22
1996.04 Rémunération des compétences : proposition de typologie Valérie Marbach Docteur ès Sciences de Gestion de l'IAE de Paris Résumé : Si la gestion des compétences tend à s'imposer aujourd'hui comme une voie d'évolution inéluctable pour de nombreuses entreprises, la nécessité de son articulation au champ de la rémunération est par contre une idée très récente. Force est de constater que depuis près de dix ans, le modèle de la compétence s'est développé en ignorant dans la plupart de ses applications les aspects de la validation sociale. La prise de conscience tardive de cet impératif se traduit par une carence des outils d'analyse pour appréhender la problématique de la rému- nération des compétences. Dans cet article, nous proposons une première contribution à l'instrumentation de ce champ de recherche, sous forme d'une typologie de cinq modèles de rémunération des compétences. Parallèlement, l'explicitation de la logique classificatoire qui fonde notre typologie, ainsi que l'identification d'un certain nombre d'éléments redondants dans les actuelles expériences de rémunération des compétences, apportent des informations utiles pour avancer plus loin dans la construction d'un modèle de la compétence qui soit opérationnel. Mots-clés : compétence, emploi, rémunération. Abstract: Abilities management appears today as a necessary instrument in many compa- nies. Yet, the link between abilities and wages policies is a very new idea in France. Today, all analysts faces a lack of instruments to deal with this lately introduced question : paying abili- ties. In this article, we offer one of the first contribution in this research field, with the presen- tation of a five skill-based pay models typology. The developped typology has for hard core the idea that paying abilities can not be done without taking jobs into consideration. Moreover, this work has enlightened and identified common aspects found in a sample of current experiences run in French enterprises. All these specific characteristics contribute to the construction of what is called a “Model for abilities management”, by contrast with “Scientific management” approach. Key-words: abilities, job, wages. Beaucoup plus qu'un simple effet de mode, la gestion des compétences tend à s'imposer aujourd'hui comme une voie d'évolution inéluctable pour de nombreuses entreprises. Le modèle de la compétence, apparu en France au milieu des années 80, est communément identifié comme étant le successeur non contesté de la gestion taylorienne par les postes de travail. On va souvent jusqu'à parler à cette occasion d'un phénomène de substitution de la compétence à l'emploi. Les pratiques d'entreprises révèlent que, originellement l'entrée privilégiée dans ce type de gestion est de façon très massive la formation. A contrario, les expériences actuelles de rému- nération des compétences sont encore rares 1 ; quand elles existent, elles en sont pour la plupart au stade de l'expérimentation. Et ce n'est pas un moindre paradoxe du modèle de la compétence que d'être parvenu à se développer sans solliciter le champ de la rémunération. En effet la compétence, appréhendée dans son acception minimale, peut être définie comme du profession- nalisme reconnu 2 . Par conséquent, la notion intègre en tant que telle le versant de la validation sociale. Persévérer dans la marginalisation de cet aspect dans le cadre des démarches de gestion des compétences, revient à mettre en péril leur pertinence et jusqu'à leur raison d'être (Y.F. 1. C'est ce que met en évidence l'enquête menée en 1992 par Hewitt Associates, sur 100 entreprises industrielles et de service, concernant les priorités d'utilisation de la gestion des compétences, avec 81% des répondants qui lui attribuent un objectif d'aide à la définition des besoins de formation, contre 29% seulement qui y recourent en vue de la définition des rémunérations individuelles.

1996.04 Rémunération des compétences : proposition … · 1996.04 Rémunération des compétences : proposition de typologie Valérie Marbach Docteur ès Sciences de Gestion de

Embed Size (px)

Citation preview

1996.04

Rémunération des compétences : proposition de typologie

Valérie Marbach

Docteur ès Sciences de Gestion de l'IAE de Paris

Résumé

:

Si la gestion des compétences tend à s'imposer aujourd'hui comme une voied'évolution inéluctable pour de nombreuses entreprises, la nécessité de son articulation auchamp de la rémunération est par contre une idée très récente. Force est de constater que depuisprès de dix ans, le modèle de la compétence s'est développé en ignorant dans la plupart de sesapplications les aspects de la validation sociale. La prise de conscience tardive de cet impératifse traduit par une carence des outils d'analyse pour appréhender la problématique de la rému-nération des compétences. Dans cet article, nous proposons une première contribution àl'instrumentation de ce champ de recherche, sous forme d'une typologie de cinq modèles derémunération des compétences. Parallèlement, l'explicitation de la logique classificatoire quifonde notre typologie, ainsi que l'identification d'un certain nombre d'éléments redondants dansles actuelles expériences de rémunération des compétences, apportent des informations utilespour avancer plus loin dans la construction d'un modèle de la compétence qui soit opérationnel.

Mots-clés

:

compétence, emploi, rémunération.

Abstract

:

Abilities management appears today as a necessary instrument in many compa-nies. Yet, the link between abilities and wages policies is a very new idea in France. Today, allanalysts faces a lack of instruments to deal with this lately introduced question : paying abili-ties. In this article, we offer one of the first contribution in this research field, with the presen-tation of a five skill-based pay models typology. The developped typology has for hard core theidea that paying abilities can not be done without taking jobs into consideration. Moreover, thiswork has enlightened and identified common aspects found in a sample of current experiencesrun in French enterprises. All these specific characteristics contribute to the construction ofwhat is called a “Model for abilities management”, by contrast with “Scientific management”approach.

Key-words

:

abilities, job, wages.

Beaucoup plus qu'un simple effet de mode, la gestion des compétences tend à s'imposeraujourd'hui comme une voie d'évolution inéluctable pour de nombreuses entreprises. Le modèlede la compétence, apparu en France au milieu des années 80, est communément identifié commeétant le successeur non contesté de la gestion taylorienne par les postes de travail. On va souventjusqu'à parler à cette occasion d'un phénomène de substitution de la compétence à l'emploi.

Les pratiques d'entreprises révèlent que, originellement l'entrée privilégiée dans ce type degestion est de façon très massive la formation. A contrario, les expériences actuelles de rému-nération des compétences sont encore rares

1

; quand elles existent, elles en sont pour la plupartau stade de l'expérimentation. Et ce n'est pas un moindre paradoxe du modèle de la compétenceque d'être parvenu à se développer sans solliciter le champ de la rémunération. En effet lacompétence, appréhendée dans son acception minimale, peut être définie comme du profession-nalisme reconnu

2

. Par conséquent, la notion intègre

en tant que telle le versant de la validationsociale. Persévérer dans la marginalisation de cet aspect dans le cadre des démarches de gestiondes compétences, revient à mettre en péril leur pertinence et jusqu'à leur raison d'être (Y.F.

1. C'est ce que met en évidence l'enquête menée en 1992 par Hewitt Associates, sur 100 entreprises industrielleset de service, concernant les priorités d'utilisation de la gestion des compétences, avec 81% des répondantsqui lui attribuent un objectif d'aide à la définition des besoins de formation, contre 29% seulement qui yrecourent en vue de la définition des rémunérations individuelles.

IAE de Paris (Université Paris 1

Panthéon - Sorbonne

) - GREGOR - 1996.04 - 2

Livian et J. Terrenoire [10]). Une telle prise de conscience que la gestion des compétences nepeut continuer à vivre hors du sous-système de la rémunération, transparaît depuis le début desannées 90 dans le discours des théoriciens de la logique compétence

1

, confortée par ailleurs parl'émergence concomitante de pratiques d'entreprises qui vont dans ce sens.

Etant donné le caractère de nouveauté et la relative rareté des terrains à la disposition deschercheurs, les outils d'analyse manquent pour aborder la problématique de la reconnaissancedes compétences au travers de la rémunération. Dans cet article, nous proposons une premièrecontribution à l'instrumentation de ce champ de recherche peu étudié, sous forme d'une typol-ogie de systèmes de rémunération des compétences. Au point où en sont actuellement lesrecherches et les expériences en matière de rémunération des compétences, il nous semble eneffet qu'un premier travail classificatoire s'impose, dont l'ambition pourrait être de poser lesfondements d'investigations ultérieures, et plus immédiatement de constituer un guide explicatifà l'usage des gestionnaires.

