agrave savoir en un Satz vom Grund En se servant du Grundsatz comme eacuteleacutement de deacutefinition on deacutenote alors soit un principe soit une proposition sur le fondement Et crsquoest bien ce dernier sens que Heidegger adopte et retient jusqursquoagrave la fin de son cours afin drsquoidentifier le fondement le Grund agrave la profondeur abyssale de lrsquoEcirctre Il est possible de retracer le PRS 1) La premiegravere des deux interpreacutetations ne partira plus de la deacutenomination allemande du PRS comme Satz vom Grund Heidegger lrsquoaura trouveacutee dans un court traiteacute de Leibniz intituleacute Specimen inventorum de admirandis naturae Generalis arcanis dateacute de 1688 ldquoDans un traiteacute (Specimen inventorumhellip) Leibniz eacutecrit ldquoDuo sunt prima principia omnium ratiocinationum Principium nempe contradictionishellipet principium reddendae rationisrdquo32 Heidegger ne cite cependant pas la proposition inteacutegrale de Leibniz qui est la suivante

Itaque duo sunt principia prima omnium ratiocinatioum Principium nempe contradictionis quod scilicet omnis propositio identica vera et contradictoria ejus falsa est et principium reddendae rationis quod scilicet omnis propositio vera quae per se nota non est probationem recipit a priori sive quod omnis veritatis reddi ratio potest vel ut vulgo ajunt quod nihil fit sine causa33

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Les reacuteflexions de Heidegger seront donc focaliseacutees sur le reddendum Rendre raison pour Heidegger veut dire principalement fonder (Begruumlnden) Fonder crsquoest un proceacutedeacute qui aboutit agrave lrsquoessence Le raisonnement crsquoest la re-preacutesentation (Vorstellen) de lrsquoob-jet (Gegen-stand) Du point de vue du sujet repreacutesentant lrsquoessence de lrsquoobjet est bien son objectiviteacute Fonder en raison (Begruumlndung) crsquoest saisir un objet dans son objectiviteacute et le repreacutesenter dans le proceacutedeacute de la repreacutesentation humaine Autrement dit saisir lrsquoobjet (ce qui gicirct devant ndash Gegenstand) veut dire le saisir dans son objectiviteacute Le reddendum du ratio devient ainsi lrsquoobjectiviteacute (Grund) de lrsquoobjet Lrsquoessence de lrsquoobjet (das Wesen) son objectiviteacute constitue sa nature Pour accentuer cette interpreacutetation de la fonction du reddendum en passant par la ratio et en disant finalement que la ratio (Grund) est lrsquoobjectiviteacute de lrsquoobjet donc sa nature Heidegger aura indiqueacute la premiegravere des 24 thegraveses meacutetaphysiques de Leibniz ldquoRatio est in Natura cur aliquid potuis existat quam nihilrdquo34

2) La deuxiegraveme maniegravere drsquointerpreacuteter le PRS ne srsquoeffectue pas dans le cadre de la deacutenomination du PRS comme principium reddendae rationis mais deacutejagrave au sein de son eacutenonciation ldquoNihil est sine rationerdquo Ce que Heidegger propose ici nrsquoest pas un simple jeu de mots un exercice de style Lrsquoeacutenonciation cacheacutee doit ecirctre deacutevoileacutee Posons-nous drsquoabord une question de premiegravere importance A quoi donc sert-il de reacutealiser un tel deacutetournement de sens Que produira-t-il De toute maniegravere elle ne srsquoavegravere neacutecessaire que lorsqursquoon affirme que cette proposition (agrave savoir le nihil est sine ratione) contient en elle-mecircme ce que lrsquoon nrsquoest pas en mesure de deacutevoiler par la forme qursquoelle revecirct Car ldquoEntendu comme il lrsquoest drsquoordinaire le principe de raison nrsquoeacutenonce rien sur la raison mais sur lrsquoeacutetant comme telrdquo35 Force est de constater que cette premiegravere constatation propheacutetique est obscure Le principe de raison nrsquoest pourtant pas un principe auto-reacutefeacuterent Il nous dit tout simplement que rien nrsquoest sans raison Pour Heidegger le principe ne dit rien de plus Rien de plus puisque lrsquoldquoeacutetantrdquo qursquoeacutenonce ce principe sous cette forme nrsquoest drsquoaucun inteacuterecirct Heidegger ne srsquointeacuteresse drsquoailleurs pas agrave lrsquoeacutetant dont nous parle ce principe Crsquoest bien la raison sur laquelle il aura fixeacute son interpreacutetation Afin de pouvoir ldquolirerdquo dans la ldquoraisonrdquo un 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 34 Heidegger 1997 GA 10 p 40 Cf GP VII p 289 35 Heidegger 2008 p 118

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message cacheacute il est indispensable de mettre lrsquoaccent sur certains de ses eacuteleacutements drsquoeacutenonciation Et cette accentuation Heidegger la considegravere comme deacuteterminante36 pour la compreacutehension du principe Il srsquoagit drsquoun cas de figure dans lequel on met lrsquoaccent sur une paire de notions agrave partir de laquelle la proposition nihil est sine ratione est formeacutee agrave savoir ldquoESTrdquo et ldquoRATIONErdquo La forme graphique une fois lrsquoemphase souligneacute est donc la suivante Nihil est sine ratione37 Que srsquoest-il donc passeacute Que change cette accentuation Quelle est sa porteacutee Ces trois questions sont drsquoimportance capitale pour Heidegger mais nullement pour Leibniz Ici on est loin des preacutemisses des intentions de la fonction de lrsquoorigine du principium nobilissimum chez Leibniz On se trouve plutocirct sur un territoire qui ressemble de plus en plus agrave un oracle (peut-ecirctre celui de Delphes dont le maicirctre ne dit rien ne cache rien mais donne une signification) La parenteacute des deux constituants sur lesquels Heidegger met lrsquoaccent dans la proposition nihil est sine ratione est ce qui doit nous frapper agrave premiegravere vue Que signifie cette tournure propheacutetique Elle renvoie au caractegravere fondateur de la ratio vis-agrave-vis de lrsquoeacutetant Cependant une telle interpreacutetation deacutepend strictement de la compreacutehension de la ratio Pour Heidegger crsquoest plus quune raison (Vernunft) mais bien une ldquoraison du fondementrdquo en somme ce qui exprime le mieux le mot allemand de Grund La puissance fondatrice du Grund crsquoest cette meacutetaphore par laquelle le principe de raison doit se comprendre selon la deuxiegraveme maniegravere de lrsquointerpreacuteter Le ratio devenu Grund na de puissance fondatrice par rapport agrave lrsquoeacutetant en geacuteneacuteral que lorsqursquoil est conccedilu comme Seyn Les diffeacuterentes figures que le ratio revecirct dans lrsquohistoire de lrsquoEcirctre ce sont notamment lrsquoἰδέα de Platon et le λόγος drsquoHeacuteraclite

Notre questionnement doit toutefois srsquoarrecircter ici Le PRS ayant subi les deux transformations sous forme de deux interpreacutetations on constate qursquoil est complegravetement deacutepourvu de sa fonction et de sa puissance drsquoorigine Le PRS ainsi deacuteconstruit na servi au prophegravete de Maumlsskirch qursquoagrave la reacuteaffirmation de la pertinence de la penseacutee de lrsquoEcirctre sans lrsquoeacutetant Une telle interpreacutetation forceacutee nrsquoest pas unique chez Heidegger qui agrave la suite de la Kehre marche sur les chemins de bois qui aboutissent agrave lrsquoobscuriteacute du Seyn qui se traduit chez 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 36 Ibidem p 122 37 Ibidem

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Heacuteraclite par κρύπτεσθαι φίλει Die Wege nicht die Werke Les chemins et non les œuvres Voici la devise primordiale de la penseacutee tardive du philosophe Mais ces chemins obscurs ne sont paveacutes ni de principes ni du respect pour lrsquoorigine des concepts examineacutes Agrave mon avis ces chemins partent de Heidegger mais lui reviennent uniquement

BIBLIOGRAPHIE Brentano F Von der Manigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles

Freiburg im Breisgau Herder Verlag 1862 Courtine J-F Les recherches logiques de Martin Heidegger in J-F Courtine

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philosophische Schriften 4 Hrsg von C I Gerhardt Hildesheim Georg Olms Verlag 1978

Leibniz G W Theoria motus abstracti in G W Leibniz Die philosophische Schriften 4 Hrsg von C I Gerhardt Hildesheim Georg Olms Verlag 1978

Leibniz G W Principes de la Nature et de la Grace fondeacutes en raison in G W Leibniz Die philosophische Schriften 6 Hrsg von C I Gerhardt Hildesheim Georg Olms Verlag 1978

Leibniz G W Specimen inventorum de admirandis naturae Generalis arcanis in G W Leibniz Die philosophische Schriften Bd 7 ed Gerhardt Hildesheim Georg Olms Verlag 1978

Matteacutei J-F Le chiasme heideggeacuterien in D Janicaud J-F Matteacutei (eds) La meacutetaphysique agrave la limite Paris PUF 1983

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SECTION 3

LE STATUT DES EacuteSPRITS ET LrsquoORDRE DE LA GRAcircCE

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STEFANO DI BELLA

NATURALIZING GRACE LEIBNIZrsquoS RESHAPING OF THE TWO KINGDOMS OF NATURE

AND GRACE BETWEEN MALEBRANCHE AND KANT

1 Introduction

The heading of Leibnizrsquos Principles of Nature and Grace Based on Reason (from now on PNG) presents a conceptual dichotomy ndash that of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo ndash lying at the very heart of the religious and intellectual struggles of the seventeenth century At the turn of the new century however when the PNG are written (1714) the big theological controversies begin to fade away in the European culture while many theological concepts take the way of secularization Romano Guardini indicated as a peculiar trait of the modern age the transvaluation of what was originally Christian ndash ie the gift both supernatural and historical of a certain religious experience ndash into a structural feature of the universal human nature something able to be detected in principle by the pure light of natural reason1 From this point of view the development of the meaning of ldquogracerdquo in Leibnizrsquos late writings could well assume a paradigmatic value

Speaking about the ldquoprinciplesrdquo of nature and grace however as if they were two complemetary ldquosystemsrdquo is not a Leibnizian invention but reminds us of a close antecedent Malebranchersquos Treatise on Nature and Grace Hence it is worth taking our first step from this work of thirty years before

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1 The Malebranchian Model

11 General Laws A Common Pattern for both Nature and Grace

Malebranchersquos Traiteacute de la nature et de la gracircce2 presents a rationalistically-minded theodicy majestic as much as disconcerting which provoked Antoine Arnauldrsquos harsh reaction thus triggering an epoch-making controversy between the two post-Cartesian thinkers

What is most peculiar of Malebranche is his parallel treatment of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo as two lawlike systems God ndash the only true causal agent in both fields ndash acts in them according to different sets of laws Though being different however these rules present a fundamental homogeneity in their formal structure

Since it is the same God who is the author of the order of grace and of that of nature it is necessary that these two orders be in agreement with respect to everything that they contain which marks the wisdom and the power of their author Thus since God is a general cause whose wisdom has no limits it is necessary for the reasons which I stated before that in the order of grace as well as in that of nature he acts as a general cause and that having as his end his glory in the construction of his Church he establish the simplest and the most general laws which have by their effect the greatest amount of wisdom and fruitfulness3

The fundamental character of generality belonging to the laws ndash a property that can be further specified in terms of universality constancy simplicity ndash is for Malebranche a capital mark of value and the key of his solution of the theodicean problems God does never act on the ground of any particular wills because His wisdom obliges Him to conform to general rules But then all particular unwelcomed effects should be seen as the unavoidable by-products of the unfolding of the causal chains according to those general laws

Now this type of explanationjustification is applied by Malebranche not only to the evils caused by the course of nature (monsters accidents natural disasters) but is also extended to the arduous and intensively disputed questions raised by the distribution of divine graces

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12 The Domains of Grace

But what are exactly for Malebranche the domains of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo respectively ldquoNaturerdquo is far from being identified solely with the physical world The laws of nature indeed should be further specified in three sets of rules governing respectively (a) the (mechanical) interactions among bodies (b) the series of thoughts and feelings in our souls (c) the reciprocal (indirect) determination between events belonging to (a) and (b)

The world of ldquoGracerdquo instead is ndash according to the traditional theological sense ndash the field of Godrsquos super-natural actions which are the proper source of human salvation more precisely graces in the proper and strict sense are ldquograces of feelingrdquo that is to say divine modifications of our feelings (sentiments) Traditionally this was the field of Godrsquos totally free particular acts of will over and above any ldquolawrdquo by which God Himself could have somehow vinculated His power and will accordig to the ordinary course of nature Malebranchersquos audacious idea was instead as I anticipated to apply the same causal-nomological model even to the distribution of graces

In the natural world as is well known the movements of bodies and the modifications and volitions of minds play the role of occasional causes for the exercise of (divine) real casuality according to its general laws In the distribution of graces no such natural event can play this role The source of the particular specifications in the distribution of the divine grace ndash hence what plays here the role of occasional cause ndash should be looked for instead in the particular acts of will of Christ These acts in their turn are bound to the conditions and constraints of his human nature Thus the limits of Christ as a human being and their interplay with the variety of circumstances together with Godrsquos maintenance of the general rule governing the distribution of His grace explain the particularization of the effects of the general rule and the only apparent randomness or injustice in the distribution of graces themselves

The fields of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo however cannot be sharply separated for Malebranche There are other graces indeed that have as their outcome the enlightement of our understanding now these ldquograces of lightrdquo (to be distnguished from those of ldquofeelingrdquo the

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properly super-natural ones) are included within the order of nature they are also dispensed by God (remember that for Malebranche every effect natural as it may be is brought about directly by God) but by God as our creator not as our Redeemer

All these kinds of grace ndash if one wants to leave them that name ndash being the graces of the Creator the general laws of these graces are the general laws of nature For one must take note that sin has not destroyed nature although it has corrupted it The general laws of the communication of motion are always the same and those of the union of the soul and the body are not changedhellip4

Accordingly our mental movements of attention will be the relevant ndash and natural ndash occasional causes which determine the enlightement of our mind

More generally many other natural causes (eg also physical ones such as physical accidents or fortuitous personal encounters) can determine our attitude towards God and salvation Thus we can adopt an even wider sense of grace considering ldquogracerdquo every event which ndash while always obeying the general rules of nature at the different levels of creation ndash does have some relevant positive impact on our salvation and eternal destiny5

Observe that in the Malebranchian framework the laws connect also events situated at different levels of being (eg physical and mental events) so that the different (quasi-) casual chains ruled by their respective different laws cross each other and interfere in many complex ways Malebranche is prepared to accept and even to emphasize this concurrence of a multiplicity of (quasi-) causal factors which taken together determine the patterns of grace6 This is his

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peculiar way to interpret the union of nature and grace ndash a traditional tenet of Catholic doctrine in contrast with the sharp opposition of the two principles in the theology of the Reformation

13 The Supreme Order and the Nature Grace Relationship

The complexity of interrelations among different lawlike patterns raises the question about the resulting global plan of the world Does God simply ratify the outcome of this immensely complex intercrossing of different sets of general laws on one hand and particular circumstances on the other Are generality and simplicity the only supreme rules He wants to follow Or do other criteria intervene to better harmonize the composition of the different lawlike chains

Malebranche introduces the notion of ldquoOrderrdquo to indicate the supreme rule governing divine wisdom and action7 This ldquoOrderrdquo reflects a hierarchical scale of values which should guide the attitude of a rational agent with respect to all possible choices and all different beings According to this objective hierarchy for instance the life and happiness of a human being should be taken as more valuable than those of a non-rational animal As a consequence this type of criterion seems to determine a moral obligation to put the perfection and happiness of human beings above every other value ndash hence to subordinate all other laws to the salvific order of grace though maintaining also as far as possible the formal constraints of

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simplicitygenerality The way of balancing these different criteria and requirements and their possible mutual tension have been the object of intensive discussion in Malebranchersquos scholarship

In any event we are faced with an implicit shift in the way of conceiving the order governing divine action and more specifically grace itself The idea of one general or global will of God is maintained But now its content no longer appears as a purely formal rule but rather as a specific system of ends according to which all actions and rules are evaluated

From this perspective a hierarchical finalistic relationship between the different ldquokingdomsrdquo can be envisaged Malebranche in fact goes as far as to suggest that the divine decision to create bodies ndash and with them the whole order of physical nature ndash is finalized to the ends of the order of grace understood in this axiological way in Malebranchersquos words to the building of the ldquoeternal Churchrdquo in all its variety

To justify the persisting disharmonies between this notion of order as (moral) perfection and the order of nature Malebranche can appeal to the theological doctrine of original sin by which nature has been somehow corrupted whereas the originary plan of creation envisaged a systematic subordination of the order of nature to that of grace

Here one must take note that the essential rule of the will of God is order and that if man (for example) had not sinned hellip then order not permitting that he be punished the natural laws of the communication of motion would never been able to make him unhappy for the law of order which wills that the just person suffer nothing despite himself being essential to God the arbitrary law of the communication of motion must necessarily be subjected to it 8

After manrsquos sin this perfect subordination of the working of the general laws to the supreme law of (moral) order has been lost Malebranche however considers also the possibility that even in the present state of our world God alters in a miracuolus way the actual order of nature in order to better harmonize it with the superior ends dictated by the supreme order

There are still some rare occasions on which these general laws of motion ought to cease to produce their effect But it is not the case that God changes his laws or

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corrects himself it is because of the order of grace which that of nature must serve that miracles happen in certain circumstances9

Admittedly these occasions are ldquorarerdquo It is interesting to see how Malebranche even in later works tends to provide some explanation of many miracles (e g of several miracles of the Old Testament) in terms of general laws if not properly in a naturalistic way What is especially relevant for us here is the fact that in putting forward this type of explanation he gives an illustration of the way in which nature while not changing any of its laws can serve the higher ends of God according to the highest order (and even to the distribution of His grace in the strict sense)

2 The Leibnizian Model

21 From the Treatise to the Discourse the Redeemer and the King

Leibnizrsquos systematic usage of the naturegrace pair is clearly inspired by the Malebranchian model Not accidentally it appears in the Discourse of metaphysics a text whose themes are clearly presented and organized with an eye to the most recent developments of Cartesian philosophy in particular to Malebranchersquos ideas and his discussion with Antoine Anauld (the latter being after all the designed addressee of the draft of the Discourse itself) Now the Treatise on nature and grace was then one of the last important texts published by Malebranche moreover the philosophical-theological views expressed there were the deepest and truest motivations of Arnauldrsquos polemical attack launched against Malebranche For his own part Leibniz was very sensitive to the Malebranchian approach to the theodicean issues its leading ideas ndash such as the criteria of generality or the working out of a notion of order ndash and the problems they raised10

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When passing from Malebranchersquos Treatise to Leibnizrsquos writings however we are faced with some shift in the usage of the term ldquogracerdquo and the definition of the related domain To be sure Leibniz also is intensively concerned in the Discourse as in many other writings with the specific problem of the divine supernatural aids provided on behalf of human salvation and of the logic of their distribution ndash that is to say the proper field of ldquogracerdquo in strictly theological (even in Malebranchian) sense which was then at the centre of the hottest debates between Catholics and Protestants or between Jesuites and Jansenists ndash but when he speaks about the ldquokingdom of gracerdquo in contrast to the ldquokingdom of naturerdquo usually he is not referring exclusively (or even primarily) to this topic

True enough in a text edited by Couturat we find a definition that at first sight seems to overlap Malebranchersquos ldquowiderrdquo definition of grace taken as all which contributes to human salvation

When the Grace is contrasted to the Nature this means to contrast the actions done by God as a King to the actions done as the mere author of things More especially however his actions are meant which are relevant for human salvation11

What is most important Leibniz identifies the scope of ldquogracerdquo in general as a special field of Godrsquos action distinct from His general action as creator This distinction might be applied also to the case of Malebranchersquos ldquoproperrdquo sense of ldquogracerdquo but it is important to observe that this is taken by Leibniz in a quite different way It is Godrsquos role as a ldquoKingrdquo indeed which is connected by hiim to ldquogracerdquo and the kinggrace pair is contrasted to the creatornature one Now telling about God as a ldquokingrdquo amounts to focusing on His role as the ruler of rational creatures

As a matter of fact it is no longer Godrsquos role as the Redeemer which qualifies the field of grace every reference to a specific work of redemption and to Christ ndash absolutely central in Malebranchersquos Treatise ndash tends here to fade away not in the sense of being abolished but of being no longer the central topic being rather absorbed within the general consideration of Godrsquos gobal handling as a moral ruler of the world

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Moreover Godrsquos action as a ldquokingrdquo is not presented as the implementation of a specific lawlike pattern in the distribution of His graces (as is was the case in Malebranchersquos Treatise) but as a different finalistic order which governs a specific sector of creation and through this is superimposed to the subordinated order of ldquonaturerdquo In this sense the Leibnizian rule of ldquogracerdquo might be rather identified with the Malebranchian notion of a global moral ldquoorderrdquo

22 The Domain of Grace or the City of God

The idea of the ldquoKingdom of gracerdquo as opposed to that of ldquonaturerdquo becomes a peculiar Leibnizian tool at least from the Discourse on12 We find it in the New System13 of ten years later and finally in the famous couple of texts of Leibnizrsquos last years the PNG and the Monadology14 The strucural characters and the usage of this conceptual tool remain basically constant during this period (that is to

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say in Leibnizrsquos mature and late thought) I try now to explore a bit closer these characters and this usage

To this aim it is worth focusing on another notion to which the ldquoKingdom of gracerdquo is usually associated by Leibniz I mean the concept (maybe better the image) of the ldquocity of Godrdquo To be true another possible (perhaps more imemdiate) association is with the notion central in the New Testament of ldquoGodrsquos Kingdomrdquo this is the way taken by Leibniz in the last paragraphs of the Discourse15 Also in this text however the image of ldquocityrdquo or ldquorepublicrdquo neatly prevails and in the other texts centered on the naturegrace dichotomy the world of ldquogracerdquo is constantly accompanied by a constellation of kindred political images Thus in paragraph 15 of the PNG one can read

For this reason all spirits whether of men or higher beings enter by virtue of reason and the eternal truths into a kind of society with God and are members of the City of God that is to say the most perfect state formed and governed by the greatest and best of monarchs Here there is no crime without punishment no good action without a proportionate reward and finally as much virtue and happiness as is possible16 Needless to say the natural link between the biblical theme of the ldquoKingdom of Godrdquo and this political imaginery was provided by the great tradition of Augustinersquos ldquocity of Godrdquo The powerful Augustinian notion however is transfigured in Leibnizrsquos rationalistically-minded reading17 where it becomes the label for the ideal society which embraces God and all rational beings on the basis of a commonly shared ldquonatural rightrdquo taken in a strongly univocist way ndash this ldquonatural rightrdquo being nothing but the object of his celebrated ldquouniversal jurisprudencerdquo18 In this context God as the true monarch ndash though being qualified in Discourse sect 35 as ldquoabsoluterdquo ndash still is quite different from a dispotic ruler insofar as He is vinculated by the natural law

To sum up the Leibnizian notion of ldquoKingdom of gracerdquo turns out to be constantly focussing on a) Godrsquos moral attributes such as 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 15 In parallel with the usage of this biblical image the qualification of ldquofatherrdquo is contrasted with that of ldquoarchitectrdquo to express the same dichotomy as king (of the spiritual world) and creator (of the material world) See also the passage from the New System cited note 12 above 16 PNG GP VI 605 L 640 17 For some remarks on this reworking see the chapter devoted to Leibniz in Gilson 1952 18 The classic study on Leibnizrsquos philosophy considered from this viewpoint accompanied by an impressive collection of texts is Grua 1953

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justice and goodness b) the emergence of beings capable of moral responsibility

Leibniz indeed usually invokes that notion while introducing the ontological distinction he is eager to draw between the generality of simple substances or souls on one hand endowed with (different grades of) perception and the subset of rational beings on the other capable of self-knowledge and of grasping necessary truths These characters make of them moral subjects deserving reward or punishment

According to the general law of His ldquokingdomrdquo or ldquocityrdquo on one hand God is bound to procure the happiness of these higher creatures

So dear is this consideration to him that the happy and flourishing state of his empire which consists in the greatest possible felicity of its inhabitants becomes his highest law For happiness is to persons what perfection is to beings And if the highest principle rulig the existence of the physical world is the decree which gives it the greatest perfection possible the highest purpose in the moral world or the city of God which is the noblest part of the universe should be to spread in it the greatest possible happiness19

And then the further precision comes this happiness should be proportional to the virtue of rational creaures20 In Leibnizrsquos view the ldquokingdom of gracerdquo obeys the rule of charity or universal benevolence but it is the ldquocharity of wiserdquo a synonim for justice ndash charity being for Leibniz the highest level of justice itself The ldquoKingdom of gracerdquo indeed viewed under the juridical-political equivalences evoked by Leibniz is indeed a system of justice framed around manrsquos and Godrsquos moral obligations

In this sense this system of grace turns out to be rather far from ndash if not even opposite to ndash the originary theological notion of grace taken as an essentially gratuitous gift what is not surprising given the ldquounivocistrdquo approach of universal jurisprudence i e the subordination of God and man to a common rule

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But this issue invites us to consider more closely the Leibnizian opposition of ldquogracerdquo to ldquonaturerdquo and their mutual relationship

The NatureGrace Distinction ldquoSupernaturalrdquo as ldquoMoralrdquo What about the complementary definition of the scope of ldquonaturerdquo in the Leibnizian naturegrace pair Leibniz usually speaks as if the relevant term to be harmonized with grace were physical nature as such ldquoPhysicalrdquo however does not simply coincide with ldquomechanicalrdquo in the sense of ruled by efficient causes

As we have established above a perfect harmony between two natural kingdoms that of efficient and that of final causes we must also point out here another harmony between the physical kingdom of nature and the moral kingdom of grace that is to say between God considered as architect of the machine of the universe and God considered as monarch of the divine city of spirits21

Leibniz here is accurate in distinguishing the field of ldquogracerdquo from other finalistic aspects of the world the ldquorealm of gracerdquo in fact is far from being simply coextensive with the domain of teleology or of final causes As is well known according to Leibniz teleological considerations play a role even at the level of the world of bodies where they represent a complementary explanation of physical events together with efficient (mechanical) causality When speaking about ldquogracerdquo therefore a further and different finalism is considered insofar as the whole of natural processess already guided by finalism (functionally epistemologically or even esthetically shaped) is now related to a further specifically moral end

No to count that the scope of ldquonaturalrdquo should likely be extended to embrace some psychical processes they also ruled by lawlike patterns what is already implicit in the fact that the distinction line is drawn (differently from what done by the Cartesian Malebranche) between not-rational souls and intelligent minds

Accordingly all this reflects into the new characterization of the ldquoKingdom of gracerdquo that is to say of the sense and scope of ldquosupernaturalrdquo taken as the sphere of ldquomoralrdquo laws (versus ldquophysicalrdquo

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ones be they even teleological or psychological) Thus the preceding paragraph of the Monadology tells us that

This city of God this truly universal monarchy is a moral world within the natural world22

Moroever analogous to the way in which in the PNG Leibniz at a point invokes the need of passing from ldquophysicalrdquo consideration to ldquometaphysicalrdquo ones already in the Discourse he had introduced the topic of the ldquorealm of Godrdquo by the need to join ldquomoralrdquo to metaphysics

But in order to support by natural reasons the view that God will preserve for all time not merely our substance but our person that is to say the memory and knowledge of what we are hellip we must add morals to metaphysicshellip23

Only that type of consideration indeed could establish true immortality by working as a sort of ldquomoral postulaterdquo (to use a bit anachronistically Kantrsquos later jargon) which establishes the immortality (in the proper sense) of rational souls by distinguishing it from the unperishability common to all substances in general I shall consider this closer below24

3 Leibnizrsquos Harmony of Nature and Grace or the Moral Nature of Nature

31 Moral and Natural Order Distinction and Preminence

In Leibnizrsquos framework as we have seen the elements of Malebranchersquos system of nature and grace are profoundly reshaped While in Malebranche the specific laws of grace were structurally homogeneous to those of nature in Leibniz the contrast of God as an ldquoarchitectrdquo and God as a ldquomonarchrdquo tends to reveal and emphasize a

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fundamental dis-homegeneity beween the two types of laws The Leibnizian order of ldquogracerdquo is less reducible to a system of (we could say quasi-Hempelian) causal laws than the occasionalist schema of ldquogeneral lawsrdquo the rules of ldquogracerdquo have an essentially normative character ndash although in the case of divine action what ought to be the case invariably is the case From this point of view there is rather some continuity with the other great Malebranchian theme of (moral) ldquoOrderrdquo at least in its general sense of a set of axiological principles

A precision is required here one should distinguish this objective recovery of the Malebranchian ldquoorderrdquo from the other Leibnizian notion (it also a reworking of a Melbranchian theme) of a supreme all-encompassing order actually realized in the best of possibile worlds Admittedly this also is ultimately determined by axiological considerations of perfection but it already includes their total specification and their balancing with all toher parameters Within this notion the conceptual tensions which emerged In Malebranchersquos view turn out to be somehow nuanced and attenuated insofar as this all-encompassing notion of ldquoorderrdquo already integrates ethical values and epistemological ones (like the simplicityfecundity balance) besides this Leibnizrsquos enlarged concept of law tends to relativize the contrast between general and particular wills

When Leibniz however takes the moral order as synonimous of the order of grace and contrasts it to the order of nature he is considering more analytically the single factors of that all-comprehensive universal order in particular he is considering the ldquomoral orderrdquo in a strict sense as being distinct from other parameters of the divine evaluation and in need to be (problematically) co-ordinated with them In this sense we find again Malebanchersquos problem of the adaptation of the causal-nomological patterns of nature to the moral ends

Although the moral order properly concerns only a subset of the created world however and represents only a part of the criteria which guided its creation still it maintains a priority so that the other ldquosub-ordersrdquo or sets of rules have to be somehow subordinated and finalized to this higher system of ends

More concretely this means that the destiny of rational beings ndash hence their happiness ndash is the absolutely privileged end of the cosmic order Leibniz also sketches in his writings some arguments

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to the effect of showing the necessary connection between the basic general criterion of metaphysical perfection and the specific moral criterion of the happiness of spirits25

Admittedly in certain contexts Leibniz warns us that that preminence is not as absolute so that the moral ends of the order of grace (in other terms Godrsquos ends as the king of spirits) can be at least to a certain extent sacrified to other ends concerning the whole of the cosmic system and the interest of other (non-rational) creatures This point of view is especially developed in some sections of the Theodicy where part of Leibnizrsquos strategy is to criticize Baylersquos objections as too anthropocentric Accordingly Leibniz is ready to emphasize that the adjustement of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo is a reciprocal one moreover he goes on occasionally to admit that moral justice and the happiness of rational creatures ndash or at least of mankind ndash is not always the preminent let alone the unique goal guiding the divine choice

hellipI grant that the happiness of intelligent creatures is the principal part of Godrsquos design for they are most like him but nevertheless I do not see how one can prove that to be his sole aim It is true that the realm of nature must serve the realm of grace but since all is connected in Godrsquos great design we must believe that the realm of grace is also in some way adapted to that of nature so that nature preserves the utmost order and beauty to render the combination of the two the most perfect that can be And there is no reason to suppose that God for the sake of some lessening of moral evil would reverse the whole order of nature Each perfection or imperfection in the creature has its value but there is none that has an infinite value Thus the moral or physical good and evil of rational creatures does not infinitely exceed the good and evil which is simply metaphysical namely that which lies in the perfection of the other creatureshellip

Nevertheless in the texts which typically develop and illustrate the naturegrace polarity the emphasis is always on the preminence of the city of God and of the related moral ends within the wider context of our world Moreover in these contexts the happiness due to the spirits is expressly measured according to moral criteria happiness should be distributed according to virtue and the content of the naturegrace harmony ultimately amounts to this Thus Leibniz in the selfsame Theodicy criticizes Bayle for the opposite ground as before

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One might thence conclude according to him (posthumous Reply to M Jacquelot p 183) ldquothat God created the world only to display his infinite skill in architecture and mechanics whilst his property of goodness and love of virtue took no part in the construction of this great work This God would pride himself only on skill he would prefer to let the whole human kind perish rather than suffer some atoms to go faster or more slowly than general laws requirerdquo M Bayle would not have made this antithesis if he had been informed on the system of general harmony which I assume which states that the realm of efficient causes and that of final causes are parallel to each other that God has no less the quality of the best monarch than that of the greatest architect that matter is so disposed that the laws of motion serve as the best guidance for spirits and that consequently it will prove that he has attained the utmost good possible provided one reckon the metaphysical physical and moral goods togetherhellip27

32 The Finalization of Nature Justice through Nature

It remains to be seen how this harmony is conceived by Leibniz Here one can see how Leibniz ndash while seemingly abandoning Malebrachersquos audacious exportation of the nomological model of natural science into theology and striving at estabilishing by contrast a neat division of fields ndash by this same move comes to formulate in a crystal clear way the same problem already confronted by the Oratorian namely the problem posed to theological and moral thought by the new scientific view of the world

His very general requirement is that the system of nature unfolding according to its own rules at the same time does satisfy the moral requirements The task is especially arduous notice insofar as for Leibniz more than for Malebranche (who admits though in his peculiarly indirect and mediated form an interaction bettween the mental and the physical) the system of natural laws is a perfectly self-closed one

Thus Leibniz is eager to emphasize that no interference is admitted in the sphere of the laws of nature

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And this takes place not by a dislocation of nature as if what God has planned for souls could disturb the laws of bodies but by the very order of natural things itself by virtue of the harmony pre-established from all time between the realms of nature and of grace between God as architect and God as monarch in such a way that nature leads to grace and grace perfects nature by using it28

Consider also that the same beings do belong to both realms insofar as eg human beings are subjected both to the natural laws as embodied souls and to the jurisdiction of the moral law as citizens of the ldquocity of Godrdquo As Leibniz puts it the realm of grace is a ldquomoral world within the natural worldrdquo

Moreover something more than a mere coordination ndash as in the case of the classic explanation of the bodysoul relationship given by pre-established harmony ndash seems to be required because the outcomes of one set of laws must be subordinated to the other one29

But how can this preminence of moral finalism and the corresponding harmony be figured out in a plausible way

A first and straightforward way is to claim that contrary to the appearances the working of nature ndash the ldquoblindrdquo mechanism of the laws of physical motion or the psychological dynamism of appetites often directed towards only seeming goods ndash ultimately ends up promoting the moral ends ro be pursued in particular the correct retribution of human actions

This might seem of course a completely gratuitous assumption Sometimes Leibniz seems to have in mind the idea that moral handling coincides with the correct working of human nature so that virtue is (as Spinoza would say) the reward for itself while vice takes with itself its punishment

It can hellip be said that God as architect satisfies God as lawgiver in everything and that sins must therefore carry their punishment with them by the order of nature and even by virtue of the mechanical structure of things and that noble actions similarly attain their rewards through ways that are mechanical in relation to bodies although this cannot and should not always happen at once30

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This moral outcome of natural processes however is not so evident in a lot of cases Hence the final clause which projects the ldquoharmonyrdquo into a more or less remote future ndash be it the time of an entire human life or a properly eschatological one

Remember how Malebranche invoked the fact of the original sin in order to explain the disconcerting disharmony between the working out of nature and its alleged moral ends Leibniz does not focus his attention on this explanation in this case also his view of the ldquokingdom of gracerdquo differently from that of the French theologian is not essentially connected (while leaving a possible room for it) to what is specific to the story of Christian redemption

The disharmony of the two kingdoms does not only concern the conflict of tendencies within rational agents but also the topic of natural disasters ndash another one attentively considered in Malebranchersquos theodicy Also these phenomena according to Leibniz should be assumed to have a ldquomoralrdquo justification though difficult to see from our very limited perspective

To this kind of consideration seem to point also some rather cryptic allusions concerning the alleged harmony between the story of our planet and the moral story of its inhabitants These allusions can be interpreted in general along a strictly orthodox idea ndash to be found also in Malebranche ndash according to which the original sin corrupted also nature and conversely according to St Paulrsquos dictum (ldquothe whole creation groans with us and shares our birth pangsrdquo) redemption will involve nature itself

More interestingly we are faced with the attempt at suggesting a ldquomoralrdquo account of the most recent discoveries and discussions concerning the story of earth discoveries that could easily appear at odds with the biblical teaching Leibniz in fact is suggesting that the big natural changes in the earthrsquos general conditions harmonize with the moral requirements of Godrsquos global plan

The result of this harmony is that things lead to grace by means of the very ways of nature and that this globe for example must be destroyed and repaired by natural ways at those times which the government of spirits demands for the punishment of some and the rewards of others 31

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Compare this with a passage in Thomas Burnetrsquos Telluris Theoria Sacra (1681) whose author ndash after giving a ldquophysicalrdquo explanation of the universal deluge ndash warns that this does not compromise the biblical interpretation of the deluge as a divine punishment

It is no detraction from divine providence that the course of nature is exact and regular and that even in its greatest Changes and Revolutions it should still conspire and be prepared to answer the Ends and Purposes of the divine Will in reference to the moral world This seems to me to be the great Art of Divine Providence so to adjust the two Worlds human and natural material and intellectual as seeing through the Possibilities and Futuritions of each according to the first States and Circumstances he puts them under they should all along correspond and fit one another and especially in their great Crises and Periods32

Elsewhere Leibniz goes on to illustrate the same idea with some audacious speculations put forward by contemporary Origenists this is the case with the ldquoastronomical theologyrdquo referred to in the Theodicy ldquoSimultaneously (by virtue of the harmonic parallelism of the Realms of Nature and of Grace) this long and great conflagration will have purged the earthrsquos globe of its stainsrdquo33

This grand view of the changes of our world however leaves the possibility of realizing justice still unclear if the persistence of the same moral subject is not granted I am speaking notice of ldquomoral subjectrdquo because the simple persistence (or unperishability) is already metaphysically assured for all simple substances But the order of the ldquocity of Godrdquo with the related retributive justice requires something more that is to say that the same self-conscious being persists endowed with the memory of herhis past actions Accordingly several passages in the texts on the naturegrace harmony insist on the preservation of the same person despite the continuous and radical transformations to which the physical world is subjected (ldquobeyond the revolutions of matterrdquo)34 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 32 Burnet 1689 (transl by J Addison The Sacred Theory of the Earth Hooke London 1719 I 146) 33 Essais de Theacuteodiceacutee sect 18 (transl Huggard) These speculations are connected to Leibnizrsquos interest for the topic of Apokathastasis and his relationship with the heterodox and millenarian theologian Petersen See on this Fichant Introduction and Costa 2014 34 For the idea of being subtracted to the ldquorevolutions of matterrdquo see the Nouveau Systeme (note 13 above) and Mendelson 1995 For the immortality of minds as a key element in the ldquokingdom of gracerdquo see already Discours sect 36 (note 12 above) and the letter to Wagner of June 1710 ldquohellip as soon as [human souls] however are made rational and capable together of being self-conscious of partnership with God I am persuaded that from then on they never lose their personal quality of citiziens of

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As a matter of fact what Leibniz wants to get from his harmony is nothing but that final conciliation of subjective consciousness and divine justice whose need was emphasized also by John Locke and which should have been assured by the doctrine of the Last Judgment together with a final eschatological reconciliation of soul and body of virtue and happiness

It is worth noting however that this eschatological outcome seems to be thought of by Leibniz ndash though in a largely ambiguous and nuanced way ndash in a more intra-mundane way That is to say the reconciliation of nature with the moral ends of the ldquokingdom of gracerdquo both on the global and individual plan is projected into the future but this seems to be a future still belonging to the (admittedly dramatic) development of our (and Godrdquos) unique world35 Conclusions Kant on the Realms of Nature and Grace

In the Critique of Pure Reason Doctrine of Method Kant at a point relies explicitly on Leibnizrsquos legacy by taking again his idea of the realms of nature and grace

Leibniz termed the world when viewed in relation to the rational beings which it contains and the moral relations in which they stand to each other under the government of the Supreme Good the kingdom of Grace and distinguished it from the kingdom of Nature in which these rational beings live under moral laws indeed but expect no other consequences from their actions than such as follow according to the course of nature in the world of sense To view ourselves therefore as in the kingdom of grace in which all happiness awaits us except in so far as we ourselves limit our participation in it by actions which render us unworthy of happiness is a practically necessary idea of reason36

We are not faced indeed with a merely terminological recovery Kantrsquos idea seems to be objectively in staightforward continuity with Leibnizrsquos approach and the conceptual framework expressed by the idea of the Leibnizian ldquoKingdom of gracerdquo is largely taken again by

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him from a transcendental point of view We have on one hand the natural world (embracing both the physical one and that of empirical psychology) ruled by causal laws on the other the laws of morality or of practical reason (binding all rational beings God included like for Malebranche and Leibniz) The realm of grace is properly the idea of the union of the two or of their reconciliation what Kant technically labels by his notion of ldquosupreme goodrdquo Although the way of conceiving the relation of happiness with moral intention is of course different from Leibnizrsquos still the fundamental idea (or problem) formulated by Leibniz is there I mean the requirement of a reconciliation of the scientific and the moral view of world ndash which will be a major theme in the whole classic German philosophy Not only our immortality but Godrsquos eixistence itself are now definitely taken as postulates derived from the assumption of the moral law Interestingly enough in Kantrsquos view this requirement concerning the ldquomoral nature of naturerdquo is ideally conjoined with another element we have found in Malebranche ndash while being in Leibniz though not absent more balanced by other considerations ndash namely the emphasis on the universal character of rules and the extension of this formal character to both realms of nature and moral

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Robinet A Malebranche et Leibniz relations personnelles Paris Vrin 1955 Rutherford D Leibniz and the Rational Order of Nature Cambridge University Press

Cambridge 1995

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LAURENCE BOUQUIAUX

CONNEXION UNIVERSELLE ET ENVELOPPEMENT DU FUTUR DANS LE PREacuteSENT

Ce texte a pour but de contribuer agrave lrsquoeacutetude de la maniegravere dont srsquoarticulent les dimensions physique psychologique et meacutetaphysique du thegraveme de la connexion universelle et de lrsquoenveloppement du futur dans le preacutesent Je commencerai par examiner selon quelles modaliteacutes le thegraveme de la monade miroir du monde apparaicirct dans les Principes de la nature et de la gracircce (PNG) dans le sect3 et dans le sect 12 ndash je ne prendrai pas en consideacuteration la 3egraveme occurrence sect 14 ougrave il est question de lrsquoesprit comme image de Dieu ndash puis je mrsquointerrogerai sur la relation qui existe entre la thegravese qui affirme que du fait de la connexion universelle la monade perccediloit (confuseacutement) tout ce qui arrive agrave chaque instant dans le monde et celle qui affirme que la monade perccediloit (confuseacutement) toute son histoire le passeacute comme le futur Cela mrsquoamegravenera agrave envisager rapidement la question de lrsquoasymeacutetrie entre passeacute et futur comme proprieacuteteacute temporelle qui nrsquoa pas drsquoeacutequivalent pour lrsquoespace

Au sect 2 des PNG Leibniz affirme que ldquoen elle-mecircme et dans le momentrdquo une monade ne peut ecirctre discerneacutee drsquoune autre que par ses perceptions crsquoest-agrave-dire par ses repreacutesentations de ce qui est au-dehors et par ses appeacutetitions qui sont ldquoses tendances drsquoune perception agrave lrsquoautrerdquo Dans le sect 3 Leibniz preacutecise que crsquoest suivant les affections de son corps qursquoune monade se repreacutesente ce qui est hors drsquoelle et que si chaque monade est un ldquomiroir vivantrdquo de lrsquounivers crsquoest parce que le monde est plein et que ldquochaque corps agit sur chaque autre corps plus ou moins selon la distancerdquo Mon acircme perccediloit lrsquounivers parce que mon corps est affecteacute par chacun des autres corps et cela drsquoautant plus fortement que le corps affectant est proche du mien1 Ce passage semble indiquer que crsquoest parce

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qursquoelles ont un corps que les monades sont en relation avec le reste du monde Crsquoest un thegraveme que lrsquoon trouve en drsquoautres endroits notamment dans un passage des Consideacuterations sur les principes de vie et les natures plastiques ougrave Leibniz eacutecrit que les acircmes deacutetacheacutees de tout corps les creacuteatures ldquofranches ou affranchies de la matiegravererdquo seraient ldquodeacutetacheacutees en mecircme temps de la liaison universelle et comme des deacuteserteurs de lrsquoordre geacuteneacuteralrdquo2 Dans le sect 4 des PNG crsquoest encore agrave partir du corps et de ses perfections que Leibniz explique les perfections de la monade et notamment la meacutemoire si les organes du corps sont suffisamment ldquoajusteacutesrdquo il y aura ldquodu relief et du distingueacuterdquo dans les impressions qursquoils reccediloivent et donc dans les perceptions de la monade qui possegravede ce corps cela peut aller jusqursquoagrave la meacutemoire qui est ldquoune perception [hellip] dont un certain eacutecho demeure longtemps pour se faire entendre dans lrsquooccasionrdquo Les paragraphes suivants deacuteveloppent le thegraveme de la meacutemoire et des perceptions toujours preacutesentes mecircme lorsque lrsquoon ne srsquoen aperccediloit pas dans le sommeil dans lrsquoeacutevanouissement et mecircme dans la mort

Vient ensuite la rupture du sect 7 ldquoJusqursquoici nous nrsquoavons parleacute qursquoen simples physiciens maintenant il faut srsquoeacutelever agrave la meacutetaphysiquerdquo Il nous faut nous demander pourquoi il y a quelque chose plutocirct que rien et pourquoi les choses sont ainsi plutocirct qursquoautrement Jusque-lagrave Leibniz a deacutecrit la suite des choses lrsquoenchaicircnement des mouvements dans les corps lrsquoenchaicircnement des repreacutesentations de ces mouvements crsquoest-agrave-dire des perceptions dans les acircmes Il faut agrave preacutesent srsquoeacutelever passer agrave un niveau supeacuterieur et se demander pourquoi ce sont ces enchaicircnements-lagrave plutocirct que drsquoautres qui sont reacutealiseacutes dans le monde La reacuteponse est dans la sagesse de Dieu et dans le principe du meilleur Dieu a choisi ldquoles lois du mouvement les mieux ajusteacutees et les plus convenables aux raisons abstraites et meacutetaphysiquesrdquo (sect 11) Crsquoest en repartant de principes meacutetaphysiques comme celui de lrsquoeacutequivalence entre la cause pleine et lrsquoeffet entier que lrsquoon peut rendre raison des lois du mouvement et mecircme quelquefois les deacutecouvrir Le sect 12 reprend le thegraveme de la monade ldquomiroir vivant repreacutesentant lrsquouniversrdquo qui apparaissait dans le sect3 mais ce thegraveme est ici introduit non plus agrave partir de la pleacutenitude du monde et de

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lrsquoaffirmation que chaque corps est affecteacute par tous les autres mais comme une conseacutequence de la perfection de Dieu il suit de la perfection divine que ldquochaque monade [hellip] doit avoir ses perceptions et ses appeacutetits les mieux reacutegleacutes qursquoil est compatible avec tout le resterdquo Agrave la question de savoir pourquoi telle monade a telle ou telle perception le deacutebut du texte reacutepond que cela est lieacute agrave la maniegravere dont son corps est affecteacute Agrave la question de savoir pourquoi les chaicircnes causales qui lient les mouvements des corps drsquoune part et celles des perceptions de lrsquoacircme drsquoautre part sont ce qursquoelles sont les sect 10 et 11 reacutepondent que ces lois sont les meilleures possibles3

Une autre diffeacuterence entre ces deux parties du texte me semble significative alors qursquoil nrsquoavait eacuteteacute question dans le deacutebut du texte que de la meacutemoire et du souvenir le sect 13 introduit le thegraveme drsquoune lecture du futur dans le passeacute Le preacutesent est gros de lrsquoavenir le futur se pourrait lire dans le passeacuterdquo Cette possibiliteacute se dit au conditionnel crsquoest seulement si lrsquoon pouvait deacuteplier tous les replis drsquoune acircme ldquoqui ne se deacuteveloppent sensiblement qursquoavec le tempsrdquo que lrsquoon pourrait connaicirctre la beauteacute de lrsquounivers dans cette acircme Et cette condition nrsquoest pour nous jamais reacutealiseacutee4 Seul Dieu peut lire dans les replis drsquoune acircme toute lrsquohistoire de lrsquounivers On pourrait neacuteanmoins soutenir que le sect 13 des PNG pose la question drsquoune hypotheacutetique perception du futur par les acircmes mecircmes parce que Leibniz semble y placer sur le mecircme pied le thegraveme du preacutesent gros de lrsquoavenir et celui de lrsquoexpression de lrsquoeacuteloigneacute dans le prochain dont il avait deacutejagrave eacuteteacute question dans les premiers paragraphes ldquoLe preacutesent est gros de lrsquoavenir le futur se pourrait lire dans le passeacute lrsquoeacuteloigneacute

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est exprimeacute dans le prochainrdquo Il est tentant agrave partir de lagrave de consideacuterer que ce qui vaut pour lrsquoeacuteloignement dans lrsquoespace vaut aussi pour lrsquoeacuteloignement dans le temps et drsquoaffirmer que de mecircme que nous percevons tout ce qui se passe maintenant dans le monde (plus ou moins confuseacutement selon la distance) nous percevons aussi tout ce qui se passera dans le futur plus ou moins confuseacutement selon lrsquoeacuteloignement temporel La suite du sect 13 fournit un argument en faveur de cette hypothegravese Leibniz illustre la thegravese de la connexion universelle agrave partir de lrsquoexemple de la mer

Comme en me promenant sur le rivage de la mer et entendant le grand bruit qursquoelle fait jrsquoentends les bruits particuliers de chaque vague dont le bruit total est composeacute mais sans les discerner nos perceptions confuses sont le reacutesultat des impressions que tout lrsquounivers fait sur nous

Or crsquoest preacuteciseacutement cet exemple que lrsquoon retrouve dans un passage drsquoune piegravece preacuteparatoire aux Nouveaux Essais ougrave il est explicitement question de pressentiments

Car nous nrsquoavons pas seulement une reacuteminiscence de toutes nos penseacutees passeacutees mais encore un pressentiment de toutes nos penseacutees futures Il est vrai que crsquoest confuseacutement et sans les distinguer agrave peu pregraves comme lorsque jrsquoentends le bruit de la mer jrsquoentends celui de toutes les vagues en particulier qui composent le bruit total quoique ce soit sans discerner une vague de lrsquoautrerdquo5

Un autre texte dans lequel il est question de pressentiment est celui des eacutechanges avec Bayle Rappelons briegravevement lrsquoobjet du deacutebat en nous appuyant sur le texte de 1698 (GP IV 517-524) et sur celui de 1702 (GP IV 524-571) Pour montrer agrave quelles absurditeacutes megravene la thegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie Bayle propose lrsquoexemple drsquoun chien en train de manger qui reccediloit un coup de bacircton Selon Leibniz tel que le comprend Bayle lrsquoacircme du chien passe du plaisir agrave la douleur au moment mecircme ougrave on lui donne le coup de bacircton de maniegravere tout agrave fait spontaneacutee sans que ce passage soit causeacute par lrsquoeacuteveacutenement corporel qursquoest le coup de bacircton en sorte que ce changement dans lrsquoacircme du chien devrait encore avoir lieu si le corps du chien nrsquoeacutetait pas frappeacute Bayle juge cela incompreacutehensible Comment lrsquoacircme drsquoun chien pourrait-elle sentir de la douleur immeacutediatement apregraves avoir senti de la joie quand mecircme elle serait seule dans lrsquounivers

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Leibniz reacutepond drsquoabord que lorsqursquoil a dit que lrsquoacircme sentirait tout ce qursquoelle sent maintenant mecircme srsquoil nrsquoy avait qursquoelle et Dieu au monde il nrsquoa fait ldquoqursquoemployer une fiction en supposant ce qui ne saurait arriver naturellementrdquo6 Par nature la loi de lrsquoacircme du chien est de repreacutesenter ce qui se fait dans son corps en sorte que le cas que lrsquoon suppose ne saurait arriver dans lrsquoordre naturel

Dieu pouvait donner agrave chaque substance des pheacutenomegravenes indeacutependants de ceux des autres mais de cette maniegravere il aurait fait pour ainsi dire autant de mondes sans connexion qursquoil y a de substances agrave peu pregraves comme on dit que quand on songe on est dans son monde agrave part et qursquoon entre dans le monde commun quand on srsquoeacuteveille7

On retrouve ici lrsquoideacutee deacutejagrave rencontreacutee dans les Consideacuterations sur les principes de vie et les natures plastiques que des substances sans corps seraient comme des mondes agrave part Dieu aurait pu faire un monde sans corps et il pourrait srsquoil le voulait supprimer brutalement par miracle tout sauf lrsquoacircme du chien sans que la suite des affections et des sentiments de cette acircme soit modifieacutee mais cette fiction est contraire agrave lrsquoordre naturel et ldquoaux desseins de Dieu qui a voulu que lrsquoacircme et les choses hors drsquoelle srsquoaccordassentrdquo8 Lrsquoabsence des corps relegraveve de la fiction meacutetaphysique Si Leibniz a utiliseacute cette fiction crsquoest dit-il ldquopour marquer que les sentiments de lrsquoacircme ne sont qursquoune suite de ce qui est deacutejagrave en ellerdquo 9 car

Crsquoest [] la nature de la substance creacuteeacutee de changer continuellement suivant un certain ordre qui la conduit spontaneacutement [hellip] par tous les eacutetats qui lui arriveront de telle sorte que celui qui voit tout voit dans son eacutetat preacutesent tous ses eacutetats passeacutes et agrave venir10

Agrave Bayle qui voudrait que le passage du plaisir agrave la douleur ait une cause exteacuterieure le coup de bacircton ou le Dieu de Malebranche Leibniz reacutepond que crsquoest lrsquoeacutetat preacuteceacutedent de lrsquoacircme du chien qui est la cause de son eacutetat suivant Et il ajoute que Bayle qui preacutetend ne pas comprendre lrsquoharmonie preacuteeacutetablie devrait reconnaicirctre qursquoil ne comprend pas davantage comment le bacircton influe sur lrsquoacircme ni comment se fait lrsquoopeacuteration miraculeuse par laquelle selon

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Malebranche Dieu accorde continuellement lrsquoacircme et le corps11 Lorsque Bayle objecte que ldquonous savons par expeacuterience que

nous ignorons que nous aurons dans une heure telles ou telles perceptionsrdquo12 Leibniz reacutepond que lrsquoacircme ne connaicirct en effet pas distinctement ce qui va arriver mais qursquoelle le sent confuseacutement et il propose une analogie qui peut eacutevoquer celle de la mer que nous avons trouveacutee dans les PNG

Il y a en chaque substance des traces de tout ce qui lui est arriveacute et de tout ce qui lui arrivera Mais cette multitude infinie de perceptions nous empecircche de les distinguer comme lorsque jrsquoentends un grand bruit confus de tout un peuple je ne distingue point une voix de lrsquoautre [hellip] 13

Il y aurait donc dans les acircmes non seulement des traces de tout ce qui leur est arriveacute mais encore de traces de tout ce qui leur arrivera

[Lrsquoacircme] doit exprimer ce qui se passe et mecircme ce qui se passera dans son corps et en quelque faccedilon dans tous les autres par la connexion ou correspondance de toutes les parties du monde14

Dire que la cause du changement de lrsquoacircme est en elle nrsquoest donc pas faire de cette acircme une substance autiste aveugle et sourde agrave tout ce qui est hors drsquoelle Seul lrsquohypotheacutetique atome drsquoEpicure qui ne repreacutesente rien qui nrsquoexprime rien est totalement isoleacute et crsquoest ce qui fait qursquoil continuera indeacutefiniment le mecircme mouvement rectiligne uniforme comme srsquoil eacutetait seul au monde tant il est ldquostupide et imparfaitrdquo15 Mais cet atome est une pure fiction En reacutealiteacute chaque eacutetat preacutesent drsquoune substance cause de son eacutetat suivant enveloppe le monde et crsquoest pour cela que les changements des substances sont si complexes Si la douleur du chien peut suivre spontaneacutement de son plaisir crsquoest eacutecrit Leibniz parce que

la penseacutee du plaisir paraicirct simple mais elle ne lrsquoest pas et qui en ferait lrsquoanatomie trouverait qursquoelle enveloppe tout ce qui nous environne et par conseacutequent tout ce qui environne lrsquoenvironnant16

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Le plaisir du chien qui mange est mecircleacute de ce qursquoil perccediloit deacutejagrave du coup de bacircton agrave venir17 Les causes qui font agir le bacircton (lrsquohomme posteacute derriegravere le chien qui se preacutepare agrave le frapper pendant qursquoil mange et tout ce qui dans le cours des corps contribue agrave y disposer cet homme) sont aussi repreacutesenteacutees drsquoabord dans lrsquoacircme du chien exactement agrave la veacuteriteacute mais faiblement par des perceptions petites et confuses et sans aperception crsquoest-agrave-dire sans que le chien le remarque parce qursquoaussi le corps du chien nrsquoen est affecteacute qursquoimperceptiblement18 On comprend pourquoi le thegraveme des petites perceptions qui apparaicirct ici peut constituer un argument en faveur de la spontaneacuteiteacute de lrsquoacircme tout est deacutejagrave preacutesent dans lrsquoacircme les perceptions nrsquoont qursquoagrave se deacutevelopper elles nrsquoont pas agrave venir drsquoailleurs

Ce passage des reacuteponses agrave Bayle illustre bien lrsquoideacutee que le preacutesent est gros de lrsquoavenir ndash la formule du sect13 des PNG est eacutegalement preacutesente dans ce texte ndash et que lrsquoacircme perccediloit deacutejagrave confuseacutement tout ce qui arrivera Il est pourtant important de souligner apregraves M Parmentier19 qursquoil ne faut pas conclure de lagrave que nous pouvons comme Dieu lire le futur dans le preacutesent Lrsquoacircme ne perccediloit qursquoau preacutesent20 Elle perccediloit ce qui de lrsquoeacuteveacutenement qui se deacuteveloppera dans le futur srsquoannonce deacutejagrave dans le preacutesent Si nous avons des pressentiments de ce qui arrivera crsquoest parce que la perception qui se deacuteveloppera dans le futur est deacutejagrave preacutesente embryonneacutee confuse encore insensible dans notre eacutetat actuel Nous ne percevons pas agrave proprement parler un eacuteveacutenement futur mais ce qui de ce futur est deacutejagrave preacutesent enveloppeacute replieacute mais appeleacute agrave se deacutevelopper par la suite Comme lrsquoeacutecrit M Parmentier

Lrsquoapplication du principe de continuiteacute agrave lrsquoordre des perceptions fait apparaicirctre les pressentiments et les avant-goucircts moins comme une anticipation du futur que

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comme le commencement drsquoune perception appeleacutee agrave se deacutevelopper ulteacuterieurement sous lrsquoeffet drsquoune loi deacutejagrave bien preacutesente et parfaitement deacutetermineacutee21

Leibniz est en geacuteneacuteral reacuteserveacute devant les pheacutenomegravenes de preacutediction de divination de recircve preacutemonitoire etc mecircme srsquoil ne les exclut pas radicalement Ainsi agrave propos des Protestants ceacutevenols reacutefugieacutes agrave Londres dont on preacutetendait qursquoils propheacutetisaient Leibniz eacutecrit agrave Coste en deacutecembre 1707

Srsquoil eacutetait vrai Monsieur que vos Seacutevennois fussent des prophegravetes cette hypothegravese ne serait point contraire agrave mon hypothegravese de lrsquoHarmonie preacuteeacutetablie et y serait mecircme fort conforme Jrsquoai toujours dit que le preacutesent est gros de lrsquoavenir et qursquoil y a une parfaite liaison entre les choses quelques eacuteloigneacutees qursquoelles soient lrsquoune de lrsquoautre en sorte que celui qui serait assez peacuteneacutetrant pourrait lire lrsquoune dans lrsquoautre Je ne mrsquoopposerais pas mecircme agrave celui qui soutiendrait qursquoil y a des globes dans lrsquounivers ougrave les propheacuteties sont plus ordinaires que dans le nocirctre comme il y aura peut-ecirctre un monde ougrave les chiens auront les nez assez bons pour sentir leur gibier agrave 1000 lieues [hellip] Mais quand il srsquoagit de raisonner sur ce qui se pratique effectivement ici notre jugement preacutesomptif doit ecirctre fondeacute sur la coutume de notre globe ougrave ces sortes de choses propheacutetiques sont bien rares22

On notera que dans ce passage Leibniz rapproche une nouvelle fois la capaciteacute de pressentir un eacuteveacutenement futur de celle de percevoir un eacuteveacutenement distant Mais Leibniz reste prudent Comme le dit M Parmentier la conception leibnizienne ldquone srsquoaccorde pas avec lrsquoeacuteventualiteacute de recircves preacutemonitoires faisant intervenir un eacutecart

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anormalement long entre le deacutebut drsquoune perception et son deacuteveloppementrdquo23 Si je puis connaicirctre des eacuteveacutenements eacuteloigneacutes dans le passeacute crsquoest gracircce agrave un pheacutenomegravene diffeacuterent celui de la meacutemoire qui nrsquoa pas drsquoeacutequivalent pour le futur Il faut distinguer ce que jrsquoatteins gracircce aux petites perceptions dans le passeacute comme dans le futur parce que tout eacuteveacutenement passeacute laisse des traces dans le preacutesent et qursquoil y a deacutejagrave dans le preacutesent des traces du futur et ce que jrsquoatteins gracircce agrave la meacutemoire parce que ce qui a jadis affecteacute mon corps y a laisseacute des marques que je puis si jrsquoy precircte attention apercevoir (alors que quels que soient mes efforts je ne puis prendre conscience de ce qui se passera dans le futur)

Nous eacuteprouvons qursquoil y a une asymeacutetrie dans le temps entre le passeacute et le futur qui nrsquoa pas drsquoanalogue dans lrsquoespace et cela empecircche de comprendre de la mecircme maniegravere la perception du futur et celle de lrsquoeacuteloigneacute malgreacute la proximiteacute de ces thegravemes dans le sect13 des PNG ou dans la lettre agrave Coste Leibniz le dit tout agrave fait nettement dans la lettre agrave Bourguet du 5 aoucirct 1715

[hellip] Il y a cette diffeacuterence entre les instants et les points qursquoun point de lrsquoUnivers nrsquoa point lrsquoavantage de prioriteacute de nature sur lrsquoautre au lieu que lrsquoinstant preacuteceacutedent a toujours lrsquoavantage de prioriteacute non seulement de temps mais encore de nature sur lrsquoinstant preacuteceacutedent24

Il semble que les eacuteveacutenements passeacutes peuvent avoir des effets sur le preacutesent mais que les eacuteveacutenements futurs ne le peuvent pas Ce dernier point nous amegravene agrave envisager une question difficile celle de la maniegravere dont Leibniz introduit une asymeacutetrie entre passeacute et futur entre mon eacutetat passeacute et mon eacutetat futur entre lrsquoeacutetat passeacute du monde et lrsquoeacutetat futur du monde

En premiegravere approximation on pourrait penser qursquoil suffit pour eacutetablir cette asymeacutetrie de prendre en compte lrsquoasymeacutetrie de la relation causale mon eacutetat passeacute est la cause de mon eacutetat preacutesent

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qui est la cause de mon eacutetat futur mais la relation ne peut pas srsquoinverser Il convient neacuteanmoins de preacuteciser cette reacuteponse et de montrer comment on peut la concilier avec lrsquoideacutee que chaque eacutetat drsquoune monade (preacutesent passeacute futur) enveloppe chaque autre eacutetat ou encore comme le dit Leibniz que lrsquoeacutetat preacutesent drsquoune substance enveloppe son eacutetat futur et vice versa25 Le futur enveloppe le preacutesent Comment justifier lrsquoideacutee qursquoil lrsquoenveloppe autrement que le preacutesent ne lrsquoenveloppe

Le deacutebut des Initia rerum mathematicarum metaphysica un texte agrave peu pregraves contemporain des PNG sur lequel srsquoappuient souvent les commentateurs qui deacutefendent la thegravese selon laquelle on trouve chez Leibniz une deacutefinition causale du temps peut nous eacuteclairer Leibniz commence par y deacutefinir la simultaneacuteiteacute on dira que deux eacutetats sont simultaneacutes quand ils nrsquoenveloppent rien drsquoopposeacute Ainsi les eacuteveacutenements de lrsquoanneacutee derniegravere et ceux de cette anneacutee ne sont pas simultaneacutes parce qursquoils enveloppent des eacutetats opposeacutes de la mecircme chose Leibniz introduit ensuite les notions drsquoanteacuterioriteacute et de posteacuterioriteacute si deux eacutetats qui ne sont pas simultaneacutes sont tels que lrsquoun enveloppe la raison de lrsquoautre (unum rationem alterius involvat) on dira que le premier est anteacuterieur (prius) et lrsquoautre posteacuterieur (posterius) Ainsi mon eacutetat anteacuterieur enveloppe la raison de lrsquoexistence de mon eacutetat posteacuterieur (Status meus prior rationem involvit ut posterior existat)26 On pourrait agrave partir de ces deacutefinitions penser qursquoil peut y avoir des couples drsquoeacutetats tels qursquoil nrsquoy ait aucune relation temporelle entre eux ni simultaneacuteiteacute ni anteacuterioriteacute ni posteacuterioriteacute parce qursquoils ne sont pas simultaneacutes et qursquoaucun des deux nrsquoenveloppe la raison de lrsquoautre Crsquoest du reste agrave certains eacutegards ce qursquoaffirmera la relativiteacute drsquoEinstein puisque selon cette theacuteorie deux eacuteveacutenements entre lesquels il nrsquoy a aucune relation causale possible sont tels que leur ordre chronologique nrsquoest pas fixeacute de maniegravere absolue mais deacutepend de lrsquoobservateur Ce nrsquoest bien sucircr pas ainsi que Leibniz voit les choses Pour lui la relation drsquoordre temporel est un ordre total et il lui faut donc passer de la succession des eacutetats drsquoune chose particuliegravere agrave un ordre temporel universel Crsquoest ce qursquoil fait dans la suite du texte en srsquoappuyant sur la connexion universelle 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 25 Lettre agrave de Volder dateacutee du 17 janvier 1706 GP II 282 26 GM VII 18

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Comme mon eacutetat anteacuterieur du fait de la connexion de toutes choses enveloppe (involvit) aussi lrsquoeacutetat anteacuterieur des autres choses mon eacutetat anteacuterieur enveloppe aussi la raison (rationem involvit) de lrsquoeacutetat posteacuterieur des autres choses et est anteacuterieur agrave lrsquoeacutetat des autres choses Pour cette raison tout ce qui existe est par rapport agrave une autre chose existante ou bien simultaneacute ou bien anteacuterieur ou bien posteacuterieur27

Nous avons donc affaire dans ce texte agrave deux relations diffeacuterentes entre eacutetats dont lrsquoune est symeacutetrique (lrsquoeacutetat A enveloppe lrsquoeacutetat B et reacuteciproquement) et lrsquoautre asymeacutetrique (lrsquoeacutetat A enveloppe la raison de lrsquoeacutetat B mais B nrsquoenveloppe pas la raison de A) Dans ce texte la premiegravere relation semble concerner des eacutetats simultaneacutes les eacutetats simultaneacutes de toutes les choses qui existent partout dans le monde et qui sont lieacutes par la connexion universelle28 Cette relation serait donc essentiellement spatiale puisque lrsquoespace est pour Leibniz lrsquoordre des choses qui peuvent coexister La seconde relation serait celle qui permet drsquointroduire lrsquoanteacuterioriteacute et la posteacuterioriteacute et donc la dimension proprement temporelle Reste agrave se demander si lrsquoon peut purement et simplement interpreacuteter cette seconde relation en termes de causaliteacute Dire que A enveloppe la raison de B dans le cas ougrave A est B ne sont pas simultaneacutes est-ce dire que A est cause de B Reste aussi agrave se demander si cette relation de causaliteacute agrave supposer qursquoon puisse la deacutesigner ainsi permet bien drsquointroduire quelque chose qui ressemble agrave lrsquoasymeacutetrie temporelle telle que je lrsquoeacuteprouve

Leibniz ne preacutecise malheureusement pas dans les Initia rerum mathematicarum metaphysica ce qursquoil entend par ldquoenvelopper la raison derdquo Il nous faut donc chercher des indications dans drsquoautres textes On en trouve notamment dans une liste de deacutefinitions qui figure dans un opuscule auquel Leibniz nrsquoa pas donneacute de titre29

[hellip] de deux eacutetats contradictoires drsquoune mecircme chose est anteacuterieur par le temps (prior tempore) celui qui est anteacuterieur par nature (natura prior) crsquoest-agrave-dire celui qui enveloppe la raison de lrsquoautre (qui alterius rationem involvit) ou ce qui revient

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au mecircme celui qui est conccedilu plus facilement30

Envelopper la raison ce serait donc ecirctre natura prior crsquoest-agrave-dire selon ce passage ecirctre compris plus facilement Il y a bien sucircr quelque chose drsquoeacutetonnant agrave consideacuterer qursquoune chose est anteacuterieure temporellement agrave une autre dans la mesure ougrave elle peut ecirctre comprise plus facilement Nous y reviendrons ci-dessous

Drsquoautres indications inteacuteressantes sont fournies par une longue table de deacutefinitions publieacutee par Couturat31 On y trouve les deacutefinitions suivantes lrsquoeacutetat passeacute (praeteritus status) est ce dont naicirct (oritur) le preacutesent et qui est incompatible (inconsistens) avec le preacutesent le futur est lrsquoeacutetat qui naicirct du preacutesent et qui est incompatible avec lui32 Quelques pages plus haut Leibniz avait preacuteciseacute ce qursquoil fallait entendre par ldquonaicirctre drsquoautre choserdquo on dit que quelque chose naicirct de ce qui est son infeacuterent anteacuterieur par nature (inferens natura prius)33 Cela semble bien autoriser agrave comprendre la relation temporelle en termes de relation causale puisque la Causa sufficiens est de son cocircteacute deacutefinie dans ce texte comme inferens natura prius illato34 Le passeacute serait donc une cause suffisante du preacutesent incompatible avec le preacutesent preacutesent qui est lui-mecircme cause suffisante du futur incompatible avec le futur On passerait de la relation ldquoA est cause suffisante de Brdquo agrave la relation ldquoA est temporellement anteacuterieur agrave Brdquo en ajoutant que A est B sont incompatibles Lrsquoordre chronologique supposerait lrsquoordre causal ndash A nrsquoest temporellement anteacuterieur agrave B que si A est cause de B ndash mais lrsquoinverse ne serait pas vrai A peut-ecirctre cause de B sans que A soit anteacuterieur agrave B ndash A et B la cause et lrsquoeffet peuvent ecirctre compatibles crsquoest-agrave-dire simultaneacutes dans plusieurs textes des anneacutees 1680 Leibniz preacutecise mecircme apregraves avoir deacutefini la cause et lrsquoeffet qursquoil ldquonrsquoest pas neacutecessaire que la cause et lrsquoeffet existent ensemble (simul)rdquo35 comme si on devait srsquoattendre agrave ce que ce soit le cas 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 30 Rauzy 1998 p 104 En note (p 120 n88) J-B Rauzy signale que ldquola plupart des fragments deacutefinitionnels reviennent sur cette deacutefinition du temps lrsquoordre selon la nature qui existe entre des incompatiblesrdquo 31 C 437-509 Couturat estime que ce texte doit dater de 1702-1704 32 C 480 33 Ibidem 471 34 Ibidem 35 AVI IV 404 En A VI IV 564 Leibniz souligne qursquoil nrsquoest pas neacutecessaire que cause et effet existent simul mais qursquoil nrsquoest pas non plus neacutecessaire qursquoils nrsquoexistent pas simul

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La deacutefinition du passeacute comme cause suffisante du preacutesent incompatible avec le preacutesent permet-elle de rendre compte de lrsquoasymeacutetrie temporelle Pour reacutepondre agrave cette question il convient de srsquointerroger sur lrsquoasymeacutetrie de la relation causale elle-mecircme Revenons agrave la deacutefinition citeacutee ci-dessus la cause suffisante est inferens natura prius illato Lrsquoasymeacutetrie ne peut pas provenir de la relation drsquoinfeacuterence puisque Leibniz preacutecise que lrsquoeffet peut ecirctre infeacuterent de la cause36 Elle doit donc provenir du natura prius Lrsquoeffet peut ecirctre infeacuterent de sa cause mais il ne peut pas ecirctre natura prius par rapport agrave sa cause Nous pouvons donc reformuler notre question comme suit la relation de prioriteacute selon la nature permet-elle de saisir la notion drsquoanteacuterioriteacute temporelle

Comme je lrsquoai indiqueacute ci-dessus est pour Leibniz natura prius ce qui est plus simple plus facile agrave deacutemontrer Cette deacutefinition qui apparaicirct dans de tregraves nombreux textes deacutefinitionnels des anneacutees 168037 ne semble pas agrave premiegravere vue lieacutee agrave des consideacuterations temporelles Il y a neacuteanmoins un texte ougrave lrsquoon trouve des deacuteveloppements relatifs au natura prius qui supposent de prendre en compte la temporaliteacute le Quid sit natura prius 38 Dans ce texte Leibniz commence par eacutenoncer une difficulteacute que nous avons deacutejagrave formuleacutee comment expliquer ce qui est anteacuterieur par nature si lrsquoon peut dire que lrsquoeacutetat posteacuterieur drsquoune substance enveloppe son eacutetat anteacuterieur et inversement puisque chacun peut ecirctre connu agrave partir de lrsquoautre 39 Si deux eacutetats sont tels que chacun peut ecirctre connu agrave partir de lrsquoautre comment affirmer qursquoil y en a un qui est neacuteanmoins plus simple que lrsquoautre Leibniz reacutepond que la proprieacuteteacute la plus simple est celle qui peut ecirctre deacutecouverte et deacutemontreacutee plus facilement mecircme si

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chaque proprieacuteteacute enveloppe lrsquoautre Ainsi pour reprendre son exemple il arrive que deux proprieacuteteacutes matheacutematiques soient telles que chacune puisse ecirctre deacutemontreacutee agrave partir de lrsquoautre mais que lrsquoune de ces deux deacutemonstrations soit manifestement plus simple que lrsquoautre

Leibniz donne des exemples de cette situation dans ses notes sur lrsquoEthique de Spinoza ougrave lrsquoon trouve un deacuteveloppement assez proche de celui du Quid sit natura prius Il srsquoagit du passage ougrave Leibniz commente la toute premiegravere proposition de lrsquoEthique selon laquelle la substance est natura prior par rapport agrave ses affections Pour deacutemontrer cette proposition Spinoza se contente de renvoyer aux deacutefinitions de la substance et du mode selon lesquelles la substance est en soi et conccedilue par soi tandis que le mode est en autre chose par quoi il est aussi conccedilu Leibniz souligne que cela suppose que lrsquoon deacutefinisse natura prior comme ce qui est compris par autre chose Or cette deacutefinition ferait selon lui problegraveme parce que si ce qui est posterior peut ecirctre compris par ce qui est prior lrsquoinverse peut ecirctre vrai aussi Il conviendrait de reacutetablir une asymeacutetrie Pour le faire Leibniz propose de consideacuterer qursquoest natura prior ce qui est plus simple plus facile agrave deacutemontrer Ainsi 6+4 est natura posterior agrave 6+3+1 qui est plus pregraves de ce qui est premier de tout 1+1+1+hellip+1 Ou encore la proprieacuteteacute que deux angles internes sont eacutegaux agrave lrsquoangle externe est natura prior par rapport agrave lrsquoeacutegaliteacute des trois angles drsquoun triangle agrave deux angles droits (on sait que lrsquoon utilise en effet cette proprieacuteteacute des angles internesexternes pour deacutemontrer lrsquoeacutegaliteacute des angles du triangle agrave deux droits) mecircme si la proprieacuteteacute de lrsquoeacutegaliteacute des angles du triangle agrave deux droits pourrait ecirctre deacutemontreacutee quoique plus difficilement sans la premiegravere40

Dans ces passages Leibniz introduit donc lrsquoasymeacutetrie du natura prius agrave partir de consideacuterations logiques et eacutepisteacutemologiques en srsquoappuyant sur des exemples matheacutematiques On peut se demander dans quelle mesure cela constitue une reacuteponse satisfaisante agrave la difficulteacute qursquoil avait lui-mecircme souleveacutee et qui concernait lrsquoordre temporel entre diffeacuterents eacutetats de lrsquounivers Agrave la fin du Quid sit natura prius Leibniz reacutepegravete que de deux eacutetats contradictoires est prior tempore celui qui est prior natura Il ajoute ensuite le paragraphe

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suivant sur lequel se clocirct le texte

Dans la nature comme dans lrsquoart les ecirctres anteacuterieurs par le temps sont plus simples et les ecirctres posteacuterieurs sont plus parfaits Car la nature est lrsquoart suprecircme Cette proposition est de la plus haute importance et va contre la reacutegression dans le monde ougrave il nrsquoy a pas de borne Il en va du progregraves agrave venir de la feacuteliciteacute comme de la perfection des choses ils gravissent les degreacutes de la perfection le plus directement possible Rien nrsquoest jamais absolument parfait parmi les creacuteatures41

In extremis Leibniz introduit donc une question qui semble eacutetrangegravere agrave ce qui preacutecegravede celle des degreacutes de perfection Ce qui donnerait une flegraveche au temps ce serait finalement cette loi du progregraves selon laquelle A serait anteacuterieur agrave B dans la mesure ougrave A serait moins parfait que B42 Le problegraveme qui subsiste est que lrsquoon ne voit pas bien ce qui autorise Leibniz agrave passer ainsi du ldquoplus facile agrave comprendrerdquo au ldquomoins parfaitrdquo Comment Leibniz peut-il pour reprendre les termes de J-B Rauzy ldquoconclure agrave toute force drsquoune relation logique agrave la structure du progregravesrdquo 43 Cette question nous ramegravene agrave la lettre agrave Bourguet bien posteacuterieure au Quid sit natura prius que nous avons citeacutee ci-dessus n 2444 Leibniz on srsquoen souvient y affirme que lrsquoinstant preacuteceacutedent a toujours une prioriteacute non seulement de temps mais encore de nature sur lrsquoinstant suivant La suite du texte indique que ce agrave quoi pense Leibniz est agrave nouveau une croissance de la perfection Il envisage en effet trois possibiliteacutes (1) celle drsquoune nature qui serait toujours eacutegalement parfaite (2) celle drsquoune nature qui croicirctrait toujours en perfection sans que cela suppose un commencement du monde et enfin (3) celle drsquoune nature qui croicirctrait en perfection depuis un instant initial Il ajoute qursquoil ldquone voit pas encore le moyen de faire voir deacutemonstrativement ce qursquoon doit choisir par la pure raisonrdquo45 mais preacutecise

[hellip] quoique suivant lrsquohypothegravese de lrsquoaccroissement lrsquoeacutetat du monde ne pourrait jamais ecirctre parfait absolument eacutetant pris dans quelque instant que ce soit neacuteanmoins toute la suite actuelle ne laisserait pas drsquoecirctre la plus parfaite de toutes les

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suites possibles par la raison que Dieu choisit toujours le meilleur possible46

Il semble que crsquoest lrsquohypothegravese drsquoune perfection croissante que retient Leibniz et que crsquoest agrave partir de cette hypothegravese que nous pouvons selon lui penser lrsquoanteacuterioriteacute temporelle

Que conclure de tout cela En quoi les reacutesultats de notre enquecircte peuvent-ils eacuteclairer lrsquoopposition indiqueacutee ou deacutebut de ce texte entre la perception que jrsquoai de ce qui se passe dans le monde et la lecture que Dieu fait de lrsquohistoire du monde dans mon acircme Peut-ecirctre en ceci que la distinction que nous avons eacuteteacute ameneacutes agrave faire entre drsquoune part les relations logico-matheacutematiques drsquoenveloppement ou de prioriteacute selon la nature et drsquoautre part les relations temporelles que deviennent les preacuteceacutedentes lorsqursquoelles ldquoaccegravedent agrave lrsquoexistence ou agrave la perceptionrdquo47 nrsquoest pas totalement eacutetrangegravere agrave lrsquoopposition entre drsquoune part la connaissance que Dieu a de toute eacuteterniteacute de toutes les relations drsquoenveloppement et drsquoexpression entre tous les eacutetats des monades passeacutes preacutesents et futurs et drsquoautre part la perception que chaque acircme a du monde perception riveacutee au preacutesent qui seul existe dans un temps qui srsquoeacutecoule ougrave les eacuteveacutenements preacutesents srsquoenfoncent dans le passeacute tandis que les eacuteveacutenements futurs naissent perpeacutetuellement du preacutesent48

BIBLIOGRAPHIE Futch M J Leibnizrsquos Metaphysics of Time and Space Boston Springer 2008 Leibniz G W Opuscules philosophiques choisis tr fr Schrecker Paris Vrin 1978 Leibniz G W Recherches geacuteneacuterales sur lrsquoanalyse des notions et des veacuteriteacutes 24

Thegraveses meacutetaphysiques et autres textes logiques et meacutetaphysiques eacuted J-B Rauzy Paris Puf 1998

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Laurence Bouquiaux Connexion universelle et enveloppement du futur dans le preacutesent

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Parmentier M Leibniz et la perception du futur ldquoRevue de meacutetaphysique et de moralerdquo 70 2011 (2) pp 221-233

Rauzy J-B Quid sit natura prius La conception leibnizienne de lrsquoordre ldquoRevue de Meacutetaphysique et de Moralerdquo 100 1995 (1)

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MARTINE DE GAUDEMAR

APREgraveS LE ldquoTOURNANT MONADOLOGIQUErdquo UNE REDEacuteFINITION DES ESPRITS

En poursuivant dans les Principes de la Nature et de la Gracircce une reacuteflexion meneacutee en 2014 au colloque de Grenade sur la Monadologie on part du mecircme souci Alors qursquoun travail tregraves important et deacutecisif a eacuteteacute accompli par les chercheurs leibniziens qui a renouveleacute lrsquoapproche du vivant et de lrsquoorganisme chez Leibniz (en relation avec les nouveaux concepts de ldquomonaderdquo et de ldquomachine de la naturerdquo1) et conduit agrave une lecture reacutealiste ndash ou deacutepassant lrsquoopposition reacutealismeideacutealisme ndash de la meacutetaphysique monadologique quelques lignes agrave peine ont eacuteteacute consacreacutees aux reacutepercussions de ces avanceacutees sur la philosophie morale2 et en particulier sur la conception leibnizienne des esprits Or la question se pose de savoir ce que deviennent les esprits dans le nouveau contexte relationnel produit par lrsquoapproche monadologique srsquoil est vrai que les esprits ne peuvent pas faire exception agrave lrsquoordre geacuteneacuteral3

A rentrer dans la perspective geacuteneacuterale deacutefinie par la condition organique de toute acircme dans ce monde qui leur donne leurs conditions mateacuterielles drsquoexpression et de co-existence les esprits ne risquent-ils pas de perdre leurs privilegraveges La reacuteponse concernant la ldquopreacutecellencerdquo des esprits ou ce que la Monadologie appelle leurs ldquopreacuterogativesrdquo est deacutecisive quant agrave la possibiliteacute de concilier lrsquounification ontologique opeacutereacutee par Leibniz agrave travers le concept de monade et la viseacutee theacuteologique et morale de la creacuteation maintenue agrave la fin de la Monadologie et souligneacutee fortement dans les articles terminaux des Principes de la Nature et de la Gracircce

Il faudra aussi reacutepondre agrave une infeacuterence inexacte ou partielle selon laquelle une sorte de naturalisation des creacuteatures agrave travers le 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 1 Pour meacutemoire les travaux de Franccedilois Duchesneau Michel Fichant Daniel Garber Ohad Nachtomy Enrico Pasini Pauline Phemister Anne-Lise Rey Jeanne Roland Justin Smith etc 2 Citons pour les rares remarques consacreacutees au versant moral de la question monadologique les travaux de Pauline Phemister Jeanne Roland Ohad Nachtomy 3 Leibniz Consideacuterations sur les principes de vie GP VI p 546 ldquoLes creacuteatures franches ou affranchies de la matiegravere seraient deacutetacheacutees en mecircme temps de la liaison universelle et comme des deacuteserteurs de lrsquoordre geacuteneacuteralrdquo

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concept de monade pourrait amoindrir le statut des esprits Cette naturalisation pourrait aller jusqursquoagrave les priver de tout ldquostatutrdquo si elle supprimait leur existence juridico-morale au profit drsquoune simple ldquovierdquo de lrsquoesprit dont les becirctes offriraient une image embryonnaire Pour eacuteviter le risque inheacuterent agrave cette lecture on soulignera que les theacutematiques de la nature sont parfaitement compatibles avec la finaliteacute morale de la creacuteation ougrave les esprits ont un rocircle essentiel finaliteacute qui srsquoexpose dans les articles terminaux des deux exposeacutes monadologiques On en prendra drsquoabord pour preuve le texte de Leibniz sur ldquoPascal et la Monaderdquo

Que nrsquoaurait-il pas dit avec cette force drsquoeacuteloquence qursquoil posseacutedait srsquoil avait su que toute la matiegravere est organique partout et que la moindre portion contient par lrsquoinfiniteacute actuelle de ses parties drsquoune infiniteacute de faccedilons un miroir vivant exprimant tout lrsquounivers infini 4

Un simple commentaire du titre du texte Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison pourrait drsquoailleurs y suffire Nous y lisons le passage du regravegne de la Nature qui concerne toutes les monades agrave celui de la Gracircce concernant uniquement les Esprits agrave travers des principes fondeacutes en raison (que seuls des esprits sont en mesure de formuler de par leur accegraves aux veacuteriteacutes eacuteternelles sous la forme meacutediatrice de ldquoprincipesrdquo)

On cherchera ici agrave le montrer en suivant drsquoabord (I) le mouvement mecircme du texte des PNG qui passe sans rupture de la Nature agrave la Gracircce On reprendra ensuite (II) la reacuteflexion amorceacutee lors du congregraves de Grenade sur lrsquoabsence probleacutematique des notions morales caracteacuteristiques des esprits notions qui eacutetaient preacutesentes dans de nombreux textes preacuteceacutedents voire contemporains des exposeacutes monadologiques On avait commenceacute agrave pratiquer cet examen agrave partir du texte de la Monadologie Il faut agrave preacutesent se demander si lrsquohypothegravese formuleacutee agrave Grenade agrave propos des silences

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ou absences dans la Monadologie est valable eacutegalement pour les Principes de la Nature et de la Gracircce

1 Le mouvement du texte

11 Les six premiers articles

On commencera lrsquoexamen des six premiers articles par une remarque terminologique

a) Le terme drsquoesprit est eacutequivoque car il se dit en plusieurs sens

La seacuterie de ses divers sens se deacuteploie entre deux pocircles drsquoun cocircteacute une entiteacute immateacuterielle dont lrsquoactiviteacute est purement mentale de lrsquoautre un ensemble drsquoecirctres intelligents appeleacutes communeacutement des ldquopersonnesrdquo En cherchant le terme dans les traductions ameacutericaines des textes de Leibniz on trouve drsquoailleurs plusieurs expressions qui ne sont pas superposables La plupart du temps ldquoespritrdquo est traduit par ldquomindrdquo ce qui fait eacutecho agrave la ldquomensrdquo carteacutesienne (mens sive ratio sive intellectus) ou agrave lrsquoacircme intelligente leibnizienne Sans ecirctre erroneacutee cette traduction drsquoesprit par ldquomindrdquo court le risque drsquoaccreacutediter la thegravese des acircmes seacutepareacutees dont on sait qursquoelle est interdite par la meacutetaphysique monadologique Si on peut admettre que la monade est bien ldquomind-likerdquo crsquoest au sens leibnizien ougrave une mens est solidaire drsquoune ldquomachine de la naturerdquo bien deacutetermineacutee et ne peut exercer son activiteacute sans son corps organique Le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce est particuliegraverement insistant sur ce qursquoon appellerait aujourdrsquohui lrsquoldquoembodimentrdquo pour des acircmes qui ne sont jamais sans organes Quand le commentaire ameacutericain interpregravete la monade comme un ecirctre ldquosoul-likerdquo ou ldquomind-likerdquo (Adams5 Garber au moins pour les anneacutees posteacuterieures agrave 17006) il

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le sous-entend la plupart du temps mais a tendance agrave lrsquooublier ce qui peut entraicircner une interpreacutetation ideacutealiste et pheacutenomeacuteniste de la meacutetaphysique monadologique ougrave des acircmes qui se reacutepondent sont la seule reacutealiteacute authentique Dans la lecture dite ldquoideacutealisterdquo les corps deviennent des apparences pheacutenomeacutenales pour des ldquosoul-like monadsrdquo dont lrsquoactiviteacute serait purement perceptuelle et mentale Cette interpreacutetation a eacuteteacute reacutecuseacutee par Michel Fichant dans ldquoLa constitution du concept de monaderdquo7 tandis que Franccedilois Duchesneau propose de deacutepasser lrsquoopposition non pertinente de lrsquoideacutealisme et du reacutealisme qui est le contrepoint de ces lectures8

Or il suffit de regarder des traductions drsquoautres textes de Leibniz quand les esprits ne correspondent pas agrave des acircmes intelligentes consideacutereacutees agrave part mais plutocirct agrave des entiteacutes complegravetes ou agrave des personnes concregravetes ou des gens pour noter que lrsquoon trouve alors dans les traductions et le commentaire des termes tels que ldquospiritsrdquo mais aussi personsrdquo ldquorational beingsrdquo ldquorational creaturesrdquo ldquohuman beingsrdquo ldquoreasonable peoplerdquo (par exemple chez Donald Rutherford9) et pas seulement ldquomindsrdquo Ces expressions tiennent compte de lrsquointention significative de Leibniz qui emploie souvent ldquoespritsrdquo pour eacutevoquer des ecirctres vivants doteacutes drsquoune acircme intelligente et qui agrave ce titre font socieacuteteacute avec Dieu Par un usage meacutetonymique si lrsquoon veut la Reacutepublique des esprits nrsquounit pas seulement des acircmes intelligentes mais des ecirctres qui ont ces acircmes des ecirctres intelligents dont le corps est intimement uni agrave un ldquoespritrdquo (au sens de mind) qui en est deacutesormais la monade dominante un corps qui se transformera mais ne peacuterira point un corps qui deacuteploie partes extra partes ce que 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 interpreacutetatif ideacutealiste La poleacutemique ne doit pas faire oublier leur accord sur la ldquomind-like monadrdquo sans mention du reacutequisit drsquoun corps organique Garber reconnaicirct que dans certains textes exceptionnels tels la lettre agrave Bernoulli de septembre 1698 et les Notes sur Thomasius Leibniz deacutefinit la substance comme une entiteacute simple complegravete en prenant lrsquoexemple non de lrsquoacircme mais de lrsquohomme Lrsquoesprit est alors un ldquointelligent beingrdquo et donc un ecirctre complet Signalons allant dans le mecircme sens le texte eacutediteacute par Enrico Pasini De substantia simplex ac composita 1695 ldquoUne substance composeacutee est la monade prise avec son corps organique comme un homme un moutonrdquo Voir Pasini 1996 7 Fichant 2005 p 43 8 Duchesneau 2010 p 17 9 Rutherford 1995 Par exemple p 193 srsquoagissant preacuteciseacutement de lrsquoembodiment des monades Rutherford cite les Considerations sur les Principes de vie et sur les Natures plastiques GP VI p 545-6590 ldquoI do not aknowledge entirely separate souls in the natural order or created spirits entirely detached from every bodyrdquo Plus loin il cite en note NE II XV 11 ldquoEvery finite spirit is always joined to an organic bodyrdquo

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lrsquoesprit concentre ponctuellement Il faut tenir compte de ce contexte de redeacutefinition du rapport acircme et corps pour parler drsquoune redeacutefinition des esprits Lrsquoesprit au singulier est sans doute une mens ou ldquomindrdquo (on peut lrsquoappeler ldquoacircme-espritrdquo) mais les esprits (au pluriel) sont des ecirctres complets inseacuteparables de leur organiciteacute des personnes qui se reconnaissent dans ce qui les caracteacuterise et les diffeacuterencie (leur ldquoesprit rdquocomme acircme raisonnable plus noble que les autres acircmes)

Crsquoest que Leibniz emploie souvent un terme selon plusieurs niveaux de conceptualisation On en donnera trois exemples acircme persona et aperception qui preacutesentent tous la mecircme structure

Ex 1- Acircme - Agrave Rudolph-Christian Wagner srsquoenqueacuterant de ce que Leibniz entend par acircme Leibniz reacutepond que la signification du mot ldquoacircmerdquo peut ecirctre prise en un sens large (en quelque sorte geacuteneacuterique) de principe vital et en un sens restreint (en quelque sorte hieacuterarchique) qui speacutecifie une espegravece de principe vital avec quelque chose en plus Et crsquoest de maniegravere analogue par adjonction drsquoun eacuteleacutement de supeacuterioriteacute (perceptioni adjungitur attentio et memoria) que lrsquoldquoespritrdquo est deacutefini comme une espegravece drsquoacircme plus noble (pro specie vitae nobiliore)10

Les articles 1 agrave 6 des Principes de la Nature et de la Gracircce ainsi que lrsquoarticle 14 qui reprend lrsquoarticle 5 au niveau de la Gracircce procegravedent de la mecircme maniegravere Ils srsquoeacutelegravevent des ldquoviesrdquo aux ldquoespritsrdquo en passant par les acircmes selon une structure drsquoeacutetagement les esprits sont des principes vitaux et des acircmes dont quelques suppleacutements font la supeacuterioriteacute (ldquoElle est quelque chose de plus sublimerdquo PNG 3)

EX 2- Persona - Leibniz donne eacutegalement plusieurs sens agrave ldquopersonardquo qui se prend en un sens large pour deacutesigner le concret drsquoun ecirctre humain et en un sens plus technique pour eacutevoquer un abstrait un statut moral et juridique fait de droits et de devoirs agrave lrsquoeacutegard drsquoautres personnes En ce dernier sens ldquopersonardquo est un statut qui ne convient qursquoaux esprits comme ecirctres intelligents Il apparaicirct parfois en franccedilais comme ldquopersonnagerdquo

EX 3- Aperception - Pour donner un dernier exemple drsquoune polyseacutemie extrecircmement significative pour la meacutetaphysique leibnizienne Leibniz prend ldquoaperceptionrdquo comme une capaciteacute 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 10 GP VII p 529 Quaeris deinde definitionem animae meam Respondeo posse animam sumi late et stricte Tr fr Fichant 2004 p 364

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drsquoapercevoir tregraves large susceptible de degreacutes Certaines becirctes en teacutemoignent en quelques situations ponctuelles (les becirctes srsquoaperccediloivent de certains objets et de certaines situations) comme leur conduite le montre et lrsquoatteste Mais il prend eacutegalement ldquoaperceptionrdquo dans un sens restreint plus technique ougrave la capaciteacute proprement reacuteflexive est ou sous-entendue ou mentionneacutee comme crsquoest le cas ici agrave lrsquoarticle 3 au sens drsquoune capaciteacute de rapporter agrave soi-mecircme son action ou sa perception11 Et dans ce dernier sens ldquoaperceptionrdquo est un terme reacuteserveacute aux intelligences ou esprits dans la mesure ougrave il enveloppe un rdquoacte reacuteflexifrdquo reacuteserveacute aux seuls ecirctres raisonnables il est en effet beaucoup plus qursquoune perception distincte et mecircme plus qursquoun rapport agrave soi crsquoest un acte de reconnaissance une reconnaissance de soi dans son opeacuteration un jugement susceptible de se traduire dans un eacutenonceacute de type cogito ougrave ldquonousrdquo (esprits) sommes en position de sujets de lrsquoeacutenonceacute en mecircme temps que sujets eacutenonciateurs Les Nouveaux Essais ont preacuteciseacute que cet eacutenonceacute eacutetait virtuel en nous mecircme si nous ne le prononccedilons pas12

Ces trois exemples mettent en relief une structure commune le sens large convient agrave tous les ecirctres animeacutes dans la mesure ougrave les esprits ont avec les becirctes un territoire cognitif commun tandis que le sens restreint ne convient qursquoaux esprits en tant qursquoils ont non seulement une activiteacute mentale mais une penseacutee rationnelle qui est la marque de lrsquoeacuteleacutevation de leurs acircmes

b) Or les six premiers articles des Principes de la Nature et de la Gracircce sont preacuteciseacutement bacirctis sur ce modegravele les esprits comme tous

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les ecirctres animeacutes substances simples et monades sont nommeacutes agrave travers une seacuterie progressive (art 1) ils sont concerneacutes par la thegravese drsquoindestructibiliteacute (art 2) et par le rapport agrave un corps organique qui se preacutesente comme une ldquomachine de la naturerdquo (art 3) Ils sont preacutesenteacutes explicitement dans leur supeacuterioriteacute agrave partir de lrsquoarticle 4 supeacuterioriteacute qui srsquoeacutetablit en deux moments successifs

Premier moment celui de la supeacuterioriteacute ldquobiologiquerdquo En raison de leur organiciteacute du degreacute drsquoacribie et de preacutecision de leurs organes de reacuteception sensible qui les fait avoir le sentiment les esprits dont parlent les Principes de la Nature et de la Gracircce sont bien des ecirctres complets animaux ecirctres organiques mais leurs capaciteacutes sont supeacuterieures agrave celles des autres ecirctres animaux

Deuxiegraveme moment celui de la supeacuterioriteacute ldquologiquerdquo des esprits en raison de lrsquoeacuteleacutevation de leurs acircmes agrave la Raison Mecircme si Leibniz lrsquoeacuteclaircit agrave lrsquoarticle 6 cette ldquoeacuteleacutevationrdquo reste une opeacuteration un peu opaque voire eacutenigmatique ou miraculeuse Lrsquoimportant est qursquoil srsquoagisse drsquoune transformation qui fait eacutecho agrave la thegravese drsquoune preacute-formation des ecirctres vivants13 On sait que Leibniz heacutesitait sur lrsquoexplication de cette eacuteleacutevation mais reacutepugnait agrave avoir recours au miracle En dire peu dans les Principes de la Nature et de la Gracircce eacutetait une solution qui laissait ouvertes toutes les pistes explicatives et eacutevitait de tomber dans des difficulteacutes theacuteologico-religieuses14 Crsquoest ce que jrsquoai appeleacute la ldquosobrieacuteteacute meacutetaphysiquerdquo des deux grands exposeacutes monadologiques

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Lrsquoeacuteclairage de lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutevoquer une promotion des acircmes des animaux spermatiques agrave la nature humaine (la ldquonature humaine organiquerdquo ajoute Lucy Prenant dans ses notes15 ce que justifie le contexte monadologique) et cela agrave partir drsquoune geacuteneacuteration naturelle ou physique Crsquoest ici ldquolrsquohommerdquo qui est concerneacute dans le statut des esprits mecircme si les geacutenies seront aussi mentionneacutes sans autre preacutecision agrave lrsquoarticle 15 qui deacutefinit la Citeacute de Dieu ou Reacutepublique des esprits

Crsquoest pourquoi tous les esprits soit des hommes soit des geacutenies entrant en vertu de la Raison et des veacuteriteacutes eacuteternelles dans une espegravece de Socieacuteteacute avec Dieu sont des membres de la Citeacute de Dieu

Lrsquoimportant quand les esprits sont nommeacutes est qursquoil srsquoagisse drsquoecirctres complets dont le corps pourra bien ecirctre un jour subtil comme celui des geacutenies16 mais qui ne seront jamais de purs esprits sans organes srsquoils doivent pouvoir engendrer ldquonaturellementrdquo drsquoautres ecirctres dont lrsquoacircme sera pareillement eacuteleveacutee agrave la rationaliteacute

Ce qui est en jeu est la possibiliteacute drsquoune persistance des acircmes-esprits (ou ldquoimmortaliteacuterdquo) dans ce que nous appelons la mort La distinction entre perception et aperception a elle-mecircme pour fonction drsquoautoriser agrave penser une vie de lrsquoesprit alors mecircme qursquoil nrsquoy en aurait pas de conscience cela permet de se repreacutesenter la mort comme un long eacutetourdissement venant drsquoune grande confusion des perceptions Cette distinction vient donc accreacutediter la notion drsquoimmortaliteacute des esprits (et par lagrave des ecirctres humains) nonobstant la suspension de leurs opeacuterations conscientes Elle fonctionne comme un argument suppleacutementaire qui vient srsquoajouter agrave lrsquoideacutee que si les acircmes rationnelles sont transformeacutees (et non pas creacuteeacutees) elles pourraient ne pas disparaicirctre mais subir seulement une nouvelle transformation

A travers la succession de ces six articles il faut srsquoarrecircter quelque peu agrave lrsquoarticle 5 qui donne une premiegravere deacutefinition explicite de

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lrsquoesprit avant lrsquoarticle 14 qui la reprendra au niveau de la Gracircce et donc du rapport avec Dieu Lrsquoesprit y est deacutefini comme acircme eacuteleveacutee agrave une rationaliteacute consistant en lrsquoaccegraves aux veacuteriteacutes eacuteternelles Lrsquoarticle rappelle le fondement ontologique du raisonnement veacuteritable qui agrave la diffeacuterence des infeacuterences empiriques est fondeacute sur des veacuteriteacutes neacutecessaires crsquoest-agrave-dire des connexions objectives srsquoimposant agrave tout esprit ldquoCeux qui connaissent ces veacuteriteacutes neacutecessaires sont proprement ceux qursquoon appelle animaux raisonnables et leurs acircmes sont appeleacutees espritsrdquo

Cette thegravese des veacuteriteacutes eacuteternelles et neacutecessaires qui srsquoimposent agrave tout esprit est constante chez Leibniz car on la trouve depuis les premiers textes de jeunesse Leibniz lrsquoa utiliseacutee notamment contre le scepticisme de Foucher ou contre lrsquoempirisme de Locke lrsquoesprit ne peut se deacuterober agrave la perception de ces connexions en sorte que mecircme srsquoil nrsquoy avait rien drsquoinneacute contenu dans lrsquoesprit lrsquoesprit devrait reconnaicirctre en lui-mecircme sa propre structure logique La ldquoraisonrdquo sans ecirctre redeacutefinie autrement que par son lien aux veacuteriteacutes neacutecessaires est tacitement prise sous les deux aspects qursquoelle a pris dans les Nouveaux Essais objectif et subjectif a parte rei comme liaison des veacuteriteacutes aperccedilue par les seuls esprits ou ecirctres raisonnables ou a parte subjecti comme faculteacute drsquoapercevoir les connexions neacutecessaires et drsquoinfeacuterer selon ces connexions La ldquoraisonrdquo est donc bien constitueacutee par les veacuteriteacutes neacutecessaires ontologiquement premiegraveres par rapport agrave leur saisie et agissant en nous sous forme de ldquovirtualiteacutesrdquo avant que nous ne les deacutecouvrions ou eacutenoncions17 Leibniz nrsquooublie pas que la raison est en nous une puissance active une virtualiteacute ou disposition agrave tirer de son fonds inneacute des connaissances et des veacuteriteacutes Si le Discours de Meacutetaphysique induisait un sentiment de circulariteacute en indiquant que les becirctes ldquone pouvant faire de reacuteflexionsrdquo18 ne sauraient deacutecouvrir des veacuteriteacutes neacutecessaires et universelles les Nouveaux Essais et les exposeacutes monadologiques restituent lrsquoordre objectif de veacuteriteacutes qui srsquoimposent agrave

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des esprits qui les pensent mais ne les constituent pas19 Les veacuteriteacutes preacutecegravedent les esprits qui les reconnaissent

Cet article 5 se couronne par un mouvement de reconnaissance et drsquoidentification ougrave Leibniz srsquoexprime agrave la premiegravere personne du pluriel et englobe en quelque sorte ses lecteurs ldquohellip et crsquoest ce qui NOUS rend capables des sciences et des connaissances deacutemonstrativesrdquo

Lrsquoemploi de ldquonousrdquo est lrsquoindice drsquoune subjectiviteacute ou plus exactement drsquoune activiteacute de subjectivation et drsquoappropriation caracteacuteristique des esprits que Leibniz met lui-mecircme en acte dans le texte Cette subjectiviteacute est engageacutee agrave la fois (i) dans lrsquoorganiciteacute complexe faite drsquoentrrsquoexpression qui fait la richesse et la preacutecision des informations retireacutees de la connexion de lrsquoorganisme avec lrsquoordre geacuteneacuteral des choses et (ii) dans un rapport agrave soi qui est reconnaissance de soi dans son opeacuteration deacutebouchant sur un jugement auquel nous invite ici Leibniz il le pratique lui-mecircme dans son travail de meacutetaphysicien imitant volontairement lrsquooeuvre de Dieu dans son petit deacutepartement quand il eacutecrit les exposeacutes monadologiques

Une premiegravere conclusion se deacutegage agrave partir du premier mouvement des Principes de la Nature et de la Gracircce (art 1 agrave 6)

Il est leacutegitime de parler drsquoune redeacutefinition contextuelle des esprits apregraves le tournant monadologique car le contexte doctrinal a changeacute depuis le Discours de Meacutetaphysique et les Generales Inquisitiones (ce tournant a eu lieu vraisemblablement agrave partir des derniegraveres lettres agrave Arnauld telle la lettre du 9 octobre 1687) Cela tient agrave un tournant dans la conception de lrsquounion de lrsquoacircme et du corps Le corps ne nous est plus seulement ldquoaffecteacuterdquo sans ecirctre attacheacute agrave notre essence La constitution monadologique des corps organiques impose de consideacuterer un tissage ou un entrelacement de toutes les monades composant le corps humain avec des corps organiques en connexion avec tous les autres corps organiques lrsquoacircme ou lrsquoesprit correspond alors agrave un degreacute de dominance suppleacutementaire pour

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lrsquoacircme qui fait lrsquouniteacute du composeacute20 Lrsquoentrelacement de corps et de monades en connexion avec lrsquoordre geacuteneacuteral constitue deacutesormais gracircce agrave lrsquoopeacuteration unificatrice de la monade dominante et agrave des relations agrave tous les ecirctres de lrsquounivers ce qursquoon peut appeler la situation respective de tout ecirctre animeacute dans un reacuteseau de relations ou son ldquopoint de vuerdquo dans un monde (art 3)21

Cela ne peut manquer de retentir sur la conception des esprits crsquoest-agrave-dire de la faccedilon dont nous nous consideacuterons ldquonous-mecircmesrdquo puisque nous nous identifions plus volontiers agrave lrsquoaspect intelligent et raisonnable de nous-mecircmes22

Ecirctres vivants capables de rationaliteacute (crsquoest-agrave-dire ldquoespritsrdquo au sens large) ecirctres raisonnables doueacutes drsquoun ldquoespritrdquo (au sens eacutetroit drsquointellect) nous consideacuterons en effet et agrave juste titre la composante rationnelle de notre ecirctre comme ce qui nous est propre et nous distingue des autres animaux

Ce qui eacuteclaire drsquoun jour diffeacuterent la deacutefinition de lrsquoarticle 5 ldquoceux qui connaissent ces veacuteriteacutes neacutecessaires sont proprement ceux qursquoon appelle animaux raisonnables et leurs acircmes sont appeleacutees espritsrdquo Nous sommes des animaux raisonnables et nous nous reconnaissons comme des esprits

Crsquoest que deacutesormais depuis le tournant monadologique il nrsquoexiste plus drsquoactiviteacute mentale ou intellectuelle qui ne soit porteacutee par lrsquoactiviteacute drsquoune ldquomachine de la naturerdquo dont la complexiteacute infinie est responsable de la preacutecision des impressions et informations que travaille lrsquointellect Le concept de ldquomachine de la naturerdquo renvoie agrave une infiniteacute de rapports qui connectent tous les organismes Lrsquoacircme raisonnable reccediloit les impressions de tout lrsquounivers agrave travers des

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organes qui sont en composition avec tous les corps organiques La machine humaine opegravere selon un ajustement et une acribie supeacuterieurs agrave ceux des autres machines Crsquoest pourquoi lrsquoactiviteacute de connaissance doit ecirctre reformuleacutee pour des ldquoespritsrdquo qui ne sont pas seulement des entiteacutes perceptuelles parce qursquoils sont engageacutes dans une organiciteacute constitutive de lrsquoentrrsquoexpression laquelle fonde pour les esprits leur connaissance des connexions de lrsquounivers Lrsquoorganiciteacute des esprits qui justifie lrsquoexpression employeacutee par Andreas Blank drsquoldquoorganic mindsrdquo23 est inseacuteparable de leur nature ldquologiquerdquo soit de leur accegraves agrave des connexions logiques qui rendent connaissables et formulables les connexions de lrsquounivers ougrave ils sont situeacutes Les deux conditions organique et logique sont requises pour qursquoil y ait connaissance scientifique activiteacute qui est le propre des esprits

Comme Leibniz lrsquoindiquait agrave Sophie en 1701 ldquoles penseacutees de lrsquoacircme ne sauraient ecirctre distinctes lorsque les traces dans le cerveau sont confusesrdquo24

Leibniz nrsquoa jamais imputeacute agrave la complexiteacute du corps organique des esprits les dispositions rationnelles qui font leur capaciteacute agrave deacutecouvrir en eux-mecircmes les veacuteriteacutes eacuteternelles Il faut se contenter drsquoune correspondance expressive entre les deux versants organique et logique Lrsquoimputation de la tendance rationnelle agrave la complexiteacute organique du vivant humain si elle eacutetait justifieacutee serait en tout eacutetat de cause insuffisante car ne rendant pas suffisamment justice agrave lrsquoempreinte deacutecisive en nous des veacuteriteacutes logiques qui ne peut provenir que de Dieu lui-mecircme Mais il est clair que la complexiteacute organique est la condition mateacuterielle de nos relations avec tout lrsquounivers et lrsquoordre geacuteneacuteral qui consonnent avec la structure rationnelle

Il faut donc souligner un double enracinement organique et logique drsquoune rationaliteacute objective et partageacutee qui fait la preacuterogative des esprits Elle les conduit agrave eacutenoncer le ldquoprincipe de raisonrdquo (article 7) qui nous megravene agrave la Gracircce crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoordre des fins Sans reacuteduire le logique agrave lrsquoorganique on soulignera lrsquoharmonie entre 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 23 Voir Blank 2006 pp 189-202 Il montre le rocircle deacutecisif joueacute par les traces corporelles pour les repreacutesentations mentales et les perceptions infiniteacutesimales constitutives du point de vue singulier qui speacutecifie les ldquopersonnesrdquo capables de conscience 24 Lettre agrave Sophie 30 novembre 1701 GP VII pp 557-558

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lrsquoorganiciteacute complexe des esprits et la marque en nous des veacuteriteacutes logiques la reacutealiteacute corporelle eacutetant elle-mecircme porteuse de la structure rationnelle de lrsquounivers

Corollaire de cette premiegravere conclusion Les Principes de la Nature et de la Gracircce ne font selon moi aucune ceacutesure crsquoest-agrave-dire ne pratiquent aucune coupure entre physique et meacutetaphysique Les six articles megravenent agrave lrsquoarticle 7 et aux suivants dans une parfaite continuiteacute Les premiers articles sont deacutejagrave marqueacutes de la preacutesence de la Gracircce dans la mesure ougrave ils mentionnent les causes finales du bien et du mal ainsi que les actes reacuteflexifs Et les seconds continuent agrave obeacuteir agrave la mecircme structure drsquoeacutetagement et mecircme drsquoeacutetayage puisque les privilegraveges des esprits srsquoenracinent dans les capaciteacutes organiques drsquoacircmes pourvus de corps tregraves deacutelieacutes drsquoorganes ajusteacutes acircmes eacuteleveacutees agrave travers une geacuteneacuteration naturelle agrave la rationaliteacute qui caracteacuterise ici la nature humaine dont elle est le trait distinctif

Lrsquoordre de la Gracircce est enfin preacutesent drsquoembleacutee agrave travers les esprits et leur accegraves aux veacuteriteacutes eacuteternelles car cet accegraves est la condition de la formulation du Principe de raison qui amorce agrave lrsquoarticle 7 le second mouvement des Principes de la Nature et de la Gracircce

1-2 Le second mouvement du texte des PNG (7-18) Les onze articles consacreacutes agrave la Gracircce reposent solidement sur

la base physique dynamique drsquoune nature que la Gracircce reprend et sublime en lrsquoorientant vers une fin En fait degraves les premiers articles des Principes de la Nature et de la Gracircce en nous invitant agrave nous reconnaitre comme ldquoespritsrdquo qui ne disent pas seulement le moi mais disent ldquonousrdquoet se situent dans lrsquointer-connexion Leibniz se place au niveau drsquoune action des esprits au service de la Gracircce

Regardons plus rapidement ce second mouvement car nous le reprendrons agrave travers la question des qualiteacutes morales Apregraves avoir brosseacute comme de loin le tableau drsquoensemble et le plan drsquoun univers dont Dieu est la raison derniegravere et le sage auteur Leibniz srsquoapproche des acircmes expressives et eacutevoque leurs degreacutes de perfection agrave mesure de leurs perceptions distinctes jusqursquoagrave en venir aux ldquoespritsrdquo ou acircmes raisonnables (art 14) leurs privilegraveges cognitifs et reacuteflexifs deacutejagrave indiqueacutes agrave lrsquoarticle 5 sont mis en lumiegravere et se manifestent agrave preacutesent en rapport avec un Dieu auteur et organisateur des choses Il en deacutecoule que lrsquoacircme-esprit est dite architectonique Elle ne fait pas que repreacutesenter elle construit elle-mecircme imitant Dieu dans son petit

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monde agrave partir des connaissances et inventions spontaneacutees ou involontaires jusque dans les actions volontaires On notera que lrsquoesprit est deacutesormais envisageacute sur le versant de lrsquoaction et plus agrave travers la seule connaissance ce qui amorce le virage que prend le texte en deacutebouchant sur le monde moral Deacutejagrave sous-entendu dans les causes finales du bien et du mal dans la bonteacute de Dieu dans le bonheur et la bonteacute des creacuteatures le monde moral apparaicirct cette fois en pleine lumiegravere Lrsquoimbrication du discours physique et du discours meacutetaphysique est claire

Monadologie et Principes de la Nature et de la Gracircce eacutenoncent agrave propos des esprits des thegraveses tregraves proches deacutefinis par une organiciteacute complexe et une reacuteflexiviteacute qui les distingue des autres animaux les esprits sont capables des sciences des actions volontaires et par lagrave drsquoune ldquosocieacuteteacuterdquo avec lrsquoauteur de toutes choses qui fait le regravegne de la Gracircce La nature y conduit sans deacuterogation agrave ses lois la justice de Dieu qui est la loi de la citeacute de Dieu opeacuterant par les voies de la nature par reacutecompense et sanction immanentes

Il est remarquable que ces thegraveses se trouvent deacutejagrave preacutesentes pour la plupart dans des textes preacuteceacutedant ces deux exposeacutes

En revanche ces thegraveses sont ordinairement assorties de consideacuterations sur la liberteacute et la responsabiliteacute qui fondent chacirctiments et reacutecompenses ainsi que sur lrsquoimmortaliteacute personnelle crsquoest-agrave-dire la persistance pour chaque esprit de ce qui fait son personnage

Que penser de leur absence dans ces exposeacutes On a voulu y voir le signe drsquoune naturalisation de la meacutetaphysique Cette caracteacuterisation quelle que soit sa pertinence semble unilateacuterale Drsquoautre part elle ne paraicirct pas avoir exactement le mecircme sens dans les deux exposeacutes

2 Lrsquoabsence probleacutematique des notions morales dans les deux exposes

monadologiques

Dans les Principes de la Nature et de la Gracircce apregraves avoir eacuteteacute situeacutes par rapport aux autres monades et aux autres animaux les ldquoespritsrdquo sont situeacutes dans leur rapport agrave Dieu derniegravere raison et auteur de toutes choses Le deuxiegraveme mouvement des Principes de la Nature

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et de la Gracircce reprend dans cette perspective nouvelle les thegraveses deacutejagrave preacutesentes dans le premier mouvement le reacuteveil ineacuteluctable des esprits assoupis dans ce que nous appelons ldquomortrdquo (art 12) la compatibiliteacute de cette survie avec un degreacute infeacuterieur de conscience fait de perceptions confuses (art 13) le caractegravere architectonique des acircmes-esprits qui en fait des expressions actives des ouvrages de Dieu (art 14) en particulier dans lrsquoinvention scientifique et lrsquoactiviteacute de connaissance mais aussi dans les actions volontaires dont la Monadologie ne parlait pas directement Enfin les articles terminaux des Principes de la Nature et de la Gracircce deacuteploient agrave partir de lrsquoarticle 15 le monde moral ou Citeacute de Dieu avec un accent particulier sur la justice de Dieu qursquoon ne trouve pas exprimeacutee si nettement dans la Monadologie Ces articles donnent un relief tregraves vif agrave la continuiteacute entre Gracircce et Nature25 Plutocirct que de rompre avec le discours physique le discours meacutetaphysique dans les Principes de la Nature et de la Gracircce constitue une reprise et une promotion du premier discours on y retrouve en effet les mecircmes thegraveses drsquoingeacuteneacuterabiliteacute et drsquoindestructibiliteacute mais envisageacutees sous lrsquoangle de notre destination drsquoesprits membres de la Citeacute de Dieu La Gracircce magnifie et perfectionne lrsquoordre de la Nature sans jamais le laisser de cocircteacute ou derriegravere soi sans jamais le deacutelaisser Les formules trouveacutees par Leibniz agrave la fin de lrsquoarticle 15 des Principes de la Nature et de la Gracircce pour marquer ce rapport sont les formules les plus nettes et claires qui soient Elles laisseront une trace deacutefinitive agrave la posteacuteriteacute

Par lrsquoordre mecircme des choses naturelles en vertu de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie de tout temps entre les regravegnes de la nature et de la gracircce entre Dieu comme architecte et Dieu comme monarque en sorte que la nature megravene agrave la gracircce et que la gracircce perfectionne la nature en srsquoen servant

Enfin un dernier accent est propre aux Principes de la Nature et de la Gracircce ils mettent en exergue et approfondissent lrsquoAmour de Dieu et le bonheur preacutesent et actuel qui en deacutecoule Crsquoest dire que la Gracircce agit actuellement et preacutesentement dans la nature Srsquoil est un royaume des fins ce royaume est actif ici et maintenant sans attendre un futur dont nous avons cependant deacutejagrave un avant-goucirct Degraves 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 25 Cette continuiteacute manifeste ne mrsquoa pas permis de valider lrsquointeacuteressante remarque drsquoEnrico Pasini selon laquelle il subsisterait dans les Principes de la Nature et de la Gracircce une ceacutesure entre discours physique et discours meacutetaphysique que la Monadologie en revanche deacutepasserait Voir Pasini 2005 p 114

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lors le mouvement des Principes de la Nature et de la Gracircce srsquoapparente au mouvement de progregraves et de perfectionnement propre agrave la Gracircce elle-mecircme Le texte accompagne le mouvement de la Gracircce Leibniz effectuant ce qursquoil annonce Dans cette fin du texte Leibniz ne parle plus des ldquoespritsrdquo il parle de ldquonousrdquo et srsquoadresse agrave nous Lrsquoamour de Dieu est compareacute agrave la musique qui nous charme agrave la fois et inseacuteparablement par ses proportions ideacuteelles et par les battements que le corps compte sans le savoir de ses rythmes Nous sommes des esprits et sommes convieacutes degraves ici-bas agrave participer consciemment et volontairement agrave la citeacute de Dieu dont nous sommes deacutejagrave membres sans le savoir quand nous appreacutecions lrsquoharmonie des choses Le texte se termine sur lrsquoeacutevocation de ldquonotre bonheurrdquo consistant dans un progregraves perpeacutetuel en plaisirs et perfections Mecircme si les esprits ne sont plus la fin exclusive de la creacuteation leur bonheur vient bien la couronner et exalter comme lrsquoindiquait dans la Monadologie agrave lrsquoarticle 86 la notion de ldquogloire de Dieurdquo

Cette Citeacute de Dieu ltgt est un Monde moral dans le monde naturel et ce qursquoil y a de plus eacuteleveacute et de plus divin dans les ouvrages de Dieu et crsquoest en lui que consiste veacuteritablement la gloire de Dieu puisqursquoil nrsquoy en aurait point si sa grandeur et sa bonteacute nrsquoeacutetaient pas connues et admireacutees par les esprits

Il est remarquable que le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce se termine sur ldquonousrdquo sur le bonheur et le plaisir que nous eacuteprouvons Crsquoest un indice de plus de lrsquoaccent mis dans les Principes de la Nature et de la Gracircce sur la subjectiviteacute crsquoest-agrave-dire sur une opeacuteration drsquoappropriation et de subjectivation caracteacuteristique des esprits sur la maniegravere dont nous pouvons comme esprits gracircce agrave lrsquoacte reacuteflexif et aux connexions logiques nous approprier notre situation et en tirer une jouissance non exclusive des progregraves dans la connaissance et lrsquoaction

Pour autant la notion de personne qui apparaicirct dans lrsquousage grammatical drsquoun ldquonousrdquo comme sujets agrave la premiegravere personne se substituant agrave la troisiegraveme personne des esprits nrsquoest pas mentionneacutee comme une dimension explicite Examinons donc pour finir les concepts apparemment absents des exposeacutes monadologiques alors qursquoils sont preacutesents dans drsquoautres textes pour deacuteterminer quel sens donner agrave leur omission

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Les concepts de personnage de personne de liberteacute et de personnaliteacute morale semblent solidaires et disparaitre ensemble Ils forment un mecircme reacuteseau seacutemantique celui des qualiteacutes morales La dimension morale serait-elle soit absente des Principes de la Nature et de la Gracircce soit estompeacutee et repousseacutee agrave lrsquohorizon 26

Le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce dit explicitement le contraire le monde moral agit ici et maintenant On ne peut donc se contenter de souligner la reacuteorientation de la meacutetaphysique de Leibniz dans un sens reacutealiste voire naturaliste dans la mesure ougrave la monade est un opeacuterateur indeacuteniable de naturalisation Car lrsquoorganiciteacute des esprits ne contrevient nullement agrave leur vocation spirituelle

Jrsquoai proposeacute au colloque de Grenade de retrouver dans le texte de la Monadologie la dimension morale de la personne enveloppeacutee dans les notions de ldquoreacuteflexiviteacuterdquo de capaciteacute agrave faire retour sur soi et agrave nous consideacuterer comme lrsquoagent de nos opeacuterations toutes significations qui font lrsquoldquoacte reacuteflexifrdquo Cette hypothegravese est eacutegalement valable voire lrsquoest encore plus pour les Principes de la Nature et de la Gracircce dont la viseacutee ne semble pas ecirctre exclusivement celle drsquoun systegraveme de la nature (comme pouvait apparaicirctre la Monadologie) mais enveloppe une dimension de theacuteologie naturelle

Acte reacuteflexif Lrsquoacte reacuteflexif proprement dit nrsquoest pas une perception plus fine

plus aiguumle ou aiguiseacutee il pourrait alors ecirctre confondu avec lrsquoaperception A la diffeacuterence de lrsquoaperception lrsquoacte reacuteflexif est un jugement qui actualise momentaneacutement une disposition constante des esprits Il consiste agrave se poser soi-mecircme dans sa penseacutee comme son agent Crsquoest un acte de reconnaissance de son activiteacute comme sien par ougrave ldquonousrdquo prenons la responsabiliteacute de notre activiteacute de penseacutee en un ldquoje penserdquo virtuel eacutequivalent agrave tout autre Elle suppose ou pose un ldquomoirdquo dont nous savons qursquoil enveloppe la ldquoplace drsquoautruirdquo drsquoun autrui quelconque et permet de prendre sa place ce qui anticipe ou preacutepare lrsquouniversalisation du point de vue singulier Lrsquoacte reacuteflexif

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nous rend capables de ldquoprendre la place drsquoautrui dans la penseacuteerdquo en une virtuelle universalisation Lrsquoactiviteacute reacuteflexive drsquoimputation agrave soi-mecircme et non la simple aperception ponctuelle speacutecifie donc les esprits Comme Leibniz lrsquoa indiqueacute agrave Thomas Burnett 27

LrsquoAuteur des secondes penseacutees touchant lrsquoacircme preacutetend que lrsquoAction reacutefleacutechie nrsquoest autre qursquoune remeacutemoration ou recollection de quelque action ou action faite une fois ou plusieurs fois auparavant ou quelque penseacutee ramasseacutee de nouveau Mais il se trompe ce nrsquoest pas en cela que consiste la reacuteflexion non seulement je me repreacutesente agrave moi-mecircme mon action mais je pense aussi que cest moi qui laccomplit ou lai accomplie

La reacuteflexion nrsquoest pas une repreacutesentation au second degreacute mais un acte de se rapporter agrave soi Or srsquoimputer une action agrave soi-mecircme est la condition de toute responsabiliteacute Lrsquoacte reacuteflexif conduit donc directement agrave la notion de responsabiliteacute tout comme la conscience de soi (conscientiam sui) qui rend capable des chacirctiments et des reacutecompenses On peut citer sur ce point la lettre agrave Smith de 1707

Solas autem mentes id est animas ratione praeditas et divinorum capaces personam id est conscientiam sui servare et poenae praemiaeque capaces esse possunt28

Personne La notion de personne elle-mecircme a diverses origines dont lrsquoune

vient du theacuteacirctre grec mais dont une autre vient de la religion chreacutetienne qui pose un Dieu en trois ldquopersonnesrdquo Ambigueuml la notion de personne recouvre un large eacuteventail de significations dont les deux pocircles vont soit vers lrsquoindividualiteacute meacutetaphysique soit vers la personnaliteacute morale Mais la signification ordinaire de ldquopersonnerdquo est bien celle drsquoun sujet intelligent (ldquovulgo persona est suppositum intelligensrdquo29) et eacutequivaut donc agrave lrsquoesprit consideacutereacute comme

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intelligence tel qursquoon le trouve dans les Principes de la Nature et de la Gracircce

Lrsquoeffort leibnizien va vers une unification de ces diverses significations il les fait converger pour deacutesigner un ecirctre vivant doueacute de dispositions rationnelles qui peut ecirctre revecirctu de relations qui lui confegraverent titres et fonctions mais jamais seacutepareacute de son corps organique Les Animadversiones in partem generalem Principiorum Cartesianorum art 31 35 avaient montreacute une personne relevant agrave la fois de lrsquoordre de la nature en deacutesignant un ecirctre conscient de soi capable drsquoacte reacuteflexif et de lrsquoordre moral puisqursquoil srsquoavisait et srsquoadmonestait prenant agrave lrsquoeacutegard de soi-mecircme la place drsquoautrui La notion de personne permettait de penser un situs relationnel propre aux esprits ecirctres qui ont les moyens de ldquoserdquo situer eux-mecircmes dans lrsquounivers entier et en teacutemoignent et pas seulement drsquoy ecirctre situeacutes comme les animaux non raisonnables Or les Principes de la Nature et de la Gracircce mentionnent la reacuteflexiviteacute comme la proprieacuteteacute distinctive des esprits et indiquent qursquoelle conduit agrave la notion de ldquomoirdquo qui elle-mecircme enveloppe celle de ldquopersonnerdquo puisque la personne est rapport agrave soi La personne est donc tacitement preacutesente agrave travers le ldquomoirdquo et le rapport agrave soi qui deacutefinit les esprits par leur capaciteacute de reacuteflexion Crsquoest ce rapport des esprits agrave un ldquomoirdquo qui conduit agrave la notion de personnaliteacute morale

LrsquoExtrait du Dictionnaire de M Bayle article Rorarius (p 2599 sqq de lrsquoEdition de lrsquoan 1702 avec mes remarques30) formulait clairement le lien entre ces notions

Il y a aussi une grande diffeacuterence entre lrsquoindestructibiliteacute des acircmes des becirctes et lrsquoimmortaliteacute des acircmes raisonnables Car toutes les acircmes conservent leur substance mais les seuls esprits conservent encore leur personnaliteacute crsquoest-agrave-dire la connaissance de ce moi par laquelle je me connais la mecircme personne ce qui me rend susceptible de reacutecompense ou de chacirctiment

Leibniz a-t-il voulu faire lrsquoeacuteconomie des connotations chreacutetiennes et dramaturgiques de la personne et de la personnaliteacute qui auraient pu lrsquoentrainer vers des problegravemes de theacuteologie reacuteveacuteleacutee et de controverses religieuses sur la preacutedestination (posant par exemple la question vaine de savoir pourquoi Dieu a donneacute plus de perfection agrave 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 intelligens rdquo Leibniz est donc fondeacute agrave dire qursquoil srsquoagit drsquoune conception ordinaire (ldquovulgordquo) 30 GP IV p 527

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un esprit qursquoagrave un autre) On ne peut pas en tout cas parler drsquoune omission deacutelibeacutereacutee de la dimension morale visant agrave mettre au premier plan une meacutetaphysique de la nature La dimension morale est bien preacutesente mais elle srsquoaccompagne dans les Principes de la Nature et de la Gracircce drsquoune theacuteologie naturelle et non pas reacuteveacuteleacutee

Personnage Plus geacuteneacuteralement lrsquoorganiciteacute et le rapport aux veacuteriteacutes eacuteternelles

qui font les ldquoespritsrdquo sont parfaitement compatibles avec lrsquoexistence drsquoun monde moral theacuteacirctre situeacute dans le theacuteacirctre de la nature de notre vie ordinaire qui lui-mecircme enveloppe le theacuteacirctre plus subtil des animaux spermatiques Dans le monde de la Gracircce les esprits jouent agrave travers leur socieacuteteacute avec Dieu une partition accordeacutee agrave leur constitution organiquement relationnelle qui leur permet de connaicirctre les connexions de dire ldquonousrdquo et de se reconnaicirctre responsables dans lrsquointerconnexion en eacuteclairant leur situs ou ldquopoint de vuerdquo

La meacutetaphore theacuteacirctrale reste drsquoailleurs preacutesente dans les deux grands exposeacutes monadologiques Le rocircle que joue Dieu agrave leurnotre eacutegard et que la lettre agrave Arnauld du 9 octobre 1687 appelait un ldquoautre personnagerdquo agrave lrsquoeacutegard des esprits que celui drsquoauteur geacuteneacuteral des ecirctres se retrouve dans les Principes de la Nature et de la Gracircce comme dans la Monadologie Les Principes de la Nature et de la Gracircce distinguent en effet agrave lrsquoarticle 15 Dieu-comme-architecte fonction qui concerne tous les ecirctres et Dieu-comme monarque qui correspond aux esprits en tant que membres de la Citeacute de Dieu Les deux fonctions ou personnages se retrouvant dans les Principes de la Nature et de la Gracircce et dans la Monadologie cela fortifie lrsquohypothegravese drsquoune preacutesence implicite de la notion de rdquopersonnagerdquo ou de personnaliteacute morale concernant ceux avec qui Dieu prend ce personnage de souverain crsquoest-agrave-dire preacuteciseacutement les esprits

Leibniz lrsquoexplicitait pour Rudolf Christian Wagner en 1710

Lacircme ou lrsquoanimal agrave la naissance ou apregraves la mort ne diffegraverent reacuteellement de lrsquoacircme ou de lrsquoanimal vivant la vie preacutesente que par la disposition des choses et les degreacutes des perfections et non selon le genre total des ecirctres Je pense de mecircme des Geacutenies qursquoils sont des esprits doteacutes drsquoun corps extrecircmement peacuteneacutetrant et apte agrave opeacuterer Lrsquohomme srsquoeacutelegraveve pourtant merveilleusement au-dessus des becirctes et srsquoapproche des Geacutenies puisque par lrsquousage de la raison il est capable de socieacuteteacute avec Dieu

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Crsquoest pourquoi il ne conserve pas seulement la vie et lrsquoacircme comme les becirctes mais aussi la conscience de soi et la meacutemoire de son eacutetat passeacute et pour ainsi dire son personnage (Je souligne)31

Les notions de personnaliteacute morale et de personnage sont indissociables de la meacutetaphore chreacutetienne drsquoimago Dei que Leibniz reprend en toute discreacutetion agrave lrsquoarticle 14 pour en deacuteriver le caractegravere architectonique de lrsquoacircme-esprit On soulignera seulement que dans ce texte ldquonousrdquo esprits sommes agrave lrsquoimage drsquoun Dieu qui est consideacutereacute seulement comme auteur et architecte des choses et non pas dans la figure ou sous la personne de Jeacutesus-Christ Cela renforce le sentiment que Leibniz a choisi une forme de sobrieacuteteacute meacutetaphysique qui srsquoaccommode mieux drsquoune theacuteologie naturelle que de la theacuteologie reacuteveacuteleacutee Leibniz le formulait eacutegalement dans sa lettre agrave R-C Wagner ldquoLa veacuteritable theacuteologie naturelle se deacutemontre de la plus belle maniegravere par mes principesrdquo32

Liberteacute En est-il de mecircme de la notion de liberteacute des esprits Est-elle

implicite ou estompeacutee voire censureacutee On doit la consideacuterer comme implicite si la liberteacute des esprits est deacutefinie comme spontaneacuteiteacute guideacutee par la rationaliteacute puisque la rationaliteacute fondeacutee sur la connaissance des veacuteriteacutes eacuteternelles est la veacuteritable ligne de deacutemarcation entre becirctes et esprits dans tous les articles concernant les acircmes raisonnables De plus la mention des actions volontaires et celle des reacutemuneacuterations et chacirctiments de telles actions supposent la liberteacute des actions dans la mesure ougrave elle est preacutesupposeacutee par la responsabiliteacute que demande la reacutemuneacuteration de lrsquoaction

Il faut donc conclure agrave une redeacutefinition contextuelle des esprits Leur assise organique les relie agrave lrsquointerconnexion de toutes choses Mais cela ne nuit pas agrave leur qualiteacute de personnes

On ne saurait se suffire en effet de lrsquoexplication selon laquelle la disparition du lexique theacuteologique et du vocabulaire de lrsquoindividuation par la ldquonotion complegraveterdquo preacutesents tous deux dans le Discours de Meacutetaphysique expliquerait une maniegravere drsquoeacutevanouissement des personnes en faveur de monades anonymes noyeacutees en quelque

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sorte dans le grouillement organique de la matiegravere33 La monade est sans doute un opeacuterateur de naturalisation de la meacutetaphysique et il eacutetait juste de le souligner Mais cette explication trouve ses limites quand on examine des textes tels que le Systegraveme Nouveau de la Nature la lettre agrave Rudolph Christian Wagner de 1710 ou la lettre agrave Reacutemond de 1714 (laquelle propose comme les exposeacutes monadologiques un ldquoeacuteclaircissement sur les monadesrdquo) Aucun de ces textes nrsquoa en effet recours agrave la theacuteorie de la notion complegravete Or tous conservent pourtant la trace expresse des notions de ldquopersonnaliteacuterdquo de ldquoqualiteacutes moralesrdquo voire de ldquopersonnagerdquo Srsquoil est juste de dire que le texte du Systegraveme Nouveau marque un souci drsquordquoapprofondissement des concepts de la seule philosophie de la naturerdquo34 lrsquoargument se retourne cet approfondissement nrsquoempecircche nullement le Systegraveme Nouveau de parler de la personnaliteacute morale35 comme fondement de la responsabiliteacute et de lrsquoimmortaliteacute personnelle

Quant aux Principes de la Nature et de la Gracircce ils ne font pas disparaicirctre le vocabulaire theacuteologique agrave moins drsquoentendre par lagrave celui de la theacuteologie reacuteveacuteleacutee Rien ne justifie de parler agrave la maniegravere de Jean Baruzi drsquoune domination drsquoun point de vue biologique et cosmique qui ferait srsquoestomper la preacutecellence des esprits Dans la mesure ougrave le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce est tout entier animeacute par une monteacutee vers la citeacute de Dieu comme monde moral et vers le bonheur des esprits il est difficile de penser que Leibniz voulait priver ce texte drsquoune dimension morale et theacuteologique Cette dimension est non seulement compatible avec le relief donneacute au vivant et agrave lrsquoorganique mais elle est preacutesente dans le texte reposant sur la nature qui lui donne ses ressources et son architecture agrave utiliser et reconnaicirctre

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Conclusion une subjectiviteacute incorporeacutee

Il faut donc plutocirct conclure agrave lrsquoenveloppement des notions morales dans les notions meacutetaphysiques preacutesentes dans le texte ainsi qursquoagrave lrsquoinsertion du monde moral de la Gracircce comme un ferment actif au sein de la nature Ce ferment intellectuel est incorporeacute agrave un organisme dont on pourrait dire qursquoil est lui-mecircme ldquomind-likerdquo du fait de cette dynamique qui lrsquoanime (ce ne sont pas seulement les monades qui conspirent agrave le former qursquoon peut dire ldquomind-likerdquo) Ce ferment intelligent est en germe dans les marques lumineuses qui font la rationaliteacute ou ldquolumiegravere naturellerdquo forme subjective des veacuteriteacutes eacuteternelles objectives Les esprits apregraves le tournant monadologique apparaissent comme des ecirctres complets qui ont une nature organique connecteacutee agrave une activiteacute mentale rationnelle Ce sont donc en un certain sens des corps vivants ou des organismes mais des corps privileacutegieacutes et en quelque sorte ldquospiritualiseacutesrdquo capables de subjectivation de leur situation respective gracircce aux germes logiques qui se trouvent en eux et agrave lrsquoactiviteacute expressive autoriseacutee par une complexiteacute monadologique qui les place dans lrsquointerconnexion de toutes choses Ces corps en quelque sorte virtuellement spiritualiseacutes degraves lors qursquoils sont marqueacutes de lrsquoempreinte des veacuteriteacutes ces embodied minds sont appeleacutes agrave reconnaicirctre en eux par la connaissance et par lrsquoaction cette nature active de sujets qui en fera un jour des corps glorieux dans la citeacute de Dieu Dans leur mouvement expressif de connaissance et drsquoaction ils deacutepassent lrsquoopposition dualiste heacuteriteacutee de Descartes entre un ordre des corps et un ordre des esprits eacutetrangers lrsquoun agrave lrsquoautre Agrave la diffeacuterence de la Monadologie exposeacute meacutetaphysique complet visant un systegraveme de la Nature les Principes de la Nature et de la Gracircce preacutesentent donc une approche nouvelle de la subjectiviteacute une subjectiviteacute en quelque sorte incorporeacutee inseacutereacutee dans lrsquointerconnexion dynamique de toutes choses

Sans partir ni de lrsquoesprit humain agrave la maniegravere carteacutesienne ni des esprits comme le ferait un ldquopanpsychismerdquo36 les Principes de la Nature et de la Gracircce preacutesentent au sein de la nature et sous le nom drsquoesprit une subjectiviteacute en activiteacute qui procegravede de lrsquointerconnexion

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dynamique de toutes choses et y est inseacutereacutee par toutes ses fibres organiques une subjectiviteacute incorporeacutee

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DAVIDE POGGI

QUELQUES OBSERVATIONS SUR LA REacuteFLEXION COGNITIVE ET LA REacuteFLEXIVITEacute DE LrsquoESPRIT DANS LA PENSEacuteE DE LEIBNIZ

1 Introduction

Les œuvres de 1714 crsquoest-agrave-dire les Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison (que pour plus de faciliteacute jrsquoappellerai Principes) et Les principes de la philosophie ou Monadologie (que jrsquoappellerai Monadologie) sont le couronnement avec lequel se termine tout au moins chronologiquement le parcours philosophique de Leibniz Il est inutile de rappeler (mais il est peut-ecirctre tout aussi important de le souligner) que les deux textes ne se caracteacuterisent pas seulement par leur nature de manuscrits publieacutes agrave titre posthume mais plutocirct par lextrecircme briegraveveteacute qui est lincarnation du dessein analytique-deacuteconstructif et syntheacutetique-reconstructif de lrsquoAuteur

Cette structuration more geometrico visait expresseacutement agrave rendre plus facilement compreacutehensible le systegraveme du philosophe de Hanovre (respectivement au prince Eugegravene de Savoie et agrave Nicolas Franccedilois Reacutemond) ainsi si dune part certains noyaux theacutematiques et conceptuels sont confirmeacutes de faccedilon lapidaire et presque deacutefinitive (en reacutepondant ainsi agrave lobjectif de lAuteur) dautre part il est cependant possible de signaler certaines situations critiques qui paradoxalement ont leur origine du fait que les raisonnements de Leibniz sont tellement deacutepouilleacutees qursquoils sont cryptiques

Les points sur lesquels je veux me concentrer agrave cette occasion sont la relation entre lapperception et la reacuteflexion et par la suite entre la reacuteflexion et la possession de veacuteriteacutes universelles Dans le premier des deux cas je chercherai agrave comprendre si lrsquoapperception en tant que conscience ou connaissance reflexive est une caracteacuteristique qui appartient exclusivement aux acircmes raisonnables ou esprits

Dans le deuxiegraveme cas jrsquoessayerai de reacutesoudre une incoheacuterence entre le texte du paragraphe 5 des Principes et celui des paragraphes 29 et 30 de la Monadologie (ce qui ne veut pas dire que cette contradiction est seulement entre ces deux œuvres) il ne srsquoagit pas

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drsquoun scrupule purement philologique mais drsquoune question principalement eacutepisteacutemologique qui est eacutegalement axeacutee comme le premier argument sur le rocircle de la reacuteflexion par rapport agrave ce que le sujet apporte avecen soi

Maintenant afin de bien comprendre ces thegravemes principaux et de deacutenouer les nœuds probleacutematiques qursquoils renferment il est utile agrave mon avis de recourir aux œuvres preacuteceacutedentes parce que nous pouvons y trouver les cleacutes de lecture correspondantes Mais quelles sont ces œuvres Reacutetrospectivement le premier texte que nous rencontrons ce sont les Essais de theacuteodiceacutee (1710) qui peuvent sans aucun doute ecirctre consideacutereacutes une summa du systegraveme philosophique de Leibniz mais de faccedilon similaire agrave ce que les substances individuelles ou les monades font par rapport agrave lrsquoUnivers ils repreacutesentent la penseacutee leibnizienne drsquoun point de vue speacutecifique (situeacute agrave la rencontre des questions meacutetaphysiques eacutethiques et theacuteologiques)

Le texte qui peut nous aider agrave ce propos est celui qui preacutecegravede immeacutediatement la Theacuteodiceacutee composeacute au deacutebut des anneacutees 1700 dans lequel Leibniz se mesure avec la psychologie de Locke qursquoil avait lue dans lrsquoEssai philosophique concernant lentendement humain (crsquoest-agrave-dire dans la traduction franccedilaise de lEssay reacutealiseacutee par Pierre Coste et publieacutee en 1700) Stimuleacute par la construction dune discussion ldquoideacutealerdquo avec le philosophe anglais et avec un point de vue ldquoautrerdquo (qui nrsquoest pas neacutecessairement radicalement opposeacute au sien)1 Leibniz finit par illustrer sa propre penseacutee mettant en eacutevidence des aspects qursquoil nrsquoavait si bien eacuteclaircis mecircme dans des œuvres comme le Discours de metaphysique (bien qursquoil ait eacuteteacute eacutecrit dans le contexte du dialogue ldquoreacuteelrdquo avec Arnauld) et le Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances (publieacute sur le Journal des sccedilavans en juin-juillet 1695 lrsquoun des rares exposeacutes de sa penseacutee qui aient circuleacute officiellement du vivant de Leibniz) agrave cause drsquoune certaine rigiditeacute que lon trouve dans les travaux destineacutes agrave un public qui parlait et pensait de faccedilon ldquocarteacutesiennerdquo (savoir le public du ldquotriangle philosophique et culturelrdquo deacutelimiteacute par Port-Royal les disciples de Malebranche et ceux de Spinoza)

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2 Apperception et reacuteflexion la connaissance des esprits et celle des animaux

Crsquoest en effet dans les Nouveaux Essais que le termeconcept drsquoapperception fait pour la premiegravere fois son apparition agrave lrsquointeacuterieur du corpus des textes leibniziens ce neacuteologisme naicirct drsquoune reacuteflexion sur une caracteacuteristique de la langue franccedilaise et de son application dans le domaine gnoseacuteologique2

Le lexique philosophique de la connaissance degraves Descartes srsquoeacutetait concentreacute sur le substantif de perception indiquant agrave la fois le contenu psychique et la fonction perceptive Leibniz lrsquoavait enrichi dun terme qui indiquait la fonction cognitive dans sa pleine expression au moyen de lrsquoacte aperceptif (appercevoir quelque chose ou dans sa variante reacuteflexive srsquoappercevoir de quelque chose) savoir lrsquoeacutemergence et la manifestation drsquoune vis qui est essentielle agrave la simple substance spirituelle (si ce nest son essence) mais qui est ldquocognitiverdquo au sens large du mot En effet cette vis concerne surtout la dimension ontologique des substances qui seront ensuite deacutefinitivement appeleacutees monades (lrsquoacte de repraesentareexprimere plus que toute autre chose est un ldquoporter en soi-mecircmerdquo lrsquounivers un ldquoecirctre lrsquouniversrdquo suivant de justes proportions de faccedilon agrave pouvoir garantir le rapport de ldquosignificationrdquo)

Le processus de clarification et de distinction progressives des ideacutees dont lrsquoon parle dans le Discours de metaphysique et preacuteceacutedemment dans les Meditationes de cognitione veritate et ideis (1684) doit ainsi ecirctre adresseacute non seulement aux ideacutees en tant que perceptions ou contenus psychiques mais aussi agrave lrsquoensemble ldquorepraesentatio et substantia repraesentativardquo crsquoest-agrave-dire agrave la dialectique du sujet et de lrsquoobjet

Leibniz deacutecline cette conception panoptique de lapperception selon ce qursquoil veut porter agrave lattention du lecteur tantocirct il se reacutefegravere au pocircle objectif de lrsquoattention (le contenu) en visant agrave souligner la question de sa notabiliteacute3 (ce qui fait la marque de la premiegravere distinction entre exprimere et animadvertere savoir entre

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perceptions en tant qursquoldquoexpressionsrdquo des ldquosimples Monadesrdquo et la moindre connaissance claire et distincte qui srsquoeacutelegraveve au-dessus de lrsquoeacutetourdissement des ldquoMonades toutes nuumlesrdquo)4 par le sujet (qui est en ce cas lrsquoobjet secondaire de lrsquoattention tandis que le contenu en est lrsquoobjet principal) tantocirct il se reacutefegravere au pocircle subjectif de lrsquoattention savoir le sujet par rapport agrave la question de la con-science savoir de lrsquoauto-conscience en tant que auto-possession cognitive du sujet dont le contenu est en preacutesence (et cette donneacutee psychique est maintenant lrsquoobjet secondaire de lrsquoattention)

Cela nous permet de deacutefinir le rocircle de lapperception dans la taxonomie des ecirctres abordant ainsi une incoheacuterence identifieacutee par Kulstad5 non seulement entre quelques passages agrave linteacuterieur des Nouveaux Essais mais aussi entre ces passages et la penseacutee que Leibniz au cours des anneacutees a deacuteveloppeacutee et progressivement clarifieacutee et expliqueacutee Il srsquoagit de certains passages comme celui que je vais citer

Ces perceptions insensibles marquent encore et constituent le mecircme individu qui est caracteriseacute par les traces qursquoelles conservent des estats preacutecedens de cet individu en faisant la connexion avec son estat present qui se peuvent connoistre par un esprit superieur quand cet individu mecircme ne les sentiroit pas [hellip] Crsquoest pour cela que la mort ne sauroit estre qursquoun sommeil et mecircme ne sauroit en demeurer un les perceptions cessant seulement agrave ecirctre assez distingueacutees et se reduisant agrave un ecirctat de confusion dans les animaux qui suspend lrsquoapperception [je souligne] mais qui ne sauroit durer toujours [texte omis par le copiste pour ne parler icy de lrsquohomme qui doit avoir en cela des grands privileges pour garder sa personaliteacute]6

Ces passages sont-ils vraiment probleacutematiques Si lrsquoon considegravere les œuvres de 1714 (ougrave il convient de le souligner le substantif apperception est hapax legomenon et acquiert ainsi une valeur particuliegravere) lrsquoon peut lire des passages comme les suivants tireacutes des Principes

Il est bon de faire distinction entre la perception[] qui est lrsquoetat interieur de la Monade representant les choses externes et lrsquoapperception qui est la conscience[] ou la

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connaissance reflexive[] de cet eacutetat inteacuterieur laquelle nrsquoest point donneacutee agrave toutes les Ames ni toujours agrave la mecircme Ame7

Lrsquoeacutetat passager qui enveloppe et represente une multitude dans lrsquouniteacute ou dans la substance simple nrsquoest autre chose que ce qursquoon appelle la Perception qursquoon doit distinguer de lrsquoapperception ou de la conscience [je souligne] [] et crsquoest en quoi les Cartesiens ont fort manqueacute aiumlant compteacute pour rien les perceptions dont on ne srsquoapperccediloit pas8

Lrsquoon comprend que ces passages ont pour but de tracer une forte ligne de deacutemarcation entre les acircmes des becirctes et les esprits (et donc de montrer une caracteacuteristique exclusive du dernier et plus haut degreacute ontologique et cognitif des monades) puisque agrave la fois dans les Principes et dans la Monadologie lrsquoAuteur eacutecrit de maniegravere presque identique que la confusion entre apperception et perception a donneacute lieu chez les Carteacutesiens au malentendu selon lequel seulement les esprits seraient monades et les animaux seraient au contraire deacutepourvus drsquoacircme (et donc seraient reacuteduits agrave simple extension sans vie psychique) Mais crsquoest de lrsquoapperception en tant que connaissance reflexive qursquoon parle dans ces passages crsquoest-agrave-dire de lrsquoapperception lieacutee agrave la reacuteflexion ou faculteacute de reacutefleacutechir Crsquoest la mecircme conception dont Leibniz parle dans les Nouveaux Essais lorsqursquoil propose une deacutefinition drsquoentendement qui vise agrave mieux preacuteciser et ameacuteliorer celle de Locke (savoir entendement en tant que puissance drsquoappercevoir) Il faut souligner que Kulstad mecircme cite ce passage car Leibniz semble ici assigner lrsquoapperception aux animaux

PHILAL La puissance drsquoappercevoir est ce que nous appellons en tendement [hellip] THEOPH Nous nous appercevons de bien des choses en nous et hors de nous que nous nrsquoentendons pas et nous les en tendons quand nous en avons des ideacutees distinctes avec le pouvoir de reflechir et drsquoen tirer des veriteacutes necessaires Crsquoest pourquoy les bestes nrsquoont point drsquoentendement au moins dans ce sens quoyque elles ayent la faculteacute de srsquoappercevoir des impressions plus remarquables et plus distingueacutees [je souligne] comme le sanglier srsquoapperccediloit drsquoune personne qui luy crie et va droit agrave cette personne dont il nrsquoavoit eu deacutejagrave auparavant qursquoune perception nue mais confuse comme de tous les autres objets qui tomboient sous ses yeux et dont les rayons frappoient son crystallin Ainsi dans mon sens lrsquoen tendement reacutepond agrave ce qui chez les Latins est appelleacute Intellectus et lrsquoexercice de cette faculteacute srsquoappelle In te l lec t ion qui est une perception distincte jointe agrave la faculteacute de reflechir qui nrsquoest

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pas dans les bestes Toute perception jointe agrave cette faculteacute est une penseacutee que je nrsquoaccorde pas aux bestes non plus que lrsquoentendement9

Ici Leibniz se concentre sur lrsquoaspect theacuteorique du rapport entre apperception et reacuteflexion savoir la ldquocompreacutehensionrdquo des contenus perccedilus en vertu du bagage conceptuel a priori (crsquoest-agrave-dire ldquosur-sensitifrdquo ou reacuteflexif) tandis que dans le passage de la Theacuteodiceacutee que je vais citer bien que le terme apperception ne paraisse pas (une absence qui caracteacuterise drsquoailleurs le texte entier) lrsquoAuteur utilise son synonyme savoir ldquosentiment reflexif interne de ce qursquoelle estrdquo qui est la crase10 de lrsquoexpression ldquoconnaissance reflexiverdquo et du ldquosentiment inteacuterieurrdquo malebranchien

En disant que lrsquoame de lrsquohomme est immortelle on fait subsister ce qui fait que crsquoest la mecircme personne laquelle garde ses qualiteacutes morales en conservant la consc ience ou le sentiment reflexif interne de ce qursquoelle est ce qui la rend capable de chatiment et de recompense11

Il srsquoagit de deux aspects qui sont inseacuteparables bien que distincts comme lrsquoon peut voir dans lrsquoune des Remarques aux objections faites par lrsquoabbeacute et chanoine de Dijon Simon Foucher contre le Systegraveme nouveau dans la lettre de 12 septembre 1695 et publieacutees dans le Journal des Sccedilavans

Je le fais [crsquoest-agrave-dire constituer un principe sensitif dans les becirctes qui soit substantiellement diffeacuterent de celui des hommes] parce qursquoon ne trouve pas que les Bestes fassent des reflexions qui constituent la raison et donnant la connoissance des veriteacutes necessaires ou des sciences rendent lrsquoame capable de personaliteacute Les bestes distinguent le bien et le mal ayant de la perception mais elles ne sont point capables du bien et du mal moral qui supposent la raison et la conscience12

Dans ces passages Leibniz parle donc de lrsquoapperception purement humaine puisqursquoelle concerne un sujet qui devient clair et distinct agrave soi-mecircme (un ldquomoirdquo) et un objet en tant que preacutesent agrave un sujet qui se connaicirct Le cadre de reacutefeacuterence de Leibniz est celui deacutecrit par Arnauld dans une œuvre que Leibniz connaissait fort bien le traiteacute Des vrayes et des fausses ideacutees (1683) Dans ce texte le philosophe de

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Port-Royal critiquant la thegravese de Malebranche selon laquelle la conscience est une non-connaissance immeacutediate que le sujet a de soi-mecircme (mais seulement une auto-affection qui est sans doute vraie et certaine) faisait la distinction entre la conscience que lrsquoon a de soi-mecircme et de ses propres contenus psychiques et la connaissance qui suit cette auto-perception une reacuteflexion expresse au moyen de laquelle le sujet se connaicirct par des ideacutees claires et distinctes

[La 4egraveme preacutevention de Malebranche est] qursquoon ne connoist point par des ideacutees claires ce qursquoon connoist par conscience et par sentiment Et crsquoest justement tout le contraire [hellip] Or quand on voudroit douter si la perception que nous avons de nostre penseacutee lorsque nous la connoissons comme par elle mecircme sans reflexion expresse est proprement une ideacutee on ne peut nier au moins qursquoil ne nous soit facile de la connoistre par une ideacutee puisque nous nrsquoavons pour cela qursquoagrave faire une reflexion expresse sur nostre penseacutee Car alors cette seconde penseacutee ayant pour objet la premiere elle en sera une perception formelle et par consequent une ideacutee Or cette ideacutee sera claire puisqursquoelle nous fera appercevoir treacutes eacutevidemment ce dont elle est ideacutee Et par consequent il est indubitable que nous voyons par des ideacutees claires ce que nous voyons par sentiment et par conscience bien loin qursquoon doive regarder comme opposeacutees ces deux manieres de connoistre ainsi que fait par tout lrsquoAuteur de la Recherche de la Veriteacute 13

Il srsquoagit drsquoun modegravele qui contenait deacutejagrave en soi-mecircme precircte agrave ecirctre deacuteveloppeacutee la distinction entre la preacutesence immeacutediate du sujet agrave soi-mecircme (qui nrsquoest pas la connaissance au sens strict mais au sens large du terme ndash qui sert selon Leibniz agrave limiter le grave risque de la reacutegression agrave lrsquoinfini dans la spirale cognitive) et la perception posteacuterieure chronologiquement et gnoseacuteologiquement une perception de second (plus haut) niveau qui apporte clarteacute et distinction (crsquoest lrsquoapperception proprement dite)

Ainsi dans les Nouveaux Essais lorsque Leibniz parle de lrsquoapperception comme srsquoil lrsquoattribuait aux animaux il fait un mauvais usage drsquoun terme et drsquoun concept qursquoil avait utiliseacute pour la premiegravere fois dans cette œuvre sans avoir atteint le degreacute de preacutecision qui caracteacuterisera les œuvres suivantes (crsquoest-agrave-dire les deux traiteacutes de 1714) Leibniz nrsquoutilise son neacuteologisme qursquoen renvoyant au verbe dont le mot apperception a tireacute son origine (en eacutetant sa substantivation) un verbe qui dans le franccedilais du XVIIegraveme siegravecle nrsquoavait pas un signifieacute bien speacutecifieacute En effet lorsqursquoil parle de lapperception humaine Leibniz utilise une expression qui pourrait ecirctre consideacutereacutee comme un 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 Arnauld 1986 pp 225-226

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ldquohendiadys au contrairerdquo parce que si lrsquohendiadys vise agrave reacutealiser une synthegravese entre deux eacuteleacutements distincts dans ce cas le but est au contraire drsquoeffectuer une analyse dans un unicum constitueacute par le verbe appercevoirremarquer (donc la question de lrsquoapperception lieacutee agrave la notabiliteacute du contenu conscience de lrsquoobjet) et par la reacuteflexion (et donc lrsquoeacutemergence du sujet et la preacutesence du contenu au moi)

Il semble que nostre habile Auteur pretende qursquoil nrsquoy ait rien de virtuel en nous et mecircme rien dont nous [ne] nous appercevions toujours actuellement [hellip] Drsquoailleurs il y a mille marques qui font juger qursquoil y a agrave tout moment une infiniteacute de perceptions en nous mais sans apperception ET sans reflexion [je souligne] crsquoest agrave dire des changements dans lrsquoame mecircme dont nous ne nous appercevons pas parce que ces impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre ou trop unies en sorte qursquoelles nrsquoont rien drsquoassez distinguant agrave part mais jointes agrave drsquoautres elles ne laissent pas de faire leur effect et de se faire sentir au moins confuseacutement dans lrsquoassemblage14

Toute attention demande de la meacutemoire et quand nous ne sommes point avertis pour ainsi dire de prendre garde agrave quelques unes de nos propres perceptions preacutesentes nous les laissons passer sans reflexion ET MEcircME sans les remarquer [je souligne la distinction des deux parties] Mais si quelquun nous en avertit [hellip] nous nous en souvenons et nous nous appercevons drsquoen avoir eucirc tantocirct quelque sentiment Ainsi crsquoeacutetoient des perceptions dont nous ne nous eacutetions pas apperccedilucircs incontinent lrsquoapperception ne venant dans ce cas drsquoavertissement qursquoapreacutes quelque intervalle pour petit qursquoil soit15

Crsquoest donc une contradiction seulement apparente qui existe entre les passages leibniziens qui concernent lapperception et son attribuabiliteacute non seulement aux esprits mais aussi aux becirctes La sensation ou sentiment est ldquoquelque chose de plus qursquoune simple perceptionrdquo16 parce qursquoelle est caracteacuteriseacutee par lrsquoeacutemergence du contenu dans le cocircne de lumiegravere de lrsquoattention en vertu de la distinction de la repreacutesentation17 Il srsquoagit drsquoune apperception qursquoon peut nommer ldquoincomplegraveterdquo ou ldquoinacheveacuteerdquo parce qursquoelle se concentre seulement sur le contenu en question et non sur le sujet qui reste le fond indistinct de cette preacutesence psychique (tandis que le sujet qui connaicirct qursquoil y a quelque chose en rapport de ldquopreacutesence agrave luirdquo est un ldquosujet-preacutesent-agrave-soi-mecircmerdquo savoir qui peut faire reacuteflexion sur soi-mecircme)

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Ainsi dans les becirctes il nrsquoy a point lrsquohendiadis ldquoapperception et reacuteflexionrdquo (qui est lrsquoapperception dans toute sa pleacutenitude et complexiteacute)18 mais seulement une apperception en tant qursquoanimadvertere et faculteacute de percevoir des donneacutees distinctes (appercevables ou apperceptibles) Crsquoest ce sens preacutecis de lapperception qui caracteacuterise eacutegalement les esprits et les animaux preacuteciseacutement parce que la question du seuil de clarteacute et de distinction neacutecessaire afin qursquoils saperccediloivent de tout contenu est une question commune

Jrsquoaimerois mieux distinguer entre perception et srsquoappercevoir [je souligne] La perception de la lumiere ou de la couleur par exemple dont nous nous appercevons est composeacutee de quantiteacute de petites perceptions dont nous ne nous appercevons pas et un bruit dont nous avons perception mais ougrave nous ne prenons point garde devient apperceptible [je souligne] par une petite addition ou augmentation19

Un estre immateriel ou un Esprit ne peut estre depouilleacute de toute perception de son existence passeacutee Il luy reste des impressions de tout ce qui luy est autrefois arriveacute et il a mecircme des preacutesentimens de tout ce qui luy arrivera mais ces sentimens sont le plus souvent trop petits pour pouvoir estre distinguez et pour qursquoon srsquoen apperccediloive20

Puisqursquoil attribue donc aux becirctes une perception plus claire et distincte du contenu leur niant les actes de reacuteflexion qui constituent le deuxiegraveme foyer de lrsquoapperception au sens technique du terme lrsquoon ne peut pas soutenir que Leibniz se contredisse tout au plus pouvons-nous affirmer qursquoil fait ce qui dans les termes de Locke peut ecirctre appeleacute un ldquoabus des motsrdquo (Abuse of Words) crsquoest-agrave-dire lrsquousage du mecircme mot pour indiquer des concepts tout agrave fait diffeacuterents

3 Reacuteflexion et possession des veacuteriteacutes universelles qursquoest-ce qui nous eacutelegraveve agrave quoi

La deuxiegraveme question sur laquelle je voudrais maintenant focaliser lrsquoattention est intimement lieacutee agrave ce que nous avons dit auparavant et concerne un autre aspect des actes reacuteflexifs en vertu duquel ces actes appartiennent seulement aux esprits il srsquoagit de la

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possessionconnaissance de veacuteriteacutes universelles Si lrsquoon considegravere des œuvres comme par exemple le Discours de metaphysique et les Principes de la nature et de la gracircce lrsquoon peut trouver une coheacuterence interne agrave la penseacutee de Leibniz bien que les deux œuvres citeacutees repreacutesentent deux moments eacuteloigneacutes non seulement chronologiquement mais aussi du point de vue conceptuel

sect 34 Elles [les acircmes des becirctes et les formes substantielles] expriment aussi tout lrsquounivers quoyque plus imparfaitement que les esprits Mais la principale difference est qursquoelles ne connoissent pas ce qursquoelles sont ny ce qursquoelles font et par consequent ne pouvant faire des reflexions elles ne sccedilauroient decouvrir des veriteacutes Crsquoest aussi faute de reflexion sur elles mecircmes qursquoelles nrsquoont point de qualiteacute morale drsquoougrave vient que passant par mille transformations agrave peu pregraves comme nous voyons qursquoune chenille se change en papillon crsquoest autant pour la morale ou practique comme si on disoit qursquoelles perissent et on le peut mecircmes dire physiquement comme nous disons que les corps perissent par leur corruption Mais lrsquoame intelligente connoissant ce qursquoelle est et pouvant dire ce MOY qui dit beaucoup ne demeure pas seulement et subsiste Metaphysiquement bien plus que les autres mais elle demeure encor la mecircme moralement et fait le mecircme personnage [hellip]

sect 35 [hellip] Car toute la nature fin vertu et fonction des substances nrsquoestant que drsquoexprimer Dieu et lrsquounivers comme il a esteacute assez expliqueacute il nrsquoy a pas lieu de douter que les substances qui lrsquoexpriment avec connoissance de ce qursquoelles font et qui sont capables de connoistre des grandes veriteacutes agrave lrsquoegard de Dieu et de lrsquounivers ne lrsquoexpriment mieux sans comparaison que ces natures qui sont ou brutes et incapables de connoistre des veriteacutes ou tout agrave fait destitueacutees de sentiment et de connoissance et la difference est aussi grande que celle qursquoil y a entre le miroir et celuy qui voit21

sect 5 Le raisonnement veritable deacutepend des veriteacutes neacutecessaires ou eacuteternelles comme sont celles de la Logique des Nombres de la Geomeacutetrie qui font la connexion indubitable des ideacutees et les consequences immancables Les animaux ougrave ces consequences ne se remarquent point sont appelleacutes becirctes mais ceux qui connoissent ces veriteacutes necessaires sont proprement ceux qursquoon appelle Animaux Raisonnables et leurs Ames sont appelleacutees Esprits Ces Ames sont capables de faire des Actes reflexifs et de considerer ce qursquoon appelle Moy Substance Ame Esprit en un mot les choses et les veriteacutes immaterielles et crsquoest ce qui nous rend susceptibles des Sciences ou des connoissances demonstratives22

Le processus ldquoreacuteflexion-abstraction-possession des veacuteriteacutes universelle et eacuteternellesrdquo est encore tregraves fort mecircme dans les eacutecrits des anneacutees 1690 comme les Remarques lieacutees au Systegraveme nouveau ougrave Leibniz eacutecrit qursquoldquoon ne trouve pas que les Bestes fassent des reflexions qui constituent la raison et [donnent] les connoissance des veriteacutes 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 21 Leibniz Discours de metaphysique A VI4 sectsect 34-35 pp 1583-1584 Id Discours de metaphysique GP IV sectsect 34-35 pp 459-460 22 Leibniz Principes de la nature et de la gracircce eacuted par Robinet sect 5 pp 39-41 Id Principes de la Nature et de la Grace GP VI sect 5 pp 600-601

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necessaires ou des sciencesrdquo23 Le problegraveme naicirct de la neacutecessiteacute de comprendre les raisons pour

lesquelles les sectsect 29-30 de la Monadologie ne preacutesentent pas une simple variation sur le thegraveme mais un veacuteritable renversement de lrsquoordre du processus proposeacute dans les œuvres consideacutereacutees auparavant savoir lrsquoordre qui commence par la reacuteflexion et qui se termine par la possession des veacuteriteacutes eacuteternelles si nous utilisons lrsquoexpression ldquopsychogenegraveserdquo pour indiquer lrsquoapparition des concepts en tant que tels dans lesprit agrave partir de preacutecises perceptions concregravetes lrsquoordre nouveau que Leibniz propose dans la Monadologie peut ecirctre appeleacute ldquoanti-psychogeacuteneacutetiquerdquo (ou tout simplement a priori)

Examinons donc le texte des sectsect 29-30 (jrsquoai indiqueacute en le soulignant ce qui dans le texte relegraveve de lrsquoordre ldquoanti-psychogeacuteneacutetiquerdquo)

ldquosect 29 Mais la connoissance des veriteacutes necessaires et eacuteternelles est ce qui nous distingue des simples animaux et nous fait avoir la Raison et les Sciences en nous eacutelevant agrave la connoissance de nous-mecircme et de Dieu Et crsquoest ce quon appelle en nous Ame raisonnable ou Esprit sect30 Crsquoest aussi par la connoissance des veriteacutes necessaires et par leurs abstractions [] que nous sommes eacuteleveacutes aux Actes reflexifs qui nous font penser agrave ce qui srsquoappelle Moy et agrave consideacuterer que ceci ou cela est en nous et crsquoest ainsi qursquoen pensant agrave nous nous pensons agrave lrsquoEtre agrave la Substance au simple ou au composeacute agrave lrsquoimmateriel et agrave Dieu mecircme en concevant que ce qui est borneacute en nous est en lui sans bornes Et ces Actes reflexifs fournissent les objects principaux de nos raisonnemensrdquo24

Comme lrsquoon peut voir (et cela rend dautant plus inteacuteressants ces passages) la derniegravere proposition du sect 30 (souligneacutee par une ligne onduleacutee) montre que les deux ordres coexistent bien que lrsquoordre psychogeacuteneacutetique soit tregraves affaibli

Bien sucircr la composition du manuscrit comme Robinet le souligne dans son eacutedition critique des textes de 1714 a eu lieu en plusieurs eacutetapes et donc lrsquoon peut supposer que crsquoest une erreur qui na pas eacuteteacute amendeacutee par lrsquoAuteur toutefois lrsquoexamen des modifications faites dans le passage du premier brouillon agrave la deuxiegraveme copie B nous permet de dire que Leibniz semble deacutecideacute agrave adopter lapproche anti-psychogeacuteneacutetique au moyen des ajouts en marges qui vont dans ce sens Une fois rejeteacutee donc lrsquointerpreacutetation selon laquelle lrsquoinversion de 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 23 Leibniz Remarques sur les Objections de M Foucher GP IV c p 492 24 Leibniz Principes de la philosophie ou Monadologie eacuted par Robinet sectsect 29-30 p 87 Id Monadologie GP VI sectsect 29-30 pp 611-612

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lrsquoordre serait due agrave une faute ou une meacuteprise de Leibniz il srsquoagit de comprendre la raison vraisemblable de cela

Or agrave cette fin il ne faut pas oublier que les actes reacuteflexifs sont des actes cognitifs aperceptifs crsquoest-agrave-dire lieacutes agrave leacutemergence claire et distincte du sujet Cette connaissance bien qursquoimmeacutediate dans la mesure ougrave il y a clarteacute et distinction nrsquoa pas un statut sui generis par rapport au niveau intellectuel et conceptuel les actes reacuteflexifs sont un retour de lrsquoattention du sujet sur soi-mecircme qui en eacutetant clair et distinct agrave soi-mecircme se connaicirct gracircce au bagage des concepts a priori ou reacuteflexifs (le nisi intellectus ipse) qui paraissent avec le sujet et qui ne sont pas seulement la structure ontologique de ce dernier mais aussi la syntaxe logique et ontologique du reacuteel Crsquoest lagrave ce ldquobeaucouprdquo que le Moi affirme suivant le Discours de Metaphysique25 et qui nrsquoaurait jamais eacuteteacute prononceacute si le sujet nrsquoeacutetait caracteacuteriseacute par quelque chose de plus quelque chose qui est heacuteteacuterogegravene par rapport aux sens

Le passage suivant des Nouveaux Essais qui concerne la connaissance intuitive que le sujet a de sa propre existence ne doit pas nous induire en erreur

Lrsquoapperception immediate de nocirctre Existence et de nos penseacutees nous fournit les premieres veritez a posteriori ou de fait crsquoest agrave dire les premieres Experiences comme les propositions identiques contiennent les premieres veriteacutes a priori ou de Raison crsquoest agrave dire les premieres lumieres Les unes et les autres sont incapables drsquoetre prouveacutees et peuvent ecirctre appelleacutees immediates celles lagrave parce qursquoil y a immediation entre lrsquoentendement et son objet celles cy parce qursquoil y a immediation entre le sujet et le predicatum26

Les actes reacuteflexifs ne fournissent pas seulement en vertu de leur caractegravere intuitif des veacuteriteacutes premiegraveres de fait bien que du point de vue psychologique ce soit ce qui se passe (le cogito et les cogitata sont des contenus dont nous sommes immeacutediatement conscients agrave nous-mecircmes et dont nous sommes absolument sucircrs bien qursquoils eussent pu ecirctre de faccedilon pleinement diffeacuterente dans un autre des mondes possibles) en effet Leibniz parle expresseacutement dun lien entre les actes reacuteflexifs et les ldquoveriteacutes necessaires et eacuteternellesrdquo expression qui suggegravere qursquoil srsquoagit des veacuteriteacutes de raison vraies et

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valables dans tous les mondes possibles (et tels sont les concepts drsquouniteacute drsquoexistence de substance de Dieu etc qui sont indeacutependants des choix divins guideacutes par le principe du meilleur)

Ainsi lrsquoexpression selon laquelle la connaissance des veacuteriteacutes neacutecessaires et eacuteternelles ldquonous eacutelegraveve aux actes reacuteflexifsrdquo comme le dit Leibniz doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce sens preacutecis savoir quelle ldquonous permetrdquo de faire reacuteflexion qui est un genre de connaissance propre des esprits (le verbe ldquoeacuteleverrdquo sert pour indiquer le saut qualitatif au-delagrave de la condition ontologique des acircmes non raisonnables des brutes) Une reacuteflexion qui est lieacutee agrave la possession cognitive de certaines veacuteriteacutes non seulement parce que les actes reacuteflexifs ldquooffrentrdquo psychogeacuteneacutetiquement ldquoles principaux objets de nos penseacuteesrdquo (ce qui pourrait ecirctre appeleacute un ordo cognoscendi car les actes reacuteflexifs sont la ratio cognoscendi des veacuteriteacutes universelles crsquoest ce que Carraud dans lrsquoessai LrsquoInvention du moi appelle la ldquovoie eacutegologiquerdquo ou psychologique agrave la substance en geacuteneacuteral)27 mais aussi parce qursquoldquoen pensant agrave nousrdquo nous nous apercevonspensonsconnaissons comme ldquosubstancesrdquo ldquosimplesrdquo ldquoexistantsrdquo et donc nous ldquomettons en œuvrerdquo (excercimus de excercere) les choses ldquoquae in anima nostra gerunturrdquo (drsquoapregraves la deacutefinition de reflexio eacutecrite au deacutebut des anneacutees 1680 avant le Discours de meacutetaphysique)28 Agrave ce propos dans les Nouveaux Essais nous pouvons lire

Lrsquoideacutee de lrsquoecirctre du possible du Mecircme sont si bien inneacutees qursquoelles entrent dans toutes nos penseacutees et raisonnemens et je les regarde comme des choses essentielles agrave nostre esprit [hellip] Jrsquoay deacuteja dit que nous sommes pour ainsi dire inneacutes agrave nous mecircmes et puisque nous sommes des ecirctres lrsquoecircstre nous est inneacute et la connoissance de lrsquoecircstre est enveloppeacutee dans celle que nous avons de nous mecircmes Il y a quelque chose drsquoapprochant en drsquoautres notions generales29

La raison de la progressive preacutedominance de lrsquoordreattitude anti-psychogeacuteneacutetique peut donc reacutesider agrave mon avis dans lintention de souligner le rocircle de lrsquoordo essendi ou ratio essendi par rapport agrave ce qui srsquoeacutetait passeacute dans des œuvres anteacuterieures comme le Discours de meacutetaphysique (qui eacutetait ldquopeacutetrirdquo de psychologie carteacutesienne) et les Principes de la nature et de la gracircce (bien que composeacutes dans le

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mecircme laps de temps que la Monadologie) Peut-ecirctre la rencontre avec Locke avait accentueacute lrsquourgence pour le philosophe de Leipzig (a fortiori dans une œuvre comme la Monadologie qui radicalise lintention de a sensibus abducere le lecteur) de souligner la diffeacuterence entre les hommes et les animaux en tant que lieacutee agrave la raison qui nrsquoest pas seulement lentendement comme fonction cognitive-abstractive (qui reccediloit lrsquoexpeacuterience et lrsquoeacutelabore)

Sans eacuteliminer complegravetement la question de la psychogenegravese de son horizon speacuteculatif Leibniz cherche agrave contrebalancer le pouvoir excessif de la meacutethode psychologique lockienne et de la conception de lrsquoentendement humain comme une tabula rasa ou white paper qui en eacutetait le ldquocœurrdquo

4 Conclusion

Jrsquoai chercheacute agrave montrer que le terme apperception degraves sa premiegravere apparition dans les Nouveaux Essais subit une eacutevolution preacutecise crsquoest-agrave-dire que son signifieacute et son rocircle deviennent de plus en plus deacutefinis et qursquoagrave partir des Principes de la nature et de la gracircce il est utiliseacute en tant que terme technique pour indiquer la caracteacuteristique distinctive du statut ontologique et cognitif des esprits agrave lexclusion des animaux Le lien avec la capaciteacute de faire des actes reacuteflexifs (savoir de tourner lrsquoattention non sur lrsquoobjet ndash reacuteflexion au sens large du terme ndash mais sur le sujet) est essentiel lrsquoapperception ne signifie donc pas seulement connaissance de lrsquoobjet mais de lrsquoobjet en tant que connu par un sujet qui est preacutesent et manifeste agrave soi-mecircme et en vertu de la capaciteacute de agere in se ipsum ldquointroduitrdquo le monde de la raison et de la morale (et donc de la Gracircce) dans le monde de la nature

Or ces reacuteflexions ne sont pas seulement utiles pour la compreacutehension de la penseacutee de Leibniz mais puisqursquoelles clarifient le contexte dans lequel se deacuteveloppe la meacutetaphysique allemande du XVIIIegraveme siegravecle elles nous aident agrave deacuteterminer le signifieacute de ce que Wolff eacutecrit dans la Psychologia rationalis (17341) ougrave il sinterroge ldquoan bruta apperceptione gaudeantrdquo30 Bien sucircr comme Pimpinella lrsquoa souligneacute31 Wolff srsquoeacuteloigne de la prescription leibnizienne selon laquelle 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 30 Wolff 1972 sect 751 31 Voir Pimpinella 2005 pp 7-10 41-56

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lrsquoapperception est le trait distinctif des esprits par rapport aux acircmes des becirctes Toutefois dans le mecircme temps il semble avoir saisi le sens plus geacuteneacuteral eacutegalement leibnizien du terme apperception un signifieacute qui a une valeur mecircme dans les limites preacutecises de la perception sensorielle dun cadre global qui devient clair par rapport aux deacutetails dont il se compose32

Wolff veut souligner que si la conscience drsquoun contenu est lieacutee agrave la clarteacute et agrave la distinction du contenu en question alors mecircme les animaux apperceptione gaudent car ldquopatet enim quod sensu distinguant sensibiliardquo et ldquohabent adeo perceptiones partiales claras atque hinc totales distinctasrdquo Ainsi ils ont de la conscience en tant que conscience de lrsquoobjet

Il ne srsquoagit pas de lrsquoeacutemergencesion du sujet ou moi qui caracteacuterise lrsquoapperception humaine en tant que connaissance reacuteflexive et qui concerne mecircme dans ce cas la clarteacute des perceptions partielles agrave lrsquointeacuterieur drsquoune perception totale (mais il srsquoagit drsquoune clarteacute qui implique le sujet - puisqursquoil fait partie du ldquomoment perceptif complexerdquo capable de se distinguer a rebus perceptis)

Malgreacute la subtiliteacute de Wolff qui lui permet de ne pas perdre de vue la complexiteacute de la penseacutee de Leibniz nous sommes en preacutesence drsquoun processus qui pourrait ecirctre appeleacute ldquohomeacuteopathiquerdquo crsquoest-agrave-dire qui consiste agrave diluer le principe actif originaire Ce processus connaicirctre un moment important dans la penseacutee du wolffien Baumeister33 en effet si mecircme dans la cogitatio des animaux il y a une distinction entre sujet et objet (parce que cette distinction est un caractegravere de la cogitatio en soi et pour soi) et donc qursquoil y aait lagrave une sorte de ldquoreacuteflexiviteacuterdquo34 (qui eacutetait pour Leibniz et encore pour Wolff la caracteacuteristique particuliegravere des esprits)35

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que reste-t-il de lrsquooriginaire apperception leibnizienne

BIBLIOGRAPHIE PRIMAIRE Arnauld A Des Vrayes et des Fausses Ideacutees contre ce qursquoenseigne lrsquoAuteur de la

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Wolff Ch Psychologia rationalis methodo scientifica pertractata qua ea quaelig de anima humana indubia experientiaelig fide innotescunt per essentiam et naturam animaelig explicantur et ad intimiorem naturaelig ejusque autoris cognitionem profutura proponuntur [Frankfurt und Leipzig 1740] eacuted critique avec introduction notes et index par J Eacutecole en Id Gesammelte Werke II6 hrsg und bearb von J Eacutecole HW Arndt Ch A Corr J E Hofmann und M Thomann Hildesheim-Zuumlrich-New York Olms 1972

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Davide Poggi Reacuteflexions cognitive et reacuteflexiviteacute de lrsquoesprit dans Leibniz

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Parmentier M Leibniz lecteur de Locke en F Duchesneau-J Griard (dir) Leibniz selon les Nouveaux Essais sur lrsquoentendement humain Montreacuteal-Paris Bellarmin-Vrin 2006 pp 11-18

Parmentier M Leibniz-Locke une intrigue philosophique Paris PUPS 2008 Pimpinella P Wolff e Baumgarten Studi di terminologia filosofica Firenze Olschki

2005 Poggi D Leibniz et Locke dans les Nouveaux Essais les animaux et lrsquohomme entre

identiteacute physique et identiteacute morale en H Breger-J Herbst-S Erdner (eds) Natur und Subjekt (Actes du IX Internationaler Leibniz-Kongress unter der Schirmherrschaft des Bundespraumlsidenten Leibniz-Universitaumlt Hannover 26 September-1 Oktober 2011) Vol 3 (de 3) Hannover Druckerei Hartmann 2011 pp 850-858

Poggi D Apperception appercevoir srsquoappercevoir de Eacutevolution drsquoun terme et drsquoune fonction cognitive ldquoLexicon Philosophicumrdquo 3 2015 pp 257-287

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ANSGAR LYSSY

AU-DELAgrave DE LA NATURE LES PRINCIPES DE LA GRAcircCE CHEZ LEIBNIZ

1 Introduction1

Les Principes de la Nature et de la Gracircce [titre abreacutegeacute en PNG] ont eacuteteacute eacutecrits en 1714 pour le prince Eugegravene de Savoie et conccedilus comme une introduction populaire agrave la meacutetaphysique de Leibniz Dans les dix-huit paragraphes des PNG Leibniz donne un exposeacute bref bien que systeacutematique de ses ideacutees philosophiques fondamentales Les PNG suivent une structure argumentative similaire agrave celle du Discours de Meacutetaphysique du Nouveau Systegraveme et de la Monadologie ces textes commencent tous avec une enquecircte sur la nature de la substance et de la reacutealiteacute laquelle est suivie (en ordre variable) par des remarques sur la nature des corps de lrsquoesprit des perceptions et de la relation entre le corps et lrsquoacircme enfin ils se terminent agrave chaque fois avec quelques remarques sur la Citeacute de Dieu

Le titre lui-mecircme indique deacutejagrave que Leibniz combine ici les ideacutees meacutetaphysiques et theacuteologiques au sein drsquoun systegraveme complet Dans cet article je veux simplement mrsquointerroger sur un aspect du titre choisi par Leibniz qui est eacutetonnant y a-t-il en effet des principes de la gracircce agrave proprement parler et si oui quels sont-ils Le titre semble faire allusion soit au De Natura et Gratia drsquoAugustin ou encore au Traiteacute de la Nature et de la Gracircce de Malebranche2 Cependant bien que le contexte historique soit certainement important pour le sujet de cette enquecircte en reconstruire ou discuter les influences historiques irait bien au-delagrave de la porteacutee de cet article Dans ce qui suit je veux plutocirct me concentrer sur les eacutecrits de Leibniz en particulier les PNG que je reacutesumerai pour faire voir comment la structure argumentative densemble nous megravene de la philosophie agrave la theacuteologie

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Leibniz a souligneacute ailleurs3 qursquoil commence comme philosophe et finit comme theacuteologien ce qursquoil ne manque pas non plus de rappeler dans ce texte pris dans leur ensemble les PNG peuvent ecirctre diviseacutes en quatre parties Leibniz remarque que la premiegravere partie (sectsect1-6) appartient agrave la scientia naturalis (ldquoJusqursquoici nous nrsquoavons parleacute qursquoen simples Physiciensrdquo4) et qursquoil se tourne ensuite vers la meacutetaphysique et le principe de raison suffisante (sectsect 7-10) Cela le conduit agrave la doctrine des deux royaumes les causes efficientes sont deacutetermineacutees par le principe de raison suffisante et par les principes de la meacutecanique alors que les causes finales sont agrave leur tour deacutetermineacutees par le ldquoprincipe de la convenance crsquoest-agrave-dire du choix de la sagesserdquo (sect 11)5 Les paragraphes suivants traitent plutocirct de la relation entre la creacuteation et le Creacuteateur et peuvent donc constituer une theacuteologie philosophique Mais ce nrsquoest que la derniegravere section qui aborde les questions theacuteologiques proprement dites par exemple la communauteacute entre les esprits et Dieu ou lrsquoamour divin (sectsect 15-18)

La transition de la meacutetaphysique ou de la theacuteologie philosophique agrave la theacuteologie proprement dite est marqueacutee par une conception de la dimension normative de lrsquoontologie crsquoest notre capaciteacute humaine de comprendre dans une certaine mesure les principes de la nature et de la creacuteation et donc drsquoimiter Dieu dans nos actions qui nous permet de devenir une partie du royaume divin

crsquoest-agrave-dire du plus parfait eacutetat formeacute et gouverneacute par le plus grand et le meilleur des monarques ougrave il nrsquoy a point de crime sans chacirctiment point de bonnes actions sans reacutecompense proportionneacutee et enfin autant de vertu et de bonheur qursquoil est possible6

Les derniers paragraphes traitent de la justice et du bonheur dans cet eacutetat futur Leibniz souligne que crsquoest la nature elle-mecircme qui nous conduit agrave la gracircce et que crsquoest au sein de ce domaine que nous allons trouver la justice lrsquoamour le bonheur lrsquoharmonie et le plaisir estheacutetique Il semble plausible de supposer que ce royaume de la 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 3 ldquoJe commence en philosophe mais je finis en theacuteologien un de mes grands principes est que rien ne se fait sans raison crsquoest un principe de philosophie Cependant dans le fond ce nrsquoest autre chose que lrsquoaveu de la sagesse divine quoique je nrsquoen parle pas drsquoabordrdquo Die Leibnizhandschriften der Koumlniglichen oumlffentlichen Bibliothek zu Hannover ed par Eduard Bodemann Hannover 1895 Reprint Hildesheim 1966 p 58 4 GP VI 602 5 PNG sect 11 6 PNG sect 15

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gracircce qui constitue le cœur de lrsquooptimisme leibnizien est gouverneacute par les principes de la gracircce dont le titre des PNG fait mention

Ceci reflegravete eacutegalement la rupture qursquointroduit Leibniz (ou sa reacuteinterpreacutetation) avec la tradition theacuteologique on oppose depuis lrsquoAntiquiteacute la gracircce avec la nature Pour Augustin la nature est sans importance pour nous ndash elle pourrait mecircme constituer un obstacle pour notre salut ndash et la gracircce seule deacutetermine notre destin pour Thomas drsquoAquin et pour beaucoup de ses disciples lrsquoideacutee que ldquola gracircce ne supprime pas la nature mais la perfectionnerdquo (gratia naturam non tollit sed perficit) est devenue une formule bien connue7 Malebranche va encore plus loin en juxtaposant les lois surnaturelles de Dieu de la gracircce et les lois de la nature

Mais quels sont exactement les principes de la gracircce et comment sont-ils lieacutes aux principes de la nature Sont-ils les mecircmes principes ou bien des principes diffeacuterents Il srsquoagit ici drsquoun terme que Leibniz nrsquoutilise pas freacutequemment en fait je nrsquoai trouveacute qursquoune seule autre occurrence dans lrsquoœuvre de Leibniz dans laquelle il se reacutefegravere agrave Bayle et non pas agrave ses propres ideacutees8 Lrsquoexpression latine correspondante principium gratiae nrsquoest pas non plus un terme theacuteologique habituel ni dans la tradition ni dans lrsquoœuvre de Leibniz9 Les recherches de Gerhardt nous montrent bien que Leibniz a choisi le titre par lui-mecircme10 si bien que cette unique occurrence du terme meacuterite agrave notre avis une recherche agrave part entiegravere Dans les PNG Leibniz ne deacutefinit malheureusement pas les notions de principe ou de gracircce et il nrsquoexplique pas non plus le contraste entre la nature et la gracircce Degraves lors nous avons besoin de contextualiser ces termes fondamentaux par rapport agrave leur usage dans drsquoautres eacutecrits avant de

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pouvoir donner un sens au titre des PNG Mais je voudrais tout drsquoabord esquisser certains problegravemes immeacutediats avec le titre

Premiegraverement le titre laisse la question ouverte de savoir si Leibniz fait allusion agrave deux types de principes diffeacuterents gouvernant chacun leur propre ensemble drsquoobjets ndash principes de la nature et principes de la gracircce ndash ou plutocirct agrave un seul type de principe gouvernant deux types diffeacuterents drsquoentiteacutes ndash principes de la nature et gracircce La premiegravere interpreacutetation peut ecirctre appeleacutee ldquodualisterdquo la deuxiegraveme suppose lrsquouniteacute sous un ldquodouble aspectrdquo

Deuxiegravemement comment pourrions-nous comprendre lrsquoideacutee qursquoil y a des principes de la gracircce Cette question touche agrave la nature de la relation entre lrsquointelligence et la volonteacute divines Historiquement on trouve une tension entre les conceptions qui mettent lrsquoaccent sur le rocircle de lrsquointelligence divine plutocirct que sur la volonteacute divine ou vice versa Drsquoune part Dieu a mis en place les ldquoregraveglesrdquo pour la morale et le salut dans la reacuteveacutelation et ceux qui suivent sa parole seront sauveacutes Ce sont les ldquoregraveglesrdquo du christianisme puisque celles-ci sont intelligibles et raisonnables on peut dire qursquoelles sont fondeacutees sur lrsquointelligence divine Drsquoautre part Dieu est le souverain absolu sur la creacuteation si bien quil nest contraint agrave des ldquoregraveglesrdquo que par sa propre deacutecision laquelle est absolument libre

Selon cette derniegravere interpreacutetation tous les actes de la gracircce sont fondeacutes sur la volonteacute divine Leibniz accepte ce preacutesupposeacute theacuteologique selon lequel Dieu dispense sa gracircce en toute liberteacute et sans aucune contrainte Mais il indique clairement ndash dans le titre des PNG notamment ndash que tous les principes quels qursquoils soient sont ldquofondeacutes en raisonrdquo Il semble donc clair que crsquoest lrsquoesprit et non la volonteacute qui deacutetermine les principes supeacuterieurs Les questions particuliegraveres souleveacutees par cette approche agrave savoir comment concevoir la liberteacute absolue de Dieu lui-mecircme sont traiteacutees dans la Theacuteodiceacutee si bien qursquoelles ne seront pas discuteacutees ici11 Il est eacutevident que Dieu ne suit pas aveugleacutement un ensemble de principes supeacuterieurs et invariables car cela reviendrait agrave nier sa liberteacute absolue mais alors comment devrions-nous comprendre les principes de la gracircce

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2 Qursquoest-ce qursquoun principe

Grosso modo Leibniz conccediloit les principes agrave la fois comme les fondements ou les sources de la connaissance et comme des entiteacutes meacutetaphysiques actives Cette deacutefinition a un caractegravere aristoteacutelicien dans la mesure ougrave les principes sont conccedilus agrave la maniegravere du concept drsquoarchegrave En effet les principes deacuteterminent autant les raisons que les causes au moins dans les eacutecrits leibniziens anteacuterieurs aux anneacutees 1690 Ainsi le fondement ultime de lrsquoexplication ainsi que de lrsquoexistence peut ecirctre un principe En ce sens la notion de principe est chez Leibniz eacutetroitement lieacutee agrave celle du systegraveme Un systegraveme de connaissance est un ensemble hieacuterarchiseacute de propositions fondeacute sur des principes eacutevidents qui servent drsquoaxiomata ou de ldquoveacuteriteacutes primitivesrdquo12 Un groupe de regravegles logiques nous permet de deacuteduire les propositions subordonneacutees des principes fondamentaux La meacutetaphysique est alors deacutefinie comme un ldquosystema theorematumrdquo13 et quand Leibniz eacutevoque la meacutetaphysique comme source ou fondement de la meacutecanique il fait aussi allusion aux principes de la meacutecanique lesquels sont fondeacutes sur des principes supeacuterieurs Neacuteanmoins les doctrines theacuteologiques peuvent aussi ecirctre formuleacutees dans un systegraveme14

Bien que les humains se forgent un systegraveme provisoire de la connaissance humaine il y a un systegraveme deacutefini et parfait de la vraie connaissance dans lrsquoesprit de Dieu qui est identique agrave la veacuteriteacute elle-mecircme15 Au moyen de lrsquoanalogie de ldquocausa sive ratiordquo Leibniz preacutesuppose que ce systegraveme de connaissance correspond agrave un ldquosystema mundirdquo Ainsi les acircmes peuvent agir comme des principes de lrsquoindividu et mecircme les monades sont conccedilues comme des principes drsquouniteacute substantielle16 ou principes de vie17

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En geacuteneacuteral Leibniz ne preacutesente ndash au moins dans le contexte de la meacutetaphysique ndash que deux ldquogrands principesrdquo le principe de neacutecessiteacute18 (ou le principe de non-contradiction) et le principe de raison suffisante Les veacuteriteacutes de la logique et de la matheacutematique sont fondeacutees sur le principe de neacutecessiteacute et le principe de lrsquoidentiteacute des indiscernables tandis que les veacuteriteacutes contingentes et factuelles exigent le principe de raison suffisante Leibniz remarque que la phrase de Descartes ldquoJe pense donc je suisrdquo nrsquoest pas un principe propre de la raison mais plutocirct une veacuteriteacute de fait19 Les principes primordiaux ne peuvent pas ecirctre trouveacutes dans lrsquoexpeacuterience mais on peut les deacutecouvrir par la reacuteflexion philosophique20

Comme crsquoest souvent le cas avec le concept de rationaliteacute les principes impliquent aussi chez Leibniz une dimension normative Ceci est eacutevident degraves lors que Leibniz identifie le principe de raison suffisante au principe ldquoreddendae rationisrdquo ce qui implique au moins une exigence normative de la rationaliteacute elle-mecircme ldquoIl faut donner des raisonsrdquo Ainsi le principe du meilleur selon lequel Dieu choisit le meilleur pour ce monde et donc le meilleur de tous les mondes possibles est lrsquoexpression du type speacutecifique de neacutecessiteacute morale qui deacutetermine tous les contingents Ce principe du meilleur nous permet ainsi de comprendre le monde en termes de qualiteacutes morales Il y a un passage drsquoune premiegravere esquisse du Systegraveme nouveau dans lequel Leibniz associe ce lien avec un principe speacutecifique

La consideacuteration du bien ou de la cause finale quoiqursquoil y ait quelque chose de moral est encor utilement employeacutee dans les explications des choses naturelles puisque lrsquoauteur de la nature agit par le principe de lrsquoordre et de la perfection21

Cette formulation drsquoun principe de lrsquoordre et de la perfection (Leibniz utilise ici le singulier ) est assez similaire aux principes de la nature et de la gracircce ndash la perfection est neacutecessairement coupleacutee agrave la gracircce agrave deacutefaut de quoi nous vivrions dans un monde particuliegraverement injuste Bien sucircr le concept de nature est eacutetroitement lieacute avec la notion drsquoordre Cela pourrait conduire agrave favoriser la lecture du ldquodouble aspectrdquo mentionneacutee ci-dessus toutefois Leibniz rejette cette partie

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de lesquisse du Systegraveme Nouveau et on ne retrouve aucune formulation similaire drsquoun tel principe de lrsquoordre et de la perfection dans la version publieacutee

Dans le contexte plus large de sa philosophie il y a beaucoup drsquoautres principes Si nous consideacuterons uniquement les PNG nous trouvons le principe du changement le principe drsquouniciteacute les principes de vie22 qui sont tous des principes de la nature et aussi le ldquoprincipe de la convenance cest-agrave-dire du choix de la sagesserdquo 23 Dans la Monadologie ce dernier est identifieacute au principe du meilleur et on peut supposer que crsquoest lrsquoun des principes de la gracircce puisque Leibniz affirme souvent quun monde injuste un monde dans lequel les peacutecheurs restent impunis serait contraire au principe du meilleur

Il est important de noter pourquoi et comment Leibniz introduit le principe de la convenance Il souligne que la philosophie naturelle de ses contemporains ne reacuteussit pas agrave expliquer pourquoi les lois fondamentales de la physique sont des lois en tout premier lieu La neacutecessiteacute des veacuteriteacutes logiques arithmeacutetiques et geacuteomeacutetriques peut ecirctre expliqueacutee par des raisons logiques si bien que leur veacuteriteacute est fondeacutee dans lrsquointellect divin On ne peut rendre raison de la facticiteacute contingente de lrsquoordre et de lrsquoharmonie que par les causes finales lesquelles sont finalement ancreacutees dans la volonteacute divine Lrsquoontologie geacuteneacuterale elle-mecircme doit ecirctre expliqueacutee diffeacuteremment des questions concernant les ecirctres singuliers Drsquoailleurs la question de savoir pourquoi il y a quelque chose plutocirct que rien est en soi une question morale parce qursquoelle nrsquoa de sens que si nous supposons que lrsquoexistence est intrinsegravequement deacutesirable et bonne En conseacutequence on pourrait dire que les principes de la gracircce ne traitent pas de la question de savoir si quelque chose de bon ou de mauvais arrive dans un cas particulier mais plutocirct srsquoil y a une dimension morale ou normative dans la creacuteation elle-mecircme et la faccedilon dont elle est structureacutee Cette dimension morale se reflegravete dans la structure de la reacutecompense et de la punition agrave lrsquooccasion Leibniz appelle cela lrsquoeacuteconomie de la gracircce24

Au paragraphe 15 des PNG Leibniz propose une analogie concernant la relation entre le royaume de la nature et le royaume de

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la gracircce dans lrsquoun Dieu agit comme un architecte dans lrsquoautre comme un monarque Cette analogie suggegravere une lecture dualiste les principes de la creacuteation ne sont pas les mecircmes que ceux de la gouvernance Cest du moins linterpreacutetation que je proposerai dans les deux prochaines sections

3 Qursquoest-ce que la Gracircce

Dans la tradition chreacutetienne la gracircce est geacuteneacuteralement comprise comme la volonteacute divine de sauver les ecirctres humains de leurs peacutecheacutes et de la damnation eacuteternelle Puisque les ecirctres humains ont eacuteteacute deacutechus par le peacutecheacute originel ils ne meacuteritent pas la gracircce de Dieu ldquoLa gracircce est un bien qursquoon fait agrave ceux qui ne lrsquoont point meacuteriteacute et qui se trouvent dans un eacutetat ougrave ils en ont besoinrdquo25 Mais les ecirctres humains peuvent ecirctre sauveacutes par la gracircce laquelle est lrsquoexpression de lrsquoamour que Dieu a pour les humains et de sa bienveillance eacuteternelle laquelle srsquoest manifesteacutee ou incarneacutee en Jeacutesus-Christ En ce sens la gracircce elle-mecircme est le premier ldquoprincipe actifrdquo concernant les ldquoactions pieusesrdquo26 Lrsquoamour divin nous conduit activement au salut si bien que la damnation ne reacutesulte que de notre reacutesistance active agrave cet amour En effet Dieu et les hommes ont les mecircmes raisons et le mecircme concept de justice selon lequel il faut promouvoir la perfection et srsquoefforcer pour le mieux27

On sait que Leibniz soutient qursquoil y a une harmonie preacuteeacutetablie entre le royaume de la nature et le royaume de la gracircce28 Cela le conduit agrave admettre que ldquola nature megravene agrave la gracircce et que la gracircce perfectionne la nature en srsquoen servantrdquo29 Bien sucircr pour ce faire on a besoin de supposer que les principes de la nature et de la gracircce ne srsquoopposent pas mais se complegravetent plutocirct mutuellement Leibniz soutient que Dieu nrsquointervient pas dans le cours de la nature pour punir ses creacuteatures mais que la nature est dirigeacutee de maniegravere agrave ce

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que toute peine soit conforme agrave lrsquoordre des choses Lrsquoharmonie entre la nature et la gracircce est conccedilue de telle sorte que la punition soit produite par des processus purement naturels30

Leibniz suppose tout comme Thomas drsquoAquin (par exemple) que la nature humaine est dirigeacutee vers la gracircce toutefois il ne va pas aussi loin que Thomas en supposant que les ecirctres humains deacutependent de la gracircce divine pour srsquoefforcer vers le bien du moins pas directement Il suit neacuteanmoins du raisonnement preacuteceacutedent que lrsquoexistence mecircme des ecirctres humains (ou lrsquoexistence du monde en geacuteneacuteral) deacutepend de la gracircce de Dieu Crsquoest dans un sens le prix que nous devons payer pour notre existence lrsquohomme ne peut pas ecirctre parfait seul Dieu peut lecirctre La source du mal en ce monde nrsquoest pas fondeacutee sur la volonteacute de Dieu car Dieu ne veut que le meilleur Le mal est plutocirct fondeacute sur la neacutecessiteacute logique selon laquelle Dieu ne peut pas creacuteer un monde absolument parfait sans se deacutedoubler

Quand Leibniz parle de la gracircce crsquoest surtout dans le contexte de discussions sur la liberteacute et la preacutedeacutetermination souvent en opposition agrave un deacutebat tregraves speacutecifique de son temps le theacuteologien jeacutesuite Luis de Molina avait souligneacute que la gracircce et la liberteacute humaines nrsquoentrent pas en conflit lrsquoune avec lrsquoautre Selon Molina la connaissance de Dieu ninclut pas seulement toute la reacutealiteacute mais aussi tous les futurs contingents cest-agrave-dire tout ce qui va se produire et ce non par neacutecessiteacute mais plutocirct en vertu de la volonteacute de Dieu Mecircme si la deacutecision divine de sauver ou de condamner un seul homme preacutecegravede toute action humaine cette gracircce efficace (gratia efficax) deacutepend des actions et des intentions de lrsquohomme Dans la scientia media des futurs contingents Dieu connaicirct deacutejagrave quels humains se conformeront agrave sa volonteacute crsquoest-agrave-dire qursquoil connaicirct deacutejagrave ceux qui se conforment agrave sa volonteacute et qursquoil peut sauver Pourtant les humains ont encore besoin drsquoagir par eux-mecircmes en accord avec la gracircce Mecircme si Dieu sait ce qui arrivera la volonteacute libre des hommes et leur liberteacute drsquoaction sont encore neacutecessaires pour leur salut

Leibniz critique certaines positions de Molina dans ce deacutebat31 Son principe drsquoidentiteacute reacutefute lrsquoideacutee de deux choix possibles qui seraient absolument eacutegaux Sa theacuteorie des mondes possibles permet 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 30 Voir par exemple Monadologie sect 88 et PNG sect 15 31 Voir Greenberg 2005 pp 217-233

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ainsi de reformuler lrsquoideacutee des futurs contingents dans un cadre strict de modaliteacutes Le principe de raison suffisante est alors utiliseacute contre lrsquoideacutee drsquoune pure indiffeacuterence de la volonteacute une volonteacute vraiment indiffeacuterente ne serait pas du tout une volonteacute raisonnable une volonteacute propre mais plutocirct une reacuteaction arbitraire ou instinctive Puisque toutes les raisons de lrsquoexistence sont fondeacutees en Dieu tous les ecirctres agissent avec le concours de Dieu mais le pouvoir drsquoagir est fondeacute sur les forces qui reacutesident dans les creacuteatures cest-agrave-dire les substances Degraves lors Dieu peut seulement preacutevoir ce agrave quoi la creacuteature est inclineacutee soit par instinct soit par raison La preacutevision divine ne contient aucune action qui deacutecoulerait de la deacutetermination neacutecessaire puisque de tels actes sont impossibles seules les actions qui deacutecoulent de lrsquoinclination peuvent ecirctre preacutevues32 La liberteacute humaine inclut la possibiliteacute de deacutesobeacuteir aux deacutecrets de Dieu ndash de sorte que la liberteacute humaine est neacutecessaire au salut

Si la dispensatio de la gracircce suivait seulement et immeacutediatement quelques lois quelles soient de la nature ou de la gracircce nous pourrions interagir causalement ndash ou au moins diriger notre volonteacute Ainsi nous pourrions causer notre propre salut de sorte que Dieu devrait neacutecessairement nous sauver en vertu de nos actions Or cela est eacutevidemment absurde pour Leibniz Au contraire il insiste sur le fait que les produits naturels sont des dons de Dieu fondeacutes sur la liberteacute absolue Ils font partie de ce qui eacutemane (ldquocoulerdquo) des perfections de Dieu qui est la ldquosourcerdquo de toutes les perfections Prenons par exemple ce passage de la Dissertation sur la preacutedestination et Gracircce eacutecrite en 1701 et reacuteviseacutee en 1706

On dit tregraves justement que tout bien est uniquement ducirc agrave la gracircce divine Par ce moyen nous comprenons sous ce nom de la gracircce divine tous les bienfaits de Dieu et nous regardons la gracircce comme nous eacutetant dispenseacutee [collatam] aussi bien par la voie naturelle ou ordinaire que par la voie extraordinaire et miraculeuse En effet les biens naturels ne sont pas moins des dons de Dieu que les dons spirituels et toute perfection deacutecoule de la source divine33

Nous pouvons comprendre cela comme une causaliteacute de type neacuteo-platonicien ou eacutemanative au moyen de laquelle les biens agrave la fois

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physiques et spirituels sont reacutealiseacutes On peut dire meacutetaphoriquement que cette causaliteacute eacutemanative se trouve dans un rapport ldquoverticalrdquo avec la causaliteacute efficiente du monde physique dans la mesure ougrave cet ldquoeacutecoulementrdquo est une fondation non-temporelle de toutes les choses dans Dieu On peut donc dire que la gracircce deacutecoule (bien que diffeacuteremment) agrave la fois de moyens naturels et divins et quelle est par le fait-mecircme fondeacutee dans nos actions et dans la volonteacute divine

Il faut neacuteanmoins souligner que les sources textuelles ne sont pas univoques agrave ce sujet En effet dans une lettre au Landgraf Ernst Leibniz eacutecrit ceci ldquoComme je crois qursquoil est faux de dire que toutes [] les gracircces sont naturelles je crois qursquoil nrsquoest pas moins faux de soutenir qursquoelles sont toutes miraculeusesrdquo34 Degraves lors nous ne pouvons pas affirmer que tous les actes de gracircce sont agrave la fois naturels et miraculeux

Il est bien possible que Leibniz ait subtilement changeacute son avis entre 1691 et 170106 Nous savons qursquoil a longuement reacutefleacutechi agrave la question de la preacutedestination durant ces anneacutees ndash prenons pour exemple son manuscrit du Unvorgreiffliches Bedencken (ca 1697-98) qui traite cette question abondamment et qui a eacuteteacute retravailleacute agrave plusieurs reprises en profondeur Si cette voie est possible nous pouvons tout aussi bien essayer de lire les deux deacuteclarations ensemble comme autant daffirmations visant agrave soutenir que la gracircce peut ecirctre naturelle etou miraculeuse mais qursquoelle ne sera pas toujours les deux en mecircme temps Il est bien connu que Leibniz croit en lrsquoexistence de miracles35 par exemple des propheacuteties Or ces miracles ne se conforment pas aux lois speacutecifiques de la physique qui ne sont que des principes heuristiques faits par les humains Degraves lors puisque Dieu nrsquointervient pas dans le cours du monde les miracles sont deacutejagrave inteacutegreacutes dans lrsquoordre geacuteneacuteral du monde Cependant mecircme sils sont incorporeacutes dans lrsquoordre de la nature leur explication ne se reacutefeacuterera pas agrave la chaicircne des eacuteveacutenements naturels mais plutocirct agrave un acte de Dieu

Leibniz en accord avec plusieurs de ses contemporains distingue aussi entre les diffeacuterents types de gracircce bien qursquoil ne se serve pas toujours des mecircmes distinctions Par exemple dans un

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texte intituleacute De Libertate Fato Gratia Dei (1686-1687 []) on trouve une distinction entre la gracircce suffisante la gracircce efficace et la gracircce de perseacuteveacuterer qui semble ecirctre inspireacutee drsquoAugustin Ici Leibniz deacutecrit les diffeacuterentes voies de Dieu qui influence sa bienveillance envers les creacuteatures La gracircce suffisante est communiqueacutee par Jeacutesus Christ dans la mesure ougrave il repreacutesente lrsquohomme ideacuteal ce nest quen suivant son exemple que lhumain peut atteindre le salut La gracircce efficace est ainsi directement dispenseacutee par Dieu qui au moyen de lrsquoexemple du Christ dirige efficacement et infailliblement notre volonteacute vers le salut (qui est infaillible mais pas irreacutesistible36) La gracircce de perseacuteveacuterer est quant agrave elle distribueacutee au cours du temps parfois pour renforcer ceux qui srsquoaccordent deacutejagrave avec la volonteacute divine parfois pour aider ceux qui nrsquoy parviennent pas de sorte qursquoil semble ldquoqursquoaucune regravegle preacutecise nrsquoest observeacutee ou bien [que] srsquoil y en a une elle ne semble guegravere conforme agrave lrsquoeacutequiteacuterdquo37

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Mais comme dans le cas de ses eacutecrits meacutetaphysiques Leibniz adapte son vocabulaire en fonction de son interlocuteur Crsquoest pourquoi il utilise tantocirct les termes de la gracircce objective tantocirct ceux de la gracircce subjective Dieu offre la gracircce objective agrave tous les humains Celle-ci est une forme geacuteneacuterale de la gracircce se rapportant agrave tous les ecirctres humains Mais il leur offre aussi la gracircce subjective ce qui est assez speacutecifique et vient agrave des degreacutes divers selon la reacutesistance de lindividu devant les deacutecrets divins Consideacuterons ce passage de la Theacuteodiceacutee sect30

Comparons maintenant la force que le courant exerce sur les bateaux et qursquoil leur communique avec lrsquoaction de Dieu qui produit et conserve ce qursquoil y a de positif dans les creacuteatures et leur donne de la perfection de lrsquoecirctre et de la force comparons dis-je lrsquoinertie de la matiegravere avec lrsquoimperfection naturelle des creacuteatures et la lenteur du bateau chargeacute avec le deacutefaut qui se trouve dans les qualiteacutes et dans lrsquoaction de la creacuteature et nous trouverons qursquoil nrsquoy a rien de si juste que cette comparaison Le courant est la cause du mouvement du bateau mais non pas de son retardement Dieu est la cause de la perfection dans la nature et dans les actions de la creacuteature mais la limitation de la reacuteceptiviteacute de la creacuteature est la cause des deacutefauts qursquoil y a dans son action38

Le fait drsquoavoir quelques perfections comme lrsquoexistence est le reacutesultat drsquoun acte de gracircce objectif qursquoon peut illustrer par la lenteur naturelle drsquoun courant drsquoeau la gracircce subjective est en revanche la vitesse reacuteelle du bateau laquelle ne peut jamais ecirctre celle de la riviegravere et ce en raison de lrsquoinertie naturelle et des qualiteacutes speacutecifiques Leibniz utilise ces distinctions pour montrer comment le mal est fondeacute dans la nature humaine et non inseacutereacute en elle par un deacutecret divin ndash cela dit agrave notre connaissance il ne deacutefinit jamais explicitement les principes fondamentaux des diffeacuterents types de gracircce Comme Leibniz ne reprend pas ces distinctions dans les PNG il est difficile de dire si les principes de la gracircce peuvent srsquoappliquer agrave tous les types de gracircce et dans quelle mesure

Nous avons deacutejagrave mentionneacute lrsquoideacutee selon laquelle la gracircce peut ecirctre distribueacutee par des miracles ou apparaicirctre en eux Cet aspect relegraveve drsquoune limitation eacutepisteacutemique plus profonde nous ne pouvons ni percevoir ni comprendre la gracircce comme telle Puisque la gracircce ne fait pas partie immanente de la nature lhomme ne dispose pas de moyens rationnels pour en rendre compte ndash lrsquoeacuteconomie de la gracircce avec ses moyens naturels est mysteacuterieuse comme un ldquoarcanerdquo si 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 38 Voir Backus 2012 p 78

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bien qursquoil srsquoagit de ldquoquelque chose drsquoabsolurdquo39 Elle nest pas fondeacutee sur quelque chose drsquoexteacuterieur mais sur elle-mecircme Cela signifie que nous ne pouvons jamais connaicirctre notre destin ce que nous pouvons espeacuterer pour nous-mecircmes reposera en fin de compte sur un acte de foi

Comme la gracircce ne se fonde pas sur lrsquointellect seul mais aussi sur la volonteacute qui est agrave son tour deacutetermineacutee par lrsquointellect la gracircce ne suit pas la simple neacutecessiteacute logique Cependant comme toutes nos actions sont fondeacutees sur des inclinations et non sur des deacuteterminations neacutecessaires aucun acte drsquoune volonteacute libre ne peut ineacutevitablement susciter la gracircce divine tout comme la gracircce ne peut deacutependre drsquoune action speacutecifique Alors que Dieu utilise la gracircce pour eacuteclairer lrsquointelligence et pour guider la volonteacute40 une volonteacute libre mais malveillante peut entraver la dispensation de la gracircce et nous conduire agrave la damnation eacuteternelle Leibniz nrsquoest pas en accord avec lrsquoaffirmation optimiste de Paul selon laquelle la gracircce est toujours victorieuse41 Qui plus est il est aussi en deacutesaccord avec lrsquohypothegravese de Calvin qui stipule que la gracircce nous conduira ineacutevitablement au salut ndash nous pouvons reacutesister agrave la gracircce en succombant agrave la tentation ou en dirigeant notre volonteacute loin du bien Mais la gracircce ne deacutepend pas uniquement de la volonteacute humaine si la gracircce est victorieuse elle est toujours accompagneacutee de moyens exteacuterieurs42 qui dans ce contexte renvoient agrave la reacuteveacutelation divine et agrave la justice de reacutetribution naturelle 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 39 Dissertation on Predestination and Grace sect 30a p 101 (ldquoLrsquoeacuteconomie ou la dispensation des moyens externes de la gracircce enveloppe quelque chose de secret et mecircme drsquoabsolu si on le rapporte aux raisons connuesrdquo trad Lalanne op cit p 904) Voir Dissertation on Predestination and Grace sect 9d p 61 ldquoDu reste lrsquoeacuteconomie des deacutecrets divins concernant le salut est telle qursquoelle ne peut ecirctre reacuteduite agrave aucune regravegle geacuteneacuterale pour nousrdquo (Lalanne op cit p 844) De mecircme ldquoGott habe durch dieses Mittel einen weg gebahnet zu der dispensation seines heiligen und verborgenen [] willens krafft deszligen einige seiner creaturen stehen und im stande der gnaden verharren andere fallen und wieder aufstehen die ubrige fallen und nicht wieder aufstehen sondern in der verdamniszlig bleiben muumlszligenrdquo (Unvorgreiffliches Bedencken A IV 7 480 ldquoDieu a indiqueacute par ce moyen une voie pour dispenser sa volonteacute sainte et cacheacutee sa force dont quelques-unes de ses creacuteatures beacuteneacuteficient et disposent en eacutetat de gracircce et dont drsquoautres manquent puis beacuteneacuteficient agrave nouveau et dont drsquoautres manquent sans en beacuteneacuteficier agrave nouveau et mecircme devant rester dans la damnationrdquo trad A Lalanne) 40 Dissertation on Predestination and Grace sect 34a p 109 (ldquoOr la gracircce interne est double lumiegravere dans lrsquoentendement inclination dans la volonteacuterdquo Lalanne op cit p 914) Voir eacutegalement Unvorgreiffliches Bedencken A IV 7 p 517 41 Dissertation on Predestination and Grace sect 34a p 109 42 Ibidem sect 36c p 113 (voir Lalanne op cit p 919)

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En somme la gracircce est lieacutee agrave la justice divine mais elle ne lui est pas identique ndash elle est plutocirct lrsquoapplication de la justice divine agrave notre nature individuelle et par conseacutequent au caractegravere moral de la nature elle-mecircme dans laquelle la peine est produite par des moyens naturels Mecircme srsquoil nrsquoy a de gracircce que lorsquelle est fondeacutee sur la volonteacute divine cela ne suffit pas pour notre salut autant la bonne volonteacute de lrsquohomme que la bienveillance divine sont neacutecessaires pour la gracircce et le salut Il nrsquoexiste pas un ensemble de regravegles au moyen desquelles nous pourrions deacuteterminer notre gracircce et il nrsquoy a aucune chose singuliegravere excepteacutee lrsquointervention divine qui puisse nous conduire infailliblement agrave la gracircce En raison de nos limites ndash ou agrave cause du peacutecheacute originel ndash nous ne gagnons ni meacuteritons la gracircce La gracircce ne nous est pas donneacutee agrave cause de notre volonteacute bonne mais agrave cause de lrsquoamour divin pour toutes les creacuteatures et ce malgreacute notre propre nature neacutecessairement faillible En fait les actes individuels de gracircce nous eacutechappent Les hommes agiront toujours en fonction de leur caractegravere et on peut donc preacutesumer que la gracircce de Dieu sera conforme agrave notre caractegravere Toutefois cela tombe dans le domaine de la foi et non de la connaissance

Je crois donc (puisque nous ne savons pas combien ou comment Dieu a eacutegard aux dispositions naturelles dans la dispensation de la gracircce) que le plus exact et le plus sucircr est de dire [] qursquoil a plu agrave Dieu de la choisir parmi une infiniteacute drsquoautres personnes eacutegalement possibles []43

4 Les principes de la nature et de la gracircce

Alors quels sont les principes de la gracircce et comment ce mysteacuterieux plan cacheacute de Dieu se rapporte-t-il au domaine de la nature Au sect13 du Discours de Meacutetaphysique Leibniz souligne que les plans de Dieu sont ldquo des ordres tregraves particuliers de Dieurdquo crsquoest-agrave-dire qursquoils visent les individus et qursquoils sont miraculeux44 On doit comprendre le miracle de la gracircce et la ldquo particulariteacuterdquo du plan de Dieu comme les deux faces drsquoune mecircme meacutedaille Ainsi alors que les principes de la nature sont ndash dans ce monde contingent ndash universellement valables

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pour tous les ecirctres les principes de la gracircce ne sont en revanche valables que pour les individus

Ni la volonteacute de Dieu ni sa gracircce ne sauraient ecirctre arbitraires Cependant mecircme si elles touchent tous les ecirctres humains diffeacuteremment conformeacutement agrave leurs actions ou agrave leur volonteacute la gracircce de Dieu nrsquoest pas fondeacutee sur quelque chose drsquoexteacuterieur Au contraire chaque acte de gracircce et chaque bien spirituel a son fondement dans lrsquoun des deacutecrets de Dieu Hypotheacutetiquement si nous comprenons la gracircce dispenseacutee agrave une personne nous comprenons eacutegalement les deacutecrets de Dieu Mais ces deacutecrets ne peuvent ecirctre isoleacutes du plan de Dieu pour lrsquounivers ou encore de ses intentions de creacuteer le meilleur des mondes possibles Dans ce contexte les principes de la gracircce seraient agrave trouver dans lrsquoordre de lrsquounivers tout entier pour autant que nous le consideacuterions au regard de sa dimension morale ou normative Leibniz affirme plusieurs fois que lrsquounivers entier est exprimeacute par chaque individu ce qui signifie que si nous connaissions tout sur une creacuteature si nous en connaissions son concept complet nous pourrions alors eacutegalement saisir les actes de gracircce qui srsquoy rapportent Mais cela ne suffit toujours pas pour comprendre les raisons de ces actes de gracircce les deacutecrets dits divins

Il ne suffit pas de dire que la notion complegravete drsquoune creacuteature contient eacutegalement toute la seacuterie des gracircces En effet comme les gracircces divines sont libres et proviennent drsquoun deacutecret cette notion enveloppe eacutegalement les deacutecrets divins et leurs raisons Crsquoest pourquoi il faut agrave nouveau chercher la raison du deacutecret qui donne la gracircce Et celle-ci doit donc ecirctre tireacutee de la consideacuteration du reste qui est dans cette notion possible une fois retireacute le deacutecret de la gracircce Il est cependant possible drsquoaccorder les deacutecrets de la gracircce avec les innombrables voies conformes aux ordres deacutefinis des choses ndash alors que Dieu nrsquoen choisit qursquoune seule Ainsi la raison des deacutecrets de la gracircce ou du concours de Dieu doit ecirctre tireacutee de chaque ordre possible de tout lrsquounivers45

Cela signifie que les deacutecrets de la gracircce que nous pouvons aussi appeler les principes individuels ou subordonneacutes de la gracircce sont indeacutependants des principes de la nature Autrement nous pourrions les deacuteduire de lrsquoordre de notre univers

En gardant cela en vue nous revenons une derniegravere fois aux PNG Leibniz affirme que seule la reacuteveacutelation et non pas la raison

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Ansgar Lyssy Les principes de la gracircce chez Leibniz

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peut nous dire ldquoen deacutetailrdquo 46 quelque chose sur notre futur Cependant la raison ne peut nous dire qursquoune chose agrave savoir ldquoque les choses sont faites drsquoune maniegravere qui passe nos souhaitsrdquo 47 Dieu a conccedilu le monde selon son ideacutee de justice universelle Le fait drsquoen prendre conscience peut nous faire prendre part agrave la Citeacute de Dieu qui est ldquoune espegravece de Socieacuteteacute avec Dieurdquo48 crsquoest-agrave-dire une communauteacute dans ce ldquoplus parfait eacutetatrdquo ougrave ldquoil nrsquoy a point de crime sans chacirctiment point des bonnes actions sans reacutecompense proportionneacutee et enfin autant de vertu et de bonheur qursquoil est possiblerdquo 49

Nous trouvons ici exprimeacutes trois principes qui peuvent tregraves bien ecirctre appeleacutes agrave juste titre ldquoles principes de la gracirccerdquo mecircme si Leibniz ne les appelle pas ainsi Dans ce contexte diffeacuterentes interpreacutetations seraient possibles On pourrait les appeler les principes de la punition infaillible de la reacutecompense infaillible et une version speacutecifique du principe du meilleur qui porte exclusivement sur la dimension morale de la creacuteation Apparemment ils ne sont pas identiques aux principes de la nature et ils ne peuvent ecirctre deacuteriveacutes drsquoeux ndash ce qui nous ramegravene agrave une lecture dualiste des principes de la nature et de la gracircce Pour ecirctre efficaces ils doivent ecirctre expliqueacutes par lrsquoentremise des deacutecrets individuels ou encore articuleacutes avec eux On peut les appeler principes au mecircme titre que chaque monade peut ecirctre appeleacutee un ldquoprincipe du vierdquo Si les principes de la gracircce et de la nature peuvent ecirctre indeacutependants lrsquoun de lrsquoautre ils sont cependant correacuteleacutes eacutetablis en harmonie tout comme la punition et la reacutecompense suivent naturellement le cours du monde

Puisque les preuves textuelles manquent toute interpreacutetation de lrsquooccurrence unique de lrsquoexpression ldquoprincipes de la gracirccerdquo doit rester speacuteculative et hypotheacutetique Peut-ecirctre pourrions-nous mieux comprendre si nous entendions par ldquoprinciperdquo une ldquosourcerdquo ou une ldquooriginerdquo mais avec une dimension normative transmise agrave tout ce qui eacutemane de cette source En ce sens le principe (supeacuterieur) de la gracircce (dans un sens eacutetroit) serait lrsquoamour inconditionnel de Dieu tandis que les principes de la gracircce (dans un sens plus large)

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incluraient la justitia universalis lrsquoharmonie entre les causes efficientes et finales et la relation causale entre lrsquoamour de Dieu et le bonheur des fidegraveles auxquels Leibniz fait au moins allusion dans les derniers paragraphes des PNG (sect 15-18)

Cependant les principes ou les sources de la nature sont structureacutes par la rationaliteacute divine et ils sont donc systeacutematiques tandis que les principes de la gracircce sont individuels et eacutenigmatiques Degraves lors bien que nous puissions imiter les œuvres rationnelles de Dieu dans la nature par le biais de la science et de lrsquoingeacutenierie son veacuteritable amour pur consiste ldquodans lrsquoeacutetat qui fait goucircter du plaisir dans les perfections et dans la feacuteliciteacute de ce qursquoon aimerdquo50 Nous pouvons imiter cet amour agrave notre maniegravere mortelle et limiteacutee ce qui nous apportera non seulement ldquoune parfaite confiance dans la bonteacute de notre auteur et maicirctrerdquo51 mais encore des plaisirs estheacutetiques dans la perception du monde et une tranquilliteacute drsquoesprit dans nos espeacuterances pour lrsquoavenir

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SECTION 4

LrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIENNE

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TAHAR BEN GUIZA

LA VARIATION DANS LE STYLE DrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIEN ET LA TRADITION PHILOSOPHIQUE ARABE

Dans la plupart des livres drsquohistoire relatifs agrave la philosophie occidentale se trouvent souvent occulteacutes des pans entiers notamment celui qui concerne la philosophie arabe et islamique qui constitue pourtant une peacuteriode cleacute de lrsquohistoire de la philosophie Les philosophies chinoise et indienne ne sont pas mieux loties En veacuteriteacute il semble bien que les historiens de la philosophie soient resteacutes prisonniers du modegravele heacutegeacutelien selon lequel la philosophie est neacutee grecque et aurait traverseacute une peacuteriode orientale drsquoerrance et de somnolence pour ne retrouver sa vitaliteacute qursquoavec la philosophie allemande et celle des Lumiegraveres Hegel eacutecrit dans ce sens Ici ne peut agrave dire vrai ecirctre preacutesente aucune philosophie agrave proprement parler En effet pour indiquer briegravevement le caractegravere de ce monde lrsquoesprit se legraveve certes agrave lrsquoOrient mais le rapport est alors tel que le sujet lrsquoindividualiteacute ndash moi pour moi-mecircme ndash nrsquoexiste pas en tant que personne mais ne fait que disparaicirctre nrsquoest deacutetermineacute que neacutegativement disparaissant dans ce qui est objectif en geacuteneacuteral1 La thegravese du choc des cultures deacutefendu par Fukuyama nrsquoest qursquoune reprise drsquoune conception eacutetriqueacutee de la migration des ideacutees propre au monde meacutediterraneacuteen Cette thegravese ne fera que raviver lrsquoancienne orientation europeacuteocentriste voire colonialiste Dans son livre Averroegraves et lrsquoaverroisme Ernest Renan ira mecircme jusqursquoagrave deacuteclarer ldquoJe suis le premier agrave reconnaicirctre que nous nrsquoavons rien ou presque rien agrave apprendre ni drsquoAverroegraves ni des Arabes ni du Moyen Acircgerdquo2 On trouve des eacutechos de ce ldquoneacutegationnismerdquo dans plusieurs autres textes celui de Reacutemi Brague dans Europe la voie romaine 1992 Jacques Heers dans le premier numeacutero de la Nouvelle Revue drsquoHistoire ougrave il parle en 2002 de ldquola fable de la transmission arabe du savoir antiquerdquo Le pape Benoit XVI dans son discours de Ratisbonne en 2006 continuera sur la mecircme lanceacutee et Sylvian Gouguenheim avec son livre Aristote au Mont Saint-Michel les

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racines grecques de lrsquoEurope chreacutetienne en 2008 fait sienne la thegravese de Reneacute Marchand lequel ne cesse de reacutepeacuteter que ldquoLa France [est] en danger dIslam entre jihacircd et reconquistardquo Selon cette lecture Gouguenheim affirme que lrsquoEurope a toujours maintenu ses contacts avec le monde grec et les traductions arabes de la philosophie grecque nrsquoont pas joueacute le rocircle janusien qursquoon leur precircte Un travail de traduction actif et sans relacircche des textes drsquoAristote a eacuteteacute dispenseacute par le Mont Saint-Michel Ainsi la preacutetendue dette de lrsquoOccident envers le monde arabe est une pure illusion Drsquoailleurs ajoute Gouguenheim lhelleacutenisation du monde islamique est tellement superficielle et anodine qursquoil est inutile de parler drsquoune dette ou drsquoune quelconque empreinte du monde arabe sur le monde occidental En outre la preacutetendue philosophie arabe a eacuteteacute lrsquoœuvre drsquoarabes chreacutetiens et les supposeacutes philosophes arabes tels qursquoAvicenne et Averroegraves se sont tellement eacuteloigneacutes de lrsquoesprit grec ne connaissant mecircme pas le Grec qursquoil est exageacutereacute de dire qursquoils ont transmis quoi que ce soit au monde occidental Gouguenheim oublie alors que ni Abeacutelard ni saint Thomas ne connaissaient le grec En bref lhelleacutenisation de lEurope chreacutetienne est lrsquoœuvre des europeacuteens eux-mecircmes Crsquoest dire qursquoil y a un reacuteel problegraveme philosophique de compreacutehension et de communication entre lrsquoOrient et lrsquoOccident susciteacute par une vision sans cesse reacuteiteacutereacutee drsquoun Occident centreacute sur lui-mecircme bien chreacutetien et non redevable agrave aucune autre culture surtout pas agrave la culture arabe Lrsquoune des expressions majeures de cet ethnocentrisme est la vieille habitude de changer les noms de ceux dont on veut bien parler en tant qursquoadepte ou simple vis-agrave-vis (Ibn Rushd devient Averroegraves Ibn Beja Avempace Ibn Sinaa Avicenne et jrsquoen passe)

Toutefois lrsquoEurope reste malgreacute ces divagations une terre drsquoasile de convergence de dialogue et de confrontation des ideacutees Des textes importants ont eacuteteacute eacutecrits pour deacutenoncer cette ldquofalsification de lrsquohistoire au nom de lrsquoideacuteologierdquo tels que le livre collectif LIslam meacutedieacuteval en terres chreacutetiennes Science et ideacuteologie paru en 2009 (dirigeacute par Max Lejbowicz) ou le livre dirigeacute par Alain de Libera (dir) Les Grecs les Arabes et nous Enquecircte sur lislamophobie savante parue en 2009 dans la collection Fayard

Cependant ce nrsquoest pas agrave ce niveau poleacutemique et ideacuteologique que nous nous placcedilons Le modeste travail que nous preacutesentons ici

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tente une analyse sereine de la position de deux philosophes (Ibn Rushd et Leibniz) qui bien qursquoappartenant agrave deux mondes diffeacuterents se rencontrent sur de nombreux de points Nous nous inteacuteresserons en particulier au rapport qursquoils eacutetablissent entre la philosophie et la theacuteologie

En lisant Leibniz on deacutecouvre que souvent il est loin drsquoadopter une attitude aussi radicale que celle que lrsquoon voit chez certains de nos contemporains Baruzi dans son Leibniz et lrsquoorganisation religieuse de la terre commence son texte par cette phrase ldquoLeibniz fut hanteacute par lrsquoOrientrdquo Dans ses Nouveaux essais le philosophe de Hanovre ira mecircme jusqursquoagrave vanter le meacuterite des arabes drsquoavoir mis en place une premiegravere socieacuteteacute de savants et procircne la neacutecessiteacute de se mettre agrave leur eacutecole il eacutecrit

et enfin ce qursquoAlmansour ou Miramolin grand Prince des Arabes ordonna en faveur de sa nation crsquoest agrave dire qursquoil fera tirer la quintessence des meilleurs livres et y fera joindre les meilleures observations encor non-eacutecrites des plus experts de chaque profession pour faire bastir des sytemes drsquoune connaissance solide et propre agrave avancer le bonheur de lrsquohomme fondeacutes sur des expeacuteriences et des deacutemonstrations et accommodeacutes agrave lrsquousage par des repertoires ce qui seroit un monument des plus durables et des plus grands de sa gloire et une obligation incomparable que lui en auroit tout le genre humain Peut-ecirctre encore que le grand Prince dont je me fais lrsquoideacutee fera proposer des prix agrave ceux qui feront des deacutecouvertes ou qui deacuteterrerons des connaissances importantes cacheacutees dans la confusion des hommes ou des auteurs3 Leibniz parle ici de Beit al Hikma (Maison de la Sagesse) ancienne bibliothegraveque personnelle du calife abbaside Haroun al Rachid devenue un haut lieu de traduction des textes anciens faisant fonction drsquouniversiteacute Elle fut fondeacutee en 832 par Al Maamoun homme de lettres et de science et deacuteveloppeacutee par Al Mansour mais deacutetruite par les mongoles en 1258

Est-ce un hasard si lrsquoon retrouve cette reconnaissance de la dette envers les anciens chez le philosophe de Cordoue lorsqursquoil eacutecrit dans son fameux Traiteacute deacutecisif

Mais si dautres que nous ont deacutejagrave proceacutedeacute agrave quelque recherche en cette matiegravere il est eacutevident que nous avons lobligation pour ce vers quoi nous nous acheminons de recourir agrave ce quen ont dit ceux qui nous ont preacuteceacutedeacutes Il importe peu que ceux-ci soient ou non de notre religion [] jentends les Anciens qui ont eacutetudieacute ces questions avant lapparition de lIslam Puisquil en est ainsi et que toute leacutetude neacutecessaire des syllogismes rationnels a deacutejagrave eacuteteacute effectueacutee le plus parfaitement qui soit par les

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Anciens alors certes il nous faut puiser agrave pleines mains dans leurs livres afin de voir ce quils en ont dit Si tout sy avegravere juste nous le recevrons de leur part et sil sy trouve quelque chose qui ne le soit nous le signalerons4 Les deux projets nrsquoappartiennent pas agrave la mecircme culture et ne posent pas les problegravemes de la mecircme maniegravere Chacun des deux philosophes renvoie agrave une disposition de lrsquoesprit et de la culture qui toutefois si elle eacutetait correctement comprise contribuerait agrave eacuteviter les malentendus actuels entre le monde occidental et le monde oriental sur le plan de lrsquoappreacutehension philosophique de la civilisation humaine

En effet si drsquoun cocircteacute Leibniz veut conforter sa philosophie par rapport aux philosophes de son siegravecle et si par son engagement religieux il preacutetend trouver une solution pratique aux malentendus opposant les diffeacuterentes Eacuteglises de la chreacutetienteacute quand il deacuteclare qursquoil ldquocommence en philosophe et finit en theacuteologienrdquo Ibn Rushd drsquoun autre cocircteacute vit une situation diffeacuterente marqueacutee par le souci drsquointeacutegrer la philosophie dans lrsquohorizon du savoir Certes il sait que sa socieacuteteacute nrsquoaccorde agrave la philosophie qursquoun statut douteux mais il propose une solution facilitant la reconnaissance de la philosophie par la religion En somme dans cette rencontre croiseacutee si Leibniz commence en philosophe et finit en theacuteologien peut-on dire qursquoIbn Rushd prend un chemin opposeacute et commence en theacuteologien pour finir en philosophe Quelle leccedilon de philosophie nous reacuteserve-t-elle

Lrsquointeacuterecirct majeur de ce parallegravele est de nous permettre drsquoesquiver la forte tendance naturaliste en quecircte des essences des identiteacutes et des spiritualiteacutes figeacutees particuliegraverement active degraves qursquoil srsquoagit de la philosophie arabe et de la religion musulmane Nous constatons une ressemblance eacutetrange dans la variation du style drsquoeacutecriture drsquoIbn Rushd et de Leibniz qui permet de comprendre que nous nous devons aujourdrsquohui de styliser notre penseacutee pour toujours plus de civiliteacute et de concorde

Nous consideacuterons que les travaux drsquoIbn Rushd et de Leibniz srsquoinscrivent dans la longue tradition critique de la theacuteologie par la philosophie En cela la concordance entre nos deux philosophes semble parfaitement harmonique Mais faut-il le rappeler si Leibniz est consideacutereacute comme le pegravere du rationalisme moderne Ibn Rushd est consideacutereacute comme la plus grande figure du rationalisme classique En

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reacuteponse agrave Ghazali qui deacutefend lrsquoideacutee drsquoune intervention continue entre la cause et lrsquoeffet ibn Rushd reacutepond ldquorefuser les causes crsquoest refuser la raisonrdquo Toutefois dans les deux cultures le deacutebat sur le rationalisme a commenceacute au sein de la theacuteologie avant de lrsquoecirctre au sein de la philosophie En effet dans sa confeacuterence de Tunis sur ldquoRaison et existencerdquo agrave lrsquooccasion du colloque sur ldquoLes enjeux du rationalisme modernerdquo Michel Fichant rappelle que ldquole sens le plus reacutepandu et drsquoailleurs le plus inteacuteressant de ldquoRationalisterdquo au XVIIegraveme siegravecle relegraveve des deacutebats theacuteologiquesrdquo (p 17) Le Discours preacuteliminaire de la Theacuteodiceacutee confirme drsquoailleurs cette lecture et lrsquoappuie Leibniz eacutecrit en effet

On parla en Hollande de Theacuteologiens rationaux et non-rationaux distinction de parti dont M Bayle fait souvent mention se deacuteclarant enfin contre les premiers mais il ne paraicirct pas qursquoon ait encore bien donneacute les regravegles preacutecises dont les uns et les autres conviennent ou ne conviennent pas agrave lrsquoeacutegard de lrsquousage de la raison dans lrsquoexplication de la Sainte Eacutecriture Cela veut dire au moins que le lien entre la philosophie et la theacuteologie nrsquoest pas arbitraire On comprend alors pourquoi nos deux philosophes eacutecrivent aussi bien en tant que theacuteologiens qursquoen tant que philosophes Mais le font-ils de la mecircme maniegravere et surtout deacutefendent-ils le mecircme point de vue sur le rapport de la philosophie agrave la theacuteologie

1 Ibn Rushd philosophie et theacuteologie

Ibn Rushd est connu comme eacutetant le commentateur par excellence drsquoAristote Agrave son actif aussi les commentaires des eacutecrits des premiers philosophes musulmans Al-Kindicirc (m 873) Ibn Sicircnacirc (m 1037) Al-Facircracircbicirc (m 950) Ibn Rushd se considegravere lui-mecircme comme un heacuteritier de leacutecole de Baghdacircd et un successeur dAl-Facircracircbi Ayant eacutecrit quatre-vingt-sept livres de philosophie et plus de vingt autres en meacutedecine Son livre le Traiteacute deacutecisif traduit par Leacuteon Gauthier utilise un style proche du discours religieux Ibn Rushd recourt en effet agrave lrsquoargument drsquoautoriteacute afin de convaincre ceux qui doutent de lrsquoimportance de la saine mission de la philosophie agrave libeacuterer les esprits pour connaitre Dieu Or le Coran ne parle pas de philosophie mais de sagesse Crsquoest pour cette raison que le titre du livre drsquoIbn Rushd

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le Traiteacute deacutecisif ne comporte pas le concept de philosophie Sa traduction litteacuterale est celle-ci ldquoDistinction de discours5 et deacutetermination du lien qui lie la sagesse agrave la charia ldquo Il srsquoagit donc de trouver un accord entre la sagesse et la leacutegislation islamique Pour ce faire Ibn Rushd revient au texte coranique Il y est dit Appelle les hommes dans le chemin de ton seigneur par la sagesse et par la belle exhortation et dispute avec eux de la meilleure faccedilon6 En se basant sur le Coran et sur Aristote Ibn Rushd explique qursquoil y a trois voies de la connaissance correspondant agrave trois formes dargumentations et agrave trois cateacutegories de personnes la rheacutetorique la dialectique et la deacutemonstrative7

Chez le fondateur de la doctrine chafiite du Fikh Mohamed Ben Idriss Al-Chafii le terme de sagesse signifie la souna crsquoest-agrave-dire la vie et les recommandations du prophegravete Ibn Rushd se deacutemarque donc de cette interpreacutetation Pour lui la sagesse renvoie agrave la philosophie la belle exhortation agrave la rheacutetorique et la dispute agrave la dialectique Trois cateacutegories de personne correspondent agrave ces trois meacutethodes drsquoargumenter

1 Les hommes de deacutemonstration sont les seuls capables duser de leur raison de la meilleure des faccedilons ils ont le droit sous certaines conditions dinterpreacuteter le texte religieux En tant qursquoesprits supeacuterieurs ils sont aptes agrave connaicirctre le veacuteritable sens que Dieu donne agrave sa creacuteation La foi trouve ainsi son principe de raison dans la science

2 Les hommes dexhortation qui forment la majoriteacute eacutecrasante des gens eacutetant incapables de suivre une deacutemonstration rationnelle doivent suivre agrave la lettre tous les symboles de la religion sans faire aucun effort dinterpreacutetation

3 La troisiegraveme cateacutegorie desprit est formeacutee par les gens qui sont dans une situation intermeacutediaire entre les deux autres ce sont les

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hommes darguments dialectiques Ces derniers peuvent eacutepiloguer sur certaines difficulteacutes du texte religieux ils peuvent deacutevelopper des arguments pertinents comme ils peuvent aussi se tromper lourdement Ce sont les theacuteologiens Leur discours est tregraves dangereux puisquils peuvent conduire les hommes dexhortation agrave toutes sortes derreurs sur la religion source de tous les fanatismes et de tous les maux

Afin de reacutepondre agrave ceux qui relegravevent la contradiction apparente entre la speacuteculation philosophique et les enseignements de la loi divine Ibn Rushd se rapporte au Coran pour souligner que ce dernier comporte un sens apparent zahir et un sens latent batin Lrsquoexeacutegegravese dans ce cas de figure devient neacutecessaire Mais qursquoest-ce qursquointerpreacuteter

Interpreacuteter eacutecrit Ibn Rushd veut dire faire passer la signification dune expression du sens propre au sens figureacute sans deacuteroger agrave lusage de la langue des Arabes de nom-mer telle chose pour deacutesigner meacutetaphoriquement sa semblable ou sa cause ou sa conseacutequence ou une chose concomitante ou demployer telle autre meacutetaphore couramment indiqueacutee parmi les figures de langage8

Drsquoailleurs lrsquointerpreacutetation neacutecessite des reacutequisits et des regravegles qui ne peuvent ecirctre reacuteunis que chez un philosophe qui maicirctrise aussi bien la logique que le texte coranique Cela conduit Ibn Rushd agrave procircner une certaine ascendance de la philosophie sur la theacuteologie Cette derniegravere aura ainsi un fondement rationnel qui la deacutefendra contre les heacutereacutetiques Elle permet aussi de deacutevelopper lrsquoIjtihad (effort) qui est un effort de reacuteflexion sur les textes fondateurs de lrsquoIslam en vue de diriger lrsquoaction des croyants (licite illicite reprouveacutee) Cela donne agrave la religion une dimension dynamique et lui permet une ouverture qui la sauve de la scleacuterose et du dogmatisme9 Crsquoest la raison pour laquelle Ibn Rushd considegravere que la garantie de la paix sociale contre la guerre des confessions qui deacutechire les croyants musulmans et qui

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continue aujourdrsquohui encore agrave les deacutechirer est de consacrer lrsquoascendance de la philosophie sur agrave la theacuteologie en soulignant la neacutecessiteacute drsquoutiliser la raison pour fonder la foi et en recourant agrave lrsquoargument deacutemonstratif comme moyen ultime de toute argumentation valide

Ainsi le style deacutemonstratif est consideacutereacute par Ibn Rushd comme un critegravere essentiel de validiteacute du discours On constate agrave ce propos qursquoil y a entre nos deux philosophes un accord tout agrave fait remarquable Toutefois le modegravele deacutemonstratif drsquoIbn Rushd reste la logique drsquoAristote tandis que Leibniz choisi le modegravele axiomatique et deacutemonstratif de la geacuteomeacutetrie

La progression de lrsquoargumentation du Traiteacute deacutecisif est ascendante et on y retrouve tous les concepts clefs de la philosophie drsquoIbn Rushd Il srsquoagit drsquoabord de deacutemontrer que le Coran appelle les gens agrave penser crsquoest-agrave-dire agrave faire de la philosophie Il srsquoen suit la neacutecessiteacute de connaicirctre les syllogismes ce qui permet de montrer que les syllogismes rationnels et juridiques ont la mecircme valeur Cela conduit Ibn Rushd agrave conclure qursquoil ny a pas de contradiction entre la raison et le Texte reacuteveacuteleacute Toutefois srsquoil semble y avoir contradiction entre la raison et le texte reacuteveacuteleacute lrsquointerpreacutetation est obligatoire En tout cas elle ne saurait provenir drsquoune conception dualiste de la veacuteriteacute ldquocar dit-il la veacuteriteacute ne saurait ecirctre contraire agrave la veacuteriteacute elle srsquoaccorde avec elle et teacutemoigne en sa faveurrdquo10

Ainsi la philosophie eacutetant elle-mecircme une expeacuterience spirituelle crsquoest agrave elle que revient le devoir de donner un sens agrave la pratique religieuse La mecircme ideacutee a drsquoailleurs eacuteteacute largement deacuteveloppeacutee par Al-Facircracircbicirc qui nous dit que chaque Milla (chaque religion) adopte une philosophie elle en est lrsquoillustration Il est clair que le Kalacircm et le Fiqh sont posteacuterieurs agrave la religion (Milla) et la religion (Milla) est posteacuterieure agrave la philosophie et que la force dialectique et sophistique devance la philosophie et que la philosophie dialectique et la philosophie sophistique devancent la philosophie deacutemonstrative La philosophie en geacuteneacuteral devance la

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religion comme dans lrsquoexemple de lrsquoanteacuterioriteacute de celui qui utilise les machines sur les machines11 Mais comme les philosophies varient les Millas varient aussi Si la philosophie est bonne la Milla qui la suit est bonne si la philosophie est mauvaise la Milla est mauvaise aussi12 Crsquoest pourquoi il est primordial pour chaque Milla de suivre une bonne philosophie pour reacutealiser son ecirctre et son bonheur

Cela eacutetant dit Ibn Rushd est cateacutegorique quant agrave la fonction du Kalam et agrave sa production theacuteologique La theacuteologie nrsquoest acceptable et efficace que sous reacuteserve drsquoecirctre soumise agrave la preacuterogative de la philosophie Leibniz deacutefend-il la mecircme position

2 Leibniz philosophie et theacuteologie

Leibniz nrsquoa pas lu les textes drsquoIbn Rushd lui-mecircme Ce qursquoil connaicirct de ce philosophe oriental lui parvient de lrsquoaverroiumlsme latin connu pour avoir soutenu la thegravese de la double veacuteriteacute Leibniz reacutepond agrave cette thegravese Dans son Discours preacuteliminaire sur la conformiteacute de la foi et de la raison Je suppose que deux veacuteriteacutes ne sauraient se contredire que lobjet de la foi est la veacuteriteacute que Dieu a reacuteveacuteleacutee dune maniegravere extraordinaire et que la raison est lenchaicircnement des veacuteriteacutes mais particuliegraverement (lorsquelle est compareacutee avec la foi) de celles ougrave lesprit humain peut atteindre naturellement sans ecirctre aideacute des lumiegraveres de la foi13 En reacutealiteacute la thegravese de la double veacuteriteacute nrsquoa eacuteteacute deacutefendue ni par Ibn Rushd ni par les averroiumlstes14 mais bien par leurs adversaires en lrsquooccurrence saint Thomas drsquoAquin Agrave lrsquoorigine de ce malentendu une deacuteclaration de Siger de Brabant ldquoDieu ne peut faire quil y ait multipliciteacute dintellects car cela impliquerait contradictionrdquo

Adoptant un point de vue rationaliste Siger de Brabant se contente de dire qursquoil est impossible pour Dieu de reacutealiser 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 11 Al-Facircracircbicirc Kitab al Hourouf (Le livre des lettres) sect 110 12 Al-Facircracircbicirc Araacirc Ahlou Al-Madina Al-Fadila (Opinions des habitants de la Citeacute ideacuteale) p 154 13 Discours sur la conformiteacute de la foi avec la raison sect1 GP VI 49 14 Les plus illustres averroiumlstes sont Siger de Brabant Pierre dAbano (1250-1315) (accuseacute de ramener de Paris agrave Padoue la ldquopesterdquo averroiumlste) le philosophe Danois Boegravece de Dacie deacuteceacutedeacute en 1284

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simultaneacutement des contradictoires Cest Thomas drsquoAquin qui conclut de cette deacuteclaration que celui qui croit agrave la pluraliteacute des intellects croit agrave quelque chose dimpossible Mais plus encore il tire de lrsquoideacutee de la soumission agrave Dieu au principe de contradiction lrsquoargument de la double veacuteriteacute

Par ailleurs Leibniz rejoint Ibn Rushd quant agrave la deacutefense de la prioriteacute de la philosophie par rapport agrave la theacuteologie Cette prioriteacute est perceptible chez Leibniz lorsquon suit par exemple ses diffeacuterentes positions sur les questions theacuteologiques quil discute tout le long de sa Theacuteodiceacutee On saperccediloit que sur nimporte laquelle de ces questions cest toujours le principe de raison qui rend compte des positions deacutefendues et des thegraveses soutenues Dans ses discussions avec les theacuteologiens Leibniz ne va pas jusquagrave interdire dinterpreacuteter la religion dune maniegravere libre mais il reconnaicirct comme le fait Ibn Rushd drsquoailleurs que ses meacuteditations ne sont ldquonullement populaires ny propres agrave estre gouteacutees de toute sorte despritsrdquo15 Cest deacutejagrave supposer que lesprit deacutemonstratif nest pas agrave la porteacutee de tout le monde Cela veut dire que chez Leibniz le point de vue theacuteologique nrsquoa pas sa raison suffisante en lui-mecircme mais dans les principes de la ldquoveacuteritable philosophierdquo16 qui reste seule capable de donner agrave la religion la penseacutee qursquoelle meacuterite Selon cet ordre drsquoideacutee il est mecircme possible drsquoexposer la theacuteologie sous une forme matheacutematique Agrave Burnett il eacutecrit

Un theacuteologien habile [] me consulta dernierement si on ne pourroit eacutecrire la Theacuteologie Methodo Mathematica je luy repondis qursquoon le pouvoit asseureacutement et que jrsquoavois moy mecircme fait des echantillons lagrave dessus mais qursquoun tel ouvrage ne pourroit estre acheveacute sans donner auparavant aussi des Elemens de Philosophie au moins en partie dans un ordre Matheacutematique17 Ainsi la deacutemonstration de la veacuteriteacute de la religion neacutecessite que lrsquoon comprenne que la theacuteologie a son fondement dans la philosophie Ses conseacutequences sont de deux espegraveces Les premiegraveres dit Leibniz supposent des deacutefinitions des axiomes et des theacuteoregravemes pris de la veacuteritable philosophie et de la Theacuteologie naturelle Les secondes supposent en partie lhistoire et les faits et en partie linterpreacutetation des textes Mais pour bien se

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servir de cette histoire et de ces textes (hellip) il faut encore avoir recours agrave la vraie philosophie18 Crsquoest dire qursquoen fin de compte les raisons religieuses et scientifiques ne prennent un sens veacuteritable que par la philosophie qui les fonde et les justifie

Mais qursquoest ce qui caracteacuterise le discours philosophique Le discours philosophique obeacuteit selon Leibniz agrave une regravegle simple ldquoNe jamais user drsquoun terme sans deacutefinition Ne jamais avancer une proposition sans deacutemonstrationrdquo19 Ainsi si ce discours philosophique a un sens crsquoest dans la mesure ougrave sa signification est claire et deacutetermineacutee Il ne faut surtout pas abuser des mots en donnant ldquodes notions vaguesrdquo20 Degraves lors la signification drsquoune proposition nrsquoest claire et vraie que ldquosi lrsquoon a donc totalement arracheacute les eacutepines des mots du champ de la philosophierdquo21 La correspondance entre les structures grammaticales et le raisonnement logique rend compte de lrsquoisomorphisme entre le langage de la science et le langage de la penseacutee Leibniz distingue dans ce sens entre ldquodeux parties de la logique lrsquoune verbale et lrsquoautre reacuteelle la premiegravere portant sur lrsquousage clair et propre des mots ou style philosophique et lrsquoautre srsquooccupant de reacutegler nos penseacuteesrdquo (A VI 2 420) Crsquoest dire que la valeur du discours nrsquoest pas deacutetermineacutee par lrsquoeacuteleacutegance mais par la clarteacute qui ldquone concerne pas simplement les mots mais la constructionrdquo Peut-on pour autant dire que lrsquoeacuteleacutegance propre agrave la rheacutetorique nrsquoest qursquoun exercice de style qui nrsquoa rien agrave avoir avec la veacuteriteacute Dans les Nouveaux Essais Leibniz preacutesente drsquoabord le point de vue de Locke dans la bouche de Philalegravete

Dans le fonds excepteacute lordre et la netteteacute tout lart de la Rheacutetorique toutes ces applications artificielles et figureacutees des mots ne servent quagrave insinuer de fausses ideacutees eacutemouvoir les passions et seacuteduire le jugement de sorte que ce ne sont que de pures supercheries22

Toutefois la reacuteponse de Theacuteophile montre que la condamnation de la rheacutetorique nrsquoest pas chez Leibniz aussi cateacutegorique En effet comme

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il y a une mauvaise rheacutetorique il peut y avoir une bonne rheacutetorique lrsquoeacuteloquence qui y est attacheacutee peut-ecirctre aussi utile et touchante Certains ornemens de lEloquence sont comme les vases des Egyptiens dont on se pouvoit servir au culte du vray Dieu Il en est comme de la Peinture et de la Musique dont on abuse et dont lune represente souvent des imaginations grotesques et mecircme nuisibles et lautre amollit le coeur et toutes deux amusent vainement mais elles peuvent estre employeacutees utilement lune pour rendre la veriteacute claire lautre pour la rendre touchante et ce dernier effect doit estre aussi celuy de la poesie qui tient de la Rhetorique et de la Musique23 Mais drsquoune maniegravere geacuteneacuterale au langage artificiel et figureacute de la rheacutetorique Leibniz oppose le style philosophique et pragmatique qui sera ldquopur et se deacuteveloppera simplement mecircme srsquoil deviendra rapidement plus eacutetendu et plus difficilerdquo24

Crsquoest donc dans lrsquoesprit de la sauvegarde de la rigueur philosophique que Leibniz choisit son style drsquoeacutecriture On sait qursquoil nrsquoa pas eacutecrit un texte fondateur un texte de reacutefeacuterence comme Les Meacuteditations de Descartes ou LEacutethique de Spinoza Il a plutocirct utiliseacute une multipliciteacute de style (leacuteclaircissement la lettre lopuscule la note labreacutegeacute le dialogue) dont les plus sommaires ne sont pas forceacutement les moins preacutecieux Dans tous les cas le style de lrsquoexposition de sa penseacutee procegravede par enveloppement de telle sorte qursquoon retrouve lrsquoessentiel de sa philosophie dans chacun de ses eacutecrits

Dans plusieurs de ses eacutecrits Leibniz parle du style ldquofamilierrdquo de Bacon et de Gassendi25 du style de lrsquoeacutecole de celui des carteacutesiens et de son style propre Leibniz eacutecrit dans ce sens

Jrsquoay espereacute que ce petit papier contribueroit agrave mieux faire entendre mes meditations en y joignant ce que jrsquoay mis dans les Journaux de Leipzig de Paris et de Hollande Dans ceux de Leipzig je mrsquoaccommode asseacutes au langage de lrsquoEcole dans les autres je mrsquoaccommode davantage au style des Cartesiens et dans cette derniere pieacutece je tache de mrsquoexprimer drsquoune maniere qui puisse ecirctre entendue de ceux qui ne sont pas encore trop accoutumeacutes au style des uns et des autres26

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Le style de ce texte est donc plus entendu au sens seacutemantique que syntaxique puisqursquoil srsquoagit drsquoemprunter le style deacutemonstratif des matheacutematiques qui se caracteacuterise par la rigueur de lrsquoenchaicircnement27 Crsquoest dans ce sens aussi que Leibniz conccediloit que le style permet de deacutebusquer la veacuteriteacute du fait derriegravere le fatras des mots Enfin des Cartes vouloit faire croire quil avoit peu leu et quil avoit plustost employeacute son temps aux voyages et agrave la guerre Cest agrave quoy tendent les contes quil fait dans sa Methode Mais on sccedilait quil avoit fait son cours dans le collegravege le style fait connoistre sa lecture la guerre ne lavoit gueres occupeacute quautant quil falloit pour ny estre pas entierement ignorant Et les voyages luy donnoient la commoditeacute destudier de voir les bons auteurs et les habiles gens28 En reacutesumeacute il semble bien que par-delagrave lrsquoeacutecart culturel et temporel qui seacutepare Ibn Rushd de Leibniz nous retrouvons agrave travers eux deux maniegraveres de faire de la philosophie qui malgreacute ce qui les seacutepare appartiennent agrave un mecircme patrimoine universel de lrsquohumaniteacute Nos deux philosophes deacutefendent des valeurs similaires et donnent agrave la philosophie la noble mission de modeacuterer la theacuteologie sinon de la fonder

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de la philosophie traduit et annoteacute par L Gauthier Alger Fontana 1905 Ibn Rushd Tahafut al Tahafut Dar al marsquoaref 1964 t III Lejbowicz M (eacuted) LIslam meacutedieacuteval en terres chreacutetiennes Science et ideacuteologie

Paris Fayard 2009 Marchand R La France [est] en danger dIslam entre jihacircd et reconquista

Lausanne LrsquoAcircge drsquoHomme 2002 Renan E Averroegraves et lrsquoaverroiumlsme Paris Calmann-Leacutevy 1882 puis reacuteeacuted en 1922

1949 etc 13

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MARTA MENDONCcedilA

ldquoMACHINESrdquo ET ldquoMIROIRSrdquo LA METTRIE CRITIQUE DE LEIBNIZ

1 Introduction

La Mettrie nrsquoidentifie pas avec preacutecision ses sources philosophiques Il fait allusion aux auteurs et aux thegraveses qursquoils ont soutenues sans citer explicitement les textes dans lesquels ces thegraveses figurent Mais il ne serait pas impossible ndash bien au contraire ndash que la connaissance qursquoil a de la penseacutee de Leibniz soit fondeacutee sur la lecture des Principes de la Nature et de la Gracircce et sur la Monadologie

Plusieurs raisons plaident en faveur de cette hypothegravese a) il srsquoagit de textes publieacutes ou rendus publics dans les circuits intellectuels ougrave eacutevoluait La Mettrie notamment aux Pays-Bas et dans la Prusse de Freacutedeacuteric II b) ces textes ont eacuteteacute connus quelques anneacutees apregraves la mort de Leibniz et ont fait lobjet de controverse juste avant que La Mettrie ne srsquointeacuteresse de faccedilon plus systeacutematique agrave la philosophie c) il srsquoagit de textes consacreacutes agrave lrsquoexamen des questions auxquelles srsquointeacuteresse La Mettrie lui-mecircme et d) ces œuvres contiennent la plupart des thegraveses de Leibniz que La Mettrie a critiqueacutees

Cela ne signifie pas bien sucircr que La Mettrie ne connaisse que ces deux textes de Leibniz il pourrait eacutegalement avoir connu par exemple le Systegraveme Nouveau ou la Correspondance avec Clarke Mais il est aussi possible qursquoune partie au moins de son accegraves agrave lrsquoœuvre de Leibniz soit indirecte agrave travers Wolff qursquoil preacutesente toujours comme disciple et commentateur de Leibniz1 Mais il ne considegravere pas que les penseacutees des deux auteurs soient identiques et il reconnaicirct qursquoil y a des aspects sur lesquels le disciple nrsquoest pas drsquoaccord avec le maicirctre2 Une autre source probable est le Traiteacute des Systegravemes de Condillac (1749) et le Dictionnaire Historique et Critique

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(1697) de Pierre Bayle En tout cas le Traiteacute des Systegravemes ne peut pas ecirctre sa source principale parce qursquoil a eacuteteacute publieacute en 1749 au moment ougrave La Mettrie avait deacutejagrave beaucoup eacutecrit et fait plusieurs allusions agrave la penseacutee de Leibniz

La Mettrie se reacutefegravere agrave Leibniz degraves le deacutebut de sa production philosophique en lui consacrant une attention consideacuterable deacutejagrave dans lrsquoHistoire naturelle de lacircme et jusqursquoagrave la fin de sa vie Leibniz a eu la sagesse de chercher luniteacute du reacuteel une uniteacute que le dualisme compromettait mais il a commis lerreur de spiritualiser la matiegravere faute de reconnaicirctre que la matiegravere est drsquoelle-mecircme capable de penser Selon lauteur de LHomme Machine Leibniz a bien compris que chaque ecirctre du monde est une ldquomachine de la naturerdquo un ldquomiroir vivantrdquo repreacutesentatif de lrsquounivers (cf PNG sect 3) mais il nrsquoaurait pas bien compris ni ce qursquoest une ldquomachinerdquo ni ce que signifie ecirctre un ldquomiroir vivantrdquo ou sensible

Dans les textes qursquoil consacre agrave commenter les diffeacuterents systegravemes philosophiques ndash notamment lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes ndash il srsquointeacuteresse agrave certains auteurs modernes et prend position vis-agrave-vis de leur penseacutee Descartes Malebranche Leibniz Wolff Locke Boerhaave Spinoza Quoique lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes ait eacuteteacute publieacute en 1751 il reprend de faccedilon autonome et sans changements les longues notes du sect 4 du chapitre XII de lrsquoHistoire naturelle de lrsquoacircme la premiegravere de ses œuvres philosophiques publieacutee en 1745

Lrsquoampleur des thegravemes et le style de lrsquoanalyse chez un auteur qui a eacutecrit presque toute son œuvre philosophique entre 1745 et 1751 le conduisent agrave preacutesenter plutocirct des jugements drsquoensemble que des analyses de deacutetail des thegraveses de ces auteurs Dans le cas de Leibniz La Mettrie critique agrave plusieurs reprises sa penseacutee il ironise au sujet des ideacutees leibniziennes il en deacuteforme quelques-unes de faccedilon assez grossiegravere mais il a une ideacutee assez large des sujets dont srsquoest occupeacute Leibniz et de sa faccedilon de les aborder

Mais La Mettrie ne fait qursquoune seule fois allusion agrave un texte preacutecis de Leibniz Il le fait dans lrsquoHistoire naturelle de lrsquoAcircme quand ayant analyseacute deux attributs essentiels de la matiegravere crsquoest-agrave-dire lrsquoextension et la force motrice il se propose de soutenir que la matiegravere possegravede un troisiegraveme attribut ndash la faculteacute de sentir De son point de vue presque tous les philosophes excepteacute les carteacutesiens ont soutenu cette thegravese et pour illustrer cette conviction il eacutecrit en

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note ldquoVoyez la thegravese que M Leibnitz fit soutenir agrave ce sujet au prince Eugegravenerdquo3 Il srsquoagit donc drsquoune allusion aux Principes de la Nature et de la Gracircce ou agrave la Monadologie vraisemblablement au premier de ces deux textes Il y a un indice quoique fragile qui nous permet de penser qursquoil est en train de faire allusion aux Principes il se trouve dans un commentaire de Les animaux plus que machines La Mettrie est en train de critiquer la thegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie en consideacuterant qursquoelle est au moins aussi incompreacutehensible que celle de lrsquoinflux physique ou de la geacuteneacuteration de lrsquoesprit par la matiegravere et il eacutecrit ldquoMais que dis-je Pardon Leibniziens vous avez appris agrave lrsquoEurope eacutetonneacutee que ce nrsquoest que meacutetaphysiquement que sont lieacutees les deux substances qui composent lrsquohommerdquo4 Dans Veacutenus Meacutetaphysique ou essai sur lrsquoorigine de lrsquoacircme humaine publieacute en 1752 agrave Berlin on trouve aussi une analyse deacutetailleacutee de quelques aspects particuliers de la penseacutee de Leibniz

En tout cas pour essayer de comprendre la critique que La Mettrie fait de Leibniz il faut prendre en compte que certaines œuvres sont drsquoattribution douteuse et que les ressources rheacutetoriques de La Mettrie le conduisent souvent non seulement agrave occulter son nom mais aussi agrave ridiculiser ses adversaires en faisant semblant de prendre leur deacutefense Crsquoest le cas notamment de lrsquoœuvre Les Animaux plus que machines et de Veacutenus Meacutetaphysique dont lrsquoattribution agrave La Mettrie est douteuse Ajoutons que sa faccedilon de faire allusion agrave soi-mecircme agrave lrsquointeacuterieur des textes cherche aussi agrave faire douter de lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur Lrsquoexplication de ce fait est donneacutee par La Mettrie lui-mecircme dans le texte Le petit homme agrave longue queue

() Vous serez surpris Mr que jrsquoaie employeacute le ton ironique qui regravegne dans tout mon Ouvrage mais il mrsquoa fallu battre ainsi la mer pour voguer sans risque Si jrsquoai fait () tant de tours de deacutetours de circuits pour revenir enfin au mecircme point dont nocirctre Auteur est parti crsquoest que je suis dans les cas de ces Navigateurs qui nrsquoont pas la saison favorable5

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2 Leibniz dans lrsquoœuvre de La Mettrie

La Mettrie confesse qursquoil preacutefegravere ldquovoir au loin en grand comme en geacuteneacuteralrdquo plutocirct que de perdre son temps en faisant des analyses de deacutetail6 Crsquoest aussi de cette faccedilon qursquoil regarde la philosophie de son temps Il est eacutevident drsquoapregraves lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes qursquoil preacutefegravere les jugements drsquoensemble plutocirct que de consideacuterer les thegraveses concregravetes qursquoil veut combattre En ce qui concerne la philosophie de Leibniz on pourrait syntheacutetiser son jugement drsquoensemble par un texte de lrsquoopuscule Veacutenus Meacutetaphysique ou Essai sur lrsquoorigine de lrsquoacircme humaine Dans ce texte il eacutecrit

LrsquoHercule dans les sciences lrsquoimmortel Leibniz qui comprenait bien Aristote eacutecumait les inventions des Grecs amp deacutefilait apregraves Descartes avec plus de circonspection aurait eacuteteacute le Philosophe le plus acheveacute si agrave lrsquoexemple de celui-lagrave il nrsquoavait pas deacutebaucheacute son geacutenie par quelques Romans dans la Meacutetaphysique7

Leibniz fait lrsquoobjet du mecircme jugement que celui qursquoil a adresseacute agrave la philosophie dans son ensemble et aux preacutetentions meacutetaphysiques des systegravemes de son temps qui valorisent les raisons et les arguments et meacuteprisent le bacircton de lrsquoexpeacuterience en nrsquoacceptant pas de srsquoassujettir agrave la nature8 Leibniz comme drsquoailleurs Descartes srsquoest perdu dans des digressions meacutetaphysiques qui ne sont pas agrave la porteacutee de la raison humaine Le discours vrai ne peut se passer du bacircton de lrsquoexpeacuterience et ces auteurs lrsquoont totalement abandonneacutee au profit de lrsquoimagination La philosophie nrsquoest pas comme Leibniz lrsquoa preacutetendu une eacutetude des principes et des causes elle est plutocirct une eacutetude de la nature par ses effets9

Ce jugement drsquoensemble on le trouve deacutejagrave dans le Discours preacuteliminaire

Comme les plus fausses hypothegraveses de Descartes passent pour drsquoheureuses erreurs en ce qursquoelles ont fait entrevoir amp deacutecouvrir bien de veacuteriteacutes qui seraient encore inconnues sans elles les systegravemes de morale ou de meacutetaphysique les plus mal fondeacutes ne sont pas pour cela deacutepourvus drsquoutiliteacute pourvu qursquoils soient bien raisonneacutes amp qursquoune longue chaicircne de conseacutequences merveilleusement deacuteduites quoique de principes faux chimeacuteriques tels que ceux de Leibniz amp de Wolff donne agrave

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lrsquoesprit exerceacute la faciliteacute drsquoembrasser dans la suite un plus grand nombre drsquoobjets En effet qursquoen reacutesultera-t-il Une plus excellente longue vue un meilleur teacutelescope qui ne tarderont peut-ecirctre pas agrave rendre de grands services10

Dans le Traiteacute de lrsquoAme il insiste agrave nouveau sur le fait que Leibniz a des preacutetentions meacutetaphysiques injustifieacutees

Le ceacutelegravebre Leibniz raisonne agrave perte de vue sur lrsquoecirctre amp la substance il croit connaicirctre lrsquoessence de tous les corps Sans lui il est vrai nous nrsquoeussions jamais devineacute qursquoil y eucirct des monades au monde amp que lrsquoacircme en fucirct une nous nrsquoeussions point connu ces fameux principes qui excluent toutes eacutegaliteacutes dans la nature amp expliquent tous les pheacutenomegravenes par une raison plus inutile que suffisante (hellip) La chaicircne de ses principes [de la philosophie Wolffienne] est bien tisseacutee mais lrsquoor dont elle paraicirct formeacutee mis au creuset ne paraicirct qursquoun meacutetal imposteur Eh Faut-il donc tant drsquoart agrave enchacircsser lrsquoerreur pour mieux la multiplier Ne dirait-on pas agrave les entendre ces ambitieux meacutetaphysiciens qursquoils auraient assisteacute agrave la creacuteation du monde ou au deacutebrouillement du chaos Cependant leurs premiers principes ne sont que des suppositions hardies ougrave le geacutenie a bien moins de part qursquoune preacutesomptueuse imagination Qursquoon les appelle si lrsquoon veut des grands geacutenies parce qursquoils ont chercheacute amp se sont vanteacute de connaicirctre les premiegraveres causes Pour moi je crois que ceux qui les ont deacutedaigneacutees leur seront toujours preacutefeacuterables amp que le succegraves des Locke des Boerhaave amp de tous ces hommes sages qui se sont borneacutes agrave lrsquoexamen des causes secondes prouve bien que lrsquoamour-propre est le seul qui nrsquoen tire pas le mecircme avantage que des premiegraveres11

De son point de vue ldquolrsquoesprit de systegravemerdquo œuvre de lrsquoorgueil humain est le seul ou le principal responsable de ces erreurs qursquoune vision de la raison humaine plus reacutealiste et sans autant de preacutejugeacutes suffirait agrave corriger

Dans lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes La Mettrie fait drsquoabord une bregraveve preacutesentation de la doctrine leibnizienne de la substance puis se met agrave critiquer trois aspects fondamentaux de sa penseacutee le principe de raison le principe de contradiction et la thegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie

Agrave propos de la doctrine leibnizienne de la substance La Mettrie eacutecrit

LEIBNIZ fait consister lrsquoessence lrsquoecirctre ou la substance (car tous ces noms sont synonymes) dans les monades crsquoest-agrave-dire dans les corps simples immuables indissolubles solides individuels ayant toujours la mecircme figure amp la mecircme masse Tout le monde connait ces monades depuis la brillante acquisition que les Leibniziens ont fait de Madame la M[arquise] du Chacirctelet12

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Quelques lignes apregraves il identifie les monades avec les atomes Il nrsquoy a pas selon Leibniz deux particules homogegravenes dans la matiegravere elles sont toutes diffeacuterentes les unes des autres (hellip) Or si les atomes de la matiegravere eacutetaient tous eacutegaux on ne pourrait concevoir pourquoi Dieu eucirct preacutefeacutereacute de creacuteer amp de placer tel atome ici plutocirct que lagrave ni comment une matiegravere homogegravene eucirct pu former tant de diffeacuterents corps13 Il est bien eacutevident que La Mettrie deacuteforme grossiegraverement la doctrine leibnizienne de la monade il lrsquoidentifie agrave lrsquoatome et la deacutecrit comme un corps simple immuable ayant toujours la mecircme figure et la mecircme masse Les monades deviennent les particules indivisibles de la matiegravere de vrais atomes A ce moment-lagrave La Mettrie ne critique pas la doctrine leibnizienne des monades ou ce qursquoil a compris de cette doctrine ndash il le fera dans drsquoautres textes ndash mais dans ce texte il preacutefegravere insister sur un ensemble de thegraveses a) Leibniz soutenait qursquoil y avait dans la matiegravere une force motrice un principe drsquoaction qursquoon peut appeler nature b) il a reconnu aussi que la matiegravere est capable de perceptions semblables agrave celles des corps animeacutes c) il a soutenu que chaque ecirctre produit ses propres changements de faccedilon indeacutependante des autres ecirctres et par sa propre force immanente et derniegravere thegravese d) il voudrait partager cette fonction entre la cause premiegravere et la cause seconde entre Dieu et la nature

Parmi toutes ces thegraveses leibniziennes14 La Mettrie srsquooppose agrave deux drsquoentre elles que toutes les monades aient des perceptions sensibles15 et qursquoil soit possible ou neacutecessaire de partager lrsquoactiviteacute de la monade entre la cause premiegravere et la cause seconde En fait selon lui Leibniz nrsquoessaie de les justifier que par drsquoinutiles distinctions16

Au sujet du principe de raison il eacutecrit Nul ecirctre pensant et agrave plus forte raison Dieu ne fait rien sans choix sans motifs qui le deacuteterminent Or si les atomes de la matiegravere eacutetaient tous eacutegaux on ne pourrait concevoir pourquoi Dieu eucirct preacutefeacutereacute de creacuteer amp de placer tel atome ici plutocirct que lagrave ni comment une matiegravere homogegravene eucirct pu former tant de diffeacuterents corps Dieu nrsquoayant aucuns motifs de preacutefeacuterence ne pourrait creacuteer deux ecirctres semblables

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possibles Il est donc neacutecessaire qursquoils soient heacuteteacuterogegravenes Voilagrave comme on combat lrsquohomogeacuteneacuteiteacute des eacuteleacutements par le fameux principe de la raison suffisante (hellip) Il est eacutevident que ce systegraveme ne roule que sur la supposition de ce qui se passe dans un ecirctre qui ne nous a donneacute aucune notion de ses attributs M Clarke amp plusieurs autres philosophes admettent des cas de parfaite eacutegaliteacute qui excluent toute raison Leibnizienne elle serait alors non suffisante mais inutile comme on le dit dans le Traiteacute de lrsquoAme17 Mais rien ne nous autorise agrave raisonner de cette faccedilon non seulement parce que nous ne connaissons pas le mode drsquoaction drsquoun ecirctre que nous meacuteconnaissons complegravetement mais aussi parce que ce dont il srsquoagit est inaccessible agrave la raison Puisque nous ne connaissons pas la substance nous ne pouvons donc savoir si les eacuteleacutements de la matiegravere sont similaires ou non amp si veacuteritablement le principe de raison suffisante en est un A vrai dire ce nrsquoest qursquoun principe de systegraveme amp fort inutile dans la recherche de la veacuteriteacute18 La mecircme critique serait valable pour lrsquoautre grand principe leibnizien du raisonnement La philosophie de M Leibnitz porte encore sur un autre principe mais moins amp encore plus inutile crsquoest celui de la contradiction Tous ces preacutetendus premiers principes nrsquoabregravegent amp nrsquoeacuteclaircissent rien ils ne sont estimables amp commodes qursquoautant qursquoils sont le reacutesultat de mille connaissances particuliegraveres qursquoun geacuteneacuteral drsquoarmeacutee Un ministre neacutegociateur ampc peuvent reacutediger en axiomes utiles amp importants19 Consideacuterons enfin la thegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie La Mettrie srsquoen occupe au moment de conclure sa preacutesentation de la penseacutee de Leibniz dans lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes Il eacutecrit Venons au systegraveme de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie crsquoest une suite des principes eacutetablis ci-devant Il consiste en ce que tous les changements du corps correspondent si parfaitement aux changements de la monade appeleacutee esprit ou acircme qursquoil nrsquoarrive point de mouvements dans lrsquoune auxquels ne coexiste quelque ideacutee dans lrsquoautre amp vice versa Dieu a preacuteeacutetabli cette harmonie en faisant choix des substances qui par leur propre force produiraient de concert la suite de leurs mutations de sorte que tout se fait dans lrsquoacircme comme srsquoil nrsquoy avait point de corps et tout se passe dans le corps comme srsquoil nrsquoy avait point drsquoacircme Leibnitz convient que cette deacutependance nrsquoest pas reacuteelle mais meacutetaphysique ou ideacuteale Or est-ce par une section qursquoon peut deacutecouvrir amp expliquer les perceptions (hellip) Comment une monade spirituelle ou ineacutetendue peut-elle faire marcher agrave son greacute toutes celles qui composent le corps amp en gouverner les organes Lrsquoacircme ordonne des mouvements dont les moyens sont inconnus amp degraves qursquoelle veut qursquoils soient ils sont aussi vite que la lumiegravere fut Quel

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plus bel apanage quel tableau de la diviniteacute dirait Platon 20 De la doctrine de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie La Mettrie retient donc qursquoil srsquoagit drsquoune faccedilon drsquoexpliquer lrsquounion entre lrsquoacircme et le corps que cette explication srsquoappuie sur la conviction selon laquelle cette interaction entre les substances est meacutetaphysique et ideacuteale plutocirct que physique ou reacuteelle et qursquoune interaction harmonique de ce genre est rendue possible par le choix divin des substances dont le dynamisme interne produit spontaneacutement la seacuterie de leurs changements A la fin il insiste sur les difficulteacutes qui deacutecoulent de cette vision radicalement dualiste de lrsquoecirctre et de lrsquoaction de lrsquohomme 3 La critique de La Mettrie adresseacutee agrave Leibniz

Je ne veux pas insister sur la distance qui seacutepare les thegraveses que La Mettrie attribue agrave Leibniz de celles de Leibniz lui-mecircme Pour ce faire il serait neacutecessaire de prendre en compte plusieurs aspects de la penseacutee des deux auteurs qursquoil nrsquoest pas possible de reacutesumer en quelques lignes Il est remarquable par exemple que mecircme en critiquant agrave plusieurs reprises lrsquohypothegravese de lrsquoharmonie La Mettrie ne critique jamais le rapport de cette hypothegravese agrave la doctrine leibnizienne drsquoun double regravegne celui des causes efficientes et celui des causes finales

Drsquoautre part la strateacutegie argumentative de La Mettrie est preacutecise et ne consiste pas agrave preacutesenter des arguments destineacutes agrave discreacutediter les thegraveses qursquoil veut combattre Il preacutefegravere soutenir que ces thegraveses ne sont pas neacutecessaires donc qursquoelles ne sont pas prouveacutees et que les difficulteacutes lieacutees agrave lrsquoadheacutesion agrave sa propre thegravese du mateacuterialisme ndash qui est beaucoup plus simple ndash ne sont pas supeacuterieures agrave celles que lrsquoon rencontre lorsqursquoon srsquoefforce drsquoaccepter les conclusions de ses adversaires

Jrsquoinsisterai simplement sur un autre commentaire drsquoensemble de la philosophie de Leibniz qui agrave mon avis permet de comprendre pourquoi La Mettrie srsquointeacuteresse agrave lrsquoœuvre de Leibniz et pourquoi celui-ci est devenu pour lui le veacuteritable adversaire Dans lrsquoHomme machine il eacutecrit

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Les Leibniziens avec leurs Monades ont eacuteleveacute une hypothegravese inintelligible Ils ont plutocirct spiritualiseacute la matiegravere que mateacuterialiseacute lrsquoacircme Comment peut-on deacutefinir un ecirctre dont la nature nous est absolument inconnue Descartes amp tous les Carteacutesiens parmi lesquels il y a longtemps qursquoon a compteacute les Malebranchistes ont fait la mecircme faute Ils ont admis deux substances distinctes dans lrsquohomme comme srsquoils les avoient vues amp bien compteacutees21 Il srsquoagit drsquoun commentaire inteacuteressant Selon La Mettrie Leibniz est sur le bon chemin pour eacuteviter le dualisme mais le choix qursquoil a fait ndash de spiritualiser la matiegravere ndash ne lui a pas permis drsquoatteindre son but La Mettrie reconnaicirct non seulement que Leibniz cherchait agrave annuler la dualiteacute corps esprit en privileacutegiant le second terme de cette dualiteacute lrsquoesprit mais aussi que la philosophie carteacutesienne avait deacutejagrave commis la mecircme erreur eacutetant donneacute qursquoelle admettait deux substances distinctes dans lrsquohomme

Quoiqursquoil srsquoagisse drsquoun commentaire fait en passant il reacutevegravele bien jusqursquoagrave quel point Leibniz est devenu le veacuteritable adversaire de La Mettrie A plusieurs reprises ce dernier insiste sur le fait qursquoil y a seulement deux systegravemes philosophiques deux faccedilons de faire de la philosophie celle des mateacuterialistes et celle des spiritualistes Il a consacreacute sa vie agrave faire la deacutefense du premier Leibniz incarnant le deuxiegraveme On trouve deacutejagrave la mecircme ideacutee dans le Discours Preacuteliminaire qui preacutecegravede le Traiteacute de lrsquoacircme lorsqursquoil affirme que son seul projet est de prouver qursquoil y a une seule vie22

Et la thegravese de La Mettrie est que en proposant le spiritualisme Leibniz srsquoest vu obligeacute drsquoaccepter une dualiteacute irreacuteductible inutile pour rendre compte de lrsquoexpeacuterience Il insiste sur ce point dans Veacutenus Meacutetaphysique Supposeacute la spiritualiteacute de lrsquoacircme elle ne pourra jamais sortir de la matiegravere car de ce bois on ne taille pas des Mercures Les Scholastiques Creacuteatiens amp Leibniziens ont raison de se brouiller avec le ldquo traduxrdquo si lrsquoon entend par-lagrave la source de lrsquoacircme des semences corporelles au greacute des Mateacuterialistes ou une Meacutetamorphose de la matiegravere en esprit en deacutepit de lrsquoincommunicabiliteacute des essences23

Le seul vrai chemin pour arriver agrave reacutesoudre les problegravemes du dualisme corps esprit est donc le contraire commencer par la matiegravere et reacuteduire lrsquoesprit agrave la matiegravere ou lrsquoacircme au corps Le lieu de

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lrsquoacircme crsquoest le cerveau24 4 Lrsquoimage du ldquomiroirrdquo

Lrsquoimage du miroir est assez rare dans lrsquoœuvre de La Mettrie et nrsquoest pas directement en rapport avec la penseacutee de Leibniz Il srsquoen sert en lui attribuant deux sens opposeacutes drsquoabord pour critiquer les philosophies dualistes cest-agrave-dire-spiritualistes ensuite pour expliquer la faccedilon qursquoil a de comprendre le rapport de lrsquoacircme au corps Dans le premier sens soutenir une vision speacuteculaire de lrsquoacircme ne fait que dupliquer que multiplier les ecirctres sans neacutecessiteacute Le preacutejugeacute qui nous empecircche drsquoaccepter la mateacuterialiteacute de notre ecirctre tout entier est si fort qursquoon se voit obligeacute de proposer une double explication des pheacutenomegravenes et des processus de la vie humaine faute drsquoaccepter son origine naturelle crsquoest-agrave-dire purement physique et mateacuterielle

Drsquoautre part dans un sens positif le miroir ou la condition ldquospeacuteculairerdquo de lrsquoacircme permet de mettre en valeur le fait que ce qursquoon appelle lrsquoacircme nrsquoest qursquoun effet de la matiegravere un reflet de la matiegravere et des forces qui y sont inscrites ou plutocirct que lrsquoacircme est le nom qursquoon donne agrave une certaine forme drsquoactiviteacute ou drsquoauto-organisation de la matiegravere ougrave tout est physique En ce cas la ldquocondition speacuteculairerdquo de lrsquoacircme ne vise pas agrave fixer son indeacutependance ou sa suffisance en tant que substance mais au contraire vise agrave la preacutesenter comme lrsquoimage mecircme du corps

Crsquoest pourquoi il eacutecrit dans le Traiteacute de lrsquoAme

Si tout srsquoexplique par ce que lrsquoanatomie et la physiologie me deacutecouvrent dans la moelle qursquoai-je besoin de forger un ecirctre ideacuteal Si je confonds lrsquoacircme avec les organes corporels crsquoest donc que tous les pheacutenomegravenes mrsquoy deacuteterminent Et que drsquoailleurs dieu nrsquoa donneacute agrave mon acircme aucune ideacutee drsquoelle-mecircme mais seulement assez de discernement et de bonne foi pour se reconnaitre dans quelque miroir que ce soit et ne pas rougir drsquoecirctre neacutee dans la fange25

Cette maniegravere tout autre de penser le miroir a de nombreuses conseacutequences Tandis que pour Leibniz les esprits sont irreacuteductibles agrave la matiegravere et qursquoils appartiennent agrave un autre regravegne leur capaciteacute

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speacuteculative en eacutetant le reflet pour La Mettrie au contraire lrsquoesprit est une sorte de ldquoreacuteserverdquo que la matiegravere a elle-mecircme constitueacutee et qursquoelle deacuteveloppe pour faire face aux besoins et aux difficulteacutes ndash si bien que dans lrsquoHomme machine La Mettrie peut reacuteduire lrsquoesprit agrave une simple ldquoproprieacuteteacuterdquo de la matiegravere ldquoJe crois la penseacutee si peu incompatible avec la matiegravere organiseacutee qursquoelle semble en ecirctre une proprieacuteteacute telle que lrsquoeacutelectriciteacute la faculteacute motrice lrsquoimpeacuteneacutetrabiliteacute lrsquoeacutetendue etcrdquo26

Cette thegravese deacutecoule directement de sa doctrine de la causaliteacute naturelle comprise comme aveugle et neacutecessitante ldquoAyant fait sans voir les yeux qui voient elle a fait sans penser une machine qui penserdquo27

5 Lrsquoimage de la ldquomachinerdquo

Un sort diffeacuterent est reacuteserveacute agrave lrsquoautre image dont srsquoest servi Leibniz ndash celle de la machine Comme on le sait bien La Mettrie a fait de cette image une sorte drsquoicocircne de sa philosophie Lrsquohomme machine Les animaux plus que machines Lrsquohomme plus que machine Il va jusquagrave se preacutesenter lui-mecircme comme Mr Machine

Lrsquoorigine de cette image dans son œuvre est en rapport avec la fameuse thegravese de Descartes selon laquelle les animaux non doueacutes de raison sont de simples machines Au lieu de soutenir que les animaux sont quelque chose de plus que des machines La Mettrie insiste sur le fait que toute forme de vie ndash y compris la vie spirituelle ndash nrsquoest que lrsquoeffet meacutecanique de lrsquoauto-organisation hasardeuse de la matiegravere Pour ce faire il suffit de reconnaicirctre le fondement exclusivement physique de la sensibiliteacute et de la penseacutee De toute faccedilon La Mettrie ne deacutefinit pas la notion de machine en tant que telle Ce qui compte crsquoest drsquoannuler la singulariteacute de lrsquohomme dans le cadre de la nature

Lrsquoimage de la machine vise agrave rendre plausible le fait que lrsquoacircme ou lrsquoesprit ne soit qursquoune sorte drsquoorganisation mateacuterielle plus complexe Ainsi la raison nrsquoest qursquoun meacutecanisme drsquoadaptation que la matiegravere a deacuteveloppeacute de faccedilon aveugle Lrsquoesprit est la machine qui a deacuteveloppeacute une autre machine faute de trouver une autre faccedilon de faire face aux 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 26 HM OP III p 189 27 Systegraveme drsquoEpicure (SE) sect XXVII OP II p 15

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neacutecessiteacutes les lois du mouvement ldquoont fabriqueacute le viscegravere de la penseacutee La nature a fait dans la machine de lrsquohomme une autre machine qui srsquoest trouveacutee propre agrave retenir les ideacutees et agrave en faire de nouvellesrdquo28

La Mettrie prend lrsquoimage de la machine en des sens tregraves diffeacuterents de ceux auxquels pensait Leibniz Pour lrsquoauteur de lrsquoHomme machine cela permet de faire comprendre la reacuteduction de toute forme de vie aux rapports de la causaliteacute mateacuterielle et efficiente de la physique La vie nrsquoest pas une notion premiegravere qui pourrait avoir son siegravege dans une monade comprise comme ldquomiroir vivantrdquo la vie est le simple effet de lrsquoauto-complexification de la matiegravere elle nrsquoest pas agrave vrai dire une nouvelle faccedilon drsquoecirctre mais plutocirct une forme drsquoauto-organisation de la matiegravere qui vise agrave faire face aux difficulteacutes et aux besoins de cette complexification mecircme La vie ne se trouve pas dans la monade dans les atomes mais son seul siegravege est dans la machine elle-mecircme

Tandis que Leibniz parle des ldquomachines de la naturerdquo pour insister sur lrsquouniteacute et la substantialiteacute des ecirctres vivants La Mettrie srsquoen sert pour soutenir leur dimension inteacutegralement corporelle

Posez le moindre principe du mouvement les corps animeacutes auront tout ce qursquoil faut pour se mouvoir sentir penser se repentir et se conduire en un mot dans le physique et dans le moral qui en deacutepend29

Un dernier aspect illustre cette diffeacuterence dans lrsquousage de lrsquoimage de la ldquomachinerdquo Comme Leibniz La Mettrie compare lrsquoart de la nature et lrsquoart de lrsquohomme les machines naturelles et les machines artificielles Mais la comparaison lrsquoamegravene agrave des reacutesultats diffeacuterents Chez Leibniz la comparaison conduit agrave comparer les intelligences qui sont au principe de ces machines crsquoest-agrave-dire lrsquointelligence infinie et creacuteatrice de la diviniteacute et lrsquointelligence finie et plutocirct transformatrice de lrsquohomme Pour La Mettrie au contraire les machines de la nature ne sont lrsquoœuvre drsquoaucune intelligence on ne peut pas les deacutefinir par leur fonction ni par une causaliteacute finale Ce que nous appelons ldquomachines de la naturerdquo nrsquoest que le reacutesultat ldquoaveuglerdquo drsquoune nature sur le modegravele eacutepicurien elle produit ses plus belles œuvres sans le vouloir et sans y songer par essai et erreur Tout se reacuteduit au rapport complexiteacute-neacutecessiteacute 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 28 SE sect XXVII OP II p 14 29 HM OP III p 169

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Lrsquoimage de la machine sert en derniegravere analyse agrave faire comprendre qursquoil ne faut penser qursquoen ldquosimple physicienrdquo Si on srsquoeacutecarte de cette faccedilon de penser on nrsquoa affaire qursquoagrave de pures imaginations et on pourrait appliquer agrave celui qui srsquoy risquerait ce qursquoil a eacutecrit de la meacutedecine et de la philosophie de son temps Comme la meacutedecine nrsquoest plus souvent qursquoune science de remegravedes dont les noms sont admirables la philosophie nrsquoest de mecircme qursquoune science de belles paroles crsquoest un double bonheur quand les uns gueacuterissent et quand les autres signifient quelque chose30 BIBLIOGRAPHIE La Mettrie J O de Histoire naturelle de lrsquoAcircme (HNA) traduite de lrsquoanglois de M

Charp par feu Mr H de lrsquoAcadeacutemie des Sciences La Haye J Neaulme Libraire 1745

La Mettrie J O de Venus meacutetaphysique ou essai sur lrsquoorigine de lrsquoame humaine (VM) Berlin J C Voss 1752

La Mettrie J O de Œuvres Philosophiques de La Mettrie nouvelle eacutedition Berlin Ch Tutot 1796

Lemeacutee P (ed) Une Œuvre ineacutedite drsquoOffray de La Mettrie Le petit homme agrave longue queue (1751) Paris J-B Bailliegravere et Fils 1934

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CLAIRE FAUVERGUE

LA REacuteCEPTION DES PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRAcircCE DANS LrsquoENCYCLOPEacuteDIE MEacuteTHODIQUE LrsquoARTICLE ldquoSYSTEgraveME DES MONADESrdquo

Introduction

Dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique paru en trois volumes entre 1791 et 1793 Naigeon complegravete en reacutedigeant de nouveaux articles le corpus des articles drsquohistoire de la philosophie dont Diderot eacutetait lrsquoauteur dans lrsquoEncyclopeacutedie Ainsi en est-il de plusieurs articles annonceacutes par les eacutediteurs de lrsquoEncyclopeacutedie et qui eacutetaient resteacutes sans auteur Tel est le cas notamment de lrsquoarticle MONADES En effet aucun article de la premiegravere Encyclopeacutedie ne correspond au renvoi ldquoMONADESrdquo1 inseacutereacute par Diderot agrave la fin de lrsquoarticle LEIBNITZIANISME ou PHILOSOPHIE DE LEIBNITZ Il faut attendre la parution du dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique pour lire un article encyclopeacutedique sur les monades Il srsquoagit de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) (Histoire de la Philosophie moderne)2

En choisissant comme titre de cet article la deacutesignation ldquoSystegraveme des monadesrdquo Naigeon restitue tout un pan de la reacuteception de la philosophie leibnizienne Crsquoest ainsi qursquoil reacuteeacutedite les Principes de la

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Nature et de la Gracircce fondeacutes en raison en se reacutefeacuterant agrave la seconde eacutedition du Recueil Des Maizeaux3

La preacutesente eacutetude abordera les Principes de la Nature et de la Gracircce4 agrave partir de lrsquoanalyse de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique tout en replaccedilant cet article dans le contexte de la reacuteception de la philosophie de Leibniz en France Nous verrons notamment comment lrsquoinsertion des Principes de la Nature et de la Gracircce dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique srsquoaccompagne drsquoune mise en contexte ineacutedite de lrsquoopuscule leibnizien et comment lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) offre lrsquoexemple drsquoune nouvelle appreacutehension de lrsquohistoire de la philosophie Ainsi Naigeon nous invite-t-il aujourdrsquohui encore agrave relire les Principes de la Nature et de la Gracircce

Alors que Diderot preacutesentait dans lrsquoEncyclopeacutedie un choix drsquoopuscules appartenant au corpus leibnizien en traduisant ceux-ci en franccedilais drsquoapregraves lrsquoeacutedition latine de J Brucker5 auteur de lrsquoHistoria critica philosophiae choix drsquoopuscules dans lequel figurait la Monadologie Naigeon insegravere les Principes de la Nature et de la Gracircce dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique en se reacutefeacuterant pour sa part agrave lrsquoeacutedition de Des Maizeaux Par ce choix eacuteditorial Naigeon preacutesente des textes qui auraient pu servir de sources aux eacutediteurs de lrsquoEncyclopeacutedie mais auxquels agrave notre connaissance ces derniers ne se sont pas reacutefeacutereacutes Il renouvelle les mateacuteriaux ayant servi agrave Diderot dans lrsquoEncyclopeacutedie en se reacutefeacuterant agrave une source textuelle agrave laquelle aussi eacutetonnant que cela puisse paraicirctre ce dernier ne srsquoeacutetait pas rapporteacute Lrsquoarticle

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Claire Fauvergue Lrsquoarticle ldquoSystegraveme de monadesrdquo dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique

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MONADES (SYSTEgraveME DES) srsquoinscrit par conseacutequent dans le prolongement de lrsquoEncyclopeacutedie tout srsquoen deacutemarquant

Naigeon preacutesente les Principes de la Nature et de la Gracircce dans leur inteacutegraliteacute En effet les 18 articles des Principes de la Nature et de la Gracircce figurent dans lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) Pourtant Naigeon ne donne aucune preacutecision concernant le titre de lrsquoeacutecrit leibnizien bien qursquoil cite explicitement lrsquoeacutedition agrave laquelle il se reacutefegravere Il le preacutesente dans les termes suivants en se rapportant comme Des Maizeaux agrave la correspondance avec Reacutemond ldquoLeibnitz composa lrsquoeacutecrit suivant pour le prince Eugegravene de Savoie qui lui avait demandeacute un preacutecis de sa philosophie Il se flattait que ce preacutecis contribuerait agrave mieux faire entendre ses meacuteditationsrdquo6 Cette introduction reprend lrsquoAvertissement de lrsquoeacutedition de 1740 du Recueil Des Maizeaux7 Le passage de la lettre de Leibniz agrave Reacutemond auquel se reacutefegravere expresseacutement Des Maizeaux est le suivant ldquoJe me sers maintenant de lrsquooccasion de M Sulli () pour vous envoyer un petit discours que jrsquoai fait ici pour Mgr le Prince Eugegravene sur ma philosophierdquo8 Ce passage eacutetait deacutejagrave citeacute par Des Maizeaux dans la Preacuteface de lrsquoeacutedition de 1720 ce dernier formulant alors lrsquohypothegravese que Leibniz annonccedilait ainsi agrave son correspondant lrsquoenvoi drsquoun recueil de piegraveces traitant du Systegraveme de lrsquoHarmonie preacuteeacutetablie9 Ce nrsquoest que dans lrsquoeacutedition de 1740 que la relation est enfin eacutetablie avec exactitude par Des Maizeaux entre la correspondance Leibniz-Reacutemond et les Principes de la nature et de la gracircce Si lrsquoeacutecrit est deacutesormais authentifieacute la preacutesentation qursquoen donne le Recueil Des Maizeaux reste strictement la mecircme dans lrsquoeacutedition de 1740 les Principes de la nature et de la gracircce sont toujours preacutesenteacutes drsquoapregraves la mention qui en est faite par Leibniz dans sa correspondance avec Reacutemond Ainsi srsquoexpliquerait que les Principes de la nature et de la gracircce soient agrave nouveau mis en

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rapport avec la correspondance Leibniz-Reacutemond dans lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) du Dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne Cependant Naigeon ne se contente pas de faire reacutefeacuterence au Recueil Des Maizeaux il va exploiter agrave des fins critiques lrsquohypothegravese de lecture qui srsquoy trouve proposeacutee en inseacuterant agrave plusieurs reprises des extraits de la correspondance de Leibniz agrave Reacutemond entre les paragraphes des Principes de la nature et de la gracircce

Par ailleurs en se reacutefeacuterant agrave la seconde eacutedition du Recueil Des Maizeaux Naigeon met deacutefinitivement fin agrave la possibiliteacute de confondre les Principes de la nature et de la gracircce avec la Monadologie Cette confusion se trouvait encore sous la plume drsquoun encyclopeacutediste tel que Jaucourt auteur de lrsquoHistoire de la vie et des ouvrages de Leibnitz et eacutediteur des Essais de Theacuteodiceacutee En effet dans son Abreacutegeacute de la Meacutetaphysique de M Leibnitz 10 Jaucourt preacutesente un court extrait des Principes de la Nature et de la Gracircce en confondant ceux-ci avec la Monadologie Selon lui la Monadologie serait lrsquointituleacute donneacute aux traductions allemande et latine des Principes de la nature et de la gracircce Ainsi lit-on dans le ldquoCatalogue chronologique des ouvrages de Mr Leibnitzrdquo ldquoPrincipes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison par feu M le Baron de Leibnitz Europe Savante Ann 1718 p 101rdquo On a traduit en Allemand cette brochure en 1720 sous le titre de Monadologie Elle se trouve aussi en Latin dans le Suppleacutement du Journal de Leipzig anneacutee 172111

Pour autant Jaucourt ne considegravere pas les Principes de la nature et de la gracircce comme un texte original ayant donneacute lieu agrave une publication agrave part Il preacutesente ceux-ci comme faisant partie des nombreux ldquoMorceaux qui se trouvent parsemeacutes ccedilagrave et lagrave dans plusieurs Livres diffeacuterentsrdquo12

Au-delagrave de la confusion entre deux textes distincts agrave savoir les Principes de la nature et de la gracircce et les Principes de la philosophie 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 10 De Neufville (Louis de Jaucourt) Histoire de la vie et des ouvrages de Leibnitz Amsterdam 1734 pp 138-140 Lrsquoabreacutegeacute ne rend compte que de la premiegravere partie des Principes de la nature et de la gracircce srsquoachevant par un reacutesumeacute du paragraphe 6 11 Jaucourt Catalogue chronologique des ouvrages de Mr Leibnitz dans Histoire de la vie et des ouvrages de Leibnitz p 243 On retrouve le mecircme abreacutegeacute et la mecircme preacutesentation des Principes de la nature et de la gracircce dans les eacuteditions successives des Essais de Theacuteodiceacutee par Jaucourt Essais de Theacuteodiceacutee Amsterdam 1734 vol I pp 138-140 et p 243 Amsterdam 1747 vol I pp 160-163 et p 280 Lausanne 1760 vol I pp 178-181 et p 310 12 Jaucourt Catalogue chronologique des ouvrages de Mr Leibnitz dans Histoire de la vie et des ouvrages de Leibnitz p 211

Claire Fauvergue Lrsquoarticle ldquoSystegraveme de monadesrdquo dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique

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ou Monadologie lrsquoeacutetude de la reacuteception de la philosophie de Leibniz au XVIIIe siegravecle se trouve confronteacutee agrave la difficulteacute de deacuteterminer les titres exacts des diffeacuterents eacutecrits auxquels se reacutefegraverent les auteurs alors que la plupart drsquoentre eux confondent geacuteneacuteralement le titre des opuscules leibniziens et le nom du systegraveme qui srsquoy trouve eacutenonceacute Ainsi peut-on srsquointerroger sur lrsquoemploi par Naigeon de lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo En choisissant comme titre de lrsquoarticle de son dictionnaire non pas le simple terme de ldquomonadesrdquo utiliseacute agrave titre de renvoi dans lrsquoEncyclopeacutedie mais lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo Naigeon reformule lrsquointituleacute du renvoi figurant la fin de lrsquoarticle LEIBNITZIANISME de lrsquoEncyclopeacutedie On remarque en effet qursquoil supprime dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique la seacuterie de renvois inseacutereacutes par Diderot en fin drsquoarticle renvois parmi lesquels figurait le terme ldquomonadesrdquo13 De la mecircme faccedilon Naigeon suppleacutee les imperfections de la premiegravere Encyclopeacutedie par la reacutedaction drsquoun nouvel article HARMONIE PREacuteEacuteTABLIE14

Bien que dans lrsquoEncyclopeacutedie aucun article ne corresponde au renvoi ldquoMONADESrdquo tout laisse supposer que les eacutediteurs de lrsquoouvrage preacutevoyaient un tel article De fait Diderot nrsquoest pas le seul dans lrsquoEncyclopeacutedie agrave preacutevoir un renvoi en employant le terme ldquoMONADESrdquo DrsquoAlembert renvoie au ldquosystegraveme des monadesrdquo agrave deux reprises dans lrsquoEncyclopeacutedie dans lrsquoarticle CORPUSCULE puis dans lrsquoarticle DIVISIBILITEacute Dans le premier article il renvoie agrave ldquoMONADESrdquo et agrave ldquoLEIBNITZIANISMErdquo apregraves avoir eacutevoqueacute le ldquosystegraveme des monades de Leibnitzrdquo dans les termes suivants

Aussi lideacutee que nous nous formons de la matiegravere et des corps selon quelques philosophes est purement de notre imagination sans quil y ait rien hors de nous de semblable agrave cette ideacutee Ces difficulteacutes ont fait naicirctre le systegraveme des monades de M Leibnitz Voyez MONADES et LEIBNITIANISME15

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Enfin dans le second article drsquoAlembert souligne agrave nouveau la mecircme difficulteacute et eacutecrit

Dire quun corps est composeacute dautres corps cest ne rien dire Car on demandera de nouveau de quoi ces corps sont composeacutes Les eacuteleacutements de la matiegravere doivent donc ecirctre autre chose que de la matiegravere Cest ce qui avait fait imaginer agrave M Leibnitz son systegraveme des monades16

On retiendra que drsquoAlembert ne srsquoen tient pas agrave la critique des ldquomonadesrdquo17 que lrsquoon peut lire sous sa plume dans le Discours preacuteliminaire Il fait reacutefeacuterence au ldquosystegraveme des monadesrdquo dans les articles qursquoil reacutedige pour lrsquoEncyclopeacutedie en srsquointerrogeant sur les difficulteacutes qui ont pu amener Leibniz agrave eacutelaborer un tel systegraveme adoptant en ceci lrsquoordre geacuteneacutealogique des ideacutees qursquoil preacuteconise lui-mecircme de suivre

Diderot mentionne pour sa part le ldquosystegraveme des monadesrdquo dans plusieurs articles de lrsquoEncyclopeacutedie consacreacutes agrave lrsquohistoire de la philosophie Dans lrsquoarticle LEIBNITZIANISME notamment il met en lumiegravere lrsquoanalogie existant selon lui entre lrsquoideacutee que lrsquoessence de la matiegravere reacuteside dans une force particuliegravere semblable agrave une meacutemoire momentaneacutee (mens momentanea) ideacutee eacutenonceacutee par Leibniz dans sa Theacuteorie du mouvement abstrait18 et drsquoautres hypothegraveses parmi lesquelles figurent le ldquosystegraveme des monadesrdquo19 Loin de critiquer le systegraveme ainsi deacutesigneacute Diderot marque une communauteacute de penseacutee entre Leibniz et lui-mecircme Plus preacuteciseacutement il met en eacutevidence une analogie entre la deacutefinition de la matiegravere qursquoil deacutecouvre chez Leibniz le systegraveme des monades dont Leibniz est lrsquoauteur et ses propres conjectures mateacuterialistes Le renvoi ldquoMONADESrdquo ainsi inseacutereacute par les eacutediteurs de lrsquoEncyclopeacutedie dans plusieurs articles restant agrave lrsquoeacutetat drsquointention il nrsquoest pas surprenant que Naigeon srsquoemploie agrave suppleacuteer

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Claire Fauvergue Lrsquoarticle ldquoSystegraveme de monadesrdquo dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique

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agrave ce deacutefaut dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique et qursquoil reacutedige un article ineacutedit consacreacute au ldquosystegraveme des monadesrdquo

On remarquera par ailleurs que lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo figure dans le Recueil Des Maizeaux qui repreacutesente la principale source de Naigeon pour la reacutedaction des articles sur la philosophie de Leibniz Des Maizeaux lrsquoemploie dans une note de la lettre agrave Reacutemond de juillet 1714 note dans laquelle il preacutesente un extrait de la correspondance avec Sophie qursquoil insegravere probablement agrave cet endroit afin de suppleacuteer agrave lrsquoEacuteclaircissement sur les Monades annonceacute par Leibniz agrave son correspondant Lrsquoextrait de la lettre agrave Sophie dateacutee du 30 nov 1701 srsquoy trouve introduit dans les termes suivants ldquoVoici lrsquoextrait drsquoune lettre de Mr Leibniz agrave S A R Madame la Princesse Sophie qui tend agrave eacuteclaircir le Systegraveme des Monades ou des Uniteacutesrdquo Vient ensuite la citation de lrsquoextrait

Vous avez toutes les raisons du monde de dire que lrsquoUn nrsquoest pas Plusieurs et crsquoest pour cela aussi que lrsquoassemblage des Ecirctres nrsquoest pas un Ecirctre Cependant lagrave ougrave il y a plusieurs ou la multitude il faut qursquoil y ait aussi des Uniteacutes car la multitude ou le nombre est composeacute drsquouniteacutes ()20

De fait lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo est employeacutee par Leibniz avant drsquorsquoecirctre reprise par ses lecteurs puis par les encyclopeacutedistes Leibniz lrsquoemploie par exemple dans une lettre agrave Joachim Bouvet dateacutee de juillet 1704 et eacutecrit

Jrsquoespegravere de deacutemontrer ainsi mon systegraveme des monades ou des substances simples qui constituent tout et sans deacutependre les unes des autres srsquoaccordent en vertu de lrsquoharmonie que lrsquoauteur commun a preacuteeacutetablie dans leur natures (sic)21 Leibniz preacutecise qursquoil en a parleacute dans le Journal des savants renvoyant probablement au Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances Si lrsquoon considegravere que Leibniz eacutetablit lui-mecircme dans ce passage une relation eacutetroite entre le ldquosystegraveme des monadesrdquo qursquoil se propose de deacutemontrer et lrsquohypothegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie il faut convenir que Des Maizeaux nrsquoavait pas

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tout agrave fait tort de renvoyer au ldquoSystegraveme de lrsquoHarmonie preacuteeacutetablierdquo 22 lorsqursquoil eacutevoquait dans lrsquoeacutedition de 1720 de son Recueil lrsquoEacuteclaircissement sur les Monades annonceacute par Leibniz agrave Reacutemond

Enfin la fortune qursquoa connue lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo au cours de la premiegravere peacuteriode de reacuteception de la philosophie de Leibniz ndash nous pensons plus particuliegraverement agrave la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoeacutedition de la premiegravere Encyclopeacutedie ndash peut eacutegalement justifier lrsquoinsertion drsquoun nouvel article drsquohistoire de la philosophie intituleacute MONADES (SYSTEgraveME DES) dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique En effet en 1747 lrsquoAcadeacutemie de Berlin proposait au concours une question sur la ldquoDoctrine des monades et des ecirctres simplesrdquo Or degraves le premier paragraphe de sa dissertation Justi parle non pas de ldquodoctrinerdquo mais de ldquoSystegraveme des Monades et des ecirctres simplesrdquo 23 Cette dissertation ne fait pas exception lrsquoemploi de lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo est geacuteneacuteral On la trouve non seulement dans les dissertations preacutesenteacutees au concours de lrsquoAcadeacutemie de Berlin24 mais aussi chez Condillac25 Euler26 Maupertuis27 ou encore chez Voltaire comme par exemple dans le passage suivant de sa Courte reacuteponse aux longs discours drsquoun docteur allemand

Nous savons que la matiegravere est composeacutee drsquoecirctres qui ne sont pas matiegravere et que dans la patte drsquoun ciron il y a une infiniteacute de substances sans eacutetendue dont chacune a des ideacutees confuses qui composent un miroir concentreacute de tout lrsquounivers et cela srsquoappelle le systegraveme des monades28

Ainsi pour qui considegravere lrsquohistoire de la reacuteception de la philosophie leibnizienne en France il semble assez surprenant que le renvoi ldquoMONADESrdquo agrave la fin de lrsquoarticle LEIBNITZIANISME soit resteacute dans lrsquoEncyclopeacutedie agrave lrsquoeacutetat de pure virtualiteacute et que Naigeon soit le premier agrave faire la relation entre lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo et le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce publieacute par Des Maizeaux en 1740 La contribution de Naigeon agrave lrsquohistoire de

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Claire Fauvergue Lrsquoarticle ldquoSystegraveme de monadesrdquo dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique

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la philosophie nrsquoen prend que plus de relief En reacutedigeant un nouvel article sur la philosophie de Leibniz dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique ce dernier ne se contente pas drsquoajouter un nouvel opuscule au corpus des eacutecrits leibniziens preacutesenteacutes par Diderot sous forme de traduction dans lrsquoarticle LEIBNITZIANISME La reacutedaction de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) lui fournit lrsquooccasion drsquoappliquer au texte leibnizien la meacutethode recommandeacutee par Diderot agrave lrsquoattention des auteurs des articles de la premiegravere Encyclopeacutedie Diderot srsquoexprimait ainsi

Il faut savoir deacutepecer artistiquement un ouvrage en meacutenager les distributions en preacutesenter le plan en faire une analyse qui forme le corps dun article dont les renvois indiqueront le reste de lobjet 29

Naigeon reprend agrave son compte les principes ainsi eacutenonceacutes et dans la note finale de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) eacutecrit agrave propos de Leibniz qursquoil y a ldquodans ce qursquoil a publieacute sur la meacutetaphysique des vues profondes des ideacutees tregraves philosophiques dont on peut mecircme deacuteduire les conseacutequences les plus fortes et tregraves contraires aux preacutejugeacutes les plus geacuteneacuteralement reccedilusrdquo Si Naigeon parvient agrave une telle intelligence de la philosophie de Leibniz crsquoest qursquoil applique au texte leibnizien les principes de lecture eacutenonceacutes par Diderot dans lrsquoEncyclopeacutedie Toujours dans la note finale de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) Naigeon deacuteclare que les ideacutees se trouvant dans les diffeacuterents eacutecrits dont Leibniz est lrsquoauteur y sont ldquotregraves enveloppeacutees elles y sont agrave peu pregraves comme la statue est dans le bloc de marbre du sculpteur il faut avoir lrsquoart de les en tirerrdquo30 Enfin en multipliant les reacutefeacuterences au corpus leibnizien agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoarticle Naigeon place Leibniz en position drsquointerpregravete de son propre systegraveme Il srsquoen explique dans les termes suivants Nous laisserons donc encore ici Leibnitz rendre pour ainsi dire teacutemoignage de lui-mecircme Il serait difficile de choisir un plus habile et plus fidegravele interpregravete de ses sentiments crsquoest mecircme le seul moyen drsquoeacuteviter le reproche qursquoon pourrait nous faire drsquoavoir mal pris sa penseacutee 31

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Ainsi Naigeon renouvelle non seulement la matiegravere des articles drsquohistoire de la philosophie mais aussi le processus de leur composition

Rappelons que lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique agrave la diffeacuterence de lrsquoEncyclopeacutedie de Diderot et drsquoAlembert adopte une division des connaissances par ordre de matiegraveres et que les renvois internes agrave lrsquoouvrage doivent en principe ecirctre remplaceacutes par le vocabulaire Le lecteur devra agrave terme consulter le ldquoVocabulaire encyclopeacutediquerdquo32 conccedilu par Panckoucke comme une table pour lrsquoensemble de lrsquoouvrage Toutefois le Dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne se distingue par la preacutesence de nombreux renvois Leur insertion est le fait de Naigeon de mecircme que les additions et les notes eacuteditoriales Ainsi ces renvois peuvent guider notre lecture des articles drsquohistoire de la philosophie notamment lorsqursquoil srsquoagit drsquoarticles entiegraverement reacutedigeacutes par Naigeon comme crsquoest le cas pour lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES)

Le travail eacuteditorial effectueacute par Naigeon pour le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique se preacutesente sous cet aspect comme une lecture critique de lrsquohistoire de la philosophie composeacutee par Diderot pour lrsquoEncyclopeacutedie Naigeon critique par exemple le fait que les extraits inseacutereacutes par Diderot dans les articles drsquohistoire de la philosophie de lrsquoEncyclopeacutedie ldquone sont souvent que la traduction de ceux de Bruckerrdquo33 Naigeon marque ainsi tout ce qui le seacutepare de Diderot en matiegravere de meacutethodologie Crsquoest deacutesormais par lrsquoeacutedition critique de textes qursquoil contribue dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique au deacuteveloppement de lrsquohistoire de la philosophie

Nous preacutesenterons ci-dessous une bregraveve analyse de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) La composition geacuteneacuterale de lrsquoarticle est la suivante Apregraves une courte introduction Naigeon insegravere le texte

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des Principes de la nature et de la gracircce drsquoapregraves lrsquoeacutedition du Recueil Des Maizeaux de 1740 et introduit agrave plusieurs reprises entre les paragraphes de lrsquoopuscule leibnizien des extraits tireacutes de plusieurs passages de la correspondance de Leibniz elle-mecircme publieacutee dans le Recueil Lrsquoarticle srsquoachegraveve par une note de lrsquoeacutediteur ougrave lrsquoon voit celui-ci reformuler les commentaires figurant dans lrsquoAvertissement du Recueil Des Maizeaux

Dans lrsquointroduction preacuteceacutedant lrsquoinsertion des Principes de la nature et de la gracircce Naigeon preacutesente la ldquotheacuteorie () des monades ou substances simplesrdquo comme une des bases principales de la meacutetaphysique et de la physique leibniziennes Agrave la reacutefeacuterence au Recueil Des Maizeaux vient srsquoajouter une courte reprise du Discours preacuteliminaire de lrsquoEncyclopeacutedie concernant le principe de ldquo la raison suffisanterdquo 34 Naigeon se rapporte eacutegalement agrave la correspondance de Leibniz avec Reacutemond et cite presque litteacuteralement le passage suivant de la lettre agrave du 10 janvier 1714

() Les Monades ou substances simples sont les seules veacuteritables substances et () les choses mateacuterielles ne sont que des pheacutenomegravenes mais bien fondeacutes et bien lieacutes Crsquoest de quoi Platon et mecircme les Acadeacutemiciens posteacuterieurs et encore les Sceptiques ont entrevu quelque chose () 35

Malgreacute les assertions de Leibniz concernant les rapports que son systegraveme entretient avec la philosophie ancienne ou les remarques de commentateurs tels que Jaucourt36 et Diderot37 mettant en parallegravele

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la philosophie de Leibniz et celle de Platon Naigeon deacutefend lrsquoideacutee qursquoun ldquosimple aperccedilu des anciensrdquo a probablement suffit agrave mettre Leibniz ldquosur la voierdquo de son systegraveme Ainsi le systegraveme des monades serait tout simplement le fruit de ses meacuteditations Naigeon affirme ici la meacutethode qui est la sienne en matiegravere drsquohistoire de la philosophie Consideacuterant que le ldquosystegraveme des monadesrdquo est absolument nouveau et qursquoil tient uniquement au geacutenie et agrave lrsquoinvention de son auteur Naigeon srsquointeacuteresse moins aux origines de ce systegraveme qursquoagrave sa genegravese crsquoest-agrave-dire agrave la faccedilon dont Leibniz ldquoa proceacutedeacute dans ses recherchesrdquo38

La composition de lrsquoarticle ainsi que les additions effectueacutees par Naigeon dans le texte des Principes de la nature et de la gracircce obeacuteissent certainement agrave ce principe de lecture Lrsquoanalyse de ces additions fait apparaicirctre que lrsquoinsertion drsquoextraits de la correspondance de Leibniz est plus importante dans la premiegravere partie des Principes de la nature et de la gracircce Preacutecisons que les insertions dans le corps du texte des Principes de la nature et de la gracircce ne sont pas signaleacutees comme telles rien ne permet au lecteur de les distinguer du texte original La premiegravere insertion est introduite agrave la fin du second paragraphe des Principes de la nature et de la gracircce et consiste dans lrsquoextrait de la lettre de Leibniz agrave Sophie dateacutee du 30 nov 1701 Il srsquoagit du passage citeacute en note comme nous lrsquoavons vu par Des Maizeaux afin de fournir au lecteur un eacuteclaircissement sur le ldquosystegraveme des monadesrdquo 39 Cet extrait se limite agrave trois paragraphes de la lettre de Leibniz agrave Sophie Il srsquoagit du passage dans lequel Leibniz explique agrave la demande de sa correspondante ce qursquoil entend en affirmant qursquoldquoil nrsquoy a qursquouniteacutes et multitudes dans la naturerdquo 40 et illustre cet eacutenonceacute en comparant les images corporelles agrave des cercles dans lrsquoeau

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La seconde insertion effectueacutee par Naigeon dans le texte des Principes de la nature et de la gracircce est introduite agrave lrsquointeacuterieur mecircme du paragraphe 6 Il srsquoagit drsquoun extrait de la lettre de Leibniz agrave Reacutemond du 11 feacutevrier 1715 Lrsquoinsertion reprend inteacutegralement le premier paragraphe de la lettre agrave Reacutemond ougrave Leibniz oppose la loi de la continuiteacute et le principe drsquouniformiteacute de la nature agrave lrsquohypothegravese de la meacutetempsycose Leibniz eacutecrit ldquoQuant agrave la Meacutetempsycose je crois que lrsquoordre ne lrsquoadmet point il veut que tout soit explicable distinctement et que rien ne se fasse par sautrdquo41 Naigeon insegravere cet extrait juste avant les deux derniegraveres phrases du paragraphe 6 agrave savoir ldquoIl nrsquoy a donc point de Meacutetempsycose mais il y a Meacutetamorphose Les animaux changent prennent et quittent seulement des parties ()rdquo42 Enfin le paragraphe 6 fera lrsquoobjet drsquoune derniegravere addition avec lrsquoinsertion drsquoun renvoi agrave un nouvel article reacutedigeacute par Naigeon pour le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne et traitant de la philosophie de Leibniz lrsquoarticle INEXTINCTION ou INDESTRUCTIBILITEacute DES ANIMAUX

Enfin on trouve une derniegravere insertion dans la suite du texte des Principes de la nature et de la gracircce preacutesenteacute dans lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) Toujours drsquoapregraves Des Maizeaux Naigeon insegravere au milieu du paragraphe 13 un extrait de la Correspondance Leibniz-Clarke Il srsquoagit du paragraphe 91 de la reacuteponse de Leibniz agrave la quatriegraveme reacuteplique de Clarke ougrave il explique que lrsquoharmonie entre toutes les substances simples srsquoexplique par le fait qursquoelles ldquorepreacutesentent toujours le mecircme universrdquo Il srsquoagit tregraves preacuteciseacutement du passage suivant ldquoComme la nature de chaque substance simple Acircme ou veacuteritable Monade est telle que son eacutetat suivant est une conseacutequence de son eacutetat preacuteceacutedent voilagrave la cause de

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lrsquoHarmonie toute trouveacuteerdquo43 Cet eacutenonceacute ainsi inseacutereacute dans le texte des Principes de la nature et de la gracircce apporte un eacuteclaircissement sur la relation existant pour Leibniz entre le systegraveme des monades et lrsquohypothegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie

Apregraves lrsquoaddition de cet extrait le paragraphe 13 des Principes de la nature et de la gracircce se poursuit par lrsquoeacutenonceacute suivant ldquoChaque Acircme connaicirct lrsquoinfini connaicirct tout mais confuseacutement ()rdquo44 Le principe de composition de lrsquoarticle est nous semble-t-il coheacuterent avec le projet annonceacute par Naigeon en introduction de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) Ce dernier se proposait en effet drsquoeacuteclaircir la theacuteorie des monades ou substances simples en tenant compte du fait que Leibniz lui-mecircme consideacuterait celle-ci comme ldquoune des bases de sa meacutetaphysique et de sa physiquerdquo45 Or le passage choisi par Naigeon dans la Correspondance de Leibniz avec Clarke illustre bien lrsquoideacutee qursquoun des principes de la meacutetaphysique leibnizienne trouve son origine dans la theacuteorie des monades Leibniz y montre comment la nature repreacutesentative des substances simples est la cause de lrsquoharmonie46

Outre les additions que nous venons de relever lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) contient un certain nombre de renvois dont lrsquoinsertion meacuteriterait drsquoecirctre commenteacutee Parmi ceux-ci se distinguent un renvoi agrave lrsquoarticle INSTINCT DES ANIMAUX47 inseacutereacute

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dans le paragraphe 5 des Principes de la nature et de la gracircce et enfin le renvoi que nous avons signaleacute ci-dessus agrave lrsquoarticle INEXTINCTION ou INDESTRUCTIBILITEacute DES ANIMAUX48 Il srsquoagit du renvoi inseacutereacute par Naigeon agrave la fin du paragraphe 6 des Principes de la nature et de la gracircce

Lrsquoarticle INEXTINCTION ou INDESTRUCTIBILITEacute DES ANIMAUX auquel Naigeon renvoie le lecteur est un article ineacutedit dont il est lrsquoauteur et dans lequel il traite agrave nouveau de la philosophie de Leibniz Il le reacutedige drsquoapregraves le Recueil Des Maizeaux en suivant agrave peu pregraves le mecircme processus reacutedactionnel que pour lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) agrave ceci pregraves qursquoil srsquoagit drsquoun article traitant aussi de philosophie ancienne Le titre de ce nouvel article est probablement tireacute de lrsquoAvertissement du Recueil Des Maizeaux ougrave le systegraveme philosophique de Leibniz est preacutesenteacute comme le ldquosystegraveme des uniteacutes reacuteelles et absolument destitueacutees de parties de lrsquoinextinction des animaux de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie etcrdquo49 Nous sommes donc en preacutesence drsquoune nouvelle piegravece agrave rajouter au corpus que lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique consacre agrave la philosophie de Leibniz Naigeon y preacutesente la premiegravere partie du Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances50 crsquoest-agrave-dire la partie traitant de la conservation de lrsquoanimal en mettant celle-ci en dialogue avec des textes issus de la correspondance de Leibniz publieacutes dans le Recueil Des Maizeaux notamment avec la ldquoLettre de Mr Leibniz agrave Des Maizeaux contenant quelques eacuteclaircissements sur lrsquoexplication drsquoun passage drsquoHippocraterdquo51

Nous nrsquoentrerons pas dans lrsquoanalyse deacutetailleacutee de ce dernier article et nous contenterons de souligner le fait que Naigeon eacutetablit ici une relation entre deux opuscules majeurs du corpus leibnizien agrave

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savoir les Principes de la nature et de la gracircce et le Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances Le rapport entre les articles MONADES (SYSTEgraveME DES) et INEXTINCTION ou INDESTRUCTIBILITEacute DES ANIMAUX est drsquoautant plus remarquable dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne que le second ne contient qursquoun seul renvoi et qursquoil srsquoagit justement drsquoun renvoi au premier crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoldquoarticle MONADESrdquo 52 Lrsquoeacutediteur invite ainsi le lecteur agrave se rapporter agrave lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) afin de juger combien le systegraveme philosophique de Leibniz est effectivement nouveau

Conclusion

Si lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) occupe une position centrale dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne crsquoest qursquoil contient des eacuteleacutements permettant de juger de la faccedilon dont Leibniz a proceacutedeacute dans ses recherches et surtout de lrsquooriginaliteacute du ldquosystegraveme des monadesrdquo Concernant ce dernier aspect le jeu des renvois ainsi que les diverses additions introduites par Naigeon nous amegravenent agrave supposer que pour ce dernier la principale nouveauteacute du ldquosystegraveme des monadesrdquo reacuteside dans la formulation de la thegravese de la conservation de lrsquoanimal

Quant agrave lrsquoeacutedition proprement dite des Principes de la nature et de la gracircce dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique elle restitue le texte publieacute par Des Maizeaux en le rapportant agrave des eacutecrits dont Leibniz est lrsquoauteur offrant ainsi les eacuteclaircissements utiles agrave la compreacutehension des principes de la meacutetaphysique et de la physique leibniziennes Naigeon parvient en outre agrave articuler lrsquoeacutedition drsquoun grand texte philosophique et lrsquoexposeacute drsquoun systegraveme lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) donne un eacuteclaircissement sans preacuteceacutedent sur la relation entre lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo et les Principes de la Nature et de la Gracircce Enfin lrsquoarticle offre au lecteur la possibiliteacute drsquoappreacutecier par lui-mecircme la nouveauteacute drsquoun systegraveme ainsi que

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Claire Fauvergue Lrsquoarticle ldquoSystegraveme de monadesrdquo dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique

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lrsquoinvention de son auteur en lrsquooccurrence Leibniz De ce point de vue le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique a certainement contribueacute agrave approfondir la connaissance de la philosophie de Leibniz agrave la fin du XVIIIe siegravecle

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Complete Works of Voltaire 15) Oxford The Voltaire Foundation 1991

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MARIANGELA PRIAROLO

UN ROMANTIQUE AVANT LA LETTRE LEIBNIZ ET LE CONCEPT DE BONHEUR DANS LES PRINCIPES DE

LA NATURE ET DE LA GRAcircCE sect18

ldquoThe desire of Man being Infinite the possession is Infinite amp himself Infiniterdquo William Blake There is no natural religion (1788)

ldquoThere is no prayer like desirerdquo

Tom Waits Black Market Baby (1999)

Introduction

Les Principes de la nature et la gracircce peuvent ecirctre regardeacutes comme une vraie summa de la penseacutee de Leibniz car ils contiennent tous les thegravemes et toutes les questions qui ont traverseacute la reacuteflexion leibnizienne de sa jeunesse agrave sa maturiteacute la conception de la substance et des corps la deacutefinition de la perception celle de la connaissance de la veacuteriteacute de lrsquounivers et de ses lois ainsi que la connexion entre meacutetaphysique eacutethique et politique Les Principes deacutecrivent non seulement la nature des choses mais aussi les rapports qursquoelles ont les unes avec les autres et avec Dieu la structure du monde et la finaliteacute de la creacuteation Comme dans les summae traditionnelles dans les Principes Leibniz prend comme point de deacutepart les ecirctres finis pour arriver jusqursquoagrave Dieu ldquoqui est la source de tout bienrdquo1 Quiconque aime Dieu en cette vie nous dit Leibniz et donc reconnaicirct ldquoqursquoen vertu du parfait ordre eacutetabli dans lrsquounivers tout est fait le mieux qursquoil est possiblerdquo2 pourra ainsi atteindre la feacuteliciteacute future un ldquosuprecircme bonheurrdquo qui est lrsquoeffet neacutecessaire du ldquodivin gouvernementrdquo3 Mais lagrave ougrave nous attendrions une description de la feacuteliciteacute comme la satisfaction de nos deacutesirs et de nos espeacuterances le repos auquel nous aspirons toute notre vie Leibniz nous surprend et conclut les Principes avec les mots suivants

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Il est vrai que la suprecircme feacuteliciteacute (de quelque vision beacuteatifique ou connaissance de Dieu qursquoelle soit accompagneacutee) ne saurait jamais ecirctre pleine parce que Dieu eacutetant infini ne saurait ecirctre connu entiegraverement Ainsi notre bonheur ne consistera jamais et ne doit point consister dans une pleine jouissance ougrave il nrsquoy aurait plus rien agrave deacutesirer et qui rendrait notre esprit stupide mais dans un progregraves perpeacutetuel agrave de nouveaux plaisirs et de nouvelles perfections4

Dans les pages qui suivent je souhaite montrer en premier lieu que la deacutefinition du bonheur que Leibniz donne dans lrsquoarticle dix-huit des Principes est tregraves originale par rapport agrave la tradition en deuxiegraveme lieu que le refus leibnizien drsquoune conception de bonheur que nous pourrions deacutefinir ataraxique est eacutetroitement lieacute agrave la meacutetamorphose que Leibniz opegravere de la notion drsquoinquieacutetude eacutelaboreacutee par Locke dans lrsquoEssai sur lrsquoentendement humain Pour ce faire je diviserai mes consideacuterations en deux parties dans la premiegravere je mrsquoarrecircterai sur le deacutebut du passage citeacute et plus particuliegraverement sur la notion pour ainsi dire standard de la vision beacuteatifique en choisissant comme figure paradigmatique la conception thomiste Jrsquoindiquerai aussi les similitudes et surtout les diffeacuterences entre Thomas et Leibniz par rapport agrave la vision de Dieu Dans la deuxiegraveme partie je montrerai que le pivot de cette meacutetamorphose est la conception dynamique de lrsquoecirctre propre agrave Leibniz Crsquoest cette conception qui lui permet de redessiner les rapports entre fini et infini en franchissant la barriegravere entre les deux encore tregraves preacutesente dans lrsquoAcircge classique et drsquoouvrir ainsi les portes au Romantisme

1 De la tradition a lrsquoinnovation La vision beacuteatifique

Comme Christian Trottmann lrsquoa releveacute dans lrsquoimportante eacutetude qursquoil a consacreacutee agrave ce sujet la vision beacuteatifique peut ecirctre consideacutereacutee la thegravese essentielle du christianisme la reacuteponse que le christianisme a donneacutee agrave la peur de la mort5 Mecircme si au cours de lrsquohistoire les theacuteologiens et les philosophes chreacutetiens ont proposeacute des interpreacutetations diffeacuterentes des chemins qui portent le viator agrave voir

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Dieu face agrave face ainsi que de la modaliteacute de cette vision ils eacutetaient presque tous drsquoaccord pour dire que lrsquoaccegraves agrave Dieu est lrsquoobjet de la beacuteatitude Cette ideacutee est tregraves eacutevidente chez Thomas drsquoAquin qui mecircme en raison de son aristoteacutelisme et plus preacuteciseacutement de la teacuteleacuteologie heacuteriteacutee drsquoAristote pose une fin derniegravere agrave lrsquoagir humain6 Selon Thomas cette fin doit ecirctre unique par rapport aux deacutesirs humains7 eacutegale pour tous les hommes8 et donc ecirctre ldquoun bien parfait capable drsquoapaiser entiegraverement le deacutesir sans quoi srsquoil restait encore quelque chose agrave deacutesirer elle ne pourrait ecirctre la fin ultimerdquo9

Comme lrsquoobjet de la volonteacute humaine est le bien universel explique Thomas seulement le bien universel peut lrsquoapaiser Mais ce bien universel nrsquoest autre que Dieu donc conclut Thomas ldquoDieu seul peut combler la volonteacute de lrsquohommerdquo10 La fin derniegravere de lrsquohomme ce qui lui donnera la beacuteatitude consiste alors pour Thomas dans la saisie de Dieu et puisque atteindre son but signifie accomplir son essence et donc reacutealiser son acte propre la beacuteatitude sera une opeacuteration qui exprime ldquola perfection et lrsquoacte de lrsquoagentrdquo11 un acte que ne peut qursquoecirctre intellectuel12 Cette opeacuteration nrsquoest rien drsquoautre que la connaissance de Dieu ou plus preacuteciseacutement la vision de lrsquoessence divine la seule expeacuterience qui peut combler nos deacutesirs et nous rendre heureux

Lrsquohomme a le deacutesir naturel quand il voit un effet drsquoen connaicirctre la cause et de lagrave naicirct chez les hommes lrsquoeacutetonnement ou lrsquoadmiration Si donc lrsquointelligence de la creacuteature raisonnable ne peut pas atteindre agrave la cause suprecircme des choses en elle le deacutesir de la nature demeurera vain Il faut donc reconnaicirctre absolument que les bienheureux voient lrsquoessence de Dieu13

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Puisque chaque homme comme Aristote soutenait deacutesire naturellement de connaicirctre et que connaicirctre quelque chose signifie connaicirctre sa cause puisque de plus un deacutesir naturel ndash bien sucircr srsquoil est vraiment un deacutesir naturel ndash ne peut pas ecirctre frustreacute mais doit ecirctre satisfait alors il est neacutecessaire que lrsquohomme qui lrsquoa meacuteriteacute voie Dieu face agrave face14 La connaissance de lrsquoessence de Dieu ndash qui peut avoir lieu seulement par une vision directe car il est impossible que Dieu soit vu par une image15 ndash permettra ainsi de connaicirctre toutes les choses lrsquoessence de Dieu renfermant le modegravele du monde creacuteeacute Il faut noter que comme lrsquoessence de Dieu est infinie mais que lrsquointellect de lrsquohomme est fini la vision de Dieu ne peut jamais ecirctre exhaustive Si comprendre exprime ldquolrsquoinclusion drsquoun objet dans le sujet qui comprendrdquo alors explique Thomas

Dieu nrsquoest compris drsquoaucune maniegravere ni par lrsquointellect ni par aucun autre pouvoir car infini il ne peut ecirctre inclu dans rien de fini et rien de fini ne peut le saisir drsquoune prise infinie comme lui-mecircme16

Comme la quantiteacute pour ainsi dire de connaissance qursquoon peut avoir de lrsquoessence de Dieu deacutepend de nos capaciteacutes intellectuelles mais encore plus de la quantiteacute de lumen gloriae que Dieu nous donnera et puisque les unes et lrsquoautre eacutetant creacuteeacutees sont neacutecessairement finies17 la vision de lrsquoessence de Dieu non seulement est limiteacutee pour tous les hommes mais elle change aussi entre diffeacuterentes personnes Quoique petite et limiteacutee la vision de Dieu est quand mecircme ldquoune grande beacuteatituderdquo

Comprendre Dieu est impossible agrave un intellect creacuteeacute quel qursquoil soit mais que notre esprit lrsquoatteigne drsquoune faccedilon telle quelle [attingere vero mente Deum qualitercumque] crsquoest deacutejagrave une grande beacuteatitude [magna beatitudo] 18

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En reacutesumant selon Thomas Dieu et seulement Dieu repreacutesente la source de la feacuteliciteacute puisque Dieu et seulement Dieu peut ecirctre le but final de notre action et donc satisfaire tous nos deacutesirs Mecircme si Thomas pense comme Leibniz que la vision de Dieu ne peut jamais ecirctre complegravete cette incompleacutetude nrsquoimplique pourtant pas une diminution de feacuteliciteacute car la simple saisie de Dieu suffit pour avoir ldquoune grande beacuteatituderdquo Cela parce que dans la perspective thomiste lrsquoinfini est tellement incomparable au fini qursquoune bribe drsquoinfini est suffisant agrave apaiser les deacutesirs des ecirctres finis19

Or dans le dernier article des Principes nous trouvons quelque chose de semblable agrave la position de Thomas mais aussi quelque chose de tregraves diffeacuterent tout comme Thomas Leibniz 1) pose une relation eacutetroite entre la feacuteliciteacute derniegravere ldquola suprecircme feacuteliciteacuterdquo et la vision de Dieu et 2) deacuteclare que la connaissance de Dieu nrsquoest jamais complegravete agrave cause de lrsquoinfiniteacute divine Par rapport au premier point pas de surprise comme on lrsquoa noteacute plus haut lrsquoidentification entre beacuteatitude et vision de Dieu est en effet un point central du christianisme et Leibniz ne fait pas exception Comme on lit par exemple dans lrsquoExamen religionis christianae connu aussi comme Systegraveme theacuteologique et eacutecrit par Leibniz probablement en 1686

Je sais que quelques heacuteteacuterodoxes reacutevoquent en doute la vision beacuteatifique de Dieu mais ils nrsquoen apportent aucune raison car dans cet eacutetat Dieu est la lumiegravere de lrsquoame et lrsquounique objet exteacuterieur immeacutediat de notre intelligence Agrave preacutesent nous voyons tout comme dans un miroir comme si le rayon de notre intelligence eacutetoit reacutefleacutechi ou reacutefracteacute par les qualiteacutes corporelles de la confusion de nos penseacutees Mais alors quand notre connoissance sera distincte nous boirons agrave la vraie source et nous verrons Dieu face agrave face car Dieu eacutetant la derniegravere raison des choses nous le verrons par la cause des causes lorsque notre connoissance sera a priori crsquoest-agrave-dire que nos deacutemonstrations nrsquoauront plus besoin drsquohypothegraveses ni drsquoexpeacuteriences et que nous pourrons rendre raison mecircme des veacuteriteacutes primitives 20

Mais il nrsquoy a pas de surprise mecircme par rapport au deuxiegraveme point car lrsquoopposition entre fini et infini est preacutesente en Leibniz aussi qui toutefois agrave la diffeacuterence de Thomas semble la voir comme un rapport quantitatif plutocirct que qualitatif Prenons-le ceacutelegravebre paragraphe 61 des Essais de theacuteodiceacutee dans le Discours sur la conformiteacute entre la foi et la raison

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Cette portion de raison que nous possedons est un don de Dieu et consiste dans la lumiere naturelle qui nous est resteacutee au milieu de la corruption cette portion est conforme avec le tout et elle ne differe de celle qui est en Dieu que comme une goutte drsquoeau differe de lrsquoOcean ou plustot le fini de lrsquoinfini 21

Ce qui est surprenant comme on lrsquoa deacutejagrave signaleacute est le fait que lrsquoincompleacutetude de notre connaissance de Dieu nrsquoest pas consideacutereacutee par Leibniz neacutegativement Mais la raison nrsquoest pas comme chez Thomas que la vision de Dieu pour limiteacutee qursquoelle soit nous donne le bonheur La raison est plutocirct que Leibniz voit lrsquoincompleacutetude comme une sollicitation agrave progresser Chez Leibniz la vision de Dieu ne satisfait donc pas nos deacutesirs non pas eacutevidemment parce que Dieu nrsquoest pas suffisant agrave les combler mais plutocirct parce que la satisfaction de nos deacutesirs nrsquoest pas souhaitable Nous voyons ainsi le repos et le calme mental propre agrave la conception thomiste du bonheur ndash mais deacutejagrave aristoteacutelicienne stoiumlcienne et en geacuteneacuteral intuitive ndash devenir en Leibniz synonyme de stupiditeacute La question devient alors celle de savoir quelles sont les raisons qui induisent Leibniz agrave refuser cette conception de bonheur en faveur drsquoune ideacutee de bonheur insolite Crsquoest ce que nous allons eacuteclaircir dans la seconde partie

2 Feacutelicite activiteacute et inquieacutetude

Pour comprendre les raisons de la conception du bonheur proposeacutee dans les Principes par Leibniz il faut drsquoabord se demander quelle est en geacuteneacuteral la conception de la feacuteliciteacute leibnizienne Un lieu inteacuteressant agrave interroger est un texte des anneacutees quatre-vingt-dix deacutejagrave publieacute par Grua et maintenant lisible aussi dans lrsquoeacutedition on-line du nouveau tome de lrsquoeacutedition de lrsquoAcadeacutemie Leibniz y deacutefinit la feacuteliciteacute comme ldquoun estat durable de joyerdquo

La feliciteacute est un estat durable de joye [hellip] La joye est le plaisir total qui resulte de tout ce que lrsquoame sent agrave la fois [hellip] Le plaisir est le sentiment de quelque perfection Et cette perfection qui cause du plaisir se peut trouver non seulement en nous mais encor ailleurs Car lors que nous nous en appercevons cette connoissance mecircme excite quelque perfection en nous parce que la representation de la perfection en est une aussi [hellip] Il y a deux sortes de connoissances celle des faits qui srsquoappelle perception et celle des raisons qursquoon appelle intelligence La perception est des choses singulieres lrsquointelligence a pour objet les universels ou les veriteacutes eternelles Et crsquoest pour cela que la connoissance des raisons nous perfectionne pour 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 21 GP 6 84

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tousjours et nous fait tout rapporter agrave la derniere raison des choses crsquoest agrave dire a Dieu qui est la source de la feliciteacute [hellip] Ainsi le plaisir de connoistre les raisons est bien plus estimable que celuy drsquoapprendre des faits 22

On voit que Leibniz pose ici un lien tregraves eacutetroit entre feacuteliciteacute et plaisir en avanccedilant donc une conception heacutedoniste de la feacuteliciteacute qui semble eacutetrangegravere agrave la position thomiste23 Cependant il faut remarquer que le plaisir propre agrave la suprecircme feacuteliciteacute deacutepend pour Leibniz drsquoune expeacuterience intellectuelle car crsquoest la connaissance qui nous permet drsquoarriver au plus grand niveau de perfection et par conseacutequent de plaisir en ce sens le plaisir dont on jouira quand on verra Dieu est un plaisir qui deacutepend du fait qursquoon pourra comme chez Thomas connaicirctre ldquola derniegravere raison des chosesrdquo Le plaisir que nous ressentirons en regardant le visage de Dieu est le plus grand plaisir qursquoon puisse deacutesirer non seulement parce que en Dieu on connaicirctra les fondements des universels et des veacuteriteacutes eacuteternelles en obtenant une connaissance que ldquonous perfectionnerdquo mais aussi parce que nous aurons accegraves aux perfections divines et nous pourrons ainsi nous perfectionner par le moyen de la repreacutesentation des perfections divines Comme on lit dans le premier article du Discours de meacutetaphysique on ne peut pas parler de perfections au sujet des

formes ou natures qui ne sont pas susceptibles du dernier degreacute [hellip] comme par exemple la nature du nombre ou de la figure Car le nombre le plus grand de tous (ou bien le nombre de tous les nombres) aussi bien que la plus grande de toutes les figures impliquent contradiction mais la plus grande science et la toute-puissance nrsquoenferment point drsquoimpossibiliteacute Par consequent la puissance et la science sont des perfections et en tant qursquoelles appartiennent agrave Dieu elles nrsquoont point de bornes24

Les perfections de Dieu sont ainsi des qualiteacutes actuellement infinies et donc absolues des maxima limites supeacuterieures que comme le maximum du calcul leibnizien une intelligence finie ne peut jamais rejoindre25 Crsquoest pour cette raison que le plaisir que lrsquohomme peut eacuteprouver est potentiellement infini lrsquoactiviteacute requise pour parcourir les perfections divines est en effet ineacutepuisable Pourtant la vraie 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 22 Grua II 581-583 A VI 5 Internetausgabe n 1302 23 Sur cette definition de feacuteliciteacute voir les reacuteflexions de Rutheford 2003 en part p 71 et suivants Il est vraisemblable que Leibniz a mis lrsquoaccent sur le plaisir pour contester aussi les conceptions quietistes tregraves diffuseacutees et contesteacutees agrave lrsquoeacutepoque Voir sur cette question Roinila 2013 24 A VI 4 1531 25 Sur cette question voir par exemple De natura veritatis contingentiae et indifferentiae (1685-1686) in A VI 4 1514-1524

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diffeacuterence entre Leibniz et la tradition sur ce point est que chez Leibniz lrsquoactiviteacute des hommes substances individuelles et finies peut quand mecircme ecirctre infinie Plus speacutecifiquement non seulement les substances individuelles peuvent connaicirctre lrsquoinfini comme Descartes ou Malebranche lrsquoavaient deacutejagrave deacuteclareacute mais elles sont pour ainsi dire constitueacutees drsquoinfini autant dans leur nature que dans leur activiteacute

En effet en regard de la nature de la substance Leibniz souligne agrave plusieurs reprises que ldquolrsquoindividualiteacute enveloppe lrsquoinfinirdquo26 car dans la notion complegravete de chaque substance individuelle est renfermeacutee une infiniteacute des preacutedicats qui expriment et fondent les relations entre la substance Dieu et lrsquounivers27 Puisque ldquotout ce qui doit arriver agrave quelque personne est deacutejagrave compris virtuellement en sa nature ou notionrdquo28 la vie de la substance consistera dans le deacuteveloppement ou pour utiliser le mot cher agrave Deleuze le deacuteploiement de tous les attributs qui correspondent aux preacutedicats de la substance29 une activiteacute qui est donc intrinsegravequement infinie puisque infinis sont les preacutedicats qui constituent la substance

Pour ce qui concerne le rapport entre activiteacute et substance il nrsquoest sans doute pas neacutecessaire de rappeler que pour Leibniz tel est le caractegravere essentiel de la substance et que la conception pour ainsi dire dynamique de la substance est deacutejagrave en place dans les œuvres de jeunesse On la trouve par exemple dans De transubstantiatione de 1668 ougrave Leibniz eacutecrit ldquoLa substance est un ecirctre qui subsiste par soi-mecircme Un ecirctre qui subsiste par soi-mecircme a le principe drsquoaction en soirdquo30

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Cette deacutefinition sera centrale dans la constitution de la penseacutee de Leibniz par rapports aux philosophes et aux theacuteories qursquoil critique ou refuse - la physique carteacutesienne drsquoabord mais aussi la meacutetaphysique de Spinoza Actiones sunt suppositorum reacutepegravetera souvent Leibniz puisque comme on lit aussi dans le premier article des Principes ldquola substance est un etre capable drsquoactionrdquo31

Or comme on peut noter en lisant les Nouveaux Essais sur lrsquoentendement humain pour Leibniz lrsquoactiviteacute de la substance qui est pour la plus grande part inconsciente se manifeste au niveau subjectif comme inquieacutetude un concept qui est tregraves important dans la reacuteflexion de Locke dans lrsquoEssai sur lrsquoentendement humain Le terme que Leibniz utilise est drsquoorigine malebranchienne provenant de la traduction donneacutee par Pierre Coste du mot anglais uneasiness utiliseacute par Locke Mais comme Coste le notait deacutejagrave le terme franccedilais inquieacutetude ldquonrsquoexprime pas preacuteciseacutement la mecircme ideacuteerdquo32 En effet comme Jean Deprun a souligneacute dans son livre classique33 tandis que chez Malebranche lrsquoinquieacutetude repreacutesente la condition meacutetaphysique de lrsquoacircme dont la volonteacute est pousseacutee vers Dieu par un mouvement incessant que seulement lrsquounion avec Dieu pourra arrecircter agrave partir de Locke et au cours du XVIIIegraveme siegravecle ldquolrsquoinquieacutetude est rameneacutee du ciel sur la terre et reacuteacclimateacutee dans lrsquoici-basrdquo34 Locke semble donc naturaliser lrsquoinquieacutetude malebranchienne en la lisant surtout neacutegativement comme un eacutetat psycho-physique de malaise une condition douloureuse causeacutee par le manque de quelque chose qursquoon deacutesire mais qui possegravede quand-mecircme un effet positif car elle pousse agrave lrsquoaction

Ici il ne sera peut-ecirctre pas inutile de remarquer en passant que lrsquoinquieacutetude [uneasiness] est le principal pour ne pas dire le seul aiguillon qui excite lrsquoindustrie et lrsquoactiviteacute des hommesrdquo35

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On ne peut ici examiner la question du rapport entre les concepts drsquoinquieacutetude chez Malebranche Locke et Leibniz mais il faut au moins remarquer que Leibniz suivant aussi certaines suggestions de Malebranche36 valorisera principalement lrsquoaspect positif de lrsquoinquieacutetude au sein de la reacuteflexion lockeacuteenne Ainsi lrsquoinquieacutetude nrsquoest pas chez Leibniz une conseacutequence de la douleur mais une condition geacuteneacuterale de notre existence due au fait que lrsquoindividu est toujours traverseacute par des perceptions confuses et inconscientes des ldquodeterminations insensiblesrdquo 37

On appelle Unruhe en Allemand crsquoest agrave dire inquietude le balancier drsquoun horloge on peut dire qursquoil en est de mecircme de nostre corps qui ne sauroit jamais estre parfaitement agrave son aise parce que quand il le seroit une nouvelle impression des objets un petit changement dans les organes dans les vases et dans les visceres changera drsquoabord la balance et le fera faire quelque petit effort pour se remettre dans le meilleur estat qursquoil se peut ce qui produit un combat perpetuel qui fait pour ainsi dire lrsquoinquietude de nostre Horloge38

Lrsquoinquieacutetude est alors lrsquoexpression de ces ldquopetites solicitations imperceptibles qui nous tiennent tousjours en haleinerdquo 39 et qui nous poussent agrave agir drsquoune faccedilon ou lrsquoautre ldquoCes impulsions sont comme autant de petit ressorts qui tachent de se debander et qui font agir notre machinerdquo40

Par conseacutequent pour Leibniz nos actions ne sont pas toujours comme pour Locke lrsquoeffet drsquoun deacutesir conscient ou drsquoune fuite de la douleur qui est aussi un malaise conscient mais le reacutesultat drsquoune lutte entre impulsions diffeacuterentes et pour la plupart inconscientes dont on ne srsquoaperccediloit donc presque pas Lrsquoinquieacutetude est alors la manifestation psychologique drsquoune dimension ontologique de freacutemissante activiteacute constitueacutee de ldquoces petites impulsionsrdquo qui nous font nous ldquodeacutelivrer continuellement des petits empechemens a quoy notre nature travaille sans qursquoon y penserdquo41

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Crsquoest en quoy consiste veritablement cette inquietude qursquoon sent sans la connoistre qui nous fait agir dans les passions aussi bien que lorsque nous paroissons les plus tranquilles car nous ne sommes jamais sans quelque action et mouvement qui ne vient que de ce que la nature travaille tousjours agrave se mettre mieux agrave son aise42

Si lrsquoinquieacutetude ne deacutepend pas de la douleur comme le voulait Locke mais de cette activiteacute peacuterenne qui caracteacuterise la substance individuelle elle sera aussi preacutesente mecircme dans la feacuteliciteacute

Bien loin qursquoon doive regarder cette inquieacutetude comme une chose incompatible avec la feliciteacute je trouve que lrsquoinquietude est essentielle agrave la feliciteacute des creacuteatures laquelle ne consiste jamais dans une parfaite possession qui les rendroit insensibles et comme stupides mais dans un progreacutes continuel et non interrompu agrave des plus grands biens qui ne peut manquer drsquoestre accompagneacute drsquoun desir ou du moins drsquoune inquieacutetude continuelle mais telle que je viens drsquoexpliquer43

Suite de lrsquoactiviteacute de la substance lrsquoinquieacutetude ne peut donc jamais disparaicirctre car sa cessation toute recircveacutee qursquoelle lrsquoa eacuteteacute par la tradition impliquerait au contraire pour Leibniz la cessation mecircme de la vie de la substance et donc de tous les ecirctres reacuteels

Conclusions

Au deacutebut de ces pages aussi que dans le titre jrsquoai avanceacute lrsquohypothegravese que le concept du bonheur agrave la fin des Principes de la nature et de la gracircce nous permettrait de parler drsquoun Leibniz preacutecurseur du romantisme une affirmation tregraves prenante qui exigerait un travail agrave part Neacuteanmoins je voudrais en eacutebaucher ici les points agrave mon avis le plus importants

Il faut signaler drsquoabord un eacutevegravenement historique qui aura une grande influence sur la reacuteception leibnizienne au sein du Romantisme allemand agrave savoir la publication en 1765 par Raspe des Nouveaux Essais sur lrsquoentendement humain Avant cette date le Leibniz connu par tout le monde eacuteteacute le Leibniz-Candide de la Theacuteodiceacutee ou agrave la limite le Leibniz de Wolff Les Nouveaux Essais reacutevegravelent par contre le Leibniz des petites perceptions et du Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances reacutesumeacute au deacutebut du livre Le Leibniz anticarteacutesien fondateur de la dynamique et drsquoune vision

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eacutenergeacutetique de la nature Preacuteciseacutement le Leibniz des Principes de la nature et de la gracircce44

Crsquoest le Leibniz dont Herder srsquoinspire dans son œuvre Du connaicirctre et du sentir de lrsquoacircme humaine de 1778 et qui est deacutefini par Fichte agrave la fin de la Seconde Introduction agrave la Doctrine de la Science le seul philosophe qui avait raison45 Comme Marco Ivaldo entre autres lrsquoa montreacute on peut retrouver chez Fichte plusieurs reacutefeacuterences agrave la penseacutee de Leibniz46 Pour notre sujet il apparaicirct tregraves important de souligner la deacutefinition du moi en termes drsquoeffort Streben preacutesenteacute par Fichte dans lrsquoarticle 5 du Fondement de la doctrine de la science ldquoLe moi est infini mais seulement dans son effort il tend agrave ecirctre infini Mais la finitude est deacutejagrave contenue dans le concept de lrsquoeffort car il nrsquoy a pas drsquoeffort sans reacutesistancerdquo47

Comme les monades de Leibniz le moi de Fichte est principalement action sujet qui tend qui aspire agrave lrsquoinfini et qui a besoin de limites agrave franchir pour continuer agrave exercer son action Cette ideacutee eacutenonceacutee aussi par le romantique par excellence le Faust de Goethe (ldquoAu commencement eacutetait lrsquoactionrdquo) revient dans les mecircmes anneacutees sous la plume drsquoun autre protagoniste du Romantisme Friedrich Schlegel qui dans le Cours sur la philosophie transcendantale donneacute agrave Ieacutena en 1800-1801 voit dans le deacutesir de lrsquoinfini la plus importante proprieacuteteacute de lrsquohomme ldquoCrsquoest un deacutesir le deacutesir de lrsquoinfini Il nrsquoy a rien de plus eacuteleveacute en lrsquohomme [hellip] Le deacutesir de lrsquoinfini doit toujours ecirctre deacutesir Il ne peut passer dans la forme de lrsquointuitionrdquo48

Mais passer dans la forme de lrsquointuition agrave savoir devenir complegravetement connu impliquerait pour Schlegel la cessation de lrsquoaspiration agrave lrsquoinfini et donc de lrsquoaspect plus feacutecond de la vie de lrsquohomme une ideacutee tregraves proche de celle eacutevoqueacutee par Leibniz agrave la fin des Principes

La nostalgie de lrsquoinfini et de lrsquoabsolu que Deprun voyait comme lrsquoeacuteleacutement central de lrsquoinquieacutetude chreacutetienne49 devient donc dans le 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 44 Sur ce sujet voir Tonelli en particulier les paragraphes 4 et 5 Ayrault 1961 vol 1 pp 231 et ss et Wilson 1995 45 Voir Lauth 1996 et Ivaldo 2000 46 Une influence de Leibniz sur Fichte eacutetait deacutejagrave envisageacutee par Gueroult Voir Gueroult 1930 vol II pp 3-153 47 Fichte 1980 p 139 48 In Schlegel 2002 p 173 49 Deprun 1979 p 214

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Romantisme la composante essentielle des ecirctres humains En ce sens en faisant de lrsquoinquieacutetude lrsquoexpression psychologique de lrsquoinfini preacutesente dans la substance mais en gardant au mecircme temps la transcendance de lrsquoinfini Leibniz peut ecirctre vu comme le trait drsquounion entre lrsquoAcircge classique et lrsquoeacutepoque romantique

Dans lrsquohistoire du deacutecalage de signification du concept drsquoinquieacutetude dans le Romantisme Leibniz semble donc avoir joueacute un rocircle beaucoup plus important que celui que Deprun mecircme lui a reconnu un rocircle qursquoil serait inteacuteressant drsquoexplorer pour eacuteclaircir aussi les dettes que la philosophie romantique (surtout allemande) a envers lrsquoauteur des Principes Une recherche exigeante bien sucircr mais qui en gardant notre esprit actif nous aidera si Leibniz a raison agrave ne pas devenir tout agrave fait stupides

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  • Couverture
  • Index
  • Preacuteface
  • SECTION 1 - MONADES SUBSTANCES CORPORELLESET ACTIVITEacute PERCEPTIVE
    • LETICIA CABANtildeAS - IDEacuteALISME ET REacuteALISME CHEZ LEIBNIZLA MEacuteTAPHYSIQUE MONADOLOGIQUE FACE Agrave UNEMEacuteTAPHYSIQUE DE LA SUBSTANCE CORPORELLE
    • ENRICO PASINI - DOUBLE CHARNIEgraveRE PHILOSOPHIE NATURELLE MEacuteTAPHYSIQUE ET PERCEPTION DANS LES PNG
    • EVELYN VARGAS - ldquoEN SIMPLES PHYSICIENSrdquoLA PERCEPTION ANIMALE ET LA CONNAISSANCE SENSIBLESELON LEIBNIZ EN 1714
    • FEDERICO SILVESTRI - ACTIVITY AND FINAL CAUSES ON PRINCIPLES OF NATURE AND GRACE sect3
      • SECTION 2 - PRINCIPE DE RAISON ET CAUSALITEacute
        • ARNAUD LALANNE - LA QUESTION DU ldquoPOURQUOIrdquo DANS LA FORMULATION DUPRINCIPE DE RAISON
        • JUAN ANTONIO NICOLAacuteS - LA TRANSFORMATION LEIBNIZIENNE DES PRINCIPES LE PRINCIPE DE RAISON COMME PRINCIPE PRATIQUE
        • JUAN ANTONIO NICOLAacuteS - LA TRANSFORMATION LEIBNIZIENNE DES PRINCIPESLE PRINCIPE DE RAISON COMME PRINCIPE PRATIQUE
        • FERDINANDO LUIGI MARCOLUNGO - ldquoPLUS SIMPLE ET PLUS FACILE QUE QUELQUE CHOSErdquoLE RIEN ET LA RAISON SUFFISANTEDE LEIBNIZ Agrave KANT
        • MARTIN ŠKAacuteRA - LEIBNIZ ET HEIDEGGER PRINCIPE DE RAISON SUFFISANTE ET SATZ VOM GRUND
          • SECTION 3 - LE STATUT DES EacuteSPRITS ETLrsquoORDRE DE LA GRAcircCE
            • STEFANO DI BELLA - NATURALIZING GRACELEIBNIZrsquoS RESHAPING OF THE TWO KINGDOMS OF NATUREAND GRACE BETWEEN MALEBRANCHE AND KANT
            • LAURENCE BOUQUIAUX - CONNEXION UNIVERSELLE ET ENVELOPPEMENT DU FUTURDANS LE PREacuteSENT
            • MARTINE DE GAUDEMAR - APREgraveS LE ldquoTOURNANT MONADOLOGIQUErdquoUNE REDEacuteFINITION DES ESPRITS
            • DAVIDE POGGI - QUELQUES OBSERVATIONS SUR LA REacuteFLEXION COGNITIVE ETLA REacuteFLEXIVITEacute DE LrsquoESPRIT DANS LA PENSEacuteE DE LEIBNIZ
            • ANSGAR LYSSY - AU-DELAgrave DE LA NATURELES PRINCIPES DE LA GRAcircCE CHEZ LEIBNIZ
              • SECTION 4 - LrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIENNE
                • TAHAR BEN GUIZA - LA VARIATION DANS LE STYLE DrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIEN ETLA TRADITION PHILOSOPHIQUE ARABE
                • MARTA MENDONCcedilA - ldquoMACHINESrdquo ET ldquoMIROIRSrdquoLA METTRIE CRITIQUE DE LEIBNIZ
                • CLAIRE FAUVERGUE - LA REacuteCEPTION DES PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRAcircCEDANS LrsquoENCYCLOPEacuteDIE MEacuteTHODIQUELrsquoARTICLE ldquoSYSTEgraveME DES MONADESrdquo
                • MARIANGELA PRIAROLO - UN ROMANTIQUE AVANT LA LETTRE LEIBNIZ ET LE CONCEPT DE BONHEUR DANS LES PRINCIPES DELA NATURE ET DE LA GRAcircCE sect18
                  • Couverture
Page 2: 1714-2014: Lire aujourd’hui les Principes de la Nature et de la ......édité par PAUL RATEAU 1714-2014 LIRE AUJOURD’HUI LES PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRÂCE DE G. W. LEIBNIZ

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Assistente editorialeMaria Cristina DalfinoProgetto graficoSilvestro Caligiuri

Secondo le norme dellrsquoILIESI tutti i contributi pubblicati nella collana sono sottoposti a un processo di peer review che ne attesta la validitagrave scientifica

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ISSN2464-8698

ISBN978-88-97828-13-6

eacutediteacute par

PAUL RATEAU

1714-2014LIRE AUJOURDrsquoHUI LES PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRAcircCE

DE G W LEIBNIZ

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INDEX

5 Preacuteface Paul Rateau

SECTION 1 MONADES SUBSTANCES CORPORELLES ET ACTIVITEacute PERCEPTIVE

9 Ideacutealisme et reacutealisme chez Leibniz la meacutetaphysique

monadologique face agrave une meacutetaphysique de la substance corporelle Leticia Cabantildeas

19 Double charniegravere Philosophie naturelle meacutetaphysique et perception dans les PNG

Enrico Pasini 33 ldquoEn simples physiciensrdquo La perception animale et la connaissance

sensible selon Leibniz en 1714 Evelyn Vargas 45 Activity and Final Causes On Principles of Nature and Grace sect3 Federico Silvestri

SECTION 2 PRINCIPE DE RAISON ET CAUSALITEacute

69 La question du ldquopourquoirdquo dans la formulation du principe de

raison Arnaud Lalanne 81 La transformation leibnizienne des principes Le principe de

raison comme principe pratique Juan Antonio Nicolaacutes 97 ldquoPlus simple et plus facile que quelque choserdquo Le rien et la raison

suffisante de Leibniz agrave Kant Ferdinando Luigi Marcolungo

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105 Leibniz et Heidegger Principe de raison suffisante et Satz vom Grund

Martin Škaacutera

SECTION 3 LE STATUT DES EacuteSPRITS ET LrsquoORDRE DE LA GRAcircCE

123 Naturalizing Grace Leibnizrsquos Reshaping of the Two Kingdoms of

Nature and Grace between Malebranche and Kant Stefano Di Bella 145 Connexion universelle et enveloppement du futur dans le preacutesent

Laurence Bouquiaux 163 Apregraves le ldquotournant monadologiquerdquo Une redeacutefinition des esprits Martine de Gaudemar 189 Quelques observations sur la reacuteflexion cognitive et la reacuteflexiviteacute

de lrsquoesprit dans la penseacutee de Leibniz Davide Poggi 207 Au-delagrave de la nature Les principes de la gracircce chez Leibniz Ansgar Lyssy

SECTION 4 LrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIENNE

227 La variation dans le style drsquoeacutecriture leibnizien et la tradition

philosophique arabe Tahar Ben Guiza 241 ldquoMachinesrdquo et ldquomiroirsrdquo La Mettrie critique de Leibniz Marta de Mendonccedila 255 La reacuteception des Principes de la Nature et de la Gracircce dans

lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique lrsquoarticle ldquoSystegraveme des monadesrdquo Claire Fauvergue 273 Un romantique avant la lettre Leibniz et le concept de bonheur

dans les Principes de la Nature et de la Gracircce sect18 Mariangela Priarolo

PREacuteFACE En 1714 durant son seacutejour agrave Vienne Leibniz compose pour le Prince Eugegravene de Savoie un court texte en franccedilais sous le titre Principes de la Nature et de la Gracircce fondeacutes en raison Il le deacutecrit comme un ldquopetit discoursrdquo sur ldquo[sa] philosophierdquo dont le but est de ldquomieux faire entendre [ses] meacuteditationsrdquo (lettre agrave Reacutemond 26 aoucirct 1714) Le texte se distingue de ce que lrsquoauteur a publieacute jusque-lagrave Drsquoabord par son style Leibniz nrsquoy expose pas sa penseacutee en empruntant un langage scolastique ou carteacutesien mais dit-il ldquodrsquoune maniegravere qui puisse [ecirctre] entendue encore de ceux qui ne sont pas encore trop accoutumeacutes au style des uns et des autresrdquo (ibid) Il choisit donc drsquoeacutecrire en utilisant son propre vocabulaire philosophique et de srsquoadresser agrave un public non preacutevenu et plus large que celui des savants de profession ndash comme lrsquoillustre le choix du destinataire et de la langue franccedilaise ici preacutefeacutereacutee au latin

Mais les Principes de la Nature et de la Gracircce sont encore un texte original par son contenu mecircme Leibniz le qualifie drsquo ldquoabreacutegeacuterdquo de ses penseacutees (lettre agrave Bonneval fin 1714) Pourtant il ne saurait se reacuteduire agrave un simple reacutesumeacute ou preacutecis de sa ldquophilosophierdquo ndash qui nrsquoapprendrait rien de nouveau au lecteur familier des textes leibniziens de la mecircme peacuteriode ndash ni agrave une succession de thegraveses deacutelesteacutees par souci de concision de leurs preuves et de leurs deacutemonstrations comme pourrait le suggeacuterer le titre mecircme du texte Les Principes ne se limitent pas agrave lrsquoexposeacute de principes Lagrave ougrave la Monadologie ndash eacutegalement eacutecrite en 1714 ndash fait se suivre les thegraveses et restitue le plan drsquoun exposeacute philosophique presque complet (en vue drsquoune ldquomise en poeacutesierdquo par le poegravete Fraguier) les Principes sont un veacuteritable texte si lrsquoon entend par lagrave un discours articuleacute et continu ougrave la penseacutee porteacutee par un mecircme eacutelan va de la deacutefinition de la substance simple aux esprits de la composition des corps au royaume de Dieu des causes efficientes aux causes finales de lrsquoordre naturel au regravegne de la gracircce

Les articles que lrsquoon va lire sont reacutepartis en quatre sections principales (I Monades substances corporelles et activiteacute perceptive II Principe de raison et causaliteacute III Le statut des esprits et lrsquoordre de la gracircce IV Lrsquoeacutecriture leibnizienne) Ils sont issus de deux manifestations

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scientifiques internationales La premiegravere est un colloque organiseacute agrave Milan les 15 et 16 septembre 2014 intituleacute ldquoBased on Reason Leibnizrsquos Principles of Nature and Gracerdquo La seconde est le premier Congregraves de la Socieacuteteacute drsquoEacutetudes Leibniziennes de Langue Franccedilaise (SELLF) tenu agrave Paris en Sorbonne les 27 28 et 29 novembre 2014 sous le titre ldquo1714-2014 Lire aujourdrsquohui les Principes de la Nature et de la Gracircce de G W Leibnizrdquo

Qursquoil me soit permis enfin de remercier chaleureusement le Professeur Antonio Lamarra drsquoavoir accepteacute drsquoaccueillir ces contributions dans la seacuterie ILIESI digitale

PAUL RATEAU

SECTION 1

MONADES SUBSTANCES CORPORELLES ET ACTIVITEacute PERCEPTIVE

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LETICIA CABANtildeAS

IDEacuteALISME ET REacuteALISME CHEZ LEIBNIZ LA MEacuteTAPHYSIQUE MONADOLOGIQUE FACE Agrave UNE MEacuteTAPHYSIQUE DE LA SUBSTANCE CORPORELLE

Reconstruire le chemin suivi par Leibniz au long des multiples aspects de sa penseacutee jusqursquoagrave sa meacutetaphysique finale et en donner une vision drsquoensemble se reacutevegravele ecirctre une tacircche difficile Ortega y Gasset parlait du ldquogigantesque presque surhumain Leibnizrdquo1 Le Baroque lrsquoeacutepoque ougrave veacutecut Leibniz est une peacuteriode tregraves complexe au cours de laquelle se deacuteveloppent des notions tregraves subtiles La penseacutee plurielle de Leibniz est aussi drsquoune extrecircme subtiliteacute Son eacutenorme varieacuteteacute drsquointeacuterecircts srsquoouvre sur plusieurs fronts ou lignes drsquoargumentation caracteacuteriseacutes par lrsquoampleur et la densiteacute de ses analyses Une penseacutee dont certains eacuteleacutements demeurent constants tout au long de sa carriegravere philosophique tandis que simultaneacutement beaucoup de ses doctrines changent et eacutevoluent dans une constante mise en question de ses theacuteories

Leibniz nrsquoa pas construit sa philosophie tout drsquoun bloc mais en adoptant provisoirement des doctrines qursquoil ne maintiendra pas par la suite Ses theacuteories tregraves eacutelaboreacutees sur le plan meacutetaphysique concernant le corps et la substance preacutesentent des coupures et des discontinuiteacutes et parfois des aspects opposeacutes en apparence du moins Il y a des eacuteleacutements irreacuteconciliables dans la penseacutee de Leibniz des theacuteories meacutetaphysiques incompatibles qui nrsquoarrivent jamais agrave un complet accord bien que les moments de clarteacute finissent par dissiper la confusion Donc la vision rigide classique drsquoun Leibniz qui se deacuteploie dans une continuiteacute monolithique depuis ses premiers eacutecrits jusqursquoagrave la Monadologie nrsquoest plus acceptable aujourdrsquohui

Agrave lrsquoeacutepoque moderne les lettres sont une forme semi-publique de communication Leibniz homme de dialogue eacuteprouve le deacutesir de partager et de transmettre ses ideacutees de les soumettre au jugement des autres Il a essayeacute de formuler une philosophie reacuteformeacutee en communiquant ses theacuteories agrave travers des lettres Crsquoest un infatigable

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correspondant avec un vaste reacuteseau de relations eacutepistolaires La correspondance de Leibniz avec le theacuteologien jeacutesuite Des Bosses essentiellement drsquoordre priveacute et drsquoune grande richesse speacuteculative commence en 1706 et se prolonge pendant dix ans jusqursquoagrave 1716 lrsquoanneacutee de la mort du philosophe avec un total de 138 lettres Cet eacutechange eacutepistolaire est parmi les plus longs et les plus importants de tout le corpus leibnizien et crsquoest aussi le plus complet pour lrsquoeacutetude des options ontologiques de Leibniz permettant drsquoappreacutecier pleinement sa philosophie Ces lettres sont caracteacuteristiques de sa penseacutee de la maturiteacute Drsquoune importance cruciale elles offrent une vision agrave la fois de sa meacutetaphysique finale et de la vie intellectuelle au deacutebut du XVIIIe siegravecle Elles mettent eacutegalement en lumiegravere la question controverseacutee de savoir si Leibniz a deacutefendu lrsquoexistence de creacuteatures vivantes corporelles ou si finalement il les a rejeteacutees en faveur drsquoune forme drsquoideacutealisme qui nie la reacutealiteacute ultime de toute chose agrave lrsquoexception des monades et ougrave on proclame un pheacutenomeacutenisme des corps eacutetendus2

Bien que la correspondance avec Des Bosses srsquoeacutetende tout au long des derniegraveres anneacutees de la vie de Leibniz on nrsquoy trouve pas cependant drsquoexposeacute deacutefinitif de sa meacutetaphysique ce qui est aussi le cas de la Monadologie lrsquoun de ses textes les plus aboutis et systeacutematiques eacutecrit deux ans avant sa mort et des Principes de la Nature et de la Gracircce lrsquoautre abreacutegeacute final de sa philosophie Il est vrai que Leibniz ne srsquoest jamais efforceacute drsquoeacutetablir un systegraveme deacutefinitif ce qui aurait signifieacute lrsquoacceptation drsquoun dogmatisme que lui-mecircme rejetait Par ailleurs la grande souplesse de sa philosophie permet des rapprochements divers entre des sujets et des auteurs diffeacuterents Cependant son souci drsquoune constante reacutevision de ses theacuteories exprime le principe systeacutematique selon lequel il nrsquoy a rien drsquoirrationnel rien drsquoaleacuteatoire dans un univers ougrave tout est entiegraverement deacutetermineacute Cela permet eacutegalement drsquoaffirmer que Leibniz est lrsquoun des grands creacuteateurs de systegravemes de lrsquohistoire de la philosophie

La correspondance mentionneacutee avec Des Bosses offre lrsquoun des exposeacutes les plus longs et les plus deacutetailleacutes sur la nature de la substance Elle examine la question de la substance corporelle et de la 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 2 Un principe fondamental de lrsquoideacutealisme de Leibniz ldquoNihil in rebus esse nisi substantias simplices et in his perceptionem atque appetitumhelliprdquo Agrave de Volder 30 juin 1704 GP II 270 Cf ldquoLa reacutealiteacute absolue nrsquoest que dans les monades et leurs perceptionsrdquo Lettre agrave Reacutemond 11 feacutevrier 1715 GP III 636 ldquoNihil aliud enim realitas quam cogitabilitasrdquo De iis quae per se concipiuntur A VI 4 26

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monade en tant que posseacutedant un corps organique3 Mais Leibniz nrsquoa pas reacuteussi agrave apporter une explication approprieacutee de lrsquoindividualiteacute des corps de lrsquounum per se lrsquointeacutegration de la forme et de la matiegravere dans la substance Il nrsquoest pas arriveacute agrave eacutenoncer un argument deacutecisif en faveur de lrsquoinclusion dans le concept de substance de la ldquosubstance corporellerdquo Il nrsquoa pas su expliquer avec certitude lrsquoexistence de cette substance corporelle agrave lrsquointeacuterieur du systegraveme de monades

Il est vrai que lorsque Leibniz parle de ldquosubstance corporellerdquo il nrsquoutilise pas le terme substance dans son sens traditionnel strict ayant rompu avec la notion de substance carteacutesienne Dans son opposition au concept carteacutesien de la matiegravere il deacuteveloppe une theacuteorie originale et radicale de la substance dont les caracteacuteristiques deacutefinitoires comprennent un principe intrinsegraveque de force ou drsquoaction et la possession drsquoun concept complet4 Cette theacuteorie leibnizienne ne coiumlncide pas non plus avec la conception aristoteacutelicienne de la substance malgreacute le fond aristoteacutelicien de la substance corporelle composeacutee drsquoun corps mateacuteriel organique et drsquoune acircme immateacuterielle ou forme substantielle ce qui est conforme au modegravele aristoteacutelicien des substances comme des uniteacutes de forme et matiegravere

Malgreacute lrsquoacceptation du meacutecanisme qui considegravere la nature comme un systegraveme de parties meacutecaniques mises en relation lrsquoheacuteritage aristoteacutelicien de Leibniz continue agrave exercer une influence consideacuterable sur sa meacutetaphysique Il cherche une voie moyenne entre les scolastiques et la philosophie meacutecaniste une nouvelle conception de cette philosophie meacutecaniste fondeacutee sur les formes substantielles des scolastiques tellement discreacutediteacutees agrave lrsquoeacutepoque En effet en 1678-79 il a deacutecideacute de reacutehabiliter lrsquoideacutee aristoteacutelico-scolastique de la ldquoforme substantiellerdquo qursquoil integravegre agrave sa philosophie agrave une peacuteriode de reacuteaction contre lrsquoaristoteacutelisme scolastique qui caracteacuterise la philosophie de la premiegravere moderniteacute Lrsquoobjectif vise agrave apporter au monde naturel un fondement meacutetaphysique Tout est explicable meacutecaniquement mais la philosophie meacutecaniste elle-mecircme doit srsquoappuyer sur quelque chose qui se situe au-delagrave du meacutecanisme La forme substantielle remeacutedie agrave

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lrsquoinadeacutequation drsquoun monde purement meacutecaniste en reacuteconciliant lrsquoexplication aristoteacutelicienne de la substance avec le meacutecanisme radical de Hobbes En meacutecanisant lrsquoactiviteacute mentale Leibniz cherche agrave sauver ce qui eacutetait nieacute par Hobbes

Leibniz introduit la doctrine des formes substantielles pour reacutesoudre le problegraveme de lrsquouniteacute des ecirctres corporels Mais son attitude face agrave la tradition scolastique est ambivalente car bien qursquoil reprenne la theacuteorie hyleacutemorphique drsquoAristote lorsqursquoil reacutehabilite la forme pour expliquer lrsquouniteacute des corps dans sa philosophie de la maturiteacute il finit par eacuteliminer la matiegravere nrsquoayant pas drsquoexistence en soi ce qui le conduit agrave supprimer lrsquoopposition classique entre forme et matiegravere5 Autrement dit Leibniz suit Aristote mais modifie la theacuteorie classique drsquoune forme substantielle aristoteacutelicienne comme contrepartie agrave la matiegravere premiegravere au profit drsquoune enteacuteleacutechie qui complegravete la matiegravere

Leibniz cherche une nouvelle theacuteorie de la substance un cadre conceptuel qui apporte de bases nouvelles agrave lrsquoancienne theacuteorie aristoteacutelicienne Il a proposeacute une alternative agrave lrsquoanalyse carteacutesienne du corps qursquoil a voulu reacutefuter agrave cause de sa vision trop limiteacutee qui nrsquoexplique pas convenablement les proprieacuteteacutes dynamiques des corps Leibniz pense que lrsquoeacutetendue ne permet pas drsquoexpliquer lrsquouniteacute et la coheacutesion du corps Au-delagrave de lrsquoeacutetendue il y a dans les corps des principes de mouvement ou principes drsquoaction qui fondent leurs proprieacuteteacutes dynamiques Il introduit ainsi sa propre explication agrave savoir une conception logico-dynamique de la substance tregraves diffeacuterente des points de vue de la meacutetaphysique carteacutesienne ce qui repreacutesente une alternative au carteacutesianisme Au meacutecanisme Leibniz ajoute le dynamisme les forces dans les corps qui gouvernent leurs

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mouvements Il associe ces principes agrave lrsquoacircme et il les appelle ldquoformesrdquo ldquoenteacuteleacutechiesrdquo ou principes incorporels du mouvement et de lrsquouniteacute6

Lrsquoautre contribution eacutepistolaire majeure de Leibniz agrave la question de la theacuteorie de la substance ce sont les lettres agrave Arnauld une eacutetape importante dans le deacuteveloppement de la philosophie leibnizienne qui marque la pleine consolidation de sa penseacutee7 Cette correspondance annonce le Systegraveme Nouveau de 1695 la premiegravere publication du systegraveme meacutetaphysique de Leibniz ougrave il se preacutesentera publiquement comme philosophe Cela explique le fait que crsquoest lrsquoun des textes auxquels il a consacreacute plus des soins et drsquoattention Il repreacutesente une nouvelle forme de compreacutehension de la reacutealiteacute naturelle

Lrsquoeacutechange eacutepistolaire avec Arnauld a contribueacute de maniegravere deacutecisive agrave clarifier la notion leibnizienne de substance individuelle comme notion complegravete un aspect central dans le leibnizianisme Agrave la fin de la derniegravere lettre du 23 mars 1690 toute la penseacutee de Leibniz est reacutesumeacutee dans cette affirmation lrsquoentier univers est compris dans chaque substance La correspondance srsquoeacutetend de 1686 agrave 1690 crsquoest-agrave-dire pendant les anneacutees ougrave est questionneacute le statut des substances corporelles devient probleacutematique Lrsquoeacutechange eacutepistolaire commence agrave partir du Discours de Meacutetaphysique de 1686 dont Leibniz souhaite soumettre les thegraveses agrave lrsquoapprobation du grand theacuteologien de Port-Royal Cet eacutecrit essentiel sert de point de deacutepart agrave sa conception de la reacutealiteacute du corps de la substance corporelle un sujet deacutejagrave travailleacute anteacuterieurement mais maintenant clairement deacutefini Selon lui les corps sont faits de substances corporelles qui sont des constructions complexes subdiviseacutees en drsquoautres substances corporelles agrave savoir des organismes dans des organismes ad infinitum crsquoest-agrave-dire composeacutes drsquoun nombre infini de parties8

Il faut mentionner aussi une troisiegraveme correspondance avec le carteacutesien De Volder une lecture ideacutealiste cette fois ougrave les monades ne 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 6 Lettre agrave Arnauld 9 octobre 1687 A II 2 251 Cf ldquoAristote les appelle enteacuteleacutechies premiegraveres je les appelle peut-ecirctre plus intelligiblement forces primitives qui ne contiennent pas seulement lrsquoacte ou le compleacutement de la possibiliteacute mais encor une activiteacute originalerdquo Systegraveme nouveau GP IV 479 7 A II 2 3 ss 8 ldquohellipIl y a un Monde de Creacuteatures de vivants drsquoAnimaux drsquoEnteacuteleacutechies drsquoAmes dans la moindre partie de la matiegraverehellipChaque portion de la matiegravere peut ecirctre conccedilue comme un jardin plein de plantes et comme un eacutetang plein de poissons Mais chaque rameau de la plante chaque membre de lrsquoAnimal chaque goutte de ses humeurs est encor un tel jardin ou un tel eacutetangrdquo Monadologie sect 66-67 GP VI 618 Cf Mercer 2004 p 208

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sont plus les substances corporelles mais plutocirct le fondement qui est agrave lrsquoorigine de la substance corporelle La correspondance qui srsquoeacutetend de 1699 agrave 1706 nrsquoest pas eacutecrite avec lrsquointention drsquoecirctre publieacutee (il y a une frontiegravere chez Leibniz entre les eacutecrits destineacutes au public et les papiers priveacutes) Ces lettres montrent ouvertement les propres positions de Leibniz et elles sont lrsquoexpression manifeste de sa meacutetaphysique de la maturiteacute Le problegraveme central tourne autour de lrsquoextension du terme substance avec la theacuteorie des monades comme eacutetant la doctrine preacutefeacutereacutee et avec un rejet de la reacutealiteacute de la substance corporelle Strictement parlant il nrsquoy a dans lrsquounivers que des substances simples ou monades et en elles de la perception et de lrsquoappeacutetit Il nrsquoy a aucun sujet drsquoactiviteacute qui soit reacuteel hors des monades Mais pour une compreacutehension de la reacutealiteacute on a besoin de quelque chose de plus que les monades semblables aux acircmes et leurs perceptions harmoniques

Il est important de se demander quelle est pour Leibniz lrsquoextension du terme ldquosubstancerdquo La cateacutegorie des substances consiste-t-elle seulement en des corps animeacutes ou substances corporelles ou bien exclusivement en acircmes ou substances similaires aux acircmes ou mecircme srsquoapplique-t-elle indistinctement agrave lrsquoune et lrsquoautre possibiliteacute Autrement dit le terme substance peut-il indiquer un corps animeacute dont la puissance active est un principe appeacutetitif et dont la force passive est la base de sa corporeacuteiteacute ou bien au contraire deacutesigne-t-il une acircme ou entiteacute similaire agrave une acircme dont le pouvoir actif est aussi un principe appeacutetitif mais dont la force passive est reacuteduite agrave une perception confuse Il est extraordinairement difficile de tenter de reacutepondre agrave ces questions et il est probable que Leibniz lui-mecircme nrsquoait pas reacuteussi agrave reacutesoudre le problegraveme malgreacute son habiliteacute agrave donner une reacuteponse aux problegravemes philosophiques les plus complexes Lui aussi srsquoest vu confronteacute au dilemme eacuteternel de la continuiteacute entre la nature et lrsquoesprit

Agrave partir de 1698 le terme ldquomonaderdquo issu drsquoune longue tradition dans lrsquohistoire de la philosophie commence agrave apparaicirctre dans les eacutecrits de Leibniz Ce concept de monade drsquoorigine pythagoricienne constitue une innovation importante pour deacutepasser le dualisme carteacutesien Lrsquoideacutee drsquoune substance simple eacuteventuellement appeleacutee ldquomonaderdquo srsquoimpose jusqursquoagrave rompre avec les eacutecrits preacuteceacutedents ougrave Leibniz avait deacutefendu lrsquoideacutee drsquoune substance corporelle composeacutee drsquoune forme substantielle unie agrave un corps constitueacute drsquoun agreacutegat de substances corporelles chacune eacutetant agrave son tour composeacutee drsquoune

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forme substantielle jointe agrave un agreacutegat drsquoautres substances corporelles et ainsi agrave lrsquoinfini Quant agrave la monade elle est similaire agrave un atome spirituel doteacute de perception et drsquoappeacutetit avec la tendance de passer drsquoune perception agrave lrsquoautre9

La transition vers les substances simples ougrave Leibniz est parvenu agrave travers ses reacuteflexions sur la composition de la substance corporelle est localiseacutee entre 1695 et 1701 Les derniers eacutecrits se deacuteplacent le long drsquoune trajectoire en constante eacutevolution graduelle et continue mais pas uniforme qui part drsquoune meacutetaphysique qui comprend des substances corporelles composeacutees jusqursquoagrave arriver agrave la meacutetaphysique monadologique Cette ligne de penseacutee conduit Leibniz agrave la theacuteorie qursquoil a finalement deacuteveloppeacutee les seules substances sont des entiteacutes similaires aux acircmes les monades qui sont des ecirctres incorporels indivisibles simples et actifs Lrsquoargument selon lequel il nrsquoy a que des monades finit par eacuteliminer les substances corporelles Il y a des formes incorporelles dans les corps et la reacutealiteacute consiste uniquement dans des monades

Une analyse de ses derniers eacutecrits place le fondement dans quelque chose qui se trouve au-delagrave du monde visible la nature immateacuterielle de la substance mentale La derniegravere philosophie de Leibniz nrsquoest pas un dualisme meacutetaphysique de substances mentales et corporelles dont lrsquoaccord est assureacute par lrsquoharmonie preacuteeacutetablie La matiegravere et les corps sont le pheacutenomegravene reacutesultant drsquoune activiteacute incessante des veacuteritables uniteacutes meacutetaphysiques Il nrsquoy a que des monades et leurs repreacutesentations internes On se trouve face agrave lrsquoontologie finale de Leibniz la theacuteorie meacutetaphysique des derniegraveres anneacutees ou meacutetaphysique monadologique une intense eacutelaboration theacuteorique concentreacutee sur la doctrine des monades comme les derniers eacuteleacutements des choses10

Lrsquoordre drsquoexplication ontologique a son origine dans la reacutealiteacute des monades lrsquoauthentique reacutealiteacute des ecirctres immateacuteriels des ecirctres simples capables de percevoir ce qui entraicircne un rejet de la substantialiteacute du corps Drsquoapregraves la theacuteorie monadologique ideacutealiste tous les corps y compris les substances corporelles sont des pheacutenomegravenes qui reccediloivent leur reacutealiteacute ontologique des monades leur fondement meacutetaphysique Le corps composeacute est reacuteel lorsqursquoil est fondeacute 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 9 Monadologie sect 14 GP VI pp 608-609 10 Lodge 2015 pp 110-112

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sur des substances simples Les monades sont les seules substances proprement reacuteelles tandis que les corps sont des simples pheacutenomegravenes Le corporel se reacuteduit au monadique qui fonde la reacutealiteacute du monde

Lrsquoontologie des substances simples convient le mieux aux preacutemisses philosophiques et theacuteologiques leibniziennes Il y a des raisons speacutecifiques qui megravenent Leibniz vers la monadologie qursquoil appelle ldquomon systegravemerdquo et qui vont permettre une meilleure compreacutehension philosophique de la reacutealiteacute abandonnant ainsi la notion de substance corporelle Il nrsquoy a que des monades et leurs agreacutegats qui sont des pheacutenomegravenes deacutependants des perceptions monadiques11 La substance simple est la seule veacuteritable substance En deacutefinitive Leibniz entendu en un sens ideacutealiste nrsquoadmet que les monades dans la cateacutegorie de substance

Mais dans quelle mesure peut-on dire que Leibniz est un ideacutealiste crsquoest-agrave-dire quelqursquoun qui affirme que toutes les choses sont en derniegravere analyse des esprits immateacuteriels Bien que lrsquoideacutealisme allemand commence avec lui apregraves avoir inaugureacute la philosophie moderne du sujet en prenant comme point central non le monde mais lrsquohomme Leibniz nrsquoest pas un pur ideacutealiste puisqursquoil ne cesse pas drsquointeacutegrer des donneacutees de lrsquoexpeacuterience sensible dans sa penseacutee Il nrsquoest plus possible drsquoaccepter la vision traditionnelle drsquoun Leibniz ideacutealiste orthodoxe puisqursquoil y a chez lui des entiteacutes qui ne srsquoadaptent pas agrave une ontologie ideacutealiste (par exemple les substances corporelles les machines naturelles et les organismes) La question du rocircle et de la signification de tels concepts dans la meacutetaphysique leibnizienne reste drsquoailleurs tregraves controverseacutee