En outre, cette grille de lecture répond conjointement à un objectif plus global d'édificationet d'identification des pratiques de gestion des ressources humaines réunies sous l'appellation de“modèle de la compétence”. En particulier, les fondements de notre typologie : en d'autrestermes la logique classificatoire qui sous-tend nos modèles, mais encore le repérage d'un certainnombre d'éléments constants ou redondants dans les pratiques actuelles de valorisation descompétences, permettent d'aller plus avant dans la détermination des contours de la gestion descompétences.

1 Logique classificatoire

Dresser une typologie relève d'une volonté de classer, de mettre de l'ordre dans le réel, dedonner du sens. L'élaboration d'une classification s'effectue sur la base de critères qui vontorienter le découpage du réel et constituer une grille de lecture originale. Dans notre champd'analyse, deux entrées peuvent être considérées comme particulièrement pertinentes pourembrasser la diversité et l'originalité des approches en matière de rémunération descompétences. Une analyse des modalités de la mesure des compétences (choix de l'indicateur,mode de hiérarchisation, et méthode de pesée) nous a permis d'établir que l'évaluation descompétences ne peut être entreprise

in abstracto

, mais qu'elle requiert au contraire d'être situéedans un espace-temps professionnel. C'est pourquoi la typologie proposée est construite à partirde l'articulation des dimensions de l'

organisation

, en tant que structuration d'espaces profes-sionnels de référence, et de la

gestion

, qui s'inscrit sur une échelle du temps.

1-1 Dimension organisationnelle : le détour obligé par l'emploi

Loin d'être évacué par le modèle de la compétence, l’emploi demeure la variable de référencepour le repérage des compétences : le passage obligé entre l'organisation et l'homme. Ainsi,nous contestons l'idée souvent affichée d'une opposition entre compétence et emploi, toutcomme celle d'un phénomène de substitution de l'une à l'autre. Si l'introduction de la notion decompétence est sans nul doute une forme de réponse à l'obsolescence du poste de travailtaylorien, l'essor de la gestion des compétences n'illustre en rien une faillite de l’emploi, quireste l'enveloppe de référence indispensable à l'analyse de l'activité concrète des salariés.

2. J. Aubret et al.

[1]

parlent à ce propos d'une double polarité de la compétence, tiraillée entre la traduction enacte de connaissances, savoir-faire et conduites professionnelles, et la reconnaissance sociale de cette valeurprofessionnelle.

1. Les premiers signes d'un intérêt pour la rémunération des compétences que nous avons recensés parmi les sémi-naires et la littérature spécialisée datent de 1992 avec : le Forum Liaisons Sociales (10/92) : “Qu'est-ce qu'onrémunère? Poste, compétence, performance” ; un document d'A. Cougard (Hewitt Associates)

[3]

; enfin, unarticle de D. Fitt (Hay

[5]

).

IAE de Paris (Université Paris 1

Panthéon - Sorbonne

) - GREGOR - 1996.04 - 3

A cet égard, l'idée d'un recentrage sur la personne véhiculée par l'appellation de “gestion des

compétences

”, ne permet pas de rendre compte du phénomène de complexification organisa-tionnelle qui apparaît comme fondateur de ces démarches. En effet, si la conception de l’emploiest généralement révisée dans ce type de démarche dans le sens d'une plus grande flexibilité,l'assouplissement constaté ne signifie pas que s'est amorcée une tendance à un affaiblissementdu déterminant organisationnel. En fait, il est autorisé de parler de complexification pourdésigner le passage de structures stables à des architectures plus évolutives au sein desquellesles individus, encouragés à développer leurs propres stratégies de développement de carrière,contraignent les gestionnaires à des ajustements sinon constants, en tout cas fréquents, entrebesoins et ressources. Le concept d'organisation qualifiante tel que théorisé par P. Zarifian [13],réalise une bonne synthèse de ces évolutions.

Traduite au niveau de notre typologie, la référence obligée à l’emploi constitue le premiercritère classificatoire, qui caractérise le

type de relation entre compétences et emploi. Il est ànoter que ce que nous qualifions de façon générique par la notion d'emploi désigne plus précisé-ment une situation professionnelle réelle, quelle qu'elle soit. Autrement dit, il convient de déter-miner quelle est l'enveloppe de référence organisationnelle présidant à l'évaluation descompétences.

Nous avons choisi de retenir trois configurations-types d'emplois

1

qui peuvent fonder uneévaluation des compétences, depuis la plus prescrite jusqu'à la plus souple :

- l’emploi traditionnel (ou poste ou fonction),- l’emploi à géométrie variable,- la situation professionnelle individualisée (ou emploi recomposé).

Ainsi, l'organisation est transcrite au travers de la conception de l’emploi portée par chacundes modèles, depuis l’emploi le plus rigide qu'illustre par le modèle M1, jusqu'à sa version laplus flexible, dont rend compte le modèle M3.

1-2 Dimension de la gestion : la référence temporelle

La dimension de la gestion quant à elle, est présente en tant que la gestion s'inscrit dans ladurée. L'entreprise de repérage des compétences dans une perspective certificative commandeen effet que l'espace organisationnel de référence soit précisé, complété par son positionnementdans la temporalité d'un parcours professionnel. Dans la mesure où les différentes acceptions(ou conceptions) de la compétence la situent sur un spectre temporel relativement large (figure1), son évaluation porte sur le présent de l'activité professionnelle. Elle peut également prendreen compte les fonctions antérieures sur l'ensemble du parcours professionnel, ou encore lespronostics d'évolutions futures de l'activité.

1. Cette typologie d'emplois est inspirée des modèles de qualification de G. Donnadieu et P. Denimal

[4].

IAE de Paris (Université Paris 1

Panthéon - Sorbonne

) - GREGOR - 1996.04 - 4

Figure 1 : différentes acceptions de la compétence sur l'échelle du temps

Ces options qui relèvent de choix de gestion des ressources humaines particuliers, sont resti-tuées dans notre typologie au travers de deux grandes catégories : les compétences utilisées dansle présent de l'activité (modèles M1, M2 et M3), et les compétences utilisables potentiellement,par référence à une activité passée (modèle M4) ou future (modèle M5).

(

PRESENT)

dans le cadre d'un poste

ou d'une fonction strictement définie

(Modèle 1)

COMPETENCES

dans le cadre d'un emploi

UTILISÉES

à géométrie variable

(Modèle 2)

dans le cadre de situations

professionnelles individualisées

(Modèle 3)

(

PASSE)

dans le cadre d'un emploi historique

ou parcours professionnel qualifiant

(Modèle 4)

COMPETENCES

UTILISABLES

(

FUTUR)

dans le cadre d'une fonction

pronostiquée à court ou long terme

(Modèle 5)

Ainsi, nous pouvons dire de cette typologie qu'elle est construite à partir du croisement desdeux axes espace/temps, comme l'illustre le graphique ci-dessous :

Potentiel

Compétences de la fonction

Passé Présent Futur

compétences requises et réelles

Capacité prouvée

Ecart positif entre

Potentielestimé ultime

IAE de Paris (Université Paris 1

Panthéon - Sorbonne

) - GREGOR - 1996.04 - 5

Figure 2 : Typologie de modèles de rémunération des compétences sur des axes spatio-temporels

Après avoir explicité les soubassements de notre typologie, nous allons maintenant décrireles caractéristiques principales de chacun de ces modèles. Après quoi, en nous fondant surl'examen d'une dizaine d'applications actuelles de ces configurations au sein d'entreprisesfrançaises

1

, nous entreprendrons de repérer d'éventuelles “redondances” ou invariants de cessystèmes afin de progresser plus loin dans la compréhension des pratiques de rémunération descompétences, et au-delà de la logique compétence.

2 Typologie de modèles de rémunération des compétences

2-1 Reconnaissance des compétences utilisées

Une première grande catégorie regroupe les systèmes qui préconisent la mise en oeuvre descompétences comme critère nécessaire à leur validation. Ce critère d'utilisation s'assortit d'unecentration de l'évaluation sur le présent de l'activité : ne sont prises en compte et valorisées queles compétences actuelles, ou mieux encore actualisées. En cela, on ne s'éloigne guère d'unelogique classique d'évaluation des emplois fondée sur une reconnaissance de la fonctionoccupée.