Des changements se produisent dans la position de Leibniz relative agrave lrsquoontologie de la substance La question qui se pose alors est la suivante la derniegravere meacutetaphysique exclut-elle effectivement les ecirctres corporels de la cateacutegorie de substance Comment expliquer lrsquoexistence de la substance composeacutee si les derniers constituants de la reacutealiteacute sont reacuteduits aux monades Une tension se creacutee alors entre lrsquoideacutee des substances simples et celle des substances corporelles

Par ailleurs il est eacutegalement difficile de soutenir que la penseacutee de Leibniz eacutevolue du reacutealisme agrave lrsquoideacutealisme srsquoagissant de deux theacuteories 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 11 ldquoCes Estres [drsquoagreacutegation] nrsquoont leur uniteacute que dans nostre espritrdquo Lettre agrave Arnauld 30 avril 1687 A II 2 186

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en principe incompatibles La doctrine de la substance corporelle qui caracteacuterise les anneacutees allant de la fin des anneacutees 70 agrave la fin des anneacutees 90 est essentiellement diffeacuterente de la theacuteorie monadologique de la substance du Leibniz des textes philosophiques posteacuterieurs la conception meacutetaphysique ideacutealiste eacutetant geacuteneacuteralement rapporteacutee agrave la Monadologie12 Ce texte composeacute agrave Vienne pendant lrsquoeacuteteacute 1714 est lrsquoeacutecrit le plus ceacutelegravebre de Leibniz et crsquoest une reacutefeacuterence essentielle pour la connaissance de sa penseacutee meacutetaphysique Il donne un accegraves privileacutegieacute agrave sa meacutetaphysique de la maturiteacute agrave travers un reacutesumeacute magistral de 90 courtes sections un bref exposeacute mais en mecircme temps encyclopeacutedique de son systegraveme qui se trouve disperseacute dans drsquoautres travaux Mais nous savons bien que chez Leibniz les lignes indeacutependantes de penseacutee en se confrontant mutuellement contribuent au deacuteveloppement de sa meacutetaphysique

On peut trouver des textes ougrave Leibniz deacutefend le reacutealisme ainsi que drsquoautres ougrave il se reacutevegravele ecirctre un philosophe ideacutealiste (au sens eacutenonceacute plus haut) Toutefois il nrsquoa pas reacuteussi agrave apporter une solution totalement satisfaisante qui permette de comprendre la relation entre les corps soumis agrave lrsquoexpeacuterience et les monades qui sont leur fondement meacutetaphysique Lrsquoambivalence de Leibniz sur ce point srsquoeacutetend tout au long de sa trajectoire philosophique Crsquoest un problegraveme non reacutesolu qui lrsquooccupa jusqursquoagrave la fin de sa vie puisque chez lui la tension entre lrsquoideacuteal et le reacuteel ne disparaicirct jamais Mecircme dans la peacuteriode monadologique agrave partir du Systegraveme Nouveau on remarque les vestiges de la theacuteorie de la substance corporelle13

En reacutesumeacute la question est de savoir si la vision de Leibniz sur la meacutetaphysique du corps a subi un changement important dans les vingt derniegraveres anneacutees de sa vie jusqursquoagrave sa mort en 1716 Il srsquoagit lagrave drsquoune conception meacutetaphysique qui semble incompatible avec les conclusions monadologiques tardives Pourtant on essaie de reacuteconcilier la reacutealiteacute de la substance corporelle avec la theacuteorie des monades Une reacuteconciliation qui nrsquoest possible que si lrsquoon permet une ldquounion reacuteellerdquo de lrsquoacircme ou monade dominante avec les monades

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subordonneacutees de son corps En deacutefinitive expliquer le corps en termes de subordination monadique rend lrsquoacircme et le corps inseacuteparablement unis

On pourrait aussi dire que la theacuteorie premiegravere drsquoune substance corporelle se replie au cours des derniegraveres anneacutees mais sans disparaicirctre entiegraverement Loin drsquoecirctre deux ontologies incompatibles dans la philosophie de maturiteacute de Leibniz ce qursquoon trouve crsquoest une connexion sans faille entre ce qui est monadique et ce qui est organique deux axes drsquoanalyse de base chez Leibniz un point de vue unique qui comprendrait lrsquoordre des corps et celui des substrats monadiques un systegraveme qui rendrait compte de tous les niveaux de la reacutealiteacute14 Selon cette conception dans le cadre drsquoune lecture de la meacutetaphysique de Leibniz il ne faut pas exclure la substance corporelle Bien au contraire la theacuteorie des monades pourrait srsquoaccommoder du reacutealisme de la doctrine peacuteripateacuteticienne de la substance corporelle En reacutesumeacute le sujet de discussion consiste agrave savoir si Leibniz a eacuteteacute un meacutetaphysicien reacutealiste un ideacutealiste ou bien srsquoil a essayeacute de reacuteconcilier les deux tendances dans sa philosophie de la maturiteacute en syntheacutetisant et en conciliant lrsquoideacutealisme et le mateacuterialisme dans une sorte de systegraveme meacutetaphysique preacutekantien

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Fichant M Le degreacute de reacutealiteacute des corps dans la derniegravere philosophie de Leibniz in VIII Congregraves International Leibniz Nachtragsband 2000

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Ortega y Gasset J Sobre la razoacuten histoacuterica Madrid Alianza Editorial 1996 4egraveme eacuted

Pelletier A Au-delagrave du reacutealisme et de lrsquoideacutealisme Leibniz et les aspects de la reacutealiteacute in Leibniz and the Aspects of Reality eacuted A Pelletier Studia Leibnitiana Sonderhefte Bd 45 Steiner Stuttgart 2016

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ENRICO PASINI

DOUBLE CHARNIEgraveRE PHILOSOPHIE NATURELLE MEacuteTAPHYSIQUE ET PERCEPTION DANS LES PNG1

1 Dance the Malebranche-Limbo with me

Dans le limbo les danseurs se penchent en arriegravere pour passer sous un bacircton sans toucher le sol avec les mains ni toucher le bacircton On est debout donc au commencement puis le mouvement va de haut en bas suivi drsquoune section presque horizontale et finalement on se relegraveve Quelque chose de semblable se passe aussi dans drsquoimportantes œuvres philosophiques du XVIIe un siegravecle ougrave les textes comme les compositions musicales srsquoorientent vers des formes structureacutees comme par exemple les quatre mouvements de lrsquoArt de penser de lrsquoEssai sur lrsquoentendement du Neues Organon Il y a aussi le mouvement descendant et ascendant (de Dieu agrave la creacuteation puis horizontalement aux creacuteatures et remontant ensuite aux acircmes aux esprits et au regravegne de la gracircce) qui caracteacuterise eacutegalement le Traiteacute de la nature et de la gracircce de Malebranche que Leibniz lit en 1685 dans lrsquoeacutedition de Rotterdam et le Discours de meacutetaphysique de ce dernier2 Dans une certaine mesure les Principes de la nature et de la gracircce3 dont le titre agrave lui seul rappelle deacutejagrave Malebranche semblent encore ecirctre animeacutes du mecircme mouvement lrsquoimitation leibnizienne du Malebranche-Limbo Mais il sera inteacuteressant ici de mettre en eacutevidence au contraire lrsquoaspect principal par lequel il srsquoen distingue

Au cours de la geacuteneacutealogie ou de lrsquohistoire de la naissance de la Monadologie le dernier eacutecrit qui preacutesente ce mouvement

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parfaitement triadique drsquoascension et de descente est en veacuteriteacute lrsquoEclaircissement sur les monades commenceacute pour lrsquoenvoyer agrave Reacutemond mais resteacute agrave lrsquoeacutetat drsquoeacutebauche4 Les PNG bien qursquoils preacutesentent encore une ressemblance eacutevidente avec leur ancecirctre commencent par la substance finie et sont qui plus est diviseacutes en leur milieu par une fracture Celle-ci seacutepare deux parties qui diffegraverent par leur contenu de faccedilon significative et non deacutepourvue de conseacutequences

Jusqursquoici nous nrsquoavons parleacute qursquoen simples physiciens maintenant il faut srsquoeacutelever agrave la meacutetaphysique en nous servant du grand principe peu employeacute communeacutement qui porte que rien ne se fait sans raison suffisante crsquoest-agrave-dire que rien nrsquoarrive sans qursquoil soit possible agrave celui qui connaicirctrait assez les choses de rendre une raison qui suffise pour deacuteterminer pourquoi il en est ainsi et non pas autrement5 Ce principe eacutenonceacute on sait que la premiegravere question qursquoon a droit de poser sera selon Leibniz ldquopourquoi y a-t-il plutocirct quelque chose que rien Et pour quelle raison les choses doivent exister ainsi et non autrement rdquo6 Cela non seulement comme le voulait Descartes parce que la lumiegravere naturelle nous dit qursquoon le peut demander mais pour la raison bien plus ldquomeacutetaphysiquerdquo comme le dit Leibniz que ldquole rien est plus simple et plus facile que quelque choserdquo7 Donc la meacutetaphysique commence en srsquooccupant des raisons ultimes des choses

2 Limbo gateways

Pour la premiegravere fois dans les Principes apparemment Leibniz ne danse donc plus le Malebranche-Limbo agrave lrsquoorigine - dans la premiegravere reacutedaction qui nrsquoeacutetait pas numeacuteroteacutee - il y avait mecircme seulement la bi-partition en physique et meacutetaphysique En mecircme temps un

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problegraveme toujours preacutesent de charniegraveres ou de jonctions se pose de faccedilon nouvelle8

Consideacuterons ce dont il srsquoagissait dans la partie ldquophysiquerdquo des PNG Il y eacutetait deacutejagrave principalement question de la substance et de son rocircle dans la constitution du monde tant physique que spirituel Au sect1 on apprend que pour simple ou composeacutee qursquoelle soit la substance est une monade ou uniteacute un ecirctre capable drsquoaction une vie toute la nature est donc pleine de vie Au sect2 on lit que les monades nrsquoont point de parties et que perceptions et appeacutetitions les distinguent drsquoougrave la copreacutesence de simpliciteacute et multipliciteacute Au sect3 que tout est plein et lieacute dans la nature il y a des substances simples partout qui sont le centre drsquoune substance composeacutee et le principe de son uniciteacute elles sont entoureacutees drsquoune masse composeacutee par une infiniteacute drsquoautres monades qui en forment par une harmonie parfaite et preacuteeacutetablie le corps organique ldquomachine de la naturerdquo Puis au sect4 la substance vivante avec ses organes la monade dominante les animaux et les esprits la diffeacuterence entre perception et aperception lrsquoimmortaliteacute et aux sectsect5-6 quelques deacutetails de cette doctrine de la substance vivante9

Une telle physique cosmologie avant la lettre avait eacuteteacute diffeacuteremment eacutevoqueacutee auparavant dans les eacutecrits de Leibniz Par exemple dans ses essais sur la res bibliothecaria on trouve les ldquoPhysicae generalis praecepta seu Somatologiardquo10 crsquoest-agrave-dire la doctrine des corps (somata) Elle entretient une relation eacutetroite avec la meacutedecine au moins en tant que physique speacuteciale ldquoΦysica (physica specialis jungatur medicis)rdquo 11 et les expressions ldquophysico-medicardquo ldquophysico-mathematico-medicardquo ldquophysiologia medicardquo se preacutesentent souvent On se rappellera du reste les miscellaneacutes medico-physica de lrsquoAcademia naturae curiosorum Il y a encore

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mention bien sucircr de la ldquoPhysica Generalisrdquo ou des ldquoGeneralia physicardquo

Mais degraves la seconde moitieacute des anneacutees 1690 agrave peu pregraves agrave lrsquoeacutepoque des eacutecrits sur la correction de la notion de substance et sur le nouveau systegraveme de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie la discipline se duplique Dans le De systemate scientiarum composeacute apregraves 1695 on lit ldquoSystema scientiae seu corpus philosophiae Theoreticae agit vel de veritate in universum et est Logica seu Rationalis vel de rebus et est Physiologia seu Naturalis sensu latiorerdquo De rebus qursquoeacutetait-ce donc que ces res Il srsquoagissait premiegraverement des pheacutenomegravenes en tant que doteacutes drsquoune reacutealiteacute substantielle au moins drsquoemprunt voire des substantiata ce qui marque lrsquointroduction drsquoun thegraveme qui va prendre beaucoup drsquoimportance dans la deacutecennie suivante puis des vraies substances comme Dieu les esprits le Moi

Res sunt phaenomena (nempe realia) seu Substantiata et Substantiae ipsae Phaenomena realia bene scilicet ordinata (somniis aut aliis deceptionibus opposita) vel sunt Emphatica ut arcus coelestis aliaque quae per sensus exhibentur ipsaeque massae corporeae Substantiae vero sunt Deus Spiritus ego12 La distinction entre physique geacuteneacuterale et physique ldquopartiellerdquo ou particuliegravere va elle aussi changer et on assiste ainsi agrave lrsquoapparition du nom de ldquocosmologierdquo ldquoEst autem physica partialis et totalis partialis est abstractiva generalis de qualitatibus et concretiva de objectis nempe de similaribus de ruderibus et de organicis Totalis est Cosmologiardquo Lrsquoobjet de cette science physique et sa deacutemarcation par rapport agrave celui de la meacutetaphysique sont preacutesenteacutes par Leibniz dans le nouveau cadre de sa meacutetaphysique

De Substantiis ipsis agit Metaphysica ubi de principiis rerum de Monadibus Animabus Spiritibus de Deo qui est ultima ratio rerum Complectitur ergo et Theologiam Huc ergo et Theologia naturalis combinanda revelata13 La connexion entre philosophie et theacuteologie naturelle va se deacutevelopper jusqursquoagrave se transformer en programme agrave lrsquooccasion drsquoune confeacuterence donneacutee agrave Vienne en 1714 dont le texte a susciteacute beaucoup drsquointeacuterecirct apregraves sa publication par Patrick Riley

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Theologia naturalis est quae ex seminibus veritatis menti a Deo autore inditis enascitur ad caeterarum scientiarum instar Revelata est quae ab antiquis hausta quibus Deus se manifestaverat familiarius et traditione propagata est [hellip] Itaque [hellip] dicendum est Barbaris quidem Veritates maximas circa divina deberi Graecis autem Philosophiam quandam sacram qua rerum divinarum et Spiritualium natura non explicatur tantum expressius sed etiam praeclaris rationibus demonstratur14

De ce point de vue toute physique deacutepend drsquoun savoir agrave la fois plus geacuteneacuteral et supeacuterieur Pour Descartes le matheacutematicien atheacutee nrsquoaura jamais une vraie et certaine science slsquoil ne reconnaicirct un Dieu au moins pour ecirctre certain de nrsquoecirctre pas trompeacute mecircme dans les passages les plus eacutevidents de ses deacutemonstrations Leibniz on le sait estime que le vrai problegraveme consiste dans lrsquoignorance du fondement sur lequel repose la connaissance et il lrsquoeacutecrit quelques anneacutees plus tard

Il est vray qursquoun Atheacutee peut ecirctre Geometre Mais srsquoil nrsquoy avoit point de Dieu il nrsquoy auroit point drsquoobjet de la Geometrie Et sans Dieu non seulement il nrsquoy auroit rien drsquoexistant mais il nrsquoy auroit rien Cela nrsquoempecircche pas pourtant que ceux qui ne voyent pas la liaison de toutes choses entre elles et avec Dieu ne puissent entendre certaines sciences sans en connoitre la premiere source qui est en Dieu15 3 Nature et monades

Ce nrsquoest pas que Vienne lui ait fait oublier la physique commune Agrave lrsquoeacutepoque mecircme de la confeacuterence que nous avons citeacutee ci-dessus crsquoest-agrave-dire drsquoailleurs peu avant la composition des PNG Leibniz avait eu lrsquooccasion de deacutefinir de maniegravere officielle la physique en relation avec la fondation possible drsquoune acadeacutemie des sciences agrave Vienne Lrsquoobjet de cette Socieacuteteacute allait revenir agrave trois classes la ldquoLitteacuterairerdquo la ldquoMatheacutematiquerdquo et la ldquoPhysiquerdquo ldquoLa Classe physique comprend les trois regnes de la Nature le Mineral le Vegetable et lrsquoAnimal avec les sciences et arts qui srsquoy rapportent comme la

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chymie botanique anatomie en faveur de lrsquooeconomie et de la Medecine et sur tout pour la derniererdquo16

Dans les eacutecrit de Leibniz agrave partir des anneacutees 1690 on trouve comme on lrsquoa dit de nombreuses mentions de la ldquophysiquerdquo prise en ce sens - ce qursquoil appelle mecircme la ldquovraierdquo physique crsquoest-agrave-dire comme une nouvelle forme de la philosophie naturelle dont preacuteciseacutement Leibniz srsquoest occupeacute lui-mecircme la physique matheacutematique agrave laquelle srsquoexercent Malebranche Mariotte Rohault Huygens Newton etc En ce sens ldquovera physica res novitia estrdquo17 Dans une lettre eacutecrite agrave Arnauld apregraves le voyage drsquoItalie Leibniz exprime cette doctrine en la preacutesentant comme une partie de ses nouvelles eacutelaborations philosophiques On se trouve ici agrave la croiseacutee des chemins pour cette nouvelle physique il y a certains principes qui caracteacuteriseront agrave jamais dans la penseacutee de Leibniz le domaine intermeacutediaire entre corps naturels et substances meacutetaphysiques

A lrsquoeacutegard de la Physique il faut entendre la nature de la force toute diffeacuterente du mouvement qui est quelque chose de plus relatif Qursquoil faut mesurer cette force par la quantiteacute de lrsquoeacuteffect Qursquoil y a une force absolue une force directive et une force respective Que chacune de ces forces se conserve dans le mecircme degreacute dans lrsquounivers ou dans chaque machine non communiquante avec les autres et que les deux dernieres forces prises ensemble composent la premiere ou lrsquoabsolue18 Dans les PNG cette incarnation de la science physique fait son apparition au sect11 drsquoune faccedilon extraordinaire pour ainsi dire crsquoest-agrave-dire au milieu de la partie meacutetaphysique Il est ici question de nouveau de la dynamique et des principes de conservation dans une formulation techniquement plus preacutecise La sagesse suprecircme de Dieu lui a fait choisir surtout les lois du mouvement les mieux ajusteacutees et les plus convenables aux raisons abstraites ou meacutetaphysiques Il srsquoy conserve la mecircme quantiteacute de la force totale et absolue ou de lrsquoaction la mecircme quantiteacute de la force respective ou de la reacuteaction la mecircme quantiteacute enfin de la force directive19 Ces sont lagrave les trois lois de conservation formuleacutees dans lrsquoEssay de dynamique sur les lois du mouvement qui date agrave peu pregraves de 1700

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Elles correspondent dans un ordre inverse agrave lrsquoeacutequation lineacuteaire de la conservation des vitesses dans le choc eacutelastique agrave la conservation du moment cyneacutetique ou ldquoinvariabiliteacute de la somme des quantiteacutes de mouvement orienteacutees dans un systegraveme mateacuteriel lorsqursquointerviennent des actions meacutecaniques entre les corps qui le composentrdquo 20 dont on peut deacuteriver lrsquoeacutequation de conservation de la force vivante Ils ont une signification immeacutediatement meacutetaphysique ldquoDe plus lrsquoaction est toujours eacutegale agrave la reacuteaction et lrsquoeffet entier est toujours eacutequivalent agrave sa cause pleinerdquo 21 Cette surcharge philosophique de la physique devient plus eacutevidente dans la version deacutefinitive des PNG ougrave lrsquoon assiste agrave un complet remplacement des mouvements par les actions

Le fait - eacutetabli par lui-mecircme - que dans la nature il y ait effectivement des forces permet agrave Leibniz drsquoopeacuterer un mouvement theacuteorique depuis la theacuteorie de la substance ougrave il y a une avanceacutee positive par laquelle se montre la vraie nature des substances vers la teacuteleacuteologie ougrave il y une sorte drsquoavanceacutee neacutegative les lois de la force ne pouvant pas ecirctre expliqueacutees sans poser une loi universelle dont la connaissance nous dirige vers le creacuteateur ldquoEt crsquoest une des plus efficaces et des plus sensibles preuves de lrsquoexistence de Dieu pour ceux qui peuvent approfondir ces chosesrdquo22

Chose curieuse il nrsquoest question de force dans la Monadologie que lorsqursquoil srsquoagit des lois de conservation et de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie crsquoest-agrave-dire de lrsquoensemble des conditions requises pour la coheacutesion du monde Il nrsquoy a cependant par de vraie opposition entre les PNG et la Monadologie mais plutocirct un deacuteveloppement un passage agrave lrsquointeacuterieur drsquoun seul et mecircme eacutedifice theacuteorique deacuteveloppeacute peu agrave peu pour reacutepondre agrave la crise - au deacuterangement - de lrsquoalliance de la physique et de la meacutetaphysique qui avait domineacute dans la phase des machines de la nature et du substantiatum une composition de

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theacuteorie aristoteacutelicienne de la substance de dynamique et de doctrine de lrsquoinfini qui est maintenant sur le point drsquoecirctre abandonneacutee

La theacuteorie de lrsquouniteacute est le nouveau vestibule du palais des doctrines leibniziennes Mieux en adaptant une meacutetaphore bien-aimeacutee par Leibniz elle seule nous permet de franchir la porte qui seacutepare lrsquoantichambre et la salle drsquoaudience ougrave sa philosophie va nous conduire dans ce temps ou dans ce monde avant drsquoentrer finalement dans le cabinet de la nature - lagrave ougrave nature physique et nature meacutetaphysique semble se superposer sans peine lrsquoune exprimant lrsquoautre

Non seulement donc le limbo nrsquoest plus lagrave mais la theacuteologie naturelle lie lrsquoune agrave lrsquoautre la physique et la meacutetaphysique qui plus est les monades sont incorporeacutees agrave la philosophie naturelle23 et se distribuent des deux cocircteacutes de la charniegravere Le problegraveme se pose alors de la distribution autour drsquoune autre charniegravere de la repreacutesentation ou de la perception voire la distribution de repreacutesentation et perception entre lrsquoindividu leibnizien comme entiteacute naturelle substance dans le monde et lrsquoindividu meacutetaphysique substance constituant du monde

4 Quand la monade a des organes

Dans les PNG la monade la solitaire socialite est toujours ldquoenvironneacutee drsquoune masse composeacutee par une infiniteacute drsquoautres monadesrdquo24 Si agrave partir de cette formule on se retourne vers les parties correspondantes du Discours de meacutetaphysique on nrsquoy repegravere que ldquoce grand mystere de lrsquounion de lrsquoame et du corps crsquoest agrave dire comment il arrive que les passions et les actions de lrsquoun sont

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accompagneacutees des actions et passionsrdquo et ici Leibniz se hacirctait drsquoajouter ldquoou bien des phenomenes convenables de lrsquoautrerdquo25

Lrsquoon sait bien que le corps dans le Discours nrsquoeacutetait qursquoun pheacutenomegravene Cette doctrine aussi commence agrave srsquoeacutecrouler dans la correspondance avec Arnauld dans un processus de transformation de certaines vues anteacuterieures de Leibniz qui va se compleacuteter au cours des anneacutees 169026 dans les discussions avec Fardella et dans les eacutecrits de theacuteorie de la substance et de dynamique puis on a la correspondance avec De Volder et le deacuteveloppement de la theacuteorie de lrsquoaggregatum comme substantiatum Crsquoest ici lrsquoacmeacute dans la trajectoire parabolique de ses efforts pour maintenir sa theacuteorie de la substance dans le champ de lrsquohylemorphisme aristotelicien qui va ecirctre abandonneacutee seulement autour des eacutecrits de 1714 comme les PNG

Dans les eacutetudes leibniziennes nous sommes familiers de cette formule ldquoil nrsquoy a que des monadesrdquo Mais ce nrsquoest pas rien que drsquoy avoir des monades et enfin crsquoest bien plus que srsquoil nrsquoy avait que des apparences Le corps des PNG comprend des monades une ideacutee qui eacutetait absente du Discours Lrsquoinnovation theacuteorique introduite sous le nom de machine de la nature machine organique etc nrsquoest pas seulement la deacutefinition drsquoune theacuteorie de lrsquoorganisme vivant bien que nous la rangions drsquohabitude sous cette rubrique mais bien une theacuteorie de la reacutealiteacute ou drsquoun certain degreacute de reacutealiteacute des corps des vivants ni simples apparences ni vraies substances en eux-mecircmes voir la composition du vivant agrave partir drsquoautres vivants du cocircteacute naturaliste et du cocircteacute meacutetaphysique de la correspondance entre les principes passifactif primaires des substances dans leurs perceptions harmonisantes Le cortegravege toujours changeant de la monade dominante ce domaine propre de la monade dominante contient drsquoautres monades comme on le sait elles ldquoconstituent le corps propre de cette monade centralerdquo Cette derniegravere ce qui est drsquoimportance majeure ldquosuivant les affections [de ce corps] elle repreacutesente comme dans une maniegravere de centre les choses qui sont

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hors drsquoellerdquo Or ldquocomme [hellip] chaque corps agit sur chaque autre corps [hellip] et en est affecteacute par reacuteaction il srsquoensuit que chaque monade est un miroir vivantrdquo - agrave ce point-lagrave la monade est deacutejagrave vivante et ce qui srsquoy ajoute est preacuteciseacutement drsquoecirctre un miroir27

La perspective des PNG nrsquoest donc plus deacutetermineacutee comme lrsquoeacutetait celle du Discours de meacutetaphysique par la substance individuelle si non de faccedilon logique in ideis Diffeacuteremment in mundo lrsquoexistant individuel se constitue de maniegravere harmonique ad modum harmoniae dans lrsquoarticulation tregraves compliqueacutee de ce cortegravege - comme ce cortegravege nrsquoest enfin que le corps Et ldquoce corps est organique quand il forme une maniegravere drsquoautomaterdquo de plus lrsquoautomate est une ldquomachine de la nature qui est machine non seulement dans le tout mais encore etcrdquo28 Attention le ldquoquandrdquo introduit une condition une hypothegravese or est-il vraiment possible qursquoil y ait un corps non organique rattacheacute agrave une monade 29 et pourtant Leibniz eacutecrit ce corps non le corps On srsquoattendrait agrave ce qursquoil dise il y a infiniteacute de degreacutes mais le corps drsquoune monade est toujours quelque peu organique30 Toutefois Leibniz admet souvent qursquoil y ait des monades situeacutees agrave un niveau tregraves eacuteloigneacute de celui des acircmes Et crsquoest des acircmes qursquoil va parler principalement dans les PNG et dans la Monadologie

Agrave partir de cette observation je vais poser pour conclure deux questions en les laissant bien entendu ouvertes Premiegraverement on se demande quel est le statut disons ldquomeacutetaphysiquerdquo de cette machine Lrsquoon sait que Leibniz nrsquoa pas toujours donneacute la mecircme reacuteponse agrave cette question ou mieux il nrsquoa jamais donneacute vraiment de reacuteponse mais il a essayeacute drsquoen trouver agrave lrsquoaide soit de theacuteories variables soit de concepts parfois bien diffeacuterents entre eux

Il y a autour des PNG comme nous lrsquoavons suggeacutereacute ci-dessus une veacuteritable charniegravere de ce deacuteveloppement bien qursquoelle ne soit pas deacutefinitive Dans le fameux Eclaircissement inacheveacute en particulier on trouve la derniegravere attestation viennoise de la theacuteorie des assemblages ldquotout lrsquoUnivers des Creatures ne consiste qursquoen 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 27 PNG sect3 GP VI 599 28 Ibidem 29 ldquoSi Dieu veut mettre une ame dans une portion de la matiegravere ou de lrsquoetendueuml il lui accordera des organes autrement il nrsquoagiroit point avec ordrerdquo (Leibniz agrave Hartsoeker 1711 D II 70) 30 Il me semble qursquoil srsquoagit ici drsquoune expression agrave valeur heuristique mais cela deacutepend peut-ecirctre de mon attitude envers les PNG qui est de les interpreacuteter comme un protreptique

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substances simples ou Monades et en leurs assemblages Ces substances simples [hellip] ont toutes de la perception (qui nrsquoest autre chose que la repreacutesentation de la multitude dans lrsquouniteacute) et de lrsquoappeacutetit (qui nrsquoest autre chose que la tendance drsquoune perception agrave une autre)rdquo Dans les PNG on trouve au commencement ldquoLa [substance] composeacutee est lrsquoassemblage des substances simples ou des monadesrdquo dans la Monadologie le seul ldquoassemblagerdquo est celui ldquode tous les Espritsrdquo en la citeacute de Dieu31

Dans les PNG chaque monade ldquoavec un corps particulier fait une substance vivanterdquo En plus ldquoil nrsquoy a pas seulement de la vie partout jointe aux membres ou organes mais mecircme il y en a une infiniteacute de degreacutes dans les monades les unes dominant plus ou moins sur les autresrdquo32 Nous assisterons en tregraves peu de temps agrave un glissement de la ldquosubstance vivanterdquo au ldquovivantrdquo qui se stabilise au cours de la reacutedaction de la Monadologie33 Clairement si le vivant nrsquoest pas en soi une substance (une substance distincte dis-je) il nrsquoy a pas neacutecessiteacute drsquoun lien substantiel qui lui soit particulier apregraves le limbo de Malebranche il abandonne aussi les gavottes imagineacutees avec Des Bosses Mais deacutejagrave dans les PNG quand la monade a des organes et des organes comme Leibniz lrsquoeacutecrit dans la premiegravere partie si ajusteacutes que par leur moyen il y a du relief et du distingueacute dans les impressions qursquoils reccediloivent et par conseacutequent dans les perceptions qui les repreacutesentent [hellip] cela peut aller jusqursquoau sentiment crsquoest-agrave-dire jusqursquoagrave une perception accompagneacutee de meacutemoire agrave savoir dont un certain eacutecho demeure longtemps pour se faire entendre dans lrsquooccasion et un tel vivant est appeleacute animal comme sa monade est appeleacutee une acircme34

Le mouvement theacuteorique qui relie la possession des organes agrave la sensation ldquoreleveacuteerdquo est renverseacute ce qui nrsquoest pas un cas unique dans la Monadologie Aussi voyons-nous que la Nature a donneacute des perceptions releveacutees aux animaux par les soins qursquoelle a pris de leur fournir des organes qui ramassent plusieurs rayons de lumiegravere ou plusieurs ondulations de lrsquoair pour les faire avoir plus drsquoefficace par leur union [hellip] Et

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jrsquoexpliquerai tantocirct comment ce qui se passe dans lrsquoacircme repreacutesente ce qui se fait dans les organes35

Si lrsquoacircme repreacutesente ce qui se fait dans les organes et mecircme dans les glandules et dans chaque partie du corps et encore hors de nous jusque dans les eacutetoiles les plus eacuteloigneacutees comme Leibniz le souligne toujours bien qursquoelle ne srsquoen aperccediloive pas toutefois puisque le corps est la raison du point de vue les organes sont la raison de la perception consciente Voilagrave une ambiguiumlteacute qui nous autorise agrave demander de quoi parle-t-on ici et dans quelle perspective En particulier dans la perspective de lrsquoentiteacute meacutetaphysique dominante ou dans celle de lrsquoindividu vivant corporellement dans le monde 36

Quand la monade a des organes des organes situeacutes dans une machine de la nature qui entoure la monade centrale comme lrsquoessaim drsquoabeilles entoure la reine (ou comme on le disait en ce temps-lagrave le roi) la situation est maintenant bien diffeacuterente de toute speacuteculation anatomique du temps du Discours de meacutetaphysique parce que cette organyzatio - ainsi que Jungius lrsquoaurait appeleacutee - nrsquoest pas comme elle lrsquoeacutetait alors purement pheacutenomeacutenique Elle a donc en mecircme temps soliditeacute et limitation Soliditeacute parce qursquoil srsquoagit bien de substances Limitation puisque la mise entre parenthegraveses de la theacuteorie de lrsquoassemblage ou aggregatum et du modegravele complexe de la constitution du substancieacute et de la substantiation parmi la geacuteneacuteration du passif et de lrsquoactif de lrsquoaggreacutegat substantiel agrave partir des principes actifs et passifs des substances qui y entraient semble devoir ou pouvoir deacutepouiller le vivant de la capaciteacute de tout repreacutesenter ou au moins de la capaciteacute de tout repreacutesenter agrave ce niveau secondaire du corps de la mecircme faccedilon que lrsquoacircme le fait primairement

Lrsquoharmonie preacuteeacutetablie nous rassure les perceptions dans la monade naissent ainsi les unes des autres par les lois des appeacutetits ou des causes finales (du bien ou du mal) qui consistent dans les perfections remarquables reacutegleacutees ou deacutereacutegleacutees comme les

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changements des corps et les pheacutenomegravenes naissent les uns des autres par les lois des causes efficientes crsquoest-agrave-dire des mouvements Et il y a une harmonie parfaite entre les perceptions de la monade et les mouvements des corps preacuteeacutetablie drsquoabord entre le systegraveme des causes efficientes et celui des causes finales

Et pourtant la perception paraicirct en mecircme temps dans la monade en tant que telle et dans le vivant crsquoest-agrave-dire que la monade des Principes et a fortiori celle de la Monadologie a des eacutetats repreacutesentatifs en tant que substance individuelle mais elle a des perceptions en tant qursquoacircme drsquoun certain animal corporel et il est presque banal de dire que les organes deacuteterminent les perceptions de la seconde cateacutegorie mais ne deacuteterminent pas celles de la premiegravere Lrsquoidentification entre les deux est deacutesirable mais nullement assureacutee et dans les eacutechanges de Leibniz avec ses correspondants il arrive parfois que les deux aspects interfegraverent mutuellement tout au moins parce qursquoil existe des aspects de la perception qursquoil ne lui est pas facile de distribuer correctement aux deux niveaux de la substance et du composeacute vivant comme le sont par exemple les perceptions insensibles Je veux suggeacuterer pourtant agrave titre de conclusion qursquoil srsquoagit dans ce cas autour de cette charniegravere speacutecifique non pas vraiment drsquoun problegraveme drsquoun bug mais plutocirct drsquoune feature drsquoun trait caracteacuteristique engendreacute peut-ecirctre ineacutevitablement par le redoublement entre le niveau de la monade en soi-mecircme et le niveau de lrsquoagreacutegation autour drsquoune acircme des monades en tant qursquoelles composent le corps qui complegravete le vivant On doit seulement admettre que les eacutetats substantiels comprendront toujours une repreacutesentation non seulement en premiegravere mais agrave la fois en troisiegraveme personne de lrsquoeacutetat perceptif subjectif de lrsquoensemble du vivant

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EVELYN VARGAS

ldquoEN SIMPLES PHYSICIENSrdquo LA PERCEPTION ANIMALE ET LA CONNAISSANCE SENSIBLE

SELON LEIBNIZ EN 1714

1 Preacutesentation

Que la philosophie naturelle srsquooccupe des sens nrsquoest pas une innovation introduite par les philosophes modernes mais leur refus des qualiteacutes reacuteelles et des species sensibles neacutecessite drsquoeacutelaborer une nouvelle theacuteorie des sens Cette theacuteorie doit expliquer la valeur cognitive de la perception en accord avec les principes de la perspective meacutecaniste et reacutepondre agrave la question de la possibiliteacute drsquoune activiteacute de lrsquointellect seul opeacuterant de maniegravere complegravetement indeacutependante des sens La solution leibnizienne cherche agrave eacuteviter les positions extrecircmes que les carteacutesiens et Hobbes ont proposeacutees Drsquoune part le mateacuterialisme hobbesien en concevant la sensation comme mouvement du corps (EW I 390) aboutit agrave une conception reacuteductionniste de lrsquoentendement humain Pour Hobbes lrsquoimagination nrsquoest que la sensation deacutegradeacutee et le pouvoir de raisonner nrsquoest qursquoun enchaicircnement des imaginations (EW III 14-20) crsquoest-agrave-dire qursquoil ne consiste qursquoen certaines associations reacutegleacutees drsquoimages ce qui signifie que lrsquoautonomie de lrsquoactiviteacute intellectuelle est supprimeacutee Drsquoautre part Malebranche rejette lrsquoideacutee que les intellections ont besoin des images corporelles et inversement les sensations sont priveacutees de tout contenu intellectuel parce qursquoelles ne sont pas des ideacutees confuses repreacutesentant une cause mateacuterielle (Rech III ii) 1 cependant il faut consideacuterer un autre aspect de la perception sensible le jugement libre par lequel on croit que ce qursquoon perccediloit existe au dehors (par exemple que la chaleur existe dans le feu) et qui est agrave lrsquoorigine de lrsquoerreur (Rech I xiv iii)2 Il est bien connu que Leibniz srsquoappuie sur lrsquoexistence de la connaissance des veacuteriteacutes neacutecessaires pour prouver la reacutealiteacute de notre acircme mais il admet aussi le sentiment ou perception animale par laquelle les animaux ont des 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 1 Malebranche 1991 pp 388-391 2 Malebranche 1991 pp 130-131

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ldquoconseacutecutionsrdquo Ces liaisons entre leurs perceptions peuvent ecirctre compareacutees avec le raisonnement (GP VI 600 611) Les distinctions conceptuelles que Leibniz introduit lui permettent de surmonter des difficulteacutes susciteacutees par ses premiegraveres deacutefinitions du sensus et en conseacutequence de concilier les continuiteacutes entre les perceptions animale et humaine avec les conditions normatives et pourtant propositionnelles du jugement perceptuel Cette conception de lrsquoexpeacuterience du vivant eacutevite les difficulteacutes que lrsquoanalyse traditionnelle attribuait agrave la conception moderne et pourrait contribuer au deacutebat eacutepisteacutemologique contemporain en offrant des eacuteleacutements drsquoanalyse pour surmonter lrsquoopposition entre naturalisme et normativisme eacutepisteacutemologiques

Ainsi je commencerai par la description de cette conception tardive de la perception tant humaine qursquoanimale et comparerai cette notion avec la premiegravere notion de la perception et les difficulteacutes qursquoelle suscite finalement je preacutesenterai les avantages que la nouvelle conception peut offrir pour le problegraveme eacutepisteacutemique de la perception

2 La solution leibnizienne

21 Le fonctionnement du sens

La nouvelle physique fournit le cadre des notions et des principes pour la theacuteorie des sens expliquant le meacutecanisme physique de la stimulation sensorielle La perception animale est appeleacutee ldquosentimentrdquo pour la distinguer des perceptions comme actions internes caracteacuterisant toutes les monades (PNG 1 4 M 14 19)3 Le sentiment est une perception qui est ldquoplus distincterdquo (M 19) ou bien qui a ldquodu relief et du distingueacuterdquo (PNG 4) Mais le sentiment est aussi une perception ldquoaccompagneacutee de meacutemoirerdquo (M 19 PNG 4)

On peut donc caracteacuteriser le sentiment animal comme un certain degreacute de perception distincte (GP VI 599) et eacutegalement par le rocircle que joue la meacutemoire (GP VI 600 611) La disposition anatomique dans lrsquoorgane sensoriel rend plus efficace lrsquoeffet du stimulus physique

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(par exemple les humeurs dans les yeux favorisent la concentration des rayons lumineux (PNG 4 M 25) et il y a des meacutecanismes similaires dans les autres sens (M 25) Les organes sensoriels sont ainsi adapteacutes agrave leur fonction perceptuelle (PNG 4) parce que la perception repreacutesente lrsquoimpression dans lrsquoorgane crsquoest-agrave-dire que lrsquoeffet physique concentreacute dans lrsquoorgane produit une impression plus notable qui est repreacutesenteacutee par la perception distincte Ce meacutecanisme rend possible la persistance de lrsquoeffet (PNG 4)

Mais cette image sensible fournit des liaisons entre les perceptions la connexion entre les perceptions qui est fondeacutee dans la meacutemoire est appeleacutee conseacutecution (PNG 5 M 26) Leibniz ajoute que la plupart des comportements humains sont explicables par des conseacutecutions (PNG 5 M 28) et que les conseacutecutions imitent la raison (M 26) ou sont des liaisons similaires aux liaisons fournies par la raison (PNG 5)

Il donne un exemple de conseacutecutions chez les animaux avec le cas du chien qui fuit quand il voit le bacircton dans la main de son maicirctre Cette image eacutevoque le souvenir drsquoune autre perception celle de la douleur parce qursquoune sensation semblable est unie agrave lrsquoimage du bacircton dans lrsquoexpeacuterience passeacutee Le chien ldquoest porteacute agrave des sentiments semblablesrdquo (M 26) crsquoest-agrave-dire que les conseacutecutions causent des comportements involontaires

Ainsi les liaisons pourvues par la meacutemoire rendent compte des comportements appris et involontaires tant chez les animaux que chez les humains Cependant les passages citeacutes nrsquoapportent pas les deacutetails des opeacuterations par lesquelles les perceptions distingueacutees persistent si lrsquoobjet sensible est absent du champ perceptuel On peut dire que lrsquoimpression corporelle est en reacuteaction par rapport agrave lrsquoobjet suivant les lois dynamiques qui rendent efficaces les organes pour optimiser la fonction perceptuelle les perceptions sensibles repreacutesentant cette activiteacute corporelle sont distinctes parce que la distinction du contenu repreacutesentatif est le signe de lrsquoaccroissement de lrsquoactiviteacute de lrsquoacircme Si bien qursquoon comprend que des objets semblables suscitent des effets semblables ndash par exemple que les yeux concentrent les rayons de lumiegravere de maniegravere similaire en preacutesence des choses rouges ndash la meacutemoire eacutevoque un autre effet et ce pouvoir de la repreacutesentation sensible doit ecirctre expliqueacute par les lois de lrsquoappeacutetition Dans lrsquoexemple du chien lrsquoeffet eacutevoqueacute est de nature

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affective une douleur qui est accompagneacutee du mouvement corporel de la fuite Par les liaisons apporteacutees par la meacutemoire lrsquoimage sensible est unie agrave un autre eacuteleacutement sensible et la perception devient une structure teacuteleacuteologique qui deacutepasse lrsquoimage particuliegravere En mecircme temps lrsquoimage eacutevoqueacutee drsquoun objet ou drsquoun eacuteveacutenement absent est de nature mentale crsquoest-agrave-dire repreacutesentationnelle

Mais la conseacutecution doit rendre compte de lrsquoexpeacuterience comprise comme une notion eacutepisteacutemique Srsquoil eacutetait possible drsquoexpliquer la conduite humaine involontaire par des conseacutecutions sans aucune reacutefeacuterence aux eacutetats doxastiques du sujet il semblerait difficile de concevoir des expectatives humaines deacutepourvues drsquoassertions ou de croyances par exemple qursquoil fera jour demain Du reste mecircme quand la perception peut ecirctre abordeacutee sous lrsquoangle scientifique comme un processus qui enveloppe des meacutecanismes organiques la philosophie srsquointerroge sur les rapports normatifs entre la perception et la connaissance ou la croyance perceptuelle4 Comme on verra ensuite la premiegravere doctrine leibnizienne de la perception aboutit agrave expliquer cet eacuteleacutement doxastique de la perception humaine mais cette deacutefinition qui rend compte du contenu propositionnel associeacute agrave lrsquoexpeacuterience perceptuelle humaine ne peut expliquer la perception animale Si les animaux ont des rapports perceptifs au monde il faut qursquoils aient certains traits en commun avec notre rapport perceptif au monde Mais ces traits en commun ne sont pas neacutecessairement des conditions suffisantes de la connotation eacutepisteacutemique de la perception

22 La question eacutepisteacutemologique

221 La perception sensible comme sentiment distinct

Leibniz dit clairement que les hommes et les animaux ont des sentiments et des conseacutecutions cependant on peut se demander srsquoils peuvent partager une mecircme sorte de cognition Autrement dit il nrsquoest pas question de nier lrsquoopinion commune selon laquelle les animaux voient eacutecoutent et ont drsquoautres expeacuteriences sensibles Or lrsquoexpeacuterience animale peut-elle ecirctre speacutecifieacutee sans le recours agrave des

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meacutethodes introspectives Comme on lrsquoa dit la question eacutepisteacutemologique de la perception relegraveve de la relation de lrsquoexpeacuterience perceptuelle avec la connaissance mais dans le cadre de la theacuteorie de la connaissance traditionnelle cette relation peut ecirctre eacutetudieacutee sans consideacuterer ce qui est au-delagrave de la situation mentale du sujet percevant Selon cette conception ldquointernalisterdquo de la perception tant les expeacuteriences veacuteridiques que les illusions ont un trait commun et il y a pourtant une ressemblance exacte entre elles parce qursquoelles appartiennent au mecircme type drsquoeacutetat mental Srsquoil nrsquoest pas possible de rendre compte de la diffeacuterence entre une expeacuterience veacuteridique et une illusion ldquoderriegravere le voile des apparencesrdquo les conseacutequences sceptiques sont ineacutevitables Cependant il nrsquoest pas neacutecessaire de supposer que Leibniz soutient que la conception que nous appelons internaliste de lrsquoexpeacuterience perceptuelle doit ecirctre le veacuteritable point de deacutepart des consideacuterations eacutepisteacutemiques concernant le rocircle de la perception agrave lrsquoeacutegard de la formation de nos jugements fondeacutes sur lrsquoexpeacuterience Puisqursquoon concevait cette relation comme fondant une relation de justification la question est de speacutecifier les termes de cette relation en tant que rationnelle crsquoest-agrave-dire en tant qursquoils peuvent habiter ldquolrsquoespace des raisonsrdquo5 Pour comprendre les implications de la deacutefinition de lrsquoexpeacuterience sensible comme sentiment agrave lrsquoeacutegard de la connaissance perceptuelle il faut consideacuterer des formulations anteacuterieures

Les textes eacutecrits au deacutebut de la deacutecennie 1680 concernant les opeacuterations de lrsquoesprit preacutesentent des deacutefinitions du sentiment et de la perception mais crsquoest la perception qui est deacutefinie par le sentiment En effet les perceptions sont des sentiments distincts Cogitans concipiens sentiens intelligens (seu distincte concipiens) percipiens (seu distincte sentiens) (A VI 4 392) [1680-168485]

Et dans la suite du mecircme eacutecrit la perception est eacutequivalente au sentiment certain P e r c i p i m u s (seu cum certitudine sentimus) (A VI 4 396)

Certes ces deacutefinitions aboutissent agrave caracteacuteriser les penseacutees humaines

Cependant le texte nous offre une deacutefinition du sentiment dont les caracteacuterisations plus tardives du concept preacuteserveront lrsquointuition

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fondamentale Sentir signifie avoir des images sensibles unies agrave des efforts pour agir ou conatus Il eacutecrit

Itaque s e n t i r e est imaginari cum conatu impediendi aliquam imminutionem vel procurandi auctionem nostrae potentiae ex inde orto quod eadem imago conjuncta nunc est vel olim fuit cum tali imminutione vel augmento (A VI 4 395)

Leibniz explique que lrsquounion entre lrsquoimagination et lrsquoeffort pour agir se produit parce que lrsquoimage est unie agrave une modification de la puissance drsquoagir du sujet

Si le sentiment est lrsquoimage qui est unie agrave un conatus crsquoest parce que lrsquoaction drsquoimaginer est indeacutependante de lrsquoaction drsquoaffirmer lrsquoexistence de lrsquoobjet de lrsquoimagination Crsquoest la reacuteiteacuteration de lrsquoimage avec modification de la puissance qui produit des rapports analogues agrave des regravegles

Et quidem sciendum est cum nostrae cogitationi aut phaenomeno adjuncta est aliqua nostrae perfectionis vel potentiae auctio aut diminutio [nos] habere conatum efficiendi ut ea cogitatio duret aut desinat Reversa ea cogitatione habere eundem conatum nisi ea conjuncta sit cum cogitatione efficiente conatum contrarium Quod si haec saepe contingant oriri ex tot experimentis quasi regulas quasdam conandi aut non conandi in oblatis eaeque vel pendentes ex nostro experimento vel ex traditione aliorum qui experti sunt vel etiam eorum qui prophetarum instar dicant quid simus experturi (A VI 4 394)

Les images sont unies agrave des dispositions pour lrsquoaction mais crsquoest par la reacutepeacutetition qursquoun conatus particulier srsquounira agrave une image particuliegravere Et crsquoest lrsquounion de lrsquoimage avec un conatus qui rend compte de lrsquoaction assertive par laquelle lrsquoobjet A qui est repreacutesenteacute dans lrsquoimage est affirmeacute par la proposition ldquoA estrdquo

Et quoties ob aliquod phaenomenon conamur ita agere ac si inde nisi nos impediremus secuturum esset aliud phaenomenon conjunctum cum adjumento aut nocumento nostro statuimus id essehellip (A VI 4 394)

Lrsquoassertion ajoute agrave la proposition la disposition pour agir car la force assertorique drsquoaffirmer la proposition comme vraie est eacutequivalente agrave la disposition pour agir suivant le contenu de la proposition Le sentiment implique drsquoaffirmer que lrsquoobjet perccedilu existe et si la proposition est vraie le sentiment est appeleacute ldquoperceptionrdquo

De faccedilon similaire le contenu propositionnel du savoir ou de la croyance implique des actes assertoriques

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Videntur sentire et percipere se habere ut credere et scire Sentire percipere credere et scire commune habent ipsum statuere sive affirmare vel negare (A VI 4 394-5)6

Cette contribution agrave lrsquoeacutelucidation de la notion drsquoassertion est conforme aux premiegraveres deacutefinitions de la perception sensible impliquant que le sujet affirme que lrsquoobjet perccedilu existe Plus preacuteciseacutement la deacutefinition du ldquosensusrdquo preacutesente les conditions de la perception sensible au moyen des notions drsquoobjet et drsquoorgane

Si duo corpora sibi resistant et nos actionem passionemque unius percipiamus velut ad nos pertinentem alterius velut alienam illud corpus dicetur o r g a n o n hoc dicetur o b j e c t u m ipsa autem perceptio dicetur s e n s u s (A VI 4 1394) [1678-168081]

La perception sensible met en jeu la capaciteacute agrave reconnaicirctre lrsquoobjet comme diffeacuterent et reacutesistant au sujet Neacuteanmoins une telle conception de lrsquoexpeacuterience perceptuelle est probleacutematique agrave lrsquoeacutegard drsquoune ontologie qui attribue des perceptions agrave toutes les formes substantielles et distingue les acircmes par leurs perceptions plus distinctes

On peut trouver dans le De natura Mentis et Corporis un texte qui teacutemoigne des heacutesitations de Leibniz concernant la perception des animaux Drsquoune part Leibniz concegravede que les animaux ont du sens et de lrsquoimagination

In brutis itaque perceptionem agnosco sive sensum eorum quae fiunt agnosco et imaginationem sensu cessante manentem et ideo recursum priorum imaginum si qua nova imago uni priorum similis occasionem praebeat sed non agnosco in illis conscientiam ut scilicet oblata quadam cogitatione percipiant eam vel aliam similem jam sibi affuisse (A VI 4 1490) [1683-16856]

Le passage drsquoune image agrave une autre que lrsquoimagination animale rend possible est distingueacute de la meacutemoire comme un acte perceptif et reacuteflexif caracteacuterisant les esprits et ne deacutependant pas des images

Reflexio itaque seu memoria vel conscientia mentium propria est Reflexio proprie est memoria cogitationis proxime praecedentis In sui ipsius perceptione consistit imago divina nobis indita Non puto ab ullo bruto exerceri illam vim quam in me experior cum volo ut cogitem me nunc cogitare et hoc ipsum admirer et continue in me replicem nullo signi alicujus usu interveniente sed intima quadam perceptione 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 6 La proposition qui est affirmeacutee ajoute un preacutedicat B agrave un sujet A ldquoItaque si revera sentias A et ideo sic agas ad promovenda vel impedienda quae cum sentires B utique statuis A esse Brdquo (A VI 4 395)

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ubi vim simul nobis facimus imagines ab ea cogitatione avocantes amoliendo (A VI 4 1490) [1683-16856]

Drsquoautre part on peut constater que les derniers mots de lrsquoopuscule posent une interrogation est-ce que les animaux ont des cognitions distinctes ldquoNullane in bruto cognitio distincta rdquo (A VI 4 1491) [1683-16856 ]

Par des cognitions distinctes il faut comprendre quelque chose de plus que le simple passage drsquoune image sensible agrave une autre ou les accroissements de lrsquoactiviteacute des substances Le terme ldquocognitionrdquo deacutesigne les eacutetats mentaux intentionnels ou qui sont dirigeacutes vers quelque objet (A VI 802) Certes il nrsquoest pas question de nier que les sens animaux les renseignent sur leur environnement mais la perspective eacutepisteacutemologique pose une autre question celle des conditions par lesquelles les images sensibles deviennent des contenus propositionnels ou du moins quelque chose qui peut ecirctre un terme des relations de justification

222 Le sentiment comme perception plus distincte

Pour mieux comprendre la question il faut distinguer entre les motivations meacutetaphysiques de lrsquointroduction drsquoentiteacutes qui sont diffeacuterencieacutees par les degreacutes de perceptions dont elles sont capables et la question eacutepisteacutemologique concernant ce qui nous garantit que nos expeacuteriences repreacutesentent adeacutequatement les choses hors de nous Ces relations entre les repreacutesentations perceptuelles et lrsquoobjet perccedilu sont des relations de justification Mais les relations entre les impressions et les corps qui produisent les impressions appartiennent agrave un autre ordre Comme nous avons deacutejagrave vu la premiegravere formulation de la theacuteorie de la perception pouvait rendre compte des demandes de justifications car la perception impliquait des assertions qui eacutetaient unies agrave des images sensibles Et parce que ces associations sont apprises elles sont reacutevisables crsquoest-agrave-dire qursquoon peut juger si les croyances associeacutees sont veacuteritables Toutefois cette conceptualisation de la perception sensible demande des capaciteacutes cognitives reacuteflexives et ainsi une deacutefinition de la perception sensible qui eacutenonce des conditions suffisantes de la perception animale doit fournir une analyse de la perception plus geacuteneacuterale

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Il faut admettre que la deacutefinition du sens comme perception plus distincte est suffisamment geacuteneacuterale pour inclure des perceptions animales et humaines dans un mecircme cadre explicatif

Atque hoc principium actionum seu vis agendi primitiva ex qua series statuum variorum consequitur est substantiae forma Patet etiam quid perceptio sit quae omnibus formis competit nempe expressio multorum in uno quae longe differt ab expressione in speculo vel in organo corporeo quod vere unum non est Quodsi perceptio sit distinctior sensum facit (A VI 4 1625) [1688]

Les degreacutes de distinction caracteacuterisant des acircmes correspondent aux degreacutes drsquoactions des substances

Verum ea cujus expressio distinctior est agere cujus confusior pati judicatur nam et agere perfectionis est pati imperfectionis (A VI 4 1620) [1688]

En mecircme temps la description du processus perceptuel commun aux hommes et aux animaux ne suffit pas pour preacuteserver ldquolrsquoespace logique des raisonsrdquo

La deacutefinition plus tardive de la perception sensible comme sentiment introduit les conseacutecutions comme composantes essentielles de la perception sensible Voici une variante latine preacutesentant le sens comme perception avec meacutemoire ldquoSensio enim est perceptio quae aliquid distincti involvit et cum attentione et memoria conjuncta estrdquo (GP VII 330 [1710])

Dans ce passage Leibniz soutient que les perceptions sensibles

enveloppent quelque chose de distinct7 Il semblerait difficile de comprendre la maniegravere dont les perceptions des animaux impliquent des composantes distinctes car les notions du sens commun qui expriment les objets externes appartiennent agrave lrsquointellect8 et impliquent un certain degreacute de geacuteneacuteraliteacute9 (Par exemple on ne pourrait pas dire que le chien voit la ligne droite dans lrsquoimage du bacircton de la mecircme maniegravere qursquoon peut dire qursquoun homme qui se repreacutesente lrsquoimage claire drsquoun polygone reacutegulier particulier est en possession de lrsquoideacutee confuse

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de cette figure geacuteomeacutetrique)10 Or si la perception est deacutecrite comme distingueacutee il serait possible de rendre compte des perceptions dans le cadre de la philosophie naturelle ou ldquoen simples physiciensrdquo Les repreacutesentations sensibles expriment des meacutecanismes physiques de transmission et conservation des effets du corps perccedilu La structure commune des processus perceptifs humains et animaux devient lrsquoobjet drsquoune eacutetude scientifique dont la perspective dynamique surpasse le meacutecanisme inerte Du reste mecircme si lrsquoimage sensorielle peut ecirctre rapporteacutee agrave quelque objet (par exemple un bacircton) cet eacuteleacutement iconique nrsquoimpliquerait pas de capaciteacutes drsquoidentification ni de reconnaissance Crsquoest la chose semblable agrave celle que lrsquoanimal a perccedilue preacuteceacutedemment qui met en mouvement lrsquoopeacuteration de la conseacutecution Pour les ecirctres qui sont en possession de capaciteacutes conceptuelles lrsquoexpeacuterience perceptuelle rend possible lrsquoexercice de cette capaciteacute En mecircme temps on peut speacutecifier les conditions de lrsquoexpeacuterience veacuteridique mais ils ne deacutependent pas des proprieacuteteacutes que le sujet peut seulement connaicirctre de lrsquointeacuterieur11 Autrement dit par la conseacutecution Leibniz affirme agrave la fois les continuiteacutes des perceptions humaines et animales et le caractegravere normatif de la justification par la perception

3 Conclusion

Bien que la conception leibnizienne de la perception reconnaisse que les processus par lesquels les sens nous renseignent sur le monde hors du sujet percevant partagent une configuration commune avec la perception animale le point de vue purement physique demeure insuffisant pour deacuteterminer lrsquoeacutepisteacutemologie de la perception La perspective naturaliste fondeacutee sur des explications purement associationistes est incapable de rendre compte des relations de justification mais les conceptions internalistes de lrsquoexpeacuterience 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 10 On peut trouver cette comparaison entre lrsquoimage et lrsquoideacutee du polygone en NE II xxix 13 11 Mais la justification est accessible au sujet par reacuteflexion sur ses ldquopheacutenomegravenesrdquo Voir par exemple NE IV NE IV ii 14 ldquohellip de sorte que je crois que le vray Criterion en matiegravere des objets des sens est la liaison des pheacutenomegravenes crsquoest agrave dire la connexion de ce qui passe en diffeacuterents lieux et temps et dans les expeacuteriences de diffeacuterents hommes qui sont eux-mecircmes les uns aux autres des pheacutenomegravenes tregraves importants sur cet articlerdquo

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perceptuelle sont eacutegalement inadeacutequates pour deacuteterminer sa valeur cognitive Degraves les premiegraveres deacutefinitions Leibniz considegravere que les eacutetats perceptuels ne sont pas seacuteparables des conditions externes de la situation perceptive

Or lrsquoanalyse de la perception sensible comme sentiment preacutesente un double avantage agrave lrsquoeacutegard des premiegraveres deacutefinitions Drsquoune part si la meacutemoire fournit des connexions entre perceptions ces liaisons entre des images sensibles sont reacutealisables par des ecirctres qui sont deacutepourvus de fonctions intellectuelles Drsquoautre part les connexions entre perceptions peuvent constituer des contenus eacutevaluables du point de vue de la connaissance La connexion entre un pheacutenomegravene A et un pheacutenomegravene B qui le suit habituellement constitue un indice probable de la connexion neacutecessaire entre eux et deacutelimite lrsquoespace du raisonnable (GP VI 508) Mais si les percepts ne sont pas des contenus cognitifs per se mais en tant qursquoils sont en relation avec drsquoautres eacuteleacutements cognitifs Leibniz peut eacutechapper aux conseacutequences sceptiques du fondationnalisme empiriste pour lequel les percepts sont des fondements ou des raisons ultimes dans lrsquoordre de la justification car srsquoils ne sont connus que par lrsquointrospection le problegraveme de la distinction entre expeacuteriences veacuteridiques et non veacuteridiques reste entier comment ces eacuteleacutements singuliers qui opegraverent comme des intermeacutediaires entre lrsquoesprit et les choses hors de nous sont-ils adeacutequats En mecircme temps la solution leibnizienne au problegraveme eacutepisteacutemologique de la perception nrsquoimplique pas comme certains philosophes contemporains lrsquoont proposeacute de soutenir que la perception met en jeu des capaciteacutes agrave classer des objets autrement le terme ldquoperceptionrdquo deviendrait une expression eacutequivoque Pour Leibniz crsquoest la structure du processus cognitif perceptuel qui est commun agrave lrsquohomme et agrave lrsquoanimal Il nrsquoest pas prisonnier du ldquoMythe du donneacuterdquo

BIBLIOGRAPHIE Bouveresse J et Rosat J-J Philosophies de la perception Pheacutenomeacutenologie

grammaire et sciences cognitives Paris Odile Jacob 2003 Engel P Le contenu de la perception est-il conceptuel in Bouveresse J et Rosat

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Philosophy of Science vol I 1956 H Feigl and M Scriven (eds) Minneapolis University of Minnesota Press

FEDERICO SILVESTRI

ACTIVITY AND FINAL CAUSES ON PRINCIPLES OF NATURE AND GRACE sect3

This paper analyses how the notion of final causation is related to the complex of Leibnizs account of activity of substances In doing so I will focus on the 3rd paragraph of the Principles of nature and grace and in other texts where a similar thesis is proposed I aim at showing that final causes are better intended as model of explanation rather than a distinct type of causes I will first analyse two points raised by the PNGs thesis that it applies to all simple substances and its opposition with causation as it occurs in bodies with the aim of highlighting some of the features of final causation in substances to then focus on two questions is final causation being situated al the level of simple substances the most fundamental causal process in Leibnizs metaphysics How should the causal role of goals be understood

1 Simple substances and final causes

In the 3rd paragraph of the Principles of nature and grace (hereafter PNG) Leibniz explains the raise of a perceptual state as happening in accordance with the law of final causes or of good and bad while the connection of two subsequent states of bodies is given by the law of efficient causes

1) ldquoEt la perception dans la Monade naissent les unes des autres par

les loix des Appetits ou des causes finales du bien et du mal qui consistent dans le perceptions remarquables regleacutees ou dereacuteegles comme les changements des corps et le phenomenes au dehors naissent les unes des autres par les loix des causes efficientes cest agrave dire du mouvemens Ainsi il y a une harmonie parfaite entre les perceptions de la Monade et les mouvemens des corps preacuteetablie dabord entre les

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systeme des causes efficientes et celuy des causes finalesrdquo1

A similar thesis is held repeatedly in texts of the late period yet a selection of texts allows to highlight some differences

2) ldquoTout se peut expliquer par les efficientes et par les finales

Mais ce qui touche les substances raisonnables srsquoexplique plus naturellement par la consideration des fins comme ce qui regarde les autres substances srsquoexplique mieux par les efficiensrdquo2

3) [] dum status praesens corporis ex statu praecedente

nascitur per leges causarum efficientium et status praesens animae ex statu praecedente nascitur per leges causarum finalium Illic series motuum hic seriem appetitum locum habet illic transitur a causa ad effectum hic a fine ad mediumrdquo3

4) Il y a une infiniteacute de figures et de mouvemens presens et

passeacutes qui entrent dans la cause efficiente de mon ecriture presente et il y a une infiniteacute de petit dispositions et inclinations preacutesentes et passeacutes de mon acircme qui entrent dans la cause finale4

5) ldquoLes ames agissent selon les loix des causes finales par

appetitions fins et moyens Les corps agissent selon les loix des causes efficientes ou des mouvemens Et les deux regnes celuy des causes efficientes et celuy des causes finales sont harmoniques entre euxrdquo5

6) [] tout agent qui agit avec choix suivant les causes finales

est libre quoyquil arrive quil saccorde avec celuy qui nagit que par des causes efficientes sans connoisance ou par Machine parce Dieu prevoyant ce que la cause libre feroit a regleacute dabord sa machine en sorte quelle ne puisse manquer de sy accorderrdquo6

1 PNG sect 3 GP VI p 599 For abbreviation see bibliography 2 Des causes efficientes et finales 1690 A VI 4b p 1665 3 AGS p 32 4 Monadologie sect 36 GP VI p 613 5 Monadologie sect 79 GP VI p 620 6 Leibniz to Clarke GP VII p 412

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While 2) the earlier passage I could find uses an epistemological language referring to explanation the PNG passage ends with a statement on two different and autonomous causal systems (5) and (6) are about an action made by final causes or by ends and means Apparently then in these last texts a strongest thesis is at stake perceptual states have final causes (corresponding) states of bodies have efficient causes Since the two are not at the same ontological level perceptual states laying at a more fundamental level final causes seem to be the most fundamental type of causation in Leibnizs system

Besides this difference there emerges one point that appears in most of the texts (1-3-5-6) Leibniz describes the distinction efficientfinal causes as a distinction of types of law that rules some activity laws of final causation namely the law of appetitions (tendencies toward new perceptions) and the laws of movements I will later discuss if and how from the distinction of laws derive a distinction of types of causes

By now I want to stress that the existence of a law of final causation that rules the appetition raises a serious problem for the extension of the thesis This law is in fact defined as law of good and evil It then seems that substances act according to a judgement of value or at least according to the perception of something as good while laws of motions are value-free This raises the first problematic point Can the ldquolaw of good and evilrdquo be applied to non-self-conscious or non-rational substances After all Good and evil can be recognized as such only by the intellect which is a faculty that can distinguish human beings (and angels) from other created beings For similar reasons some scholars have argued that the answer is or at least should be no In a pivotal paper Mark Kulstad referring to a doubt first raised by Robert McRae has argued that either final causes are equal to efficient causes or there are final causes for rational substances and efficient for the rest7 Other scholars had suggested in order to apply the thesis to all substances that the extension to non-rational substances might be intended by means of analogy non-rational substances act as if they perceive a future state as good8

7 See Kulstad 1990 and Mc Rae 1976 p 67 8 See the cautious suggestion in Adams 1994 pp 317-318 The defense of the extension of the PNG thesis to all substances is one the key argument for the

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The 3rd paragraph of PNG is explicit in speaking of final causes for every simple substance Yet other texts seem to restrict their realm to rational substance only A main example is 2) where the epistemological thesis is held Here not only they are applied only to rational substances but are opposed to what happens in other substances not in bodies In the controversy with Stahl (n 3) Leibniz uses the expression ldquofinal causesrdquo referring to Souls (animae) However this does not prove much for in this case Leibniz explicitly allows the use of ldquosoulsrdquo for all substances adopting the extension of the somehow Aristotelic notion of soul used by his opponent9 The example taken from the Monadology seems more relevant In paragraph 19 one finds the well-known statement that the world ldquoSoulrdquo is better used for rational substances only while the others should be better called simple substances or monads All occurrences of ldquofinal causesrdquo in the Monadology are related with souls though never explicitly denied for all simple substance Nonetheless even here the law of final causation is referred to appetition something that characterizes all simple substances The most explicit text allowing for a restricted reading is then a letter to Clarke (6) where Leibniz speaks of agents acting with choice Even in this last case however final causes are distinguished only from to the action of bodies As this last text confirms a restricted reading of this statement on final causes is based on the fact that final causation should apply to voluntary actions where goals are chosen No doubt voluntary actions are the place where one can more easily acknowledge the law of good and bad just considering that Leibniz here intends ldquogoodrdquo and ldquobadrdquo as ldquobelieved to be goodbadrdquo and not necessarily good or bad in an absolute sense With this restriction the representation of something as good or bad resulting from a deliberative process is what determine the will to orient the action toward that thing The identification of something as good or bad is

defense of ldquoneutral teleologyrdquo where teleology is considered without reference to goodness of goal or to Godrsquos ends developed in Jorati 2013 This reading identifies spontaneity of monads and activity by means of final causes while here the two concepts are distinguished (see infra) to maintain a meaning for the specification made in the PNG where final causes regards remarkable perceptions 9 A distinction between a wide and a restricted notion of soul can be found in a letter to Wagner GP VII p 529 where the restricted notion applies also to animals and in general to creatures where ldquonon nuda est facultas percipiendirdquo in oppositions to monads without sensation

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the final cause of the action and our law states that the action will always follow such a recognition that may come after a deliberative process where partial ldquobelieved to be good in this situationrdquo are considered

Then a restricted notion of final causation that applies only to souls is not only (partially) legitimated by texts but deals with one of Leibniz primary concerns The concept of voluntary action is built on notions that are the basis of moral responsibility of human beings they can deliberate with the help of the intellect and choose what to do This restricted notion that defines a subset of created agents by implying what makes them moral agents deserving rewards and punishments should then probably be allowed Nonetheless there are some reasons to believe that Leibniz is willing to establish a broader notion of activity by means of final causes First volitions defined as apperceived tendencies or sometimes tendencies that follows by apperception10 do not explain every human activity while the texts previously mentioned seem to apply to every action This holds not only for what in the mind correspond to the activity of vital functions of our organs or for some rather unnoticed reaction for instance there are thoughts we are conscious of (apperceived parts of a perceptual state) that raises from unnoticed internal tendencies as Leibniz explains in a passage of the Nouveaux essais11 Moreover an explicit judgement on good and bad made by the intellect is not a necessary condition for a volition The deliberative process is not just a calculus made by the intellect (that can go wrong) on what is the best thing to do It is rather a process where the will is determined by the outcome of noticed and unnoticed tendencies coming from our passions as well as from our intellect 10 ldquo[] la Volition est leffort ou la tendence (conatus) drsquoaller vers ce quon trouve bon et loin de ce quon trouve mauvais en sorte que cette tendence resulte immediatement de lapperception quon en a[] Ilya encore des efforts qui resultent des perceptions insensibles dont on ne sappercoit pas qui jaime mieux appeler appetitions que volitions (quoyquil y ait aussi des appetitions apperceptibles) car on nappelle actions volontaires que celles dont on peut sappercevoir et sur les quelles nostre reflexion peut tomber lors quelles suivent de la consideration du bien et du malrdquo (Nouveaux essais A VI 6 pp 172-173) 11 ldquoAu reste il nous vient des penseacutees involontaires en partie de dehors [hellip] en partie au dedans agrave cause des impressions (souvent insensibles) qui restent des perceptions preacutecedent [hellip] La langue allemande les appelle Fliegende gedancken- comme qui diroit des penseacutees volantes qui ne sont pas en nostre pouvoir []rdquo (Nouvaeaux essais A VI 6 pp 177)

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[n]ous ne suivons pas aussi tousjours le dernier jugement de lentendement practique en nous determinant a vouloir mais nous suivons tousjours en voulant le resultat de toutes les inclinations qui viennent tant du coteacute de raisons que des passions ce qui se fait souvent sans un jugement expregraves de lentendement12

The intellect may be too weak a passion or a habit (even a good one) too strong to let us explicitly rely on a consideration of what is good yet the action is voluntary as long as it had been produced by an apperceived tendency This may be one of the main reasons why in discussing the nature of the will and of deliberation Leibniz relies on a very utilitaristic notion of good and bad sometimes defining them as pleasure and pain13 even if he surely had an inter-subjective notion of what is good that is used in the field of ethics Indeed even from the point of view of human moral responsibility what matter is not that ultimately the will is determined by a judgement made by the intellect but the awareness of a tendency In various occasions Leibniz gives great importance to the fact that humans have the faculties that allow rational choices and judgements of value that can lead to a further deliberation albeit if and to what extent these faculties will be used in any single case depend on the circumstances and on the whole history of an individual From this point of view the difference between appetition as (usually) unnoticed tendencies and volition as apperceived tendencies is relevant since it is from the apperception of a tendency that a process of further deliberation may (under proper conditions) start

In sum the claim that since final causation requires a judgement of good and bad it is a prerogative of souls seems too strong and would lead to a complete dismissal not only of the PNG passage but of all the texts where it is used referring to action of souls in general The main characteristic underlined in the analysis of the process of

12 Essais de Theacuteodiceacutee GP VI p 130 a similar thesis appears also in a letter to Coste ldquoDans les autres substances intelligentes les passions souvent tiendront lieu de raison et on pourra tousjours dire agrave legard de la volonteacute en general que le choix suit la plus grande inclination sous laquelle je comprends tant passions que raisons vrayes ou apparentesrdquo(Leibniz to Coste December 1707 GP III pp401-402) 13 ldquoLe Bien est ce qui sert ou confere au plaisir comme le Mal ce qui confere agrave la douleur Mais dans le conflict avec un plus grand bien le bien qui nous en priveroit pourroit devenir veritablement un mal entant quil confereroit agrave la douleur qui en deuvroit naistrerdquo (Nouveaux essais A VI 6 p 195) The utilitaristic notion of good and bad allows to talk about final causes in a more literal way for animals which can perceive pleasure Still it seems it hardly fits the nature of lower monads (see GP VII p 529)

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human deliberation is in fact the apperception of the tendency toward something or rather that the action follows and is produced by the apperception of the tendency which underlines that a self-attribution of a goal can be considered as a sufficient requisite for activity While it seems reasonable to interpret voluntary actions as the basis for a restricted way of intending final causation implying moral responsibility they might also be a model to figure out how appetition works in non-conscious monads There is indeed at least one text that explicitly states that appetition albeit distinguished from volitions exactly by means of consciousness of the end work by ends and means too

Interim non inepte motus volontarii appellantur qui appetititbus distinctius cognitis connectuntur ubi media finibus ab anima nostra adaptari animadvertimus ipsi tametsi in motibus etiam caeteris appetitus ad suos fines per media procedat quanquam non animadvertimus nobis Voluntariae enim eae demum actiones proprie appellantur quas deliberato facimus et quarum consci sumus14

It might be suggested that Leibniz is defining appetition in a way similar to the one used with the notion of perception To have a grasp on what a perceptual state in non-conscious substances may be we cannot but start from our own internal experience and abstract from anything we can attribute to rational beings only such as apperception of the self intellect We are then left with a general definition of what all types of perception have in common they express multiplicity in the unity of the subject In a similar way from the consideration of our own voluntary actions we can reach a definition of appetition as a tendency towards something that is analogous to the one we experience when we orient ourselves toward some desiderable new state abstracting from every explicit judgement on goodness as well as from the apperception of the tendency This process of abstraction from our peculiar faculties lead to a general definition of what all substances have in common perception as multiplicity in unity and appetition as tendencies toward a new perceptual state Leibniz draws such an explicit parallelism between volition and appetition ldquoPorro ut in nobis intellectioni respondet voluntas ita in omni Entelechia primitiva perceptioni respondet appetitus seu agendi conatus ad novam perceptionem

14 AGS p 38

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tendensrdquo15 The strictest notion of final causes allows then to grasp a specific character of activity of substances namely its self-directedness toward a specific state If so directedness should be regarded as a cause or at least a full explanation of action in the same way in which the apperception of the resulting strongest tendency is a sufficient condition for volition

2 Final causes and bodies

I will return on this issue and on the causal role of goals in the following paragraphs By now another problem opened by the partially analogical extension of final causation to non-rational substances has to be considered namely why they are excluded from bodies16 For having in mind all the Leibnizian thesis on final causes and on their use in science they seem to regard bodies too and if one cannot appeal to the higher cognitive functions their exclusion from the realm of bodies had to be justified somehow In other words the PNG thesis seems to contradict the scientific use of final causes

For a long part of his philosophical career at least starting from 1678-79 Leibniz had defended the use of final causes in science and philosophy arguing against those thinkers mainly Descartes Hobbes and Spinoza who had in different way tried to discard them In Leibnizs writings various statements on their use can be found First final causes play a heuristic role in science since there are laws that can be discovered only (or in some texts more easily) by considering Gods ends in making this world Final causes are also important for the spreading of piety since they help us in recognizing the goodness of the Author of things by means of the recognizing of order and harmony of his creation Moreover albeit anything in nature happens mechanically the physical laws cannot be derived by the basic notion of mechanic alone since they depend on Gods ends Finally final

15 GP VII p 330 See also GP III p 581 16 Here I take the PNG thesis as a statement about causality in causally closed systems independent by considerations on their ontological status The underlying conviction is that any argument against final causes in bodies based on their lack of ontological consistence will equally affect efficient causation In other words I take the PNG thesis as meaning that insofar as it is legitimate to say that bodies act they do so in accordance with laws of efficient causation

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causes and efficient causes constitute (this is the most relevant point) two different and both complete model of explanation of natural phenomena In principle all natural phenomena can be derived either by a consideration of Gods end alone or only from the way bodies realizes those ends

The problem at stake in these theses are quite different from the one raised by PNG and to some extent it is no surprise Here Leibniz is facing the arguments developed by those who had refused final causes especially the Cartesian Argument on their being useless in science He uses way of reasoning and proves of their usefulness that aimed at being at a first glance independent by the complex of his metaphysics In some sense they are rather intended to show a path that should lead to the notion of substances force harmony and so on but does not presuppose them Another difference more important here regards which part of the process of final causation is relevant in the arguments listed above the use of final causes is based on the fact that something (the physical world or its law) had been a goal for an intelligent being while the PNG focuses on the fact that there are things in the world that have goals and this explains why or how they act Though through final causes one may be able to explain anything happening in bodies by deriving the law ruling their behaviour bodies do not act by final causes or according to a law of final causation for their teleological behaviour depends on the activity of an intentional agent (God) From the metaphysical point of view no tendency toward a goal follows from the essence of bodies while in the essence of simple substance there is something that is a goal-directed element namely appetition

Yet this is not the whole story For there seem to be a very relevant exception to this distinction a scientific use of final causes that deals with autonomous goals or ends pursued and realized by bodies alone the realm of biology

At the level of the practical use of final causes there is surely a difference in biology they are used mainly for descriptive purposes for deriving (hypothesis on) the structure of an organ by its goal and for deducing the goals needed by the more general scope of the complex of the natural machine17 They then play a descriptive role at 17 On the concept of natural machine see Fichant 2003 pp 1-28 The relation of mechanism and teleology in Leibniz biology has been the object of several studies in

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the abstract level of the common features of species while in simple substances the activity that causes a change of states is at stake Nonetheless recalling that for Leibniz any organism is ultimately a species on its own there should be something like a general end for each natural machine so that in principle we should be able to explain its behaviour as a tendency toward its goal Final causation as it is at stake in the realm of organic bodies should be able to provide at least an explanation of a state of a body and of its activity by individuating the way it reacts to a given state of the world The two problems are then can the goals be attributed in some sense to bodies Can them be said to act by virtue of their final causes

In the controversy with Stahl there are hints that point in different directions On the one hand final causation in organic bodies is referred to Gods ends The function realized by a single (or a set of similar) natural machine is a particular end of God that realizes something that concur in producing the more general ends18 In a derivative and weaker sense this applies to inorganic bodies as well Another passage however suggests a different reading In order to ground the distinction of organic and inorganic bodies Leibniz explains that the former have effects and goals by means of their own internal structure19 So not only organic bodies realize Gods ends expressed by the laws of nature that rule their behaviour but these ends are realized because these bodies follow autonomously their own goal and each of these goals constitute a requisite for the realizing of the whole complex of bodies With all the difficulties the organic-inorganic distinction may imply in Leibniz this seems a clear statement of the existence of autonomously pursued goals in bodies

recent years As minimal references see Hartz 2011 pp 29-37 Pasini 2011 pp 1261-1235 18 ldquoQuia igitur Autor rerum omnia intelligit ideo omnia agit cum ordine seu ad Finem Itaque duplices iterum oriuntur causae Finales particulares et generales Particulares apparent inprimis in Machinis naturae seu corporibus viventium organicis quae sunt Machinae divinae inventionis ad certum genus operationum comparatae et in nobis quidem a Ratiocinationem exhibendam [hellip] Licet autem praeter Machinas naturae multa videamus corpora quae rudia sunt et ruderibus similia in quibus non apparet fines speciales dubius tamen nullum esse debet Deum auctores spectantibus ipsa quoque ad fines speciales (etsi nobis ignotos) exquisitissime ordinata esse et omnia concurrere ad finem generalem qui est Harmonia rerumrdquo (AGS p 28) 19 ldquo[] magnum esse discrimen inter machinas et aggregata massaque quod machinae fines et effectus habent vi suae structurae at aggregatorum fines et effectus oriuntur ex serie rerum concorrentiumrdquo (AGS p 66)

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too If so for providing a full reason of the effort to achieve the scope of one natural machine there is no need to make a direct reference to those things who are the metaphysical conditions for the existence of the machine God who created it the simple substance that ldquoactualizes the machinerdquo Consequently a causal autonomy seems to hold in bodies for final causes too Moreover it seems quite reasonable to claim that at least for our knowledge ends of non-conscious monads are better described in biological rather than in cognitive terms Still the passage quoted above does not refer to final causation At first it may be noted that since Leibniz (to my knowledge) never speaks of the essence of one body (while he does for substances) and refers just to the essence of bodies in general from this essence no goal-oriented activity follows Yet one may object that insofar a natural machine can be defined one body then ends can be attributed to that single body

Even admitting that the basic element of Leibnizian physical world have goals not every change in bodies can be explained by goals that might be attributed to thing that changes Accepting the distinction made in the controversy with Stahl not only we cannot ascribe goals to inorganic bodies but the particular end that inorganic bodies may accomplish cannot be ascribed to the natural machines that compose the inorganic aggregate As problematic as the treatment of inorganic aggregates as one body may be in Leibniz there are changes in bodies that cannot be derived by the goal of the body (or aggregate of bodies) that changes even admitting that this change supervenues on goal-oriented changes in natural machines Though teleology is everywhere in bodies it does not lead to an autonomous and complete system of final causation A more problematic case might be the higher level of possible integration of bodies a state of the world considered as a state of a machine where in a strong sense the aggregate of bodies is not arbitrarily constructed In this case Leibnizrsquos use of teleology does not rely much on a tendency toward the following state but on the ratio of the change that being always in accordance to physical laws expresses Gods ends From this point of view it might be argued that following states do not play the role of ends insofar they are not presupposed in the description of change However as it will become clear in the next paragraph the whole set of bodies shares in some sense a

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property of simple substances which is fundamental for final causation namely spontaneity

In light of the rejection of final causation in bodies I then assume as a central point of the PNG thesis that the system of final causation in simple substances means that the activity of substances is caused or described only by goals that can fully be attributed to them I try now to argue that this is consistent with the generality of the PNG thesis only if the system of final causation is not situated at the most fundamental level of Leibnizs metaphysics

3 Final causes and monadic agency

As seen goals (in some cases by determining the thought of the means needed to reach them) can be intended as a cause of the activity of substances This activity consists in an effort a tendency toward a subsequent perceptual state as the definition of appetition states The point that I want to stress here is that while the ldquosystem of final causesrdquo can provide a reason for which a subsequent state is what it is it cannot identify the cause of the following state in the strictest sense The premise may look quite trivial not all efforts reach their goals Obviously this is something Leibniz as anyone else was aware of however this quite simple point assumes in his writings a more interesting meaning A reference to this fact can be found in a text of 1679 where thought in a different theoretical context is highlighted one point Godrsquos global ends are realized through a potentially conflictual composition of different particular tendency toward particular goods20 A similar point is made years later in a letter to Bourguet21 This last text doesnt stress much the conflict beyond the realization of Gods ends nor it highlights the possibility that perceived good may after all be an evil in an objective sense in

20 ldquoItaque Deus est Mens illa quae omnia ducit ad perfectionem generalem Anima autem est vis illa sentiens quae in unoquoque tendit ad perfectionem specialem Ortae autem sunt animae dum Deus omnibus conatum ad perfectionem specialem impressit ut ex eo conflictu oriretur maxima perfectio possibilisraquo (Anima quomodo agat in corpus 1679 A VI 4 p 1367) 21 ldquoLe concours de toutes les tendences au bien a produit le meilleur mais comme il y a des biens qui sont incompatibles ensemble ce concours et ce resultat peut emporter la destruction de quelque bien et par consequent quelque malrdquo (Leibniz to Bourguet 1712 GP III p 558)

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any case it states that particular goods are sometimes destroyed because of the concurrence of various tendencies

Some scholars22 have argued that this shows the pre-eminence in the world of natural teleology (Gods ends) on ldquodesire teleologyrdquo (substancesrsquo ends) While agreeing for natural teleology is the ultimate reason because the conflict of tendencies ends up in a determinate way and not in another it should be added that this is not enough to put the ldquosystem of final causationrdquo as distinguished from teleology in bodies at the deeper level of Leibnizs metaphysics At the same time Leibnizs statement does not imply that a reference to Gods ends is necessary to derive any change of state because the concurrence of tendencies in all substances is enough

These two points may worth a bit of clarification goal-oriented activity in one substance is not enough to provide a reason or a cause for its effect (a subsequent state) considered as an internal perceptual state because if we want to explain it in terms of goal-oriented activity one should consider the concurrence of all simple substances activity So the system of final causation may explain a new state only if one renounces to present it as the results of an immanent activity Beyond the final causes system there is the immanent activity of monads where following states are produced by previous ones In this case monadic activity includes in the form of its own internal limitation what final causes explain only in terms of concurrence of various substances Leibniz is hinting in this direction in the discussion of the well-known example of the beaten dog provided by Bayle against pre-established harmony He in fact holds that the unexpected pain the dogs soul feels when suddenly beaten while he was happily eating does not mean that the dog is seeking a new state of pain and wishing to abandon his happiness It rather means that the new state had been produced spontaneously by the substance activity from the previous state Leibniz draws a distinction between spontaneity by which any state of a substance is produced because of immanent action and voluntary action23 Here the

22 See Rutherford 2005 p 173 See also Adams 1994 p 318 23 ldquoCette incompatibiliteacute [sc the incompatibility between spontaneity and pain or more generally unpleasant perceptions] seroit certaine si spontaneacute et volontaire estoit la mecircme chose Tout volontaire est spontaneacute mais il y a des actions spontaneacutees qui sont sans election et par consequent qui ne sont point volontaires Il ne depend pas de lame de se donner tousjours les sentimens qui luy plaisent

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language of choice is once again used as a model to define tendencies toward a state but the example of the dog may make as said it a bit inadequate In any case this passage allows a distinction between two different meaning of ldquoactionrdquo of a substance Spontaneous activity is situated at the deeper level of a passage from a perception to another while voluntary (or voluntary-like) activity of one substance only partially explains the raise of its subsequent states In the ongoing of the discussion with Bayle namely in the remarks on the second edition of the Dictionnaire Leibniz tries to develop the notion of spontaneity as acting in accordance to a pre-established law by showing that only immaterial substances can fully ground that He starts with the comparison with the movement of a point a point moves along a line that is fully determined so it acts in accordance with a law Yet Leibniz adds if this point was the only one in the world this line would be a straight line If it is not it is because of the concurrence of the complex of bodies plus the law of movements In a rigorous sense then spontaneity is not in a single body for the accordance with the laws depends ultimately on the whole complex of bodies Even the basic elements of the physical world organic bodies are not fully spontaneous because while being complicated machine of perpetual motion they still presuppose the interaction with the environment in their functioning From this point of view however the whole world may be said to be spontaneous in some sense as Leibniz himself admits On the other hand entelechies can be spontaneous following the pre-established ldquopathrdquo without any interference The last lines of the texts show that spontaneity grounds the possibility to consider the passivity of one substance as a state autonomously produced because of its imperfection24 Another point to be highlighted is if the left-alone body

puisque les sentimens quelle aura ont une dependance de ceux quelle a eus (Eclaircissement des difficulteacutes que Monsieur Bayle a trouveacutees dans le systeme nouveau de lunion de lame et du corps 1698 GP IV p 519) On the relevance of this distinction for the attribution of an action to humanrsquos wills rather than Godrsquos and therefore for the whole theory of freedom see Murray 2005 pp 194-216 24 ldquoAinsi il ny a de la contrainte dans les substances quau dehors et dans les apparences [L]e mouvement de quelque point quon puisse prendre dans le monde se fait dans une ligne dune nature determineacutee que ce point a pris une fois pour toutes et que rien ne luy fera jamais quitter [hellip] Il est vray que cette ligne seroit droite si ce point pouvoit estre seul dans le monde et que mainteant elle est due en vertu des loix mecanique au concurs de tous les corps aussi est par ce concurs mecircme quelle est preeacutetablie Ainsi javoue que la spontaneiteacute nest pas proprement

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moving in a straight line do so in accordance to a law what seems impossible for bodies by their essence is the possibility to follow any law no matter how complicated and therefor to differentiate their behaviour without the concurrence of other bodies In this sense spontaneity is surely a requisite for final causation However the fact that this notion applies to the whole set of bodies suggests that it is not enough If voluntary actions are the model on which final causation has to be understood then they are to be referred to the strictest notion of activity where ends can be attributed to the subject at least as long as they identify the reason of its activity and not of what is due its passivity

If so describing monadic activity by means of final causes is just an abstraction on the deepest level where the concurrence is internalized With respect to this level it is a way of explaining the raise of a state and all its own internal features as long as the law of appetition is in every substance It is nonetheless an abstraction that is fully legitimate First final causation accounts for an effective property of appetition directedness that fully explains activity in the restricted sense Second there is a sense in which the restricted notion of activity can be intended as activity par excellence for it is a type of activity that follows from the perfection of one substance It is in fact because of this restricted notion that it is possible to say that one substance acts upon another According to the famous passage from Monadology the legitimacy of the use of transitive causation in explaining states of substances depends on the differences in the perfection of substances this difference consisting in the fact that the acting substance ldquocontains what can give an a priori reason of what happens in anotherrdquo Active goal directedness can constitute if not

dans la masse (agrave moins de prendre lunivers tout entiere agrave qui rien ne resiste) car si ce point pouvoit commencer destre seul il continueroit non pas dans la ligneacutee preeacutetablie mais dans la droite tangente Cest donc proprement dans lEntelechie (dont ce point est le point de veue) que la spontaneiteacute se trouve et au lieu que le point ne pouvant avoir de soi qui touche cette Ligne parce quil na point de memoire pour ainsi dire ny de presentiment lEntelechie exprime la courbe preeacutetablie mecircme les corps environnans ne pouvant point avoir dinfluence sur cette Ame ou Entelechie de sorte quen ce sens rien nest violent agrave son egard Quoyque ce que les hommes appellant violent ne laisse pas davoir lieu en tant que cette Ame a des perceptions confuses et par consequent involontairerdquo (Reponse aux reflexions contenues dans la seconde Edition du Dictionnaire critique de M Bayle GP IV p 558)

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the only at least one of the most important cases that exemplifies such an a priori reason

Incidentally so far it seems that what final causation cannot account for is mainly the passivity of substances considered (as it is) part of their nature25 Yet this statement should be precised The brief remarks made earlier on the notion of deliberation the fact that includes what comes from our passion and even the fact that one may be wrong in an intellectual deliberation shows that the passivity and limitation have to be taken into account in explaining someones action even when we can legitimately say that she is acting upon someone else An interesting statement that goes in this direction in terms of internal impediments can be found in the correspondence with De Bosses26 If so final causes do consider the activity of every created substance as intrinsically limited To some extent the limitation of activity is fundamental in the system of final causation because the limitation intrinsic to the activity differentiate the behaviours of created substances even if they all are instantiations of the general scheme of appetition It is because activity is limited in different ways ie there are different degrees in perfection that the laws of appetitions that rules the way in which they orient their actions is different What I believe final causes cannot account for unless they are referred to the whole set of created substances are those changes which occur to a substance whose reason are better understood in terms of the activity of another substance

4 The causality of ends

Nothing of what has been said so far can be seen as a reason to deny or to admit that goals are causes If the law of appetition could be enough to ground in some sense a different type of causes there will be a much stronger metaphysical grounding for final causations

In Leibnizs texts there are some statements that quite clearly

25 On the issue of limitation and imperfection in created substances see Mormino 2005 26 ldquo[Original sin] non est virtus agendi sed virtutis agendi impedimentum ut ignorantia vitium Per impedimenta autem prodeunt actiones quae sine ipsis non prodirent ut frigoris exemplo patetrdquo (Letter to De Bosses September 1706 LDB p 62)

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denies a specific and irreducible causal role to goals Admittedly this is not a recurrent theme yet to my knowledge this type of statements appears whenever Leibniz explicitly deal with the causal role of goals

7) At ergo finis non est causa Et sane fateor finem non esse

causam non enim existit sed eius conceptum esse causam et quidem inter efficientes nempe impellentem Efficiens est causa quae confert ad effectum agendo27

8) ldquoIllic [sc in bodies] series motuum hic [in souls] series

appetitum locum habet illic transitur a causa ad effectum hic a fine ad medium Et revera dici potest representationem finis in Anima causam efficientem esse repraesentationis Mediorum in eadem28

9) Causa de fine valde improprie dicitur [hellip] Si A facit B quia vult

C erit A efficiens B medium C finis29 10) Efficiens est causa activa [hellip] Finis est cuius appetitio est

causa sufficiens conatus in agente30

From the complex of this texts two different and apparently incompatible types of arguments can be drawn out The first two quotations suggest that goals as long as they act are efficient causes while the other two suggest that goals are not causes because they are not active

As for the first the distinction of two realms of causes does not lead to a distinction of types of causes Indeed in earlier writings Leibniz had used the distinction of the four types of cause as an example of obscure notion31 Beyond this argument there is an 27 Definitiones Aliquid nihil 1679 A VI 4a pp 308-309 28 AGS p 32 29 Definitiones notionum metaphysicarum atque logicarum 1685 A VI 4a p 630 30 [Table of definition] 1702-1704 C p 407 31 See Meditationes de cognitione veritate et ideis A VI 4 p 586 In Carlin 2006 the reducibility to efficient causes is read as the basis for a distinction of two kinds of efficient causes intentional and mechanical It seems to me that the stress is much more on the unique logical structure of the relation of causality by means of the concepts of conference and requisite than on the distinction of types of efficient causes which is not so explicit On the logical grounding of the concept of requisitum see Di Bella 2005 pp 63-93

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evident tentative to interpret univocally the way in which causality works Moreover at least in the case of human action Leibniz had done more than just stating reducibility to efficient causes The whole process of human deliberation and action is described by comparison with mechanical causes Indeed in his Eclaircissement to Bayle objection against pre-established harmony he states that the way a machine work can be a good analogy to comprehend the activity of a substances as determined by its internal state32 Mechanical metaphors are also used to describe the passages of the process of deliberation and action with the same purpose of underline its complete determination Against indifferentia equilibrium Leibniz repeatedly uses the metaphor of a balance to show that the prevalent motive moves infallibly the will A more interesting and complicated metaphor directly referable to Leibnizs dynamics is used to show how a goal can be constituted as such In the Nouveaux essais Leibniz describes the composition of the winning tendency as the result of impulses composed also by ldquoinfinitesimalrdquo tendencies from which the winning effort result It is basically the scheme that lead to consider the raise of live forces from the composition and repetition of the infinitesimal death forces here impulsus has a double ldquonaturerdquo on the one hand it coincides with impetus (momentaneous entity whose infinite repetition produce motion through time) on the other it can apply to the infinitesimal ldquocomponentrdquo of the impetus This way of explaining the process of deliberation highlights an important point already mentioned at another level all components of a perceptual state all motives let them come from the intellect or from passions act in the same way making their composition in the unity of the effect intelligible

Shall one conclude that after all efficient (mechanical-like) causes lay at the bottom of the created world Few doubt can be raised on the metaphorical status of this type of reasoning which highlights a way of functioning of deliberation but should not be taken 32 ldquo[] lame tout simple quelle est a tousjours un sentiment composeacute de plusieurs perceptions agrave la fois ce qui opere autant pour nostre but que si elle estoit composeacutee de piegraveces comme une machine Car chaque perception precedente a de linfluence sur le suivantes conformement agrave une loy dordre qui est dans le perceptions comme dans les mouvemens [hellip] Il auroit peutestre suffi de dire que Dieu ayant fait des Automates corporels en pourroit bien avoir fait aussi dimmateriels qui representent les premiers [hellip]rdquo (Eclaircissement des difficulteacutes que Monsieur Bayle a trouveacutees dans le systeme nouveau de lunion de lame et du corps 1698 GP IV pp 522-523)

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literally and where it is not explicitly stated like in the case of the discussion of the impulse the use of a model based on infinitesimal sounds as a proof that entia rationis are at stake Indeed a literal reading will equally fall under the second set of objections on causality of goals that ends are not causes because they do not act Only agents are causes The explicit limit of the balance metaphor is exactly this motives do not act on the will its the will that acts according to motives Explaining things the other way round would from the metaphysical point of view be like admitting a sort of retro-activity of derivative forces on primary forces Still the two types of objection may appear to be mutually contradictory Two features of Leibnizs theory of causality may help to show they are not The first is that causes are active the second is that a full cause contains all the requisite needed to produce its effect (exactly as it is) So monadic activity is the most fundamental cause and it is not strictly speaking caused by a perceptual state33 Describing a change as if perceptual state where causes of the action is the intrinsic limit both of final causes and of their reduction with mechanical metaphor A state is the immanent effect of an activity rather than its cause Nonetheless since it implies all the requisite of a subsequent states it can be treated as the full cause of it for there is no other way to define this set of requisites as long as one cannot apply to general notion of action to derive the nature of one concrete effect From this point of view ends are not cause yet the ldquosystem of final causationsrdquo constitute a way of explaining or unfolding full causes of a subsequent state while it is applied to all monads This said the fact the mechanical metaphors cover all the logical steps of the theory of voluntary action (composition of a goal determination of a volition action) may seem a reason for once again dismissing the PNG thesis After all one may legitimately say that the activity of a substances is modelled on efficient causes There surely is such a model of explaining activity still the possibility of a such a reduction does not affect I believe the priority of the system of final causation While mechanical metaphor ends in a complete passivity of the subject 33 On causal agency Bobro-Clatterbaugh 1996 pp 408-425 is still fundamental One point that might be added to their thesis that metaphysically speaking monadic activity is the only cause is that from an epistemological point of view perceptual states (plus laws of nature) can be said to be causes as long as they express the whole set of requisites for a subsequent state

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within the system of final causes we can account for monads to be active they act according to a law and toward an immanent effect If this account is correct final causes identify the active subject of change in strictest metaphysical sense Indeed in most of the occasion (though not always) Leibniz is quite accurate in describing final causation as activity in accordance with a law that drives its orientation to some good and not as an action caused by an end Moreover all the mechanical metaphors used assume that from the composition of motives the action will follow In doing so what is presupposed is exactly the law of appetition that states that the result of activity is fully grounded in the perception of the previous state The recomposition of motives in one single effect characteristic of the explanation of action by means of efficient causes presupposes some sort of distribution of the force intrinsic to each motive which can be obtained only by presupposing one specific instantiation of the ldquolaw of good and evilrdquo This law may then look as nothing more but is surely nothing less than a statement on determinism

BIBLIOGRAPHY Abbreviations A followed by series and volume number= Gottfried Wilhelm Leibniz Samtliche

Schriften und Briefe Hrsgg der Prussische Akademie der Wissenschaften then Berlin-Brandenburgischen Akademie der Wissenschaften und der Akademie der Wissenschaften in Goumlttingen Akademie Verlag then De Gruyter Darmstad 1923 and ff Leipzig 1938 and ff Berlin 1950 ff

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GP followed by volume number = Leibniz Gottfried Wilhelem Die philosophischen schriften von Gottfired Wilhelem Leibniz ed by Carl Immanuel Gerhardt Berlin 1875-90 rep Hildesheim 1965 7 vol

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Rutherford D Leibniz on spontaneity in JA Cover and D Garber (eds) Leibniz Nature and freedom Oxford-New York Oxford University Press 2005 pp 156-180

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SECTION 2

PRINCIPE DE RAISON ET CAUSALITEacute

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ARNAUD LALANNE

LA QUESTION DU ldquoPOURQUOIrdquo DANS LA FORMULATION DU PRINCIPE DE RAISON

Rien ne se fait sans raison suffisante crsquoest agrave dire que rien nrsquoarrive sans qursquoil soit possible agrave celuy qui connoitroit asseacutes les choses de rendre une Raison qui suffise pour determiner pourquoy il en est ainsi et non pas autrement

A premiegravere lecture la formulation du principe de raison du paragraphe 7 des Principes de la Nature et de la Gracircce fondeacutes en raison est ldquocanoniquerdquo sans surprise Mais aussitocirct apregraves srsquoecirctre demandeacute pourquoi il en est ainsi et non pas autrement Leibniz formule la question suivante ldquoCe principe poseacute la premiere question qursquoon a droit de faire sera Pourquoy il y a plustocirct quelque chose que rien rdquo Leibniz invente ce qursquoon a coutume de nommer la ldquoquestion de la meacutetaphysiquerdquo

Mais ougrave est veacuteritablement lrsquoinnovation Nous pourrions reacutepondre simplement dans le changement de registre puisque Leibniz passe du discours physique au discours meacutetaphysique au moyen du principe de raison

Jusquici nous navons parleacute quen simples physiciens maintenant il faut seacutelever agrave la Meacutetaphysique en nous servant du grand principe peu employeacute communeacutement qui porte que Rien ne se fait sans raison suffisantehellip1

La parole du principe de raison eacutelegraveve donc agrave la meacutetaphysique Mais lrsquoinvention leibnizienne provient surtout de lrsquoeacutetablissement de la ldquopremiegravere questionrdquo ldquoPourquoy il y a plustocirct quelque chose que rien rdquo comme prolongement immeacutediat du principe de raison Crsquoest le principe de raison qui ldquoleacutegitimerdquo ou reconnaicirct ldquode droitrdquo le caractegravere questionnant du ldquopourquoirdquo dans la primauteacute du ldquoquelque choserdquo par rapport au ldquorienrdquo Nous pourrions aller plus loin et dire que le principe de raison srsquoidentifie avec la ldquopremiegravere question pourquoirdquo conccedilue comme ldquoquestion premiegravererdquo de la meacutetaphysique De faccedilon paradoxale Heidegger fait de la question ldquopremiegravererdquo de Leibniz ldquoPourquoi il y a plutocirct quelque chose que rien rdquo la ldquoquestion finale ou conclusiverdquo

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(Schluszligfrage)2 de la meacutetaphysique Leibniz aurait donneacute la structure fondamentale de la question de lrsquoEtre mais en la rapportant immeacutediatement agrave lrsquoeacutetant dans un sens causal (kausal) perdant le sens questionnant du ldquopourquoirdquo

Notre hypothegravese de lecture est que Leibniz pense le principe de raison de faccedilon veacuteritablement questionnante gracircce agrave lrsquoapprofondissement de la question pourquoi dans un sens meacutetaphysique

Pour veacuterifier cette hypothegravese nous eacutetudierons drsquoabord la genegravese de la formulation du principe de raison agrave partir de la question ldquopourquoirdquo et en particulier lorsque lrsquoadverbe interrogatif est substantiveacute le lexique leibnizien identifiant alors ldquola raisonrdquo avec ldquole pourquoirdquo Dans un second temps nous eacutetudierons la genegravese de la ldquopremiegravere questionrdquo du paragraphe 7 des Principes de la Nature et de la Gracircce fondeacutes en raison en tant qursquoelle deacutefinit le questionnement premier de la meacutetaphysique

1 La genegravese de la formulation du principe de raison agrave partir de la question

pourquoi

11 Lrsquoeacutequivalence entre la raison et ldquole pourquoirdquo (τὸ διότι)

Dans le De arte combinatoria (en 1666) Leibniz utilise lrsquointerrogatif grec διότι sous sa forme substantiveacutee ldquoτὸ διότιrdquo crsquoest-agrave-dire le ldquopourquoirdquo pour deacutefinir le terme latin ldquoratiordquo la raison ldquoIl est difficile ou bien de concevoir la raison crsquoest-agrave-dire le pourquoi ou bien si on la conccediloit de lrsquoexpliquerrdquo3 Cette deacutefinition drsquoinspiration aristoteacutelicienne4 nrsquoest pas donneacutee dans un cadre meacutetaphysique mais logico-matheacutematique pour le calcul des complexions Raison signifie alors rapport numeacuterique plutocirct que faculteacute de compreacutehension ou de

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reacuteflexion Il est possible de concevoir la ldquoraison pour laquelle une chose estrdquo mais pas de lrsquoexpliquer Seul le comment τὸ ὅτι est pleinement explicable

La mecircme distinction entre le pourquoi (τὸ διότι) et le comment (τὸ ὅτι) est reprise dans le contexte drsquoune reacuteflexion theacuteologique pour montrer la neacutecessiteacute pour la raison de ne pas chercher agrave deacutemontrer les mystegraveres de foi Par exemple lrsquoarticle 56 du Discours preacuteliminaire de la conformiteacute de la foy avec la raison eacutetablit que

Nous nrsquoavons pas besoin (hellip) de prouver les Mysteres a priori ou drsquoen rendre raison il nous sufficirct que la chose est ainsi (τὸ ὅτι) sans savoir le pourquoy (τὸ διότι) que Dieu srsquoest reserveacute5(sect 56 GP VI pp 81-82)

Ce passage confirme le rapprochement de la raison comme preuve a priori avec le pourquoi (τὸ διότι) mais Leibniz place la connaissance deacutemonstrative des mystegraveres ldquoau-dessus de la raisonrdquo et non ldquocontre la raisonrdquo Les mystegraveres repreacutesentent la limite du dominium de la raison humaine mecircme si nous pouvons nous repreacutesenter lrsquoentendement divin qui est la source de toute veacuteriteacute y compris des deacutemonstrations des veacuteriteacutes de foi

12 Le principe de raison une simple question de ldquocuriositeacuterdquo

Pourtant cette limitation de lrsquoempire de la raison ne satisfait pas tout agrave fait lrsquoesprit humain et agrave deacutefaut de connaicirctre reacuteellement lrsquohomme est curieux drsquoapprendre - au sens eacutetymologique de la curiositas crsquoest-agrave-

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dire de la faculteacute de poser la question pourquoi lrsquoadverbe interrogatif latin ldquocurrdquo signifiant ici agrave la fois la question ldquopourquoi rdquo et ldquole pourquoirdquo La recherche de la veacuteriteacute se fonde alors sur cet art du questionnement curieux et le principe de raison oriente cette recherche vers la connaissance du ldquopourquoirdquo Or dans la Confessio Philosophi (1673) Leibniz identifie explicitement la question ldquopourquoirdquo en latin ldquoCURrdquo avec la raison Le pourquoi devient ainsi le principe-mecircme de la recherche comme dans la meacutethode aristoteacutelicienne de lrsquoeacutetonnement eacuteveilleacute par la sensation que Leibniz deacutecrit ainsi

En effet tous les hommes lorsquils perccediloivent quelque chose (sentiunt aliquid) surtout si cette chose est insolite demandent pourquoi (cur) cest-agrave-dire en cherchent la cause ([raison] rationem) soit efficiente soit si lauteur est un agent rationnel finale6

Selon la traduction drsquoYvon Beacutelaval on pourrait traduire ldquocurrdquo en le substantivant et les hommes chercheraient alors ldquole pourquoi crsquoest-agrave-dire la raison ou bien efficiente ou bien finale si lrsquoauteur est un agent rationnelrdquo Lrsquooriginaliteacute de ce passage tient dans le fait non seulement que la raison est qualifieacutee drsquoefficiente -alors que crsquoest traditionnellement la cause qui est dite efficiente- mais encore qursquoelle se nomme fin ou finaliteacute quand il srsquoagit drsquoun agent doueacute de raison Le ldquopourquoirdquo est donc compris agrave la fois comme lrsquoobjet de la ldquorechercherdquo et comme ldquola raisonrdquo elle-mecircme soit comme pure efficience si la recherche porte sur la nature soit comme finaliteacute si la recherche porte sur les actions libres drsquoun agent rationnel

Une fois eacutetablie lrsquoidentiteacute de la raison et du pourquoi Leibniz deacutefinit le double aboutissement de cette ldquoquecircterdquo un savoir certain et neacutecessaire si la quecircte est meneacutee par un philosophe et une chose moins certaine mais familiegravere si la recherche est meneacutee par un quidam Tout deacutecoule de la question ldquoCurrdquo

De lagrave viennent les expressions avoir cure et curiositeacute comme queacuterir vient de quel ou quelles (quis quaeve) Et une fois quils ont rendu raison sils en ont le loisir ou sil leur semble que laffaire en vaut la peine ils cherchent la raison de la raison jusquagrave ce quils tombent srsquoil srsquoagit des philosophes sur une chose claire qui soit neacutecessaire cest-agrave-dire agrave soi-mecircme sa raison (sibi ipsi ratio est) et srsquoils sont de simples

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chercheurs sur une chose commune et qui leur soit deacutejagrave familiegravere agrave laquelle ils sarrecirctent7 (trad Belaval un peu modifieacutee pp 32-33)

La recherche de la ldquoraison de la raisonrdquo conduit donc le philosophe agrave une raison suffisante ou identique crsquoest-agrave-dire capable drsquoapporter une veacuteriteacute claire et neacutecessaire La curiositeacute implique donc une quecircte de la raison suffisante sauf pour le simple quidam qui srsquoarrecircte uniquement aux choses familiegraveres

13 La formulation du ldquoprincipe du pourquoyrdquo suffisant (Lettres agrave Hartsoeker ndash

1711-1712)

Pourtant lrsquoeacutetape essentielle pour pouvoir affirmer lrsquoidentiteacute de la raison suffisante avec ldquole pourquoirdquo consiste agrave nommer le principe de raison ldquoprincipe du pourquoirdquo Or crsquoest ce geste sans preacuteceacutedent qursquoaccomplit Leibniz entre 1711-1712 dans sa correspondance avec le physicien Nicolas Hartsoeker A notre connaissance crsquoest le seul endroit dans lrsquoœuvre de Leibniz ougrave apparaicirct un tel usage Faut-il interpreacuteter cet emploi speacutecial en le restreignant au contexte drsquoune poleacutemique physique Ou bien faut-il au contraire lrsquoeacutetendre aux autres domaines de la penseacutee leibnizienne Lrsquoobstacle agrave une geacuteneacuteralisation vient du fait que Leibniz nrsquoutilise ces formules nouvelles que dans le combat contre les thegraveses atomistes drsquoHartsoeker En effet ce dernier soutenant la dureteacute absolue de lrsquoatome Leibniz y voit selon ses termes les ldquoantipodes du pourquoi suffisantrdquo (lettre du 8 feacutevrier 1712 GP II pp 532-533) Nous voyons alors que le vocabulaire du pourquoi est non seulement interchangeable avec celui de la raison mais encore transposeacute pour qualifier le principe lui-mecircme Ainsi Leibniz utilise lrsquoexpression ldquogrand principe du pourquoirdquo pour deacutesigner le principe de raison lui-mecircme sous sa forme complegravete ldquoRien nrsquoarrive sans un pourquoi suffisant ou bien sans une raison deacuteterminanterdquo (lettre du 7 deacutecembre 1711 GP III p 529) Lrsquoordre est comme inverseacute Leibniz qualifie la raison de deacuteterminante au lieu de suffisante et il reacuteserve cet adjectif au seul ldquopourquoirdquo qui finit dans

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cette correspondance par prendre la place habituelle de la raison Avec ce qualificatif de ldquosuffisantrdquo le pourquoi devient mecircme lrsquoeacutequivalent de ldquola droite raisonrdquo dans la lettre du 8 feacutevrier 1712 (GP II pp 532-533)

Au terme de cette rapide genegravese des formules du principe de raison agrave partir de la question pourquoi il apparaicirct donc clairement que la question pourquoi substantiveacutee et la raison elle-mecircme sont devenues au tournant des anneacutees 17008 quasiment identiques y compris dans leurs ldquoprincipesrdquo

2 La genegravese de la premiegravere ldquoquestion meacutetaphysiquerdquo dans les Principes de la

Nature et de la Gracircce

Presque toutes les formules du principe de raison se structurent autour de deux interrogatives indirectes introduites par ldquopourquoirdquo Par exemple dans la Confessio philosophi Leibniz deacutefinit le principe de raison par le fait qursquoun ecirctre omniscient peut ldquoassigner la raison suffisante pourquoi une chose est plutocirct que de nrsquoecirctre pas et pourquoi elle est telle plutocirct qursquoautrementrdquo9 La premiegravere question deacutefinit la preacutevalence de lrsquoecirctre sur le non-ecirctre ou du ldquoquelque choserdquo (aliquid) sur le ldquorienrdquo (nihil) La seconde question porte sur la maniegravere drsquoecirctre crsquoest-agrave-dire sur ce qui distingue tel ecirctre de tel autre ou ce qui explique qursquoune chose est ainsi et non pas autrement Nous eacutetudierons ainsi la genegravese de cette ldquopremiegravere questionrdquo comme ldquoquestion premiegravere de la meacutetaphysiquerdquo dans les Principes de la Nature et de la Gracircce

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21 La ldquoquasi premiegravere question qursquoon peut fairerdquo (Lettre de mars 1706 agrave la

Princesse-Electrice Sophie)

Dans une lettre adresseacutee agrave la Princesse-Electrice Sophie en mars 1706 Leibniz pour la premiegravere fois agrave notre connaissance parle de la question ldquopourquoi il y a quelque choserdquo [sous-entendu ldquoplutocirct que rienrdquo] comme de ldquola quasi premiegravere qursquoon peut fairerdquo agrave partir du principe de raison ldquoqui porte que rien nrsquoest sans raison ou bien qursquoil y a toujours un pourquoirdquo (Correspondenz von Leibniz mit der Prinzessin Sophie eacutedition Onno Klopp Volume 3 (reprint Olms 1973) p 172) Lrsquoexpression ldquoquasi premiegravere questionrdquo est un peu mysteacuterieuse parce qursquoelle laisse supposer qursquoil pourrait y avoir drsquoautres ldquopremiegraveres questionsrdquo pleines et entiegraveres mais sans preacuteciser lesquelles Peut-ecirctre sous-entend-on la traditionnelle seconde question qui eacutetablit pourquoi crsquoest ainsi et non pas autrement

Pourtant la suite de la lettre affirme que ldquola mecircme Raison qui fait qursquoil y a plutocirct quelque chose que rien fait aussi qursquoil y a plutocirct beaucoup que peu de chosesrdquo (Ibid) Donc la seconde question formuleacutee agrave travers la distinction originale entre ldquobeaucouprdquo ou ldquopeurdquo nrsquoest pas la veacuteritable premiegravere question mais une autre question inteacutegreacutee agrave la raison ndash raison commune qui associeacutee agrave la question pourquoi en geacuteneacuteral devient peut-ecirctre la veacuteritable ldquopremiegravere questionrdquo La seconde question deacutecoule par conseacutequent de la ldquoquasi premiegravererdquo selon lrsquousage du principe de varieacuteteacute En effet srsquoil y a bien quelque chose comme lrsquoaffirme la premiegravere formule alors cette chose sera ainsi et non pas autrement ceci et non pas cela distinctes parmi une infiniteacute drsquoecirctre distincts Et de mecircme qursquoldquoil y a quelque choserdquo de mecircme ldquoil y a toujours un pourquoirdquo Nous sommes donc reconduits agrave la question drsquoorigine ldquopourquoi rdquo mais qui a besoin cette fois-ci drsquoune raison suffisante crsquoest-agrave-dire portant en elle la raison de son existence ldquoautrement la mecircme question ou difficulteacute subsisterait toujours de sorte que la derniegravere raison des choses nrsquoest autre chose que la substance absolument neacutecessairerdquo (Ibid) Dieu est alors la reacuteponse qui satisfait agrave la double question ldquopourquoi rdquo du principe de raison

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22 La premiegravere ldquopremiegravere questionrdquo (sect 22 des Remarques sur le Livre de lrsquoorigine du mal)

Dans la lettre de mars 1706 agrave la Princesse Sophie Leibniz heacutesite encore sur la ldquopremiegravere question agrave fairerdquo pour eacutelever le principe de raison dans le domaine meacutetaphysique qui lui est propre La ldquoquasi premiegravere questionrdquo est encore incomplegravete car elle ne formule qursquoune partie de lrsquoalternative ldquopourquoi il y a quelque choserdquo sans mentionner immeacutediatement ldquoplutocirct que rienrdquo et la seconde question prend la forme ineacutedite drsquoune alternative entre ldquobeaucoup de chosesrdquo ou ldquopeu de chosesrdquo au lieu de deacutefinir ce qui est ainsi et non pas autrement Or au paragraphe 22 des Remarques sur le Livre de lorigine du mal de William King que Leibniz publie en Appendice aux Essais de Theacuteodiceacutee10 se trouve le ldquochaicircnon manquantrdquo permettant drsquoeacutetablir non seulement lrsquoordre des questions mais eacutegalement leur porteacutee meacutetaphysique Crsquoest lagrave que se formule la premiegravere veacuteritable ldquopremiegravere questionrdquo

Dans ce passage Leibniz srsquooppose agrave la thegravese de King selon laquelle les premiegraveres eacutelections de Dieu au moment de la creacuteation sont arbitraires ou purement indiffeacuterentes En effet la volonteacute divine ne peut pas choisir de creacuteer le monde sans raison deacuteterminante agrave savoir sans ldquobonteacute ou commoditeacuterdquo (GP VI p 425) Pour reacutepliquer agrave ce systegraveme ougrave ldquoil nrsquoy a pas de pourquoyrdquo (Ibid) Leibniz propose un systegraveme de deacutefense deacutecoulant du principe de raison et dont la question centrale est le pourquoy lui-mecircme

hellipVoicy comment on verra manifestement quelle ne sauroit saccorder avec ce quon vient de dire La premiere Question sera Dieu creera-t-il quelque chose ou non ltet pourquoygt LAuteur repond a repondu quil creera quelque chose parce que crsquoest un moyen de communiq pour communiquer sa bonteacute Il nrsquoest donc point absolum ne luy est donc point indifferent de creer ou de ne point creer Apres cela on demande Dieu creera-t-il telle chose [1] ou une autre il y reacute [2] Lrsquoauteur repond [3] ltou bien une autre et pourquoygt il faudroit repondre (pour parler consequemment) que la mecircme bonteacute le fait choisir le meilleur et en effect lauteur y retombe dans la suite mais suivant son hypothese il repond quil creera telle chose mais quil ny a point de pourquoy parce que Dieu est absolument indifferent quoyqursquoil est vray qursquoil varie un ltpour les creatures qui nont leur bonteacute que de son choixgt (transcription AL)11

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Lrsquoeacutetude du manuscrit du paragraphe 22 des Remarques reacutevegravele deux faits significatifs Le premier crsquoest le soin que Leibniz a pris de souligner le ldquopourquoyrdquo sous sa forme substantiveacutee ce qui met en eacutevidence que King ne choque pas tant le principe de bonteacute que le ldquoprincipe du pourquoyrdquo la raison drsquoecirctre de la creacuteation divine Le second eacuteleacutement significatif est le double rajout du ldquopourquoyrdquo dans les deux questions Ainsi dans la premiegravere version Leibniz eacutecrivait simplement ldquoDieu creera-t-il quelque chose ou nonrdquo sans qursquoil soit question de chercher ldquole pourquoyrdquo Mais en marge Leibniz rajoute le ldquopourquoirdquo sous sa forme questionnante Crsquoest la genegravese du geste meacutetaphysique des Principes de la Nature et de la Gracircce La question ldquoCreacuteer ou pas rdquo relegraveve uniquement de la puissance ldquoCreacuteer quelque chose plutocirct que rienrdquo relegraveve de la volonteacute libre du creacuteateur mais rendre la raison ldquopourquoi on creacutee quelque choserdquo relegraveve de ce que Leibniz nomme dans sa lettre agrave Bossuet du 8 Avril 1692 une ldquosagesse architectonique plus qursquoinfinierdquo (A II 2 N 145 p 516) Une fois cette premiegravere question ldquopourquoyrdquo formuleacutee dans une perspective meacutetaphysique Leibniz deacuteveloppe naturellement la seconde question ldquoDieu creacuteera-t-il telle chose ou une autre rdquo Or si nous eacutetudions la genegravese du passage nous constatons que la question ldquopourquoirdquo nrsquoapparaicirct qursquoagrave la troisiegraveme version dans les deux premiegraveres versions la question pourquoi ne figure pas et la reacuteponse de King est preacutesenteacutee deux fois directement agrave la suite Mais la troisiegraveme version eacutetablit lrsquoeacutequilibre avec la premiegravere question et montre la neacutecessiteacute de comprendre ce qui existe ldquoainsirdquo relativement au meilleur et agrave la veacuteritable bonteacute

23 La ldquopremiegravere question qursquoon a droit de fairerdquo (Principes de la Nature et de la

Gracircce)

Nous avons vu en introduction la formulation geacuteneacuterale du principe de raison dans les Principes de la Nature et de la Gracircce il ne nous reste plus qursquoagrave eacutetablir si la ldquopremiegravere questionrdquo complegravete qui en deacutecoule peut-ecirctre qualifieacutee en mecircme temps de ldquoquestion premiegravere de la meacutetaphysiquerdquo

Relevons tout drsquoabord ce qui distingue la question de la lettre agrave Sophie (ldquoQuasi la premiegravere question qursquoon peut faire est pourquoi il

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y a quelque choserdquo) de la question du sect7 ldquoCe principe poseacute [ie le principe de raison] la premiegravere question quon a droit de faire sera pourquoi il y a plutocirct quelque chose que rien rdquo12 Deux diffeacuterences apparaissent immeacutediatement En effet la premiegravere diffeacuterence vient de ce que la question de la lettre agrave Sophie nrsquoest exprimeacutee que comme une possibiliteacute (qursquoon peut faire) et comme une ldquoquasi-premiegravererdquo question alors que la question des Principes de la nature et de la gracircce est une question ldquode droitrdquo rendue leacutegitime par la supposition du principe de raison qui devient ainsi la condition drsquointelligibiliteacute de la question meacutetaphysique

La seconde diffeacuterence vient du fait que ldquole rienrdquo nrsquoapparaicirct pas dans la premiegravere question de la lettre agrave Sophie alors qursquoil est deacuteveloppeacute pour lui-mecircme degraves la premiegravere question des Principes agrave la faccedilon drsquoune objection agrave lrsquoexistence du ldquoquelque choserdquo puisque ldquole rien est plus simple et plus facilerdquo (Ibid) Mais le ldquorienrdquo signifie en reacutealiteacute lrsquoabsence de raison ou de pourquoi Comme lrsquoa montreacute le sect 22 des Remarques sur King le ldquorienrdquo peut servir de modegravele aux theacuteories du pur indiffeacuterentisme mais eacutegalement agrave celles du neacutecessitarisme qui reacuteduit tout au vide et aux atomes mateacuteriels (cf Lettre agrave Hartsoeker et agrave Reacutemond) et le principe de raison se deacutefinit alors comme le moyen de lutter contre ces theacuteories ougrave ldquoil nrsquoy a point de pourquoyrdquo et deacutefendre agrave tout prix lrsquoeacuteleacutevation agrave la perspective meacutetaphysique

Il faut ensuite expliquer une autre eacutetrangeteacute pourquoi faut-il ldquoposerrdquo le principe de raison avant drsquoavoir le ldquodroitrdquo de poser la question meacutetaphysique du ldquopourquoyrdquo Dans son article sur la seconde question Michaeumll Devaux a bien remarqueacute cette anteacuteposition du principe sur la question et ajoute une autre eacutetrangeteacute pourquoi Leibniz formule-t-il la seconde question avant la premiegravere 13 Nous pourrions reacutepondre que la premiegravere question est ontologiquement premiegravere mais expeacuterimentalement seconde tandis que la seconde question est premiegravere dans lrsquoordre de la contingence et seconde dans lrsquoordre de la neacutecessiteacute ontologique ndash de la mecircme faccedilon que le ldquoτὸ διότιrdquo est premier dans lrsquoordre de la sagesse divine mais second dans lrsquoordre de la connaissance humaine et que le ldquoτὸ ὅτιrdquo est originaire dans la connaissance humaine mais deacuteriveacute relativement agrave lrsquoordre divin Nous pouvons alors interpreacuteter lrsquoauto-13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 12 Cf eacutedition drsquoAndreacute Robinet 1954 pp 44-45 13 Devaux 2001 pp 289-296

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position ou ldquoauto-fondation du principe de raisonrdquo dirait Juan Nicolaacutes14 comme un fondement a priori dans lrsquoentendement divin qui rendrait la question de lrsquoecirctre leacutegitime et comme un fondement a posteriori pour lrsquointelligence Dans ce dernier cas il faut interpreacuteter la position du principe de raison comme une supposition agrave la faccedilon drsquoun raisonnement conditionnel ou de la simple hypothegravese de la sagesse divine

Enfin il reste une derniegravere difficulteacute agrave reacutesoudre pourquoi Leibniz reacutepegravete-t-il une deuxiegraveme fois la seconde question Si la premiegravere question porte immeacutediatement sur lrsquoecirctre et le non-ecirctre sur le quelque chose et le rien la seconde porte drsquoabord sur ldquolrsquoecirctre ainsirdquo le fait drsquoecirctre ainsi et non pas autrement et porte ensuite dans la deuxiegraveme formulation sur le fait de ldquodevoir-exister-ainsi et non autrementrdquo ldquoIl faut quon puisse rendre raison pourquoi elles doivent exister ainsi et non autrementrdquo (Ibid) Dans la premiegravere question il y a une veacuteritable balance entre lrsquoecirctre et le non-ecirctre le plateau pourrait pencher du cocircteacute du rien Dans la seconde question il y a une double injonction un double devoir il faut rendre raison et il faut que ce soit ainsi et non autrement Dans la premiegravere question que nous pouvons qualifier drsquoontologique le devoir de reacuteponse incombe agrave Dieu et le droit de demande agrave lrsquohomme alors que dans la seconde question que nous pouvons qualifier drsquoontologique puisqursquoelle concerne le ldquodevoir-ecirctrerdquo le devoir incombe agrave lrsquohomme (il doit rendre raison de ce qui est ainsi) et le droit agrave Dieu au sens ougrave le monde contingent doit se rapporter agrave sa source neacutecessaire Lrsquoeacuteleacutevation agrave la meacutetaphysique appartient donc agrave la question ontologiquement premiegravere et la consideacuteration du regravegne moral des fins appartient agrave la seconde question Creacuteer quelque chose plutocirct que rien relegraveve drsquoun choix meacutetaphysique ougrave la puissance de lrsquoEtre neacutecessaire srsquoaccorde avec sa sagesse pour envisager le ldquopourquoirdquo crsquoest-agrave-dire la raison drsquoecirctre des choses Mais pour rendre la raison pour laquelle les choses sont ainsi plutocirct qursquoautrement il faut srsquoeacutelever agrave la consideacuteration du bien en soi et du devoir-ecirctre du

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ldquodevoir-exister-ainsirdquo dans sa deacutetermination morale pourquoi les choses doivent-elles ecirctre ainsi et non autrement Parce qursquoil faut supposer la bonteacute du creacuteateur et le choix du meilleur

A la premiegravere question ldquoPourquoi il y a plutocirct quelque chose que rien rdquo le Dieu leibnizien reacutepondrait ldquoParce que cela est tregraves bonrdquo comme Dieu dans le Livre de la Genegravese et lrsquohomme curieux aurait le devoir de reacutepondre au terme de sa quecircte du ldquopourquoirdquo ou de la ldquoraison drsquoecirctrerdquo de ce qui est ldquoCrsquoest meilleur ainsi qursquoautrementrdquo

BIBLIOGRAPHIE Aristote Meacutetaphysique livre A trad Tricot Paris Vrin 1990 Devaux M La seconde question du principe de raison dans la meacutetaphysique reacuteelle

de G W Leibniz in Leibniz-Kongress Nihil sine ratione Berlin 2001 Heidegger M Einleitung zu Was ist Metaphysik Wegmarken GA 9 Frankfurt am

Main Vittorio Klostermann 1976 et tr fr Questions I et II Introduction de 1949 agrave Qursquoest-ce que la Meacutetaphysique Gallimard-Tel 1990

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JUAN ANTONIO NICOLAacuteS

LA TRANSFORMATION LEIBNIZIENNE DES PRINCIPES LE PRINCIPE DE RAISON COMME PRINCIPE PRATIQUE1

1 Introduction

Deux questions principales seront ici abordeacutees dans un premier temps la transformation de la conception des principes que fait Leibniz Cette transformation sera projeteacutee sur le modegravele de reconstruction de la philosophie leibnizienne appeleacute meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique Dans un deuxiegraveme temps le principe de raison sera concregravetement analyseacute et tout speacutecialement son aspect pratique Ce principe nrsquoest pas seulement un principe des raisonnements mais aussi de lrsquoaction Crsquoest la raison pour laquelle nous essayons drsquoanalyser dans ce contexte son fonctionnement dans le domaine de la raison pratique agrave savoir dans le domaine de lrsquoeacutethique et de la politique

Cette analyse sera meneacutee concernant deux aspects Drsquoune part en tenant compte du fait qursquoil existe certaines versions du principe de raison qui trouvent leur application dans le domaine de ce qui peut ou doit ecirctre fait Par exemple le principe de raison comme principe de la convenance2 Drsquoautre part il convient de souligner que Leibniz fait la distinction eacutepisteacutemologique drsquoun double sujet le sujet humain et le sujet divin Ces deux sujets repreacutesentent deux points de vue eacutepisteacutemologiques diffeacuterents mecircme srsquoils ont certains principes en commun Crsquoest pourquoi ces deux sujets font ce qui est plus convenable de diffeacuterentes faccedilons Du point de vue humain il se produit un processus de ldquoprogregraves perpeacutetuelrdquo3

En dernier lieu les versions pratiques du principe de raison sont lieacutees au principe dominant dans le domaine de lrsquoeacutethique et de la politique (le principe drsquoautrui) et avec le meacuteta-principe de la logique et

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de la rationaliteacute leibnizienne le principe de lrsquoordre4 tel qursquoil est deacutefini dans la meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique

2 La transformation de lrsquoattitude face aux principes vers un ordre dynamique

Lrsquoldquooceacuteanrdquo des textes de Leibniz relatifs au principe montrent comme premier aspect que ce ne sont pas toujours les mecircmes principes qui occupent la place de choix drsquoecirctre les ldquopremiersrdquo Il existe plusieurs ldquoclassificationsrdquo dans lesquelles il existe des principes communs et parfois non Consideacuterant que ce sujet est extrecircmement important pour Leibniz il nrsquoest pas exageacutereacute de penser que cela soit quelque chose de simplement fortuit ou secondaire Crsquoest pourquoi il faudrait sans doute prendre litteacuteralement ce fait au seacuterieux crsquoest-agrave-dire que cette diversiteacute de formulations srsquoexplique par le fait qursquoil doit en ecirctre ainsi et qursquoil ne peut pas en ecirctre autrement Autrement dit lrsquoordre des principes est en perspective associeacute agrave des domaines du savoir agrave des niveaux logiques agrave des structures rationnelles etc de sorte que les principes ne sont pas les mecircmes concernant tout le problegraveme ni dans tout lrsquoespace logique et rationnel et ne sont pas de la mecircme maniegravere et nrsquoont pas la mecircme formulation

Assumer ce fait signifie adopter face aux principes une attitude diffeacuterente des analyses reconstructionnistes habituelles qui partent de la preacutesupposition qursquoil existe une structure fixe et inamovible des principes de la raison qui peut ecirctre reconstruite Et lrsquoobjectif est de savoir quelle est lrsquoideacutee deacutefinitive de Leibniz agrave ce sujet Comme lrsquoa deacutemontreacute A Herrera5 cette strateacutegie eacutechoue dans sa tentative de trouver un ordre univoque et deacutefinitif Crsquoest pourquoi il faudrait sans doute changer cette hypothegravese et introduire une conception dynamique des principes chez Leibniz Cela expliquerait bien le fait qursquoil nrsquoexiste pas une classification unique ni deacutefinitive Les principes changent progressivement en ce qui concerne leur rocircle leur structure leur formulation et leurs relations mutuelles dans la totaliteacute

Cette hypothegravese nrsquoimplique pas lrsquoimpossibiliteacute de reconstruire un systegraveme leibnizien Parmi les commentateurs crsquoest probablement E

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de Olaso qui a le plus suivi cette ligne6 Il aborde le sujet depuis la perspective de la reacutefutation du scepticisme et montre lrsquoinsuffisance des efforts de Leibniz pour justifier les premiers principes du raisonnement et arrive agrave la conclusion que la rationaliteacute selon le modegravele leibnizien est en ldquobanquerouterdquo

Selon E de Olaso il nrsquoexiste que deux reacuteponses possibles agrave la question sur la justification des principes soit ils ne doivent pas ou ne peuvent pas ecirctre justifieacutes (Aristote) soit la dialectique est le seul moyen permettant agrave la penseacutee de pouvoir se justifier en soi (Hegel) Leibniz se trouverait dans une position dubitative entre les deux7 Il accepterait ldquode faccedilon aristoteacuteliciennerdquo que les principes ne peuvent pas ecirctre prouveacutes mecircme srsquoils ont besoin de lrsquoecirctre et tente parfois de trouver des ldquopreuvesrdquo ou des ldquojustificationsrdquo de lrsquoun des principes Dans ce deuxiegraveme cas Olaso examine plusieurs passages de Leibniz (fondamentalement concernant le principe de non contradiction principe suprecircme de la raison) et montre comment sa strateacutegie fondatrice essuie eacutechec sur eacutechec

Olaso prend comme hypothegravese que ldquoLeibniz a consideacutereacute que toute sa philosophie est deacuteductiverdquo8 De ce fait il reacuteduit les tentatives de Leibniz agrave une justification lineacuteaire des principes drsquoautrui jusqursquoau principe suprecircme qui selon Olaso serait le principe de non contradiction Dans ce cadre interpreacutetatif ce principe ldquone peut pas recevoir un doute ni une preuverdquo9 Cette thegravese est interpreacuteteacutee par Olaso comme la concession du fait que tout le systegraveme rationnel est (deacuteductivement) injustifiable et crsquoest lagrave ougrave reacuteside lrsquoeacutechec de Leibniz

Toutefois il faudrait remettre en question lrsquohypothegravese deacuteductiviste drsquoOlaso La penseacutee leibnizienne ne doit pas neacutecessairement ecirctre reconstruite dans ces termes Drsquoune part plusieurs propositions ont eacuteteacute avanceacutees dans drsquoautres directions Drsquoautre part la thegravese qursquoil existe des eacuteleacutements dans un systegraveme de penseacutee ne requeacuterant aucune deacutemonstration lineacuteaire-deacuteductive ni une remise en question peut ecirctre interpreacuteteacutee selon le modegravele de rationaliteacute qui tout juste apregraves Leibniz va atteindre sa formulation classique le modegravele transcendantal Tout ce qui est doteacute de ces

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caracteacuteristiques peut ecirctre consideacutereacute comme une condition de possibiliteacute du reste du systegraveme mais qui appartient agrave un autre niveau Il srsquoagit drsquohypothegraveses neacutecessaires pour expliquer la connaissance dont la neacutecessiteacute logique surgit de lrsquoauto-application reacuteflexive de lrsquoaction rationnelle et cognitive sur elle-mecircme Le principe de raison serait lrsquoinstrument leibnizien de cette voie de justification10

Pour avancer dans notre approche devant la position drsquoE drsquoOlaso il faudrait remettre en question deux de ses hypothegraveses drsquoune part que pour Leibniz il existe un ensemble de principes fixe et stable qui constitue le fondement de la rationaliteacute drsquoautre part que prouver ou justifier signifie toujours deacuteduire Leibniz a une attitude devant ces principes sui generis qui nrsquoest plus celle des logiques traditionnelles (aristoteacuteliciennes) Il srsquoagit drsquoune attitude tregraves creacuteative et libre dans laquelle il existe une invention constante de principes leur reformulation une application agrave des problegravemes et agrave des contextes tregraves diffeacuterents etc Cette attitude conduit agrave la transformation de la conception geacuteneacuterale des principes de leur rocircle dans le domaine de la rationaliteacute et de la relation existante entre eux

De ce fait Leibniz imprime un tournant dans son attitude face aux principes agrave caractegravere vitaliste et ldquodynamiquerdquo ce qui a motiveacute une conception transformeacutee de ces derniers

3 Tournant dynamique et vitaliste dans la conception des principes

Crsquoest Ortega y Gasset qui a souligneacute dans lrsquoaire culturelle espagnole et latino-ameacutericaine le rocircle des principes dans la penseacutee de Leibniz Agrave la suite de la remise en cause historique de tout un modegravele de rationaliteacute aristoteacutelicienne qui comprenait un systegraveme de principes deacutetermineacute avec toutes ses diffeacuterentes variantes meacutedieacutevales on arrive au XVIIegraveme siegravecle agrave Leibniz qui reprend de faccedilon centrale dans sa penseacutee cet outil intellectuel que sont les principes Quelle innovation Leibniz introduit-il dans sa conception de cette notion et dans le rocircle qursquoils jouent dans lrsquoensemble de la rationaliteacute Leibniz se contente-t-il de reacuteiteacuterer pour lrsquoessentiel la doctrine aristoteacutelicienne existante dans ce sens ou comme dans beaucoup drsquoautres

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domaines veut-il introduire une nouvelle conception qui assume lrsquoeacutemergence imminente de la science moderne et qui agrave la fois ne se limite pas seulement agrave celle-ci mais qui soit aussi capable drsquointeacutegrer agrave sa maniegravere les doctrines classiques Face agrave ces approches rationalistes dans le sens de conceptualistes Ortega propose lrsquoalternative drsquoune penseacutee qui vient drsquoen-bas (ldquopenser avec les piedsrdquo) qui tient compte de lrsquoinfrastructure de tout conceptualisme et qui fait figurer au premier plan ldquolrsquoalteacuteriteacute de la raison (conceptuel)rdquo Tout cet ensemble est repris par Ortega qui lrsquoinclut sous la notion de ldquoma vierdquo De ce fait concept (rationnel) ou vie voilagrave lrsquoalternative drsquoOrtega qursquoil reacutesout agrave travers cette synthegravese difficile ce qursquoil appelle ldquoraison vitalerdquo Comment classer Leibniz dans ce contexte et notamment sa doctrine des principes

Ortega ouvre ce deacutebat et propose une ligne de travail permettant drsquoy aborder cette reacuteflexion Pour cela nous disposons entre autres des importants travaux preacuteceacutedents de Bernardino Orio de Jaime de Salas et plus particuliegraverement drsquoAgustiacuten Andreu sur ce que lui-mecircme a appeleacute ldquomethodus vitaerdquo pour faire reacutefeacuterence agrave Leibniz Il srsquoagit donc de continuer le deacuteveloppement de lrsquoorientation marqueacutee par Ortega agrave cet eacutegard dans la discussion constante et lrsquoargumentation qursquoest la reacuteflexion philosophique Ce deacuteveloppement va se faire de faccedilon propre dans le cadre de ce que jrsquoai appeleacute la meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique de Leibniz Il srsquoagit drsquoune proposition de reconstruction et drsquointerpreacutetation de la philosophie leibnizienne agrave partir de principes et par conseacutequent conforme agrave la direction marqueacutee par Ortega

Sont notamment deacutefinis la place exacte qursquooccupent les principes dans lrsquoespace rationnel creacuteeacute dans ce modegravele de meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique les diffeacuterentes fonctions exerceacutees et la concreacutetisation qursquoils ont dans chacun des domaines qui constituent cette meacutetaphysique Avec toute cette analyse et la reconstruction nous allons ici soutenir la thegravese qursquoil existe aussi chez Leibniz un moyen particulier de conjuguer la raison selon les principes et le vitalisme

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31 Tournant vitaliste

Lrsquoexpeacuterience de la vie est omnipreacutesente dans toute la philosophie leibnizienne11 Elle parcourt toute sa production jusqursquoagrave ses textes les plus eacutelaboreacutes Leibniz adopte comme modegravele pour sa penseacutee non pas le modegravele deacuteductif des matheacutematiques ni le modegravele de la physique qui existe dans les grands domaines du savoir mais plutocirct le modegravele de la biologie Le vitalisme est aussi preacutesent chez Leibniz aussi bien agrave travers la voie du neacuteoplatonisme (philosophie hermeacutetique gnosticisme neacuteoplatonisme cabale) qursquoagrave travers la voie de la science biologique naissante agrave lrsquoeacutepoque Cette ligne de force de la penseacutee de Leibniz va mecircme jusqursquoagrave la notion centrale de sa meacutetaphysique la monade celle-ci est caracteacuteriseacutee comme ldquoun ecirctre capable drsquoactionrdquo12 Et comme il ne pouvait pas en ecirctre autrement elle va aussi jusqursquoau domaine des principes Leibniz arrive agrave formuler un rdquoprincipe vitalrdquo13

Dans ce contexte pour Leibniz les principes sont associeacutes agrave la vie la vie de la reacuteflexion chargeacutee de spontaneacuteiteacute de creacuteativiteacute et de nouveauteacute Agrave la lumiegravere de ce devenir impreacutevisible va avoir lieu cette reacuteflexion sur les principes toujours avec de nouvelles formulations de nouveaux problegravemes pour lesquels de nouveaux principes sont creacuteeacutes etc Leibniz a le courage intellectuel de ne pas se reacutefugier dans une structure deacutetermineacutee ou formuleacutee mais drsquoouvrir la voie des principes agrave lrsquoaventure de la penseacutee

32 Tournant dynamique

Leibniz introduit une nouvelle dynamique dans la consideacuteration theacuteorique des principes concernant la conception classique qui serait lrsquoapproche aristoteacutelicienne et toutes ses variantes meacutedieacutevales

Leibniz formule des principes dans chaque domaine du savoir dans lesquels il intervient dans chaque problegraveme qursquoil traite dans les sciences bien eacutetablies agrave lrsquoeacutepoque et dans celles que lui-mecircme contribue agrave creacuteer Et avec une naturaliteacute et une profusion inconnues

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avant et apregraves lui Bien loin de la rigide discipline logique et formelle ougrave il existe une stricte formulation des principes avec une stricte hieacuterarchisation qui assure le rocircle des principes nucleacuteaires comme telle une fois pour toutes avec une relation deacuteductive lineacuteaire et inamovible des uns et des autres agrave partir des premiers Crsquoest preacuteciseacutement dans cette discipline rigide que reacuteside la valeur des principes et de la logique qui les eacutetablit comme structure de base de toute penseacutee

Face agrave cette rigiditeacute extrecircme Leibniz montre une attitude libre creacuteative pragmatique innovante et sans crainte de reconsideacuterer les propositions et de les transformer chaque fois que les problegravemes traiteacutes lrsquoexigent Sur ce point la creacuteativiteacute leibnizienne est similaire agrave celle qursquoil deacuteveloppe dans drsquoautres domaines de lrsquoactiviteacute intellectuelle

De ce fait il creacutee toute une constellation de principes de porteacutee diffeacuterente que Leibniz nrsquoarrive jamais agrave fermer de faccedilon deacutefinitive Il existe de nombreuses tentatives drsquoinstaurer des hieacuterarchies de formuler les plus primordiaux drsquoeacutetablir des relations entre eux etc Quelques exemples Leibniz eacutelabore plusieurs fois une liste des premiers principes qui ne coiumlncident pas toujours totalement et selon les cas et les contextes il inclut les uns ou les autres Un autre exemple le principe de raison suffisante a pregraves de quarante formulations diffeacuterentes chez Leibniz

De ce fait comme dans le cas drsquoautres questions philosophiques Leibniz ne ferme jamais le systegraveme il nrsquoeacutecrit jamais un traiteacute deacutefinitif sur les principes Il garde une attitude ouverte constamment attentive libre et courageuse Il ne recule devant aucun problegraveme qursquoil juge inteacuteressant ce qui donne concernant le sujet traiteacute un festival de principes vu que mecircme srsquoil ne srsquoagit pas drsquoune reacutevolution il existe bel et bien une profonde transformation dans la faccedilon de faire face agrave cet instrument philosophique fondamental

Si Leibniz adopte une attitude aussi libre et innovante pourquoi respecter cette notion qui pourrait constituer un obstacle agrave sa creacuteativiteacute deacutemesureacutee Nrsquoimporte quelle reacuteponse agrave cette question se situerait toujours entre la fantaisie plus ou moins controcircleacutee et informeacutee de la personne qui la formule et la vraisemblance que donne la confrontation textuelle qui ne sera probablement jamais exhaustive Dans ce contexte lrsquohypothegravese suivante peut ecirctre lanceacutee

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Leibniz se trouve dans lrsquoalternative drsquoouvrir la voie des principes de lui donner une diffusion et une dynamique qursquoelle nrsquoavait jusqursquoagrave preacutesent jamais eue Ce qui permettra drsquoaugmenter consideacuterablement lrsquoefficaciteacute et la puissance de lrsquoesprit pour aborder des problegravemes et proposer des solutions Mais par ailleurs Leibniz ne veut pas perdre le controcircle rationnel des problegravemes ne veut pas se voir deacutebordeacute par sa propre creacuteativiteacute jusqursquoagrave entrer dans le domaine de lrsquoincontrocirclable Leibniz fuit aussi bien lrsquoordre fermeacute que le chaos Crsquoest la situation ldquoparadoxalerdquo14 que connaicirct Leibniz concernant les principes et qui est la mecircme concernant de nombreux autres sujets (par exemple dans le cas de la relation entre la finitude et lrsquoinfini)

Dans cette situation Leibniz donne aux principes une fonction essentielle drsquoune part ils permettent toute la diversiteacute la pluraliteacute et lrsquoapplicabiliteacute que Leibniz leur donne et drsquoautre part ils lui permettent de garder un minimum drsquoordre rationnel Il srsquoagit drsquoun ordre dynamique aussi bien concernant la consistance de chaque principe que concernant la relation entre eux dans des domaines particuliers et dans tout leur ensemble Crsquoest la dynamique des principes quasi dialectique dans laquelle srsquoinstalle Leibniz qui est le nouvel ordre de la raison agrave partir de principes qursquoil instaure

Nous nrsquoentrons pas maintenant dans une eacutetude approfondie des diffeacuterentes faccedilons dont on peut comprendre la notion de ldquoprinciperdquo Sur le plan opeacuterationnel nous utilisons une notion standard de principe comme quelque chose dont deacutependent ou deacutecoulent drsquoautres choses qursquoelles soient aussi bien des reacutealiteacutes que des propositions ou des concepts et par conseacutequent pour le moment la valeur aussi bien ontologique que gnoseacuteologique des principes est assumeacutee

Concernant les principes Leibniz affirme que

Il nrsquoy a que les atomes de substance crsquoest-agrave-dire les uniteacutes reacuteelles et absolument destitueacutees de parties qui soient des sources des actions et les premiers principes absolus de lrsquoanalyse des choses substantielles On pourrait les appeler points meacutetaphysiques ils ont quelque chose de vital et une espegravece de perception et les points matheacutematiques sont leur point de vue pour exprimer lrsquounivers15

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4 Fonction et caracteacuteristiques du systegraveme des principes

Il faut eacutetablir au moins les trois fonctions suivantes que les principes auront chez Leibniz

a) Fonction de multiplication et de diversification vu que de chaque principe sont suivis (par le biais drsquoune multitude de strateacutegies meacutethodologiques) drsquoautres regravegles reacutegulariteacutes ou nouveaux champs drsquoapplication non encore exploreacutes On retrouve ici la dimension geacuteneacuteratrice qui est agrave la base de la notion de principe depuis sa racine grecque ldquoarcheacuterdquo Les principes ont une fonction drsquoouverture

b) Fonction drsquounification et de coordination degraves lors qursquoils deacutetectent et formulent des convergences des liens et des paralleacutelismes entre des donneacutees ou des individualiteacutes de diffeacuterents types nrsquoayant apparemment aucun rapport Les principes ont une fonction de connexion

c) Fonction de systeacutematisation surgie agrave partir de relations de diffeacuterents types qui peuvent srsquoeacutetablir entre les principes soit de subordination drsquoappartenance de correacutelation ou drsquoabsorption diffeacuterencieacutee Cette fonction etou capaciteacute des principes permet de parler drsquoun ldquosystegravemerdquo dans le cas de la penseacutee de Leibniz Cela est exprimeacute par Leibniz de diffeacuterentes maniegraveres par exemple quand il eacutecrit que dans sa penseacutee et correacutelativement dans la reacutealiteacute ldquotout est lieacuterdquo16 ou concregravetement quand il fait reacutefeacuterence aux principes il exprime lrsquointerconnexion directe ou indirecte de tous avec tous quand il dit que ldquocelui qui connait lrsquoun des principes les connait tousrdquo17 Les principes ont une fonction de coordination

Le reacutesultat final auquel arrive cette reconstruction de la conception des principes chez Leibniz constitue un systegraveme dynamique qui a les caracteacuteristiques suivantes

(a) Ouverture elle est ouverte parce qursquoil est toujours possible drsquointroduire de nouveaux principes

(b) Variabiliteacute il nrsquoexiste pas une hieacuterarchie fixe mais dans lrsquointerrelation entre les principes il existe des valeurs relatives variables

(c) Theacuteorique et pratique lrsquoensemble des principes a un caractegravere theacuteorique et pratique 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 16 GP VI 599OFC 2344 17 GP II 412OFC 14327

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(d) Coheacutesion dans cette dynamique des principes ldquotout est lieacuterdquo (e) Gestion dynamique le changement et lrsquoordre deviennent

compatibles

5 Architectonique de la meacutetaphysique rationnelle le lieu du principe de raison

Nous entamons maintenant la deuxiegraveme partie de cette reacuteflexion ougrave la question sur la place du Principe de raison suffisante dans lrsquoensemble de la rationaliteacute est poseacutee et nous nous penchons sur son rocircle dans le domaine de la raison pratique Ainsi la notion transformeacutee des principes dans le cadre de la meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique18 est mise agrave lrsquoeacutepreuve

La meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique est configureacutee dans un espace logique et srsquoarticule autour des trois axes cateacutegoriels (individualiteacute-systeacutematiciteacute uniformiteacute-diversiteacute vitaliteacute-fonctionna-liteacute) qui agrave leur tour se subdivisent en quatre niveaux dont chacun se fonde sur un principe ou un ensemble de principes

- La logique de lrsquoordre de principes sect Principe geacuteneacuteral de lrsquoordre - Les principes dans lrsquoontologie de la raison vitale sect Principe vital - Les principes dans la gnoseacuteologie du perspectivisme corporel sect Point de vue absolu principe geacuteneacuteral de lrsquoordreprincipe du

meilleurprincipe de raison sect Point de vue humain principe du perspectivisme - Les principes dans lrsquoeacutethique de la reconnaissance sect Principe de la place drsquoautrui

6 Lrsquoaspect pratique du principe de raison rationaliteacute theacuteorique-pratique

Lrsquoun des principaux aspects de ce modegravele de rationaliteacute meacutetaphysique est son caractegravere theacuteorique et pratique qui comprend un cocircteacute theacuteorique (logique eacutepisteacutemologique ontologique) et un cocircteacute pratique (eacutethique politique) Lrsquouniteacute de ces cocircteacutes est deacutetermineacutee par

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des principes communs qui les caracteacuterisent tous Lrsquoun des principes les plus speacutecifiques de la penseacutee leibnizienne (du moins dans sa formulation) et deacuteterminant dans cette conception de la rationaliteacute est le principe de raison suffisante Apregraves de nombreuses controverses et de tentatives de justification Leibniz maintient finalement la porteacutee strictement universelle de ce principe19 Dans ce contexte cela signifie qursquoelle doit aussi ecirctre valable sur le plan pratique de la rationaliteacute crsquoest-agrave-dire concernant lrsquoeacutethique et la politique Comment cela est-il possible Comment Leibniz maintient-il cette application Comment Leibniz configure-t-il lrsquoeacutethique et la politique dans autant de domaines de rationaliteacute

Tout drsquoabord il faut souligner que le principe de raison a chez Leibniz plus de 40 formulations diffeacuterentes20 ce qui signifie une grande pluraliteacute de versions drsquoapplications et drsquoutilisations Il existe des versions du principe conccedilues pour un domaine particulier ou pour une application agrave un type de cas concrets Crsquoest pourquoi en plus des deacutenominations propres du principe de raison il existe drsquoautres qui peuvent ecirctre consideacutereacutes ldquoeacutequivalentsrdquo parce qursquoen une occasion Leibniz en a deacutecideacute ainsi21 Ce fait est tregraves important concernant le sujet traiteacute eacutetant donneacute que la question change et devient la suivante existe-t-il des versions du principe de raison qui soient principalement valables dans le domaine de la pratique De quelle faccedilon Leibniz rationalise-t-il lrsquoeacutethique et la politique jusqursquoagrave les introduire dans un domaine de rationaliteacute deacutetermineacute

La question nrsquoest pas nouvelle Il y a de cela quelques anneacutees J de Salas revendiquait pour la penseacutee de Leibniz la connexion entre le savoir le bonheur et le progregraves22 Et pour sa part Q Racionero a soutenu que ldquola raison theacuteorique ne trouve son veacuteritable accomplissement que quand elle srsquoinstitue elle-mecircme comme raison morale et srsquoinscrit dans un projet politiquerdquo23 La connexion entre raison theacuteorique et raison pratique est formuleacutee par Leibniz en ce sens que la sagesse suprecircme est la science du bonheur Crsquoest ici ougrave culmine toute lrsquoaction rationnelle

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Il existe trois versions du principe de raison speacutecialement proches dans le domaine de la pratique principium perfectionis principe de la convenance et principe du meilleur24 Le contenu de la perfection et du meilleur peut ecirctre consideacutereacute au sens moral (en plus des autres sens) et est deacutetermineacute par le principe de la convenance crsquoest-agrave-dire par le choix de la sagesse qui est la science du bonheur25 Depuis cette perspective il est possible de prendre en compte aussi bien lrsquoaction humaine que lrsquoordre de la nature Et tout cela est orienteacute vers le sens pratique vers ce que Leibniz appelle le ldquobonheurrdquo De telle sorte que lrsquointeacuterecirct pratique donne agrave lrsquoactiviteacute scientifique et rationnelle son propre but et que la science partage certains principes rationnels avec lrsquoorganisation des inteacuterecircts pratiques Ainsi les principes rationnels qui reacutegissent la recherche de la veacuteriteacute sont relieacutes aux principes qui reacutegissent la recherche du bonheur Tout ceci repreacutesente un complexe unique de rationaliteacute

Cependant le domaine de la ldquosciencerdquo du bonheur a des caracteacuteristiques speacuteciales qui nrsquoexistent pas dans drsquoautres ldquosciencesrdquo Il srsquoagit drsquoun domaine factuel et circonstanciel ougrave la neacutecessiteacute absolue ou meacutetaphysique nrsquoexiste pas mais seulement la neacutecessiteacute hypotheacutetique et ougrave convergent des inteacuterecircts diffeacuterents et parfois opposeacutes qui doivent ecirctre harmoniseacutes Pour analyser ce domaine de rationaliteacute il faut faire un pas suppleacutementaire et forger de nouveaux instruments drsquoanalyse

7 Le principe de la place drsquoautrui dans lrsquoeacutethique leibnizienne

Leibniz formule un principe speacutecifique pour ce domaine du contingent des inteacuterecircts concurrents de la discussion rationnelle sur des objectifs et des moyens Crsquoest le fameux ldquoprincipe de la place drsquoautruirdquo ldquoNe fais ou ne refuse point aiseacutement ce que tu voudrais qursquoon ne te fit ou qursquoon ne te refusacirct pasrdquo 26

Ce principe exprime une faccedilon speacutecifique de donner raison dans les actions et dans les deacutecisions relevant du domaine de lrsquoeacutethique et de la politique agrave travers la strateacutegie hermeacuteneutique de tenter de se

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mettre agrave la place de lrsquoautre Dans ce sens preacutecis il peut ecirctre consideacutereacute comme le ldquorepreacutesentantrdquo du principe de raison dans le domaine de lrsquoeacutethique et de la politique Cette strateacutegie peut nous eacuteviter de commettre des erreurs et des distorsions pouvant ecirctre parfois commises preacuteciseacutement si lrsquoon ne tient pas compte des points de vue des autres

Ce principe a des caracteacuteristiques propres qui le diffeacuterencient drsquoautres principes et qui sont au moins les suivantes

(a) Il inclut de faccedilon centrale le perspectivisme 27 il fait la distinction entre deux perspectives diffeacuterentes (moi-autrui) Cela nrsquoest pas exigeacute dans drsquoautres savoirs tels que la logique ou la dynamique Mais dans le domaine pratique il se produit un deacutedoublement en deux perspectives (moi-autrui) qui ouvre la voie de lrsquointersubjectiviteacute ldquoLa place drsquoautrui est le vrai point de perspective en politique aussi bien qursquoen moralerdquo ldquoMettez-vous agrave la place drsquoautrui et vous serez dans le vrai point de vue pour juger ce qui est juste ou nonrdquo 28

(b) Il part systeacutematiquement de la reconnaissance de la perspective de lrsquoautre comme lieu irreacuteductible au point de vue propre Crsquoest pourquoi on peut drsquoune certaine maniegravere parler drsquoune eacutethique de la reconnaissance Le fait de ldquose mettre agrave la place de lrsquoautrerdquo semble relever de la ldquofictionrdquo une expeacuterience mentale ldquoCette fiction excite nos penseacutees et mrsquoa servi plus drsquoune fois agrave deviner au juste ce qui se faisait ailleursrdquo

(c) Ce lieu irreacuteductible a un caractegravere cognitif La perspective de lrsquoautre fournit des donneacutees qui nrsquoauraient pas pu ecirctre obtenues autrement et de ce fait elle est utile pour acqueacuterir de nouvelles connaissances

Ainsi on peut dire que la place drsquoautrui en morale comme en politique est une place propre agrave nous faire deacutecouvrir des consideacuterations qui sans cela ne nous seraient point venues hellip nous aider dans la connaissance des conseacutequences et de la grandeur des maux que cela pourra faire naicirctre dans autrui

(d) Le principe a une valeur morale degraves lors qursquoil a comme

objectif de rendre compatibles nos inteacuterecircts propres avec ceux drsquoautrui Cet objectif srsquoinscrit dans lrsquointeacuterecirct de sauvegarder autant que possible tous les inteacuterecircts leacutegitimes concurrents et drsquoobtenir la position

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ou la deacutecision la plus juste ainsi le plus grand bonheur possible sera atteint pour tous ceux qui sont concerneacutes ldquohellipTout ce que nous trouverions injuste si nous eacutetions agrave la place drsquoautrui nous doit paraitre suspect drsquoinjusticerdquo

(e) Le principe a aussi un sens strateacutegique indispensable surtout dans le domaine de la politique deacutecouvrir les intentions de lrsquoautre pour ne pas ecirctre ingeacutenument trompeacute ldquohellipagrave la politique pour connaicirctre les vues que notre voisin peut avoir contre nousrdquo

(f) Le principe a une validiteacute dans le domaine du non-neacutecessaire crsquoest-agrave-dire lagrave ougrave il nrsquoexiste qursquoune neacutecessiteacute hypotheacutetique ldquoLa volonteacute est une marque infeacuterieure du jugement mais lrsquoun et lrsquoautre nrsquoest pas une marque certaine de la veacuteriteacute et ne sert qursquoagrave nous arrecircter agrave exciter notre attentionhelliprdquo

(g) Il creacutee une strateacutegie de justification mais aussi de deacutecouverte (h) Le principe a une valeur critique degraves lors qursquoil sert agrave mettre agrave

lrsquoeacutepreuve et le cas eacutecheacuteant agrave corriger les propres convictions connaissances et preacutevisions

On srsquoattache aux personnes aux lectures et aux consideacuterations favorables on ne donne point attention agrave ce qui vient du parti contraire et par ces adresses et mille autres qursquoon emploie le plus souvent sans dessein formeacute et sans y penser on reacuteussit agrave se tromper ou du moins agrave se changer et agrave se convertir ou pervertir selon ce qursquoon a rencontreacute29

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in GP IV 477-487

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13 Juan Antonio Nicolaacutes La transformation leibnizienne des principes

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FERDINANDO LUIGI MARCOLUNGO ldquoPLUS SIMPLE ET PLUS FACILE QUE QUELQUE CHOSErdquo

LE RIEN ET LA RAISON SUFFISANTE DE LEIBNIZ Agrave KANT

1 En meacutetaphysicien le principe de raison suffisante

Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison le titre mecircme du petit discours de Leibniz au prince Eugegravene de Savoie renvoie explicitement au Traiteacute de la Nature et de la Gracircce de Nicolas de Malebranche une œuvre que Leibniz connaissait fort bien et qui repreacutesentait certainement lrsquooccasion drsquoune longue confrontation entre deux philosophes agrave la fois si semblables et diffeacuterents dans leurs penseacutees Ce nrsquoest pas par hasard que Leibniz ajoute lrsquoexpression ldquofondeacutes en raisonrdquo afin de distinguer ses reacuteflexions de lrsquoœuvre de lrsquoOratorien agrave propos drsquoun argument si deacutelicat qui touchait la sensibiliteacute aussi bien des philosophes que des theacuteologiens

Lrsquoœuvre de Malebranche publieacutee pour la premiegravere fois en 1680 avait eu nombreuses eacuteditions dans les anneacutees suivantes jusqursquoagrave celle de 1712 deux anneacutees avant la reacutedaction des Principes de Leibniz La thegravese du meilleur des mondes possibles sur laquelle insiste la fin du notre texte est lrsquooccasion de souligner la diffeacuterence entre les deux penseurs lrsquoOratorien plus inteacuteresseacute agrave la simpliciteacute des lois divines et le logicien allemand qui voulait au contraire exalter la grandeur drsquoun Dieu capable de faire advenir la plus grande richesse par la lutte des possibles agrave lrsquoexistence

Mais pour Leibniz la distinction entre la nature et la gracircce est deacutepouilleacutee de toute reacutefeacuterence theacuteologique Au-delagrave du titre qui restreint le discours au niveau de la seule raison la cleacute de lecture semble se trouver au commencement du paragraphe 7 dans la distinction entre le physique et le meacutetaphysique ldquoJusqursquoici nous nrsquoavons parleacute qursquoen simples PHYSICIENS maintenant il faut srsquoeacutelever agrave la METAPHYSIQUE en nous servant du GRAND PRINCIPE peu employeacute communeacutement qui porte QUE RIEN NE SE FAIT SANS RAISON SUFFISANTErdquo1

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Tout drsquoabord crsquoest le niveau logique qui est supposeacute dans la possibiliteacute drsquoune analyse par laquelle ldquocelui qui connaicirctrait assez les chosesrdquo pourrait ldquorendre une Raison qui suffise pour deacuteterminer pourquoi il en est ainsi et non pas autrementrdquo2 Le verbe deacuteterminer suggegravere deacutejagrave la formulation qursquoon retrouve le plus souvent dans les textes leibniziens celle du principe de raison deacuteterminante La raison suffisante doit donner agrave nos connaissances la preacutecision qui permettrait de comprendre en profondeur ce qui arrive autour de nous

Toutefois il ne srsquoagit plus de parler ldquoen physicienrdquo mais drsquoentrer dans le domaine de la meacutetaphysique Les deacuteterminations speacutecifiques des choses doivent laisser place agrave lrsquoexistence radicale des choses Drsquoailleurs crsquoest une conseacutequence de la formulation geacuteneacuterale du ldquogrand principerdquo sans distinction entre le plan du connaicirctre et celui de lrsquoecirctre

Selon lrsquoordre des raisonnements ldquoce principe poseacuterdquo voilagrave la grande question qui se preacutesente alors ldquoPOURQUOI IL Y A PLUS TOT QUELQUE CHOSE QUE RIENrdquo3 Il srsquoagit de mettre en question lrsquoexistence mecircme de quelque chose dans une confrontation radicale avec le rien Lrsquoexpression ldquoquelque choserdquo semble nous rappeler lrsquoaliquid de la scolastique et le vocabulaire de lrsquoontologie Le discours semble rester au niveau geacuteneacuteral quelque chose est en mecircme temps ldquotoute choserdquo parce que toute chose preacutesente cette opposition radicale au rien

Andreacute Robinet disait agrave cet eacutegard

Ce sont les deacuteterminations existentielles que la meacutetaphysique prend en charge puisque la physique œuvre dans le constat du composeacute et dans la construction du simple Les deux questions auxquelles le principe de raison suffisante doit apporter reacuteponse sont en effet les tecirctes de liste de certaines classifications des cateacutegories fondamentales ldquoaliquid-nihilrdquo ldquoens-non ensrdquo ldquoens talerdquo et non plus la substance et ses modifications Les cateacutegories existentielles qui relegravevent de la science de vision apollinienne sont lrsquoobjet strict de la meacutetaphysique consideacutereacutee comme ontologie4

Peu apregraves Robinet souligne la radicaliteacute de la formulation que Leibniz nous donne dans le texte que nous venons drsquoexaminer

Dans son sens strict le principe de raison suffisante porte sur lrsquointerrogation radicale de lrsquoexistentiel ouvrant de la meacutetaphysique vers lrsquoontologie de lrsquoimaginaire deacuterivatif vers le conceptuel primitif Crsquoest de ce double sens du principe de raison que deacutependent les reacutedactions de la Theacuteodiceacutee et de la Monadologie drsquoune part et celle des Principes de la nature et de

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la gracircce drsquoautre part Dans le premier cas la meacutetaphysique peacutenegravetre la physique des veacuteriteacutes neacutecessaires qui assument la connaissance exacte des forces deacuterivatives et les relient agrave leur source substantielle primitive Dans le second cas ce sont les substances primitives qui se mettent en position deacuterivative en se subordonnant agrave plus primitif que soi entraicircnant la distinction entre les substances simples deacuterivatives et la substance simple primitive (Dieu)5

2 La raison suffisante et le rien

Une fois poseacutee la question radicale Leibniz semble suggeacuterer une sorte de justification de ce qursquoil vient de dire ldquoCar le rien ndash dit-il ndash est plus simple et plus facile que quelque choserdquo6 La premiegravere remarque qursquoon peut faire crsquoest la substantivation du rien auparavant employeacute dans la formulation du principe de raison sur un mode impersonnel

A la diffeacuterence du latin les langues romanes peuvent se servir de lrsquoarticle deacuteterminant ldquolerdquo pour indiquer lrsquoabstrait lrsquoessence de la chose ici ldquole rienrdquo Or mecircme lorsque lrsquoon eacutecrit en latin on sent le besoin au dix-huitiegraveme siegravecle de recourir agrave lrsquoarticle neutre de la langue grecque τὸ placeacute avant le terme latin (par exemple τὸ nihil pour dire ldquole rienrdquo)

Leibniz eacutecrit ldquoplus simple et plus facile que quelque choserdquo Tout drsquoabord on peut penser au zeacutero le chiffre arabe qui permettait les calculs dans le systegraveme deacutecimal mais qui pouvait mecircme rendre possible un nouveau calcul afin drsquoexprimer avec le zeacutero et lrsquouniteacute tous les nombres drsquoune faccedilon semblable agrave ce qui se passe de nos jours avec les ordinateurs et la numeacuterisation eacutelectronique des donneacutees

La simpliciteacute et la faciliteacute du rien semble impliquer lrsquoabsence de toute deacutetermination de ce qui pourrait impliquer une question un interrogatif agrave propos de la circonstance ou du milieu qui environne ce que lrsquoexpeacuterience nous offre En ce sens le rien nrsquoexige aucune preacutecaution le zeacutero infiniment reacutepeacuteteacute reste toujours zeacutero En quelque faccedilon il srsquoagit ici de lrsquoimpossibiliteacute drsquoune reacutegression agrave lrsquoinfini qursquoon peut retrouver deacutejagrave dans la Meacutetaphysique drsquoAristote

Mais crsquoest chez Thomas drsquoAquin que le thegraveme du rien devient une question philosophique classique notamment agrave partir de la discussion de la troisiegraveme voie de la preuve de lrsquoexistence de Dieu elle-mecircme theacutematiseacutee agrave partir des commentateurs arabes drsquoAristote 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 5 Robinet 1986 p 322 6 Leibniz 1986 sect 7 p 45

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en particulier drsquoIbn Sina Avicenne inspireacute par le neacuteoplatonisme Nous connaissons tous le texte thomasien agrave diffeacuterence du texte leibnizien le point de deacutepart nrsquoest pas du tout la notion qui deacutetermine lrsquoaliquid ldquoPourquoi il en est ainsi et non pas autrementrdquo mais lrsquoexistence concregravete de ldquocertaines choses qui naissent et disparaissentrdquo7

De lagrave naicirct la question de savoir si la totaliteacute du reacuteel peut ou non ecirctre marqueacutee de la mecircme contingence ldquoSi donc tout peut ne pas exister agrave un moment donneacute rien na existeacute Or si ceacutetait vrai maintenant encore rien nexisteraitrdquo8 Sans nous attarder sur les consideacuterations ulteacuterieures qui conduisent agrave lrsquoaffirmation du ldquoNeacutecessaire par lui-mecircme qui ne tire pas dailleurs sa neacutecessiteacute mais qui est cause de la neacutecessiteacute que lon trouve hors de luirdquo9 nous pouvons souligner le rocircle syntheacutetique joueacute ici par lrsquohypothegravese drsquoun moment ougrave tout serait purement possible sans qursquoil y ait quelque chose de neacutecessaire en ce cas il serait comme si rien nrsquoavait jamais existeacute et comme si rien nrsquoexistait mecircme maintenant

La proposition ldquole rien est plus simple et plus facile que quelque choserdquo semble indiquer la raison qui fait surgir la question radicale ldquoPourquoi il y a plus tocirct quelque chose que rienrdquo Et cela nrsquoest possible que parce que lrsquoopposition de quelque chose au rien surgit de lrsquoimportance et de la consistance du quelque chose agrave la diffeacuterence du rien Notons qursquoagrave ce moment-lagrave il nrsquoest question que de lrsquoexistence en geacuteneacuteral fucirct-elle un pur possible puisque Leibniz preacutesente une simple supposition ldquo(hellip) supposeacute que des choses doivent exister il faut qursquoon puisse rendre raison POURQUOI ELLES

DOIVENT EXISTER AINSI et non autrementrdquo10 Crsquoest un passage central dans lrsquoeacutelaboration du paragraphe 7 des

Principes de la nature et de la gracircce dans la mesure ougrave Leibniz pose la question ontologique radicale Il meacutetamorphose une question physique ordinaire en grande question meacutetaphysique la grande question de la meacutetaphysique 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 713 ldquoParmi les choses nou en trouvons qui peuvent ecirctre et ne pas ecirctre la preuve crsquoest que certaines choses naissent et disparaissent et par conseacutequent ont la possibiliteacute drsquoexister ou de ne pas existerrdquo13 8 Thomas drsquoAquin S Theol I 2 3 co ldquoSi igitur omnia sunt possibilia non esse aliquando nihil fuit in rebus Sed si hoc est verum etiam nunc nihil essetrdquo 9 Ibidem ldquoErgo necesse est ponere aliquid quod sit per se necessarium non habens causam necessitatis aliunde sed quod est causa necessitatis aliisrdquo 10 Leibniz 1986 sect 7 p 45

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Nous quittons alors lrsquoordre geacuteneacuteral de la logique (ldquoRien nrsquoarrive sanshelliprdquo) pour aborder la dimension veacuteritablement onto-logique ldquoPour quoi il y a plus tocirct quelque chose que rienrdquo

Et ce nrsquoest que dans un nouveau moment argumentatif introduit par le ldquoDe plusrdquo que Leibniz formule la question proprement existentielle ldquosupposeacute que des choses doivent exister il faut qursquoon puisse rendre raison POURQUOI ELLES DOIVENT EXISTER AINSI et non autrementrdquo11

Le cercle vertueux du raisonnement leibnizien semble avoir gagneacute agrave ce moment un point fixe qui lui permettra de proceacuteder ensuite agrave lrsquoaffirmation de lrsquoEcirctre neacutecessaire Au commencement du paragraphe suivant il nrsquoy a plus la consideacuteration du pur possible mais celle de lrsquoexistence concregravete de cet univers ldquoOr cette Raison suffisante de lrsquoExistence de lrsquounivers ne se saurait trouver dans la suite des choses contingentesrdquo12 Ce nrsquoest qursquoagrave ce moment preacutecis que Leibniz retrouve la tradition Thomiste

Nous ne suivrons pas ce deacuteveloppement qui reprend beaucoup drsquoobservations qursquoon peut retrouver dans la Theacuteodiceacutee ou dans les Principes de philosophie ou Monadologie dont la reacutedaction semble suivre sinon accompagner celle des Principes de la Nature et de la gracircce Notre but est drsquoattirer lrsquoattention sur le deacutenouement du discours leibnizien qui pose dans notre texte la question ontologique radicale sur laquelle Heidegger attirera notre attention

Lrsquointerpreacutetation existentielle peut toutefois masquer la deacutemarche originelle du raisonnement leibnizien Certes il srsquoagit drsquoun passage essentiel pour deacutefinir la porteacutee de la question ontologique mais crsquoest le fait drsquoune relecture contemporaine comme le montrera une comparaison preacutecise du texte leibnizien avec Wolff et Kant

3 Le rien et le possible de Wolff agrave Kant

Nous connaissons la maniegravere avec laquelle Wolff reprend et essentialise le proceacutedeacute leibnizien dans la Meacutetaphysique allemande (1719) ou dans la Philosophia prima sive Ontologia (1730) La deacutemonstration du principe de raison suffisante trouve son appui sur la 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 11 Ibidem 12 Ibidem sect 8 pp 45-47

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steacuteriliteacute du rien ldquoNous appelons rien ce agrave quoi ne correspond aucune notionrdquo13 En srsquoappuyant sur le principe de contradiction Wolff observe que si nous disions quelque chose du rien nous ferions du rien quelque chose Voilagrave la raison par laquelle on ne peut rien dire du rien Autrement le rien nihil (non aliquid) serait quelque chose (aliquid preacuteciseacutement) Et Wolff conclut

Si lrsquoon affirme quelque chose on devra admettre en mecircme temps quelque chose (ldquoaliquidrdquo) en vertu de laquelle on puisse comprendre pourquoi elle serait14

Lrsquoessentialisation peut srsquoaccomplir dans la mesure ougrave lrsquoon reconnaicirct lrsquoopposition radicale entre lrsquoaliquid et le rien agrave ce niveau il nrsquoest pas encore question drsquoune existence concregravete Le principe de causaliteacute est posteacuterieur au principe de raison suffisante et concerne les choses contingentes parce que Dieu nrsquoa pas besoin de cause

Mais il est significatif que Wolff distingue le principe de raison suffisante du principe de raison deacuteterminante crsquoest-agrave-dire de la formulation du grand principe que nous retrouvons le plus souvent dans les textes leibniziens Dans la seconde section de la premiegravere partie de lrsquoOntologie nous retrouvons lrsquoopposition entre le possible et lrsquoimpossible qui vient drsquoecirctre eacutetablie par le principe de contradiction et seulement ensuite celle entre le deacutetermineacute et lrsquoindeacutetermineacute qui ne sont pas lrsquoun le contraire lrsquoun de lrsquoautre parce que lrsquoindeacutetermineacute peut toujours ecirctre deacutetermineacute apregraves coup

Cette distinction logique semble redoubleacutee dans lrsquoopposition entre lrsquoEns et le Non-Ens entre lrsquoaliquid et le rien Crsquoest agrave ce second niveau que srsquoeffectue la deacutemonstration du principe de raison suffisante Agrave la formulation neacutegative du ldquorien nrsquoest sans une raison suffisanterdquo succegravede une formulation positive qui srsquoappuie sur lrsquoadmission de quelque chose crsquoest-agrave-dire du fait positif de lrsquoaliquid principe directeur de la distinction wolffienne entre raison suffisante et raison deacuteterminante15

Si la version neacutegative pourrait conduire agrave conclure qursquoil nrsquoy a rien [ldquonihil estrdquo] la version affirmative doit assumer le quelque chose lrsquoaliquid et conclure qursquoil doit y avoir une raison dans les choses

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mecircme si nous ne pouvons pas toujours la connaicirctre drsquoune faccedilon exhaustive ldquoen ce cas ndash conclut Wolff ndash nous connaissons une veacuteriteacute sans pouvoir dire que nous lrsquoavons atteinte drsquoune faccedilon suffisanterdquo16 Le principe de raison deacuteterminante ainsi comme le principe de certitude par rapport au principe de contradiction passe de lrsquoaffirmation de lrsquoaliquid et traduit lrsquoopposition radicale entre lrsquoaliquid et le rien au niveau de lrsquoexpeacuterience en geacuteneacuterale

Nous pouvons retrouver le mecircme deacutecalage lorsque Kant rappelle lrsquousage du principe de raison suffisante dans lrsquoAppendice agrave la Dialectique transcendantale ougrave il joue le rocircle de principe reacutegulateur de nos connaissances scientifiques et dans la radicale opposition entre le rien et le possible qui vient drsquoecirctre formuleacutee auparavant dans Lrsquounique argument possible pour deacutemontrer lrsquoexistence de Dieu de 1763 Crsquoest dans ce texte que nous retrouvons des affirmations semblables au deacutenouement theacuteorique du paragraphe 7 des Principes de la nature et de la gracircce

Dans Lrsquounique argument (Beweis) Kant semble reprendre lrsquoargumentation leibnizienne lorsqursquoil commence par la distinction entre la possibiliteacute interne et la possibiliteacute externe

Si donc on abolit toute existence rien nrsquoest absolument poseacute rien en geacuteneacuteral nrsquoest donneacute aucun eacuteleacutement mateacuteriel ne peut srsquooffrir agrave la penseacutee et par conseacutequent toute possibiliteacute fait entiegraverement deacutefaut Je reconnais que dans la neacutegation de toute existence il nrsquoy a aucune contradiction17

Nous pouvons entendre dans ces mots lrsquoeacutecho du passage leibnizien ldquoLe rien est plus simple et plus facile que quelque choserdquo Or selon Kant la contradiction surgit lorsqursquoon admet quelque chose mecircme au niveau de la possibiliteacute interne Mais qursquoil y ait une possibiliteacute quelconque et que cependant il ny ait rien de reacuteel il y a lagrave contradiction En effet si rien nrsquoexiste rien non plus nrsquoest donneacute qui puisse ecirctre penseacute et lrsquoon se contredit soi-mecircme si on veut neacuteanmoins que quelque chose soit possible18

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Dans ces reacuteflexions nous pouvons retrouver une fois encore la formulation de la question fondamentale des Principes de la nature et de la gracircce Pour conclure je voudrais souligner que la structure de lrsquoargumentation reste toujours la mecircme que ce soit chez Leibniz ou chez Wolff et Kant il ne srsquoagit jamais de tenir compte de lrsquoexistence actuelle par opposition au rien mais toujours de poser celle du pur possible comme lrsquoindique lrsquoemploi du terme aliquid crsquoest-agrave-dire le quelque chose en geacuteneacuteral Crsquoest dans lrsquoopposition entre lrsquoaliquid et le rien que se fonde la radicaliteacute de lrsquointerrogation ldquopourquoi il y a plus tocirct quelque chose que rienrdquo ldquoCar ndashnous le reacutepeacutetons avec Leibnizndash le rien est plus simple et plus facile que quelque choserdquo

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MARTIN ŠKAacuteRA

LEIBNIZ ET HEIDEGGER PRINCIPE DE RAISON SUFFISANTE ET SATZ VOM GRUND

QUELQUES REMARQUES SUR LA DESTRUCTION HEIDEGGERIENNE

DU PRINCIPE DE RAISON (SUFFISANTE)

LE FONDEMENT (GRUND) DE 1929 ET LE SATZ VOM GRUND (1955-56)

Dans le preacutesent propos je me suis fixeacute comme objectif de faire une esquisse des deux diffeacuterentes approches que Martin Heidegger propose du principe de raison suffisante chez Leibniz Je ferai voir comment Heidegger traite la probleacutematique du principe de raison suffisante diffeacuteremment selon ces deux textes dont le premier a eacuteteacute publieacute sous le titre Die metaphysische Anfagsgruumlnde der Logik nach Leibniz de 1929 et le second notoirement connu sous le titre de Der Satz vom Grund de 1955 Principe de raison1 Plusieurs questions srsquoavegraverent ici neacutecessaires La toute premiegravere et une des plus difficiles concerne lrsquoeacutevolution du principe de raison suffisante (ci-apregraves PRS) chez Leibniz La pertinence de cette question pour identifier saisir analyser et deacutefinir le PRS se montre obligatoire2 Cependant cette tacircche ne peut ecirctre acheveacutee par le preacutesent article Pour cette raison toutes les occurrences de ce principium nobilissimum de Leibniz reacutefeacutereront agrave la peacuteriode qui suit 16863 Nrsquooublions pas que les premiegraveres formulations du PRS se trouvent dans les eacutecrits tels que Confessio Naturae contra Atheistas4 de 1668 ou Theoria motus abstracti5 de 1671 Ces sources constituent la gestation du principe pour enfin aboutir agrave sa forme mure et onto-logique (omne praedicatum in est subiecto) comme loi reacutegissant le domaine de la

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contingence La seconde question touche lrsquointerpreacutetation que donne Heidegger du PRS Pour suivre notre objectif il serait inutile de dresser un panorama de la penseacutee du ldquoberger de lrsquoEcirctrerdquo Toutefois puisqursquoil existe deux approches de la Seinsfrage il faut neacutecessairement prendre en consideacuteration que le premier texte de 1929 preacutecegravede le fameux ldquotournantrdquo (Kehre) tout en reposant sur la structure programmatique drsquoEcirctre et temps de 1927 Le deuxiegraveme est conccedilu dans lrsquointention de penser lrsquoEcirctre sans lrsquoeacutetant tacircche embleacutematique et eacutenigmatique de la penseacutee heideggerienne plus tardive Les textes se situent ainsi dans deux contextes theacuteoriques distincts drsquoavant et apregraves la Kehre Srsquoimposent tout de suite deux questions qui regardent lrsquoimportance de ces contextes Puisque la Seinsfrage de la premiegravere peacuteriode fait lrsquoobjet de la diffeacuterence ontologique entre lrsquoeacutetant et lrsquoecirctre sensuit-il que le PRS sera eacutegalement interpreacuteteacute agrave partir de cette distinction De maniegravere analogue la deuxiegraveme question consiste agrave se demander si dans la peacuteriode qui suit la Kehre Heidegger traite du PRS seulement au sens de lrsquoecirctre Il semble eacutevident que le texte de 1929 doit ecirctre compris comme une affirmation du ldquologiquerdquo (qui a lrsquoeacutetant pour objet) fondeacute sur la meacutetaphysique contrairement au texte de 1955 ougrave le ldquologiquerdquo ne joue plus aucun rocircle Apregraves la Kehre le concept drsquoeacutetant est abandonneacute et par le fait mecircme la logique de sorte qursquoil reste seulement la meacutetaphysique ou ce que Heidegger nomme la Penseacutee (das Denken) qui deacutepasse la meacutetaphysique elle-mecircme

A mon avis la question qui met en relation le ldquologiquerdquo et lrsquoldquoeacutetantrdquo rappelle de maniegravere plus exacte ce qui en principe inteacuteresse Leibniz sachant que les contextes approches et meacutethodes sont diffeacuterents chez les deux auteurs On doit cependant se demander pourquoi Heidegger srsquointeacuteresse-t-il agrave Leibniz En premier lieu Heidegger nous reacutevegravele dans lrsquoavantndashpropos de Qursquoest-ce que la Meacutetaphysique6 que la question leibnizienne exposeacutee dans ses Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison7 est la question la plus meacutetaphysique

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car la plus ldquofondamentalerdquo Selon Heidegger se poser la question ldquoPourquoi il y a quelque chose plutocirct que rien rdquo veut dire expresseacutement pourquoi il y a lrsquoeacutetant plutocirct que rien La question leibnizienne est fondamentale car elle est rattacheacutee au ldquofondrdquo Avant drsquoentamer lrsquoanalyse de ces deux approches je tiens pour essentiel de rappeler que le rapport entre Heidegger et Leibniz nous donne entre autres trois modegraveles de meacutetaphysique Plus preacuteciseacutement il srsquoagit de deux modegraveles de meacutetaphysique et drsquoun modegravele de penseacutee speacutecifique (das Denken) Le tout premier modegravele est bien celui de Leibniz interpreacuteteacute sous forme onto-theacuteo-logique Le deuxiegraveme modegravele de la meacutetaphysique est celui de jeune Heidegger lrsquoauteur de Sein und Zeit ougrave la Seinsfrage fait objet de la diffeacuterence ontologique entre lrsquoecirctre et lrsquoeacutetant Enfin le troisiegraveme modegravele qui nrsquoest plus meacutetaphysique car encore plus fondamental est le modegravele de penseacutee speacutecifique qui se fixe pour tacircche de penser lrsquoEcirctre sans lrsquoeacutetant Il est inteacuteressant de signaler qursquoen suivant lrsquoeacutevolution de ces modegraveles on srsquoapercevra qursquoil a y une certaine reacuteduction drsquoentiteacutes Dans le tout premier cas la meacutetaphysique sous forme drsquoonto-theacuteo-logie comprend Dieu lrsquoecirctre et lrsquoeacutetant Autrement dit le PRS sans Dieu perdrait son sens leibnizien Dans le deuxiegraveme modegravele le PRS (sans lrsquoideacutee de Dieu) est abordeacute par lrsquointermeacutediaire drsquoune ldquoradicalisationrdquo (en cherchant la ldquoracinerdquo du ratio son radix) Ecirctre plus radical veut dire pour Heidegger ecirctre plus pregraves de lrsquoorigine approche qui est caracteacuteristique du mode de penseacutee speacutecifique heideggeacuterien des œuvres de la maturiteacute Die metaphysische Anfangsgruumlnde der Logik nach Leibniz (1929) lrsquoanalyse de la theacuteorie des jugements en vue de preacuteparer le chemin vers les fonds meacutetaphysiques de la logique

Le titre mecircme de ce texte nous fait voir une ressemblance quant agrave la relation fondamentale de la logique et de la meacutetaphysique chez Leibniz A vrai dire la probleacutematique ldquode la logiquerdquo ou ldquodu logiquerdquo reste neacutegligeacutee Les nombreux exeacutegegravetes nrsquoont pas coutume de prendre en consideacuteration ce sujet pratiquement meacuteconnu chez Heidegger Pourtant selon JeanndashFranccedilois Courtine la porteacutee de la question Was ist das die Logik est capitale car cette mecircme question que le jeune philosophe se pose assez souvent permet

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ldquohellipde faire ressortir le fil conducteur de lrsquoœuvre de Heideggerhelliprdquo8 En tout premier lieu la fameuse Seinsfrage est bien eacutevidemment dans lrsquooptique du jeune philosophe la question du ldquosensrdquo Et le ldquosensrdquo ne peut ecirctre saisi qursquoagrave travers la logique9 Que veut donc dire la logique Was ist das die Logik Nous nous retrouvons devant une autre question la question de lrsquoessence de la logique Il est agrave noter que pour Heidegger lrsquoun des premiers sinon le premier contact de recherche sur la logique est la dissertation de Franz Brentano Von der Manigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles de 1862 qui aborde le philosophe et qui est parmi les premiers textes qui traceront ldquole chemin de sa penseacuteerdquo Heidegger reacutedige en 1912 un court traiteacute intituleacute Neuere Forchungen uumlber Logik10 Cependant ce texte nous ne donne pas la reacuteponse relative agrave lrsquoessence de la logique Il faut attendre le cours du semestre drsquohiver agrave lrsquoUniversiteacute de Marbourg de 1925ndash26 durant lequel Heidegger srsquoexplique de nouveau sur la question de la logique Le cours constitue le tome vingt et un de la Gesamtausgabe Logik Die Frage nach der Wahrheit11 Le jeune philosophe adopte deacutejagrave dans cette peacuteriode de sa penseacutee la meacutethode de la destruction Or cette meacutethode appliqueacutee agrave la question de la logique devient la destruction critique et historique de la logique Appliquer la meacutethode de la destruction nrsquoest pas du tout deacutetruire La destruction veut dire ici remonter aux sources depuis lesquelles la logique prend ses racines Crsquoest apregraves avoir identifieacute ces sources que lrsquoon sera agrave mecircme de voir ce que crsquoest que lrsquoessence de la logique Il faut donc remonter au λόγος agrave lrsquoἐπιστήmicroη λογική qui est la ldquoWissenschaft vom Redenrdquo12 Et cette parole en tant que λόγος dont la logique est la science a pour fonction premiegravere de ldquomettre quelque chose en eacutevidencerdquo La parole en tant que λόγος a pour but de Offenbarmachen13 Crsquoest tout agrave fait la fonction que remplit le λόγος ἀποφαντικός drsquoAristote Offenbarmachen chez Heidegger veut dire la mecircme chose qursquoἀποφαίνεθαι chez les Grecs et plus particuliegraverement Aristote Cela constitue lessence de la logique chez le jeune Heidegger Bien plus mettre quelque chose en eacutevidence le rendre

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eacutevident veut dire deacute-couvrir Et cette deacutecouverte est exactement lrsquoἀλήθεια des Grecs Finalement la logique ainsi conccedilue est la science de la parole qui a pour fonction de rendre quelque chose eacutevident crsquoest-agrave-dire de le rendre deacute-couvert donc veacuteritable La logique devient ainsi la ldquomeacutetaphysique de la veacuteriteacuterdquo

1 Exposition

Le cours sur la logique comprend trois sections dont la premiegravere est une introduction qui met lrsquoaccent sur lrsquoidentification de la logique dans la penseacutee philosophique et lequel indique quatre principes de base de la penseacutee (Grundegesaumltze des Denkens) ldquodas principium identitatis das principium contradictionis das principium exclus tertii und das princpium rationis sufficientisrdquo14 Crsquoest donc la premiegravere identification du PRS qui se trouve parmi les quatre principes de la penseacutee humaine Ce qui inteacuteresse Heidegger ce ne sont pas les enjeux eacutepisteacutemologiques de ces quatre principes (Grund ndash Saumltze) La fonction ou le rocircle voire lrsquoldquoessencerdquo de ces principes donc de ces Grund ndash Saumltze est qursquoils sont les fondements (Gruumlnde) non seulement de la compreacutehension (Verstehen) mais eacutegalement de lrsquoexistence de la compreacutehension de lrsquoecirctre Seinsverstaumlndnis) du Dasein et de la transcendance originaire (Urtranszendenz)15 Exprimeacute en termes kantiens ils sont les conditions de possibiliteacute des domaines susmentionneacutes Drsquoailleurs pour le philosophe de Maumlsskirch ldquoecirctre gouverneacuterdquo par de telles lois preacutesuppose la liberteacute qui sert de base agrave leur propre possibiliteacute16 Heidegger conclut donc que ldquole problegraveme fondamental de la logique la gouvernance de loi de la Penseacutee apparaicirct elle-mecircme ecirctre le problegraveme de lrsquoexistence humaine dans ses fondements le problegraveme de la liberteacuterdquo17 Une telle approche permet de postuler dans le contexte ougrave sont eacutelaboreacutees les notions de ldquoveacuteriteacuterdquo ldquonotionrdquo ldquoleacutegaliteacuterdquo et ldquoliberteacuterdquo qursquoil srsquoagit de chercher ici les

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fondements meacutetaphysiques de la logique donc de chercher les soi-disant initia logicae18

2 Chemins vers Leibniz agrave travers la destruction de la theacuteorie leibnizienne du

jugement conduisant aux problegravemes de la meacutetaphysique

Lrsquoapproche de Heidegger agrave lrsquoeacutegard des fondements meacutetaphysiques de la logique repose sur la destruction de la theacuteorie leibnizienne du jugement de maniegravere agrave aboutir aux problegravemes de la meacutetaphysique sujet programmatique du traiteacute Cette destruction touche sept principaux domaines 1) la theacuteorie de lrsquoinclusion 2) la distinction des veacuteriteacutes de faits et des veacuteriteacutes de raison 3) la theacuteorie des principes leibniziens (principe didentiteacute principe de contradiction et principe de raison suffisante) 4) lrsquoideacutee de connaissance ndash intuitus 5) lrsquoanalyse de la monade 6) les notions de base de lrsquoecirctre telles que essentia et connatus existentiaelig et finalement 7) la theacuteorie du jugement et la notion de lrsquoecirctre En regardant ces domaines de plus pregraves on saperccediloit que dans les trois premiers nous retrouvons lrsquointeacutegraliteacute de tout ce qui appartient agrave la probleacutematique du PRS la regravegle de lrsquoinndashesse les ldquoveacuteriteacutes de faitsrdquo et enfin le principe de raison suffisante Agrave la suite de ces analyses Heidegger conclut que la tacircche de la logique est de ldquo clarifier lrsquoessence de la veacuteriteacuterdquo19 Cependant une condition est agrave mettre en place La tacircche de la logique ainsi deacutefinie ne peut plus ecirctre reacutealiseacutee agrave partir de la logique elle-mecircme car lrsquoessence de la veacuteriteacute strictement parlant ne peut ecirctre traiteacutee qursquoen tant que sujet de la meacutetaphysique La logique doit donc renoncer agrave son nom pour enfin ecirctre baptiseacutee ldquomeacutetaphysique de la veacuteriteacuterdquo20 (Metaphysik der Wahrheit) Malgreacute lrsquoanalyse deacutetailleacutee des preacuteceacutedents domaines dans lesquels Heidegger traite des intentions et inteacuterecircts de Leibniz il est indispensable de speacutecifier la diffeacuterence entre les approches des deux philosophes Le premier Leibniz traite le PRS en tant que sujet ontondashtheacuteondashlogique tandis que le second Heidegger le traite en tant qursquoontondashlogique De plus il est agrave noter que la logique dans cette perspective ontondashlogique se transforme en une meacutetaphysique de la

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veacuteriteacute puisque sa tacircche consiste agrave rechercher lrsquoessence de la veacuteriteacute ce qui semble absorber lrsquoonto (lrsquoldquoontiquerdquo) ldquodansrdquo cette ontologie heideggeacuterienne En insistant sur cette diffeacuterence on pourrait preacutesumer que lrsquointerpreacutetation heideggeacuterienne de la meacutetaphysique de Leibniz est sans Dieu alors que la meacutetaphysique leibnizienne a essentiellement Dieu comme objet Comme il nrsquoy a pas Dieu le principe de raison perd son sens dorigine pour ecirctre remplaceacute par un concept totalement diffeacuterent et deacuteguiseacute

3 Conflit

Les propos du prophegravete de lrsquoEcirctre paraissent ecirctre clairs en ce que Leibniz nous renseignerait sur le PRS (avec certaines reacuteserves bien sucircr) jusqursquoau moment ougrave Heidegger eacutenonce lrsquoeacutequivociteacute obscure du PRS Pour lui ldquo cette partie centrale de la doctrine logique et meacutetaphysique leibniziennes est la plus obscurerdquo21 Le PRS prima facie donne effectivement lrsquoimpression drsquoecirctre clair et obscur Il est clair par son eacutenonciation nihil est sine ratione Mais il est obscur par la place qursquoil occuperait dans la meacutetaphysique Un plongeur de Deacutelos serait ici plus ou moins souhaitable Ce qui est plus que surprenant crsquoest lrsquoessence relationnelle du PRS que Heidegger relegraveve par les points suivants 1) Que le rapport du PRS au principe de contradiction nrsquoest pas suffisamment expliqueacute 2) Comment eacutevaluer le fondement du PRS 3) Quelle est son lien avec la monadologie qui est drsquoapregraves Heidegger complegravetement probleacutematique () 4) Quelle est la signification de ce principium et en quoi consiste son caractegravere principiel Enfin 5) Comment relier PRS agrave la doctrine logique et agrave la veacuteriteacute Faut-shy‐il plutocirct chercher son enracinement ailleurs En somme la relation du PRS agrave la veacuteriteacute devrait ecirctre abordeacutee en tant que principe meacutetaphysique

Puisque les reproches mentionneacutes par Heidegger ne peuvent pas rester sans reacuteponses jrsquoessaierai drsquoen eacutebaucher une pour chaque question On constate drsquoabord que la premiegravere question nrsquoest pas formuleacutee de maniegravere correcte Je suis persuadeacute que le rapport des deux principes ne peut pas ecirctre formuleacute de faccedilon isoleacutee crsquoestagrave-dire

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sans prendre en consideacuteration la classification de jugements Le rapport du principium contradictionis et le principium rationis suficientis est lieacute agrave la distinction entre propositions neacutecessaires et propositions contingentes consideacuterant que le principe de lrsquoin-shy‐esse et le problegraveme drsquoanalyse de preacutedicats permettent drsquoarticuler les deux sortes de propositions Drsquoailleurs on y retrouve agrave lrsquoeacutevidence la diffeacuterence entre la neacutecessiteacute et la contingence Heidegger speacutecifie plus ou moins ce rapport en preacutecisant que le principe de raison est un principe de nature potius quam autrement dit le principe du meilleur22 La deuxiegraveme question relative au fondement du PRS a deacutejagrave reccedilu une reacuteponse par lrsquoindication que le ldquopotius quamrdquo du principe sans que Heidegger ne preacutecise que le PRS permet ainsi de speacutecifier pourquoi lrsquoexistence dun eacutetant quelconque est tel ou tel et non pas autrement Ici il ne faut surtout pas oublier que le PRS prend ses racines dans le principe drsquoinesse23 Le lien dit probleacutematique du PRS avec la doctrine monadologique est difficile agrave reacutesoudre car lrsquoon ne sait pas exactement ce que Heidegger considegravere comme eacutetant la monadologie Si lrsquoon considegravere que Heidegger deacutesigne par la meacutetaphysique leibnizienne de la peacuteriode du Discours et celle qui suit la reacuteponse ne paraicirctrait pas aussi difficile agrave trouver Toutefois force est drsquoadmettre que cette troisiegraveme question est floue puisque la notion de la monadologie nrsquoest pas expliciteacutee par Heidegger La quatriegraveme question srsquointerrogeant sur le caractegravere principiel et la signification du PRS est agrave mon avis typiquement heideggerienne Elle concerne la meacutethode heideggerienne drsquoanalyse des notions qui consiste agrave rechercher la seacutemantique eacutetymologique drsquoune notion donneacutee En ce qui a trait agrave la notion de principium il est neacutecessaire de remonter agrave la notion grecque drsquoἀρχὴ pour saisir sa signification originelle Donc cette question nrsquoa pratiquement rien agrave voir avec la deacutemarche de Leibniz La derniegravere question poseacutee est au contraire proprement leibnizienne Elle nous oriente vers ce qui est le plus transparent dans la penseacutee du philosophe de Hanovre Cependant y reacutepondre agrave partir du systegraveme leibnizien dans son entier apparaicirct incorrect voire insaisissable La plupart de ceux qui tentent des reacuteponses de ce type oublient de prendre en consideacuteration les

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analyses logiques Je pense encore une fois au principe drsquoinesse Dans ce contexte le principe drsquoinesse est preacutealable au PRS De cette maniegravere seulement serions-nous capables de comprendre comment il est possible de saisir le principe meacutetaphysique en tant que principe logique sachant qursquoil ne srsquoagit pas drsquoun seul et mecircme principe qui se preacutesenterait agrave la fois comme principe meacutetaphysique et comme principe logique

Pour comprendre la raison pour laquelle Heidegger pose ces cinq questions nous devons expliquer plus preacuteciseacutement lrsquoapproche qursquoil adopte dans son cours de logique Son interpreacutetation du PRS nrsquoest compreacutehensible qursquoen caracteacuterisant cette approche de radicale24 Il faudrait une approche plus radicale que celle de Leibniz pour parvenir agrave une ldquoveacuteritablerdquo interpreacutetation heideggerienne de Leibniz Tel qursquoindiqueacute preacuteceacutedemment la radicaliteacute consiste agrave srsquointerroger sur la racine (radix en latin) de la notion rechercheacutee Ecirctre plus radical veut dire uniquement ecirctre plus proche de lrsquoorigine comme srsquoil srsquoagissait drsquoun reproche adresseacute agrave Leibniz en disant que ce dernier nrsquoa pas suivi la bonne meacutethode (crsquoest-agrave-dire celle de Heidegger) Crsquoest bien le cas de la notion de ratio Ratio pour Heidegger veut dire lrsquoἀρχὴ des Grecs que ce dernier traduit par la notion allemande de ldquoGrundrdquo Crsquoest ici que Heidegger oriente son cheminement lequel megravenera au cours de 1955ndash56 Satz vom Grund Toutefois plus lrsquoapproche de Heidegger est originaire plus elle srsquoeacuteloigne de Leibniz ce qui importe peu drsquoapregraves lui Heidegger se sert constamment des doctrines et concepts de ses preacutedeacutecesseurs pour pouvoir mieux affirmer (ou reacuteaffirmer) ses propres ideacutees

Satz vom Grund (1955ndash56)

La question du sens de lrsquoEcirctre apregraves le ldquotournantrdquo nrsquoest plus abordeacutee agrave partir de lrsquoideacutee drsquoune ontologie fondamentale drsquoune analytique du Dasein et de la temporaliteacute Un autre chemin apparaicirct Il srsquoagit maintenant de forger une καταβάσις agrave partir de la question de la veacuteriteacute de lrsquoEcirctre et de lrsquoldquoeacuteclaircierdquo de lrsquoEcirctre repreacutesentant ainsi le chemin de lrsquoapprofondissement se dirigeant vers le fond Le proceacutedeacute de

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lrsquoexplication de lrsquoEcirctre commence agrave se deacuteployer dans sa profondeur Et au fond de cette profondeur gicirct ce qursquoon appelle le Grund Crsquoest bien cette notion qui permet drsquoapprofondir la question de lrsquoEcirctre comme question de la veacuteriteacute de lrsquoEcirctre ou de lrsquoldquoeacuteclaircierdquo de lrsquoEcirctre Hans Georg Gadamer reacutevegravele cette perspective de maniegravere suivante

Sa question nrsquoest pas celle de la meacutetaphysique qui porte sur lrsquoeacutetant suprecircme (Dieu) ou sur lrsquoecirctre de lrsquoeacutetant Elle srsquointerroge plutocirct sur ce qui ouvre tout drsquoabord le domaine drsquoune telle question et qui constitue lrsquoespace au sein duquel se meut le questionnement de la meacutetaphysique25

Et cette penseacutee meacutetaphysique se transforme en une forme de rappel de souvenir et de reacuteminiscence de lrsquoEcirctre en somme elle se transforme en ce que son auteur lui-mecircme appelle lrsquoAndenken ou bien la penseacutee repreacutesentative ndash menschliche Vorstellen la re-preacutesentation humaine La Seinsfrage avant le tournant a pu ecirctre abordeacutee gracircce au meacutecanisme du λόγος ἀποφαντικός tandis que la Seinsfrage apregraves le tournant est abordeacutee par lrsquointermeacutediaire dun meacutecanisme complegravetement diffeacuterent celui du Grund Et pour Heidegger le chemin vers le Grund megravene eacutegalement agrave une nouvelle interpreacutetation du PRS

Les cours sur le Satz vom Grund des anneacutees 1955ndash56 sont constitueacutes de treize confeacuterences qui preacuteparent cette remonteacutee cette καταβάσις vers le fond donc vers le Grund Tout simplement parce que fonder quelque chose en raison crsquoest lrsquoapprofondir Pour Heidegger crsquoest bien le principe de raison qui nous permet drsquoaborder notre problegraveme Cependant la philosophie ne voit lrsquoeacutemergence de ce principe qursquoau XVIIe siegravecle chez Leibniz Cette longue peacuteriode depuis la naissance de la philosophie en Gregravece jusqursquoagrave la philosophie moderne qui traite finalement du PRS Heidegger lrsquoappelle la ldquodureacutee drsquoincubationrdquo La premiegravere analyse du PRS dans cette contribution consiste agrave accentuer la forme neacutegative du principe dans sa formulation latine nihil est sine ratione agrave la place de omne ens habet rationem Lrsquoidentification de la forme neacutegative est ici identique agrave lrsquoinsistance de Leibniz sur le rien des Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison que Heidegger examine dans Qursquoest-ce que la meacutetaphysique de 1949 Le proceacutedeacute meacutethodologique est plus que parlant dans les deux cas Pour Leibniz toutefois les deux cas 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 25 Gadamer 2001 pp 36ndash37

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(neacutegatif et positif) reviennent au mecircme Le ldquoquelque chose (eacutetant)rdquodes Principes est reacutegi par le PRS (ougrave la raison peut ecirctre interpreacuteteacutee eacutegalement comme lrsquoeacutetat actuel de chose) Alors que pour Heidegger les deux cas servent agrave la reacuteaffirmation de la question de lrsquoEcirctre penseacute sans lrsquoeacutetant Ce dernier attire notre attention sur la double neacutegation repreacutesenteacutee par le nihil et par sine26 Cette obscuriteacute de la double neacutegation le conduit vers la question de lrsquoessence du PRS Srsquointerroger sur lrsquoessence du PRS crsquoest srsquointerroger sur ce qursquoil est ldquoDer Satz vom Grund ist ein Grundsatzrdquo27 Voici la reacuteponse qui nrsquoest pas deacutefinitive car une preacutecision est immeacutediatement mise en œuvre ldquoDer Satz vom Grund ist der Grundsatz aller Grundsaumltzerdquo28 La syntaxe allemande permet agrave Heidegger de formuler cette deacutefinition de maniegravere approprieacutee (en tout cas agrave lui-mecircme) La traduction franccedilaise donne ceci ldquoLe principe de raison est le principe de tous les principesrdquo29 Une observation relative agrave un proceacutedeacute speacutecifique dans lrsquoeacutecriture heideggerienne srsquoavegravere ici neacutecessaire Matteacutei estime que le chiasme est un proceacutedeacute drsquoexpression propre agrave Heidegger Le cas concret du chiasme identifieacute dans la proposition ci-dessus agrave savoir ndash Der Satz vom Grund ist ein Grundsatz Matteacutei lrsquoappelle ldquoarticulation cruciale syntaxique de la propositionrdquo30 Si lrsquoon considegravere que la deacutefinition de la Satz vom Grund est la preacuteceacutedente (Der Satz vom Grund ist der Gurndsatz aller Gurndsaumltze) il nous sera permis drsquoaffirmer que le PRS est le fondement de tous les principes sans qursquoil soit neacutecessaire de le deacutemontrer et de lrsquoeacutenoncer de maniegravere axiomatique Ainsi ce principe fonde selon cette formulation le principe drsquoidentiteacute ce qui est absurde du point de vue logique mais pertinent du point de vue heideggerien Agrave vrai dire une telle ideacutee nous est proposeacutee quelques lignes plus loin ldquoLe principe drsquoidentiteacute pourrait donc ecirctre fondeacute sur le principe de raison suffisanterdquo31 Posons donc les deux cas drsquointerpreacutetation de la compreacutehension heideggeacuterienne du principe de raison Primo en recherchant lrsquoessence du PRS Heidegger la trouve dans le terme Grundsatz pour lrsquoidentifier avec le principe de principes Secundo le PRS ainsi deacutefini

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(en employant le Grundsatz comme le ldquodeacutefinissantrdquo) il est pertinent pour Heidegger de le deacuteclarer comme principe qui fonde mecircme le principe drsquoidentiteacute et ce dernier appartienne donc agrave lrsquoensemble des principes Cependant la deacutenomination du PRS chez Leibniz comme principium nobilissimum ne signifie pas qursquoil srsquoagisse du principe des principes Chez Leibniz le premier des principes crsquoest bien le principe drsquoidentiteacute Les deux cas de figure du PRS chez Heidegger mis en relation avec la theacuteorie de Leibniz sont donc contradictoires Le bon sens perd ici toute sa puissance au profit drsquoune finaliteacute drsquointerpreacutetation subjective Parle-t-on encore du PRS Ou bien subit-il une transformation une transmutation non seulement langagiegravere mais eacutegalement seacutemantique fonctionnelle et systeacutemique Agrave mon avis ce qui inteacuteresse Heidegger ce nrsquoest plus le PRS drsquoorigine mais son expression allemande ancreacutee par le terme de Grund lui-mecircme selon la traduction heideggerienne du terme latin de ratio Ainsi le PRS se change en un principe complegravetement diffeacuterent agrave savoir en un Satz vom Grund En se servant du Grundsatz comme eacuteleacutement de deacutefinition on deacutenote alors soit un principe soit une proposition sur le fondement Et crsquoest bien ce dernier sens que Heidegger adopte et retient jusqursquoagrave la fin de son cours afin drsquoidentifier le fondement le Grund agrave la profondeur abyssale de lrsquoEcirctre Il est possible de retracer le PRS 1) La premiegravere des deux interpreacutetations ne partira plus de la deacutenomination allemande du PRS comme Satz vom Grund Heidegger lrsquoaura trouveacutee dans un court traiteacute de Leibniz intituleacute Specimen inventorum de admirandis naturae Generalis arcanis dateacute de 1688 ldquoDans un traiteacute (Specimen inventorumhellip) Leibniz eacutecrit ldquoDuo sunt prima principia omnium ratiocinationum Principium nempe contradictionishellipet principium reddendae rationisrdquo32 Heidegger ne cite cependant pas la proposition inteacutegrale de Leibniz qui est la suivante

Itaque duo sunt principia prima omnium ratiocinatioum Principium nempe contradictionis quod scilicet omnis propositio identica vera et contradictoria ejus falsa est et principium reddendae rationis quod scilicet omnis propositio vera quae per se nota non est probationem recipit a priori sive quod omnis veritatis reddi ratio potest vel ut vulgo ajunt quod nihil fit sine causa33

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Les reacuteflexions de Heidegger seront donc focaliseacutees sur le reddendum Rendre raison pour Heidegger veut dire principalement fonder (Begruumlnden) Fonder crsquoest un proceacutedeacute qui aboutit agrave lrsquoessence Le raisonnement crsquoest la re-preacutesentation (Vorstellen) de lrsquoob-jet (Gegen-stand) Du point de vue du sujet repreacutesentant lrsquoessence de lrsquoobjet est bien son objectiviteacute Fonder en raison (Begruumlndung) crsquoest saisir un objet dans son objectiviteacute et le repreacutesenter dans le proceacutedeacute de la repreacutesentation humaine Autrement dit saisir lrsquoobjet (ce qui gicirct devant ndash Gegenstand) veut dire le saisir dans son objectiviteacute Le reddendum du ratio devient ainsi lrsquoobjectiviteacute (Grund) de lrsquoobjet Lrsquoessence de lrsquoobjet (das Wesen) son objectiviteacute constitue sa nature Pour accentuer cette interpreacutetation de la fonction du reddendum en passant par la ratio et en disant finalement que la ratio (Grund) est lrsquoobjectiviteacute de lrsquoobjet donc sa nature Heidegger aura indiqueacute la premiegravere des 24 thegraveses meacutetaphysiques de Leibniz ldquoRatio est in Natura cur aliquid potuis existat quam nihilrdquo34

2) La deuxiegraveme maniegravere drsquointerpreacuteter le PRS ne srsquoeffectue pas dans le cadre de la deacutenomination du PRS comme principium reddendae rationis mais deacutejagrave au sein de son eacutenonciation ldquoNihil est sine rationerdquo Ce que Heidegger propose ici nrsquoest pas un simple jeu de mots un exercice de style Lrsquoeacutenonciation cacheacutee doit ecirctre deacutevoileacutee Posons-nous drsquoabord une question de premiegravere importance A quoi donc sert-il de reacutealiser un tel deacutetournement de sens Que produira-t-il De toute maniegravere elle ne srsquoavegravere neacutecessaire que lorsqursquoon affirme que cette proposition (agrave savoir le nihil est sine ratione) contient en elle-mecircme ce que lrsquoon nrsquoest pas en mesure de deacutevoiler par la forme qursquoelle revecirct Car ldquoEntendu comme il lrsquoest drsquoordinaire le principe de raison nrsquoeacutenonce rien sur la raison mais sur lrsquoeacutetant comme telrdquo35 Force est de constater que cette premiegravere constatation propheacutetique est obscure Le principe de raison nrsquoest pourtant pas un principe auto-reacutefeacuterent Il nous dit tout simplement que rien nrsquoest sans raison Pour Heidegger le principe ne dit rien de plus Rien de plus puisque lrsquoldquoeacutetantrdquo qursquoeacutenonce ce principe sous cette forme nrsquoest drsquoaucun inteacuterecirct Heidegger ne srsquointeacuteresse drsquoailleurs pas agrave lrsquoeacutetant dont nous parle ce principe Crsquoest bien la raison sur laquelle il aura fixeacute son interpreacutetation Afin de pouvoir ldquolirerdquo dans la ldquoraisonrdquo un 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 34 Heidegger 1997 GA 10 p 40 Cf GP VII p 289 35 Heidegger 2008 p 118

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message cacheacute il est indispensable de mettre lrsquoaccent sur certains de ses eacuteleacutements drsquoeacutenonciation Et cette accentuation Heidegger la considegravere comme deacuteterminante36 pour la compreacutehension du principe Il srsquoagit drsquoun cas de figure dans lequel on met lrsquoaccent sur une paire de notions agrave partir de laquelle la proposition nihil est sine ratione est formeacutee agrave savoir ldquoESTrdquo et ldquoRATIONErdquo La forme graphique une fois lrsquoemphase souligneacute est donc la suivante Nihil est sine ratione37 Que srsquoest-il donc passeacute Que change cette accentuation Quelle est sa porteacutee Ces trois questions sont drsquoimportance capitale pour Heidegger mais nullement pour Leibniz Ici on est loin des preacutemisses des intentions de la fonction de lrsquoorigine du principium nobilissimum chez Leibniz On se trouve plutocirct sur un territoire qui ressemble de plus en plus agrave un oracle (peut-ecirctre celui de Delphes dont le maicirctre ne dit rien ne cache rien mais donne une signification) La parenteacute des deux constituants sur lesquels Heidegger met lrsquoaccent dans la proposition nihil est sine ratione est ce qui doit nous frapper agrave premiegravere vue Que signifie cette tournure propheacutetique Elle renvoie au caractegravere fondateur de la ratio vis-agrave-vis de lrsquoeacutetant Cependant une telle interpreacutetation deacutepend strictement de la compreacutehension de la ratio Pour Heidegger crsquoest plus quune raison (Vernunft) mais bien une ldquoraison du fondementrdquo en somme ce qui exprime le mieux le mot allemand de Grund La puissance fondatrice du Grund crsquoest cette meacutetaphore par laquelle le principe de raison doit se comprendre selon la deuxiegraveme maniegravere de lrsquointerpreacuteter Le ratio devenu Grund na de puissance fondatrice par rapport agrave lrsquoeacutetant en geacuteneacuteral que lorsqursquoil est conccedilu comme Seyn Les diffeacuterentes figures que le ratio revecirct dans lrsquohistoire de lrsquoEcirctre ce sont notamment lrsquoἰδέα de Platon et le λόγος drsquoHeacuteraclite

Notre questionnement doit toutefois srsquoarrecircter ici Le PRS ayant subi les deux transformations sous forme de deux interpreacutetations on constate qursquoil est complegravetement deacutepourvu de sa fonction et de sa puissance drsquoorigine Le PRS ainsi deacuteconstruit na servi au prophegravete de Maumlsskirch qursquoagrave la reacuteaffirmation de la pertinence de la penseacutee de lrsquoEcirctre sans lrsquoeacutetant Une telle interpreacutetation forceacutee nrsquoest pas unique chez Heidegger qui agrave la suite de la Kehre marche sur les chemins de bois qui aboutissent agrave lrsquoobscuriteacute du Seyn qui se traduit chez 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 36 Ibidem p 122 37 Ibidem

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Heacuteraclite par κρύπτεσθαι φίλει Die Wege nicht die Werke Les chemins et non les œuvres Voici la devise primordiale de la penseacutee tardive du philosophe Mais ces chemins obscurs ne sont paveacutes ni de principes ni du respect pour lrsquoorigine des concepts examineacutes Agrave mon avis ces chemins partent de Heidegger mais lui reviennent uniquement

BIBLIOGRAPHIE Brentano F Von der Manigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles

Freiburg im Breisgau Herder Verlag 1862 Courtine J-F Les recherches logiques de Martin Heidegger in J-F Courtine

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Vittorio Klosterman 1976 Heidegger M Einleitung zu Was ist Metaphysik in Heidegger M I Abteilund

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Heidegger M Neuere Forschungen uumlber Logik GA 1 Frankfurt am Main Vittorio Klosterman 1978

Heidegger M Die metaphysische Anfangsgruumlnde der Logik im Ausgang von Leibniz GA 26 Franfurkt am Main Vittorio Klostermann 1978

Heidegger M Satz vom Grund GA Bd 10 Frankfurt am Main Vittorio Klostermann 1997

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philosophische Schriften 4 Hrsg von C I Gerhardt Hildesheim Georg Olms Verlag 1978

Leibniz G W Theoria motus abstracti in G W Leibniz Die philosophische Schriften 4 Hrsg von C I Gerhardt Hildesheim Georg Olms Verlag 1978

Leibniz G W Principes de la Nature et de la Grace fondeacutes en raison in G W Leibniz Die philosophische Schriften 6 Hrsg von C I Gerhardt Hildesheim Georg Olms Verlag 1978

Leibniz G W Specimen inventorum de admirandis naturae Generalis arcanis in G W Leibniz Die philosophische Schriften Bd 7 ed Gerhardt Hildesheim Georg Olms Verlag 1978

Matteacutei J-F Le chiasme heideggeacuterien in D Janicaud J-F Matteacutei (eds) La meacutetaphysique agrave la limite Paris PUF 1983

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SECTION 3

LE STATUT DES EacuteSPRITS ET LrsquoORDRE DE LA GRAcircCE

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STEFANO DI BELLA

NATURALIZING GRACE LEIBNIZrsquoS RESHAPING OF THE TWO KINGDOMS OF NATURE

AND GRACE BETWEEN MALEBRANCHE AND KANT

1 Introduction

The heading of Leibnizrsquos Principles of Nature and Grace Based on Reason (from now on PNG) presents a conceptual dichotomy ndash that of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo ndash lying at the very heart of the religious and intellectual struggles of the seventeenth century At the turn of the new century however when the PNG are written (1714) the big theological controversies begin to fade away in the European culture while many theological concepts take the way of secularization Romano Guardini indicated as a peculiar trait of the modern age the transvaluation of what was originally Christian ndash ie the gift both supernatural and historical of a certain religious experience ndash into a structural feature of the universal human nature something able to be detected in principle by the pure light of natural reason1 From this point of view the development of the meaning of ldquogracerdquo in Leibnizrsquos late writings could well assume a paradigmatic value

Speaking about the ldquoprinciplesrdquo of nature and grace however as if they were two complemetary ldquosystemsrdquo is not a Leibnizian invention but reminds us of a close antecedent Malebranchersquos Treatise on Nature and Grace Hence it is worth taking our first step from this work of thirty years before

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1 The Malebranchian Model

11 General Laws A Common Pattern for both Nature and Grace

Malebranchersquos Traiteacute de la nature et de la gracircce2 presents a rationalistically-minded theodicy majestic as much as disconcerting which provoked Antoine Arnauldrsquos harsh reaction thus triggering an epoch-making controversy between the two post-Cartesian thinkers

What is most peculiar of Malebranche is his parallel treatment of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo as two lawlike systems God ndash the only true causal agent in both fields ndash acts in them according to different sets of laws Though being different however these rules present a fundamental homogeneity in their formal structure

Since it is the same God who is the author of the order of grace and of that of nature it is necessary that these two orders be in agreement with respect to everything that they contain which marks the wisdom and the power of their author Thus since God is a general cause whose wisdom has no limits it is necessary for the reasons which I stated before that in the order of grace as well as in that of nature he acts as a general cause and that having as his end his glory in the construction of his Church he establish the simplest and the most general laws which have by their effect the greatest amount of wisdom and fruitfulness3

The fundamental character of generality belonging to the laws ndash a property that can be further specified in terms of universality constancy simplicity ndash is for Malebranche a capital mark of value and the key of his solution of the theodicean problems God does never act on the ground of any particular wills because His wisdom obliges Him to conform to general rules But then all particular unwelcomed effects should be seen as the unavoidable by-products of the unfolding of the causal chains according to those general laws

Now this type of explanationjustification is applied by Malebranche not only to the evils caused by the course of nature (monsters accidents natural disasters) but is also extended to the arduous and intensively disputed questions raised by the distribution of divine graces

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12 The Domains of Grace

But what are exactly for Malebranche the domains of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo respectively ldquoNaturerdquo is far from being identified solely with the physical world The laws of nature indeed should be further specified in three sets of rules governing respectively (a) the (mechanical) interactions among bodies (b) the series of thoughts and feelings in our souls (c) the reciprocal (indirect) determination between events belonging to (a) and (b)

The world of ldquoGracerdquo instead is ndash according to the traditional theological sense ndash the field of Godrsquos super-natural actions which are the proper source of human salvation more precisely graces in the proper and strict sense are ldquograces of feelingrdquo that is to say divine modifications of our feelings (sentiments) Traditionally this was the field of Godrsquos totally free particular acts of will over and above any ldquolawrdquo by which God Himself could have somehow vinculated His power and will accordig to the ordinary course of nature Malebranchersquos audacious idea was instead as I anticipated to apply the same causal-nomological model even to the distribution of graces

In the natural world as is well known the movements of bodies and the modifications and volitions of minds play the role of occasional causes for the exercise of (divine) real casuality according to its general laws In the distribution of graces no such natural event can play this role The source of the particular specifications in the distribution of the divine grace ndash hence what plays here the role of occasional cause ndash should be looked for instead in the particular acts of will of Christ These acts in their turn are bound to the conditions and constraints of his human nature Thus the limits of Christ as a human being and their interplay with the variety of circumstances together with Godrsquos maintenance of the general rule governing the distribution of His grace explain the particularization of the effects of the general rule and the only apparent randomness or injustice in the distribution of graces themselves

The fields of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo however cannot be sharply separated for Malebranche There are other graces indeed that have as their outcome the enlightement of our understanding now these ldquograces of lightrdquo (to be distnguished from those of ldquofeelingrdquo the

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properly super-natural ones) are included within the order of nature they are also dispensed by God (remember that for Malebranche every effect natural as it may be is brought about directly by God) but by God as our creator not as our Redeemer

All these kinds of grace ndash if one wants to leave them that name ndash being the graces of the Creator the general laws of these graces are the general laws of nature For one must take note that sin has not destroyed nature although it has corrupted it The general laws of the communication of motion are always the same and those of the union of the soul and the body are not changedhellip4

Accordingly our mental movements of attention will be the relevant ndash and natural ndash occasional causes which determine the enlightement of our mind

More generally many other natural causes (eg also physical ones such as physical accidents or fortuitous personal encounters) can determine our attitude towards God and salvation Thus we can adopt an even wider sense of grace considering ldquogracerdquo every event which ndash while always obeying the general rules of nature at the different levels of creation ndash does have some relevant positive impact on our salvation and eternal destiny5

Observe that in the Malebranchian framework the laws connect also events situated at different levels of being (eg physical and mental events) so that the different (quasi-) casual chains ruled by their respective different laws cross each other and interfere in many complex ways Malebranche is prepared to accept and even to emphasize this concurrence of a multiplicity of (quasi-) causal factors which taken together determine the patterns of grace6 This is his

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peculiar way to interpret the union of nature and grace ndash a traditional tenet of Catholic doctrine in contrast with the sharp opposition of the two principles in the theology of the Reformation

13 The Supreme Order and the Nature Grace Relationship

The complexity of interrelations among different lawlike patterns raises the question about the resulting global plan of the world Does God simply ratify the outcome of this immensely complex intercrossing of different sets of general laws on one hand and particular circumstances on the other Are generality and simplicity the only supreme rules He wants to follow Or do other criteria intervene to better harmonize the composition of the different lawlike chains

Malebranche introduces the notion of ldquoOrderrdquo to indicate the supreme rule governing divine wisdom and action7 This ldquoOrderrdquo reflects a hierarchical scale of values which should guide the attitude of a rational agent with respect to all possible choices and all different beings According to this objective hierarchy for instance the life and happiness of a human being should be taken as more valuable than those of a non-rational animal As a consequence this type of criterion seems to determine a moral obligation to put the perfection and happiness of human beings above every other value ndash hence to subordinate all other laws to the salvific order of grace though maintaining also as far as possible the formal constraints of

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simplicitygenerality The way of balancing these different criteria and requirements and their possible mutual tension have been the object of intensive discussion in Malebranchersquos scholarship

In any event we are faced with an implicit shift in the way of conceiving the order governing divine action and more specifically grace itself The idea of one general or global will of God is maintained But now its content no longer appears as a purely formal rule but rather as a specific system of ends according to which all actions and rules are evaluated

From this perspective a hierarchical finalistic relationship between the different ldquokingdomsrdquo can be envisaged Malebranche in fact goes as far as to suggest that the divine decision to create bodies ndash and with them the whole order of physical nature ndash is finalized to the ends of the order of grace understood in this axiological way in Malebranchersquos words to the building of the ldquoeternal Churchrdquo in all its variety

To justify the persisting disharmonies between this notion of order as (moral) perfection and the order of nature Malebranche can appeal to the theological doctrine of original sin by which nature has been somehow corrupted whereas the originary plan of creation envisaged a systematic subordination of the order of nature to that of grace

Here one must take note that the essential rule of the will of God is order and that if man (for example) had not sinned hellip then order not permitting that he be punished the natural laws of the communication of motion would never been able to make him unhappy for the law of order which wills that the just person suffer nothing despite himself being essential to God the arbitrary law of the communication of motion must necessarily be subjected to it 8

After manrsquos sin this perfect subordination of the working of the general laws to the supreme law of (moral) order has been lost Malebranche however considers also the possibility that even in the present state of our world God alters in a miracuolus way the actual order of nature in order to better harmonize it with the superior ends dictated by the supreme order

There are still some rare occasions on which these general laws of motion ought to cease to produce their effect But it is not the case that God changes his laws or

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corrects himself it is because of the order of grace which that of nature must serve that miracles happen in certain circumstances9

Admittedly these occasions are ldquorarerdquo It is interesting to see how Malebranche even in later works tends to provide some explanation of many miracles (e g of several miracles of the Old Testament) in terms of general laws if not properly in a naturalistic way What is especially relevant for us here is the fact that in putting forward this type of explanation he gives an illustration of the way in which nature while not changing any of its laws can serve the higher ends of God according to the highest order (and even to the distribution of His grace in the strict sense)

2 The Leibnizian Model

21 From the Treatise to the Discourse the Redeemer and the King

Leibnizrsquos systematic usage of the naturegrace pair is clearly inspired by the Malebranchian model Not accidentally it appears in the Discourse of metaphysics a text whose themes are clearly presented and organized with an eye to the most recent developments of Cartesian philosophy in particular to Malebranchersquos ideas and his discussion with Antoine Anauld (the latter being after all the designed addressee of the draft of the Discourse itself) Now the Treatise on nature and grace was then one of the last important texts published by Malebranche moreover the philosophical-theological views expressed there were the deepest and truest motivations of Arnauldrsquos polemical attack launched against Malebranche For his own part Leibniz was very sensitive to the Malebranchian approach to the theodicean issues its leading ideas ndash such as the criteria of generality or the working out of a notion of order ndash and the problems they raised10

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When passing from Malebranchersquos Treatise to Leibnizrsquos writings however we are faced with some shift in the usage of the term ldquogracerdquo and the definition of the related domain To be sure Leibniz also is intensively concerned in the Discourse as in many other writings with the specific problem of the divine supernatural aids provided on behalf of human salvation and of the logic of their distribution ndash that is to say the proper field of ldquogracerdquo in strictly theological (even in Malebranchian) sense which was then at the centre of the hottest debates between Catholics and Protestants or between Jesuites and Jansenists ndash but when he speaks about the ldquokingdom of gracerdquo in contrast to the ldquokingdom of naturerdquo usually he is not referring exclusively (or even primarily) to this topic

True enough in a text edited by Couturat we find a definition that at first sight seems to overlap Malebranchersquos ldquowiderrdquo definition of grace taken as all which contributes to human salvation

When the Grace is contrasted to the Nature this means to contrast the actions done by God as a King to the actions done as the mere author of things More especially however his actions are meant which are relevant for human salvation11

What is most important Leibniz identifies the scope of ldquogracerdquo in general as a special field of Godrsquos action distinct from His general action as creator This distinction might be applied also to the case of Malebranchersquos ldquoproperrdquo sense of ldquogracerdquo but it is important to observe that this is taken by Leibniz in a quite different way It is Godrsquos role as a ldquoKingrdquo indeed which is connected by hiim to ldquogracerdquo and the kinggrace pair is contrasted to the creatornature one Now telling about God as a ldquokingrdquo amounts to focusing on His role as the ruler of rational creatures

As a matter of fact it is no longer Godrsquos role as the Redeemer which qualifies the field of grace every reference to a specific work of redemption and to Christ ndash absolutely central in Malebranchersquos Treatise ndash tends here to fade away not in the sense of being abolished but of being no longer the central topic being rather absorbed within the general consideration of Godrsquos gobal handling as a moral ruler of the world

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Moreover Godrsquos action as a ldquokingrdquo is not presented as the implementation of a specific lawlike pattern in the distribution of His graces (as is was the case in Malebranchersquos Treatise) but as a different finalistic order which governs a specific sector of creation and through this is superimposed to the subordinated order of ldquonaturerdquo In this sense the Leibnizian rule of ldquogracerdquo might be rather identified with the Malebranchian notion of a global moral ldquoorderrdquo

22 The Domain of Grace or the City of God

The idea of the ldquoKingdom of gracerdquo as opposed to that of ldquonaturerdquo becomes a peculiar Leibnizian tool at least from the Discourse on12 We find it in the New System13 of ten years later and finally in the famous couple of texts of Leibnizrsquos last years the PNG and the Monadology14 The strucural characters and the usage of this conceptual tool remain basically constant during this period (that is to

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say in Leibnizrsquos mature and late thought) I try now to explore a bit closer these characters and this usage

To this aim it is worth focusing on another notion to which the ldquoKingdom of gracerdquo is usually associated by Leibniz I mean the concept (maybe better the image) of the ldquocity of Godrdquo To be true another possible (perhaps more imemdiate) association is with the notion central in the New Testament of ldquoGodrsquos Kingdomrdquo this is the way taken by Leibniz in the last paragraphs of the Discourse15 Also in this text however the image of ldquocityrdquo or ldquorepublicrdquo neatly prevails and in the other texts centered on the naturegrace dichotomy the world of ldquogracerdquo is constantly accompanied by a constellation of kindred political images Thus in paragraph 15 of the PNG one can read

For this reason all spirits whether of men or higher beings enter by virtue of reason and the eternal truths into a kind of society with God and are members of the City of God that is to say the most perfect state formed and governed by the greatest and best of monarchs Here there is no crime without punishment no good action without a proportionate reward and finally as much virtue and happiness as is possible16 Needless to say the natural link between the biblical theme of the ldquoKingdom of Godrdquo and this political imaginery was provided by the great tradition of Augustinersquos ldquocity of Godrdquo The powerful Augustinian notion however is transfigured in Leibnizrsquos rationalistically-minded reading17 where it becomes the label for the ideal society which embraces God and all rational beings on the basis of a commonly shared ldquonatural rightrdquo taken in a strongly univocist way ndash this ldquonatural rightrdquo being nothing but the object of his celebrated ldquouniversal jurisprudencerdquo18 In this context God as the true monarch ndash though being qualified in Discourse sect 35 as ldquoabsoluterdquo ndash still is quite different from a dispotic ruler insofar as He is vinculated by the natural law

To sum up the Leibnizian notion of ldquoKingdom of gracerdquo turns out to be constantly focussing on a) Godrsquos moral attributes such as 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 15 In parallel with the usage of this biblical image the qualification of ldquofatherrdquo is contrasted with that of ldquoarchitectrdquo to express the same dichotomy as king (of the spiritual world) and creator (of the material world) See also the passage from the New System cited note 12 above 16 PNG GP VI 605 L 640 17 For some remarks on this reworking see the chapter devoted to Leibniz in Gilson 1952 18 The classic study on Leibnizrsquos philosophy considered from this viewpoint accompanied by an impressive collection of texts is Grua 1953

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justice and goodness b) the emergence of beings capable of moral responsibility

Leibniz indeed usually invokes that notion while introducing the ontological distinction he is eager to draw between the generality of simple substances or souls on one hand endowed with (different grades of) perception and the subset of rational beings on the other capable of self-knowledge and of grasping necessary truths These characters make of them moral subjects deserving reward or punishment

According to the general law of His ldquokingdomrdquo or ldquocityrdquo on one hand God is bound to procure the happiness of these higher creatures

So dear is this consideration to him that the happy and flourishing state of his empire which consists in the greatest possible felicity of its inhabitants becomes his highest law For happiness is to persons what perfection is to beings And if the highest principle rulig the existence of the physical world is the decree which gives it the greatest perfection possible the highest purpose in the moral world or the city of God which is the noblest part of the universe should be to spread in it the greatest possible happiness19

And then the further precision comes this happiness should be proportional to the virtue of rational creaures20 In Leibnizrsquos view the ldquokingdom of gracerdquo obeys the rule of charity or universal benevolence but it is the ldquocharity of wiserdquo a synonim for justice ndash charity being for Leibniz the highest level of justice itself The ldquoKingdom of gracerdquo indeed viewed under the juridical-political equivalences evoked by Leibniz is indeed a system of justice framed around manrsquos and Godrsquos moral obligations

In this sense this system of grace turns out to be rather far from ndash if not even opposite to ndash the originary theological notion of grace taken as an essentially gratuitous gift what is not surprising given the ldquounivocistrdquo approach of universal jurisprudence i e the subordination of God and man to a common rule

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But this issue invites us to consider more closely the Leibnizian opposition of ldquogracerdquo to ldquonaturerdquo and their mutual relationship

The NatureGrace Distinction ldquoSupernaturalrdquo as ldquoMoralrdquo What about the complementary definition of the scope of ldquonaturerdquo in the Leibnizian naturegrace pair Leibniz usually speaks as if the relevant term to be harmonized with grace were physical nature as such ldquoPhysicalrdquo however does not simply coincide with ldquomechanicalrdquo in the sense of ruled by efficient causes

As we have established above a perfect harmony between two natural kingdoms that of efficient and that of final causes we must also point out here another harmony between the physical kingdom of nature and the moral kingdom of grace that is to say between God considered as architect of the machine of the universe and God considered as monarch of the divine city of spirits21

Leibniz here is accurate in distinguishing the field of ldquogracerdquo from other finalistic aspects of the world the ldquorealm of gracerdquo in fact is far from being simply coextensive with the domain of teleology or of final causes As is well known according to Leibniz teleological considerations play a role even at the level of the world of bodies where they represent a complementary explanation of physical events together with efficient (mechanical) causality When speaking about ldquogracerdquo therefore a further and different finalism is considered insofar as the whole of natural processess already guided by finalism (functionally epistemologically or even esthetically shaped) is now related to a further specifically moral end

No to count that the scope of ldquonaturalrdquo should likely be extended to embrace some psychical processes they also ruled by lawlike patterns what is already implicit in the fact that the distinction line is drawn (differently from what done by the Cartesian Malebranche) between not-rational souls and intelligent minds

Accordingly all this reflects into the new characterization of the ldquoKingdom of gracerdquo that is to say of the sense and scope of ldquosupernaturalrdquo taken as the sphere of ldquomoralrdquo laws (versus ldquophysicalrdquo

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ones be they even teleological or psychological) Thus the preceding paragraph of the Monadology tells us that

This city of God this truly universal monarchy is a moral world within the natural world22

Moroever analogous to the way in which in the PNG Leibniz at a point invokes the need of passing from ldquophysicalrdquo consideration to ldquometaphysicalrdquo ones already in the Discourse he had introduced the topic of the ldquorealm of Godrdquo by the need to join ldquomoralrdquo to metaphysics

But in order to support by natural reasons the view that God will preserve for all time not merely our substance but our person that is to say the memory and knowledge of what we are hellip we must add morals to metaphysicshellip23

Only that type of consideration indeed could establish true immortality by working as a sort of ldquomoral postulaterdquo (to use a bit anachronistically Kantrsquos later jargon) which establishes the immortality (in the proper sense) of rational souls by distinguishing it from the unperishability common to all substances in general I shall consider this closer below24

3 Leibnizrsquos Harmony of Nature and Grace or the Moral Nature of Nature

31 Moral and Natural Order Distinction and Preminence

In Leibnizrsquos framework as we have seen the elements of Malebranchersquos system of nature and grace are profoundly reshaped While in Malebranche the specific laws of grace were structurally homogeneous to those of nature in Leibniz the contrast of God as an ldquoarchitectrdquo and God as a ldquomonarchrdquo tends to reveal and emphasize a

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fundamental dis-homegeneity beween the two types of laws The Leibnizian order of ldquogracerdquo is less reducible to a system of (we could say quasi-Hempelian) causal laws than the occasionalist schema of ldquogeneral lawsrdquo the rules of ldquogracerdquo have an essentially normative character ndash although in the case of divine action what ought to be the case invariably is the case From this point of view there is rather some continuity with the other great Malebranchian theme of (moral) ldquoOrderrdquo at least in its general sense of a set of axiological principles

A precision is required here one should distinguish this objective recovery of the Malebranchian ldquoorderrdquo from the other Leibnizian notion (it also a reworking of a Melbranchian theme) of a supreme all-encompassing order actually realized in the best of possibile worlds Admittedly this also is ultimately determined by axiological considerations of perfection but it already includes their total specification and their balancing with all toher parameters Within this notion the conceptual tensions which emerged In Malebranchersquos view turn out to be somehow nuanced and attenuated insofar as this all-encompassing notion of ldquoorderrdquo already integrates ethical values and epistemological ones (like the simplicityfecundity balance) besides this Leibnizrsquos enlarged concept of law tends to relativize the contrast between general and particular wills

When Leibniz however takes the moral order as synonimous of the order of grace and contrasts it to the order of nature he is considering more analytically the single factors of that all-comprehensive universal order in particular he is considering the ldquomoral orderrdquo in a strict sense as being distinct from other parameters of the divine evaluation and in need to be (problematically) co-ordinated with them In this sense we find again Malebanchersquos problem of the adaptation of the causal-nomological patterns of nature to the moral ends

Although the moral order properly concerns only a subset of the created world however and represents only a part of the criteria which guided its creation still it maintains a priority so that the other ldquosub-ordersrdquo or sets of rules have to be somehow subordinated and finalized to this higher system of ends

More concretely this means that the destiny of rational beings ndash hence their happiness ndash is the absolutely privileged end of the cosmic order Leibniz also sketches in his writings some arguments

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to the effect of showing the necessary connection between the basic general criterion of metaphysical perfection and the specific moral criterion of the happiness of spirits25

Admittedly in certain contexts Leibniz warns us that that preminence is not as absolute so that the moral ends of the order of grace (in other terms Godrsquos ends as the king of spirits) can be at least to a certain extent sacrified to other ends concerning the whole of the cosmic system and the interest of other (non-rational) creatures This point of view is especially developed in some sections of the Theodicy where part of Leibnizrsquos strategy is to criticize Baylersquos objections as too anthropocentric Accordingly Leibniz is ready to emphasize that the adjustement of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo is a reciprocal one moreover he goes on occasionally to admit that moral justice and the happiness of rational creatures ndash or at least of mankind ndash is not always the preminent let alone the unique goal guiding the divine choice

hellipI grant that the happiness of intelligent creatures is the principal part of Godrsquos design for they are most like him but nevertheless I do not see how one can prove that to be his sole aim It is true that the realm of nature must serve the realm of grace but since all is connected in Godrsquos great design we must believe that the realm of grace is also in some way adapted to that of nature so that nature preserves the utmost order and beauty to render the combination of the two the most perfect that can be And there is no reason to suppose that God for the sake of some lessening of moral evil would reverse the whole order of nature Each perfection or imperfection in the creature has its value but there is none that has an infinite value Thus the moral or physical good and evil of rational creatures does not infinitely exceed the good and evil which is simply metaphysical namely that which lies in the perfection of the other creatureshellip

Nevertheless in the texts which typically develop and illustrate the naturegrace polarity the emphasis is always on the preminence of the city of God and of the related moral ends within the wider context of our world Moreover in these contexts the happiness due to the spirits is expressly measured according to moral criteria happiness should be distributed according to virtue and the content of the naturegrace harmony ultimately amounts to this Thus Leibniz in the selfsame Theodicy criticizes Bayle for the opposite ground as before

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One might thence conclude according to him (posthumous Reply to M Jacquelot p 183) ldquothat God created the world only to display his infinite skill in architecture and mechanics whilst his property of goodness and love of virtue took no part in the construction of this great work This God would pride himself only on skill he would prefer to let the whole human kind perish rather than suffer some atoms to go faster or more slowly than general laws requirerdquo M Bayle would not have made this antithesis if he had been informed on the system of general harmony which I assume which states that the realm of efficient causes and that of final causes are parallel to each other that God has no less the quality of the best monarch than that of the greatest architect that matter is so disposed that the laws of motion serve as the best guidance for spirits and that consequently it will prove that he has attained the utmost good possible provided one reckon the metaphysical physical and moral goods togetherhellip27

32 The Finalization of Nature Justice through Nature

It remains to be seen how this harmony is conceived by Leibniz Here one can see how Leibniz ndash while seemingly abandoning Malebrachersquos audacious exportation of the nomological model of natural science into theology and striving at estabilishing by contrast a neat division of fields ndash by this same move comes to formulate in a crystal clear way the same problem already confronted by the Oratorian namely the problem posed to theological and moral thought by the new scientific view of the world

His very general requirement is that the system of nature unfolding according to its own rules at the same time does satisfy the moral requirements The task is especially arduous notice insofar as for Leibniz more than for Malebranche (who admits though in his peculiarly indirect and mediated form an interaction bettween the mental and the physical) the system of natural laws is a perfectly self-closed one

Thus Leibniz is eager to emphasize that no interference is admitted in the sphere of the laws of nature

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And this takes place not by a dislocation of nature as if what God has planned for souls could disturb the laws of bodies but by the very order of natural things itself by virtue of the harmony pre-established from all time between the realms of nature and of grace between God as architect and God as monarch in such a way that nature leads to grace and grace perfects nature by using it28

Consider also that the same beings do belong to both realms insofar as eg human beings are subjected both to the natural laws as embodied souls and to the jurisdiction of the moral law as citizens of the ldquocity of Godrdquo As Leibniz puts it the realm of grace is a ldquomoral world within the natural worldrdquo

Moreover something more than a mere coordination ndash as in the case of the classic explanation of the bodysoul relationship given by pre-established harmony ndash seems to be required because the outcomes of one set of laws must be subordinated to the other one29

But how can this preminence of moral finalism and the corresponding harmony be figured out in a plausible way

A first and straightforward way is to claim that contrary to the appearances the working of nature ndash the ldquoblindrdquo mechanism of the laws of physical motion or the psychological dynamism of appetites often directed towards only seeming goods ndash ultimately ends up promoting the moral ends ro be pursued in particular the correct retribution of human actions

This might seem of course a completely gratuitous assumption Sometimes Leibniz seems to have in mind the idea that moral handling coincides with the correct working of human nature so that virtue is (as Spinoza would say) the reward for itself while vice takes with itself its punishment

It can hellip be said that God as architect satisfies God as lawgiver in everything and that sins must therefore carry their punishment with them by the order of nature and even by virtue of the mechanical structure of things and that noble actions similarly attain their rewards through ways that are mechanical in relation to bodies although this cannot and should not always happen at once30

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This moral outcome of natural processes however is not so evident in a lot of cases Hence the final clause which projects the ldquoharmonyrdquo into a more or less remote future ndash be it the time of an entire human life or a properly eschatological one

Remember how Malebranche invoked the fact of the original sin in order to explain the disconcerting disharmony between the working out of nature and its alleged moral ends Leibniz does not focus his attention on this explanation in this case also his view of the ldquokingdom of gracerdquo differently from that of the French theologian is not essentially connected (while leaving a possible room for it) to what is specific to the story of Christian redemption

The disharmony of the two kingdoms does not only concern the conflict of tendencies within rational agents but also the topic of natural disasters ndash another one attentively considered in Malebranchersquos theodicy Also these phenomena according to Leibniz should be assumed to have a ldquomoralrdquo justification though difficult to see from our very limited perspective

To this kind of consideration seem to point also some rather cryptic allusions concerning the alleged harmony between the story of our planet and the moral story of its inhabitants These allusions can be interpreted in general along a strictly orthodox idea ndash to be found also in Malebranche ndash according to which the original sin corrupted also nature and conversely according to St Paulrsquos dictum (ldquothe whole creation groans with us and shares our birth pangsrdquo) redemption will involve nature itself

More interestingly we are faced with the attempt at suggesting a ldquomoralrdquo account of the most recent discoveries and discussions concerning the story of earth discoveries that could easily appear at odds with the biblical teaching Leibniz in fact is suggesting that the big natural changes in the earthrsquos general conditions harmonize with the moral requirements of Godrsquos global plan

The result of this harmony is that things lead to grace by means of the very ways of nature and that this globe for example must be destroyed and repaired by natural ways at those times which the government of spirits demands for the punishment of some and the rewards of others 31

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Compare this with a passage in Thomas Burnetrsquos Telluris Theoria Sacra (1681) whose author ndash after giving a ldquophysicalrdquo explanation of the universal deluge ndash warns that this does not compromise the biblical interpretation of the deluge as a divine punishment

It is no detraction from divine providence that the course of nature is exact and regular and that even in its greatest Changes and Revolutions it should still conspire and be prepared to answer the Ends and Purposes of the divine Will in reference to the moral world This seems to me to be the great Art of Divine Providence so to adjust the two Worlds human and natural material and intellectual as seeing through the Possibilities and Futuritions of each according to the first States and Circumstances he puts them under they should all along correspond and fit one another and especially in their great Crises and Periods32

Elsewhere Leibniz goes on to illustrate the same idea with some audacious speculations put forward by contemporary Origenists this is the case with the ldquoastronomical theologyrdquo referred to in the Theodicy ldquoSimultaneously (by virtue of the harmonic parallelism of the Realms of Nature and of Grace) this long and great conflagration will have purged the earthrsquos globe of its stainsrdquo33

This grand view of the changes of our world however leaves the possibility of realizing justice still unclear if the persistence of the same moral subject is not granted I am speaking notice of ldquomoral subjectrdquo because the simple persistence (or unperishability) is already metaphysically assured for all simple substances But the order of the ldquocity of Godrdquo with the related retributive justice requires something more that is to say that the same self-conscious being persists endowed with the memory of herhis past actions Accordingly several passages in the texts on the naturegrace harmony insist on the preservation of the same person despite the continuous and radical transformations to which the physical world is subjected (ldquobeyond the revolutions of matterrdquo)34 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 32 Burnet 1689 (transl by J Addison The Sacred Theory of the Earth Hooke London 1719 I 146) 33 Essais de Theacuteodiceacutee sect 18 (transl Huggard) These speculations are connected to Leibnizrsquos interest for the topic of Apokathastasis and his relationship with the heterodox and millenarian theologian Petersen See on this Fichant Introduction and Costa 2014 34 For the idea of being subtracted to the ldquorevolutions of matterrdquo see the Nouveau Systeme (note 13 above) and Mendelson 1995 For the immortality of minds as a key element in the ldquokingdom of gracerdquo see already Discours sect 36 (note 12 above) and the letter to Wagner of June 1710 ldquohellip as soon as [human souls] however are made rational and capable together of being self-conscious of partnership with God I am persuaded that from then on they never lose their personal quality of citiziens of

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As a matter of fact what Leibniz wants to get from his harmony is nothing but that final conciliation of subjective consciousness and divine justice whose need was emphasized also by John Locke and which should have been assured by the doctrine of the Last Judgment together with a final eschatological reconciliation of soul and body of virtue and happiness

It is worth noting however that this eschatological outcome seems to be thought of by Leibniz ndash though in a largely ambiguous and nuanced way ndash in a more intra-mundane way That is to say the reconciliation of nature with the moral ends of the ldquokingdom of gracerdquo both on the global and individual plan is projected into the future but this seems to be a future still belonging to the (admittedly dramatic) development of our (and Godrdquos) unique world35 Conclusions Kant on the Realms of Nature and Grace

In the Critique of Pure Reason Doctrine of Method Kant at a point relies explicitly on Leibnizrsquos legacy by taking again his idea of the realms of nature and grace

Leibniz termed the world when viewed in relation to the rational beings which it contains and the moral relations in which they stand to each other under the government of the Supreme Good the kingdom of Grace and distinguished it from the kingdom of Nature in which these rational beings live under moral laws indeed but expect no other consequences from their actions than such as follow according to the course of nature in the world of sense To view ourselves therefore as in the kingdom of grace in which all happiness awaits us except in so far as we ourselves limit our participation in it by actions which render us unworthy of happiness is a practically necessary idea of reason36

We are not faced indeed with a merely terminological recovery Kantrsquos idea seems to be objectively in staightforward continuity with Leibnizrsquos approach and the conceptual framework expressed by the idea of the Leibnizian ldquoKingdom of gracerdquo is largely taken again by

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him from a transcendental point of view We have on one hand the natural world (embracing both the physical one and that of empirical psychology) ruled by causal laws on the other the laws of morality or of practical reason (binding all rational beings God included like for Malebranche and Leibniz) The realm of grace is properly the idea of the union of the two or of their reconciliation what Kant technically labels by his notion of ldquosupreme goodrdquo Although the way of conceiving the relation of happiness with moral intention is of course different from Leibnizrsquos still the fundamental idea (or problem) formulated by Leibniz is there I mean the requirement of a reconciliation of the scientific and the moral view of world ndash which will be a major theme in the whole classic German philosophy Not only our immortality but Godrsquos eixistence itself are now definitely taken as postulates derived from the assumption of the moral law Interestingly enough in Kantrsquos view this requirement concerning the ldquomoral nature of naturerdquo is ideally conjoined with another element we have found in Malebranche ndash while being in Leibniz though not absent more balanced by other considerations ndash namely the emphasis on the universal character of rules and the extension of this formal character to both realms of nature and moral

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LAURENCE BOUQUIAUX

CONNEXION UNIVERSELLE ET ENVELOPPEMENT DU FUTUR DANS LE PREacuteSENT

Ce texte a pour but de contribuer agrave lrsquoeacutetude de la maniegravere dont srsquoarticulent les dimensions physique psychologique et meacutetaphysique du thegraveme de la connexion universelle et de lrsquoenveloppement du futur dans le preacutesent Je commencerai par examiner selon quelles modaliteacutes le thegraveme de la monade miroir du monde apparaicirct dans les Principes de la nature et de la gracircce (PNG) dans le sect3 et dans le sect 12 ndash je ne prendrai pas en consideacuteration la 3egraveme occurrence sect 14 ougrave il est question de lrsquoesprit comme image de Dieu ndash puis je mrsquointerrogerai sur la relation qui existe entre la thegravese qui affirme que du fait de la connexion universelle la monade perccediloit (confuseacutement) tout ce qui arrive agrave chaque instant dans le monde et celle qui affirme que la monade perccediloit (confuseacutement) toute son histoire le passeacute comme le futur Cela mrsquoamegravenera agrave envisager rapidement la question de lrsquoasymeacutetrie entre passeacute et futur comme proprieacuteteacute temporelle qui nrsquoa pas drsquoeacutequivalent pour lrsquoespace

Au sect 2 des PNG Leibniz affirme que ldquoen elle-mecircme et dans le momentrdquo une monade ne peut ecirctre discerneacutee drsquoune autre que par ses perceptions crsquoest-agrave-dire par ses repreacutesentations de ce qui est au-dehors et par ses appeacutetitions qui sont ldquoses tendances drsquoune perception agrave lrsquoautrerdquo Dans le sect 3 Leibniz preacutecise que crsquoest suivant les affections de son corps qursquoune monade se repreacutesente ce qui est hors drsquoelle et que si chaque monade est un ldquomiroir vivantrdquo de lrsquounivers crsquoest parce que le monde est plein et que ldquochaque corps agit sur chaque autre corps plus ou moins selon la distancerdquo Mon acircme perccediloit lrsquounivers parce que mon corps est affecteacute par chacun des autres corps et cela drsquoautant plus fortement que le corps affectant est proche du mien1 Ce passage semble indiquer que crsquoest parce

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qursquoelles ont un corps que les monades sont en relation avec le reste du monde Crsquoest un thegraveme que lrsquoon trouve en drsquoautres endroits notamment dans un passage des Consideacuterations sur les principes de vie et les natures plastiques ougrave Leibniz eacutecrit que les acircmes deacutetacheacutees de tout corps les creacuteatures ldquofranches ou affranchies de la matiegravererdquo seraient ldquodeacutetacheacutees en mecircme temps de la liaison universelle et comme des deacuteserteurs de lrsquoordre geacuteneacuteralrdquo2 Dans le sect 4 des PNG crsquoest encore agrave partir du corps et de ses perfections que Leibniz explique les perfections de la monade et notamment la meacutemoire si les organes du corps sont suffisamment ldquoajusteacutesrdquo il y aura ldquodu relief et du distingueacuterdquo dans les impressions qursquoils reccediloivent et donc dans les perceptions de la monade qui possegravede ce corps cela peut aller jusqursquoagrave la meacutemoire qui est ldquoune perception [hellip] dont un certain eacutecho demeure longtemps pour se faire entendre dans lrsquooccasionrdquo Les paragraphes suivants deacuteveloppent le thegraveme de la meacutemoire et des perceptions toujours preacutesentes mecircme lorsque lrsquoon ne srsquoen aperccediloit pas dans le sommeil dans lrsquoeacutevanouissement et mecircme dans la mort

Vient ensuite la rupture du sect 7 ldquoJusqursquoici nous nrsquoavons parleacute qursquoen simples physiciens maintenant il faut srsquoeacutelever agrave la meacutetaphysiquerdquo Il nous faut nous demander pourquoi il y a quelque chose plutocirct que rien et pourquoi les choses sont ainsi plutocirct qursquoautrement Jusque-lagrave Leibniz a deacutecrit la suite des choses lrsquoenchaicircnement des mouvements dans les corps lrsquoenchaicircnement des repreacutesentations de ces mouvements crsquoest-agrave-dire des perceptions dans les acircmes Il faut agrave preacutesent srsquoeacutelever passer agrave un niveau supeacuterieur et se demander pourquoi ce sont ces enchaicircnements-lagrave plutocirct que drsquoautres qui sont reacutealiseacutes dans le monde La reacuteponse est dans la sagesse de Dieu et dans le principe du meilleur Dieu a choisi ldquoles lois du mouvement les mieux ajusteacutees et les plus convenables aux raisons abstraites et meacutetaphysiquesrdquo (sect 11) Crsquoest en repartant de principes meacutetaphysiques comme celui de lrsquoeacutequivalence entre la cause pleine et lrsquoeffet entier que lrsquoon peut rendre raison des lois du mouvement et mecircme quelquefois les deacutecouvrir Le sect 12 reprend le thegraveme de la monade ldquomiroir vivant repreacutesentant lrsquouniversrdquo qui apparaissait dans le sect3 mais ce thegraveme est ici introduit non plus agrave partir de la pleacutenitude du monde et de

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Laurence Bouquiaux Connexion universelle et enveloppement du futur dans le preacutesent

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lrsquoaffirmation que chaque corps est affecteacute par tous les autres mais comme une conseacutequence de la perfection de Dieu il suit de la perfection divine que ldquochaque monade [hellip] doit avoir ses perceptions et ses appeacutetits les mieux reacutegleacutes qursquoil est compatible avec tout le resterdquo Agrave la question de savoir pourquoi telle monade a telle ou telle perception le deacutebut du texte reacutepond que cela est lieacute agrave la maniegravere dont son corps est affecteacute Agrave la question de savoir pourquoi les chaicircnes causales qui lient les mouvements des corps drsquoune part et celles des perceptions de lrsquoacircme drsquoautre part sont ce qursquoelles sont les sect 10 et 11 reacutepondent que ces lois sont les meilleures possibles3

Une autre diffeacuterence entre ces deux parties du texte me semble significative alors qursquoil nrsquoavait eacuteteacute question dans le deacutebut du texte que de la meacutemoire et du souvenir le sect 13 introduit le thegraveme drsquoune lecture du futur dans le passeacute Le preacutesent est gros de lrsquoavenir le futur se pourrait lire dans le passeacuterdquo Cette possibiliteacute se dit au conditionnel crsquoest seulement si lrsquoon pouvait deacuteplier tous les replis drsquoune acircme ldquoqui ne se deacuteveloppent sensiblement qursquoavec le tempsrdquo que lrsquoon pourrait connaicirctre la beauteacute de lrsquounivers dans cette acircme Et cette condition nrsquoest pour nous jamais reacutealiseacutee4 Seul Dieu peut lire dans les replis drsquoune acircme toute lrsquohistoire de lrsquounivers On pourrait neacuteanmoins soutenir que le sect 13 des PNG pose la question drsquoune hypotheacutetique perception du futur par les acircmes mecircmes parce que Leibniz semble y placer sur le mecircme pied le thegraveme du preacutesent gros de lrsquoavenir et celui de lrsquoexpression de lrsquoeacuteloigneacute dans le prochain dont il avait deacutejagrave eacuteteacute question dans les premiers paragraphes ldquoLe preacutesent est gros de lrsquoavenir le futur se pourrait lire dans le passeacute lrsquoeacuteloigneacute

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est exprimeacute dans le prochainrdquo Il est tentant agrave partir de lagrave de consideacuterer que ce qui vaut pour lrsquoeacuteloignement dans lrsquoespace vaut aussi pour lrsquoeacuteloignement dans le temps et drsquoaffirmer que de mecircme que nous percevons tout ce qui se passe maintenant dans le monde (plus ou moins confuseacutement selon la distance) nous percevons aussi tout ce qui se passera dans le futur plus ou moins confuseacutement selon lrsquoeacuteloignement temporel La suite du sect 13 fournit un argument en faveur de cette hypothegravese Leibniz illustre la thegravese de la connexion universelle agrave partir de lrsquoexemple de la mer

Comme en me promenant sur le rivage de la mer et entendant le grand bruit qursquoelle fait jrsquoentends les bruits particuliers de chaque vague dont le bruit total est composeacute mais sans les discerner nos perceptions confuses sont le reacutesultat des impressions que tout lrsquounivers fait sur nous

Or crsquoest preacuteciseacutement cet exemple que lrsquoon retrouve dans un passage drsquoune piegravece preacuteparatoire aux Nouveaux Essais ougrave il est explicitement question de pressentiments

Car nous nrsquoavons pas seulement une reacuteminiscence de toutes nos penseacutees passeacutees mais encore un pressentiment de toutes nos penseacutees futures Il est vrai que crsquoest confuseacutement et sans les distinguer agrave peu pregraves comme lorsque jrsquoentends le bruit de la mer jrsquoentends celui de toutes les vagues en particulier qui composent le bruit total quoique ce soit sans discerner une vague de lrsquoautrerdquo5

Un autre texte dans lequel il est question de pressentiment est celui des eacutechanges avec Bayle Rappelons briegravevement lrsquoobjet du deacutebat en nous appuyant sur le texte de 1698 (GP IV 517-524) et sur celui de 1702 (GP IV 524-571) Pour montrer agrave quelles absurditeacutes megravene la thegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie Bayle propose lrsquoexemple drsquoun chien en train de manger qui reccediloit un coup de bacircton Selon Leibniz tel que le comprend Bayle lrsquoacircme du chien passe du plaisir agrave la douleur au moment mecircme ougrave on lui donne le coup de bacircton de maniegravere tout agrave fait spontaneacutee sans que ce passage soit causeacute par lrsquoeacuteveacutenement corporel qursquoest le coup de bacircton en sorte que ce changement dans lrsquoacircme du chien devrait encore avoir lieu si le corps du chien nrsquoeacutetait pas frappeacute Bayle juge cela incompreacutehensible Comment lrsquoacircme drsquoun chien pourrait-elle sentir de la douleur immeacutediatement apregraves avoir senti de la joie quand mecircme elle serait seule dans lrsquounivers

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Leibniz reacutepond drsquoabord que lorsqursquoil a dit que lrsquoacircme sentirait tout ce qursquoelle sent maintenant mecircme srsquoil nrsquoy avait qursquoelle et Dieu au monde il nrsquoa fait ldquoqursquoemployer une fiction en supposant ce qui ne saurait arriver naturellementrdquo6 Par nature la loi de lrsquoacircme du chien est de repreacutesenter ce qui se fait dans son corps en sorte que le cas que lrsquoon suppose ne saurait arriver dans lrsquoordre naturel

Dieu pouvait donner agrave chaque substance des pheacutenomegravenes indeacutependants de ceux des autres mais de cette maniegravere il aurait fait pour ainsi dire autant de mondes sans connexion qursquoil y a de substances agrave peu pregraves comme on dit que quand on songe on est dans son monde agrave part et qursquoon entre dans le monde commun quand on srsquoeacuteveille7

On retrouve ici lrsquoideacutee deacutejagrave rencontreacutee dans les Consideacuterations sur les principes de vie et les natures plastiques que des substances sans corps seraient comme des mondes agrave part Dieu aurait pu faire un monde sans corps et il pourrait srsquoil le voulait supprimer brutalement par miracle tout sauf lrsquoacircme du chien sans que la suite des affections et des sentiments de cette acircme soit modifieacutee mais cette fiction est contraire agrave lrsquoordre naturel et ldquoaux desseins de Dieu qui a voulu que lrsquoacircme et les choses hors drsquoelle srsquoaccordassentrdquo8 Lrsquoabsence des corps relegraveve de la fiction meacutetaphysique Si Leibniz a utiliseacute cette fiction crsquoest dit-il ldquopour marquer que les sentiments de lrsquoacircme ne sont qursquoune suite de ce qui est deacutejagrave en ellerdquo 9 car

Crsquoest [] la nature de la substance creacuteeacutee de changer continuellement suivant un certain ordre qui la conduit spontaneacutement [hellip] par tous les eacutetats qui lui arriveront de telle sorte que celui qui voit tout voit dans son eacutetat preacutesent tous ses eacutetats passeacutes et agrave venir10

Agrave Bayle qui voudrait que le passage du plaisir agrave la douleur ait une cause exteacuterieure le coup de bacircton ou le Dieu de Malebranche Leibniz reacutepond que crsquoest lrsquoeacutetat preacuteceacutedent de lrsquoacircme du chien qui est la cause de son eacutetat suivant Et il ajoute que Bayle qui preacutetend ne pas comprendre lrsquoharmonie preacuteeacutetablie devrait reconnaicirctre qursquoil ne comprend pas davantage comment le bacircton influe sur lrsquoacircme ni comment se fait lrsquoopeacuteration miraculeuse par laquelle selon

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Malebranche Dieu accorde continuellement lrsquoacircme et le corps11 Lorsque Bayle objecte que ldquonous savons par expeacuterience que

nous ignorons que nous aurons dans une heure telles ou telles perceptionsrdquo12 Leibniz reacutepond que lrsquoacircme ne connaicirct en effet pas distinctement ce qui va arriver mais qursquoelle le sent confuseacutement et il propose une analogie qui peut eacutevoquer celle de la mer que nous avons trouveacutee dans les PNG

Il y a en chaque substance des traces de tout ce qui lui est arriveacute et de tout ce qui lui arrivera Mais cette multitude infinie de perceptions nous empecircche de les distinguer comme lorsque jrsquoentends un grand bruit confus de tout un peuple je ne distingue point une voix de lrsquoautre [hellip] 13

Il y aurait donc dans les acircmes non seulement des traces de tout ce qui leur est arriveacute mais encore de traces de tout ce qui leur arrivera

[Lrsquoacircme] doit exprimer ce qui se passe et mecircme ce qui se passera dans son corps et en quelque faccedilon dans tous les autres par la connexion ou correspondance de toutes les parties du monde14

Dire que la cause du changement de lrsquoacircme est en elle nrsquoest donc pas faire de cette acircme une substance autiste aveugle et sourde agrave tout ce qui est hors drsquoelle Seul lrsquohypotheacutetique atome drsquoEpicure qui ne repreacutesente rien qui nrsquoexprime rien est totalement isoleacute et crsquoest ce qui fait qursquoil continuera indeacutefiniment le mecircme mouvement rectiligne uniforme comme srsquoil eacutetait seul au monde tant il est ldquostupide et imparfaitrdquo15 Mais cet atome est une pure fiction En reacutealiteacute chaque eacutetat preacutesent drsquoune substance cause de son eacutetat suivant enveloppe le monde et crsquoest pour cela que les changements des substances sont si complexes Si la douleur du chien peut suivre spontaneacutement de son plaisir crsquoest eacutecrit Leibniz parce que

la penseacutee du plaisir paraicirct simple mais elle ne lrsquoest pas et qui en ferait lrsquoanatomie trouverait qursquoelle enveloppe tout ce qui nous environne et par conseacutequent tout ce qui environne lrsquoenvironnant16

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Le plaisir du chien qui mange est mecircleacute de ce qursquoil perccediloit deacutejagrave du coup de bacircton agrave venir17 Les causes qui font agir le bacircton (lrsquohomme posteacute derriegravere le chien qui se preacutepare agrave le frapper pendant qursquoil mange et tout ce qui dans le cours des corps contribue agrave y disposer cet homme) sont aussi repreacutesenteacutees drsquoabord dans lrsquoacircme du chien exactement agrave la veacuteriteacute mais faiblement par des perceptions petites et confuses et sans aperception crsquoest-agrave-dire sans que le chien le remarque parce qursquoaussi le corps du chien nrsquoen est affecteacute qursquoimperceptiblement18 On comprend pourquoi le thegraveme des petites perceptions qui apparaicirct ici peut constituer un argument en faveur de la spontaneacuteiteacute de lrsquoacircme tout est deacutejagrave preacutesent dans lrsquoacircme les perceptions nrsquoont qursquoagrave se deacutevelopper elles nrsquoont pas agrave venir drsquoailleurs

Ce passage des reacuteponses agrave Bayle illustre bien lrsquoideacutee que le preacutesent est gros de lrsquoavenir ndash la formule du sect13 des PNG est eacutegalement preacutesente dans ce texte ndash et que lrsquoacircme perccediloit deacutejagrave confuseacutement tout ce qui arrivera Il est pourtant important de souligner apregraves M Parmentier19 qursquoil ne faut pas conclure de lagrave que nous pouvons comme Dieu lire le futur dans le preacutesent Lrsquoacircme ne perccediloit qursquoau preacutesent20 Elle perccediloit ce qui de lrsquoeacuteveacutenement qui se deacuteveloppera dans le futur srsquoannonce deacutejagrave dans le preacutesent Si nous avons des pressentiments de ce qui arrivera crsquoest parce que la perception qui se deacuteveloppera dans le futur est deacutejagrave preacutesente embryonneacutee confuse encore insensible dans notre eacutetat actuel Nous ne percevons pas agrave proprement parler un eacuteveacutenement futur mais ce qui de ce futur est deacutejagrave preacutesent enveloppeacute replieacute mais appeleacute agrave se deacutevelopper par la suite Comme lrsquoeacutecrit M Parmentier

Lrsquoapplication du principe de continuiteacute agrave lrsquoordre des perceptions fait apparaicirctre les pressentiments et les avant-goucircts moins comme une anticipation du futur que

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comme le commencement drsquoune perception appeleacutee agrave se deacutevelopper ulteacuterieurement sous lrsquoeffet drsquoune loi deacutejagrave bien preacutesente et parfaitement deacutetermineacutee21

Leibniz est en geacuteneacuteral reacuteserveacute devant les pheacutenomegravenes de preacutediction de divination de recircve preacutemonitoire etc mecircme srsquoil ne les exclut pas radicalement Ainsi agrave propos des Protestants ceacutevenols reacutefugieacutes agrave Londres dont on preacutetendait qursquoils propheacutetisaient Leibniz eacutecrit agrave Coste en deacutecembre 1707

Srsquoil eacutetait vrai Monsieur que vos Seacutevennois fussent des prophegravetes cette hypothegravese ne serait point contraire agrave mon hypothegravese de lrsquoHarmonie preacuteeacutetablie et y serait mecircme fort conforme Jrsquoai toujours dit que le preacutesent est gros de lrsquoavenir et qursquoil y a une parfaite liaison entre les choses quelques eacuteloigneacutees qursquoelles soient lrsquoune de lrsquoautre en sorte que celui qui serait assez peacuteneacutetrant pourrait lire lrsquoune dans lrsquoautre Je ne mrsquoopposerais pas mecircme agrave celui qui soutiendrait qursquoil y a des globes dans lrsquounivers ougrave les propheacuteties sont plus ordinaires que dans le nocirctre comme il y aura peut-ecirctre un monde ougrave les chiens auront les nez assez bons pour sentir leur gibier agrave 1000 lieues [hellip] Mais quand il srsquoagit de raisonner sur ce qui se pratique effectivement ici notre jugement preacutesomptif doit ecirctre fondeacute sur la coutume de notre globe ougrave ces sortes de choses propheacutetiques sont bien rares22

On notera que dans ce passage Leibniz rapproche une nouvelle fois la capaciteacute de pressentir un eacuteveacutenement futur de celle de percevoir un eacuteveacutenement distant Mais Leibniz reste prudent Comme le dit M Parmentier la conception leibnizienne ldquone srsquoaccorde pas avec lrsquoeacuteventualiteacute de recircves preacutemonitoires faisant intervenir un eacutecart

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anormalement long entre le deacutebut drsquoune perception et son deacuteveloppementrdquo23 Si je puis connaicirctre des eacuteveacutenements eacuteloigneacutes dans le passeacute crsquoest gracircce agrave un pheacutenomegravene diffeacuterent celui de la meacutemoire qui nrsquoa pas drsquoeacutequivalent pour le futur Il faut distinguer ce que jrsquoatteins gracircce aux petites perceptions dans le passeacute comme dans le futur parce que tout eacuteveacutenement passeacute laisse des traces dans le preacutesent et qursquoil y a deacutejagrave dans le preacutesent des traces du futur et ce que jrsquoatteins gracircce agrave la meacutemoire parce que ce qui a jadis affecteacute mon corps y a laisseacute des marques que je puis si jrsquoy precircte attention apercevoir (alors que quels que soient mes efforts je ne puis prendre conscience de ce qui se passera dans le futur)

Nous eacuteprouvons qursquoil y a une asymeacutetrie dans le temps entre le passeacute et le futur qui nrsquoa pas drsquoanalogue dans lrsquoespace et cela empecircche de comprendre de la mecircme maniegravere la perception du futur et celle de lrsquoeacuteloigneacute malgreacute la proximiteacute de ces thegravemes dans le sect13 des PNG ou dans la lettre agrave Coste Leibniz le dit tout agrave fait nettement dans la lettre agrave Bourguet du 5 aoucirct 1715

[hellip] Il y a cette diffeacuterence entre les instants et les points qursquoun point de lrsquoUnivers nrsquoa point lrsquoavantage de prioriteacute de nature sur lrsquoautre au lieu que lrsquoinstant preacuteceacutedent a toujours lrsquoavantage de prioriteacute non seulement de temps mais encore de nature sur lrsquoinstant preacuteceacutedent24

Il semble que les eacuteveacutenements passeacutes peuvent avoir des effets sur le preacutesent mais que les eacuteveacutenements futurs ne le peuvent pas Ce dernier point nous amegravene agrave envisager une question difficile celle de la maniegravere dont Leibniz introduit une asymeacutetrie entre passeacute et futur entre mon eacutetat passeacute et mon eacutetat futur entre lrsquoeacutetat passeacute du monde et lrsquoeacutetat futur du monde

En premiegravere approximation on pourrait penser qursquoil suffit pour eacutetablir cette asymeacutetrie de prendre en compte lrsquoasymeacutetrie de la relation causale mon eacutetat passeacute est la cause de mon eacutetat preacutesent

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qui est la cause de mon eacutetat futur mais la relation ne peut pas srsquoinverser Il convient neacuteanmoins de preacuteciser cette reacuteponse et de montrer comment on peut la concilier avec lrsquoideacutee que chaque eacutetat drsquoune monade (preacutesent passeacute futur) enveloppe chaque autre eacutetat ou encore comme le dit Leibniz que lrsquoeacutetat preacutesent drsquoune substance enveloppe son eacutetat futur et vice versa25 Le futur enveloppe le preacutesent Comment justifier lrsquoideacutee qursquoil lrsquoenveloppe autrement que le preacutesent ne lrsquoenveloppe

Le deacutebut des Initia rerum mathematicarum metaphysica un texte agrave peu pregraves contemporain des PNG sur lequel srsquoappuient souvent les commentateurs qui deacutefendent la thegravese selon laquelle on trouve chez Leibniz une deacutefinition causale du temps peut nous eacuteclairer Leibniz commence par y deacutefinir la simultaneacuteiteacute on dira que deux eacutetats sont simultaneacutes quand ils nrsquoenveloppent rien drsquoopposeacute Ainsi les eacuteveacutenements de lrsquoanneacutee derniegravere et ceux de cette anneacutee ne sont pas simultaneacutes parce qursquoils enveloppent des eacutetats opposeacutes de la mecircme chose Leibniz introduit ensuite les notions drsquoanteacuterioriteacute et de posteacuterioriteacute si deux eacutetats qui ne sont pas simultaneacutes sont tels que lrsquoun enveloppe la raison de lrsquoautre (unum rationem alterius involvat) on dira que le premier est anteacuterieur (prius) et lrsquoautre posteacuterieur (posterius) Ainsi mon eacutetat anteacuterieur enveloppe la raison de lrsquoexistence de mon eacutetat posteacuterieur (Status meus prior rationem involvit ut posterior existat)26 On pourrait agrave partir de ces deacutefinitions penser qursquoil peut y avoir des couples drsquoeacutetats tels qursquoil nrsquoy ait aucune relation temporelle entre eux ni simultaneacuteiteacute ni anteacuterioriteacute ni posteacuterioriteacute parce qursquoils ne sont pas simultaneacutes et qursquoaucun des deux nrsquoenveloppe la raison de lrsquoautre Crsquoest du reste agrave certains eacutegards ce qursquoaffirmera la relativiteacute drsquoEinstein puisque selon cette theacuteorie deux eacuteveacutenements entre lesquels il nrsquoy a aucune relation causale possible sont tels que leur ordre chronologique nrsquoest pas fixeacute de maniegravere absolue mais deacutepend de lrsquoobservateur Ce nrsquoest bien sucircr pas ainsi que Leibniz voit les choses Pour lui la relation drsquoordre temporel est un ordre total et il lui faut donc passer de la succession des eacutetats drsquoune chose particuliegravere agrave un ordre temporel universel Crsquoest ce qursquoil fait dans la suite du texte en srsquoappuyant sur la connexion universelle 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 25 Lettre agrave de Volder dateacutee du 17 janvier 1706 GP II 282 26 GM VII 18

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Comme mon eacutetat anteacuterieur du fait de la connexion de toutes choses enveloppe (involvit) aussi lrsquoeacutetat anteacuterieur des autres choses mon eacutetat anteacuterieur enveloppe aussi la raison (rationem involvit) de lrsquoeacutetat posteacuterieur des autres choses et est anteacuterieur agrave lrsquoeacutetat des autres choses Pour cette raison tout ce qui existe est par rapport agrave une autre chose existante ou bien simultaneacute ou bien anteacuterieur ou bien posteacuterieur27

Nous avons donc affaire dans ce texte agrave deux relations diffeacuterentes entre eacutetats dont lrsquoune est symeacutetrique (lrsquoeacutetat A enveloppe lrsquoeacutetat B et reacuteciproquement) et lrsquoautre asymeacutetrique (lrsquoeacutetat A enveloppe la raison de lrsquoeacutetat B mais B nrsquoenveloppe pas la raison de A) Dans ce texte la premiegravere relation semble concerner des eacutetats simultaneacutes les eacutetats simultaneacutes de toutes les choses qui existent partout dans le monde et qui sont lieacutes par la connexion universelle28 Cette relation serait donc essentiellement spatiale puisque lrsquoespace est pour Leibniz lrsquoordre des choses qui peuvent coexister La seconde relation serait celle qui permet drsquointroduire lrsquoanteacuterioriteacute et la posteacuterioriteacute et donc la dimension proprement temporelle Reste agrave se demander si lrsquoon peut purement et simplement interpreacuteter cette seconde relation en termes de causaliteacute Dire que A enveloppe la raison de B dans le cas ougrave A est B ne sont pas simultaneacutes est-ce dire que A est cause de B Reste aussi agrave se demander si cette relation de causaliteacute agrave supposer qursquoon puisse la deacutesigner ainsi permet bien drsquointroduire quelque chose qui ressemble agrave lrsquoasymeacutetrie temporelle telle que je lrsquoeacuteprouve

Leibniz ne preacutecise malheureusement pas dans les Initia rerum mathematicarum metaphysica ce qursquoil entend par ldquoenvelopper la raison derdquo Il nous faut donc chercher des indications dans drsquoautres textes On en trouve notamment dans une liste de deacutefinitions qui figure dans un opuscule auquel Leibniz nrsquoa pas donneacute de titre29

[hellip] de deux eacutetats contradictoires drsquoune mecircme chose est anteacuterieur par le temps (prior tempore) celui qui est anteacuterieur par nature (natura prior) crsquoest-agrave-dire celui qui enveloppe la raison de lrsquoautre (qui alterius rationem involvit) ou ce qui revient

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au mecircme celui qui est conccedilu plus facilement30

Envelopper la raison ce serait donc ecirctre natura prior crsquoest-agrave-dire selon ce passage ecirctre compris plus facilement Il y a bien sucircr quelque chose drsquoeacutetonnant agrave consideacuterer qursquoune chose est anteacuterieure temporellement agrave une autre dans la mesure ougrave elle peut ecirctre comprise plus facilement Nous y reviendrons ci-dessous

Drsquoautres indications inteacuteressantes sont fournies par une longue table de deacutefinitions publieacutee par Couturat31 On y trouve les deacutefinitions suivantes lrsquoeacutetat passeacute (praeteritus status) est ce dont naicirct (oritur) le preacutesent et qui est incompatible (inconsistens) avec le preacutesent le futur est lrsquoeacutetat qui naicirct du preacutesent et qui est incompatible avec lui32 Quelques pages plus haut Leibniz avait preacuteciseacute ce qursquoil fallait entendre par ldquonaicirctre drsquoautre choserdquo on dit que quelque chose naicirct de ce qui est son infeacuterent anteacuterieur par nature (inferens natura prius)33 Cela semble bien autoriser agrave comprendre la relation temporelle en termes de relation causale puisque la Causa sufficiens est de son cocircteacute deacutefinie dans ce texte comme inferens natura prius illato34 Le passeacute serait donc une cause suffisante du preacutesent incompatible avec le preacutesent preacutesent qui est lui-mecircme cause suffisante du futur incompatible avec le futur On passerait de la relation ldquoA est cause suffisante de Brdquo agrave la relation ldquoA est temporellement anteacuterieur agrave Brdquo en ajoutant que A est B sont incompatibles Lrsquoordre chronologique supposerait lrsquoordre causal ndash A nrsquoest temporellement anteacuterieur agrave B que si A est cause de B ndash mais lrsquoinverse ne serait pas vrai A peut-ecirctre cause de B sans que A soit anteacuterieur agrave B ndash A et B la cause et lrsquoeffet peuvent ecirctre compatibles crsquoest-agrave-dire simultaneacutes dans plusieurs textes des anneacutees 1680 Leibniz preacutecise mecircme apregraves avoir deacutefini la cause et lrsquoeffet qursquoil ldquonrsquoest pas neacutecessaire que la cause et lrsquoeffet existent ensemble (simul)rdquo35 comme si on devait srsquoattendre agrave ce que ce soit le cas 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 30 Rauzy 1998 p 104 En note (p 120 n88) J-B Rauzy signale que ldquola plupart des fragments deacutefinitionnels reviennent sur cette deacutefinition du temps lrsquoordre selon la nature qui existe entre des incompatiblesrdquo 31 C 437-509 Couturat estime que ce texte doit dater de 1702-1704 32 C 480 33 Ibidem 471 34 Ibidem 35 AVI IV 404 En A VI IV 564 Leibniz souligne qursquoil nrsquoest pas neacutecessaire que cause et effet existent simul mais qursquoil nrsquoest pas non plus neacutecessaire qursquoils nrsquoexistent pas simul

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La deacutefinition du passeacute comme cause suffisante du preacutesent incompatible avec le preacutesent permet-elle de rendre compte de lrsquoasymeacutetrie temporelle Pour reacutepondre agrave cette question il convient de srsquointerroger sur lrsquoasymeacutetrie de la relation causale elle-mecircme Revenons agrave la deacutefinition citeacutee ci-dessus la cause suffisante est inferens natura prius illato Lrsquoasymeacutetrie ne peut pas provenir de la relation drsquoinfeacuterence puisque Leibniz preacutecise que lrsquoeffet peut ecirctre infeacuterent de la cause36 Elle doit donc provenir du natura prius Lrsquoeffet peut ecirctre infeacuterent de sa cause mais il ne peut pas ecirctre natura prius par rapport agrave sa cause Nous pouvons donc reformuler notre question comme suit la relation de prioriteacute selon la nature permet-elle de saisir la notion drsquoanteacuterioriteacute temporelle

Comme je lrsquoai indiqueacute ci-dessus est pour Leibniz natura prius ce qui est plus simple plus facile agrave deacutemontrer Cette deacutefinition qui apparaicirct dans de tregraves nombreux textes deacutefinitionnels des anneacutees 168037 ne semble pas agrave premiegravere vue lieacutee agrave des consideacuterations temporelles Il y a neacuteanmoins un texte ougrave lrsquoon trouve des deacuteveloppements relatifs au natura prius qui supposent de prendre en compte la temporaliteacute le Quid sit natura prius 38 Dans ce texte Leibniz commence par eacutenoncer une difficulteacute que nous avons deacutejagrave formuleacutee comment expliquer ce qui est anteacuterieur par nature si lrsquoon peut dire que lrsquoeacutetat posteacuterieur drsquoune substance enveloppe son eacutetat anteacuterieur et inversement puisque chacun peut ecirctre connu agrave partir de lrsquoautre 39 Si deux eacutetats sont tels que chacun peut ecirctre connu agrave partir de lrsquoautre comment affirmer qursquoil y en a un qui est neacuteanmoins plus simple que lrsquoautre Leibniz reacutepond que la proprieacuteteacute la plus simple est celle qui peut ecirctre deacutecouverte et deacutemontreacutee plus facilement mecircme si

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chaque proprieacuteteacute enveloppe lrsquoautre Ainsi pour reprendre son exemple il arrive que deux proprieacuteteacutes matheacutematiques soient telles que chacune puisse ecirctre deacutemontreacutee agrave partir de lrsquoautre mais que lrsquoune de ces deux deacutemonstrations soit manifestement plus simple que lrsquoautre

Leibniz donne des exemples de cette situation dans ses notes sur lrsquoEthique de Spinoza ougrave lrsquoon trouve un deacuteveloppement assez proche de celui du Quid sit natura prius Il srsquoagit du passage ougrave Leibniz commente la toute premiegravere proposition de lrsquoEthique selon laquelle la substance est natura prior par rapport agrave ses affections Pour deacutemontrer cette proposition Spinoza se contente de renvoyer aux deacutefinitions de la substance et du mode selon lesquelles la substance est en soi et conccedilue par soi tandis que le mode est en autre chose par quoi il est aussi conccedilu Leibniz souligne que cela suppose que lrsquoon deacutefinisse natura prior comme ce qui est compris par autre chose Or cette deacutefinition ferait selon lui problegraveme parce que si ce qui est posterior peut ecirctre compris par ce qui est prior lrsquoinverse peut ecirctre vrai aussi Il conviendrait de reacutetablir une asymeacutetrie Pour le faire Leibniz propose de consideacuterer qursquoest natura prior ce qui est plus simple plus facile agrave deacutemontrer Ainsi 6+4 est natura posterior agrave 6+3+1 qui est plus pregraves de ce qui est premier de tout 1+1+1+hellip+1 Ou encore la proprieacuteteacute que deux angles internes sont eacutegaux agrave lrsquoangle externe est natura prior par rapport agrave lrsquoeacutegaliteacute des trois angles drsquoun triangle agrave deux angles droits (on sait que lrsquoon utilise en effet cette proprieacuteteacute des angles internesexternes pour deacutemontrer lrsquoeacutegaliteacute des angles du triangle agrave deux droits) mecircme si la proprieacuteteacute de lrsquoeacutegaliteacute des angles du triangle agrave deux droits pourrait ecirctre deacutemontreacutee quoique plus difficilement sans la premiegravere40

Dans ces passages Leibniz introduit donc lrsquoasymeacutetrie du natura prius agrave partir de consideacuterations logiques et eacutepisteacutemologiques en srsquoappuyant sur des exemples matheacutematiques On peut se demander dans quelle mesure cela constitue une reacuteponse satisfaisante agrave la difficulteacute qursquoil avait lui-mecircme souleveacutee et qui concernait lrsquoordre temporel entre diffeacuterents eacutetats de lrsquounivers Agrave la fin du Quid sit natura prius Leibniz reacutepegravete que de deux eacutetats contradictoires est prior tempore celui qui est prior natura Il ajoute ensuite le paragraphe

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suivant sur lequel se clocirct le texte

Dans la nature comme dans lrsquoart les ecirctres anteacuterieurs par le temps sont plus simples et les ecirctres posteacuterieurs sont plus parfaits Car la nature est lrsquoart suprecircme Cette proposition est de la plus haute importance et va contre la reacutegression dans le monde ougrave il nrsquoy a pas de borne Il en va du progregraves agrave venir de la feacuteliciteacute comme de la perfection des choses ils gravissent les degreacutes de la perfection le plus directement possible Rien nrsquoest jamais absolument parfait parmi les creacuteatures41

In extremis Leibniz introduit donc une question qui semble eacutetrangegravere agrave ce qui preacutecegravede celle des degreacutes de perfection Ce qui donnerait une flegraveche au temps ce serait finalement cette loi du progregraves selon laquelle A serait anteacuterieur agrave B dans la mesure ougrave A serait moins parfait que B42 Le problegraveme qui subsiste est que lrsquoon ne voit pas bien ce qui autorise Leibniz agrave passer ainsi du ldquoplus facile agrave comprendrerdquo au ldquomoins parfaitrdquo Comment Leibniz peut-il pour reprendre les termes de J-B Rauzy ldquoconclure agrave toute force drsquoune relation logique agrave la structure du progregravesrdquo 43 Cette question nous ramegravene agrave la lettre agrave Bourguet bien posteacuterieure au Quid sit natura prius que nous avons citeacutee ci-dessus n 2444 Leibniz on srsquoen souvient y affirme que lrsquoinstant preacuteceacutedent a toujours une prioriteacute non seulement de temps mais encore de nature sur lrsquoinstant suivant La suite du texte indique que ce agrave quoi pense Leibniz est agrave nouveau une croissance de la perfection Il envisage en effet trois possibiliteacutes (1) celle drsquoune nature qui serait toujours eacutegalement parfaite (2) celle drsquoune nature qui croicirctrait toujours en perfection sans que cela suppose un commencement du monde et enfin (3) celle drsquoune nature qui croicirctrait en perfection depuis un instant initial Il ajoute qursquoil ldquone voit pas encore le moyen de faire voir deacutemonstrativement ce qursquoon doit choisir par la pure raisonrdquo45 mais preacutecise

[hellip] quoique suivant lrsquohypothegravese de lrsquoaccroissement lrsquoeacutetat du monde ne pourrait jamais ecirctre parfait absolument eacutetant pris dans quelque instant que ce soit neacuteanmoins toute la suite actuelle ne laisserait pas drsquoecirctre la plus parfaite de toutes les

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suites possibles par la raison que Dieu choisit toujours le meilleur possible46

Il semble que crsquoest lrsquohypothegravese drsquoune perfection croissante que retient Leibniz et que crsquoest agrave partir de cette hypothegravese que nous pouvons selon lui penser lrsquoanteacuterioriteacute temporelle

Que conclure de tout cela En quoi les reacutesultats de notre enquecircte peuvent-ils eacuteclairer lrsquoopposition indiqueacutee ou deacutebut de ce texte entre la perception que jrsquoai de ce qui se passe dans le monde et la lecture que Dieu fait de lrsquohistoire du monde dans mon acircme Peut-ecirctre en ceci que la distinction que nous avons eacuteteacute ameneacutes agrave faire entre drsquoune part les relations logico-matheacutematiques drsquoenveloppement ou de prioriteacute selon la nature et drsquoautre part les relations temporelles que deviennent les preacuteceacutedentes lorsqursquoelles ldquoaccegravedent agrave lrsquoexistence ou agrave la perceptionrdquo47 nrsquoest pas totalement eacutetrangegravere agrave lrsquoopposition entre drsquoune part la connaissance que Dieu a de toute eacuteterniteacute de toutes les relations drsquoenveloppement et drsquoexpression entre tous les eacutetats des monades passeacutes preacutesents et futurs et drsquoautre part la perception que chaque acircme a du monde perception riveacutee au preacutesent qui seul existe dans un temps qui srsquoeacutecoule ougrave les eacuteveacutenements preacutesents srsquoenfoncent dans le passeacute tandis que les eacuteveacutenements futurs naissent perpeacutetuellement du preacutesent48

BIBLIOGRAPHIE Futch M J Leibnizrsquos Metaphysics of Time and Space Boston Springer 2008 Leibniz G W Opuscules philosophiques choisis tr fr Schrecker Paris Vrin 1978 Leibniz G W Recherches geacuteneacuterales sur lrsquoanalyse des notions et des veacuteriteacutes 24

Thegraveses meacutetaphysiques et autres textes logiques et meacutetaphysiques eacuted J-B Rauzy Paris Puf 1998

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Parmentier M Leibniz et la perception du futur ldquoRevue de meacutetaphysique et de moralerdquo 70 2011 (2) pp 221-233

Rauzy J-B Quid sit natura prius La conception leibnizienne de lrsquoordre ldquoRevue de Meacutetaphysique et de Moralerdquo 100 1995 (1)

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MARTINE DE GAUDEMAR

APREgraveS LE ldquoTOURNANT MONADOLOGIQUErdquo UNE REDEacuteFINITION DES ESPRITS

En poursuivant dans les Principes de la Nature et de la Gracircce une reacuteflexion meneacutee en 2014 au colloque de Grenade sur la Monadologie on part du mecircme souci Alors qursquoun travail tregraves important et deacutecisif a eacuteteacute accompli par les chercheurs leibniziens qui a renouveleacute lrsquoapproche du vivant et de lrsquoorganisme chez Leibniz (en relation avec les nouveaux concepts de ldquomonaderdquo et de ldquomachine de la naturerdquo1) et conduit agrave une lecture reacutealiste ndash ou deacutepassant lrsquoopposition reacutealismeideacutealisme ndash de la meacutetaphysique monadologique quelques lignes agrave peine ont eacuteteacute consacreacutees aux reacutepercussions de ces avanceacutees sur la philosophie morale2 et en particulier sur la conception leibnizienne des esprits Or la question se pose de savoir ce que deviennent les esprits dans le nouveau contexte relationnel produit par lrsquoapproche monadologique srsquoil est vrai que les esprits ne peuvent pas faire exception agrave lrsquoordre geacuteneacuteral3

A rentrer dans la perspective geacuteneacuterale deacutefinie par la condition organique de toute acircme dans ce monde qui leur donne leurs conditions mateacuterielles drsquoexpression et de co-existence les esprits ne risquent-ils pas de perdre leurs privilegraveges La reacuteponse concernant la ldquopreacutecellencerdquo des esprits ou ce que la Monadologie appelle leurs ldquopreacuterogativesrdquo est deacutecisive quant agrave la possibiliteacute de concilier lrsquounification ontologique opeacutereacutee par Leibniz agrave travers le concept de monade et la viseacutee theacuteologique et morale de la creacuteation maintenue agrave la fin de la Monadologie et souligneacutee fortement dans les articles terminaux des Principes de la Nature et de la Gracircce

Il faudra aussi reacutepondre agrave une infeacuterence inexacte ou partielle selon laquelle une sorte de naturalisation des creacuteatures agrave travers le 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 1 Pour meacutemoire les travaux de Franccedilois Duchesneau Michel Fichant Daniel Garber Ohad Nachtomy Enrico Pasini Pauline Phemister Anne-Lise Rey Jeanne Roland Justin Smith etc 2 Citons pour les rares remarques consacreacutees au versant moral de la question monadologique les travaux de Pauline Phemister Jeanne Roland Ohad Nachtomy 3 Leibniz Consideacuterations sur les principes de vie GP VI p 546 ldquoLes creacuteatures franches ou affranchies de la matiegravere seraient deacutetacheacutees en mecircme temps de la liaison universelle et comme des deacuteserteurs de lrsquoordre geacuteneacuteralrdquo

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concept de monade pourrait amoindrir le statut des esprits Cette naturalisation pourrait aller jusqursquoagrave les priver de tout ldquostatutrdquo si elle supprimait leur existence juridico-morale au profit drsquoune simple ldquovierdquo de lrsquoesprit dont les becirctes offriraient une image embryonnaire Pour eacuteviter le risque inheacuterent agrave cette lecture on soulignera que les theacutematiques de la nature sont parfaitement compatibles avec la finaliteacute morale de la creacuteation ougrave les esprits ont un rocircle essentiel finaliteacute qui srsquoexpose dans les articles terminaux des deux exposeacutes monadologiques On en prendra drsquoabord pour preuve le texte de Leibniz sur ldquoPascal et la Monaderdquo

Que nrsquoaurait-il pas dit avec cette force drsquoeacuteloquence qursquoil posseacutedait srsquoil avait su que toute la matiegravere est organique partout et que la moindre portion contient par lrsquoinfiniteacute actuelle de ses parties drsquoune infiniteacute de faccedilons un miroir vivant exprimant tout lrsquounivers infini 4

Un simple commentaire du titre du texte Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison pourrait drsquoailleurs y suffire Nous y lisons le passage du regravegne de la Nature qui concerne toutes les monades agrave celui de la Gracircce concernant uniquement les Esprits agrave travers des principes fondeacutes en raison (que seuls des esprits sont en mesure de formuler de par leur accegraves aux veacuteriteacutes eacuteternelles sous la forme meacutediatrice de ldquoprincipesrdquo)

On cherchera ici agrave le montrer en suivant drsquoabord (I) le mouvement mecircme du texte des PNG qui passe sans rupture de la Nature agrave la Gracircce On reprendra ensuite (II) la reacuteflexion amorceacutee lors du congregraves de Grenade sur lrsquoabsence probleacutematique des notions morales caracteacuteristiques des esprits notions qui eacutetaient preacutesentes dans de nombreux textes preacuteceacutedents voire contemporains des exposeacutes monadologiques On avait commenceacute agrave pratiquer cet examen agrave partir du texte de la Monadologie Il faut agrave preacutesent se demander si lrsquohypothegravese formuleacutee agrave Grenade agrave propos des silences

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ou absences dans la Monadologie est valable eacutegalement pour les Principes de la Nature et de la Gracircce

1 Le mouvement du texte

11 Les six premiers articles

On commencera lrsquoexamen des six premiers articles par une remarque terminologique

a) Le terme drsquoesprit est eacutequivoque car il se dit en plusieurs sens

La seacuterie de ses divers sens se deacuteploie entre deux pocircles drsquoun cocircteacute une entiteacute immateacuterielle dont lrsquoactiviteacute est purement mentale de lrsquoautre un ensemble drsquoecirctres intelligents appeleacutes communeacutement des ldquopersonnesrdquo En cherchant le terme dans les traductions ameacutericaines des textes de Leibniz on trouve drsquoailleurs plusieurs expressions qui ne sont pas superposables La plupart du temps ldquoespritrdquo est traduit par ldquomindrdquo ce qui fait eacutecho agrave la ldquomensrdquo carteacutesienne (mens sive ratio sive intellectus) ou agrave lrsquoacircme intelligente leibnizienne Sans ecirctre erroneacutee cette traduction drsquoesprit par ldquomindrdquo court le risque drsquoaccreacutediter la thegravese des acircmes seacutepareacutees dont on sait qursquoelle est interdite par la meacutetaphysique monadologique Si on peut admettre que la monade est bien ldquomind-likerdquo crsquoest au sens leibnizien ougrave une mens est solidaire drsquoune ldquomachine de la naturerdquo bien deacutetermineacutee et ne peut exercer son activiteacute sans son corps organique Le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce est particuliegraverement insistant sur ce qursquoon appellerait aujourdrsquohui lrsquoldquoembodimentrdquo pour des acircmes qui ne sont jamais sans organes Quand le commentaire ameacutericain interpregravete la monade comme un ecirctre ldquosoul-likerdquo ou ldquomind-likerdquo (Adams5 Garber au moins pour les anneacutees posteacuterieures agrave 17006) il

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le sous-entend la plupart du temps mais a tendance agrave lrsquooublier ce qui peut entraicircner une interpreacutetation ideacutealiste et pheacutenomeacuteniste de la meacutetaphysique monadologique ougrave des acircmes qui se reacutepondent sont la seule reacutealiteacute authentique Dans la lecture dite ldquoideacutealisterdquo les corps deviennent des apparences pheacutenomeacutenales pour des ldquosoul-like monadsrdquo dont lrsquoactiviteacute serait purement perceptuelle et mentale Cette interpreacutetation a eacuteteacute reacutecuseacutee par Michel Fichant dans ldquoLa constitution du concept de monaderdquo7 tandis que Franccedilois Duchesneau propose de deacutepasser lrsquoopposition non pertinente de lrsquoideacutealisme et du reacutealisme qui est le contrepoint de ces lectures8

Or il suffit de regarder des traductions drsquoautres textes de Leibniz quand les esprits ne correspondent pas agrave des acircmes intelligentes consideacutereacutees agrave part mais plutocirct agrave des entiteacutes complegravetes ou agrave des personnes concregravetes ou des gens pour noter que lrsquoon trouve alors dans les traductions et le commentaire des termes tels que ldquospiritsrdquo mais aussi personsrdquo ldquorational beingsrdquo ldquorational creaturesrdquo ldquohuman beingsrdquo ldquoreasonable peoplerdquo (par exemple chez Donald Rutherford9) et pas seulement ldquomindsrdquo Ces expressions tiennent compte de lrsquointention significative de Leibniz qui emploie souvent ldquoespritsrdquo pour eacutevoquer des ecirctres vivants doteacutes drsquoune acircme intelligente et qui agrave ce titre font socieacuteteacute avec Dieu Par un usage meacutetonymique si lrsquoon veut la Reacutepublique des esprits nrsquounit pas seulement des acircmes intelligentes mais des ecirctres qui ont ces acircmes des ecirctres intelligents dont le corps est intimement uni agrave un ldquoespritrdquo (au sens de mind) qui en est deacutesormais la monade dominante un corps qui se transformera mais ne peacuterira point un corps qui deacuteploie partes extra partes ce que 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 interpreacutetatif ideacutealiste La poleacutemique ne doit pas faire oublier leur accord sur la ldquomind-like monadrdquo sans mention du reacutequisit drsquoun corps organique Garber reconnaicirct que dans certains textes exceptionnels tels la lettre agrave Bernoulli de septembre 1698 et les Notes sur Thomasius Leibniz deacutefinit la substance comme une entiteacute simple complegravete en prenant lrsquoexemple non de lrsquoacircme mais de lrsquohomme Lrsquoesprit est alors un ldquointelligent beingrdquo et donc un ecirctre complet Signalons allant dans le mecircme sens le texte eacutediteacute par Enrico Pasini De substantia simplex ac composita 1695 ldquoUne substance composeacutee est la monade prise avec son corps organique comme un homme un moutonrdquo Voir Pasini 1996 7 Fichant 2005 p 43 8 Duchesneau 2010 p 17 9 Rutherford 1995 Par exemple p 193 srsquoagissant preacuteciseacutement de lrsquoembodiment des monades Rutherford cite les Considerations sur les Principes de vie et sur les Natures plastiques GP VI p 545-6590 ldquoI do not aknowledge entirely separate souls in the natural order or created spirits entirely detached from every bodyrdquo Plus loin il cite en note NE II XV 11 ldquoEvery finite spirit is always joined to an organic bodyrdquo

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lrsquoesprit concentre ponctuellement Il faut tenir compte de ce contexte de redeacutefinition du rapport acircme et corps pour parler drsquoune redeacutefinition des esprits Lrsquoesprit au singulier est sans doute une mens ou ldquomindrdquo (on peut lrsquoappeler ldquoacircme-espritrdquo) mais les esprits (au pluriel) sont des ecirctres complets inseacuteparables de leur organiciteacute des personnes qui se reconnaissent dans ce qui les caracteacuterise et les diffeacuterencie (leur ldquoesprit rdquocomme acircme raisonnable plus noble que les autres acircmes)

Crsquoest que Leibniz emploie souvent un terme selon plusieurs niveaux de conceptualisation On en donnera trois exemples acircme persona et aperception qui preacutesentent tous la mecircme structure

Ex 1- Acircme - Agrave Rudolph-Christian Wagner srsquoenqueacuterant de ce que Leibniz entend par acircme Leibniz reacutepond que la signification du mot ldquoacircmerdquo peut ecirctre prise en un sens large (en quelque sorte geacuteneacuterique) de principe vital et en un sens restreint (en quelque sorte hieacuterarchique) qui speacutecifie une espegravece de principe vital avec quelque chose en plus Et crsquoest de maniegravere analogue par adjonction drsquoun eacuteleacutement de supeacuterioriteacute (perceptioni adjungitur attentio et memoria) que lrsquoldquoespritrdquo est deacutefini comme une espegravece drsquoacircme plus noble (pro specie vitae nobiliore)10

Les articles 1 agrave 6 des Principes de la Nature et de la Gracircce ainsi que lrsquoarticle 14 qui reprend lrsquoarticle 5 au niveau de la Gracircce procegravedent de la mecircme maniegravere Ils srsquoeacutelegravevent des ldquoviesrdquo aux ldquoespritsrdquo en passant par les acircmes selon une structure drsquoeacutetagement les esprits sont des principes vitaux et des acircmes dont quelques suppleacutements font la supeacuterioriteacute (ldquoElle est quelque chose de plus sublimerdquo PNG 3)

EX 2- Persona - Leibniz donne eacutegalement plusieurs sens agrave ldquopersonardquo qui se prend en un sens large pour deacutesigner le concret drsquoun ecirctre humain et en un sens plus technique pour eacutevoquer un abstrait un statut moral et juridique fait de droits et de devoirs agrave lrsquoeacutegard drsquoautres personnes En ce dernier sens ldquopersonardquo est un statut qui ne convient qursquoaux esprits comme ecirctres intelligents Il apparaicirct parfois en franccedilais comme ldquopersonnagerdquo

EX 3- Aperception - Pour donner un dernier exemple drsquoune polyseacutemie extrecircmement significative pour la meacutetaphysique leibnizienne Leibniz prend ldquoaperceptionrdquo comme une capaciteacute 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 10 GP VII p 529 Quaeris deinde definitionem animae meam Respondeo posse animam sumi late et stricte Tr fr Fichant 2004 p 364

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drsquoapercevoir tregraves large susceptible de degreacutes Certaines becirctes en teacutemoignent en quelques situations ponctuelles (les becirctes srsquoaperccediloivent de certains objets et de certaines situations) comme leur conduite le montre et lrsquoatteste Mais il prend eacutegalement ldquoaperceptionrdquo dans un sens restreint plus technique ougrave la capaciteacute proprement reacuteflexive est ou sous-entendue ou mentionneacutee comme crsquoest le cas ici agrave lrsquoarticle 3 au sens drsquoune capaciteacute de rapporter agrave soi-mecircme son action ou sa perception11 Et dans ce dernier sens ldquoaperceptionrdquo est un terme reacuteserveacute aux intelligences ou esprits dans la mesure ougrave il enveloppe un rdquoacte reacuteflexifrdquo reacuteserveacute aux seuls ecirctres raisonnables il est en effet beaucoup plus qursquoune perception distincte et mecircme plus qursquoun rapport agrave soi crsquoest un acte de reconnaissance une reconnaissance de soi dans son opeacuteration un jugement susceptible de se traduire dans un eacutenonceacute de type cogito ougrave ldquonousrdquo (esprits) sommes en position de sujets de lrsquoeacutenonceacute en mecircme temps que sujets eacutenonciateurs Les Nouveaux Essais ont preacuteciseacute que cet eacutenonceacute eacutetait virtuel en nous mecircme si nous ne le prononccedilons pas12

Ces trois exemples mettent en relief une structure commune le sens large convient agrave tous les ecirctres animeacutes dans la mesure ougrave les esprits ont avec les becirctes un territoire cognitif commun tandis que le sens restreint ne convient qursquoaux esprits en tant qursquoils ont non seulement une activiteacute mentale mais une penseacutee rationnelle qui est la marque de lrsquoeacuteleacutevation de leurs acircmes

b) Or les six premiers articles des Principes de la Nature et de la Gracircce sont preacuteciseacutement bacirctis sur ce modegravele les esprits comme tous

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les ecirctres animeacutes substances simples et monades sont nommeacutes agrave travers une seacuterie progressive (art 1) ils sont concerneacutes par la thegravese drsquoindestructibiliteacute (art 2) et par le rapport agrave un corps organique qui se preacutesente comme une ldquomachine de la naturerdquo (art 3) Ils sont preacutesenteacutes explicitement dans leur supeacuterioriteacute agrave partir de lrsquoarticle 4 supeacuterioriteacute qui srsquoeacutetablit en deux moments successifs

Premier moment celui de la supeacuterioriteacute ldquobiologiquerdquo En raison de leur organiciteacute du degreacute drsquoacribie et de preacutecision de leurs organes de reacuteception sensible qui les fait avoir le sentiment les esprits dont parlent les Principes de la Nature et de la Gracircce sont bien des ecirctres complets animaux ecirctres organiques mais leurs capaciteacutes sont supeacuterieures agrave celles des autres ecirctres animaux

Deuxiegraveme moment celui de la supeacuterioriteacute ldquologiquerdquo des esprits en raison de lrsquoeacuteleacutevation de leurs acircmes agrave la Raison Mecircme si Leibniz lrsquoeacuteclaircit agrave lrsquoarticle 6 cette ldquoeacuteleacutevationrdquo reste une opeacuteration un peu opaque voire eacutenigmatique ou miraculeuse Lrsquoimportant est qursquoil srsquoagisse drsquoune transformation qui fait eacutecho agrave la thegravese drsquoune preacute-formation des ecirctres vivants13 On sait que Leibniz heacutesitait sur lrsquoexplication de cette eacuteleacutevation mais reacutepugnait agrave avoir recours au miracle En dire peu dans les Principes de la Nature et de la Gracircce eacutetait une solution qui laissait ouvertes toutes les pistes explicatives et eacutevitait de tomber dans des difficulteacutes theacuteologico-religieuses14 Crsquoest ce que jrsquoai appeleacute la ldquosobrieacuteteacute meacutetaphysiquerdquo des deux grands exposeacutes monadologiques

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Lrsquoeacuteclairage de lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutevoquer une promotion des acircmes des animaux spermatiques agrave la nature humaine (la ldquonature humaine organiquerdquo ajoute Lucy Prenant dans ses notes15 ce que justifie le contexte monadologique) et cela agrave partir drsquoune geacuteneacuteration naturelle ou physique Crsquoest ici ldquolrsquohommerdquo qui est concerneacute dans le statut des esprits mecircme si les geacutenies seront aussi mentionneacutes sans autre preacutecision agrave lrsquoarticle 15 qui deacutefinit la Citeacute de Dieu ou Reacutepublique des esprits

Crsquoest pourquoi tous les esprits soit des hommes soit des geacutenies entrant en vertu de la Raison et des veacuteriteacutes eacuteternelles dans une espegravece de Socieacuteteacute avec Dieu sont des membres de la Citeacute de Dieu

Lrsquoimportant quand les esprits sont nommeacutes est qursquoil srsquoagisse drsquoecirctres complets dont le corps pourra bien ecirctre un jour subtil comme celui des geacutenies16 mais qui ne seront jamais de purs esprits sans organes srsquoils doivent pouvoir engendrer ldquonaturellementrdquo drsquoautres ecirctres dont lrsquoacircme sera pareillement eacuteleveacutee agrave la rationaliteacute

Ce qui est en jeu est la possibiliteacute drsquoune persistance des acircmes-esprits (ou ldquoimmortaliteacuterdquo) dans ce que nous appelons la mort La distinction entre perception et aperception a elle-mecircme pour fonction drsquoautoriser agrave penser une vie de lrsquoesprit alors mecircme qursquoil nrsquoy en aurait pas de conscience cela permet de se repreacutesenter la mort comme un long eacutetourdissement venant drsquoune grande confusion des perceptions Cette distinction vient donc accreacutediter la notion drsquoimmortaliteacute des esprits (et par lagrave des ecirctres humains) nonobstant la suspension de leurs opeacuterations conscientes Elle fonctionne comme un argument suppleacutementaire qui vient srsquoajouter agrave lrsquoideacutee que si les acircmes rationnelles sont transformeacutees (et non pas creacuteeacutees) elles pourraient ne pas disparaicirctre mais subir seulement une nouvelle transformation

A travers la succession de ces six articles il faut srsquoarrecircter quelque peu agrave lrsquoarticle 5 qui donne une premiegravere deacutefinition explicite de

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lrsquoesprit avant lrsquoarticle 14 qui la reprendra au niveau de la Gracircce et donc du rapport avec Dieu Lrsquoesprit y est deacutefini comme acircme eacuteleveacutee agrave une rationaliteacute consistant en lrsquoaccegraves aux veacuteriteacutes eacuteternelles Lrsquoarticle rappelle le fondement ontologique du raisonnement veacuteritable qui agrave la diffeacuterence des infeacuterences empiriques est fondeacute sur des veacuteriteacutes neacutecessaires crsquoest-agrave-dire des connexions objectives srsquoimposant agrave tout esprit ldquoCeux qui connaissent ces veacuteriteacutes neacutecessaires sont proprement ceux qursquoon appelle animaux raisonnables et leurs acircmes sont appeleacutees espritsrdquo

Cette thegravese des veacuteriteacutes eacuteternelles et neacutecessaires qui srsquoimposent agrave tout esprit est constante chez Leibniz car on la trouve depuis les premiers textes de jeunesse Leibniz lrsquoa utiliseacutee notamment contre le scepticisme de Foucher ou contre lrsquoempirisme de Locke lrsquoesprit ne peut se deacuterober agrave la perception de ces connexions en sorte que mecircme srsquoil nrsquoy avait rien drsquoinneacute contenu dans lrsquoesprit lrsquoesprit devrait reconnaicirctre en lui-mecircme sa propre structure logique La ldquoraisonrdquo sans ecirctre redeacutefinie autrement que par son lien aux veacuteriteacutes neacutecessaires est tacitement prise sous les deux aspects qursquoelle a pris dans les Nouveaux Essais objectif et subjectif a parte rei comme liaison des veacuteriteacutes aperccedilue par les seuls esprits ou ecirctres raisonnables ou a parte subjecti comme faculteacute drsquoapercevoir les connexions neacutecessaires et drsquoinfeacuterer selon ces connexions La ldquoraisonrdquo est donc bien constitueacutee par les veacuteriteacutes neacutecessaires ontologiquement premiegraveres par rapport agrave leur saisie et agissant en nous sous forme de ldquovirtualiteacutesrdquo avant que nous ne les deacutecouvrions ou eacutenoncions17 Leibniz nrsquooublie pas que la raison est en nous une puissance active une virtualiteacute ou disposition agrave tirer de son fonds inneacute des connaissances et des veacuteriteacutes Si le Discours de Meacutetaphysique induisait un sentiment de circulariteacute en indiquant que les becirctes ldquone pouvant faire de reacuteflexionsrdquo18 ne sauraient deacutecouvrir des veacuteriteacutes neacutecessaires et universelles les Nouveaux Essais et les exposeacutes monadologiques restituent lrsquoordre objectif de veacuteriteacutes qui srsquoimposent agrave

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des esprits qui les pensent mais ne les constituent pas19 Les veacuteriteacutes preacutecegravedent les esprits qui les reconnaissent

Cet article 5 se couronne par un mouvement de reconnaissance et drsquoidentification ougrave Leibniz srsquoexprime agrave la premiegravere personne du pluriel et englobe en quelque sorte ses lecteurs ldquohellip et crsquoest ce qui NOUS rend capables des sciences et des connaissances deacutemonstrativesrdquo

Lrsquoemploi de ldquonousrdquo est lrsquoindice drsquoune subjectiviteacute ou plus exactement drsquoune activiteacute de subjectivation et drsquoappropriation caracteacuteristique des esprits que Leibniz met lui-mecircme en acte dans le texte Cette subjectiviteacute est engageacutee agrave la fois (i) dans lrsquoorganiciteacute complexe faite drsquoentrrsquoexpression qui fait la richesse et la preacutecision des informations retireacutees de la connexion de lrsquoorganisme avec lrsquoordre geacuteneacuteral des choses et (ii) dans un rapport agrave soi qui est reconnaissance de soi dans son opeacuteration deacutebouchant sur un jugement auquel nous invite ici Leibniz il le pratique lui-mecircme dans son travail de meacutetaphysicien imitant volontairement lrsquooeuvre de Dieu dans son petit deacutepartement quand il eacutecrit les exposeacutes monadologiques

Une premiegravere conclusion se deacutegage agrave partir du premier mouvement des Principes de la Nature et de la Gracircce (art 1 agrave 6)

Il est leacutegitime de parler drsquoune redeacutefinition contextuelle des esprits apregraves le tournant monadologique car le contexte doctrinal a changeacute depuis le Discours de Meacutetaphysique et les Generales Inquisitiones (ce tournant a eu lieu vraisemblablement agrave partir des derniegraveres lettres agrave Arnauld telle la lettre du 9 octobre 1687) Cela tient agrave un tournant dans la conception de lrsquounion de lrsquoacircme et du corps Le corps ne nous est plus seulement ldquoaffecteacuterdquo sans ecirctre attacheacute agrave notre essence La constitution monadologique des corps organiques impose de consideacuterer un tissage ou un entrelacement de toutes les monades composant le corps humain avec des corps organiques en connexion avec tous les autres corps organiques lrsquoacircme ou lrsquoesprit correspond alors agrave un degreacute de dominance suppleacutementaire pour

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lrsquoacircme qui fait lrsquouniteacute du composeacute20 Lrsquoentrelacement de corps et de monades en connexion avec lrsquoordre geacuteneacuteral constitue deacutesormais gracircce agrave lrsquoopeacuteration unificatrice de la monade dominante et agrave des relations agrave tous les ecirctres de lrsquounivers ce qursquoon peut appeler la situation respective de tout ecirctre animeacute dans un reacuteseau de relations ou son ldquopoint de vuerdquo dans un monde (art 3)21

Cela ne peut manquer de retentir sur la conception des esprits crsquoest-agrave-dire de la faccedilon dont nous nous consideacuterons ldquonous-mecircmesrdquo puisque nous nous identifions plus volontiers agrave lrsquoaspect intelligent et raisonnable de nous-mecircmes22

Ecirctres vivants capables de rationaliteacute (crsquoest-agrave-dire ldquoespritsrdquo au sens large) ecirctres raisonnables doueacutes drsquoun ldquoespritrdquo (au sens eacutetroit drsquointellect) nous consideacuterons en effet et agrave juste titre la composante rationnelle de notre ecirctre comme ce qui nous est propre et nous distingue des autres animaux

Ce qui eacuteclaire drsquoun jour diffeacuterent la deacutefinition de lrsquoarticle 5 ldquoceux qui connaissent ces veacuteriteacutes neacutecessaires sont proprement ceux qursquoon appelle animaux raisonnables et leurs acircmes sont appeleacutees espritsrdquo Nous sommes des animaux raisonnables et nous nous reconnaissons comme des esprits

Crsquoest que deacutesormais depuis le tournant monadologique il nrsquoexiste plus drsquoactiviteacute mentale ou intellectuelle qui ne soit porteacutee par lrsquoactiviteacute drsquoune ldquomachine de la naturerdquo dont la complexiteacute infinie est responsable de la preacutecision des impressions et informations que travaille lrsquointellect Le concept de ldquomachine de la naturerdquo renvoie agrave une infiniteacute de rapports qui connectent tous les organismes Lrsquoacircme raisonnable reccediloit les impressions de tout lrsquounivers agrave travers des

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organes qui sont en composition avec tous les corps organiques La machine humaine opegravere selon un ajustement et une acribie supeacuterieurs agrave ceux des autres machines Crsquoest pourquoi lrsquoactiviteacute de connaissance doit ecirctre reformuleacutee pour des ldquoespritsrdquo qui ne sont pas seulement des entiteacutes perceptuelles parce qursquoils sont engageacutes dans une organiciteacute constitutive de lrsquoentrrsquoexpression laquelle fonde pour les esprits leur connaissance des connexions de lrsquounivers Lrsquoorganiciteacute des esprits qui justifie lrsquoexpression employeacutee par Andreas Blank drsquoldquoorganic mindsrdquo23 est inseacuteparable de leur nature ldquologiquerdquo soit de leur accegraves agrave des connexions logiques qui rendent connaissables et formulables les connexions de lrsquounivers ougrave ils sont situeacutes Les deux conditions organique et logique sont requises pour qursquoil y ait connaissance scientifique activiteacute qui est le propre des esprits

Comme Leibniz lrsquoindiquait agrave Sophie en 1701 ldquoles penseacutees de lrsquoacircme ne sauraient ecirctre distinctes lorsque les traces dans le cerveau sont confusesrdquo24

Leibniz nrsquoa jamais imputeacute agrave la complexiteacute du corps organique des esprits les dispositions rationnelles qui font leur capaciteacute agrave deacutecouvrir en eux-mecircmes les veacuteriteacutes eacuteternelles Il faut se contenter drsquoune correspondance expressive entre les deux versants organique et logique Lrsquoimputation de la tendance rationnelle agrave la complexiteacute organique du vivant humain si elle eacutetait justifieacutee serait en tout eacutetat de cause insuffisante car ne rendant pas suffisamment justice agrave lrsquoempreinte deacutecisive en nous des veacuteriteacutes logiques qui ne peut provenir que de Dieu lui-mecircme Mais il est clair que la complexiteacute organique est la condition mateacuterielle de nos relations avec tout lrsquounivers et lrsquoordre geacuteneacuteral qui consonnent avec la structure rationnelle

Il faut donc souligner un double enracinement organique et logique drsquoune rationaliteacute objective et partageacutee qui fait la preacuterogative des esprits Elle les conduit agrave eacutenoncer le ldquoprincipe de raisonrdquo (article 7) qui nous megravene agrave la Gracircce crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoordre des fins Sans reacuteduire le logique agrave lrsquoorganique on soulignera lrsquoharmonie entre 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 23 Voir Blank 2006 pp 189-202 Il montre le rocircle deacutecisif joueacute par les traces corporelles pour les repreacutesentations mentales et les perceptions infiniteacutesimales constitutives du point de vue singulier qui speacutecifie les ldquopersonnesrdquo capables de conscience 24 Lettre agrave Sophie 30 novembre 1701 GP VII pp 557-558

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lrsquoorganiciteacute complexe des esprits et la marque en nous des veacuteriteacutes logiques la reacutealiteacute corporelle eacutetant elle-mecircme porteuse de la structure rationnelle de lrsquounivers

Corollaire de cette premiegravere conclusion Les Principes de la Nature et de la Gracircce ne font selon moi aucune ceacutesure crsquoest-agrave-dire ne pratiquent aucune coupure entre physique et meacutetaphysique Les six articles megravenent agrave lrsquoarticle 7 et aux suivants dans une parfaite continuiteacute Les premiers articles sont deacutejagrave marqueacutes de la preacutesence de la Gracircce dans la mesure ougrave ils mentionnent les causes finales du bien et du mal ainsi que les actes reacuteflexifs Et les seconds continuent agrave obeacuteir agrave la mecircme structure drsquoeacutetagement et mecircme drsquoeacutetayage puisque les privilegraveges des esprits srsquoenracinent dans les capaciteacutes organiques drsquoacircmes pourvus de corps tregraves deacutelieacutes drsquoorganes ajusteacutes acircmes eacuteleveacutees agrave travers une geacuteneacuteration naturelle agrave la rationaliteacute qui caracteacuterise ici la nature humaine dont elle est le trait distinctif

Lrsquoordre de la Gracircce est enfin preacutesent drsquoembleacutee agrave travers les esprits et leur accegraves aux veacuteriteacutes eacuteternelles car cet accegraves est la condition de la formulation du Principe de raison qui amorce agrave lrsquoarticle 7 le second mouvement des Principes de la Nature et de la Gracircce

1-2 Le second mouvement du texte des PNG (7-18) Les onze articles consacreacutes agrave la Gracircce reposent solidement sur

la base physique dynamique drsquoune nature que la Gracircce reprend et sublime en lrsquoorientant vers une fin En fait degraves les premiers articles des Principes de la Nature et de la Gracircce en nous invitant agrave nous reconnaitre comme ldquoespritsrdquo qui ne disent pas seulement le moi mais disent ldquonousrdquoet se situent dans lrsquointer-connexion Leibniz se place au niveau drsquoune action des esprits au service de la Gracircce

Regardons plus rapidement ce second mouvement car nous le reprendrons agrave travers la question des qualiteacutes morales Apregraves avoir brosseacute comme de loin le tableau drsquoensemble et le plan drsquoun univers dont Dieu est la raison derniegravere et le sage auteur Leibniz srsquoapproche des acircmes expressives et eacutevoque leurs degreacutes de perfection agrave mesure de leurs perceptions distinctes jusqursquoagrave en venir aux ldquoespritsrdquo ou acircmes raisonnables (art 14) leurs privilegraveges cognitifs et reacuteflexifs deacutejagrave indiqueacutes agrave lrsquoarticle 5 sont mis en lumiegravere et se manifestent agrave preacutesent en rapport avec un Dieu auteur et organisateur des choses Il en deacutecoule que lrsquoacircme-esprit est dite architectonique Elle ne fait pas que repreacutesenter elle construit elle-mecircme imitant Dieu dans son petit

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monde agrave partir des connaissances et inventions spontaneacutees ou involontaires jusque dans les actions volontaires On notera que lrsquoesprit est deacutesormais envisageacute sur le versant de lrsquoaction et plus agrave travers la seule connaissance ce qui amorce le virage que prend le texte en deacutebouchant sur le monde moral Deacutejagrave sous-entendu dans les causes finales du bien et du mal dans la bonteacute de Dieu dans le bonheur et la bonteacute des creacuteatures le monde moral apparaicirct cette fois en pleine lumiegravere Lrsquoimbrication du discours physique et du discours meacutetaphysique est claire

Monadologie et Principes de la Nature et de la Gracircce eacutenoncent agrave propos des esprits des thegraveses tregraves proches deacutefinis par une organiciteacute complexe et une reacuteflexiviteacute qui les distingue des autres animaux les esprits sont capables des sciences des actions volontaires et par lagrave drsquoune ldquosocieacuteteacuterdquo avec lrsquoauteur de toutes choses qui fait le regravegne de la Gracircce La nature y conduit sans deacuterogation agrave ses lois la justice de Dieu qui est la loi de la citeacute de Dieu opeacuterant par les voies de la nature par reacutecompense et sanction immanentes

Il est remarquable que ces thegraveses se trouvent deacutejagrave preacutesentes pour la plupart dans des textes preacuteceacutedant ces deux exposeacutes

En revanche ces thegraveses sont ordinairement assorties de consideacuterations sur la liberteacute et la responsabiliteacute qui fondent chacirctiments et reacutecompenses ainsi que sur lrsquoimmortaliteacute personnelle crsquoest-agrave-dire la persistance pour chaque esprit de ce qui fait son personnage

Que penser de leur absence dans ces exposeacutes On a voulu y voir le signe drsquoune naturalisation de la meacutetaphysique Cette caracteacuterisation quelle que soit sa pertinence semble unilateacuterale Drsquoautre part elle ne paraicirct pas avoir exactement le mecircme sens dans les deux exposeacutes

2 Lrsquoabsence probleacutematique des notions morales dans les deux exposes

monadologiques

Dans les Principes de la Nature et de la Gracircce apregraves avoir eacuteteacute situeacutes par rapport aux autres monades et aux autres animaux les ldquoespritsrdquo sont situeacutes dans leur rapport agrave Dieu derniegravere raison et auteur de toutes choses Le deuxiegraveme mouvement des Principes de la Nature

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et de la Gracircce reprend dans cette perspective nouvelle les thegraveses deacutejagrave preacutesentes dans le premier mouvement le reacuteveil ineacuteluctable des esprits assoupis dans ce que nous appelons ldquomortrdquo (art 12) la compatibiliteacute de cette survie avec un degreacute infeacuterieur de conscience fait de perceptions confuses (art 13) le caractegravere architectonique des acircmes-esprits qui en fait des expressions actives des ouvrages de Dieu (art 14) en particulier dans lrsquoinvention scientifique et lrsquoactiviteacute de connaissance mais aussi dans les actions volontaires dont la Monadologie ne parlait pas directement Enfin les articles terminaux des Principes de la Nature et de la Gracircce deacuteploient agrave partir de lrsquoarticle 15 le monde moral ou Citeacute de Dieu avec un accent particulier sur la justice de Dieu qursquoon ne trouve pas exprimeacutee si nettement dans la Monadologie Ces articles donnent un relief tregraves vif agrave la continuiteacute entre Gracircce et Nature25 Plutocirct que de rompre avec le discours physique le discours meacutetaphysique dans les Principes de la Nature et de la Gracircce constitue une reprise et une promotion du premier discours on y retrouve en effet les mecircmes thegraveses drsquoingeacuteneacuterabiliteacute et drsquoindestructibiliteacute mais envisageacutees sous lrsquoangle de notre destination drsquoesprits membres de la Citeacute de Dieu La Gracircce magnifie et perfectionne lrsquoordre de la Nature sans jamais le laisser de cocircteacute ou derriegravere soi sans jamais le deacutelaisser Les formules trouveacutees par Leibniz agrave la fin de lrsquoarticle 15 des Principes de la Nature et de la Gracircce pour marquer ce rapport sont les formules les plus nettes et claires qui soient Elles laisseront une trace deacutefinitive agrave la posteacuteriteacute

Par lrsquoordre mecircme des choses naturelles en vertu de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie de tout temps entre les regravegnes de la nature et de la gracircce entre Dieu comme architecte et Dieu comme monarque en sorte que la nature megravene agrave la gracircce et que la gracircce perfectionne la nature en srsquoen servant

Enfin un dernier accent est propre aux Principes de la Nature et de la Gracircce ils mettent en exergue et approfondissent lrsquoAmour de Dieu et le bonheur preacutesent et actuel qui en deacutecoule Crsquoest dire que la Gracircce agit actuellement et preacutesentement dans la nature Srsquoil est un royaume des fins ce royaume est actif ici et maintenant sans attendre un futur dont nous avons cependant deacutejagrave un avant-goucirct Degraves 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 25 Cette continuiteacute manifeste ne mrsquoa pas permis de valider lrsquointeacuteressante remarque drsquoEnrico Pasini selon laquelle il subsisterait dans les Principes de la Nature et de la Gracircce une ceacutesure entre discours physique et discours meacutetaphysique que la Monadologie en revanche deacutepasserait Voir Pasini 2005 p 114

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lors le mouvement des Principes de la Nature et de la Gracircce srsquoapparente au mouvement de progregraves et de perfectionnement propre agrave la Gracircce elle-mecircme Le texte accompagne le mouvement de la Gracircce Leibniz effectuant ce qursquoil annonce Dans cette fin du texte Leibniz ne parle plus des ldquoespritsrdquo il parle de ldquonousrdquo et srsquoadresse agrave nous Lrsquoamour de Dieu est compareacute agrave la musique qui nous charme agrave la fois et inseacuteparablement par ses proportions ideacuteelles et par les battements que le corps compte sans le savoir de ses rythmes Nous sommes des esprits et sommes convieacutes degraves ici-bas agrave participer consciemment et volontairement agrave la citeacute de Dieu dont nous sommes deacutejagrave membres sans le savoir quand nous appreacutecions lrsquoharmonie des choses Le texte se termine sur lrsquoeacutevocation de ldquonotre bonheurrdquo consistant dans un progregraves perpeacutetuel en plaisirs et perfections Mecircme si les esprits ne sont plus la fin exclusive de la creacuteation leur bonheur vient bien la couronner et exalter comme lrsquoindiquait dans la Monadologie agrave lrsquoarticle 86 la notion de ldquogloire de Dieurdquo

Cette Citeacute de Dieu ltgt est un Monde moral dans le monde naturel et ce qursquoil y a de plus eacuteleveacute et de plus divin dans les ouvrages de Dieu et crsquoest en lui que consiste veacuteritablement la gloire de Dieu puisqursquoil nrsquoy en aurait point si sa grandeur et sa bonteacute nrsquoeacutetaient pas connues et admireacutees par les esprits

Il est remarquable que le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce se termine sur ldquonousrdquo sur le bonheur et le plaisir que nous eacuteprouvons Crsquoest un indice de plus de lrsquoaccent mis dans les Principes de la Nature et de la Gracircce sur la subjectiviteacute crsquoest-agrave-dire sur une opeacuteration drsquoappropriation et de subjectivation caracteacuteristique des esprits sur la maniegravere dont nous pouvons comme esprits gracircce agrave lrsquoacte reacuteflexif et aux connexions logiques nous approprier notre situation et en tirer une jouissance non exclusive des progregraves dans la connaissance et lrsquoaction

Pour autant la notion de personne qui apparaicirct dans lrsquousage grammatical drsquoun ldquonousrdquo comme sujets agrave la premiegravere personne se substituant agrave la troisiegraveme personne des esprits nrsquoest pas mentionneacutee comme une dimension explicite Examinons donc pour finir les concepts apparemment absents des exposeacutes monadologiques alors qursquoils sont preacutesents dans drsquoautres textes pour deacuteterminer quel sens donner agrave leur omission

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Les concepts de personnage de personne de liberteacute et de personnaliteacute morale semblent solidaires et disparaitre ensemble Ils forment un mecircme reacuteseau seacutemantique celui des qualiteacutes morales La dimension morale serait-elle soit absente des Principes de la Nature et de la Gracircce soit estompeacutee et repousseacutee agrave lrsquohorizon 26

Le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce dit explicitement le contraire le monde moral agit ici et maintenant On ne peut donc se contenter de souligner la reacuteorientation de la meacutetaphysique de Leibniz dans un sens reacutealiste voire naturaliste dans la mesure ougrave la monade est un opeacuterateur indeacuteniable de naturalisation Car lrsquoorganiciteacute des esprits ne contrevient nullement agrave leur vocation spirituelle

Jrsquoai proposeacute au colloque de Grenade de retrouver dans le texte de la Monadologie la dimension morale de la personne enveloppeacutee dans les notions de ldquoreacuteflexiviteacuterdquo de capaciteacute agrave faire retour sur soi et agrave nous consideacuterer comme lrsquoagent de nos opeacuterations toutes significations qui font lrsquoldquoacte reacuteflexifrdquo Cette hypothegravese est eacutegalement valable voire lrsquoest encore plus pour les Principes de la Nature et de la Gracircce dont la viseacutee ne semble pas ecirctre exclusivement celle drsquoun systegraveme de la nature (comme pouvait apparaicirctre la Monadologie) mais enveloppe une dimension de theacuteologie naturelle

Acte reacuteflexif Lrsquoacte reacuteflexif proprement dit nrsquoest pas une perception plus fine

plus aiguumle ou aiguiseacutee il pourrait alors ecirctre confondu avec lrsquoaperception A la diffeacuterence de lrsquoaperception lrsquoacte reacuteflexif est un jugement qui actualise momentaneacutement une disposition constante des esprits Il consiste agrave se poser soi-mecircme dans sa penseacutee comme son agent Crsquoest un acte de reconnaissance de son activiteacute comme sien par ougrave ldquonousrdquo prenons la responsabiliteacute de notre activiteacute de penseacutee en un ldquoje penserdquo virtuel eacutequivalent agrave tout autre Elle suppose ou pose un ldquomoirdquo dont nous savons qursquoil enveloppe la ldquoplace drsquoautruirdquo drsquoun autrui quelconque et permet de prendre sa place ce qui anticipe ou preacutepare lrsquouniversalisation du point de vue singulier Lrsquoacte reacuteflexif

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nous rend capables de ldquoprendre la place drsquoautrui dans la penseacuteerdquo en une virtuelle universalisation Lrsquoactiviteacute reacuteflexive drsquoimputation agrave soi-mecircme et non la simple aperception ponctuelle speacutecifie donc les esprits Comme Leibniz lrsquoa indiqueacute agrave Thomas Burnett 27

LrsquoAuteur des secondes penseacutees touchant lrsquoacircme preacutetend que lrsquoAction reacutefleacutechie nrsquoest autre qursquoune remeacutemoration ou recollection de quelque action ou action faite une fois ou plusieurs fois auparavant ou quelque penseacutee ramasseacutee de nouveau Mais il se trompe ce nrsquoest pas en cela que consiste la reacuteflexion non seulement je me repreacutesente agrave moi-mecircme mon action mais je pense aussi que cest moi qui laccomplit ou lai accomplie

La reacuteflexion nrsquoest pas une repreacutesentation au second degreacute mais un acte de se rapporter agrave soi Or srsquoimputer une action agrave soi-mecircme est la condition de toute responsabiliteacute Lrsquoacte reacuteflexif conduit donc directement agrave la notion de responsabiliteacute tout comme la conscience de soi (conscientiam sui) qui rend capable des chacirctiments et des reacutecompenses On peut citer sur ce point la lettre agrave Smith de 1707

Solas autem mentes id est animas ratione praeditas et divinorum capaces personam id est conscientiam sui servare et poenae praemiaeque capaces esse possunt28

Personne La notion de personne elle-mecircme a diverses origines dont lrsquoune

vient du theacuteacirctre grec mais dont une autre vient de la religion chreacutetienne qui pose un Dieu en trois ldquopersonnesrdquo Ambigueuml la notion de personne recouvre un large eacuteventail de significations dont les deux pocircles vont soit vers lrsquoindividualiteacute meacutetaphysique soit vers la personnaliteacute morale Mais la signification ordinaire de ldquopersonnerdquo est bien celle drsquoun sujet intelligent (ldquovulgo persona est suppositum intelligensrdquo29) et eacutequivaut donc agrave lrsquoesprit consideacutereacute comme

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intelligence tel qursquoon le trouve dans les Principes de la Nature et de la Gracircce

Lrsquoeffort leibnizien va vers une unification de ces diverses significations il les fait converger pour deacutesigner un ecirctre vivant doueacute de dispositions rationnelles qui peut ecirctre revecirctu de relations qui lui confegraverent titres et fonctions mais jamais seacutepareacute de son corps organique Les Animadversiones in partem generalem Principiorum Cartesianorum art 31 35 avaient montreacute une personne relevant agrave la fois de lrsquoordre de la nature en deacutesignant un ecirctre conscient de soi capable drsquoacte reacuteflexif et de lrsquoordre moral puisqursquoil srsquoavisait et srsquoadmonestait prenant agrave lrsquoeacutegard de soi-mecircme la place drsquoautrui La notion de personne permettait de penser un situs relationnel propre aux esprits ecirctres qui ont les moyens de ldquoserdquo situer eux-mecircmes dans lrsquounivers entier et en teacutemoignent et pas seulement drsquoy ecirctre situeacutes comme les animaux non raisonnables Or les Principes de la Nature et de la Gracircce mentionnent la reacuteflexiviteacute comme la proprieacuteteacute distinctive des esprits et indiquent qursquoelle conduit agrave la notion de ldquomoirdquo qui elle-mecircme enveloppe celle de ldquopersonnerdquo puisque la personne est rapport agrave soi La personne est donc tacitement preacutesente agrave travers le ldquomoirdquo et le rapport agrave soi qui deacutefinit les esprits par leur capaciteacute de reacuteflexion Crsquoest ce rapport des esprits agrave un ldquomoirdquo qui conduit agrave la notion de personnaliteacute morale

LrsquoExtrait du Dictionnaire de M Bayle article Rorarius (p 2599 sqq de lrsquoEdition de lrsquoan 1702 avec mes remarques30) formulait clairement le lien entre ces notions

Il y a aussi une grande diffeacuterence entre lrsquoindestructibiliteacute des acircmes des becirctes et lrsquoimmortaliteacute des acircmes raisonnables Car toutes les acircmes conservent leur substance mais les seuls esprits conservent encore leur personnaliteacute crsquoest-agrave-dire la connaissance de ce moi par laquelle je me connais la mecircme personne ce qui me rend susceptible de reacutecompense ou de chacirctiment

Leibniz a-t-il voulu faire lrsquoeacuteconomie des connotations chreacutetiennes et dramaturgiques de la personne et de la personnaliteacute qui auraient pu lrsquoentrainer vers des problegravemes de theacuteologie reacuteveacuteleacutee et de controverses religieuses sur la preacutedestination (posant par exemple la question vaine de savoir pourquoi Dieu a donneacute plus de perfection agrave 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 intelligens rdquo Leibniz est donc fondeacute agrave dire qursquoil srsquoagit drsquoune conception ordinaire (ldquovulgordquo) 30 GP IV p 527

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un esprit qursquoagrave un autre) On ne peut pas en tout cas parler drsquoune omission deacutelibeacutereacutee de la dimension morale visant agrave mettre au premier plan une meacutetaphysique de la nature La dimension morale est bien preacutesente mais elle srsquoaccompagne dans les Principes de la Nature et de la Gracircce drsquoune theacuteologie naturelle et non pas reacuteveacuteleacutee

Personnage Plus geacuteneacuteralement lrsquoorganiciteacute et le rapport aux veacuteriteacutes eacuteternelles

qui font les ldquoespritsrdquo sont parfaitement compatibles avec lrsquoexistence drsquoun monde moral theacuteacirctre situeacute dans le theacuteacirctre de la nature de notre vie ordinaire qui lui-mecircme enveloppe le theacuteacirctre plus subtil des animaux spermatiques Dans le monde de la Gracircce les esprits jouent agrave travers leur socieacuteteacute avec Dieu une partition accordeacutee agrave leur constitution organiquement relationnelle qui leur permet de connaicirctre les connexions de dire ldquonousrdquo et de se reconnaicirctre responsables dans lrsquointerconnexion en eacuteclairant leur situs ou ldquopoint de vuerdquo

La meacutetaphore theacuteacirctrale reste drsquoailleurs preacutesente dans les deux grands exposeacutes monadologiques Le rocircle que joue Dieu agrave leurnotre eacutegard et que la lettre agrave Arnauld du 9 octobre 1687 appelait un ldquoautre personnagerdquo agrave lrsquoeacutegard des esprits que celui drsquoauteur geacuteneacuteral des ecirctres se retrouve dans les Principes de la Nature et de la Gracircce comme dans la Monadologie Les Principes de la Nature et de la Gracircce distinguent en effet agrave lrsquoarticle 15 Dieu-comme-architecte fonction qui concerne tous les ecirctres et Dieu-comme monarque qui correspond aux esprits en tant que membres de la Citeacute de Dieu Les deux fonctions ou personnages se retrouvant dans les Principes de la Nature et de la Gracircce et dans la Monadologie cela fortifie lrsquohypothegravese drsquoune preacutesence implicite de la notion de rdquopersonnagerdquo ou de personnaliteacute morale concernant ceux avec qui Dieu prend ce personnage de souverain crsquoest-agrave-dire preacuteciseacutement les esprits

Leibniz lrsquoexplicitait pour Rudolf Christian Wagner en 1710

Lacircme ou lrsquoanimal agrave la naissance ou apregraves la mort ne diffegraverent reacuteellement de lrsquoacircme ou de lrsquoanimal vivant la vie preacutesente que par la disposition des choses et les degreacutes des perfections et non selon le genre total des ecirctres Je pense de mecircme des Geacutenies qursquoils sont des esprits doteacutes drsquoun corps extrecircmement peacuteneacutetrant et apte agrave opeacuterer Lrsquohomme srsquoeacutelegraveve pourtant merveilleusement au-dessus des becirctes et srsquoapproche des Geacutenies puisque par lrsquousage de la raison il est capable de socieacuteteacute avec Dieu

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Crsquoest pourquoi il ne conserve pas seulement la vie et lrsquoacircme comme les becirctes mais aussi la conscience de soi et la meacutemoire de son eacutetat passeacute et pour ainsi dire son personnage (Je souligne)31

Les notions de personnaliteacute morale et de personnage sont indissociables de la meacutetaphore chreacutetienne drsquoimago Dei que Leibniz reprend en toute discreacutetion agrave lrsquoarticle 14 pour en deacuteriver le caractegravere architectonique de lrsquoacircme-esprit On soulignera seulement que dans ce texte ldquonousrdquo esprits sommes agrave lrsquoimage drsquoun Dieu qui est consideacutereacute seulement comme auteur et architecte des choses et non pas dans la figure ou sous la personne de Jeacutesus-Christ Cela renforce le sentiment que Leibniz a choisi une forme de sobrieacuteteacute meacutetaphysique qui srsquoaccommode mieux drsquoune theacuteologie naturelle que de la theacuteologie reacuteveacuteleacutee Leibniz le formulait eacutegalement dans sa lettre agrave R-C Wagner ldquoLa veacuteritable theacuteologie naturelle se deacutemontre de la plus belle maniegravere par mes principesrdquo32

Liberteacute En est-il de mecircme de la notion de liberteacute des esprits Est-elle

implicite ou estompeacutee voire censureacutee On doit la consideacuterer comme implicite si la liberteacute des esprits est deacutefinie comme spontaneacuteiteacute guideacutee par la rationaliteacute puisque la rationaliteacute fondeacutee sur la connaissance des veacuteriteacutes eacuteternelles est la veacuteritable ligne de deacutemarcation entre becirctes et esprits dans tous les articles concernant les acircmes raisonnables De plus la mention des actions volontaires et celle des reacutemuneacuterations et chacirctiments de telles actions supposent la liberteacute des actions dans la mesure ougrave elle est preacutesupposeacutee par la responsabiliteacute que demande la reacutemuneacuteration de lrsquoaction

Il faut donc conclure agrave une redeacutefinition contextuelle des esprits Leur assise organique les relie agrave lrsquointerconnexion de toutes choses Mais cela ne nuit pas agrave leur qualiteacute de personnes

On ne saurait se suffire en effet de lrsquoexplication selon laquelle la disparition du lexique theacuteologique et du vocabulaire de lrsquoindividuation par la ldquonotion complegraveterdquo preacutesents tous deux dans le Discours de Meacutetaphysique expliquerait une maniegravere drsquoeacutevanouissement des personnes en faveur de monades anonymes noyeacutees en quelque

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sorte dans le grouillement organique de la matiegravere33 La monade est sans doute un opeacuterateur de naturalisation de la meacutetaphysique et il eacutetait juste de le souligner Mais cette explication trouve ses limites quand on examine des textes tels que le Systegraveme Nouveau de la Nature la lettre agrave Rudolph Christian Wagner de 1710 ou la lettre agrave Reacutemond de 1714 (laquelle propose comme les exposeacutes monadologiques un ldquoeacuteclaircissement sur les monadesrdquo) Aucun de ces textes nrsquoa en effet recours agrave la theacuteorie de la notion complegravete Or tous conservent pourtant la trace expresse des notions de ldquopersonnaliteacuterdquo de ldquoqualiteacutes moralesrdquo voire de ldquopersonnagerdquo Srsquoil est juste de dire que le texte du Systegraveme Nouveau marque un souci drsquordquoapprofondissement des concepts de la seule philosophie de la naturerdquo34 lrsquoargument se retourne cet approfondissement nrsquoempecircche nullement le Systegraveme Nouveau de parler de la personnaliteacute morale35 comme fondement de la responsabiliteacute et de lrsquoimmortaliteacute personnelle

Quant aux Principes de la Nature et de la Gracircce ils ne font pas disparaicirctre le vocabulaire theacuteologique agrave moins drsquoentendre par lagrave celui de la theacuteologie reacuteveacuteleacutee Rien ne justifie de parler agrave la maniegravere de Jean Baruzi drsquoune domination drsquoun point de vue biologique et cosmique qui ferait srsquoestomper la preacutecellence des esprits Dans la mesure ougrave le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce est tout entier animeacute par une monteacutee vers la citeacute de Dieu comme monde moral et vers le bonheur des esprits il est difficile de penser que Leibniz voulait priver ce texte drsquoune dimension morale et theacuteologique Cette dimension est non seulement compatible avec le relief donneacute au vivant et agrave lrsquoorganique mais elle est preacutesente dans le texte reposant sur la nature qui lui donne ses ressources et son architecture agrave utiliser et reconnaicirctre

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Conclusion une subjectiviteacute incorporeacutee

Il faut donc plutocirct conclure agrave lrsquoenveloppement des notions morales dans les notions meacutetaphysiques preacutesentes dans le texte ainsi qursquoagrave lrsquoinsertion du monde moral de la Gracircce comme un ferment actif au sein de la nature Ce ferment intellectuel est incorporeacute agrave un organisme dont on pourrait dire qursquoil est lui-mecircme ldquomind-likerdquo du fait de cette dynamique qui lrsquoanime (ce ne sont pas seulement les monades qui conspirent agrave le former qursquoon peut dire ldquomind-likerdquo) Ce ferment intelligent est en germe dans les marques lumineuses qui font la rationaliteacute ou ldquolumiegravere naturellerdquo forme subjective des veacuteriteacutes eacuteternelles objectives Les esprits apregraves le tournant monadologique apparaissent comme des ecirctres complets qui ont une nature organique connecteacutee agrave une activiteacute mentale rationnelle Ce sont donc en un certain sens des corps vivants ou des organismes mais des corps privileacutegieacutes et en quelque sorte ldquospiritualiseacutesrdquo capables de subjectivation de leur situation respective gracircce aux germes logiques qui se trouvent en eux et agrave lrsquoactiviteacute expressive autoriseacutee par une complexiteacute monadologique qui les place dans lrsquointerconnexion de toutes choses Ces corps en quelque sorte virtuellement spiritualiseacutes degraves lors qursquoils sont marqueacutes de lrsquoempreinte des veacuteriteacutes ces embodied minds sont appeleacutes agrave reconnaicirctre en eux par la connaissance et par lrsquoaction cette nature active de sujets qui en fera un jour des corps glorieux dans la citeacute de Dieu Dans leur mouvement expressif de connaissance et drsquoaction ils deacutepassent lrsquoopposition dualiste heacuteriteacutee de Descartes entre un ordre des corps et un ordre des esprits eacutetrangers lrsquoun agrave lrsquoautre Agrave la diffeacuterence de la Monadologie exposeacute meacutetaphysique complet visant un systegraveme de la Nature les Principes de la Nature et de la Gracircce preacutesentent donc une approche nouvelle de la subjectiviteacute une subjectiviteacute en quelque sorte incorporeacutee inseacutereacutee dans lrsquointerconnexion dynamique de toutes choses

Sans partir ni de lrsquoesprit humain agrave la maniegravere carteacutesienne ni des esprits comme le ferait un ldquopanpsychismerdquo36 les Principes de la Nature et de la Gracircce preacutesentent au sein de la nature et sous le nom drsquoesprit une subjectiviteacute en activiteacute qui procegravede de lrsquointerconnexion

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dynamique de toutes choses et y est inseacutereacutee par toutes ses fibres organiques une subjectiviteacute incorporeacutee

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DAVIDE POGGI

QUELQUES OBSERVATIONS SUR LA REacuteFLEXION COGNITIVE ET LA REacuteFLEXIVITEacute DE LrsquoESPRIT DANS LA PENSEacuteE DE LEIBNIZ

1 Introduction

Les œuvres de 1714 crsquoest-agrave-dire les Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison (que pour plus de faciliteacute jrsquoappellerai Principes) et Les principes de la philosophie ou Monadologie (que jrsquoappellerai Monadologie) sont le couronnement avec lequel se termine tout au moins chronologiquement le parcours philosophique de Leibniz Il est inutile de rappeler (mais il est peut-ecirctre tout aussi important de le souligner) que les deux textes ne se caracteacuterisent pas seulement par leur nature de manuscrits publieacutes agrave titre posthume mais plutocirct par lextrecircme briegraveveteacute qui est lincarnation du dessein analytique-deacuteconstructif et syntheacutetique-reconstructif de lrsquoAuteur

Cette structuration more geometrico visait expresseacutement agrave rendre plus facilement compreacutehensible le systegraveme du philosophe de Hanovre (respectivement au prince Eugegravene de Savoie et agrave Nicolas Franccedilois Reacutemond) ainsi si dune part certains noyaux theacutematiques et conceptuels sont confirmeacutes de faccedilon lapidaire et presque deacutefinitive (en reacutepondant ainsi agrave lobjectif de lAuteur) dautre part il est cependant possible de signaler certaines situations critiques qui paradoxalement ont leur origine du fait que les raisonnements de Leibniz sont tellement deacutepouilleacutees qursquoils sont cryptiques

Les points sur lesquels je veux me concentrer agrave cette occasion sont la relation entre lapperception et la reacuteflexion et par la suite entre la reacuteflexion et la possession de veacuteriteacutes universelles Dans le premier des deux cas je chercherai agrave comprendre si lrsquoapperception en tant que conscience ou connaissance reflexive est une caracteacuteristique qui appartient exclusivement aux acircmes raisonnables ou esprits

Dans le deuxiegraveme cas jrsquoessayerai de reacutesoudre une incoheacuterence entre le texte du paragraphe 5 des Principes et celui des paragraphes 29 et 30 de la Monadologie (ce qui ne veut pas dire que cette contradiction est seulement entre ces deux œuvres) il ne srsquoagit pas

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drsquoun scrupule purement philologique mais drsquoune question principalement eacutepisteacutemologique qui est eacutegalement axeacutee comme le premier argument sur le rocircle de la reacuteflexion par rapport agrave ce que le sujet apporte avecen soi

Maintenant afin de bien comprendre ces thegravemes principaux et de deacutenouer les nœuds probleacutematiques qursquoils renferment il est utile agrave mon avis de recourir aux œuvres preacuteceacutedentes parce que nous pouvons y trouver les cleacutes de lecture correspondantes Mais quelles sont ces œuvres Reacutetrospectivement le premier texte que nous rencontrons ce sont les Essais de theacuteodiceacutee (1710) qui peuvent sans aucun doute ecirctre consideacutereacutes une summa du systegraveme philosophique de Leibniz mais de faccedilon similaire agrave ce que les substances individuelles ou les monades font par rapport agrave lrsquoUnivers ils repreacutesentent la penseacutee leibnizienne drsquoun point de vue speacutecifique (situeacute agrave la rencontre des questions meacutetaphysiques eacutethiques et theacuteologiques)

Le texte qui peut nous aider agrave ce propos est celui qui preacutecegravede immeacutediatement la Theacuteodiceacutee composeacute au deacutebut des anneacutees 1700 dans lequel Leibniz se mesure avec la psychologie de Locke qursquoil avait lue dans lrsquoEssai philosophique concernant lentendement humain (crsquoest-agrave-dire dans la traduction franccedilaise de lEssay reacutealiseacutee par Pierre Coste et publieacutee en 1700) Stimuleacute par la construction dune discussion ldquoideacutealerdquo avec le philosophe anglais et avec un point de vue ldquoautrerdquo (qui nrsquoest pas neacutecessairement radicalement opposeacute au sien)1 Leibniz finit par illustrer sa propre penseacutee mettant en eacutevidence des aspects qursquoil nrsquoavait si bien eacuteclaircis mecircme dans des œuvres comme le Discours de metaphysique (bien qursquoil ait eacuteteacute eacutecrit dans le contexte du dialogue ldquoreacuteelrdquo avec Arnauld) et le Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances (publieacute sur le Journal des sccedilavans en juin-juillet 1695 lrsquoun des rares exposeacutes de sa penseacutee qui aient circuleacute officiellement du vivant de Leibniz) agrave cause drsquoune certaine rigiditeacute que lon trouve dans les travaux destineacutes agrave un public qui parlait et pensait de faccedilon ldquocarteacutesiennerdquo (savoir le public du ldquotriangle philosophique et culturelrdquo deacutelimiteacute par Port-Royal les disciples de Malebranche et ceux de Spinoza)

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2 Apperception et reacuteflexion la connaissance des esprits et celle des animaux

Crsquoest en effet dans les Nouveaux Essais que le termeconcept drsquoapperception fait pour la premiegravere fois son apparition agrave lrsquointeacuterieur du corpus des textes leibniziens ce neacuteologisme naicirct drsquoune reacuteflexion sur une caracteacuteristique de la langue franccedilaise et de son application dans le domaine gnoseacuteologique2

Le lexique philosophique de la connaissance degraves Descartes srsquoeacutetait concentreacute sur le substantif de perception indiquant agrave la fois le contenu psychique et la fonction perceptive Leibniz lrsquoavait enrichi dun terme qui indiquait la fonction cognitive dans sa pleine expression au moyen de lrsquoacte aperceptif (appercevoir quelque chose ou dans sa variante reacuteflexive srsquoappercevoir de quelque chose) savoir lrsquoeacutemergence et la manifestation drsquoune vis qui est essentielle agrave la simple substance spirituelle (si ce nest son essence) mais qui est ldquocognitiverdquo au sens large du mot En effet cette vis concerne surtout la dimension ontologique des substances qui seront ensuite deacutefinitivement appeleacutees monades (lrsquoacte de repraesentareexprimere plus que toute autre chose est un ldquoporter en soi-mecircmerdquo lrsquounivers un ldquoecirctre lrsquouniversrdquo suivant de justes proportions de faccedilon agrave pouvoir garantir le rapport de ldquosignificationrdquo)

Le processus de clarification et de distinction progressives des ideacutees dont lrsquoon parle dans le Discours de metaphysique et preacuteceacutedemment dans les Meditationes de cognitione veritate et ideis (1684) doit ainsi ecirctre adresseacute non seulement aux ideacutees en tant que perceptions ou contenus psychiques mais aussi agrave lrsquoensemble ldquorepraesentatio et substantia repraesentativardquo crsquoest-agrave-dire agrave la dialectique du sujet et de lrsquoobjet

Leibniz deacutecline cette conception panoptique de lapperception selon ce qursquoil veut porter agrave lattention du lecteur tantocirct il se reacutefegravere au pocircle objectif de lrsquoattention (le contenu) en visant agrave souligner la question de sa notabiliteacute3 (ce qui fait la marque de la premiegravere distinction entre exprimere et animadvertere savoir entre

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perceptions en tant qursquoldquoexpressionsrdquo des ldquosimples Monadesrdquo et la moindre connaissance claire et distincte qui srsquoeacutelegraveve au-dessus de lrsquoeacutetourdissement des ldquoMonades toutes nuumlesrdquo)4 par le sujet (qui est en ce cas lrsquoobjet secondaire de lrsquoattention tandis que le contenu en est lrsquoobjet principal) tantocirct il se reacutefegravere au pocircle subjectif de lrsquoattention savoir le sujet par rapport agrave la question de la con-science savoir de lrsquoauto-conscience en tant que auto-possession cognitive du sujet dont le contenu est en preacutesence (et cette donneacutee psychique est maintenant lrsquoobjet secondaire de lrsquoattention)

Cela nous permet de deacutefinir le rocircle de lapperception dans la taxonomie des ecirctres abordant ainsi une incoheacuterence identifieacutee par Kulstad5 non seulement entre quelques passages agrave linteacuterieur des Nouveaux Essais mais aussi entre ces passages et la penseacutee que Leibniz au cours des anneacutees a deacuteveloppeacutee et progressivement clarifieacutee et expliqueacutee Il srsquoagit de certains passages comme celui que je vais citer

Ces perceptions insensibles marquent encore et constituent le mecircme individu qui est caracteriseacute par les traces qursquoelles conservent des estats preacutecedens de cet individu en faisant la connexion avec son estat present qui se peuvent connoistre par un esprit superieur quand cet individu mecircme ne les sentiroit pas [hellip] Crsquoest pour cela que la mort ne sauroit estre qursquoun sommeil et mecircme ne sauroit en demeurer un les perceptions cessant seulement agrave ecirctre assez distingueacutees et se reduisant agrave un ecirctat de confusion dans les animaux qui suspend lrsquoapperception [je souligne] mais qui ne sauroit durer toujours [texte omis par le copiste pour ne parler icy de lrsquohomme qui doit avoir en cela des grands privileges pour garder sa personaliteacute]6

Ces passages sont-ils vraiment probleacutematiques Si lrsquoon considegravere les œuvres de 1714 (ougrave il convient de le souligner le substantif apperception est hapax legomenon et acquiert ainsi une valeur particuliegravere) lrsquoon peut lire des passages comme les suivants tireacutes des Principes

Il est bon de faire distinction entre la perception[] qui est lrsquoetat interieur de la Monade representant les choses externes et lrsquoapperception qui est la conscience[] ou la

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connaissance reflexive[] de cet eacutetat inteacuterieur laquelle nrsquoest point donneacutee agrave toutes les Ames ni toujours agrave la mecircme Ame7

Lrsquoeacutetat passager qui enveloppe et represente une multitude dans lrsquouniteacute ou dans la substance simple nrsquoest autre chose que ce qursquoon appelle la Perception qursquoon doit distinguer de lrsquoapperception ou de la conscience [je souligne] [] et crsquoest en quoi les Cartesiens ont fort manqueacute aiumlant compteacute pour rien les perceptions dont on ne srsquoapperccediloit pas8

Lrsquoon comprend que ces passages ont pour but de tracer une forte ligne de deacutemarcation entre les acircmes des becirctes et les esprits (et donc de montrer une caracteacuteristique exclusive du dernier et plus haut degreacute ontologique et cognitif des monades) puisque agrave la fois dans les Principes et dans la Monadologie lrsquoAuteur eacutecrit de maniegravere presque identique que la confusion entre apperception et perception a donneacute lieu chez les Carteacutesiens au malentendu selon lequel seulement les esprits seraient monades et les animaux seraient au contraire deacutepourvus drsquoacircme (et donc seraient reacuteduits agrave simple extension sans vie psychique) Mais crsquoest de lrsquoapperception en tant que connaissance reflexive qursquoon parle dans ces passages crsquoest-agrave-dire de lrsquoapperception lieacutee agrave la reacuteflexion ou faculteacute de reacutefleacutechir Crsquoest la mecircme conception dont Leibniz parle dans les Nouveaux Essais lorsqursquoil propose une deacutefinition drsquoentendement qui vise agrave mieux preacuteciser et ameacuteliorer celle de Locke (savoir entendement en tant que puissance drsquoappercevoir) Il faut souligner que Kulstad mecircme cite ce passage car Leibniz semble ici assigner lrsquoapperception aux animaux

PHILAL La puissance drsquoappercevoir est ce que nous appellons en tendement [hellip] THEOPH Nous nous appercevons de bien des choses en nous et hors de nous que nous nrsquoentendons pas et nous les en tendons quand nous en avons des ideacutees distinctes avec le pouvoir de reflechir et drsquoen tirer des veriteacutes necessaires Crsquoest pourquoy les bestes nrsquoont point drsquoentendement au moins dans ce sens quoyque elles ayent la faculteacute de srsquoappercevoir des impressions plus remarquables et plus distingueacutees [je souligne] comme le sanglier srsquoapperccediloit drsquoune personne qui luy crie et va droit agrave cette personne dont il nrsquoavoit eu deacutejagrave auparavant qursquoune perception nue mais confuse comme de tous les autres objets qui tomboient sous ses yeux et dont les rayons frappoient son crystallin Ainsi dans mon sens lrsquoen tendement reacutepond agrave ce qui chez les Latins est appelleacute Intellectus et lrsquoexercice de cette faculteacute srsquoappelle In te l lec t ion qui est une perception distincte jointe agrave la faculteacute de reflechir qui nrsquoest

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pas dans les bestes Toute perception jointe agrave cette faculteacute est une penseacutee que je nrsquoaccorde pas aux bestes non plus que lrsquoentendement9

Ici Leibniz se concentre sur lrsquoaspect theacuteorique du rapport entre apperception et reacuteflexion savoir la ldquocompreacutehensionrdquo des contenus perccedilus en vertu du bagage conceptuel a priori (crsquoest-agrave-dire ldquosur-sensitifrdquo ou reacuteflexif) tandis que dans le passage de la Theacuteodiceacutee que je vais citer bien que le terme apperception ne paraisse pas (une absence qui caracteacuterise drsquoailleurs le texte entier) lrsquoAuteur utilise son synonyme savoir ldquosentiment reflexif interne de ce qursquoelle estrdquo qui est la crase10 de lrsquoexpression ldquoconnaissance reflexiverdquo et du ldquosentiment inteacuterieurrdquo malebranchien

En disant que lrsquoame de lrsquohomme est immortelle on fait subsister ce qui fait que crsquoest la mecircme personne laquelle garde ses qualiteacutes morales en conservant la consc ience ou le sentiment reflexif interne de ce qursquoelle est ce qui la rend capable de chatiment et de recompense11

Il srsquoagit de deux aspects qui sont inseacuteparables bien que distincts comme lrsquoon peut voir dans lrsquoune des Remarques aux objections faites par lrsquoabbeacute et chanoine de Dijon Simon Foucher contre le Systegraveme nouveau dans la lettre de 12 septembre 1695 et publieacutees dans le Journal des Sccedilavans

Je le fais [crsquoest-agrave-dire constituer un principe sensitif dans les becirctes qui soit substantiellement diffeacuterent de celui des hommes] parce qursquoon ne trouve pas que les Bestes fassent des reflexions qui constituent la raison et donnant la connoissance des veriteacutes necessaires ou des sciences rendent lrsquoame capable de personaliteacute Les bestes distinguent le bien et le mal ayant de la perception mais elles ne sont point capables du bien et du mal moral qui supposent la raison et la conscience12

Dans ces passages Leibniz parle donc de lrsquoapperception purement humaine puisqursquoelle concerne un sujet qui devient clair et distinct agrave soi-mecircme (un ldquomoirdquo) et un objet en tant que preacutesent agrave un sujet qui se connaicirct Le cadre de reacutefeacuterence de Leibniz est celui deacutecrit par Arnauld dans une œuvre que Leibniz connaissait fort bien le traiteacute Des vrayes et des fausses ideacutees (1683) Dans ce texte le philosophe de

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Port-Royal critiquant la thegravese de Malebranche selon laquelle la conscience est une non-connaissance immeacutediate que le sujet a de soi-mecircme (mais seulement une auto-affection qui est sans doute vraie et certaine) faisait la distinction entre la conscience que lrsquoon a de soi-mecircme et de ses propres contenus psychiques et la connaissance qui suit cette auto-perception une reacuteflexion expresse au moyen de laquelle le sujet se connaicirct par des ideacutees claires et distinctes

[La 4egraveme preacutevention de Malebranche est] qursquoon ne connoist point par des ideacutees claires ce qursquoon connoist par conscience et par sentiment Et crsquoest justement tout le contraire [hellip] Or quand on voudroit douter si la perception que nous avons de nostre penseacutee lorsque nous la connoissons comme par elle mecircme sans reflexion expresse est proprement une ideacutee on ne peut nier au moins qursquoil ne nous soit facile de la connoistre par une ideacutee puisque nous nrsquoavons pour cela qursquoagrave faire une reflexion expresse sur nostre penseacutee Car alors cette seconde penseacutee ayant pour objet la premiere elle en sera une perception formelle et par consequent une ideacutee Or cette ideacutee sera claire puisqursquoelle nous fera appercevoir treacutes eacutevidemment ce dont elle est ideacutee Et par consequent il est indubitable que nous voyons par des ideacutees claires ce que nous voyons par sentiment et par conscience bien loin qursquoon doive regarder comme opposeacutees ces deux manieres de connoistre ainsi que fait par tout lrsquoAuteur de la Recherche de la Veriteacute 13

Il srsquoagit drsquoun modegravele qui contenait deacutejagrave en soi-mecircme precircte agrave ecirctre deacuteveloppeacutee la distinction entre la preacutesence immeacutediate du sujet agrave soi-mecircme (qui nrsquoest pas la connaissance au sens strict mais au sens large du terme ndash qui sert selon Leibniz agrave limiter le grave risque de la reacutegression agrave lrsquoinfini dans la spirale cognitive) et la perception posteacuterieure chronologiquement et gnoseacuteologiquement une perception de second (plus haut) niveau qui apporte clarteacute et distinction (crsquoest lrsquoapperception proprement dite)

Ainsi dans les Nouveaux Essais lorsque Leibniz parle de lrsquoapperception comme srsquoil lrsquoattribuait aux animaux il fait un mauvais usage drsquoun terme et drsquoun concept qursquoil avait utiliseacute pour la premiegravere fois dans cette œuvre sans avoir atteint le degreacute de preacutecision qui caracteacuterisera les œuvres suivantes (crsquoest-agrave-dire les deux traiteacutes de 1714) Leibniz nrsquoutilise son neacuteologisme qursquoen renvoyant au verbe dont le mot apperception a tireacute son origine (en eacutetant sa substantivation) un verbe qui dans le franccedilais du XVIIegraveme siegravecle nrsquoavait pas un signifieacute bien speacutecifieacute En effet lorsqursquoil parle de lapperception humaine Leibniz utilise une expression qui pourrait ecirctre consideacutereacutee comme un 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 Arnauld 1986 pp 225-226

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ldquohendiadys au contrairerdquo parce que si lrsquohendiadys vise agrave reacutealiser une synthegravese entre deux eacuteleacutements distincts dans ce cas le but est au contraire drsquoeffectuer une analyse dans un unicum constitueacute par le verbe appercevoirremarquer (donc la question de lrsquoapperception lieacutee agrave la notabiliteacute du contenu conscience de lrsquoobjet) et par la reacuteflexion (et donc lrsquoeacutemergence du sujet et la preacutesence du contenu au moi)

Il semble que nostre habile Auteur pretende qursquoil nrsquoy ait rien de virtuel en nous et mecircme rien dont nous [ne] nous appercevions toujours actuellement [hellip] Drsquoailleurs il y a mille marques qui font juger qursquoil y a agrave tout moment une infiniteacute de perceptions en nous mais sans apperception ET sans reflexion [je souligne] crsquoest agrave dire des changements dans lrsquoame mecircme dont nous ne nous appercevons pas parce que ces impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre ou trop unies en sorte qursquoelles nrsquoont rien drsquoassez distinguant agrave part mais jointes agrave drsquoautres elles ne laissent pas de faire leur effect et de se faire sentir au moins confuseacutement dans lrsquoassemblage14

Toute attention demande de la meacutemoire et quand nous ne sommes point avertis pour ainsi dire de prendre garde agrave quelques unes de nos propres perceptions preacutesentes nous les laissons passer sans reflexion ET MEcircME sans les remarquer [je souligne la distinction des deux parties] Mais si quelquun nous en avertit [hellip] nous nous en souvenons et nous nous appercevons drsquoen avoir eucirc tantocirct quelque sentiment Ainsi crsquoeacutetoient des perceptions dont nous ne nous eacutetions pas apperccedilucircs incontinent lrsquoapperception ne venant dans ce cas drsquoavertissement qursquoapreacutes quelque intervalle pour petit qursquoil soit15

Crsquoest donc une contradiction seulement apparente qui existe entre les passages leibniziens qui concernent lapperception et son attribuabiliteacute non seulement aux esprits mais aussi aux becirctes La sensation ou sentiment est ldquoquelque chose de plus qursquoune simple perceptionrdquo16 parce qursquoelle est caracteacuteriseacutee par lrsquoeacutemergence du contenu dans le cocircne de lumiegravere de lrsquoattention en vertu de la distinction de la repreacutesentation17 Il srsquoagit drsquoune apperception qursquoon peut nommer ldquoincomplegraveterdquo ou ldquoinacheveacuteerdquo parce qursquoelle se concentre seulement sur le contenu en question et non sur le sujet qui reste le fond indistinct de cette preacutesence psychique (tandis que le sujet qui connaicirct qursquoil y a quelque chose en rapport de ldquopreacutesence agrave luirdquo est un ldquosujet-preacutesent-agrave-soi-mecircmerdquo savoir qui peut faire reacuteflexion sur soi-mecircme)

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Ainsi dans les becirctes il nrsquoy a point lrsquohendiadis ldquoapperception et reacuteflexionrdquo (qui est lrsquoapperception dans toute sa pleacutenitude et complexiteacute)18 mais seulement une apperception en tant qursquoanimadvertere et faculteacute de percevoir des donneacutees distinctes (appercevables ou apperceptibles) Crsquoest ce sens preacutecis de lapperception qui caracteacuterise eacutegalement les esprits et les animaux preacuteciseacutement parce que la question du seuil de clarteacute et de distinction neacutecessaire afin qursquoils saperccediloivent de tout contenu est une question commune

Jrsquoaimerois mieux distinguer entre perception et srsquoappercevoir [je souligne] La perception de la lumiere ou de la couleur par exemple dont nous nous appercevons est composeacutee de quantiteacute de petites perceptions dont nous ne nous appercevons pas et un bruit dont nous avons perception mais ougrave nous ne prenons point garde devient apperceptible [je souligne] par une petite addition ou augmentation19

Un estre immateriel ou un Esprit ne peut estre depouilleacute de toute perception de son existence passeacutee Il luy reste des impressions de tout ce qui luy est autrefois arriveacute et il a mecircme des preacutesentimens de tout ce qui luy arrivera mais ces sentimens sont le plus souvent trop petits pour pouvoir estre distinguez et pour qursquoon srsquoen apperccediloive20

Puisqursquoil attribue donc aux becirctes une perception plus claire et distincte du contenu leur niant les actes de reacuteflexion qui constituent le deuxiegraveme foyer de lrsquoapperception au sens technique du terme lrsquoon ne peut pas soutenir que Leibniz se contredisse tout au plus pouvons-nous affirmer qursquoil fait ce qui dans les termes de Locke peut ecirctre appeleacute un ldquoabus des motsrdquo (Abuse of Words) crsquoest-agrave-dire lrsquousage du mecircme mot pour indiquer des concepts tout agrave fait diffeacuterents

3 Reacuteflexion et possession des veacuteriteacutes universelles qursquoest-ce qui nous eacutelegraveve agrave quoi

La deuxiegraveme question sur laquelle je voudrais maintenant focaliser lrsquoattention est intimement lieacutee agrave ce que nous avons dit auparavant et concerne un autre aspect des actes reacuteflexifs en vertu duquel ces actes appartiennent seulement aux esprits il srsquoagit de la

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possessionconnaissance de veacuteriteacutes universelles Si lrsquoon considegravere des œuvres comme par exemple le Discours de metaphysique et les Principes de la nature et de la gracircce lrsquoon peut trouver une coheacuterence interne agrave la penseacutee de Leibniz bien que les deux œuvres citeacutees repreacutesentent deux moments eacuteloigneacutes non seulement chronologiquement mais aussi du point de vue conceptuel

sect 34 Elles [les acircmes des becirctes et les formes substantielles] expriment aussi tout lrsquounivers quoyque plus imparfaitement que les esprits Mais la principale difference est qursquoelles ne connoissent pas ce qursquoelles sont ny ce qursquoelles font et par consequent ne pouvant faire des reflexions elles ne sccedilauroient decouvrir des veriteacutes Crsquoest aussi faute de reflexion sur elles mecircmes qursquoelles nrsquoont point de qualiteacute morale drsquoougrave vient que passant par mille transformations agrave peu pregraves comme nous voyons qursquoune chenille se change en papillon crsquoest autant pour la morale ou practique comme si on disoit qursquoelles perissent et on le peut mecircmes dire physiquement comme nous disons que les corps perissent par leur corruption Mais lrsquoame intelligente connoissant ce qursquoelle est et pouvant dire ce MOY qui dit beaucoup ne demeure pas seulement et subsiste Metaphysiquement bien plus que les autres mais elle demeure encor la mecircme moralement et fait le mecircme personnage [hellip]

sect 35 [hellip] Car toute la nature fin vertu et fonction des substances nrsquoestant que drsquoexprimer Dieu et lrsquounivers comme il a esteacute assez expliqueacute il nrsquoy a pas lieu de douter que les substances qui lrsquoexpriment avec connoissance de ce qursquoelles font et qui sont capables de connoistre des grandes veriteacutes agrave lrsquoegard de Dieu et de lrsquounivers ne lrsquoexpriment mieux sans comparaison que ces natures qui sont ou brutes et incapables de connoistre des veriteacutes ou tout agrave fait destitueacutees de sentiment et de connoissance et la difference est aussi grande que celle qursquoil y a entre le miroir et celuy qui voit21

sect 5 Le raisonnement veritable deacutepend des veriteacutes neacutecessaires ou eacuteternelles comme sont celles de la Logique des Nombres de la Geomeacutetrie qui font la connexion indubitable des ideacutees et les consequences immancables Les animaux ougrave ces consequences ne se remarquent point sont appelleacutes becirctes mais ceux qui connoissent ces veriteacutes necessaires sont proprement ceux qursquoon appelle Animaux Raisonnables et leurs Ames sont appelleacutees Esprits Ces Ames sont capables de faire des Actes reflexifs et de considerer ce qursquoon appelle Moy Substance Ame Esprit en un mot les choses et les veriteacutes immaterielles et crsquoest ce qui nous rend susceptibles des Sciences ou des connoissances demonstratives22

Le processus ldquoreacuteflexion-abstraction-possession des veacuteriteacutes universelle et eacuteternellesrdquo est encore tregraves fort mecircme dans les eacutecrits des anneacutees 1690 comme les Remarques lieacutees au Systegraveme nouveau ougrave Leibniz eacutecrit qursquoldquoon ne trouve pas que les Bestes fassent des reflexions qui constituent la raison et [donnent] les connoissance des veriteacutes 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 21 Leibniz Discours de metaphysique A VI4 sectsect 34-35 pp 1583-1584 Id Discours de metaphysique GP IV sectsect 34-35 pp 459-460 22 Leibniz Principes de la nature et de la gracircce eacuted par Robinet sect 5 pp 39-41 Id Principes de la Nature et de la Grace GP VI sect 5 pp 600-601

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necessaires ou des sciencesrdquo23 Le problegraveme naicirct de la neacutecessiteacute de comprendre les raisons pour

lesquelles les sectsect 29-30 de la Monadologie ne preacutesentent pas une simple variation sur le thegraveme mais un veacuteritable renversement de lrsquoordre du processus proposeacute dans les œuvres consideacutereacutees auparavant savoir lrsquoordre qui commence par la reacuteflexion et qui se termine par la possession des veacuteriteacutes eacuteternelles si nous utilisons lrsquoexpression ldquopsychogenegraveserdquo pour indiquer lrsquoapparition des concepts en tant que tels dans lesprit agrave partir de preacutecises perceptions concregravetes lrsquoordre nouveau que Leibniz propose dans la Monadologie peut ecirctre appeleacute ldquoanti-psychogeacuteneacutetiquerdquo (ou tout simplement a priori)

Examinons donc le texte des sectsect 29-30 (jrsquoai indiqueacute en le soulignant ce qui dans le texte relegraveve de lrsquoordre ldquoanti-psychogeacuteneacutetiquerdquo)

ldquosect 29 Mais la connoissance des veriteacutes necessaires et eacuteternelles est ce qui nous distingue des simples animaux et nous fait avoir la Raison et les Sciences en nous eacutelevant agrave la connoissance de nous-mecircme et de Dieu Et crsquoest ce quon appelle en nous Ame raisonnable ou Esprit sect30 Crsquoest aussi par la connoissance des veriteacutes necessaires et par leurs abstractions [] que nous sommes eacuteleveacutes aux Actes reflexifs qui nous font penser agrave ce qui srsquoappelle Moy et agrave consideacuterer que ceci ou cela est en nous et crsquoest ainsi qursquoen pensant agrave nous nous pensons agrave lrsquoEtre agrave la Substance au simple ou au composeacute agrave lrsquoimmateriel et agrave Dieu mecircme en concevant que ce qui est borneacute en nous est en lui sans bornes Et ces Actes reflexifs fournissent les objects principaux de nos raisonnemensrdquo24

Comme lrsquoon peut voir (et cela rend dautant plus inteacuteressants ces passages) la derniegravere proposition du sect 30 (souligneacutee par une ligne onduleacutee) montre que les deux ordres coexistent bien que lrsquoordre psychogeacuteneacutetique soit tregraves affaibli

Bien sucircr la composition du manuscrit comme Robinet le souligne dans son eacutedition critique des textes de 1714 a eu lieu en plusieurs eacutetapes et donc lrsquoon peut supposer que crsquoest une erreur qui na pas eacuteteacute amendeacutee par lrsquoAuteur toutefois lrsquoexamen des modifications faites dans le passage du premier brouillon agrave la deuxiegraveme copie B nous permet de dire que Leibniz semble deacutecideacute agrave adopter lapproche anti-psychogeacuteneacutetique au moyen des ajouts en marges qui vont dans ce sens Une fois rejeteacutee donc lrsquointerpreacutetation selon laquelle lrsquoinversion de 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 23 Leibniz Remarques sur les Objections de M Foucher GP IV c p 492 24 Leibniz Principes de la philosophie ou Monadologie eacuted par Robinet sectsect 29-30 p 87 Id Monadologie GP VI sectsect 29-30 pp 611-612

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lrsquoordre serait due agrave une faute ou une meacuteprise de Leibniz il srsquoagit de comprendre la raison vraisemblable de cela

Or agrave cette fin il ne faut pas oublier que les actes reacuteflexifs sont des actes cognitifs aperceptifs crsquoest-agrave-dire lieacutes agrave leacutemergence claire et distincte du sujet Cette connaissance bien qursquoimmeacutediate dans la mesure ougrave il y a clarteacute et distinction nrsquoa pas un statut sui generis par rapport au niveau intellectuel et conceptuel les actes reacuteflexifs sont un retour de lrsquoattention du sujet sur soi-mecircme qui en eacutetant clair et distinct agrave soi-mecircme se connaicirct gracircce au bagage des concepts a priori ou reacuteflexifs (le nisi intellectus ipse) qui paraissent avec le sujet et qui ne sont pas seulement la structure ontologique de ce dernier mais aussi la syntaxe logique et ontologique du reacuteel Crsquoest lagrave ce ldquobeaucouprdquo que le Moi affirme suivant le Discours de Metaphysique25 et qui nrsquoaurait jamais eacuteteacute prononceacute si le sujet nrsquoeacutetait caracteacuteriseacute par quelque chose de plus quelque chose qui est heacuteteacuterogegravene par rapport aux sens

Le passage suivant des Nouveaux Essais qui concerne la connaissance intuitive que le sujet a de sa propre existence ne doit pas nous induire en erreur

Lrsquoapperception immediate de nocirctre Existence et de nos penseacutees nous fournit les premieres veritez a posteriori ou de fait crsquoest agrave dire les premieres Experiences comme les propositions identiques contiennent les premieres veriteacutes a priori ou de Raison crsquoest agrave dire les premieres lumieres Les unes et les autres sont incapables drsquoetre prouveacutees et peuvent ecirctre appelleacutees immediates celles lagrave parce qursquoil y a immediation entre lrsquoentendement et son objet celles cy parce qursquoil y a immediation entre le sujet et le predicatum26

Les actes reacuteflexifs ne fournissent pas seulement en vertu de leur caractegravere intuitif des veacuteriteacutes premiegraveres de fait bien que du point de vue psychologique ce soit ce qui se passe (le cogito et les cogitata sont des contenus dont nous sommes immeacutediatement conscients agrave nous-mecircmes et dont nous sommes absolument sucircrs bien qursquoils eussent pu ecirctre de faccedilon pleinement diffeacuterente dans un autre des mondes possibles) en effet Leibniz parle expresseacutement dun lien entre les actes reacuteflexifs et les ldquoveriteacutes necessaires et eacuteternellesrdquo expression qui suggegravere qursquoil srsquoagit des veacuteriteacutes de raison vraies et

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valables dans tous les mondes possibles (et tels sont les concepts drsquouniteacute drsquoexistence de substance de Dieu etc qui sont indeacutependants des choix divins guideacutes par le principe du meilleur)

Ainsi lrsquoexpression selon laquelle la connaissance des veacuteriteacutes neacutecessaires et eacuteternelles ldquonous eacutelegraveve aux actes reacuteflexifsrdquo comme le dit Leibniz doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce sens preacutecis savoir quelle ldquonous permetrdquo de faire reacuteflexion qui est un genre de connaissance propre des esprits (le verbe ldquoeacuteleverrdquo sert pour indiquer le saut qualitatif au-delagrave de la condition ontologique des acircmes non raisonnables des brutes) Une reacuteflexion qui est lieacutee agrave la possession cognitive de certaines veacuteriteacutes non seulement parce que les actes reacuteflexifs ldquooffrentrdquo psychogeacuteneacutetiquement ldquoles principaux objets de nos penseacuteesrdquo (ce qui pourrait ecirctre appeleacute un ordo cognoscendi car les actes reacuteflexifs sont la ratio cognoscendi des veacuteriteacutes universelles crsquoest ce que Carraud dans lrsquoessai LrsquoInvention du moi appelle la ldquovoie eacutegologiquerdquo ou psychologique agrave la substance en geacuteneacuteral)27 mais aussi parce qursquoldquoen pensant agrave nousrdquo nous nous apercevonspensonsconnaissons comme ldquosubstancesrdquo ldquosimplesrdquo ldquoexistantsrdquo et donc nous ldquomettons en œuvrerdquo (excercimus de excercere) les choses ldquoquae in anima nostra gerunturrdquo (drsquoapregraves la deacutefinition de reflexio eacutecrite au deacutebut des anneacutees 1680 avant le Discours de meacutetaphysique)28 Agrave ce propos dans les Nouveaux Essais nous pouvons lire

Lrsquoideacutee de lrsquoecirctre du possible du Mecircme sont si bien inneacutees qursquoelles entrent dans toutes nos penseacutees et raisonnemens et je les regarde comme des choses essentielles agrave nostre esprit [hellip] Jrsquoay deacuteja dit que nous sommes pour ainsi dire inneacutes agrave nous mecircmes et puisque nous sommes des ecirctres lrsquoecircstre nous est inneacute et la connoissance de lrsquoecircstre est enveloppeacutee dans celle que nous avons de nous mecircmes Il y a quelque chose drsquoapprochant en drsquoautres notions generales29

La raison de la progressive preacutedominance de lrsquoordreattitude anti-psychogeacuteneacutetique peut donc reacutesider agrave mon avis dans lintention de souligner le rocircle de lrsquoordo essendi ou ratio essendi par rapport agrave ce qui srsquoeacutetait passeacute dans des œuvres anteacuterieures comme le Discours de meacutetaphysique (qui eacutetait ldquopeacutetrirdquo de psychologie carteacutesienne) et les Principes de la nature et de la gracircce (bien que composeacutes dans le

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mecircme laps de temps que la Monadologie) Peut-ecirctre la rencontre avec Locke avait accentueacute lrsquourgence pour le philosophe de Leipzig (a fortiori dans une œuvre comme la Monadologie qui radicalise lintention de a sensibus abducere le lecteur) de souligner la diffeacuterence entre les hommes et les animaux en tant que lieacutee agrave la raison qui nrsquoest pas seulement lentendement comme fonction cognitive-abstractive (qui reccediloit lrsquoexpeacuterience et lrsquoeacutelabore)

Sans eacuteliminer complegravetement la question de la psychogenegravese de son horizon speacuteculatif Leibniz cherche agrave contrebalancer le pouvoir excessif de la meacutethode psychologique lockienne et de la conception de lrsquoentendement humain comme une tabula rasa ou white paper qui en eacutetait le ldquocœurrdquo

4 Conclusion

Jrsquoai chercheacute agrave montrer que le terme apperception degraves sa premiegravere apparition dans les Nouveaux Essais subit une eacutevolution preacutecise crsquoest-agrave-dire que son signifieacute et son rocircle deviennent de plus en plus deacutefinis et qursquoagrave partir des Principes de la nature et de la gracircce il est utiliseacute en tant que terme technique pour indiquer la caracteacuteristique distinctive du statut ontologique et cognitif des esprits agrave lexclusion des animaux Le lien avec la capaciteacute de faire des actes reacuteflexifs (savoir de tourner lrsquoattention non sur lrsquoobjet ndash reacuteflexion au sens large du terme ndash mais sur le sujet) est essentiel lrsquoapperception ne signifie donc pas seulement connaissance de lrsquoobjet mais de lrsquoobjet en tant que connu par un sujet qui est preacutesent et manifeste agrave soi-mecircme et en vertu de la capaciteacute de agere in se ipsum ldquointroduitrdquo le monde de la raison et de la morale (et donc de la Gracircce) dans le monde de la nature

Or ces reacuteflexions ne sont pas seulement utiles pour la compreacutehension de la penseacutee de Leibniz mais puisqursquoelles clarifient le contexte dans lequel se deacuteveloppe la meacutetaphysique allemande du XVIIIegraveme siegravecle elles nous aident agrave deacuteterminer le signifieacute de ce que Wolff eacutecrit dans la Psychologia rationalis (17341) ougrave il sinterroge ldquoan bruta apperceptione gaudeantrdquo30 Bien sucircr comme Pimpinella lrsquoa souligneacute31 Wolff srsquoeacuteloigne de la prescription leibnizienne selon laquelle 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 30 Wolff 1972 sect 751 31 Voir Pimpinella 2005 pp 7-10 41-56

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lrsquoapperception est le trait distinctif des esprits par rapport aux acircmes des becirctes Toutefois dans le mecircme temps il semble avoir saisi le sens plus geacuteneacuteral eacutegalement leibnizien du terme apperception un signifieacute qui a une valeur mecircme dans les limites preacutecises de la perception sensorielle dun cadre global qui devient clair par rapport aux deacutetails dont il se compose32

Wolff veut souligner que si la conscience drsquoun contenu est lieacutee agrave la clarteacute et agrave la distinction du contenu en question alors mecircme les animaux apperceptione gaudent car ldquopatet enim quod sensu distinguant sensibiliardquo et ldquohabent adeo perceptiones partiales claras atque hinc totales distinctasrdquo Ainsi ils ont de la conscience en tant que conscience de lrsquoobjet

Il ne srsquoagit pas de lrsquoeacutemergencesion du sujet ou moi qui caracteacuterise lrsquoapperception humaine en tant que connaissance reacuteflexive et qui concerne mecircme dans ce cas la clarteacute des perceptions partielles agrave lrsquointeacuterieur drsquoune perception totale (mais il srsquoagit drsquoune clarteacute qui implique le sujet - puisqursquoil fait partie du ldquomoment perceptif complexerdquo capable de se distinguer a rebus perceptis)

Malgreacute la subtiliteacute de Wolff qui lui permet de ne pas perdre de vue la complexiteacute de la penseacutee de Leibniz nous sommes en preacutesence drsquoun processus qui pourrait ecirctre appeleacute ldquohomeacuteopathiquerdquo crsquoest-agrave-dire qui consiste agrave diluer le principe actif originaire Ce processus connaicirctre un moment important dans la penseacutee du wolffien Baumeister33 en effet si mecircme dans la cogitatio des animaux il y a une distinction entre sujet et objet (parce que cette distinction est un caractegravere de la cogitatio en soi et pour soi) et donc qursquoil y aait lagrave une sorte de ldquoreacuteflexiviteacuterdquo34 (qui eacutetait pour Leibniz et encore pour Wolff la caracteacuteristique particuliegravere des esprits)35

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que reste-t-il de lrsquooriginaire apperception leibnizienne

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Wolff Ch Psychologia rationalis methodo scientifica pertractata qua ea quaelig de anima humana indubia experientiaelig fide innotescunt per essentiam et naturam animaelig explicantur et ad intimiorem naturaelig ejusque autoris cognitionem profutura proponuntur [Frankfurt und Leipzig 1740] eacuted critique avec introduction notes et index par J Eacutecole en Id Gesammelte Werke II6 hrsg und bearb von J Eacutecole HW Arndt Ch A Corr J E Hofmann und M Thomann Hildesheim-Zuumlrich-New York Olms 1972

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Parmentier M Leibniz lecteur de Locke en F Duchesneau-J Griard (dir) Leibniz selon les Nouveaux Essais sur lrsquoentendement humain Montreacuteal-Paris Bellarmin-Vrin 2006 pp 11-18

Parmentier M Leibniz-Locke une intrigue philosophique Paris PUPS 2008 Pimpinella P Wolff e Baumgarten Studi di terminologia filosofica Firenze Olschki

2005 Poggi D Leibniz et Locke dans les Nouveaux Essais les animaux et lrsquohomme entre

identiteacute physique et identiteacute morale en H Breger-J Herbst-S Erdner (eds) Natur und Subjekt (Actes du IX Internationaler Leibniz-Kongress unter der Schirmherrschaft des Bundespraumlsidenten Leibniz-Universitaumlt Hannover 26 September-1 Oktober 2011) Vol 3 (de 3) Hannover Druckerei Hartmann 2011 pp 850-858