Une telle catégorie admet toutefois des variantes qui découlent de la teneur des liens entreles compétences portées par les individus et la structure organisationnelle. Le degré d'individu-alisation d'un système est lié au type de découpage des emplois prévu par l'organisation. End'autres termes, plus les contours de la situation professionnelle sont rigides et prédéterminés,plus faible est la personnalisation des profils de compétences, et par conséquent de la rémunéra-tion. Selon nous, trois grandes variantes permettent d'appréhender le jeu des interactions entrecompétences et emplois, depuis la conception la plus traditionnelle et à la fois la plus général-isée de l’emploi, jusqu'à des voies encore peu explorées aujourd'hui.

1. Les expériences sur lesquelles nous fondons notre analyse ne sont pas exposées dans le cadre de cet article, àl'exception d'un cas qui apparaît comme particulièrement novateur (voir annexe). Pour une présentation détailléede ces systèmes, nous renvoyons le lecteur à notre thèse :

Impacts des démarches de gestion des compétencessur les politiques de rémunération

, Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, IAE de Paris, 1995.

Flexibilité de l'emploi

TempsPassé Présent Futur

M1

M2

M3

M4

M5

M1 : Rémunération des compétences utilisées dans un posteM2 : Rémunération des compétences utilisées dans un emploi à géométrie variableM3 : Rémunération des compétences utilisées dans une situation professionnelle individuali

M5 : Rémunération des compétences utilisables dans une fonction pronostiquée

M4 : Rémunération des compétences utilisées dans un parcours professionnel, qui restent usans être toutes utilisées aujourd'hui

IAE de Paris (Université Paris 1

Panthéon - Sorbonne

) - GREGOR - 1996.04 - 6

2-1.1 Rémunération des compétences utilisées dans un poste (modèle M1)

La rémunération des compétences n'est pas complètement contradictoire avec des environ-nements traditionnels de type taylorien, où les postes de travail sont déclinés selon une séried'exigences précises. A la base de ce modèle, les exigences des postes sont traduites en termesde compétences : on parle dans ce cas de compétences requises. L'organisation reste donc résol-ument prescriptive puisqu'il lui incombe de déterminer des profils de postes.

La gestion des salariés est organisée dans un espace de progression déterminé. Cet espacepeut être un espace physique (atelier ou îlot), mais il peut également s'agir d'une communautéde savoir-faire que l'on qualifiera alors de métier ; on rejoint dans ce cas la notion de filièreprofessionnelle. Les deux dimensions peuvent se superposer de sorte que le métier soitconcentré sur un lieu de travail concret. L'évolution de carrière des individus correspond àl'acquisition progressive de l'ensemble des compétences inventoriées au sein de cet espace. Laprogression salariale est soumise à un parcours de fonction en fonction. A chaque grade ou coef-ficient correspond un profil de compétences et un seul. L'accession au coefficient supérieursuppose la validation de toutes les compétences qui lui sont associées : seules sont reconnues etrémunérées les compétences utilisées. Les projets individuels d'évolution professionnelle, s'ilssont encouragés par des organisations plus collectives orientées vers la recherche d'une plusgrande polyvalence, n'en restent pas moins soumis à des options strictement définies par lesréférentiels de compétences.

La nouveauté introduite par rapport au modèle taylorien est liée à l'injection d'une certainesouplesse dans les modes de gestion des hommes et/ou l'organisation du travail.

L'analyse decas d'entreprises nous a permis de mettre en évidence que le modèle M1 tire en fait vers M4, endéveloppant des processus de gestion qualifiante partielle, ou encore vers M2, en mettant enoeuvre une élasticité limitée de l'emploi.

Ainsi, tout en se référant clairement à une notion de poste, l'exemple de Rohr Europe illustreune approche orientée vers une gestion qualifiante. Simplement, ici ce ne sont pas lescompétences utilisables qui sont valorisées, mais les compétences effectivement mises enoeuvre ; en outre, les pratiques de mobilité qui aménagent la souplesse du système, n'y sont pasgénéralisées comme dans le modèle M4.

Quant au cas de P.E.A., il renvoie plutôt à une démarche de type organisation qualifiante oùl’emploi présente une élasticité, mais la progression y observe un parcours obligatoire. Dans cetexemple, l'évolution du système réside dans le fait que la progression individuelle ne dépendplus d'un poste physique. Si le poste, en tant qu'enveloppe prédéterminée de compétences estmaintenu, la notion d'organigramme est par contre abandonnée. Le poste ne demeure quecomme référence de base dans l'évaluation des compétences. Selon le principe de l'organisationqualifiante, l'autonomie de progression individuelle est encouragée par des organisations dutravail plus flexibles et collectives, les évolutions de compétences restant toutefois soumises àun référentiel défini contractuellement. Ainsi, le parcours d'acquisition de compétences néces-saires à la progression au sein du métier, est complètement prescrit par l'organisation. C'estpourquoi, si l'on peut parler d'emplois élastiques, il s'agit là d'une élasticité contrainte. Onretiendra du modèle M1 qu'il présente un évident caractère de mixité.

Ce modèle est aujourd'hui celui que l'on rencontre le plus communément dans les entreprisesqui se réclament d'une gestion des compétences en intégrant les aspects de la rémunération. Untel constat peut surprendre compte tenu des ambitions affichées de tels systèmes, résolumentorientés vers des solutions d'avenir. Il s'explique d'après nous par leur caractère encore trèsrécent. La jeunesse des exemples actuellement à la disposition du chercheur éclaire vraisem-blablement leur hybridité plus ou moins prononcée. Il nous semble en effet devoir avant tout lesconsidérer comme des systèmes en devenir. Un tel modèle est une voie intéressante dans lecadre de structures traditionnelles qui souhaitent introduire plus de souplesse dans leur fonction-nement.

Etant donné les tendances de fond qui traversent les organisations du travail, il noussemble toutefois qu'il doit être avant tout envisagé comme un modèle de transition destiné à

IAE de Paris (Université Paris 1

Panthéon - Sorbonne

) - GREGOR - 1996.04 - 7

évoluer vers des formules plus flexibles, qui abandonneront finalement la référence au postetaylorien.

2-1.2 Rémunération des compétences utilisées dans un emploi élastique (modèle M2)

Dans la catégorie des systèmes de rémunération fondés sur une reconnaissance descompétences utilisées, une deuxième variante introduit une souplesse plus grande par rapportau modèle précédent. L’emploi demeure ici le socle fondamental d'évaluation des salariés, surlequel s'ajoute une référence supplémentaire à l'individu. On parlera d'emplois à géométrie vari-able pour désigner la valorisation conjuguée d'un noyau dur relevant de prescriptions organisa-tionnelles, et d'une part laissée à l'autonomie des personnes. Dans cette nouvelle variante, lesexigences de l’emploi ne sont pas exprimées en termes de compétences requises comme c'est lecas dans le premier modèle.

La référence traditionnelle à l’emploi n'est pas remise en cause : à chaque poste ou fonctioncorrespond une cotation qui se traduit par un coefficient. On se situe là en parfaite cohérenceavec l'évaluation des emplois effectuée selon un système de type Parodi, ou une méthode fondéesur des critères classants. L’emploi reste donc le cadre incontesté et toujours essentiel d'évalua-tion puisqu'il détermine le coefficient de l’individu, base de sa rémunération.

La reconnaissance des compétences intervient à la marge, dans la mesure où elle vient segreffer sur le niveau de l'emploi. Dans la plupart des cas, elle n’impact pas le coefficient del’individu, mais se traduit plus généralement par des augmentations individuelles. A cet égard,notons qu'un tel modèle n'est pas sans rappeler fortement par son architecture les traditionnelsemplois à fourchettes qui, à l'intérieur des niveaux d'emploi définissant la nature des exigencesrequises, prévoient des degrés exprimant la complexité.

La valorisation des compétences recouvre dans ce modèle des aspects distincts. Elle peutsanctionner un accroissement de compétences en fonction de référentiels donnés (progressionpersonnalisée dans des domaines de spécialité, à partir d'un noyau dur de compétencescommunes), et/ou renvoyer plutôt à une notion d'expérience, de maîtrise dans un emploi.