Poggi D Apperception appercevoir srsquoappercevoir de Eacutevolution drsquoun terme et drsquoune fonction cognitive ldquoLexicon Philosophicumrdquo 3 2015 pp 257-287

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ANSGAR LYSSY

AU-DELAgrave DE LA NATURE LES PRINCIPES DE LA GRAcircCE CHEZ LEIBNIZ

1 Introduction1

Les Principes de la Nature et de la Gracircce [titre abreacutegeacute en PNG] ont eacuteteacute eacutecrits en 1714 pour le prince Eugegravene de Savoie et conccedilus comme une introduction populaire agrave la meacutetaphysique de Leibniz Dans les dix-huit paragraphes des PNG Leibniz donne un exposeacute bref bien que systeacutematique de ses ideacutees philosophiques fondamentales Les PNG suivent une structure argumentative similaire agrave celle du Discours de Meacutetaphysique du Nouveau Systegraveme et de la Monadologie ces textes commencent tous avec une enquecircte sur la nature de la substance et de la reacutealiteacute laquelle est suivie (en ordre variable) par des remarques sur la nature des corps de lrsquoesprit des perceptions et de la relation entre le corps et lrsquoacircme enfin ils se terminent agrave chaque fois avec quelques remarques sur la Citeacute de Dieu

Le titre lui-mecircme indique deacutejagrave que Leibniz combine ici les ideacutees meacutetaphysiques et theacuteologiques au sein drsquoun systegraveme complet Dans cet article je veux simplement mrsquointerroger sur un aspect du titre choisi par Leibniz qui est eacutetonnant y a-t-il en effet des principes de la gracircce agrave proprement parler et si oui quels sont-ils Le titre semble faire allusion soit au De Natura et Gratia drsquoAugustin ou encore au Traiteacute de la Nature et de la Gracircce de Malebranche2 Cependant bien que le contexte historique soit certainement important pour le sujet de cette enquecircte en reconstruire ou discuter les influences historiques irait bien au-delagrave de la porteacutee de cet article Dans ce qui suit je veux plutocirct me concentrer sur les eacutecrits de Leibniz en particulier les PNG que je reacutesumerai pour faire voir comment la structure argumentative densemble nous megravene de la philosophie agrave la theacuteologie

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Leibniz a souligneacute ailleurs3 qursquoil commence comme philosophe et finit comme theacuteologien ce qursquoil ne manque pas non plus de rappeler dans ce texte pris dans leur ensemble les PNG peuvent ecirctre diviseacutes en quatre parties Leibniz remarque que la premiegravere partie (sectsect1-6) appartient agrave la scientia naturalis (ldquoJusqursquoici nous nrsquoavons parleacute qursquoen simples Physiciensrdquo4) et qursquoil se tourne ensuite vers la meacutetaphysique et le principe de raison suffisante (sectsect 7-10) Cela le conduit agrave la doctrine des deux royaumes les causes efficientes sont deacutetermineacutees par le principe de raison suffisante et par les principes de la meacutecanique alors que les causes finales sont agrave leur tour deacutetermineacutees par le ldquoprincipe de la convenance crsquoest-agrave-dire du choix de la sagesserdquo (sect 11)5 Les paragraphes suivants traitent plutocirct de la relation entre la creacuteation et le Creacuteateur et peuvent donc constituer une theacuteologie philosophique Mais ce nrsquoest que la derniegravere section qui aborde les questions theacuteologiques proprement dites par exemple la communauteacute entre les esprits et Dieu ou lrsquoamour divin (sectsect 15-18)

La transition de la meacutetaphysique ou de la theacuteologie philosophique agrave la theacuteologie proprement dite est marqueacutee par une conception de la dimension normative de lrsquoontologie crsquoest notre capaciteacute humaine de comprendre dans une certaine mesure les principes de la nature et de la creacuteation et donc drsquoimiter Dieu dans nos actions qui nous permet de devenir une partie du royaume divin

crsquoest-agrave-dire du plus parfait eacutetat formeacute et gouverneacute par le plus grand et le meilleur des monarques ougrave il nrsquoy a point de crime sans chacirctiment point de bonnes actions sans reacutecompense proportionneacutee et enfin autant de vertu et de bonheur qursquoil est possible6

Les derniers paragraphes traitent de la justice et du bonheur dans cet eacutetat futur Leibniz souligne que crsquoest la nature elle-mecircme qui nous conduit agrave la gracircce et que crsquoest au sein de ce domaine que nous allons trouver la justice lrsquoamour le bonheur lrsquoharmonie et le plaisir estheacutetique Il semble plausible de supposer que ce royaume de la 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 3 ldquoJe commence en philosophe mais je finis en theacuteologien un de mes grands principes est que rien ne se fait sans raison crsquoest un principe de philosophie Cependant dans le fond ce nrsquoest autre chose que lrsquoaveu de la sagesse divine quoique je nrsquoen parle pas drsquoabordrdquo Die Leibnizhandschriften der Koumlniglichen oumlffentlichen Bibliothek zu Hannover ed par Eduard Bodemann Hannover 1895 Reprint Hildesheim 1966 p 58 4 GP VI 602 5 PNG sect 11 6 PNG sect 15

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gracircce qui constitue le cœur de lrsquooptimisme leibnizien est gouverneacute par les principes de la gracircce dont le titre des PNG fait mention

Ceci reflegravete eacutegalement la rupture qursquointroduit Leibniz (ou sa reacuteinterpreacutetation) avec la tradition theacuteologique on oppose depuis lrsquoAntiquiteacute la gracircce avec la nature Pour Augustin la nature est sans importance pour nous ndash elle pourrait mecircme constituer un obstacle pour notre salut ndash et la gracircce seule deacutetermine notre destin pour Thomas drsquoAquin et pour beaucoup de ses disciples lrsquoideacutee que ldquola gracircce ne supprime pas la nature mais la perfectionnerdquo (gratia naturam non tollit sed perficit) est devenue une formule bien connue7 Malebranche va encore plus loin en juxtaposant les lois surnaturelles de Dieu de la gracircce et les lois de la nature

Mais quels sont exactement les principes de la gracircce et comment sont-ils lieacutes aux principes de la nature Sont-ils les mecircmes principes ou bien des principes diffeacuterents Il srsquoagit ici drsquoun terme que Leibniz nrsquoutilise pas freacutequemment en fait je nrsquoai trouveacute qursquoune seule autre occurrence dans lrsquoœuvre de Leibniz dans laquelle il se reacutefegravere agrave Bayle et non pas agrave ses propres ideacutees8 Lrsquoexpression latine correspondante principium gratiae nrsquoest pas non plus un terme theacuteologique habituel ni dans la tradition ni dans lrsquoœuvre de Leibniz9 Les recherches de Gerhardt nous montrent bien que Leibniz a choisi le titre par lui-mecircme10 si bien que cette unique occurrence du terme meacuterite agrave notre avis une recherche agrave part entiegravere Dans les PNG Leibniz ne deacutefinit malheureusement pas les notions de principe ou de gracircce et il nrsquoexplique pas non plus le contraste entre la nature et la gracircce Degraves lors nous avons besoin de contextualiser ces termes fondamentaux par rapport agrave leur usage dans drsquoautres eacutecrits avant de

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pouvoir donner un sens au titre des PNG Mais je voudrais tout drsquoabord esquisser certains problegravemes immeacutediats avec le titre

Premiegraverement le titre laisse la question ouverte de savoir si Leibniz fait allusion agrave deux types de principes diffeacuterents gouvernant chacun leur propre ensemble drsquoobjets ndash principes de la nature et principes de la gracircce ndash ou plutocirct agrave un seul type de principe gouvernant deux types diffeacuterents drsquoentiteacutes ndash principes de la nature et gracircce La premiegravere interpreacutetation peut ecirctre appeleacutee ldquodualisterdquo la deuxiegraveme suppose lrsquouniteacute sous un ldquodouble aspectrdquo

Deuxiegravemement comment pourrions-nous comprendre lrsquoideacutee qursquoil y a des principes de la gracircce Cette question touche agrave la nature de la relation entre lrsquointelligence et la volonteacute divines Historiquement on trouve une tension entre les conceptions qui mettent lrsquoaccent sur le rocircle de lrsquointelligence divine plutocirct que sur la volonteacute divine ou vice versa Drsquoune part Dieu a mis en place les ldquoregraveglesrdquo pour la morale et le salut dans la reacuteveacutelation et ceux qui suivent sa parole seront sauveacutes Ce sont les ldquoregraveglesrdquo du christianisme puisque celles-ci sont intelligibles et raisonnables on peut dire qursquoelles sont fondeacutees sur lrsquointelligence divine Drsquoautre part Dieu est le souverain absolu sur la creacuteation si bien quil nest contraint agrave des ldquoregraveglesrdquo que par sa propre deacutecision laquelle est absolument libre

Selon cette derniegravere interpreacutetation tous les actes de la gracircce sont fondeacutes sur la volonteacute divine Leibniz accepte ce preacutesupposeacute theacuteologique selon lequel Dieu dispense sa gracircce en toute liberteacute et sans aucune contrainte Mais il indique clairement ndash dans le titre des PNG notamment ndash que tous les principes quels qursquoils soient sont ldquofondeacutes en raisonrdquo Il semble donc clair que crsquoest lrsquoesprit et non la volonteacute qui deacutetermine les principes supeacuterieurs Les questions particuliegraveres souleveacutees par cette approche agrave savoir comment concevoir la liberteacute absolue de Dieu lui-mecircme sont traiteacutees dans la Theacuteodiceacutee si bien qursquoelles ne seront pas discuteacutees ici11 Il est eacutevident que Dieu ne suit pas aveugleacutement un ensemble de principes supeacuterieurs et invariables car cela reviendrait agrave nier sa liberteacute absolue mais alors comment devrions-nous comprendre les principes de la gracircce

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2 Qursquoest-ce qursquoun principe

Grosso modo Leibniz conccediloit les principes agrave la fois comme les fondements ou les sources de la connaissance et comme des entiteacutes meacutetaphysiques actives Cette deacutefinition a un caractegravere aristoteacutelicien dans la mesure ougrave les principes sont conccedilus agrave la maniegravere du concept drsquoarchegrave En effet les principes deacuteterminent autant les raisons que les causes au moins dans les eacutecrits leibniziens anteacuterieurs aux anneacutees 1690 Ainsi le fondement ultime de lrsquoexplication ainsi que de lrsquoexistence peut ecirctre un principe En ce sens la notion de principe est chez Leibniz eacutetroitement lieacutee agrave celle du systegraveme Un systegraveme de connaissance est un ensemble hieacuterarchiseacute de propositions fondeacute sur des principes eacutevidents qui servent drsquoaxiomata ou de ldquoveacuteriteacutes primitivesrdquo12 Un groupe de regravegles logiques nous permet de deacuteduire les propositions subordonneacutees des principes fondamentaux La meacutetaphysique est alors deacutefinie comme un ldquosystema theorematumrdquo13 et quand Leibniz eacutevoque la meacutetaphysique comme source ou fondement de la meacutecanique il fait aussi allusion aux principes de la meacutecanique lesquels sont fondeacutes sur des principes supeacuterieurs Neacuteanmoins les doctrines theacuteologiques peuvent aussi ecirctre formuleacutees dans un systegraveme14

Bien que les humains se forgent un systegraveme provisoire de la connaissance humaine il y a un systegraveme deacutefini et parfait de la vraie connaissance dans lrsquoesprit de Dieu qui est identique agrave la veacuteriteacute elle-mecircme15 Au moyen de lrsquoanalogie de ldquocausa sive ratiordquo Leibniz preacutesuppose que ce systegraveme de connaissance correspond agrave un ldquosystema mundirdquo Ainsi les acircmes peuvent agir comme des principes de lrsquoindividu et mecircme les monades sont conccedilues comme des principes drsquouniteacute substantielle16 ou principes de vie17

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En geacuteneacuteral Leibniz ne preacutesente ndash au moins dans le contexte de la meacutetaphysique ndash que deux ldquogrands principesrdquo le principe de neacutecessiteacute18 (ou le principe de non-contradiction) et le principe de raison suffisante Les veacuteriteacutes de la logique et de la matheacutematique sont fondeacutees sur le principe de neacutecessiteacute et le principe de lrsquoidentiteacute des indiscernables tandis que les veacuteriteacutes contingentes et factuelles exigent le principe de raison suffisante Leibniz remarque que la phrase de Descartes ldquoJe pense donc je suisrdquo nrsquoest pas un principe propre de la raison mais plutocirct une veacuteriteacute de fait19 Les principes primordiaux ne peuvent pas ecirctre trouveacutes dans lrsquoexpeacuterience mais on peut les deacutecouvrir par la reacuteflexion philosophique20

Comme crsquoest souvent le cas avec le concept de rationaliteacute les principes impliquent aussi chez Leibniz une dimension normative Ceci est eacutevident degraves lors que Leibniz identifie le principe de raison suffisante au principe ldquoreddendae rationisrdquo ce qui implique au moins une exigence normative de la rationaliteacute elle-mecircme ldquoIl faut donner des raisonsrdquo Ainsi le principe du meilleur selon lequel Dieu choisit le meilleur pour ce monde et donc le meilleur de tous les mondes possibles est lrsquoexpression du type speacutecifique de neacutecessiteacute morale qui deacutetermine tous les contingents Ce principe du meilleur nous permet ainsi de comprendre le monde en termes de qualiteacutes morales Il y a un passage drsquoune premiegravere esquisse du Systegraveme nouveau dans lequel Leibniz associe ce lien avec un principe speacutecifique

La consideacuteration du bien ou de la cause finale quoiqursquoil y ait quelque chose de moral est encor utilement employeacutee dans les explications des choses naturelles puisque lrsquoauteur de la nature agit par le principe de lrsquoordre et de la perfection21

Cette formulation drsquoun principe de lrsquoordre et de la perfection (Leibniz utilise ici le singulier ) est assez similaire aux principes de la nature et de la gracircce ndash la perfection est neacutecessairement coupleacutee agrave la gracircce agrave deacutefaut de quoi nous vivrions dans un monde particuliegraverement injuste Bien sucircr le concept de nature est eacutetroitement lieacute avec la notion drsquoordre Cela pourrait conduire agrave favoriser la lecture du ldquodouble aspectrdquo mentionneacutee ci-dessus toutefois Leibniz rejette cette partie

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de lesquisse du Systegraveme Nouveau et on ne retrouve aucune formulation similaire drsquoun tel principe de lrsquoordre et de la perfection dans la version publieacutee

Dans le contexte plus large de sa philosophie il y a beaucoup drsquoautres principes Si nous consideacuterons uniquement les PNG nous trouvons le principe du changement le principe drsquouniciteacute les principes de vie22 qui sont tous des principes de la nature et aussi le ldquoprincipe de la convenance cest-agrave-dire du choix de la sagesserdquo 23 Dans la Monadologie ce dernier est identifieacute au principe du meilleur et on peut supposer que crsquoest lrsquoun des principes de la gracircce puisque Leibniz affirme souvent quun monde injuste un monde dans lequel les peacutecheurs restent impunis serait contraire au principe du meilleur

Il est important de noter pourquoi et comment Leibniz introduit le principe de la convenance Il souligne que la philosophie naturelle de ses contemporains ne reacuteussit pas agrave expliquer pourquoi les lois fondamentales de la physique sont des lois en tout premier lieu La neacutecessiteacute des veacuteriteacutes logiques arithmeacutetiques et geacuteomeacutetriques peut ecirctre expliqueacutee par des raisons logiques si bien que leur veacuteriteacute est fondeacutee dans lrsquointellect divin On ne peut rendre raison de la facticiteacute contingente de lrsquoordre et de lrsquoharmonie que par les causes finales lesquelles sont finalement ancreacutees dans la volonteacute divine Lrsquoontologie geacuteneacuterale elle-mecircme doit ecirctre expliqueacutee diffeacuteremment des questions concernant les ecirctres singuliers Drsquoailleurs la question de savoir pourquoi il y a quelque chose plutocirct que rien est en soi une question morale parce qursquoelle nrsquoa de sens que si nous supposons que lrsquoexistence est intrinsegravequement deacutesirable et bonne En conseacutequence on pourrait dire que les principes de la gracircce ne traitent pas de la question de savoir si quelque chose de bon ou de mauvais arrive dans un cas particulier mais plutocirct srsquoil y a une dimension morale ou normative dans la creacuteation elle-mecircme et la faccedilon dont elle est structureacutee Cette dimension morale se reflegravete dans la structure de la reacutecompense et de la punition agrave lrsquooccasion Leibniz appelle cela lrsquoeacuteconomie de la gracircce24

Au paragraphe 15 des PNG Leibniz propose une analogie concernant la relation entre le royaume de la nature et le royaume de

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la gracircce dans lrsquoun Dieu agit comme un architecte dans lrsquoautre comme un monarque Cette analogie suggegravere une lecture dualiste les principes de la creacuteation ne sont pas les mecircmes que ceux de la gouvernance Cest du moins linterpreacutetation que je proposerai dans les deux prochaines sections

3 Qursquoest-ce que la Gracircce

Dans la tradition chreacutetienne la gracircce est geacuteneacuteralement comprise comme la volonteacute divine de sauver les ecirctres humains de leurs peacutecheacutes et de la damnation eacuteternelle Puisque les ecirctres humains ont eacuteteacute deacutechus par le peacutecheacute originel ils ne meacuteritent pas la gracircce de Dieu ldquoLa gracircce est un bien qursquoon fait agrave ceux qui ne lrsquoont point meacuteriteacute et qui se trouvent dans un eacutetat ougrave ils en ont besoinrdquo25 Mais les ecirctres humains peuvent ecirctre sauveacutes par la gracircce laquelle est lrsquoexpression de lrsquoamour que Dieu a pour les humains et de sa bienveillance eacuteternelle laquelle srsquoest manifesteacutee ou incarneacutee en Jeacutesus-Christ En ce sens la gracircce elle-mecircme est le premier ldquoprincipe actifrdquo concernant les ldquoactions pieusesrdquo26 Lrsquoamour divin nous conduit activement au salut si bien que la damnation ne reacutesulte que de notre reacutesistance active agrave cet amour En effet Dieu et les hommes ont les mecircmes raisons et le mecircme concept de justice selon lequel il faut promouvoir la perfection et srsquoefforcer pour le mieux27

On sait que Leibniz soutient qursquoil y a une harmonie preacuteeacutetablie entre le royaume de la nature et le royaume de la gracircce28 Cela le conduit agrave admettre que ldquola nature megravene agrave la gracircce et que la gracircce perfectionne la nature en srsquoen servantrdquo29 Bien sucircr pour ce faire on a besoin de supposer que les principes de la nature et de la gracircce ne srsquoopposent pas mais se complegravetent plutocirct mutuellement Leibniz soutient que Dieu nrsquointervient pas dans le cours de la nature pour punir ses creacuteatures mais que la nature est dirigeacutee de maniegravere agrave ce

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que toute peine soit conforme agrave lrsquoordre des choses Lrsquoharmonie entre la nature et la gracircce est conccedilue de telle sorte que la punition soit produite par des processus purement naturels30

Leibniz suppose tout comme Thomas drsquoAquin (par exemple) que la nature humaine est dirigeacutee vers la gracircce toutefois il ne va pas aussi loin que Thomas en supposant que les ecirctres humains deacutependent de la gracircce divine pour srsquoefforcer vers le bien du moins pas directement Il suit neacuteanmoins du raisonnement preacuteceacutedent que lrsquoexistence mecircme des ecirctres humains (ou lrsquoexistence du monde en geacuteneacuteral) deacutepend de la gracircce de Dieu Crsquoest dans un sens le prix que nous devons payer pour notre existence lrsquohomme ne peut pas ecirctre parfait seul Dieu peut lecirctre La source du mal en ce monde nrsquoest pas fondeacutee sur la volonteacute de Dieu car Dieu ne veut que le meilleur Le mal est plutocirct fondeacute sur la neacutecessiteacute logique selon laquelle Dieu ne peut pas creacuteer un monde absolument parfait sans se deacutedoubler

Quand Leibniz parle de la gracircce crsquoest surtout dans le contexte de discussions sur la liberteacute et la preacutedeacutetermination souvent en opposition agrave un deacutebat tregraves speacutecifique de son temps le theacuteologien jeacutesuite Luis de Molina avait souligneacute que la gracircce et la liberteacute humaines nrsquoentrent pas en conflit lrsquoune avec lrsquoautre Selon Molina la connaissance de Dieu ninclut pas seulement toute la reacutealiteacute mais aussi tous les futurs contingents cest-agrave-dire tout ce qui va se produire et ce non par neacutecessiteacute mais plutocirct en vertu de la volonteacute de Dieu Mecircme si la deacutecision divine de sauver ou de condamner un seul homme preacutecegravede toute action humaine cette gracircce efficace (gratia efficax) deacutepend des actions et des intentions de lrsquohomme Dans la scientia media des futurs contingents Dieu connaicirct deacutejagrave quels humains se conformeront agrave sa volonteacute crsquoest-agrave-dire qursquoil connaicirct deacutejagrave ceux qui se conforment agrave sa volonteacute et qursquoil peut sauver Pourtant les humains ont encore besoin drsquoagir par eux-mecircmes en accord avec la gracircce Mecircme si Dieu sait ce qui arrivera la volonteacute libre des hommes et leur liberteacute drsquoaction sont encore neacutecessaires pour leur salut

Leibniz critique certaines positions de Molina dans ce deacutebat31 Son principe drsquoidentiteacute reacutefute lrsquoideacutee de deux choix possibles qui seraient absolument eacutegaux Sa theacuteorie des mondes possibles permet 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 30 Voir par exemple Monadologie sect 88 et PNG sect 15 31 Voir Greenberg 2005 pp 217-233

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ainsi de reformuler lrsquoideacutee des futurs contingents dans un cadre strict de modaliteacutes Le principe de raison suffisante est alors utiliseacute contre lrsquoideacutee drsquoune pure indiffeacuterence de la volonteacute une volonteacute vraiment indiffeacuterente ne serait pas du tout une volonteacute raisonnable une volonteacute propre mais plutocirct une reacuteaction arbitraire ou instinctive Puisque toutes les raisons de lrsquoexistence sont fondeacutees en Dieu tous les ecirctres agissent avec le concours de Dieu mais le pouvoir drsquoagir est fondeacute sur les forces qui reacutesident dans les creacuteatures cest-agrave-dire les substances Degraves lors Dieu peut seulement preacutevoir ce agrave quoi la creacuteature est inclineacutee soit par instinct soit par raison La preacutevision divine ne contient aucune action qui deacutecoulerait de la deacutetermination neacutecessaire puisque de tels actes sont impossibles seules les actions qui deacutecoulent de lrsquoinclination peuvent ecirctre preacutevues32 La liberteacute humaine inclut la possibiliteacute de deacutesobeacuteir aux deacutecrets de Dieu ndash de sorte que la liberteacute humaine est neacutecessaire au salut

Si la dispensatio de la gracircce suivait seulement et immeacutediatement quelques lois quelles soient de la nature ou de la gracircce nous pourrions interagir causalement ndash ou au moins diriger notre volonteacute Ainsi nous pourrions causer notre propre salut de sorte que Dieu devrait neacutecessairement nous sauver en vertu de nos actions Or cela est eacutevidemment absurde pour Leibniz Au contraire il insiste sur le fait que les produits naturels sont des dons de Dieu fondeacutes sur la liberteacute absolue Ils font partie de ce qui eacutemane (ldquocoulerdquo) des perfections de Dieu qui est la ldquosourcerdquo de toutes les perfections Prenons par exemple ce passage de la Dissertation sur la preacutedestination et Gracircce eacutecrite en 1701 et reacuteviseacutee en 1706

On dit tregraves justement que tout bien est uniquement ducirc agrave la gracircce divine Par ce moyen nous comprenons sous ce nom de la gracircce divine tous les bienfaits de Dieu et nous regardons la gracircce comme nous eacutetant dispenseacutee [collatam] aussi bien par la voie naturelle ou ordinaire que par la voie extraordinaire et miraculeuse En effet les biens naturels ne sont pas moins des dons de Dieu que les dons spirituels et toute perfection deacutecoule de la source divine33

Nous pouvons comprendre cela comme une causaliteacute de type neacuteo-platonicien ou eacutemanative au moyen de laquelle les biens agrave la fois

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physiques et spirituels sont reacutealiseacutes On peut dire meacutetaphoriquement que cette causaliteacute eacutemanative se trouve dans un rapport ldquoverticalrdquo avec la causaliteacute efficiente du monde physique dans la mesure ougrave cet ldquoeacutecoulementrdquo est une fondation non-temporelle de toutes les choses dans Dieu On peut donc dire que la gracircce deacutecoule (bien que diffeacuteremment) agrave la fois de moyens naturels et divins et quelle est par le fait-mecircme fondeacutee dans nos actions et dans la volonteacute divine

Il faut neacuteanmoins souligner que les sources textuelles ne sont pas univoques agrave ce sujet En effet dans une lettre au Landgraf Ernst Leibniz eacutecrit ceci ldquoComme je crois qursquoil est faux de dire que toutes [] les gracircces sont naturelles je crois qursquoil nrsquoest pas moins faux de soutenir qursquoelles sont toutes miraculeusesrdquo34 Degraves lors nous ne pouvons pas affirmer que tous les actes de gracircce sont agrave la fois naturels et miraculeux

Il est bien possible que Leibniz ait subtilement changeacute son avis entre 1691 et 170106 Nous savons qursquoil a longuement reacutefleacutechi agrave la question de la preacutedestination durant ces anneacutees ndash prenons pour exemple son manuscrit du Unvorgreiffliches Bedencken (ca 1697-98) qui traite cette question abondamment et qui a eacuteteacute retravailleacute agrave plusieurs reprises en profondeur Si cette voie est possible nous pouvons tout aussi bien essayer de lire les deux deacuteclarations ensemble comme autant daffirmations visant agrave soutenir que la gracircce peut ecirctre naturelle etou miraculeuse mais qursquoelle ne sera pas toujours les deux en mecircme temps Il est bien connu que Leibniz croit en lrsquoexistence de miracles35 par exemple des propheacuteties Or ces miracles ne se conforment pas aux lois speacutecifiques de la physique qui ne sont que des principes heuristiques faits par les humains Degraves lors puisque Dieu nrsquointervient pas dans le cours du monde les miracles sont deacutejagrave inteacutegreacutes dans lrsquoordre geacuteneacuteral du monde Cependant mecircme sils sont incorporeacutes dans lrsquoordre de la nature leur explication ne se reacutefeacuterera pas agrave la chaicircne des eacuteveacutenements naturels mais plutocirct agrave un acte de Dieu

Leibniz en accord avec plusieurs de ses contemporains distingue aussi entre les diffeacuterents types de gracircce bien qursquoil ne se serve pas toujours des mecircmes distinctions Par exemple dans un

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texte intituleacute De Libertate Fato Gratia Dei (1686-1687 []) on trouve une distinction entre la gracircce suffisante la gracircce efficace et la gracircce de perseacuteveacuterer qui semble ecirctre inspireacutee drsquoAugustin Ici Leibniz deacutecrit les diffeacuterentes voies de Dieu qui influence sa bienveillance envers les creacuteatures La gracircce suffisante est communiqueacutee par Jeacutesus Christ dans la mesure ougrave il repreacutesente lrsquohomme ideacuteal ce nest quen suivant son exemple que lhumain peut atteindre le salut La gracircce efficace est ainsi directement dispenseacutee par Dieu qui au moyen de lrsquoexemple du Christ dirige efficacement et infailliblement notre volonteacute vers le salut (qui est infaillible mais pas irreacutesistible36) La gracircce de perseacuteveacuterer est quant agrave elle distribueacutee au cours du temps parfois pour renforcer ceux qui srsquoaccordent deacutejagrave avec la volonteacute divine parfois pour aider ceux qui nrsquoy parviennent pas de sorte qursquoil semble ldquoqursquoaucune regravegle preacutecise nrsquoest observeacutee ou bien [que] srsquoil y en a une elle ne semble guegravere conforme agrave lrsquoeacutequiteacuterdquo37

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Mais comme dans le cas de ses eacutecrits meacutetaphysiques Leibniz adapte son vocabulaire en fonction de son interlocuteur Crsquoest pourquoi il utilise tantocirct les termes de la gracircce objective tantocirct ceux de la gracircce subjective Dieu offre la gracircce objective agrave tous les humains Celle-ci est une forme geacuteneacuterale de la gracircce se rapportant agrave tous les ecirctres humains Mais il leur offre aussi la gracircce subjective ce qui est assez speacutecifique et vient agrave des degreacutes divers selon la reacutesistance de lindividu devant les deacutecrets divins Consideacuterons ce passage de la Theacuteodiceacutee sect30

Comparons maintenant la force que le courant exerce sur les bateaux et qursquoil leur communique avec lrsquoaction de Dieu qui produit et conserve ce qursquoil y a de positif dans les creacuteatures et leur donne de la perfection de lrsquoecirctre et de la force comparons dis-je lrsquoinertie de la matiegravere avec lrsquoimperfection naturelle des creacuteatures et la lenteur du bateau chargeacute avec le deacutefaut qui se trouve dans les qualiteacutes et dans lrsquoaction de la creacuteature et nous trouverons qursquoil nrsquoy a rien de si juste que cette comparaison Le courant est la cause du mouvement du bateau mais non pas de son retardement Dieu est la cause de la perfection dans la nature et dans les actions de la creacuteature mais la limitation de la reacuteceptiviteacute de la creacuteature est la cause des deacutefauts qursquoil y a dans son action38

Le fait drsquoavoir quelques perfections comme lrsquoexistence est le reacutesultat drsquoun acte de gracircce objectif qursquoon peut illustrer par la lenteur naturelle drsquoun courant drsquoeau la gracircce subjective est en revanche la vitesse reacuteelle du bateau laquelle ne peut jamais ecirctre celle de la riviegravere et ce en raison de lrsquoinertie naturelle et des qualiteacutes speacutecifiques Leibniz utilise ces distinctions pour montrer comment le mal est fondeacute dans la nature humaine et non inseacutereacute en elle par un deacutecret divin ndash cela dit agrave notre connaissance il ne deacutefinit jamais explicitement les principes fondamentaux des diffeacuterents types de gracircce Comme Leibniz ne reprend pas ces distinctions dans les PNG il est difficile de dire si les principes de la gracircce peuvent srsquoappliquer agrave tous les types de gracircce et dans quelle mesure

Nous avons deacutejagrave mentionneacute lrsquoideacutee selon laquelle la gracircce peut ecirctre distribueacutee par des miracles ou apparaicirctre en eux Cet aspect relegraveve drsquoune limitation eacutepisteacutemique plus profonde nous ne pouvons ni percevoir ni comprendre la gracircce comme telle Puisque la gracircce ne fait pas partie immanente de la nature lhomme ne dispose pas de moyens rationnels pour en rendre compte ndash lrsquoeacuteconomie de la gracircce avec ses moyens naturels est mysteacuterieuse comme un ldquoarcanerdquo si 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 38 Voir Backus 2012 p 78

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bien qursquoil srsquoagit de ldquoquelque chose drsquoabsolurdquo39 Elle nest pas fondeacutee sur quelque chose drsquoexteacuterieur mais sur elle-mecircme Cela signifie que nous ne pouvons jamais connaicirctre notre destin ce que nous pouvons espeacuterer pour nous-mecircmes reposera en fin de compte sur un acte de foi

Comme la gracircce ne se fonde pas sur lrsquointellect seul mais aussi sur la volonteacute qui est agrave son tour deacutetermineacutee par lrsquointellect la gracircce ne suit pas la simple neacutecessiteacute logique Cependant comme toutes nos actions sont fondeacutees sur des inclinations et non sur des deacuteterminations neacutecessaires aucun acte drsquoune volonteacute libre ne peut ineacutevitablement susciter la gracircce divine tout comme la gracircce ne peut deacutependre drsquoune action speacutecifique Alors que Dieu utilise la gracircce pour eacuteclairer lrsquointelligence et pour guider la volonteacute40 une volonteacute libre mais malveillante peut entraver la dispensation de la gracircce et nous conduire agrave la damnation eacuteternelle Leibniz nrsquoest pas en accord avec lrsquoaffirmation optimiste de Paul selon laquelle la gracircce est toujours victorieuse41 Qui plus est il est aussi en deacutesaccord avec lrsquohypothegravese de Calvin qui stipule que la gracircce nous conduira ineacutevitablement au salut ndash nous pouvons reacutesister agrave la gracircce en succombant agrave la tentation ou en dirigeant notre volonteacute loin du bien Mais la gracircce ne deacutepend pas uniquement de la volonteacute humaine si la gracircce est victorieuse elle est toujours accompagneacutee de moyens exteacuterieurs42 qui dans ce contexte renvoient agrave la reacuteveacutelation divine et agrave la justice de reacutetribution naturelle 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 39 Dissertation on Predestination and Grace sect 30a p 101 (ldquoLrsquoeacuteconomie ou la dispensation des moyens externes de la gracircce enveloppe quelque chose de secret et mecircme drsquoabsolu si on le rapporte aux raisons connuesrdquo trad Lalanne op cit p 904) Voir Dissertation on Predestination and Grace sect 9d p 61 ldquoDu reste lrsquoeacuteconomie des deacutecrets divins concernant le salut est telle qursquoelle ne peut ecirctre reacuteduite agrave aucune regravegle geacuteneacuterale pour nousrdquo (Lalanne op cit p 844) De mecircme ldquoGott habe durch dieses Mittel einen weg gebahnet zu der dispensation seines heiligen und verborgenen [] willens krafft deszligen einige seiner creaturen stehen und im stande der gnaden verharren andere fallen und wieder aufstehen die ubrige fallen und nicht wieder aufstehen sondern in der verdamniszlig bleiben muumlszligenrdquo (Unvorgreiffliches Bedencken A IV 7 480 ldquoDieu a indiqueacute par ce moyen une voie pour dispenser sa volonteacute sainte et cacheacutee sa force dont quelques-unes de ses creacuteatures beacuteneacuteficient et disposent en eacutetat de gracircce et dont drsquoautres manquent puis beacuteneacuteficient agrave nouveau et dont drsquoautres manquent sans en beacuteneacuteficier agrave nouveau et mecircme devant rester dans la damnationrdquo trad A Lalanne) 40 Dissertation on Predestination and Grace sect 34a p 109 (ldquoOr la gracircce interne est double lumiegravere dans lrsquoentendement inclination dans la volonteacuterdquo Lalanne op cit p 914) Voir eacutegalement Unvorgreiffliches Bedencken A IV 7 p 517 41 Dissertation on Predestination and Grace sect 34a p 109 42 Ibidem sect 36c p 113 (voir Lalanne op cit p 919)

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En somme la gracircce est lieacutee agrave la justice divine mais elle ne lui est pas identique ndash elle est plutocirct lrsquoapplication de la justice divine agrave notre nature individuelle et par conseacutequent au caractegravere moral de la nature elle-mecircme dans laquelle la peine est produite par des moyens naturels Mecircme srsquoil nrsquoy a de gracircce que lorsquelle est fondeacutee sur la volonteacute divine cela ne suffit pas pour notre salut autant la bonne volonteacute de lrsquohomme que la bienveillance divine sont neacutecessaires pour la gracircce et le salut Il nrsquoexiste pas un ensemble de regravegles au moyen desquelles nous pourrions deacuteterminer notre gracircce et il nrsquoy a aucune chose singuliegravere excepteacutee lrsquointervention divine qui puisse nous conduire infailliblement agrave la gracircce En raison de nos limites ndash ou agrave cause du peacutecheacute originel ndash nous ne gagnons ni meacuteritons la gracircce La gracircce ne nous est pas donneacutee agrave cause de notre volonteacute bonne mais agrave cause de lrsquoamour divin pour toutes les creacuteatures et ce malgreacute notre propre nature neacutecessairement faillible En fait les actes individuels de gracircce nous eacutechappent Les hommes agiront toujours en fonction de leur caractegravere et on peut donc preacutesumer que la gracircce de Dieu sera conforme agrave notre caractegravere Toutefois cela tombe dans le domaine de la foi et non de la connaissance

Je crois donc (puisque nous ne savons pas combien ou comment Dieu a eacutegard aux dispositions naturelles dans la dispensation de la gracircce) que le plus exact et le plus sucircr est de dire [] qursquoil a plu agrave Dieu de la choisir parmi une infiniteacute drsquoautres personnes eacutegalement possibles []43

4 Les principes de la nature et de la gracircce

Alors quels sont les principes de la gracircce et comment ce mysteacuterieux plan cacheacute de Dieu se rapporte-t-il au domaine de la nature Au sect13 du Discours de Meacutetaphysique Leibniz souligne que les plans de Dieu sont ldquo des ordres tregraves particuliers de Dieurdquo crsquoest-agrave-dire qursquoils visent les individus et qursquoils sont miraculeux44 On doit comprendre le miracle de la gracircce et la ldquo particulariteacuterdquo du plan de Dieu comme les deux faces drsquoune mecircme meacutedaille Ainsi alors que les principes de la nature sont ndash dans ce monde contingent ndash universellement valables

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pour tous les ecirctres les principes de la gracircce ne sont en revanche valables que pour les individus

Ni la volonteacute de Dieu ni sa gracircce ne sauraient ecirctre arbitraires Cependant mecircme si elles touchent tous les ecirctres humains diffeacuteremment conformeacutement agrave leurs actions ou agrave leur volonteacute la gracircce de Dieu nrsquoest pas fondeacutee sur quelque chose drsquoexteacuterieur Au contraire chaque acte de gracircce et chaque bien spirituel a son fondement dans lrsquoun des deacutecrets de Dieu Hypotheacutetiquement si nous comprenons la gracircce dispenseacutee agrave une personne nous comprenons eacutegalement les deacutecrets de Dieu Mais ces deacutecrets ne peuvent ecirctre isoleacutes du plan de Dieu pour lrsquounivers ou encore de ses intentions de creacuteer le meilleur des mondes possibles Dans ce contexte les principes de la gracircce seraient agrave trouver dans lrsquoordre de lrsquounivers tout entier pour autant que nous le consideacuterions au regard de sa dimension morale ou normative Leibniz affirme plusieurs fois que lrsquounivers entier est exprimeacute par chaque individu ce qui signifie que si nous connaissions tout sur une creacuteature si nous en connaissions son concept complet nous pourrions alors eacutegalement saisir les actes de gracircce qui srsquoy rapportent Mais cela ne suffit toujours pas pour comprendre les raisons de ces actes de gracircce les deacutecrets dits divins

Il ne suffit pas de dire que la notion complegravete drsquoune creacuteature contient eacutegalement toute la seacuterie des gracircces En effet comme les gracircces divines sont libres et proviennent drsquoun deacutecret cette notion enveloppe eacutegalement les deacutecrets divins et leurs raisons Crsquoest pourquoi il faut agrave nouveau chercher la raison du deacutecret qui donne la gracircce Et celle-ci doit donc ecirctre tireacutee de la consideacuteration du reste qui est dans cette notion possible une fois retireacute le deacutecret de la gracircce Il est cependant possible drsquoaccorder les deacutecrets de la gracircce avec les innombrables voies conformes aux ordres deacutefinis des choses ndash alors que Dieu nrsquoen choisit qursquoune seule Ainsi la raison des deacutecrets de la gracircce ou du concours de Dieu doit ecirctre tireacutee de chaque ordre possible de tout lrsquounivers45

Cela signifie que les deacutecrets de la gracircce que nous pouvons aussi appeler les principes individuels ou subordonneacutes de la gracircce sont indeacutependants des principes de la nature Autrement nous pourrions les deacuteduire de lrsquoordre de notre univers

En gardant cela en vue nous revenons une derniegravere fois aux PNG Leibniz affirme que seule la reacuteveacutelation et non pas la raison

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peut nous dire ldquoen deacutetailrdquo 46 quelque chose sur notre futur Cependant la raison ne peut nous dire qursquoune chose agrave savoir ldquoque les choses sont faites drsquoune maniegravere qui passe nos souhaitsrdquo 47 Dieu a conccedilu le monde selon son ideacutee de justice universelle Le fait drsquoen prendre conscience peut nous faire prendre part agrave la Citeacute de Dieu qui est ldquoune espegravece de Socieacuteteacute avec Dieurdquo48 crsquoest-agrave-dire une communauteacute dans ce ldquoplus parfait eacutetatrdquo ougrave ldquoil nrsquoy a point de crime sans chacirctiment point des bonnes actions sans reacutecompense proportionneacutee et enfin autant de vertu et de bonheur qursquoil est possiblerdquo 49

Nous trouvons ici exprimeacutes trois principes qui peuvent tregraves bien ecirctre appeleacutes agrave juste titre ldquoles principes de la gracirccerdquo mecircme si Leibniz ne les appelle pas ainsi Dans ce contexte diffeacuterentes interpreacutetations seraient possibles On pourrait les appeler les principes de la punition infaillible de la reacutecompense infaillible et une version speacutecifique du principe du meilleur qui porte exclusivement sur la dimension morale de la creacuteation Apparemment ils ne sont pas identiques aux principes de la nature et ils ne peuvent ecirctre deacuteriveacutes drsquoeux ndash ce qui nous ramegravene agrave une lecture dualiste des principes de la nature et de la gracircce Pour ecirctre efficaces ils doivent ecirctre expliqueacutes par lrsquoentremise des deacutecrets individuels ou encore articuleacutes avec eux On peut les appeler principes au mecircme titre que chaque monade peut ecirctre appeleacutee un ldquoprincipe du vierdquo Si les principes de la gracircce et de la nature peuvent ecirctre indeacutependants lrsquoun de lrsquoautre ils sont cependant correacuteleacutes eacutetablis en harmonie tout comme la punition et la reacutecompense suivent naturellement le cours du monde

Puisque les preuves textuelles manquent toute interpreacutetation de lrsquooccurrence unique de lrsquoexpression ldquoprincipes de la gracirccerdquo doit rester speacuteculative et hypotheacutetique Peut-ecirctre pourrions-nous mieux comprendre si nous entendions par ldquoprinciperdquo une ldquosourcerdquo ou une ldquooriginerdquo mais avec une dimension normative transmise agrave tout ce qui eacutemane de cette source En ce sens le principe (supeacuterieur) de la gracircce (dans un sens eacutetroit) serait lrsquoamour inconditionnel de Dieu tandis que les principes de la gracircce (dans un sens plus large)

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incluraient la justitia universalis lrsquoharmonie entre les causes efficientes et finales et la relation causale entre lrsquoamour de Dieu et le bonheur des fidegraveles auxquels Leibniz fait au moins allusion dans les derniers paragraphes des PNG (sect 15-18)

Cependant les principes ou les sources de la nature sont structureacutes par la rationaliteacute divine et ils sont donc systeacutematiques tandis que les principes de la gracircce sont individuels et eacutenigmatiques Degraves lors bien que nous puissions imiter les œuvres rationnelles de Dieu dans la nature par le biais de la science et de lrsquoingeacutenierie son veacuteritable amour pur consiste ldquodans lrsquoeacutetat qui fait goucircter du plaisir dans les perfections et dans la feacuteliciteacute de ce qursquoon aimerdquo50 Nous pouvons imiter cet amour agrave notre maniegravere mortelle et limiteacutee ce qui nous apportera non seulement ldquoune parfaite confiance dans la bonteacute de notre auteur et maicirctrerdquo51 mais encore des plaisirs estheacutetiques dans la perception du monde et une tranquilliteacute drsquoesprit dans nos espeacuterances pour lrsquoavenir

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SECTION 4

LrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIENNE

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TAHAR BEN GUIZA

LA VARIATION DANS LE STYLE DrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIEN ET LA TRADITION PHILOSOPHIQUE ARABE

Dans la plupart des livres drsquohistoire relatifs agrave la philosophie occidentale se trouvent souvent occulteacutes des pans entiers notamment celui qui concerne la philosophie arabe et islamique qui constitue pourtant une peacuteriode cleacute de lrsquohistoire de la philosophie Les philosophies chinoise et indienne ne sont pas mieux loties En veacuteriteacute il semble bien que les historiens de la philosophie soient resteacutes prisonniers du modegravele heacutegeacutelien selon lequel la philosophie est neacutee grecque et aurait traverseacute une peacuteriode orientale drsquoerrance et de somnolence pour ne retrouver sa vitaliteacute qursquoavec la philosophie allemande et celle des Lumiegraveres Hegel eacutecrit dans ce sens Ici ne peut agrave dire vrai ecirctre preacutesente aucune philosophie agrave proprement parler En effet pour indiquer briegravevement le caractegravere de ce monde lrsquoesprit se legraveve certes agrave lrsquoOrient mais le rapport est alors tel que le sujet lrsquoindividualiteacute ndash moi pour moi-mecircme ndash nrsquoexiste pas en tant que personne mais ne fait que disparaicirctre nrsquoest deacutetermineacute que neacutegativement disparaissant dans ce qui est objectif en geacuteneacuteral1 La thegravese du choc des cultures deacutefendu par Fukuyama nrsquoest qursquoune reprise drsquoune conception eacutetriqueacutee de la migration des ideacutees propre au monde meacutediterraneacuteen Cette thegravese ne fera que raviver lrsquoancienne orientation europeacuteocentriste voire colonialiste Dans son livre Averroegraves et lrsquoaverroisme Ernest Renan ira mecircme jusqursquoagrave deacuteclarer ldquoJe suis le premier agrave reconnaicirctre que nous nrsquoavons rien ou presque rien agrave apprendre ni drsquoAverroegraves ni des Arabes ni du Moyen Acircgerdquo2 On trouve des eacutechos de ce ldquoneacutegationnismerdquo dans plusieurs autres textes celui de Reacutemi Brague dans Europe la voie romaine 1992 Jacques Heers dans le premier numeacutero de la Nouvelle Revue drsquoHistoire ougrave il parle en 2002 de ldquola fable de la transmission arabe du savoir antiquerdquo Le pape Benoit XVI dans son discours de Ratisbonne en 2006 continuera sur la mecircme lanceacutee et Sylvian Gouguenheim avec son livre Aristote au Mont Saint-Michel les

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racines grecques de lrsquoEurope chreacutetienne en 2008 fait sienne la thegravese de Reneacute Marchand lequel ne cesse de reacutepeacuteter que ldquoLa France [est] en danger dIslam entre jihacircd et reconquistardquo Selon cette lecture Gouguenheim affirme que lrsquoEurope a toujours maintenu ses contacts avec le monde grec et les traductions arabes de la philosophie grecque nrsquoont pas joueacute le rocircle janusien qursquoon leur precircte Un travail de traduction actif et sans relacircche des textes drsquoAristote a eacuteteacute dispenseacute par le Mont Saint-Michel Ainsi la preacutetendue dette de lrsquoOccident envers le monde arabe est une pure illusion Drsquoailleurs ajoute Gouguenheim lhelleacutenisation du monde islamique est tellement superficielle et anodine qursquoil est inutile de parler drsquoune dette ou drsquoune quelconque empreinte du monde arabe sur le monde occidental En outre la preacutetendue philosophie arabe a eacuteteacute lrsquoœuvre drsquoarabes chreacutetiens et les supposeacutes philosophes arabes tels qursquoAvicenne et Averroegraves se sont tellement eacuteloigneacutes de lrsquoesprit grec ne connaissant mecircme pas le Grec qursquoil est exageacutereacute de dire qursquoils ont transmis quoi que ce soit au monde occidental Gouguenheim oublie alors que ni Abeacutelard ni saint Thomas ne connaissaient le grec En bref lhelleacutenisation de lEurope chreacutetienne est lrsquoœuvre des europeacuteens eux-mecircmes Crsquoest dire qursquoil y a un reacuteel problegraveme philosophique de compreacutehension et de communication entre lrsquoOrient et lrsquoOccident susciteacute par une vision sans cesse reacuteiteacutereacutee drsquoun Occident centreacute sur lui-mecircme bien chreacutetien et non redevable agrave aucune autre culture surtout pas agrave la culture arabe Lrsquoune des expressions majeures de cet ethnocentrisme est la vieille habitude de changer les noms de ceux dont on veut bien parler en tant qursquoadepte ou simple vis-agrave-vis (Ibn Rushd devient Averroegraves Ibn Beja Avempace Ibn Sinaa Avicenne et jrsquoen passe)

Toutefois lrsquoEurope reste malgreacute ces divagations une terre drsquoasile de convergence de dialogue et de confrontation des ideacutees Des textes importants ont eacuteteacute eacutecrits pour deacutenoncer cette ldquofalsification de lrsquohistoire au nom de lrsquoideacuteologierdquo tels que le livre collectif LIslam meacutedieacuteval en terres chreacutetiennes Science et ideacuteologie paru en 2009 (dirigeacute par Max Lejbowicz) ou le livre dirigeacute par Alain de Libera (dir) Les Grecs les Arabes et nous Enquecircte sur lislamophobie savante parue en 2009 dans la collection Fayard

Cependant ce nrsquoest pas agrave ce niveau poleacutemique et ideacuteologique que nous nous placcedilons Le modeste travail que nous preacutesentons ici

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tente une analyse sereine de la position de deux philosophes (Ibn Rushd et Leibniz) qui bien qursquoappartenant agrave deux mondes diffeacuterents se rencontrent sur de nombreux de points Nous nous inteacuteresserons en particulier au rapport qursquoils eacutetablissent entre la philosophie et la theacuteologie

En lisant Leibniz on deacutecouvre que souvent il est loin drsquoadopter une attitude aussi radicale que celle que lrsquoon voit chez certains de nos contemporains Baruzi dans son Leibniz et lrsquoorganisation religieuse de la terre commence son texte par cette phrase ldquoLeibniz fut hanteacute par lrsquoOrientrdquo Dans ses Nouveaux essais le philosophe de Hanovre ira mecircme jusqursquoagrave vanter le meacuterite des arabes drsquoavoir mis en place une premiegravere socieacuteteacute de savants et procircne la neacutecessiteacute de se mettre agrave leur eacutecole il eacutecrit

et enfin ce qursquoAlmansour ou Miramolin grand Prince des Arabes ordonna en faveur de sa nation crsquoest agrave dire qursquoil fera tirer la quintessence des meilleurs livres et y fera joindre les meilleures observations encor non-eacutecrites des plus experts de chaque profession pour faire bastir des sytemes drsquoune connaissance solide et propre agrave avancer le bonheur de lrsquohomme fondeacutes sur des expeacuteriences et des deacutemonstrations et accommodeacutes agrave lrsquousage par des repertoires ce qui seroit un monument des plus durables et des plus grands de sa gloire et une obligation incomparable que lui en auroit tout le genre humain Peut-ecirctre encore que le grand Prince dont je me fais lrsquoideacutee fera proposer des prix agrave ceux qui feront des deacutecouvertes ou qui deacuteterrerons des connaissances importantes cacheacutees dans la confusion des hommes ou des auteurs3 Leibniz parle ici de Beit al Hikma (Maison de la Sagesse) ancienne bibliothegraveque personnelle du calife abbaside Haroun al Rachid devenue un haut lieu de traduction des textes anciens faisant fonction drsquouniversiteacute Elle fut fondeacutee en 832 par Al Maamoun homme de lettres et de science et deacuteveloppeacutee par Al Mansour mais deacutetruite par les mongoles en 1258

Est-ce un hasard si lrsquoon retrouve cette reconnaissance de la dette envers les anciens chez le philosophe de Cordoue lorsqursquoil eacutecrit dans son fameux Traiteacute deacutecisif

Mais si dautres que nous ont deacutejagrave proceacutedeacute agrave quelque recherche en cette matiegravere il est eacutevident que nous avons lobligation pour ce vers quoi nous nous acheminons de recourir agrave ce quen ont dit ceux qui nous ont preacuteceacutedeacutes Il importe peu que ceux-ci soient ou non de notre religion [] jentends les Anciens qui ont eacutetudieacute ces questions avant lapparition de lIslam Puisquil en est ainsi et que toute leacutetude neacutecessaire des syllogismes rationnels a deacutejagrave eacuteteacute effectueacutee le plus parfaitement qui soit par les

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Anciens alors certes il nous faut puiser agrave pleines mains dans leurs livres afin de voir ce quils en ont dit Si tout sy avegravere juste nous le recevrons de leur part et sil sy trouve quelque chose qui ne le soit nous le signalerons4 Les deux projets nrsquoappartiennent pas agrave la mecircme culture et ne posent pas les problegravemes de la mecircme maniegravere Chacun des deux philosophes renvoie agrave une disposition de lrsquoesprit et de la culture qui toutefois si elle eacutetait correctement comprise contribuerait agrave eacuteviter les malentendus actuels entre le monde occidental et le monde oriental sur le plan de lrsquoappreacutehension philosophique de la civilisation humaine

En effet si drsquoun cocircteacute Leibniz veut conforter sa philosophie par rapport aux philosophes de son siegravecle et si par son engagement religieux il preacutetend trouver une solution pratique aux malentendus opposant les diffeacuterentes Eacuteglises de la chreacutetienteacute quand il deacuteclare qursquoil ldquocommence en philosophe et finit en theacuteologienrdquo Ibn Rushd drsquoun autre cocircteacute vit une situation diffeacuterente marqueacutee par le souci drsquointeacutegrer la philosophie dans lrsquohorizon du savoir Certes il sait que sa socieacuteteacute nrsquoaccorde agrave la philosophie qursquoun statut douteux mais il propose une solution facilitant la reconnaissance de la philosophie par la religion En somme dans cette rencontre croiseacutee si Leibniz commence en philosophe et finit en theacuteologien peut-on dire qursquoIbn Rushd prend un chemin opposeacute et commence en theacuteologien pour finir en philosophe Quelle leccedilon de philosophie nous reacuteserve-t-elle

Lrsquointeacuterecirct majeur de ce parallegravele est de nous permettre drsquoesquiver la forte tendance naturaliste en quecircte des essences des identiteacutes et des spiritualiteacutes figeacutees particuliegraverement active degraves qursquoil srsquoagit de la philosophie arabe et de la religion musulmane Nous constatons une ressemblance eacutetrange dans la variation du style drsquoeacutecriture drsquoIbn Rushd et de Leibniz qui permet de comprendre que nous nous devons aujourdrsquohui de styliser notre penseacutee pour toujours plus de civiliteacute et de concorde

Nous consideacuterons que les travaux drsquoIbn Rushd et de Leibniz srsquoinscrivent dans la longue tradition critique de la theacuteologie par la philosophie En cela la concordance entre nos deux philosophes semble parfaitement harmonique Mais faut-il le rappeler si Leibniz est consideacutereacute comme le pegravere du rationalisme moderne Ibn Rushd est consideacutereacute comme la plus grande figure du rationalisme classique En

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reacuteponse agrave Ghazali qui deacutefend lrsquoideacutee drsquoune intervention continue entre la cause et lrsquoeffet ibn Rushd reacutepond ldquorefuser les causes crsquoest refuser la raisonrdquo Toutefois dans les deux cultures le deacutebat sur le rationalisme a commenceacute au sein de la theacuteologie avant de lrsquoecirctre au sein de la philosophie En effet dans sa confeacuterence de Tunis sur ldquoRaison et existencerdquo agrave lrsquooccasion du colloque sur ldquoLes enjeux du rationalisme modernerdquo Michel Fichant rappelle que ldquole sens le plus reacutepandu et drsquoailleurs le plus inteacuteressant de ldquoRationalisterdquo au XVIIegraveme siegravecle relegraveve des deacutebats theacuteologiquesrdquo (p 17) Le Discours preacuteliminaire de la Theacuteodiceacutee confirme drsquoailleurs cette lecture et lrsquoappuie Leibniz eacutecrit en effet

On parla en Hollande de Theacuteologiens rationaux et non-rationaux distinction de parti dont M Bayle fait souvent mention se deacuteclarant enfin contre les premiers mais il ne paraicirct pas qursquoon ait encore bien donneacute les regravegles preacutecises dont les uns et les autres conviennent ou ne conviennent pas agrave lrsquoeacutegard de lrsquousage de la raison dans lrsquoexplication de la Sainte Eacutecriture Cela veut dire au moins que le lien entre la philosophie et la theacuteologie nrsquoest pas arbitraire On comprend alors pourquoi nos deux philosophes eacutecrivent aussi bien en tant que theacuteologiens qursquoen tant que philosophes Mais le font-ils de la mecircme maniegravere et surtout deacutefendent-ils le mecircme point de vue sur le rapport de la philosophie agrave la theacuteologie

1 Ibn Rushd philosophie et theacuteologie

Ibn Rushd est connu comme eacutetant le commentateur par excellence drsquoAristote Agrave son actif aussi les commentaires des eacutecrits des premiers philosophes musulmans Al-Kindicirc (m 873) Ibn Sicircnacirc (m 1037) Al-Facircracircbicirc (m 950) Ibn Rushd se considegravere lui-mecircme comme un heacuteritier de leacutecole de Baghdacircd et un successeur dAl-Facircracircbi Ayant eacutecrit quatre-vingt-sept livres de philosophie et plus de vingt autres en meacutedecine Son livre le Traiteacute deacutecisif traduit par Leacuteon Gauthier utilise un style proche du discours religieux Ibn Rushd recourt en effet agrave lrsquoargument drsquoautoriteacute afin de convaincre ceux qui doutent de lrsquoimportance de la saine mission de la philosophie agrave libeacuterer les esprits pour connaitre Dieu Or le Coran ne parle pas de philosophie mais de sagesse Crsquoest pour cette raison que le titre du livre drsquoIbn Rushd

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le Traiteacute deacutecisif ne comporte pas le concept de philosophie Sa traduction litteacuterale est celle-ci ldquoDistinction de discours5 et deacutetermination du lien qui lie la sagesse agrave la charia ldquo Il srsquoagit donc de trouver un accord entre la sagesse et la leacutegislation islamique Pour ce faire Ibn Rushd revient au texte coranique Il y est dit Appelle les hommes dans le chemin de ton seigneur par la sagesse et par la belle exhortation et dispute avec eux de la meilleure faccedilon6 En se basant sur le Coran et sur Aristote Ibn Rushd explique qursquoil y a trois voies de la connaissance correspondant agrave trois formes dargumentations et agrave trois cateacutegories de personnes la rheacutetorique la dialectique et la deacutemonstrative7

Chez le fondateur de la doctrine chafiite du Fikh Mohamed Ben Idriss Al-Chafii le terme de sagesse signifie la souna crsquoest-agrave-dire la vie et les recommandations du prophegravete Ibn Rushd se deacutemarque donc de cette interpreacutetation Pour lui la sagesse renvoie agrave la philosophie la belle exhortation agrave la rheacutetorique et la dispute agrave la dialectique Trois cateacutegories de personne correspondent agrave ces trois meacutethodes drsquoargumenter

1 Les hommes de deacutemonstration sont les seuls capables duser de leur raison de la meilleure des faccedilons ils ont le droit sous certaines conditions dinterpreacuteter le texte religieux En tant qursquoesprits supeacuterieurs ils sont aptes agrave connaicirctre le veacuteritable sens que Dieu donne agrave sa creacuteation La foi trouve ainsi son principe de raison dans la science

2 Les hommes dexhortation qui forment la majoriteacute eacutecrasante des gens eacutetant incapables de suivre une deacutemonstration rationnelle doivent suivre agrave la lettre tous les symboles de la religion sans faire aucun effort dinterpreacutetation

3 La troisiegraveme cateacutegorie desprit est formeacutee par les gens qui sont dans une situation intermeacutediaire entre les deux autres ce sont les

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hommes darguments dialectiques Ces derniers peuvent eacutepiloguer sur certaines difficulteacutes du texte religieux ils peuvent deacutevelopper des arguments pertinents comme ils peuvent aussi se tromper lourdement Ce sont les theacuteologiens Leur discours est tregraves dangereux puisquils peuvent conduire les hommes dexhortation agrave toutes sortes derreurs sur la religion source de tous les fanatismes et de tous les maux

Afin de reacutepondre agrave ceux qui relegravevent la contradiction apparente entre la speacuteculation philosophique et les enseignements de la loi divine Ibn Rushd se rapporte au Coran pour souligner que ce dernier comporte un sens apparent zahir et un sens latent batin Lrsquoexeacutegegravese dans ce cas de figure devient neacutecessaire Mais qursquoest-ce qursquointerpreacuteter

Interpreacuteter eacutecrit Ibn Rushd veut dire faire passer la signification dune expression du sens propre au sens figureacute sans deacuteroger agrave lusage de la langue des Arabes de nom-mer telle chose pour deacutesigner meacutetaphoriquement sa semblable ou sa cause ou sa conseacutequence ou une chose concomitante ou demployer telle autre meacutetaphore couramment indiqueacutee parmi les figures de langage8

Drsquoailleurs lrsquointerpreacutetation neacutecessite des reacutequisits et des regravegles qui ne peuvent ecirctre reacuteunis que chez un philosophe qui maicirctrise aussi bien la logique que le texte coranique Cela conduit Ibn Rushd agrave procircner une certaine ascendance de la philosophie sur la theacuteologie Cette derniegravere aura ainsi un fondement rationnel qui la deacutefendra contre les heacutereacutetiques Elle permet aussi de deacutevelopper lrsquoIjtihad (effort) qui est un effort de reacuteflexion sur les textes fondateurs de lrsquoIslam en vue de diriger lrsquoaction des croyants (licite illicite reprouveacutee) Cela donne agrave la religion une dimension dynamique et lui permet une ouverture qui la sauve de la scleacuterose et du dogmatisme9 Crsquoest la raison pour laquelle Ibn Rushd considegravere que la garantie de la paix sociale contre la guerre des confessions qui deacutechire les croyants musulmans et qui

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continue aujourdrsquohui encore agrave les deacutechirer est de consacrer lrsquoascendance de la philosophie sur agrave la theacuteologie en soulignant la neacutecessiteacute drsquoutiliser la raison pour fonder la foi et en recourant agrave lrsquoargument deacutemonstratif comme moyen ultime de toute argumentation valide

Ainsi le style deacutemonstratif est consideacutereacute par Ibn Rushd comme un critegravere essentiel de validiteacute du discours On constate agrave ce propos qursquoil y a entre nos deux philosophes un accord tout agrave fait remarquable Toutefois le modegravele deacutemonstratif drsquoIbn Rushd reste la logique drsquoAristote tandis que Leibniz choisi le modegravele axiomatique et deacutemonstratif de la geacuteomeacutetrie

La progression de lrsquoargumentation du Traiteacute deacutecisif est ascendante et on y retrouve tous les concepts clefs de la philosophie drsquoIbn Rushd Il srsquoagit drsquoabord de deacutemontrer que le Coran appelle les gens agrave penser crsquoest-agrave-dire agrave faire de la philosophie Il srsquoen suit la neacutecessiteacute de connaicirctre les syllogismes ce qui permet de montrer que les syllogismes rationnels et juridiques ont la mecircme valeur Cela conduit Ibn Rushd agrave conclure qursquoil ny a pas de contradiction entre la raison et le Texte reacuteveacuteleacute Toutefois srsquoil semble y avoir contradiction entre la raison et le texte reacuteveacuteleacute lrsquointerpreacutetation est obligatoire En tout cas elle ne saurait provenir drsquoune conception dualiste de la veacuteriteacute ldquocar dit-il la veacuteriteacute ne saurait ecirctre contraire agrave la veacuteriteacute elle srsquoaccorde avec elle et teacutemoigne en sa faveurrdquo10

Ainsi la philosophie eacutetant elle-mecircme une expeacuterience spirituelle crsquoest agrave elle que revient le devoir de donner un sens agrave la pratique religieuse La mecircme ideacutee a drsquoailleurs eacuteteacute largement deacuteveloppeacutee par Al-Facircracircbicirc qui nous dit que chaque Milla (chaque religion) adopte une philosophie elle en est lrsquoillustration Il est clair que le Kalacircm et le Fiqh sont posteacuterieurs agrave la religion (Milla) et la religion (Milla) est posteacuterieure agrave la philosophie et que la force dialectique et sophistique devance la philosophie et que la philosophie dialectique et la philosophie sophistique devancent la philosophie deacutemonstrative La philosophie en geacuteneacuteral devance la

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religion comme dans lrsquoexemple de lrsquoanteacuterioriteacute de celui qui utilise les machines sur les machines11 Mais comme les philosophies varient les Millas varient aussi Si la philosophie est bonne la Milla qui la suit est bonne si la philosophie est mauvaise la Milla est mauvaise aussi12 Crsquoest pourquoi il est primordial pour chaque Milla de suivre une bonne philosophie pour reacutealiser son ecirctre et son bonheur

Cela eacutetant dit Ibn Rushd est cateacutegorique quant agrave la fonction du Kalam et agrave sa production theacuteologique La theacuteologie nrsquoest acceptable et efficace que sous reacuteserve drsquoecirctre soumise agrave la preacuterogative de la philosophie Leibniz deacutefend-il la mecircme position

2 Leibniz philosophie et theacuteologie

Leibniz nrsquoa pas lu les textes drsquoIbn Rushd lui-mecircme Ce qursquoil connaicirct de ce philosophe oriental lui parvient de lrsquoaverroiumlsme latin connu pour avoir soutenu la thegravese de la double veacuteriteacute Leibniz reacutepond agrave cette thegravese Dans son Discours preacuteliminaire sur la conformiteacute de la foi et de la raison Je suppose que deux veacuteriteacutes ne sauraient se contredire que lobjet de la foi est la veacuteriteacute que Dieu a reacuteveacuteleacutee dune maniegravere extraordinaire et que la raison est lenchaicircnement des veacuteriteacutes mais particuliegraverement (lorsquelle est compareacutee avec la foi) de celles ougrave lesprit humain peut atteindre naturellement sans ecirctre aideacute des lumiegraveres de la foi13 En reacutealiteacute la thegravese de la double veacuteriteacute nrsquoa eacuteteacute deacutefendue ni par Ibn Rushd ni par les averroiumlstes14 mais bien par leurs adversaires en lrsquooccurrence saint Thomas drsquoAquin Agrave lrsquoorigine de ce malentendu une deacuteclaration de Siger de Brabant ldquoDieu ne peut faire quil y ait multipliciteacute dintellects car cela impliquerait contradictionrdquo

Adoptant un point de vue rationaliste Siger de Brabant se contente de dire qursquoil est impossible pour Dieu de reacutealiser 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 11 Al-Facircracircbicirc Kitab al Hourouf (Le livre des lettres) sect 110 12 Al-Facircracircbicirc Araacirc Ahlou Al-Madina Al-Fadila (Opinions des habitants de la Citeacute ideacuteale) p 154 13 Discours sur la conformiteacute de la foi avec la raison sect1 GP VI 49 14 Les plus illustres averroiumlstes sont Siger de Brabant Pierre dAbano (1250-1315) (accuseacute de ramener de Paris agrave Padoue la ldquopesterdquo averroiumlste) le philosophe Danois Boegravece de Dacie deacuteceacutedeacute en 1284

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simultaneacutement des contradictoires Cest Thomas drsquoAquin qui conclut de cette deacuteclaration que celui qui croit agrave la pluraliteacute des intellects croit agrave quelque chose dimpossible Mais plus encore il tire de lrsquoideacutee de la soumission agrave Dieu au principe de contradiction lrsquoargument de la double veacuteriteacute

Par ailleurs Leibniz rejoint Ibn Rushd quant agrave la deacutefense de la prioriteacute de la philosophie par rapport agrave la theacuteologie Cette prioriteacute est perceptible chez Leibniz lorsquon suit par exemple ses diffeacuterentes positions sur les questions theacuteologiques quil discute tout le long de sa Theacuteodiceacutee On saperccediloit que sur nimporte laquelle de ces questions cest toujours le principe de raison qui rend compte des positions deacutefendues et des thegraveses soutenues Dans ses discussions avec les theacuteologiens Leibniz ne va pas jusquagrave interdire dinterpreacuteter la religion dune maniegravere libre mais il reconnaicirct comme le fait Ibn Rushd drsquoailleurs que ses meacuteditations ne sont ldquonullement populaires ny propres agrave estre gouteacutees de toute sorte despritsrdquo15 Cest deacutejagrave supposer que lesprit deacutemonstratif nest pas agrave la porteacutee de tout le monde Cela veut dire que chez Leibniz le point de vue theacuteologique nrsquoa pas sa raison suffisante en lui-mecircme mais dans les principes de la ldquoveacuteritable philosophierdquo16 qui reste seule capable de donner agrave la religion la penseacutee qursquoelle meacuterite Selon cet ordre drsquoideacutee il est mecircme possible drsquoexposer la theacuteologie sous une forme matheacutematique Agrave Burnett il eacutecrit

Un theacuteologien habile [] me consulta dernierement si on ne pourroit eacutecrire la Theacuteologie Methodo Mathematica je luy repondis qursquoon le pouvoit asseureacutement et que jrsquoavois moy mecircme fait des echantillons lagrave dessus mais qursquoun tel ouvrage ne pourroit estre acheveacute sans donner auparavant aussi des Elemens de Philosophie au moins en partie dans un ordre Matheacutematique17 Ainsi la deacutemonstration de la veacuteriteacute de la religion neacutecessite que lrsquoon comprenne que la theacuteologie a son fondement dans la philosophie Ses conseacutequences sont de deux espegraveces Les premiegraveres dit Leibniz supposent des deacutefinitions des axiomes et des theacuteoregravemes pris de la veacuteritable philosophie et de la Theacuteologie naturelle Les secondes supposent en partie lhistoire et les faits et en partie linterpreacutetation des textes Mais pour bien se

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servir de cette histoire et de ces textes (hellip) il faut encore avoir recours agrave la vraie philosophie18 Crsquoest dire qursquoen fin de compte les raisons religieuses et scientifiques ne prennent un sens veacuteritable que par la philosophie qui les fonde et les justifie

Mais qursquoest ce qui caracteacuterise le discours philosophique Le discours philosophique obeacuteit selon Leibniz agrave une regravegle simple ldquoNe jamais user drsquoun terme sans deacutefinition Ne jamais avancer une proposition sans deacutemonstrationrdquo19 Ainsi si ce discours philosophique a un sens crsquoest dans la mesure ougrave sa signification est claire et deacutetermineacutee Il ne faut surtout pas abuser des mots en donnant ldquodes notions vaguesrdquo20 Degraves lors la signification drsquoune proposition nrsquoest claire et vraie que ldquosi lrsquoon a donc totalement arracheacute les eacutepines des mots du champ de la philosophierdquo21 La correspondance entre les structures grammaticales et le raisonnement logique rend compte de lrsquoisomorphisme entre le langage de la science et le langage de la penseacutee Leibniz distingue dans ce sens entre ldquodeux parties de la logique lrsquoune verbale et lrsquoautre reacuteelle la premiegravere portant sur lrsquousage clair et propre des mots ou style philosophique et lrsquoautre srsquooccupant de reacutegler nos penseacuteesrdquo (A VI 2 420) Crsquoest dire que la valeur du discours nrsquoest pas deacutetermineacutee par lrsquoeacuteleacutegance mais par la clarteacute qui ldquone concerne pas simplement les mots mais la constructionrdquo Peut-on pour autant dire que lrsquoeacuteleacutegance propre agrave la rheacutetorique nrsquoest qursquoun exercice de style qui nrsquoa rien agrave avoir avec la veacuteriteacute Dans les Nouveaux Essais Leibniz preacutesente drsquoabord le point de vue de Locke dans la bouche de Philalegravete

Dans le fonds excepteacute lordre et la netteteacute tout lart de la Rheacutetorique toutes ces applications artificielles et figureacutees des mots ne servent quagrave insinuer de fausses ideacutees eacutemouvoir les passions et seacuteduire le jugement de sorte que ce ne sont que de pures supercheries22

Toutefois la reacuteponse de Theacuteophile montre que la condamnation de la rheacutetorique nrsquoest pas chez Leibniz aussi cateacutegorique En effet comme

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il y a une mauvaise rheacutetorique il peut y avoir une bonne rheacutetorique lrsquoeacuteloquence qui y est attacheacutee peut-ecirctre aussi utile et touchante Certains ornemens de lEloquence sont comme les vases des Egyptiens dont on se pouvoit servir au culte du vray Dieu Il en est comme de la Peinture et de la Musique dont on abuse et dont lune represente souvent des imaginations grotesques et mecircme nuisibles et lautre amollit le coeur et toutes deux amusent vainement mais elles peuvent estre employeacutees utilement lune pour rendre la veriteacute claire lautre pour la rendre touchante et ce dernier effect doit estre aussi celuy de la poesie qui tient de la Rhetorique et de la Musique23 Mais drsquoune maniegravere geacuteneacuterale au langage artificiel et figureacute de la rheacutetorique Leibniz oppose le style philosophique et pragmatique qui sera ldquopur et se deacuteveloppera simplement mecircme srsquoil deviendra rapidement plus eacutetendu et plus difficilerdquo24

Crsquoest donc dans lrsquoesprit de la sauvegarde de la rigueur philosophique que Leibniz choisit son style drsquoeacutecriture On sait qursquoil nrsquoa pas eacutecrit un texte fondateur un texte de reacutefeacuterence comme Les Meacuteditations de Descartes ou LEacutethique de Spinoza Il a plutocirct utiliseacute une multipliciteacute de style (leacuteclaircissement la lettre lopuscule la note labreacutegeacute le dialogue) dont les plus sommaires ne sont pas forceacutement les moins preacutecieux Dans tous les cas le style de lrsquoexposition de sa penseacutee procegravede par enveloppement de telle sorte qursquoon retrouve lrsquoessentiel de sa philosophie dans chacun de ses eacutecrits

Dans plusieurs de ses eacutecrits Leibniz parle du style ldquofamilierrdquo de Bacon et de Gassendi25 du style de lrsquoeacutecole de celui des carteacutesiens et de son style propre Leibniz eacutecrit dans ce sens

Jrsquoay espereacute que ce petit papier contribueroit agrave mieux faire entendre mes meditations en y joignant ce que jrsquoay mis dans les Journaux de Leipzig de Paris et de Hollande Dans ceux de Leipzig je mrsquoaccommode asseacutes au langage de lrsquoEcole dans les autres je mrsquoaccommode davantage au style des Cartesiens et dans cette derniere pieacutece je tache de mrsquoexprimer drsquoune maniere qui puisse ecirctre entendue de ceux qui ne sont pas encore trop accoutumeacutes au style des uns et des autres26

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Le style de ce texte est donc plus entendu au sens seacutemantique que syntaxique puisqursquoil srsquoagit drsquoemprunter le style deacutemonstratif des matheacutematiques qui se caracteacuterise par la rigueur de lrsquoenchaicircnement27 Crsquoest dans ce sens aussi que Leibniz conccediloit que le style permet de deacutebusquer la veacuteriteacute du fait derriegravere le fatras des mots Enfin des Cartes vouloit faire croire quil avoit peu leu et quil avoit plustost employeacute son temps aux voyages et agrave la guerre Cest agrave quoy tendent les contes quil fait dans sa Methode Mais on sccedilait quil avoit fait son cours dans le collegravege le style fait connoistre sa lecture la guerre ne lavoit gueres occupeacute quautant quil falloit pour ny estre pas entierement ignorant Et les voyages luy donnoient la commoditeacute destudier de voir les bons auteurs et les habiles gens28 En reacutesumeacute il semble bien que par-delagrave lrsquoeacutecart culturel et temporel qui seacutepare Ibn Rushd de Leibniz nous retrouvons agrave travers eux deux maniegraveres de faire de la philosophie qui malgreacute ce qui les seacutepare appartiennent agrave un mecircme patrimoine universel de lrsquohumaniteacute Nos deux philosophes deacutefendent des valeurs similaires et donnent agrave la philosophie la noble mission de modeacuterer la theacuteologie sinon de la fonder

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Heers J La fable de la transmission arabe du savoir antique ldquoNouvelle Revue drsquoHistoirerdquo 1 2002

Hegel Leccedilons sur lrsquohistoire de la philosophie Paris Vrin 2004 Ibn Rushd (dit Averroegraves 1126-1198) Le discours deacutecisif sur lrsquoaccord de la religion et

de la philosophie traduit et annoteacute par L Gauthier Alger Fontana 1905 Ibn Rushd Tahafut al Tahafut Dar al marsquoaref 1964 t III Lejbowicz M (eacuted) LIslam meacutedieacuteval en terres chreacutetiennes Science et ideacuteologie

Paris Fayard 2009 Marchand R La France [est] en danger dIslam entre jihacircd et reconquista

Lausanne LrsquoAcircge drsquoHomme 2002 Renan E Averroegraves et lrsquoaverroiumlsme Paris Calmann-Leacutevy 1882 puis reacuteeacuted en 1922

1949 etc 13

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MARTA MENDONCcedilA

ldquoMACHINESrdquo ET ldquoMIROIRSrdquo LA METTRIE CRITIQUE DE LEIBNIZ

1 Introduction

La Mettrie nrsquoidentifie pas avec preacutecision ses sources philosophiques Il fait allusion aux auteurs et aux thegraveses qursquoils ont soutenues sans citer explicitement les textes dans lesquels ces thegraveses figurent Mais il ne serait pas impossible ndash bien au contraire ndash que la connaissance qursquoil a de la penseacutee de Leibniz soit fondeacutee sur la lecture des Principes de la Nature et de la Gracircce et sur la Monadologie

Plusieurs raisons plaident en faveur de cette hypothegravese a) il srsquoagit de textes publieacutes ou rendus publics dans les circuits intellectuels ougrave eacutevoluait La Mettrie notamment aux Pays-Bas et dans la Prusse de Freacutedeacuteric II b) ces textes ont eacuteteacute connus quelques anneacutees apregraves la mort de Leibniz et ont fait lobjet de controverse juste avant que La Mettrie ne srsquointeacuteresse de faccedilon plus systeacutematique agrave la philosophie c) il srsquoagit de textes consacreacutes agrave lrsquoexamen des questions auxquelles srsquointeacuteresse La Mettrie lui-mecircme et d) ces œuvres contiennent la plupart des thegraveses de Leibniz que La Mettrie a critiqueacutees

Cela ne signifie pas bien sucircr que La Mettrie ne connaisse que ces deux textes de Leibniz il pourrait eacutegalement avoir connu par exemple le Systegraveme Nouveau ou la Correspondance avec Clarke Mais il est aussi possible qursquoune partie au moins de son accegraves agrave lrsquoœuvre de Leibniz soit indirecte agrave travers Wolff qursquoil preacutesente toujours comme disciple et commentateur de Leibniz1 Mais il ne considegravere pas que les penseacutees des deux auteurs soient identiques et il reconnaicirct qursquoil y a des aspects sur lesquels le disciple nrsquoest pas drsquoaccord avec le maicirctre2 Une autre source probable est le Traiteacute des Systegravemes de Condillac (1749) et le Dictionnaire Historique et Critique

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(1697) de Pierre Bayle En tout cas le Traiteacute des Systegravemes ne peut pas ecirctre sa source principale parce qursquoil a eacuteteacute publieacute en 1749 au moment ougrave La Mettrie avait deacutejagrave beaucoup eacutecrit et fait plusieurs allusions agrave la penseacutee de Leibniz

La Mettrie se reacutefegravere agrave Leibniz degraves le deacutebut de sa production philosophique en lui consacrant une attention consideacuterable deacutejagrave dans lrsquoHistoire naturelle de lacircme et jusqursquoagrave la fin de sa vie Leibniz a eu la sagesse de chercher luniteacute du reacuteel une uniteacute que le dualisme compromettait mais il a commis lerreur de spiritualiser la matiegravere faute de reconnaicirctre que la matiegravere est drsquoelle-mecircme capable de penser Selon lauteur de LHomme Machine Leibniz a bien compris que chaque ecirctre du monde est une ldquomachine de la naturerdquo un ldquomiroir vivantrdquo repreacutesentatif de lrsquounivers (cf PNG sect 3) mais il nrsquoaurait pas bien compris ni ce qursquoest une ldquomachinerdquo ni ce que signifie ecirctre un ldquomiroir vivantrdquo ou sensible

Dans les textes qursquoil consacre agrave commenter les diffeacuterents systegravemes philosophiques ndash notamment lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes ndash il srsquointeacuteresse agrave certains auteurs modernes et prend position vis-agrave-vis de leur penseacutee Descartes Malebranche Leibniz Wolff Locke Boerhaave Spinoza Quoique lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes ait eacuteteacute publieacute en 1751 il reprend de faccedilon autonome et sans changements les longues notes du sect 4 du chapitre XII de lrsquoHistoire naturelle de lrsquoacircme la premiegravere de ses œuvres philosophiques publieacutee en 1745

Lrsquoampleur des thegravemes et le style de lrsquoanalyse chez un auteur qui a eacutecrit presque toute son œuvre philosophique entre 1745 et 1751 le conduisent agrave preacutesenter plutocirct des jugements drsquoensemble que des analyses de deacutetail des thegraveses de ces auteurs Dans le cas de Leibniz La Mettrie critique agrave plusieurs reprises sa penseacutee il ironise au sujet des ideacutees leibniziennes il en deacuteforme quelques-unes de faccedilon assez grossiegravere mais il a une ideacutee assez large des sujets dont srsquoest occupeacute Leibniz et de sa faccedilon de les aborder

Mais La Mettrie ne fait qursquoune seule fois allusion agrave un texte preacutecis de Leibniz Il le fait dans lrsquoHistoire naturelle de lrsquoAcircme quand ayant analyseacute deux attributs essentiels de la matiegravere crsquoest-agrave-dire lrsquoextension et la force motrice il se propose de soutenir que la matiegravere possegravede un troisiegraveme attribut ndash la faculteacute de sentir De son point de vue presque tous les philosophes excepteacute les carteacutesiens ont soutenu cette thegravese et pour illustrer cette conviction il eacutecrit en

Marta Mendonccedila ldquoMachinesrdquo et ldquomiroirsrdquo La Mettrie critique de Leibniz

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note ldquoVoyez la thegravese que M Leibnitz fit soutenir agrave ce sujet au prince Eugegravenerdquo3 Il srsquoagit donc drsquoune allusion aux Principes de la Nature et de la Gracircce ou agrave la Monadologie vraisemblablement au premier de ces deux textes Il y a un indice quoique fragile qui nous permet de penser qursquoil est en train de faire allusion aux Principes il se trouve dans un commentaire de Les animaux plus que machines La Mettrie est en train de critiquer la thegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie en consideacuterant qursquoelle est au moins aussi incompreacutehensible que celle de lrsquoinflux physique ou de la geacuteneacuteration de lrsquoesprit par la matiegravere et il eacutecrit ldquoMais que dis-je Pardon Leibniziens vous avez appris agrave lrsquoEurope eacutetonneacutee que ce nrsquoest que meacutetaphysiquement que sont lieacutees les deux substances qui composent lrsquohommerdquo4 Dans Veacutenus Meacutetaphysique ou essai sur lrsquoorigine de lrsquoacircme humaine publieacute en 1752 agrave Berlin on trouve aussi une analyse deacutetailleacutee de quelques aspects particuliers de la penseacutee de Leibniz

En tout cas pour essayer de comprendre la critique que La Mettrie fait de Leibniz il faut prendre en compte que certaines œuvres sont drsquoattribution douteuse et que les ressources rheacutetoriques de La Mettrie le conduisent souvent non seulement agrave occulter son nom mais aussi agrave ridiculiser ses adversaires en faisant semblant de prendre leur deacutefense Crsquoest le cas notamment de lrsquoœuvre Les Animaux plus que machines et de Veacutenus Meacutetaphysique dont lrsquoattribution agrave La Mettrie est douteuse Ajoutons que sa faccedilon de faire allusion agrave soi-mecircme agrave lrsquointeacuterieur des textes cherche aussi agrave faire douter de lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur Lrsquoexplication de ce fait est donneacutee par La Mettrie lui-mecircme dans le texte Le petit homme agrave longue queue

() Vous serez surpris Mr que jrsquoaie employeacute le ton ironique qui regravegne dans tout mon Ouvrage mais il mrsquoa fallu battre ainsi la mer pour voguer sans risque Si jrsquoai fait () tant de tours de deacutetours de circuits pour revenir enfin au mecircme point dont nocirctre Auteur est parti crsquoest que je suis dans les cas de ces Navigateurs qui nrsquoont pas la saison favorable5

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2 Leibniz dans lrsquoœuvre de La Mettrie

La Mettrie confesse qursquoil preacutefegravere ldquovoir au loin en grand comme en geacuteneacuteralrdquo plutocirct que de perdre son temps en faisant des analyses de deacutetail6 Crsquoest aussi de cette faccedilon qursquoil regarde la philosophie de son temps Il est eacutevident drsquoapregraves lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes qursquoil preacutefegravere les jugements drsquoensemble plutocirct que de consideacuterer les thegraveses concregravetes qursquoil veut combattre En ce qui concerne la philosophie de Leibniz on pourrait syntheacutetiser son jugement drsquoensemble par un texte de lrsquoopuscule Veacutenus Meacutetaphysique ou Essai sur lrsquoorigine de lrsquoacircme humaine Dans ce texte il eacutecrit

LrsquoHercule dans les sciences lrsquoimmortel Leibniz qui comprenait bien Aristote eacutecumait les inventions des Grecs amp deacutefilait apregraves Descartes avec plus de circonspection aurait eacuteteacute le Philosophe le plus acheveacute si agrave lrsquoexemple de celui-lagrave il nrsquoavait pas deacutebaucheacute son geacutenie par quelques Romans dans la Meacutetaphysique7

Leibniz fait lrsquoobjet du mecircme jugement que celui qursquoil a adresseacute agrave la philosophie dans son ensemble et aux preacutetentions meacutetaphysiques des systegravemes de son temps qui valorisent les raisons et les arguments et meacuteprisent le bacircton de lrsquoexpeacuterience en nrsquoacceptant pas de srsquoassujettir agrave la nature8 Leibniz comme drsquoailleurs Descartes srsquoest perdu dans des digressions meacutetaphysiques qui ne sont pas agrave la porteacutee de la raison humaine Le discours vrai ne peut se passer du bacircton de lrsquoexpeacuterience et ces auteurs lrsquoont totalement abandonneacutee au profit de lrsquoimagination La philosophie nrsquoest pas comme Leibniz lrsquoa preacutetendu une eacutetude des principes et des causes elle est plutocirct une eacutetude de la nature par ses effets9

Ce jugement drsquoensemble on le trouve deacutejagrave dans le Discours preacuteliminaire

Comme les plus fausses hypothegraveses de Descartes passent pour drsquoheureuses erreurs en ce qursquoelles ont fait entrevoir amp deacutecouvrir bien de veacuteriteacutes qui seraient encore inconnues sans elles les systegravemes de morale ou de meacutetaphysique les plus mal fondeacutes ne sont pas pour cela deacutepourvus drsquoutiliteacute pourvu qursquoils soient bien raisonneacutes amp qursquoune longue chaicircne de conseacutequences merveilleusement deacuteduites quoique de principes faux chimeacuteriques tels que ceux de Leibniz amp de Wolff donne agrave

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lrsquoesprit exerceacute la faciliteacute drsquoembrasser dans la suite un plus grand nombre drsquoobjets En effet qursquoen reacutesultera-t-il Une plus excellente longue vue un meilleur teacutelescope qui ne tarderont peut-ecirctre pas agrave rendre de grands services10

Dans le Traiteacute de lrsquoAme il insiste agrave nouveau sur le fait que Leibniz a des preacutetentions meacutetaphysiques injustifieacutees

Le ceacutelegravebre Leibniz raisonne agrave perte de vue sur lrsquoecirctre amp la substance il croit connaicirctre lrsquoessence de tous les corps Sans lui il est vrai nous nrsquoeussions jamais devineacute qursquoil y eucirct des monades au monde amp que lrsquoacircme en fucirct une nous nrsquoeussions point connu ces fameux principes qui excluent toutes eacutegaliteacutes dans la nature amp expliquent tous les pheacutenomegravenes par une raison plus inutile que suffisante (hellip) La chaicircne de ses principes [de la philosophie Wolffienne] est bien tisseacutee mais lrsquoor dont elle paraicirct formeacutee mis au creuset ne paraicirct qursquoun meacutetal imposteur Eh Faut-il donc tant drsquoart agrave enchacircsser lrsquoerreur pour mieux la multiplier Ne dirait-on pas agrave les entendre ces ambitieux meacutetaphysiciens qursquoils auraient assisteacute agrave la creacuteation du monde ou au deacutebrouillement du chaos Cependant leurs premiers principes ne sont que des suppositions hardies ougrave le geacutenie a bien moins de part qursquoune preacutesomptueuse imagination Qursquoon les appelle si lrsquoon veut des grands geacutenies parce qursquoils ont chercheacute amp se sont vanteacute de connaicirctre les premiegraveres causes Pour moi je crois que ceux qui les ont deacutedaigneacutees leur seront toujours preacutefeacuterables amp que le succegraves des Locke des Boerhaave amp de tous ces hommes sages qui se sont borneacutes agrave lrsquoexamen des causes secondes prouve bien que lrsquoamour-propre est le seul qui nrsquoen tire pas le mecircme avantage que des premiegraveres11

De son point de vue ldquolrsquoesprit de systegravemerdquo œuvre de lrsquoorgueil humain est le seul ou le principal responsable de ces erreurs qursquoune vision de la raison humaine plus reacutealiste et sans autant de preacutejugeacutes suffirait agrave corriger

Dans lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes La Mettrie fait drsquoabord une bregraveve preacutesentation de la doctrine leibnizienne de la substance puis se met agrave critiquer trois aspects fondamentaux de sa penseacutee le principe de raison le principe de contradiction et la thegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie

Agrave propos de la doctrine leibnizienne de la substance La Mettrie eacutecrit

LEIBNIZ fait consister lrsquoessence lrsquoecirctre ou la substance (car tous ces noms sont synonymes) dans les monades crsquoest-agrave-dire dans les corps simples immuables indissolubles solides individuels ayant toujours la mecircme figure amp la mecircme masse Tout le monde connait ces monades depuis la brillante acquisition que les Leibniziens ont fait de Madame la M[arquise] du Chacirctelet12

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Quelques lignes apregraves il identifie les monades avec les atomes Il nrsquoy a pas selon Leibniz deux particules homogegravenes dans la matiegravere elles sont toutes diffeacuterentes les unes des autres (hellip) Or si les atomes de la matiegravere eacutetaient tous eacutegaux on ne pourrait concevoir pourquoi Dieu eucirct preacutefeacutereacute de creacuteer amp de placer tel atome ici plutocirct que lagrave ni comment une matiegravere homogegravene eucirct pu former tant de diffeacuterents corps13 Il est bien eacutevident que La Mettrie deacuteforme grossiegraverement la doctrine leibnizienne de la monade il lrsquoidentifie agrave lrsquoatome et la deacutecrit comme un corps simple immuable ayant toujours la mecircme figure et la mecircme masse Les monades deviennent les particules indivisibles de la matiegravere de vrais atomes A ce moment-lagrave La Mettrie ne critique pas la doctrine leibnizienne des monades ou ce qursquoil a compris de cette doctrine ndash il le fera dans drsquoautres textes ndash mais dans ce texte il preacutefegravere insister sur un ensemble de thegraveses a) Leibniz soutenait qursquoil y avait dans la matiegravere une force motrice un principe drsquoaction qursquoon peut appeler nature b) il a reconnu aussi que la matiegravere est capable de perceptions semblables agrave celles des corps animeacutes c) il a soutenu que chaque ecirctre produit ses propres changements de faccedilon indeacutependante des autres ecirctres et par sa propre force immanente et derniegravere thegravese d) il voudrait partager cette fonction entre la cause premiegravere et la cause seconde entre Dieu et la nature

Parmi toutes ces thegraveses leibniziennes14 La Mettrie srsquooppose agrave deux drsquoentre elles que toutes les monades aient des perceptions sensibles15 et qursquoil soit possible ou neacutecessaire de partager lrsquoactiviteacute de la monade entre la cause premiegravere et la cause seconde En fait selon lui Leibniz nrsquoessaie de les justifier que par drsquoinutiles distinctions16

Au sujet du principe de raison il eacutecrit Nul ecirctre pensant et agrave plus forte raison Dieu ne fait rien sans choix sans motifs qui le deacuteterminent Or si les atomes de la matiegravere eacutetaient tous eacutegaux on ne pourrait concevoir pourquoi Dieu eucirct preacutefeacutereacute de creacuteer amp de placer tel atome ici plutocirct que lagrave ni comment une matiegravere homogegravene eucirct pu former tant de diffeacuterents corps Dieu nrsquoayant aucuns motifs de preacutefeacuterence ne pourrait creacuteer deux ecirctres semblables

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possibles Il est donc neacutecessaire qursquoils soient heacuteteacuterogegravenes Voilagrave comme on combat lrsquohomogeacuteneacuteiteacute des eacuteleacutements par le fameux principe de la raison suffisante (hellip) Il est eacutevident que ce systegraveme ne roule que sur la supposition de ce qui se passe dans un ecirctre qui ne nous a donneacute aucune notion de ses attributs M Clarke amp plusieurs autres philosophes admettent des cas de parfaite eacutegaliteacute qui excluent toute raison Leibnizienne elle serait alors non suffisante mais inutile comme on le dit dans le Traiteacute de lrsquoAme17 Mais rien ne nous autorise agrave raisonner de cette faccedilon non seulement parce que nous ne connaissons pas le mode drsquoaction drsquoun ecirctre que nous meacuteconnaissons complegravetement mais aussi parce que ce dont il srsquoagit est inaccessible agrave la raison Puisque nous ne connaissons pas la substance nous ne pouvons donc savoir si les eacuteleacutements de la matiegravere sont similaires ou non amp si veacuteritablement le principe de raison suffisante en est un A vrai dire ce nrsquoest qursquoun principe de systegraveme amp fort inutile dans la recherche de la veacuteriteacute18 La mecircme critique serait valable pour lrsquoautre grand principe leibnizien du raisonnement La philosophie de M Leibnitz porte encore sur un autre principe mais moins amp encore plus inutile crsquoest celui de la contradiction Tous ces preacutetendus premiers principes nrsquoabregravegent amp nrsquoeacuteclaircissent rien ils ne sont estimables amp commodes qursquoautant qursquoils sont le reacutesultat de mille connaissances particuliegraveres qursquoun geacuteneacuteral drsquoarmeacutee Un ministre neacutegociateur ampc peuvent reacutediger en axiomes utiles amp importants19 Consideacuterons enfin la thegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie La Mettrie srsquoen occupe au moment de conclure sa preacutesentation de la penseacutee de Leibniz dans lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes Il eacutecrit Venons au systegraveme de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie crsquoest une suite des principes eacutetablis ci-devant Il consiste en ce que tous les changements du corps correspondent si parfaitement aux changements de la monade appeleacutee esprit ou acircme qursquoil nrsquoarrive point de mouvements dans lrsquoune auxquels ne coexiste quelque ideacutee dans lrsquoautre amp vice versa Dieu a preacuteeacutetabli cette harmonie en faisant choix des substances qui par leur propre force produiraient de concert la suite de leurs mutations de sorte que tout se fait dans lrsquoacircme comme srsquoil nrsquoy avait point de corps et tout se passe dans le corps comme srsquoil nrsquoy avait point drsquoacircme Leibnitz convient que cette deacutependance nrsquoest pas reacuteelle mais meacutetaphysique ou ideacuteale Or est-ce par une section qursquoon peut deacutecouvrir amp expliquer les perceptions (hellip) Comment une monade spirituelle ou ineacutetendue peut-elle faire marcher agrave son greacute toutes celles qui composent le corps amp en gouverner les organes Lrsquoacircme ordonne des mouvements dont les moyens sont inconnus amp degraves qursquoelle veut qursquoils soient ils sont aussi vite que la lumiegravere fut Quel

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plus bel apanage quel tableau de la diviniteacute dirait Platon 20 De la doctrine de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie La Mettrie retient donc qursquoil srsquoagit drsquoune faccedilon drsquoexpliquer lrsquounion entre lrsquoacircme et le corps que cette explication srsquoappuie sur la conviction selon laquelle cette interaction entre les substances est meacutetaphysique et ideacuteale plutocirct que physique ou reacuteelle et qursquoune interaction harmonique de ce genre est rendue possible par le choix divin des substances dont le dynamisme interne produit spontaneacutement la seacuterie de leurs changements A la fin il insiste sur les difficulteacutes qui deacutecoulent de cette vision radicalement dualiste de lrsquoecirctre et de lrsquoaction de lrsquohomme 3 La critique de La Mettrie adresseacutee agrave Leibniz

Je ne veux pas insister sur la distance qui seacutepare les thegraveses que La Mettrie attribue agrave Leibniz de celles de Leibniz lui-mecircme Pour ce faire il serait neacutecessaire de prendre en compte plusieurs aspects de la penseacutee des deux auteurs qursquoil nrsquoest pas possible de reacutesumer en quelques lignes Il est remarquable par exemple que mecircme en critiquant agrave plusieurs reprises lrsquohypothegravese de lrsquoharmonie La Mettrie ne critique jamais le rapport de cette hypothegravese agrave la doctrine leibnizienne drsquoun double regravegne celui des causes efficientes et celui des causes finales

Drsquoautre part la strateacutegie argumentative de La Mettrie est preacutecise et ne consiste pas agrave preacutesenter des arguments destineacutes agrave discreacutediter les thegraveses qursquoil veut combattre Il preacutefegravere soutenir que ces thegraveses ne sont pas neacutecessaires donc qursquoelles ne sont pas prouveacutees et que les difficulteacutes lieacutees agrave lrsquoadheacutesion agrave sa propre thegravese du mateacuterialisme ndash qui est beaucoup plus simple ndash ne sont pas supeacuterieures agrave celles que lrsquoon rencontre lorsqursquoon srsquoefforce drsquoaccepter les conclusions de ses adversaires

Jrsquoinsisterai simplement sur un autre commentaire drsquoensemble de la philosophie de Leibniz qui agrave mon avis permet de comprendre pourquoi La Mettrie srsquointeacuteresse agrave lrsquoœuvre de Leibniz et pourquoi celui-ci est devenu pour lui le veacuteritable adversaire Dans lrsquoHomme machine il eacutecrit

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Les Leibniziens avec leurs Monades ont eacuteleveacute une hypothegravese inintelligible Ils ont plutocirct spiritualiseacute la matiegravere que mateacuterialiseacute lrsquoacircme Comment peut-on deacutefinir un ecirctre dont la nature nous est absolument inconnue Descartes amp tous les Carteacutesiens parmi lesquels il y a longtemps qursquoon a compteacute les Malebranchistes ont fait la mecircme faute Ils ont admis deux substances distinctes dans lrsquohomme comme srsquoils les avoient vues amp bien compteacutees21 Il srsquoagit drsquoun commentaire inteacuteressant Selon La Mettrie Leibniz est sur le bon chemin pour eacuteviter le dualisme mais le choix qursquoil a fait ndash de spiritualiser la matiegravere ndash ne lui a pas permis drsquoatteindre son but La Mettrie reconnaicirct non seulement que Leibniz cherchait agrave annuler la dualiteacute corps esprit en privileacutegiant le second terme de cette dualiteacute lrsquoesprit mais aussi que la philosophie carteacutesienne avait deacutejagrave commis la mecircme erreur eacutetant donneacute qursquoelle admettait deux substances distinctes dans lrsquohomme

Quoiqursquoil srsquoagisse drsquoun commentaire fait en passant il reacutevegravele bien jusqursquoagrave quel point Leibniz est devenu le veacuteritable adversaire de La Mettrie A plusieurs reprises ce dernier insiste sur le fait qursquoil y a seulement deux systegravemes philosophiques deux faccedilons de faire de la philosophie celle des mateacuterialistes et celle des spiritualistes Il a consacreacute sa vie agrave faire la deacutefense du premier Leibniz incarnant le deuxiegraveme On trouve deacutejagrave la mecircme ideacutee dans le Discours Preacuteliminaire qui preacutecegravede le Traiteacute de lrsquoacircme lorsqursquoil affirme que son seul projet est de prouver qursquoil y a une seule vie22

Et la thegravese de La Mettrie est que en proposant le spiritualisme Leibniz srsquoest vu obligeacute drsquoaccepter une dualiteacute irreacuteductible inutile pour rendre compte de lrsquoexpeacuterience Il insiste sur ce point dans Veacutenus Meacutetaphysique Supposeacute la spiritualiteacute de lrsquoacircme elle ne pourra jamais sortir de la matiegravere car de ce bois on ne taille pas des Mercures Les Scholastiques Creacuteatiens amp Leibniziens ont raison de se brouiller avec le ldquo traduxrdquo si lrsquoon entend par-lagrave la source de lrsquoacircme des semences corporelles au greacute des Mateacuterialistes ou une Meacutetamorphose de la matiegravere en esprit en deacutepit de lrsquoincommunicabiliteacute des essences23

Le seul vrai chemin pour arriver agrave reacutesoudre les problegravemes du dualisme corps esprit est donc le contraire commencer par la matiegravere et reacuteduire lrsquoesprit agrave la matiegravere ou lrsquoacircme au corps Le lieu de

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lrsquoacircme crsquoest le cerveau24 4 Lrsquoimage du ldquomiroirrdquo

Lrsquoimage du miroir est assez rare dans lrsquoœuvre de La Mettrie et nrsquoest pas directement en rapport avec la penseacutee de Leibniz Il srsquoen sert en lui attribuant deux sens opposeacutes drsquoabord pour critiquer les philosophies dualistes cest-agrave-dire-spiritualistes ensuite pour expliquer la faccedilon qursquoil a de comprendre le rapport de lrsquoacircme au corps Dans le premier sens soutenir une vision speacuteculaire de lrsquoacircme ne fait que dupliquer que multiplier les ecirctres sans neacutecessiteacute Le preacutejugeacute qui nous empecircche drsquoaccepter la mateacuterialiteacute de notre ecirctre tout entier est si fort qursquoon se voit obligeacute de proposer une double explication des pheacutenomegravenes et des processus de la vie humaine faute drsquoaccepter son origine naturelle crsquoest-agrave-dire purement physique et mateacuterielle

Drsquoautre part dans un sens positif le miroir ou la condition ldquospeacuteculairerdquo de lrsquoacircme permet de mettre en valeur le fait que ce qursquoon appelle lrsquoacircme nrsquoest qursquoun effet de la matiegravere un reflet de la matiegravere et des forces qui y sont inscrites ou plutocirct que lrsquoacircme est le nom qursquoon donne agrave une certaine forme drsquoactiviteacute ou drsquoauto-organisation de la matiegravere ougrave tout est physique En ce cas la ldquocondition speacuteculairerdquo de lrsquoacircme ne vise pas agrave fixer son indeacutependance ou sa suffisance en tant que substance mais au contraire vise agrave la preacutesenter comme lrsquoimage mecircme du corps

Crsquoest pourquoi il eacutecrit dans le Traiteacute de lrsquoAme

Si tout srsquoexplique par ce que lrsquoanatomie et la physiologie me deacutecouvrent dans la moelle qursquoai-je besoin de forger un ecirctre ideacuteal Si je confonds lrsquoacircme avec les organes corporels crsquoest donc que tous les pheacutenomegravenes mrsquoy deacuteterminent Et que drsquoailleurs dieu nrsquoa donneacute agrave mon acircme aucune ideacutee drsquoelle-mecircme mais seulement assez de discernement et de bonne foi pour se reconnaitre dans quelque miroir que ce soit et ne pas rougir drsquoecirctre neacutee dans la fange25

Cette maniegravere tout autre de penser le miroir a de nombreuses conseacutequences Tandis que pour Leibniz les esprits sont irreacuteductibles agrave la matiegravere et qursquoils appartiennent agrave un autre regravegne leur capaciteacute

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speacuteculative en eacutetant le reflet pour La Mettrie au contraire lrsquoesprit est une sorte de ldquoreacuteserverdquo que la matiegravere a elle-mecircme constitueacutee et qursquoelle deacuteveloppe pour faire face aux besoins et aux difficulteacutes ndash si bien que dans lrsquoHomme machine La Mettrie peut reacuteduire lrsquoesprit agrave une simple ldquoproprieacuteteacuterdquo de la matiegravere ldquoJe crois la penseacutee si peu incompatible avec la matiegravere organiseacutee qursquoelle semble en ecirctre une proprieacuteteacute telle que lrsquoeacutelectriciteacute la faculteacute motrice lrsquoimpeacuteneacutetrabiliteacute lrsquoeacutetendue etcrdquo26

Cette thegravese deacutecoule directement de sa doctrine de la causaliteacute naturelle comprise comme aveugle et neacutecessitante ldquoAyant fait sans voir les yeux qui voient elle a fait sans penser une machine qui penserdquo27

5 Lrsquoimage de la ldquomachinerdquo

Un sort diffeacuterent est reacuteserveacute agrave lrsquoautre image dont srsquoest servi Leibniz ndash celle de la machine Comme on le sait bien La Mettrie a fait de cette image une sorte drsquoicocircne de sa philosophie Lrsquohomme machine Les animaux plus que machines Lrsquohomme plus que machine Il va jusquagrave se preacutesenter lui-mecircme comme Mr Machine

Lrsquoorigine de cette image dans son œuvre est en rapport avec la fameuse thegravese de Descartes selon laquelle les animaux non doueacutes de raison sont de simples machines Au lieu de soutenir que les animaux sont quelque chose de plus que des machines La Mettrie insiste sur le fait que toute forme de vie ndash y compris la vie spirituelle ndash nrsquoest que lrsquoeffet meacutecanique de lrsquoauto-organisation hasardeuse de la matiegravere Pour ce faire il suffit de reconnaicirctre le fondement exclusivement physique de la sensibiliteacute et de la penseacutee De toute faccedilon La Mettrie ne deacutefinit pas la notion de machine en tant que telle Ce qui compte crsquoest drsquoannuler la singulariteacute de lrsquohomme dans le cadre de la nature

Lrsquoimage de la machine vise agrave rendre plausible le fait que lrsquoacircme ou lrsquoesprit ne soit qursquoune sorte drsquoorganisation mateacuterielle plus complexe Ainsi la raison nrsquoest qursquoun meacutecanisme drsquoadaptation que la matiegravere a deacuteveloppeacute de faccedilon aveugle Lrsquoesprit est la machine qui a deacuteveloppeacute une autre machine faute de trouver une autre faccedilon de faire face aux 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 26 HM OP III p 189 27 Systegraveme drsquoEpicure (SE) sect XXVII OP II p 15

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neacutecessiteacutes les lois du mouvement ldquoont fabriqueacute le viscegravere de la penseacutee La nature a fait dans la machine de lrsquohomme une autre machine qui srsquoest trouveacutee propre agrave retenir les ideacutees et agrave en faire de nouvellesrdquo28

La Mettrie prend lrsquoimage de la machine en des sens tregraves diffeacuterents de ceux auxquels pensait Leibniz Pour lrsquoauteur de lrsquoHomme machine cela permet de faire comprendre la reacuteduction de toute forme de vie aux rapports de la causaliteacute mateacuterielle et efficiente de la physique La vie nrsquoest pas une notion premiegravere qui pourrait avoir son siegravege dans une monade comprise comme ldquomiroir vivantrdquo la vie est le simple effet de lrsquoauto-complexification de la matiegravere elle nrsquoest pas agrave vrai dire une nouvelle faccedilon drsquoecirctre mais plutocirct une forme drsquoauto-organisation de la matiegravere qui vise agrave faire face aux difficulteacutes et aux besoins de cette complexification mecircme La vie ne se trouve pas dans la monade dans les atomes mais son seul siegravege est dans la machine elle-mecircme

Tandis que Leibniz parle des ldquomachines de la naturerdquo pour insister sur lrsquouniteacute et la substantialiteacute des ecirctres vivants La Mettrie srsquoen sert pour soutenir leur dimension inteacutegralement corporelle

Posez le moindre principe du mouvement les corps animeacutes auront tout ce qursquoil faut pour se mouvoir sentir penser se repentir et se conduire en un mot dans le physique et dans le moral qui en deacutepend29

Un dernier aspect illustre cette diffeacuterence dans lrsquousage de lrsquoimage de la ldquomachinerdquo Comme Leibniz La Mettrie compare lrsquoart de la nature et lrsquoart de lrsquohomme les machines naturelles et les machines artificielles Mais la comparaison lrsquoamegravene agrave des reacutesultats diffeacuterents Chez Leibniz la comparaison conduit agrave comparer les intelligences qui sont au principe de ces machines crsquoest-agrave-dire lrsquointelligence infinie et creacuteatrice de la diviniteacute et lrsquointelligence finie et plutocirct transformatrice de lrsquohomme Pour La Mettrie au contraire les machines de la nature ne sont lrsquoœuvre drsquoaucune intelligence on ne peut pas les deacutefinir par leur fonction ni par une causaliteacute finale Ce que nous appelons ldquomachines de la naturerdquo nrsquoest que le reacutesultat ldquoaveuglerdquo drsquoune nature sur le modegravele eacutepicurien elle produit ses plus belles œuvres sans le vouloir et sans y songer par essai et erreur Tout se reacuteduit au rapport complexiteacute-neacutecessiteacute 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 28 SE sect XXVII OP II p 14 29 HM OP III p 169

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Lrsquoimage de la machine sert en derniegravere analyse agrave faire comprendre qursquoil ne faut penser qursquoen ldquosimple physicienrdquo Si on srsquoeacutecarte de cette faccedilon de penser on nrsquoa affaire qursquoagrave de pures imaginations et on pourrait appliquer agrave celui qui srsquoy risquerait ce qursquoil a eacutecrit de la meacutedecine et de la philosophie de son temps Comme la meacutedecine nrsquoest plus souvent qursquoune science de remegravedes dont les noms sont admirables la philosophie nrsquoest de mecircme qursquoune science de belles paroles crsquoest un double bonheur quand les uns gueacuterissent et quand les autres signifient quelque chose30 BIBLIOGRAPHIE La Mettrie J O de Histoire naturelle de lrsquoAcircme (HNA) traduite de lrsquoanglois de M

Charp par feu Mr H de lrsquoAcadeacutemie des Sciences La Haye J Neaulme Libraire 1745

La Mettrie J O de Venus meacutetaphysique ou essai sur lrsquoorigine de lrsquoame humaine (VM) Berlin J C Voss 1752

La Mettrie J O de Œuvres Philosophiques de La Mettrie nouvelle eacutedition Berlin Ch Tutot 1796

Lemeacutee P (ed) Une Œuvre ineacutedite drsquoOffray de La Mettrie Le petit homme agrave longue queue (1751) Paris J-B Bailliegravere et Fils 1934

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CLAIRE FAUVERGUE

LA REacuteCEPTION DES PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRAcircCE DANS LrsquoENCYCLOPEacuteDIE MEacuteTHODIQUE LrsquoARTICLE ldquoSYSTEgraveME DES MONADESrdquo

Introduction

Dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique paru en trois volumes entre 1791 et 1793 Naigeon complegravete en reacutedigeant de nouveaux articles le corpus des articles drsquohistoire de la philosophie dont Diderot eacutetait lrsquoauteur dans lrsquoEncyclopeacutedie Ainsi en est-il de plusieurs articles annonceacutes par les eacutediteurs de lrsquoEncyclopeacutedie et qui eacutetaient resteacutes sans auteur Tel est le cas notamment de lrsquoarticle MONADES En effet aucun article de la premiegravere Encyclopeacutedie ne correspond au renvoi ldquoMONADESrdquo1 inseacutereacute par Diderot agrave la fin de lrsquoarticle LEIBNITZIANISME ou PHILOSOPHIE DE LEIBNITZ Il faut attendre la parution du dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique pour lire un article encyclopeacutedique sur les monades Il srsquoagit de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) (Histoire de la Philosophie moderne)2

En choisissant comme titre de cet article la deacutesignation ldquoSystegraveme des monadesrdquo Naigeon restitue tout un pan de la reacuteception de la philosophie leibnizienne Crsquoest ainsi qursquoil reacuteeacutedite les Principes de la

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Nature et de la Gracircce fondeacutes en raison en se reacutefeacuterant agrave la seconde eacutedition du Recueil Des Maizeaux3

La preacutesente eacutetude abordera les Principes de la Nature et de la Gracircce4 agrave partir de lrsquoanalyse de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique tout en replaccedilant cet article dans le contexte de la reacuteception de la philosophie de Leibniz en France Nous verrons notamment comment lrsquoinsertion des Principes de la Nature et de la Gracircce dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique srsquoaccompagne drsquoune mise en contexte ineacutedite de lrsquoopuscule leibnizien et comment lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) offre lrsquoexemple drsquoune nouvelle appreacutehension de lrsquohistoire de la philosophie Ainsi Naigeon nous invite-t-il aujourdrsquohui encore agrave relire les Principes de la Nature et de la Gracircce

Alors que Diderot preacutesentait dans lrsquoEncyclopeacutedie un choix drsquoopuscules appartenant au corpus leibnizien en traduisant ceux-ci en franccedilais drsquoapregraves lrsquoeacutedition latine de J Brucker5 auteur de lrsquoHistoria critica philosophiae choix drsquoopuscules dans lequel figurait la Monadologie Naigeon insegravere les Principes de la Nature et de la Gracircce dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique en se reacutefeacuterant pour sa part agrave lrsquoeacutedition de Des Maizeaux Par ce choix eacuteditorial Naigeon preacutesente des textes qui auraient pu servir de sources aux eacutediteurs de lrsquoEncyclopeacutedie mais auxquels agrave notre connaissance ces derniers ne se sont pas reacutefeacutereacutes Il renouvelle les mateacuteriaux ayant servi agrave Diderot dans lrsquoEncyclopeacutedie en se reacutefeacuterant agrave une source textuelle agrave laquelle aussi eacutetonnant que cela puisse paraicirctre ce dernier ne srsquoeacutetait pas rapporteacute Lrsquoarticle

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Claire Fauvergue Lrsquoarticle ldquoSystegraveme de monadesrdquo dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique

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MONADES (SYSTEgraveME DES) srsquoinscrit par conseacutequent dans le prolongement de lrsquoEncyclopeacutedie tout srsquoen deacutemarquant

Naigeon preacutesente les Principes de la Nature et de la Gracircce dans leur inteacutegraliteacute En effet les 18 articles des Principes de la Nature et de la Gracircce figurent dans lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) Pourtant Naigeon ne donne aucune preacutecision concernant le titre de lrsquoeacutecrit leibnizien bien qursquoil cite explicitement lrsquoeacutedition agrave laquelle il se reacutefegravere Il le preacutesente dans les termes suivants en se rapportant comme Des Maizeaux agrave la correspondance avec Reacutemond ldquoLeibnitz composa lrsquoeacutecrit suivant pour le prince Eugegravene de Savoie qui lui avait demandeacute un preacutecis de sa philosophie Il se flattait que ce preacutecis contribuerait agrave mieux faire entendre ses meacuteditationsrdquo6 Cette introduction reprend lrsquoAvertissement de lrsquoeacutedition de 1740 du Recueil Des Maizeaux7 Le passage de la lettre de Leibniz agrave Reacutemond auquel se reacutefegravere expresseacutement Des Maizeaux est le suivant ldquoJe me sers maintenant de lrsquooccasion de M Sulli () pour vous envoyer un petit discours que jrsquoai fait ici pour Mgr le Prince Eugegravene sur ma philosophierdquo8 Ce passage eacutetait deacutejagrave citeacute par Des Maizeaux dans la Preacuteface de lrsquoeacutedition de 1720 ce dernier formulant alors lrsquohypothegravese que Leibniz annonccedilait ainsi agrave son correspondant lrsquoenvoi drsquoun recueil de piegraveces traitant du Systegraveme de lrsquoHarmonie preacuteeacutetablie9 Ce nrsquoest que dans lrsquoeacutedition de 1740 que la relation est enfin eacutetablie avec exactitude par Des Maizeaux entre la correspondance Leibniz-Reacutemond et les Principes de la nature et de la gracircce Si lrsquoeacutecrit est deacutesormais authentifieacute la preacutesentation qursquoen donne le Recueil Des Maizeaux reste strictement la mecircme dans lrsquoeacutedition de 1740 les Principes de la nature et de la gracircce sont toujours preacutesenteacutes drsquoapregraves la mention qui en est faite par Leibniz dans sa correspondance avec Reacutemond Ainsi srsquoexpliquerait que les Principes de la nature et de la gracircce soient agrave nouveau mis en

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rapport avec la correspondance Leibniz-Reacutemond dans lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) du Dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne Cependant Naigeon ne se contente pas de faire reacutefeacuterence au Recueil Des Maizeaux il va exploiter agrave des fins critiques lrsquohypothegravese de lecture qui srsquoy trouve proposeacutee en inseacuterant agrave plusieurs reprises des extraits de la correspondance de Leibniz agrave Reacutemond entre les paragraphes des Principes de la nature et de la gracircce

Par ailleurs en se reacutefeacuterant agrave la seconde eacutedition du Recueil Des Maizeaux Naigeon met deacutefinitivement fin agrave la possibiliteacute de confondre les Principes de la nature et de la gracircce avec la Monadologie Cette confusion se trouvait encore sous la plume drsquoun encyclopeacutediste tel que Jaucourt auteur de lrsquoHistoire de la vie et des ouvrages de Leibnitz et eacutediteur des Essais de Theacuteodiceacutee En effet dans son Abreacutegeacute de la Meacutetaphysique de M Leibnitz 10 Jaucourt preacutesente un court extrait des Principes de la Nature et de la Gracircce en confondant ceux-ci avec la Monadologie Selon lui la Monadologie serait lrsquointituleacute donneacute aux traductions allemande et latine des Principes de la nature et de la gracircce Ainsi lit-on dans le ldquoCatalogue chronologique des ouvrages de Mr Leibnitzrdquo ldquoPrincipes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison par feu M le Baron de Leibnitz Europe Savante Ann 1718 p 101rdquo On a traduit en Allemand cette brochure en 1720 sous le titre de Monadologie Elle se trouve aussi en Latin dans le Suppleacutement du Journal de Leipzig anneacutee 172111

Pour autant Jaucourt ne considegravere pas les Principes de la nature et de la gracircce comme un texte original ayant donneacute lieu agrave une publication agrave part Il preacutesente ceux-ci comme faisant partie des nombreux ldquoMorceaux qui se trouvent parsemeacutes ccedilagrave et lagrave dans plusieurs Livres diffeacuterentsrdquo12

Au-delagrave de la confusion entre deux textes distincts agrave savoir les Principes de la nature et de la gracircce et les Principes de la philosophie 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 10 De Neufville (Louis de Jaucourt) Histoire de la vie et des ouvrages de Leibnitz Amsterdam 1734 pp 138-140 Lrsquoabreacutegeacute ne rend compte que de la premiegravere partie des Principes de la nature et de la gracircce srsquoachevant par un reacutesumeacute du paragraphe 6 11 Jaucourt Catalogue chronologique des ouvrages de Mr Leibnitz dans Histoire de la vie et des ouvrages de Leibnitz p 243 On retrouve le mecircme abreacutegeacute et la mecircme preacutesentation des Principes de la nature et de la gracircce dans les eacuteditions successives des Essais de Theacuteodiceacutee par Jaucourt Essais de Theacuteodiceacutee Amsterdam 1734 vol I pp 138-140 et p 243 Amsterdam 1747 vol I pp 160-163 et p 280 Lausanne 1760 vol I pp 178-181 et p 310 12 Jaucourt Catalogue chronologique des ouvrages de Mr Leibnitz dans Histoire de la vie et des ouvrages de Leibnitz p 211

Claire Fauvergue Lrsquoarticle ldquoSystegraveme de monadesrdquo dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique

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ou Monadologie lrsquoeacutetude de la reacuteception de la philosophie de Leibniz au XVIIIe siegravecle se trouve confronteacutee agrave la difficulteacute de deacuteterminer les titres exacts des diffeacuterents eacutecrits auxquels se reacutefegraverent les auteurs alors que la plupart drsquoentre eux confondent geacuteneacuteralement le titre des opuscules leibniziens et le nom du systegraveme qui srsquoy trouve eacutenonceacute Ainsi peut-on srsquointerroger sur lrsquoemploi par Naigeon de lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo En choisissant comme titre de lrsquoarticle de son dictionnaire non pas le simple terme de ldquomonadesrdquo utiliseacute agrave titre de renvoi dans lrsquoEncyclopeacutedie mais lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo Naigeon reformule lrsquointituleacute du renvoi figurant la fin de lrsquoarticle LEIBNITZIANISME de lrsquoEncyclopeacutedie On remarque en effet qursquoil supprime dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique la seacuterie de renvois inseacutereacutes par Diderot en fin drsquoarticle renvois parmi lesquels figurait le terme ldquomonadesrdquo13 De la mecircme faccedilon Naigeon suppleacutee les imperfections de la premiegravere Encyclopeacutedie par la reacutedaction drsquoun nouvel article HARMONIE PREacuteEacuteTABLIE14

Bien que dans lrsquoEncyclopeacutedie aucun article ne corresponde au renvoi ldquoMONADESrdquo tout laisse supposer que les eacutediteurs de lrsquoouvrage preacutevoyaient un tel article De fait Diderot nrsquoest pas le seul dans lrsquoEncyclopeacutedie agrave preacutevoir un renvoi en employant le terme ldquoMONADESrdquo DrsquoAlembert renvoie au ldquosystegraveme des monadesrdquo agrave deux reprises dans lrsquoEncyclopeacutedie dans lrsquoarticle CORPUSCULE puis dans lrsquoarticle DIVISIBILITEacute Dans le premier article il renvoie agrave ldquoMONADESrdquo et agrave ldquoLEIBNITZIANISMErdquo apregraves avoir eacutevoqueacute le ldquosystegraveme des monades de Leibnitzrdquo dans les termes suivants

Aussi lideacutee que nous nous formons de la matiegravere et des corps selon quelques philosophes est purement de notre imagination sans quil y ait rien hors de nous de semblable agrave cette ideacutee Ces difficulteacutes ont fait naicirctre le systegraveme des monades de M Leibnitz Voyez MONADES et LEIBNITIANISME15

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Enfin dans le second article drsquoAlembert souligne agrave nouveau la mecircme difficulteacute et eacutecrit

Dire quun corps est composeacute dautres corps cest ne rien dire Car on demandera de nouveau de quoi ces corps sont composeacutes Les eacuteleacutements de la matiegravere doivent donc ecirctre autre chose que de la matiegravere Cest ce qui avait fait imaginer agrave M Leibnitz son systegraveme des monades16

On retiendra que drsquoAlembert ne srsquoen tient pas agrave la critique des ldquomonadesrdquo17 que lrsquoon peut lire sous sa plume dans le Discours preacuteliminaire Il fait reacutefeacuterence au ldquosystegraveme des monadesrdquo dans les articles qursquoil reacutedige pour lrsquoEncyclopeacutedie en srsquointerrogeant sur les difficulteacutes qui ont pu amener Leibniz agrave eacutelaborer un tel systegraveme adoptant en ceci lrsquoordre geacuteneacutealogique des ideacutees qursquoil preacuteconise lui-mecircme de suivre

Diderot mentionne pour sa part le ldquosystegraveme des monadesrdquo dans plusieurs articles de lrsquoEncyclopeacutedie consacreacutes agrave lrsquohistoire de la philosophie Dans lrsquoarticle LEIBNITZIANISME notamment il met en lumiegravere lrsquoanalogie existant selon lui entre lrsquoideacutee que lrsquoessence de la matiegravere reacuteside dans une force particuliegravere semblable agrave une meacutemoire momentaneacutee (mens momentanea) ideacutee eacutenonceacutee par Leibniz dans sa Theacuteorie du mouvement abstrait18 et drsquoautres hypothegraveses parmi lesquelles figurent le ldquosystegraveme des monadesrdquo19 Loin de critiquer le systegraveme ainsi deacutesigneacute Diderot marque une communauteacute de penseacutee entre Leibniz et lui-mecircme Plus preacuteciseacutement il met en eacutevidence une analogie entre la deacutefinition de la matiegravere qursquoil deacutecouvre chez Leibniz le systegraveme des monades dont Leibniz est lrsquoauteur et ses propres conjectures mateacuterialistes Le renvoi ldquoMONADESrdquo ainsi inseacutereacute par les eacutediteurs de lrsquoEncyclopeacutedie dans plusieurs articles restant agrave lrsquoeacutetat drsquointention il nrsquoest pas surprenant que Naigeon srsquoemploie agrave suppleacuteer

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Claire Fauvergue Lrsquoarticle ldquoSystegraveme de monadesrdquo dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique

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agrave ce deacutefaut dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique et qursquoil reacutedige un article ineacutedit consacreacute au ldquosystegraveme des monadesrdquo

On remarquera par ailleurs que lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo figure dans le Recueil Des Maizeaux qui repreacutesente la principale source de Naigeon pour la reacutedaction des articles sur la philosophie de Leibniz Des Maizeaux lrsquoemploie dans une note de la lettre agrave Reacutemond de juillet 1714 note dans laquelle il preacutesente un extrait de la correspondance avec Sophie qursquoil insegravere probablement agrave cet endroit afin de suppleacuteer agrave lrsquoEacuteclaircissement sur les Monades annonceacute par Leibniz agrave son correspondant Lrsquoextrait de la lettre agrave Sophie dateacutee du 30 nov 1701 srsquoy trouve introduit dans les termes suivants ldquoVoici lrsquoextrait drsquoune lettre de Mr Leibniz agrave S A R Madame la Princesse Sophie qui tend agrave eacuteclaircir le Systegraveme des Monades ou des Uniteacutesrdquo Vient ensuite la citation de lrsquoextrait

Vous avez toutes les raisons du monde de dire que lrsquoUn nrsquoest pas Plusieurs et crsquoest pour cela aussi que lrsquoassemblage des Ecirctres nrsquoest pas un Ecirctre Cependant lagrave ougrave il y a plusieurs ou la multitude il faut qursquoil y ait aussi des Uniteacutes car la multitude ou le nombre est composeacute drsquouniteacutes ()20

De fait lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo est employeacutee par Leibniz avant drsquorsquoecirctre reprise par ses lecteurs puis par les encyclopeacutedistes Leibniz lrsquoemploie par exemple dans une lettre agrave Joachim Bouvet dateacutee de juillet 1704 et eacutecrit

Jrsquoespegravere de deacutemontrer ainsi mon systegraveme des monades ou des substances simples qui constituent tout et sans deacutependre les unes des autres srsquoaccordent en vertu de lrsquoharmonie que lrsquoauteur commun a preacuteeacutetablie dans leur natures (sic)21 Leibniz preacutecise qursquoil en a parleacute dans le Journal des savants renvoyant probablement au Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances Si lrsquoon considegravere que Leibniz eacutetablit lui-mecircme dans ce passage une relation eacutetroite entre le ldquosystegraveme des monadesrdquo qursquoil se propose de deacutemontrer et lrsquohypothegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie il faut convenir que Des Maizeaux nrsquoavait pas

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tout agrave fait tort de renvoyer au ldquoSystegraveme de lrsquoHarmonie preacuteeacutetablierdquo 22 lorsqursquoil eacutevoquait dans lrsquoeacutedition de 1720 de son Recueil lrsquoEacuteclaircissement sur les Monades annonceacute par Leibniz agrave Reacutemond

Enfin la fortune qursquoa connue lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo au cours de la premiegravere peacuteriode de reacuteception de la philosophie de Leibniz ndash nous pensons plus particuliegraverement agrave la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoeacutedition de la premiegravere Encyclopeacutedie ndash peut eacutegalement justifier lrsquoinsertion drsquoun nouvel article drsquohistoire de la philosophie intituleacute MONADES (SYSTEgraveME DES) dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique En effet en 1747 lrsquoAcadeacutemie de Berlin proposait au concours une question sur la ldquoDoctrine des monades et des ecirctres simplesrdquo Or degraves le premier paragraphe de sa dissertation Justi parle non pas de ldquodoctrinerdquo mais de ldquoSystegraveme des Monades et des ecirctres simplesrdquo 23 Cette dissertation ne fait pas exception lrsquoemploi de lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo est geacuteneacuteral On la trouve non seulement dans les dissertations preacutesenteacutees au concours de lrsquoAcadeacutemie de Berlin24 mais aussi chez Condillac25 Euler26 Maupertuis27 ou encore chez Voltaire comme par exemple dans le passage suivant de sa Courte reacuteponse aux longs discours drsquoun docteur allemand

Nous savons que la matiegravere est composeacutee drsquoecirctres qui ne sont pas matiegravere et que dans la patte drsquoun ciron il y a une infiniteacute de substances sans eacutetendue dont chacune a des ideacutees confuses qui composent un miroir concentreacute de tout lrsquounivers et cela srsquoappelle le systegraveme des monades28

Ainsi pour qui considegravere lrsquohistoire de la reacuteception de la philosophie leibnizienne en France il semble assez surprenant que le renvoi ldquoMONADESrdquo agrave la fin de lrsquoarticle LEIBNITZIANISME soit resteacute dans lrsquoEncyclopeacutedie agrave lrsquoeacutetat de pure virtualiteacute et que Naigeon soit le premier agrave faire la relation entre lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo et le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce publieacute par Des Maizeaux en 1740 La contribution de Naigeon agrave lrsquohistoire de

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la philosophie nrsquoen prend que plus de relief En reacutedigeant un nouvel article sur la philosophie de Leibniz dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique ce dernier ne se contente pas drsquoajouter un nouvel opuscule au corpus des eacutecrits leibniziens preacutesenteacutes par Diderot sous forme de traduction dans lrsquoarticle LEIBNITZIANISME La reacutedaction de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) lui fournit lrsquooccasion drsquoappliquer au texte leibnizien la meacutethode recommandeacutee par Diderot agrave lrsquoattention des auteurs des articles de la premiegravere Encyclopeacutedie Diderot srsquoexprimait ainsi

Il faut savoir deacutepecer artistiquement un ouvrage en meacutenager les distributions en preacutesenter le plan en faire une analyse qui forme le corps dun article dont les renvois indiqueront le reste de lobjet 29

Naigeon reprend agrave son compte les principes ainsi eacutenonceacutes et dans la note finale de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) eacutecrit agrave propos de Leibniz qursquoil y a ldquodans ce qursquoil a publieacute sur la meacutetaphysique des vues profondes des ideacutees tregraves philosophiques dont on peut mecircme deacuteduire les conseacutequences les plus fortes et tregraves contraires aux preacutejugeacutes les plus geacuteneacuteralement reccedilusrdquo Si Naigeon parvient agrave une telle intelligence de la philosophie de Leibniz crsquoest qursquoil applique au texte leibnizien les principes de lecture eacutenonceacutes par Diderot dans lrsquoEncyclopeacutedie Toujours dans la note finale de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) Naigeon deacuteclare que les ideacutees se trouvant dans les diffeacuterents eacutecrits dont Leibniz est lrsquoauteur y sont ldquotregraves enveloppeacutees elles y sont agrave peu pregraves comme la statue est dans le bloc de marbre du sculpteur il faut avoir lrsquoart de les en tirerrdquo30 Enfin en multipliant les reacutefeacuterences au corpus leibnizien agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoarticle Naigeon place Leibniz en position drsquointerpregravete de son propre systegraveme Il srsquoen explique dans les termes suivants Nous laisserons donc encore ici Leibnitz rendre pour ainsi dire teacutemoignage de lui-mecircme Il serait difficile de choisir un plus habile et plus fidegravele interpregravete de ses sentiments crsquoest mecircme le seul moyen drsquoeacuteviter le reproche qursquoon pourrait nous faire drsquoavoir mal pris sa penseacutee 31

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Ainsi Naigeon renouvelle non seulement la matiegravere des articles drsquohistoire de la philosophie mais aussi le processus de leur composition

Rappelons que lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique agrave la diffeacuterence de lrsquoEncyclopeacutedie de Diderot et drsquoAlembert adopte une division des connaissances par ordre de matiegraveres et que les renvois internes agrave lrsquoouvrage doivent en principe ecirctre remplaceacutes par le vocabulaire Le lecteur devra agrave terme consulter le ldquoVocabulaire encyclopeacutediquerdquo32 conccedilu par Panckoucke comme une table pour lrsquoensemble de lrsquoouvrage Toutefois le Dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne se distingue par la preacutesence de nombreux renvois Leur insertion est le fait de Naigeon de mecircme que les additions et les notes eacuteditoriales Ainsi ces renvois peuvent guider notre lecture des articles drsquohistoire de la philosophie notamment lorsqursquoil srsquoagit drsquoarticles entiegraverement reacutedigeacutes par Naigeon comme crsquoest le cas pour lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES)

Le travail eacuteditorial effectueacute par Naigeon pour le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique se preacutesente sous cet aspect comme une lecture critique de lrsquohistoire de la philosophie composeacutee par Diderot pour lrsquoEncyclopeacutedie Naigeon critique par exemple le fait que les extraits inseacutereacutes par Diderot dans les articles drsquohistoire de la philosophie de lrsquoEncyclopeacutedie ldquone sont souvent que la traduction de ceux de Bruckerrdquo33 Naigeon marque ainsi tout ce qui le seacutepare de Diderot en matiegravere de meacutethodologie Crsquoest deacutesormais par lrsquoeacutedition critique de textes qursquoil contribue dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique au deacuteveloppement de lrsquohistoire de la philosophie

Nous preacutesenterons ci-dessous une bregraveve analyse de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) La composition geacuteneacuterale de lrsquoarticle est la suivante Apregraves une courte introduction Naigeon insegravere le texte

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des Principes de la nature et de la gracircce drsquoapregraves lrsquoeacutedition du Recueil Des Maizeaux de 1740 et introduit agrave plusieurs reprises entre les paragraphes de lrsquoopuscule leibnizien des extraits tireacutes de plusieurs passages de la correspondance de Leibniz elle-mecircme publieacutee dans le Recueil Lrsquoarticle srsquoachegraveve par une note de lrsquoeacutediteur ougrave lrsquoon voit celui-ci reformuler les commentaires figurant dans lrsquoAvertissement du Recueil Des Maizeaux

Dans lrsquointroduction preacuteceacutedant lrsquoinsertion des Principes de la nature et de la gracircce Naigeon preacutesente la ldquotheacuteorie () des monades ou substances simplesrdquo comme une des bases principales de la meacutetaphysique et de la physique leibniziennes Agrave la reacutefeacuterence au Recueil Des Maizeaux vient srsquoajouter une courte reprise du Discours preacuteliminaire de lrsquoEncyclopeacutedie concernant le principe de ldquo la raison suffisanterdquo 34 Naigeon se rapporte eacutegalement agrave la correspondance de Leibniz avec Reacutemond et cite presque litteacuteralement le passage suivant de la lettre agrave du 10 janvier 1714

() Les Monades ou substances simples sont les seules veacuteritables substances et () les choses mateacuterielles ne sont que des pheacutenomegravenes mais bien fondeacutes et bien lieacutes Crsquoest de quoi Platon et mecircme les Acadeacutemiciens posteacuterieurs et encore les Sceptiques ont entrevu quelque chose () 35

Malgreacute les assertions de Leibniz concernant les rapports que son systegraveme entretient avec la philosophie ancienne ou les remarques de commentateurs tels que Jaucourt36 et Diderot37 mettant en parallegravele

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la philosophie de Leibniz et celle de Platon Naigeon deacutefend lrsquoideacutee qursquoun ldquosimple aperccedilu des anciensrdquo a probablement suffit agrave mettre Leibniz ldquosur la voierdquo de son systegraveme Ainsi le systegraveme des monades serait tout simplement le fruit de ses meacuteditations Naigeon affirme ici la meacutethode qui est la sienne en matiegravere drsquohistoire de la philosophie Consideacuterant que le ldquosystegraveme des monadesrdquo est absolument nouveau et qursquoil tient uniquement au geacutenie et agrave lrsquoinvention de son auteur Naigeon srsquointeacuteresse moins aux origines de ce systegraveme qursquoagrave sa genegravese crsquoest-agrave-dire agrave la faccedilon dont Leibniz ldquoa proceacutedeacute dans ses recherchesrdquo38

La composition de lrsquoarticle ainsi que les additions effectueacutees par Naigeon dans le texte des Principes de la nature et de la gracircce obeacuteissent certainement agrave ce principe de lecture Lrsquoanalyse de ces additions fait apparaicirctre que lrsquoinsertion drsquoextraits de la correspondance de Leibniz est plus importante dans la premiegravere partie des Principes de la nature et de la gracircce Preacutecisons que les insertions dans le corps du texte des Principes de la nature et de la gracircce ne sont pas signaleacutees comme telles rien ne permet au lecteur de les distinguer du texte original La premiegravere insertion est introduite agrave la fin du second paragraphe des Principes de la nature et de la gracircce et consiste dans lrsquoextrait de la lettre de Leibniz agrave Sophie dateacutee du 30 nov 1701 Il srsquoagit du passage citeacute en note comme nous lrsquoavons vu par Des Maizeaux afin de fournir au lecteur un eacuteclaircissement sur le ldquosystegraveme des monadesrdquo 39 Cet extrait se limite agrave trois paragraphes de la lettre de Leibniz agrave Sophie Il srsquoagit du passage dans lequel Leibniz explique agrave la demande de sa correspondante ce qursquoil entend en affirmant qursquoldquoil nrsquoy a qursquouniteacutes et multitudes dans la naturerdquo 40 et illustre cet eacutenonceacute en comparant les images corporelles agrave des cercles dans lrsquoeau

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La seconde insertion effectueacutee par Naigeon dans le texte des Principes de la nature et de la gracircce est introduite agrave lrsquointeacuterieur mecircme du paragraphe 6 Il srsquoagit drsquoun extrait de la lettre de Leibniz agrave Reacutemond du 11 feacutevrier 1715 Lrsquoinsertion reprend inteacutegralement le premier paragraphe de la lettre agrave Reacutemond ougrave Leibniz oppose la loi de la continuiteacute et le principe drsquouniformiteacute de la nature agrave lrsquohypothegravese de la meacutetempsycose Leibniz eacutecrit ldquoQuant agrave la Meacutetempsycose je crois que lrsquoordre ne lrsquoadmet point il veut que tout soit explicable distinctement et que rien ne se fasse par sautrdquo41 Naigeon insegravere cet extrait juste avant les deux derniegraveres phrases du paragraphe 6 agrave savoir ldquoIl nrsquoy a donc point de Meacutetempsycose mais il y a Meacutetamorphose Les animaux changent prennent et quittent seulement des parties ()rdquo42 Enfin le paragraphe 6 fera lrsquoobjet drsquoune derniegravere addition avec lrsquoinsertion drsquoun renvoi agrave un nouvel article reacutedigeacute par Naigeon pour le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne et traitant de la philosophie de Leibniz lrsquoarticle INEXTINCTION ou INDESTRUCTIBILITEacute DES ANIMAUX

Enfin on trouve une derniegravere insertion dans la suite du texte des Principes de la nature et de la gracircce preacutesenteacute dans lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) Toujours drsquoapregraves Des Maizeaux Naigeon insegravere au milieu du paragraphe 13 un extrait de la Correspondance Leibniz-Clarke Il srsquoagit du paragraphe 91 de la reacuteponse de Leibniz agrave la quatriegraveme reacuteplique de Clarke ougrave il explique que lrsquoharmonie entre toutes les substances simples srsquoexplique par le fait qursquoelles ldquorepreacutesentent toujours le mecircme universrdquo Il srsquoagit tregraves preacuteciseacutement du passage suivant ldquoComme la nature de chaque substance simple Acircme ou veacuteritable Monade est telle que son eacutetat suivant est une conseacutequence de son eacutetat preacuteceacutedent voilagrave la cause de

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lrsquoHarmonie toute trouveacuteerdquo43 Cet eacutenonceacute ainsi inseacutereacute dans le texte des Principes de la nature et de la gracircce apporte un eacuteclaircissement sur la relation existant pour Leibniz entre le systegraveme des monades et lrsquohypothegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie

Apregraves lrsquoaddition de cet extrait le paragraphe 13 des Principes de la nature et de la gracircce se poursuit par lrsquoeacutenonceacute suivant ldquoChaque Acircme connaicirct lrsquoinfini connaicirct tout mais confuseacutement ()rdquo44 Le principe de composition de lrsquoarticle est nous semble-t-il coheacuterent avec le projet annonceacute par Naigeon en introduction de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) Ce dernier se proposait en effet drsquoeacuteclaircir la theacuteorie des monades ou substances simples en tenant compte du fait que Leibniz lui-mecircme consideacuterait celle-ci comme ldquoune des bases de sa meacutetaphysique et de sa physiquerdquo45 Or le passage choisi par Naigeon dans la Correspondance de Leibniz avec Clarke illustre bien lrsquoideacutee qursquoun des principes de la meacutetaphysique leibnizienne trouve son origine dans la theacuteorie des monades Leibniz y montre comment la nature repreacutesentative des substances simples est la cause de lrsquoharmonie46

Outre les additions que nous venons de relever lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) contient un certain nombre de renvois dont lrsquoinsertion meacuteriterait drsquoecirctre commenteacutee Parmi ceux-ci se distinguent un renvoi agrave lrsquoarticle INSTINCT DES ANIMAUX47 inseacutereacute

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dans le paragraphe 5 des Principes de la nature et de la gracircce et enfin le renvoi que nous avons signaleacute ci-dessus agrave lrsquoarticle INEXTINCTION ou INDESTRUCTIBILITEacute DES ANIMAUX48 Il srsquoagit du renvoi inseacutereacute par Naigeon agrave la fin du paragraphe 6 des Principes de la nature et de la gracircce

Lrsquoarticle INEXTINCTION ou INDESTRUCTIBILITEacute DES ANIMAUX auquel Naigeon renvoie le lecteur est un article ineacutedit dont il est lrsquoauteur et dans lequel il traite agrave nouveau de la philosophie de Leibniz Il le reacutedige drsquoapregraves le Recueil Des Maizeaux en suivant agrave peu pregraves le mecircme processus reacutedactionnel que pour lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) agrave ceci pregraves qursquoil srsquoagit drsquoun article traitant aussi de philosophie ancienne Le titre de ce nouvel article est probablement tireacute de lrsquoAvertissement du Recueil Des Maizeaux ougrave le systegraveme philosophique de Leibniz est preacutesenteacute comme le ldquosystegraveme des uniteacutes reacuteelles et absolument destitueacutees de parties de lrsquoinextinction des animaux de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie etcrdquo49 Nous sommes donc en preacutesence drsquoune nouvelle piegravece agrave rajouter au corpus que lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique consacre agrave la philosophie de Leibniz Naigeon y preacutesente la premiegravere partie du Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances50 crsquoest-agrave-dire la partie traitant de la conservation de lrsquoanimal en mettant celle-ci en dialogue avec des textes issus de la correspondance de Leibniz publieacutes dans le Recueil Des Maizeaux notamment avec la ldquoLettre de Mr Leibniz agrave Des Maizeaux contenant quelques eacuteclaircissements sur lrsquoexplication drsquoun passage drsquoHippocraterdquo51

Nous nrsquoentrerons pas dans lrsquoanalyse deacutetailleacutee de ce dernier article et nous contenterons de souligner le fait que Naigeon eacutetablit ici une relation entre deux opuscules majeurs du corpus leibnizien agrave

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savoir les Principes de la nature et de la gracircce et le Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances Le rapport entre les articles MONADES (SYSTEgraveME DES) et INEXTINCTION ou INDESTRUCTIBILITEacute DES ANIMAUX est drsquoautant plus remarquable dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne que le second ne contient qursquoun seul renvoi et qursquoil srsquoagit justement drsquoun renvoi au premier crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoldquoarticle MONADESrdquo 52 Lrsquoeacutediteur invite ainsi le lecteur agrave se rapporter agrave lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) afin de juger combien le systegraveme philosophique de Leibniz est effectivement nouveau

Conclusion

Si lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) occupe une position centrale dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne crsquoest qursquoil contient des eacuteleacutements permettant de juger de la faccedilon dont Leibniz a proceacutedeacute dans ses recherches et surtout de lrsquooriginaliteacute du ldquosystegraveme des monadesrdquo Concernant ce dernier aspect le jeu des renvois ainsi que les diverses additions introduites par Naigeon nous amegravenent agrave supposer que pour ce dernier la principale nouveauteacute du ldquosystegraveme des monadesrdquo reacuteside dans la formulation de la thegravese de la conservation de lrsquoanimal

Quant agrave lrsquoeacutedition proprement dite des Principes de la nature et de la gracircce dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique elle restitue le texte publieacute par Des Maizeaux en le rapportant agrave des eacutecrits dont Leibniz est lrsquoauteur offrant ainsi les eacuteclaircissements utiles agrave la compreacutehension des principes de la meacutetaphysique et de la physique leibniziennes Naigeon parvient en outre agrave articuler lrsquoeacutedition drsquoun grand texte philosophique et lrsquoexposeacute drsquoun systegraveme lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) donne un eacuteclaircissement sans preacuteceacutedent sur la relation entre lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo et les Principes de la Nature et de la Gracircce Enfin lrsquoarticle offre au lecteur la possibiliteacute drsquoappreacutecier par lui-mecircme la nouveauteacute drsquoun systegraveme ainsi que

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Claire Fauvergue Lrsquoarticle ldquoSystegraveme de monadesrdquo dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique

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lrsquoinvention de son auteur en lrsquooccurrence Leibniz De ce point de vue le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique a certainement contribueacute agrave approfondir la connaissance de la philosophie de Leibniz agrave la fin du XVIIIe siegravecle

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MARIANGELA PRIAROLO

UN ROMANTIQUE AVANT LA LETTRE LEIBNIZ ET LE CONCEPT DE BONHEUR DANS LES PRINCIPES DE

LA NATURE ET DE LA GRAcircCE sect18

ldquoThe desire of Man being Infinite the possession is Infinite amp himself Infiniterdquo William Blake There is no natural religion (1788)

ldquoThere is no prayer like desirerdquo

Tom Waits Black Market Baby (1999)

Introduction

Les Principes de la nature et la gracircce peuvent ecirctre regardeacutes comme une vraie summa de la penseacutee de Leibniz car ils contiennent tous les thegravemes et toutes les questions qui ont traverseacute la reacuteflexion leibnizienne de sa jeunesse agrave sa maturiteacute la conception de la substance et des corps la deacutefinition de la perception celle de la connaissance de la veacuteriteacute de lrsquounivers et de ses lois ainsi que la connexion entre meacutetaphysique eacutethique et politique Les Principes deacutecrivent non seulement la nature des choses mais aussi les rapports qursquoelles ont les unes avec les autres et avec Dieu la structure du monde et la finaliteacute de la creacuteation Comme dans les summae traditionnelles dans les Principes Leibniz prend comme point de deacutepart les ecirctres finis pour arriver jusqursquoagrave Dieu ldquoqui est la source de tout bienrdquo1 Quiconque aime Dieu en cette vie nous dit Leibniz et donc reconnaicirct ldquoqursquoen vertu du parfait ordre eacutetabli dans lrsquounivers tout est fait le mieux qursquoil est possiblerdquo2 pourra ainsi atteindre la feacuteliciteacute future un ldquosuprecircme bonheurrdquo qui est lrsquoeffet neacutecessaire du ldquodivin gouvernementrdquo3 Mais lagrave ougrave nous attendrions une description de la feacuteliciteacute comme la satisfaction de nos deacutesirs et de nos espeacuterances le repos auquel nous aspirons toute notre vie Leibniz nous surprend et conclut les Principes avec les mots suivants

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Il est vrai que la suprecircme feacuteliciteacute (de quelque vision beacuteatifique ou connaissance de Dieu qursquoelle soit accompagneacutee) ne saurait jamais ecirctre pleine parce que Dieu eacutetant infini ne saurait ecirctre connu entiegraverement Ainsi notre bonheur ne consistera jamais et ne doit point consister dans une pleine jouissance ougrave il nrsquoy aurait plus rien agrave deacutesirer et qui rendrait notre esprit stupide mais dans un progregraves perpeacutetuel agrave de nouveaux plaisirs et de nouvelles perfections4

Dans les pages qui suivent je souhaite montrer en premier lieu que la deacutefinition du bonheur que Leibniz donne dans lrsquoarticle dix-huit des Principes est tregraves originale par rapport agrave la tradition en deuxiegraveme lieu que le refus leibnizien drsquoune conception de bonheur que nous pourrions deacutefinir ataraxique est eacutetroitement lieacute agrave la meacutetamorphose que Leibniz opegravere de la notion drsquoinquieacutetude eacutelaboreacutee par Locke dans lrsquoEssai sur lrsquoentendement humain Pour ce faire je diviserai mes consideacuterations en deux parties dans la premiegravere je mrsquoarrecircterai sur le deacutebut du passage citeacute et plus particuliegraverement sur la notion pour ainsi dire standard de la vision beacuteatifique en choisissant comme figure paradigmatique la conception thomiste Jrsquoindiquerai aussi les similitudes et surtout les diffeacuterences entre Thomas et Leibniz par rapport agrave la vision de Dieu Dans la deuxiegraveme partie je montrerai que le pivot de cette meacutetamorphose est la conception dynamique de lrsquoecirctre propre agrave Leibniz Crsquoest cette conception qui lui permet de redessiner les rapports entre fini et infini en franchissant la barriegravere entre les deux encore tregraves preacutesente dans lrsquoAcircge classique et drsquoouvrir ainsi les portes au Romantisme

1 De la tradition a lrsquoinnovation La vision beacuteatifique

Comme Christian Trottmann lrsquoa releveacute dans lrsquoimportante eacutetude qursquoil a consacreacutee agrave ce sujet la vision beacuteatifique peut ecirctre consideacutereacutee la thegravese essentielle du christianisme la reacuteponse que le christianisme a donneacutee agrave la peur de la mort5 Mecircme si au cours de lrsquohistoire les theacuteologiens et les philosophes chreacutetiens ont proposeacute des interpreacutetations diffeacuterentes des chemins qui portent le viator agrave voir

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Dieu face agrave face ainsi que de la modaliteacute de cette vision ils eacutetaient presque tous drsquoaccord pour dire que lrsquoaccegraves agrave Dieu est lrsquoobjet de la beacuteatitude Cette ideacutee est tregraves eacutevidente chez Thomas drsquoAquin qui mecircme en raison de son aristoteacutelisme et plus preacuteciseacutement de la teacuteleacuteologie heacuteriteacutee drsquoAristote pose une fin derniegravere agrave lrsquoagir humain6 Selon Thomas cette fin doit ecirctre unique par rapport aux deacutesirs humains7 eacutegale pour tous les hommes8 et donc ecirctre ldquoun bien parfait capable drsquoapaiser entiegraverement le deacutesir sans quoi srsquoil restait encore quelque chose agrave deacutesirer elle ne pourrait ecirctre la fin ultimerdquo9

Comme lrsquoobjet de la volonteacute humaine est le bien universel explique Thomas seulement le bien universel peut lrsquoapaiser Mais ce bien universel nrsquoest autre que Dieu donc conclut Thomas ldquoDieu seul peut combler la volonteacute de lrsquohommerdquo10 La fin derniegravere de lrsquohomme ce qui lui donnera la beacuteatitude consiste alors pour Thomas dans la saisie de Dieu et puisque atteindre son but signifie accomplir son essence et donc reacutealiser son acte propre la beacuteatitude sera une opeacuteration qui exprime ldquola perfection et lrsquoacte de lrsquoagentrdquo11 un acte que ne peut qursquoecirctre intellectuel12 Cette opeacuteration nrsquoest rien drsquoautre que la connaissance de Dieu ou plus preacuteciseacutement la vision de lrsquoessence divine la seule expeacuterience qui peut combler nos deacutesirs et nous rendre heureux

Lrsquohomme a le deacutesir naturel quand il voit un effet drsquoen connaicirctre la cause et de lagrave naicirct chez les hommes lrsquoeacutetonnement ou lrsquoadmiration Si donc lrsquointelligence de la creacuteature raisonnable ne peut pas atteindre agrave la cause suprecircme des choses en elle le deacutesir de la nature demeurera vain Il faut donc reconnaicirctre absolument que les bienheureux voient lrsquoessence de Dieu13

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Puisque chaque homme comme Aristote soutenait deacutesire naturellement de connaicirctre et que connaicirctre quelque chose signifie connaicirctre sa cause puisque de plus un deacutesir naturel ndash bien sucircr srsquoil est vraiment un deacutesir naturel ndash ne peut pas ecirctre frustreacute mais doit ecirctre satisfait alors il est neacutecessaire que lrsquohomme qui lrsquoa meacuteriteacute voie Dieu face agrave face14 La connaissance de lrsquoessence de Dieu ndash qui peut avoir lieu seulement par une vision directe car il est impossible que Dieu soit vu par une image15 ndash permettra ainsi de connaicirctre toutes les choses lrsquoessence de Dieu renfermant le modegravele du monde creacuteeacute Il faut noter que comme lrsquoessence de Dieu est infinie mais que lrsquointellect de lrsquohomme est fini la vision de Dieu ne peut jamais ecirctre exhaustive Si comprendre exprime ldquolrsquoinclusion drsquoun objet dans le sujet qui comprendrdquo alors explique Thomas

Dieu nrsquoest compris drsquoaucune maniegravere ni par lrsquointellect ni par aucun autre pouvoir car infini il ne peut ecirctre inclu dans rien de fini et rien de fini ne peut le saisir drsquoune prise infinie comme lui-mecircme16

Comme la quantiteacute pour ainsi dire de connaissance qursquoon peut avoir de lrsquoessence de Dieu deacutepend de nos capaciteacutes intellectuelles mais encore plus de la quantiteacute de lumen gloriae que Dieu nous donnera et puisque les unes et lrsquoautre eacutetant creacuteeacutees sont neacutecessairement finies17 la vision de lrsquoessence de Dieu non seulement est limiteacutee pour tous les hommes mais elle change aussi entre diffeacuterentes personnes Quoique petite et limiteacutee la vision de Dieu est quand mecircme ldquoune grande beacuteatituderdquo

Comprendre Dieu est impossible agrave un intellect creacuteeacute quel qursquoil soit mais que notre esprit lrsquoatteigne drsquoune faccedilon telle quelle [attingere vero mente Deum qualitercumque] crsquoest deacutejagrave une grande beacuteatitude [magna beatitudo] 18

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En reacutesumant selon Thomas Dieu et seulement Dieu repreacutesente la source de la feacuteliciteacute puisque Dieu et seulement Dieu peut ecirctre le but final de notre action et donc satisfaire tous nos deacutesirs Mecircme si Thomas pense comme Leibniz que la vision de Dieu ne peut jamais ecirctre complegravete cette incompleacutetude nrsquoimplique pourtant pas une diminution de feacuteliciteacute car la simple saisie de Dieu suffit pour avoir ldquoune grande beacuteatituderdquo Cela parce que dans la perspective thomiste lrsquoinfini est tellement incomparable au fini qursquoune bribe drsquoinfini est suffisant agrave apaiser les deacutesirs des ecirctres finis19

Or dans le dernier article des Principes nous trouvons quelque chose de semblable agrave la position de Thomas mais aussi quelque chose de tregraves diffeacuterent tout comme Thomas Leibniz 1) pose une relation eacutetroite entre la feacuteliciteacute derniegravere ldquola suprecircme feacuteliciteacuterdquo et la vision de Dieu et 2) deacuteclare que la connaissance de Dieu nrsquoest jamais complegravete agrave cause de lrsquoinfiniteacute divine Par rapport au premier point pas de surprise comme on lrsquoa noteacute plus haut lrsquoidentification entre beacuteatitude et vision de Dieu est en effet un point central du christianisme et Leibniz ne fait pas exception Comme on lit par exemple dans lrsquoExamen religionis christianae connu aussi comme Systegraveme theacuteologique et eacutecrit par Leibniz probablement en 1686

Je sais que quelques heacuteteacuterodoxes reacutevoquent en doute la vision beacuteatifique de Dieu mais ils nrsquoen apportent aucune raison car dans cet eacutetat Dieu est la lumiegravere de lrsquoame et lrsquounique objet exteacuterieur immeacutediat de notre intelligence Agrave preacutesent nous voyons tout comme dans un miroir comme si le rayon de notre intelligence eacutetoit reacutefleacutechi ou reacutefracteacute par les qualiteacutes corporelles de la confusion de nos penseacutees Mais alors quand notre connoissance sera distincte nous boirons agrave la vraie source et nous verrons Dieu face agrave face car Dieu eacutetant la derniegravere raison des choses nous le verrons par la cause des causes lorsque notre connoissance sera a priori crsquoest-agrave-dire que nos deacutemonstrations nrsquoauront plus besoin drsquohypothegraveses ni drsquoexpeacuteriences et que nous pourrons rendre raison mecircme des veacuteriteacutes primitives 20

Mais il nrsquoy a pas de surprise mecircme par rapport au deuxiegraveme point car lrsquoopposition entre fini et infini est preacutesente en Leibniz aussi qui toutefois agrave la diffeacuterence de Thomas semble la voir comme un rapport quantitatif plutocirct que qualitatif Prenons-le ceacutelegravebre paragraphe 61 des Essais de theacuteodiceacutee dans le Discours sur la conformiteacute entre la foi et la raison

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Cette portion de raison que nous possedons est un don de Dieu et consiste dans la lumiere naturelle qui nous est resteacutee au milieu de la corruption cette portion est conforme avec le tout et elle ne differe de celle qui est en Dieu que comme une goutte drsquoeau differe de lrsquoOcean ou plustot le fini de lrsquoinfini 21

Ce qui est surprenant comme on lrsquoa deacutejagrave signaleacute est le fait que lrsquoincompleacutetude de notre connaissance de Dieu nrsquoest pas consideacutereacutee par Leibniz neacutegativement Mais la raison nrsquoest pas comme chez Thomas que la vision de Dieu pour limiteacutee qursquoelle soit nous donne le bonheur La raison est plutocirct que Leibniz voit lrsquoincompleacutetude comme une sollicitation agrave progresser Chez Leibniz la vision de Dieu ne satisfait donc pas nos deacutesirs non pas eacutevidemment parce que Dieu nrsquoest pas suffisant agrave les combler mais plutocirct parce que la satisfaction de nos deacutesirs nrsquoest pas souhaitable Nous voyons ainsi le repos et le calme mental propre agrave la conception thomiste du bonheur ndash mais deacutejagrave aristoteacutelicienne stoiumlcienne et en geacuteneacuteral intuitive ndash devenir en Leibniz synonyme de stupiditeacute La question devient alors celle de savoir quelles sont les raisons qui induisent Leibniz agrave refuser cette conception de bonheur en faveur drsquoune ideacutee de bonheur insolite Crsquoest ce que nous allons eacuteclaircir dans la seconde partie

2 Feacutelicite activiteacute et inquieacutetude

Pour comprendre les raisons de la conception du bonheur proposeacutee dans les Principes par Leibniz il faut drsquoabord se demander quelle est en geacuteneacuteral la conception de la feacuteliciteacute leibnizienne Un lieu inteacuteressant agrave interroger est un texte des anneacutees quatre-vingt-dix deacutejagrave publieacute par Grua et maintenant lisible aussi dans lrsquoeacutedition on-line du nouveau tome de lrsquoeacutedition de lrsquoAcadeacutemie Leibniz y deacutefinit la feacuteliciteacute comme ldquoun estat durable de joyerdquo

La feliciteacute est un estat durable de joye [hellip] La joye est le plaisir total qui resulte de tout ce que lrsquoame sent agrave la fois [hellip] Le plaisir est le sentiment de quelque perfection Et cette perfection qui cause du plaisir se peut trouver non seulement en nous mais encor ailleurs Car lors que nous nous en appercevons cette connoissance mecircme excite quelque perfection en nous parce que la representation de la perfection en est une aussi [hellip] Il y a deux sortes de connoissances celle des faits qui srsquoappelle perception et celle des raisons qursquoon appelle intelligence La perception est des choses singulieres lrsquointelligence a pour objet les universels ou les veriteacutes eternelles Et crsquoest pour cela que la connoissance des raisons nous perfectionne pour 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 21 GP 6 84

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tousjours et nous fait tout rapporter agrave la derniere raison des choses crsquoest agrave dire a Dieu qui est la source de la feliciteacute [hellip] Ainsi le plaisir de connoistre les raisons est bien plus estimable que celuy drsquoapprendre des faits 22

On voit que Leibniz pose ici un lien tregraves eacutetroit entre feacuteliciteacute et plaisir en avanccedilant donc une conception heacutedoniste de la feacuteliciteacute qui semble eacutetrangegravere agrave la position thomiste23 Cependant il faut remarquer que le plaisir propre agrave la suprecircme feacuteliciteacute deacutepend pour Leibniz drsquoune expeacuterience intellectuelle car crsquoest la connaissance qui nous permet drsquoarriver au plus grand niveau de perfection et par conseacutequent de plaisir en ce sens le plaisir dont on jouira quand on verra Dieu est un plaisir qui deacutepend du fait qursquoon pourra comme chez Thomas connaicirctre ldquola derniegravere raison des chosesrdquo Le plaisir que nous ressentirons en regardant le visage de Dieu est le plus grand plaisir qursquoon puisse deacutesirer non seulement parce que en Dieu on connaicirctra les fondements des universels et des veacuteriteacutes eacuteternelles en obtenant une connaissance que ldquonous perfectionnerdquo mais aussi parce que nous aurons accegraves aux perfections divines et nous pourrons ainsi nous perfectionner par le moyen de la repreacutesentation des perfections divines Comme on lit dans le premier article du Discours de meacutetaphysique on ne peut pas parler de perfections au sujet des

formes ou natures qui ne sont pas susceptibles du dernier degreacute [hellip] comme par exemple la nature du nombre ou de la figure Car le nombre le plus grand de tous (ou bien le nombre de tous les nombres) aussi bien que la plus grande de toutes les figures impliquent contradiction mais la plus grande science et la toute-puissance nrsquoenferment point drsquoimpossibiliteacute Par consequent la puissance et la science sont des perfections et en tant qursquoelles appartiennent agrave Dieu elles nrsquoont point de bornes24

Les perfections de Dieu sont ainsi des qualiteacutes actuellement infinies et donc absolues des maxima limites supeacuterieures que comme le maximum du calcul leibnizien une intelligence finie ne peut jamais rejoindre25 Crsquoest pour cette raison que le plaisir que lrsquohomme peut eacuteprouver est potentiellement infini lrsquoactiviteacute requise pour parcourir les perfections divines est en effet ineacutepuisable Pourtant la vraie 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 22 Grua II 581-583 A VI 5 Internetausgabe n 1302 23 Sur cette definition de feacuteliciteacute voir les reacuteflexions de Rutheford 2003 en part p 71 et suivants Il est vraisemblable que Leibniz a mis lrsquoaccent sur le plaisir pour contester aussi les conceptions quietistes tregraves diffuseacutees et contesteacutees agrave lrsquoeacutepoque Voir sur cette question Roinila 2013 24 A VI 4 1531 25 Sur cette question voir par exemple De natura veritatis contingentiae et indifferentiae (1685-1686) in A VI 4 1514-1524

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diffeacuterence entre Leibniz et la tradition sur ce point est que chez Leibniz lrsquoactiviteacute des hommes substances individuelles et finies peut quand mecircme ecirctre infinie Plus speacutecifiquement non seulement les substances individuelles peuvent connaicirctre lrsquoinfini comme Descartes ou Malebranche lrsquoavaient deacutejagrave deacuteclareacute mais elles sont pour ainsi dire constitueacutees drsquoinfini autant dans leur nature que dans leur activiteacute

En effet en regard de la nature de la substance Leibniz souligne agrave plusieurs reprises que ldquolrsquoindividualiteacute enveloppe lrsquoinfinirdquo26 car dans la notion complegravete de chaque substance individuelle est renfermeacutee une infiniteacute des preacutedicats qui expriment et fondent les relations entre la substance Dieu et lrsquounivers27 Puisque ldquotout ce qui doit arriver agrave quelque personne est deacutejagrave compris virtuellement en sa nature ou notionrdquo28 la vie de la substance consistera dans le deacuteveloppement ou pour utiliser le mot cher agrave Deleuze le deacuteploiement de tous les attributs qui correspondent aux preacutedicats de la substance29 une activiteacute qui est donc intrinsegravequement infinie puisque infinis sont les preacutedicats qui constituent la substance

Pour ce qui concerne le rapport entre activiteacute et substance il nrsquoest sans doute pas neacutecessaire de rappeler que pour Leibniz tel est le caractegravere essentiel de la substance et que la conception pour ainsi dire dynamique de la substance est deacutejagrave en place dans les œuvres de jeunesse On la trouve par exemple dans De transubstantiatione de 1668 ougrave Leibniz eacutecrit ldquoLa substance est un ecirctre qui subsiste par soi-mecircme Un ecirctre qui subsiste par soi-mecircme a le principe drsquoaction en soirdquo30

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Cette deacutefinition sera centrale dans la constitution de la penseacutee de Leibniz par rapports aux philosophes et aux theacuteories qursquoil critique ou refuse - la physique carteacutesienne drsquoabord mais aussi la meacutetaphysique de Spinoza Actiones sunt suppositorum reacutepegravetera souvent Leibniz puisque comme on lit aussi dans le premier article des Principes ldquola substance est un etre capable drsquoactionrdquo31

Or comme on peut noter en lisant les Nouveaux Essais sur lrsquoentendement humain pour Leibniz lrsquoactiviteacute de la substance qui est pour la plus grande part inconsciente se manifeste au niveau subjectif comme inquieacutetude un concept qui est tregraves important dans la reacuteflexion de Locke dans lrsquoEssai sur lrsquoentendement humain Le terme que Leibniz utilise est drsquoorigine malebranchienne provenant de la traduction donneacutee par Pierre Coste du mot anglais uneasiness utiliseacute par Locke Mais comme Coste le notait deacutejagrave le terme franccedilais inquieacutetude ldquonrsquoexprime pas preacuteciseacutement la mecircme ideacuteerdquo32 En effet comme Jean Deprun a souligneacute dans son livre classique33 tandis que chez Malebranche lrsquoinquieacutetude repreacutesente la condition meacutetaphysique de lrsquoacircme dont la volonteacute est pousseacutee vers Dieu par un mouvement incessant que seulement lrsquounion avec Dieu pourra arrecircter agrave partir de Locke et au cours du XVIIIegraveme siegravecle ldquolrsquoinquieacutetude est rameneacutee du ciel sur la terre et reacuteacclimateacutee dans lrsquoici-basrdquo34 Locke semble donc naturaliser lrsquoinquieacutetude malebranchienne en la lisant surtout neacutegativement comme un eacutetat psycho-physique de malaise une condition douloureuse causeacutee par le manque de quelque chose qursquoon deacutesire mais qui possegravede quand-mecircme un effet positif car elle pousse agrave lrsquoaction

Ici il ne sera peut-ecirctre pas inutile de remarquer en passant que lrsquoinquieacutetude [uneasiness] est le principal pour ne pas dire le seul aiguillon qui excite lrsquoindustrie et lrsquoactiviteacute des hommesrdquo35

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On ne peut ici examiner la question du rapport entre les concepts drsquoinquieacutetude chez Malebranche Locke et Leibniz mais il faut au moins remarquer que Leibniz suivant aussi certaines suggestions de Malebranche36 valorisera principalement lrsquoaspect positif de lrsquoinquieacutetude au sein de la reacuteflexion lockeacuteenne Ainsi lrsquoinquieacutetude nrsquoest pas chez Leibniz une conseacutequence de la douleur mais une condition geacuteneacuterale de notre existence due au fait que lrsquoindividu est toujours traverseacute par des perceptions confuses et inconscientes des ldquodeterminations insensiblesrdquo 37

On appelle Unruhe en Allemand crsquoest agrave dire inquietude le balancier drsquoun horloge on peut dire qursquoil en est de mecircme de nostre corps qui ne sauroit jamais estre parfaitement agrave son aise parce que quand il le seroit une nouvelle impression des objets un petit changement dans les organes dans les vases et dans les visceres changera drsquoabord la balance et le fera faire quelque petit effort pour se remettre dans le meilleur estat qursquoil se peut ce qui produit un combat perpetuel qui fait pour ainsi dire lrsquoinquietude de nostre Horloge38

Lrsquoinquieacutetude est alors lrsquoexpression de ces ldquopetites solicitations imperceptibles qui nous tiennent tousjours en haleinerdquo 39 et qui nous poussent agrave agir drsquoune faccedilon ou lrsquoautre ldquoCes impulsions sont comme autant de petit ressorts qui tachent de se debander et qui font agir notre machinerdquo40

Par conseacutequent pour Leibniz nos actions ne sont pas toujours comme pour Locke lrsquoeffet drsquoun deacutesir conscient ou drsquoune fuite de la douleur qui est aussi un malaise conscient mais le reacutesultat drsquoune lutte entre impulsions diffeacuterentes et pour la plupart inconscientes dont on ne srsquoaperccediloit donc presque pas Lrsquoinquieacutetude est alors la manifestation psychologique drsquoune dimension ontologique de freacutemissante activiteacute constitueacutee de ldquoces petites impulsionsrdquo qui nous font nous ldquodeacutelivrer continuellement des petits empechemens a quoy notre nature travaille sans qursquoon y penserdquo41

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Crsquoest en quoy consiste veritablement cette inquietude qursquoon sent sans la connoistre qui nous fait agir dans les passions aussi bien que lorsque nous paroissons les plus tranquilles car nous ne sommes jamais sans quelque action et mouvement qui ne vient que de ce que la nature travaille tousjours agrave se mettre mieux agrave son aise42

Si lrsquoinquieacutetude ne deacutepend pas de la douleur comme le voulait Locke mais de cette activiteacute peacuterenne qui caracteacuterise la substance individuelle elle sera aussi preacutesente mecircme dans la feacuteliciteacute

Bien loin qursquoon doive regarder cette inquieacutetude comme une chose incompatible avec la feliciteacute je trouve que lrsquoinquietude est essentielle agrave la feliciteacute des creacuteatures laquelle ne consiste jamais dans une parfaite possession qui les rendroit insensibles et comme stupides mais dans un progreacutes continuel et non interrompu agrave des plus grands biens qui ne peut manquer drsquoestre accompagneacute drsquoun desir ou du moins drsquoune inquieacutetude continuelle mais telle que je viens drsquoexpliquer43

Suite de lrsquoactiviteacute de la substance lrsquoinquieacutetude ne peut donc jamais disparaicirctre car sa cessation toute recircveacutee qursquoelle lrsquoa eacuteteacute par la tradition impliquerait au contraire pour Leibniz la cessation mecircme de la vie de la substance et donc de tous les ecirctres reacuteels

Conclusions

Au deacutebut de ces pages aussi que dans le titre jrsquoai avanceacute lrsquohypothegravese que le concept du bonheur agrave la fin des Principes de la nature et de la gracircce nous permettrait de parler drsquoun Leibniz preacutecurseur du romantisme une affirmation tregraves prenante qui exigerait un travail agrave part Neacuteanmoins je voudrais en eacutebaucher ici les points agrave mon avis le plus importants

Il faut signaler drsquoabord un eacutevegravenement historique qui aura une grande influence sur la reacuteception leibnizienne au sein du Romantisme allemand agrave savoir la publication en 1765 par Raspe des Nouveaux Essais sur lrsquoentendement humain Avant cette date le Leibniz connu par tout le monde eacuteteacute le Leibniz-Candide de la Theacuteodiceacutee ou agrave la limite le Leibniz de Wolff Les Nouveaux Essais reacutevegravelent par contre le Leibniz des petites perceptions et du Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances reacutesumeacute au deacutebut du livre Le Leibniz anticarteacutesien fondateur de la dynamique et drsquoune vision

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eacutenergeacutetique de la nature Preacuteciseacutement le Leibniz des Principes de la nature et de la gracircce44

Crsquoest le Leibniz dont Herder srsquoinspire dans son œuvre Du connaicirctre et du sentir de lrsquoacircme humaine de 1778 et qui est deacutefini par Fichte agrave la fin de la Seconde Introduction agrave la Doctrine de la Science le seul philosophe qui avait raison45 Comme Marco Ivaldo entre autres lrsquoa montreacute on peut retrouver chez Fichte plusieurs reacutefeacuterences agrave la penseacutee de Leibniz46 Pour notre sujet il apparaicirct tregraves important de souligner la deacutefinition du moi en termes drsquoeffort Streben preacutesenteacute par Fichte dans lrsquoarticle 5 du Fondement de la doctrine de la science ldquoLe moi est infini mais seulement dans son effort il tend agrave ecirctre infini Mais la finitude est deacutejagrave contenue dans le concept de lrsquoeffort car il nrsquoy a pas drsquoeffort sans reacutesistancerdquo47

Comme les monades de Leibniz le moi de Fichte est principalement action sujet qui tend qui aspire agrave lrsquoinfini et qui a besoin de limites agrave franchir pour continuer agrave exercer son action Cette ideacutee eacutenonceacutee aussi par le romantique par excellence le Faust de Goethe (ldquoAu commencement eacutetait lrsquoactionrdquo) revient dans les mecircmes anneacutees sous la plume drsquoun autre protagoniste du Romantisme Friedrich Schlegel qui dans le Cours sur la philosophie transcendantale donneacute agrave Ieacutena en 1800-1801 voit dans le deacutesir de lrsquoinfini la plus importante proprieacuteteacute de lrsquohomme ldquoCrsquoest un deacutesir le deacutesir de lrsquoinfini Il nrsquoy a rien de plus eacuteleveacute en lrsquohomme [hellip] Le deacutesir de lrsquoinfini doit toujours ecirctre deacutesir Il ne peut passer dans la forme de lrsquointuitionrdquo48

Mais passer dans la forme de lrsquointuition agrave savoir devenir complegravetement connu impliquerait pour Schlegel la cessation de lrsquoaspiration agrave lrsquoinfini et donc de lrsquoaspect plus feacutecond de la vie de lrsquohomme une ideacutee tregraves proche de celle eacutevoqueacutee par Leibniz agrave la fin des Principes

La nostalgie de lrsquoinfini et de lrsquoabsolu que Deprun voyait comme lrsquoeacuteleacutement central de lrsquoinquieacutetude chreacutetienne49 devient donc dans le 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 44 Sur ce sujet voir Tonelli en particulier les paragraphes 4 et 5 Ayrault 1961 vol 1 pp 231 et ss et Wilson 1995 45 Voir Lauth 1996 et Ivaldo 2000 46 Une influence de Leibniz sur Fichte eacutetait deacutejagrave envisageacutee par Gueroult Voir Gueroult 1930 vol II pp 3-153 47 Fichte 1980 p 139 48 In Schlegel 2002 p 173 49 Deprun 1979 p 214

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Romantisme la composante essentielle des ecirctres humains En ce sens en faisant de lrsquoinquieacutetude lrsquoexpression psychologique de lrsquoinfini preacutesente dans la substance mais en gardant au mecircme temps la transcendance de lrsquoinfini Leibniz peut ecirctre vu comme le trait drsquounion entre lrsquoAcircge classique et lrsquoeacutepoque romantique

Dans lrsquohistoire du deacutecalage de signification du concept drsquoinquieacutetude dans le Romantisme Leibniz semble donc avoir joueacute un rocircle beaucoup plus important que celui que Deprun mecircme lui a reconnu un rocircle qursquoil serait inteacuteressant drsquoexplorer pour eacuteclaircir aussi les dettes que la philosophie romantique (surtout allemande) a envers lrsquoauteur des Principes Une recherche exigeante bien sucircr mais qui en gardant notre esprit actif nous aidera si Leibniz a raison agrave ne pas devenir tout agrave fait stupides

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    • LETICIA CABANtildeAS - IDEacuteALISME ET REacuteALISME CHEZ LEIBNIZLA MEacuteTAPHYSIQUE MONADOLOGIQUE FACE Agrave UNEMEacuteTAPHYSIQUE DE LA SUBSTANCE CORPORELLE
    • ENRICO PASINI - DOUBLE CHARNIEgraveRE PHILOSOPHIE NATURELLE MEacuteTAPHYSIQUE ET PERCEPTION DANS LES PNG
    • EVELYN VARGAS - ldquoEN SIMPLES PHYSICIENSrdquoLA PERCEPTION ANIMALE ET LA CONNAISSANCE SENSIBLESELON LEIBNIZ EN 1714
    • FEDERICO SILVESTRI - ACTIVITY AND FINAL CAUSES ON PRINCIPLES OF NATURE AND GRACE sect3
      • SECTION 2 - PRINCIPE DE RAISON ET CAUSALITEacute
        • ARNAUD LALANNE - LA QUESTION DU ldquoPOURQUOIrdquo DANS LA FORMULATION DUPRINCIPE DE RAISON
        • JUAN ANTONIO NICOLAacuteS - LA TRANSFORMATION LEIBNIZIENNE DES PRINCIPES LE PRINCIPE DE RAISON COMME PRINCIPE PRATIQUE
        • JUAN ANTONIO NICOLAacuteS - LA TRANSFORMATION LEIBNIZIENNE DES PRINCIPESLE PRINCIPE DE RAISON COMME PRINCIPE PRATIQUE
        • FERDINANDO LUIGI MARCOLUNGO - ldquoPLUS SIMPLE ET PLUS FACILE QUE QUELQUE CHOSErdquoLE RIEN ET LA RAISON SUFFISANTEDE LEIBNIZ Agrave KANT
        • MARTIN ŠKAacuteRA - LEIBNIZ ET HEIDEGGER PRINCIPE DE RAISON SUFFISANTE ET SATZ VOM GRUND
          • SECTION 3 - LE STATUT DES EacuteSPRITS ETLrsquoORDRE DE LA GRAcircCE
            • STEFANO DI BELLA - NATURALIZING GRACELEIBNIZrsquoS RESHAPING OF THE TWO KINGDOMS OF NATUREAND GRACE BETWEEN MALEBRANCHE AND KANT
            • LAURENCE BOUQUIAUX - CONNEXION UNIVERSELLE ET ENVELOPPEMENT DU FUTURDANS LE PREacuteSENT
            • MARTINE DE GAUDEMAR - APREgraveS LE ldquoTOURNANT MONADOLOGIQUErdquoUNE REDEacuteFINITION DES ESPRITS
            • DAVIDE POGGI - QUELQUES OBSERVATIONS SUR LA REacuteFLEXION COGNITIVE ETLA REacuteFLEXIVITEacute DE LrsquoESPRIT DANS LA PENSEacuteE DE LEIBNIZ
            • ANSGAR LYSSY - AU-DELAgrave DE LA NATURELES PRINCIPES DE LA GRAcircCE CHEZ LEIBNIZ
              • SECTION 4 - LrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIENNE
                • TAHAR BEN GUIZA - LA VARIATION DANS LE STYLE DrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIEN ETLA TRADITION PHILOSOPHIQUE ARABE
                • MARTA MENDONCcedilA - ldquoMACHINESrdquo ET ldquoMIROIRSrdquoLA METTRIE CRITIQUE DE LEIBNIZ
                • CLAIRE FAUVERGUE - LA REacuteCEPTION DES PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRAcircCEDANS LrsquoENCYCLOPEacuteDIE MEacuteTHODIQUELrsquoARTICLE ldquoSYSTEgraveME DES MONADESrdquo
                • MARIANGELA PRIAROLO - UN ROMANTIQUE AVANT LA LETTRE LEIBNIZ ET LE CONCEPT DE BONHEUR DANS LES PRINCIPES DELA NATURE ET DE LA GRAcircCE sect18
                  • Couverture
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eacutediteacute par

PAUL RATEAU

1714-2014LIRE AUJOURDrsquoHUI LES PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRAcircCE

DE G W LEIBNIZ

Istituto per il Lessico Intellettuale Europeo e Storia delle Idee2019

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INDEX

5 Preacuteface Paul Rateau

SECTION 1 MONADES SUBSTANCES CORPORELLES ET ACTIVITEacute PERCEPTIVE

9 Ideacutealisme et reacutealisme chez Leibniz la meacutetaphysique

monadologique face agrave une meacutetaphysique de la substance corporelle Leticia Cabantildeas

19 Double charniegravere Philosophie naturelle meacutetaphysique et perception dans les PNG

Enrico Pasini 33 ldquoEn simples physiciensrdquo La perception animale et la connaissance

sensible selon Leibniz en 1714 Evelyn Vargas 45 Activity and Final Causes On Principles of Nature and Grace sect3 Federico Silvestri

SECTION 2 PRINCIPE DE RAISON ET CAUSALITEacute

69 La question du ldquopourquoirdquo dans la formulation du principe de

raison Arnaud Lalanne 81 La transformation leibnizienne des principes Le principe de

raison comme principe pratique Juan Antonio Nicolaacutes 97 ldquoPlus simple et plus facile que quelque choserdquo Le rien et la raison

suffisante de Leibniz agrave Kant Ferdinando Luigi Marcolungo

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105 Leibniz et Heidegger Principe de raison suffisante et Satz vom Grund

Martin Škaacutera

SECTION 3 LE STATUT DES EacuteSPRITS ET LrsquoORDRE DE LA GRAcircCE

123 Naturalizing Grace Leibnizrsquos Reshaping of the Two Kingdoms of

Nature and Grace between Malebranche and Kant Stefano Di Bella 145 Connexion universelle et enveloppement du futur dans le preacutesent

Laurence Bouquiaux 163 Apregraves le ldquotournant monadologiquerdquo Une redeacutefinition des esprits Martine de Gaudemar 189 Quelques observations sur la reacuteflexion cognitive et la reacuteflexiviteacute

de lrsquoesprit dans la penseacutee de Leibniz Davide Poggi 207 Au-delagrave de la nature Les principes de la gracircce chez Leibniz Ansgar Lyssy

SECTION 4 LrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIENNE

227 La variation dans le style drsquoeacutecriture leibnizien et la tradition

philosophique arabe Tahar Ben Guiza 241 ldquoMachinesrdquo et ldquomiroirsrdquo La Mettrie critique de Leibniz Marta de Mendonccedila 255 La reacuteception des Principes de la Nature et de la Gracircce dans

lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique lrsquoarticle ldquoSystegraveme des monadesrdquo Claire Fauvergue 273 Un romantique avant la lettre Leibniz et le concept de bonheur

dans les Principes de la Nature et de la Gracircce sect18 Mariangela Priarolo

PREacuteFACE En 1714 durant son seacutejour agrave Vienne Leibniz compose pour le Prince Eugegravene de Savoie un court texte en franccedilais sous le titre Principes de la Nature et de la Gracircce fondeacutes en raison Il le deacutecrit comme un ldquopetit discoursrdquo sur ldquo[sa] philosophierdquo dont le but est de ldquomieux faire entendre [ses] meacuteditationsrdquo (lettre agrave Reacutemond 26 aoucirct 1714) Le texte se distingue de ce que lrsquoauteur a publieacute jusque-lagrave Drsquoabord par son style Leibniz nrsquoy expose pas sa penseacutee en empruntant un langage scolastique ou carteacutesien mais dit-il ldquodrsquoune maniegravere qui puisse [ecirctre] entendue encore de ceux qui ne sont pas encore trop accoutumeacutes au style des uns et des autresrdquo (ibid) Il choisit donc drsquoeacutecrire en utilisant son propre vocabulaire philosophique et de srsquoadresser agrave un public non preacutevenu et plus large que celui des savants de profession ndash comme lrsquoillustre le choix du destinataire et de la langue franccedilaise ici preacutefeacutereacutee au latin

Mais les Principes de la Nature et de la Gracircce sont encore un texte original par son contenu mecircme Leibniz le qualifie drsquo ldquoabreacutegeacuterdquo de ses penseacutees (lettre agrave Bonneval fin 1714) Pourtant il ne saurait se reacuteduire agrave un simple reacutesumeacute ou preacutecis de sa ldquophilosophierdquo ndash qui nrsquoapprendrait rien de nouveau au lecteur familier des textes leibniziens de la mecircme peacuteriode ndash ni agrave une succession de thegraveses deacutelesteacutees par souci de concision de leurs preuves et de leurs deacutemonstrations comme pourrait le suggeacuterer le titre mecircme du texte Les Principes ne se limitent pas agrave lrsquoexposeacute de principes Lagrave ougrave la Monadologie ndash eacutegalement eacutecrite en 1714 ndash fait se suivre les thegraveses et restitue le plan drsquoun exposeacute philosophique presque complet (en vue drsquoune ldquomise en poeacutesierdquo par le poegravete Fraguier) les Principes sont un veacuteritable texte si lrsquoon entend par lagrave un discours articuleacute et continu ougrave la penseacutee porteacutee par un mecircme eacutelan va de la deacutefinition de la substance simple aux esprits de la composition des corps au royaume de Dieu des causes efficientes aux causes finales de lrsquoordre naturel au regravegne de la gracircce

Les articles que lrsquoon va lire sont reacutepartis en quatre sections principales (I Monades substances corporelles et activiteacute perceptive II Principe de raison et causaliteacute III Le statut des esprits et lrsquoordre de la gracircce IV Lrsquoeacutecriture leibnizienne) Ils sont issus de deux manifestations

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scientifiques internationales La premiegravere est un colloque organiseacute agrave Milan les 15 et 16 septembre 2014 intituleacute ldquoBased on Reason Leibnizrsquos Principles of Nature and Gracerdquo La seconde est le premier Congregraves de la Socieacuteteacute drsquoEacutetudes Leibniziennes de Langue Franccedilaise (SELLF) tenu agrave Paris en Sorbonne les 27 28 et 29 novembre 2014 sous le titre ldquo1714-2014 Lire aujourdrsquohui les Principes de la Nature et de la Gracircce de G W Leibnizrdquo

Qursquoil me soit permis enfin de remercier chaleureusement le Professeur Antonio Lamarra drsquoavoir accepteacute drsquoaccueillir ces contributions dans la seacuterie ILIESI digitale

PAUL RATEAU

SECTION 1

MONADES SUBSTANCES CORPORELLES ET ACTIVITEacute PERCEPTIVE

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LETICIA CABANtildeAS

IDEacuteALISME ET REacuteALISME CHEZ LEIBNIZ LA MEacuteTAPHYSIQUE MONADOLOGIQUE FACE Agrave UNE MEacuteTAPHYSIQUE DE LA SUBSTANCE CORPORELLE

Reconstruire le chemin suivi par Leibniz au long des multiples aspects de sa penseacutee jusqursquoagrave sa meacutetaphysique finale et en donner une vision drsquoensemble se reacutevegravele ecirctre une tacircche difficile Ortega y Gasset parlait du ldquogigantesque presque surhumain Leibnizrdquo1 Le Baroque lrsquoeacutepoque ougrave veacutecut Leibniz est une peacuteriode tregraves complexe au cours de laquelle se deacuteveloppent des notions tregraves subtiles La penseacutee plurielle de Leibniz est aussi drsquoune extrecircme subtiliteacute Son eacutenorme varieacuteteacute drsquointeacuterecircts srsquoouvre sur plusieurs fronts ou lignes drsquoargumentation caracteacuteriseacutes par lrsquoampleur et la densiteacute de ses analyses Une penseacutee dont certains eacuteleacutements demeurent constants tout au long de sa carriegravere philosophique tandis que simultaneacutement beaucoup de ses doctrines changent et eacutevoluent dans une constante mise en question de ses theacuteories

Leibniz nrsquoa pas construit sa philosophie tout drsquoun bloc mais en adoptant provisoirement des doctrines qursquoil ne maintiendra pas par la suite Ses theacuteories tregraves eacutelaboreacutees sur le plan meacutetaphysique concernant le corps et la substance preacutesentent des coupures et des discontinuiteacutes et parfois des aspects opposeacutes en apparence du moins Il y a des eacuteleacutements irreacuteconciliables dans la penseacutee de Leibniz des theacuteories meacutetaphysiques incompatibles qui nrsquoarrivent jamais agrave un complet accord bien que les moments de clarteacute finissent par dissiper la confusion Donc la vision rigide classique drsquoun Leibniz qui se deacuteploie dans une continuiteacute monolithique depuis ses premiers eacutecrits jusqursquoagrave la Monadologie nrsquoest plus acceptable aujourdrsquohui

Agrave lrsquoeacutepoque moderne les lettres sont une forme semi-publique de communication Leibniz homme de dialogue eacuteprouve le deacutesir de partager et de transmettre ses ideacutees de les soumettre au jugement des autres Il a essayeacute de formuler une philosophie reacuteformeacutee en communiquant ses theacuteories agrave travers des lettres Crsquoest un infatigable

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correspondant avec un vaste reacuteseau de relations eacutepistolaires La correspondance de Leibniz avec le theacuteologien jeacutesuite Des Bosses essentiellement drsquoordre priveacute et drsquoune grande richesse speacuteculative commence en 1706 et se prolonge pendant dix ans jusqursquoagrave 1716 lrsquoanneacutee de la mort du philosophe avec un total de 138 lettres Cet eacutechange eacutepistolaire est parmi les plus longs et les plus importants de tout le corpus leibnizien et crsquoest aussi le plus complet pour lrsquoeacutetude des options ontologiques de Leibniz permettant drsquoappreacutecier pleinement sa philosophie Ces lettres sont caracteacuteristiques de sa penseacutee de la maturiteacute Drsquoune importance cruciale elles offrent une vision agrave la fois de sa meacutetaphysique finale et de la vie intellectuelle au deacutebut du XVIIIe siegravecle Elles mettent eacutegalement en lumiegravere la question controverseacutee de savoir si Leibniz a deacutefendu lrsquoexistence de creacuteatures vivantes corporelles ou si finalement il les a rejeteacutees en faveur drsquoune forme drsquoideacutealisme qui nie la reacutealiteacute ultime de toute chose agrave lrsquoexception des monades et ougrave on proclame un pheacutenomeacutenisme des corps eacutetendus2

Bien que la correspondance avec Des Bosses srsquoeacutetende tout au long des derniegraveres anneacutees de la vie de Leibniz on nrsquoy trouve pas cependant drsquoexposeacute deacutefinitif de sa meacutetaphysique ce qui est aussi le cas de la Monadologie lrsquoun de ses textes les plus aboutis et systeacutematiques eacutecrit deux ans avant sa mort et des Principes de la Nature et de la Gracircce lrsquoautre abreacutegeacute final de sa philosophie Il est vrai que Leibniz ne srsquoest jamais efforceacute drsquoeacutetablir un systegraveme deacutefinitif ce qui aurait signifieacute lrsquoacceptation drsquoun dogmatisme que lui-mecircme rejetait Par ailleurs la grande souplesse de sa philosophie permet des rapprochements divers entre des sujets et des auteurs diffeacuterents Cependant son souci drsquoune constante reacutevision de ses theacuteories exprime le principe systeacutematique selon lequel il nrsquoy a rien drsquoirrationnel rien drsquoaleacuteatoire dans un univers ougrave tout est entiegraverement deacutetermineacute Cela permet eacutegalement drsquoaffirmer que Leibniz est lrsquoun des grands creacuteateurs de systegravemes de lrsquohistoire de la philosophie

La correspondance mentionneacutee avec Des Bosses offre lrsquoun des exposeacutes les plus longs et les plus deacutetailleacutes sur la nature de la substance Elle examine la question de la substance corporelle et de la 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 2 Un principe fondamental de lrsquoideacutealisme de Leibniz ldquoNihil in rebus esse nisi substantias simplices et in his perceptionem atque appetitumhelliprdquo Agrave de Volder 30 juin 1704 GP II 270 Cf ldquoLa reacutealiteacute absolue nrsquoest que dans les monades et leurs perceptionsrdquo Lettre agrave Reacutemond 11 feacutevrier 1715 GP III 636 ldquoNihil aliud enim realitas quam cogitabilitasrdquo De iis quae per se concipiuntur A VI 4 26

Leticia Cabantildeas Ideacutealisme et reacutealisme chez Leibniz

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monade en tant que posseacutedant un corps organique3 Mais Leibniz nrsquoa pas reacuteussi agrave apporter une explication approprieacutee de lrsquoindividualiteacute des corps de lrsquounum per se lrsquointeacutegration de la forme et de la matiegravere dans la substance Il nrsquoest pas arriveacute agrave eacutenoncer un argument deacutecisif en faveur de lrsquoinclusion dans le concept de substance de la ldquosubstance corporellerdquo Il nrsquoa pas su expliquer avec certitude lrsquoexistence de cette substance corporelle agrave lrsquointeacuterieur du systegraveme de monades

Il est vrai que lorsque Leibniz parle de ldquosubstance corporellerdquo il nrsquoutilise pas le terme substance dans son sens traditionnel strict ayant rompu avec la notion de substance carteacutesienne Dans son opposition au concept carteacutesien de la matiegravere il deacuteveloppe une theacuteorie originale et radicale de la substance dont les caracteacuteristiques deacutefinitoires comprennent un principe intrinsegraveque de force ou drsquoaction et la possession drsquoun concept complet4 Cette theacuteorie leibnizienne ne coiumlncide pas non plus avec la conception aristoteacutelicienne de la substance malgreacute le fond aristoteacutelicien de la substance corporelle composeacutee drsquoun corps mateacuteriel organique et drsquoune acircme immateacuterielle ou forme substantielle ce qui est conforme au modegravele aristoteacutelicien des substances comme des uniteacutes de forme et matiegravere

Malgreacute lrsquoacceptation du meacutecanisme qui considegravere la nature comme un systegraveme de parties meacutecaniques mises en relation lrsquoheacuteritage aristoteacutelicien de Leibniz continue agrave exercer une influence consideacuterable sur sa meacutetaphysique Il cherche une voie moyenne entre les scolastiques et la philosophie meacutecaniste une nouvelle conception de cette philosophie meacutecaniste fondeacutee sur les formes substantielles des scolastiques tellement discreacutediteacutees agrave lrsquoeacutepoque En effet en 1678-79 il a deacutecideacute de reacutehabiliter lrsquoideacutee aristoteacutelico-scolastique de la ldquoforme substantiellerdquo qursquoil integravegre agrave sa philosophie agrave une peacuteriode de reacuteaction contre lrsquoaristoteacutelisme scolastique qui caracteacuterise la philosophie de la premiegravere moderniteacute Lrsquoobjectif vise agrave apporter au monde naturel un fondement meacutetaphysique Tout est explicable meacutecaniquement mais la philosophie meacutecaniste elle-mecircme doit srsquoappuyer sur quelque chose qui se situe au-delagrave du meacutecanisme La forme substantielle remeacutedie agrave