Ce type de modèle représente vraisemblablement un objectif d'évolution pour une majoritéd'entreprises. Son caractère de mixité permet de fédérer les points forts de la

job evaluation

avecles intérêts liés à une prise en compte de la contribution individuelle. Il répond en effet à desexigences d'équité tout en ménageant un certain degré de flexibilité dans l'appréciation despersonnes. Par l'alliance de tradition et de modernité qu'il réussit, ce modèle bénéficie en outred'une bonne acceptabilité sociale. Il se présente comme une voie moyenne évolutionnaire plusque révolutionnaire, qui favorise une prise en compte des tendances actuelles en matière de flex-ibilité des emplois. Nous faisons l'hypothèse que cette variante deviendra dans un futur procheune formule sinon généralisée, du moins extrêmement répandue. C'est dans ce modèle que l'onrecense dès aujourd'hui les applications les plus nombreuses.

2-1.3 Rémunération des compétences utilisées en situation de travail individualisée(modèle M3)

Une troisième variante peut être identifiée parmi les systèmes de rémunération qui s'appuientsur une reconnaissance des compétences utiles. Le modèle M3 se détache d'une référence àl’emploi pour se fonder cette fois sur des situations professionnelles complètement individual-isées. Par rapport au modèle précédent, le noyau dur constitué par l’emploi est éclaté, décom-posé en une série de compétences qui seront réaffectées à des profils personnalisés.

Ce modèle est à la fois le plus novateur et le moins répandu parmi les trois variantesprésentées. Il donne à la valorisation des compétences sa pleine acception en abandonnant uneréférence rigide aux requis de l'organisation. Si la compétence se rapporte bien évidemment àune réalité de travail, nous pensons avec P. Zarifian [14] que “cette réalité ne peut être ni saisieni figée dans des contenus d'emplois auxquels on demanderait au salarié de se

<<

conformer

>>

.Le modèle M3 est porteur de cette conception selon laquelle il ne s'agit plus pour les individus,conformément à une logique adéquationniste classique, de se conformer à des exigences rela-

IAE de Paris (Université Paris 1

Panthéon - Sorbonne

) - GREGOR - 1996.04 - 8

tivement stables et pré-définies, mais d'entrer dans une dynamique d'ajustements renouvelésentre besoins et ressources.

Les cas d'entreprises que nous avons pu identifier en illustration de ce modèle peu exploré,mettent en lumière l'existence de deux approches possibles de la logique compétence. Unpremier exemple révèle une approche directe et explicite par les compétences : les compétencessont identifiées, hiérarchisées, pesées, agrégées en fonctions des situations professionnelles dechaque collaborateur, et rémunérées à partir d'une loi de combinaison. Un second cas fait undétour par les activités unitaires envisagées comme composantes minimales des situationsproductives, en remplacement des compétences. Cet autre exemple introduit à un débat parailleurs très alimenté sur la notion de compétence, qui dépasse toutefois le cadre de cet article.Nous en retiendrons que la référence aux activités n'est pas contradictoire avec la mise en oeuvred'une gestion des compétences.

2-2 Rémunération des compétences utilisables

On peut identifier une deuxième grande catégorie parmi les systèmes de rémunérationcentrés sur une reconnaissance des compétences : les modèles qui se fondent sur la valorisationdes compétences utilisables dans la situation professionnelle occupée.

Au préalable, il convient de préciser qu'en posant ce critère d'utilisation potentielle, touteréférence au présent de l'activité n'est pas pour autant écartée. En effet, les compétences utiliséesdans la fonction occupée par les titulaires sont aussi

nécessairement

prises en compte dans lamesure où elles font par construction partie des compétences utilisables. En fait, la spécificitéde cette catégorie est due en premier lieu au fait que le critère de mise en oeuvre n'y est pasprédominant dans l'évaluation.

Les compétences qui sont ici placées au centre du dispositif de validation sont de deuxnatures. Il peut s'agir soit de compétences qui ont été développées et identifiées dans le passéprofessionnel du salarié, soit encore de compétences plus hypothétiques, susceptibles d'être util-isées un jour dans l'avenir professionnel du salarié. Dans les deux variantes de cette grandecatégorie de systèmes, les compétences sont tirées respectivement du côté du savoir-faire,expression de la maîtrise acquise tout au long du parcours professionnel, et du côté du savoircomme indicateur de potentiel.

A priori

, il peut paraître contestable d'envisager ces approches comme relevant d'une véri-table logique de la compétence, dans la mesure où elles rejoignent des démarches de gestionrelativement traditionnelles. Ainsi, dans un cas on retrouve implicitement la notion d'expérienceentendue au sens de capitalisation de savoir-faire ; dans l’autre, on reconnaît notamment la valo-risation d'un niveau de formation.

Néanmoins, nous avons fait le choix de les intégrer dans notre typologie. A cela, deuxraisons. En premier lieu, le fait que ces systèmes soient reconnus comme tels par les promoteursde ces modes de gestion

1

justifie selon nous qu'ils soient pris en compte. En outre, ils présententpar-delà la lecture sommaire que nous en avons faite dans ce paragraphe introductif, de réelsintérêts. En particulier, nous verrons dans quelle mesure ils offrent des enrichissements auxmodèles de notre première catégorie.

2-2.1 Les compétences prouvées : le parcours professionnel (modèle M4)

Le modèle du parcours professionnel s'appuie sur l'idée d'une reconnaissance descompétences mises en oeuvre dans l'ensemble du parcours professionnel individuel. La notionde parcours professionnel mérite ici d'être précisée dans ses contours spatio-temporels.

D'un point de vue spatial, elle peut être définie dans le cadre de l'entreprise d'appartenancedu salarié, mais également englober ses différentes expériences professionnelles, voire mêmeextra-professionnelles. Cet aspect pose alors le problème de la validation des compétences.

1. C'est en particulier le cas du modèle des compétences potentielles développé par D. Fitt

[5]

.

IAE de Paris (Université Paris 1

Panthéon - Sorbonne

) - GREGOR - 1996.04 - 9

Sur l'échelle du temps, le parcours professionnel recouvre les compétences utilisées dans lepassé mais également dans le présent de la fonction occupée, ce qui nuance fortement lecaractère potentiel des compétences. Une partie d'entre elles sont concrètement exercées, etrelèvent alors de la

première catégorie

de modèles. Quant aux compétences utilisables, il s'agitde compétences qui ont été prouvées. C'est donc une capitalisation de savoir-faire (et de savoirsqui leur sont associés) qui va constituer la référence de base de la rémunération.

En valorisant un capital personnel, l'entreprise fait le pari des hommes (hors référence auxcompétences de la fonction occupée). A la différence du modèle des compétences potentielles,les compétences prouvées peuvent être considérées comme plus tangibles dans la mesure oùelles ont déjà été utilisées. Elles correspondent à des savoir-faire, à de l'expérience qui s'estécartée progressivement de l'expérimentation. En faisant abstraction de la gestion des ressou-rces humaines, et de l'organisation qui accueille un tel modèle, on est très proche de la logiquedu métier traditionnel selon lequel l'expertise s'acquiert au gré des expériences, autant dire aufil du temps.

Dans les faits, il apparaît que le modèle du parcours professionnel se caractérise par un modede gestion des ressources humaines particulier. En effet, des pratiques généralisées de mobilitépermanente, par un système important de rotations de postes, sont à la base d'un modèle dontl'archétype est sans aucun doute le système de gestion des carrières japonais traditionnel (H.Landier [6], [7]). Nous avons qualifié cette première option de gestion qualifiante dans la mesureoù c'est bien le mode de gestion des individus qui préside au développement des compétences.Dans cette perspective, l’organisation n'est pas déterminante : on peut tout à fait envisagerl'application d'un tel système dans une organisation fortement hiérarchisée, et structurée àl'extrême selon une logique de postes classique.

Cependant, il ne s'agit pas d'opposer gestion qualifiante et organisation qualifiante. Le choixde faire de l’organisation le levier du processus de qualification, et donc de reporter la flexibilitéde la gestion vers les structures, est une autre variante possible du modèle des compétencesprouvées. L'enjeu consiste alors à mettre en place une configuration organisationnelle suscep-tible de réutiliser les compétences acquises et validées antérieurement. La phase de développe-ment ultime du modèle consiste enfin à conjuguer les intérêts liés à la gestion qualifiante et àl’organisation qualifiante, afin d'entrer dans le “cercle vertueux” dont parle B. Coriat à proposde l'entreprise japonaise [2].

Le modèle des compétences prouvées est extrêmement intéressant dans la mesure où il esttransversal à la première catégorie : il greffe une dimension supplémentaire sur les modèles M1,M2 et M3 qui sont fondés sur la reconnaissance des compétences utilisées. Ainsi le modèle M1construit sur une référence au poste de travail, peut être croisé avec le modèle des compétencesprouvées dans un contexte de gestion qualifiante. Par ailleurs, la gradation en trois modèles, del’emploi le plus prescrit à l’emploi le plus lâche, illustre en fait une progression vers l'idéed'organisation qualifiante. Ce modèle connaît encore que de rares applications au sein des entre-prises françaises.

2-2.2 Les compétences potentielles (modèle M5)

On peut poser qu'une des finalités essentielles d'un système de gestion consiste à réaliser lameilleure adéquation possible entre les besoins d'une organisation et les ressources dont elledispose. Dans le modèle M5, la cible vers laquelle on tend n'est pas immédiate, mais correspondà une phase à venir du développement professionnel, qui peut se situer dans le court terme(potentiel escompté) ou encore dans une perspective à plus long terme (potentiel ultime).

Le modèle des compétences potentielles est fondé sur l'idée que l'entreprise accepte de payerun surcoût par rapport au prix de l'activité exercée, à partir d'un pronostic d'évolution future dusalarié. Le pronostic peut être établi à partir de différents indicateurs : le niveau de diplôme estune référence communément adoptée dans la fonction publique ou encore dans la gestion descadres. Plus récemment, les aptitudes comportementales, évaluées à la lumière de mises en situ-ations (assessment centers), sont également retenues comme éléments d'évaluation du potentiel.

IAE de Paris (Université Paris 1

Panthéon - Sorbonne

) - GREGOR - 1996.04 - 10

D. Fitt [5]

distingue trois variantes de ce modèle :- l'investissement dans des compétences critiques (ou qualités personnelles) comme étant

des valeurs sûres sur lesquelles l'entreprise peut compter ; dans cette perspective, on paiele prix global d'une personne plutôt que des capacités professionnelles requises par tel outel type d'activité ;

- la valorisation de compétences en fonction d'un pronostic d'évolution à long terme desactivités, pour les hauts potentiels notamment ; cette fois, l'incertitude est placée du côtéde l'entreprise et de sa capacité à mettre en oeuvre les stratégies de développement qu'elleadopte ;

- enfin, la reconnaissance de compétences définies par rapport à un profil ultime, quiconstitue une cible d'évolution pour l'ensemble des membres d'une équipe. Dans cetteconfiguration, les progressions individuelles sont orientées vers le développement d'unepolyvalence maximale qui, envisagée au sein d'un groupe de travail, peut devenir un réelfacteur de productivité.

Si l'appellation de logique compétence est discutable à propos des deux premiers systèmes,le dernier modèle relève bien par contre d'une gestion par les compétences qui confère à lagestion des ressources humaines ou à l'organisation du travail un rôle de levier central. L'entre-prise accepte de payer un surcoût pendant la phase d'acquisition des compétences, que seuljustifie le retour sur investissement dégagé grâce à une situation de polyvalence généralisée.Néanmoins, on peut s'interroger sur la pertinence et l'intérêt de rémunérer des compétencesavant qu'elles soient utilisées : c'est toute la question de la validité du potentiel comme référenced'évaluation. Un tel choix de gestion ne vaut que si l'organisation l'accompagne. Le risque de nepas voir mises en oeuvre les compétences valorisées est placé entièrement entre les mains del'entreprise. Le modèle des compétences potentielles peut être envisagé comme une version plusaléatoire du modèle des compétences prouvées, dont l'efficacité est soumise à une grandemaîtrise de la part de l'entreprise, tant en matière de gestion que d'organisation. En fait, il appa-raît au terme de notre analyse que chacun des deux modèles fondés sur les compétences utilis-ables sont fortement articulés à des configurations organisationnelles novatrices. Et sans douteconstituent-ils pour cette raison les solutions les plus délicates à mettre en oeuvre et à faire vivredans des entreprises.

3 Eléments de synthèse

Après l'exposé de notre typologie étayée par une dizaine de cas concrets de systèmes qui sontactuellement appliqués dans des entreprises françaises, nous sommes en mesure d'articuler deséléments de réflexion théoriques avec les contraintes identifiées au niveau des pratiques. Enformulant la réserve que l'ensemble de ces expériences sont encore très récentes, ce qui nepermet pas de préjuger de leurs évolutions dans le long terme, l'examen que nous en avonseffectué nous autorise néanmoins à fournir quelques éléments de réponse à la difficile questionde l'impact de la logique de la compétence sur les systèmes de rémunération.

Dans le tableau de synthèse qui suit, nous récapitulons les intérêts et limites des différentescatégories de la typologie (voir tableau 1).

En dernier lieu, à partir de l'observation de “redondances” dans les pratiques étudiées, uncertain nombre d'idées-forces nous semblent pouvoir être identifiées comme étant des élémentsde référence susceptibles d'orienter toute réflexion sur le thème de la reconnaissance descompétences. Le recueil des cas présentés étant limité, il ne prétend pas illustrer l'ensemble despratiques existantes. En conséquence, il est clair que les indications qui suivent sont les résultatsd'un premier travail de synthèse qu'il faudrait compléter ultérieurement par élargissement dupanel.

IAE de Paris (Université Paris 1

Panthéon - Sorbonne

) - GREGOR - 1996.04 - 11

3-1 La définition des compétences n'est pas un enjeu central etdéterminant

Les cas concrets étudiés permettent d'établir que le libellé des compétences n'est pas un enjeumajeur dans l'efficacité et la réussite d'une gestion des compétences. Les réflexionsthéoriciennes sur le concept de compétence et sa complexité ne sont pas au nombre des préoc-

Tableau 1 : intérêts et limites des différents modèles de rémunération des compétences

COMPETENCES UTILISEES COMPETENCES UTILISA-BLES

Dans un poste

M1

Dans un em-ploi à géométrievariable

M2

Dans une si-tuation profes-sionnelleindividualisée

M3

Dans un par-cours profes-sionnel (capacitéprouvée)

M4

Dans unefonction future(compétencespotentielles)

M5

INT

ER

ET

S

Amorce d'unevalorisation in-dividuelle et re-connaissance del'initiative à évo-luer

Conjugaisondu principed'équité et de lavalorisation in-dividuelle

Dissociationentre différentesvariables de pi-lotage

Reconnais-sance de profilsindividualisés

Reconnais-sance de la per-sonne au-delà lafonction occu-pée (compéten-ces utilisables etutilisées dans lafonction occu-pée)

Stimulationde l’individu

LIM

ITE

S

Reproduc-tion de profilsidentiques

Les compé-tences consti-tuent unevariable de pilo-tage secondaire

Problème delisibilité descomposantes dela rémunération

Problème delisibilité descomposantes dela rémunération

Risque sup-porté par l'entre-prise

Risque sup-porté par l'entre-prise

CO

ND

ITIO

NS

1) Organisa-tion stable etgestion quali-fiante (mobilitéqualifiante)

Ou :

2) Organisa-tion qualifiante(progressions decarrière libres ausein d'un espacemétier)

Organisationrelativement sta-ble

Organisationqualifiante etstratégie d'utili-sation des com-pétencesacquises

Gestion et or-ganisation adap-tées : stratégied'utilisation descompétences va-lidées

Modèle trans-versal (gestionqualifiante ou/etorganisationqualifiante)

Gestion qua-lifiante et suivides évolutionsde carrière indi-viduelles

IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 12

cupations des gestionnaires. Elles semblent à l'examen bien plutôt émaner de chercheurs -et c'estbien légitime-, et de certains cabinets de conseil soucieux de proposer un produit sophistiqué,construit et original.