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lrsquoinadeacutequation drsquoun monde purement meacutecaniste en reacuteconciliant lrsquoexplication aristoteacutelicienne de la substance avec le meacutecanisme radical de Hobbes En meacutecanisant lrsquoactiviteacute mentale Leibniz cherche agrave sauver ce qui eacutetait nieacute par Hobbes

Leibniz introduit la doctrine des formes substantielles pour reacutesoudre le problegraveme de lrsquouniteacute des ecirctres corporels Mais son attitude face agrave la tradition scolastique est ambivalente car bien qursquoil reprenne la theacuteorie hyleacutemorphique drsquoAristote lorsqursquoil reacutehabilite la forme pour expliquer lrsquouniteacute des corps dans sa philosophie de la maturiteacute il finit par eacuteliminer la matiegravere nrsquoayant pas drsquoexistence en soi ce qui le conduit agrave supprimer lrsquoopposition classique entre forme et matiegravere5 Autrement dit Leibniz suit Aristote mais modifie la theacuteorie classique drsquoune forme substantielle aristoteacutelicienne comme contrepartie agrave la matiegravere premiegravere au profit drsquoune enteacuteleacutechie qui complegravete la matiegravere

Leibniz cherche une nouvelle theacuteorie de la substance un cadre conceptuel qui apporte de bases nouvelles agrave lrsquoancienne theacuteorie aristoteacutelicienne Il a proposeacute une alternative agrave lrsquoanalyse carteacutesienne du corps qursquoil a voulu reacutefuter agrave cause de sa vision trop limiteacutee qui nrsquoexplique pas convenablement les proprieacuteteacutes dynamiques des corps Leibniz pense que lrsquoeacutetendue ne permet pas drsquoexpliquer lrsquouniteacute et la coheacutesion du corps Au-delagrave de lrsquoeacutetendue il y a dans les corps des principes de mouvement ou principes drsquoaction qui fondent leurs proprieacuteteacutes dynamiques Il introduit ainsi sa propre explication agrave savoir une conception logico-dynamique de la substance tregraves diffeacuterente des points de vue de la meacutetaphysique carteacutesienne ce qui repreacutesente une alternative au carteacutesianisme Au meacutecanisme Leibniz ajoute le dynamisme les forces dans les corps qui gouvernent leurs

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Leticia Cabantildeas Ideacutealisme et reacutealisme chez Leibniz

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mouvements Il associe ces principes agrave lrsquoacircme et il les appelle ldquoformesrdquo ldquoenteacuteleacutechiesrdquo ou principes incorporels du mouvement et de lrsquouniteacute6

Lrsquoautre contribution eacutepistolaire majeure de Leibniz agrave la question de la theacuteorie de la substance ce sont les lettres agrave Arnauld une eacutetape importante dans le deacuteveloppement de la philosophie leibnizienne qui marque la pleine consolidation de sa penseacutee7 Cette correspondance annonce le Systegraveme Nouveau de 1695 la premiegravere publication du systegraveme meacutetaphysique de Leibniz ougrave il se preacutesentera publiquement comme philosophe Cela explique le fait que crsquoest lrsquoun des textes auxquels il a consacreacute plus des soins et drsquoattention Il repreacutesente une nouvelle forme de compreacutehension de la reacutealiteacute naturelle

Lrsquoeacutechange eacutepistolaire avec Arnauld a contribueacute de maniegravere deacutecisive agrave clarifier la notion leibnizienne de substance individuelle comme notion complegravete un aspect central dans le leibnizianisme Agrave la fin de la derniegravere lettre du 23 mars 1690 toute la penseacutee de Leibniz est reacutesumeacutee dans cette affirmation lrsquoentier univers est compris dans chaque substance La correspondance srsquoeacutetend de 1686 agrave 1690 crsquoest-agrave-dire pendant les anneacutees ougrave est questionneacute le statut des substances corporelles devient probleacutematique Lrsquoeacutechange eacutepistolaire commence agrave partir du Discours de Meacutetaphysique de 1686 dont Leibniz souhaite soumettre les thegraveses agrave lrsquoapprobation du grand theacuteologien de Port-Royal Cet eacutecrit essentiel sert de point de deacutepart agrave sa conception de la reacutealiteacute du corps de la substance corporelle un sujet deacutejagrave travailleacute anteacuterieurement mais maintenant clairement deacutefini Selon lui les corps sont faits de substances corporelles qui sont des constructions complexes subdiviseacutees en drsquoautres substances corporelles agrave savoir des organismes dans des organismes ad infinitum crsquoest-agrave-dire composeacutes drsquoun nombre infini de parties8

Il faut mentionner aussi une troisiegraveme correspondance avec le carteacutesien De Volder une lecture ideacutealiste cette fois ougrave les monades ne 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 6 Lettre agrave Arnauld 9 octobre 1687 A II 2 251 Cf ldquoAristote les appelle enteacuteleacutechies premiegraveres je les appelle peut-ecirctre plus intelligiblement forces primitives qui ne contiennent pas seulement lrsquoacte ou le compleacutement de la possibiliteacute mais encor une activiteacute originalerdquo Systegraveme nouveau GP IV 479 7 A II 2 3 ss 8 ldquohellipIl y a un Monde de Creacuteatures de vivants drsquoAnimaux drsquoEnteacuteleacutechies drsquoAmes dans la moindre partie de la matiegraverehellipChaque portion de la matiegravere peut ecirctre conccedilue comme un jardin plein de plantes et comme un eacutetang plein de poissons Mais chaque rameau de la plante chaque membre de lrsquoAnimal chaque goutte de ses humeurs est encor un tel jardin ou un tel eacutetangrdquo Monadologie sect 66-67 GP VI 618 Cf Mercer 2004 p 208

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sont plus les substances corporelles mais plutocirct le fondement qui est agrave lrsquoorigine de la substance corporelle La correspondance qui srsquoeacutetend de 1699 agrave 1706 nrsquoest pas eacutecrite avec lrsquointention drsquoecirctre publieacutee (il y a une frontiegravere chez Leibniz entre les eacutecrits destineacutes au public et les papiers priveacutes) Ces lettres montrent ouvertement les propres positions de Leibniz et elles sont lrsquoexpression manifeste de sa meacutetaphysique de la maturiteacute Le problegraveme central tourne autour de lrsquoextension du terme substance avec la theacuteorie des monades comme eacutetant la doctrine preacutefeacutereacutee et avec un rejet de la reacutealiteacute de la substance corporelle Strictement parlant il nrsquoy a dans lrsquounivers que des substances simples ou monades et en elles de la perception et de lrsquoappeacutetit Il nrsquoy a aucun sujet drsquoactiviteacute qui soit reacuteel hors des monades Mais pour une compreacutehension de la reacutealiteacute on a besoin de quelque chose de plus que les monades semblables aux acircmes et leurs perceptions harmoniques

Il est important de se demander quelle est pour Leibniz lrsquoextension du terme ldquosubstancerdquo La cateacutegorie des substances consiste-t-elle seulement en des corps animeacutes ou substances corporelles ou bien exclusivement en acircmes ou substances similaires aux acircmes ou mecircme srsquoapplique-t-elle indistinctement agrave lrsquoune et lrsquoautre possibiliteacute Autrement dit le terme substance peut-il indiquer un corps animeacute dont la puissance active est un principe appeacutetitif et dont la force passive est la base de sa corporeacuteiteacute ou bien au contraire deacutesigne-t-il une acircme ou entiteacute similaire agrave une acircme dont le pouvoir actif est aussi un principe appeacutetitif mais dont la force passive est reacuteduite agrave une perception confuse Il est extraordinairement difficile de tenter de reacutepondre agrave ces questions et il est probable que Leibniz lui-mecircme nrsquoait pas reacuteussi agrave reacutesoudre le problegraveme malgreacute son habiliteacute agrave donner une reacuteponse aux problegravemes philosophiques les plus complexes Lui aussi srsquoest vu confronteacute au dilemme eacuteternel de la continuiteacute entre la nature et lrsquoesprit

Agrave partir de 1698 le terme ldquomonaderdquo issu drsquoune longue tradition dans lrsquohistoire de la philosophie commence agrave apparaicirctre dans les eacutecrits de Leibniz Ce concept de monade drsquoorigine pythagoricienne constitue une innovation importante pour deacutepasser le dualisme carteacutesien Lrsquoideacutee drsquoune substance simple eacuteventuellement appeleacutee ldquomonaderdquo srsquoimpose jusqursquoagrave rompre avec les eacutecrits preacuteceacutedents ougrave Leibniz avait deacutefendu lrsquoideacutee drsquoune substance corporelle composeacutee drsquoune forme substantielle unie agrave un corps constitueacute drsquoun agreacutegat de substances corporelles chacune eacutetant agrave son tour composeacutee drsquoune

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forme substantielle jointe agrave un agreacutegat drsquoautres substances corporelles et ainsi agrave lrsquoinfini Quant agrave la monade elle est similaire agrave un atome spirituel doteacute de perception et drsquoappeacutetit avec la tendance de passer drsquoune perception agrave lrsquoautre9

La transition vers les substances simples ougrave Leibniz est parvenu agrave travers ses reacuteflexions sur la composition de la substance corporelle est localiseacutee entre 1695 et 1701 Les derniers eacutecrits se deacuteplacent le long drsquoune trajectoire en constante eacutevolution graduelle et continue mais pas uniforme qui part drsquoune meacutetaphysique qui comprend des substances corporelles composeacutees jusqursquoagrave arriver agrave la meacutetaphysique monadologique Cette ligne de penseacutee conduit Leibniz agrave la theacuteorie qursquoil a finalement deacuteveloppeacutee les seules substances sont des entiteacutes similaires aux acircmes les monades qui sont des ecirctres incorporels indivisibles simples et actifs Lrsquoargument selon lequel il nrsquoy a que des monades finit par eacuteliminer les substances corporelles Il y a des formes incorporelles dans les corps et la reacutealiteacute consiste uniquement dans des monades

Une analyse de ses derniers eacutecrits place le fondement dans quelque chose qui se trouve au-delagrave du monde visible la nature immateacuterielle de la substance mentale La derniegravere philosophie de Leibniz nrsquoest pas un dualisme meacutetaphysique de substances mentales et corporelles dont lrsquoaccord est assureacute par lrsquoharmonie preacuteeacutetablie La matiegravere et les corps sont le pheacutenomegravene reacutesultant drsquoune activiteacute incessante des veacuteritables uniteacutes meacutetaphysiques Il nrsquoy a que des monades et leurs repreacutesentations internes On se trouve face agrave lrsquoontologie finale de Leibniz la theacuteorie meacutetaphysique des derniegraveres anneacutees ou meacutetaphysique monadologique une intense eacutelaboration theacuteorique concentreacutee sur la doctrine des monades comme les derniers eacuteleacutements des choses10

Lrsquoordre drsquoexplication ontologique a son origine dans la reacutealiteacute des monades lrsquoauthentique reacutealiteacute des ecirctres immateacuteriels des ecirctres simples capables de percevoir ce qui entraicircne un rejet de la substantialiteacute du corps Drsquoapregraves la theacuteorie monadologique ideacutealiste tous les corps y compris les substances corporelles sont des pheacutenomegravenes qui reccediloivent leur reacutealiteacute ontologique des monades leur fondement meacutetaphysique Le corps composeacute est reacuteel lorsqursquoil est fondeacute 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 9 Monadologie sect 14 GP VI pp 608-609 10 Lodge 2015 pp 110-112

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sur des substances simples Les monades sont les seules substances proprement reacuteelles tandis que les corps sont des simples pheacutenomegravenes Le corporel se reacuteduit au monadique qui fonde la reacutealiteacute du monde

Lrsquoontologie des substances simples convient le mieux aux preacutemisses philosophiques et theacuteologiques leibniziennes Il y a des raisons speacutecifiques qui megravenent Leibniz vers la monadologie qursquoil appelle ldquomon systegravemerdquo et qui vont permettre une meilleure compreacutehension philosophique de la reacutealiteacute abandonnant ainsi la notion de substance corporelle Il nrsquoy a que des monades et leurs agreacutegats qui sont des pheacutenomegravenes deacutependants des perceptions monadiques11 La substance simple est la seule veacuteritable substance En deacutefinitive Leibniz entendu en un sens ideacutealiste nrsquoadmet que les monades dans la cateacutegorie de substance

Mais dans quelle mesure peut-on dire que Leibniz est un ideacutealiste crsquoest-agrave-dire quelqursquoun qui affirme que toutes les choses sont en derniegravere analyse des esprits immateacuteriels Bien que lrsquoideacutealisme allemand commence avec lui apregraves avoir inaugureacute la philosophie moderne du sujet en prenant comme point central non le monde mais lrsquohomme Leibniz nrsquoest pas un pur ideacutealiste puisqursquoil ne cesse pas drsquointeacutegrer des donneacutees de lrsquoexpeacuterience sensible dans sa penseacutee Il nrsquoest plus possible drsquoaccepter la vision traditionnelle drsquoun Leibniz ideacutealiste orthodoxe puisqursquoil y a chez lui des entiteacutes qui ne srsquoadaptent pas agrave une ontologie ideacutealiste (par exemple les substances corporelles les machines naturelles et les organismes) La question du rocircle et de la signification de tels concepts dans la meacutetaphysique leibnizienne reste drsquoailleurs tregraves controverseacutee

Des changements se produisent dans la position de Leibniz relative agrave lrsquoontologie de la substance La question qui se pose alors est la suivante la derniegravere meacutetaphysique exclut-elle effectivement les ecirctres corporels de la cateacutegorie de substance Comment expliquer lrsquoexistence de la substance composeacutee si les derniers constituants de la reacutealiteacute sont reacuteduits aux monades Une tension se creacutee alors entre lrsquoideacutee des substances simples et celle des substances corporelles

Par ailleurs il est eacutegalement difficile de soutenir que la penseacutee de Leibniz eacutevolue du reacutealisme agrave lrsquoideacutealisme srsquoagissant de deux theacuteories 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 11 ldquoCes Estres [drsquoagreacutegation] nrsquoont leur uniteacute que dans nostre espritrdquo Lettre agrave Arnauld 30 avril 1687 A II 2 186

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en principe incompatibles La doctrine de la substance corporelle qui caracteacuterise les anneacutees allant de la fin des anneacutees 70 agrave la fin des anneacutees 90 est essentiellement diffeacuterente de la theacuteorie monadologique de la substance du Leibniz des textes philosophiques posteacuterieurs la conception meacutetaphysique ideacutealiste eacutetant geacuteneacuteralement rapporteacutee agrave la Monadologie12 Ce texte composeacute agrave Vienne pendant lrsquoeacuteteacute 1714 est lrsquoeacutecrit le plus ceacutelegravebre de Leibniz et crsquoest une reacutefeacuterence essentielle pour la connaissance de sa penseacutee meacutetaphysique Il donne un accegraves privileacutegieacute agrave sa meacutetaphysique de la maturiteacute agrave travers un reacutesumeacute magistral de 90 courtes sections un bref exposeacute mais en mecircme temps encyclopeacutedique de son systegraveme qui se trouve disperseacute dans drsquoautres travaux Mais nous savons bien que chez Leibniz les lignes indeacutependantes de penseacutee en se confrontant mutuellement contribuent au deacuteveloppement de sa meacutetaphysique

On peut trouver des textes ougrave Leibniz deacutefend le reacutealisme ainsi que drsquoautres ougrave il se reacutevegravele ecirctre un philosophe ideacutealiste (au sens eacutenonceacute plus haut) Toutefois il nrsquoa pas reacuteussi agrave apporter une solution totalement satisfaisante qui permette de comprendre la relation entre les corps soumis agrave lrsquoexpeacuterience et les monades qui sont leur fondement meacutetaphysique Lrsquoambivalence de Leibniz sur ce point srsquoeacutetend tout au long de sa trajectoire philosophique Crsquoest un problegraveme non reacutesolu qui lrsquooccupa jusqursquoagrave la fin de sa vie puisque chez lui la tension entre lrsquoideacuteal et le reacuteel ne disparaicirct jamais Mecircme dans la peacuteriode monadologique agrave partir du Systegraveme Nouveau on remarque les vestiges de la theacuteorie de la substance corporelle13

En reacutesumeacute la question est de savoir si la vision de Leibniz sur la meacutetaphysique du corps a subi un changement important dans les vingt derniegraveres anneacutees de sa vie jusqursquoagrave sa mort en 1716 Il srsquoagit lagrave drsquoune conception meacutetaphysique qui semble incompatible avec les conclusions monadologiques tardives Pourtant on essaie de reacuteconcilier la reacutealiteacute de la substance corporelle avec la theacuteorie des monades Une reacuteconciliation qui nrsquoest possible que si lrsquoon permet une ldquounion reacuteellerdquo de lrsquoacircme ou monade dominante avec les monades

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subordonneacutees de son corps En deacutefinitive expliquer le corps en termes de subordination monadique rend lrsquoacircme et le corps inseacuteparablement unis

On pourrait aussi dire que la theacuteorie premiegravere drsquoune substance corporelle se replie au cours des derniegraveres anneacutees mais sans disparaicirctre entiegraverement Loin drsquoecirctre deux ontologies incompatibles dans la philosophie de maturiteacute de Leibniz ce qursquoon trouve crsquoest une connexion sans faille entre ce qui est monadique et ce qui est organique deux axes drsquoanalyse de base chez Leibniz un point de vue unique qui comprendrait lrsquoordre des corps et celui des substrats monadiques un systegraveme qui rendrait compte de tous les niveaux de la reacutealiteacute14 Selon cette conception dans le cadre drsquoune lecture de la meacutetaphysique de Leibniz il ne faut pas exclure la substance corporelle Bien au contraire la theacuteorie des monades pourrait srsquoaccommoder du reacutealisme de la doctrine peacuteripateacuteticienne de la substance corporelle En reacutesumeacute le sujet de discussion consiste agrave savoir si Leibniz a eacuteteacute un meacutetaphysicien reacutealiste un ideacutealiste ou bien srsquoil a essayeacute de reacuteconcilier les deux tendances dans sa philosophie de la maturiteacute en syntheacutetisant et en conciliant lrsquoideacutealisme et le mateacuterialisme dans une sorte de systegraveme meacutetaphysique preacutekantien

BIBLIOGRAPHIE

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Pelletier A Au-delagrave du reacutealisme et de lrsquoideacutealisme Leibniz et les aspects de la reacutealiteacute in Leibniz and the Aspects of Reality eacuted A Pelletier Studia Leibnitiana Sonderhefte Bd 45 Steiner Stuttgart 2016

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ENRICO PASINI

DOUBLE CHARNIEgraveRE PHILOSOPHIE NATURELLE MEacuteTAPHYSIQUE ET PERCEPTION DANS LES PNG1

1 Dance the Malebranche-Limbo with me

Dans le limbo les danseurs se penchent en arriegravere pour passer sous un bacircton sans toucher le sol avec les mains ni toucher le bacircton On est debout donc au commencement puis le mouvement va de haut en bas suivi drsquoune section presque horizontale et finalement on se relegraveve Quelque chose de semblable se passe aussi dans drsquoimportantes œuvres philosophiques du XVIIe un siegravecle ougrave les textes comme les compositions musicales srsquoorientent vers des formes structureacutees comme par exemple les quatre mouvements de lrsquoArt de penser de lrsquoEssai sur lrsquoentendement du Neues Organon Il y a aussi le mouvement descendant et ascendant (de Dieu agrave la creacuteation puis horizontalement aux creacuteatures et remontant ensuite aux acircmes aux esprits et au regravegne de la gracircce) qui caracteacuterise eacutegalement le Traiteacute de la nature et de la gracircce de Malebranche que Leibniz lit en 1685 dans lrsquoeacutedition de Rotterdam et le Discours de meacutetaphysique de ce dernier2 Dans une certaine mesure les Principes de la nature et de la gracircce3 dont le titre agrave lui seul rappelle deacutejagrave Malebranche semblent encore ecirctre animeacutes du mecircme mouvement lrsquoimitation leibnizienne du Malebranche-Limbo Mais il sera inteacuteressant ici de mettre en eacutevidence au contraire lrsquoaspect principal par lequel il srsquoen distingue

Au cours de la geacuteneacutealogie ou de lrsquohistoire de la naissance de la Monadologie le dernier eacutecrit qui preacutesente ce mouvement

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parfaitement triadique drsquoascension et de descente est en veacuteriteacute lrsquoEclaircissement sur les monades commenceacute pour lrsquoenvoyer agrave Reacutemond mais resteacute agrave lrsquoeacutetat drsquoeacutebauche4 Les PNG bien qursquoils preacutesentent encore une ressemblance eacutevidente avec leur ancecirctre commencent par la substance finie et sont qui plus est diviseacutes en leur milieu par une fracture Celle-ci seacutepare deux parties qui diffegraverent par leur contenu de faccedilon significative et non deacutepourvue de conseacutequences

Jusqursquoici nous nrsquoavons parleacute qursquoen simples physiciens maintenant il faut srsquoeacutelever agrave la meacutetaphysique en nous servant du grand principe peu employeacute communeacutement qui porte que rien ne se fait sans raison suffisante crsquoest-agrave-dire que rien nrsquoarrive sans qursquoil soit possible agrave celui qui connaicirctrait assez les choses de rendre une raison qui suffise pour deacuteterminer pourquoi il en est ainsi et non pas autrement5 Ce principe eacutenonceacute on sait que la premiegravere question qursquoon a droit de poser sera selon Leibniz ldquopourquoi y a-t-il plutocirct quelque chose que rien Et pour quelle raison les choses doivent exister ainsi et non autrement rdquo6 Cela non seulement comme le voulait Descartes parce que la lumiegravere naturelle nous dit qursquoon le peut demander mais pour la raison bien plus ldquomeacutetaphysiquerdquo comme le dit Leibniz que ldquole rien est plus simple et plus facile que quelque choserdquo7 Donc la meacutetaphysique commence en srsquooccupant des raisons ultimes des choses

2 Limbo gateways

Pour la premiegravere fois dans les Principes apparemment Leibniz ne danse donc plus le Malebranche-Limbo agrave lrsquoorigine - dans la premiegravere reacutedaction qui nrsquoeacutetait pas numeacuteroteacutee - il y avait mecircme seulement la bi-partition en physique et meacutetaphysique En mecircme temps un

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problegraveme toujours preacutesent de charniegraveres ou de jonctions se pose de faccedilon nouvelle8

Consideacuterons ce dont il srsquoagissait dans la partie ldquophysiquerdquo des PNG Il y eacutetait deacutejagrave principalement question de la substance et de son rocircle dans la constitution du monde tant physique que spirituel Au sect1 on apprend que pour simple ou composeacutee qursquoelle soit la substance est une monade ou uniteacute un ecirctre capable drsquoaction une vie toute la nature est donc pleine de vie Au sect2 on lit que les monades nrsquoont point de parties et que perceptions et appeacutetitions les distinguent drsquoougrave la copreacutesence de simpliciteacute et multipliciteacute Au sect3 que tout est plein et lieacute dans la nature il y a des substances simples partout qui sont le centre drsquoune substance composeacutee et le principe de son uniciteacute elles sont entoureacutees drsquoune masse composeacutee par une infiniteacute drsquoautres monades qui en forment par une harmonie parfaite et preacuteeacutetablie le corps organique ldquomachine de la naturerdquo Puis au sect4 la substance vivante avec ses organes la monade dominante les animaux et les esprits la diffeacuterence entre perception et aperception lrsquoimmortaliteacute et aux sectsect5-6 quelques deacutetails de cette doctrine de la substance vivante9

Une telle physique cosmologie avant la lettre avait eacuteteacute diffeacuteremment eacutevoqueacutee auparavant dans les eacutecrits de Leibniz Par exemple dans ses essais sur la res bibliothecaria on trouve les ldquoPhysicae generalis praecepta seu Somatologiardquo10 crsquoest-agrave-dire la doctrine des corps (somata) Elle entretient une relation eacutetroite avec la meacutedecine au moins en tant que physique speacuteciale ldquoΦysica (physica specialis jungatur medicis)rdquo 11 et les expressions ldquophysico-medicardquo ldquophysico-mathematico-medicardquo ldquophysiologia medicardquo se preacutesentent souvent On se rappellera du reste les miscellaneacutes medico-physica de lrsquoAcademia naturae curiosorum Il y a encore

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mention bien sucircr de la ldquoPhysica Generalisrdquo ou des ldquoGeneralia physicardquo

Mais degraves la seconde moitieacute des anneacutees 1690 agrave peu pregraves agrave lrsquoeacutepoque des eacutecrits sur la correction de la notion de substance et sur le nouveau systegraveme de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie la discipline se duplique Dans le De systemate scientiarum composeacute apregraves 1695 on lit ldquoSystema scientiae seu corpus philosophiae Theoreticae agit vel de veritate in universum et est Logica seu Rationalis vel de rebus et est Physiologia seu Naturalis sensu latiorerdquo De rebus qursquoeacutetait-ce donc que ces res Il srsquoagissait premiegraverement des pheacutenomegravenes en tant que doteacutes drsquoune reacutealiteacute substantielle au moins drsquoemprunt voire des substantiata ce qui marque lrsquointroduction drsquoun thegraveme qui va prendre beaucoup drsquoimportance dans la deacutecennie suivante puis des vraies substances comme Dieu les esprits le Moi

Res sunt phaenomena (nempe realia) seu Substantiata et Substantiae ipsae Phaenomena realia bene scilicet ordinata (somniis aut aliis deceptionibus opposita) vel sunt Emphatica ut arcus coelestis aliaque quae per sensus exhibentur ipsaeque massae corporeae Substantiae vero sunt Deus Spiritus ego12 La distinction entre physique geacuteneacuterale et physique ldquopartiellerdquo ou particuliegravere va elle aussi changer et on assiste ainsi agrave lrsquoapparition du nom de ldquocosmologierdquo ldquoEst autem physica partialis et totalis partialis est abstractiva generalis de qualitatibus et concretiva de objectis nempe de similaribus de ruderibus et de organicis Totalis est Cosmologiardquo Lrsquoobjet de cette science physique et sa deacutemarcation par rapport agrave celui de la meacutetaphysique sont preacutesenteacutes par Leibniz dans le nouveau cadre de sa meacutetaphysique

De Substantiis ipsis agit Metaphysica ubi de principiis rerum de Monadibus Animabus Spiritibus de Deo qui est ultima ratio rerum Complectitur ergo et Theologiam Huc ergo et Theologia naturalis combinanda revelata13 La connexion entre philosophie et theacuteologie naturelle va se deacutevelopper jusqursquoagrave se transformer en programme agrave lrsquooccasion drsquoune confeacuterence donneacutee agrave Vienne en 1714 dont le texte a susciteacute beaucoup drsquointeacuterecirct apregraves sa publication par Patrick Riley

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Theologia naturalis est quae ex seminibus veritatis menti a Deo autore inditis enascitur ad caeterarum scientiarum instar Revelata est quae ab antiquis hausta quibus Deus se manifestaverat familiarius et traditione propagata est [hellip] Itaque [hellip] dicendum est Barbaris quidem Veritates maximas circa divina deberi Graecis autem Philosophiam quandam sacram qua rerum divinarum et Spiritualium natura non explicatur tantum expressius sed etiam praeclaris rationibus demonstratur14

De ce point de vue toute physique deacutepend drsquoun savoir agrave la fois plus geacuteneacuteral et supeacuterieur Pour Descartes le matheacutematicien atheacutee nrsquoaura jamais une vraie et certaine science slsquoil ne reconnaicirct un Dieu au moins pour ecirctre certain de nrsquoecirctre pas trompeacute mecircme dans les passages les plus eacutevidents de ses deacutemonstrations Leibniz on le sait estime que le vrai problegraveme consiste dans lrsquoignorance du fondement sur lequel repose la connaissance et il lrsquoeacutecrit quelques anneacutees plus tard

Il est vray qursquoun Atheacutee peut ecirctre Geometre Mais srsquoil nrsquoy avoit point de Dieu il nrsquoy auroit point drsquoobjet de la Geometrie Et sans Dieu non seulement il nrsquoy auroit rien drsquoexistant mais il nrsquoy auroit rien Cela nrsquoempecircche pas pourtant que ceux qui ne voyent pas la liaison de toutes choses entre elles et avec Dieu ne puissent entendre certaines sciences sans en connoitre la premiere source qui est en Dieu15 3 Nature et monades

Ce nrsquoest pas que Vienne lui ait fait oublier la physique commune Agrave lrsquoeacutepoque mecircme de la confeacuterence que nous avons citeacutee ci-dessus crsquoest-agrave-dire drsquoailleurs peu avant la composition des PNG Leibniz avait eu lrsquooccasion de deacutefinir de maniegravere officielle la physique en relation avec la fondation possible drsquoune acadeacutemie des sciences agrave Vienne Lrsquoobjet de cette Socieacuteteacute allait revenir agrave trois classes la ldquoLitteacuterairerdquo la ldquoMatheacutematiquerdquo et la ldquoPhysiquerdquo ldquoLa Classe physique comprend les trois regnes de la Nature le Mineral le Vegetable et lrsquoAnimal avec les sciences et arts qui srsquoy rapportent comme la

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chymie botanique anatomie en faveur de lrsquooeconomie et de la Medecine et sur tout pour la derniererdquo16

Dans les eacutecrit de Leibniz agrave partir des anneacutees 1690 on trouve comme on lrsquoa dit de nombreuses mentions de la ldquophysiquerdquo prise en ce sens - ce qursquoil appelle mecircme la ldquovraierdquo physique crsquoest-agrave-dire comme une nouvelle forme de la philosophie naturelle dont preacuteciseacutement Leibniz srsquoest occupeacute lui-mecircme la physique matheacutematique agrave laquelle srsquoexercent Malebranche Mariotte Rohault Huygens Newton etc En ce sens ldquovera physica res novitia estrdquo17 Dans une lettre eacutecrite agrave Arnauld apregraves le voyage drsquoItalie Leibniz exprime cette doctrine en la preacutesentant comme une partie de ses nouvelles eacutelaborations philosophiques On se trouve ici agrave la croiseacutee des chemins pour cette nouvelle physique il y a certains principes qui caracteacuteriseront agrave jamais dans la penseacutee de Leibniz le domaine intermeacutediaire entre corps naturels et substances meacutetaphysiques

A lrsquoeacutegard de la Physique il faut entendre la nature de la force toute diffeacuterente du mouvement qui est quelque chose de plus relatif Qursquoil faut mesurer cette force par la quantiteacute de lrsquoeacuteffect Qursquoil y a une force absolue une force directive et une force respective Que chacune de ces forces se conserve dans le mecircme degreacute dans lrsquounivers ou dans chaque machine non communiquante avec les autres et que les deux dernieres forces prises ensemble composent la premiere ou lrsquoabsolue18 Dans les PNG cette incarnation de la science physique fait son apparition au sect11 drsquoune faccedilon extraordinaire pour ainsi dire crsquoest-agrave-dire au milieu de la partie meacutetaphysique Il est ici question de nouveau de la dynamique et des principes de conservation dans une formulation techniquement plus preacutecise La sagesse suprecircme de Dieu lui a fait choisir surtout les lois du mouvement les mieux ajusteacutees et les plus convenables aux raisons abstraites ou meacutetaphysiques Il srsquoy conserve la mecircme quantiteacute de la force totale et absolue ou de lrsquoaction la mecircme quantiteacute de la force respective ou de la reacuteaction la mecircme quantiteacute enfin de la force directive19 Ces sont lagrave les trois lois de conservation formuleacutees dans lrsquoEssay de dynamique sur les lois du mouvement qui date agrave peu pregraves de 1700

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Elles correspondent dans un ordre inverse agrave lrsquoeacutequation lineacuteaire de la conservation des vitesses dans le choc eacutelastique agrave la conservation du moment cyneacutetique ou ldquoinvariabiliteacute de la somme des quantiteacutes de mouvement orienteacutees dans un systegraveme mateacuteriel lorsqursquointerviennent des actions meacutecaniques entre les corps qui le composentrdquo 20 dont on peut deacuteriver lrsquoeacutequation de conservation de la force vivante Ils ont une signification immeacutediatement meacutetaphysique ldquoDe plus lrsquoaction est toujours eacutegale agrave la reacuteaction et lrsquoeffet entier est toujours eacutequivalent agrave sa cause pleinerdquo 21 Cette surcharge philosophique de la physique devient plus eacutevidente dans la version deacutefinitive des PNG ougrave lrsquoon assiste agrave un complet remplacement des mouvements par les actions

Le fait - eacutetabli par lui-mecircme - que dans la nature il y ait effectivement des forces permet agrave Leibniz drsquoopeacuterer un mouvement theacuteorique depuis la theacuteorie de la substance ougrave il y a une avanceacutee positive par laquelle se montre la vraie nature des substances vers la teacuteleacuteologie ougrave il y une sorte drsquoavanceacutee neacutegative les lois de la force ne pouvant pas ecirctre expliqueacutees sans poser une loi universelle dont la connaissance nous dirige vers le creacuteateur ldquoEt crsquoest une des plus efficaces et des plus sensibles preuves de lrsquoexistence de Dieu pour ceux qui peuvent approfondir ces chosesrdquo22

Chose curieuse il nrsquoest question de force dans la Monadologie que lorsqursquoil srsquoagit des lois de conservation et de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie crsquoest-agrave-dire de lrsquoensemble des conditions requises pour la coheacutesion du monde Il nrsquoy a cependant par de vraie opposition entre les PNG et la Monadologie mais plutocirct un deacuteveloppement un passage agrave lrsquointeacuterieur drsquoun seul et mecircme eacutedifice theacuteorique deacuteveloppeacute peu agrave peu pour reacutepondre agrave la crise - au deacuterangement - de lrsquoalliance de la physique et de la meacutetaphysique qui avait domineacute dans la phase des machines de la nature et du substantiatum une composition de

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theacuteorie aristoteacutelicienne de la substance de dynamique et de doctrine de lrsquoinfini qui est maintenant sur le point drsquoecirctre abandonneacutee

La theacuteorie de lrsquouniteacute est le nouveau vestibule du palais des doctrines leibniziennes Mieux en adaptant une meacutetaphore bien-aimeacutee par Leibniz elle seule nous permet de franchir la porte qui seacutepare lrsquoantichambre et la salle drsquoaudience ougrave sa philosophie va nous conduire dans ce temps ou dans ce monde avant drsquoentrer finalement dans le cabinet de la nature - lagrave ougrave nature physique et nature meacutetaphysique semble se superposer sans peine lrsquoune exprimant lrsquoautre

Non seulement donc le limbo nrsquoest plus lagrave mais la theacuteologie naturelle lie lrsquoune agrave lrsquoautre la physique et la meacutetaphysique qui plus est les monades sont incorporeacutees agrave la philosophie naturelle23 et se distribuent des deux cocircteacutes de la charniegravere Le problegraveme se pose alors de la distribution autour drsquoune autre charniegravere de la repreacutesentation ou de la perception voire la distribution de repreacutesentation et perception entre lrsquoindividu leibnizien comme entiteacute naturelle substance dans le monde et lrsquoindividu meacutetaphysique substance constituant du monde

4 Quand la monade a des organes

Dans les PNG la monade la solitaire socialite est toujours ldquoenvironneacutee drsquoune masse composeacutee par une infiniteacute drsquoautres monadesrdquo24 Si agrave partir de cette formule on se retourne vers les parties correspondantes du Discours de meacutetaphysique on nrsquoy repegravere que ldquoce grand mystere de lrsquounion de lrsquoame et du corps crsquoest agrave dire comment il arrive que les passions et les actions de lrsquoun sont

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accompagneacutees des actions et passionsrdquo et ici Leibniz se hacirctait drsquoajouter ldquoou bien des phenomenes convenables de lrsquoautrerdquo25

Lrsquoon sait bien que le corps dans le Discours nrsquoeacutetait qursquoun pheacutenomegravene Cette doctrine aussi commence agrave srsquoeacutecrouler dans la correspondance avec Arnauld dans un processus de transformation de certaines vues anteacuterieures de Leibniz qui va se compleacuteter au cours des anneacutees 169026 dans les discussions avec Fardella et dans les eacutecrits de theacuteorie de la substance et de dynamique puis on a la correspondance avec De Volder et le deacuteveloppement de la theacuteorie de lrsquoaggregatum comme substantiatum Crsquoest ici lrsquoacmeacute dans la trajectoire parabolique de ses efforts pour maintenir sa theacuteorie de la substance dans le champ de lrsquohylemorphisme aristotelicien qui va ecirctre abandonneacutee seulement autour des eacutecrits de 1714 comme les PNG

Dans les eacutetudes leibniziennes nous sommes familiers de cette formule ldquoil nrsquoy a que des monadesrdquo Mais ce nrsquoest pas rien que drsquoy avoir des monades et enfin crsquoest bien plus que srsquoil nrsquoy avait que des apparences Le corps des PNG comprend des monades une ideacutee qui eacutetait absente du Discours Lrsquoinnovation theacuteorique introduite sous le nom de machine de la nature machine organique etc nrsquoest pas seulement la deacutefinition drsquoune theacuteorie de lrsquoorganisme vivant bien que nous la rangions drsquohabitude sous cette rubrique mais bien une theacuteorie de la reacutealiteacute ou drsquoun certain degreacute de reacutealiteacute des corps des vivants ni simples apparences ni vraies substances en eux-mecircmes voir la composition du vivant agrave partir drsquoautres vivants du cocircteacute naturaliste et du cocircteacute meacutetaphysique de la correspondance entre les principes passifactif primaires des substances dans leurs perceptions harmonisantes Le cortegravege toujours changeant de la monade dominante ce domaine propre de la monade dominante contient drsquoautres monades comme on le sait elles ldquoconstituent le corps propre de cette monade centralerdquo Cette derniegravere ce qui est drsquoimportance majeure ldquosuivant les affections [de ce corps] elle repreacutesente comme dans une maniegravere de centre les choses qui sont

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hors drsquoellerdquo Or ldquocomme [hellip] chaque corps agit sur chaque autre corps [hellip] et en est affecteacute par reacuteaction il srsquoensuit que chaque monade est un miroir vivantrdquo - agrave ce point-lagrave la monade est deacutejagrave vivante et ce qui srsquoy ajoute est preacuteciseacutement drsquoecirctre un miroir27

La perspective des PNG nrsquoest donc plus deacutetermineacutee comme lrsquoeacutetait celle du Discours de meacutetaphysique par la substance individuelle si non de faccedilon logique in ideis Diffeacuteremment in mundo lrsquoexistant individuel se constitue de maniegravere harmonique ad modum harmoniae dans lrsquoarticulation tregraves compliqueacutee de ce cortegravege - comme ce cortegravege nrsquoest enfin que le corps Et ldquoce corps est organique quand il forme une maniegravere drsquoautomaterdquo de plus lrsquoautomate est une ldquomachine de la nature qui est machine non seulement dans le tout mais encore etcrdquo28 Attention le ldquoquandrdquo introduit une condition une hypothegravese or est-il vraiment possible qursquoil y ait un corps non organique rattacheacute agrave une monade 29 et pourtant Leibniz eacutecrit ce corps non le corps On srsquoattendrait agrave ce qursquoil dise il y a infiniteacute de degreacutes mais le corps drsquoune monade est toujours quelque peu organique30 Toutefois Leibniz admet souvent qursquoil y ait des monades situeacutees agrave un niveau tregraves eacuteloigneacute de celui des acircmes Et crsquoest des acircmes qursquoil va parler principalement dans les PNG et dans la Monadologie

Agrave partir de cette observation je vais poser pour conclure deux questions en les laissant bien entendu ouvertes Premiegraverement on se demande quel est le statut disons ldquomeacutetaphysiquerdquo de cette machine Lrsquoon sait que Leibniz nrsquoa pas toujours donneacute la mecircme reacuteponse agrave cette question ou mieux il nrsquoa jamais donneacute vraiment de reacuteponse mais il a essayeacute drsquoen trouver agrave lrsquoaide soit de theacuteories variables soit de concepts parfois bien diffeacuterents entre eux

Il y a autour des PNG comme nous lrsquoavons suggeacutereacute ci-dessus une veacuteritable charniegravere de ce deacuteveloppement bien qursquoelle ne soit pas deacutefinitive Dans le fameux Eclaircissement inacheveacute en particulier on trouve la derniegravere attestation viennoise de la theacuteorie des assemblages ldquotout lrsquoUnivers des Creatures ne consiste qursquoen 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 27 PNG sect3 GP VI 599 28 Ibidem 29 ldquoSi Dieu veut mettre une ame dans une portion de la matiegravere ou de lrsquoetendueuml il lui accordera des organes autrement il nrsquoagiroit point avec ordrerdquo (Leibniz agrave Hartsoeker 1711 D II 70) 30 Il me semble qursquoil srsquoagit ici drsquoune expression agrave valeur heuristique mais cela deacutepend peut-ecirctre de mon attitude envers les PNG qui est de les interpreacuteter comme un protreptique

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substances simples ou Monades et en leurs assemblages Ces substances simples [hellip] ont toutes de la perception (qui nrsquoest autre chose que la repreacutesentation de la multitude dans lrsquouniteacute) et de lrsquoappeacutetit (qui nrsquoest autre chose que la tendance drsquoune perception agrave une autre)rdquo Dans les PNG on trouve au commencement ldquoLa [substance] composeacutee est lrsquoassemblage des substances simples ou des monadesrdquo dans la Monadologie le seul ldquoassemblagerdquo est celui ldquode tous les Espritsrdquo en la citeacute de Dieu31

Dans les PNG chaque monade ldquoavec un corps particulier fait une substance vivanterdquo En plus ldquoil nrsquoy a pas seulement de la vie partout jointe aux membres ou organes mais mecircme il y en a une infiniteacute de degreacutes dans les monades les unes dominant plus ou moins sur les autresrdquo32 Nous assisterons en tregraves peu de temps agrave un glissement de la ldquosubstance vivanterdquo au ldquovivantrdquo qui se stabilise au cours de la reacutedaction de la Monadologie33 Clairement si le vivant nrsquoest pas en soi une substance (une substance distincte dis-je) il nrsquoy a pas neacutecessiteacute drsquoun lien substantiel qui lui soit particulier apregraves le limbo de Malebranche il abandonne aussi les gavottes imagineacutees avec Des Bosses Mais deacutejagrave dans les PNG quand la monade a des organes et des organes comme Leibniz lrsquoeacutecrit dans la premiegravere partie si ajusteacutes que par leur moyen il y a du relief et du distingueacute dans les impressions qursquoils reccediloivent et par conseacutequent dans les perceptions qui les repreacutesentent [hellip] cela peut aller jusqursquoau sentiment crsquoest-agrave-dire jusqursquoagrave une perception accompagneacutee de meacutemoire agrave savoir dont un certain eacutecho demeure longtemps pour se faire entendre dans lrsquooccasion et un tel vivant est appeleacute animal comme sa monade est appeleacutee une acircme34

Le mouvement theacuteorique qui relie la possession des organes agrave la sensation ldquoreleveacuteerdquo est renverseacute ce qui nrsquoest pas un cas unique dans la Monadologie Aussi voyons-nous que la Nature a donneacute des perceptions releveacutees aux animaux par les soins qursquoelle a pris de leur fournir des organes qui ramassent plusieurs rayons de lumiegravere ou plusieurs ondulations de lrsquoair pour les faire avoir plus drsquoefficace par leur union [hellip] Et

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jrsquoexpliquerai tantocirct comment ce qui se passe dans lrsquoacircme repreacutesente ce qui se fait dans les organes35

Si lrsquoacircme repreacutesente ce qui se fait dans les organes et mecircme dans les glandules et dans chaque partie du corps et encore hors de nous jusque dans les eacutetoiles les plus eacuteloigneacutees comme Leibniz le souligne toujours bien qursquoelle ne srsquoen aperccediloive pas toutefois puisque le corps est la raison du point de vue les organes sont la raison de la perception consciente Voilagrave une ambiguiumlteacute qui nous autorise agrave demander de quoi parle-t-on ici et dans quelle perspective En particulier dans la perspective de lrsquoentiteacute meacutetaphysique dominante ou dans celle de lrsquoindividu vivant corporellement dans le monde 36

Quand la monade a des organes des organes situeacutes dans une machine de la nature qui entoure la monade centrale comme lrsquoessaim drsquoabeilles entoure la reine (ou comme on le disait en ce temps-lagrave le roi) la situation est maintenant bien diffeacuterente de toute speacuteculation anatomique du temps du Discours de meacutetaphysique parce que cette organyzatio - ainsi que Jungius lrsquoaurait appeleacutee - nrsquoest pas comme elle lrsquoeacutetait alors purement pheacutenomeacutenique Elle a donc en mecircme temps soliditeacute et limitation Soliditeacute parce qursquoil srsquoagit bien de substances Limitation puisque la mise entre parenthegraveses de la theacuteorie de lrsquoassemblage ou aggregatum et du modegravele complexe de la constitution du substancieacute et de la substantiation parmi la geacuteneacuteration du passif et de lrsquoactif de lrsquoaggreacutegat substantiel agrave partir des principes actifs et passifs des substances qui y entraient semble devoir ou pouvoir deacutepouiller le vivant de la capaciteacute de tout repreacutesenter ou au moins de la capaciteacute de tout repreacutesenter agrave ce niveau secondaire du corps de la mecircme faccedilon que lrsquoacircme le fait primairement

Lrsquoharmonie preacuteeacutetablie nous rassure les perceptions dans la monade naissent ainsi les unes des autres par les lois des appeacutetits ou des causes finales (du bien ou du mal) qui consistent dans les perfections remarquables reacutegleacutees ou deacutereacutegleacutees comme les

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changements des corps et les pheacutenomegravenes naissent les uns des autres par les lois des causes efficientes crsquoest-agrave-dire des mouvements Et il y a une harmonie parfaite entre les perceptions de la monade et les mouvements des corps preacuteeacutetablie drsquoabord entre le systegraveme des causes efficientes et celui des causes finales

Et pourtant la perception paraicirct en mecircme temps dans la monade en tant que telle et dans le vivant crsquoest-agrave-dire que la monade des Principes et a fortiori celle de la Monadologie a des eacutetats repreacutesentatifs en tant que substance individuelle mais elle a des perceptions en tant qursquoacircme drsquoun certain animal corporel et il est presque banal de dire que les organes deacuteterminent les perceptions de la seconde cateacutegorie mais ne deacuteterminent pas celles de la premiegravere Lrsquoidentification entre les deux est deacutesirable mais nullement assureacutee et dans les eacutechanges de Leibniz avec ses correspondants il arrive parfois que les deux aspects interfegraverent mutuellement tout au moins parce qursquoil existe des aspects de la perception qursquoil ne lui est pas facile de distribuer correctement aux deux niveaux de la substance et du composeacute vivant comme le sont par exemple les perceptions insensibles Je veux suggeacuterer pourtant agrave titre de conclusion qursquoil srsquoagit dans ce cas autour de cette charniegravere speacutecifique non pas vraiment drsquoun problegraveme drsquoun bug mais plutocirct drsquoune feature drsquoun trait caracteacuteristique engendreacute peut-ecirctre ineacutevitablement par le redoublement entre le niveau de la monade en soi-mecircme et le niveau de lrsquoagreacutegation autour drsquoune acircme des monades en tant qursquoelles composent le corps qui complegravete le vivant On doit seulement admettre que les eacutetats substantiels comprendront toujours une repreacutesentation non seulement en premiegravere mais agrave la fois en troisiegraveme personne de lrsquoeacutetat perceptif subjectif de lrsquoensemble du vivant

BIBLIOGRAPHIE Belaval Y Eacutetudes leibniziennes De Leibniz agrave Hegel Paris Gallimard 1963 Costabel P La ldquoloi admirablerdquo de Christian Huygens ldquoRevue drsquohistoire des sciences

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EVELYN VARGAS

ldquoEN SIMPLES PHYSICIENSrdquo LA PERCEPTION ANIMALE ET LA CONNAISSANCE SENSIBLE

SELON LEIBNIZ EN 1714

1 Preacutesentation

Que la philosophie naturelle srsquooccupe des sens nrsquoest pas une innovation introduite par les philosophes modernes mais leur refus des qualiteacutes reacuteelles et des species sensibles neacutecessite drsquoeacutelaborer une nouvelle theacuteorie des sens Cette theacuteorie doit expliquer la valeur cognitive de la perception en accord avec les principes de la perspective meacutecaniste et reacutepondre agrave la question de la possibiliteacute drsquoune activiteacute de lrsquointellect seul opeacuterant de maniegravere complegravetement indeacutependante des sens La solution leibnizienne cherche agrave eacuteviter les positions extrecircmes que les carteacutesiens et Hobbes ont proposeacutees Drsquoune part le mateacuterialisme hobbesien en concevant la sensation comme mouvement du corps (EW I 390) aboutit agrave une conception reacuteductionniste de lrsquoentendement humain Pour Hobbes lrsquoimagination nrsquoest que la sensation deacutegradeacutee et le pouvoir de raisonner nrsquoest qursquoun enchaicircnement des imaginations (EW III 14-20) crsquoest-agrave-dire qursquoil ne consiste qursquoen certaines associations reacutegleacutees drsquoimages ce qui signifie que lrsquoautonomie de lrsquoactiviteacute intellectuelle est supprimeacutee Drsquoautre part Malebranche rejette lrsquoideacutee que les intellections ont besoin des images corporelles et inversement les sensations sont priveacutees de tout contenu intellectuel parce qursquoelles ne sont pas des ideacutees confuses repreacutesentant une cause mateacuterielle (Rech III ii) 1 cependant il faut consideacuterer un autre aspect de la perception sensible le jugement libre par lequel on croit que ce qursquoon perccediloit existe au dehors (par exemple que la chaleur existe dans le feu) et qui est agrave lrsquoorigine de lrsquoerreur (Rech I xiv iii)2 Il est bien connu que Leibniz srsquoappuie sur lrsquoexistence de la connaissance des veacuteriteacutes neacutecessaires pour prouver la reacutealiteacute de notre acircme mais il admet aussi le sentiment ou perception animale par laquelle les animaux ont des 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 1 Malebranche 1991 pp 388-391 2 Malebranche 1991 pp 130-131

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ldquoconseacutecutionsrdquo Ces liaisons entre leurs perceptions peuvent ecirctre compareacutees avec le raisonnement (GP VI 600 611) Les distinctions conceptuelles que Leibniz introduit lui permettent de surmonter des difficulteacutes susciteacutees par ses premiegraveres deacutefinitions du sensus et en conseacutequence de concilier les continuiteacutes entre les perceptions animale et humaine avec les conditions normatives et pourtant propositionnelles du jugement perceptuel Cette conception de lrsquoexpeacuterience du vivant eacutevite les difficulteacutes que lrsquoanalyse traditionnelle attribuait agrave la conception moderne et pourrait contribuer au deacutebat eacutepisteacutemologique contemporain en offrant des eacuteleacutements drsquoanalyse pour surmonter lrsquoopposition entre naturalisme et normativisme eacutepisteacutemologiques

Ainsi je commencerai par la description de cette conception tardive de la perception tant humaine qursquoanimale et comparerai cette notion avec la premiegravere notion de la perception et les difficulteacutes qursquoelle suscite finalement je preacutesenterai les avantages que la nouvelle conception peut offrir pour le problegraveme eacutepisteacutemique de la perception

2 La solution leibnizienne

21 Le fonctionnement du sens

La nouvelle physique fournit le cadre des notions et des principes pour la theacuteorie des sens expliquant le meacutecanisme physique de la stimulation sensorielle La perception animale est appeleacutee ldquosentimentrdquo pour la distinguer des perceptions comme actions internes caracteacuterisant toutes les monades (PNG 1 4 M 14 19)3 Le sentiment est une perception qui est ldquoplus distincterdquo (M 19) ou bien qui a ldquodu relief et du distingueacuterdquo (PNG 4) Mais le sentiment est aussi une perception ldquoaccompagneacutee de meacutemoirerdquo (M 19 PNG 4)

On peut donc caracteacuteriser le sentiment animal comme un certain degreacute de perception distincte (GP VI 599) et eacutegalement par le rocircle que joue la meacutemoire (GP VI 600 611) La disposition anatomique dans lrsquoorgane sensoriel rend plus efficace lrsquoeffet du stimulus physique

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(par exemple les humeurs dans les yeux favorisent la concentration des rayons lumineux (PNG 4 M 25) et il y a des meacutecanismes similaires dans les autres sens (M 25) Les organes sensoriels sont ainsi adapteacutes agrave leur fonction perceptuelle (PNG 4) parce que la perception repreacutesente lrsquoimpression dans lrsquoorgane crsquoest-agrave-dire que lrsquoeffet physique concentreacute dans lrsquoorgane produit une impression plus notable qui est repreacutesenteacutee par la perception distincte Ce meacutecanisme rend possible la persistance de lrsquoeffet (PNG 4)

Mais cette image sensible fournit des liaisons entre les perceptions la connexion entre les perceptions qui est fondeacutee dans la meacutemoire est appeleacutee conseacutecution (PNG 5 M 26) Leibniz ajoute que la plupart des comportements humains sont explicables par des conseacutecutions (PNG 5 M 28) et que les conseacutecutions imitent la raison (M 26) ou sont des liaisons similaires aux liaisons fournies par la raison (PNG 5)

Il donne un exemple de conseacutecutions chez les animaux avec le cas du chien qui fuit quand il voit le bacircton dans la main de son maicirctre Cette image eacutevoque le souvenir drsquoune autre perception celle de la douleur parce qursquoune sensation semblable est unie agrave lrsquoimage du bacircton dans lrsquoexpeacuterience passeacutee Le chien ldquoest porteacute agrave des sentiments semblablesrdquo (M 26) crsquoest-agrave-dire que les conseacutecutions causent des comportements involontaires

Ainsi les liaisons pourvues par la meacutemoire rendent compte des comportements appris et involontaires tant chez les animaux que chez les humains Cependant les passages citeacutes nrsquoapportent pas les deacutetails des opeacuterations par lesquelles les perceptions distingueacutees persistent si lrsquoobjet sensible est absent du champ perceptuel On peut dire que lrsquoimpression corporelle est en reacuteaction par rapport agrave lrsquoobjet suivant les lois dynamiques qui rendent efficaces les organes pour optimiser la fonction perceptuelle les perceptions sensibles repreacutesentant cette activiteacute corporelle sont distinctes parce que la distinction du contenu repreacutesentatif est le signe de lrsquoaccroissement de lrsquoactiviteacute de lrsquoacircme Si bien qursquoon comprend que des objets semblables suscitent des effets semblables ndash par exemple que les yeux concentrent les rayons de lumiegravere de maniegravere similaire en preacutesence des choses rouges ndash la meacutemoire eacutevoque un autre effet et ce pouvoir de la repreacutesentation sensible doit ecirctre expliqueacute par les lois de lrsquoappeacutetition Dans lrsquoexemple du chien lrsquoeffet eacutevoqueacute est de nature

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affective une douleur qui est accompagneacutee du mouvement corporel de la fuite Par les liaisons apporteacutees par la meacutemoire lrsquoimage sensible est unie agrave un autre eacuteleacutement sensible et la perception devient une structure teacuteleacuteologique qui deacutepasse lrsquoimage particuliegravere En mecircme temps lrsquoimage eacutevoqueacutee drsquoun objet ou drsquoun eacuteveacutenement absent est de nature mentale crsquoest-agrave-dire repreacutesentationnelle

Mais la conseacutecution doit rendre compte de lrsquoexpeacuterience comprise comme une notion eacutepisteacutemique Srsquoil eacutetait possible drsquoexpliquer la conduite humaine involontaire par des conseacutecutions sans aucune reacutefeacuterence aux eacutetats doxastiques du sujet il semblerait difficile de concevoir des expectatives humaines deacutepourvues drsquoassertions ou de croyances par exemple qursquoil fera jour demain Du reste mecircme quand la perception peut ecirctre abordeacutee sous lrsquoangle scientifique comme un processus qui enveloppe des meacutecanismes organiques la philosophie srsquointerroge sur les rapports normatifs entre la perception et la connaissance ou la croyance perceptuelle4 Comme on verra ensuite la premiegravere doctrine leibnizienne de la perception aboutit agrave expliquer cet eacuteleacutement doxastique de la perception humaine mais cette deacutefinition qui rend compte du contenu propositionnel associeacute agrave lrsquoexpeacuterience perceptuelle humaine ne peut expliquer la perception animale Si les animaux ont des rapports perceptifs au monde il faut qursquoils aient certains traits en commun avec notre rapport perceptif au monde Mais ces traits en commun ne sont pas neacutecessairement des conditions suffisantes de la connotation eacutepisteacutemique de la perception

22 La question eacutepisteacutemologique

221 La perception sensible comme sentiment distinct

Leibniz dit clairement que les hommes et les animaux ont des sentiments et des conseacutecutions cependant on peut se demander srsquoils peuvent partager une mecircme sorte de cognition Autrement dit il nrsquoest pas question de nier lrsquoopinion commune selon laquelle les animaux voient eacutecoutent et ont drsquoautres expeacuteriences sensibles Or lrsquoexpeacuterience animale peut-elle ecirctre speacutecifieacutee sans le recours agrave des

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meacutethodes introspectives Comme on lrsquoa dit la question eacutepisteacutemologique de la perception relegraveve de la relation de lrsquoexpeacuterience perceptuelle avec la connaissance mais dans le cadre de la theacuteorie de la connaissance traditionnelle cette relation peut ecirctre eacutetudieacutee sans consideacuterer ce qui est au-delagrave de la situation mentale du sujet percevant Selon cette conception ldquointernalisterdquo de la perception tant les expeacuteriences veacuteridiques que les illusions ont un trait commun et il y a pourtant une ressemblance exacte entre elles parce qursquoelles appartiennent au mecircme type drsquoeacutetat mental Srsquoil nrsquoest pas possible de rendre compte de la diffeacuterence entre une expeacuterience veacuteridique et une illusion ldquoderriegravere le voile des apparencesrdquo les conseacutequences sceptiques sont ineacutevitables Cependant il nrsquoest pas neacutecessaire de supposer que Leibniz soutient que la conception que nous appelons internaliste de lrsquoexpeacuterience perceptuelle doit ecirctre le veacuteritable point de deacutepart des consideacuterations eacutepisteacutemiques concernant le rocircle de la perception agrave lrsquoeacutegard de la formation de nos jugements fondeacutes sur lrsquoexpeacuterience Puisqursquoon concevait cette relation comme fondant une relation de justification la question est de speacutecifier les termes de cette relation en tant que rationnelle crsquoest-agrave-dire en tant qursquoils peuvent habiter ldquolrsquoespace des raisonsrdquo5 Pour comprendre les implications de la deacutefinition de lrsquoexpeacuterience sensible comme sentiment agrave lrsquoeacutegard de la connaissance perceptuelle il faut consideacuterer des formulations anteacuterieures

Les textes eacutecrits au deacutebut de la deacutecennie 1680 concernant les opeacuterations de lrsquoesprit preacutesentent des deacutefinitions du sentiment et de la perception mais crsquoest la perception qui est deacutefinie par le sentiment En effet les perceptions sont des sentiments distincts Cogitans concipiens sentiens intelligens (seu distincte concipiens) percipiens (seu distincte sentiens) (A VI 4 392) [1680-168485]

Et dans la suite du mecircme eacutecrit la perception est eacutequivalente au sentiment certain P e r c i p i m u s (seu cum certitudine sentimus) (A VI 4 396)

Certes ces deacutefinitions aboutissent agrave caracteacuteriser les penseacutees humaines

Cependant le texte nous offre une deacutefinition du sentiment dont les caracteacuterisations plus tardives du concept preacuteserveront lrsquointuition

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fondamentale Sentir signifie avoir des images sensibles unies agrave des efforts pour agir ou conatus Il eacutecrit

Itaque s e n t i r e est imaginari cum conatu impediendi aliquam imminutionem vel procurandi auctionem nostrae potentiae ex inde orto quod eadem imago conjuncta nunc est vel olim fuit cum tali imminutione vel augmento (A VI 4 395)

Leibniz explique que lrsquounion entre lrsquoimagination et lrsquoeffort pour agir se produit parce que lrsquoimage est unie agrave une modification de la puissance drsquoagir du sujet

Si le sentiment est lrsquoimage qui est unie agrave un conatus crsquoest parce que lrsquoaction drsquoimaginer est indeacutependante de lrsquoaction drsquoaffirmer lrsquoexistence de lrsquoobjet de lrsquoimagination Crsquoest la reacuteiteacuteration de lrsquoimage avec modification de la puissance qui produit des rapports analogues agrave des regravegles

Et quidem sciendum est cum nostrae cogitationi aut phaenomeno adjuncta est aliqua nostrae perfectionis vel potentiae auctio aut diminutio [nos] habere conatum efficiendi ut ea cogitatio duret aut desinat Reversa ea cogitatione habere eundem conatum nisi ea conjuncta sit cum cogitatione efficiente conatum contrarium Quod si haec saepe contingant oriri ex tot experimentis quasi regulas quasdam conandi aut non conandi in oblatis eaeque vel pendentes ex nostro experimento vel ex traditione aliorum qui experti sunt vel etiam eorum qui prophetarum instar dicant quid simus experturi (A VI 4 394)

Les images sont unies agrave des dispositions pour lrsquoaction mais crsquoest par la reacutepeacutetition qursquoun conatus particulier srsquounira agrave une image particuliegravere Et crsquoest lrsquounion de lrsquoimage avec un conatus qui rend compte de lrsquoaction assertive par laquelle lrsquoobjet A qui est repreacutesenteacute dans lrsquoimage est affirmeacute par la proposition ldquoA estrdquo

Et quoties ob aliquod phaenomenon conamur ita agere ac si inde nisi nos impediremus secuturum esset aliud phaenomenon conjunctum cum adjumento aut nocumento nostro statuimus id essehellip (A VI 4 394)

Lrsquoassertion ajoute agrave la proposition la disposition pour agir car la force assertorique drsquoaffirmer la proposition comme vraie est eacutequivalente agrave la disposition pour agir suivant le contenu de la proposition Le sentiment implique drsquoaffirmer que lrsquoobjet perccedilu existe et si la proposition est vraie le sentiment est appeleacute ldquoperceptionrdquo

De faccedilon similaire le contenu propositionnel du savoir ou de la croyance implique des actes assertoriques

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Videntur sentire et percipere se habere ut credere et scire Sentire percipere credere et scire commune habent ipsum statuere sive affirmare vel negare (A VI 4 394-5)6

Cette contribution agrave lrsquoeacutelucidation de la notion drsquoassertion est conforme aux premiegraveres deacutefinitions de la perception sensible impliquant que le sujet affirme que lrsquoobjet perccedilu existe Plus preacuteciseacutement la deacutefinition du ldquosensusrdquo preacutesente les conditions de la perception sensible au moyen des notions drsquoobjet et drsquoorgane

Si duo corpora sibi resistant et nos actionem passionemque unius percipiamus velut ad nos pertinentem alterius velut alienam illud corpus dicetur o r g a n o n hoc dicetur o b j e c t u m ipsa autem perceptio dicetur s e n s u s (A VI 4 1394) [1678-168081]

La perception sensible met en jeu la capaciteacute agrave reconnaicirctre lrsquoobjet comme diffeacuterent et reacutesistant au sujet Neacuteanmoins une telle conception de lrsquoexpeacuterience perceptuelle est probleacutematique agrave lrsquoeacutegard drsquoune ontologie qui attribue des perceptions agrave toutes les formes substantielles et distingue les acircmes par leurs perceptions plus distinctes

On peut trouver dans le De natura Mentis et Corporis un texte qui teacutemoigne des heacutesitations de Leibniz concernant la perception des animaux Drsquoune part Leibniz concegravede que les animaux ont du sens et de lrsquoimagination

In brutis itaque perceptionem agnosco sive sensum eorum quae fiunt agnosco et imaginationem sensu cessante manentem et ideo recursum priorum imaginum si qua nova imago uni priorum similis occasionem praebeat sed non agnosco in illis conscientiam ut scilicet oblata quadam cogitatione percipiant eam vel aliam similem jam sibi affuisse (A VI 4 1490) [1683-16856]

Le passage drsquoune image agrave une autre que lrsquoimagination animale rend possible est distingueacute de la meacutemoire comme un acte perceptif et reacuteflexif caracteacuterisant les esprits et ne deacutependant pas des images

Reflexio itaque seu memoria vel conscientia mentium propria est Reflexio proprie est memoria cogitationis proxime praecedentis In sui ipsius perceptione consistit imago divina nobis indita Non puto ab ullo bruto exerceri illam vim quam in me experior cum volo ut cogitem me nunc cogitare et hoc ipsum admirer et continue in me replicem nullo signi alicujus usu interveniente sed intima quadam perceptione 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 6 La proposition qui est affirmeacutee ajoute un preacutedicat B agrave un sujet A ldquoItaque si revera sentias A et ideo sic agas ad promovenda vel impedienda quae cum sentires B utique statuis A esse Brdquo (A VI 4 395)

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ubi vim simul nobis facimus imagines ab ea cogitatione avocantes amoliendo (A VI 4 1490) [1683-16856]

Drsquoautre part on peut constater que les derniers mots de lrsquoopuscule posent une interrogation est-ce que les animaux ont des cognitions distinctes ldquoNullane in bruto cognitio distincta rdquo (A VI 4 1491) [1683-16856 ]

Par des cognitions distinctes il faut comprendre quelque chose de plus que le simple passage drsquoune image sensible agrave une autre ou les accroissements de lrsquoactiviteacute des substances Le terme ldquocognitionrdquo deacutesigne les eacutetats mentaux intentionnels ou qui sont dirigeacutes vers quelque objet (A VI 802) Certes il nrsquoest pas question de nier que les sens animaux les renseignent sur leur environnement mais la perspective eacutepisteacutemologique pose une autre question celle des conditions par lesquelles les images sensibles deviennent des contenus propositionnels ou du moins quelque chose qui peut ecirctre un terme des relations de justification

222 Le sentiment comme perception plus distincte

Pour mieux comprendre la question il faut distinguer entre les motivations meacutetaphysiques de lrsquointroduction drsquoentiteacutes qui sont diffeacuterencieacutees par les degreacutes de perceptions dont elles sont capables et la question eacutepisteacutemologique concernant ce qui nous garantit que nos expeacuteriences repreacutesentent adeacutequatement les choses hors de nous Ces relations entre les repreacutesentations perceptuelles et lrsquoobjet perccedilu sont des relations de justification Mais les relations entre les impressions et les corps qui produisent les impressions appartiennent agrave un autre ordre Comme nous avons deacutejagrave vu la premiegravere formulation de la theacuteorie de la perception pouvait rendre compte des demandes de justifications car la perception impliquait des assertions qui eacutetaient unies agrave des images sensibles Et parce que ces associations sont apprises elles sont reacutevisables crsquoest-agrave-dire qursquoon peut juger si les croyances associeacutees sont veacuteritables Toutefois cette conceptualisation de la perception sensible demande des capaciteacutes cognitives reacuteflexives et ainsi une deacutefinition de la perception sensible qui eacutenonce des conditions suffisantes de la perception animale doit fournir une analyse de la perception plus geacuteneacuterale

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Il faut admettre que la deacutefinition du sens comme perception plus distincte est suffisamment geacuteneacuterale pour inclure des perceptions animales et humaines dans un mecircme cadre explicatif

Atque hoc principium actionum seu vis agendi primitiva ex qua series statuum variorum consequitur est substantiae forma Patet etiam quid perceptio sit quae omnibus formis competit nempe expressio multorum in uno quae longe differt ab expressione in speculo vel in organo corporeo quod vere unum non est Quodsi perceptio sit distinctior sensum facit (A VI 4 1625) [1688]

Les degreacutes de distinction caracteacuterisant des acircmes correspondent aux degreacutes drsquoactions des substances

Verum ea cujus expressio distinctior est agere cujus confusior pati judicatur nam et agere perfectionis est pati imperfectionis (A VI 4 1620) [1688]

En mecircme temps la description du processus perceptuel commun aux hommes et aux animaux ne suffit pas pour preacuteserver ldquolrsquoespace logique des raisonsrdquo

La deacutefinition plus tardive de la perception sensible comme sentiment introduit les conseacutecutions comme composantes essentielles de la perception sensible Voici une variante latine preacutesentant le sens comme perception avec meacutemoire ldquoSensio enim est perceptio quae aliquid distincti involvit et cum attentione et memoria conjuncta estrdquo (GP VII 330 [1710])

Dans ce passage Leibniz soutient que les perceptions sensibles

enveloppent quelque chose de distinct7 Il semblerait difficile de comprendre la maniegravere dont les perceptions des animaux impliquent des composantes distinctes car les notions du sens commun qui expriment les objets externes appartiennent agrave lrsquointellect8 et impliquent un certain degreacute de geacuteneacuteraliteacute9 (Par exemple on ne pourrait pas dire que le chien voit la ligne droite dans lrsquoimage du bacircton de la mecircme maniegravere qursquoon peut dire qursquoun homme qui se repreacutesente lrsquoimage claire drsquoun polygone reacutegulier particulier est en possession de lrsquoideacutee confuse

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de cette figure geacuteomeacutetrique)10 Or si la perception est deacutecrite comme distingueacutee il serait possible de rendre compte des perceptions dans le cadre de la philosophie naturelle ou ldquoen simples physiciensrdquo Les repreacutesentations sensibles expriment des meacutecanismes physiques de transmission et conservation des effets du corps perccedilu La structure commune des processus perceptifs humains et animaux devient lrsquoobjet drsquoune eacutetude scientifique dont la perspective dynamique surpasse le meacutecanisme inerte Du reste mecircme si lrsquoimage sensorielle peut ecirctre rapporteacutee agrave quelque objet (par exemple un bacircton) cet eacuteleacutement iconique nrsquoimpliquerait pas de capaciteacutes drsquoidentification ni de reconnaissance Crsquoest la chose semblable agrave celle que lrsquoanimal a perccedilue preacuteceacutedemment qui met en mouvement lrsquoopeacuteration de la conseacutecution Pour les ecirctres qui sont en possession de capaciteacutes conceptuelles lrsquoexpeacuterience perceptuelle rend possible lrsquoexercice de cette capaciteacute En mecircme temps on peut speacutecifier les conditions de lrsquoexpeacuterience veacuteridique mais ils ne deacutependent pas des proprieacuteteacutes que le sujet peut seulement connaicirctre de lrsquointeacuterieur11 Autrement dit par la conseacutecution Leibniz affirme agrave la fois les continuiteacutes des perceptions humaines et animales et le caractegravere normatif de la justification par la perception

3 Conclusion

Bien que la conception leibnizienne de la perception reconnaisse que les processus par lesquels les sens nous renseignent sur le monde hors du sujet percevant partagent une configuration commune avec la perception animale le point de vue purement physique demeure insuffisant pour deacuteterminer lrsquoeacutepisteacutemologie de la perception La perspective naturaliste fondeacutee sur des explications purement associationistes est incapable de rendre compte des relations de justification mais les conceptions internalistes de lrsquoexpeacuterience 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 10 On peut trouver cette comparaison entre lrsquoimage et lrsquoideacutee du polygone en NE II xxix 13 11 Mais la justification est accessible au sujet par reacuteflexion sur ses ldquopheacutenomegravenesrdquo Voir par exemple NE IV NE IV ii 14 ldquohellip de sorte que je crois que le vray Criterion en matiegravere des objets des sens est la liaison des pheacutenomegravenes crsquoest agrave dire la connexion de ce qui passe en diffeacuterents lieux et temps et dans les expeacuteriences de diffeacuterents hommes qui sont eux-mecircmes les uns aux autres des pheacutenomegravenes tregraves importants sur cet articlerdquo

Evelyn Vargas ldquoEn simples physiciensrdquo

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perceptuelle sont eacutegalement inadeacutequates pour deacuteterminer sa valeur cognitive Degraves les premiegraveres deacutefinitions Leibniz considegravere que les eacutetats perceptuels ne sont pas seacuteparables des conditions externes de la situation perceptive

Or lrsquoanalyse de la perception sensible comme sentiment preacutesente un double avantage agrave lrsquoeacutegard des premiegraveres deacutefinitions Drsquoune part si la meacutemoire fournit des connexions entre perceptions ces liaisons entre des images sensibles sont reacutealisables par des ecirctres qui sont deacutepourvus de fonctions intellectuelles Drsquoautre part les connexions entre perceptions peuvent constituer des contenus eacutevaluables du point de vue de la connaissance La connexion entre un pheacutenomegravene A et un pheacutenomegravene B qui le suit habituellement constitue un indice probable de la connexion neacutecessaire entre eux et deacutelimite lrsquoespace du raisonnable (GP VI 508) Mais si les percepts ne sont pas des contenus cognitifs per se mais en tant qursquoils sont en relation avec drsquoautres eacuteleacutements cognitifs Leibniz peut eacutechapper aux conseacutequences sceptiques du fondationnalisme empiriste pour lequel les percepts sont des fondements ou des raisons ultimes dans lrsquoordre de la justification car srsquoils ne sont connus que par lrsquointrospection le problegraveme de la distinction entre expeacuteriences veacuteridiques et non veacuteridiques reste entier comment ces eacuteleacutements singuliers qui opegraverent comme des intermeacutediaires entre lrsquoesprit et les choses hors de nous sont-ils adeacutequats En mecircme temps la solution leibnizienne au problegraveme eacutepisteacutemologique de la perception nrsquoimplique pas comme certains philosophes contemporains lrsquoont proposeacute de soutenir que la perception met en jeu des capaciteacutes agrave classer des objets autrement le terme ldquoperceptionrdquo deviendrait une expression eacutequivoque Pour Leibniz crsquoest la structure du processus cognitif perceptuel qui est commun agrave lrsquohomme et agrave lrsquoanimal Il nrsquoest pas prisonnier du ldquoMythe du donneacuterdquo

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Philosophy of Science vol I 1956 H Feigl and M Scriven (eds) Minneapolis University of Minnesota Press

FEDERICO SILVESTRI

ACTIVITY AND FINAL CAUSES ON PRINCIPLES OF NATURE AND GRACE sect3

This paper analyses how the notion of final causation is related to the complex of Leibnizs account of activity of substances In doing so I will focus on the 3rd paragraph of the Principles of nature and grace and in other texts where a similar thesis is proposed I aim at showing that final causes are better intended as model of explanation rather than a distinct type of causes I will first analyse two points raised by the PNGs thesis that it applies to all simple substances and its opposition with causation as it occurs in bodies with the aim of highlighting some of the features of final causation in substances to then focus on two questions is final causation being situated al the level of simple substances the most fundamental causal process in Leibnizs metaphysics How should the causal role of goals be understood

1 Simple substances and final causes

In the 3rd paragraph of the Principles of nature and grace (hereafter PNG) Leibniz explains the raise of a perceptual state as happening in accordance with the law of final causes or of good and bad while the connection of two subsequent states of bodies is given by the law of efficient causes

1) ldquoEt la perception dans la Monade naissent les unes des autres par

les loix des Appetits ou des causes finales du bien et du mal qui consistent dans le perceptions remarquables regleacutees ou dereacuteegles comme les changements des corps et le phenomenes au dehors naissent les unes des autres par les loix des causes efficientes cest agrave dire du mouvemens Ainsi il y a une harmonie parfaite entre les perceptions de la Monade et les mouvemens des corps preacuteetablie dabord entre les

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systeme des causes efficientes et celuy des causes finalesrdquo1

A similar thesis is held repeatedly in texts of the late period yet a selection of texts allows to highlight some differences

2) ldquoTout se peut expliquer par les efficientes et par les finales

Mais ce qui touche les substances raisonnables srsquoexplique plus naturellement par la consideration des fins comme ce qui regarde les autres substances srsquoexplique mieux par les efficiensrdquo2

3) [] dum status praesens corporis ex statu praecedente

nascitur per leges causarum efficientium et status praesens animae ex statu praecedente nascitur per leges causarum finalium Illic series motuum hic seriem appetitum locum habet illic transitur a causa ad effectum hic a fine ad mediumrdquo3

4) Il y a une infiniteacute de figures et de mouvemens presens et

passeacutes qui entrent dans la cause efficiente de mon ecriture presente et il y a une infiniteacute de petit dispositions et inclinations preacutesentes et passeacutes de mon acircme qui entrent dans la cause finale4

5) ldquoLes ames agissent selon les loix des causes finales par

appetitions fins et moyens Les corps agissent selon les loix des causes efficientes ou des mouvemens Et les deux regnes celuy des causes efficientes et celuy des causes finales sont harmoniques entre euxrdquo5

6) [] tout agent qui agit avec choix suivant les causes finales

est libre quoyquil arrive quil saccorde avec celuy qui nagit que par des causes efficientes sans connoisance ou par Machine parce Dieu prevoyant ce que la cause libre feroit a regleacute dabord sa machine en sorte quelle ne puisse manquer de sy accorderrdquo6

1 PNG sect 3 GP VI p 599 For abbreviation see bibliography 2 Des causes efficientes et finales 1690 A VI 4b p 1665 3 AGS p 32 4 Monadologie sect 36 GP VI p 613 5 Monadologie sect 79 GP VI p 620 6 Leibniz to Clarke GP VII p 412

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While 2) the earlier passage I could find uses an epistemological language referring to explanation the PNG passage ends with a statement on two different and autonomous causal systems (5) and (6) are about an action made by final causes or by ends and means Apparently then in these last texts a strongest thesis is at stake perceptual states have final causes (corresponding) states of bodies have efficient causes Since the two are not at the same ontological level perceptual states laying at a more fundamental level final causes seem to be the most fundamental type of causation in Leibnizs system

Besides this difference there emerges one point that appears in most of the texts (1-3-5-6) Leibniz describes the distinction efficientfinal causes as a distinction of types of law that rules some activity laws of final causation namely the law of appetitions (tendencies toward new perceptions) and the laws of movements I will later discuss if and how from the distinction of laws derive a distinction of types of causes

By now I want to stress that the existence of a law of final causation that rules the appetition raises a serious problem for the extension of the thesis This law is in fact defined as law of good and evil It then seems that substances act according to a judgement of value or at least according to the perception of something as good while laws of motions are value-free This raises the first problematic point Can the ldquolaw of good and evilrdquo be applied to non-self-conscious or non-rational substances After all Good and evil can be recognized as such only by the intellect which is a faculty that can distinguish human beings (and angels) from other created beings For similar reasons some scholars have argued that the answer is or at least should be no In a pivotal paper Mark Kulstad referring to a doubt first raised by Robert McRae has argued that either final causes are equal to efficient causes or there are final causes for rational substances and efficient for the rest7 Other scholars had suggested in order to apply the thesis to all substances that the extension to non-rational substances might be intended by means of analogy non-rational substances act as if they perceive a future state as good8

7 See Kulstad 1990 and Mc Rae 1976 p 67 8 See the cautious suggestion in Adams 1994 pp 317-318 The defense of the extension of the PNG thesis to all substances is one the key argument for the

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The 3rd paragraph of PNG is explicit in speaking of final causes for every simple substance Yet other texts seem to restrict their realm to rational substance only A main example is 2) where the epistemological thesis is held Here not only they are applied only to rational substances but are opposed to what happens in other substances not in bodies In the controversy with Stahl (n 3) Leibniz uses the expression ldquofinal causesrdquo referring to Souls (animae) However this does not prove much for in this case Leibniz explicitly allows the use of ldquosoulsrdquo for all substances adopting the extension of the somehow Aristotelic notion of soul used by his opponent9 The example taken from the Monadology seems more relevant In paragraph 19 one finds the well-known statement that the world ldquoSoulrdquo is better used for rational substances only while the others should be better called simple substances or monads All occurrences of ldquofinal causesrdquo in the Monadology are related with souls though never explicitly denied for all simple substance Nonetheless even here the law of final causation is referred to appetition something that characterizes all simple substances The most explicit text allowing for a restricted reading is then a letter to Clarke (6) where Leibniz speaks of agents acting with choice Even in this last case however final causes are distinguished only from to the action of bodies As this last text confirms a restricted reading of this statement on final causes is based on the fact that final causation should apply to voluntary actions where goals are chosen No doubt voluntary actions are the place where one can more easily acknowledge the law of good and bad just considering that Leibniz here intends ldquogoodrdquo and ldquobadrdquo as ldquobelieved to be goodbadrdquo and not necessarily good or bad in an absolute sense With this restriction the representation of something as good or bad resulting from a deliberative process is what determine the will to orient the action toward that thing The identification of something as good or bad is

defense of ldquoneutral teleologyrdquo where teleology is considered without reference to goodness of goal or to Godrsquos ends developed in Jorati 2013 This reading identifies spontaneity of monads and activity by means of final causes while here the two concepts are distinguished (see infra) to maintain a meaning for the specification made in the PNG where final causes regards remarkable perceptions 9 A distinction between a wide and a restricted notion of soul can be found in a letter to Wagner GP VII p 529 where the restricted notion applies also to animals and in general to creatures where ldquonon nuda est facultas percipiendirdquo in oppositions to monads without sensation

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the final cause of the action and our law states that the action will always follow such a recognition that may come after a deliberative process where partial ldquobelieved to be good in this situationrdquo are considered

Then a restricted notion of final causation that applies only to souls is not only (partially) legitimated by texts but deals with one of Leibniz primary concerns The concept of voluntary action is built on notions that are the basis of moral responsibility of human beings they can deliberate with the help of the intellect and choose what to do This restricted notion that defines a subset of created agents by implying what makes them moral agents deserving rewards and punishments should then probably be allowed Nonetheless there are some reasons to believe that Leibniz is willing to establish a broader notion of activity by means of final causes First volitions defined as apperceived tendencies or sometimes tendencies that follows by apperception10 do not explain every human activity while the texts previously mentioned seem to apply to every action This holds not only for what in the mind correspond to the activity of vital functions of our organs or for some rather unnoticed reaction for instance there are thoughts we are conscious of (apperceived parts of a perceptual state) that raises from unnoticed internal tendencies as Leibniz explains in a passage of the Nouveaux essais11 Moreover an explicit judgement on good and bad made by the intellect is not a necessary condition for a volition The deliberative process is not just a calculus made by the intellect (that can go wrong) on what is the best thing to do It is rather a process where the will is determined by the outcome of noticed and unnoticed tendencies coming from our passions as well as from our intellect 10 ldquo[] la Volition est leffort ou la tendence (conatus) drsquoaller vers ce quon trouve bon et loin de ce quon trouve mauvais en sorte que cette tendence resulte immediatement de lapperception quon en a[] Ilya encore des efforts qui resultent des perceptions insensibles dont on ne sappercoit pas qui jaime mieux appeler appetitions que volitions (quoyquil y ait aussi des appetitions apperceptibles) car on nappelle actions volontaires que celles dont on peut sappercevoir et sur les quelles nostre reflexion peut tomber lors quelles suivent de la consideration du bien et du malrdquo (Nouveaux essais A VI 6 pp 172-173) 11 ldquoAu reste il nous vient des penseacutees involontaires en partie de dehors [hellip] en partie au dedans agrave cause des impressions (souvent insensibles) qui restent des perceptions preacutecedent [hellip] La langue allemande les appelle Fliegende gedancken- comme qui diroit des penseacutees volantes qui ne sont pas en nostre pouvoir []rdquo (Nouvaeaux essais A VI 6 pp 177)

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[n]ous ne suivons pas aussi tousjours le dernier jugement de lentendement practique en nous determinant a vouloir mais nous suivons tousjours en voulant le resultat de toutes les inclinations qui viennent tant du coteacute de raisons que des passions ce qui se fait souvent sans un jugement expregraves de lentendement12

The intellect may be too weak a passion or a habit (even a good one) too strong to let us explicitly rely on a consideration of what is good yet the action is voluntary as long as it had been produced by an apperceived tendency This may be one of the main reasons why in discussing the nature of the will and of deliberation Leibniz relies on a very utilitaristic notion of good and bad sometimes defining them as pleasure and pain13 even if he surely had an inter-subjective notion of what is good that is used in the field of ethics Indeed even from the point of view of human moral responsibility what matter is not that ultimately the will is determined by a judgement made by the intellect but the awareness of a tendency In various occasions Leibniz gives great importance to the fact that humans have the faculties that allow rational choices and judgements of value that can lead to a further deliberation albeit if and to what extent these faculties will be used in any single case depend on the circumstances and on the whole history of an individual From this point of view the difference between appetition as (usually) unnoticed tendencies and volition as apperceived tendencies is relevant since it is from the apperception of a tendency that a process of further deliberation may (under proper conditions) start

In sum the claim that since final causation requires a judgement of good and bad it is a prerogative of souls seems too strong and would lead to a complete dismissal not only of the PNG passage but of all the texts where it is used referring to action of souls in general The main characteristic underlined in the analysis of the process of

12 Essais de Theacuteodiceacutee GP VI p 130 a similar thesis appears also in a letter to Coste ldquoDans les autres substances intelligentes les passions souvent tiendront lieu de raison et on pourra tousjours dire agrave legard de la volonteacute en general que le choix suit la plus grande inclination sous laquelle je comprends tant passions que raisons vrayes ou apparentesrdquo(Leibniz to Coste December 1707 GP III pp401-402) 13 ldquoLe Bien est ce qui sert ou confere au plaisir comme le Mal ce qui confere agrave la douleur Mais dans le conflict avec un plus grand bien le bien qui nous en priveroit pourroit devenir veritablement un mal entant quil confereroit agrave la douleur qui en deuvroit naistrerdquo (Nouveaux essais A VI 6 p 195) The utilitaristic notion of good and bad allows to talk about final causes in a more literal way for animals which can perceive pleasure Still it seems it hardly fits the nature of lower monads (see GP VII p 529)

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human deliberation is in fact the apperception of the tendency toward something or rather that the action follows and is produced by the apperception of the tendency which underlines that a self-attribution of a goal can be considered as a sufficient requisite for activity While it seems reasonable to interpret voluntary actions as the basis for a restricted way of intending final causation implying moral responsibility they might also be a model to figure out how appetition works in non-conscious monads There is indeed at least one text that explicitly states that appetition albeit distinguished from volitions exactly by means of consciousness of the end work by ends and means too

Interim non inepte motus volontarii appellantur qui appetititbus distinctius cognitis connectuntur ubi media finibus ab anima nostra adaptari animadvertimus ipsi tametsi in motibus etiam caeteris appetitus ad suos fines per media procedat quanquam non animadvertimus nobis Voluntariae enim eae demum actiones proprie appellantur quas deliberato facimus et quarum consci sumus14

It might be suggested that Leibniz is defining appetition in a way similar to the one used with the notion of perception To have a grasp on what a perceptual state in non-conscious substances may be we cannot but start from our own internal experience and abstract from anything we can attribute to rational beings only such as apperception of the self intellect We are then left with a general definition of what all types of perception have in common they express multiplicity in the unity of the subject In a similar way from the consideration of our own voluntary actions we can reach a definition of appetition as a tendency towards something that is analogous to the one we experience when we orient ourselves toward some desiderable new state abstracting from every explicit judgement on goodness as well as from the apperception of the tendency This process of abstraction from our peculiar faculties lead to a general definition of what all substances have in common perception as multiplicity in unity and appetition as tendencies toward a new perceptual state Leibniz draws such an explicit parallelism between volition and appetition ldquoPorro ut in nobis intellectioni respondet voluntas ita in omni Entelechia primitiva perceptioni respondet appetitus seu agendi conatus ad novam perceptionem

14 AGS p 38

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tendensrdquo15 The strictest notion of final causes allows then to grasp a specific character of activity of substances namely its self-directedness toward a specific state If so directedness should be regarded as a cause or at least a full explanation of action in the same way in which the apperception of the resulting strongest tendency is a sufficient condition for volition

2 Final causes and bodies

I will return on this issue and on the causal role of goals in the following paragraphs By now another problem opened by the partially analogical extension of final causation to non-rational substances has to be considered namely why they are excluded from bodies16 For having in mind all the Leibnizian thesis on final causes and on their use in science they seem to regard bodies too and if one cannot appeal to the higher cognitive functions their exclusion from the realm of bodies had to be justified somehow In other words the PNG thesis seems to contradict the scientific use of final causes

For a long part of his philosophical career at least starting from 1678-79 Leibniz had defended the use of final causes in science and philosophy arguing against those thinkers mainly Descartes Hobbes and Spinoza who had in different way tried to discard them In Leibnizs writings various statements on their use can be found First final causes play a heuristic role in science since there are laws that can be discovered only (or in some texts more easily) by considering Gods ends in making this world Final causes are also important for the spreading of piety since they help us in recognizing the goodness of the Author of things by means of the recognizing of order and harmony of his creation Moreover albeit anything in nature happens mechanically the physical laws cannot be derived by the basic notion of mechanic alone since they depend on Gods ends Finally final

15 GP VII p 330 See also GP III p 581 16 Here I take the PNG thesis as a statement about causality in causally closed systems independent by considerations on their ontological status The underlying conviction is that any argument against final causes in bodies based on their lack of ontological consistence will equally affect efficient causation In other words I take the PNG thesis as meaning that insofar as it is legitimate to say that bodies act they do so in accordance with laws of efficient causation

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causes and efficient causes constitute (this is the most relevant point) two different and both complete model of explanation of natural phenomena In principle all natural phenomena can be derived either by a consideration of Gods end alone or only from the way bodies realizes those ends

The problem at stake in these theses are quite different from the one raised by PNG and to some extent it is no surprise Here Leibniz is facing the arguments developed by those who had refused final causes especially the Cartesian Argument on their being useless in science He uses way of reasoning and proves of their usefulness that aimed at being at a first glance independent by the complex of his metaphysics In some sense they are rather intended to show a path that should lead to the notion of substances force harmony and so on but does not presuppose them Another difference more important here regards which part of the process of final causation is relevant in the arguments listed above the use of final causes is based on the fact that something (the physical world or its law) had been a goal for an intelligent being while the PNG focuses on the fact that there are things in the world that have goals and this explains why or how they act Though through final causes one may be able to explain anything happening in bodies by deriving the law ruling their behaviour bodies do not act by final causes or according to a law of final causation for their teleological behaviour depends on the activity of an intentional agent (God) From the metaphysical point of view no tendency toward a goal follows from the essence of bodies while in the essence of simple substance there is something that is a goal-directed element namely appetition

Yet this is not the whole story For there seem to be a very relevant exception to this distinction a scientific use of final causes that deals with autonomous goals or ends pursued and realized by bodies alone the realm of biology

At the level of the practical use of final causes there is surely a difference in biology they are used mainly for descriptive purposes for deriving (hypothesis on) the structure of an organ by its goal and for deducing the goals needed by the more general scope of the complex of the natural machine17 They then play a descriptive role at 17 On the concept of natural machine see Fichant 2003 pp 1-28 The relation of mechanism and teleology in Leibniz biology has been the object of several studies in

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the abstract level of the common features of species while in simple substances the activity that causes a change of states is at stake Nonetheless recalling that for Leibniz any organism is ultimately a species on its own there should be something like a general end for each natural machine so that in principle we should be able to explain its behaviour as a tendency toward its goal Final causation as it is at stake in the realm of organic bodies should be able to provide at least an explanation of a state of a body and of its activity by individuating the way it reacts to a given state of the world The two problems are then can the goals be attributed in some sense to bodies Can them be said to act by virtue of their final causes

In the controversy with Stahl there are hints that point in different directions On the one hand final causation in organic bodies is referred to Gods ends The function realized by a single (or a set of similar) natural machine is a particular end of God that realizes something that concur in producing the more general ends18 In a derivative and weaker sense this applies to inorganic bodies as well Another passage however suggests a different reading In order to ground the distinction of organic and inorganic bodies Leibniz explains that the former have effects and goals by means of their own internal structure19 So not only organic bodies realize Gods ends expressed by the laws of nature that rule their behaviour but these ends are realized because these bodies follow autonomously their own goal and each of these goals constitute a requisite for the realizing of the whole complex of bodies With all the difficulties the organic-inorganic distinction may imply in Leibniz this seems a clear statement of the existence of autonomously pursued goals in bodies

recent years As minimal references see Hartz 2011 pp 29-37 Pasini 2011 pp 1261-1235 18 ldquoQuia igitur Autor rerum omnia intelligit ideo omnia agit cum ordine seu ad Finem Itaque duplices iterum oriuntur causae Finales particulares et generales Particulares apparent inprimis in Machinis naturae seu corporibus viventium organicis quae sunt Machinae divinae inventionis ad certum genus operationum comparatae et in nobis quidem a Ratiocinationem exhibendam [hellip] Licet autem praeter Machinas naturae multa videamus corpora quae rudia sunt et ruderibus similia in quibus non apparet fines speciales dubius tamen nullum esse debet Deum auctores spectantibus ipsa quoque ad fines speciales (etsi nobis ignotos) exquisitissime ordinata esse et omnia concurrere ad finem generalem qui est Harmonia rerumrdquo (AGS p 28) 19 ldquo[] magnum esse discrimen inter machinas et aggregata massaque quod machinae fines et effectus habent vi suae structurae at aggregatorum fines et effectus oriuntur ex serie rerum concorrentiumrdquo (AGS p 66)

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too If so for providing a full reason of the effort to achieve the scope of one natural machine there is no need to make a direct reference to those things who are the metaphysical conditions for the existence of the machine God who created it the simple substance that ldquoactualizes the machinerdquo Consequently a causal autonomy seems to hold in bodies for final causes too Moreover it seems quite reasonable to claim that at least for our knowledge ends of non-conscious monads are better described in biological rather than in cognitive terms Still the passage quoted above does not refer to final causation At first it may be noted that since Leibniz (to my knowledge) never speaks of the essence of one body (while he does for substances) and refers just to the essence of bodies in general from this essence no goal-oriented activity follows Yet one may object that insofar a natural machine can be defined one body then ends can be attributed to that single body

Even admitting that the basic element of Leibnizian physical world have goals not every change in bodies can be explained by goals that might be attributed to thing that changes Accepting the distinction made in the controversy with Stahl not only we cannot ascribe goals to inorganic bodies but the particular end that inorganic bodies may accomplish cannot be ascribed to the natural machines that compose the inorganic aggregate As problematic as the treatment of inorganic aggregates as one body may be in Leibniz there are changes in bodies that cannot be derived by the goal of the body (or aggregate of bodies) that changes even admitting that this change supervenues on goal-oriented changes in natural machines Though teleology is everywhere in bodies it does not lead to an autonomous and complete system of final causation A more problematic case might be the higher level of possible integration of bodies a state of the world considered as a state of a machine where in a strong sense the aggregate of bodies is not arbitrarily constructed In this case Leibnizrsquos use of teleology does not rely much on a tendency toward the following state but on the ratio of the change that being always in accordance to physical laws expresses Gods ends From this point of view it might be argued that following states do not play the role of ends insofar they are not presupposed in the description of change However as it will become clear in the next paragraph the whole set of bodies shares in some sense a

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property of simple substances which is fundamental for final causation namely spontaneity

In light of the rejection of final causation in bodies I then assume as a central point of the PNG thesis that the system of final causation in simple substances means that the activity of substances is caused or described only by goals that can fully be attributed to them I try now to argue that this is consistent with the generality of the PNG thesis only if the system of final causation is not situated at the most fundamental level of Leibnizs metaphysics

3 Final causes and monadic agency

As seen goals (in some cases by determining the thought of the means needed to reach them) can be intended as a cause of the activity of substances This activity consists in an effort a tendency toward a subsequent perceptual state as the definition of appetition states The point that I want to stress here is that while the ldquosystem of final causesrdquo can provide a reason for which a subsequent state is what it is it cannot identify the cause of the following state in the strictest sense The premise may look quite trivial not all efforts reach their goals Obviously this is something Leibniz as anyone else was aware of however this quite simple point assumes in his writings a more interesting meaning A reference to this fact can be found in a text of 1679 where thought in a different theoretical context is highlighted one point Godrsquos global ends are realized through a potentially conflictual composition of different particular tendency toward particular goods20 A similar point is made years later in a letter to Bourguet21 This last text doesnt stress much the conflict beyond the realization of Gods ends nor it highlights the possibility that perceived good may after all be an evil in an objective sense in

20 ldquoItaque Deus est Mens illa quae omnia ducit ad perfectionem generalem Anima autem est vis illa sentiens quae in unoquoque tendit ad perfectionem specialem Ortae autem sunt animae dum Deus omnibus conatum ad perfectionem specialem impressit ut ex eo conflictu oriretur maxima perfectio possibilisraquo (Anima quomodo agat in corpus 1679 A VI 4 p 1367) 21 ldquoLe concours de toutes les tendences au bien a produit le meilleur mais comme il y a des biens qui sont incompatibles ensemble ce concours et ce resultat peut emporter la destruction de quelque bien et par consequent quelque malrdquo (Leibniz to Bourguet 1712 GP III p 558)

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any case it states that particular goods are sometimes destroyed because of the concurrence of various tendencies

Some scholars22 have argued that this shows the pre-eminence in the world of natural teleology (Gods ends) on ldquodesire teleologyrdquo (substancesrsquo ends) While agreeing for natural teleology is the ultimate reason because the conflict of tendencies ends up in a determinate way and not in another it should be added that this is not enough to put the ldquosystem of final causationrdquo as distinguished from teleology in bodies at the deeper level of Leibnizs metaphysics At the same time Leibnizs statement does not imply that a reference to Gods ends is necessary to derive any change of state because the concurrence of tendencies in all substances is enough

These two points may worth a bit of clarification goal-oriented activity in one substance is not enough to provide a reason or a cause for its effect (a subsequent state) considered as an internal perceptual state because if we want to explain it in terms of goal-oriented activity one should consider the concurrence of all simple substances activity So the system of final causation may explain a new state only if one renounces to present it as the results of an immanent activity Beyond the final causes system there is the immanent activity of monads where following states are produced by previous ones In this case monadic activity includes in the form of its own internal limitation what final causes explain only in terms of concurrence of various substances Leibniz is hinting in this direction in the discussion of the well-known example of the beaten dog provided by Bayle against pre-established harmony He in fact holds that the unexpected pain the dogs soul feels when suddenly beaten while he was happily eating does not mean that the dog is seeking a new state of pain and wishing to abandon his happiness It rather means that the new state had been produced spontaneously by the substance activity from the previous state Leibniz draws a distinction between spontaneity by which any state of a substance is produced because of immanent action and voluntary action23 Here the

22 See Rutherford 2005 p 173 See also Adams 1994 p 318 23 ldquoCette incompatibiliteacute [sc the incompatibility between spontaneity and pain or more generally unpleasant perceptions] seroit certaine si spontaneacute et volontaire estoit la mecircme chose Tout volontaire est spontaneacute mais il y a des actions spontaneacutees qui sont sans election et par consequent qui ne sont point volontaires Il ne depend pas de lame de se donner tousjours les sentimens qui luy plaisent

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language of choice is once again used as a model to define tendencies toward a state but the example of the dog may make as said it a bit inadequate In any case this passage allows a distinction between two different meaning of ldquoactionrdquo of a substance Spontaneous activity is situated at the deeper level of a passage from a perception to another while voluntary (or voluntary-like) activity of one substance only partially explains the raise of its subsequent states In the ongoing of the discussion with Bayle namely in the remarks on the second edition of the Dictionnaire Leibniz tries to develop the notion of spontaneity as acting in accordance to a pre-established law by showing that only immaterial substances can fully ground that He starts with the comparison with the movement of a point a point moves along a line that is fully determined so it acts in accordance with a law Yet Leibniz adds if this point was the only one in the world this line would be a straight line If it is not it is because of the concurrence of the complex of bodies plus the law of movements In a rigorous sense then spontaneity is not in a single body for the accordance with the laws depends ultimately on the whole complex of bodies Even the basic elements of the physical world organic bodies are not fully spontaneous because while being complicated machine of perpetual motion they still presuppose the interaction with the environment in their functioning From this point of view however the whole world may be said to be spontaneous in some sense as Leibniz himself admits On the other hand entelechies can be spontaneous following the pre-established ldquopathrdquo without any interference The last lines of the texts show that spontaneity grounds the possibility to consider the passivity of one substance as a state autonomously produced because of its imperfection24 Another point to be highlighted is if the left-alone body

puisque les sentimens quelle aura ont une dependance de ceux quelle a eus (Eclaircissement des difficulteacutes que Monsieur Bayle a trouveacutees dans le systeme nouveau de lunion de lame et du corps 1698 GP IV p 519) On the relevance of this distinction for the attribution of an action to humanrsquos wills rather than Godrsquos and therefore for the whole theory of freedom see Murray 2005 pp 194-216 24 ldquoAinsi il ny a de la contrainte dans les substances quau dehors et dans les apparences [L]e mouvement de quelque point quon puisse prendre dans le monde se fait dans une ligne dune nature determineacutee que ce point a pris une fois pour toutes et que rien ne luy fera jamais quitter [hellip] Il est vray que cette ligne seroit droite si ce point pouvoit estre seul dans le monde et que mainteant elle est due en vertu des loix mecanique au concurs de tous les corps aussi est par ce concurs mecircme quelle est preeacutetablie Ainsi javoue que la spontaneiteacute nest pas proprement

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moving in a straight line do so in accordance to a law what seems impossible for bodies by their essence is the possibility to follow any law no matter how complicated and therefor to differentiate their behaviour without the concurrence of other bodies In this sense spontaneity is surely a requisite for final causation However the fact that this notion applies to the whole set of bodies suggests that it is not enough If voluntary actions are the model on which final causation has to be understood then they are to be referred to the strictest notion of activity where ends can be attributed to the subject at least as long as they identify the reason of its activity and not of what is due its passivity

If so describing monadic activity by means of final causes is just an abstraction on the deepest level where the concurrence is internalized With respect to this level it is a way of explaining the raise of a state and all its own internal features as long as the law of appetition is in every substance It is nonetheless an abstraction that is fully legitimate First final causation accounts for an effective property of appetition directedness that fully explains activity in the restricted sense Second there is a sense in which the restricted notion of activity can be intended as activity par excellence for it is a type of activity that follows from the perfection of one substance It is in fact because of this restricted notion that it is possible to say that one substance acts upon another According to the famous passage from Monadology the legitimacy of the use of transitive causation in explaining states of substances depends on the differences in the perfection of substances this difference consisting in the fact that the acting substance ldquocontains what can give an a priori reason of what happens in anotherrdquo Active goal directedness can constitute if not

dans la masse (agrave moins de prendre lunivers tout entiere agrave qui rien ne resiste) car si ce point pouvoit commencer destre seul il continueroit non pas dans la ligneacutee preeacutetablie mais dans la droite tangente Cest donc proprement dans lEntelechie (dont ce point est le point de veue) que la spontaneiteacute se trouve et au lieu que le point ne pouvant avoir de soi qui touche cette Ligne parce quil na point de memoire pour ainsi dire ny de presentiment lEntelechie exprime la courbe preeacutetablie mecircme les corps environnans ne pouvant point avoir dinfluence sur cette Ame ou Entelechie de sorte quen ce sens rien nest violent agrave son egard Quoyque ce que les hommes appellant violent ne laisse pas davoir lieu en tant que cette Ame a des perceptions confuses et par consequent involontairerdquo (Reponse aux reflexions contenues dans la seconde Edition du Dictionnaire critique de M Bayle GP IV p 558)

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the only at least one of the most important cases that exemplifies such an a priori reason

Incidentally so far it seems that what final causation cannot account for is mainly the passivity of substances considered (as it is) part of their nature25 Yet this statement should be precised The brief remarks made earlier on the notion of deliberation the fact that includes what comes from our passion and even the fact that one may be wrong in an intellectual deliberation shows that the passivity and limitation have to be taken into account in explaining someones action even when we can legitimately say that she is acting upon someone else An interesting statement that goes in this direction in terms of internal impediments can be found in the correspondence with De Bosses26 If so final causes do consider the activity of every created substance as intrinsically limited To some extent the limitation of activity is fundamental in the system of final causation because the limitation intrinsic to the activity differentiate the behaviours of created substances even if they all are instantiations of the general scheme of appetition It is because activity is limited in different ways ie there are different degrees in perfection that the laws of appetitions that rules the way in which they orient their actions is different What I believe final causes cannot account for unless they are referred to the whole set of created substances are those changes which occur to a substance whose reason are better understood in terms of the activity of another substance

4 The causality of ends

Nothing of what has been said so far can be seen as a reason to deny or to admit that goals are causes If the law of appetition could be enough to ground in some sense a different type of causes there will be a much stronger metaphysical grounding for final causations

In Leibnizs texts there are some statements that quite clearly

25 On the issue of limitation and imperfection in created substances see Mormino 2005 26 ldquo[Original sin] non est virtus agendi sed virtutis agendi impedimentum ut ignorantia vitium Per impedimenta autem prodeunt actiones quae sine ipsis non prodirent ut frigoris exemplo patetrdquo (Letter to De Bosses September 1706 LDB p 62)

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denies a specific and irreducible causal role to goals Admittedly this is not a recurrent theme yet to my knowledge this type of statements appears whenever Leibniz explicitly deal with the causal role of goals

7) At ergo finis non est causa Et sane fateor finem non esse

causam non enim existit sed eius conceptum esse causam et quidem inter efficientes nempe impellentem Efficiens est causa quae confert ad effectum agendo27

8) ldquoIllic [sc in bodies] series motuum hic [in souls] series

appetitum locum habet illic transitur a causa ad effectum hic a fine ad medium Et revera dici potest representationem finis in Anima causam efficientem esse repraesentationis Mediorum in eadem28

9) Causa de fine valde improprie dicitur [hellip] Si A facit B quia vult

C erit A efficiens B medium C finis29 10) Efficiens est causa activa [hellip] Finis est cuius appetitio est

causa sufficiens conatus in agente30

From the complex of this texts two different and apparently incompatible types of arguments can be drawn out The first two quotations suggest that goals as long as they act are efficient causes while the other two suggest that goals are not causes because they are not active

As for the first the distinction of two realms of causes does not lead to a distinction of types of causes Indeed in earlier writings Leibniz had used the distinction of the four types of cause as an example of obscure notion31 Beyond this argument there is an 27 Definitiones Aliquid nihil 1679 A VI 4a pp 308-309 28 AGS p 32 29 Definitiones notionum metaphysicarum atque logicarum 1685 A VI 4a p 630 30 [Table of definition] 1702-1704 C p 407 31 See Meditationes de cognitione veritate et ideis A VI 4 p 586 In Carlin 2006 the reducibility to efficient causes is read as the basis for a distinction of two kinds of efficient causes intentional and mechanical It seems to me that the stress is much more on the unique logical structure of the relation of causality by means of the concepts of conference and requisite than on the distinction of types of efficient causes which is not so explicit On the logical grounding of the concept of requisitum see Di Bella 2005 pp 63-93

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evident tentative to interpret univocally the way in which causality works Moreover at least in the case of human action Leibniz had done more than just stating reducibility to efficient causes The whole process of human deliberation and action is described by comparison with mechanical causes Indeed in his Eclaircissement to Bayle objection against pre-established harmony he states that the way a machine work can be a good analogy to comprehend the activity of a substances as determined by its internal state32 Mechanical metaphors are also used to describe the passages of the process of deliberation and action with the same purpose of underline its complete determination Against indifferentia equilibrium Leibniz repeatedly uses the metaphor of a balance to show that the prevalent motive moves infallibly the will A more interesting and complicated metaphor directly referable to Leibnizs dynamics is used to show how a goal can be constituted as such In the Nouveaux essais Leibniz describes the composition of the winning tendency as the result of impulses composed also by ldquoinfinitesimalrdquo tendencies from which the winning effort result It is basically the scheme that lead to consider the raise of live forces from the composition and repetition of the infinitesimal death forces here impulsus has a double ldquonaturerdquo on the one hand it coincides with impetus (momentaneous entity whose infinite repetition produce motion through time) on the other it can apply to the infinitesimal ldquocomponentrdquo of the impetus This way of explaining the process of deliberation highlights an important point already mentioned at another level all components of a perceptual state all motives let them come from the intellect or from passions act in the same way making their composition in the unity of the effect intelligible

Shall one conclude that after all efficient (mechanical-like) causes lay at the bottom of the created world Few doubt can be raised on the metaphorical status of this type of reasoning which highlights a way of functioning of deliberation but should not be taken 32 ldquo[] lame tout simple quelle est a tousjours un sentiment composeacute de plusieurs perceptions agrave la fois ce qui opere autant pour nostre but que si elle estoit composeacutee de piegraveces comme une machine Car chaque perception precedente a de linfluence sur le suivantes conformement agrave une loy dordre qui est dans le perceptions comme dans les mouvemens [hellip] Il auroit peutestre suffi de dire que Dieu ayant fait des Automates corporels en pourroit bien avoir fait aussi dimmateriels qui representent les premiers [hellip]rdquo (Eclaircissement des difficulteacutes que Monsieur Bayle a trouveacutees dans le systeme nouveau de lunion de lame et du corps 1698 GP IV pp 522-523)

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literally and where it is not explicitly stated like in the case of the discussion of the impulse the use of a model based on infinitesimal sounds as a proof that entia rationis are at stake Indeed a literal reading will equally fall under the second set of objections on causality of goals that ends are not causes because they do not act Only agents are causes The explicit limit of the balance metaphor is exactly this motives do not act on the will its the will that acts according to motives Explaining things the other way round would from the metaphysical point of view be like admitting a sort of retro-activity of derivative forces on primary forces Still the two types of objection may appear to be mutually contradictory Two features of Leibnizs theory of causality may help to show they are not The first is that causes are active the second is that a full cause contains all the requisite needed to produce its effect (exactly as it is) So monadic activity is the most fundamental cause and it is not strictly speaking caused by a perceptual state33 Describing a change as if perceptual state where causes of the action is the intrinsic limit both of final causes and of their reduction with mechanical metaphor A state is the immanent effect of an activity rather than its cause Nonetheless since it implies all the requisite of a subsequent states it can be treated as the full cause of it for there is no other way to define this set of requisites as long as one cannot apply to general notion of action to derive the nature of one concrete effect From this point of view ends are not cause yet the ldquosystem of final causationsrdquo constitute a way of explaining or unfolding full causes of a subsequent state while it is applied to all monads This said the fact the mechanical metaphors cover all the logical steps of the theory of voluntary action (composition of a goal determination of a volition action) may seem a reason for once again dismissing the PNG thesis After all one may legitimately say that the activity of a substances is modelled on efficient causes There surely is such a model of explaining activity still the possibility of a such a reduction does not affect I believe the priority of the system of final causation While mechanical metaphor ends in a complete passivity of the subject 33 On causal agency Bobro-Clatterbaugh 1996 pp 408-425 is still fundamental One point that might be added to their thesis that metaphysically speaking monadic activity is the only cause is that from an epistemological point of view perceptual states (plus laws of nature) can be said to be causes as long as they express the whole set of requisites for a subsequent state

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within the system of final causes we can account for monads to be active they act according to a law and toward an immanent effect If this account is correct final causes identify the active subject of change in strictest metaphysical sense Indeed in most of the occasion (though not always) Leibniz is quite accurate in describing final causation as activity in accordance with a law that drives its orientation to some good and not as an action caused by an end Moreover all the mechanical metaphors used assume that from the composition of motives the action will follow In doing so what is presupposed is exactly the law of appetition that states that the result of activity is fully grounded in the perception of the previous state The recomposition of motives in one single effect characteristic of the explanation of action by means of efficient causes presupposes some sort of distribution of the force intrinsic to each motive which can be obtained only by presupposing one specific instantiation of the ldquolaw of good and evilrdquo This law may then look as nothing more but is surely nothing less than a statement on determinism

BIBLIOGRAPHY Abbreviations A followed by series and volume number= Gottfried Wilhelm Leibniz Samtliche

Schriften und Briefe Hrsgg der Prussische Akademie der Wissenschaften then Berlin-Brandenburgischen Akademie der Wissenschaften und der Akademie der Wissenschaften in Goumlttingen Akademie Verlag then De Gruyter Darmstad 1923 and ff Leipzig 1938 and ff Berlin 1950 ff

AGS = GW Leibniz Obiezioni contro la teoria medica di Georg Ernst Stahl ed A M Nunziante Macerata Quodlibet 2011

C = GW Leibniz Opuscules et fragments inedits de Leibniz Extraits des manuscrits de la biblioteque royale de Hanovre ed Louis Couturat Paris 1903 rep Georg Olms Hildesheim 1961

LDB = The LeibnizDes Bosses corrispondence ed C Look Brandon e Donald Rutherford New Haven-London Yale University press 2007

GP followed by volume number = Leibniz Gottfried Wilhelem Die philosophischen schriften von Gottfired Wilhelem Leibniz ed by Carl Immanuel Gerhardt Berlin 1875-90 rep Hildesheim 1965 7 vol

Work cited Adams RM Leibniz determinist theist idealist Oxford Oxford University Press

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monistrdquo 79 (1996) pp 408-425 Carlin Laurence Leibniz on Final Causes ldquoJournal of the History of Philosophyrdquo 44

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Di Bella S Leibnizs theory of conditions a framework for ontological dependence ldquoThe Leibniz Reviewrdquo 15 2005 pp 63-93

Hartz G Leibnizrsquos animals where teleology meets mechanism in J E H Smith and O Nachtomy Machines of nature and corporeal substances in Leibniz Dordrecht Springer 2011 pp 29-37

Jorati J Monadic teleology without goodness and without God ldquoThe Leibniz Reviewrdquo 23 2013 pp 43-72

Mc Rae R Leibniz perception apperception and thought University of Toronto Press Toronto 1976

Mormino G La limitation originaire des creacuteatures chez Leibniz in E Pasini (eacuted) La monadologie de Leibniz Genegravese et contexte Mimesis Paris-Milano 2005 pp 55-83

Murray M Spontaneity and freedom in JA Cover and D Garber (eds) Leibniz Nature and freedom Oxford- New York Oxford University Press 2005 pp 194-216

Pasini E Both mechanistic and teleological The genesis of Leibnizrsquos concept of organism with special regard to his ldquoDu rapport general de toutes chosesrdquo in H Busche (hrsg) Departure to Modern Europe Philosophy between 1400 and 1700 Hamburg Meiner 2011 pp 1216-1235

Rutherford D Leibniz on spontaneity in JA Cover and D Garber (eds) Leibniz Nature and freedom Oxford-New York Oxford University Press 2005 pp 156-180

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SECTION 2

PRINCIPE DE RAISON ET CAUSALITEacute

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ARNAUD LALANNE

LA QUESTION DU ldquoPOURQUOIrdquo DANS LA FORMULATION DU PRINCIPE DE RAISON

Rien ne se fait sans raison suffisante crsquoest agrave dire que rien nrsquoarrive sans qursquoil soit possible agrave celuy qui connoitroit asseacutes les choses de rendre une Raison qui suffise pour determiner pourquoy il en est ainsi et non pas autrement

A premiegravere lecture la formulation du principe de raison du paragraphe 7 des Principes de la Nature et de la Gracircce fondeacutes en raison est ldquocanoniquerdquo sans surprise Mais aussitocirct apregraves srsquoecirctre demandeacute pourquoi il en est ainsi et non pas autrement Leibniz formule la question suivante ldquoCe principe poseacute la premiere question qursquoon a droit de faire sera Pourquoy il y a plustocirct quelque chose que rien rdquo Leibniz invente ce qursquoon a coutume de nommer la ldquoquestion de la meacutetaphysiquerdquo

Mais ougrave est veacuteritablement lrsquoinnovation Nous pourrions reacutepondre simplement dans le changement de registre puisque Leibniz passe du discours physique au discours meacutetaphysique au moyen du principe de raison

Jusquici nous navons parleacute quen simples physiciens maintenant il faut seacutelever agrave la Meacutetaphysique en nous servant du grand principe peu employeacute communeacutement qui porte que Rien ne se fait sans raison suffisantehellip1

La parole du principe de raison eacutelegraveve donc agrave la meacutetaphysique Mais lrsquoinvention leibnizienne provient surtout de lrsquoeacutetablissement de la ldquopremiegravere questionrdquo ldquoPourquoy il y a plustocirct quelque chose que rien rdquo comme prolongement immeacutediat du principe de raison Crsquoest le principe de raison qui ldquoleacutegitimerdquo ou reconnaicirct ldquode droitrdquo le caractegravere questionnant du ldquopourquoirdquo dans la primauteacute du ldquoquelque choserdquo par rapport au ldquorienrdquo Nous pourrions aller plus loin et dire que le principe de raison srsquoidentifie avec la ldquopremiegravere question pourquoirdquo conccedilue comme ldquoquestion premiegravererdquo de la meacutetaphysique De faccedilon paradoxale Heidegger fait de la question ldquopremiegravererdquo de Leibniz ldquoPourquoi il y a plutocirct quelque chose que rien rdquo la ldquoquestion finale ou conclusiverdquo

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(Schluszligfrage)2 de la meacutetaphysique Leibniz aurait donneacute la structure fondamentale de la question de lrsquoEtre mais en la rapportant immeacutediatement agrave lrsquoeacutetant dans un sens causal (kausal) perdant le sens questionnant du ldquopourquoirdquo

Notre hypothegravese de lecture est que Leibniz pense le principe de raison de faccedilon veacuteritablement questionnante gracircce agrave lrsquoapprofondissement de la question pourquoi dans un sens meacutetaphysique

Pour veacuterifier cette hypothegravese nous eacutetudierons drsquoabord la genegravese de la formulation du principe de raison agrave partir de la question ldquopourquoirdquo et en particulier lorsque lrsquoadverbe interrogatif est substantiveacute le lexique leibnizien identifiant alors ldquola raisonrdquo avec ldquole pourquoirdquo Dans un second temps nous eacutetudierons la genegravese de la ldquopremiegravere questionrdquo du paragraphe 7 des Principes de la Nature et de la Gracircce fondeacutes en raison en tant qursquoelle deacutefinit le questionnement premier de la meacutetaphysique

1 La genegravese de la formulation du principe de raison agrave partir de la question

pourquoi

11 Lrsquoeacutequivalence entre la raison et ldquole pourquoirdquo (τὸ διότι)

Dans le De arte combinatoria (en 1666) Leibniz utilise lrsquointerrogatif grec διότι sous sa forme substantiveacutee ldquoτὸ διότιrdquo crsquoest-agrave-dire le ldquopourquoirdquo pour deacutefinir le terme latin ldquoratiordquo la raison ldquoIl est difficile ou bien de concevoir la raison crsquoest-agrave-dire le pourquoi ou bien si on la conccediloit de lrsquoexpliquerrdquo3 Cette deacutefinition drsquoinspiration aristoteacutelicienne4 nrsquoest pas donneacutee dans un cadre meacutetaphysique mais logico-matheacutematique pour le calcul des complexions Raison signifie alors rapport numeacuterique plutocirct que faculteacute de compreacutehension ou de

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Arnaud Lalanne La question du ldquopourquoirdquo dans le principe de raison

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reacuteflexion Il est possible de concevoir la ldquoraison pour laquelle une chose estrdquo mais pas de lrsquoexpliquer Seul le comment τὸ ὅτι est pleinement explicable

La mecircme distinction entre le pourquoi (τὸ διότι) et le comment (τὸ ὅτι) est reprise dans le contexte drsquoune reacuteflexion theacuteologique pour montrer la neacutecessiteacute pour la raison de ne pas chercher agrave deacutemontrer les mystegraveres de foi Par exemple lrsquoarticle 56 du Discours preacuteliminaire de la conformiteacute de la foy avec la raison eacutetablit que

Nous nrsquoavons pas besoin (hellip) de prouver les Mysteres a priori ou drsquoen rendre raison il nous sufficirct que la chose est ainsi (τὸ ὅτι) sans savoir le pourquoy (τὸ διότι) que Dieu srsquoest reserveacute5(sect 56 GP VI pp 81-82)

Ce passage confirme le rapprochement de la raison comme preuve a priori avec le pourquoi (τὸ διότι) mais Leibniz place la connaissance deacutemonstrative des mystegraveres ldquoau-dessus de la raisonrdquo et non ldquocontre la raisonrdquo Les mystegraveres repreacutesentent la limite du dominium de la raison humaine mecircme si nous pouvons nous repreacutesenter lrsquoentendement divin qui est la source de toute veacuteriteacute y compris des deacutemonstrations des veacuteriteacutes de foi

12 Le principe de raison une simple question de ldquocuriositeacuterdquo

Pourtant cette limitation de lrsquoempire de la raison ne satisfait pas tout agrave fait lrsquoesprit humain et agrave deacutefaut de connaicirctre reacuteellement lrsquohomme est curieux drsquoapprendre - au sens eacutetymologique de la curiositas crsquoest-agrave-

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dire de la faculteacute de poser la question pourquoi lrsquoadverbe interrogatif latin ldquocurrdquo signifiant ici agrave la fois la question ldquopourquoi rdquo et ldquole pourquoirdquo La recherche de la veacuteriteacute se fonde alors sur cet art du questionnement curieux et le principe de raison oriente cette recherche vers la connaissance du ldquopourquoirdquo Or dans la Confessio Philosophi (1673) Leibniz identifie explicitement la question ldquopourquoirdquo en latin ldquoCURrdquo avec la raison Le pourquoi devient ainsi le principe-mecircme de la recherche comme dans la meacutethode aristoteacutelicienne de lrsquoeacutetonnement eacuteveilleacute par la sensation que Leibniz deacutecrit ainsi

En effet tous les hommes lorsquils perccediloivent quelque chose (sentiunt aliquid) surtout si cette chose est insolite demandent pourquoi (cur) cest-agrave-dire en cherchent la cause ([raison] rationem) soit efficiente soit si lauteur est un agent rationnel finale6

Selon la traduction drsquoYvon Beacutelaval on pourrait traduire ldquocurrdquo en le substantivant et les hommes chercheraient alors ldquole pourquoi crsquoest-agrave-dire la raison ou bien efficiente ou bien finale si lrsquoauteur est un agent rationnelrdquo Lrsquooriginaliteacute de ce passage tient dans le fait non seulement que la raison est qualifieacutee drsquoefficiente -alors que crsquoest traditionnellement la cause qui est dite efficiente- mais encore qursquoelle se nomme fin ou finaliteacute quand il srsquoagit drsquoun agent doueacute de raison Le ldquopourquoirdquo est donc compris agrave la fois comme lrsquoobjet de la ldquorechercherdquo et comme ldquola raisonrdquo elle-mecircme soit comme pure efficience si la recherche porte sur la nature soit comme finaliteacute si la recherche porte sur les actions libres drsquoun agent rationnel

Une fois eacutetablie lrsquoidentiteacute de la raison et du pourquoi Leibniz deacutefinit le double aboutissement de cette ldquoquecircterdquo un savoir certain et neacutecessaire si la quecircte est meneacutee par un philosophe et une chose moins certaine mais familiegravere si la recherche est meneacutee par un quidam Tout deacutecoule de la question ldquoCurrdquo

De lagrave viennent les expressions avoir cure et curiositeacute comme queacuterir vient de quel ou quelles (quis quaeve) Et une fois quils ont rendu raison sils en ont le loisir ou sil leur semble que laffaire en vaut la peine ils cherchent la raison de la raison jusquagrave ce quils tombent srsquoil srsquoagit des philosophes sur une chose claire qui soit neacutecessaire cest-agrave-dire agrave soi-mecircme sa raison (sibi ipsi ratio est) et srsquoils sont de simples

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chercheurs sur une chose commune et qui leur soit deacutejagrave familiegravere agrave laquelle ils sarrecirctent7 (trad Belaval un peu modifieacutee pp 32-33)

La recherche de la ldquoraison de la raisonrdquo conduit donc le philosophe agrave une raison suffisante ou identique crsquoest-agrave-dire capable drsquoapporter une veacuteriteacute claire et neacutecessaire La curiositeacute implique donc une quecircte de la raison suffisante sauf pour le simple quidam qui srsquoarrecircte uniquement aux choses familiegraveres

13 La formulation du ldquoprincipe du pourquoyrdquo suffisant (Lettres agrave Hartsoeker ndash

1711-1712)

Pourtant lrsquoeacutetape essentielle pour pouvoir affirmer lrsquoidentiteacute de la raison suffisante avec ldquole pourquoirdquo consiste agrave nommer le principe de raison ldquoprincipe du pourquoirdquo Or crsquoest ce geste sans preacuteceacutedent qursquoaccomplit Leibniz entre 1711-1712 dans sa correspondance avec le physicien Nicolas Hartsoeker A notre connaissance crsquoest le seul endroit dans lrsquoœuvre de Leibniz ougrave apparaicirct un tel usage Faut-il interpreacuteter cet emploi speacutecial en le restreignant au contexte drsquoune poleacutemique physique Ou bien faut-il au contraire lrsquoeacutetendre aux autres domaines de la penseacutee leibnizienne Lrsquoobstacle agrave une geacuteneacuteralisation vient du fait que Leibniz nrsquoutilise ces formules nouvelles que dans le combat contre les thegraveses atomistes drsquoHartsoeker En effet ce dernier soutenant la dureteacute absolue de lrsquoatome Leibniz y voit selon ses termes les ldquoantipodes du pourquoi suffisantrdquo (lettre du 8 feacutevrier 1712 GP II pp 532-533) Nous voyons alors que le vocabulaire du pourquoi est non seulement interchangeable avec celui de la raison mais encore transposeacute pour qualifier le principe lui-mecircme Ainsi Leibniz utilise lrsquoexpression ldquogrand principe du pourquoirdquo pour deacutesigner le principe de raison lui-mecircme sous sa forme complegravete ldquoRien nrsquoarrive sans un pourquoi suffisant ou bien sans une raison deacuteterminanterdquo (lettre du 7 deacutecembre 1711 GP III p 529) Lrsquoordre est comme inverseacute Leibniz qualifie la raison de deacuteterminante au lieu de suffisante et il reacuteserve cet adjectif au seul ldquopourquoirdquo qui finit dans

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cette correspondance par prendre la place habituelle de la raison Avec ce qualificatif de ldquosuffisantrdquo le pourquoi devient mecircme lrsquoeacutequivalent de ldquola droite raisonrdquo dans la lettre du 8 feacutevrier 1712 (GP II pp 532-533)

Au terme de cette rapide genegravese des formules du principe de raison agrave partir de la question pourquoi il apparaicirct donc clairement que la question pourquoi substantiveacutee et la raison elle-mecircme sont devenues au tournant des anneacutees 17008 quasiment identiques y compris dans leurs ldquoprincipesrdquo

2 La genegravese de la premiegravere ldquoquestion meacutetaphysiquerdquo dans les Principes de la

Nature et de la Gracircce

Presque toutes les formules du principe de raison se structurent autour de deux interrogatives indirectes introduites par ldquopourquoirdquo Par exemple dans la Confessio philosophi Leibniz deacutefinit le principe de raison par le fait qursquoun ecirctre omniscient peut ldquoassigner la raison suffisante pourquoi une chose est plutocirct que de nrsquoecirctre pas et pourquoi elle est telle plutocirct qursquoautrementrdquo9 La premiegravere question deacutefinit la preacutevalence de lrsquoecirctre sur le non-ecirctre ou du ldquoquelque choserdquo (aliquid) sur le ldquorienrdquo (nihil) La seconde question porte sur la maniegravere drsquoecirctre crsquoest-agrave-dire sur ce qui distingue tel ecirctre de tel autre ou ce qui explique qursquoune chose est ainsi et non pas autrement Nous eacutetudierons ainsi la genegravese de cette ldquopremiegravere questionrdquo comme ldquoquestion premiegravere de la meacutetaphysiquerdquo dans les Principes de la Nature et de la Gracircce

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21 La ldquoquasi premiegravere question qursquoon peut fairerdquo (Lettre de mars 1706 agrave la

Princesse-Electrice Sophie)

Dans une lettre adresseacutee agrave la Princesse-Electrice Sophie en mars 1706 Leibniz pour la premiegravere fois agrave notre connaissance parle de la question ldquopourquoi il y a quelque choserdquo [sous-entendu ldquoplutocirct que rienrdquo] comme de ldquola quasi premiegravere qursquoon peut fairerdquo agrave partir du principe de raison ldquoqui porte que rien nrsquoest sans raison ou bien qursquoil y a toujours un pourquoirdquo (Correspondenz von Leibniz mit der Prinzessin Sophie eacutedition Onno Klopp Volume 3 (reprint Olms 1973) p 172) Lrsquoexpression ldquoquasi premiegravere questionrdquo est un peu mysteacuterieuse parce qursquoelle laisse supposer qursquoil pourrait y avoir drsquoautres ldquopremiegraveres questionsrdquo pleines et entiegraveres mais sans preacuteciser lesquelles Peut-ecirctre sous-entend-on la traditionnelle seconde question qui eacutetablit pourquoi crsquoest ainsi et non pas autrement

Pourtant la suite de la lettre affirme que ldquola mecircme Raison qui fait qursquoil y a plutocirct quelque chose que rien fait aussi qursquoil y a plutocirct beaucoup que peu de chosesrdquo (Ibid) Donc la seconde question formuleacutee agrave travers la distinction originale entre ldquobeaucouprdquo ou ldquopeurdquo nrsquoest pas la veacuteritable premiegravere question mais une autre question inteacutegreacutee agrave la raison ndash raison commune qui associeacutee agrave la question pourquoi en geacuteneacuteral devient peut-ecirctre la veacuteritable ldquopremiegravere questionrdquo La seconde question deacutecoule par conseacutequent de la ldquoquasi premiegravererdquo selon lrsquousage du principe de varieacuteteacute En effet srsquoil y a bien quelque chose comme lrsquoaffirme la premiegravere formule alors cette chose sera ainsi et non pas autrement ceci et non pas cela distinctes parmi une infiniteacute drsquoecirctre distincts Et de mecircme qursquoldquoil y a quelque choserdquo de mecircme ldquoil y a toujours un pourquoirdquo Nous sommes donc reconduits agrave la question drsquoorigine ldquopourquoi rdquo mais qui a besoin cette fois-ci drsquoune raison suffisante crsquoest-agrave-dire portant en elle la raison de son existence ldquoautrement la mecircme question ou difficulteacute subsisterait toujours de sorte que la derniegravere raison des choses nrsquoest autre chose que la substance absolument neacutecessairerdquo (Ibid) Dieu est alors la reacuteponse qui satisfait agrave la double question ldquopourquoi rdquo du principe de raison

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22 La premiegravere ldquopremiegravere questionrdquo (sect 22 des Remarques sur le Livre de lrsquoorigine du mal)

Dans la lettre de mars 1706 agrave la Princesse Sophie Leibniz heacutesite encore sur la ldquopremiegravere question agrave fairerdquo pour eacutelever le principe de raison dans le domaine meacutetaphysique qui lui est propre La ldquoquasi premiegravere questionrdquo est encore incomplegravete car elle ne formule qursquoune partie de lrsquoalternative ldquopourquoi il y a quelque choserdquo sans mentionner immeacutediatement ldquoplutocirct que rienrdquo et la seconde question prend la forme ineacutedite drsquoune alternative entre ldquobeaucoup de chosesrdquo ou ldquopeu de chosesrdquo au lieu de deacutefinir ce qui est ainsi et non pas autrement Or au paragraphe 22 des Remarques sur le Livre de lorigine du mal de William King que Leibniz publie en Appendice aux Essais de Theacuteodiceacutee10 se trouve le ldquochaicircnon manquantrdquo permettant drsquoeacutetablir non seulement lrsquoordre des questions mais eacutegalement leur porteacutee meacutetaphysique Crsquoest lagrave que se formule la premiegravere veacuteritable ldquopremiegravere questionrdquo

Dans ce passage Leibniz srsquooppose agrave la thegravese de King selon laquelle les premiegraveres eacutelections de Dieu au moment de la creacuteation sont arbitraires ou purement indiffeacuterentes En effet la volonteacute divine ne peut pas choisir de creacuteer le monde sans raison deacuteterminante agrave savoir sans ldquobonteacute ou commoditeacuterdquo (GP VI p 425) Pour reacutepliquer agrave ce systegraveme ougrave ldquoil nrsquoy a pas de pourquoyrdquo (Ibid) Leibniz propose un systegraveme de deacutefense deacutecoulant du principe de raison et dont la question centrale est le pourquoy lui-mecircme

hellipVoicy comment on verra manifestement quelle ne sauroit saccorder avec ce quon vient de dire La premiere Question sera Dieu creera-t-il quelque chose ou non ltet pourquoygt LAuteur repond a repondu quil creera quelque chose parce que crsquoest un moyen de communiq pour communiquer sa bonteacute Il nrsquoest donc point absolum ne luy est donc point indifferent de creer ou de ne point creer Apres cela on demande Dieu creera-t-il telle chose [1] ou une autre il y reacute [2] Lrsquoauteur repond [3] ltou bien une autre et pourquoygt il faudroit repondre (pour parler consequemment) que la mecircme bonteacute le fait choisir le meilleur et en effect lauteur y retombe dans la suite mais suivant son hypothese il repond quil creera telle chose mais quil ny a point de pourquoy parce que Dieu est absolument indifferent quoyqursquoil est vray qursquoil varie un ltpour les creatures qui nont leur bonteacute que de son choixgt (transcription AL)11

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Lrsquoeacutetude du manuscrit du paragraphe 22 des Remarques reacutevegravele deux faits significatifs Le premier crsquoest le soin que Leibniz a pris de souligner le ldquopourquoyrdquo sous sa forme substantiveacutee ce qui met en eacutevidence que King ne choque pas tant le principe de bonteacute que le ldquoprincipe du pourquoyrdquo la raison drsquoecirctre de la creacuteation divine Le second eacuteleacutement significatif est le double rajout du ldquopourquoyrdquo dans les deux questions Ainsi dans la premiegravere version Leibniz eacutecrivait simplement ldquoDieu creera-t-il quelque chose ou nonrdquo sans qursquoil soit question de chercher ldquole pourquoyrdquo Mais en marge Leibniz rajoute le ldquopourquoirdquo sous sa forme questionnante Crsquoest la genegravese du geste meacutetaphysique des Principes de la Nature et de la Gracircce La question ldquoCreacuteer ou pas rdquo relegraveve uniquement de la puissance ldquoCreacuteer quelque chose plutocirct que rienrdquo relegraveve de la volonteacute libre du creacuteateur mais rendre la raison ldquopourquoi on creacutee quelque choserdquo relegraveve de ce que Leibniz nomme dans sa lettre agrave Bossuet du 8 Avril 1692 une ldquosagesse architectonique plus qursquoinfinierdquo (A II 2 N 145 p 516) Une fois cette premiegravere question ldquopourquoyrdquo formuleacutee dans une perspective meacutetaphysique Leibniz deacuteveloppe naturellement la seconde question ldquoDieu creacuteera-t-il telle chose ou une autre rdquo Or si nous eacutetudions la genegravese du passage nous constatons que la question ldquopourquoirdquo nrsquoapparaicirct qursquoagrave la troisiegraveme version dans les deux premiegraveres versions la question pourquoi ne figure pas et la reacuteponse de King est preacutesenteacutee deux fois directement agrave la suite Mais la troisiegraveme version eacutetablit lrsquoeacutequilibre avec la premiegravere question et montre la neacutecessiteacute de comprendre ce qui existe ldquoainsirdquo relativement au meilleur et agrave la veacuteritable bonteacute

23 La ldquopremiegravere question qursquoon a droit de fairerdquo (Principes de la Nature et de la

Gracircce)

Nous avons vu en introduction la formulation geacuteneacuterale du principe de raison dans les Principes de la Nature et de la Gracircce il ne nous reste plus qursquoagrave eacutetablir si la ldquopremiegravere questionrdquo complegravete qui en deacutecoule peut-ecirctre qualifieacutee en mecircme temps de ldquoquestion premiegravere de la meacutetaphysiquerdquo

Relevons tout drsquoabord ce qui distingue la question de la lettre agrave Sophie (ldquoQuasi la premiegravere question qursquoon peut faire est pourquoi il

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y a quelque choserdquo) de la question du sect7 ldquoCe principe poseacute [ie le principe de raison] la premiegravere question quon a droit de faire sera pourquoi il y a plutocirct quelque chose que rien rdquo12 Deux diffeacuterences apparaissent immeacutediatement En effet la premiegravere diffeacuterence vient de ce que la question de la lettre agrave Sophie nrsquoest exprimeacutee que comme une possibiliteacute (qursquoon peut faire) et comme une ldquoquasi-premiegravererdquo question alors que la question des Principes de la nature et de la gracircce est une question ldquode droitrdquo rendue leacutegitime par la supposition du principe de raison qui devient ainsi la condition drsquointelligibiliteacute de la question meacutetaphysique

La seconde diffeacuterence vient du fait que ldquole rienrdquo nrsquoapparaicirct pas dans la premiegravere question de la lettre agrave Sophie alors qursquoil est deacuteveloppeacute pour lui-mecircme degraves la premiegravere question des Principes agrave la faccedilon drsquoune objection agrave lrsquoexistence du ldquoquelque choserdquo puisque ldquole rien est plus simple et plus facilerdquo (Ibid) Mais le ldquorienrdquo signifie en reacutealiteacute lrsquoabsence de raison ou de pourquoi Comme lrsquoa montreacute le sect 22 des Remarques sur King le ldquorienrdquo peut servir de modegravele aux theacuteories du pur indiffeacuterentisme mais eacutegalement agrave celles du neacutecessitarisme qui reacuteduit tout au vide et aux atomes mateacuteriels (cf Lettre agrave Hartsoeker et agrave Reacutemond) et le principe de raison se deacutefinit alors comme le moyen de lutter contre ces theacuteories ougrave ldquoil nrsquoy a point de pourquoyrdquo et deacutefendre agrave tout prix lrsquoeacuteleacutevation agrave la perspective meacutetaphysique

Il faut ensuite expliquer une autre eacutetrangeteacute pourquoi faut-il ldquoposerrdquo le principe de raison avant drsquoavoir le ldquodroitrdquo de poser la question meacutetaphysique du ldquopourquoyrdquo Dans son article sur la seconde question Michaeumll Devaux a bien remarqueacute cette anteacuteposition du principe sur la question et ajoute une autre eacutetrangeteacute pourquoi Leibniz formule-t-il la seconde question avant la premiegravere 13 Nous pourrions reacutepondre que la premiegravere question est ontologiquement premiegravere mais expeacuterimentalement seconde tandis que la seconde question est premiegravere dans lrsquoordre de la contingence et seconde dans lrsquoordre de la neacutecessiteacute ontologique ndash de la mecircme faccedilon que le ldquoτὸ διότιrdquo est premier dans lrsquoordre de la sagesse divine mais second dans lrsquoordre de la connaissance humaine et que le ldquoτὸ ὅτιrdquo est originaire dans la connaissance humaine mais deacuteriveacute relativement agrave lrsquoordre divin Nous pouvons alors interpreacuteter lrsquoauto-13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 12 Cf eacutedition drsquoAndreacute Robinet 1954 pp 44-45 13 Devaux 2001 pp 289-296

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position ou ldquoauto-fondation du principe de raisonrdquo dirait Juan Nicolaacutes14 comme un fondement a priori dans lrsquoentendement divin qui rendrait la question de lrsquoecirctre leacutegitime et comme un fondement a posteriori pour lrsquointelligence Dans ce dernier cas il faut interpreacuteter la position du principe de raison comme une supposition agrave la faccedilon drsquoun raisonnement conditionnel ou de la simple hypothegravese de la sagesse divine

Enfin il reste une derniegravere difficulteacute agrave reacutesoudre pourquoi Leibniz reacutepegravete-t-il une deuxiegraveme fois la seconde question Si la premiegravere question porte immeacutediatement sur lrsquoecirctre et le non-ecirctre sur le quelque chose et le rien la seconde porte drsquoabord sur ldquolrsquoecirctre ainsirdquo le fait drsquoecirctre ainsi et non pas autrement et porte ensuite dans la deuxiegraveme formulation sur le fait de ldquodevoir-exister-ainsi et non autrementrdquo ldquoIl faut quon puisse rendre raison pourquoi elles doivent exister ainsi et non autrementrdquo (Ibid) Dans la premiegravere question il y a une veacuteritable balance entre lrsquoecirctre et le non-ecirctre le plateau pourrait pencher du cocircteacute du rien Dans la seconde question il y a une double injonction un double devoir il faut rendre raison et il faut que ce soit ainsi et non autrement Dans la premiegravere question que nous pouvons qualifier drsquoontologique le devoir de reacuteponse incombe agrave Dieu et le droit de demande agrave lrsquohomme alors que dans la seconde question que nous pouvons qualifier drsquoontologique puisqursquoelle concerne le ldquodevoir-ecirctrerdquo le devoir incombe agrave lrsquohomme (il doit rendre raison de ce qui est ainsi) et le droit agrave Dieu au sens ougrave le monde contingent doit se rapporter agrave sa source neacutecessaire Lrsquoeacuteleacutevation agrave la meacutetaphysique appartient donc agrave la question ontologiquement premiegravere et la consideacuteration du regravegne moral des fins appartient agrave la seconde question Creacuteer quelque chose plutocirct que rien relegraveve drsquoun choix meacutetaphysique ougrave la puissance de lrsquoEtre neacutecessaire srsquoaccorde avec sa sagesse pour envisager le ldquopourquoirdquo crsquoest-agrave-dire la raison drsquoecirctre des choses Mais pour rendre la raison pour laquelle les choses sont ainsi plutocirct qursquoautrement il faut srsquoeacutelever agrave la consideacuteration du bien en soi et du devoir-ecirctre du

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ldquodevoir-exister-ainsirdquo dans sa deacutetermination morale pourquoi les choses doivent-elles ecirctre ainsi et non autrement Parce qursquoil faut supposer la bonteacute du creacuteateur et le choix du meilleur

A la premiegravere question ldquoPourquoi il y a plutocirct quelque chose que rien rdquo le Dieu leibnizien reacutepondrait ldquoParce que cela est tregraves bonrdquo comme Dieu dans le Livre de la Genegravese et lrsquohomme curieux aurait le devoir de reacutepondre au terme de sa quecircte du ldquopourquoirdquo ou de la ldquoraison drsquoecirctrerdquo de ce qui est ldquoCrsquoest meilleur ainsi qursquoautrementrdquo

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JUAN ANTONIO NICOLAacuteS

LA TRANSFORMATION LEIBNIZIENNE DES PRINCIPES LE PRINCIPE DE RAISON COMME PRINCIPE PRATIQUE1

1 Introduction

Deux questions principales seront ici abordeacutees dans un premier temps la transformation de la conception des principes que fait Leibniz Cette transformation sera projeteacutee sur le modegravele de reconstruction de la philosophie leibnizienne appeleacute meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique Dans un deuxiegraveme temps le principe de raison sera concregravetement analyseacute et tout speacutecialement son aspect pratique Ce principe nrsquoest pas seulement un principe des raisonnements mais aussi de lrsquoaction Crsquoest la raison pour laquelle nous essayons drsquoanalyser dans ce contexte son fonctionnement dans le domaine de la raison pratique agrave savoir dans le domaine de lrsquoeacutethique et de la politique

Cette analyse sera meneacutee concernant deux aspects Drsquoune part en tenant compte du fait qursquoil existe certaines versions du principe de raison qui trouvent leur application dans le domaine de ce qui peut ou doit ecirctre fait Par exemple le principe de raison comme principe de la convenance2 Drsquoautre part il convient de souligner que Leibniz fait la distinction eacutepisteacutemologique drsquoun double sujet le sujet humain et le sujet divin Ces deux sujets repreacutesentent deux points de vue eacutepisteacutemologiques diffeacuterents mecircme srsquoils ont certains principes en commun Crsquoest pourquoi ces deux sujets font ce qui est plus convenable de diffeacuterentes faccedilons Du point de vue humain il se produit un processus de ldquoprogregraves perpeacutetuelrdquo3

En dernier lieu les versions pratiques du principe de raison sont lieacutees au principe dominant dans le domaine de lrsquoeacutethique et de la politique (le principe drsquoautrui) et avec le meacuteta-principe de la logique et

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de la rationaliteacute leibnizienne le principe de lrsquoordre4 tel qursquoil est deacutefini dans la meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique

2 La transformation de lrsquoattitude face aux principes vers un ordre dynamique

Lrsquoldquooceacuteanrdquo des textes de Leibniz relatifs au principe montrent comme premier aspect que ce ne sont pas toujours les mecircmes principes qui occupent la place de choix drsquoecirctre les ldquopremiersrdquo Il existe plusieurs ldquoclassificationsrdquo dans lesquelles il existe des principes communs et parfois non Consideacuterant que ce sujet est extrecircmement important pour Leibniz il nrsquoest pas exageacutereacute de penser que cela soit quelque chose de simplement fortuit ou secondaire Crsquoest pourquoi il faudrait sans doute prendre litteacuteralement ce fait au seacuterieux crsquoest-agrave-dire que cette diversiteacute de formulations srsquoexplique par le fait qursquoil doit en ecirctre ainsi et qursquoil ne peut pas en ecirctre autrement Autrement dit lrsquoordre des principes est en perspective associeacute agrave des domaines du savoir agrave des niveaux logiques agrave des structures rationnelles etc de sorte que les principes ne sont pas les mecircmes concernant tout le problegraveme ni dans tout lrsquoespace logique et rationnel et ne sont pas de la mecircme maniegravere et nrsquoont pas la mecircme formulation

Assumer ce fait signifie adopter face aux principes une attitude diffeacuterente des analyses reconstructionnistes habituelles qui partent de la preacutesupposition qursquoil existe une structure fixe et inamovible des principes de la raison qui peut ecirctre reconstruite Et lrsquoobjectif est de savoir quelle est lrsquoideacutee deacutefinitive de Leibniz agrave ce sujet Comme lrsquoa deacutemontreacute A Herrera5 cette strateacutegie eacutechoue dans sa tentative de trouver un ordre univoque et deacutefinitif Crsquoest pourquoi il faudrait sans doute changer cette hypothegravese et introduire une conception dynamique des principes chez Leibniz Cela expliquerait bien le fait qursquoil nrsquoexiste pas une classification unique ni deacutefinitive Les principes changent progressivement en ce qui concerne leur rocircle leur structure leur formulation et leurs relations mutuelles dans la totaliteacute

Cette hypothegravese nrsquoimplique pas lrsquoimpossibiliteacute de reconstruire un systegraveme leibnizien Parmi les commentateurs crsquoest probablement E

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de Olaso qui a le plus suivi cette ligne6 Il aborde le sujet depuis la perspective de la reacutefutation du scepticisme et montre lrsquoinsuffisance des efforts de Leibniz pour justifier les premiers principes du raisonnement et arrive agrave la conclusion que la rationaliteacute selon le modegravele leibnizien est en ldquobanquerouterdquo

Selon E de Olaso il nrsquoexiste que deux reacuteponses possibles agrave la question sur la justification des principes soit ils ne doivent pas ou ne peuvent pas ecirctre justifieacutes (Aristote) soit la dialectique est le seul moyen permettant agrave la penseacutee de pouvoir se justifier en soi (Hegel) Leibniz se trouverait dans une position dubitative entre les deux7 Il accepterait ldquode faccedilon aristoteacuteliciennerdquo que les principes ne peuvent pas ecirctre prouveacutes mecircme srsquoils ont besoin de lrsquoecirctre et tente parfois de trouver des ldquopreuvesrdquo ou des ldquojustificationsrdquo de lrsquoun des principes Dans ce deuxiegraveme cas Olaso examine plusieurs passages de Leibniz (fondamentalement concernant le principe de non contradiction principe suprecircme de la raison) et montre comment sa strateacutegie fondatrice essuie eacutechec sur eacutechec

Olaso prend comme hypothegravese que ldquoLeibniz a consideacutereacute que toute sa philosophie est deacuteductiverdquo8 De ce fait il reacuteduit les tentatives de Leibniz agrave une justification lineacuteaire des principes drsquoautrui jusqursquoau principe suprecircme qui selon Olaso serait le principe de non contradiction Dans ce cadre interpreacutetatif ce principe ldquone peut pas recevoir un doute ni une preuverdquo9 Cette thegravese est interpreacuteteacutee par Olaso comme la concession du fait que tout le systegraveme rationnel est (deacuteductivement) injustifiable et crsquoest lagrave ougrave reacuteside lrsquoeacutechec de Leibniz

Toutefois il faudrait remettre en question lrsquohypothegravese deacuteductiviste drsquoOlaso La penseacutee leibnizienne ne doit pas neacutecessairement ecirctre reconstruite dans ces termes Drsquoune part plusieurs propositions ont eacuteteacute avanceacutees dans drsquoautres directions Drsquoautre part la thegravese qursquoil existe des eacuteleacutements dans un systegraveme de penseacutee ne requeacuterant aucune deacutemonstration lineacuteaire-deacuteductive ni une remise en question peut ecirctre interpreacuteteacutee selon le modegravele de rationaliteacute qui tout juste apregraves Leibniz va atteindre sa formulation classique le modegravele transcendantal Tout ce qui est doteacute de ces

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caracteacuteristiques peut ecirctre consideacutereacute comme une condition de possibiliteacute du reste du systegraveme mais qui appartient agrave un autre niveau Il srsquoagit drsquohypothegraveses neacutecessaires pour expliquer la connaissance dont la neacutecessiteacute logique surgit de lrsquoauto-application reacuteflexive de lrsquoaction rationnelle et cognitive sur elle-mecircme Le principe de raison serait lrsquoinstrument leibnizien de cette voie de justification10

Pour avancer dans notre approche devant la position drsquoE drsquoOlaso il faudrait remettre en question deux de ses hypothegraveses drsquoune part que pour Leibniz il existe un ensemble de principes fixe et stable qui constitue le fondement de la rationaliteacute drsquoautre part que prouver ou justifier signifie toujours deacuteduire Leibniz a une attitude devant ces principes sui generis qui nrsquoest plus celle des logiques traditionnelles (aristoteacuteliciennes) Il srsquoagit drsquoune attitude tregraves creacuteative et libre dans laquelle il existe une invention constante de principes leur reformulation une application agrave des problegravemes et agrave des contextes tregraves diffeacuterents etc Cette attitude conduit agrave la transformation de la conception geacuteneacuterale des principes de leur rocircle dans le domaine de la rationaliteacute et de la relation existante entre eux

De ce fait Leibniz imprime un tournant dans son attitude face aux principes agrave caractegravere vitaliste et ldquodynamiquerdquo ce qui a motiveacute une conception transformeacutee de ces derniers

3 Tournant dynamique et vitaliste dans la conception des principes

Crsquoest Ortega y Gasset qui a souligneacute dans lrsquoaire culturelle espagnole et latino-ameacutericaine le rocircle des principes dans la penseacutee de Leibniz Agrave la suite de la remise en cause historique de tout un modegravele de rationaliteacute aristoteacutelicienne qui comprenait un systegraveme de principes deacutetermineacute avec toutes ses diffeacuterentes variantes meacutedieacutevales on arrive au XVIIegraveme siegravecle agrave Leibniz qui reprend de faccedilon centrale dans sa penseacutee cet outil intellectuel que sont les principes Quelle innovation Leibniz introduit-il dans sa conception de cette notion et dans le rocircle qursquoils jouent dans lrsquoensemble de la rationaliteacute Leibniz se contente-t-il de reacuteiteacuterer pour lrsquoessentiel la doctrine aristoteacutelicienne existante dans ce sens ou comme dans beaucoup drsquoautres

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domaines veut-il introduire une nouvelle conception qui assume lrsquoeacutemergence imminente de la science moderne et qui agrave la fois ne se limite pas seulement agrave celle-ci mais qui soit aussi capable drsquointeacutegrer agrave sa maniegravere les doctrines classiques Face agrave ces approches rationalistes dans le sens de conceptualistes Ortega propose lrsquoalternative drsquoune penseacutee qui vient drsquoen-bas (ldquopenser avec les piedsrdquo) qui tient compte de lrsquoinfrastructure de tout conceptualisme et qui fait figurer au premier plan ldquolrsquoalteacuteriteacute de la raison (conceptuel)rdquo Tout cet ensemble est repris par Ortega qui lrsquoinclut sous la notion de ldquoma vierdquo De ce fait concept (rationnel) ou vie voilagrave lrsquoalternative drsquoOrtega qursquoil reacutesout agrave travers cette synthegravese difficile ce qursquoil appelle ldquoraison vitalerdquo Comment classer Leibniz dans ce contexte et notamment sa doctrine des principes

Ortega ouvre ce deacutebat et propose une ligne de travail permettant drsquoy aborder cette reacuteflexion Pour cela nous disposons entre autres des importants travaux preacuteceacutedents de Bernardino Orio de Jaime de Salas et plus particuliegraverement drsquoAgustiacuten Andreu sur ce que lui-mecircme a appeleacute ldquomethodus vitaerdquo pour faire reacutefeacuterence agrave Leibniz Il srsquoagit donc de continuer le deacuteveloppement de lrsquoorientation marqueacutee par Ortega agrave cet eacutegard dans la discussion constante et lrsquoargumentation qursquoest la reacuteflexion philosophique Ce deacuteveloppement va se faire de faccedilon propre dans le cadre de ce que jrsquoai appeleacute la meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique de Leibniz Il srsquoagit drsquoune proposition de reconstruction et drsquointerpreacutetation de la philosophie leibnizienne agrave partir de principes et par conseacutequent conforme agrave la direction marqueacutee par Ortega

Sont notamment deacutefinis la place exacte qursquooccupent les principes dans lrsquoespace rationnel creacuteeacute dans ce modegravele de meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique les diffeacuterentes fonctions exerceacutees et la concreacutetisation qursquoils ont dans chacun des domaines qui constituent cette meacutetaphysique Avec toute cette analyse et la reconstruction nous allons ici soutenir la thegravese qursquoil existe aussi chez Leibniz un moyen particulier de conjuguer la raison selon les principes et le vitalisme

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31 Tournant vitaliste

Lrsquoexpeacuterience de la vie est omnipreacutesente dans toute la philosophie leibnizienne11 Elle parcourt toute sa production jusqursquoagrave ses textes les plus eacutelaboreacutes Leibniz adopte comme modegravele pour sa penseacutee non pas le modegravele deacuteductif des matheacutematiques ni le modegravele de la physique qui existe dans les grands domaines du savoir mais plutocirct le modegravele de la biologie Le vitalisme est aussi preacutesent chez Leibniz aussi bien agrave travers la voie du neacuteoplatonisme (philosophie hermeacutetique gnosticisme neacuteoplatonisme cabale) qursquoagrave travers la voie de la science biologique naissante agrave lrsquoeacutepoque Cette ligne de force de la penseacutee de Leibniz va mecircme jusqursquoagrave la notion centrale de sa meacutetaphysique la monade celle-ci est caracteacuteriseacutee comme ldquoun ecirctre capable drsquoactionrdquo12 Et comme il ne pouvait pas en ecirctre autrement elle va aussi jusqursquoau domaine des principes Leibniz arrive agrave formuler un rdquoprincipe vitalrdquo13

Dans ce contexte pour Leibniz les principes sont associeacutes agrave la vie la vie de la reacuteflexion chargeacutee de spontaneacuteiteacute de creacuteativiteacute et de nouveauteacute Agrave la lumiegravere de ce devenir impreacutevisible va avoir lieu cette reacuteflexion sur les principes toujours avec de nouvelles formulations de nouveaux problegravemes pour lesquels de nouveaux principes sont creacuteeacutes etc Leibniz a le courage intellectuel de ne pas se reacutefugier dans une structure deacutetermineacutee ou formuleacutee mais drsquoouvrir la voie des principes agrave lrsquoaventure de la penseacutee

32 Tournant dynamique

Leibniz introduit une nouvelle dynamique dans la consideacuteration theacuteorique des principes concernant la conception classique qui serait lrsquoapproche aristoteacutelicienne et toutes ses variantes meacutedieacutevales

Leibniz formule des principes dans chaque domaine du savoir dans lesquels il intervient dans chaque problegraveme qursquoil traite dans les sciences bien eacutetablies agrave lrsquoeacutepoque et dans celles que lui-mecircme contribue agrave creacuteer Et avec une naturaliteacute et une profusion inconnues

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avant et apregraves lui Bien loin de la rigide discipline logique et formelle ougrave il existe une stricte formulation des principes avec une stricte hieacuterarchisation qui assure le rocircle des principes nucleacuteaires comme telle une fois pour toutes avec une relation deacuteductive lineacuteaire et inamovible des uns et des autres agrave partir des premiers Crsquoest preacuteciseacutement dans cette discipline rigide que reacuteside la valeur des principes et de la logique qui les eacutetablit comme structure de base de toute penseacutee

Face agrave cette rigiditeacute extrecircme Leibniz montre une attitude libre creacuteative pragmatique innovante et sans crainte de reconsideacuterer les propositions et de les transformer chaque fois que les problegravemes traiteacutes lrsquoexigent Sur ce point la creacuteativiteacute leibnizienne est similaire agrave celle qursquoil deacuteveloppe dans drsquoautres domaines de lrsquoactiviteacute intellectuelle

De ce fait il creacutee toute une constellation de principes de porteacutee diffeacuterente que Leibniz nrsquoarrive jamais agrave fermer de faccedilon deacutefinitive Il existe de nombreuses tentatives drsquoinstaurer des hieacuterarchies de formuler les plus primordiaux drsquoeacutetablir des relations entre eux etc Quelques exemples Leibniz eacutelabore plusieurs fois une liste des premiers principes qui ne coiumlncident pas toujours totalement et selon les cas et les contextes il inclut les uns ou les autres Un autre exemple le principe de raison suffisante a pregraves de quarante formulations diffeacuterentes chez Leibniz

De ce fait comme dans le cas drsquoautres questions philosophiques Leibniz ne ferme jamais le systegraveme il nrsquoeacutecrit jamais un traiteacute deacutefinitif sur les principes Il garde une attitude ouverte constamment attentive libre et courageuse Il ne recule devant aucun problegraveme qursquoil juge inteacuteressant ce qui donne concernant le sujet traiteacute un festival de principes vu que mecircme srsquoil ne srsquoagit pas drsquoune reacutevolution il existe bel et bien une profonde transformation dans la faccedilon de faire face agrave cet instrument philosophique fondamental

Si Leibniz adopte une attitude aussi libre et innovante pourquoi respecter cette notion qui pourrait constituer un obstacle agrave sa creacuteativiteacute deacutemesureacutee Nrsquoimporte quelle reacuteponse agrave cette question se situerait toujours entre la fantaisie plus ou moins controcircleacutee et informeacutee de la personne qui la formule et la vraisemblance que donne la confrontation textuelle qui ne sera probablement jamais exhaustive Dans ce contexte lrsquohypothegravese suivante peut ecirctre lanceacutee

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Leibniz se trouve dans lrsquoalternative drsquoouvrir la voie des principes de lui donner une diffusion et une dynamique qursquoelle nrsquoavait jusqursquoagrave preacutesent jamais eue Ce qui permettra drsquoaugmenter consideacuterablement lrsquoefficaciteacute et la puissance de lrsquoesprit pour aborder des problegravemes et proposer des solutions Mais par ailleurs Leibniz ne veut pas perdre le controcircle rationnel des problegravemes ne veut pas se voir deacutebordeacute par sa propre creacuteativiteacute jusqursquoagrave entrer dans le domaine de lrsquoincontrocirclable Leibniz fuit aussi bien lrsquoordre fermeacute que le chaos Crsquoest la situation ldquoparadoxalerdquo14 que connaicirct Leibniz concernant les principes et qui est la mecircme concernant de nombreux autres sujets (par exemple dans le cas de la relation entre la finitude et lrsquoinfini)

Dans cette situation Leibniz donne aux principes une fonction essentielle drsquoune part ils permettent toute la diversiteacute la pluraliteacute et lrsquoapplicabiliteacute que Leibniz leur donne et drsquoautre part ils lui permettent de garder un minimum drsquoordre rationnel Il srsquoagit drsquoun ordre dynamique aussi bien concernant la consistance de chaque principe que concernant la relation entre eux dans des domaines particuliers et dans tout leur ensemble Crsquoest la dynamique des principes quasi dialectique dans laquelle srsquoinstalle Leibniz qui est le nouvel ordre de la raison agrave partir de principes qursquoil instaure

Nous nrsquoentrons pas maintenant dans une eacutetude approfondie des diffeacuterentes faccedilons dont on peut comprendre la notion de ldquoprinciperdquo Sur le plan opeacuterationnel nous utilisons une notion standard de principe comme quelque chose dont deacutependent ou deacutecoulent drsquoautres choses qursquoelles soient aussi bien des reacutealiteacutes que des propositions ou des concepts et par conseacutequent pour le moment la valeur aussi bien ontologique que gnoseacuteologique des principes est assumeacutee

Concernant les principes Leibniz affirme que

Il nrsquoy a que les atomes de substance crsquoest-agrave-dire les uniteacutes reacuteelles et absolument destitueacutees de parties qui soient des sources des actions et les premiers principes absolus de lrsquoanalyse des choses substantielles On pourrait les appeler points meacutetaphysiques ils ont quelque chose de vital et une espegravece de perception et les points matheacutematiques sont leur point de vue pour exprimer lrsquounivers15

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4 Fonction et caracteacuteristiques du systegraveme des principes

Il faut eacutetablir au moins les trois fonctions suivantes que les principes auront chez Leibniz

a) Fonction de multiplication et de diversification vu que de chaque principe sont suivis (par le biais drsquoune multitude de strateacutegies meacutethodologiques) drsquoautres regravegles reacutegulariteacutes ou nouveaux champs drsquoapplication non encore exploreacutes On retrouve ici la dimension geacuteneacuteratrice qui est agrave la base de la notion de principe depuis sa racine grecque ldquoarcheacuterdquo Les principes ont une fonction drsquoouverture

b) Fonction drsquounification et de coordination degraves lors qursquoils deacutetectent et formulent des convergences des liens et des paralleacutelismes entre des donneacutees ou des individualiteacutes de diffeacuterents types nrsquoayant apparemment aucun rapport Les principes ont une fonction de connexion

c) Fonction de systeacutematisation surgie agrave partir de relations de diffeacuterents types qui peuvent srsquoeacutetablir entre les principes soit de subordination drsquoappartenance de correacutelation ou drsquoabsorption diffeacuterencieacutee Cette fonction etou capaciteacute des principes permet de parler drsquoun ldquosystegravemerdquo dans le cas de la penseacutee de Leibniz Cela est exprimeacute par Leibniz de diffeacuterentes maniegraveres par exemple quand il eacutecrit que dans sa penseacutee et correacutelativement dans la reacutealiteacute ldquotout est lieacuterdquo16 ou concregravetement quand il fait reacutefeacuterence aux principes il exprime lrsquointerconnexion directe ou indirecte de tous avec tous quand il dit que ldquocelui qui connait lrsquoun des principes les connait tousrdquo17 Les principes ont une fonction de coordination

Le reacutesultat final auquel arrive cette reconstruction de la conception des principes chez Leibniz constitue un systegraveme dynamique qui a les caracteacuteristiques suivantes

(a) Ouverture elle est ouverte parce qursquoil est toujours possible drsquointroduire de nouveaux principes

(b) Variabiliteacute il nrsquoexiste pas une hieacuterarchie fixe mais dans lrsquointerrelation entre les principes il existe des valeurs relatives variables

(c) Theacuteorique et pratique lrsquoensemble des principes a un caractegravere theacuteorique et pratique 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 16 GP VI 599OFC 2344 17 GP II 412OFC 14327

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(d) Coheacutesion dans cette dynamique des principes ldquotout est lieacuterdquo (e) Gestion dynamique le changement et lrsquoordre deviennent

compatibles

5 Architectonique de la meacutetaphysique rationnelle le lieu du principe de raison

Nous entamons maintenant la deuxiegraveme partie de cette reacuteflexion ougrave la question sur la place du Principe de raison suffisante dans lrsquoensemble de la rationaliteacute est poseacutee et nous nous penchons sur son rocircle dans le domaine de la raison pratique Ainsi la notion transformeacutee des principes dans le cadre de la meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique18 est mise agrave lrsquoeacutepreuve

La meacutetaphysique de lrsquoindividualiteacute systeacutemique est configureacutee dans un espace logique et srsquoarticule autour des trois axes cateacutegoriels (individualiteacute-systeacutematiciteacute uniformiteacute-diversiteacute vitaliteacute-fonctionna-liteacute) qui agrave leur tour se subdivisent en quatre niveaux dont chacun se fonde sur un principe ou un ensemble de principes

- La logique de lrsquoordre de principes sect Principe geacuteneacuteral de lrsquoordre - Les principes dans lrsquoontologie de la raison vitale sect Principe vital - Les principes dans la gnoseacuteologie du perspectivisme corporel sect Point de vue absolu principe geacuteneacuteral de lrsquoordreprincipe du

meilleurprincipe de raison sect Point de vue humain principe du perspectivisme - Les principes dans lrsquoeacutethique de la reconnaissance sect Principe de la place drsquoautrui

6 Lrsquoaspect pratique du principe de raison rationaliteacute theacuteorique-pratique

Lrsquoun des principaux aspects de ce modegravele de rationaliteacute meacutetaphysique est son caractegravere theacuteorique et pratique qui comprend un cocircteacute theacuteorique (logique eacutepisteacutemologique ontologique) et un cocircteacute pratique (eacutethique politique) Lrsquouniteacute de ces cocircteacutes est deacutetermineacutee par

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des principes communs qui les caracteacuterisent tous Lrsquoun des principes les plus speacutecifiques de la penseacutee leibnizienne (du moins dans sa formulation) et deacuteterminant dans cette conception de la rationaliteacute est le principe de raison suffisante Apregraves de nombreuses controverses et de tentatives de justification Leibniz maintient finalement la porteacutee strictement universelle de ce principe19 Dans ce contexte cela signifie qursquoelle doit aussi ecirctre valable sur le plan pratique de la rationaliteacute crsquoest-agrave-dire concernant lrsquoeacutethique et la politique Comment cela est-il possible Comment Leibniz maintient-il cette application Comment Leibniz configure-t-il lrsquoeacutethique et la politique dans autant de domaines de rationaliteacute

Tout drsquoabord il faut souligner que le principe de raison a chez Leibniz plus de 40 formulations diffeacuterentes20 ce qui signifie une grande pluraliteacute de versions drsquoapplications et drsquoutilisations Il existe des versions du principe conccedilues pour un domaine particulier ou pour une application agrave un type de cas concrets Crsquoest pourquoi en plus des deacutenominations propres du principe de raison il existe drsquoautres qui peuvent ecirctre consideacutereacutes ldquoeacutequivalentsrdquo parce qursquoen une occasion Leibniz en a deacutecideacute ainsi21 Ce fait est tregraves important concernant le sujet traiteacute eacutetant donneacute que la question change et devient la suivante existe-t-il des versions du principe de raison qui soient principalement valables dans le domaine de la pratique De quelle faccedilon Leibniz rationalise-t-il lrsquoeacutethique et la politique jusqursquoagrave les introduire dans un domaine de rationaliteacute deacutetermineacute

La question nrsquoest pas nouvelle Il y a de cela quelques anneacutees J de Salas revendiquait pour la penseacutee de Leibniz la connexion entre le savoir le bonheur et le progregraves22 Et pour sa part Q Racionero a soutenu que ldquola raison theacuteorique ne trouve son veacuteritable accomplissement que quand elle srsquoinstitue elle-mecircme comme raison morale et srsquoinscrit dans un projet politiquerdquo23 La connexion entre raison theacuteorique et raison pratique est formuleacutee par Leibniz en ce sens que la sagesse suprecircme est la science du bonheur Crsquoest ici ougrave culmine toute lrsquoaction rationnelle

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Il existe trois versions du principe de raison speacutecialement proches dans le domaine de la pratique principium perfectionis principe de la convenance et principe du meilleur24 Le contenu de la perfection et du meilleur peut ecirctre consideacutereacute au sens moral (en plus des autres sens) et est deacutetermineacute par le principe de la convenance crsquoest-agrave-dire par le choix de la sagesse qui est la science du bonheur25 Depuis cette perspective il est possible de prendre en compte aussi bien lrsquoaction humaine que lrsquoordre de la nature Et tout cela est orienteacute vers le sens pratique vers ce que Leibniz appelle le ldquobonheurrdquo De telle sorte que lrsquointeacuterecirct pratique donne agrave lrsquoactiviteacute scientifique et rationnelle son propre but et que la science partage certains principes rationnels avec lrsquoorganisation des inteacuterecircts pratiques Ainsi les principes rationnels qui reacutegissent la recherche de la veacuteriteacute sont relieacutes aux principes qui reacutegissent la recherche du bonheur Tout ceci repreacutesente un complexe unique de rationaliteacute

Cependant le domaine de la ldquosciencerdquo du bonheur a des caracteacuteristiques speacuteciales qui nrsquoexistent pas dans drsquoautres ldquosciencesrdquo Il srsquoagit drsquoun domaine factuel et circonstanciel ougrave la neacutecessiteacute absolue ou meacutetaphysique nrsquoexiste pas mais seulement la neacutecessiteacute hypotheacutetique et ougrave convergent des inteacuterecircts diffeacuterents et parfois opposeacutes qui doivent ecirctre harmoniseacutes Pour analyser ce domaine de rationaliteacute il faut faire un pas suppleacutementaire et forger de nouveaux instruments drsquoanalyse

7 Le principe de la place drsquoautrui dans lrsquoeacutethique leibnizienne

Leibniz formule un principe speacutecifique pour ce domaine du contingent des inteacuterecircts concurrents de la discussion rationnelle sur des objectifs et des moyens Crsquoest le fameux ldquoprincipe de la place drsquoautruirdquo ldquoNe fais ou ne refuse point aiseacutement ce que tu voudrais qursquoon ne te fit ou qursquoon ne te refusacirct pasrdquo 26

Ce principe exprime une faccedilon speacutecifique de donner raison dans les actions et dans les deacutecisions relevant du domaine de lrsquoeacutethique et de la politique agrave travers la strateacutegie hermeacuteneutique de tenter de se

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mettre agrave la place de lrsquoautre Dans ce sens preacutecis il peut ecirctre consideacutereacute comme le ldquorepreacutesentantrdquo du principe de raison dans le domaine de lrsquoeacutethique et de la politique Cette strateacutegie peut nous eacuteviter de commettre des erreurs et des distorsions pouvant ecirctre parfois commises preacuteciseacutement si lrsquoon ne tient pas compte des points de vue des autres

Ce principe a des caracteacuteristiques propres qui le diffeacuterencient drsquoautres principes et qui sont au moins les suivantes

(a) Il inclut de faccedilon centrale le perspectivisme 27 il fait la distinction entre deux perspectives diffeacuterentes (moi-autrui) Cela nrsquoest pas exigeacute dans drsquoautres savoirs tels que la logique ou la dynamique Mais dans le domaine pratique il se produit un deacutedoublement en deux perspectives (moi-autrui) qui ouvre la voie de lrsquointersubjectiviteacute ldquoLa place drsquoautrui est le vrai point de perspective en politique aussi bien qursquoen moralerdquo ldquoMettez-vous agrave la place drsquoautrui et vous serez dans le vrai point de vue pour juger ce qui est juste ou nonrdquo 28

(b) Il part systeacutematiquement de la reconnaissance de la perspective de lrsquoautre comme lieu irreacuteductible au point de vue propre Crsquoest pourquoi on peut drsquoune certaine maniegravere parler drsquoune eacutethique de la reconnaissance Le fait de ldquose mettre agrave la place de lrsquoautrerdquo semble relever de la ldquofictionrdquo une expeacuterience mentale ldquoCette fiction excite nos penseacutees et mrsquoa servi plus drsquoune fois agrave deviner au juste ce qui se faisait ailleursrdquo

(c) Ce lieu irreacuteductible a un caractegravere cognitif La perspective de lrsquoautre fournit des donneacutees qui nrsquoauraient pas pu ecirctre obtenues autrement et de ce fait elle est utile pour acqueacuterir de nouvelles connaissances

Ainsi on peut dire que la place drsquoautrui en morale comme en politique est une place propre agrave nous faire deacutecouvrir des consideacuterations qui sans cela ne nous seraient point venues hellip nous aider dans la connaissance des conseacutequences et de la grandeur des maux que cela pourra faire naicirctre dans autrui

(d) Le principe a une valeur morale degraves lors qursquoil a comme

objectif de rendre compatibles nos inteacuterecircts propres avec ceux drsquoautrui Cet objectif srsquoinscrit dans lrsquointeacuterecirct de sauvegarder autant que possible tous les inteacuterecircts leacutegitimes concurrents et drsquoobtenir la position

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ou la deacutecision la plus juste ainsi le plus grand bonheur possible sera atteint pour tous ceux qui sont concerneacutes ldquohellipTout ce que nous trouverions injuste si nous eacutetions agrave la place drsquoautrui nous doit paraitre suspect drsquoinjusticerdquo

(e) Le principe a aussi un sens strateacutegique indispensable surtout dans le domaine de la politique deacutecouvrir les intentions de lrsquoautre pour ne pas ecirctre ingeacutenument trompeacute ldquohellipagrave la politique pour connaicirctre les vues que notre voisin peut avoir contre nousrdquo

(f) Le principe a une validiteacute dans le domaine du non-neacutecessaire crsquoest-agrave-dire lagrave ougrave il nrsquoexiste qursquoune neacutecessiteacute hypotheacutetique ldquoLa volonteacute est une marque infeacuterieure du jugement mais lrsquoun et lrsquoautre nrsquoest pas une marque certaine de la veacuteriteacute et ne sert qursquoagrave nous arrecircter agrave exciter notre attentionhelliprdquo

(g) Il creacutee une strateacutegie de justification mais aussi de deacutecouverte (h) Le principe a une valeur critique degraves lors qursquoil sert agrave mettre agrave

lrsquoeacutepreuve et le cas eacutecheacuteant agrave corriger les propres convictions connaissances et preacutevisions

On srsquoattache aux personnes aux lectures et aux consideacuterations favorables on ne donne point attention agrave ce qui vient du parti contraire et par ces adresses et mille autres qursquoon emploie le plus souvent sans dessein formeacute et sans y penser on reacuteussit agrave se tromper ou du moins agrave se changer et agrave se convertir ou pervertir selon ce qursquoon a rencontreacute29

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in GP IV 477-487

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FERDINANDO LUIGI MARCOLUNGO ldquoPLUS SIMPLE ET PLUS FACILE QUE QUELQUE CHOSErdquo

LE RIEN ET LA RAISON SUFFISANTE DE LEIBNIZ Agrave KANT

1 En meacutetaphysicien le principe de raison suffisante

Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison le titre mecircme du petit discours de Leibniz au prince Eugegravene de Savoie renvoie explicitement au Traiteacute de la Nature et de la Gracircce de Nicolas de Malebranche une œuvre que Leibniz connaissait fort bien et qui repreacutesentait certainement lrsquooccasion drsquoune longue confrontation entre deux philosophes agrave la fois si semblables et diffeacuterents dans leurs penseacutees Ce nrsquoest pas par hasard que Leibniz ajoute lrsquoexpression ldquofondeacutes en raisonrdquo afin de distinguer ses reacuteflexions de lrsquoœuvre de lrsquoOratorien agrave propos drsquoun argument si deacutelicat qui touchait la sensibiliteacute aussi bien des philosophes que des theacuteologiens

Lrsquoœuvre de Malebranche publieacutee pour la premiegravere fois en 1680 avait eu nombreuses eacuteditions dans les anneacutees suivantes jusqursquoagrave celle de 1712 deux anneacutees avant la reacutedaction des Principes de Leibniz La thegravese du meilleur des mondes possibles sur laquelle insiste la fin du notre texte est lrsquooccasion de souligner la diffeacuterence entre les deux penseurs lrsquoOratorien plus inteacuteresseacute agrave la simpliciteacute des lois divines et le logicien allemand qui voulait au contraire exalter la grandeur drsquoun Dieu capable de faire advenir la plus grande richesse par la lutte des possibles agrave lrsquoexistence

Mais pour Leibniz la distinction entre la nature et la gracircce est deacutepouilleacutee de toute reacutefeacuterence theacuteologique Au-delagrave du titre qui restreint le discours au niveau de la seule raison la cleacute de lecture semble se trouver au commencement du paragraphe 7 dans la distinction entre le physique et le meacutetaphysique ldquoJusqursquoici nous nrsquoavons parleacute qursquoen simples PHYSICIENS maintenant il faut srsquoeacutelever agrave la METAPHYSIQUE en nous servant du GRAND PRINCIPE peu employeacute communeacutement qui porte QUE RIEN NE SE FAIT SANS RAISON SUFFISANTErdquo1

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Tout drsquoabord crsquoest le niveau logique qui est supposeacute dans la possibiliteacute drsquoune analyse par laquelle ldquocelui qui connaicirctrait assez les chosesrdquo pourrait ldquorendre une Raison qui suffise pour deacuteterminer pourquoi il en est ainsi et non pas autrementrdquo2 Le verbe deacuteterminer suggegravere deacutejagrave la formulation qursquoon retrouve le plus souvent dans les textes leibniziens celle du principe de raison deacuteterminante La raison suffisante doit donner agrave nos connaissances la preacutecision qui permettrait de comprendre en profondeur ce qui arrive autour de nous

Toutefois il ne srsquoagit plus de parler ldquoen physicienrdquo mais drsquoentrer dans le domaine de la meacutetaphysique Les deacuteterminations speacutecifiques des choses doivent laisser place agrave lrsquoexistence radicale des choses Drsquoailleurs crsquoest une conseacutequence de la formulation geacuteneacuterale du ldquogrand principerdquo sans distinction entre le plan du connaicirctre et celui de lrsquoecirctre

Selon lrsquoordre des raisonnements ldquoce principe poseacuterdquo voilagrave la grande question qui se preacutesente alors ldquoPOURQUOI IL Y A PLUS TOT QUELQUE CHOSE QUE RIENrdquo3 Il srsquoagit de mettre en question lrsquoexistence mecircme de quelque chose dans une confrontation radicale avec le rien Lrsquoexpression ldquoquelque choserdquo semble nous rappeler lrsquoaliquid de la scolastique et le vocabulaire de lrsquoontologie Le discours semble rester au niveau geacuteneacuteral quelque chose est en mecircme temps ldquotoute choserdquo parce que toute chose preacutesente cette opposition radicale au rien

Andreacute Robinet disait agrave cet eacutegard

Ce sont les deacuteterminations existentielles que la meacutetaphysique prend en charge puisque la physique œuvre dans le constat du composeacute et dans la construction du simple Les deux questions auxquelles le principe de raison suffisante doit apporter reacuteponse sont en effet les tecirctes de liste de certaines classifications des cateacutegories fondamentales ldquoaliquid-nihilrdquo ldquoens-non ensrdquo ldquoens talerdquo et non plus la substance et ses modifications Les cateacutegories existentielles qui relegravevent de la science de vision apollinienne sont lrsquoobjet strict de la meacutetaphysique consideacutereacutee comme ontologie4

Peu apregraves Robinet souligne la radicaliteacute de la formulation que Leibniz nous donne dans le texte que nous venons drsquoexaminer

Dans son sens strict le principe de raison suffisante porte sur lrsquointerrogation radicale de lrsquoexistentiel ouvrant de la meacutetaphysique vers lrsquoontologie de lrsquoimaginaire deacuterivatif vers le conceptuel primitif Crsquoest de ce double sens du principe de raison que deacutependent les reacutedactions de la Theacuteodiceacutee et de la Monadologie drsquoune part et celle des Principes de la nature et de

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Ferdinando Luigi Marcolungo Le rien et la raison suffisante de Leibniz agrave Kant

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la gracircce drsquoautre part Dans le premier cas la meacutetaphysique peacutenegravetre la physique des veacuteriteacutes neacutecessaires qui assument la connaissance exacte des forces deacuterivatives et les relient agrave leur source substantielle primitive Dans le second cas ce sont les substances primitives qui se mettent en position deacuterivative en se subordonnant agrave plus primitif que soi entraicircnant la distinction entre les substances simples deacuterivatives et la substance simple primitive (Dieu)5

2 La raison suffisante et le rien

Une fois poseacutee la question radicale Leibniz semble suggeacuterer une sorte de justification de ce qursquoil vient de dire ldquoCar le rien ndash dit-il ndash est plus simple et plus facile que quelque choserdquo6 La premiegravere remarque qursquoon peut faire crsquoest la substantivation du rien auparavant employeacute dans la formulation du principe de raison sur un mode impersonnel

A la diffeacuterence du latin les langues romanes peuvent se servir de lrsquoarticle deacuteterminant ldquolerdquo pour indiquer lrsquoabstrait lrsquoessence de la chose ici ldquole rienrdquo Or mecircme lorsque lrsquoon eacutecrit en latin on sent le besoin au dix-huitiegraveme siegravecle de recourir agrave lrsquoarticle neutre de la langue grecque τὸ placeacute avant le terme latin (par exemple τὸ nihil pour dire ldquole rienrdquo)

Leibniz eacutecrit ldquoplus simple et plus facile que quelque choserdquo Tout drsquoabord on peut penser au zeacutero le chiffre arabe qui permettait les calculs dans le systegraveme deacutecimal mais qui pouvait mecircme rendre possible un nouveau calcul afin drsquoexprimer avec le zeacutero et lrsquouniteacute tous les nombres drsquoune faccedilon semblable agrave ce qui se passe de nos jours avec les ordinateurs et la numeacuterisation eacutelectronique des donneacutees

La simpliciteacute et la faciliteacute du rien semble impliquer lrsquoabsence de toute deacutetermination de ce qui pourrait impliquer une question un interrogatif agrave propos de la circonstance ou du milieu qui environne ce que lrsquoexpeacuterience nous offre En ce sens le rien nrsquoexige aucune preacutecaution le zeacutero infiniment reacutepeacuteteacute reste toujours zeacutero En quelque faccedilon il srsquoagit ici de lrsquoimpossibiliteacute drsquoune reacutegression agrave lrsquoinfini qursquoon peut retrouver deacutejagrave dans la Meacutetaphysique drsquoAristote

Mais crsquoest chez Thomas drsquoAquin que le thegraveme du rien devient une question philosophique classique notamment agrave partir de la discussion de la troisiegraveme voie de la preuve de lrsquoexistence de Dieu elle-mecircme theacutematiseacutee agrave partir des commentateurs arabes drsquoAristote 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 5 Robinet 1986 p 322 6 Leibniz 1986 sect 7 p 45

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en particulier drsquoIbn Sina Avicenne inspireacute par le neacuteoplatonisme Nous connaissons tous le texte thomasien agrave diffeacuterence du texte leibnizien le point de deacutepart nrsquoest pas du tout la notion qui deacutetermine lrsquoaliquid ldquoPourquoi il en est ainsi et non pas autrementrdquo mais lrsquoexistence concregravete de ldquocertaines choses qui naissent et disparaissentrdquo7

De lagrave naicirct la question de savoir si la totaliteacute du reacuteel peut ou non ecirctre marqueacutee de la mecircme contingence ldquoSi donc tout peut ne pas exister agrave un moment donneacute rien na existeacute Or si ceacutetait vrai maintenant encore rien nexisteraitrdquo8 Sans nous attarder sur les consideacuterations ulteacuterieures qui conduisent agrave lrsquoaffirmation du ldquoNeacutecessaire par lui-mecircme qui ne tire pas dailleurs sa neacutecessiteacute mais qui est cause de la neacutecessiteacute que lon trouve hors de luirdquo9 nous pouvons souligner le rocircle syntheacutetique joueacute ici par lrsquohypothegravese drsquoun moment ougrave tout serait purement possible sans qursquoil y ait quelque chose de neacutecessaire en ce cas il serait comme si rien nrsquoavait jamais existeacute et comme si rien nrsquoexistait mecircme maintenant

La proposition ldquole rien est plus simple et plus facile que quelque choserdquo semble indiquer la raison qui fait surgir la question radicale ldquoPourquoi il y a plus tocirct quelque chose que rienrdquo Et cela nrsquoest possible que parce que lrsquoopposition de quelque chose au rien surgit de lrsquoimportance et de la consistance du quelque chose agrave la diffeacuterence du rien Notons qursquoagrave ce moment-lagrave il nrsquoest question que de lrsquoexistence en geacuteneacuteral fucirct-elle un pur possible puisque Leibniz preacutesente une simple supposition ldquo(hellip) supposeacute que des choses doivent exister il faut qursquoon puisse rendre raison POURQUOI ELLES

DOIVENT EXISTER AINSI et non autrementrdquo10 Crsquoest un passage central dans lrsquoeacutelaboration du paragraphe 7 des

Principes de la nature et de la gracircce dans la mesure ougrave Leibniz pose la question ontologique radicale Il meacutetamorphose une question physique ordinaire en grande question meacutetaphysique la grande question de la meacutetaphysique 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 713 ldquoParmi les choses nou en trouvons qui peuvent ecirctre et ne pas ecirctre la preuve crsquoest que certaines choses naissent et disparaissent et par conseacutequent ont la possibiliteacute drsquoexister ou de ne pas existerrdquo13 8 Thomas drsquoAquin S Theol I 2 3 co ldquoSi igitur omnia sunt possibilia non esse aliquando nihil fuit in rebus Sed si hoc est verum etiam nunc nihil essetrdquo 9 Ibidem ldquoErgo necesse est ponere aliquid quod sit per se necessarium non habens causam necessitatis aliunde sed quod est causa necessitatis aliisrdquo 10 Leibniz 1986 sect 7 p 45

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Nous quittons alors lrsquoordre geacuteneacuteral de la logique (ldquoRien nrsquoarrive sanshelliprdquo) pour aborder la dimension veacuteritablement onto-logique ldquoPour quoi il y a plus tocirct quelque chose que rienrdquo

Et ce nrsquoest que dans un nouveau moment argumentatif introduit par le ldquoDe plusrdquo que Leibniz formule la question proprement existentielle ldquosupposeacute que des choses doivent exister il faut qursquoon puisse rendre raison POURQUOI ELLES DOIVENT EXISTER AINSI et non autrementrdquo11

Le cercle vertueux du raisonnement leibnizien semble avoir gagneacute agrave ce moment un point fixe qui lui permettra de proceacuteder ensuite agrave lrsquoaffirmation de lrsquoEcirctre neacutecessaire Au commencement du paragraphe suivant il nrsquoy a plus la consideacuteration du pur possible mais celle de lrsquoexistence concregravete de cet univers ldquoOr cette Raison suffisante de lrsquoExistence de lrsquounivers ne se saurait trouver dans la suite des choses contingentesrdquo12 Ce nrsquoest qursquoagrave ce moment preacutecis que Leibniz retrouve la tradition Thomiste

Nous ne suivrons pas ce deacuteveloppement qui reprend beaucoup drsquoobservations qursquoon peut retrouver dans la Theacuteodiceacutee ou dans les Principes de philosophie ou Monadologie dont la reacutedaction semble suivre sinon accompagner celle des Principes de la Nature et de la gracircce Notre but est drsquoattirer lrsquoattention sur le deacutenouement du discours leibnizien qui pose dans notre texte la question ontologique radicale sur laquelle Heidegger attirera notre attention

Lrsquointerpreacutetation existentielle peut toutefois masquer la deacutemarche originelle du raisonnement leibnizien Certes il srsquoagit drsquoun passage essentiel pour deacutefinir la porteacutee de la question ontologique mais crsquoest le fait drsquoune relecture contemporaine comme le montrera une comparaison preacutecise du texte leibnizien avec Wolff et Kant

3 Le rien et le possible de Wolff agrave Kant

Nous connaissons la maniegravere avec laquelle Wolff reprend et essentialise le proceacutedeacute leibnizien dans la Meacutetaphysique allemande (1719) ou dans la Philosophia prima sive Ontologia (1730) La deacutemonstration du principe de raison suffisante trouve son appui sur la 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 11 Ibidem 12 Ibidem sect 8 pp 45-47

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steacuteriliteacute du rien ldquoNous appelons rien ce agrave quoi ne correspond aucune notionrdquo13 En srsquoappuyant sur le principe de contradiction Wolff observe que si nous disions quelque chose du rien nous ferions du rien quelque chose Voilagrave la raison par laquelle on ne peut rien dire du rien Autrement le rien nihil (non aliquid) serait quelque chose (aliquid preacuteciseacutement) Et Wolff conclut

Si lrsquoon affirme quelque chose on devra admettre en mecircme temps quelque chose (ldquoaliquidrdquo) en vertu de laquelle on puisse comprendre pourquoi elle serait14

Lrsquoessentialisation peut srsquoaccomplir dans la mesure ougrave lrsquoon reconnaicirct lrsquoopposition radicale entre lrsquoaliquid et le rien agrave ce niveau il nrsquoest pas encore question drsquoune existence concregravete Le principe de causaliteacute est posteacuterieur au principe de raison suffisante et concerne les choses contingentes parce que Dieu nrsquoa pas besoin de cause

Mais il est significatif que Wolff distingue le principe de raison suffisante du principe de raison deacuteterminante crsquoest-agrave-dire de la formulation du grand principe que nous retrouvons le plus souvent dans les textes leibniziens Dans la seconde section de la premiegravere partie de lrsquoOntologie nous retrouvons lrsquoopposition entre le possible et lrsquoimpossible qui vient drsquoecirctre eacutetablie par le principe de contradiction et seulement ensuite celle entre le deacutetermineacute et lrsquoindeacutetermineacute qui ne sont pas lrsquoun le contraire lrsquoun de lrsquoautre parce que lrsquoindeacutetermineacute peut toujours ecirctre deacutetermineacute apregraves coup

Cette distinction logique semble redoubleacutee dans lrsquoopposition entre lrsquoEns et le Non-Ens entre lrsquoaliquid et le rien Crsquoest agrave ce second niveau que srsquoeffectue la deacutemonstration du principe de raison suffisante Agrave la formulation neacutegative du ldquorien nrsquoest sans une raison suffisanterdquo succegravede une formulation positive qui srsquoappuie sur lrsquoadmission de quelque chose crsquoest-agrave-dire du fait positif de lrsquoaliquid principe directeur de la distinction wolffienne entre raison suffisante et raison deacuteterminante15

Si la version neacutegative pourrait conduire agrave conclure qursquoil nrsquoy a rien [ldquonihil estrdquo] la version affirmative doit assumer le quelque chose lrsquoaliquid et conclure qursquoil doit y avoir une raison dans les choses

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mecircme si nous ne pouvons pas toujours la connaicirctre drsquoune faccedilon exhaustive ldquoen ce cas ndash conclut Wolff ndash nous connaissons une veacuteriteacute sans pouvoir dire que nous lrsquoavons atteinte drsquoune faccedilon suffisanterdquo16 Le principe de raison deacuteterminante ainsi comme le principe de certitude par rapport au principe de contradiction passe de lrsquoaffirmation de lrsquoaliquid et traduit lrsquoopposition radicale entre lrsquoaliquid et le rien au niveau de lrsquoexpeacuterience en geacuteneacuterale

Nous pouvons retrouver le mecircme deacutecalage lorsque Kant rappelle lrsquousage du principe de raison suffisante dans lrsquoAppendice agrave la Dialectique transcendantale ougrave il joue le rocircle de principe reacutegulateur de nos connaissances scientifiques et dans la radicale opposition entre le rien et le possible qui vient drsquoecirctre formuleacutee auparavant dans Lrsquounique argument possible pour deacutemontrer lrsquoexistence de Dieu de 1763 Crsquoest dans ce texte que nous retrouvons des affirmations semblables au deacutenouement theacuteorique du paragraphe 7 des Principes de la nature et de la gracircce

Dans Lrsquounique argument (Beweis) Kant semble reprendre lrsquoargumentation leibnizienne lorsqursquoil commence par la distinction entre la possibiliteacute interne et la possibiliteacute externe

Si donc on abolit toute existence rien nrsquoest absolument poseacute rien en geacuteneacuteral nrsquoest donneacute aucun eacuteleacutement mateacuteriel ne peut srsquooffrir agrave la penseacutee et par conseacutequent toute possibiliteacute fait entiegraverement deacutefaut Je reconnais que dans la neacutegation de toute existence il nrsquoy a aucune contradiction17

Nous pouvons entendre dans ces mots lrsquoeacutecho du passage leibnizien ldquoLe rien est plus simple et plus facile que quelque choserdquo Or selon Kant la contradiction surgit lorsqursquoon admet quelque chose mecircme au niveau de la possibiliteacute interne Mais qursquoil y ait une possibiliteacute quelconque et que cependant il ny ait rien de reacuteel il y a lagrave contradiction En effet si rien nrsquoexiste rien non plus nrsquoest donneacute qui puisse ecirctre penseacute et lrsquoon se contredit soi-mecircme si on veut neacuteanmoins que quelque chose soit possible18

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Dans ces reacuteflexions nous pouvons retrouver une fois encore la formulation de la question fondamentale des Principes de la nature et de la gracircce Pour conclure je voudrais souligner que la structure de lrsquoargumentation reste toujours la mecircme que ce soit chez Leibniz ou chez Wolff et Kant il ne srsquoagit jamais de tenir compte de lrsquoexistence actuelle par opposition au rien mais toujours de poser celle du pur possible comme lrsquoindique lrsquoemploi du terme aliquid crsquoest-agrave-dire le quelque chose en geacuteneacuteral Crsquoest dans lrsquoopposition entre lrsquoaliquid et le rien que se fonde la radicaliteacute de lrsquointerrogation ldquopourquoi il y a plus tocirct quelque chose que rienrdquo ldquoCar ndashnous le reacutepeacutetons avec Leibnizndash le rien est plus simple et plus facile que quelque choserdquo

BIBLIOGRAPHIE Kant I Œuvres philosophiques eacuted publieacutee sous la direction de F Alquieacute I Des

premiers eacutecrits agrave la Critique de la raison pure Paris Gallimard 1980 Kant I Werke Akademie-Textausgabe [AA] Berlin De Gruyter 1902-1923 Leibniz G W Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison Principes de la

philosophie ou Monadologie (1954) publieacutes inteacutegralement drsquoapregraves les manuscrits drsquoHanovre Vienne et Paris et preacutesenteacutes drsquoapregraves des Lettres ineacutedites par A Robinet Paris Puf1986

Marcolungo F L Wolff e il possibile Padova Antenore 1982 Robinet A Architectonique disjonctive automates systeacutemiques et ideacutealiteacute

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introduction notes et index par J Eacutecole in Id Gesammelte Werke II 3 Hildesheim-Zuumlrich-New York Olms 1962

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MARTIN ŠKAacuteRA

LEIBNIZ ET HEIDEGGER PRINCIPE DE RAISON SUFFISANTE ET SATZ VOM GRUND

QUELQUES REMARQUES SUR LA DESTRUCTION HEIDEGGERIENNE

DU PRINCIPE DE RAISON (SUFFISANTE)