La trilogie classique des savoirs, savoir-faire et savoir-être, souvent controversée, apparaîtcomme suffisamment éclairante des différents pans de la compétence :

- Les savoir-faire sont l'élément d'évaluation et de validation le plus probant.- Les savoir-être leur sont associés, mais de façon intégrée : ils sont garants, pendant la

phase de conception des référentiels de compétences, du respect de l'échelle decomplexité cognitive sous-jacente aux savoir-faire. Par contre, le fait de vouloir lesconserver comme des références explicites autonomes présente un risque de confusionentre l'appréciation de la personne et de son activité.

- Pour ce qui est des savoirs, il ne semble pas pertinent de les prendre en compte dans lecadre de l'évaluation des compétences ; il est admis qu'ils relèvent plutôt d'un référentielde formation. Ainsi, la validation des savoirs n'intervient qu'en phase d'accroissement decompétences ou de remédiation, et avec un statut de pré-requis.

3-2 A propos du débat entre compétences et activitésNous avons pu établir que c'est la flexibilité de la situation professionnelle qui est détermi-

nante dans la mise en oeuvre d'une logique de la compétence, et non pas un recours généraliséà la notion de compétence. Dès lors, se pose au gestionnaire le problème du choix de l'unité quifera référence dans le système de gestion : activités ou compétences ?

Le découpage en activités unitaires permet de flexibiliser l’emploi en restant proche de laréalité professionnelle des salariés. Par contre, la limite de cette approche est due au fait qu'elleest par nature contextualisée : l'activité ne facilite aucunement une représentation transversaledes ressources de l'entreprise. Cet inconvénient peut être réduit par le recours à une méthodecritérielle comme mode d'évaluation des activités unitaires. En effet, les critères utilisés, dontnous avons vu par ailleurs qu'ils s'apparentent à des critères de compétence (technicité, auton-omie, relationnel...), en s'appliquant à l'ensemble des activités, fournissent une grille de lectureuniforme qui permet une approche globale.

C'est là le grand intérêt d'un recours aux compétences génériques, qui sont par définitiontransverses aux champs d'application. La difficulté de cette seconde approche provient du risquede désincarner les réalités professionnelles, au point que les salariés ne s'y reconnaissent plus.Or, dans la mesure où le personnel est fortement impliqué dans le processus d'évaluation, il estindispensable qu'il puisse s'approprier l'outil de gestion. En conclusion, les contextes et prioritésdes entreprises seront les facteurs décisifs dans l'utilisation de l'une ou l’autre approche. Néan-moins, une bonne maîtrise des libellés de compétences génériques permet d'accéder à des possi-bilités d'utilisation élargies, notamment en matière de mobilité et d'évolution de carrière.

3-3 La logique de métier est une voie pertinente et consensuelleOn observe que la référence au métier comme espace d'évolution individuelle est une solu-

tion souvent retenue, même si elle apparaît parfois en filigrane, sous des appellations diversi-fiées (“fonction” notamment).

3-4 Pour un traitement indifférencié entre cadres et non-cadresSi de manière générale les dispositifs de gestion des compétences sont actuellement plus

volontiers appliqués au personnel non-cadre, plusieurs cas analysés militent en faveur d'unegrille unique. Un traitement indifférencié de l'ensemble du personnel contribue à asseoir lacohérence de ce type de systèmes qui, en affichant un objectif de reconnaissance de la personne

IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 13

plutôt que du poste de travail, adoptent des principes traditionnellement appliqués dans lagestion des cadres.

3-5 L'implication de l'ensemble des acteurs dans l'élaboration et la miseen oeuvre d'un dispositif de gestion des compétences est une conditionrequise pour son aboutissement et son développement

Il apparaît que le rôle moteur de la direction est tout à fait essentiel pour crédibiliser une telleévolution du système de gestion. Cette participation active de la part de la direction doit s'effec-tuer dans le cadre d'un processus généralisé de négociation avec les partenaires sociaux, lahiérarchie et l'ensemble du personnel.

Au-delà de la phase de structuration d'un nouvel outil de gestion, l'investissement des acteursde l'entreprise est également nécessaire à son application courante. En particulier, la hiérarchiedirecte est responsabilisée dans ses décisions de gestion, et le rôle des salariés est renforcé auniveau de la validation des compétences acquises : il est souvent question de co-évaluation.

3-6 Le support méthodologique d'un expert extérieur accompagnepositivement le processus de changement

Tous les cas d'entreprises analysés ont fait appel à un cabinet de conseil au moment de l'élab-oration du système de gestion. Ce constat n'est bien entendu pas spécifique à la seule probléma-tique des compétences. Toutefois, outre le crédit méthodologique et la garantie de neutralitéapportés par une intervention extérieure, il est vraisemblable que l'intervention d'un expert soitrecommandée par la complexité de ces dispositifs.

3-7 L'évolution des organisations du travail est un élément déclencheur dela révision des systèmes de gestion des hommes

Les évolutions technologiques ne sont pas le seul levier de mise en place d'une gestion descompétences, et leur rôle prétendument facilitateur est remis en cause par les praticiens. Parcontre, l'évolution des organisations du travail vers des formules plus collectives et plus flexi-bles, est un moteur du processus de changement dans de nombreux cas.

3-8 8 Les besoins de l'entreprise demeurent la contrainte première del'évolution des salariés

Les progressions de carrière s'effectuent dans le cadre de parcours plus ou moins personnal-isés, des enveloppes de compétences pré-définies jusqu'aux profils individuels. Et donc le degréd'autonomie des personnes est variable en fonction de choix organisationnels. Il n'en reste pasmoins que ce sont toujours les compétences utiles à l'entreprise qui sont reconnues, et celles-làseulement.

3-9 Le salaire de compétence correspond à du salaire de qualificationLa reconnaissance des compétences s'effectue toujours dans le cadre du salaire de base. Qu'il

s'agisse de promotions coefficientaires ou d'augmentations individuelles, il paraît admis que lesalaire de compétence est par nature non réversible. Il correspond au salaire fixe.

3-10 La taille limitée des structures pourrait être une condition facilitanteaux exigences d'une logique compétence

Cette proposition est hypothétique : elle s'appuie sur un constat de fait. En effet, l'essentieldes exemples analysés qui relèvent de démarches managériales (par opposition aux démarches

IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 14

négociées), concernent des entreprises de taille réduite. Il serait abusif de prétendre pour autantque la gestion des compétences ne peut s'accommoder que de petites structures. Au moins peut-on affirmer que des effectifs limités facilitent sa mise en oeuvre.

Pour conclure, rappelons encore que cette contribution s'inscrit dans un champ de rechercherelativement nouveau, peu étudié jusqu'alors, ce qui lui confère un caractère exploratoire. Elledoit être envisagée comme une première pierre apportée à la réflexion sur la reconnaissance descompétences par les pratiques de rémunération. Il convient dès lors de considérer qu'elle avaleur d'étape, et qu'elle a pour ambition de constituer un socle pour des investigations futures.

4 Bibliographie

[1] J. Aubret, P. Gilbert, F. Pigeyre, Savoir et pouvoir : les compétences en questions, PUF,collection Gestion, Paris, 1993.

[2] B. Coriat, Penser à l'envers : travail et organisation dans l'entreprise japonaise, ChristianBourgois Editeur, Paris, 1991.

[3] A. Cougard,”Gestion des compétences et rémunération”, Document Rémunérations etCarrières, n° 136, Hewitt Associates, 1992.

[4] G. Donnadieu, P. Denimal, Classification-Qualification : de l'évaluation des emplois àla gestion des compétences, Editions Liaisons, Paris, 1993.

[5] D. Fitt, “Rémunérer les compétences”, Des compétences et des hommes. Le managementdes ressources humaines en Europe, Editions d'organisation, Paris, 1992.

[6] H. Landier, “L'entreprise-Université japonaise”, Management et Conjoncture Sociale, n°391, pp. 32-39, 1992.

[7] H. Landier, “Développer en permanence le capital de connaissances utiles”, Managementet Conjoncture Sociale, n° 439, pp. 4-10, 1994.

[8] E. E. Lawler, “Paying the person : a better approach to management ?, Human ResourceManagement Review, vol.1, n°2, pp.145-154, 1991.

[9] G. Le Boterf, De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Editions d'Organisation,Paris, 1994.

[10] Y.-F. Livian, J. Terrenoire, “Les entreprises face aux exigences de la gestion des contu-maces”, Personnel, n°361, pp.59-61, juin 1995.

[11] F. Minet, M. Parlier, S. de Witte, La compétence, mythe, construction ou réalité ?,L'Harmattan, Paris, 1994.

[12] [12] G. Naro, “Systèmes de rémunération et cultures organisationnelles”, RevueFrançaise de Gestion, n° 95, pp. 44-52, 1993.

[13] P. Zarifian, “Acquisition et reconnaissance des compétences dans une organisation qual-ifiante”, Education permanente, n° 112, pp. 15-22, 1992.

[14] P. Zarifian,”Coopération, compétence et système de gestion dans l'industrie : à larecherche de cohérence”, Actes du 5ème Congrès de l'AGRH, Montpellier, pp. 15-20,1994.

[15] P. Zarifian, “Le modèle de la compétence : une démarche inachevée”, Le Monde, 1ermars 1995.

IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 15

5 Annexe : le système “3i” de RCO France Est

Compte tenu de la nouveauté de ce modèle, mais surtout de son intérêt au regard de la problé-matique de la logique compétence dont il nous semble réaliser une version achevée, nous avonschoisi de l'illustrer par une application d'entreprise tout à fait originale : le système “3i” de RCOFrance Est, dont l'architecture et les principes sont présentés en annexe de notre article (§ 5).

L'établissement Rochette Cempa Ondulé de Vénizel est une filiale du groupe La Rochettespécialisée dans la production de carton ondulé. L'usine comporte 220 salariés, dont 192 non-cadres. Le niveau de formation moyen est relativement faible, avec près de deux tiers dupersonnel possédant un niveau CEP (Certificat d'Etudes Primaires). L'ancienneté moyennes'élève à 23 ans. Autre particularisme fort, l'usine bénéficie d'un taux de syndicalisation élevé,avec l'image traditionnelle d'une “usine dure”.

5-1 Objectifs poursuivisLes objectifs exprimés sont à la fois de nature économique et sociale. Le système vise à :- développer une plus grande flexibilité de fonctionnement en réponse aux exigences d'une

production aléatoire,- assurer une véritable gestion des carrières par une meilleure prise en compte des aspira-

tions individuelles, et l'accroissement des possibilités d'évolution professionnelle dessalariés,

- sortir du système des postes de travail en vue d'une meilleure reconnaissance des contri-butions individuelles. Le système de classification en vigueur jusqu'à fin 1993 est unsystème de type Parodi désormais inadapté aux évolutions de l'entreprise. En particulier,la polyvalence n'est pas reconnue par le système, ce qui fait l'objet de revendicationssyndicales. Deux problèmes sont identifiés à cet égard : d'une part, la rémunération de lapolyvalence est soumise aux aléas de la production, elle ne relève pas d'un cadre contrac-tuel : le salarié est donc tributaire des exigences de production ; mais encore, la polyva-lence est vide de contenu, dénuée de sens : traitée au travers de primes de surclassementjugées insuffisantes de l'avis de la direction, elle ne correspond pas un métier et de ce fait,est essentiellement dévalorisante pour les salariés.

5-2 La méthodologie développée

5-2.1 Une démarche collective entre direction, syndicats et salariés

Ce qui constitue l'originalité et à la fois une des forces de l'accord “3i” tient au fait qu'il estle fruit d'un travail collectif impliquant les acteurs de l'entreprise. D'une façon globale, l'usinebénéficie d'une grande autonomie laissée par la direction générale aux régions en matière dequestions sociales. A l'origine de la démarche, deux hommes : le directeur général et le chef dupersonnel, qui impulsent une dynamique de concertation en créant différentes instances deréflexion :

- un groupe de pilotage se structure autour du directeur général, du chef du personnel et d'unconsultant,

- un groupe de réflexion réunit le groupe de pilotage et l'équipe de direction,- un comité permanent est constitué autour du groupe de pilotage, renforcé du chef d'atelier,

de trois délégués syndicaux (CGT, CFTC et CGC), et de trois salariés choisis par lessyndicats,

- six commissions de travail rassemblent un tiers de salariés volontaires qui ont participé à93 réunions, soit un total de 2.200 heures d'échanges.

La position de chacune des parties impliquées dans l'élaboration du nouveau système paraîttout à fait déterminante :

IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 16

- la direction, d'une part, est l'instigatrice convaincue de la nécessité de “faire autrement”,sans idée préétablie du produit à construire ;

- cette même direction souligne d'autre part l'implication de partenaires syndicaux ambi-tieux et exigeants qui souhaitent au travers de ce projet, se démarquer d'un accord debranche jugé insatisfaisant, notamment par la CGT;

- par ailleurs, le choix d'associer à la démarche un échantillon de salariés sur une base devolontariat apparaît comme judicieux et porteur : outre que la dimension participativepermet de restituer au plus juste la réalité des activités de l'entreprise, elle crée des relaisde communication actifs sur le terrain ;

- enfin, l'intervention d'un consultant constitue à la fois un apport méthodologique et unpoint de vue externe.

Ainsi, l'accord “3i” n'est pas un produit fini négocié par la direction auprès du personnel. Ladémarche participative dépasse le cadre d'un inventaire de leurs contenus d'activités par les sala-riés. L'élaboration du système s'étend sur une période de deux ans et demi d’échanges, d'alter-nances de propositions et de validations successives. Le jeu traditionnel de la négociation estredéfini de telle sorte que la signature de l'accord correspond à un processus d'entérinement d'untravail commun. La nature de la démarche adoptée est vraisemblablement un élément clé de sonaboutissement. Elle est renforcée dans sa cohérence par une large communication sur le systèmedès signature de l'accord, avec notamment des présentations effectuées auprès du personnel, àla fois par la direction et les syndicats.

5-2.2 Les principes

5-2.2.1 Toutes les compétences utilisées sont rémunérées

La reconnaissance des compétences est soumise à un critère d'utilisation qui n'a rien à voiravec une notion de compétences prescrites. La seule condition de mise en oeuvre descompétences est requise pour leur validation, sans référence à des profils préétablis. Selon lestermes de la direction, chaque salarié est créateur de son emploi. Ainsi, l'évolution de la rému-nération est liée à l'élargissement du champ de compétences utilisées. A l'inverse, le systèmeprévoit une réversibilité de la rémunération en cas de non utilisation prolongée descompétences.

Le caractère exhaustif de la reconnaissance des compétences est un autre élément importantdu système : ne sont pas reconnues les seules compétences de niveau supérieur, ou lescompétences considérées comme appartenant au noyau dur de l’emploi exercé, mais l'ensembledes compétences utilisées. Pour exemple, un contremaître utilisant un véhicule dans le cadre deson travail se voit reconnaître la possession d'un permis de conduire au même titre qu'uncoursier. Autre exemple : sont également rémunérées les compétences en matière de secour-isme.

5-2.2.2 Une recherche d'objectivité

L'acception retenue de la notion de compétence relève d'une volonté d'objectiver l'évaluationdes salariés. Nous avons vu par ailleurs que la définition donnée aux compétences est problé-matique dans la mesure où elle recouvre une pluralité de sens. Un module de compétences estdéfini comme une somme de savoirs et de savoir-faire concrets. RCO préconise ainsi selon sonexpression un système behavioriste. Ce qui compte, c'est ce qui est visible, constatable, etmesurable. Le système “3i” est étranger aux approches cognitives, mais se démarque égalementd'une prise en compte des performances : les modules de compétences ne proposent pas d'indi-cateurs de réussite, ils recensent des savoir-faire pratiques qui peuvent s'apparenter à des activ-ités.

Exemples de modules de compétences :

Module “Management” (force 2) :

IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 17

- Participer, en donnant son avis, à l'évaluation annuelle des membres de l'équipage et àl'orientation des formations nécessaires et/ou obligatoires pour les membres de l'équipage.