LE FONDEMENT (GRUND) DE 1929 ET LE SATZ VOM GRUND (1955-56)

Dans le preacutesent propos je me suis fixeacute comme objectif de faire une esquisse des deux diffeacuterentes approches que Martin Heidegger propose du principe de raison suffisante chez Leibniz Je ferai voir comment Heidegger traite la probleacutematique du principe de raison suffisante diffeacuteremment selon ces deux textes dont le premier a eacuteteacute publieacute sous le titre Die metaphysische Anfagsgruumlnde der Logik nach Leibniz de 1929 et le second notoirement connu sous le titre de Der Satz vom Grund de 1955 Principe de raison1 Plusieurs questions srsquoavegraverent ici neacutecessaires La toute premiegravere et une des plus difficiles concerne lrsquoeacutevolution du principe de raison suffisante (ci-apregraves PRS) chez Leibniz La pertinence de cette question pour identifier saisir analyser et deacutefinir le PRS se montre obligatoire2 Cependant cette tacircche ne peut ecirctre acheveacutee par le preacutesent article Pour cette raison toutes les occurrences de ce principium nobilissimum de Leibniz reacutefeacutereront agrave la peacuteriode qui suit 16863 Nrsquooublions pas que les premiegraveres formulations du PRS se trouvent dans les eacutecrits tels que Confessio Naturae contra Atheistas4 de 1668 ou Theoria motus abstracti5 de 1671 Ces sources constituent la gestation du principe pour enfin aboutir agrave sa forme mure et onto-logique (omne praedicatum in est subiecto) comme loi reacutegissant le domaine de la

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contingence La seconde question touche lrsquointerpreacutetation que donne Heidegger du PRS Pour suivre notre objectif il serait inutile de dresser un panorama de la penseacutee du ldquoberger de lrsquoEcirctrerdquo Toutefois puisqursquoil existe deux approches de la Seinsfrage il faut neacutecessairement prendre en consideacuteration que le premier texte de 1929 preacutecegravede le fameux ldquotournantrdquo (Kehre) tout en reposant sur la structure programmatique drsquoEcirctre et temps de 1927 Le deuxiegraveme est conccedilu dans lrsquointention de penser lrsquoEcirctre sans lrsquoeacutetant tacircche embleacutematique et eacutenigmatique de la penseacutee heideggerienne plus tardive Les textes se situent ainsi dans deux contextes theacuteoriques distincts drsquoavant et apregraves la Kehre Srsquoimposent tout de suite deux questions qui regardent lrsquoimportance de ces contextes Puisque la Seinsfrage de la premiegravere peacuteriode fait lrsquoobjet de la diffeacuterence ontologique entre lrsquoeacutetant et lrsquoecirctre sensuit-il que le PRS sera eacutegalement interpreacuteteacute agrave partir de cette distinction De maniegravere analogue la deuxiegraveme question consiste agrave se demander si dans la peacuteriode qui suit la Kehre Heidegger traite du PRS seulement au sens de lrsquoecirctre Il semble eacutevident que le texte de 1929 doit ecirctre compris comme une affirmation du ldquologiquerdquo (qui a lrsquoeacutetant pour objet) fondeacute sur la meacutetaphysique contrairement au texte de 1955 ougrave le ldquologiquerdquo ne joue plus aucun rocircle Apregraves la Kehre le concept drsquoeacutetant est abandonneacute et par le fait mecircme la logique de sorte qursquoil reste seulement la meacutetaphysique ou ce que Heidegger nomme la Penseacutee (das Denken) qui deacutepasse la meacutetaphysique elle-mecircme

A mon avis la question qui met en relation le ldquologiquerdquo et lrsquoldquoeacutetantrdquo rappelle de maniegravere plus exacte ce qui en principe inteacuteresse Leibniz sachant que les contextes approches et meacutethodes sont diffeacuterents chez les deux auteurs On doit cependant se demander pourquoi Heidegger srsquointeacuteresse-t-il agrave Leibniz En premier lieu Heidegger nous reacutevegravele dans lrsquoavantndashpropos de Qursquoest-ce que la Meacutetaphysique6 que la question leibnizienne exposeacutee dans ses Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison7 est la question la plus meacutetaphysique

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car la plus ldquofondamentalerdquo Selon Heidegger se poser la question ldquoPourquoi il y a quelque chose plutocirct que rien rdquo veut dire expresseacutement pourquoi il y a lrsquoeacutetant plutocirct que rien La question leibnizienne est fondamentale car elle est rattacheacutee au ldquofondrdquo Avant drsquoentamer lrsquoanalyse de ces deux approches je tiens pour essentiel de rappeler que le rapport entre Heidegger et Leibniz nous donne entre autres trois modegraveles de meacutetaphysique Plus preacuteciseacutement il srsquoagit de deux modegraveles de meacutetaphysique et drsquoun modegravele de penseacutee speacutecifique (das Denken) Le tout premier modegravele est bien celui de Leibniz interpreacuteteacute sous forme onto-theacuteo-logique Le deuxiegraveme modegravele de la meacutetaphysique est celui de jeune Heidegger lrsquoauteur de Sein und Zeit ougrave la Seinsfrage fait objet de la diffeacuterence ontologique entre lrsquoecirctre et lrsquoeacutetant Enfin le troisiegraveme modegravele qui nrsquoest plus meacutetaphysique car encore plus fondamental est le modegravele de penseacutee speacutecifique qui se fixe pour tacircche de penser lrsquoEcirctre sans lrsquoeacutetant Il est inteacuteressant de signaler qursquoen suivant lrsquoeacutevolution de ces modegraveles on srsquoapercevra qursquoil a y une certaine reacuteduction drsquoentiteacutes Dans le tout premier cas la meacutetaphysique sous forme drsquoonto-theacuteo-logie comprend Dieu lrsquoecirctre et lrsquoeacutetant Autrement dit le PRS sans Dieu perdrait son sens leibnizien Dans le deuxiegraveme modegravele le PRS (sans lrsquoideacutee de Dieu) est abordeacute par lrsquointermeacutediaire drsquoune ldquoradicalisationrdquo (en cherchant la ldquoracinerdquo du ratio son radix) Ecirctre plus radical veut dire pour Heidegger ecirctre plus pregraves de lrsquoorigine approche qui est caracteacuteristique du mode de penseacutee speacutecifique heideggeacuterien des œuvres de la maturiteacute Die metaphysische Anfangsgruumlnde der Logik nach Leibniz (1929) lrsquoanalyse de la theacuteorie des jugements en vue de preacuteparer le chemin vers les fonds meacutetaphysiques de la logique

Le titre mecircme de ce texte nous fait voir une ressemblance quant agrave la relation fondamentale de la logique et de la meacutetaphysique chez Leibniz A vrai dire la probleacutematique ldquode la logiquerdquo ou ldquodu logiquerdquo reste neacutegligeacutee Les nombreux exeacutegegravetes nrsquoont pas coutume de prendre en consideacuteration ce sujet pratiquement meacuteconnu chez Heidegger Pourtant selon JeanndashFranccedilois Courtine la porteacutee de la question Was ist das die Logik est capitale car cette mecircme question que le jeune philosophe se pose assez souvent permet

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ldquohellipde faire ressortir le fil conducteur de lrsquoœuvre de Heideggerhelliprdquo8 En tout premier lieu la fameuse Seinsfrage est bien eacutevidemment dans lrsquooptique du jeune philosophe la question du ldquosensrdquo Et le ldquosensrdquo ne peut ecirctre saisi qursquoagrave travers la logique9 Que veut donc dire la logique Was ist das die Logik Nous nous retrouvons devant une autre question la question de lrsquoessence de la logique Il est agrave noter que pour Heidegger lrsquoun des premiers sinon le premier contact de recherche sur la logique est la dissertation de Franz Brentano Von der Manigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles de 1862 qui aborde le philosophe et qui est parmi les premiers textes qui traceront ldquole chemin de sa penseacuteerdquo Heidegger reacutedige en 1912 un court traiteacute intituleacute Neuere Forchungen uumlber Logik10 Cependant ce texte nous ne donne pas la reacuteponse relative agrave lrsquoessence de la logique Il faut attendre le cours du semestre drsquohiver agrave lrsquoUniversiteacute de Marbourg de 1925ndash26 durant lequel Heidegger srsquoexplique de nouveau sur la question de la logique Le cours constitue le tome vingt et un de la Gesamtausgabe Logik Die Frage nach der Wahrheit11 Le jeune philosophe adopte deacutejagrave dans cette peacuteriode de sa penseacutee la meacutethode de la destruction Or cette meacutethode appliqueacutee agrave la question de la logique devient la destruction critique et historique de la logique Appliquer la meacutethode de la destruction nrsquoest pas du tout deacutetruire La destruction veut dire ici remonter aux sources depuis lesquelles la logique prend ses racines Crsquoest apregraves avoir identifieacute ces sources que lrsquoon sera agrave mecircme de voir ce que crsquoest que lrsquoessence de la logique Il faut donc remonter au λόγος agrave lrsquoἐπιστήmicroη λογική qui est la ldquoWissenschaft vom Redenrdquo12 Et cette parole en tant que λόγος dont la logique est la science a pour fonction premiegravere de ldquomettre quelque chose en eacutevidencerdquo La parole en tant que λόγος a pour but de Offenbarmachen13 Crsquoest tout agrave fait la fonction que remplit le λόγος ἀποφαντικός drsquoAristote Offenbarmachen chez Heidegger veut dire la mecircme chose qursquoἀποφαίνεθαι chez les Grecs et plus particuliegraverement Aristote Cela constitue lessence de la logique chez le jeune Heidegger Bien plus mettre quelque chose en eacutevidence le rendre

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eacutevident veut dire deacute-couvrir Et cette deacutecouverte est exactement lrsquoἀλήθεια des Grecs Finalement la logique ainsi conccedilue est la science de la parole qui a pour fonction de rendre quelque chose eacutevident crsquoest-agrave-dire de le rendre deacute-couvert donc veacuteritable La logique devient ainsi la ldquomeacutetaphysique de la veacuteriteacuterdquo

1 Exposition

Le cours sur la logique comprend trois sections dont la premiegravere est une introduction qui met lrsquoaccent sur lrsquoidentification de la logique dans la penseacutee philosophique et lequel indique quatre principes de base de la penseacutee (Grundegesaumltze des Denkens) ldquodas principium identitatis das principium contradictionis das principium exclus tertii und das princpium rationis sufficientisrdquo14 Crsquoest donc la premiegravere identification du PRS qui se trouve parmi les quatre principes de la penseacutee humaine Ce qui inteacuteresse Heidegger ce ne sont pas les enjeux eacutepisteacutemologiques de ces quatre principes (Grund ndash Saumltze) La fonction ou le rocircle voire lrsquoldquoessencerdquo de ces principes donc de ces Grund ndash Saumltze est qursquoils sont les fondements (Gruumlnde) non seulement de la compreacutehension (Verstehen) mais eacutegalement de lrsquoexistence de la compreacutehension de lrsquoecirctre Seinsverstaumlndnis) du Dasein et de la transcendance originaire (Urtranszendenz)15 Exprimeacute en termes kantiens ils sont les conditions de possibiliteacute des domaines susmentionneacutes Drsquoailleurs pour le philosophe de Maumlsskirch ldquoecirctre gouverneacuterdquo par de telles lois preacutesuppose la liberteacute qui sert de base agrave leur propre possibiliteacute16 Heidegger conclut donc que ldquole problegraveme fondamental de la logique la gouvernance de loi de la Penseacutee apparaicirct elle-mecircme ecirctre le problegraveme de lrsquoexistence humaine dans ses fondements le problegraveme de la liberteacuterdquo17 Une telle approche permet de postuler dans le contexte ougrave sont eacutelaboreacutees les notions de ldquoveacuteriteacuterdquo ldquonotionrdquo ldquoleacutegaliteacuterdquo et ldquoliberteacuterdquo qursquoil srsquoagit de chercher ici les

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fondements meacutetaphysiques de la logique donc de chercher les soi-disant initia logicae18

2 Chemins vers Leibniz agrave travers la destruction de la theacuteorie leibnizienne du

jugement conduisant aux problegravemes de la meacutetaphysique

Lrsquoapproche de Heidegger agrave lrsquoeacutegard des fondements meacutetaphysiques de la logique repose sur la destruction de la theacuteorie leibnizienne du jugement de maniegravere agrave aboutir aux problegravemes de la meacutetaphysique sujet programmatique du traiteacute Cette destruction touche sept principaux domaines 1) la theacuteorie de lrsquoinclusion 2) la distinction des veacuteriteacutes de faits et des veacuteriteacutes de raison 3) la theacuteorie des principes leibniziens (principe didentiteacute principe de contradiction et principe de raison suffisante) 4) lrsquoideacutee de connaissance ndash intuitus 5) lrsquoanalyse de la monade 6) les notions de base de lrsquoecirctre telles que essentia et connatus existentiaelig et finalement 7) la theacuteorie du jugement et la notion de lrsquoecirctre En regardant ces domaines de plus pregraves on saperccediloit que dans les trois premiers nous retrouvons lrsquointeacutegraliteacute de tout ce qui appartient agrave la probleacutematique du PRS la regravegle de lrsquoinndashesse les ldquoveacuteriteacutes de faitsrdquo et enfin le principe de raison suffisante Agrave la suite de ces analyses Heidegger conclut que la tacircche de la logique est de ldquo clarifier lrsquoessence de la veacuteriteacuterdquo19 Cependant une condition est agrave mettre en place La tacircche de la logique ainsi deacutefinie ne peut plus ecirctre reacutealiseacutee agrave partir de la logique elle-mecircme car lrsquoessence de la veacuteriteacute strictement parlant ne peut ecirctre traiteacutee qursquoen tant que sujet de la meacutetaphysique La logique doit donc renoncer agrave son nom pour enfin ecirctre baptiseacutee ldquomeacutetaphysique de la veacuteriteacuterdquo20 (Metaphysik der Wahrheit) Malgreacute lrsquoanalyse deacutetailleacutee des preacuteceacutedents domaines dans lesquels Heidegger traite des intentions et inteacuterecircts de Leibniz il est indispensable de speacutecifier la diffeacuterence entre les approches des deux philosophes Le premier Leibniz traite le PRS en tant que sujet ontondashtheacuteondashlogique tandis que le second Heidegger le traite en tant qursquoontondashlogique De plus il est agrave noter que la logique dans cette perspective ontondashlogique se transforme en une meacutetaphysique de la

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veacuteriteacute puisque sa tacircche consiste agrave rechercher lrsquoessence de la veacuteriteacute ce qui semble absorber lrsquoonto (lrsquoldquoontiquerdquo) ldquodansrdquo cette ontologie heideggeacuterienne En insistant sur cette diffeacuterence on pourrait preacutesumer que lrsquointerpreacutetation heideggeacuterienne de la meacutetaphysique de Leibniz est sans Dieu alors que la meacutetaphysique leibnizienne a essentiellement Dieu comme objet Comme il nrsquoy a pas Dieu le principe de raison perd son sens dorigine pour ecirctre remplaceacute par un concept totalement diffeacuterent et deacuteguiseacute

3 Conflit

Les propos du prophegravete de lrsquoEcirctre paraissent ecirctre clairs en ce que Leibniz nous renseignerait sur le PRS (avec certaines reacuteserves bien sucircr) jusqursquoau moment ougrave Heidegger eacutenonce lrsquoeacutequivociteacute obscure du PRS Pour lui ldquo cette partie centrale de la doctrine logique et meacutetaphysique leibniziennes est la plus obscurerdquo21 Le PRS prima facie donne effectivement lrsquoimpression drsquoecirctre clair et obscur Il est clair par son eacutenonciation nihil est sine ratione Mais il est obscur par la place qursquoil occuperait dans la meacutetaphysique Un plongeur de Deacutelos serait ici plus ou moins souhaitable Ce qui est plus que surprenant crsquoest lrsquoessence relationnelle du PRS que Heidegger relegraveve par les points suivants 1) Que le rapport du PRS au principe de contradiction nrsquoest pas suffisamment expliqueacute 2) Comment eacutevaluer le fondement du PRS 3) Quelle est son lien avec la monadologie qui est drsquoapregraves Heidegger complegravetement probleacutematique () 4) Quelle est la signification de ce principium et en quoi consiste son caractegravere principiel Enfin 5) Comment relier PRS agrave la doctrine logique et agrave la veacuteriteacute Faut-shy‐il plutocirct chercher son enracinement ailleurs En somme la relation du PRS agrave la veacuteriteacute devrait ecirctre abordeacutee en tant que principe meacutetaphysique

Puisque les reproches mentionneacutes par Heidegger ne peuvent pas rester sans reacuteponses jrsquoessaierai drsquoen eacutebaucher une pour chaque question On constate drsquoabord que la premiegravere question nrsquoest pas formuleacutee de maniegravere correcte Je suis persuadeacute que le rapport des deux principes ne peut pas ecirctre formuleacute de faccedilon isoleacutee crsquoestagrave-dire

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sans prendre en consideacuteration la classification de jugements Le rapport du principium contradictionis et le principium rationis suficientis est lieacute agrave la distinction entre propositions neacutecessaires et propositions contingentes consideacuterant que le principe de lrsquoin-shy‐esse et le problegraveme drsquoanalyse de preacutedicats permettent drsquoarticuler les deux sortes de propositions Drsquoailleurs on y retrouve agrave lrsquoeacutevidence la diffeacuterence entre la neacutecessiteacute et la contingence Heidegger speacutecifie plus ou moins ce rapport en preacutecisant que le principe de raison est un principe de nature potius quam autrement dit le principe du meilleur22 La deuxiegraveme question relative au fondement du PRS a deacutejagrave reccedilu une reacuteponse par lrsquoindication que le ldquopotius quamrdquo du principe sans que Heidegger ne preacutecise que le PRS permet ainsi de speacutecifier pourquoi lrsquoexistence dun eacutetant quelconque est tel ou tel et non pas autrement Ici il ne faut surtout pas oublier que le PRS prend ses racines dans le principe drsquoinesse23 Le lien dit probleacutematique du PRS avec la doctrine monadologique est difficile agrave reacutesoudre car lrsquoon ne sait pas exactement ce que Heidegger considegravere comme eacutetant la monadologie Si lrsquoon considegravere que Heidegger deacutesigne par la meacutetaphysique leibnizienne de la peacuteriode du Discours et celle qui suit la reacuteponse ne paraicirctrait pas aussi difficile agrave trouver Toutefois force est drsquoadmettre que cette troisiegraveme question est floue puisque la notion de la monadologie nrsquoest pas expliciteacutee par Heidegger La quatriegraveme question srsquointerrogeant sur le caractegravere principiel et la signification du PRS est agrave mon avis typiquement heideggerienne Elle concerne la meacutethode heideggerienne drsquoanalyse des notions qui consiste agrave rechercher la seacutemantique eacutetymologique drsquoune notion donneacutee En ce qui a trait agrave la notion de principium il est neacutecessaire de remonter agrave la notion grecque drsquoἀρχὴ pour saisir sa signification originelle Donc cette question nrsquoa pratiquement rien agrave voir avec la deacutemarche de Leibniz La derniegravere question poseacutee est au contraire proprement leibnizienne Elle nous oriente vers ce qui est le plus transparent dans la penseacutee du philosophe de Hanovre Cependant y reacutepondre agrave partir du systegraveme leibnizien dans son entier apparaicirct incorrect voire insaisissable La plupart de ceux qui tentent des reacuteponses de ce type oublient de prendre en consideacuteration les

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analyses logiques Je pense encore une fois au principe drsquoinesse Dans ce contexte le principe drsquoinesse est preacutealable au PRS De cette maniegravere seulement serions-nous capables de comprendre comment il est possible de saisir le principe meacutetaphysique en tant que principe logique sachant qursquoil ne srsquoagit pas drsquoun seul et mecircme principe qui se preacutesenterait agrave la fois comme principe meacutetaphysique et comme principe logique

Pour comprendre la raison pour laquelle Heidegger pose ces cinq questions nous devons expliquer plus preacuteciseacutement lrsquoapproche qursquoil adopte dans son cours de logique Son interpreacutetation du PRS nrsquoest compreacutehensible qursquoen caracteacuterisant cette approche de radicale24 Il faudrait une approche plus radicale que celle de Leibniz pour parvenir agrave une ldquoveacuteritablerdquo interpreacutetation heideggerienne de Leibniz Tel qursquoindiqueacute preacuteceacutedemment la radicaliteacute consiste agrave srsquointerroger sur la racine (radix en latin) de la notion rechercheacutee Ecirctre plus radical veut dire uniquement ecirctre plus proche de lrsquoorigine comme srsquoil srsquoagissait drsquoun reproche adresseacute agrave Leibniz en disant que ce dernier nrsquoa pas suivi la bonne meacutethode (crsquoest-agrave-dire celle de Heidegger) Crsquoest bien le cas de la notion de ratio Ratio pour Heidegger veut dire lrsquoἀρχὴ des Grecs que ce dernier traduit par la notion allemande de ldquoGrundrdquo Crsquoest ici que Heidegger oriente son cheminement lequel megravenera au cours de 1955ndash56 Satz vom Grund Toutefois plus lrsquoapproche de Heidegger est originaire plus elle srsquoeacuteloigne de Leibniz ce qui importe peu drsquoapregraves lui Heidegger se sert constamment des doctrines et concepts de ses preacutedeacutecesseurs pour pouvoir mieux affirmer (ou reacuteaffirmer) ses propres ideacutees

Satz vom Grund (1955ndash56)

La question du sens de lrsquoEcirctre apregraves le ldquotournantrdquo nrsquoest plus abordeacutee agrave partir de lrsquoideacutee drsquoune ontologie fondamentale drsquoune analytique du Dasein et de la temporaliteacute Un autre chemin apparaicirct Il srsquoagit maintenant de forger une καταβάσις agrave partir de la question de la veacuteriteacute de lrsquoEcirctre et de lrsquoldquoeacuteclaircierdquo de lrsquoEcirctre repreacutesentant ainsi le chemin de lrsquoapprofondissement se dirigeant vers le fond Le proceacutedeacute de

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lrsquoexplication de lrsquoEcirctre commence agrave se deacuteployer dans sa profondeur Et au fond de cette profondeur gicirct ce qursquoon appelle le Grund Crsquoest bien cette notion qui permet drsquoapprofondir la question de lrsquoEcirctre comme question de la veacuteriteacute de lrsquoEcirctre ou de lrsquoldquoeacuteclaircierdquo de lrsquoEcirctre Hans Georg Gadamer reacutevegravele cette perspective de maniegravere suivante

Sa question nrsquoest pas celle de la meacutetaphysique qui porte sur lrsquoeacutetant suprecircme (Dieu) ou sur lrsquoecirctre de lrsquoeacutetant Elle srsquointerroge plutocirct sur ce qui ouvre tout drsquoabord le domaine drsquoune telle question et qui constitue lrsquoespace au sein duquel se meut le questionnement de la meacutetaphysique25

Et cette penseacutee meacutetaphysique se transforme en une forme de rappel de souvenir et de reacuteminiscence de lrsquoEcirctre en somme elle se transforme en ce que son auteur lui-mecircme appelle lrsquoAndenken ou bien la penseacutee repreacutesentative ndash menschliche Vorstellen la re-preacutesentation humaine La Seinsfrage avant le tournant a pu ecirctre abordeacutee gracircce au meacutecanisme du λόγος ἀποφαντικός tandis que la Seinsfrage apregraves le tournant est abordeacutee par lrsquointermeacutediaire dun meacutecanisme complegravetement diffeacuterent celui du Grund Et pour Heidegger le chemin vers le Grund megravene eacutegalement agrave une nouvelle interpreacutetation du PRS

Les cours sur le Satz vom Grund des anneacutees 1955ndash56 sont constitueacutes de treize confeacuterences qui preacuteparent cette remonteacutee cette καταβάσις vers le fond donc vers le Grund Tout simplement parce que fonder quelque chose en raison crsquoest lrsquoapprofondir Pour Heidegger crsquoest bien le principe de raison qui nous permet drsquoaborder notre problegraveme Cependant la philosophie ne voit lrsquoeacutemergence de ce principe qursquoau XVIIe siegravecle chez Leibniz Cette longue peacuteriode depuis la naissance de la philosophie en Gregravece jusqursquoagrave la philosophie moderne qui traite finalement du PRS Heidegger lrsquoappelle la ldquodureacutee drsquoincubationrdquo La premiegravere analyse du PRS dans cette contribution consiste agrave accentuer la forme neacutegative du principe dans sa formulation latine nihil est sine ratione agrave la place de omne ens habet rationem Lrsquoidentification de la forme neacutegative est ici identique agrave lrsquoinsistance de Leibniz sur le rien des Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison que Heidegger examine dans Qursquoest-ce que la meacutetaphysique de 1949 Le proceacutedeacute meacutethodologique est plus que parlant dans les deux cas Pour Leibniz toutefois les deux cas 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 25 Gadamer 2001 pp 36ndash37

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(neacutegatif et positif) reviennent au mecircme Le ldquoquelque chose (eacutetant)rdquodes Principes est reacutegi par le PRS (ougrave la raison peut ecirctre interpreacuteteacutee eacutegalement comme lrsquoeacutetat actuel de chose) Alors que pour Heidegger les deux cas servent agrave la reacuteaffirmation de la question de lrsquoEcirctre penseacute sans lrsquoeacutetant Ce dernier attire notre attention sur la double neacutegation repreacutesenteacutee par le nihil et par sine26 Cette obscuriteacute de la double neacutegation le conduit vers la question de lrsquoessence du PRS Srsquointerroger sur lrsquoessence du PRS crsquoest srsquointerroger sur ce qursquoil est ldquoDer Satz vom Grund ist ein Grundsatzrdquo27 Voici la reacuteponse qui nrsquoest pas deacutefinitive car une preacutecision est immeacutediatement mise en œuvre ldquoDer Satz vom Grund ist der Grundsatz aller Grundsaumltzerdquo28 La syntaxe allemande permet agrave Heidegger de formuler cette deacutefinition de maniegravere approprieacutee (en tout cas agrave lui-mecircme) La traduction franccedilaise donne ceci ldquoLe principe de raison est le principe de tous les principesrdquo29 Une observation relative agrave un proceacutedeacute speacutecifique dans lrsquoeacutecriture heideggerienne srsquoavegravere ici neacutecessaire Matteacutei estime que le chiasme est un proceacutedeacute drsquoexpression propre agrave Heidegger Le cas concret du chiasme identifieacute dans la proposition ci-dessus agrave savoir ndash Der Satz vom Grund ist ein Grundsatz Matteacutei lrsquoappelle ldquoarticulation cruciale syntaxique de la propositionrdquo30 Si lrsquoon considegravere que la deacutefinition de la Satz vom Grund est la preacuteceacutedente (Der Satz vom Grund ist der Gurndsatz aller Gurndsaumltze) il nous sera permis drsquoaffirmer que le PRS est le fondement de tous les principes sans qursquoil soit neacutecessaire de le deacutemontrer et de lrsquoeacutenoncer de maniegravere axiomatique Ainsi ce principe fonde selon cette formulation le principe drsquoidentiteacute ce qui est absurde du point de vue logique mais pertinent du point de vue heideggerien Agrave vrai dire une telle ideacutee nous est proposeacutee quelques lignes plus loin ldquoLe principe drsquoidentiteacute pourrait donc ecirctre fondeacute sur le principe de raison suffisanterdquo31 Posons donc les deux cas drsquointerpreacutetation de la compreacutehension heideggeacuterienne du principe de raison Primo en recherchant lrsquoessence du PRS Heidegger la trouve dans le terme Grundsatz pour lrsquoidentifier avec le principe de principes Secundo le PRS ainsi deacutefini

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(en employant le Grundsatz comme le ldquodeacutefinissantrdquo) il est pertinent pour Heidegger de le deacuteclarer comme principe qui fonde mecircme le principe drsquoidentiteacute et ce dernier appartienne donc agrave lrsquoensemble des principes Cependant la deacutenomination du PRS chez Leibniz comme principium nobilissimum ne signifie pas qursquoil srsquoagisse du principe des principes Chez Leibniz le premier des principes crsquoest bien le principe drsquoidentiteacute Les deux cas de figure du PRS chez Heidegger mis en relation avec la theacuteorie de Leibniz sont donc contradictoires Le bon sens perd ici toute sa puissance au profit drsquoune finaliteacute drsquointerpreacutetation subjective Parle-t-on encore du PRS Ou bien subit-il une transformation une transmutation non seulement langagiegravere mais eacutegalement seacutemantique fonctionnelle et systeacutemique Agrave mon avis ce qui inteacuteresse Heidegger ce nrsquoest plus le PRS drsquoorigine mais son expression allemande ancreacutee par le terme de Grund lui-mecircme selon la traduction heideggerienne du terme latin de ratio Ainsi le PRS se change en un principe complegravetement diffeacuterent agrave savoir en un Satz vom Grund En se servant du Grundsatz comme eacuteleacutement de deacutefinition on deacutenote alors soit un principe soit une proposition sur le fondement Et crsquoest bien ce dernier sens que Heidegger adopte et retient jusqursquoagrave la fin de son cours afin drsquoidentifier le fondement le Grund agrave la profondeur abyssale de lrsquoEcirctre Il est possible de retracer le PRS 1) La premiegravere des deux interpreacutetations ne partira plus de la deacutenomination allemande du PRS comme Satz vom Grund Heidegger lrsquoaura trouveacutee dans un court traiteacute de Leibniz intituleacute Specimen inventorum de admirandis naturae Generalis arcanis dateacute de 1688 ldquoDans un traiteacute (Specimen inventorumhellip) Leibniz eacutecrit ldquoDuo sunt prima principia omnium ratiocinationum Principium nempe contradictionishellipet principium reddendae rationisrdquo32 Heidegger ne cite cependant pas la proposition inteacutegrale de Leibniz qui est la suivante

Itaque duo sunt principia prima omnium ratiocinatioum Principium nempe contradictionis quod scilicet omnis propositio identica vera et contradictoria ejus falsa est et principium reddendae rationis quod scilicet omnis propositio vera quae per se nota non est probationem recipit a priori sive quod omnis veritatis reddi ratio potest vel ut vulgo ajunt quod nihil fit sine causa33

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Les reacuteflexions de Heidegger seront donc focaliseacutees sur le reddendum Rendre raison pour Heidegger veut dire principalement fonder (Begruumlnden) Fonder crsquoest un proceacutedeacute qui aboutit agrave lrsquoessence Le raisonnement crsquoest la re-preacutesentation (Vorstellen) de lrsquoob-jet (Gegen-stand) Du point de vue du sujet repreacutesentant lrsquoessence de lrsquoobjet est bien son objectiviteacute Fonder en raison (Begruumlndung) crsquoest saisir un objet dans son objectiviteacute et le repreacutesenter dans le proceacutedeacute de la repreacutesentation humaine Autrement dit saisir lrsquoobjet (ce qui gicirct devant ndash Gegenstand) veut dire le saisir dans son objectiviteacute Le reddendum du ratio devient ainsi lrsquoobjectiviteacute (Grund) de lrsquoobjet Lrsquoessence de lrsquoobjet (das Wesen) son objectiviteacute constitue sa nature Pour accentuer cette interpreacutetation de la fonction du reddendum en passant par la ratio et en disant finalement que la ratio (Grund) est lrsquoobjectiviteacute de lrsquoobjet donc sa nature Heidegger aura indiqueacute la premiegravere des 24 thegraveses meacutetaphysiques de Leibniz ldquoRatio est in Natura cur aliquid potuis existat quam nihilrdquo34

2) La deuxiegraveme maniegravere drsquointerpreacuteter le PRS ne srsquoeffectue pas dans le cadre de la deacutenomination du PRS comme principium reddendae rationis mais deacutejagrave au sein de son eacutenonciation ldquoNihil est sine rationerdquo Ce que Heidegger propose ici nrsquoest pas un simple jeu de mots un exercice de style Lrsquoeacutenonciation cacheacutee doit ecirctre deacutevoileacutee Posons-nous drsquoabord une question de premiegravere importance A quoi donc sert-il de reacutealiser un tel deacutetournement de sens Que produira-t-il De toute maniegravere elle ne srsquoavegravere neacutecessaire que lorsqursquoon affirme que cette proposition (agrave savoir le nihil est sine ratione) contient en elle-mecircme ce que lrsquoon nrsquoest pas en mesure de deacutevoiler par la forme qursquoelle revecirct Car ldquoEntendu comme il lrsquoest drsquoordinaire le principe de raison nrsquoeacutenonce rien sur la raison mais sur lrsquoeacutetant comme telrdquo35 Force est de constater que cette premiegravere constatation propheacutetique est obscure Le principe de raison nrsquoest pourtant pas un principe auto-reacutefeacuterent Il nous dit tout simplement que rien nrsquoest sans raison Pour Heidegger le principe ne dit rien de plus Rien de plus puisque lrsquoldquoeacutetantrdquo qursquoeacutenonce ce principe sous cette forme nrsquoest drsquoaucun inteacuterecirct Heidegger ne srsquointeacuteresse drsquoailleurs pas agrave lrsquoeacutetant dont nous parle ce principe Crsquoest bien la raison sur laquelle il aura fixeacute son interpreacutetation Afin de pouvoir ldquolirerdquo dans la ldquoraisonrdquo un 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 34 Heidegger 1997 GA 10 p 40 Cf GP VII p 289 35 Heidegger 2008 p 118

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message cacheacute il est indispensable de mettre lrsquoaccent sur certains de ses eacuteleacutements drsquoeacutenonciation Et cette accentuation Heidegger la considegravere comme deacuteterminante36 pour la compreacutehension du principe Il srsquoagit drsquoun cas de figure dans lequel on met lrsquoaccent sur une paire de notions agrave partir de laquelle la proposition nihil est sine ratione est formeacutee agrave savoir ldquoESTrdquo et ldquoRATIONErdquo La forme graphique une fois lrsquoemphase souligneacute est donc la suivante Nihil est sine ratione37 Que srsquoest-il donc passeacute Que change cette accentuation Quelle est sa porteacutee Ces trois questions sont drsquoimportance capitale pour Heidegger mais nullement pour Leibniz Ici on est loin des preacutemisses des intentions de la fonction de lrsquoorigine du principium nobilissimum chez Leibniz On se trouve plutocirct sur un territoire qui ressemble de plus en plus agrave un oracle (peut-ecirctre celui de Delphes dont le maicirctre ne dit rien ne cache rien mais donne une signification) La parenteacute des deux constituants sur lesquels Heidegger met lrsquoaccent dans la proposition nihil est sine ratione est ce qui doit nous frapper agrave premiegravere vue Que signifie cette tournure propheacutetique Elle renvoie au caractegravere fondateur de la ratio vis-agrave-vis de lrsquoeacutetant Cependant une telle interpreacutetation deacutepend strictement de la compreacutehension de la ratio Pour Heidegger crsquoest plus quune raison (Vernunft) mais bien une ldquoraison du fondementrdquo en somme ce qui exprime le mieux le mot allemand de Grund La puissance fondatrice du Grund crsquoest cette meacutetaphore par laquelle le principe de raison doit se comprendre selon la deuxiegraveme maniegravere de lrsquointerpreacuteter Le ratio devenu Grund na de puissance fondatrice par rapport agrave lrsquoeacutetant en geacuteneacuteral que lorsqursquoil est conccedilu comme Seyn Les diffeacuterentes figures que le ratio revecirct dans lrsquohistoire de lrsquoEcirctre ce sont notamment lrsquoἰδέα de Platon et le λόγος drsquoHeacuteraclite

Notre questionnement doit toutefois srsquoarrecircter ici Le PRS ayant subi les deux transformations sous forme de deux interpreacutetations on constate qursquoil est complegravetement deacutepourvu de sa fonction et de sa puissance drsquoorigine Le PRS ainsi deacuteconstruit na servi au prophegravete de Maumlsskirch qursquoagrave la reacuteaffirmation de la pertinence de la penseacutee de lrsquoEcirctre sans lrsquoeacutetant Une telle interpreacutetation forceacutee nrsquoest pas unique chez Heidegger qui agrave la suite de la Kehre marche sur les chemins de bois qui aboutissent agrave lrsquoobscuriteacute du Seyn qui se traduit chez 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 36 Ibidem p 122 37 Ibidem

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Heacuteraclite par κρύπτεσθαι φίλει Die Wege nicht die Werke Les chemins et non les œuvres Voici la devise primordiale de la penseacutee tardive du philosophe Mais ces chemins obscurs ne sont paveacutes ni de principes ni du respect pour lrsquoorigine des concepts examineacutes Agrave mon avis ces chemins partent de Heidegger mais lui reviennent uniquement

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Leibniz G W Theoria motus abstracti in G W Leibniz Die philosophische Schriften 4 Hrsg von C I Gerhardt Hildesheim Georg Olms Verlag 1978

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Matteacutei J-F Le chiasme heideggeacuterien in D Janicaud J-F Matteacutei (eds) La meacutetaphysique agrave la limite Paris PUF 1983

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SECTION 3

LE STATUT DES EacuteSPRITS ET LrsquoORDRE DE LA GRAcircCE

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STEFANO DI BELLA

NATURALIZING GRACE LEIBNIZrsquoS RESHAPING OF THE TWO KINGDOMS OF NATURE

AND GRACE BETWEEN MALEBRANCHE AND KANT

1 Introduction

The heading of Leibnizrsquos Principles of Nature and Grace Based on Reason (from now on PNG) presents a conceptual dichotomy ndash that of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo ndash lying at the very heart of the religious and intellectual struggles of the seventeenth century At the turn of the new century however when the PNG are written (1714) the big theological controversies begin to fade away in the European culture while many theological concepts take the way of secularization Romano Guardini indicated as a peculiar trait of the modern age the transvaluation of what was originally Christian ndash ie the gift both supernatural and historical of a certain religious experience ndash into a structural feature of the universal human nature something able to be detected in principle by the pure light of natural reason1 From this point of view the development of the meaning of ldquogracerdquo in Leibnizrsquos late writings could well assume a paradigmatic value

Speaking about the ldquoprinciplesrdquo of nature and grace however as if they were two complemetary ldquosystemsrdquo is not a Leibnizian invention but reminds us of a close antecedent Malebranchersquos Treatise on Nature and Grace Hence it is worth taking our first step from this work of thirty years before

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1 The Malebranchian Model

11 General Laws A Common Pattern for both Nature and Grace

Malebranchersquos Traiteacute de la nature et de la gracircce2 presents a rationalistically-minded theodicy majestic as much as disconcerting which provoked Antoine Arnauldrsquos harsh reaction thus triggering an epoch-making controversy between the two post-Cartesian thinkers

What is most peculiar of Malebranche is his parallel treatment of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo as two lawlike systems God ndash the only true causal agent in both fields ndash acts in them according to different sets of laws Though being different however these rules present a fundamental homogeneity in their formal structure

Since it is the same God who is the author of the order of grace and of that of nature it is necessary that these two orders be in agreement with respect to everything that they contain which marks the wisdom and the power of their author Thus since God is a general cause whose wisdom has no limits it is necessary for the reasons which I stated before that in the order of grace as well as in that of nature he acts as a general cause and that having as his end his glory in the construction of his Church he establish the simplest and the most general laws which have by their effect the greatest amount of wisdom and fruitfulness3

The fundamental character of generality belonging to the laws ndash a property that can be further specified in terms of universality constancy simplicity ndash is for Malebranche a capital mark of value and the key of his solution of the theodicean problems God does never act on the ground of any particular wills because His wisdom obliges Him to conform to general rules But then all particular unwelcomed effects should be seen as the unavoidable by-products of the unfolding of the causal chains according to those general laws

Now this type of explanationjustification is applied by Malebranche not only to the evils caused by the course of nature (monsters accidents natural disasters) but is also extended to the arduous and intensively disputed questions raised by the distribution of divine graces

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12 The Domains of Grace

But what are exactly for Malebranche the domains of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo respectively ldquoNaturerdquo is far from being identified solely with the physical world The laws of nature indeed should be further specified in three sets of rules governing respectively (a) the (mechanical) interactions among bodies (b) the series of thoughts and feelings in our souls (c) the reciprocal (indirect) determination between events belonging to (a) and (b)

The world of ldquoGracerdquo instead is ndash according to the traditional theological sense ndash the field of Godrsquos super-natural actions which are the proper source of human salvation more precisely graces in the proper and strict sense are ldquograces of feelingrdquo that is to say divine modifications of our feelings (sentiments) Traditionally this was the field of Godrsquos totally free particular acts of will over and above any ldquolawrdquo by which God Himself could have somehow vinculated His power and will accordig to the ordinary course of nature Malebranchersquos audacious idea was instead as I anticipated to apply the same causal-nomological model even to the distribution of graces

In the natural world as is well known the movements of bodies and the modifications and volitions of minds play the role of occasional causes for the exercise of (divine) real casuality according to its general laws In the distribution of graces no such natural event can play this role The source of the particular specifications in the distribution of the divine grace ndash hence what plays here the role of occasional cause ndash should be looked for instead in the particular acts of will of Christ These acts in their turn are bound to the conditions and constraints of his human nature Thus the limits of Christ as a human being and their interplay with the variety of circumstances together with Godrsquos maintenance of the general rule governing the distribution of His grace explain the particularization of the effects of the general rule and the only apparent randomness or injustice in the distribution of graces themselves

The fields of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo however cannot be sharply separated for Malebranche There are other graces indeed that have as their outcome the enlightement of our understanding now these ldquograces of lightrdquo (to be distnguished from those of ldquofeelingrdquo the

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properly super-natural ones) are included within the order of nature they are also dispensed by God (remember that for Malebranche every effect natural as it may be is brought about directly by God) but by God as our creator not as our Redeemer

All these kinds of grace ndash if one wants to leave them that name ndash being the graces of the Creator the general laws of these graces are the general laws of nature For one must take note that sin has not destroyed nature although it has corrupted it The general laws of the communication of motion are always the same and those of the union of the soul and the body are not changedhellip4

Accordingly our mental movements of attention will be the relevant ndash and natural ndash occasional causes which determine the enlightement of our mind

More generally many other natural causes (eg also physical ones such as physical accidents or fortuitous personal encounters) can determine our attitude towards God and salvation Thus we can adopt an even wider sense of grace considering ldquogracerdquo every event which ndash while always obeying the general rules of nature at the different levels of creation ndash does have some relevant positive impact on our salvation and eternal destiny5

Observe that in the Malebranchian framework the laws connect also events situated at different levels of being (eg physical and mental events) so that the different (quasi-) casual chains ruled by their respective different laws cross each other and interfere in many complex ways Malebranche is prepared to accept and even to emphasize this concurrence of a multiplicity of (quasi-) causal factors which taken together determine the patterns of grace6 This is his

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peculiar way to interpret the union of nature and grace ndash a traditional tenet of Catholic doctrine in contrast with the sharp opposition of the two principles in the theology of the Reformation

13 The Supreme Order and the Nature Grace Relationship

The complexity of interrelations among different lawlike patterns raises the question about the resulting global plan of the world Does God simply ratify the outcome of this immensely complex intercrossing of different sets of general laws on one hand and particular circumstances on the other Are generality and simplicity the only supreme rules He wants to follow Or do other criteria intervene to better harmonize the composition of the different lawlike chains

Malebranche introduces the notion of ldquoOrderrdquo to indicate the supreme rule governing divine wisdom and action7 This ldquoOrderrdquo reflects a hierarchical scale of values which should guide the attitude of a rational agent with respect to all possible choices and all different beings According to this objective hierarchy for instance the life and happiness of a human being should be taken as more valuable than those of a non-rational animal As a consequence this type of criterion seems to determine a moral obligation to put the perfection and happiness of human beings above every other value ndash hence to subordinate all other laws to the salvific order of grace though maintaining also as far as possible the formal constraints of

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simplicitygenerality The way of balancing these different criteria and requirements and their possible mutual tension have been the object of intensive discussion in Malebranchersquos scholarship

In any event we are faced with an implicit shift in the way of conceiving the order governing divine action and more specifically grace itself The idea of one general or global will of God is maintained But now its content no longer appears as a purely formal rule but rather as a specific system of ends according to which all actions and rules are evaluated

From this perspective a hierarchical finalistic relationship between the different ldquokingdomsrdquo can be envisaged Malebranche in fact goes as far as to suggest that the divine decision to create bodies ndash and with them the whole order of physical nature ndash is finalized to the ends of the order of grace understood in this axiological way in Malebranchersquos words to the building of the ldquoeternal Churchrdquo in all its variety

To justify the persisting disharmonies between this notion of order as (moral) perfection and the order of nature Malebranche can appeal to the theological doctrine of original sin by which nature has been somehow corrupted whereas the originary plan of creation envisaged a systematic subordination of the order of nature to that of grace

Here one must take note that the essential rule of the will of God is order and that if man (for example) had not sinned hellip then order not permitting that he be punished the natural laws of the communication of motion would never been able to make him unhappy for the law of order which wills that the just person suffer nothing despite himself being essential to God the arbitrary law of the communication of motion must necessarily be subjected to it 8

After manrsquos sin this perfect subordination of the working of the general laws to the supreme law of (moral) order has been lost Malebranche however considers also the possibility that even in the present state of our world God alters in a miracuolus way the actual order of nature in order to better harmonize it with the superior ends dictated by the supreme order

There are still some rare occasions on which these general laws of motion ought to cease to produce their effect But it is not the case that God changes his laws or

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corrects himself it is because of the order of grace which that of nature must serve that miracles happen in certain circumstances9

Admittedly these occasions are ldquorarerdquo It is interesting to see how Malebranche even in later works tends to provide some explanation of many miracles (e g of several miracles of the Old Testament) in terms of general laws if not properly in a naturalistic way What is especially relevant for us here is the fact that in putting forward this type of explanation he gives an illustration of the way in which nature while not changing any of its laws can serve the higher ends of God according to the highest order (and even to the distribution of His grace in the strict sense)

2 The Leibnizian Model

21 From the Treatise to the Discourse the Redeemer and the King

Leibnizrsquos systematic usage of the naturegrace pair is clearly inspired by the Malebranchian model Not accidentally it appears in the Discourse of metaphysics a text whose themes are clearly presented and organized with an eye to the most recent developments of Cartesian philosophy in particular to Malebranchersquos ideas and his discussion with Antoine Anauld (the latter being after all the designed addressee of the draft of the Discourse itself) Now the Treatise on nature and grace was then one of the last important texts published by Malebranche moreover the philosophical-theological views expressed there were the deepest and truest motivations of Arnauldrsquos polemical attack launched against Malebranche For his own part Leibniz was very sensitive to the Malebranchian approach to the theodicean issues its leading ideas ndash such as the criteria of generality or the working out of a notion of order ndash and the problems they raised10

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When passing from Malebranchersquos Treatise to Leibnizrsquos writings however we are faced with some shift in the usage of the term ldquogracerdquo and the definition of the related domain To be sure Leibniz also is intensively concerned in the Discourse as in many other writings with the specific problem of the divine supernatural aids provided on behalf of human salvation and of the logic of their distribution ndash that is to say the proper field of ldquogracerdquo in strictly theological (even in Malebranchian) sense which was then at the centre of the hottest debates between Catholics and Protestants or between Jesuites and Jansenists ndash but when he speaks about the ldquokingdom of gracerdquo in contrast to the ldquokingdom of naturerdquo usually he is not referring exclusively (or even primarily) to this topic

True enough in a text edited by Couturat we find a definition that at first sight seems to overlap Malebranchersquos ldquowiderrdquo definition of grace taken as all which contributes to human salvation

When the Grace is contrasted to the Nature this means to contrast the actions done by God as a King to the actions done as the mere author of things More especially however his actions are meant which are relevant for human salvation11

What is most important Leibniz identifies the scope of ldquogracerdquo in general as a special field of Godrsquos action distinct from His general action as creator This distinction might be applied also to the case of Malebranchersquos ldquoproperrdquo sense of ldquogracerdquo but it is important to observe that this is taken by Leibniz in a quite different way It is Godrsquos role as a ldquoKingrdquo indeed which is connected by hiim to ldquogracerdquo and the kinggrace pair is contrasted to the creatornature one Now telling about God as a ldquokingrdquo amounts to focusing on His role as the ruler of rational creatures

As a matter of fact it is no longer Godrsquos role as the Redeemer which qualifies the field of grace every reference to a specific work of redemption and to Christ ndash absolutely central in Malebranchersquos Treatise ndash tends here to fade away not in the sense of being abolished but of being no longer the central topic being rather absorbed within the general consideration of Godrsquos gobal handling as a moral ruler of the world

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Moreover Godrsquos action as a ldquokingrdquo is not presented as the implementation of a specific lawlike pattern in the distribution of His graces (as is was the case in Malebranchersquos Treatise) but as a different finalistic order which governs a specific sector of creation and through this is superimposed to the subordinated order of ldquonaturerdquo In this sense the Leibnizian rule of ldquogracerdquo might be rather identified with the Malebranchian notion of a global moral ldquoorderrdquo

22 The Domain of Grace or the City of God

The idea of the ldquoKingdom of gracerdquo as opposed to that of ldquonaturerdquo becomes a peculiar Leibnizian tool at least from the Discourse on12 We find it in the New System13 of ten years later and finally in the famous couple of texts of Leibnizrsquos last years the PNG and the Monadology14 The strucural characters and the usage of this conceptual tool remain basically constant during this period (that is to

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say in Leibnizrsquos mature and late thought) I try now to explore a bit closer these characters and this usage

To this aim it is worth focusing on another notion to which the ldquoKingdom of gracerdquo is usually associated by Leibniz I mean the concept (maybe better the image) of the ldquocity of Godrdquo To be true another possible (perhaps more imemdiate) association is with the notion central in the New Testament of ldquoGodrsquos Kingdomrdquo this is the way taken by Leibniz in the last paragraphs of the Discourse15 Also in this text however the image of ldquocityrdquo or ldquorepublicrdquo neatly prevails and in the other texts centered on the naturegrace dichotomy the world of ldquogracerdquo is constantly accompanied by a constellation of kindred political images Thus in paragraph 15 of the PNG one can read

For this reason all spirits whether of men or higher beings enter by virtue of reason and the eternal truths into a kind of society with God and are members of the City of God that is to say the most perfect state formed and governed by the greatest and best of monarchs Here there is no crime without punishment no good action without a proportionate reward and finally as much virtue and happiness as is possible16 Needless to say the natural link between the biblical theme of the ldquoKingdom of Godrdquo and this political imaginery was provided by the great tradition of Augustinersquos ldquocity of Godrdquo The powerful Augustinian notion however is transfigured in Leibnizrsquos rationalistically-minded reading17 where it becomes the label for the ideal society which embraces God and all rational beings on the basis of a commonly shared ldquonatural rightrdquo taken in a strongly univocist way ndash this ldquonatural rightrdquo being nothing but the object of his celebrated ldquouniversal jurisprudencerdquo18 In this context God as the true monarch ndash though being qualified in Discourse sect 35 as ldquoabsoluterdquo ndash still is quite different from a dispotic ruler insofar as He is vinculated by the natural law

To sum up the Leibnizian notion of ldquoKingdom of gracerdquo turns out to be constantly focussing on a) Godrsquos moral attributes such as 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 15 In parallel with the usage of this biblical image the qualification of ldquofatherrdquo is contrasted with that of ldquoarchitectrdquo to express the same dichotomy as king (of the spiritual world) and creator (of the material world) See also the passage from the New System cited note 12 above 16 PNG GP VI 605 L 640 17 For some remarks on this reworking see the chapter devoted to Leibniz in Gilson 1952 18 The classic study on Leibnizrsquos philosophy considered from this viewpoint accompanied by an impressive collection of texts is Grua 1953

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justice and goodness b) the emergence of beings capable of moral responsibility

Leibniz indeed usually invokes that notion while introducing the ontological distinction he is eager to draw between the generality of simple substances or souls on one hand endowed with (different grades of) perception and the subset of rational beings on the other capable of self-knowledge and of grasping necessary truths These characters make of them moral subjects deserving reward or punishment

According to the general law of His ldquokingdomrdquo or ldquocityrdquo on one hand God is bound to procure the happiness of these higher creatures

So dear is this consideration to him that the happy and flourishing state of his empire which consists in the greatest possible felicity of its inhabitants becomes his highest law For happiness is to persons what perfection is to beings And if the highest principle rulig the existence of the physical world is the decree which gives it the greatest perfection possible the highest purpose in the moral world or the city of God which is the noblest part of the universe should be to spread in it the greatest possible happiness19

And then the further precision comes this happiness should be proportional to the virtue of rational creaures20 In Leibnizrsquos view the ldquokingdom of gracerdquo obeys the rule of charity or universal benevolence but it is the ldquocharity of wiserdquo a synonim for justice ndash charity being for Leibniz the highest level of justice itself The ldquoKingdom of gracerdquo indeed viewed under the juridical-political equivalences evoked by Leibniz is indeed a system of justice framed around manrsquos and Godrsquos moral obligations

In this sense this system of grace turns out to be rather far from ndash if not even opposite to ndash the originary theological notion of grace taken as an essentially gratuitous gift what is not surprising given the ldquounivocistrdquo approach of universal jurisprudence i e the subordination of God and man to a common rule

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But this issue invites us to consider more closely the Leibnizian opposition of ldquogracerdquo to ldquonaturerdquo and their mutual relationship

The NatureGrace Distinction ldquoSupernaturalrdquo as ldquoMoralrdquo What about the complementary definition of the scope of ldquonaturerdquo in the Leibnizian naturegrace pair Leibniz usually speaks as if the relevant term to be harmonized with grace were physical nature as such ldquoPhysicalrdquo however does not simply coincide with ldquomechanicalrdquo in the sense of ruled by efficient causes

As we have established above a perfect harmony between two natural kingdoms that of efficient and that of final causes we must also point out here another harmony between the physical kingdom of nature and the moral kingdom of grace that is to say between God considered as architect of the machine of the universe and God considered as monarch of the divine city of spirits21

Leibniz here is accurate in distinguishing the field of ldquogracerdquo from other finalistic aspects of the world the ldquorealm of gracerdquo in fact is far from being simply coextensive with the domain of teleology or of final causes As is well known according to Leibniz teleological considerations play a role even at the level of the world of bodies where they represent a complementary explanation of physical events together with efficient (mechanical) causality When speaking about ldquogracerdquo therefore a further and different finalism is considered insofar as the whole of natural processess already guided by finalism (functionally epistemologically or even esthetically shaped) is now related to a further specifically moral end

No to count that the scope of ldquonaturalrdquo should likely be extended to embrace some psychical processes they also ruled by lawlike patterns what is already implicit in the fact that the distinction line is drawn (differently from what done by the Cartesian Malebranche) between not-rational souls and intelligent minds

Accordingly all this reflects into the new characterization of the ldquoKingdom of gracerdquo that is to say of the sense and scope of ldquosupernaturalrdquo taken as the sphere of ldquomoralrdquo laws (versus ldquophysicalrdquo

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ones be they even teleological or psychological) Thus the preceding paragraph of the Monadology tells us that

This city of God this truly universal monarchy is a moral world within the natural world22

Moroever analogous to the way in which in the PNG Leibniz at a point invokes the need of passing from ldquophysicalrdquo consideration to ldquometaphysicalrdquo ones already in the Discourse he had introduced the topic of the ldquorealm of Godrdquo by the need to join ldquomoralrdquo to metaphysics

But in order to support by natural reasons the view that God will preserve for all time not merely our substance but our person that is to say the memory and knowledge of what we are hellip we must add morals to metaphysicshellip23

Only that type of consideration indeed could establish true immortality by working as a sort of ldquomoral postulaterdquo (to use a bit anachronistically Kantrsquos later jargon) which establishes the immortality (in the proper sense) of rational souls by distinguishing it from the unperishability common to all substances in general I shall consider this closer below24

3 Leibnizrsquos Harmony of Nature and Grace or the Moral Nature of Nature

31 Moral and Natural Order Distinction and Preminence

In Leibnizrsquos framework as we have seen the elements of Malebranchersquos system of nature and grace are profoundly reshaped While in Malebranche the specific laws of grace were structurally homogeneous to those of nature in Leibniz the contrast of God as an ldquoarchitectrdquo and God as a ldquomonarchrdquo tends to reveal and emphasize a

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fundamental dis-homegeneity beween the two types of laws The Leibnizian order of ldquogracerdquo is less reducible to a system of (we could say quasi-Hempelian) causal laws than the occasionalist schema of ldquogeneral lawsrdquo the rules of ldquogracerdquo have an essentially normative character ndash although in the case of divine action what ought to be the case invariably is the case From this point of view there is rather some continuity with the other great Malebranchian theme of (moral) ldquoOrderrdquo at least in its general sense of a set of axiological principles

A precision is required here one should distinguish this objective recovery of the Malebranchian ldquoorderrdquo from the other Leibnizian notion (it also a reworking of a Melbranchian theme) of a supreme all-encompassing order actually realized in the best of possibile worlds Admittedly this also is ultimately determined by axiological considerations of perfection but it already includes their total specification and their balancing with all toher parameters Within this notion the conceptual tensions which emerged In Malebranchersquos view turn out to be somehow nuanced and attenuated insofar as this all-encompassing notion of ldquoorderrdquo already integrates ethical values and epistemological ones (like the simplicityfecundity balance) besides this Leibnizrsquos enlarged concept of law tends to relativize the contrast between general and particular wills

When Leibniz however takes the moral order as synonimous of the order of grace and contrasts it to the order of nature he is considering more analytically the single factors of that all-comprehensive universal order in particular he is considering the ldquomoral orderrdquo in a strict sense as being distinct from other parameters of the divine evaluation and in need to be (problematically) co-ordinated with them In this sense we find again Malebanchersquos problem of the adaptation of the causal-nomological patterns of nature to the moral ends

Although the moral order properly concerns only a subset of the created world however and represents only a part of the criteria which guided its creation still it maintains a priority so that the other ldquosub-ordersrdquo or sets of rules have to be somehow subordinated and finalized to this higher system of ends

More concretely this means that the destiny of rational beings ndash hence their happiness ndash is the absolutely privileged end of the cosmic order Leibniz also sketches in his writings some arguments

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to the effect of showing the necessary connection between the basic general criterion of metaphysical perfection and the specific moral criterion of the happiness of spirits25

Admittedly in certain contexts Leibniz warns us that that preminence is not as absolute so that the moral ends of the order of grace (in other terms Godrsquos ends as the king of spirits) can be at least to a certain extent sacrified to other ends concerning the whole of the cosmic system and the interest of other (non-rational) creatures This point of view is especially developed in some sections of the Theodicy where part of Leibnizrsquos strategy is to criticize Baylersquos objections as too anthropocentric Accordingly Leibniz is ready to emphasize that the adjustement of ldquonaturerdquo and ldquogracerdquo is a reciprocal one moreover he goes on occasionally to admit that moral justice and the happiness of rational creatures ndash or at least of mankind ndash is not always the preminent let alone the unique goal guiding the divine choice

hellipI grant that the happiness of intelligent creatures is the principal part of Godrsquos design for they are most like him but nevertheless I do not see how one can prove that to be his sole aim It is true that the realm of nature must serve the realm of grace but since all is connected in Godrsquos great design we must believe that the realm of grace is also in some way adapted to that of nature so that nature preserves the utmost order and beauty to render the combination of the two the most perfect that can be And there is no reason to suppose that God for the sake of some lessening of moral evil would reverse the whole order of nature Each perfection or imperfection in the creature has its value but there is none that has an infinite value Thus the moral or physical good and evil of rational creatures does not infinitely exceed the good and evil which is simply metaphysical namely that which lies in the perfection of the other creatureshellip

Nevertheless in the texts which typically develop and illustrate the naturegrace polarity the emphasis is always on the preminence of the city of God and of the related moral ends within the wider context of our world Moreover in these contexts the happiness due to the spirits is expressly measured according to moral criteria happiness should be distributed according to virtue and the content of the naturegrace harmony ultimately amounts to this Thus Leibniz in the selfsame Theodicy criticizes Bayle for the opposite ground as before

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One might thence conclude according to him (posthumous Reply to M Jacquelot p 183) ldquothat God created the world only to display his infinite skill in architecture and mechanics whilst his property of goodness and love of virtue took no part in the construction of this great work This God would pride himself only on skill he would prefer to let the whole human kind perish rather than suffer some atoms to go faster or more slowly than general laws requirerdquo M Bayle would not have made this antithesis if he had been informed on the system of general harmony which I assume which states that the realm of efficient causes and that of final causes are parallel to each other that God has no less the quality of the best monarch than that of the greatest architect that matter is so disposed that the laws of motion serve as the best guidance for spirits and that consequently it will prove that he has attained the utmost good possible provided one reckon the metaphysical physical and moral goods togetherhellip27

32 The Finalization of Nature Justice through Nature

It remains to be seen how this harmony is conceived by Leibniz Here one can see how Leibniz ndash while seemingly abandoning Malebrachersquos audacious exportation of the nomological model of natural science into theology and striving at estabilishing by contrast a neat division of fields ndash by this same move comes to formulate in a crystal clear way the same problem already confronted by the Oratorian namely the problem posed to theological and moral thought by the new scientific view of the world

His very general requirement is that the system of nature unfolding according to its own rules at the same time does satisfy the moral requirements The task is especially arduous notice insofar as for Leibniz more than for Malebranche (who admits though in his peculiarly indirect and mediated form an interaction bettween the mental and the physical) the system of natural laws is a perfectly self-closed one

Thus Leibniz is eager to emphasize that no interference is admitted in the sphere of the laws of nature

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And this takes place not by a dislocation of nature as if what God has planned for souls could disturb the laws of bodies but by the very order of natural things itself by virtue of the harmony pre-established from all time between the realms of nature and of grace between God as architect and God as monarch in such a way that nature leads to grace and grace perfects nature by using it28

Consider also that the same beings do belong to both realms insofar as eg human beings are subjected both to the natural laws as embodied souls and to the jurisdiction of the moral law as citizens of the ldquocity of Godrdquo As Leibniz puts it the realm of grace is a ldquomoral world within the natural worldrdquo

Moreover something more than a mere coordination ndash as in the case of the classic explanation of the bodysoul relationship given by pre-established harmony ndash seems to be required because the outcomes of one set of laws must be subordinated to the other one29

But how can this preminence of moral finalism and the corresponding harmony be figured out in a plausible way

A first and straightforward way is to claim that contrary to the appearances the working of nature ndash the ldquoblindrdquo mechanism of the laws of physical motion or the psychological dynamism of appetites often directed towards only seeming goods ndash ultimately ends up promoting the moral ends ro be pursued in particular the correct retribution of human actions

This might seem of course a completely gratuitous assumption Sometimes Leibniz seems to have in mind the idea that moral handling coincides with the correct working of human nature so that virtue is (as Spinoza would say) the reward for itself while vice takes with itself its punishment

It can hellip be said that God as architect satisfies God as lawgiver in everything and that sins must therefore carry their punishment with them by the order of nature and even by virtue of the mechanical structure of things and that noble actions similarly attain their rewards through ways that are mechanical in relation to bodies although this cannot and should not always happen at once30

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This moral outcome of natural processes however is not so evident in a lot of cases Hence the final clause which projects the ldquoharmonyrdquo into a more or less remote future ndash be it the time of an entire human life or a properly eschatological one

Remember how Malebranche invoked the fact of the original sin in order to explain the disconcerting disharmony between the working out of nature and its alleged moral ends Leibniz does not focus his attention on this explanation in this case also his view of the ldquokingdom of gracerdquo differently from that of the French theologian is not essentially connected (while leaving a possible room for it) to what is specific to the story of Christian redemption

The disharmony of the two kingdoms does not only concern the conflict of tendencies within rational agents but also the topic of natural disasters ndash another one attentively considered in Malebranchersquos theodicy Also these phenomena according to Leibniz should be assumed to have a ldquomoralrdquo justification though difficult to see from our very limited perspective

To this kind of consideration seem to point also some rather cryptic allusions concerning the alleged harmony between the story of our planet and the moral story of its inhabitants These allusions can be interpreted in general along a strictly orthodox idea ndash to be found also in Malebranche ndash according to which the original sin corrupted also nature and conversely according to St Paulrsquos dictum (ldquothe whole creation groans with us and shares our birth pangsrdquo) redemption will involve nature itself

More interestingly we are faced with the attempt at suggesting a ldquomoralrdquo account of the most recent discoveries and discussions concerning the story of earth discoveries that could easily appear at odds with the biblical teaching Leibniz in fact is suggesting that the big natural changes in the earthrsquos general conditions harmonize with the moral requirements of Godrsquos global plan

The result of this harmony is that things lead to grace by means of the very ways of nature and that this globe for example must be destroyed and repaired by natural ways at those times which the government of spirits demands for the punishment of some and the rewards of others 31

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Compare this with a passage in Thomas Burnetrsquos Telluris Theoria Sacra (1681) whose author ndash after giving a ldquophysicalrdquo explanation of the universal deluge ndash warns that this does not compromise the biblical interpretation of the deluge as a divine punishment

It is no detraction from divine providence that the course of nature is exact and regular and that even in its greatest Changes and Revolutions it should still conspire and be prepared to answer the Ends and Purposes of the divine Will in reference to the moral world This seems to me to be the great Art of Divine Providence so to adjust the two Worlds human and natural material and intellectual as seeing through the Possibilities and Futuritions of each according to the first States and Circumstances he puts them under they should all along correspond and fit one another and especially in their great Crises and Periods32

Elsewhere Leibniz goes on to illustrate the same idea with some audacious speculations put forward by contemporary Origenists this is the case with the ldquoastronomical theologyrdquo referred to in the Theodicy ldquoSimultaneously (by virtue of the harmonic parallelism of the Realms of Nature and of Grace) this long and great conflagration will have purged the earthrsquos globe of its stainsrdquo33

This grand view of the changes of our world however leaves the possibility of realizing justice still unclear if the persistence of the same moral subject is not granted I am speaking notice of ldquomoral subjectrdquo because the simple persistence (or unperishability) is already metaphysically assured for all simple substances But the order of the ldquocity of Godrdquo with the related retributive justice requires something more that is to say that the same self-conscious being persists endowed with the memory of herhis past actions Accordingly several passages in the texts on the naturegrace harmony insist on the preservation of the same person despite the continuous and radical transformations to which the physical world is subjected (ldquobeyond the revolutions of matterrdquo)34 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 32 Burnet 1689 (transl by J Addison The Sacred Theory of the Earth Hooke London 1719 I 146) 33 Essais de Theacuteodiceacutee sect 18 (transl Huggard) These speculations are connected to Leibnizrsquos interest for the topic of Apokathastasis and his relationship with the heterodox and millenarian theologian Petersen See on this Fichant Introduction and Costa 2014 34 For the idea of being subtracted to the ldquorevolutions of matterrdquo see the Nouveau Systeme (note 13 above) and Mendelson 1995 For the immortality of minds as a key element in the ldquokingdom of gracerdquo see already Discours sect 36 (note 12 above) and the letter to Wagner of June 1710 ldquohellip as soon as [human souls] however are made rational and capable together of being self-conscious of partnership with God I am persuaded that from then on they never lose their personal quality of citiziens of

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As a matter of fact what Leibniz wants to get from his harmony is nothing but that final conciliation of subjective consciousness and divine justice whose need was emphasized also by John Locke and which should have been assured by the doctrine of the Last Judgment together with a final eschatological reconciliation of soul and body of virtue and happiness

It is worth noting however that this eschatological outcome seems to be thought of by Leibniz ndash though in a largely ambiguous and nuanced way ndash in a more intra-mundane way That is to say the reconciliation of nature with the moral ends of the ldquokingdom of gracerdquo both on the global and individual plan is projected into the future but this seems to be a future still belonging to the (admittedly dramatic) development of our (and Godrdquos) unique world35 Conclusions Kant on the Realms of Nature and Grace

In the Critique of Pure Reason Doctrine of Method Kant at a point relies explicitly on Leibnizrsquos legacy by taking again his idea of the realms of nature and grace

Leibniz termed the world when viewed in relation to the rational beings which it contains and the moral relations in which they stand to each other under the government of the Supreme Good the kingdom of Grace and distinguished it from the kingdom of Nature in which these rational beings live under moral laws indeed but expect no other consequences from their actions than such as follow according to the course of nature in the world of sense To view ourselves therefore as in the kingdom of grace in which all happiness awaits us except in so far as we ourselves limit our participation in it by actions which render us unworthy of happiness is a practically necessary idea of reason36

We are not faced indeed with a merely terminological recovery Kantrsquos idea seems to be objectively in staightforward continuity with Leibnizrsquos approach and the conceptual framework expressed by the idea of the Leibnizian ldquoKingdom of gracerdquo is largely taken again by

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him from a transcendental point of view We have on one hand the natural world (embracing both the physical one and that of empirical psychology) ruled by causal laws on the other the laws of morality or of practical reason (binding all rational beings God included like for Malebranche and Leibniz) The realm of grace is properly the idea of the union of the two or of their reconciliation what Kant technically labels by his notion of ldquosupreme goodrdquo Although the way of conceiving the relation of happiness with moral intention is of course different from Leibnizrsquos still the fundamental idea (or problem) formulated by Leibniz is there I mean the requirement of a reconciliation of the scientific and the moral view of world ndash which will be a major theme in the whole classic German philosophy Not only our immortality but Godrsquos eixistence itself are now definitely taken as postulates derived from the assumption of the moral law Interestingly enough in Kantrsquos view this requirement concerning the ldquomoral nature of naturerdquo is ideally conjoined with another element we have found in Malebranche ndash while being in Leibniz though not absent more balanced by other considerations ndash namely the emphasis on the universal character of rules and the extension of this formal character to both realms of nature and moral

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LAURENCE BOUQUIAUX

CONNEXION UNIVERSELLE ET ENVELOPPEMENT DU FUTUR DANS LE PREacuteSENT

Ce texte a pour but de contribuer agrave lrsquoeacutetude de la maniegravere dont srsquoarticulent les dimensions physique psychologique et meacutetaphysique du thegraveme de la connexion universelle et de lrsquoenveloppement du futur dans le preacutesent Je commencerai par examiner selon quelles modaliteacutes le thegraveme de la monade miroir du monde apparaicirct dans les Principes de la nature et de la gracircce (PNG) dans le sect3 et dans le sect 12 ndash je ne prendrai pas en consideacuteration la 3egraveme occurrence sect 14 ougrave il est question de lrsquoesprit comme image de Dieu ndash puis je mrsquointerrogerai sur la relation qui existe entre la thegravese qui affirme que du fait de la connexion universelle la monade perccediloit (confuseacutement) tout ce qui arrive agrave chaque instant dans le monde et celle qui affirme que la monade perccediloit (confuseacutement) toute son histoire le passeacute comme le futur Cela mrsquoamegravenera agrave envisager rapidement la question de lrsquoasymeacutetrie entre passeacute et futur comme proprieacuteteacute temporelle qui nrsquoa pas drsquoeacutequivalent pour lrsquoespace

Au sect 2 des PNG Leibniz affirme que ldquoen elle-mecircme et dans le momentrdquo une monade ne peut ecirctre discerneacutee drsquoune autre que par ses perceptions crsquoest-agrave-dire par ses repreacutesentations de ce qui est au-dehors et par ses appeacutetitions qui sont ldquoses tendances drsquoune perception agrave lrsquoautrerdquo Dans le sect 3 Leibniz preacutecise que crsquoest suivant les affections de son corps qursquoune monade se repreacutesente ce qui est hors drsquoelle et que si chaque monade est un ldquomiroir vivantrdquo de lrsquounivers crsquoest parce que le monde est plein et que ldquochaque corps agit sur chaque autre corps plus ou moins selon la distancerdquo Mon acircme perccediloit lrsquounivers parce que mon corps est affecteacute par chacun des autres corps et cela drsquoautant plus fortement que le corps affectant est proche du mien1 Ce passage semble indiquer que crsquoest parce

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qursquoelles ont un corps que les monades sont en relation avec le reste du monde Crsquoest un thegraveme que lrsquoon trouve en drsquoautres endroits notamment dans un passage des Consideacuterations sur les principes de vie et les natures plastiques ougrave Leibniz eacutecrit que les acircmes deacutetacheacutees de tout corps les creacuteatures ldquofranches ou affranchies de la matiegravererdquo seraient ldquodeacutetacheacutees en mecircme temps de la liaison universelle et comme des deacuteserteurs de lrsquoordre geacuteneacuteralrdquo2 Dans le sect 4 des PNG crsquoest encore agrave partir du corps et de ses perfections que Leibniz explique les perfections de la monade et notamment la meacutemoire si les organes du corps sont suffisamment ldquoajusteacutesrdquo il y aura ldquodu relief et du distingueacuterdquo dans les impressions qursquoils reccediloivent et donc dans les perceptions de la monade qui possegravede ce corps cela peut aller jusqursquoagrave la meacutemoire qui est ldquoune perception [hellip] dont un certain eacutecho demeure longtemps pour se faire entendre dans lrsquooccasionrdquo Les paragraphes suivants deacuteveloppent le thegraveme de la meacutemoire et des perceptions toujours preacutesentes mecircme lorsque lrsquoon ne srsquoen aperccediloit pas dans le sommeil dans lrsquoeacutevanouissement et mecircme dans la mort

Vient ensuite la rupture du sect 7 ldquoJusqursquoici nous nrsquoavons parleacute qursquoen simples physiciens maintenant il faut srsquoeacutelever agrave la meacutetaphysiquerdquo Il nous faut nous demander pourquoi il y a quelque chose plutocirct que rien et pourquoi les choses sont ainsi plutocirct qursquoautrement Jusque-lagrave Leibniz a deacutecrit la suite des choses lrsquoenchaicircnement des mouvements dans les corps lrsquoenchaicircnement des repreacutesentations de ces mouvements crsquoest-agrave-dire des perceptions dans les acircmes Il faut agrave preacutesent srsquoeacutelever passer agrave un niveau supeacuterieur et se demander pourquoi ce sont ces enchaicircnements-lagrave plutocirct que drsquoautres qui sont reacutealiseacutes dans le monde La reacuteponse est dans la sagesse de Dieu et dans le principe du meilleur Dieu a choisi ldquoles lois du mouvement les mieux ajusteacutees et les plus convenables aux raisons abstraites et meacutetaphysiquesrdquo (sect 11) Crsquoest en repartant de principes meacutetaphysiques comme celui de lrsquoeacutequivalence entre la cause pleine et lrsquoeffet entier que lrsquoon peut rendre raison des lois du mouvement et mecircme quelquefois les deacutecouvrir Le sect 12 reprend le thegraveme de la monade ldquomiroir vivant repreacutesentant lrsquouniversrdquo qui apparaissait dans le sect3 mais ce thegraveme est ici introduit non plus agrave partir de la pleacutenitude du monde et de

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lrsquoaffirmation que chaque corps est affecteacute par tous les autres mais comme une conseacutequence de la perfection de Dieu il suit de la perfection divine que ldquochaque monade [hellip] doit avoir ses perceptions et ses appeacutetits les mieux reacutegleacutes qursquoil est compatible avec tout le resterdquo Agrave la question de savoir pourquoi telle monade a telle ou telle perception le deacutebut du texte reacutepond que cela est lieacute agrave la maniegravere dont son corps est affecteacute Agrave la question de savoir pourquoi les chaicircnes causales qui lient les mouvements des corps drsquoune part et celles des perceptions de lrsquoacircme drsquoautre part sont ce qursquoelles sont les sect 10 et 11 reacutepondent que ces lois sont les meilleures possibles3

Une autre diffeacuterence entre ces deux parties du texte me semble significative alors qursquoil nrsquoavait eacuteteacute question dans le deacutebut du texte que de la meacutemoire et du souvenir le sect 13 introduit le thegraveme drsquoune lecture du futur dans le passeacute Le preacutesent est gros de lrsquoavenir le futur se pourrait lire dans le passeacuterdquo Cette possibiliteacute se dit au conditionnel crsquoest seulement si lrsquoon pouvait deacuteplier tous les replis drsquoune acircme ldquoqui ne se deacuteveloppent sensiblement qursquoavec le tempsrdquo que lrsquoon pourrait connaicirctre la beauteacute de lrsquounivers dans cette acircme Et cette condition nrsquoest pour nous jamais reacutealiseacutee4 Seul Dieu peut lire dans les replis drsquoune acircme toute lrsquohistoire de lrsquounivers On pourrait neacuteanmoins soutenir que le sect 13 des PNG pose la question drsquoune hypotheacutetique perception du futur par les acircmes mecircmes parce que Leibniz semble y placer sur le mecircme pied le thegraveme du preacutesent gros de lrsquoavenir et celui de lrsquoexpression de lrsquoeacuteloigneacute dans le prochain dont il avait deacutejagrave eacuteteacute question dans les premiers paragraphes ldquoLe preacutesent est gros de lrsquoavenir le futur se pourrait lire dans le passeacute lrsquoeacuteloigneacute

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est exprimeacute dans le prochainrdquo Il est tentant agrave partir de lagrave de consideacuterer que ce qui vaut pour lrsquoeacuteloignement dans lrsquoespace vaut aussi pour lrsquoeacuteloignement dans le temps et drsquoaffirmer que de mecircme que nous percevons tout ce qui se passe maintenant dans le monde (plus ou moins confuseacutement selon la distance) nous percevons aussi tout ce qui se passera dans le futur plus ou moins confuseacutement selon lrsquoeacuteloignement temporel La suite du sect 13 fournit un argument en faveur de cette hypothegravese Leibniz illustre la thegravese de la connexion universelle agrave partir de lrsquoexemple de la mer

Comme en me promenant sur le rivage de la mer et entendant le grand bruit qursquoelle fait jrsquoentends les bruits particuliers de chaque vague dont le bruit total est composeacute mais sans les discerner nos perceptions confuses sont le reacutesultat des impressions que tout lrsquounivers fait sur nous

Or crsquoest preacuteciseacutement cet exemple que lrsquoon retrouve dans un passage drsquoune piegravece preacuteparatoire aux Nouveaux Essais ougrave il est explicitement question de pressentiments

Car nous nrsquoavons pas seulement une reacuteminiscence de toutes nos penseacutees passeacutees mais encore un pressentiment de toutes nos penseacutees futures Il est vrai que crsquoest confuseacutement et sans les distinguer agrave peu pregraves comme lorsque jrsquoentends le bruit de la mer jrsquoentends celui de toutes les vagues en particulier qui composent le bruit total quoique ce soit sans discerner une vague de lrsquoautrerdquo5

Un autre texte dans lequel il est question de pressentiment est celui des eacutechanges avec Bayle Rappelons briegravevement lrsquoobjet du deacutebat en nous appuyant sur le texte de 1698 (GP IV 517-524) et sur celui de 1702 (GP IV 524-571) Pour montrer agrave quelles absurditeacutes megravene la thegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie Bayle propose lrsquoexemple drsquoun chien en train de manger qui reccediloit un coup de bacircton Selon Leibniz tel que le comprend Bayle lrsquoacircme du chien passe du plaisir agrave la douleur au moment mecircme ougrave on lui donne le coup de bacircton de maniegravere tout agrave fait spontaneacutee sans que ce passage soit causeacute par lrsquoeacuteveacutenement corporel qursquoest le coup de bacircton en sorte que ce changement dans lrsquoacircme du chien devrait encore avoir lieu si le corps du chien nrsquoeacutetait pas frappeacute Bayle juge cela incompreacutehensible Comment lrsquoacircme drsquoun chien pourrait-elle sentir de la douleur immeacutediatement apregraves avoir senti de la joie quand mecircme elle serait seule dans lrsquounivers

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Leibniz reacutepond drsquoabord que lorsqursquoil a dit que lrsquoacircme sentirait tout ce qursquoelle sent maintenant mecircme srsquoil nrsquoy avait qursquoelle et Dieu au monde il nrsquoa fait ldquoqursquoemployer une fiction en supposant ce qui ne saurait arriver naturellementrdquo6 Par nature la loi de lrsquoacircme du chien est de repreacutesenter ce qui se fait dans son corps en sorte que le cas que lrsquoon suppose ne saurait arriver dans lrsquoordre naturel

Dieu pouvait donner agrave chaque substance des pheacutenomegravenes indeacutependants de ceux des autres mais de cette maniegravere il aurait fait pour ainsi dire autant de mondes sans connexion qursquoil y a de substances agrave peu pregraves comme on dit que quand on songe on est dans son monde agrave part et qursquoon entre dans le monde commun quand on srsquoeacuteveille7

On retrouve ici lrsquoideacutee deacutejagrave rencontreacutee dans les Consideacuterations sur les principes de vie et les natures plastiques que des substances sans corps seraient comme des mondes agrave part Dieu aurait pu faire un monde sans corps et il pourrait srsquoil le voulait supprimer brutalement par miracle tout sauf lrsquoacircme du chien sans que la suite des affections et des sentiments de cette acircme soit modifieacutee mais cette fiction est contraire agrave lrsquoordre naturel et ldquoaux desseins de Dieu qui a voulu que lrsquoacircme et les choses hors drsquoelle srsquoaccordassentrdquo8 Lrsquoabsence des corps relegraveve de la fiction meacutetaphysique Si Leibniz a utiliseacute cette fiction crsquoest dit-il ldquopour marquer que les sentiments de lrsquoacircme ne sont qursquoune suite de ce qui est deacutejagrave en ellerdquo 9 car

Crsquoest [] la nature de la substance creacuteeacutee de changer continuellement suivant un certain ordre qui la conduit spontaneacutement [hellip] par tous les eacutetats qui lui arriveront de telle sorte que celui qui voit tout voit dans son eacutetat preacutesent tous ses eacutetats passeacutes et agrave venir10

Agrave Bayle qui voudrait que le passage du plaisir agrave la douleur ait une cause exteacuterieure le coup de bacircton ou le Dieu de Malebranche Leibniz reacutepond que crsquoest lrsquoeacutetat preacuteceacutedent de lrsquoacircme du chien qui est la cause de son eacutetat suivant Et il ajoute que Bayle qui preacutetend ne pas comprendre lrsquoharmonie preacuteeacutetablie devrait reconnaicirctre qursquoil ne comprend pas davantage comment le bacircton influe sur lrsquoacircme ni comment se fait lrsquoopeacuteration miraculeuse par laquelle selon

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Malebranche Dieu accorde continuellement lrsquoacircme et le corps11 Lorsque Bayle objecte que ldquonous savons par expeacuterience que

nous ignorons que nous aurons dans une heure telles ou telles perceptionsrdquo12 Leibniz reacutepond que lrsquoacircme ne connaicirct en effet pas distinctement ce qui va arriver mais qursquoelle le sent confuseacutement et il propose une analogie qui peut eacutevoquer celle de la mer que nous avons trouveacutee dans les PNG

Il y a en chaque substance des traces de tout ce qui lui est arriveacute et de tout ce qui lui arrivera Mais cette multitude infinie de perceptions nous empecircche de les distinguer comme lorsque jrsquoentends un grand bruit confus de tout un peuple je ne distingue point une voix de lrsquoautre [hellip] 13

Il y aurait donc dans les acircmes non seulement des traces de tout ce qui leur est arriveacute mais encore de traces de tout ce qui leur arrivera

[Lrsquoacircme] doit exprimer ce qui se passe et mecircme ce qui se passera dans son corps et en quelque faccedilon dans tous les autres par la connexion ou correspondance de toutes les parties du monde14

Dire que la cause du changement de lrsquoacircme est en elle nrsquoest donc pas faire de cette acircme une substance autiste aveugle et sourde agrave tout ce qui est hors drsquoelle Seul lrsquohypotheacutetique atome drsquoEpicure qui ne repreacutesente rien qui nrsquoexprime rien est totalement isoleacute et crsquoest ce qui fait qursquoil continuera indeacutefiniment le mecircme mouvement rectiligne uniforme comme srsquoil eacutetait seul au monde tant il est ldquostupide et imparfaitrdquo15 Mais cet atome est une pure fiction En reacutealiteacute chaque eacutetat preacutesent drsquoune substance cause de son eacutetat suivant enveloppe le monde et crsquoest pour cela que les changements des substances sont si complexes Si la douleur du chien peut suivre spontaneacutement de son plaisir crsquoest eacutecrit Leibniz parce que

la penseacutee du plaisir paraicirct simple mais elle ne lrsquoest pas et qui en ferait lrsquoanatomie trouverait qursquoelle enveloppe tout ce qui nous environne et par conseacutequent tout ce qui environne lrsquoenvironnant16

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Le plaisir du chien qui mange est mecircleacute de ce qursquoil perccediloit deacutejagrave du coup de bacircton agrave venir17 Les causes qui font agir le bacircton (lrsquohomme posteacute derriegravere le chien qui se preacutepare agrave le frapper pendant qursquoil mange et tout ce qui dans le cours des corps contribue agrave y disposer cet homme) sont aussi repreacutesenteacutees drsquoabord dans lrsquoacircme du chien exactement agrave la veacuteriteacute mais faiblement par des perceptions petites et confuses et sans aperception crsquoest-agrave-dire sans que le chien le remarque parce qursquoaussi le corps du chien nrsquoen est affecteacute qursquoimperceptiblement18 On comprend pourquoi le thegraveme des petites perceptions qui apparaicirct ici peut constituer un argument en faveur de la spontaneacuteiteacute de lrsquoacircme tout est deacutejagrave preacutesent dans lrsquoacircme les perceptions nrsquoont qursquoagrave se deacutevelopper elles nrsquoont pas agrave venir drsquoailleurs

Ce passage des reacuteponses agrave Bayle illustre bien lrsquoideacutee que le preacutesent est gros de lrsquoavenir ndash la formule du sect13 des PNG est eacutegalement preacutesente dans ce texte ndash et que lrsquoacircme perccediloit deacutejagrave confuseacutement tout ce qui arrivera Il est pourtant important de souligner apregraves M Parmentier19 qursquoil ne faut pas conclure de lagrave que nous pouvons comme Dieu lire le futur dans le preacutesent Lrsquoacircme ne perccediloit qursquoau preacutesent20 Elle perccediloit ce qui de lrsquoeacuteveacutenement qui se deacuteveloppera dans le futur srsquoannonce deacutejagrave dans le preacutesent Si nous avons des pressentiments de ce qui arrivera crsquoest parce que la perception qui se deacuteveloppera dans le futur est deacutejagrave preacutesente embryonneacutee confuse encore insensible dans notre eacutetat actuel Nous ne percevons pas agrave proprement parler un eacuteveacutenement futur mais ce qui de ce futur est deacutejagrave preacutesent enveloppeacute replieacute mais appeleacute agrave se deacutevelopper par la suite Comme lrsquoeacutecrit M Parmentier

Lrsquoapplication du principe de continuiteacute agrave lrsquoordre des perceptions fait apparaicirctre les pressentiments et les avant-goucircts moins comme une anticipation du futur que

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comme le commencement drsquoune perception appeleacutee agrave se deacutevelopper ulteacuterieurement sous lrsquoeffet drsquoune loi deacutejagrave bien preacutesente et parfaitement deacutetermineacutee21

Leibniz est en geacuteneacuteral reacuteserveacute devant les pheacutenomegravenes de preacutediction de divination de recircve preacutemonitoire etc mecircme srsquoil ne les exclut pas radicalement Ainsi agrave propos des Protestants ceacutevenols reacutefugieacutes agrave Londres dont on preacutetendait qursquoils propheacutetisaient Leibniz eacutecrit agrave Coste en deacutecembre 1707

Srsquoil eacutetait vrai Monsieur que vos Seacutevennois fussent des prophegravetes cette hypothegravese ne serait point contraire agrave mon hypothegravese de lrsquoHarmonie preacuteeacutetablie et y serait mecircme fort conforme Jrsquoai toujours dit que le preacutesent est gros de lrsquoavenir et qursquoil y a une parfaite liaison entre les choses quelques eacuteloigneacutees qursquoelles soient lrsquoune de lrsquoautre en sorte que celui qui serait assez peacuteneacutetrant pourrait lire lrsquoune dans lrsquoautre Je ne mrsquoopposerais pas mecircme agrave celui qui soutiendrait qursquoil y a des globes dans lrsquounivers ougrave les propheacuteties sont plus ordinaires que dans le nocirctre comme il y aura peut-ecirctre un monde ougrave les chiens auront les nez assez bons pour sentir leur gibier agrave 1000 lieues [hellip] Mais quand il srsquoagit de raisonner sur ce qui se pratique effectivement ici notre jugement preacutesomptif doit ecirctre fondeacute sur la coutume de notre globe ougrave ces sortes de choses propheacutetiques sont bien rares22

On notera que dans ce passage Leibniz rapproche une nouvelle fois la capaciteacute de pressentir un eacuteveacutenement futur de celle de percevoir un eacuteveacutenement distant Mais Leibniz reste prudent Comme le dit M Parmentier la conception leibnizienne ldquone srsquoaccorde pas avec lrsquoeacuteventualiteacute de recircves preacutemonitoires faisant intervenir un eacutecart

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anormalement long entre le deacutebut drsquoune perception et son deacuteveloppementrdquo23 Si je puis connaicirctre des eacuteveacutenements eacuteloigneacutes dans le passeacute crsquoest gracircce agrave un pheacutenomegravene diffeacuterent celui de la meacutemoire qui nrsquoa pas drsquoeacutequivalent pour le futur Il faut distinguer ce que jrsquoatteins gracircce aux petites perceptions dans le passeacute comme dans le futur parce que tout eacuteveacutenement passeacute laisse des traces dans le preacutesent et qursquoil y a deacutejagrave dans le preacutesent des traces du futur et ce que jrsquoatteins gracircce agrave la meacutemoire parce que ce qui a jadis affecteacute mon corps y a laisseacute des marques que je puis si jrsquoy precircte attention apercevoir (alors que quels que soient mes efforts je ne puis prendre conscience de ce qui se passera dans le futur)

Nous eacuteprouvons qursquoil y a une asymeacutetrie dans le temps entre le passeacute et le futur qui nrsquoa pas drsquoanalogue dans lrsquoespace et cela empecircche de comprendre de la mecircme maniegravere la perception du futur et celle de lrsquoeacuteloigneacute malgreacute la proximiteacute de ces thegravemes dans le sect13 des PNG ou dans la lettre agrave Coste Leibniz le dit tout agrave fait nettement dans la lettre agrave Bourguet du 5 aoucirct 1715

[hellip] Il y a cette diffeacuterence entre les instants et les points qursquoun point de lrsquoUnivers nrsquoa point lrsquoavantage de prioriteacute de nature sur lrsquoautre au lieu que lrsquoinstant preacuteceacutedent a toujours lrsquoavantage de prioriteacute non seulement de temps mais encore de nature sur lrsquoinstant preacuteceacutedent24

Il semble que les eacuteveacutenements passeacutes peuvent avoir des effets sur le preacutesent mais que les eacuteveacutenements futurs ne le peuvent pas Ce dernier point nous amegravene agrave envisager une question difficile celle de la maniegravere dont Leibniz introduit une asymeacutetrie entre passeacute et futur entre mon eacutetat passeacute et mon eacutetat futur entre lrsquoeacutetat passeacute du monde et lrsquoeacutetat futur du monde

En premiegravere approximation on pourrait penser qursquoil suffit pour eacutetablir cette asymeacutetrie de prendre en compte lrsquoasymeacutetrie de la relation causale mon eacutetat passeacute est la cause de mon eacutetat preacutesent

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qui est la cause de mon eacutetat futur mais la relation ne peut pas srsquoinverser Il convient neacuteanmoins de preacuteciser cette reacuteponse et de montrer comment on peut la concilier avec lrsquoideacutee que chaque eacutetat drsquoune monade (preacutesent passeacute futur) enveloppe chaque autre eacutetat ou encore comme le dit Leibniz que lrsquoeacutetat preacutesent drsquoune substance enveloppe son eacutetat futur et vice versa25 Le futur enveloppe le preacutesent Comment justifier lrsquoideacutee qursquoil lrsquoenveloppe autrement que le preacutesent ne lrsquoenveloppe

Le deacutebut des Initia rerum mathematicarum metaphysica un texte agrave peu pregraves contemporain des PNG sur lequel srsquoappuient souvent les commentateurs qui deacutefendent la thegravese selon laquelle on trouve chez Leibniz une deacutefinition causale du temps peut nous eacuteclairer Leibniz commence par y deacutefinir la simultaneacuteiteacute on dira que deux eacutetats sont simultaneacutes quand ils nrsquoenveloppent rien drsquoopposeacute Ainsi les eacuteveacutenements de lrsquoanneacutee derniegravere et ceux de cette anneacutee ne sont pas simultaneacutes parce qursquoils enveloppent des eacutetats opposeacutes de la mecircme chose Leibniz introduit ensuite les notions drsquoanteacuterioriteacute et de posteacuterioriteacute si deux eacutetats qui ne sont pas simultaneacutes sont tels que lrsquoun enveloppe la raison de lrsquoautre (unum rationem alterius involvat) on dira que le premier est anteacuterieur (prius) et lrsquoautre posteacuterieur (posterius) Ainsi mon eacutetat anteacuterieur enveloppe la raison de lrsquoexistence de mon eacutetat posteacuterieur (Status meus prior rationem involvit ut posterior existat)26 On pourrait agrave partir de ces deacutefinitions penser qursquoil peut y avoir des couples drsquoeacutetats tels qursquoil nrsquoy ait aucune relation temporelle entre eux ni simultaneacuteiteacute ni anteacuterioriteacute ni posteacuterioriteacute parce qursquoils ne sont pas simultaneacutes et qursquoaucun des deux nrsquoenveloppe la raison de lrsquoautre Crsquoest du reste agrave certains eacutegards ce qursquoaffirmera la relativiteacute drsquoEinstein puisque selon cette theacuteorie deux eacuteveacutenements entre lesquels il nrsquoy a aucune relation causale possible sont tels que leur ordre chronologique nrsquoest pas fixeacute de maniegravere absolue mais deacutepend de lrsquoobservateur Ce nrsquoest bien sucircr pas ainsi que Leibniz voit les choses Pour lui la relation drsquoordre temporel est un ordre total et il lui faut donc passer de la succession des eacutetats drsquoune chose particuliegravere agrave un ordre temporel universel Crsquoest ce qursquoil fait dans la suite du texte en srsquoappuyant sur la connexion universelle 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 25 Lettre agrave de Volder dateacutee du 17 janvier 1706 GP II 282 26 GM VII 18

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Comme mon eacutetat anteacuterieur du fait de la connexion de toutes choses enveloppe (involvit) aussi lrsquoeacutetat anteacuterieur des autres choses mon eacutetat anteacuterieur enveloppe aussi la raison (rationem involvit) de lrsquoeacutetat posteacuterieur des autres choses et est anteacuterieur agrave lrsquoeacutetat des autres choses Pour cette raison tout ce qui existe est par rapport agrave une autre chose existante ou bien simultaneacute ou bien anteacuterieur ou bien posteacuterieur27

Nous avons donc affaire dans ce texte agrave deux relations diffeacuterentes entre eacutetats dont lrsquoune est symeacutetrique (lrsquoeacutetat A enveloppe lrsquoeacutetat B et reacuteciproquement) et lrsquoautre asymeacutetrique (lrsquoeacutetat A enveloppe la raison de lrsquoeacutetat B mais B nrsquoenveloppe pas la raison de A) Dans ce texte la premiegravere relation semble concerner des eacutetats simultaneacutes les eacutetats simultaneacutes de toutes les choses qui existent partout dans le monde et qui sont lieacutes par la connexion universelle28 Cette relation serait donc essentiellement spatiale puisque lrsquoespace est pour Leibniz lrsquoordre des choses qui peuvent coexister La seconde relation serait celle qui permet drsquointroduire lrsquoanteacuterioriteacute et la posteacuterioriteacute et donc la dimension proprement temporelle Reste agrave se demander si lrsquoon peut purement et simplement interpreacuteter cette seconde relation en termes de causaliteacute Dire que A enveloppe la raison de B dans le cas ougrave A est B ne sont pas simultaneacutes est-ce dire que A est cause de B Reste aussi agrave se demander si cette relation de causaliteacute agrave supposer qursquoon puisse la deacutesigner ainsi permet bien drsquointroduire quelque chose qui ressemble agrave lrsquoasymeacutetrie temporelle telle que je lrsquoeacuteprouve

Leibniz ne preacutecise malheureusement pas dans les Initia rerum mathematicarum metaphysica ce qursquoil entend par ldquoenvelopper la raison derdquo Il nous faut donc chercher des indications dans drsquoautres textes On en trouve notamment dans une liste de deacutefinitions qui figure dans un opuscule auquel Leibniz nrsquoa pas donneacute de titre29

[hellip] de deux eacutetats contradictoires drsquoune mecircme chose est anteacuterieur par le temps (prior tempore) celui qui est anteacuterieur par nature (natura prior) crsquoest-agrave-dire celui qui enveloppe la raison de lrsquoautre (qui alterius rationem involvit) ou ce qui revient

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au mecircme celui qui est conccedilu plus facilement30

Envelopper la raison ce serait donc ecirctre natura prior crsquoest-agrave-dire selon ce passage ecirctre compris plus facilement Il y a bien sucircr quelque chose drsquoeacutetonnant agrave consideacuterer qursquoune chose est anteacuterieure temporellement agrave une autre dans la mesure ougrave elle peut ecirctre comprise plus facilement Nous y reviendrons ci-dessous

Drsquoautres indications inteacuteressantes sont fournies par une longue table de deacutefinitions publieacutee par Couturat31 On y trouve les deacutefinitions suivantes lrsquoeacutetat passeacute (praeteritus status) est ce dont naicirct (oritur) le preacutesent et qui est incompatible (inconsistens) avec le preacutesent le futur est lrsquoeacutetat qui naicirct du preacutesent et qui est incompatible avec lui32 Quelques pages plus haut Leibniz avait preacuteciseacute ce qursquoil fallait entendre par ldquonaicirctre drsquoautre choserdquo on dit que quelque chose naicirct de ce qui est son infeacuterent anteacuterieur par nature (inferens natura prius)33 Cela semble bien autoriser agrave comprendre la relation temporelle en termes de relation causale puisque la Causa sufficiens est de son cocircteacute deacutefinie dans ce texte comme inferens natura prius illato34 Le passeacute serait donc une cause suffisante du preacutesent incompatible avec le preacutesent preacutesent qui est lui-mecircme cause suffisante du futur incompatible avec le futur On passerait de la relation ldquoA est cause suffisante de Brdquo agrave la relation ldquoA est temporellement anteacuterieur agrave Brdquo en ajoutant que A est B sont incompatibles Lrsquoordre chronologique supposerait lrsquoordre causal ndash A nrsquoest temporellement anteacuterieur agrave B que si A est cause de B ndash mais lrsquoinverse ne serait pas vrai A peut-ecirctre cause de B sans que A soit anteacuterieur agrave B ndash A et B la cause et lrsquoeffet peuvent ecirctre compatibles crsquoest-agrave-dire simultaneacutes dans plusieurs textes des anneacutees 1680 Leibniz preacutecise mecircme apregraves avoir deacutefini la cause et lrsquoeffet qursquoil ldquonrsquoest pas neacutecessaire que la cause et lrsquoeffet existent ensemble (simul)rdquo35 comme si on devait srsquoattendre agrave ce que ce soit le cas 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 30 Rauzy 1998 p 104 En note (p 120 n88) J-B Rauzy signale que ldquola plupart des fragments deacutefinitionnels reviennent sur cette deacutefinition du temps lrsquoordre selon la nature qui existe entre des incompatiblesrdquo 31 C 437-509 Couturat estime que ce texte doit dater de 1702-1704 32 C 480 33 Ibidem 471 34 Ibidem 35 AVI IV 404 En A VI IV 564 Leibniz souligne qursquoil nrsquoest pas neacutecessaire que cause et effet existent simul mais qursquoil nrsquoest pas non plus neacutecessaire qursquoils nrsquoexistent pas simul

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La deacutefinition du passeacute comme cause suffisante du preacutesent incompatible avec le preacutesent permet-elle de rendre compte de lrsquoasymeacutetrie temporelle Pour reacutepondre agrave cette question il convient de srsquointerroger sur lrsquoasymeacutetrie de la relation causale elle-mecircme Revenons agrave la deacutefinition citeacutee ci-dessus la cause suffisante est inferens natura prius illato Lrsquoasymeacutetrie ne peut pas provenir de la relation drsquoinfeacuterence puisque Leibniz preacutecise que lrsquoeffet peut ecirctre infeacuterent de la cause36 Elle doit donc provenir du natura prius Lrsquoeffet peut ecirctre infeacuterent de sa cause mais il ne peut pas ecirctre natura prius par rapport agrave sa cause Nous pouvons donc reformuler notre question comme suit la relation de prioriteacute selon la nature permet-elle de saisir la notion drsquoanteacuterioriteacute temporelle

Comme je lrsquoai indiqueacute ci-dessus est pour Leibniz natura prius ce qui est plus simple plus facile agrave deacutemontrer Cette deacutefinition qui apparaicirct dans de tregraves nombreux textes deacutefinitionnels des anneacutees 168037 ne semble pas agrave premiegravere vue lieacutee agrave des consideacuterations temporelles Il y a neacuteanmoins un texte ougrave lrsquoon trouve des deacuteveloppements relatifs au natura prius qui supposent de prendre en compte la temporaliteacute le Quid sit natura prius 38 Dans ce texte Leibniz commence par eacutenoncer une difficulteacute que nous avons deacutejagrave formuleacutee comment expliquer ce qui est anteacuterieur par nature si lrsquoon peut dire que lrsquoeacutetat posteacuterieur drsquoune substance enveloppe son eacutetat anteacuterieur et inversement puisque chacun peut ecirctre connu agrave partir de lrsquoautre 39 Si deux eacutetats sont tels que chacun peut ecirctre connu agrave partir de lrsquoautre comment affirmer qursquoil y en a un qui est neacuteanmoins plus simple que lrsquoautre Leibniz reacutepond que la proprieacuteteacute la plus simple est celle qui peut ecirctre deacutecouverte et deacutemontreacutee plus facilement mecircme si

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chaque proprieacuteteacute enveloppe lrsquoautre Ainsi pour reprendre son exemple il arrive que deux proprieacuteteacutes matheacutematiques soient telles que chacune puisse ecirctre deacutemontreacutee agrave partir de lrsquoautre mais que lrsquoune de ces deux deacutemonstrations soit manifestement plus simple que lrsquoautre

Leibniz donne des exemples de cette situation dans ses notes sur lrsquoEthique de Spinoza ougrave lrsquoon trouve un deacuteveloppement assez proche de celui du Quid sit natura prius Il srsquoagit du passage ougrave Leibniz commente la toute premiegravere proposition de lrsquoEthique selon laquelle la substance est natura prior par rapport agrave ses affections Pour deacutemontrer cette proposition Spinoza se contente de renvoyer aux deacutefinitions de la substance et du mode selon lesquelles la substance est en soi et conccedilue par soi tandis que le mode est en autre chose par quoi il est aussi conccedilu Leibniz souligne que cela suppose que lrsquoon deacutefinisse natura prior comme ce qui est compris par autre chose Or cette deacutefinition ferait selon lui problegraveme parce que si ce qui est posterior peut ecirctre compris par ce qui est prior lrsquoinverse peut ecirctre vrai aussi Il conviendrait de reacutetablir une asymeacutetrie Pour le faire Leibniz propose de consideacuterer qursquoest natura prior ce qui est plus simple plus facile agrave deacutemontrer Ainsi 6+4 est natura posterior agrave 6+3+1 qui est plus pregraves de ce qui est premier de tout 1+1+1+hellip+1 Ou encore la proprieacuteteacute que deux angles internes sont eacutegaux agrave lrsquoangle externe est natura prior par rapport agrave lrsquoeacutegaliteacute des trois angles drsquoun triangle agrave deux angles droits (on sait que lrsquoon utilise en effet cette proprieacuteteacute des angles internesexternes pour deacutemontrer lrsquoeacutegaliteacute des angles du triangle agrave deux droits) mecircme si la proprieacuteteacute de lrsquoeacutegaliteacute des angles du triangle agrave deux droits pourrait ecirctre deacutemontreacutee quoique plus difficilement sans la premiegravere40

Dans ces passages Leibniz introduit donc lrsquoasymeacutetrie du natura prius agrave partir de consideacuterations logiques et eacutepisteacutemologiques en srsquoappuyant sur des exemples matheacutematiques On peut se demander dans quelle mesure cela constitue une reacuteponse satisfaisante agrave la difficulteacute qursquoil avait lui-mecircme souleveacutee et qui concernait lrsquoordre temporel entre diffeacuterents eacutetats de lrsquounivers Agrave la fin du Quid sit natura prius Leibniz reacutepegravete que de deux eacutetats contradictoires est prior tempore celui qui est prior natura Il ajoute ensuite le paragraphe

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suivant sur lequel se clocirct le texte

Dans la nature comme dans lrsquoart les ecirctres anteacuterieurs par le temps sont plus simples et les ecirctres posteacuterieurs sont plus parfaits Car la nature est lrsquoart suprecircme Cette proposition est de la plus haute importance et va contre la reacutegression dans le monde ougrave il nrsquoy a pas de borne Il en va du progregraves agrave venir de la feacuteliciteacute comme de la perfection des choses ils gravissent les degreacutes de la perfection le plus directement possible Rien nrsquoest jamais absolument parfait parmi les creacuteatures41

In extremis Leibniz introduit donc une question qui semble eacutetrangegravere agrave ce qui preacutecegravede celle des degreacutes de perfection Ce qui donnerait une flegraveche au temps ce serait finalement cette loi du progregraves selon laquelle A serait anteacuterieur agrave B dans la mesure ougrave A serait moins parfait que B42 Le problegraveme qui subsiste est que lrsquoon ne voit pas bien ce qui autorise Leibniz agrave passer ainsi du ldquoplus facile agrave comprendrerdquo au ldquomoins parfaitrdquo Comment Leibniz peut-il pour reprendre les termes de J-B Rauzy ldquoconclure agrave toute force drsquoune relation logique agrave la structure du progregravesrdquo 43 Cette question nous ramegravene agrave la lettre agrave Bourguet bien posteacuterieure au Quid sit natura prius que nous avons citeacutee ci-dessus n 2444 Leibniz on srsquoen souvient y affirme que lrsquoinstant preacuteceacutedent a toujours une prioriteacute non seulement de temps mais encore de nature sur lrsquoinstant suivant La suite du texte indique que ce agrave quoi pense Leibniz est agrave nouveau une croissance de la perfection Il envisage en effet trois possibiliteacutes (1) celle drsquoune nature qui serait toujours eacutegalement parfaite (2) celle drsquoune nature qui croicirctrait toujours en perfection sans que cela suppose un commencement du monde et enfin (3) celle drsquoune nature qui croicirctrait en perfection depuis un instant initial Il ajoute qursquoil ldquone voit pas encore le moyen de faire voir deacutemonstrativement ce qursquoon doit choisir par la pure raisonrdquo45 mais preacutecise

[hellip] quoique suivant lrsquohypothegravese de lrsquoaccroissement lrsquoeacutetat du monde ne pourrait jamais ecirctre parfait absolument eacutetant pris dans quelque instant que ce soit neacuteanmoins toute la suite actuelle ne laisserait pas drsquoecirctre la plus parfaite de toutes les

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suites possibles par la raison que Dieu choisit toujours le meilleur possible46

Il semble que crsquoest lrsquohypothegravese drsquoune perfection croissante que retient Leibniz et que crsquoest agrave partir de cette hypothegravese que nous pouvons selon lui penser lrsquoanteacuterioriteacute temporelle

Que conclure de tout cela En quoi les reacutesultats de notre enquecircte peuvent-ils eacuteclairer lrsquoopposition indiqueacutee ou deacutebut de ce texte entre la perception que jrsquoai de ce qui se passe dans le monde et la lecture que Dieu fait de lrsquohistoire du monde dans mon acircme Peut-ecirctre en ceci que la distinction que nous avons eacuteteacute ameneacutes agrave faire entre drsquoune part les relations logico-matheacutematiques drsquoenveloppement ou de prioriteacute selon la nature et drsquoautre part les relations temporelles que deviennent les preacuteceacutedentes lorsqursquoelles ldquoaccegravedent agrave lrsquoexistence ou agrave la perceptionrdquo47 nrsquoest pas totalement eacutetrangegravere agrave lrsquoopposition entre drsquoune part la connaissance que Dieu a de toute eacuteterniteacute de toutes les relations drsquoenveloppement et drsquoexpression entre tous les eacutetats des monades passeacutes preacutesents et futurs et drsquoautre part la perception que chaque acircme a du monde perception riveacutee au preacutesent qui seul existe dans un temps qui srsquoeacutecoule ougrave les eacuteveacutenements preacutesents srsquoenfoncent dans le passeacute tandis que les eacuteveacutenements futurs naissent perpeacutetuellement du preacutesent48

BIBLIOGRAPHIE Futch M J Leibnizrsquos Metaphysics of Time and Space Boston Springer 2008 Leibniz G W Opuscules philosophiques choisis tr fr Schrecker Paris Vrin 1978 Leibniz G W Recherches geacuteneacuterales sur lrsquoanalyse des notions et des veacuteriteacutes 24

Thegraveses meacutetaphysiques et autres textes logiques et meacutetaphysiques eacuted J-B Rauzy Paris Puf 1998

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Parmentier M Leibniz et la perception du futur ldquoRevue de meacutetaphysique et de moralerdquo 70 2011 (2) pp 221-233

Rauzy J-B Quid sit natura prius La conception leibnizienne de lrsquoordre ldquoRevue de Meacutetaphysique et de Moralerdquo 100 1995 (1)

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MARTINE DE GAUDEMAR

APREgraveS LE ldquoTOURNANT MONADOLOGIQUErdquo UNE REDEacuteFINITION DES ESPRITS

En poursuivant dans les Principes de la Nature et de la Gracircce une reacuteflexion meneacutee en 2014 au colloque de Grenade sur la Monadologie on part du mecircme souci Alors qursquoun travail tregraves important et deacutecisif a eacuteteacute accompli par les chercheurs leibniziens qui a renouveleacute lrsquoapproche du vivant et de lrsquoorganisme chez Leibniz (en relation avec les nouveaux concepts de ldquomonaderdquo et de ldquomachine de la naturerdquo1) et conduit agrave une lecture reacutealiste ndash ou deacutepassant lrsquoopposition reacutealismeideacutealisme ndash de la meacutetaphysique monadologique quelques lignes agrave peine ont eacuteteacute consacreacutees aux reacutepercussions de ces avanceacutees sur la philosophie morale2 et en particulier sur la conception leibnizienne des esprits Or la question se pose de savoir ce que deviennent les esprits dans le nouveau contexte relationnel produit par lrsquoapproche monadologique srsquoil est vrai que les esprits ne peuvent pas faire exception agrave lrsquoordre geacuteneacuteral3

A rentrer dans la perspective geacuteneacuterale deacutefinie par la condition organique de toute acircme dans ce monde qui leur donne leurs conditions mateacuterielles drsquoexpression et de co-existence les esprits ne risquent-ils pas de perdre leurs privilegraveges La reacuteponse concernant la ldquopreacutecellencerdquo des esprits ou ce que la Monadologie appelle leurs ldquopreacuterogativesrdquo est deacutecisive quant agrave la possibiliteacute de concilier lrsquounification ontologique opeacutereacutee par Leibniz agrave travers le concept de monade et la viseacutee theacuteologique et morale de la creacuteation maintenue agrave la fin de la Monadologie et souligneacutee fortement dans les articles terminaux des Principes de la Nature et de la Gracircce

Il faudra aussi reacutepondre agrave une infeacuterence inexacte ou partielle selon laquelle une sorte de naturalisation des creacuteatures agrave travers le 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 1 Pour meacutemoire les travaux de Franccedilois Duchesneau Michel Fichant Daniel Garber Ohad Nachtomy Enrico Pasini Pauline Phemister Anne-Lise Rey Jeanne Roland Justin Smith etc 2 Citons pour les rares remarques consacreacutees au versant moral de la question monadologique les travaux de Pauline Phemister Jeanne Roland Ohad Nachtomy 3 Leibniz Consideacuterations sur les principes de vie GP VI p 546 ldquoLes creacuteatures franches ou affranchies de la matiegravere seraient deacutetacheacutees en mecircme temps de la liaison universelle et comme des deacuteserteurs de lrsquoordre geacuteneacuteralrdquo

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concept de monade pourrait amoindrir le statut des esprits Cette naturalisation pourrait aller jusqursquoagrave les priver de tout ldquostatutrdquo si elle supprimait leur existence juridico-morale au profit drsquoune simple ldquovierdquo de lrsquoesprit dont les becirctes offriraient une image embryonnaire Pour eacuteviter le risque inheacuterent agrave cette lecture on soulignera que les theacutematiques de la nature sont parfaitement compatibles avec la finaliteacute morale de la creacuteation ougrave les esprits ont un rocircle essentiel finaliteacute qui srsquoexpose dans les articles terminaux des deux exposeacutes monadologiques On en prendra drsquoabord pour preuve le texte de Leibniz sur ldquoPascal et la Monaderdquo

Que nrsquoaurait-il pas dit avec cette force drsquoeacuteloquence qursquoil posseacutedait srsquoil avait su que toute la matiegravere est organique partout et que la moindre portion contient par lrsquoinfiniteacute actuelle de ses parties drsquoune infiniteacute de faccedilons un miroir vivant exprimant tout lrsquounivers infini 4

Un simple commentaire du titre du texte Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison pourrait drsquoailleurs y suffire Nous y lisons le passage du regravegne de la Nature qui concerne toutes les monades agrave celui de la Gracircce concernant uniquement les Esprits agrave travers des principes fondeacutes en raison (que seuls des esprits sont en mesure de formuler de par leur accegraves aux veacuteriteacutes eacuteternelles sous la forme meacutediatrice de ldquoprincipesrdquo)

On cherchera ici agrave le montrer en suivant drsquoabord (I) le mouvement mecircme du texte des PNG qui passe sans rupture de la Nature agrave la Gracircce On reprendra ensuite (II) la reacuteflexion amorceacutee lors du congregraves de Grenade sur lrsquoabsence probleacutematique des notions morales caracteacuteristiques des esprits notions qui eacutetaient preacutesentes dans de nombreux textes preacuteceacutedents voire contemporains des exposeacutes monadologiques On avait commenceacute agrave pratiquer cet examen agrave partir du texte de la Monadologie Il faut agrave preacutesent se demander si lrsquohypothegravese formuleacutee agrave Grenade agrave propos des silences

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ou absences dans la Monadologie est valable eacutegalement pour les Principes de la Nature et de la Gracircce

1 Le mouvement du texte

11 Les six premiers articles

On commencera lrsquoexamen des six premiers articles par une remarque terminologique

a) Le terme drsquoesprit est eacutequivoque car il se dit en plusieurs sens

La seacuterie de ses divers sens se deacuteploie entre deux pocircles drsquoun cocircteacute une entiteacute immateacuterielle dont lrsquoactiviteacute est purement mentale de lrsquoautre un ensemble drsquoecirctres intelligents appeleacutes communeacutement des ldquopersonnesrdquo En cherchant le terme dans les traductions ameacutericaines des textes de Leibniz on trouve drsquoailleurs plusieurs expressions qui ne sont pas superposables La plupart du temps ldquoespritrdquo est traduit par ldquomindrdquo ce qui fait eacutecho agrave la ldquomensrdquo carteacutesienne (mens sive ratio sive intellectus) ou agrave lrsquoacircme intelligente leibnizienne Sans ecirctre erroneacutee cette traduction drsquoesprit par ldquomindrdquo court le risque drsquoaccreacutediter la thegravese des acircmes seacutepareacutees dont on sait qursquoelle est interdite par la meacutetaphysique monadologique Si on peut admettre que la monade est bien ldquomind-likerdquo crsquoest au sens leibnizien ougrave une mens est solidaire drsquoune ldquomachine de la naturerdquo bien deacutetermineacutee et ne peut exercer son activiteacute sans son corps organique Le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce est particuliegraverement insistant sur ce qursquoon appellerait aujourdrsquohui lrsquoldquoembodimentrdquo pour des acircmes qui ne sont jamais sans organes Quand le commentaire ameacutericain interpregravete la monade comme un ecirctre ldquosoul-likerdquo ou ldquomind-likerdquo (Adams5 Garber au moins pour les anneacutees posteacuterieures agrave 17006) il

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le sous-entend la plupart du temps mais a tendance agrave lrsquooublier ce qui peut entraicircner une interpreacutetation ideacutealiste et pheacutenomeacuteniste de la meacutetaphysique monadologique ougrave des acircmes qui se reacutepondent sont la seule reacutealiteacute authentique Dans la lecture dite ldquoideacutealisterdquo les corps deviennent des apparences pheacutenomeacutenales pour des ldquosoul-like monadsrdquo dont lrsquoactiviteacute serait purement perceptuelle et mentale Cette interpreacutetation a eacuteteacute reacutecuseacutee par Michel Fichant dans ldquoLa constitution du concept de monaderdquo7 tandis que Franccedilois Duchesneau propose de deacutepasser lrsquoopposition non pertinente de lrsquoideacutealisme et du reacutealisme qui est le contrepoint de ces lectures8

Or il suffit de regarder des traductions drsquoautres textes de Leibniz quand les esprits ne correspondent pas agrave des acircmes intelligentes consideacutereacutees agrave part mais plutocirct agrave des entiteacutes complegravetes ou agrave des personnes concregravetes ou des gens pour noter que lrsquoon trouve alors dans les traductions et le commentaire des termes tels que ldquospiritsrdquo mais aussi personsrdquo ldquorational beingsrdquo ldquorational creaturesrdquo ldquohuman beingsrdquo ldquoreasonable peoplerdquo (par exemple chez Donald Rutherford9) et pas seulement ldquomindsrdquo Ces expressions tiennent compte de lrsquointention significative de Leibniz qui emploie souvent ldquoespritsrdquo pour eacutevoquer des ecirctres vivants doteacutes drsquoune acircme intelligente et qui agrave ce titre font socieacuteteacute avec Dieu Par un usage meacutetonymique si lrsquoon veut la Reacutepublique des esprits nrsquounit pas seulement des acircmes intelligentes mais des ecirctres qui ont ces acircmes des ecirctres intelligents dont le corps est intimement uni agrave un ldquoespritrdquo (au sens de mind) qui en est deacutesormais la monade dominante un corps qui se transformera mais ne peacuterira point un corps qui deacuteploie partes extra partes ce que 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 interpreacutetatif ideacutealiste La poleacutemique ne doit pas faire oublier leur accord sur la ldquomind-like monadrdquo sans mention du reacutequisit drsquoun corps organique Garber reconnaicirct que dans certains textes exceptionnels tels la lettre agrave Bernoulli de septembre 1698 et les Notes sur Thomasius Leibniz deacutefinit la substance comme une entiteacute simple complegravete en prenant lrsquoexemple non de lrsquoacircme mais de lrsquohomme Lrsquoesprit est alors un ldquointelligent beingrdquo et donc un ecirctre complet Signalons allant dans le mecircme sens le texte eacutediteacute par Enrico Pasini De substantia simplex ac composita 1695 ldquoUne substance composeacutee est la monade prise avec son corps organique comme un homme un moutonrdquo Voir Pasini 1996 7 Fichant 2005 p 43 8 Duchesneau 2010 p 17 9 Rutherford 1995 Par exemple p 193 srsquoagissant preacuteciseacutement de lrsquoembodiment des monades Rutherford cite les Considerations sur les Principes de vie et sur les Natures plastiques GP VI p 545-6590 ldquoI do not aknowledge entirely separate souls in the natural order or created spirits entirely detached from every bodyrdquo Plus loin il cite en note NE II XV 11 ldquoEvery finite spirit is always joined to an organic bodyrdquo

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lrsquoesprit concentre ponctuellement Il faut tenir compte de ce contexte de redeacutefinition du rapport acircme et corps pour parler drsquoune redeacutefinition des esprits Lrsquoesprit au singulier est sans doute une mens ou ldquomindrdquo (on peut lrsquoappeler ldquoacircme-espritrdquo) mais les esprits (au pluriel) sont des ecirctres complets inseacuteparables de leur organiciteacute des personnes qui se reconnaissent dans ce qui les caracteacuterise et les diffeacuterencie (leur ldquoesprit rdquocomme acircme raisonnable plus noble que les autres acircmes)

Crsquoest que Leibniz emploie souvent un terme selon plusieurs niveaux de conceptualisation On en donnera trois exemples acircme persona et aperception qui preacutesentent tous la mecircme structure

Ex 1- Acircme - Agrave Rudolph-Christian Wagner srsquoenqueacuterant de ce que Leibniz entend par acircme Leibniz reacutepond que la signification du mot ldquoacircmerdquo peut ecirctre prise en un sens large (en quelque sorte geacuteneacuterique) de principe vital et en un sens restreint (en quelque sorte hieacuterarchique) qui speacutecifie une espegravece de principe vital avec quelque chose en plus Et crsquoest de maniegravere analogue par adjonction drsquoun eacuteleacutement de supeacuterioriteacute (perceptioni adjungitur attentio et memoria) que lrsquoldquoespritrdquo est deacutefini comme une espegravece drsquoacircme plus noble (pro specie vitae nobiliore)10

Les articles 1 agrave 6 des Principes de la Nature et de la Gracircce ainsi que lrsquoarticle 14 qui reprend lrsquoarticle 5 au niveau de la Gracircce procegravedent de la mecircme maniegravere Ils srsquoeacutelegravevent des ldquoviesrdquo aux ldquoespritsrdquo en passant par les acircmes selon une structure drsquoeacutetagement les esprits sont des principes vitaux et des acircmes dont quelques suppleacutements font la supeacuterioriteacute (ldquoElle est quelque chose de plus sublimerdquo PNG 3)

EX 2- Persona - Leibniz donne eacutegalement plusieurs sens agrave ldquopersonardquo qui se prend en un sens large pour deacutesigner le concret drsquoun ecirctre humain et en un sens plus technique pour eacutevoquer un abstrait un statut moral et juridique fait de droits et de devoirs agrave lrsquoeacutegard drsquoautres personnes En ce dernier sens ldquopersonardquo est un statut qui ne convient qursquoaux esprits comme ecirctres intelligents Il apparaicirct parfois en franccedilais comme ldquopersonnagerdquo

EX 3- Aperception - Pour donner un dernier exemple drsquoune polyseacutemie extrecircmement significative pour la meacutetaphysique leibnizienne Leibniz prend ldquoaperceptionrdquo comme une capaciteacute 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 10 GP VII p 529 Quaeris deinde definitionem animae meam Respondeo posse animam sumi late et stricte Tr fr Fichant 2004 p 364

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drsquoapercevoir tregraves large susceptible de degreacutes Certaines becirctes en teacutemoignent en quelques situations ponctuelles (les becirctes srsquoaperccediloivent de certains objets et de certaines situations) comme leur conduite le montre et lrsquoatteste Mais il prend eacutegalement ldquoaperceptionrdquo dans un sens restreint plus technique ougrave la capaciteacute proprement reacuteflexive est ou sous-entendue ou mentionneacutee comme crsquoest le cas ici agrave lrsquoarticle 3 au sens drsquoune capaciteacute de rapporter agrave soi-mecircme son action ou sa perception11 Et dans ce dernier sens ldquoaperceptionrdquo est un terme reacuteserveacute aux intelligences ou esprits dans la mesure ougrave il enveloppe un rdquoacte reacuteflexifrdquo reacuteserveacute aux seuls ecirctres raisonnables il est en effet beaucoup plus qursquoune perception distincte et mecircme plus qursquoun rapport agrave soi crsquoest un acte de reconnaissance une reconnaissance de soi dans son opeacuteration un jugement susceptible de se traduire dans un eacutenonceacute de type cogito ougrave ldquonousrdquo (esprits) sommes en position de sujets de lrsquoeacutenonceacute en mecircme temps que sujets eacutenonciateurs Les Nouveaux Essais ont preacuteciseacute que cet eacutenonceacute eacutetait virtuel en nous mecircme si nous ne le prononccedilons pas12

Ces trois exemples mettent en relief une structure commune le sens large convient agrave tous les ecirctres animeacutes dans la mesure ougrave les esprits ont avec les becirctes un territoire cognitif commun tandis que le sens restreint ne convient qursquoaux esprits en tant qursquoils ont non seulement une activiteacute mentale mais une penseacutee rationnelle qui est la marque de lrsquoeacuteleacutevation de leurs acircmes

b) Or les six premiers articles des Principes de la Nature et de la Gracircce sont preacuteciseacutement bacirctis sur ce modegravele les esprits comme tous

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les ecirctres animeacutes substances simples et monades sont nommeacutes agrave travers une seacuterie progressive (art 1) ils sont concerneacutes par la thegravese drsquoindestructibiliteacute (art 2) et par le rapport agrave un corps organique qui se preacutesente comme une ldquomachine de la naturerdquo (art 3) Ils sont preacutesenteacutes explicitement dans leur supeacuterioriteacute agrave partir de lrsquoarticle 4 supeacuterioriteacute qui srsquoeacutetablit en deux moments successifs

Premier moment celui de la supeacuterioriteacute ldquobiologiquerdquo En raison de leur organiciteacute du degreacute drsquoacribie et de preacutecision de leurs organes de reacuteception sensible qui les fait avoir le sentiment les esprits dont parlent les Principes de la Nature et de la Gracircce sont bien des ecirctres complets animaux ecirctres organiques mais leurs capaciteacutes sont supeacuterieures agrave celles des autres ecirctres animaux

Deuxiegraveme moment celui de la supeacuterioriteacute ldquologiquerdquo des esprits en raison de lrsquoeacuteleacutevation de leurs acircmes agrave la Raison Mecircme si Leibniz lrsquoeacuteclaircit agrave lrsquoarticle 6 cette ldquoeacuteleacutevationrdquo reste une opeacuteration un peu opaque voire eacutenigmatique ou miraculeuse Lrsquoimportant est qursquoil srsquoagisse drsquoune transformation qui fait eacutecho agrave la thegravese drsquoune preacute-formation des ecirctres vivants13 On sait que Leibniz heacutesitait sur lrsquoexplication de cette eacuteleacutevation mais reacutepugnait agrave avoir recours au miracle En dire peu dans les Principes de la Nature et de la Gracircce eacutetait une solution qui laissait ouvertes toutes les pistes explicatives et eacutevitait de tomber dans des difficulteacutes theacuteologico-religieuses14 Crsquoest ce que jrsquoai appeleacute la ldquosobrieacuteteacute meacutetaphysiquerdquo des deux grands exposeacutes monadologiques

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Lrsquoeacuteclairage de lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutevoquer une promotion des acircmes des animaux spermatiques agrave la nature humaine (la ldquonature humaine organiquerdquo ajoute Lucy Prenant dans ses notes15 ce que justifie le contexte monadologique) et cela agrave partir drsquoune geacuteneacuteration naturelle ou physique Crsquoest ici ldquolrsquohommerdquo qui est concerneacute dans le statut des esprits mecircme si les geacutenies seront aussi mentionneacutes sans autre preacutecision agrave lrsquoarticle 15 qui deacutefinit la Citeacute de Dieu ou Reacutepublique des esprits

Crsquoest pourquoi tous les esprits soit des hommes soit des geacutenies entrant en vertu de la Raison et des veacuteriteacutes eacuteternelles dans une espegravece de Socieacuteteacute avec Dieu sont des membres de la Citeacute de Dieu

Lrsquoimportant quand les esprits sont nommeacutes est qursquoil srsquoagisse drsquoecirctres complets dont le corps pourra bien ecirctre un jour subtil comme celui des geacutenies16 mais qui ne seront jamais de purs esprits sans organes srsquoils doivent pouvoir engendrer ldquonaturellementrdquo drsquoautres ecirctres dont lrsquoacircme sera pareillement eacuteleveacutee agrave la rationaliteacute

Ce qui est en jeu est la possibiliteacute drsquoune persistance des acircmes-esprits (ou ldquoimmortaliteacuterdquo) dans ce que nous appelons la mort La distinction entre perception et aperception a elle-mecircme pour fonction drsquoautoriser agrave penser une vie de lrsquoesprit alors mecircme qursquoil nrsquoy en aurait pas de conscience cela permet de se repreacutesenter la mort comme un long eacutetourdissement venant drsquoune grande confusion des perceptions Cette distinction vient donc accreacutediter la notion drsquoimmortaliteacute des esprits (et par lagrave des ecirctres humains) nonobstant la suspension de leurs opeacuterations conscientes Elle fonctionne comme un argument suppleacutementaire qui vient srsquoajouter agrave lrsquoideacutee que si les acircmes rationnelles sont transformeacutees (et non pas creacuteeacutees) elles pourraient ne pas disparaicirctre mais subir seulement une nouvelle transformation

A travers la succession de ces six articles il faut srsquoarrecircter quelque peu agrave lrsquoarticle 5 qui donne une premiegravere deacutefinition explicite de

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lrsquoesprit avant lrsquoarticle 14 qui la reprendra au niveau de la Gracircce et donc du rapport avec Dieu Lrsquoesprit y est deacutefini comme acircme eacuteleveacutee agrave une rationaliteacute consistant en lrsquoaccegraves aux veacuteriteacutes eacuteternelles Lrsquoarticle rappelle le fondement ontologique du raisonnement veacuteritable qui agrave la diffeacuterence des infeacuterences empiriques est fondeacute sur des veacuteriteacutes neacutecessaires crsquoest-agrave-dire des connexions objectives srsquoimposant agrave tout esprit ldquoCeux qui connaissent ces veacuteriteacutes neacutecessaires sont proprement ceux qursquoon appelle animaux raisonnables et leurs acircmes sont appeleacutees espritsrdquo

Cette thegravese des veacuteriteacutes eacuteternelles et neacutecessaires qui srsquoimposent agrave tout esprit est constante chez Leibniz car on la trouve depuis les premiers textes de jeunesse Leibniz lrsquoa utiliseacutee notamment contre le scepticisme de Foucher ou contre lrsquoempirisme de Locke lrsquoesprit ne peut se deacuterober agrave la perception de ces connexions en sorte que mecircme srsquoil nrsquoy avait rien drsquoinneacute contenu dans lrsquoesprit lrsquoesprit devrait reconnaicirctre en lui-mecircme sa propre structure logique La ldquoraisonrdquo sans ecirctre redeacutefinie autrement que par son lien aux veacuteriteacutes neacutecessaires est tacitement prise sous les deux aspects qursquoelle a pris dans les Nouveaux Essais objectif et subjectif a parte rei comme liaison des veacuteriteacutes aperccedilue par les seuls esprits ou ecirctres raisonnables ou a parte subjecti comme faculteacute drsquoapercevoir les connexions neacutecessaires et drsquoinfeacuterer selon ces connexions La ldquoraisonrdquo est donc bien constitueacutee par les veacuteriteacutes neacutecessaires ontologiquement premiegraveres par rapport agrave leur saisie et agissant en nous sous forme de ldquovirtualiteacutesrdquo avant que nous ne les deacutecouvrions ou eacutenoncions17 Leibniz nrsquooublie pas que la raison est en nous une puissance active une virtualiteacute ou disposition agrave tirer de son fonds inneacute des connaissances et des veacuteriteacutes Si le Discours de Meacutetaphysique induisait un sentiment de circulariteacute en indiquant que les becirctes ldquone pouvant faire de reacuteflexionsrdquo18 ne sauraient deacutecouvrir des veacuteriteacutes neacutecessaires et universelles les Nouveaux Essais et les exposeacutes monadologiques restituent lrsquoordre objectif de veacuteriteacutes qui srsquoimposent agrave

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des esprits qui les pensent mais ne les constituent pas19 Les veacuteriteacutes preacutecegravedent les esprits qui les reconnaissent

Cet article 5 se couronne par un mouvement de reconnaissance et drsquoidentification ougrave Leibniz srsquoexprime agrave la premiegravere personne du pluriel et englobe en quelque sorte ses lecteurs ldquohellip et crsquoest ce qui NOUS rend capables des sciences et des connaissances deacutemonstrativesrdquo

Lrsquoemploi de ldquonousrdquo est lrsquoindice drsquoune subjectiviteacute ou plus exactement drsquoune activiteacute de subjectivation et drsquoappropriation caracteacuteristique des esprits que Leibniz met lui-mecircme en acte dans le texte Cette subjectiviteacute est engageacutee agrave la fois (i) dans lrsquoorganiciteacute complexe faite drsquoentrrsquoexpression qui fait la richesse et la preacutecision des informations retireacutees de la connexion de lrsquoorganisme avec lrsquoordre geacuteneacuteral des choses et (ii) dans un rapport agrave soi qui est reconnaissance de soi dans son opeacuteration deacutebouchant sur un jugement auquel nous invite ici Leibniz il le pratique lui-mecircme dans son travail de meacutetaphysicien imitant volontairement lrsquooeuvre de Dieu dans son petit deacutepartement quand il eacutecrit les exposeacutes monadologiques

Une premiegravere conclusion se deacutegage agrave partir du premier mouvement des Principes de la Nature et de la Gracircce (art 1 agrave 6)

Il est leacutegitime de parler drsquoune redeacutefinition contextuelle des esprits apregraves le tournant monadologique car le contexte doctrinal a changeacute depuis le Discours de Meacutetaphysique et les Generales Inquisitiones (ce tournant a eu lieu vraisemblablement agrave partir des derniegraveres lettres agrave Arnauld telle la lettre du 9 octobre 1687) Cela tient agrave un tournant dans la conception de lrsquounion de lrsquoacircme et du corps Le corps ne nous est plus seulement ldquoaffecteacuterdquo sans ecirctre attacheacute agrave notre essence La constitution monadologique des corps organiques impose de consideacuterer un tissage ou un entrelacement de toutes les monades composant le corps humain avec des corps organiques en connexion avec tous les autres corps organiques lrsquoacircme ou lrsquoesprit correspond alors agrave un degreacute de dominance suppleacutementaire pour

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lrsquoacircme qui fait lrsquouniteacute du composeacute20 Lrsquoentrelacement de corps et de monades en connexion avec lrsquoordre geacuteneacuteral constitue deacutesormais gracircce agrave lrsquoopeacuteration unificatrice de la monade dominante et agrave des relations agrave tous les ecirctres de lrsquounivers ce qursquoon peut appeler la situation respective de tout ecirctre animeacute dans un reacuteseau de relations ou son ldquopoint de vuerdquo dans un monde (art 3)21

Cela ne peut manquer de retentir sur la conception des esprits crsquoest-agrave-dire de la faccedilon dont nous nous consideacuterons ldquonous-mecircmesrdquo puisque nous nous identifions plus volontiers agrave lrsquoaspect intelligent et raisonnable de nous-mecircmes22

Ecirctres vivants capables de rationaliteacute (crsquoest-agrave-dire ldquoespritsrdquo au sens large) ecirctres raisonnables doueacutes drsquoun ldquoespritrdquo (au sens eacutetroit drsquointellect) nous consideacuterons en effet et agrave juste titre la composante rationnelle de notre ecirctre comme ce qui nous est propre et nous distingue des autres animaux

Ce qui eacuteclaire drsquoun jour diffeacuterent la deacutefinition de lrsquoarticle 5 ldquoceux qui connaissent ces veacuteriteacutes neacutecessaires sont proprement ceux qursquoon appelle animaux raisonnables et leurs acircmes sont appeleacutees espritsrdquo Nous sommes des animaux raisonnables et nous nous reconnaissons comme des esprits

Crsquoest que deacutesormais depuis le tournant monadologique il nrsquoexiste plus drsquoactiviteacute mentale ou intellectuelle qui ne soit porteacutee par lrsquoactiviteacute drsquoune ldquomachine de la naturerdquo dont la complexiteacute infinie est responsable de la preacutecision des impressions et informations que travaille lrsquointellect Le concept de ldquomachine de la naturerdquo renvoie agrave une infiniteacute de rapports qui connectent tous les organismes Lrsquoacircme raisonnable reccediloit les impressions de tout lrsquounivers agrave travers des

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organes qui sont en composition avec tous les corps organiques La machine humaine opegravere selon un ajustement et une acribie supeacuterieurs agrave ceux des autres machines Crsquoest pourquoi lrsquoactiviteacute de connaissance doit ecirctre reformuleacutee pour des ldquoespritsrdquo qui ne sont pas seulement des entiteacutes perceptuelles parce qursquoils sont engageacutes dans une organiciteacute constitutive de lrsquoentrrsquoexpression laquelle fonde pour les esprits leur connaissance des connexions de lrsquounivers Lrsquoorganiciteacute des esprits qui justifie lrsquoexpression employeacutee par Andreas Blank drsquoldquoorganic mindsrdquo23 est inseacuteparable de leur nature ldquologiquerdquo soit de leur accegraves agrave des connexions logiques qui rendent connaissables et formulables les connexions de lrsquounivers ougrave ils sont situeacutes Les deux conditions organique et logique sont requises pour qursquoil y ait connaissance scientifique activiteacute qui est le propre des esprits

Comme Leibniz lrsquoindiquait agrave Sophie en 1701 ldquoles penseacutees de lrsquoacircme ne sauraient ecirctre distinctes lorsque les traces dans le cerveau sont confusesrdquo24

Leibniz nrsquoa jamais imputeacute agrave la complexiteacute du corps organique des esprits les dispositions rationnelles qui font leur capaciteacute agrave deacutecouvrir en eux-mecircmes les veacuteriteacutes eacuteternelles Il faut se contenter drsquoune correspondance expressive entre les deux versants organique et logique Lrsquoimputation de la tendance rationnelle agrave la complexiteacute organique du vivant humain si elle eacutetait justifieacutee serait en tout eacutetat de cause insuffisante car ne rendant pas suffisamment justice agrave lrsquoempreinte deacutecisive en nous des veacuteriteacutes logiques qui ne peut provenir que de Dieu lui-mecircme Mais il est clair que la complexiteacute organique est la condition mateacuterielle de nos relations avec tout lrsquounivers et lrsquoordre geacuteneacuteral qui consonnent avec la structure rationnelle

Il faut donc souligner un double enracinement organique et logique drsquoune rationaliteacute objective et partageacutee qui fait la preacuterogative des esprits Elle les conduit agrave eacutenoncer le ldquoprincipe de raisonrdquo (article 7) qui nous megravene agrave la Gracircce crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoordre des fins Sans reacuteduire le logique agrave lrsquoorganique on soulignera lrsquoharmonie entre 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 23 Voir Blank 2006 pp 189-202 Il montre le rocircle deacutecisif joueacute par les traces corporelles pour les repreacutesentations mentales et les perceptions infiniteacutesimales constitutives du point de vue singulier qui speacutecifie les ldquopersonnesrdquo capables de conscience 24 Lettre agrave Sophie 30 novembre 1701 GP VII pp 557-558

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lrsquoorganiciteacute complexe des esprits et la marque en nous des veacuteriteacutes logiques la reacutealiteacute corporelle eacutetant elle-mecircme porteuse de la structure rationnelle de lrsquounivers

Corollaire de cette premiegravere conclusion Les Principes de la Nature et de la Gracircce ne font selon moi aucune ceacutesure crsquoest-agrave-dire ne pratiquent aucune coupure entre physique et meacutetaphysique Les six articles megravenent agrave lrsquoarticle 7 et aux suivants dans une parfaite continuiteacute Les premiers articles sont deacutejagrave marqueacutes de la preacutesence de la Gracircce dans la mesure ougrave ils mentionnent les causes finales du bien et du mal ainsi que les actes reacuteflexifs Et les seconds continuent agrave obeacuteir agrave la mecircme structure drsquoeacutetagement et mecircme drsquoeacutetayage puisque les privilegraveges des esprits srsquoenracinent dans les capaciteacutes organiques drsquoacircmes pourvus de corps tregraves deacutelieacutes drsquoorganes ajusteacutes acircmes eacuteleveacutees agrave travers une geacuteneacuteration naturelle agrave la rationaliteacute qui caracteacuterise ici la nature humaine dont elle est le trait distinctif

Lrsquoordre de la Gracircce est enfin preacutesent drsquoembleacutee agrave travers les esprits et leur accegraves aux veacuteriteacutes eacuteternelles car cet accegraves est la condition de la formulation du Principe de raison qui amorce agrave lrsquoarticle 7 le second mouvement des Principes de la Nature et de la Gracircce

1-2 Le second mouvement du texte des PNG (7-18) Les onze articles consacreacutes agrave la Gracircce reposent solidement sur

la base physique dynamique drsquoune nature que la Gracircce reprend et sublime en lrsquoorientant vers une fin En fait degraves les premiers articles des Principes de la Nature et de la Gracircce en nous invitant agrave nous reconnaitre comme ldquoespritsrdquo qui ne disent pas seulement le moi mais disent ldquonousrdquoet se situent dans lrsquointer-connexion Leibniz se place au niveau drsquoune action des esprits au service de la Gracircce

Regardons plus rapidement ce second mouvement car nous le reprendrons agrave travers la question des qualiteacutes morales Apregraves avoir brosseacute comme de loin le tableau drsquoensemble et le plan drsquoun univers dont Dieu est la raison derniegravere et le sage auteur Leibniz srsquoapproche des acircmes expressives et eacutevoque leurs degreacutes de perfection agrave mesure de leurs perceptions distinctes jusqursquoagrave en venir aux ldquoespritsrdquo ou acircmes raisonnables (art 14) leurs privilegraveges cognitifs et reacuteflexifs deacutejagrave indiqueacutes agrave lrsquoarticle 5 sont mis en lumiegravere et se manifestent agrave preacutesent en rapport avec un Dieu auteur et organisateur des choses Il en deacutecoule que lrsquoacircme-esprit est dite architectonique Elle ne fait pas que repreacutesenter elle construit elle-mecircme imitant Dieu dans son petit

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monde agrave partir des connaissances et inventions spontaneacutees ou involontaires jusque dans les actions volontaires On notera que lrsquoesprit est deacutesormais envisageacute sur le versant de lrsquoaction et plus agrave travers la seule connaissance ce qui amorce le virage que prend le texte en deacutebouchant sur le monde moral Deacutejagrave sous-entendu dans les causes finales du bien et du mal dans la bonteacute de Dieu dans le bonheur et la bonteacute des creacuteatures le monde moral apparaicirct cette fois en pleine lumiegravere Lrsquoimbrication du discours physique et du discours meacutetaphysique est claire

Monadologie et Principes de la Nature et de la Gracircce eacutenoncent agrave propos des esprits des thegraveses tregraves proches deacutefinis par une organiciteacute complexe et une reacuteflexiviteacute qui les distingue des autres animaux les esprits sont capables des sciences des actions volontaires et par lagrave drsquoune ldquosocieacuteteacuterdquo avec lrsquoauteur de toutes choses qui fait le regravegne de la Gracircce La nature y conduit sans deacuterogation agrave ses lois la justice de Dieu qui est la loi de la citeacute de Dieu opeacuterant par les voies de la nature par reacutecompense et sanction immanentes

Il est remarquable que ces thegraveses se trouvent deacutejagrave preacutesentes pour la plupart dans des textes preacuteceacutedant ces deux exposeacutes

En revanche ces thegraveses sont ordinairement assorties de consideacuterations sur la liberteacute et la responsabiliteacute qui fondent chacirctiments et reacutecompenses ainsi que sur lrsquoimmortaliteacute personnelle crsquoest-agrave-dire la persistance pour chaque esprit de ce qui fait son personnage

Que penser de leur absence dans ces exposeacutes On a voulu y voir le signe drsquoune naturalisation de la meacutetaphysique Cette caracteacuterisation quelle que soit sa pertinence semble unilateacuterale Drsquoautre part elle ne paraicirct pas avoir exactement le mecircme sens dans les deux exposeacutes

2 Lrsquoabsence probleacutematique des notions morales dans les deux exposes

monadologiques

Dans les Principes de la Nature et de la Gracircce apregraves avoir eacuteteacute situeacutes par rapport aux autres monades et aux autres animaux les ldquoespritsrdquo sont situeacutes dans leur rapport agrave Dieu derniegravere raison et auteur de toutes choses Le deuxiegraveme mouvement des Principes de la Nature

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et de la Gracircce reprend dans cette perspective nouvelle les thegraveses deacutejagrave preacutesentes dans le premier mouvement le reacuteveil ineacuteluctable des esprits assoupis dans ce que nous appelons ldquomortrdquo (art 12) la compatibiliteacute de cette survie avec un degreacute infeacuterieur de conscience fait de perceptions confuses (art 13) le caractegravere architectonique des acircmes-esprits qui en fait des expressions actives des ouvrages de Dieu (art 14) en particulier dans lrsquoinvention scientifique et lrsquoactiviteacute de connaissance mais aussi dans les actions volontaires dont la Monadologie ne parlait pas directement Enfin les articles terminaux des Principes de la Nature et de la Gracircce deacuteploient agrave partir de lrsquoarticle 15 le monde moral ou Citeacute de Dieu avec un accent particulier sur la justice de Dieu qursquoon ne trouve pas exprimeacutee si nettement dans la Monadologie Ces articles donnent un relief tregraves vif agrave la continuiteacute entre Gracircce et Nature25 Plutocirct que de rompre avec le discours physique le discours meacutetaphysique dans les Principes de la Nature et de la Gracircce constitue une reprise et une promotion du premier discours on y retrouve en effet les mecircmes thegraveses drsquoingeacuteneacuterabiliteacute et drsquoindestructibiliteacute mais envisageacutees sous lrsquoangle de notre destination drsquoesprits membres de la Citeacute de Dieu La Gracircce magnifie et perfectionne lrsquoordre de la Nature sans jamais le laisser de cocircteacute ou derriegravere soi sans jamais le deacutelaisser Les formules trouveacutees par Leibniz agrave la fin de lrsquoarticle 15 des Principes de la Nature et de la Gracircce pour marquer ce rapport sont les formules les plus nettes et claires qui soient Elles laisseront une trace deacutefinitive agrave la posteacuteriteacute

Par lrsquoordre mecircme des choses naturelles en vertu de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie de tout temps entre les regravegnes de la nature et de la gracircce entre Dieu comme architecte et Dieu comme monarque en sorte que la nature megravene agrave la gracircce et que la gracircce perfectionne la nature en srsquoen servant

Enfin un dernier accent est propre aux Principes de la Nature et de la Gracircce ils mettent en exergue et approfondissent lrsquoAmour de Dieu et le bonheur preacutesent et actuel qui en deacutecoule Crsquoest dire que la Gracircce agit actuellement et preacutesentement dans la nature Srsquoil est un royaume des fins ce royaume est actif ici et maintenant sans attendre un futur dont nous avons cependant deacutejagrave un avant-goucirct Degraves 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 25 Cette continuiteacute manifeste ne mrsquoa pas permis de valider lrsquointeacuteressante remarque drsquoEnrico Pasini selon laquelle il subsisterait dans les Principes de la Nature et de la Gracircce une ceacutesure entre discours physique et discours meacutetaphysique que la Monadologie en revanche deacutepasserait Voir Pasini 2005 p 114

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lors le mouvement des Principes de la Nature et de la Gracircce srsquoapparente au mouvement de progregraves et de perfectionnement propre agrave la Gracircce elle-mecircme Le texte accompagne le mouvement de la Gracircce Leibniz effectuant ce qursquoil annonce Dans cette fin du texte Leibniz ne parle plus des ldquoespritsrdquo il parle de ldquonousrdquo et srsquoadresse agrave nous Lrsquoamour de Dieu est compareacute agrave la musique qui nous charme agrave la fois et inseacuteparablement par ses proportions ideacuteelles et par les battements que le corps compte sans le savoir de ses rythmes Nous sommes des esprits et sommes convieacutes degraves ici-bas agrave participer consciemment et volontairement agrave la citeacute de Dieu dont nous sommes deacutejagrave membres sans le savoir quand nous appreacutecions lrsquoharmonie des choses Le texte se termine sur lrsquoeacutevocation de ldquonotre bonheurrdquo consistant dans un progregraves perpeacutetuel en plaisirs et perfections Mecircme si les esprits ne sont plus la fin exclusive de la creacuteation leur bonheur vient bien la couronner et exalter comme lrsquoindiquait dans la Monadologie agrave lrsquoarticle 86 la notion de ldquogloire de Dieurdquo

Cette Citeacute de Dieu ltgt est un Monde moral dans le monde naturel et ce qursquoil y a de plus eacuteleveacute et de plus divin dans les ouvrages de Dieu et crsquoest en lui que consiste veacuteritablement la gloire de Dieu puisqursquoil nrsquoy en aurait point si sa grandeur et sa bonteacute nrsquoeacutetaient pas connues et admireacutees par les esprits

Il est remarquable que le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce se termine sur ldquonousrdquo sur le bonheur et le plaisir que nous eacuteprouvons Crsquoest un indice de plus de lrsquoaccent mis dans les Principes de la Nature et de la Gracircce sur la subjectiviteacute crsquoest-agrave-dire sur une opeacuteration drsquoappropriation et de subjectivation caracteacuteristique des esprits sur la maniegravere dont nous pouvons comme esprits gracircce agrave lrsquoacte reacuteflexif et aux connexions logiques nous approprier notre situation et en tirer une jouissance non exclusive des progregraves dans la connaissance et lrsquoaction

Pour autant la notion de personne qui apparaicirct dans lrsquousage grammatical drsquoun ldquonousrdquo comme sujets agrave la premiegravere personne se substituant agrave la troisiegraveme personne des esprits nrsquoest pas mentionneacutee comme une dimension explicite Examinons donc pour finir les concepts apparemment absents des exposeacutes monadologiques alors qursquoils sont preacutesents dans drsquoautres textes pour deacuteterminer quel sens donner agrave leur omission

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Les concepts de personnage de personne de liberteacute et de personnaliteacute morale semblent solidaires et disparaitre ensemble Ils forment un mecircme reacuteseau seacutemantique celui des qualiteacutes morales La dimension morale serait-elle soit absente des Principes de la Nature et de la Gracircce soit estompeacutee et repousseacutee agrave lrsquohorizon 26

Le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce dit explicitement le contraire le monde moral agit ici et maintenant On ne peut donc se contenter de souligner la reacuteorientation de la meacutetaphysique de Leibniz dans un sens reacutealiste voire naturaliste dans la mesure ougrave la monade est un opeacuterateur indeacuteniable de naturalisation Car lrsquoorganiciteacute des esprits ne contrevient nullement agrave leur vocation spirituelle

Jrsquoai proposeacute au colloque de Grenade de retrouver dans le texte de la Monadologie la dimension morale de la personne enveloppeacutee dans les notions de ldquoreacuteflexiviteacuterdquo de capaciteacute agrave faire retour sur soi et agrave nous consideacuterer comme lrsquoagent de nos opeacuterations toutes significations qui font lrsquoldquoacte reacuteflexifrdquo Cette hypothegravese est eacutegalement valable voire lrsquoest encore plus pour les Principes de la Nature et de la Gracircce dont la viseacutee ne semble pas ecirctre exclusivement celle drsquoun systegraveme de la nature (comme pouvait apparaicirctre la Monadologie) mais enveloppe une dimension de theacuteologie naturelle

Acte reacuteflexif Lrsquoacte reacuteflexif proprement dit nrsquoest pas une perception plus fine

plus aiguumle ou aiguiseacutee il pourrait alors ecirctre confondu avec lrsquoaperception A la diffeacuterence de lrsquoaperception lrsquoacte reacuteflexif est un jugement qui actualise momentaneacutement une disposition constante des esprits Il consiste agrave se poser soi-mecircme dans sa penseacutee comme son agent Crsquoest un acte de reconnaissance de son activiteacute comme sien par ougrave ldquonousrdquo prenons la responsabiliteacute de notre activiteacute de penseacutee en un ldquoje penserdquo virtuel eacutequivalent agrave tout autre Elle suppose ou pose un ldquomoirdquo dont nous savons qursquoil enveloppe la ldquoplace drsquoautruirdquo drsquoun autrui quelconque et permet de prendre sa place ce qui anticipe ou preacutepare lrsquouniversalisation du point de vue singulier Lrsquoacte reacuteflexif

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nous rend capables de ldquoprendre la place drsquoautrui dans la penseacuteerdquo en une virtuelle universalisation Lrsquoactiviteacute reacuteflexive drsquoimputation agrave soi-mecircme et non la simple aperception ponctuelle speacutecifie donc les esprits Comme Leibniz lrsquoa indiqueacute agrave Thomas Burnett 27

LrsquoAuteur des secondes penseacutees touchant lrsquoacircme preacutetend que lrsquoAction reacutefleacutechie nrsquoest autre qursquoune remeacutemoration ou recollection de quelque action ou action faite une fois ou plusieurs fois auparavant ou quelque penseacutee ramasseacutee de nouveau Mais il se trompe ce nrsquoest pas en cela que consiste la reacuteflexion non seulement je me repreacutesente agrave moi-mecircme mon action mais je pense aussi que cest moi qui laccomplit ou lai accomplie

La reacuteflexion nrsquoest pas une repreacutesentation au second degreacute mais un acte de se rapporter agrave soi Or srsquoimputer une action agrave soi-mecircme est la condition de toute responsabiliteacute Lrsquoacte reacuteflexif conduit donc directement agrave la notion de responsabiliteacute tout comme la conscience de soi (conscientiam sui) qui rend capable des chacirctiments et des reacutecompenses On peut citer sur ce point la lettre agrave Smith de 1707

Solas autem mentes id est animas ratione praeditas et divinorum capaces personam id est conscientiam sui servare et poenae praemiaeque capaces esse possunt28

Personne La notion de personne elle-mecircme a diverses origines dont lrsquoune

vient du theacuteacirctre grec mais dont une autre vient de la religion chreacutetienne qui pose un Dieu en trois ldquopersonnesrdquo Ambigueuml la notion de personne recouvre un large eacuteventail de significations dont les deux pocircles vont soit vers lrsquoindividualiteacute meacutetaphysique soit vers la personnaliteacute morale Mais la signification ordinaire de ldquopersonnerdquo est bien celle drsquoun sujet intelligent (ldquovulgo persona est suppositum intelligensrdquo29) et eacutequivaut donc agrave lrsquoesprit consideacutereacute comme

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intelligence tel qursquoon le trouve dans les Principes de la Nature et de la Gracircce

Lrsquoeffort leibnizien va vers une unification de ces diverses significations il les fait converger pour deacutesigner un ecirctre vivant doueacute de dispositions rationnelles qui peut ecirctre revecirctu de relations qui lui confegraverent titres et fonctions mais jamais seacutepareacute de son corps organique Les Animadversiones in partem generalem Principiorum Cartesianorum art 31 35 avaient montreacute une personne relevant agrave la fois de lrsquoordre de la nature en deacutesignant un ecirctre conscient de soi capable drsquoacte reacuteflexif et de lrsquoordre moral puisqursquoil srsquoavisait et srsquoadmonestait prenant agrave lrsquoeacutegard de soi-mecircme la place drsquoautrui La notion de personne permettait de penser un situs relationnel propre aux esprits ecirctres qui ont les moyens de ldquoserdquo situer eux-mecircmes dans lrsquounivers entier et en teacutemoignent et pas seulement drsquoy ecirctre situeacutes comme les animaux non raisonnables Or les Principes de la Nature et de la Gracircce mentionnent la reacuteflexiviteacute comme la proprieacuteteacute distinctive des esprits et indiquent qursquoelle conduit agrave la notion de ldquomoirdquo qui elle-mecircme enveloppe celle de ldquopersonnerdquo puisque la personne est rapport agrave soi La personne est donc tacitement preacutesente agrave travers le ldquomoirdquo et le rapport agrave soi qui deacutefinit les esprits par leur capaciteacute de reacuteflexion Crsquoest ce rapport des esprits agrave un ldquomoirdquo qui conduit agrave la notion de personnaliteacute morale

LrsquoExtrait du Dictionnaire de M Bayle article Rorarius (p 2599 sqq de lrsquoEdition de lrsquoan 1702 avec mes remarques30) formulait clairement le lien entre ces notions

Il y a aussi une grande diffeacuterence entre lrsquoindestructibiliteacute des acircmes des becirctes et lrsquoimmortaliteacute des acircmes raisonnables Car toutes les acircmes conservent leur substance mais les seuls esprits conservent encore leur personnaliteacute crsquoest-agrave-dire la connaissance de ce moi par laquelle je me connais la mecircme personne ce qui me rend susceptible de reacutecompense ou de chacirctiment

Leibniz a-t-il voulu faire lrsquoeacuteconomie des connotations chreacutetiennes et dramaturgiques de la personne et de la personnaliteacute qui auraient pu lrsquoentrainer vers des problegravemes de theacuteologie reacuteveacuteleacutee et de controverses religieuses sur la preacutedestination (posant par exemple la question vaine de savoir pourquoi Dieu a donneacute plus de perfection agrave 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 intelligens rdquo Leibniz est donc fondeacute agrave dire qursquoil srsquoagit drsquoune conception ordinaire (ldquovulgordquo) 30 GP IV p 527

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un esprit qursquoagrave un autre) On ne peut pas en tout cas parler drsquoune omission deacutelibeacutereacutee de la dimension morale visant agrave mettre au premier plan une meacutetaphysique de la nature La dimension morale est bien preacutesente mais elle srsquoaccompagne dans les Principes de la Nature et de la Gracircce drsquoune theacuteologie naturelle et non pas reacuteveacuteleacutee

Personnage Plus geacuteneacuteralement lrsquoorganiciteacute et le rapport aux veacuteriteacutes eacuteternelles

qui font les ldquoespritsrdquo sont parfaitement compatibles avec lrsquoexistence drsquoun monde moral theacuteacirctre situeacute dans le theacuteacirctre de la nature de notre vie ordinaire qui lui-mecircme enveloppe le theacuteacirctre plus subtil des animaux spermatiques Dans le monde de la Gracircce les esprits jouent agrave travers leur socieacuteteacute avec Dieu une partition accordeacutee agrave leur constitution organiquement relationnelle qui leur permet de connaicirctre les connexions de dire ldquonousrdquo et de se reconnaicirctre responsables dans lrsquointerconnexion en eacuteclairant leur situs ou ldquopoint de vuerdquo

La meacutetaphore theacuteacirctrale reste drsquoailleurs preacutesente dans les deux grands exposeacutes monadologiques Le rocircle que joue Dieu agrave leurnotre eacutegard et que la lettre agrave Arnauld du 9 octobre 1687 appelait un ldquoautre personnagerdquo agrave lrsquoeacutegard des esprits que celui drsquoauteur geacuteneacuteral des ecirctres se retrouve dans les Principes de la Nature et de la Gracircce comme dans la Monadologie Les Principes de la Nature et de la Gracircce distinguent en effet agrave lrsquoarticle 15 Dieu-comme-architecte fonction qui concerne tous les ecirctres et Dieu-comme monarque qui correspond aux esprits en tant que membres de la Citeacute de Dieu Les deux fonctions ou personnages se retrouvant dans les Principes de la Nature et de la Gracircce et dans la Monadologie cela fortifie lrsquohypothegravese drsquoune preacutesence implicite de la notion de rdquopersonnagerdquo ou de personnaliteacute morale concernant ceux avec qui Dieu prend ce personnage de souverain crsquoest-agrave-dire preacuteciseacutement les esprits

Leibniz lrsquoexplicitait pour Rudolf Christian Wagner en 1710

Lacircme ou lrsquoanimal agrave la naissance ou apregraves la mort ne diffegraverent reacuteellement de lrsquoacircme ou de lrsquoanimal vivant la vie preacutesente que par la disposition des choses et les degreacutes des perfections et non selon le genre total des ecirctres Je pense de mecircme des Geacutenies qursquoils sont des esprits doteacutes drsquoun corps extrecircmement peacuteneacutetrant et apte agrave opeacuterer Lrsquohomme srsquoeacutelegraveve pourtant merveilleusement au-dessus des becirctes et srsquoapproche des Geacutenies puisque par lrsquousage de la raison il est capable de socieacuteteacute avec Dieu

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Crsquoest pourquoi il ne conserve pas seulement la vie et lrsquoacircme comme les becirctes mais aussi la conscience de soi et la meacutemoire de son eacutetat passeacute et pour ainsi dire son personnage (Je souligne)31

Les notions de personnaliteacute morale et de personnage sont indissociables de la meacutetaphore chreacutetienne drsquoimago Dei que Leibniz reprend en toute discreacutetion agrave lrsquoarticle 14 pour en deacuteriver le caractegravere architectonique de lrsquoacircme-esprit On soulignera seulement que dans ce texte ldquonousrdquo esprits sommes agrave lrsquoimage drsquoun Dieu qui est consideacutereacute seulement comme auteur et architecte des choses et non pas dans la figure ou sous la personne de Jeacutesus-Christ Cela renforce le sentiment que Leibniz a choisi une forme de sobrieacuteteacute meacutetaphysique qui srsquoaccommode mieux drsquoune theacuteologie naturelle que de la theacuteologie reacuteveacuteleacutee Leibniz le formulait eacutegalement dans sa lettre agrave R-C Wagner ldquoLa veacuteritable theacuteologie naturelle se deacutemontre de la plus belle maniegravere par mes principesrdquo32

Liberteacute En est-il de mecircme de la notion de liberteacute des esprits Est-elle

implicite ou estompeacutee voire censureacutee On doit la consideacuterer comme implicite si la liberteacute des esprits est deacutefinie comme spontaneacuteiteacute guideacutee par la rationaliteacute puisque la rationaliteacute fondeacutee sur la connaissance des veacuteriteacutes eacuteternelles est la veacuteritable ligne de deacutemarcation entre becirctes et esprits dans tous les articles concernant les acircmes raisonnables De plus la mention des actions volontaires et celle des reacutemuneacuterations et chacirctiments de telles actions supposent la liberteacute des actions dans la mesure ougrave elle est preacutesupposeacutee par la responsabiliteacute que demande la reacutemuneacuteration de lrsquoaction

Il faut donc conclure agrave une redeacutefinition contextuelle des esprits Leur assise organique les relie agrave lrsquointerconnexion de toutes choses Mais cela ne nuit pas agrave leur qualiteacute de personnes

On ne saurait se suffire en effet de lrsquoexplication selon laquelle la disparition du lexique theacuteologique et du vocabulaire de lrsquoindividuation par la ldquonotion complegraveterdquo preacutesents tous deux dans le Discours de Meacutetaphysique expliquerait une maniegravere drsquoeacutevanouissement des personnes en faveur de monades anonymes noyeacutees en quelque

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sorte dans le grouillement organique de la matiegravere33 La monade est sans doute un opeacuterateur de naturalisation de la meacutetaphysique et il eacutetait juste de le souligner Mais cette explication trouve ses limites quand on examine des textes tels que le Systegraveme Nouveau de la Nature la lettre agrave Rudolph Christian Wagner de 1710 ou la lettre agrave Reacutemond de 1714 (laquelle propose comme les exposeacutes monadologiques un ldquoeacuteclaircissement sur les monadesrdquo) Aucun de ces textes nrsquoa en effet recours agrave la theacuteorie de la notion complegravete Or tous conservent pourtant la trace expresse des notions de ldquopersonnaliteacuterdquo de ldquoqualiteacutes moralesrdquo voire de ldquopersonnagerdquo Srsquoil est juste de dire que le texte du Systegraveme Nouveau marque un souci drsquordquoapprofondissement des concepts de la seule philosophie de la naturerdquo34 lrsquoargument se retourne cet approfondissement nrsquoempecircche nullement le Systegraveme Nouveau de parler de la personnaliteacute morale35 comme fondement de la responsabiliteacute et de lrsquoimmortaliteacute personnelle

Quant aux Principes de la Nature et de la Gracircce ils ne font pas disparaicirctre le vocabulaire theacuteologique agrave moins drsquoentendre par lagrave celui de la theacuteologie reacuteveacuteleacutee Rien ne justifie de parler agrave la maniegravere de Jean Baruzi drsquoune domination drsquoun point de vue biologique et cosmique qui ferait srsquoestomper la preacutecellence des esprits Dans la mesure ougrave le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce est tout entier animeacute par une monteacutee vers la citeacute de Dieu comme monde moral et vers le bonheur des esprits il est difficile de penser que Leibniz voulait priver ce texte drsquoune dimension morale et theacuteologique Cette dimension est non seulement compatible avec le relief donneacute au vivant et agrave lrsquoorganique mais elle est preacutesente dans le texte reposant sur la nature qui lui donne ses ressources et son architecture agrave utiliser et reconnaicirctre

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Conclusion une subjectiviteacute incorporeacutee

Il faut donc plutocirct conclure agrave lrsquoenveloppement des notions morales dans les notions meacutetaphysiques preacutesentes dans le texte ainsi qursquoagrave lrsquoinsertion du monde moral de la Gracircce comme un ferment actif au sein de la nature Ce ferment intellectuel est incorporeacute agrave un organisme dont on pourrait dire qursquoil est lui-mecircme ldquomind-likerdquo du fait de cette dynamique qui lrsquoanime (ce ne sont pas seulement les monades qui conspirent agrave le former qursquoon peut dire ldquomind-likerdquo) Ce ferment intelligent est en germe dans les marques lumineuses qui font la rationaliteacute ou ldquolumiegravere naturellerdquo forme subjective des veacuteriteacutes eacuteternelles objectives Les esprits apregraves le tournant monadologique apparaissent comme des ecirctres complets qui ont une nature organique connecteacutee agrave une activiteacute mentale rationnelle Ce sont donc en un certain sens des corps vivants ou des organismes mais des corps privileacutegieacutes et en quelque sorte ldquospiritualiseacutesrdquo capables de subjectivation de leur situation respective gracircce aux germes logiques qui se trouvent en eux et agrave lrsquoactiviteacute expressive autoriseacutee par une complexiteacute monadologique qui les place dans lrsquointerconnexion de toutes choses Ces corps en quelque sorte virtuellement spiritualiseacutes degraves lors qursquoils sont marqueacutes de lrsquoempreinte des veacuteriteacutes ces embodied minds sont appeleacutes agrave reconnaicirctre en eux par la connaissance et par lrsquoaction cette nature active de sujets qui en fera un jour des corps glorieux dans la citeacute de Dieu Dans leur mouvement expressif de connaissance et drsquoaction ils deacutepassent lrsquoopposition dualiste heacuteriteacutee de Descartes entre un ordre des corps et un ordre des esprits eacutetrangers lrsquoun agrave lrsquoautre Agrave la diffeacuterence de la Monadologie exposeacute meacutetaphysique complet visant un systegraveme de la Nature les Principes de la Nature et de la Gracircce preacutesentent donc une approche nouvelle de la subjectiviteacute une subjectiviteacute en quelque sorte incorporeacutee inseacutereacutee dans lrsquointerconnexion dynamique de toutes choses

Sans partir ni de lrsquoesprit humain agrave la maniegravere carteacutesienne ni des esprits comme le ferait un ldquopanpsychismerdquo36 les Principes de la Nature et de la Gracircce preacutesentent au sein de la nature et sous le nom drsquoesprit une subjectiviteacute en activiteacute qui procegravede de lrsquointerconnexion

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dynamique de toutes choses et y est inseacutereacutee par toutes ses fibres organiques une subjectiviteacute incorporeacutee

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DAVIDE POGGI

QUELQUES OBSERVATIONS SUR LA REacuteFLEXION COGNITIVE ET LA REacuteFLEXIVITEacute DE LrsquoESPRIT DANS LA PENSEacuteE DE LEIBNIZ

1 Introduction

Les œuvres de 1714 crsquoest-agrave-dire les Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison (que pour plus de faciliteacute jrsquoappellerai Principes) et Les principes de la philosophie ou Monadologie (que jrsquoappellerai Monadologie) sont le couronnement avec lequel se termine tout au moins chronologiquement le parcours philosophique de Leibniz Il est inutile de rappeler (mais il est peut-ecirctre tout aussi important de le souligner) que les deux textes ne se caracteacuterisent pas seulement par leur nature de manuscrits publieacutes agrave titre posthume mais plutocirct par lextrecircme briegraveveteacute qui est lincarnation du dessein analytique-deacuteconstructif et syntheacutetique-reconstructif de lrsquoAuteur

Cette structuration more geometrico visait expresseacutement agrave rendre plus facilement compreacutehensible le systegraveme du philosophe de Hanovre (respectivement au prince Eugegravene de Savoie et agrave Nicolas Franccedilois Reacutemond) ainsi si dune part certains noyaux theacutematiques et conceptuels sont confirmeacutes de faccedilon lapidaire et presque deacutefinitive (en reacutepondant ainsi agrave lobjectif de lAuteur) dautre part il est cependant possible de signaler certaines situations critiques qui paradoxalement ont leur origine du fait que les raisonnements de Leibniz sont tellement deacutepouilleacutees qursquoils sont cryptiques

Les points sur lesquels je veux me concentrer agrave cette occasion sont la relation entre lapperception et la reacuteflexion et par la suite entre la reacuteflexion et la possession de veacuteriteacutes universelles Dans le premier des deux cas je chercherai agrave comprendre si lrsquoapperception en tant que conscience ou connaissance reflexive est une caracteacuteristique qui appartient exclusivement aux acircmes raisonnables ou esprits

Dans le deuxiegraveme cas jrsquoessayerai de reacutesoudre une incoheacuterence entre le texte du paragraphe 5 des Principes et celui des paragraphes 29 et 30 de la Monadologie (ce qui ne veut pas dire que cette contradiction est seulement entre ces deux œuvres) il ne srsquoagit pas

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drsquoun scrupule purement philologique mais drsquoune question principalement eacutepisteacutemologique qui est eacutegalement axeacutee comme le premier argument sur le rocircle de la reacuteflexion par rapport agrave ce que le sujet apporte avecen soi

Maintenant afin de bien comprendre ces thegravemes principaux et de deacutenouer les nœuds probleacutematiques qursquoils renferment il est utile agrave mon avis de recourir aux œuvres preacuteceacutedentes parce que nous pouvons y trouver les cleacutes de lecture correspondantes Mais quelles sont ces œuvres Reacutetrospectivement le premier texte que nous rencontrons ce sont les Essais de theacuteodiceacutee (1710) qui peuvent sans aucun doute ecirctre consideacutereacutes une summa du systegraveme philosophique de Leibniz mais de faccedilon similaire agrave ce que les substances individuelles ou les monades font par rapport agrave lrsquoUnivers ils repreacutesentent la penseacutee leibnizienne drsquoun point de vue speacutecifique (situeacute agrave la rencontre des questions meacutetaphysiques eacutethiques et theacuteologiques)

Le texte qui peut nous aider agrave ce propos est celui qui preacutecegravede immeacutediatement la Theacuteodiceacutee composeacute au deacutebut des anneacutees 1700 dans lequel Leibniz se mesure avec la psychologie de Locke qursquoil avait lue dans lrsquoEssai philosophique concernant lentendement humain (crsquoest-agrave-dire dans la traduction franccedilaise de lEssay reacutealiseacutee par Pierre Coste et publieacutee en 1700) Stimuleacute par la construction dune discussion ldquoideacutealerdquo avec le philosophe anglais et avec un point de vue ldquoautrerdquo (qui nrsquoest pas neacutecessairement radicalement opposeacute au sien)1 Leibniz finit par illustrer sa propre penseacutee mettant en eacutevidence des aspects qursquoil nrsquoavait si bien eacuteclaircis mecircme dans des œuvres comme le Discours de metaphysique (bien qursquoil ait eacuteteacute eacutecrit dans le contexte du dialogue ldquoreacuteelrdquo avec Arnauld) et le Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances (publieacute sur le Journal des sccedilavans en juin-juillet 1695 lrsquoun des rares exposeacutes de sa penseacutee qui aient circuleacute officiellement du vivant de Leibniz) agrave cause drsquoune certaine rigiditeacute que lon trouve dans les travaux destineacutes agrave un public qui parlait et pensait de faccedilon ldquocarteacutesiennerdquo (savoir le public du ldquotriangle philosophique et culturelrdquo deacutelimiteacute par Port-Royal les disciples de Malebranche et ceux de Spinoza)

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2 Apperception et reacuteflexion la connaissance des esprits et celle des animaux

Crsquoest en effet dans les Nouveaux Essais que le termeconcept drsquoapperception fait pour la premiegravere fois son apparition agrave lrsquointeacuterieur du corpus des textes leibniziens ce neacuteologisme naicirct drsquoune reacuteflexion sur une caracteacuteristique de la langue franccedilaise et de son application dans le domaine gnoseacuteologique2

Le lexique philosophique de la connaissance degraves Descartes srsquoeacutetait concentreacute sur le substantif de perception indiquant agrave la fois le contenu psychique et la fonction perceptive Leibniz lrsquoavait enrichi dun terme qui indiquait la fonction cognitive dans sa pleine expression au moyen de lrsquoacte aperceptif (appercevoir quelque chose ou dans sa variante reacuteflexive srsquoappercevoir de quelque chose) savoir lrsquoeacutemergence et la manifestation drsquoune vis qui est essentielle agrave la simple substance spirituelle (si ce nest son essence) mais qui est ldquocognitiverdquo au sens large du mot En effet cette vis concerne surtout la dimension ontologique des substances qui seront ensuite deacutefinitivement appeleacutees monades (lrsquoacte de repraesentareexprimere plus que toute autre chose est un ldquoporter en soi-mecircmerdquo lrsquounivers un ldquoecirctre lrsquouniversrdquo suivant de justes proportions de faccedilon agrave pouvoir garantir le rapport de ldquosignificationrdquo)

Le processus de clarification et de distinction progressives des ideacutees dont lrsquoon parle dans le Discours de metaphysique et preacuteceacutedemment dans les Meditationes de cognitione veritate et ideis (1684) doit ainsi ecirctre adresseacute non seulement aux ideacutees en tant que perceptions ou contenus psychiques mais aussi agrave lrsquoensemble ldquorepraesentatio et substantia repraesentativardquo crsquoest-agrave-dire agrave la dialectique du sujet et de lrsquoobjet

Leibniz deacutecline cette conception panoptique de lapperception selon ce qursquoil veut porter agrave lattention du lecteur tantocirct il se reacutefegravere au pocircle objectif de lrsquoattention (le contenu) en visant agrave souligner la question de sa notabiliteacute3 (ce qui fait la marque de la premiegravere distinction entre exprimere et animadvertere savoir entre

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perceptions en tant qursquoldquoexpressionsrdquo des ldquosimples Monadesrdquo et la moindre connaissance claire et distincte qui srsquoeacutelegraveve au-dessus de lrsquoeacutetourdissement des ldquoMonades toutes nuumlesrdquo)4 par le sujet (qui est en ce cas lrsquoobjet secondaire de lrsquoattention tandis que le contenu en est lrsquoobjet principal) tantocirct il se reacutefegravere au pocircle subjectif de lrsquoattention savoir le sujet par rapport agrave la question de la con-science savoir de lrsquoauto-conscience en tant que auto-possession cognitive du sujet dont le contenu est en preacutesence (et cette donneacutee psychique est maintenant lrsquoobjet secondaire de lrsquoattention)

Cela nous permet de deacutefinir le rocircle de lapperception dans la taxonomie des ecirctres abordant ainsi une incoheacuterence identifieacutee par Kulstad5 non seulement entre quelques passages agrave linteacuterieur des Nouveaux Essais mais aussi entre ces passages et la penseacutee que Leibniz au cours des anneacutees a deacuteveloppeacutee et progressivement clarifieacutee et expliqueacutee Il srsquoagit de certains passages comme celui que je vais citer

Ces perceptions insensibles marquent encore et constituent le mecircme individu qui est caracteriseacute par les traces qursquoelles conservent des estats preacutecedens de cet individu en faisant la connexion avec son estat present qui se peuvent connoistre par un esprit superieur quand cet individu mecircme ne les sentiroit pas [hellip] Crsquoest pour cela que la mort ne sauroit estre qursquoun sommeil et mecircme ne sauroit en demeurer un les perceptions cessant seulement agrave ecirctre assez distingueacutees et se reduisant agrave un ecirctat de confusion dans les animaux qui suspend lrsquoapperception [je souligne] mais qui ne sauroit durer toujours [texte omis par le copiste pour ne parler icy de lrsquohomme qui doit avoir en cela des grands privileges pour garder sa personaliteacute]6

Ces passages sont-ils vraiment probleacutematiques Si lrsquoon considegravere les œuvres de 1714 (ougrave il convient de le souligner le substantif apperception est hapax legomenon et acquiert ainsi une valeur particuliegravere) lrsquoon peut lire des passages comme les suivants tireacutes des Principes

Il est bon de faire distinction entre la perception[] qui est lrsquoetat interieur de la Monade representant les choses externes et lrsquoapperception qui est la conscience[] ou la

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connaissance reflexive[] de cet eacutetat inteacuterieur laquelle nrsquoest point donneacutee agrave toutes les Ames ni toujours agrave la mecircme Ame7

Lrsquoeacutetat passager qui enveloppe et represente une multitude dans lrsquouniteacute ou dans la substance simple nrsquoest autre chose que ce qursquoon appelle la Perception qursquoon doit distinguer de lrsquoapperception ou de la conscience [je souligne] [] et crsquoest en quoi les Cartesiens ont fort manqueacute aiumlant compteacute pour rien les perceptions dont on ne srsquoapperccediloit pas8

Lrsquoon comprend que ces passages ont pour but de tracer une forte ligne de deacutemarcation entre les acircmes des becirctes et les esprits (et donc de montrer une caracteacuteristique exclusive du dernier et plus haut degreacute ontologique et cognitif des monades) puisque agrave la fois dans les Principes et dans la Monadologie lrsquoAuteur eacutecrit de maniegravere presque identique que la confusion entre apperception et perception a donneacute lieu chez les Carteacutesiens au malentendu selon lequel seulement les esprits seraient monades et les animaux seraient au contraire deacutepourvus drsquoacircme (et donc seraient reacuteduits agrave simple extension sans vie psychique) Mais crsquoest de lrsquoapperception en tant que connaissance reflexive qursquoon parle dans ces passages crsquoest-agrave-dire de lrsquoapperception lieacutee agrave la reacuteflexion ou faculteacute de reacutefleacutechir Crsquoest la mecircme conception dont Leibniz parle dans les Nouveaux Essais lorsqursquoil propose une deacutefinition drsquoentendement qui vise agrave mieux preacuteciser et ameacuteliorer celle de Locke (savoir entendement en tant que puissance drsquoappercevoir) Il faut souligner que Kulstad mecircme cite ce passage car Leibniz semble ici assigner lrsquoapperception aux animaux

PHILAL La puissance drsquoappercevoir est ce que nous appellons en tendement [hellip] THEOPH Nous nous appercevons de bien des choses en nous et hors de nous que nous nrsquoentendons pas et nous les en tendons quand nous en avons des ideacutees distinctes avec le pouvoir de reflechir et drsquoen tirer des veriteacutes necessaires Crsquoest pourquoy les bestes nrsquoont point drsquoentendement au moins dans ce sens quoyque elles ayent la faculteacute de srsquoappercevoir des impressions plus remarquables et plus distingueacutees [je souligne] comme le sanglier srsquoapperccediloit drsquoune personne qui luy crie et va droit agrave cette personne dont il nrsquoavoit eu deacutejagrave auparavant qursquoune perception nue mais confuse comme de tous les autres objets qui tomboient sous ses yeux et dont les rayons frappoient son crystallin Ainsi dans mon sens lrsquoen tendement reacutepond agrave ce qui chez les Latins est appelleacute Intellectus et lrsquoexercice de cette faculteacute srsquoappelle In te l lec t ion qui est une perception distincte jointe agrave la faculteacute de reflechir qui nrsquoest

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pas dans les bestes Toute perception jointe agrave cette faculteacute est une penseacutee que je nrsquoaccorde pas aux bestes non plus que lrsquoentendement9

Ici Leibniz se concentre sur lrsquoaspect theacuteorique du rapport entre apperception et reacuteflexion savoir la ldquocompreacutehensionrdquo des contenus perccedilus en vertu du bagage conceptuel a priori (crsquoest-agrave-dire ldquosur-sensitifrdquo ou reacuteflexif) tandis que dans le passage de la Theacuteodiceacutee que je vais citer bien que le terme apperception ne paraisse pas (une absence qui caracteacuterise drsquoailleurs le texte entier) lrsquoAuteur utilise son synonyme savoir ldquosentiment reflexif interne de ce qursquoelle estrdquo qui est la crase10 de lrsquoexpression ldquoconnaissance reflexiverdquo et du ldquosentiment inteacuterieurrdquo malebranchien

En disant que lrsquoame de lrsquohomme est immortelle on fait subsister ce qui fait que crsquoest la mecircme personne laquelle garde ses qualiteacutes morales en conservant la consc ience ou le sentiment reflexif interne de ce qursquoelle est ce qui la rend capable de chatiment et de recompense11

Il srsquoagit de deux aspects qui sont inseacuteparables bien que distincts comme lrsquoon peut voir dans lrsquoune des Remarques aux objections faites par lrsquoabbeacute et chanoine de Dijon Simon Foucher contre le Systegraveme nouveau dans la lettre de 12 septembre 1695 et publieacutees dans le Journal des Sccedilavans

Je le fais [crsquoest-agrave-dire constituer un principe sensitif dans les becirctes qui soit substantiellement diffeacuterent de celui des hommes] parce qursquoon ne trouve pas que les Bestes fassent des reflexions qui constituent la raison et donnant la connoissance des veriteacutes necessaires ou des sciences rendent lrsquoame capable de personaliteacute Les bestes distinguent le bien et le mal ayant de la perception mais elles ne sont point capables du bien et du mal moral qui supposent la raison et la conscience12

Dans ces passages Leibniz parle donc de lrsquoapperception purement humaine puisqursquoelle concerne un sujet qui devient clair et distinct agrave soi-mecircme (un ldquomoirdquo) et un objet en tant que preacutesent agrave un sujet qui se connaicirct Le cadre de reacutefeacuterence de Leibniz est celui deacutecrit par Arnauld dans une œuvre que Leibniz connaissait fort bien le traiteacute Des vrayes et des fausses ideacutees (1683) Dans ce texte le philosophe de

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Port-Royal critiquant la thegravese de Malebranche selon laquelle la conscience est une non-connaissance immeacutediate que le sujet a de soi-mecircme (mais seulement une auto-affection qui est sans doute vraie et certaine) faisait la distinction entre la conscience que lrsquoon a de soi-mecircme et de ses propres contenus psychiques et la connaissance qui suit cette auto-perception une reacuteflexion expresse au moyen de laquelle le sujet se connaicirct par des ideacutees claires et distinctes

[La 4egraveme preacutevention de Malebranche est] qursquoon ne connoist point par des ideacutees claires ce qursquoon connoist par conscience et par sentiment Et crsquoest justement tout le contraire [hellip] Or quand on voudroit douter si la perception que nous avons de nostre penseacutee lorsque nous la connoissons comme par elle mecircme sans reflexion expresse est proprement une ideacutee on ne peut nier au moins qursquoil ne nous soit facile de la connoistre par une ideacutee puisque nous nrsquoavons pour cela qursquoagrave faire une reflexion expresse sur nostre penseacutee Car alors cette seconde penseacutee ayant pour objet la premiere elle en sera une perception formelle et par consequent une ideacutee Or cette ideacutee sera claire puisqursquoelle nous fera appercevoir treacutes eacutevidemment ce dont elle est ideacutee Et par consequent il est indubitable que nous voyons par des ideacutees claires ce que nous voyons par sentiment et par conscience bien loin qursquoon doive regarder comme opposeacutees ces deux manieres de connoistre ainsi que fait par tout lrsquoAuteur de la Recherche de la Veriteacute 13

Il srsquoagit drsquoun modegravele qui contenait deacutejagrave en soi-mecircme precircte agrave ecirctre deacuteveloppeacutee la distinction entre la preacutesence immeacutediate du sujet agrave soi-mecircme (qui nrsquoest pas la connaissance au sens strict mais au sens large du terme ndash qui sert selon Leibniz agrave limiter le grave risque de la reacutegression agrave lrsquoinfini dans la spirale cognitive) et la perception posteacuterieure chronologiquement et gnoseacuteologiquement une perception de second (plus haut) niveau qui apporte clarteacute et distinction (crsquoest lrsquoapperception proprement dite)

Ainsi dans les Nouveaux Essais lorsque Leibniz parle de lrsquoapperception comme srsquoil lrsquoattribuait aux animaux il fait un mauvais usage drsquoun terme et drsquoun concept qursquoil avait utiliseacute pour la premiegravere fois dans cette œuvre sans avoir atteint le degreacute de preacutecision qui caracteacuterisera les œuvres suivantes (crsquoest-agrave-dire les deux traiteacutes de 1714) Leibniz nrsquoutilise son neacuteologisme qursquoen renvoyant au verbe dont le mot apperception a tireacute son origine (en eacutetant sa substantivation) un verbe qui dans le franccedilais du XVIIegraveme siegravecle nrsquoavait pas un signifieacute bien speacutecifieacute En effet lorsqursquoil parle de lapperception humaine Leibniz utilise une expression qui pourrait ecirctre consideacutereacutee comme un 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 Arnauld 1986 pp 225-226

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ldquohendiadys au contrairerdquo parce que si lrsquohendiadys vise agrave reacutealiser une synthegravese entre deux eacuteleacutements distincts dans ce cas le but est au contraire drsquoeffectuer une analyse dans un unicum constitueacute par le verbe appercevoirremarquer (donc la question de lrsquoapperception lieacutee agrave la notabiliteacute du contenu conscience de lrsquoobjet) et par la reacuteflexion (et donc lrsquoeacutemergence du sujet et la preacutesence du contenu au moi)

Il semble que nostre habile Auteur pretende qursquoil nrsquoy ait rien de virtuel en nous et mecircme rien dont nous [ne] nous appercevions toujours actuellement [hellip] Drsquoailleurs il y a mille marques qui font juger qursquoil y a agrave tout moment une infiniteacute de perceptions en nous mais sans apperception ET sans reflexion [je souligne] crsquoest agrave dire des changements dans lrsquoame mecircme dont nous ne nous appercevons pas parce que ces impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre ou trop unies en sorte qursquoelles nrsquoont rien drsquoassez distinguant agrave part mais jointes agrave drsquoautres elles ne laissent pas de faire leur effect et de se faire sentir au moins confuseacutement dans lrsquoassemblage14

Toute attention demande de la meacutemoire et quand nous ne sommes point avertis pour ainsi dire de prendre garde agrave quelques unes de nos propres perceptions preacutesentes nous les laissons passer sans reflexion ET MEcircME sans les remarquer [je souligne la distinction des deux parties] Mais si quelquun nous en avertit [hellip] nous nous en souvenons et nous nous appercevons drsquoen avoir eucirc tantocirct quelque sentiment Ainsi crsquoeacutetoient des perceptions dont nous ne nous eacutetions pas apperccedilucircs incontinent lrsquoapperception ne venant dans ce cas drsquoavertissement qursquoapreacutes quelque intervalle pour petit qursquoil soit15

Crsquoest donc une contradiction seulement apparente qui existe entre les passages leibniziens qui concernent lapperception et son attribuabiliteacute non seulement aux esprits mais aussi aux becirctes La sensation ou sentiment est ldquoquelque chose de plus qursquoune simple perceptionrdquo16 parce qursquoelle est caracteacuteriseacutee par lrsquoeacutemergence du contenu dans le cocircne de lumiegravere de lrsquoattention en vertu de la distinction de la repreacutesentation17 Il srsquoagit drsquoune apperception qursquoon peut nommer ldquoincomplegraveterdquo ou ldquoinacheveacuteerdquo parce qursquoelle se concentre seulement sur le contenu en question et non sur le sujet qui reste le fond indistinct de cette preacutesence psychique (tandis que le sujet qui connaicirct qursquoil y a quelque chose en rapport de ldquopreacutesence agrave luirdquo est un ldquosujet-preacutesent-agrave-soi-mecircmerdquo savoir qui peut faire reacuteflexion sur soi-mecircme)

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Ainsi dans les becirctes il nrsquoy a point lrsquohendiadis ldquoapperception et reacuteflexionrdquo (qui est lrsquoapperception dans toute sa pleacutenitude et complexiteacute)18 mais seulement une apperception en tant qursquoanimadvertere et faculteacute de percevoir des donneacutees distinctes (appercevables ou apperceptibles) Crsquoest ce sens preacutecis de lapperception qui caracteacuterise eacutegalement les esprits et les animaux preacuteciseacutement parce que la question du seuil de clarteacute et de distinction neacutecessaire afin qursquoils saperccediloivent de tout contenu est une question commune

Jrsquoaimerois mieux distinguer entre perception et srsquoappercevoir [je souligne] La perception de la lumiere ou de la couleur par exemple dont nous nous appercevons est composeacutee de quantiteacute de petites perceptions dont nous ne nous appercevons pas et un bruit dont nous avons perception mais ougrave nous ne prenons point garde devient apperceptible [je souligne] par une petite addition ou augmentation19

Un estre immateriel ou un Esprit ne peut estre depouilleacute de toute perception de son existence passeacutee Il luy reste des impressions de tout ce qui luy est autrefois arriveacute et il a mecircme des preacutesentimens de tout ce qui luy arrivera mais ces sentimens sont le plus souvent trop petits pour pouvoir estre distinguez et pour qursquoon srsquoen apperccediloive20

Puisqursquoil attribue donc aux becirctes une perception plus claire et distincte du contenu leur niant les actes de reacuteflexion qui constituent le deuxiegraveme foyer de lrsquoapperception au sens technique du terme lrsquoon ne peut pas soutenir que Leibniz se contredisse tout au plus pouvons-nous affirmer qursquoil fait ce qui dans les termes de Locke peut ecirctre appeleacute un ldquoabus des motsrdquo (Abuse of Words) crsquoest-agrave-dire lrsquousage du mecircme mot pour indiquer des concepts tout agrave fait diffeacuterents

3 Reacuteflexion et possession des veacuteriteacutes universelles qursquoest-ce qui nous eacutelegraveve agrave quoi

La deuxiegraveme question sur laquelle je voudrais maintenant focaliser lrsquoattention est intimement lieacutee agrave ce que nous avons dit auparavant et concerne un autre aspect des actes reacuteflexifs en vertu duquel ces actes appartiennent seulement aux esprits il srsquoagit de la

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possessionconnaissance de veacuteriteacutes universelles Si lrsquoon considegravere des œuvres comme par exemple le Discours de metaphysique et les Principes de la nature et de la gracircce lrsquoon peut trouver une coheacuterence interne agrave la penseacutee de Leibniz bien que les deux œuvres citeacutees repreacutesentent deux moments eacuteloigneacutes non seulement chronologiquement mais aussi du point de vue conceptuel

sect 34 Elles [les acircmes des becirctes et les formes substantielles] expriment aussi tout lrsquounivers quoyque plus imparfaitement que les esprits Mais la principale difference est qursquoelles ne connoissent pas ce qursquoelles sont ny ce qursquoelles font et par consequent ne pouvant faire des reflexions elles ne sccedilauroient decouvrir des veriteacutes Crsquoest aussi faute de reflexion sur elles mecircmes qursquoelles nrsquoont point de qualiteacute morale drsquoougrave vient que passant par mille transformations agrave peu pregraves comme nous voyons qursquoune chenille se change en papillon crsquoest autant pour la morale ou practique comme si on disoit qursquoelles perissent et on le peut mecircmes dire physiquement comme nous disons que les corps perissent par leur corruption Mais lrsquoame intelligente connoissant ce qursquoelle est et pouvant dire ce MOY qui dit beaucoup ne demeure pas seulement et subsiste Metaphysiquement bien plus que les autres mais elle demeure encor la mecircme moralement et fait le mecircme personnage [hellip]

sect 35 [hellip] Car toute la nature fin vertu et fonction des substances nrsquoestant que drsquoexprimer Dieu et lrsquounivers comme il a esteacute assez expliqueacute il nrsquoy a pas lieu de douter que les substances qui lrsquoexpriment avec connoissance de ce qursquoelles font et qui sont capables de connoistre des grandes veriteacutes agrave lrsquoegard de Dieu et de lrsquounivers ne lrsquoexpriment mieux sans comparaison que ces natures qui sont ou brutes et incapables de connoistre des veriteacutes ou tout agrave fait destitueacutees de sentiment et de connoissance et la difference est aussi grande que celle qursquoil y a entre le miroir et celuy qui voit21

sect 5 Le raisonnement veritable deacutepend des veriteacutes neacutecessaires ou eacuteternelles comme sont celles de la Logique des Nombres de la Geomeacutetrie qui font la connexion indubitable des ideacutees et les consequences immancables Les animaux ougrave ces consequences ne se remarquent point sont appelleacutes becirctes mais ceux qui connoissent ces veriteacutes necessaires sont proprement ceux qursquoon appelle Animaux Raisonnables et leurs Ames sont appelleacutees Esprits Ces Ames sont capables de faire des Actes reflexifs et de considerer ce qursquoon appelle Moy Substance Ame Esprit en un mot les choses et les veriteacutes immaterielles et crsquoest ce qui nous rend susceptibles des Sciences ou des connoissances demonstratives22

Le processus ldquoreacuteflexion-abstraction-possession des veacuteriteacutes universelle et eacuteternellesrdquo est encore tregraves fort mecircme dans les eacutecrits des anneacutees 1690 comme les Remarques lieacutees au Systegraveme nouveau ougrave Leibniz eacutecrit qursquoldquoon ne trouve pas que les Bestes fassent des reflexions qui constituent la raison et [donnent] les connoissance des veriteacutes 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 21 Leibniz Discours de metaphysique A VI4 sectsect 34-35 pp 1583-1584 Id Discours de metaphysique GP IV sectsect 34-35 pp 459-460 22 Leibniz Principes de la nature et de la gracircce eacuted par Robinet sect 5 pp 39-41 Id Principes de la Nature et de la Grace GP VI sect 5 pp 600-601

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necessaires ou des sciencesrdquo23 Le problegraveme naicirct de la neacutecessiteacute de comprendre les raisons pour

lesquelles les sectsect 29-30 de la Monadologie ne preacutesentent pas une simple variation sur le thegraveme mais un veacuteritable renversement de lrsquoordre du processus proposeacute dans les œuvres consideacutereacutees auparavant savoir lrsquoordre qui commence par la reacuteflexion et qui se termine par la possession des veacuteriteacutes eacuteternelles si nous utilisons lrsquoexpression ldquopsychogenegraveserdquo pour indiquer lrsquoapparition des concepts en tant que tels dans lesprit agrave partir de preacutecises perceptions concregravetes lrsquoordre nouveau que Leibniz propose dans la Monadologie peut ecirctre appeleacute ldquoanti-psychogeacuteneacutetiquerdquo (ou tout simplement a priori)

Examinons donc le texte des sectsect 29-30 (jrsquoai indiqueacute en le soulignant ce qui dans le texte relegraveve de lrsquoordre ldquoanti-psychogeacuteneacutetiquerdquo)

ldquosect 29 Mais la connoissance des veriteacutes necessaires et eacuteternelles est ce qui nous distingue des simples animaux et nous fait avoir la Raison et les Sciences en nous eacutelevant agrave la connoissance de nous-mecircme et de Dieu Et crsquoest ce quon appelle en nous Ame raisonnable ou Esprit sect30 Crsquoest aussi par la connoissance des veriteacutes necessaires et par leurs abstractions [] que nous sommes eacuteleveacutes aux Actes reflexifs qui nous font penser agrave ce qui srsquoappelle Moy et agrave consideacuterer que ceci ou cela est en nous et crsquoest ainsi qursquoen pensant agrave nous nous pensons agrave lrsquoEtre agrave la Substance au simple ou au composeacute agrave lrsquoimmateriel et agrave Dieu mecircme en concevant que ce qui est borneacute en nous est en lui sans bornes Et ces Actes reflexifs fournissent les objects principaux de nos raisonnemensrdquo24

Comme lrsquoon peut voir (et cela rend dautant plus inteacuteressants ces passages) la derniegravere proposition du sect 30 (souligneacutee par une ligne onduleacutee) montre que les deux ordres coexistent bien que lrsquoordre psychogeacuteneacutetique soit tregraves affaibli

Bien sucircr la composition du manuscrit comme Robinet le souligne dans son eacutedition critique des textes de 1714 a eu lieu en plusieurs eacutetapes et donc lrsquoon peut supposer que crsquoest une erreur qui na pas eacuteteacute amendeacutee par lrsquoAuteur toutefois lrsquoexamen des modifications faites dans le passage du premier brouillon agrave la deuxiegraveme copie B nous permet de dire que Leibniz semble deacutecideacute agrave adopter lapproche anti-psychogeacuteneacutetique au moyen des ajouts en marges qui vont dans ce sens Une fois rejeteacutee donc lrsquointerpreacutetation selon laquelle lrsquoinversion de 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 23 Leibniz Remarques sur les Objections de M Foucher GP IV c p 492 24 Leibniz Principes de la philosophie ou Monadologie eacuted par Robinet sectsect 29-30 p 87 Id Monadologie GP VI sectsect 29-30 pp 611-612

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lrsquoordre serait due agrave une faute ou une meacuteprise de Leibniz il srsquoagit de comprendre la raison vraisemblable de cela

Or agrave cette fin il ne faut pas oublier que les actes reacuteflexifs sont des actes cognitifs aperceptifs crsquoest-agrave-dire lieacutes agrave leacutemergence claire et distincte du sujet Cette connaissance bien qursquoimmeacutediate dans la mesure ougrave il y a clarteacute et distinction nrsquoa pas un statut sui generis par rapport au niveau intellectuel et conceptuel les actes reacuteflexifs sont un retour de lrsquoattention du sujet sur soi-mecircme qui en eacutetant clair et distinct agrave soi-mecircme se connaicirct gracircce au bagage des concepts a priori ou reacuteflexifs (le nisi intellectus ipse) qui paraissent avec le sujet et qui ne sont pas seulement la structure ontologique de ce dernier mais aussi la syntaxe logique et ontologique du reacuteel Crsquoest lagrave ce ldquobeaucouprdquo que le Moi affirme suivant le Discours de Metaphysique25 et qui nrsquoaurait jamais eacuteteacute prononceacute si le sujet nrsquoeacutetait caracteacuteriseacute par quelque chose de plus quelque chose qui est heacuteteacuterogegravene par rapport aux sens

Le passage suivant des Nouveaux Essais qui concerne la connaissance intuitive que le sujet a de sa propre existence ne doit pas nous induire en erreur

Lrsquoapperception immediate de nocirctre Existence et de nos penseacutees nous fournit les premieres veritez a posteriori ou de fait crsquoest agrave dire les premieres Experiences comme les propositions identiques contiennent les premieres veriteacutes a priori ou de Raison crsquoest agrave dire les premieres lumieres Les unes et les autres sont incapables drsquoetre prouveacutees et peuvent ecirctre appelleacutees immediates celles lagrave parce qursquoil y a immediation entre lrsquoentendement et son objet celles cy parce qursquoil y a immediation entre le sujet et le predicatum26

Les actes reacuteflexifs ne fournissent pas seulement en vertu de leur caractegravere intuitif des veacuteriteacutes premiegraveres de fait bien que du point de vue psychologique ce soit ce qui se passe (le cogito et les cogitata sont des contenus dont nous sommes immeacutediatement conscients agrave nous-mecircmes et dont nous sommes absolument sucircrs bien qursquoils eussent pu ecirctre de faccedilon pleinement diffeacuterente dans un autre des mondes possibles) en effet Leibniz parle expresseacutement dun lien entre les actes reacuteflexifs et les ldquoveriteacutes necessaires et eacuteternellesrdquo expression qui suggegravere qursquoil srsquoagit des veacuteriteacutes de raison vraies et

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valables dans tous les mondes possibles (et tels sont les concepts drsquouniteacute drsquoexistence de substance de Dieu etc qui sont indeacutependants des choix divins guideacutes par le principe du meilleur)

Ainsi lrsquoexpression selon laquelle la connaissance des veacuteriteacutes neacutecessaires et eacuteternelles ldquonous eacutelegraveve aux actes reacuteflexifsrdquo comme le dit Leibniz doit ecirctre interpreacuteteacutee en ce sens preacutecis savoir quelle ldquonous permetrdquo de faire reacuteflexion qui est un genre de connaissance propre des esprits (le verbe ldquoeacuteleverrdquo sert pour indiquer le saut qualitatif au-delagrave de la condition ontologique des acircmes non raisonnables des brutes) Une reacuteflexion qui est lieacutee agrave la possession cognitive de certaines veacuteriteacutes non seulement parce que les actes reacuteflexifs ldquooffrentrdquo psychogeacuteneacutetiquement ldquoles principaux objets de nos penseacuteesrdquo (ce qui pourrait ecirctre appeleacute un ordo cognoscendi car les actes reacuteflexifs sont la ratio cognoscendi des veacuteriteacutes universelles crsquoest ce que Carraud dans lrsquoessai LrsquoInvention du moi appelle la ldquovoie eacutegologiquerdquo ou psychologique agrave la substance en geacuteneacuteral)27 mais aussi parce qursquoldquoen pensant agrave nousrdquo nous nous apercevonspensonsconnaissons comme ldquosubstancesrdquo ldquosimplesrdquo ldquoexistantsrdquo et donc nous ldquomettons en œuvrerdquo (excercimus de excercere) les choses ldquoquae in anima nostra gerunturrdquo (drsquoapregraves la deacutefinition de reflexio eacutecrite au deacutebut des anneacutees 1680 avant le Discours de meacutetaphysique)28 Agrave ce propos dans les Nouveaux Essais nous pouvons lire

Lrsquoideacutee de lrsquoecirctre du possible du Mecircme sont si bien inneacutees qursquoelles entrent dans toutes nos penseacutees et raisonnemens et je les regarde comme des choses essentielles agrave nostre esprit [hellip] Jrsquoay deacuteja dit que nous sommes pour ainsi dire inneacutes agrave nous mecircmes et puisque nous sommes des ecirctres lrsquoecircstre nous est inneacute et la connoissance de lrsquoecircstre est enveloppeacutee dans celle que nous avons de nous mecircmes Il y a quelque chose drsquoapprochant en drsquoautres notions generales29

La raison de la progressive preacutedominance de lrsquoordreattitude anti-psychogeacuteneacutetique peut donc reacutesider agrave mon avis dans lintention de souligner le rocircle de lrsquoordo essendi ou ratio essendi par rapport agrave ce qui srsquoeacutetait passeacute dans des œuvres anteacuterieures comme le Discours de meacutetaphysique (qui eacutetait ldquopeacutetrirdquo de psychologie carteacutesienne) et les Principes de la nature et de la gracircce (bien que composeacutes dans le

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mecircme laps de temps que la Monadologie) Peut-ecirctre la rencontre avec Locke avait accentueacute lrsquourgence pour le philosophe de Leipzig (a fortiori dans une œuvre comme la Monadologie qui radicalise lintention de a sensibus abducere le lecteur) de souligner la diffeacuterence entre les hommes et les animaux en tant que lieacutee agrave la raison qui nrsquoest pas seulement lentendement comme fonction cognitive-abstractive (qui reccediloit lrsquoexpeacuterience et lrsquoeacutelabore)

Sans eacuteliminer complegravetement la question de la psychogenegravese de son horizon speacuteculatif Leibniz cherche agrave contrebalancer le pouvoir excessif de la meacutethode psychologique lockienne et de la conception de lrsquoentendement humain comme une tabula rasa ou white paper qui en eacutetait le ldquocœurrdquo

4 Conclusion

Jrsquoai chercheacute agrave montrer que le terme apperception degraves sa premiegravere apparition dans les Nouveaux Essais subit une eacutevolution preacutecise crsquoest-agrave-dire que son signifieacute et son rocircle deviennent de plus en plus deacutefinis et qursquoagrave partir des Principes de la nature et de la gracircce il est utiliseacute en tant que terme technique pour indiquer la caracteacuteristique distinctive du statut ontologique et cognitif des esprits agrave lexclusion des animaux Le lien avec la capaciteacute de faire des actes reacuteflexifs (savoir de tourner lrsquoattention non sur lrsquoobjet ndash reacuteflexion au sens large du terme ndash mais sur le sujet) est essentiel lrsquoapperception ne signifie donc pas seulement connaissance de lrsquoobjet mais de lrsquoobjet en tant que connu par un sujet qui est preacutesent et manifeste agrave soi-mecircme et en vertu de la capaciteacute de agere in se ipsum ldquointroduitrdquo le monde de la raison et de la morale (et donc de la Gracircce) dans le monde de la nature

Or ces reacuteflexions ne sont pas seulement utiles pour la compreacutehension de la penseacutee de Leibniz mais puisqursquoelles clarifient le contexte dans lequel se deacuteveloppe la meacutetaphysique allemande du XVIIIegraveme siegravecle elles nous aident agrave deacuteterminer le signifieacute de ce que Wolff eacutecrit dans la Psychologia rationalis (17341) ougrave il sinterroge ldquoan bruta apperceptione gaudeantrdquo30 Bien sucircr comme Pimpinella lrsquoa souligneacute31 Wolff srsquoeacuteloigne de la prescription leibnizienne selon laquelle 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 30 Wolff 1972 sect 751 31 Voir Pimpinella 2005 pp 7-10 41-56

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lrsquoapperception est le trait distinctif des esprits par rapport aux acircmes des becirctes Toutefois dans le mecircme temps il semble avoir saisi le sens plus geacuteneacuteral eacutegalement leibnizien du terme apperception un signifieacute qui a une valeur mecircme dans les limites preacutecises de la perception sensorielle dun cadre global qui devient clair par rapport aux deacutetails dont il se compose32

Wolff veut souligner que si la conscience drsquoun contenu est lieacutee agrave la clarteacute et agrave la distinction du contenu en question alors mecircme les animaux apperceptione gaudent car ldquopatet enim quod sensu distinguant sensibiliardquo et ldquohabent adeo perceptiones partiales claras atque hinc totales distinctasrdquo Ainsi ils ont de la conscience en tant que conscience de lrsquoobjet

Il ne srsquoagit pas de lrsquoeacutemergencesion du sujet ou moi qui caracteacuterise lrsquoapperception humaine en tant que connaissance reacuteflexive et qui concerne mecircme dans ce cas la clarteacute des perceptions partielles agrave lrsquointeacuterieur drsquoune perception totale (mais il srsquoagit drsquoune clarteacute qui implique le sujet - puisqursquoil fait partie du ldquomoment perceptif complexerdquo capable de se distinguer a rebus perceptis)

Malgreacute la subtiliteacute de Wolff qui lui permet de ne pas perdre de vue la complexiteacute de la penseacutee de Leibniz nous sommes en preacutesence drsquoun processus qui pourrait ecirctre appeleacute ldquohomeacuteopathiquerdquo crsquoest-agrave-dire qui consiste agrave diluer le principe actif originaire Ce processus connaicirctre un moment important dans la penseacutee du wolffien Baumeister33 en effet si mecircme dans la cogitatio des animaux il y a une distinction entre sujet et objet (parce que cette distinction est un caractegravere de la cogitatio en soi et pour soi) et donc qursquoil y aait lagrave une sorte de ldquoreacuteflexiviteacuterdquo34 (qui eacutetait pour Leibniz et encore pour Wolff la caracteacuteristique particuliegravere des esprits)35

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que reste-t-il de lrsquooriginaire apperception leibnizienne

BIBLIOGRAPHIE PRIMAIRE Arnauld A Des Vrayes et des Fausses Ideacutees contre ce qursquoenseigne lrsquoAuteur de la

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Wolff Ch Psychologia rationalis methodo scientifica pertractata qua ea quaelig de anima humana indubia experientiaelig fide innotescunt per essentiam et naturam animaelig explicantur et ad intimiorem naturaelig ejusque autoris cognitionem profutura proponuntur [Frankfurt und Leipzig 1740] eacuted critique avec introduction notes et index par J Eacutecole en Id Gesammelte Werke II6 hrsg und bearb von J Eacutecole HW Arndt Ch A Corr J E Hofmann und M Thomann Hildesheim-Zuumlrich-New York Olms 1972

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Davide Poggi Reacuteflexions cognitive et reacuteflexiviteacute de lrsquoesprit dans Leibniz

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Parmentier M Leibniz lecteur de Locke en F Duchesneau-J Griard (dir) Leibniz selon les Nouveaux Essais sur lrsquoentendement humain Montreacuteal-Paris Bellarmin-Vrin 2006 pp 11-18

Parmentier M Leibniz-Locke une intrigue philosophique Paris PUPS 2008 Pimpinella P Wolff e Baumgarten Studi di terminologia filosofica Firenze Olschki

2005 Poggi D Leibniz et Locke dans les Nouveaux Essais les animaux et lrsquohomme entre

identiteacute physique et identiteacute morale en H Breger-J Herbst-S Erdner (eds) Natur und Subjekt (Actes du IX Internationaler Leibniz-Kongress unter der Schirmherrschaft des Bundespraumlsidenten Leibniz-Universitaumlt Hannover 26 September-1 Oktober 2011) Vol 3 (de 3) Hannover Druckerei Hartmann 2011 pp 850-858

Poggi D Apperception appercevoir srsquoappercevoir de Eacutevolution drsquoun terme et drsquoune fonction cognitive ldquoLexicon Philosophicumrdquo 3 2015 pp 257-287

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ANSGAR LYSSY

AU-DELAgrave DE LA NATURE LES PRINCIPES DE LA GRAcircCE CHEZ LEIBNIZ

1 Introduction1

Les Principes de la Nature et de la Gracircce [titre abreacutegeacute en PNG] ont eacuteteacute eacutecrits en 1714 pour le prince Eugegravene de Savoie et conccedilus comme une introduction populaire agrave la meacutetaphysique de Leibniz Dans les dix-huit paragraphes des PNG Leibniz donne un exposeacute bref bien que systeacutematique de ses ideacutees philosophiques fondamentales Les PNG suivent une structure argumentative similaire agrave celle du Discours de Meacutetaphysique du Nouveau Systegraveme et de la Monadologie ces textes commencent tous avec une enquecircte sur la nature de la substance et de la reacutealiteacute laquelle est suivie (en ordre variable) par des remarques sur la nature des corps de lrsquoesprit des perceptions et de la relation entre le corps et lrsquoacircme enfin ils se terminent agrave chaque fois avec quelques remarques sur la Citeacute de Dieu

Le titre lui-mecircme indique deacutejagrave que Leibniz combine ici les ideacutees meacutetaphysiques et theacuteologiques au sein drsquoun systegraveme complet Dans cet article je veux simplement mrsquointerroger sur un aspect du titre choisi par Leibniz qui est eacutetonnant y a-t-il en effet des principes de la gracircce agrave proprement parler et si oui quels sont-ils Le titre semble faire allusion soit au De Natura et Gratia drsquoAugustin ou encore au Traiteacute de la Nature et de la Gracircce de Malebranche2 Cependant bien que le contexte historique soit certainement important pour le sujet de cette enquecircte en reconstruire ou discuter les influences historiques irait bien au-delagrave de la porteacutee de cet article Dans ce qui suit je veux plutocirct me concentrer sur les eacutecrits de Leibniz en particulier les PNG que je reacutesumerai pour faire voir comment la structure argumentative densemble nous megravene de la philosophie agrave la theacuteologie

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Leibniz a souligneacute ailleurs3 qursquoil commence comme philosophe et finit comme theacuteologien ce qursquoil ne manque pas non plus de rappeler dans ce texte pris dans leur ensemble les PNG peuvent ecirctre diviseacutes en quatre parties Leibniz remarque que la premiegravere partie (sectsect1-6) appartient agrave la scientia naturalis (ldquoJusqursquoici nous nrsquoavons parleacute qursquoen simples Physiciensrdquo4) et qursquoil se tourne ensuite vers la meacutetaphysique et le principe de raison suffisante (sectsect 7-10) Cela le conduit agrave la doctrine des deux royaumes les causes efficientes sont deacutetermineacutees par le principe de raison suffisante et par les principes de la meacutecanique alors que les causes finales sont agrave leur tour deacutetermineacutees par le ldquoprincipe de la convenance crsquoest-agrave-dire du choix de la sagesserdquo (sect 11)5 Les paragraphes suivants traitent plutocirct de la relation entre la creacuteation et le Creacuteateur et peuvent donc constituer une theacuteologie philosophique Mais ce nrsquoest que la derniegravere section qui aborde les questions theacuteologiques proprement dites par exemple la communauteacute entre les esprits et Dieu ou lrsquoamour divin (sectsect 15-18)

La transition de la meacutetaphysique ou de la theacuteologie philosophique agrave la theacuteologie proprement dite est marqueacutee par une conception de la dimension normative de lrsquoontologie crsquoest notre capaciteacute humaine de comprendre dans une certaine mesure les principes de la nature et de la creacuteation et donc drsquoimiter Dieu dans nos actions qui nous permet de devenir une partie du royaume divin

crsquoest-agrave-dire du plus parfait eacutetat formeacute et gouverneacute par le plus grand et le meilleur des monarques ougrave il nrsquoy a point de crime sans chacirctiment point de bonnes actions sans reacutecompense proportionneacutee et enfin autant de vertu et de bonheur qursquoil est possible6

Les derniers paragraphes traitent de la justice et du bonheur dans cet eacutetat futur Leibniz souligne que crsquoest la nature elle-mecircme qui nous conduit agrave la gracircce et que crsquoest au sein de ce domaine que nous allons trouver la justice lrsquoamour le bonheur lrsquoharmonie et le plaisir estheacutetique Il semble plausible de supposer que ce royaume de la 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 3 ldquoJe commence en philosophe mais je finis en theacuteologien un de mes grands principes est que rien ne se fait sans raison crsquoest un principe de philosophie Cependant dans le fond ce nrsquoest autre chose que lrsquoaveu de la sagesse divine quoique je nrsquoen parle pas drsquoabordrdquo Die Leibnizhandschriften der Koumlniglichen oumlffentlichen Bibliothek zu Hannover ed par Eduard Bodemann Hannover 1895 Reprint Hildesheim 1966 p 58 4 GP VI 602 5 PNG sect 11 6 PNG sect 15

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gracircce qui constitue le cœur de lrsquooptimisme leibnizien est gouverneacute par les principes de la gracircce dont le titre des PNG fait mention

Ceci reflegravete eacutegalement la rupture qursquointroduit Leibniz (ou sa reacuteinterpreacutetation) avec la tradition theacuteologique on oppose depuis lrsquoAntiquiteacute la gracircce avec la nature Pour Augustin la nature est sans importance pour nous ndash elle pourrait mecircme constituer un obstacle pour notre salut ndash et la gracircce seule deacutetermine notre destin pour Thomas drsquoAquin et pour beaucoup de ses disciples lrsquoideacutee que ldquola gracircce ne supprime pas la nature mais la perfectionnerdquo (gratia naturam non tollit sed perficit) est devenue une formule bien connue7 Malebranche va encore plus loin en juxtaposant les lois surnaturelles de Dieu de la gracircce et les lois de la nature

Mais quels sont exactement les principes de la gracircce et comment sont-ils lieacutes aux principes de la nature Sont-ils les mecircmes principes ou bien des principes diffeacuterents Il srsquoagit ici drsquoun terme que Leibniz nrsquoutilise pas freacutequemment en fait je nrsquoai trouveacute qursquoune seule autre occurrence dans lrsquoœuvre de Leibniz dans laquelle il se reacutefegravere agrave Bayle et non pas agrave ses propres ideacutees8 Lrsquoexpression latine correspondante principium gratiae nrsquoest pas non plus un terme theacuteologique habituel ni dans la tradition ni dans lrsquoœuvre de Leibniz9 Les recherches de Gerhardt nous montrent bien que Leibniz a choisi le titre par lui-mecircme10 si bien que cette unique occurrence du terme meacuterite agrave notre avis une recherche agrave part entiegravere Dans les PNG Leibniz ne deacutefinit malheureusement pas les notions de principe ou de gracircce et il nrsquoexplique pas non plus le contraste entre la nature et la gracircce Degraves lors nous avons besoin de contextualiser ces termes fondamentaux par rapport agrave leur usage dans drsquoautres eacutecrits avant de

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pouvoir donner un sens au titre des PNG Mais je voudrais tout drsquoabord esquisser certains problegravemes immeacutediats avec le titre

Premiegraverement le titre laisse la question ouverte de savoir si Leibniz fait allusion agrave deux types de principes diffeacuterents gouvernant chacun leur propre ensemble drsquoobjets ndash principes de la nature et principes de la gracircce ndash ou plutocirct agrave un seul type de principe gouvernant deux types diffeacuterents drsquoentiteacutes ndash principes de la nature et gracircce La premiegravere interpreacutetation peut ecirctre appeleacutee ldquodualisterdquo la deuxiegraveme suppose lrsquouniteacute sous un ldquodouble aspectrdquo

Deuxiegravemement comment pourrions-nous comprendre lrsquoideacutee qursquoil y a des principes de la gracircce Cette question touche agrave la nature de la relation entre lrsquointelligence et la volonteacute divines Historiquement on trouve une tension entre les conceptions qui mettent lrsquoaccent sur le rocircle de lrsquointelligence divine plutocirct que sur la volonteacute divine ou vice versa Drsquoune part Dieu a mis en place les ldquoregraveglesrdquo pour la morale et le salut dans la reacuteveacutelation et ceux qui suivent sa parole seront sauveacutes Ce sont les ldquoregraveglesrdquo du christianisme puisque celles-ci sont intelligibles et raisonnables on peut dire qursquoelles sont fondeacutees sur lrsquointelligence divine Drsquoautre part Dieu est le souverain absolu sur la creacuteation si bien quil nest contraint agrave des ldquoregraveglesrdquo que par sa propre deacutecision laquelle est absolument libre

Selon cette derniegravere interpreacutetation tous les actes de la gracircce sont fondeacutes sur la volonteacute divine Leibniz accepte ce preacutesupposeacute theacuteologique selon lequel Dieu dispense sa gracircce en toute liberteacute et sans aucune contrainte Mais il indique clairement ndash dans le titre des PNG notamment ndash que tous les principes quels qursquoils soient sont ldquofondeacutes en raisonrdquo Il semble donc clair que crsquoest lrsquoesprit et non la volonteacute qui deacutetermine les principes supeacuterieurs Les questions particuliegraveres souleveacutees par cette approche agrave savoir comment concevoir la liberteacute absolue de Dieu lui-mecircme sont traiteacutees dans la Theacuteodiceacutee si bien qursquoelles ne seront pas discuteacutees ici11 Il est eacutevident que Dieu ne suit pas aveugleacutement un ensemble de principes supeacuterieurs et invariables car cela reviendrait agrave nier sa liberteacute absolue mais alors comment devrions-nous comprendre les principes de la gracircce

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2 Qursquoest-ce qursquoun principe

Grosso modo Leibniz conccediloit les principes agrave la fois comme les fondements ou les sources de la connaissance et comme des entiteacutes meacutetaphysiques actives Cette deacutefinition a un caractegravere aristoteacutelicien dans la mesure ougrave les principes sont conccedilus agrave la maniegravere du concept drsquoarchegrave En effet les principes deacuteterminent autant les raisons que les causes au moins dans les eacutecrits leibniziens anteacuterieurs aux anneacutees 1690 Ainsi le fondement ultime de lrsquoexplication ainsi que de lrsquoexistence peut ecirctre un principe En ce sens la notion de principe est chez Leibniz eacutetroitement lieacutee agrave celle du systegraveme Un systegraveme de connaissance est un ensemble hieacuterarchiseacute de propositions fondeacute sur des principes eacutevidents qui servent drsquoaxiomata ou de ldquoveacuteriteacutes primitivesrdquo12 Un groupe de regravegles logiques nous permet de deacuteduire les propositions subordonneacutees des principes fondamentaux La meacutetaphysique est alors deacutefinie comme un ldquosystema theorematumrdquo13 et quand Leibniz eacutevoque la meacutetaphysique comme source ou fondement de la meacutecanique il fait aussi allusion aux principes de la meacutecanique lesquels sont fondeacutes sur des principes supeacuterieurs Neacuteanmoins les doctrines theacuteologiques peuvent aussi ecirctre formuleacutees dans un systegraveme14

Bien que les humains se forgent un systegraveme provisoire de la connaissance humaine il y a un systegraveme deacutefini et parfait de la vraie connaissance dans lrsquoesprit de Dieu qui est identique agrave la veacuteriteacute elle-mecircme15 Au moyen de lrsquoanalogie de ldquocausa sive ratiordquo Leibniz preacutesuppose que ce systegraveme de connaissance correspond agrave un ldquosystema mundirdquo Ainsi les acircmes peuvent agir comme des principes de lrsquoindividu et mecircme les monades sont conccedilues comme des principes drsquouniteacute substantielle16 ou principes de vie17

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En geacuteneacuteral Leibniz ne preacutesente ndash au moins dans le contexte de la meacutetaphysique ndash que deux ldquogrands principesrdquo le principe de neacutecessiteacute18 (ou le principe de non-contradiction) et le principe de raison suffisante Les veacuteriteacutes de la logique et de la matheacutematique sont fondeacutees sur le principe de neacutecessiteacute et le principe de lrsquoidentiteacute des indiscernables tandis que les veacuteriteacutes contingentes et factuelles exigent le principe de raison suffisante Leibniz remarque que la phrase de Descartes ldquoJe pense donc je suisrdquo nrsquoest pas un principe propre de la raison mais plutocirct une veacuteriteacute de fait19 Les principes primordiaux ne peuvent pas ecirctre trouveacutes dans lrsquoexpeacuterience mais on peut les deacutecouvrir par la reacuteflexion philosophique20

Comme crsquoest souvent le cas avec le concept de rationaliteacute les principes impliquent aussi chez Leibniz une dimension normative Ceci est eacutevident degraves lors que Leibniz identifie le principe de raison suffisante au principe ldquoreddendae rationisrdquo ce qui implique au moins une exigence normative de la rationaliteacute elle-mecircme ldquoIl faut donner des raisonsrdquo Ainsi le principe du meilleur selon lequel Dieu choisit le meilleur pour ce monde et donc le meilleur de tous les mondes possibles est lrsquoexpression du type speacutecifique de neacutecessiteacute morale qui deacutetermine tous les contingents Ce principe du meilleur nous permet ainsi de comprendre le monde en termes de qualiteacutes morales Il y a un passage drsquoune premiegravere esquisse du Systegraveme nouveau dans lequel Leibniz associe ce lien avec un principe speacutecifique

La consideacuteration du bien ou de la cause finale quoiqursquoil y ait quelque chose de moral est encor utilement employeacutee dans les explications des choses naturelles puisque lrsquoauteur de la nature agit par le principe de lrsquoordre et de la perfection21

Cette formulation drsquoun principe de lrsquoordre et de la perfection (Leibniz utilise ici le singulier ) est assez similaire aux principes de la nature et de la gracircce ndash la perfection est neacutecessairement coupleacutee agrave la gracircce agrave deacutefaut de quoi nous vivrions dans un monde particuliegraverement injuste Bien sucircr le concept de nature est eacutetroitement lieacute avec la notion drsquoordre Cela pourrait conduire agrave favoriser la lecture du ldquodouble aspectrdquo mentionneacutee ci-dessus toutefois Leibniz rejette cette partie

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de lesquisse du Systegraveme Nouveau et on ne retrouve aucune formulation similaire drsquoun tel principe de lrsquoordre et de la perfection dans la version publieacutee

Dans le contexte plus large de sa philosophie il y a beaucoup drsquoautres principes Si nous consideacuterons uniquement les PNG nous trouvons le principe du changement le principe drsquouniciteacute les principes de vie22 qui sont tous des principes de la nature et aussi le ldquoprincipe de la convenance cest-agrave-dire du choix de la sagesserdquo 23 Dans la Monadologie ce dernier est identifieacute au principe du meilleur et on peut supposer que crsquoest lrsquoun des principes de la gracircce puisque Leibniz affirme souvent quun monde injuste un monde dans lequel les peacutecheurs restent impunis serait contraire au principe du meilleur

Il est important de noter pourquoi et comment Leibniz introduit le principe de la convenance Il souligne que la philosophie naturelle de ses contemporains ne reacuteussit pas agrave expliquer pourquoi les lois fondamentales de la physique sont des lois en tout premier lieu La neacutecessiteacute des veacuteriteacutes logiques arithmeacutetiques et geacuteomeacutetriques peut ecirctre expliqueacutee par des raisons logiques si bien que leur veacuteriteacute est fondeacutee dans lrsquointellect divin On ne peut rendre raison de la facticiteacute contingente de lrsquoordre et de lrsquoharmonie que par les causes finales lesquelles sont finalement ancreacutees dans la volonteacute divine Lrsquoontologie geacuteneacuterale elle-mecircme doit ecirctre expliqueacutee diffeacuteremment des questions concernant les ecirctres singuliers Drsquoailleurs la question de savoir pourquoi il y a quelque chose plutocirct que rien est en soi une question morale parce qursquoelle nrsquoa de sens que si nous supposons que lrsquoexistence est intrinsegravequement deacutesirable et bonne En conseacutequence on pourrait dire que les principes de la gracircce ne traitent pas de la question de savoir si quelque chose de bon ou de mauvais arrive dans un cas particulier mais plutocirct srsquoil y a une dimension morale ou normative dans la creacuteation elle-mecircme et la faccedilon dont elle est structureacutee Cette dimension morale se reflegravete dans la structure de la reacutecompense et de la punition agrave lrsquooccasion Leibniz appelle cela lrsquoeacuteconomie de la gracircce24

Au paragraphe 15 des PNG Leibniz propose une analogie concernant la relation entre le royaume de la nature et le royaume de

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la gracircce dans lrsquoun Dieu agit comme un architecte dans lrsquoautre comme un monarque Cette analogie suggegravere une lecture dualiste les principes de la creacuteation ne sont pas les mecircmes que ceux de la gouvernance Cest du moins linterpreacutetation que je proposerai dans les deux prochaines sections

3 Qursquoest-ce que la Gracircce

Dans la tradition chreacutetienne la gracircce est geacuteneacuteralement comprise comme la volonteacute divine de sauver les ecirctres humains de leurs peacutecheacutes et de la damnation eacuteternelle Puisque les ecirctres humains ont eacuteteacute deacutechus par le peacutecheacute originel ils ne meacuteritent pas la gracircce de Dieu ldquoLa gracircce est un bien qursquoon fait agrave ceux qui ne lrsquoont point meacuteriteacute et qui se trouvent dans un eacutetat ougrave ils en ont besoinrdquo25 Mais les ecirctres humains peuvent ecirctre sauveacutes par la gracircce laquelle est lrsquoexpression de lrsquoamour que Dieu a pour les humains et de sa bienveillance eacuteternelle laquelle srsquoest manifesteacutee ou incarneacutee en Jeacutesus-Christ En ce sens la gracircce elle-mecircme est le premier ldquoprincipe actifrdquo concernant les ldquoactions pieusesrdquo26 Lrsquoamour divin nous conduit activement au salut si bien que la damnation ne reacutesulte que de notre reacutesistance active agrave cet amour En effet Dieu et les hommes ont les mecircmes raisons et le mecircme concept de justice selon lequel il faut promouvoir la perfection et srsquoefforcer pour le mieux27

On sait que Leibniz soutient qursquoil y a une harmonie preacuteeacutetablie entre le royaume de la nature et le royaume de la gracircce28 Cela le conduit agrave admettre que ldquola nature megravene agrave la gracircce et que la gracircce perfectionne la nature en srsquoen servantrdquo29 Bien sucircr pour ce faire on a besoin de supposer que les principes de la nature et de la gracircce ne srsquoopposent pas mais se complegravetent plutocirct mutuellement Leibniz soutient que Dieu nrsquointervient pas dans le cours de la nature pour punir ses creacuteatures mais que la nature est dirigeacutee de maniegravere agrave ce

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que toute peine soit conforme agrave lrsquoordre des choses Lrsquoharmonie entre la nature et la gracircce est conccedilue de telle sorte que la punition soit produite par des processus purement naturels30

Leibniz suppose tout comme Thomas drsquoAquin (par exemple) que la nature humaine est dirigeacutee vers la gracircce toutefois il ne va pas aussi loin que Thomas en supposant que les ecirctres humains deacutependent de la gracircce divine pour srsquoefforcer vers le bien du moins pas directement Il suit neacuteanmoins du raisonnement preacuteceacutedent que lrsquoexistence mecircme des ecirctres humains (ou lrsquoexistence du monde en geacuteneacuteral) deacutepend de la gracircce de Dieu Crsquoest dans un sens le prix que nous devons payer pour notre existence lrsquohomme ne peut pas ecirctre parfait seul Dieu peut lecirctre La source du mal en ce monde nrsquoest pas fondeacutee sur la volonteacute de Dieu car Dieu ne veut que le meilleur Le mal est plutocirct fondeacute sur la neacutecessiteacute logique selon laquelle Dieu ne peut pas creacuteer un monde absolument parfait sans se deacutedoubler

Quand Leibniz parle de la gracircce crsquoest surtout dans le contexte de discussions sur la liberteacute et la preacutedeacutetermination souvent en opposition agrave un deacutebat tregraves speacutecifique de son temps le theacuteologien jeacutesuite Luis de Molina avait souligneacute que la gracircce et la liberteacute humaines nrsquoentrent pas en conflit lrsquoune avec lrsquoautre Selon Molina la connaissance de Dieu ninclut pas seulement toute la reacutealiteacute mais aussi tous les futurs contingents cest-agrave-dire tout ce qui va se produire et ce non par neacutecessiteacute mais plutocirct en vertu de la volonteacute de Dieu Mecircme si la deacutecision divine de sauver ou de condamner un seul homme preacutecegravede toute action humaine cette gracircce efficace (gratia efficax) deacutepend des actions et des intentions de lrsquohomme Dans la scientia media des futurs contingents Dieu connaicirct deacutejagrave quels humains se conformeront agrave sa volonteacute crsquoest-agrave-dire qursquoil connaicirct deacutejagrave ceux qui se conforment agrave sa volonteacute et qursquoil peut sauver Pourtant les humains ont encore besoin drsquoagir par eux-mecircmes en accord avec la gracircce Mecircme si Dieu sait ce qui arrivera la volonteacute libre des hommes et leur liberteacute drsquoaction sont encore neacutecessaires pour leur salut

Leibniz critique certaines positions de Molina dans ce deacutebat31 Son principe drsquoidentiteacute reacutefute lrsquoideacutee de deux choix possibles qui seraient absolument eacutegaux Sa theacuteorie des mondes possibles permet 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 30 Voir par exemple Monadologie sect 88 et PNG sect 15 31 Voir Greenberg 2005 pp 217-233

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ainsi de reformuler lrsquoideacutee des futurs contingents dans un cadre strict de modaliteacutes Le principe de raison suffisante est alors utiliseacute contre lrsquoideacutee drsquoune pure indiffeacuterence de la volonteacute une volonteacute vraiment indiffeacuterente ne serait pas du tout une volonteacute raisonnable une volonteacute propre mais plutocirct une reacuteaction arbitraire ou instinctive Puisque toutes les raisons de lrsquoexistence sont fondeacutees en Dieu tous les ecirctres agissent avec le concours de Dieu mais le pouvoir drsquoagir est fondeacute sur les forces qui reacutesident dans les creacuteatures cest-agrave-dire les substances Degraves lors Dieu peut seulement preacutevoir ce agrave quoi la creacuteature est inclineacutee soit par instinct soit par raison La preacutevision divine ne contient aucune action qui deacutecoulerait de la deacutetermination neacutecessaire puisque de tels actes sont impossibles seules les actions qui deacutecoulent de lrsquoinclination peuvent ecirctre preacutevues32 La liberteacute humaine inclut la possibiliteacute de deacutesobeacuteir aux deacutecrets de Dieu ndash de sorte que la liberteacute humaine est neacutecessaire au salut

Si la dispensatio de la gracircce suivait seulement et immeacutediatement quelques lois quelles soient de la nature ou de la gracircce nous pourrions interagir causalement ndash ou au moins diriger notre volonteacute Ainsi nous pourrions causer notre propre salut de sorte que Dieu devrait neacutecessairement nous sauver en vertu de nos actions Or cela est eacutevidemment absurde pour Leibniz Au contraire il insiste sur le fait que les produits naturels sont des dons de Dieu fondeacutes sur la liberteacute absolue Ils font partie de ce qui eacutemane (ldquocoulerdquo) des perfections de Dieu qui est la ldquosourcerdquo de toutes les perfections Prenons par exemple ce passage de la Dissertation sur la preacutedestination et Gracircce eacutecrite en 1701 et reacuteviseacutee en 1706

On dit tregraves justement que tout bien est uniquement ducirc agrave la gracircce divine Par ce moyen nous comprenons sous ce nom de la gracircce divine tous les bienfaits de Dieu et nous regardons la gracircce comme nous eacutetant dispenseacutee [collatam] aussi bien par la voie naturelle ou ordinaire que par la voie extraordinaire et miraculeuse En effet les biens naturels ne sont pas moins des dons de Dieu que les dons spirituels et toute perfection deacutecoule de la source divine33

Nous pouvons comprendre cela comme une causaliteacute de type neacuteo-platonicien ou eacutemanative au moyen de laquelle les biens agrave la fois

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physiques et spirituels sont reacutealiseacutes On peut dire meacutetaphoriquement que cette causaliteacute eacutemanative se trouve dans un rapport ldquoverticalrdquo avec la causaliteacute efficiente du monde physique dans la mesure ougrave cet ldquoeacutecoulementrdquo est une fondation non-temporelle de toutes les choses dans Dieu On peut donc dire que la gracircce deacutecoule (bien que diffeacuteremment) agrave la fois de moyens naturels et divins et quelle est par le fait-mecircme fondeacutee dans nos actions et dans la volonteacute divine

Il faut neacuteanmoins souligner que les sources textuelles ne sont pas univoques agrave ce sujet En effet dans une lettre au Landgraf Ernst Leibniz eacutecrit ceci ldquoComme je crois qursquoil est faux de dire que toutes [] les gracircces sont naturelles je crois qursquoil nrsquoest pas moins faux de soutenir qursquoelles sont toutes miraculeusesrdquo34 Degraves lors nous ne pouvons pas affirmer que tous les actes de gracircce sont agrave la fois naturels et miraculeux

Il est bien possible que Leibniz ait subtilement changeacute son avis entre 1691 et 170106 Nous savons qursquoil a longuement reacutefleacutechi agrave la question de la preacutedestination durant ces anneacutees ndash prenons pour exemple son manuscrit du Unvorgreiffliches Bedencken (ca 1697-98) qui traite cette question abondamment et qui a eacuteteacute retravailleacute agrave plusieurs reprises en profondeur Si cette voie est possible nous pouvons tout aussi bien essayer de lire les deux deacuteclarations ensemble comme autant daffirmations visant agrave soutenir que la gracircce peut ecirctre naturelle etou miraculeuse mais qursquoelle ne sera pas toujours les deux en mecircme temps Il est bien connu que Leibniz croit en lrsquoexistence de miracles35 par exemple des propheacuteties Or ces miracles ne se conforment pas aux lois speacutecifiques de la physique qui ne sont que des principes heuristiques faits par les humains Degraves lors puisque Dieu nrsquointervient pas dans le cours du monde les miracles sont deacutejagrave inteacutegreacutes dans lrsquoordre geacuteneacuteral du monde Cependant mecircme sils sont incorporeacutes dans lrsquoordre de la nature leur explication ne se reacutefeacuterera pas agrave la chaicircne des eacuteveacutenements naturels mais plutocirct agrave un acte de Dieu

Leibniz en accord avec plusieurs de ses contemporains distingue aussi entre les diffeacuterents types de gracircce bien qursquoil ne se serve pas toujours des mecircmes distinctions Par exemple dans un

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texte intituleacute De Libertate Fato Gratia Dei (1686-1687 []) on trouve une distinction entre la gracircce suffisante la gracircce efficace et la gracircce de perseacuteveacuterer qui semble ecirctre inspireacutee drsquoAugustin Ici Leibniz deacutecrit les diffeacuterentes voies de Dieu qui influence sa bienveillance envers les creacuteatures La gracircce suffisante est communiqueacutee par Jeacutesus Christ dans la mesure ougrave il repreacutesente lrsquohomme ideacuteal ce nest quen suivant son exemple que lhumain peut atteindre le salut La gracircce efficace est ainsi directement dispenseacutee par Dieu qui au moyen de lrsquoexemple du Christ dirige efficacement et infailliblement notre volonteacute vers le salut (qui est infaillible mais pas irreacutesistible36) La gracircce de perseacuteveacuterer est quant agrave elle distribueacutee au cours du temps parfois pour renforcer ceux qui srsquoaccordent deacutejagrave avec la volonteacute divine parfois pour aider ceux qui nrsquoy parviennent pas de sorte qursquoil semble ldquoqursquoaucune regravegle preacutecise nrsquoest observeacutee ou bien [que] srsquoil y en a une elle ne semble guegravere conforme agrave lrsquoeacutequiteacuterdquo37

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Mais comme dans le cas de ses eacutecrits meacutetaphysiques Leibniz adapte son vocabulaire en fonction de son interlocuteur Crsquoest pourquoi il utilise tantocirct les termes de la gracircce objective tantocirct ceux de la gracircce subjective Dieu offre la gracircce objective agrave tous les humains Celle-ci est une forme geacuteneacuterale de la gracircce se rapportant agrave tous les ecirctres humains Mais il leur offre aussi la gracircce subjective ce qui est assez speacutecifique et vient agrave des degreacutes divers selon la reacutesistance de lindividu devant les deacutecrets divins Consideacuterons ce passage de la Theacuteodiceacutee sect30

Comparons maintenant la force que le courant exerce sur les bateaux et qursquoil leur communique avec lrsquoaction de Dieu qui produit et conserve ce qursquoil y a de positif dans les creacuteatures et leur donne de la perfection de lrsquoecirctre et de la force comparons dis-je lrsquoinertie de la matiegravere avec lrsquoimperfection naturelle des creacuteatures et la lenteur du bateau chargeacute avec le deacutefaut qui se trouve dans les qualiteacutes et dans lrsquoaction de la creacuteature et nous trouverons qursquoil nrsquoy a rien de si juste que cette comparaison Le courant est la cause du mouvement du bateau mais non pas de son retardement Dieu est la cause de la perfection dans la nature et dans les actions de la creacuteature mais la limitation de la reacuteceptiviteacute de la creacuteature est la cause des deacutefauts qursquoil y a dans son action38

Le fait drsquoavoir quelques perfections comme lrsquoexistence est le reacutesultat drsquoun acte de gracircce objectif qursquoon peut illustrer par la lenteur naturelle drsquoun courant drsquoeau la gracircce subjective est en revanche la vitesse reacuteelle du bateau laquelle ne peut jamais ecirctre celle de la riviegravere et ce en raison de lrsquoinertie naturelle et des qualiteacutes speacutecifiques Leibniz utilise ces distinctions pour montrer comment le mal est fondeacute dans la nature humaine et non inseacutereacute en elle par un deacutecret divin ndash cela dit agrave notre connaissance il ne deacutefinit jamais explicitement les principes fondamentaux des diffeacuterents types de gracircce Comme Leibniz ne reprend pas ces distinctions dans les PNG il est difficile de dire si les principes de la gracircce peuvent srsquoappliquer agrave tous les types de gracircce et dans quelle mesure

Nous avons deacutejagrave mentionneacute lrsquoideacutee selon laquelle la gracircce peut ecirctre distribueacutee par des miracles ou apparaicirctre en eux Cet aspect relegraveve drsquoune limitation eacutepisteacutemique plus profonde nous ne pouvons ni percevoir ni comprendre la gracircce comme telle Puisque la gracircce ne fait pas partie immanente de la nature lhomme ne dispose pas de moyens rationnels pour en rendre compte ndash lrsquoeacuteconomie de la gracircce avec ses moyens naturels est mysteacuterieuse comme un ldquoarcanerdquo si 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 38 Voir Backus 2012 p 78

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bien qursquoil srsquoagit de ldquoquelque chose drsquoabsolurdquo39 Elle nest pas fondeacutee sur quelque chose drsquoexteacuterieur mais sur elle-mecircme Cela signifie que nous ne pouvons jamais connaicirctre notre destin ce que nous pouvons espeacuterer pour nous-mecircmes reposera en fin de compte sur un acte de foi

Comme la gracircce ne se fonde pas sur lrsquointellect seul mais aussi sur la volonteacute qui est agrave son tour deacutetermineacutee par lrsquointellect la gracircce ne suit pas la simple neacutecessiteacute logique Cependant comme toutes nos actions sont fondeacutees sur des inclinations et non sur des deacuteterminations neacutecessaires aucun acte drsquoune volonteacute libre ne peut ineacutevitablement susciter la gracircce divine tout comme la gracircce ne peut deacutependre drsquoune action speacutecifique Alors que Dieu utilise la gracircce pour eacuteclairer lrsquointelligence et pour guider la volonteacute40 une volonteacute libre mais malveillante peut entraver la dispensation de la gracircce et nous conduire agrave la damnation eacuteternelle Leibniz nrsquoest pas en accord avec lrsquoaffirmation optimiste de Paul selon laquelle la gracircce est toujours victorieuse41 Qui plus est il est aussi en deacutesaccord avec lrsquohypothegravese de Calvin qui stipule que la gracircce nous conduira ineacutevitablement au salut ndash nous pouvons reacutesister agrave la gracircce en succombant agrave la tentation ou en dirigeant notre volonteacute loin du bien Mais la gracircce ne deacutepend pas uniquement de la volonteacute humaine si la gracircce est victorieuse elle est toujours accompagneacutee de moyens exteacuterieurs42 qui dans ce contexte renvoient agrave la reacuteveacutelation divine et agrave la justice de reacutetribution naturelle 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 39 Dissertation on Predestination and Grace sect 30a p 101 (ldquoLrsquoeacuteconomie ou la dispensation des moyens externes de la gracircce enveloppe quelque chose de secret et mecircme drsquoabsolu si on le rapporte aux raisons connuesrdquo trad Lalanne op cit p 904) Voir Dissertation on Predestination and Grace sect 9d p 61 ldquoDu reste lrsquoeacuteconomie des deacutecrets divins concernant le salut est telle qursquoelle ne peut ecirctre reacuteduite agrave aucune regravegle geacuteneacuterale pour nousrdquo (Lalanne op cit p 844) De mecircme ldquoGott habe durch dieses Mittel einen weg gebahnet zu der dispensation seines heiligen und verborgenen [] willens krafft deszligen einige seiner creaturen stehen und im stande der gnaden verharren andere fallen und wieder aufstehen die ubrige fallen und nicht wieder aufstehen sondern in der verdamniszlig bleiben muumlszligenrdquo (Unvorgreiffliches Bedencken A IV 7 480 ldquoDieu a indiqueacute par ce moyen une voie pour dispenser sa volonteacute sainte et cacheacutee sa force dont quelques-unes de ses creacuteatures beacuteneacuteficient et disposent en eacutetat de gracircce et dont drsquoautres manquent puis beacuteneacuteficient agrave nouveau et dont drsquoautres manquent sans en beacuteneacuteficier agrave nouveau et mecircme devant rester dans la damnationrdquo trad A Lalanne) 40 Dissertation on Predestination and Grace sect 34a p 109 (ldquoOr la gracircce interne est double lumiegravere dans lrsquoentendement inclination dans la volonteacuterdquo Lalanne op cit p 914) Voir eacutegalement Unvorgreiffliches Bedencken A IV 7 p 517 41 Dissertation on Predestination and Grace sect 34a p 109 42 Ibidem sect 36c p 113 (voir Lalanne op cit p 919)

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En somme la gracircce est lieacutee agrave la justice divine mais elle ne lui est pas identique ndash elle est plutocirct lrsquoapplication de la justice divine agrave notre nature individuelle et par conseacutequent au caractegravere moral de la nature elle-mecircme dans laquelle la peine est produite par des moyens naturels Mecircme srsquoil nrsquoy a de gracircce que lorsquelle est fondeacutee sur la volonteacute divine cela ne suffit pas pour notre salut autant la bonne volonteacute de lrsquohomme que la bienveillance divine sont neacutecessaires pour la gracircce et le salut Il nrsquoexiste pas un ensemble de regravegles au moyen desquelles nous pourrions deacuteterminer notre gracircce et il nrsquoy a aucune chose singuliegravere excepteacutee lrsquointervention divine qui puisse nous conduire infailliblement agrave la gracircce En raison de nos limites ndash ou agrave cause du peacutecheacute originel ndash nous ne gagnons ni meacuteritons la gracircce La gracircce ne nous est pas donneacutee agrave cause de notre volonteacute bonne mais agrave cause de lrsquoamour divin pour toutes les creacuteatures et ce malgreacute notre propre nature neacutecessairement faillible En fait les actes individuels de gracircce nous eacutechappent Les hommes agiront toujours en fonction de leur caractegravere et on peut donc preacutesumer que la gracircce de Dieu sera conforme agrave notre caractegravere Toutefois cela tombe dans le domaine de la foi et non de la connaissance

Je crois donc (puisque nous ne savons pas combien ou comment Dieu a eacutegard aux dispositions naturelles dans la dispensation de la gracircce) que le plus exact et le plus sucircr est de dire [] qursquoil a plu agrave Dieu de la choisir parmi une infiniteacute drsquoautres personnes eacutegalement possibles []43

4 Les principes de la nature et de la gracircce

Alors quels sont les principes de la gracircce et comment ce mysteacuterieux plan cacheacute de Dieu se rapporte-t-il au domaine de la nature Au sect13 du Discours de Meacutetaphysique Leibniz souligne que les plans de Dieu sont ldquo des ordres tregraves particuliers de Dieurdquo crsquoest-agrave-dire qursquoils visent les individus et qursquoils sont miraculeux44 On doit comprendre le miracle de la gracircce et la ldquo particulariteacuterdquo du plan de Dieu comme les deux faces drsquoune mecircme meacutedaille Ainsi alors que les principes de la nature sont ndash dans ce monde contingent ndash universellement valables

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pour tous les ecirctres les principes de la gracircce ne sont en revanche valables que pour les individus

Ni la volonteacute de Dieu ni sa gracircce ne sauraient ecirctre arbitraires Cependant mecircme si elles touchent tous les ecirctres humains diffeacuteremment conformeacutement agrave leurs actions ou agrave leur volonteacute la gracircce de Dieu nrsquoest pas fondeacutee sur quelque chose drsquoexteacuterieur Au contraire chaque acte de gracircce et chaque bien spirituel a son fondement dans lrsquoun des deacutecrets de Dieu Hypotheacutetiquement si nous comprenons la gracircce dispenseacutee agrave une personne nous comprenons eacutegalement les deacutecrets de Dieu Mais ces deacutecrets ne peuvent ecirctre isoleacutes du plan de Dieu pour lrsquounivers ou encore de ses intentions de creacuteer le meilleur des mondes possibles Dans ce contexte les principes de la gracircce seraient agrave trouver dans lrsquoordre de lrsquounivers tout entier pour autant que nous le consideacuterions au regard de sa dimension morale ou normative Leibniz affirme plusieurs fois que lrsquounivers entier est exprimeacute par chaque individu ce qui signifie que si nous connaissions tout sur une creacuteature si nous en connaissions son concept complet nous pourrions alors eacutegalement saisir les actes de gracircce qui srsquoy rapportent Mais cela ne suffit toujours pas pour comprendre les raisons de ces actes de gracircce les deacutecrets dits divins

Il ne suffit pas de dire que la notion complegravete drsquoune creacuteature contient eacutegalement toute la seacuterie des gracircces En effet comme les gracircces divines sont libres et proviennent drsquoun deacutecret cette notion enveloppe eacutegalement les deacutecrets divins et leurs raisons Crsquoest pourquoi il faut agrave nouveau chercher la raison du deacutecret qui donne la gracircce Et celle-ci doit donc ecirctre tireacutee de la consideacuteration du reste qui est dans cette notion possible une fois retireacute le deacutecret de la gracircce Il est cependant possible drsquoaccorder les deacutecrets de la gracircce avec les innombrables voies conformes aux ordres deacutefinis des choses ndash alors que Dieu nrsquoen choisit qursquoune seule Ainsi la raison des deacutecrets de la gracircce ou du concours de Dieu doit ecirctre tireacutee de chaque ordre possible de tout lrsquounivers45

Cela signifie que les deacutecrets de la gracircce que nous pouvons aussi appeler les principes individuels ou subordonneacutes de la gracircce sont indeacutependants des principes de la nature Autrement nous pourrions les deacuteduire de lrsquoordre de notre univers

En gardant cela en vue nous revenons une derniegravere fois aux PNG Leibniz affirme que seule la reacuteveacutelation et non pas la raison

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Ansgar Lyssy Les principes de la gracircce chez Leibniz

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peut nous dire ldquoen deacutetailrdquo 46 quelque chose sur notre futur Cependant la raison ne peut nous dire qursquoune chose agrave savoir ldquoque les choses sont faites drsquoune maniegravere qui passe nos souhaitsrdquo 47 Dieu a conccedilu le monde selon son ideacutee de justice universelle Le fait drsquoen prendre conscience peut nous faire prendre part agrave la Citeacute de Dieu qui est ldquoune espegravece de Socieacuteteacute avec Dieurdquo48 crsquoest-agrave-dire une communauteacute dans ce ldquoplus parfait eacutetatrdquo ougrave ldquoil nrsquoy a point de crime sans chacirctiment point des bonnes actions sans reacutecompense proportionneacutee et enfin autant de vertu et de bonheur qursquoil est possiblerdquo 49

Nous trouvons ici exprimeacutes trois principes qui peuvent tregraves bien ecirctre appeleacutes agrave juste titre ldquoles principes de la gracirccerdquo mecircme si Leibniz ne les appelle pas ainsi Dans ce contexte diffeacuterentes interpreacutetations seraient possibles On pourrait les appeler les principes de la punition infaillible de la reacutecompense infaillible et une version speacutecifique du principe du meilleur qui porte exclusivement sur la dimension morale de la creacuteation Apparemment ils ne sont pas identiques aux principes de la nature et ils ne peuvent ecirctre deacuteriveacutes drsquoeux ndash ce qui nous ramegravene agrave une lecture dualiste des principes de la nature et de la gracircce Pour ecirctre efficaces ils doivent ecirctre expliqueacutes par lrsquoentremise des deacutecrets individuels ou encore articuleacutes avec eux On peut les appeler principes au mecircme titre que chaque monade peut ecirctre appeleacutee un ldquoprincipe du vierdquo Si les principes de la gracircce et de la nature peuvent ecirctre indeacutependants lrsquoun de lrsquoautre ils sont cependant correacuteleacutes eacutetablis en harmonie tout comme la punition et la reacutecompense suivent naturellement le cours du monde

Puisque les preuves textuelles manquent toute interpreacutetation de lrsquooccurrence unique de lrsquoexpression ldquoprincipes de la gracirccerdquo doit rester speacuteculative et hypotheacutetique Peut-ecirctre pourrions-nous mieux comprendre si nous entendions par ldquoprinciperdquo une ldquosourcerdquo ou une ldquooriginerdquo mais avec une dimension normative transmise agrave tout ce qui eacutemane de cette source En ce sens le principe (supeacuterieur) de la gracircce (dans un sens eacutetroit) serait lrsquoamour inconditionnel de Dieu tandis que les principes de la gracircce (dans un sens plus large)

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incluraient la justitia universalis lrsquoharmonie entre les causes efficientes et finales et la relation causale entre lrsquoamour de Dieu et le bonheur des fidegraveles auxquels Leibniz fait au moins allusion dans les derniers paragraphes des PNG (sect 15-18)

Cependant les principes ou les sources de la nature sont structureacutes par la rationaliteacute divine et ils sont donc systeacutematiques tandis que les principes de la gracircce sont individuels et eacutenigmatiques Degraves lors bien que nous puissions imiter les œuvres rationnelles de Dieu dans la nature par le biais de la science et de lrsquoingeacutenierie son veacuteritable amour pur consiste ldquodans lrsquoeacutetat qui fait goucircter du plaisir dans les perfections et dans la feacuteliciteacute de ce qursquoon aimerdquo50 Nous pouvons imiter cet amour agrave notre maniegravere mortelle et limiteacutee ce qui nous apportera non seulement ldquoune parfaite confiance dans la bonteacute de notre auteur et maicirctrerdquo51 mais encore des plaisirs estheacutetiques dans la perception du monde et une tranquilliteacute drsquoesprit dans nos espeacuterances pour lrsquoavenir

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SECTION 4

LrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIENNE

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TAHAR BEN GUIZA

LA VARIATION DANS LE STYLE DrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIEN ET LA TRADITION PHILOSOPHIQUE ARABE

Dans la plupart des livres drsquohistoire relatifs agrave la philosophie occidentale se trouvent souvent occulteacutes des pans entiers notamment celui qui concerne la philosophie arabe et islamique qui constitue pourtant une peacuteriode cleacute de lrsquohistoire de la philosophie Les philosophies chinoise et indienne ne sont pas mieux loties En veacuteriteacute il semble bien que les historiens de la philosophie soient resteacutes prisonniers du modegravele heacutegeacutelien selon lequel la philosophie est neacutee grecque et aurait traverseacute une peacuteriode orientale drsquoerrance et de somnolence pour ne retrouver sa vitaliteacute qursquoavec la philosophie allemande et celle des Lumiegraveres Hegel eacutecrit dans ce sens Ici ne peut agrave dire vrai ecirctre preacutesente aucune philosophie agrave proprement parler En effet pour indiquer briegravevement le caractegravere de ce monde lrsquoesprit se legraveve certes agrave lrsquoOrient mais le rapport est alors tel que le sujet lrsquoindividualiteacute ndash moi pour moi-mecircme ndash nrsquoexiste pas en tant que personne mais ne fait que disparaicirctre nrsquoest deacutetermineacute que neacutegativement disparaissant dans ce qui est objectif en geacuteneacuteral1 La thegravese du choc des cultures deacutefendu par Fukuyama nrsquoest qursquoune reprise drsquoune conception eacutetriqueacutee de la migration des ideacutees propre au monde meacutediterraneacuteen Cette thegravese ne fera que raviver lrsquoancienne orientation europeacuteocentriste voire colonialiste Dans son livre Averroegraves et lrsquoaverroisme Ernest Renan ira mecircme jusqursquoagrave deacuteclarer ldquoJe suis le premier agrave reconnaicirctre que nous nrsquoavons rien ou presque rien agrave apprendre ni drsquoAverroegraves ni des Arabes ni du Moyen Acircgerdquo2 On trouve des eacutechos de ce ldquoneacutegationnismerdquo dans plusieurs autres textes celui de Reacutemi Brague dans Europe la voie romaine 1992 Jacques Heers dans le premier numeacutero de la Nouvelle Revue drsquoHistoire ougrave il parle en 2002 de ldquola fable de la transmission arabe du savoir antiquerdquo Le pape Benoit XVI dans son discours de Ratisbonne en 2006 continuera sur la mecircme lanceacutee et Sylvian Gouguenheim avec son livre Aristote au Mont Saint-Michel les

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racines grecques de lrsquoEurope chreacutetienne en 2008 fait sienne la thegravese de Reneacute Marchand lequel ne cesse de reacutepeacuteter que ldquoLa France [est] en danger dIslam entre jihacircd et reconquistardquo Selon cette lecture Gouguenheim affirme que lrsquoEurope a toujours maintenu ses contacts avec le monde grec et les traductions arabes de la philosophie grecque nrsquoont pas joueacute le rocircle janusien qursquoon leur precircte Un travail de traduction actif et sans relacircche des textes drsquoAristote a eacuteteacute dispenseacute par le Mont Saint-Michel Ainsi la preacutetendue dette de lrsquoOccident envers le monde arabe est une pure illusion Drsquoailleurs ajoute Gouguenheim lhelleacutenisation du monde islamique est tellement superficielle et anodine qursquoil est inutile de parler drsquoune dette ou drsquoune quelconque empreinte du monde arabe sur le monde occidental En outre la preacutetendue philosophie arabe a eacuteteacute lrsquoœuvre drsquoarabes chreacutetiens et les supposeacutes philosophes arabes tels qursquoAvicenne et Averroegraves se sont tellement eacuteloigneacutes de lrsquoesprit grec ne connaissant mecircme pas le Grec qursquoil est exageacutereacute de dire qursquoils ont transmis quoi que ce soit au monde occidental Gouguenheim oublie alors que ni Abeacutelard ni saint Thomas ne connaissaient le grec En bref lhelleacutenisation de lEurope chreacutetienne est lrsquoœuvre des europeacuteens eux-mecircmes Crsquoest dire qursquoil y a un reacuteel problegraveme philosophique de compreacutehension et de communication entre lrsquoOrient et lrsquoOccident susciteacute par une vision sans cesse reacuteiteacutereacutee drsquoun Occident centreacute sur lui-mecircme bien chreacutetien et non redevable agrave aucune autre culture surtout pas agrave la culture arabe Lrsquoune des expressions majeures de cet ethnocentrisme est la vieille habitude de changer les noms de ceux dont on veut bien parler en tant qursquoadepte ou simple vis-agrave-vis (Ibn Rushd devient Averroegraves Ibn Beja Avempace Ibn Sinaa Avicenne et jrsquoen passe)

Toutefois lrsquoEurope reste malgreacute ces divagations une terre drsquoasile de convergence de dialogue et de confrontation des ideacutees Des textes importants ont eacuteteacute eacutecrits pour deacutenoncer cette ldquofalsification de lrsquohistoire au nom de lrsquoideacuteologierdquo tels que le livre collectif LIslam meacutedieacuteval en terres chreacutetiennes Science et ideacuteologie paru en 2009 (dirigeacute par Max Lejbowicz) ou le livre dirigeacute par Alain de Libera (dir) Les Grecs les Arabes et nous Enquecircte sur lislamophobie savante parue en 2009 dans la collection Fayard

Cependant ce nrsquoest pas agrave ce niveau poleacutemique et ideacuteologique que nous nous placcedilons Le modeste travail que nous preacutesentons ici

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tente une analyse sereine de la position de deux philosophes (Ibn Rushd et Leibniz) qui bien qursquoappartenant agrave deux mondes diffeacuterents se rencontrent sur de nombreux de points Nous nous inteacuteresserons en particulier au rapport qursquoils eacutetablissent entre la philosophie et la theacuteologie

En lisant Leibniz on deacutecouvre que souvent il est loin drsquoadopter une attitude aussi radicale que celle que lrsquoon voit chez certains de nos contemporains Baruzi dans son Leibniz et lrsquoorganisation religieuse de la terre commence son texte par cette phrase ldquoLeibniz fut hanteacute par lrsquoOrientrdquo Dans ses Nouveaux essais le philosophe de Hanovre ira mecircme jusqursquoagrave vanter le meacuterite des arabes drsquoavoir mis en place une premiegravere socieacuteteacute de savants et procircne la neacutecessiteacute de se mettre agrave leur eacutecole il eacutecrit

et enfin ce qursquoAlmansour ou Miramolin grand Prince des Arabes ordonna en faveur de sa nation crsquoest agrave dire qursquoil fera tirer la quintessence des meilleurs livres et y fera joindre les meilleures observations encor non-eacutecrites des plus experts de chaque profession pour faire bastir des sytemes drsquoune connaissance solide et propre agrave avancer le bonheur de lrsquohomme fondeacutes sur des expeacuteriences et des deacutemonstrations et accommodeacutes agrave lrsquousage par des repertoires ce qui seroit un monument des plus durables et des plus grands de sa gloire et une obligation incomparable que lui en auroit tout le genre humain Peut-ecirctre encore que le grand Prince dont je me fais lrsquoideacutee fera proposer des prix agrave ceux qui feront des deacutecouvertes ou qui deacuteterrerons des connaissances importantes cacheacutees dans la confusion des hommes ou des auteurs3 Leibniz parle ici de Beit al Hikma (Maison de la Sagesse) ancienne bibliothegraveque personnelle du calife abbaside Haroun al Rachid devenue un haut lieu de traduction des textes anciens faisant fonction drsquouniversiteacute Elle fut fondeacutee en 832 par Al Maamoun homme de lettres et de science et deacuteveloppeacutee par Al Mansour mais deacutetruite par les mongoles en 1258

Est-ce un hasard si lrsquoon retrouve cette reconnaissance de la dette envers les anciens chez le philosophe de Cordoue lorsqursquoil eacutecrit dans son fameux Traiteacute deacutecisif

Mais si dautres que nous ont deacutejagrave proceacutedeacute agrave quelque recherche en cette matiegravere il est eacutevident que nous avons lobligation pour ce vers quoi nous nous acheminons de recourir agrave ce quen ont dit ceux qui nous ont preacuteceacutedeacutes Il importe peu que ceux-ci soient ou non de notre religion [] jentends les Anciens qui ont eacutetudieacute ces questions avant lapparition de lIslam Puisquil en est ainsi et que toute leacutetude neacutecessaire des syllogismes rationnels a deacutejagrave eacuteteacute effectueacutee le plus parfaitement qui soit par les

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Anciens alors certes il nous faut puiser agrave pleines mains dans leurs livres afin de voir ce quils en ont dit Si tout sy avegravere juste nous le recevrons de leur part et sil sy trouve quelque chose qui ne le soit nous le signalerons4 Les deux projets nrsquoappartiennent pas agrave la mecircme culture et ne posent pas les problegravemes de la mecircme maniegravere Chacun des deux philosophes renvoie agrave une disposition de lrsquoesprit et de la culture qui toutefois si elle eacutetait correctement comprise contribuerait agrave eacuteviter les malentendus actuels entre le monde occidental et le monde oriental sur le plan de lrsquoappreacutehension philosophique de la civilisation humaine

En effet si drsquoun cocircteacute Leibniz veut conforter sa philosophie par rapport aux philosophes de son siegravecle et si par son engagement religieux il preacutetend trouver une solution pratique aux malentendus opposant les diffeacuterentes Eacuteglises de la chreacutetienteacute quand il deacuteclare qursquoil ldquocommence en philosophe et finit en theacuteologienrdquo Ibn Rushd drsquoun autre cocircteacute vit une situation diffeacuterente marqueacutee par le souci drsquointeacutegrer la philosophie dans lrsquohorizon du savoir Certes il sait que sa socieacuteteacute nrsquoaccorde agrave la philosophie qursquoun statut douteux mais il propose une solution facilitant la reconnaissance de la philosophie par la religion En somme dans cette rencontre croiseacutee si Leibniz commence en philosophe et finit en theacuteologien peut-on dire qursquoIbn Rushd prend un chemin opposeacute et commence en theacuteologien pour finir en philosophe Quelle leccedilon de philosophie nous reacuteserve-t-elle

Lrsquointeacuterecirct majeur de ce parallegravele est de nous permettre drsquoesquiver la forte tendance naturaliste en quecircte des essences des identiteacutes et des spiritualiteacutes figeacutees particuliegraverement active degraves qursquoil srsquoagit de la philosophie arabe et de la religion musulmane Nous constatons une ressemblance eacutetrange dans la variation du style drsquoeacutecriture drsquoIbn Rushd et de Leibniz qui permet de comprendre que nous nous devons aujourdrsquohui de styliser notre penseacutee pour toujours plus de civiliteacute et de concorde

Nous consideacuterons que les travaux drsquoIbn Rushd et de Leibniz srsquoinscrivent dans la longue tradition critique de la theacuteologie par la philosophie En cela la concordance entre nos deux philosophes semble parfaitement harmonique Mais faut-il le rappeler si Leibniz est consideacutereacute comme le pegravere du rationalisme moderne Ibn Rushd est consideacutereacute comme la plus grande figure du rationalisme classique En

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reacuteponse agrave Ghazali qui deacutefend lrsquoideacutee drsquoune intervention continue entre la cause et lrsquoeffet ibn Rushd reacutepond ldquorefuser les causes crsquoest refuser la raisonrdquo Toutefois dans les deux cultures le deacutebat sur le rationalisme a commenceacute au sein de la theacuteologie avant de lrsquoecirctre au sein de la philosophie En effet dans sa confeacuterence de Tunis sur ldquoRaison et existencerdquo agrave lrsquooccasion du colloque sur ldquoLes enjeux du rationalisme modernerdquo Michel Fichant rappelle que ldquole sens le plus reacutepandu et drsquoailleurs le plus inteacuteressant de ldquoRationalisterdquo au XVIIegraveme siegravecle relegraveve des deacutebats theacuteologiquesrdquo (p 17) Le Discours preacuteliminaire de la Theacuteodiceacutee confirme drsquoailleurs cette lecture et lrsquoappuie Leibniz eacutecrit en effet

On parla en Hollande de Theacuteologiens rationaux et non-rationaux distinction de parti dont M Bayle fait souvent mention se deacuteclarant enfin contre les premiers mais il ne paraicirct pas qursquoon ait encore bien donneacute les regravegles preacutecises dont les uns et les autres conviennent ou ne conviennent pas agrave lrsquoeacutegard de lrsquousage de la raison dans lrsquoexplication de la Sainte Eacutecriture Cela veut dire au moins que le lien entre la philosophie et la theacuteologie nrsquoest pas arbitraire On comprend alors pourquoi nos deux philosophes eacutecrivent aussi bien en tant que theacuteologiens qursquoen tant que philosophes Mais le font-ils de la mecircme maniegravere et surtout deacutefendent-ils le mecircme point de vue sur le rapport de la philosophie agrave la theacuteologie

1 Ibn Rushd philosophie et theacuteologie

Ibn Rushd est connu comme eacutetant le commentateur par excellence drsquoAristote Agrave son actif aussi les commentaires des eacutecrits des premiers philosophes musulmans Al-Kindicirc (m 873) Ibn Sicircnacirc (m 1037) Al-Facircracircbicirc (m 950) Ibn Rushd se considegravere lui-mecircme comme un heacuteritier de leacutecole de Baghdacircd et un successeur dAl-Facircracircbi Ayant eacutecrit quatre-vingt-sept livres de philosophie et plus de vingt autres en meacutedecine Son livre le Traiteacute deacutecisif traduit par Leacuteon Gauthier utilise un style proche du discours religieux Ibn Rushd recourt en effet agrave lrsquoargument drsquoautoriteacute afin de convaincre ceux qui doutent de lrsquoimportance de la saine mission de la philosophie agrave libeacuterer les esprits pour connaitre Dieu Or le Coran ne parle pas de philosophie mais de sagesse Crsquoest pour cette raison que le titre du livre drsquoIbn Rushd

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le Traiteacute deacutecisif ne comporte pas le concept de philosophie Sa traduction litteacuterale est celle-ci ldquoDistinction de discours5 et deacutetermination du lien qui lie la sagesse agrave la charia ldquo Il srsquoagit donc de trouver un accord entre la sagesse et la leacutegislation islamique Pour ce faire Ibn Rushd revient au texte coranique Il y est dit Appelle les hommes dans le chemin de ton seigneur par la sagesse et par la belle exhortation et dispute avec eux de la meilleure faccedilon6 En se basant sur le Coran et sur Aristote Ibn Rushd explique qursquoil y a trois voies de la connaissance correspondant agrave trois formes dargumentations et agrave trois cateacutegories de personnes la rheacutetorique la dialectique et la deacutemonstrative7

Chez le fondateur de la doctrine chafiite du Fikh Mohamed Ben Idriss Al-Chafii le terme de sagesse signifie la souna crsquoest-agrave-dire la vie et les recommandations du prophegravete Ibn Rushd se deacutemarque donc de cette interpreacutetation Pour lui la sagesse renvoie agrave la philosophie la belle exhortation agrave la rheacutetorique et la dispute agrave la dialectique Trois cateacutegories de personne correspondent agrave ces trois meacutethodes drsquoargumenter

1 Les hommes de deacutemonstration sont les seuls capables duser de leur raison de la meilleure des faccedilons ils ont le droit sous certaines conditions dinterpreacuteter le texte religieux En tant qursquoesprits supeacuterieurs ils sont aptes agrave connaicirctre le veacuteritable sens que Dieu donne agrave sa creacuteation La foi trouve ainsi son principe de raison dans la science

2 Les hommes dexhortation qui forment la majoriteacute eacutecrasante des gens eacutetant incapables de suivre une deacutemonstration rationnelle doivent suivre agrave la lettre tous les symboles de la religion sans faire aucun effort dinterpreacutetation

3 La troisiegraveme cateacutegorie desprit est formeacutee par les gens qui sont dans une situation intermeacutediaire entre les deux autres ce sont les

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hommes darguments dialectiques Ces derniers peuvent eacutepiloguer sur certaines difficulteacutes du texte religieux ils peuvent deacutevelopper des arguments pertinents comme ils peuvent aussi se tromper lourdement Ce sont les theacuteologiens Leur discours est tregraves dangereux puisquils peuvent conduire les hommes dexhortation agrave toutes sortes derreurs sur la religion source de tous les fanatismes et de tous les maux

Afin de reacutepondre agrave ceux qui relegravevent la contradiction apparente entre la speacuteculation philosophique et les enseignements de la loi divine Ibn Rushd se rapporte au Coran pour souligner que ce dernier comporte un sens apparent zahir et un sens latent batin Lrsquoexeacutegegravese dans ce cas de figure devient neacutecessaire Mais qursquoest-ce qursquointerpreacuteter

Interpreacuteter eacutecrit Ibn Rushd veut dire faire passer la signification dune expression du sens propre au sens figureacute sans deacuteroger agrave lusage de la langue des Arabes de nom-mer telle chose pour deacutesigner meacutetaphoriquement sa semblable ou sa cause ou sa conseacutequence ou une chose concomitante ou demployer telle autre meacutetaphore couramment indiqueacutee parmi les figures de langage8

Drsquoailleurs lrsquointerpreacutetation neacutecessite des reacutequisits et des regravegles qui ne peuvent ecirctre reacuteunis que chez un philosophe qui maicirctrise aussi bien la logique que le texte coranique Cela conduit Ibn Rushd agrave procircner une certaine ascendance de la philosophie sur la theacuteologie Cette derniegravere aura ainsi un fondement rationnel qui la deacutefendra contre les heacutereacutetiques Elle permet aussi de deacutevelopper lrsquoIjtihad (effort) qui est un effort de reacuteflexion sur les textes fondateurs de lrsquoIslam en vue de diriger lrsquoaction des croyants (licite illicite reprouveacutee) Cela donne agrave la religion une dimension dynamique et lui permet une ouverture qui la sauve de la scleacuterose et du dogmatisme9 Crsquoest la raison pour laquelle Ibn Rushd considegravere que la garantie de la paix sociale contre la guerre des confessions qui deacutechire les croyants musulmans et qui

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continue aujourdrsquohui encore agrave les deacutechirer est de consacrer lrsquoascendance de la philosophie sur agrave la theacuteologie en soulignant la neacutecessiteacute drsquoutiliser la raison pour fonder la foi et en recourant agrave lrsquoargument deacutemonstratif comme moyen ultime de toute argumentation valide

Ainsi le style deacutemonstratif est consideacutereacute par Ibn Rushd comme un critegravere essentiel de validiteacute du discours On constate agrave ce propos qursquoil y a entre nos deux philosophes un accord tout agrave fait remarquable Toutefois le modegravele deacutemonstratif drsquoIbn Rushd reste la logique drsquoAristote tandis que Leibniz choisi le modegravele axiomatique et deacutemonstratif de la geacuteomeacutetrie

La progression de lrsquoargumentation du Traiteacute deacutecisif est ascendante et on y retrouve tous les concepts clefs de la philosophie drsquoIbn Rushd Il srsquoagit drsquoabord de deacutemontrer que le Coran appelle les gens agrave penser crsquoest-agrave-dire agrave faire de la philosophie Il srsquoen suit la neacutecessiteacute de connaicirctre les syllogismes ce qui permet de montrer que les syllogismes rationnels et juridiques ont la mecircme valeur Cela conduit Ibn Rushd agrave conclure qursquoil ny a pas de contradiction entre la raison et le Texte reacuteveacuteleacute Toutefois srsquoil semble y avoir contradiction entre la raison et le texte reacuteveacuteleacute lrsquointerpreacutetation est obligatoire En tout cas elle ne saurait provenir drsquoune conception dualiste de la veacuteriteacute ldquocar dit-il la veacuteriteacute ne saurait ecirctre contraire agrave la veacuteriteacute elle srsquoaccorde avec elle et teacutemoigne en sa faveurrdquo10

Ainsi la philosophie eacutetant elle-mecircme une expeacuterience spirituelle crsquoest agrave elle que revient le devoir de donner un sens agrave la pratique religieuse La mecircme ideacutee a drsquoailleurs eacuteteacute largement deacuteveloppeacutee par Al-Facircracircbicirc qui nous dit que chaque Milla (chaque religion) adopte une philosophie elle en est lrsquoillustration Il est clair que le Kalacircm et le Fiqh sont posteacuterieurs agrave la religion (Milla) et la religion (Milla) est posteacuterieure agrave la philosophie et que la force dialectique et sophistique devance la philosophie et que la philosophie dialectique et la philosophie sophistique devancent la philosophie deacutemonstrative La philosophie en geacuteneacuteral devance la

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religion comme dans lrsquoexemple de lrsquoanteacuterioriteacute de celui qui utilise les machines sur les machines11 Mais comme les philosophies varient les Millas varient aussi Si la philosophie est bonne la Milla qui la suit est bonne si la philosophie est mauvaise la Milla est mauvaise aussi12 Crsquoest pourquoi il est primordial pour chaque Milla de suivre une bonne philosophie pour reacutealiser son ecirctre et son bonheur

Cela eacutetant dit Ibn Rushd est cateacutegorique quant agrave la fonction du Kalam et agrave sa production theacuteologique La theacuteologie nrsquoest acceptable et efficace que sous reacuteserve drsquoecirctre soumise agrave la preacuterogative de la philosophie Leibniz deacutefend-il la mecircme position

2 Leibniz philosophie et theacuteologie

Leibniz nrsquoa pas lu les textes drsquoIbn Rushd lui-mecircme Ce qursquoil connaicirct de ce philosophe oriental lui parvient de lrsquoaverroiumlsme latin connu pour avoir soutenu la thegravese de la double veacuteriteacute Leibniz reacutepond agrave cette thegravese Dans son Discours preacuteliminaire sur la conformiteacute de la foi et de la raison Je suppose que deux veacuteriteacutes ne sauraient se contredire que lobjet de la foi est la veacuteriteacute que Dieu a reacuteveacuteleacutee dune maniegravere extraordinaire et que la raison est lenchaicircnement des veacuteriteacutes mais particuliegraverement (lorsquelle est compareacutee avec la foi) de celles ougrave lesprit humain peut atteindre naturellement sans ecirctre aideacute des lumiegraveres de la foi13 En reacutealiteacute la thegravese de la double veacuteriteacute nrsquoa eacuteteacute deacutefendue ni par Ibn Rushd ni par les averroiumlstes14 mais bien par leurs adversaires en lrsquooccurrence saint Thomas drsquoAquin Agrave lrsquoorigine de ce malentendu une deacuteclaration de Siger de Brabant ldquoDieu ne peut faire quil y ait multipliciteacute dintellects car cela impliquerait contradictionrdquo

Adoptant un point de vue rationaliste Siger de Brabant se contente de dire qursquoil est impossible pour Dieu de reacutealiser 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 11 Al-Facircracircbicirc Kitab al Hourouf (Le livre des lettres) sect 110 12 Al-Facircracircbicirc Araacirc Ahlou Al-Madina Al-Fadila (Opinions des habitants de la Citeacute ideacuteale) p 154 13 Discours sur la conformiteacute de la foi avec la raison sect1 GP VI 49 14 Les plus illustres averroiumlstes sont Siger de Brabant Pierre dAbano (1250-1315) (accuseacute de ramener de Paris agrave Padoue la ldquopesterdquo averroiumlste) le philosophe Danois Boegravece de Dacie deacuteceacutedeacute en 1284

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simultaneacutement des contradictoires Cest Thomas drsquoAquin qui conclut de cette deacuteclaration que celui qui croit agrave la pluraliteacute des intellects croit agrave quelque chose dimpossible Mais plus encore il tire de lrsquoideacutee de la soumission agrave Dieu au principe de contradiction lrsquoargument de la double veacuteriteacute

Par ailleurs Leibniz rejoint Ibn Rushd quant agrave la deacutefense de la prioriteacute de la philosophie par rapport agrave la theacuteologie Cette prioriteacute est perceptible chez Leibniz lorsquon suit par exemple ses diffeacuterentes positions sur les questions theacuteologiques quil discute tout le long de sa Theacuteodiceacutee On saperccediloit que sur nimporte laquelle de ces questions cest toujours le principe de raison qui rend compte des positions deacutefendues et des thegraveses soutenues Dans ses discussions avec les theacuteologiens Leibniz ne va pas jusquagrave interdire dinterpreacuteter la religion dune maniegravere libre mais il reconnaicirct comme le fait Ibn Rushd drsquoailleurs que ses meacuteditations ne sont ldquonullement populaires ny propres agrave estre gouteacutees de toute sorte despritsrdquo15 Cest deacutejagrave supposer que lesprit deacutemonstratif nest pas agrave la porteacutee de tout le monde Cela veut dire que chez Leibniz le point de vue theacuteologique nrsquoa pas sa raison suffisante en lui-mecircme mais dans les principes de la ldquoveacuteritable philosophierdquo16 qui reste seule capable de donner agrave la religion la penseacutee qursquoelle meacuterite Selon cet ordre drsquoideacutee il est mecircme possible drsquoexposer la theacuteologie sous une forme matheacutematique Agrave Burnett il eacutecrit

Un theacuteologien habile [] me consulta dernierement si on ne pourroit eacutecrire la Theacuteologie Methodo Mathematica je luy repondis qursquoon le pouvoit asseureacutement et que jrsquoavois moy mecircme fait des echantillons lagrave dessus mais qursquoun tel ouvrage ne pourroit estre acheveacute sans donner auparavant aussi des Elemens de Philosophie au moins en partie dans un ordre Matheacutematique17 Ainsi la deacutemonstration de la veacuteriteacute de la religion neacutecessite que lrsquoon comprenne que la theacuteologie a son fondement dans la philosophie Ses conseacutequences sont de deux espegraveces Les premiegraveres dit Leibniz supposent des deacutefinitions des axiomes et des theacuteoregravemes pris de la veacuteritable philosophie et de la Theacuteologie naturelle Les secondes supposent en partie lhistoire et les faits et en partie linterpreacutetation des textes Mais pour bien se

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servir de cette histoire et de ces textes (hellip) il faut encore avoir recours agrave la vraie philosophie18 Crsquoest dire qursquoen fin de compte les raisons religieuses et scientifiques ne prennent un sens veacuteritable que par la philosophie qui les fonde et les justifie

Mais qursquoest ce qui caracteacuterise le discours philosophique Le discours philosophique obeacuteit selon Leibniz agrave une regravegle simple ldquoNe jamais user drsquoun terme sans deacutefinition Ne jamais avancer une proposition sans deacutemonstrationrdquo19 Ainsi si ce discours philosophique a un sens crsquoest dans la mesure ougrave sa signification est claire et deacutetermineacutee Il ne faut surtout pas abuser des mots en donnant ldquodes notions vaguesrdquo20 Degraves lors la signification drsquoune proposition nrsquoest claire et vraie que ldquosi lrsquoon a donc totalement arracheacute les eacutepines des mots du champ de la philosophierdquo21 La correspondance entre les structures grammaticales et le raisonnement logique rend compte de lrsquoisomorphisme entre le langage de la science et le langage de la penseacutee Leibniz distingue dans ce sens entre ldquodeux parties de la logique lrsquoune verbale et lrsquoautre reacuteelle la premiegravere portant sur lrsquousage clair et propre des mots ou style philosophique et lrsquoautre srsquooccupant de reacutegler nos penseacuteesrdquo (A VI 2 420) Crsquoest dire que la valeur du discours nrsquoest pas deacutetermineacutee par lrsquoeacuteleacutegance mais par la clarteacute qui ldquone concerne pas simplement les mots mais la constructionrdquo Peut-on pour autant dire que lrsquoeacuteleacutegance propre agrave la rheacutetorique nrsquoest qursquoun exercice de style qui nrsquoa rien agrave avoir avec la veacuteriteacute Dans les Nouveaux Essais Leibniz preacutesente drsquoabord le point de vue de Locke dans la bouche de Philalegravete

Dans le fonds excepteacute lordre et la netteteacute tout lart de la Rheacutetorique toutes ces applications artificielles et figureacutees des mots ne servent quagrave insinuer de fausses ideacutees eacutemouvoir les passions et seacuteduire le jugement de sorte que ce ne sont que de pures supercheries22

Toutefois la reacuteponse de Theacuteophile montre que la condamnation de la rheacutetorique nrsquoest pas chez Leibniz aussi cateacutegorique En effet comme

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il y a une mauvaise rheacutetorique il peut y avoir une bonne rheacutetorique lrsquoeacuteloquence qui y est attacheacutee peut-ecirctre aussi utile et touchante Certains ornemens de lEloquence sont comme les vases des Egyptiens dont on se pouvoit servir au culte du vray Dieu Il en est comme de la Peinture et de la Musique dont on abuse et dont lune represente souvent des imaginations grotesques et mecircme nuisibles et lautre amollit le coeur et toutes deux amusent vainement mais elles peuvent estre employeacutees utilement lune pour rendre la veriteacute claire lautre pour la rendre touchante et ce dernier effect doit estre aussi celuy de la poesie qui tient de la Rhetorique et de la Musique23 Mais drsquoune maniegravere geacuteneacuterale au langage artificiel et figureacute de la rheacutetorique Leibniz oppose le style philosophique et pragmatique qui sera ldquopur et se deacuteveloppera simplement mecircme srsquoil deviendra rapidement plus eacutetendu et plus difficilerdquo24

Crsquoest donc dans lrsquoesprit de la sauvegarde de la rigueur philosophique que Leibniz choisit son style drsquoeacutecriture On sait qursquoil nrsquoa pas eacutecrit un texte fondateur un texte de reacutefeacuterence comme Les Meacuteditations de Descartes ou LEacutethique de Spinoza Il a plutocirct utiliseacute une multipliciteacute de style (leacuteclaircissement la lettre lopuscule la note labreacutegeacute le dialogue) dont les plus sommaires ne sont pas forceacutement les moins preacutecieux Dans tous les cas le style de lrsquoexposition de sa penseacutee procegravede par enveloppement de telle sorte qursquoon retrouve lrsquoessentiel de sa philosophie dans chacun de ses eacutecrits

Dans plusieurs de ses eacutecrits Leibniz parle du style ldquofamilierrdquo de Bacon et de Gassendi25 du style de lrsquoeacutecole de celui des carteacutesiens et de son style propre Leibniz eacutecrit dans ce sens

Jrsquoay espereacute que ce petit papier contribueroit agrave mieux faire entendre mes meditations en y joignant ce que jrsquoay mis dans les Journaux de Leipzig de Paris et de Hollande Dans ceux de Leipzig je mrsquoaccommode asseacutes au langage de lrsquoEcole dans les autres je mrsquoaccommode davantage au style des Cartesiens et dans cette derniere pieacutece je tache de mrsquoexprimer drsquoune maniere qui puisse ecirctre entendue de ceux qui ne sont pas encore trop accoutumeacutes au style des uns et des autres26

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Le style de ce texte est donc plus entendu au sens seacutemantique que syntaxique puisqursquoil srsquoagit drsquoemprunter le style deacutemonstratif des matheacutematiques qui se caracteacuterise par la rigueur de lrsquoenchaicircnement27 Crsquoest dans ce sens aussi que Leibniz conccediloit que le style permet de deacutebusquer la veacuteriteacute du fait derriegravere le fatras des mots Enfin des Cartes vouloit faire croire quil avoit peu leu et quil avoit plustost employeacute son temps aux voyages et agrave la guerre Cest agrave quoy tendent les contes quil fait dans sa Methode Mais on sccedilait quil avoit fait son cours dans le collegravege le style fait connoistre sa lecture la guerre ne lavoit gueres occupeacute quautant quil falloit pour ny estre pas entierement ignorant Et les voyages luy donnoient la commoditeacute destudier de voir les bons auteurs et les habiles gens28 En reacutesumeacute il semble bien que par-delagrave lrsquoeacutecart culturel et temporel qui seacutepare Ibn Rushd de Leibniz nous retrouvons agrave travers eux deux maniegraveres de faire de la philosophie qui malgreacute ce qui les seacutepare appartiennent agrave un mecircme patrimoine universel de lrsquohumaniteacute Nos deux philosophes deacutefendent des valeurs similaires et donnent agrave la philosophie la noble mission de modeacuterer la theacuteologie sinon de la fonder

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de la philosophie traduit et annoteacute par L Gauthier Alger Fontana 1905 Ibn Rushd Tahafut al Tahafut Dar al marsquoaref 1964 t III Lejbowicz M (eacuted) LIslam meacutedieacuteval en terres chreacutetiennes Science et ideacuteologie

Paris Fayard 2009 Marchand R La France [est] en danger dIslam entre jihacircd et reconquista

Lausanne LrsquoAcircge drsquoHomme 2002 Renan E Averroegraves et lrsquoaverroiumlsme Paris Calmann-Leacutevy 1882 puis reacuteeacuted en 1922

1949 etc 13

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MARTA MENDONCcedilA

ldquoMACHINESrdquo ET ldquoMIROIRSrdquo LA METTRIE CRITIQUE DE LEIBNIZ

1 Introduction

La Mettrie nrsquoidentifie pas avec preacutecision ses sources philosophiques Il fait allusion aux auteurs et aux thegraveses qursquoils ont soutenues sans citer explicitement les textes dans lesquels ces thegraveses figurent Mais il ne serait pas impossible ndash bien au contraire ndash que la connaissance qursquoil a de la penseacutee de Leibniz soit fondeacutee sur la lecture des Principes de la Nature et de la Gracircce et sur la Monadologie

Plusieurs raisons plaident en faveur de cette hypothegravese a) il srsquoagit de textes publieacutes ou rendus publics dans les circuits intellectuels ougrave eacutevoluait La Mettrie notamment aux Pays-Bas et dans la Prusse de Freacutedeacuteric II b) ces textes ont eacuteteacute connus quelques anneacutees apregraves la mort de Leibniz et ont fait lobjet de controverse juste avant que La Mettrie ne srsquointeacuteresse de faccedilon plus systeacutematique agrave la philosophie c) il srsquoagit de textes consacreacutes agrave lrsquoexamen des questions auxquelles srsquointeacuteresse La Mettrie lui-mecircme et d) ces œuvres contiennent la plupart des thegraveses de Leibniz que La Mettrie a critiqueacutees

Cela ne signifie pas bien sucircr que La Mettrie ne connaisse que ces deux textes de Leibniz il pourrait eacutegalement avoir connu par exemple le Systegraveme Nouveau ou la Correspondance avec Clarke Mais il est aussi possible qursquoune partie au moins de son accegraves agrave lrsquoœuvre de Leibniz soit indirecte agrave travers Wolff qursquoil preacutesente toujours comme disciple et commentateur de Leibniz1 Mais il ne considegravere pas que les penseacutees des deux auteurs soient identiques et il reconnaicirct qursquoil y a des aspects sur lesquels le disciple nrsquoest pas drsquoaccord avec le maicirctre2 Une autre source probable est le Traiteacute des Systegravemes de Condillac (1749) et le Dictionnaire Historique et Critique

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(1697) de Pierre Bayle En tout cas le Traiteacute des Systegravemes ne peut pas ecirctre sa source principale parce qursquoil a eacuteteacute publieacute en 1749 au moment ougrave La Mettrie avait deacutejagrave beaucoup eacutecrit et fait plusieurs allusions agrave la penseacutee de Leibniz

La Mettrie se reacutefegravere agrave Leibniz degraves le deacutebut de sa production philosophique en lui consacrant une attention consideacuterable deacutejagrave dans lrsquoHistoire naturelle de lacircme et jusqursquoagrave la fin de sa vie Leibniz a eu la sagesse de chercher luniteacute du reacuteel une uniteacute que le dualisme compromettait mais il a commis lerreur de spiritualiser la matiegravere faute de reconnaicirctre que la matiegravere est drsquoelle-mecircme capable de penser Selon lauteur de LHomme Machine Leibniz a bien compris que chaque ecirctre du monde est une ldquomachine de la naturerdquo un ldquomiroir vivantrdquo repreacutesentatif de lrsquounivers (cf PNG sect 3) mais il nrsquoaurait pas bien compris ni ce qursquoest une ldquomachinerdquo ni ce que signifie ecirctre un ldquomiroir vivantrdquo ou sensible

Dans les textes qursquoil consacre agrave commenter les diffeacuterents systegravemes philosophiques ndash notamment lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes ndash il srsquointeacuteresse agrave certains auteurs modernes et prend position vis-agrave-vis de leur penseacutee Descartes Malebranche Leibniz Wolff Locke Boerhaave Spinoza Quoique lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes ait eacuteteacute publieacute en 1751 il reprend de faccedilon autonome et sans changements les longues notes du sect 4 du chapitre XII de lrsquoHistoire naturelle de lrsquoacircme la premiegravere de ses œuvres philosophiques publieacutee en 1745

Lrsquoampleur des thegravemes et le style de lrsquoanalyse chez un auteur qui a eacutecrit presque toute son œuvre philosophique entre 1745 et 1751 le conduisent agrave preacutesenter plutocirct des jugements drsquoensemble que des analyses de deacutetail des thegraveses de ces auteurs Dans le cas de Leibniz La Mettrie critique agrave plusieurs reprises sa penseacutee il ironise au sujet des ideacutees leibniziennes il en deacuteforme quelques-unes de faccedilon assez grossiegravere mais il a une ideacutee assez large des sujets dont srsquoest occupeacute Leibniz et de sa faccedilon de les aborder

Mais La Mettrie ne fait qursquoune seule fois allusion agrave un texte preacutecis de Leibniz Il le fait dans lrsquoHistoire naturelle de lrsquoAcircme quand ayant analyseacute deux attributs essentiels de la matiegravere crsquoest-agrave-dire lrsquoextension et la force motrice il se propose de soutenir que la matiegravere possegravede un troisiegraveme attribut ndash la faculteacute de sentir De son point de vue presque tous les philosophes excepteacute les carteacutesiens ont soutenu cette thegravese et pour illustrer cette conviction il eacutecrit en

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note ldquoVoyez la thegravese que M Leibnitz fit soutenir agrave ce sujet au prince Eugegravenerdquo3 Il srsquoagit donc drsquoune allusion aux Principes de la Nature et de la Gracircce ou agrave la Monadologie vraisemblablement au premier de ces deux textes Il y a un indice quoique fragile qui nous permet de penser qursquoil est en train de faire allusion aux Principes il se trouve dans un commentaire de Les animaux plus que machines La Mettrie est en train de critiquer la thegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie en consideacuterant qursquoelle est au moins aussi incompreacutehensible que celle de lrsquoinflux physique ou de la geacuteneacuteration de lrsquoesprit par la matiegravere et il eacutecrit ldquoMais que dis-je Pardon Leibniziens vous avez appris agrave lrsquoEurope eacutetonneacutee que ce nrsquoest que meacutetaphysiquement que sont lieacutees les deux substances qui composent lrsquohommerdquo4 Dans Veacutenus Meacutetaphysique ou essai sur lrsquoorigine de lrsquoacircme humaine publieacute en 1752 agrave Berlin on trouve aussi une analyse deacutetailleacutee de quelques aspects particuliers de la penseacutee de Leibniz

En tout cas pour essayer de comprendre la critique que La Mettrie fait de Leibniz il faut prendre en compte que certaines œuvres sont drsquoattribution douteuse et que les ressources rheacutetoriques de La Mettrie le conduisent souvent non seulement agrave occulter son nom mais aussi agrave ridiculiser ses adversaires en faisant semblant de prendre leur deacutefense Crsquoest le cas notamment de lrsquoœuvre Les Animaux plus que machines et de Veacutenus Meacutetaphysique dont lrsquoattribution agrave La Mettrie est douteuse Ajoutons que sa faccedilon de faire allusion agrave soi-mecircme agrave lrsquointeacuterieur des textes cherche aussi agrave faire douter de lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur Lrsquoexplication de ce fait est donneacutee par La Mettrie lui-mecircme dans le texte Le petit homme agrave longue queue

() Vous serez surpris Mr que jrsquoaie employeacute le ton ironique qui regravegne dans tout mon Ouvrage mais il mrsquoa fallu battre ainsi la mer pour voguer sans risque Si jrsquoai fait () tant de tours de deacutetours de circuits pour revenir enfin au mecircme point dont nocirctre Auteur est parti crsquoest que je suis dans les cas de ces Navigateurs qui nrsquoont pas la saison favorable5

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2 Leibniz dans lrsquoœuvre de La Mettrie

La Mettrie confesse qursquoil preacutefegravere ldquovoir au loin en grand comme en geacuteneacuteralrdquo plutocirct que de perdre son temps en faisant des analyses de deacutetail6 Crsquoest aussi de cette faccedilon qursquoil regarde la philosophie de son temps Il est eacutevident drsquoapregraves lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes qursquoil preacutefegravere les jugements drsquoensemble plutocirct que de consideacuterer les thegraveses concregravetes qursquoil veut combattre En ce qui concerne la philosophie de Leibniz on pourrait syntheacutetiser son jugement drsquoensemble par un texte de lrsquoopuscule Veacutenus Meacutetaphysique ou Essai sur lrsquoorigine de lrsquoacircme humaine Dans ce texte il eacutecrit

LrsquoHercule dans les sciences lrsquoimmortel Leibniz qui comprenait bien Aristote eacutecumait les inventions des Grecs amp deacutefilait apregraves Descartes avec plus de circonspection aurait eacuteteacute le Philosophe le plus acheveacute si agrave lrsquoexemple de celui-lagrave il nrsquoavait pas deacutebaucheacute son geacutenie par quelques Romans dans la Meacutetaphysique7

Leibniz fait lrsquoobjet du mecircme jugement que celui qursquoil a adresseacute agrave la philosophie dans son ensemble et aux preacutetentions meacutetaphysiques des systegravemes de son temps qui valorisent les raisons et les arguments et meacuteprisent le bacircton de lrsquoexpeacuterience en nrsquoacceptant pas de srsquoassujettir agrave la nature8 Leibniz comme drsquoailleurs Descartes srsquoest perdu dans des digressions meacutetaphysiques qui ne sont pas agrave la porteacutee de la raison humaine Le discours vrai ne peut se passer du bacircton de lrsquoexpeacuterience et ces auteurs lrsquoont totalement abandonneacutee au profit de lrsquoimagination La philosophie nrsquoest pas comme Leibniz lrsquoa preacutetendu une eacutetude des principes et des causes elle est plutocirct une eacutetude de la nature par ses effets9

Ce jugement drsquoensemble on le trouve deacutejagrave dans le Discours preacuteliminaire

Comme les plus fausses hypothegraveses de Descartes passent pour drsquoheureuses erreurs en ce qursquoelles ont fait entrevoir amp deacutecouvrir bien de veacuteriteacutes qui seraient encore inconnues sans elles les systegravemes de morale ou de meacutetaphysique les plus mal fondeacutes ne sont pas pour cela deacutepourvus drsquoutiliteacute pourvu qursquoils soient bien raisonneacutes amp qursquoune longue chaicircne de conseacutequences merveilleusement deacuteduites quoique de principes faux chimeacuteriques tels que ceux de Leibniz amp de Wolff donne agrave

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lrsquoesprit exerceacute la faciliteacute drsquoembrasser dans la suite un plus grand nombre drsquoobjets En effet qursquoen reacutesultera-t-il Une plus excellente longue vue un meilleur teacutelescope qui ne tarderont peut-ecirctre pas agrave rendre de grands services10

Dans le Traiteacute de lrsquoAme il insiste agrave nouveau sur le fait que Leibniz a des preacutetentions meacutetaphysiques injustifieacutees

Le ceacutelegravebre Leibniz raisonne agrave perte de vue sur lrsquoecirctre amp la substance il croit connaicirctre lrsquoessence de tous les corps Sans lui il est vrai nous nrsquoeussions jamais devineacute qursquoil y eucirct des monades au monde amp que lrsquoacircme en fucirct une nous nrsquoeussions point connu ces fameux principes qui excluent toutes eacutegaliteacutes dans la nature amp expliquent tous les pheacutenomegravenes par une raison plus inutile que suffisante (hellip) La chaicircne de ses principes [de la philosophie Wolffienne] est bien tisseacutee mais lrsquoor dont elle paraicirct formeacutee mis au creuset ne paraicirct qursquoun meacutetal imposteur Eh Faut-il donc tant drsquoart agrave enchacircsser lrsquoerreur pour mieux la multiplier Ne dirait-on pas agrave les entendre ces ambitieux meacutetaphysiciens qursquoils auraient assisteacute agrave la creacuteation du monde ou au deacutebrouillement du chaos Cependant leurs premiers principes ne sont que des suppositions hardies ougrave le geacutenie a bien moins de part qursquoune preacutesomptueuse imagination Qursquoon les appelle si lrsquoon veut des grands geacutenies parce qursquoils ont chercheacute amp se sont vanteacute de connaicirctre les premiegraveres causes Pour moi je crois que ceux qui les ont deacutedaigneacutees leur seront toujours preacutefeacuterables amp que le succegraves des Locke des Boerhaave amp de tous ces hommes sages qui se sont borneacutes agrave lrsquoexamen des causes secondes prouve bien que lrsquoamour-propre est le seul qui nrsquoen tire pas le mecircme avantage que des premiegraveres11

De son point de vue ldquolrsquoesprit de systegravemerdquo œuvre de lrsquoorgueil humain est le seul ou le principal responsable de ces erreurs qursquoune vision de la raison humaine plus reacutealiste et sans autant de preacutejugeacutes suffirait agrave corriger

Dans lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes La Mettrie fait drsquoabord une bregraveve preacutesentation de la doctrine leibnizienne de la substance puis se met agrave critiquer trois aspects fondamentaux de sa penseacutee le principe de raison le principe de contradiction et la thegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie

Agrave propos de la doctrine leibnizienne de la substance La Mettrie eacutecrit

LEIBNIZ fait consister lrsquoessence lrsquoecirctre ou la substance (car tous ces noms sont synonymes) dans les monades crsquoest-agrave-dire dans les corps simples immuables indissolubles solides individuels ayant toujours la mecircme figure amp la mecircme masse Tout le monde connait ces monades depuis la brillante acquisition que les Leibniziens ont fait de Madame la M[arquise] du Chacirctelet12

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Quelques lignes apregraves il identifie les monades avec les atomes Il nrsquoy a pas selon Leibniz deux particules homogegravenes dans la matiegravere elles sont toutes diffeacuterentes les unes des autres (hellip) Or si les atomes de la matiegravere eacutetaient tous eacutegaux on ne pourrait concevoir pourquoi Dieu eucirct preacutefeacutereacute de creacuteer amp de placer tel atome ici plutocirct que lagrave ni comment une matiegravere homogegravene eucirct pu former tant de diffeacuterents corps13 Il est bien eacutevident que La Mettrie deacuteforme grossiegraverement la doctrine leibnizienne de la monade il lrsquoidentifie agrave lrsquoatome et la deacutecrit comme un corps simple immuable ayant toujours la mecircme figure et la mecircme masse Les monades deviennent les particules indivisibles de la matiegravere de vrais atomes A ce moment-lagrave La Mettrie ne critique pas la doctrine leibnizienne des monades ou ce qursquoil a compris de cette doctrine ndash il le fera dans drsquoautres textes ndash mais dans ce texte il preacutefegravere insister sur un ensemble de thegraveses a) Leibniz soutenait qursquoil y avait dans la matiegravere une force motrice un principe drsquoaction qursquoon peut appeler nature b) il a reconnu aussi que la matiegravere est capable de perceptions semblables agrave celles des corps animeacutes c) il a soutenu que chaque ecirctre produit ses propres changements de faccedilon indeacutependante des autres ecirctres et par sa propre force immanente et derniegravere thegravese d) il voudrait partager cette fonction entre la cause premiegravere et la cause seconde entre Dieu et la nature

Parmi toutes ces thegraveses leibniziennes14 La Mettrie srsquooppose agrave deux drsquoentre elles que toutes les monades aient des perceptions sensibles15 et qursquoil soit possible ou neacutecessaire de partager lrsquoactiviteacute de la monade entre la cause premiegravere et la cause seconde En fait selon lui Leibniz nrsquoessaie de les justifier que par drsquoinutiles distinctions16

Au sujet du principe de raison il eacutecrit Nul ecirctre pensant et agrave plus forte raison Dieu ne fait rien sans choix sans motifs qui le deacuteterminent Or si les atomes de la matiegravere eacutetaient tous eacutegaux on ne pourrait concevoir pourquoi Dieu eucirct preacutefeacutereacute de creacuteer amp de placer tel atome ici plutocirct que lagrave ni comment une matiegravere homogegravene eucirct pu former tant de diffeacuterents corps Dieu nrsquoayant aucuns motifs de preacutefeacuterence ne pourrait creacuteer deux ecirctres semblables

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possibles Il est donc neacutecessaire qursquoils soient heacuteteacuterogegravenes Voilagrave comme on combat lrsquohomogeacuteneacuteiteacute des eacuteleacutements par le fameux principe de la raison suffisante (hellip) Il est eacutevident que ce systegraveme ne roule que sur la supposition de ce qui se passe dans un ecirctre qui ne nous a donneacute aucune notion de ses attributs M Clarke amp plusieurs autres philosophes admettent des cas de parfaite eacutegaliteacute qui excluent toute raison Leibnizienne elle serait alors non suffisante mais inutile comme on le dit dans le Traiteacute de lrsquoAme17 Mais rien ne nous autorise agrave raisonner de cette faccedilon non seulement parce que nous ne connaissons pas le mode drsquoaction drsquoun ecirctre que nous meacuteconnaissons complegravetement mais aussi parce que ce dont il srsquoagit est inaccessible agrave la raison Puisque nous ne connaissons pas la substance nous ne pouvons donc savoir si les eacuteleacutements de la matiegravere sont similaires ou non amp si veacuteritablement le principe de raison suffisante en est un A vrai dire ce nrsquoest qursquoun principe de systegraveme amp fort inutile dans la recherche de la veacuteriteacute18 La mecircme critique serait valable pour lrsquoautre grand principe leibnizien du raisonnement La philosophie de M Leibnitz porte encore sur un autre principe mais moins amp encore plus inutile crsquoest celui de la contradiction Tous ces preacutetendus premiers principes nrsquoabregravegent amp nrsquoeacuteclaircissent rien ils ne sont estimables amp commodes qursquoautant qursquoils sont le reacutesultat de mille connaissances particuliegraveres qursquoun geacuteneacuteral drsquoarmeacutee Un ministre neacutegociateur ampc peuvent reacutediger en axiomes utiles amp importants19 Consideacuterons enfin la thegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie La Mettrie srsquoen occupe au moment de conclure sa preacutesentation de la penseacutee de Leibniz dans lrsquoAbreacutegeacute des Systegravemes Il eacutecrit Venons au systegraveme de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie crsquoest une suite des principes eacutetablis ci-devant Il consiste en ce que tous les changements du corps correspondent si parfaitement aux changements de la monade appeleacutee esprit ou acircme qursquoil nrsquoarrive point de mouvements dans lrsquoune auxquels ne coexiste quelque ideacutee dans lrsquoautre amp vice versa Dieu a preacuteeacutetabli cette harmonie en faisant choix des substances qui par leur propre force produiraient de concert la suite de leurs mutations de sorte que tout se fait dans lrsquoacircme comme srsquoil nrsquoy avait point de corps et tout se passe dans le corps comme srsquoil nrsquoy avait point drsquoacircme Leibnitz convient que cette deacutependance nrsquoest pas reacuteelle mais meacutetaphysique ou ideacuteale Or est-ce par une section qursquoon peut deacutecouvrir amp expliquer les perceptions (hellip) Comment une monade spirituelle ou ineacutetendue peut-elle faire marcher agrave son greacute toutes celles qui composent le corps amp en gouverner les organes Lrsquoacircme ordonne des mouvements dont les moyens sont inconnus amp degraves qursquoelle veut qursquoils soient ils sont aussi vite que la lumiegravere fut Quel

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plus bel apanage quel tableau de la diviniteacute dirait Platon 20 De la doctrine de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie La Mettrie retient donc qursquoil srsquoagit drsquoune faccedilon drsquoexpliquer lrsquounion entre lrsquoacircme et le corps que cette explication srsquoappuie sur la conviction selon laquelle cette interaction entre les substances est meacutetaphysique et ideacuteale plutocirct que physique ou reacuteelle et qursquoune interaction harmonique de ce genre est rendue possible par le choix divin des substances dont le dynamisme interne produit spontaneacutement la seacuterie de leurs changements A la fin il insiste sur les difficulteacutes qui deacutecoulent de cette vision radicalement dualiste de lrsquoecirctre et de lrsquoaction de lrsquohomme 3 La critique de La Mettrie adresseacutee agrave Leibniz

Je ne veux pas insister sur la distance qui seacutepare les thegraveses que La Mettrie attribue agrave Leibniz de celles de Leibniz lui-mecircme Pour ce faire il serait neacutecessaire de prendre en compte plusieurs aspects de la penseacutee des deux auteurs qursquoil nrsquoest pas possible de reacutesumer en quelques lignes Il est remarquable par exemple que mecircme en critiquant agrave plusieurs reprises lrsquohypothegravese de lrsquoharmonie La Mettrie ne critique jamais le rapport de cette hypothegravese agrave la doctrine leibnizienne drsquoun double regravegne celui des causes efficientes et celui des causes finales

Drsquoautre part la strateacutegie argumentative de La Mettrie est preacutecise et ne consiste pas agrave preacutesenter des arguments destineacutes agrave discreacutediter les thegraveses qursquoil veut combattre Il preacutefegravere soutenir que ces thegraveses ne sont pas neacutecessaires donc qursquoelles ne sont pas prouveacutees et que les difficulteacutes lieacutees agrave lrsquoadheacutesion agrave sa propre thegravese du mateacuterialisme ndash qui est beaucoup plus simple ndash ne sont pas supeacuterieures agrave celles que lrsquoon rencontre lorsqursquoon srsquoefforce drsquoaccepter les conclusions de ses adversaires

Jrsquoinsisterai simplement sur un autre commentaire drsquoensemble de la philosophie de Leibniz qui agrave mon avis permet de comprendre pourquoi La Mettrie srsquointeacuteresse agrave lrsquoœuvre de Leibniz et pourquoi celui-ci est devenu pour lui le veacuteritable adversaire Dans lrsquoHomme machine il eacutecrit

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Les Leibniziens avec leurs Monades ont eacuteleveacute une hypothegravese inintelligible Ils ont plutocirct spiritualiseacute la matiegravere que mateacuterialiseacute lrsquoacircme Comment peut-on deacutefinir un ecirctre dont la nature nous est absolument inconnue Descartes amp tous les Carteacutesiens parmi lesquels il y a longtemps qursquoon a compteacute les Malebranchistes ont fait la mecircme faute Ils ont admis deux substances distinctes dans lrsquohomme comme srsquoils les avoient vues amp bien compteacutees21 Il srsquoagit drsquoun commentaire inteacuteressant Selon La Mettrie Leibniz est sur le bon chemin pour eacuteviter le dualisme mais le choix qursquoil a fait ndash de spiritualiser la matiegravere ndash ne lui a pas permis drsquoatteindre son but La Mettrie reconnaicirct non seulement que Leibniz cherchait agrave annuler la dualiteacute corps esprit en privileacutegiant le second terme de cette dualiteacute lrsquoesprit mais aussi que la philosophie carteacutesienne avait deacutejagrave commis la mecircme erreur eacutetant donneacute qursquoelle admettait deux substances distinctes dans lrsquohomme

Quoiqursquoil srsquoagisse drsquoun commentaire fait en passant il reacutevegravele bien jusqursquoagrave quel point Leibniz est devenu le veacuteritable adversaire de La Mettrie A plusieurs reprises ce dernier insiste sur le fait qursquoil y a seulement deux systegravemes philosophiques deux faccedilons de faire de la philosophie celle des mateacuterialistes et celle des spiritualistes Il a consacreacute sa vie agrave faire la deacutefense du premier Leibniz incarnant le deuxiegraveme On trouve deacutejagrave la mecircme ideacutee dans le Discours Preacuteliminaire qui preacutecegravede le Traiteacute de lrsquoacircme lorsqursquoil affirme que son seul projet est de prouver qursquoil y a une seule vie22

Et la thegravese de La Mettrie est que en proposant le spiritualisme Leibniz srsquoest vu obligeacute drsquoaccepter une dualiteacute irreacuteductible inutile pour rendre compte de lrsquoexpeacuterience Il insiste sur ce point dans Veacutenus Meacutetaphysique Supposeacute la spiritualiteacute de lrsquoacircme elle ne pourra jamais sortir de la matiegravere car de ce bois on ne taille pas des Mercures Les Scholastiques Creacuteatiens amp Leibniziens ont raison de se brouiller avec le ldquo traduxrdquo si lrsquoon entend par-lagrave la source de lrsquoacircme des semences corporelles au greacute des Mateacuterialistes ou une Meacutetamorphose de la matiegravere en esprit en deacutepit de lrsquoincommunicabiliteacute des essences23

Le seul vrai chemin pour arriver agrave reacutesoudre les problegravemes du dualisme corps esprit est donc le contraire commencer par la matiegravere et reacuteduire lrsquoesprit agrave la matiegravere ou lrsquoacircme au corps Le lieu de

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lrsquoacircme crsquoest le cerveau24 4 Lrsquoimage du ldquomiroirrdquo

Lrsquoimage du miroir est assez rare dans lrsquoœuvre de La Mettrie et nrsquoest pas directement en rapport avec la penseacutee de Leibniz Il srsquoen sert en lui attribuant deux sens opposeacutes drsquoabord pour critiquer les philosophies dualistes cest-agrave-dire-spiritualistes ensuite pour expliquer la faccedilon qursquoil a de comprendre le rapport de lrsquoacircme au corps Dans le premier sens soutenir une vision speacuteculaire de lrsquoacircme ne fait que dupliquer que multiplier les ecirctres sans neacutecessiteacute Le preacutejugeacute qui nous empecircche drsquoaccepter la mateacuterialiteacute de notre ecirctre tout entier est si fort qursquoon se voit obligeacute de proposer une double explication des pheacutenomegravenes et des processus de la vie humaine faute drsquoaccepter son origine naturelle crsquoest-agrave-dire purement physique et mateacuterielle

Drsquoautre part dans un sens positif le miroir ou la condition ldquospeacuteculairerdquo de lrsquoacircme permet de mettre en valeur le fait que ce qursquoon appelle lrsquoacircme nrsquoest qursquoun effet de la matiegravere un reflet de la matiegravere et des forces qui y sont inscrites ou plutocirct que lrsquoacircme est le nom qursquoon donne agrave une certaine forme drsquoactiviteacute ou drsquoauto-organisation de la matiegravere ougrave tout est physique En ce cas la ldquocondition speacuteculairerdquo de lrsquoacircme ne vise pas agrave fixer son indeacutependance ou sa suffisance en tant que substance mais au contraire vise agrave la preacutesenter comme lrsquoimage mecircme du corps

Crsquoest pourquoi il eacutecrit dans le Traiteacute de lrsquoAme

Si tout srsquoexplique par ce que lrsquoanatomie et la physiologie me deacutecouvrent dans la moelle qursquoai-je besoin de forger un ecirctre ideacuteal Si je confonds lrsquoacircme avec les organes corporels crsquoest donc que tous les pheacutenomegravenes mrsquoy deacuteterminent Et que drsquoailleurs dieu nrsquoa donneacute agrave mon acircme aucune ideacutee drsquoelle-mecircme mais seulement assez de discernement et de bonne foi pour se reconnaitre dans quelque miroir que ce soit et ne pas rougir drsquoecirctre neacutee dans la fange25

Cette maniegravere tout autre de penser le miroir a de nombreuses conseacutequences Tandis que pour Leibniz les esprits sont irreacuteductibles agrave la matiegravere et qursquoils appartiennent agrave un autre regravegne leur capaciteacute

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speacuteculative en eacutetant le reflet pour La Mettrie au contraire lrsquoesprit est une sorte de ldquoreacuteserverdquo que la matiegravere a elle-mecircme constitueacutee et qursquoelle deacuteveloppe pour faire face aux besoins et aux difficulteacutes ndash si bien que dans lrsquoHomme machine La Mettrie peut reacuteduire lrsquoesprit agrave une simple ldquoproprieacuteteacuterdquo de la matiegravere ldquoJe crois la penseacutee si peu incompatible avec la matiegravere organiseacutee qursquoelle semble en ecirctre une proprieacuteteacute telle que lrsquoeacutelectriciteacute la faculteacute motrice lrsquoimpeacuteneacutetrabiliteacute lrsquoeacutetendue etcrdquo26

Cette thegravese deacutecoule directement de sa doctrine de la causaliteacute naturelle comprise comme aveugle et neacutecessitante ldquoAyant fait sans voir les yeux qui voient elle a fait sans penser une machine qui penserdquo27

5 Lrsquoimage de la ldquomachinerdquo

Un sort diffeacuterent est reacuteserveacute agrave lrsquoautre image dont srsquoest servi Leibniz ndash celle de la machine Comme on le sait bien La Mettrie a fait de cette image une sorte drsquoicocircne de sa philosophie Lrsquohomme machine Les animaux plus que machines Lrsquohomme plus que machine Il va jusquagrave se preacutesenter lui-mecircme comme Mr Machine

Lrsquoorigine de cette image dans son œuvre est en rapport avec la fameuse thegravese de Descartes selon laquelle les animaux non doueacutes de raison sont de simples machines Au lieu de soutenir que les animaux sont quelque chose de plus que des machines La Mettrie insiste sur le fait que toute forme de vie ndash y compris la vie spirituelle ndash nrsquoest que lrsquoeffet meacutecanique de lrsquoauto-organisation hasardeuse de la matiegravere Pour ce faire il suffit de reconnaicirctre le fondement exclusivement physique de la sensibiliteacute et de la penseacutee De toute faccedilon La Mettrie ne deacutefinit pas la notion de machine en tant que telle Ce qui compte crsquoest drsquoannuler la singulariteacute de lrsquohomme dans le cadre de la nature

Lrsquoimage de la machine vise agrave rendre plausible le fait que lrsquoacircme ou lrsquoesprit ne soit qursquoune sorte drsquoorganisation mateacuterielle plus complexe Ainsi la raison nrsquoest qursquoun meacutecanisme drsquoadaptation que la matiegravere a deacuteveloppeacute de faccedilon aveugle Lrsquoesprit est la machine qui a deacuteveloppeacute une autre machine faute de trouver une autre faccedilon de faire face aux 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 26 HM OP III p 189 27 Systegraveme drsquoEpicure (SE) sect XXVII OP II p 15

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neacutecessiteacutes les lois du mouvement ldquoont fabriqueacute le viscegravere de la penseacutee La nature a fait dans la machine de lrsquohomme une autre machine qui srsquoest trouveacutee propre agrave retenir les ideacutees et agrave en faire de nouvellesrdquo28

La Mettrie prend lrsquoimage de la machine en des sens tregraves diffeacuterents de ceux auxquels pensait Leibniz Pour lrsquoauteur de lrsquoHomme machine cela permet de faire comprendre la reacuteduction de toute forme de vie aux rapports de la causaliteacute mateacuterielle et efficiente de la physique La vie nrsquoest pas une notion premiegravere qui pourrait avoir son siegravege dans une monade comprise comme ldquomiroir vivantrdquo la vie est le simple effet de lrsquoauto-complexification de la matiegravere elle nrsquoest pas agrave vrai dire une nouvelle faccedilon drsquoecirctre mais plutocirct une forme drsquoauto-organisation de la matiegravere qui vise agrave faire face aux difficulteacutes et aux besoins de cette complexification mecircme La vie ne se trouve pas dans la monade dans les atomes mais son seul siegravege est dans la machine elle-mecircme

Tandis que Leibniz parle des ldquomachines de la naturerdquo pour insister sur lrsquouniteacute et la substantialiteacute des ecirctres vivants La Mettrie srsquoen sert pour soutenir leur dimension inteacutegralement corporelle

Posez le moindre principe du mouvement les corps animeacutes auront tout ce qursquoil faut pour se mouvoir sentir penser se repentir et se conduire en un mot dans le physique et dans le moral qui en deacutepend29

Un dernier aspect illustre cette diffeacuterence dans lrsquousage de lrsquoimage de la ldquomachinerdquo Comme Leibniz La Mettrie compare lrsquoart de la nature et lrsquoart de lrsquohomme les machines naturelles et les machines artificielles Mais la comparaison lrsquoamegravene agrave des reacutesultats diffeacuterents Chez Leibniz la comparaison conduit agrave comparer les intelligences qui sont au principe de ces machines crsquoest-agrave-dire lrsquointelligence infinie et creacuteatrice de la diviniteacute et lrsquointelligence finie et plutocirct transformatrice de lrsquohomme Pour La Mettrie au contraire les machines de la nature ne sont lrsquoœuvre drsquoaucune intelligence on ne peut pas les deacutefinir par leur fonction ni par une causaliteacute finale Ce que nous appelons ldquomachines de la naturerdquo nrsquoest que le reacutesultat ldquoaveuglerdquo drsquoune nature sur le modegravele eacutepicurien elle produit ses plus belles œuvres sans le vouloir et sans y songer par essai et erreur Tout se reacuteduit au rapport complexiteacute-neacutecessiteacute 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 28 SE sect XXVII OP II p 14 29 HM OP III p 169

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Lrsquoimage de la machine sert en derniegravere analyse agrave faire comprendre qursquoil ne faut penser qursquoen ldquosimple physicienrdquo Si on srsquoeacutecarte de cette faccedilon de penser on nrsquoa affaire qursquoagrave de pures imaginations et on pourrait appliquer agrave celui qui srsquoy risquerait ce qursquoil a eacutecrit de la meacutedecine et de la philosophie de son temps Comme la meacutedecine nrsquoest plus souvent qursquoune science de remegravedes dont les noms sont admirables la philosophie nrsquoest de mecircme qursquoune science de belles paroles crsquoest un double bonheur quand les uns gueacuterissent et quand les autres signifient quelque chose30 BIBLIOGRAPHIE La Mettrie J O de Histoire naturelle de lrsquoAcircme (HNA) traduite de lrsquoanglois de M

Charp par feu Mr H de lrsquoAcadeacutemie des Sciences La Haye J Neaulme Libraire 1745

La Mettrie J O de Venus meacutetaphysique ou essai sur lrsquoorigine de lrsquoame humaine (VM) Berlin J C Voss 1752

La Mettrie J O de Œuvres Philosophiques de La Mettrie nouvelle eacutedition Berlin Ch Tutot 1796

Lemeacutee P (ed) Une Œuvre ineacutedite drsquoOffray de La Mettrie Le petit homme agrave longue queue (1751) Paris J-B Bailliegravere et Fils 1934

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CLAIRE FAUVERGUE

LA REacuteCEPTION DES PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRAcircCE DANS LrsquoENCYCLOPEacuteDIE MEacuteTHODIQUE LrsquoARTICLE ldquoSYSTEgraveME DES MONADESrdquo

Introduction

Dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique paru en trois volumes entre 1791 et 1793 Naigeon complegravete en reacutedigeant de nouveaux articles le corpus des articles drsquohistoire de la philosophie dont Diderot eacutetait lrsquoauteur dans lrsquoEncyclopeacutedie Ainsi en est-il de plusieurs articles annonceacutes par les eacutediteurs de lrsquoEncyclopeacutedie et qui eacutetaient resteacutes sans auteur Tel est le cas notamment de lrsquoarticle MONADES En effet aucun article de la premiegravere Encyclopeacutedie ne correspond au renvoi ldquoMONADESrdquo1 inseacutereacute par Diderot agrave la fin de lrsquoarticle LEIBNITZIANISME ou PHILOSOPHIE DE LEIBNITZ Il faut attendre la parution du dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique pour lire un article encyclopeacutedique sur les monades Il srsquoagit de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) (Histoire de la Philosophie moderne)2

En choisissant comme titre de cet article la deacutesignation ldquoSystegraveme des monadesrdquo Naigeon restitue tout un pan de la reacuteception de la philosophie leibnizienne Crsquoest ainsi qursquoil reacuteeacutedite les Principes de la

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Nature et de la Gracircce fondeacutes en raison en se reacutefeacuterant agrave la seconde eacutedition du Recueil Des Maizeaux3

La preacutesente eacutetude abordera les Principes de la Nature et de la Gracircce4 agrave partir de lrsquoanalyse de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique tout en replaccedilant cet article dans le contexte de la reacuteception de la philosophie de Leibniz en France Nous verrons notamment comment lrsquoinsertion des Principes de la Nature et de la Gracircce dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique srsquoaccompagne drsquoune mise en contexte ineacutedite de lrsquoopuscule leibnizien et comment lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) offre lrsquoexemple drsquoune nouvelle appreacutehension de lrsquohistoire de la philosophie Ainsi Naigeon nous invite-t-il aujourdrsquohui encore agrave relire les Principes de la Nature et de la Gracircce

Alors que Diderot preacutesentait dans lrsquoEncyclopeacutedie un choix drsquoopuscules appartenant au corpus leibnizien en traduisant ceux-ci en franccedilais drsquoapregraves lrsquoeacutedition latine de J Brucker5 auteur de lrsquoHistoria critica philosophiae choix drsquoopuscules dans lequel figurait la Monadologie Naigeon insegravere les Principes de la Nature et de la Gracircce dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique en se reacutefeacuterant pour sa part agrave lrsquoeacutedition de Des Maizeaux Par ce choix eacuteditorial Naigeon preacutesente des textes qui auraient pu servir de sources aux eacutediteurs de lrsquoEncyclopeacutedie mais auxquels agrave notre connaissance ces derniers ne se sont pas reacutefeacutereacutes Il renouvelle les mateacuteriaux ayant servi agrave Diderot dans lrsquoEncyclopeacutedie en se reacutefeacuterant agrave une source textuelle agrave laquelle aussi eacutetonnant que cela puisse paraicirctre ce dernier ne srsquoeacutetait pas rapporteacute Lrsquoarticle

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Claire Fauvergue Lrsquoarticle ldquoSystegraveme de monadesrdquo dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique

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MONADES (SYSTEgraveME DES) srsquoinscrit par conseacutequent dans le prolongement de lrsquoEncyclopeacutedie tout srsquoen deacutemarquant

Naigeon preacutesente les Principes de la Nature et de la Gracircce dans leur inteacutegraliteacute En effet les 18 articles des Principes de la Nature et de la Gracircce figurent dans lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) Pourtant Naigeon ne donne aucune preacutecision concernant le titre de lrsquoeacutecrit leibnizien bien qursquoil cite explicitement lrsquoeacutedition agrave laquelle il se reacutefegravere Il le preacutesente dans les termes suivants en se rapportant comme Des Maizeaux agrave la correspondance avec Reacutemond ldquoLeibnitz composa lrsquoeacutecrit suivant pour le prince Eugegravene de Savoie qui lui avait demandeacute un preacutecis de sa philosophie Il se flattait que ce preacutecis contribuerait agrave mieux faire entendre ses meacuteditationsrdquo6 Cette introduction reprend lrsquoAvertissement de lrsquoeacutedition de 1740 du Recueil Des Maizeaux7 Le passage de la lettre de Leibniz agrave Reacutemond auquel se reacutefegravere expresseacutement Des Maizeaux est le suivant ldquoJe me sers maintenant de lrsquooccasion de M Sulli () pour vous envoyer un petit discours que jrsquoai fait ici pour Mgr le Prince Eugegravene sur ma philosophierdquo8 Ce passage eacutetait deacutejagrave citeacute par Des Maizeaux dans la Preacuteface de lrsquoeacutedition de 1720 ce dernier formulant alors lrsquohypothegravese que Leibniz annonccedilait ainsi agrave son correspondant lrsquoenvoi drsquoun recueil de piegraveces traitant du Systegraveme de lrsquoHarmonie preacuteeacutetablie9 Ce nrsquoest que dans lrsquoeacutedition de 1740 que la relation est enfin eacutetablie avec exactitude par Des Maizeaux entre la correspondance Leibniz-Reacutemond et les Principes de la nature et de la gracircce Si lrsquoeacutecrit est deacutesormais authentifieacute la preacutesentation qursquoen donne le Recueil Des Maizeaux reste strictement la mecircme dans lrsquoeacutedition de 1740 les Principes de la nature et de la gracircce sont toujours preacutesenteacutes drsquoapregraves la mention qui en est faite par Leibniz dans sa correspondance avec Reacutemond Ainsi srsquoexpliquerait que les Principes de la nature et de la gracircce soient agrave nouveau mis en

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rapport avec la correspondance Leibniz-Reacutemond dans lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) du Dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne Cependant Naigeon ne se contente pas de faire reacutefeacuterence au Recueil Des Maizeaux il va exploiter agrave des fins critiques lrsquohypothegravese de lecture qui srsquoy trouve proposeacutee en inseacuterant agrave plusieurs reprises des extraits de la correspondance de Leibniz agrave Reacutemond entre les paragraphes des Principes de la nature et de la gracircce

Par ailleurs en se reacutefeacuterant agrave la seconde eacutedition du Recueil Des Maizeaux Naigeon met deacutefinitivement fin agrave la possibiliteacute de confondre les Principes de la nature et de la gracircce avec la Monadologie Cette confusion se trouvait encore sous la plume drsquoun encyclopeacutediste tel que Jaucourt auteur de lrsquoHistoire de la vie et des ouvrages de Leibnitz et eacutediteur des Essais de Theacuteodiceacutee En effet dans son Abreacutegeacute de la Meacutetaphysique de M Leibnitz 10 Jaucourt preacutesente un court extrait des Principes de la Nature et de la Gracircce en confondant ceux-ci avec la Monadologie Selon lui la Monadologie serait lrsquointituleacute donneacute aux traductions allemande et latine des Principes de la nature et de la gracircce Ainsi lit-on dans le ldquoCatalogue chronologique des ouvrages de Mr Leibnitzrdquo ldquoPrincipes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison par feu M le Baron de Leibnitz Europe Savante Ann 1718 p 101rdquo On a traduit en Allemand cette brochure en 1720 sous le titre de Monadologie Elle se trouve aussi en Latin dans le Suppleacutement du Journal de Leipzig anneacutee 172111

Pour autant Jaucourt ne considegravere pas les Principes de la nature et de la gracircce comme un texte original ayant donneacute lieu agrave une publication agrave part Il preacutesente ceux-ci comme faisant partie des nombreux ldquoMorceaux qui se trouvent parsemeacutes ccedilagrave et lagrave dans plusieurs Livres diffeacuterentsrdquo12

Au-delagrave de la confusion entre deux textes distincts agrave savoir les Principes de la nature et de la gracircce et les Principes de la philosophie 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 10 De Neufville (Louis de Jaucourt) Histoire de la vie et des ouvrages de Leibnitz Amsterdam 1734 pp 138-140 Lrsquoabreacutegeacute ne rend compte que de la premiegravere partie des Principes de la nature et de la gracircce srsquoachevant par un reacutesumeacute du paragraphe 6 11 Jaucourt Catalogue chronologique des ouvrages de Mr Leibnitz dans Histoire de la vie et des ouvrages de Leibnitz p 243 On retrouve le mecircme abreacutegeacute et la mecircme preacutesentation des Principes de la nature et de la gracircce dans les eacuteditions successives des Essais de Theacuteodiceacutee par Jaucourt Essais de Theacuteodiceacutee Amsterdam 1734 vol I pp 138-140 et p 243 Amsterdam 1747 vol I pp 160-163 et p 280 Lausanne 1760 vol I pp 178-181 et p 310 12 Jaucourt Catalogue chronologique des ouvrages de Mr Leibnitz dans Histoire de la vie et des ouvrages de Leibnitz p 211

Claire Fauvergue Lrsquoarticle ldquoSystegraveme de monadesrdquo dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique

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ou Monadologie lrsquoeacutetude de la reacuteception de la philosophie de Leibniz au XVIIIe siegravecle se trouve confronteacutee agrave la difficulteacute de deacuteterminer les titres exacts des diffeacuterents eacutecrits auxquels se reacutefegraverent les auteurs alors que la plupart drsquoentre eux confondent geacuteneacuteralement le titre des opuscules leibniziens et le nom du systegraveme qui srsquoy trouve eacutenonceacute Ainsi peut-on srsquointerroger sur lrsquoemploi par Naigeon de lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo En choisissant comme titre de lrsquoarticle de son dictionnaire non pas le simple terme de ldquomonadesrdquo utiliseacute agrave titre de renvoi dans lrsquoEncyclopeacutedie mais lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo Naigeon reformule lrsquointituleacute du renvoi figurant la fin de lrsquoarticle LEIBNITZIANISME de lrsquoEncyclopeacutedie On remarque en effet qursquoil supprime dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique la seacuterie de renvois inseacutereacutes par Diderot en fin drsquoarticle renvois parmi lesquels figurait le terme ldquomonadesrdquo13 De la mecircme faccedilon Naigeon suppleacutee les imperfections de la premiegravere Encyclopeacutedie par la reacutedaction drsquoun nouvel article HARMONIE PREacuteEacuteTABLIE14

Bien que dans lrsquoEncyclopeacutedie aucun article ne corresponde au renvoi ldquoMONADESrdquo tout laisse supposer que les eacutediteurs de lrsquoouvrage preacutevoyaient un tel article De fait Diderot nrsquoest pas le seul dans lrsquoEncyclopeacutedie agrave preacutevoir un renvoi en employant le terme ldquoMONADESrdquo DrsquoAlembert renvoie au ldquosystegraveme des monadesrdquo agrave deux reprises dans lrsquoEncyclopeacutedie dans lrsquoarticle CORPUSCULE puis dans lrsquoarticle DIVISIBILITEacute Dans le premier article il renvoie agrave ldquoMONADESrdquo et agrave ldquoLEIBNITZIANISMErdquo apregraves avoir eacutevoqueacute le ldquosystegraveme des monades de Leibnitzrdquo dans les termes suivants

Aussi lideacutee que nous nous formons de la matiegravere et des corps selon quelques philosophes est purement de notre imagination sans quil y ait rien hors de nous de semblable agrave cette ideacutee Ces difficulteacutes ont fait naicirctre le systegraveme des monades de M Leibnitz Voyez MONADES et LEIBNITIANISME15

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Enfin dans le second article drsquoAlembert souligne agrave nouveau la mecircme difficulteacute et eacutecrit

Dire quun corps est composeacute dautres corps cest ne rien dire Car on demandera de nouveau de quoi ces corps sont composeacutes Les eacuteleacutements de la matiegravere doivent donc ecirctre autre chose que de la matiegravere Cest ce qui avait fait imaginer agrave M Leibnitz son systegraveme des monades16

On retiendra que drsquoAlembert ne srsquoen tient pas agrave la critique des ldquomonadesrdquo17 que lrsquoon peut lire sous sa plume dans le Discours preacuteliminaire Il fait reacutefeacuterence au ldquosystegraveme des monadesrdquo dans les articles qursquoil reacutedige pour lrsquoEncyclopeacutedie en srsquointerrogeant sur les difficulteacutes qui ont pu amener Leibniz agrave eacutelaborer un tel systegraveme adoptant en ceci lrsquoordre geacuteneacutealogique des ideacutees qursquoil preacuteconise lui-mecircme de suivre

Diderot mentionne pour sa part le ldquosystegraveme des monadesrdquo dans plusieurs articles de lrsquoEncyclopeacutedie consacreacutes agrave lrsquohistoire de la philosophie Dans lrsquoarticle LEIBNITZIANISME notamment il met en lumiegravere lrsquoanalogie existant selon lui entre lrsquoideacutee que lrsquoessence de la matiegravere reacuteside dans une force particuliegravere semblable agrave une meacutemoire momentaneacutee (mens momentanea) ideacutee eacutenonceacutee par Leibniz dans sa Theacuteorie du mouvement abstrait18 et drsquoautres hypothegraveses parmi lesquelles figurent le ldquosystegraveme des monadesrdquo19 Loin de critiquer le systegraveme ainsi deacutesigneacute Diderot marque une communauteacute de penseacutee entre Leibniz et lui-mecircme Plus preacuteciseacutement il met en eacutevidence une analogie entre la deacutefinition de la matiegravere qursquoil deacutecouvre chez Leibniz le systegraveme des monades dont Leibniz est lrsquoauteur et ses propres conjectures mateacuterialistes Le renvoi ldquoMONADESrdquo ainsi inseacutereacute par les eacutediteurs de lrsquoEncyclopeacutedie dans plusieurs articles restant agrave lrsquoeacutetat drsquointention il nrsquoest pas surprenant que Naigeon srsquoemploie agrave suppleacuteer

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Claire Fauvergue Lrsquoarticle ldquoSystegraveme de monadesrdquo dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique

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agrave ce deacutefaut dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique et qursquoil reacutedige un article ineacutedit consacreacute au ldquosystegraveme des monadesrdquo

On remarquera par ailleurs que lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo figure dans le Recueil Des Maizeaux qui repreacutesente la principale source de Naigeon pour la reacutedaction des articles sur la philosophie de Leibniz Des Maizeaux lrsquoemploie dans une note de la lettre agrave Reacutemond de juillet 1714 note dans laquelle il preacutesente un extrait de la correspondance avec Sophie qursquoil insegravere probablement agrave cet endroit afin de suppleacuteer agrave lrsquoEacuteclaircissement sur les Monades annonceacute par Leibniz agrave son correspondant Lrsquoextrait de la lettre agrave Sophie dateacutee du 30 nov 1701 srsquoy trouve introduit dans les termes suivants ldquoVoici lrsquoextrait drsquoune lettre de Mr Leibniz agrave S A R Madame la Princesse Sophie qui tend agrave eacuteclaircir le Systegraveme des Monades ou des Uniteacutesrdquo Vient ensuite la citation de lrsquoextrait

Vous avez toutes les raisons du monde de dire que lrsquoUn nrsquoest pas Plusieurs et crsquoest pour cela aussi que lrsquoassemblage des Ecirctres nrsquoest pas un Ecirctre Cependant lagrave ougrave il y a plusieurs ou la multitude il faut qursquoil y ait aussi des Uniteacutes car la multitude ou le nombre est composeacute drsquouniteacutes ()20

De fait lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo est employeacutee par Leibniz avant drsquorsquoecirctre reprise par ses lecteurs puis par les encyclopeacutedistes Leibniz lrsquoemploie par exemple dans une lettre agrave Joachim Bouvet dateacutee de juillet 1704 et eacutecrit

Jrsquoespegravere de deacutemontrer ainsi mon systegraveme des monades ou des substances simples qui constituent tout et sans deacutependre les unes des autres srsquoaccordent en vertu de lrsquoharmonie que lrsquoauteur commun a preacuteeacutetablie dans leur natures (sic)21 Leibniz preacutecise qursquoil en a parleacute dans le Journal des savants renvoyant probablement au Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances Si lrsquoon considegravere que Leibniz eacutetablit lui-mecircme dans ce passage une relation eacutetroite entre le ldquosystegraveme des monadesrdquo qursquoil se propose de deacutemontrer et lrsquohypothegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie il faut convenir que Des Maizeaux nrsquoavait pas

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tout agrave fait tort de renvoyer au ldquoSystegraveme de lrsquoHarmonie preacuteeacutetablierdquo 22 lorsqursquoil eacutevoquait dans lrsquoeacutedition de 1720 de son Recueil lrsquoEacuteclaircissement sur les Monades annonceacute par Leibniz agrave Reacutemond

Enfin la fortune qursquoa connue lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo au cours de la premiegravere peacuteriode de reacuteception de la philosophie de Leibniz ndash nous pensons plus particuliegraverement agrave la peacuteriode anteacuterieure agrave lrsquoeacutedition de la premiegravere Encyclopeacutedie ndash peut eacutegalement justifier lrsquoinsertion drsquoun nouvel article drsquohistoire de la philosophie intituleacute MONADES (SYSTEgraveME DES) dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique En effet en 1747 lrsquoAcadeacutemie de Berlin proposait au concours une question sur la ldquoDoctrine des monades et des ecirctres simplesrdquo Or degraves le premier paragraphe de sa dissertation Justi parle non pas de ldquodoctrinerdquo mais de ldquoSystegraveme des Monades et des ecirctres simplesrdquo 23 Cette dissertation ne fait pas exception lrsquoemploi de lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo est geacuteneacuteral On la trouve non seulement dans les dissertations preacutesenteacutees au concours de lrsquoAcadeacutemie de Berlin24 mais aussi chez Condillac25 Euler26 Maupertuis27 ou encore chez Voltaire comme par exemple dans le passage suivant de sa Courte reacuteponse aux longs discours drsquoun docteur allemand

Nous savons que la matiegravere est composeacutee drsquoecirctres qui ne sont pas matiegravere et que dans la patte drsquoun ciron il y a une infiniteacute de substances sans eacutetendue dont chacune a des ideacutees confuses qui composent un miroir concentreacute de tout lrsquounivers et cela srsquoappelle le systegraveme des monades28

Ainsi pour qui considegravere lrsquohistoire de la reacuteception de la philosophie leibnizienne en France il semble assez surprenant que le renvoi ldquoMONADESrdquo agrave la fin de lrsquoarticle LEIBNITZIANISME soit resteacute dans lrsquoEncyclopeacutedie agrave lrsquoeacutetat de pure virtualiteacute et que Naigeon soit le premier agrave faire la relation entre lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo et le texte des Principes de la Nature et de la Gracircce publieacute par Des Maizeaux en 1740 La contribution de Naigeon agrave lrsquohistoire de

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Claire Fauvergue Lrsquoarticle ldquoSystegraveme de monadesrdquo dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique

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la philosophie nrsquoen prend que plus de relief En reacutedigeant un nouvel article sur la philosophie de Leibniz dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique ce dernier ne se contente pas drsquoajouter un nouvel opuscule au corpus des eacutecrits leibniziens preacutesenteacutes par Diderot sous forme de traduction dans lrsquoarticle LEIBNITZIANISME La reacutedaction de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) lui fournit lrsquooccasion drsquoappliquer au texte leibnizien la meacutethode recommandeacutee par Diderot agrave lrsquoattention des auteurs des articles de la premiegravere Encyclopeacutedie Diderot srsquoexprimait ainsi

Il faut savoir deacutepecer artistiquement un ouvrage en meacutenager les distributions en preacutesenter le plan en faire une analyse qui forme le corps dun article dont les renvois indiqueront le reste de lobjet 29

Naigeon reprend agrave son compte les principes ainsi eacutenonceacutes et dans la note finale de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) eacutecrit agrave propos de Leibniz qursquoil y a ldquodans ce qursquoil a publieacute sur la meacutetaphysique des vues profondes des ideacutees tregraves philosophiques dont on peut mecircme deacuteduire les conseacutequences les plus fortes et tregraves contraires aux preacutejugeacutes les plus geacuteneacuteralement reccedilusrdquo Si Naigeon parvient agrave une telle intelligence de la philosophie de Leibniz crsquoest qursquoil applique au texte leibnizien les principes de lecture eacutenonceacutes par Diderot dans lrsquoEncyclopeacutedie Toujours dans la note finale de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) Naigeon deacuteclare que les ideacutees se trouvant dans les diffeacuterents eacutecrits dont Leibniz est lrsquoauteur y sont ldquotregraves enveloppeacutees elles y sont agrave peu pregraves comme la statue est dans le bloc de marbre du sculpteur il faut avoir lrsquoart de les en tirerrdquo30 Enfin en multipliant les reacutefeacuterences au corpus leibnizien agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoarticle Naigeon place Leibniz en position drsquointerpregravete de son propre systegraveme Il srsquoen explique dans les termes suivants Nous laisserons donc encore ici Leibnitz rendre pour ainsi dire teacutemoignage de lui-mecircme Il serait difficile de choisir un plus habile et plus fidegravele interpregravete de ses sentiments crsquoest mecircme le seul moyen drsquoeacuteviter le reproche qursquoon pourrait nous faire drsquoavoir mal pris sa penseacutee 31

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Ainsi Naigeon renouvelle non seulement la matiegravere des articles drsquohistoire de la philosophie mais aussi le processus de leur composition

Rappelons que lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique agrave la diffeacuterence de lrsquoEncyclopeacutedie de Diderot et drsquoAlembert adopte une division des connaissances par ordre de matiegraveres et que les renvois internes agrave lrsquoouvrage doivent en principe ecirctre remplaceacutes par le vocabulaire Le lecteur devra agrave terme consulter le ldquoVocabulaire encyclopeacutediquerdquo32 conccedilu par Panckoucke comme une table pour lrsquoensemble de lrsquoouvrage Toutefois le Dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne se distingue par la preacutesence de nombreux renvois Leur insertion est le fait de Naigeon de mecircme que les additions et les notes eacuteditoriales Ainsi ces renvois peuvent guider notre lecture des articles drsquohistoire de la philosophie notamment lorsqursquoil srsquoagit drsquoarticles entiegraverement reacutedigeacutes par Naigeon comme crsquoest le cas pour lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES)

Le travail eacuteditorial effectueacute par Naigeon pour le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique se preacutesente sous cet aspect comme une lecture critique de lrsquohistoire de la philosophie composeacutee par Diderot pour lrsquoEncyclopeacutedie Naigeon critique par exemple le fait que les extraits inseacutereacutes par Diderot dans les articles drsquohistoire de la philosophie de lrsquoEncyclopeacutedie ldquone sont souvent que la traduction de ceux de Bruckerrdquo33 Naigeon marque ainsi tout ce qui le seacutepare de Diderot en matiegravere de meacutethodologie Crsquoest deacutesormais par lrsquoeacutedition critique de textes qursquoil contribue dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique au deacuteveloppement de lrsquohistoire de la philosophie

Nous preacutesenterons ci-dessous une bregraveve analyse de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) La composition geacuteneacuterale de lrsquoarticle est la suivante Apregraves une courte introduction Naigeon insegravere le texte

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des Principes de la nature et de la gracircce drsquoapregraves lrsquoeacutedition du Recueil Des Maizeaux de 1740 et introduit agrave plusieurs reprises entre les paragraphes de lrsquoopuscule leibnizien des extraits tireacutes de plusieurs passages de la correspondance de Leibniz elle-mecircme publieacutee dans le Recueil Lrsquoarticle srsquoachegraveve par une note de lrsquoeacutediteur ougrave lrsquoon voit celui-ci reformuler les commentaires figurant dans lrsquoAvertissement du Recueil Des Maizeaux

Dans lrsquointroduction preacuteceacutedant lrsquoinsertion des Principes de la nature et de la gracircce Naigeon preacutesente la ldquotheacuteorie () des monades ou substances simplesrdquo comme une des bases principales de la meacutetaphysique et de la physique leibniziennes Agrave la reacutefeacuterence au Recueil Des Maizeaux vient srsquoajouter une courte reprise du Discours preacuteliminaire de lrsquoEncyclopeacutedie concernant le principe de ldquo la raison suffisanterdquo 34 Naigeon se rapporte eacutegalement agrave la correspondance de Leibniz avec Reacutemond et cite presque litteacuteralement le passage suivant de la lettre agrave du 10 janvier 1714

() Les Monades ou substances simples sont les seules veacuteritables substances et () les choses mateacuterielles ne sont que des pheacutenomegravenes mais bien fondeacutes et bien lieacutes Crsquoest de quoi Platon et mecircme les Acadeacutemiciens posteacuterieurs et encore les Sceptiques ont entrevu quelque chose () 35

Malgreacute les assertions de Leibniz concernant les rapports que son systegraveme entretient avec la philosophie ancienne ou les remarques de commentateurs tels que Jaucourt36 et Diderot37 mettant en parallegravele

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la philosophie de Leibniz et celle de Platon Naigeon deacutefend lrsquoideacutee qursquoun ldquosimple aperccedilu des anciensrdquo a probablement suffit agrave mettre Leibniz ldquosur la voierdquo de son systegraveme Ainsi le systegraveme des monades serait tout simplement le fruit de ses meacuteditations Naigeon affirme ici la meacutethode qui est la sienne en matiegravere drsquohistoire de la philosophie Consideacuterant que le ldquosystegraveme des monadesrdquo est absolument nouveau et qursquoil tient uniquement au geacutenie et agrave lrsquoinvention de son auteur Naigeon srsquointeacuteresse moins aux origines de ce systegraveme qursquoagrave sa genegravese crsquoest-agrave-dire agrave la faccedilon dont Leibniz ldquoa proceacutedeacute dans ses recherchesrdquo38

La composition de lrsquoarticle ainsi que les additions effectueacutees par Naigeon dans le texte des Principes de la nature et de la gracircce obeacuteissent certainement agrave ce principe de lecture Lrsquoanalyse de ces additions fait apparaicirctre que lrsquoinsertion drsquoextraits de la correspondance de Leibniz est plus importante dans la premiegravere partie des Principes de la nature et de la gracircce Preacutecisons que les insertions dans le corps du texte des Principes de la nature et de la gracircce ne sont pas signaleacutees comme telles rien ne permet au lecteur de les distinguer du texte original La premiegravere insertion est introduite agrave la fin du second paragraphe des Principes de la nature et de la gracircce et consiste dans lrsquoextrait de la lettre de Leibniz agrave Sophie dateacutee du 30 nov 1701 Il srsquoagit du passage citeacute en note comme nous lrsquoavons vu par Des Maizeaux afin de fournir au lecteur un eacuteclaircissement sur le ldquosystegraveme des monadesrdquo 39 Cet extrait se limite agrave trois paragraphes de la lettre de Leibniz agrave Sophie Il srsquoagit du passage dans lequel Leibniz explique agrave la demande de sa correspondante ce qursquoil entend en affirmant qursquoldquoil nrsquoy a qursquouniteacutes et multitudes dans la naturerdquo 40 et illustre cet eacutenonceacute en comparant les images corporelles agrave des cercles dans lrsquoeau

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La seconde insertion effectueacutee par Naigeon dans le texte des Principes de la nature et de la gracircce est introduite agrave lrsquointeacuterieur mecircme du paragraphe 6 Il srsquoagit drsquoun extrait de la lettre de Leibniz agrave Reacutemond du 11 feacutevrier 1715 Lrsquoinsertion reprend inteacutegralement le premier paragraphe de la lettre agrave Reacutemond ougrave Leibniz oppose la loi de la continuiteacute et le principe drsquouniformiteacute de la nature agrave lrsquohypothegravese de la meacutetempsycose Leibniz eacutecrit ldquoQuant agrave la Meacutetempsycose je crois que lrsquoordre ne lrsquoadmet point il veut que tout soit explicable distinctement et que rien ne se fasse par sautrdquo41 Naigeon insegravere cet extrait juste avant les deux derniegraveres phrases du paragraphe 6 agrave savoir ldquoIl nrsquoy a donc point de Meacutetempsycose mais il y a Meacutetamorphose Les animaux changent prennent et quittent seulement des parties ()rdquo42 Enfin le paragraphe 6 fera lrsquoobjet drsquoune derniegravere addition avec lrsquoinsertion drsquoun renvoi agrave un nouvel article reacutedigeacute par Naigeon pour le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne et traitant de la philosophie de Leibniz lrsquoarticle INEXTINCTION ou INDESTRUCTIBILITEacute DES ANIMAUX

Enfin on trouve une derniegravere insertion dans la suite du texte des Principes de la nature et de la gracircce preacutesenteacute dans lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) Toujours drsquoapregraves Des Maizeaux Naigeon insegravere au milieu du paragraphe 13 un extrait de la Correspondance Leibniz-Clarke Il srsquoagit du paragraphe 91 de la reacuteponse de Leibniz agrave la quatriegraveme reacuteplique de Clarke ougrave il explique que lrsquoharmonie entre toutes les substances simples srsquoexplique par le fait qursquoelles ldquorepreacutesentent toujours le mecircme universrdquo Il srsquoagit tregraves preacuteciseacutement du passage suivant ldquoComme la nature de chaque substance simple Acircme ou veacuteritable Monade est telle que son eacutetat suivant est une conseacutequence de son eacutetat preacuteceacutedent voilagrave la cause de

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lrsquoHarmonie toute trouveacuteerdquo43 Cet eacutenonceacute ainsi inseacutereacute dans le texte des Principes de la nature et de la gracircce apporte un eacuteclaircissement sur la relation existant pour Leibniz entre le systegraveme des monades et lrsquohypothegravese de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie

Apregraves lrsquoaddition de cet extrait le paragraphe 13 des Principes de la nature et de la gracircce se poursuit par lrsquoeacutenonceacute suivant ldquoChaque Acircme connaicirct lrsquoinfini connaicirct tout mais confuseacutement ()rdquo44 Le principe de composition de lrsquoarticle est nous semble-t-il coheacuterent avec le projet annonceacute par Naigeon en introduction de lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) Ce dernier se proposait en effet drsquoeacuteclaircir la theacuteorie des monades ou substances simples en tenant compte du fait que Leibniz lui-mecircme consideacuterait celle-ci comme ldquoune des bases de sa meacutetaphysique et de sa physiquerdquo45 Or le passage choisi par Naigeon dans la Correspondance de Leibniz avec Clarke illustre bien lrsquoideacutee qursquoun des principes de la meacutetaphysique leibnizienne trouve son origine dans la theacuteorie des monades Leibniz y montre comment la nature repreacutesentative des substances simples est la cause de lrsquoharmonie46

Outre les additions que nous venons de relever lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) contient un certain nombre de renvois dont lrsquoinsertion meacuteriterait drsquoecirctre commenteacutee Parmi ceux-ci se distinguent un renvoi agrave lrsquoarticle INSTINCT DES ANIMAUX47 inseacutereacute

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dans le paragraphe 5 des Principes de la nature et de la gracircce et enfin le renvoi que nous avons signaleacute ci-dessus agrave lrsquoarticle INEXTINCTION ou INDESTRUCTIBILITEacute DES ANIMAUX48 Il srsquoagit du renvoi inseacutereacute par Naigeon agrave la fin du paragraphe 6 des Principes de la nature et de la gracircce

Lrsquoarticle INEXTINCTION ou INDESTRUCTIBILITEacute DES ANIMAUX auquel Naigeon renvoie le lecteur est un article ineacutedit dont il est lrsquoauteur et dans lequel il traite agrave nouveau de la philosophie de Leibniz Il le reacutedige drsquoapregraves le Recueil Des Maizeaux en suivant agrave peu pregraves le mecircme processus reacutedactionnel que pour lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) agrave ceci pregraves qursquoil srsquoagit drsquoun article traitant aussi de philosophie ancienne Le titre de ce nouvel article est probablement tireacute de lrsquoAvertissement du Recueil Des Maizeaux ougrave le systegraveme philosophique de Leibniz est preacutesenteacute comme le ldquosystegraveme des uniteacutes reacuteelles et absolument destitueacutees de parties de lrsquoinextinction des animaux de lrsquoharmonie preacuteeacutetablie etcrdquo49 Nous sommes donc en preacutesence drsquoune nouvelle piegravece agrave rajouter au corpus que lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique consacre agrave la philosophie de Leibniz Naigeon y preacutesente la premiegravere partie du Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances50 crsquoest-agrave-dire la partie traitant de la conservation de lrsquoanimal en mettant celle-ci en dialogue avec des textes issus de la correspondance de Leibniz publieacutes dans le Recueil Des Maizeaux notamment avec la ldquoLettre de Mr Leibniz agrave Des Maizeaux contenant quelques eacuteclaircissements sur lrsquoexplication drsquoun passage drsquoHippocraterdquo51

Nous nrsquoentrerons pas dans lrsquoanalyse deacutetailleacutee de ce dernier article et nous contenterons de souligner le fait que Naigeon eacutetablit ici une relation entre deux opuscules majeurs du corpus leibnizien agrave

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savoir les Principes de la nature et de la gracircce et le Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances Le rapport entre les articles MONADES (SYSTEgraveME DES) et INEXTINCTION ou INDESTRUCTIBILITEacute DES ANIMAUX est drsquoautant plus remarquable dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne que le second ne contient qursquoun seul renvoi et qursquoil srsquoagit justement drsquoun renvoi au premier crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoldquoarticle MONADESrdquo 52 Lrsquoeacutediteur invite ainsi le lecteur agrave se rapporter agrave lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) afin de juger combien le systegraveme philosophique de Leibniz est effectivement nouveau

Conclusion

Si lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) occupe une position centrale dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne crsquoest qursquoil contient des eacuteleacutements permettant de juger de la faccedilon dont Leibniz a proceacutedeacute dans ses recherches et surtout de lrsquooriginaliteacute du ldquosystegraveme des monadesrdquo Concernant ce dernier aspect le jeu des renvois ainsi que les diverses additions introduites par Naigeon nous amegravenent agrave supposer que pour ce dernier la principale nouveauteacute du ldquosystegraveme des monadesrdquo reacuteside dans la formulation de la thegravese de la conservation de lrsquoanimal

Quant agrave lrsquoeacutedition proprement dite des Principes de la nature et de la gracircce dans le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique elle restitue le texte publieacute par Des Maizeaux en le rapportant agrave des eacutecrits dont Leibniz est lrsquoauteur offrant ainsi les eacuteclaircissements utiles agrave la compreacutehension des principes de la meacutetaphysique et de la physique leibniziennes Naigeon parvient en outre agrave articuler lrsquoeacutedition drsquoun grand texte philosophique et lrsquoexposeacute drsquoun systegraveme lrsquoarticle MONADES (SYSTEgraveME DES) donne un eacuteclaircissement sans preacuteceacutedent sur la relation entre lrsquoexpression ldquosystegraveme des monadesrdquo et les Principes de la Nature et de la Gracircce Enfin lrsquoarticle offre au lecteur la possibiliteacute drsquoappreacutecier par lui-mecircme la nouveauteacute drsquoun systegraveme ainsi que

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Claire Fauvergue Lrsquoarticle ldquoSystegraveme de monadesrdquo dans lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique

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lrsquoinvention de son auteur en lrsquooccurrence Leibniz De ce point de vue le dictionnaire de Philosophie ancienne et moderne de lrsquoEncyclopeacutedie meacutethodique a certainement contribueacute agrave approfondir la connaissance de la philosophie de Leibniz agrave la fin du XVIIIe siegravecle

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Complete Works of Voltaire 15) Oxford The Voltaire Foundation 1991

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MARIANGELA PRIAROLO

UN ROMANTIQUE AVANT LA LETTRE LEIBNIZ ET LE CONCEPT DE BONHEUR DANS LES PRINCIPES DE

LA NATURE ET DE LA GRAcircCE sect18

ldquoThe desire of Man being Infinite the possession is Infinite amp himself Infiniterdquo William Blake There is no natural religion (1788)

ldquoThere is no prayer like desirerdquo

Tom Waits Black Market Baby (1999)

Introduction

Les Principes de la nature et la gracircce peuvent ecirctre regardeacutes comme une vraie summa de la penseacutee de Leibniz car ils contiennent tous les thegravemes et toutes les questions qui ont traverseacute la reacuteflexion leibnizienne de sa jeunesse agrave sa maturiteacute la conception de la substance et des corps la deacutefinition de la perception celle de la connaissance de la veacuteriteacute de lrsquounivers et de ses lois ainsi que la connexion entre meacutetaphysique eacutethique et politique Les Principes deacutecrivent non seulement la nature des choses mais aussi les rapports qursquoelles ont les unes avec les autres et avec Dieu la structure du monde et la finaliteacute de la creacuteation Comme dans les summae traditionnelles dans les Principes Leibniz prend comme point de deacutepart les ecirctres finis pour arriver jusqursquoagrave Dieu ldquoqui est la source de tout bienrdquo1 Quiconque aime Dieu en cette vie nous dit Leibniz et donc reconnaicirct ldquoqursquoen vertu du parfait ordre eacutetabli dans lrsquounivers tout est fait le mieux qursquoil est possiblerdquo2 pourra ainsi atteindre la feacuteliciteacute future un ldquosuprecircme bonheurrdquo qui est lrsquoeffet neacutecessaire du ldquodivin gouvernementrdquo3 Mais lagrave ougrave nous attendrions une description de la feacuteliciteacute comme la satisfaction de nos deacutesirs et de nos espeacuterances le repos auquel nous aspirons toute notre vie Leibniz nous surprend et conclut les Principes avec les mots suivants

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Il est vrai que la suprecircme feacuteliciteacute (de quelque vision beacuteatifique ou connaissance de Dieu qursquoelle soit accompagneacutee) ne saurait jamais ecirctre pleine parce que Dieu eacutetant infini ne saurait ecirctre connu entiegraverement Ainsi notre bonheur ne consistera jamais et ne doit point consister dans une pleine jouissance ougrave il nrsquoy aurait plus rien agrave deacutesirer et qui rendrait notre esprit stupide mais dans un progregraves perpeacutetuel agrave de nouveaux plaisirs et de nouvelles perfections4

Dans les pages qui suivent je souhaite montrer en premier lieu que la deacutefinition du bonheur que Leibniz donne dans lrsquoarticle dix-huit des Principes est tregraves originale par rapport agrave la tradition en deuxiegraveme lieu que le refus leibnizien drsquoune conception de bonheur que nous pourrions deacutefinir ataraxique est eacutetroitement lieacute agrave la meacutetamorphose que Leibniz opegravere de la notion drsquoinquieacutetude eacutelaboreacutee par Locke dans lrsquoEssai sur lrsquoentendement humain Pour ce faire je diviserai mes consideacuterations en deux parties dans la premiegravere je mrsquoarrecircterai sur le deacutebut du passage citeacute et plus particuliegraverement sur la notion pour ainsi dire standard de la vision beacuteatifique en choisissant comme figure paradigmatique la conception thomiste Jrsquoindiquerai aussi les similitudes et surtout les diffeacuterences entre Thomas et Leibniz par rapport agrave la vision de Dieu Dans la deuxiegraveme partie je montrerai que le pivot de cette meacutetamorphose est la conception dynamique de lrsquoecirctre propre agrave Leibniz Crsquoest cette conception qui lui permet de redessiner les rapports entre fini et infini en franchissant la barriegravere entre les deux encore tregraves preacutesente dans lrsquoAcircge classique et drsquoouvrir ainsi les portes au Romantisme

1 De la tradition a lrsquoinnovation La vision beacuteatifique

Comme Christian Trottmann lrsquoa releveacute dans lrsquoimportante eacutetude qursquoil a consacreacutee agrave ce sujet la vision beacuteatifique peut ecirctre consideacutereacutee la thegravese essentielle du christianisme la reacuteponse que le christianisme a donneacutee agrave la peur de la mort5 Mecircme si au cours de lrsquohistoire les theacuteologiens et les philosophes chreacutetiens ont proposeacute des interpreacutetations diffeacuterentes des chemins qui portent le viator agrave voir

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Dieu face agrave face ainsi que de la modaliteacute de cette vision ils eacutetaient presque tous drsquoaccord pour dire que lrsquoaccegraves agrave Dieu est lrsquoobjet de la beacuteatitude Cette ideacutee est tregraves eacutevidente chez Thomas drsquoAquin qui mecircme en raison de son aristoteacutelisme et plus preacuteciseacutement de la teacuteleacuteologie heacuteriteacutee drsquoAristote pose une fin derniegravere agrave lrsquoagir humain6 Selon Thomas cette fin doit ecirctre unique par rapport aux deacutesirs humains7 eacutegale pour tous les hommes8 et donc ecirctre ldquoun bien parfait capable drsquoapaiser entiegraverement le deacutesir sans quoi srsquoil restait encore quelque chose agrave deacutesirer elle ne pourrait ecirctre la fin ultimerdquo9

Comme lrsquoobjet de la volonteacute humaine est le bien universel explique Thomas seulement le bien universel peut lrsquoapaiser Mais ce bien universel nrsquoest autre que Dieu donc conclut Thomas ldquoDieu seul peut combler la volonteacute de lrsquohommerdquo10 La fin derniegravere de lrsquohomme ce qui lui donnera la beacuteatitude consiste alors pour Thomas dans la saisie de Dieu et puisque atteindre son but signifie accomplir son essence et donc reacutealiser son acte propre la beacuteatitude sera une opeacuteration qui exprime ldquola perfection et lrsquoacte de lrsquoagentrdquo11 un acte que ne peut qursquoecirctre intellectuel12 Cette opeacuteration nrsquoest rien drsquoautre que la connaissance de Dieu ou plus preacuteciseacutement la vision de lrsquoessence divine la seule expeacuterience qui peut combler nos deacutesirs et nous rendre heureux

Lrsquohomme a le deacutesir naturel quand il voit un effet drsquoen connaicirctre la cause et de lagrave naicirct chez les hommes lrsquoeacutetonnement ou lrsquoadmiration Si donc lrsquointelligence de la creacuteature raisonnable ne peut pas atteindre agrave la cause suprecircme des choses en elle le deacutesir de la nature demeurera vain Il faut donc reconnaicirctre absolument que les bienheureux voient lrsquoessence de Dieu13

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Puisque chaque homme comme Aristote soutenait deacutesire naturellement de connaicirctre et que connaicirctre quelque chose signifie connaicirctre sa cause puisque de plus un deacutesir naturel ndash bien sucircr srsquoil est vraiment un deacutesir naturel ndash ne peut pas ecirctre frustreacute mais doit ecirctre satisfait alors il est neacutecessaire que lrsquohomme qui lrsquoa meacuteriteacute voie Dieu face agrave face14 La connaissance de lrsquoessence de Dieu ndash qui peut avoir lieu seulement par une vision directe car il est impossible que Dieu soit vu par une image15 ndash permettra ainsi de connaicirctre toutes les choses lrsquoessence de Dieu renfermant le modegravele du monde creacuteeacute Il faut noter que comme lrsquoessence de Dieu est infinie mais que lrsquointellect de lrsquohomme est fini la vision de Dieu ne peut jamais ecirctre exhaustive Si comprendre exprime ldquolrsquoinclusion drsquoun objet dans le sujet qui comprendrdquo alors explique Thomas

Dieu nrsquoest compris drsquoaucune maniegravere ni par lrsquointellect ni par aucun autre pouvoir car infini il ne peut ecirctre inclu dans rien de fini et rien de fini ne peut le saisir drsquoune prise infinie comme lui-mecircme16

Comme la quantiteacute pour ainsi dire de connaissance qursquoon peut avoir de lrsquoessence de Dieu deacutepend de nos capaciteacutes intellectuelles mais encore plus de la quantiteacute de lumen gloriae que Dieu nous donnera et puisque les unes et lrsquoautre eacutetant creacuteeacutees sont neacutecessairement finies17 la vision de lrsquoessence de Dieu non seulement est limiteacutee pour tous les hommes mais elle change aussi entre diffeacuterentes personnes Quoique petite et limiteacutee la vision de Dieu est quand mecircme ldquoune grande beacuteatituderdquo

Comprendre Dieu est impossible agrave un intellect creacuteeacute quel qursquoil soit mais que notre esprit lrsquoatteigne drsquoune faccedilon telle quelle [attingere vero mente Deum qualitercumque] crsquoest deacutejagrave une grande beacuteatitude [magna beatitudo] 18

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En reacutesumant selon Thomas Dieu et seulement Dieu repreacutesente la source de la feacuteliciteacute puisque Dieu et seulement Dieu peut ecirctre le but final de notre action et donc satisfaire tous nos deacutesirs Mecircme si Thomas pense comme Leibniz que la vision de Dieu ne peut jamais ecirctre complegravete cette incompleacutetude nrsquoimplique pourtant pas une diminution de feacuteliciteacute car la simple saisie de Dieu suffit pour avoir ldquoune grande beacuteatituderdquo Cela parce que dans la perspective thomiste lrsquoinfini est tellement incomparable au fini qursquoune bribe drsquoinfini est suffisant agrave apaiser les deacutesirs des ecirctres finis19

Or dans le dernier article des Principes nous trouvons quelque chose de semblable agrave la position de Thomas mais aussi quelque chose de tregraves diffeacuterent tout comme Thomas Leibniz 1) pose une relation eacutetroite entre la feacuteliciteacute derniegravere ldquola suprecircme feacuteliciteacuterdquo et la vision de Dieu et 2) deacuteclare que la connaissance de Dieu nrsquoest jamais complegravete agrave cause de lrsquoinfiniteacute divine Par rapport au premier point pas de surprise comme on lrsquoa noteacute plus haut lrsquoidentification entre beacuteatitude et vision de Dieu est en effet un point central du christianisme et Leibniz ne fait pas exception Comme on lit par exemple dans lrsquoExamen religionis christianae connu aussi comme Systegraveme theacuteologique et eacutecrit par Leibniz probablement en 1686

Je sais que quelques heacuteteacuterodoxes reacutevoquent en doute la vision beacuteatifique de Dieu mais ils nrsquoen apportent aucune raison car dans cet eacutetat Dieu est la lumiegravere de lrsquoame et lrsquounique objet exteacuterieur immeacutediat de notre intelligence Agrave preacutesent nous voyons tout comme dans un miroir comme si le rayon de notre intelligence eacutetoit reacutefleacutechi ou reacutefracteacute par les qualiteacutes corporelles de la confusion de nos penseacutees Mais alors quand notre connoissance sera distincte nous boirons agrave la vraie source et nous verrons Dieu face agrave face car Dieu eacutetant la derniegravere raison des choses nous le verrons par la cause des causes lorsque notre connoissance sera a priori crsquoest-agrave-dire que nos deacutemonstrations nrsquoauront plus besoin drsquohypothegraveses ni drsquoexpeacuteriences et que nous pourrons rendre raison mecircme des veacuteriteacutes primitives 20

Mais il nrsquoy a pas de surprise mecircme par rapport au deuxiegraveme point car lrsquoopposition entre fini et infini est preacutesente en Leibniz aussi qui toutefois agrave la diffeacuterence de Thomas semble la voir comme un rapport quantitatif plutocirct que qualitatif Prenons-le ceacutelegravebre paragraphe 61 des Essais de theacuteodiceacutee dans le Discours sur la conformiteacute entre la foi et la raison

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Cette portion de raison que nous possedons est un don de Dieu et consiste dans la lumiere naturelle qui nous est resteacutee au milieu de la corruption cette portion est conforme avec le tout et elle ne differe de celle qui est en Dieu que comme une goutte drsquoeau differe de lrsquoOcean ou plustot le fini de lrsquoinfini 21

Ce qui est surprenant comme on lrsquoa deacutejagrave signaleacute est le fait que lrsquoincompleacutetude de notre connaissance de Dieu nrsquoest pas consideacutereacutee par Leibniz neacutegativement Mais la raison nrsquoest pas comme chez Thomas que la vision de Dieu pour limiteacutee qursquoelle soit nous donne le bonheur La raison est plutocirct que Leibniz voit lrsquoincompleacutetude comme une sollicitation agrave progresser Chez Leibniz la vision de Dieu ne satisfait donc pas nos deacutesirs non pas eacutevidemment parce que Dieu nrsquoest pas suffisant agrave les combler mais plutocirct parce que la satisfaction de nos deacutesirs nrsquoest pas souhaitable Nous voyons ainsi le repos et le calme mental propre agrave la conception thomiste du bonheur ndash mais deacutejagrave aristoteacutelicienne stoiumlcienne et en geacuteneacuteral intuitive ndash devenir en Leibniz synonyme de stupiditeacute La question devient alors celle de savoir quelles sont les raisons qui induisent Leibniz agrave refuser cette conception de bonheur en faveur drsquoune ideacutee de bonheur insolite Crsquoest ce que nous allons eacuteclaircir dans la seconde partie

2 Feacutelicite activiteacute et inquieacutetude

Pour comprendre les raisons de la conception du bonheur proposeacutee dans les Principes par Leibniz il faut drsquoabord se demander quelle est en geacuteneacuteral la conception de la feacuteliciteacute leibnizienne Un lieu inteacuteressant agrave interroger est un texte des anneacutees quatre-vingt-dix deacutejagrave publieacute par Grua et maintenant lisible aussi dans lrsquoeacutedition on-line du nouveau tome de lrsquoeacutedition de lrsquoAcadeacutemie Leibniz y deacutefinit la feacuteliciteacute comme ldquoun estat durable de joyerdquo

La feliciteacute est un estat durable de joye [hellip] La joye est le plaisir total qui resulte de tout ce que lrsquoame sent agrave la fois [hellip] Le plaisir est le sentiment de quelque perfection Et cette perfection qui cause du plaisir se peut trouver non seulement en nous mais encor ailleurs Car lors que nous nous en appercevons cette connoissance mecircme excite quelque perfection en nous parce que la representation de la perfection en est une aussi [hellip] Il y a deux sortes de connoissances celle des faits qui srsquoappelle perception et celle des raisons qursquoon appelle intelligence La perception est des choses singulieres lrsquointelligence a pour objet les universels ou les veriteacutes eternelles Et crsquoest pour cela que la connoissance des raisons nous perfectionne pour 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 21 GP 6 84

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tousjours et nous fait tout rapporter agrave la derniere raison des choses crsquoest agrave dire a Dieu qui est la source de la feliciteacute [hellip] Ainsi le plaisir de connoistre les raisons est bien plus estimable que celuy drsquoapprendre des faits 22

On voit que Leibniz pose ici un lien tregraves eacutetroit entre feacuteliciteacute et plaisir en avanccedilant donc une conception heacutedoniste de la feacuteliciteacute qui semble eacutetrangegravere agrave la position thomiste23 Cependant il faut remarquer que le plaisir propre agrave la suprecircme feacuteliciteacute deacutepend pour Leibniz drsquoune expeacuterience intellectuelle car crsquoest la connaissance qui nous permet drsquoarriver au plus grand niveau de perfection et par conseacutequent de plaisir en ce sens le plaisir dont on jouira quand on verra Dieu est un plaisir qui deacutepend du fait qursquoon pourra comme chez Thomas connaicirctre ldquola derniegravere raison des chosesrdquo Le plaisir que nous ressentirons en regardant le visage de Dieu est le plus grand plaisir qursquoon puisse deacutesirer non seulement parce que en Dieu on connaicirctra les fondements des universels et des veacuteriteacutes eacuteternelles en obtenant une connaissance que ldquonous perfectionnerdquo mais aussi parce que nous aurons accegraves aux perfections divines et nous pourrons ainsi nous perfectionner par le moyen de la repreacutesentation des perfections divines Comme on lit dans le premier article du Discours de meacutetaphysique on ne peut pas parler de perfections au sujet des

formes ou natures qui ne sont pas susceptibles du dernier degreacute [hellip] comme par exemple la nature du nombre ou de la figure Car le nombre le plus grand de tous (ou bien le nombre de tous les nombres) aussi bien que la plus grande de toutes les figures impliquent contradiction mais la plus grande science et la toute-puissance nrsquoenferment point drsquoimpossibiliteacute Par consequent la puissance et la science sont des perfections et en tant qursquoelles appartiennent agrave Dieu elles nrsquoont point de bornes24

Les perfections de Dieu sont ainsi des qualiteacutes actuellement infinies et donc absolues des maxima limites supeacuterieures que comme le maximum du calcul leibnizien une intelligence finie ne peut jamais rejoindre25 Crsquoest pour cette raison que le plaisir que lrsquohomme peut eacuteprouver est potentiellement infini lrsquoactiviteacute requise pour parcourir les perfections divines est en effet ineacutepuisable Pourtant la vraie 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 22 Grua II 581-583 A VI 5 Internetausgabe n 1302 23 Sur cette definition de feacuteliciteacute voir les reacuteflexions de Rutheford 2003 en part p 71 et suivants Il est vraisemblable que Leibniz a mis lrsquoaccent sur le plaisir pour contester aussi les conceptions quietistes tregraves diffuseacutees et contesteacutees agrave lrsquoeacutepoque Voir sur cette question Roinila 2013 24 A VI 4 1531 25 Sur cette question voir par exemple De natura veritatis contingentiae et indifferentiae (1685-1686) in A VI 4 1514-1524

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diffeacuterence entre Leibniz et la tradition sur ce point est que chez Leibniz lrsquoactiviteacute des hommes substances individuelles et finies peut quand mecircme ecirctre infinie Plus speacutecifiquement non seulement les substances individuelles peuvent connaicirctre lrsquoinfini comme Descartes ou Malebranche lrsquoavaient deacutejagrave deacuteclareacute mais elles sont pour ainsi dire constitueacutees drsquoinfini autant dans leur nature que dans leur activiteacute

En effet en regard de la nature de la substance Leibniz souligne agrave plusieurs reprises que ldquolrsquoindividualiteacute enveloppe lrsquoinfinirdquo26 car dans la notion complegravete de chaque substance individuelle est renfermeacutee une infiniteacute des preacutedicats qui expriment et fondent les relations entre la substance Dieu et lrsquounivers27 Puisque ldquotout ce qui doit arriver agrave quelque personne est deacutejagrave compris virtuellement en sa nature ou notionrdquo28 la vie de la substance consistera dans le deacuteveloppement ou pour utiliser le mot cher agrave Deleuze le deacuteploiement de tous les attributs qui correspondent aux preacutedicats de la substance29 une activiteacute qui est donc intrinsegravequement infinie puisque infinis sont les preacutedicats qui constituent la substance

Pour ce qui concerne le rapport entre activiteacute et substance il nrsquoest sans doute pas neacutecessaire de rappeler que pour Leibniz tel est le caractegravere essentiel de la substance et que la conception pour ainsi dire dynamique de la substance est deacutejagrave en place dans les œuvres de jeunesse On la trouve par exemple dans De transubstantiatione de 1668 ougrave Leibniz eacutecrit ldquoLa substance est un ecirctre qui subsiste par soi-mecircme Un ecirctre qui subsiste par soi-mecircme a le principe drsquoaction en soirdquo30

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Cette deacutefinition sera centrale dans la constitution de la penseacutee de Leibniz par rapports aux philosophes et aux theacuteories qursquoil critique ou refuse - la physique carteacutesienne drsquoabord mais aussi la meacutetaphysique de Spinoza Actiones sunt suppositorum reacutepegravetera souvent Leibniz puisque comme on lit aussi dans le premier article des Principes ldquola substance est un etre capable drsquoactionrdquo31

Or comme on peut noter en lisant les Nouveaux Essais sur lrsquoentendement humain pour Leibniz lrsquoactiviteacute de la substance qui est pour la plus grande part inconsciente se manifeste au niveau subjectif comme inquieacutetude un concept qui est tregraves important dans la reacuteflexion de Locke dans lrsquoEssai sur lrsquoentendement humain Le terme que Leibniz utilise est drsquoorigine malebranchienne provenant de la traduction donneacutee par Pierre Coste du mot anglais uneasiness utiliseacute par Locke Mais comme Coste le notait deacutejagrave le terme franccedilais inquieacutetude ldquonrsquoexprime pas preacuteciseacutement la mecircme ideacuteerdquo32 En effet comme Jean Deprun a souligneacute dans son livre classique33 tandis que chez Malebranche lrsquoinquieacutetude repreacutesente la condition meacutetaphysique de lrsquoacircme dont la volonteacute est pousseacutee vers Dieu par un mouvement incessant que seulement lrsquounion avec Dieu pourra arrecircter agrave partir de Locke et au cours du XVIIIegraveme siegravecle ldquolrsquoinquieacutetude est rameneacutee du ciel sur la terre et reacuteacclimateacutee dans lrsquoici-basrdquo34 Locke semble donc naturaliser lrsquoinquieacutetude malebranchienne en la lisant surtout neacutegativement comme un eacutetat psycho-physique de malaise une condition douloureuse causeacutee par le manque de quelque chose qursquoon deacutesire mais qui possegravede quand-mecircme un effet positif car elle pousse agrave lrsquoaction

Ici il ne sera peut-ecirctre pas inutile de remarquer en passant que lrsquoinquieacutetude [uneasiness] est le principal pour ne pas dire le seul aiguillon qui excite lrsquoindustrie et lrsquoactiviteacute des hommesrdquo35

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On ne peut ici examiner la question du rapport entre les concepts drsquoinquieacutetude chez Malebranche Locke et Leibniz mais il faut au moins remarquer que Leibniz suivant aussi certaines suggestions de Malebranche36 valorisera principalement lrsquoaspect positif de lrsquoinquieacutetude au sein de la reacuteflexion lockeacuteenne Ainsi lrsquoinquieacutetude nrsquoest pas chez Leibniz une conseacutequence de la douleur mais une condition geacuteneacuterale de notre existence due au fait que lrsquoindividu est toujours traverseacute par des perceptions confuses et inconscientes des ldquodeterminations insensiblesrdquo 37

On appelle Unruhe en Allemand crsquoest agrave dire inquietude le balancier drsquoun horloge on peut dire qursquoil en est de mecircme de nostre corps qui ne sauroit jamais estre parfaitement agrave son aise parce que quand il le seroit une nouvelle impression des objets un petit changement dans les organes dans les vases et dans les visceres changera drsquoabord la balance et le fera faire quelque petit effort pour se remettre dans le meilleur estat qursquoil se peut ce qui produit un combat perpetuel qui fait pour ainsi dire lrsquoinquietude de nostre Horloge38

Lrsquoinquieacutetude est alors lrsquoexpression de ces ldquopetites solicitations imperceptibles qui nous tiennent tousjours en haleinerdquo 39 et qui nous poussent agrave agir drsquoune faccedilon ou lrsquoautre ldquoCes impulsions sont comme autant de petit ressorts qui tachent de se debander et qui font agir notre machinerdquo40

Par conseacutequent pour Leibniz nos actions ne sont pas toujours comme pour Locke lrsquoeffet drsquoun deacutesir conscient ou drsquoune fuite de la douleur qui est aussi un malaise conscient mais le reacutesultat drsquoune lutte entre impulsions diffeacuterentes et pour la plupart inconscientes dont on ne srsquoaperccediloit donc presque pas Lrsquoinquieacutetude est alors la manifestation psychologique drsquoune dimension ontologique de freacutemissante activiteacute constitueacutee de ldquoces petites impulsionsrdquo qui nous font nous ldquodeacutelivrer continuellement des petits empechemens a quoy notre nature travaille sans qursquoon y penserdquo41

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Crsquoest en quoy consiste veritablement cette inquietude qursquoon sent sans la connoistre qui nous fait agir dans les passions aussi bien que lorsque nous paroissons les plus tranquilles car nous ne sommes jamais sans quelque action et mouvement qui ne vient que de ce que la nature travaille tousjours agrave se mettre mieux agrave son aise42

Si lrsquoinquieacutetude ne deacutepend pas de la douleur comme le voulait Locke mais de cette activiteacute peacuterenne qui caracteacuterise la substance individuelle elle sera aussi preacutesente mecircme dans la feacuteliciteacute

Bien loin qursquoon doive regarder cette inquieacutetude comme une chose incompatible avec la feliciteacute je trouve que lrsquoinquietude est essentielle agrave la feliciteacute des creacuteatures laquelle ne consiste jamais dans une parfaite possession qui les rendroit insensibles et comme stupides mais dans un progreacutes continuel et non interrompu agrave des plus grands biens qui ne peut manquer drsquoestre accompagneacute drsquoun desir ou du moins drsquoune inquieacutetude continuelle mais telle que je viens drsquoexpliquer43

Suite de lrsquoactiviteacute de la substance lrsquoinquieacutetude ne peut donc jamais disparaicirctre car sa cessation toute recircveacutee qursquoelle lrsquoa eacuteteacute par la tradition impliquerait au contraire pour Leibniz la cessation mecircme de la vie de la substance et donc de tous les ecirctres reacuteels

Conclusions

Au deacutebut de ces pages aussi que dans le titre jrsquoai avanceacute lrsquohypothegravese que le concept du bonheur agrave la fin des Principes de la nature et de la gracircce nous permettrait de parler drsquoun Leibniz preacutecurseur du romantisme une affirmation tregraves prenante qui exigerait un travail agrave part Neacuteanmoins je voudrais en eacutebaucher ici les points agrave mon avis le plus importants

Il faut signaler drsquoabord un eacutevegravenement historique qui aura une grande influence sur la reacuteception leibnizienne au sein du Romantisme allemand agrave savoir la publication en 1765 par Raspe des Nouveaux Essais sur lrsquoentendement humain Avant cette date le Leibniz connu par tout le monde eacuteteacute le Leibniz-Candide de la Theacuteodiceacutee ou agrave la limite le Leibniz de Wolff Les Nouveaux Essais reacutevegravelent par contre le Leibniz des petites perceptions et du Systegraveme nouveau de la nature et de la communication des substances reacutesumeacute au deacutebut du livre Le Leibniz anticarteacutesien fondateur de la dynamique et drsquoune vision

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eacutenergeacutetique de la nature Preacuteciseacutement le Leibniz des Principes de la nature et de la gracircce44

Crsquoest le Leibniz dont Herder srsquoinspire dans son œuvre Du connaicirctre et du sentir de lrsquoacircme humaine de 1778 et qui est deacutefini par Fichte agrave la fin de la Seconde Introduction agrave la Doctrine de la Science le seul philosophe qui avait raison45 Comme Marco Ivaldo entre autres lrsquoa montreacute on peut retrouver chez Fichte plusieurs reacutefeacuterences agrave la penseacutee de Leibniz46 Pour notre sujet il apparaicirct tregraves important de souligner la deacutefinition du moi en termes drsquoeffort Streben preacutesenteacute par Fichte dans lrsquoarticle 5 du Fondement de la doctrine de la science ldquoLe moi est infini mais seulement dans son effort il tend agrave ecirctre infini Mais la finitude est deacutejagrave contenue dans le concept de lrsquoeffort car il nrsquoy a pas drsquoeffort sans reacutesistancerdquo47

Comme les monades de Leibniz le moi de Fichte est principalement action sujet qui tend qui aspire agrave lrsquoinfini et qui a besoin de limites agrave franchir pour continuer agrave exercer son action Cette ideacutee eacutenonceacutee aussi par le romantique par excellence le Faust de Goethe (ldquoAu commencement eacutetait lrsquoactionrdquo) revient dans les mecircmes anneacutees sous la plume drsquoun autre protagoniste du Romantisme Friedrich Schlegel qui dans le Cours sur la philosophie transcendantale donneacute agrave Ieacutena en 1800-1801 voit dans le deacutesir de lrsquoinfini la plus importante proprieacuteteacute de lrsquohomme ldquoCrsquoest un deacutesir le deacutesir de lrsquoinfini Il nrsquoy a rien de plus eacuteleveacute en lrsquohomme [hellip] Le deacutesir de lrsquoinfini doit toujours ecirctre deacutesir Il ne peut passer dans la forme de lrsquointuitionrdquo48

Mais passer dans la forme de lrsquointuition agrave savoir devenir complegravetement connu impliquerait pour Schlegel la cessation de lrsquoaspiration agrave lrsquoinfini et donc de lrsquoaspect plus feacutecond de la vie de lrsquohomme une ideacutee tregraves proche de celle eacutevoqueacutee par Leibniz agrave la fin des Principes

La nostalgie de lrsquoinfini et de lrsquoabsolu que Deprun voyait comme lrsquoeacuteleacutement central de lrsquoinquieacutetude chreacutetienne49 devient donc dans le 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 13 44 Sur ce sujet voir Tonelli en particulier les paragraphes 4 et 5 Ayrault 1961 vol 1 pp 231 et ss et Wilson 1995 45 Voir Lauth 1996 et Ivaldo 2000 46 Une influence de Leibniz sur Fichte eacutetait deacutejagrave envisageacutee par Gueroult Voir Gueroult 1930 vol II pp 3-153 47 Fichte 1980 p 139 48 In Schlegel 2002 p 173 49 Deprun 1979 p 214

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Romantisme la composante essentielle des ecirctres humains En ce sens en faisant de lrsquoinquieacutetude lrsquoexpression psychologique de lrsquoinfini preacutesente dans la substance mais en gardant au mecircme temps la transcendance de lrsquoinfini Leibniz peut ecirctre vu comme le trait drsquounion entre lrsquoAcircge classique et lrsquoeacutepoque romantique

Dans lrsquohistoire du deacutecalage de signification du concept drsquoinquieacutetude dans le Romantisme Leibniz semble donc avoir joueacute un rocircle beaucoup plus important que celui que Deprun mecircme lui a reconnu un rocircle qursquoil serait inteacuteressant drsquoexplorer pour eacuteclaircir aussi les dettes que la philosophie romantique (surtout allemande) a envers lrsquoauteur des Principes Une recherche exigeante bien sucircr mais qui en gardant notre esprit actif nous aidera si Leibniz a raison agrave ne pas devenir tout agrave fait stupides

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  • Couverture
  • Index
  • Preacuteface
  • SECTION 1 - MONADES SUBSTANCES CORPORELLESET ACTIVITEacute PERCEPTIVE
    • LETICIA CABANtildeAS - IDEacuteALISME ET REacuteALISME CHEZ LEIBNIZLA MEacuteTAPHYSIQUE MONADOLOGIQUE FACE Agrave UNEMEacuteTAPHYSIQUE DE LA SUBSTANCE CORPORELLE
    • ENRICO PASINI - DOUBLE CHARNIEgraveRE PHILOSOPHIE NATURELLE MEacuteTAPHYSIQUE ET PERCEPTION DANS LES PNG
    • EVELYN VARGAS - ldquoEN SIMPLES PHYSICIENSrdquoLA PERCEPTION ANIMALE ET LA CONNAISSANCE SENSIBLESELON LEIBNIZ EN 1714
    • FEDERICO SILVESTRI - ACTIVITY AND FINAL CAUSES ON PRINCIPLES OF NATURE AND GRACE sect3
      • SECTION 2 - PRINCIPE DE RAISON ET CAUSALITEacute
        • ARNAUD LALANNE - LA QUESTION DU ldquoPOURQUOIrdquo DANS LA FORMULATION DUPRINCIPE DE RAISON
        • JUAN ANTONIO NICOLAacuteS - LA TRANSFORMATION LEIBNIZIENNE DES PRINCIPES LE PRINCIPE DE RAISON COMME PRINCIPE PRATIQUE
        • JUAN ANTONIO NICOLAacuteS - LA TRANSFORMATION LEIBNIZIENNE DES PRINCIPESLE PRINCIPE DE RAISON COMME PRINCIPE PRATIQUE
        • FERDINANDO LUIGI MARCOLUNGO - ldquoPLUS SIMPLE ET PLUS FACILE QUE QUELQUE CHOSErdquoLE RIEN ET LA RAISON SUFFISANTEDE LEIBNIZ Agrave KANT
        • MARTIN ŠKAacuteRA - LEIBNIZ ET HEIDEGGER PRINCIPE DE RAISON SUFFISANTE ET SATZ VOM GRUND
          • SECTION 3 - LE STATUT DES EacuteSPRITS ETLrsquoORDRE DE LA GRAcircCE
            • STEFANO DI BELLA - NATURALIZING GRACELEIBNIZrsquoS RESHAPING OF THE TWO KINGDOMS OF NATUREAND GRACE BETWEEN MALEBRANCHE AND KANT
            • LAURENCE BOUQUIAUX - CONNEXION UNIVERSELLE ET ENVELOPPEMENT DU FUTURDANS LE PREacuteSENT
            • MARTINE DE GAUDEMAR - APREgraveS LE ldquoTOURNANT MONADOLOGIQUErdquoUNE REDEacuteFINITION DES ESPRITS
            • DAVIDE POGGI - QUELQUES OBSERVATIONS SUR LA REacuteFLEXION COGNITIVE ETLA REacuteFLEXIVITEacute DE LrsquoESPRIT DANS LA PENSEacuteE DE LEIBNIZ
            • ANSGAR LYSSY - AU-DELAgrave DE LA NATURELES PRINCIPES DE LA GRAcircCE CHEZ LEIBNIZ
              • SECTION 4 - LrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIENNE
                • TAHAR BEN GUIZA - LA VARIATION DANS LE STYLE DrsquoEacuteCRITURE LEIBNIZIEN ETLA TRADITION PHILOSOPHIQUE ARABE
                • MARTA MENDONCcedilA - ldquoMACHINESrdquo ET ldquoMIROIRSrdquoLA METTRIE CRITIQUE DE LEIBNIZ
                • CLAIRE FAUVERGUE - LA REacuteCEPTION DES PRINCIPES DE LA NATURE ET DE LA GRAcircCEDANS LrsquoENCYCLOPEacuteDIE MEacuteTHODIQUELrsquoARTICLE ldquoSYSTEgraveME DES MONADESrdquo
                • MARIANGELA PRIAROLO - UN ROMANTIQUE AVANT LA LETTRE LEIBNIZ ET LE CONCEPT DE BONHEUR DANS LES PRINCIPES DELA NATURE ET DE LA GRAcircCE sect18
                  • Couverture
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