- Organiser le travail de sa machine : répartir les tâches.- Rendre compte au responsable de faction des problèmes liés à la qualité, au respect de la

sécurité, au respect du règlement intérieur, à l'organisation.

Les savoir-être sont délibérément écartés du système en raison de leur caractère subjectif. Ladirection considère qu'ils sont pris en compte indirectement au travers de la gestion descarrières.

Par ailleurs, le maintien de primes d'objectifs annuelles associées plus à une fonction qu'àl'obtention de résultats est envisagé comme un moyen éventuel de reconnaissance des savoir-être pour les agents de maîtrise. La question est soulevée par la direction, elle devra être traitée.

La non prise en compte des savoir-être par le système justifie par ailleurs un traitement spéci-fique de la population des cadres ; l'importance des compétences comportementales dans lesfonctions d'encadrement est un argument en faveur d'une gestion centralisée de cette catégoriede personnel au niveau du siège du groupe.

5-2.2.3 Une progression individualisée par la formation

L'évolution des compétences individuelles n'est pas soumise aux contours d'une fonction, ouà une progression naturelle dans une filière. Elle s'effectue dans le cadre global des besoins del'entreprise qui sont définis par le plan stratégique. Chaque salarié acquiert de nouvellescompétences en fonction de son projet professionnel.

5-2.3 Architecture du système

Le système repose sur une logique de métiers. Quinze axes de métiers sont déterminés.Treize d'entre eux décrivent l'ensemble des grandes activités du site (“Transformation ducarton”, “Maintenance”, etc). Ils sont qualifiés d'”axes de métier” ou d'”axes secondaires” selonqu'ils désignent l'activité principale d'un salarié ou une activité complémentaire. Deux autresaxes sont des axes plus transversaux qualifiés d'”axes secondaires” (“Connaissances RCO” et“Communication”) ; l'axe concernant la connaissance de l'entreprise est un axe requis pourl'ensemble du personnel.

Chaque axe de métier se décompose six paliers de complexité croissante, qui ne sont pas tousnécessairement informés.

Les activités de l'entreprise sont ventilées en 160 modules de compétences. Un modulecorrespond à un ensemble de savoirs et savoir-faire homogènes. Et donc, à chaque module decompétence sont associés un ou plusieurs modules de formation permettant l'acquisition deséléments intégrés dans la définition du module. Un module est en effet envisagé comme uneentité indivisible. La validation d'un module passe par l'acquisition de l'ensemble de seséléments.

Les modules sont hiérarchisés selon leur degré de difficulté sur une échelle de six niveauxappelés “force”, et affectés aux axes de métier. La force est le pendant du palier : tous lesmodules de force 1 sont regroupés dans le premier palier de l'axe de métier, etc. La pesée desmodules de compétences s'effectue sans référence à des emplois particuliers. Les compétencesont ainsi une “valeur absolue” dans le système, à partir de laquelle sont élaborées des règles degestion qui président à la détermination des salaires.

5-2.4 Détermination du salaire

Le salaire de base se décompose en trois éléments :- la valorisation des indices de seuil,- la valorisation des points de modules,- la valeur d'anticipation éventuellement attribuée.

IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 18

5-2.4.1 Valorisation de l'indice de seuil

Chaque salarié est positionné sur un axe de métier. Le ou les modules de la force la plusélevée qui sont détenus par un salarié sur son axe de métier, déterminent le palier de classementdu salarié : ainsi, un individu possédant des modules de forces 1, 2 et 3 sera positionné autroisième palier. A ce palier de classement correspond un indice de seuil. Un barème définiempiriquement associe à chaque valeur de seuil une valeur de francs.

L'indice de seuil valorise en quelque sorte une notion de complexité des compétences misesen oeuvre. Les points de modules rémunèrent plutôt l'amplitude du champ des compétences.

5-2.4.2 Détermination du nombre de points de modules

Chaque salarié détient des modules sur son axe de métier et sur des axes complémentaires.Une grille également empirique attribue des valeurs de points à chaque palier en fonction dunombre de modules détenus. Sur l'axe de métier, on retient la valeur de points associée auxmodules détenus dans le palier de l'agent. Sur les axes complémentaires, on retient pour chacundes axes concernés la valeur maximale de points obtenue dans une force. Cette valeur ne corre-spond pas nécessairement à la force la plus élevée.

Exemple : un salarié peut posséder sur l'axe 03 un module de force 2 évalué à 30 points etdeux modules de force 1 évalués à 32 points, on retiendra le nombre de points le plus favorableà la personne.

Le cumul des points obtenus à la fois sur l'axe de métier et sur les axes complémentaires dechaque salarié indique le nombre de points de modules (ou points de compétences).

Tableau 2 : outil de gestion des compétences R.C.O(Source : Document interne RCO)

1er palier 2ème pa-lier

3ème pa-lier

4ème pa-lier

5ème pa-lier

6ème pa-lier

Nom

bre de

modu-les

seuil

module

for-ce

1

seuil

mo-dule

for-ce

2

seuil

mo-dule

for-ce

3

seuil

mo-dule

for-ce

4

seuil

mo-dule

for-ce

5

seuil

mo-dule

for-ce

61 X

Ptsx

pointsX

ptsx

pointsX

ptsx

pointsX

ptsx

pointsX

ptsx

pointsX

ptsx

points2 x

pointsx

pointsx

pointsx

pointsx

pointsx

points3 x

pointsx

pointsx

pointsx

pointsx

pointsx

points4 x

pointsx

pointsx

pointsx

pointsx

pointsx

points5 x

pointsx

pointsx

pointsx

pointsx

points6 x

pointsx

pointsx

pointsx

pointsx

points7 x

pointsx

pointsx

points8 x

pointsx

points9 x

points

IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 19

5-2.4.3 Valeur d'anticipation

La valeur d'anticipation désigne selon les termes de l'accord “3i” “un montant forfaitaire brutdestiné à résoudre des cas particuliers”. Elle donne sa souplesse au système en répondant à unesérie de situations particulières :

- En cas d'embauche, le salaire d'embauche défini par l'accord de branche ou une valeurmarché peut être supérieur au salaire prévu par le système. La valeur d'anticipation prenden charge cette différence jusqu'à ce que les compétences validées corrigent naturellementde tels écarts ;

- En cas de mutation d'un secteur à un autre de l'entreprise, en vue d'une éventuelle promo-tion, la période d'acquisition de compétences nouvelles peut conduire à une baissemomentanée des points acquis par le salarié. La valeur d'anticipation permet d'éviter uneperte de salaire susceptible de décourager les initiatives en matière de mobilité ;

- En cas de non utilisation de compétences validées du fait de l'entreprise (fermetured'atelier, évolutions techniques...), la valeur d'anticipation permet un maintien du salairedurant une période transitoire de reconversion conduisant à une acquisition de nouveauxmodules. Le cas échéant, une baisse de salaire est envisageable et prévue par le système ;

- Enfin, la valeur d'anticipation est un élément nécessaire de transition entre l'ancien et lenouveau système. Le nouveau système a mis en évidence des écarts entre niveau de salaireet niveau de compétences. En cas d'écarts constatés en faveur des salariés, le salaire debase n'est pas remis en cause, mais la valeur d'anticipation intervient jusqu'à acquisitionde nouvelles compétences.

Ainsi, la valeur d'anticipation donne une respiration au système pour les phases transitoiresdans la carrière du salarié : embauche, mutation, ou évolution de compétences non encore struc-turées en modules utilisables.

Un quart du personnel se trouve en valeur d'anticipation pour ces motifs divers.

La valeur d'anticipation est un outil de gestion des situations de transition : sa valeur estdestinée à diminuer au rythme de la valorisation des modules de compétences, jusqu'à sadisparition ultime.

5-2.5 Evaluation des compétences

Chacun des axes de métier est placé sous la responsabilité d'un membre de l'encadrement quiest partie prenante dans l'attribution des modules de son axe pour l'ensemble des salariés del'entreprise. L'évaluation des compétences s'effectue annuellement dans le cadre d'un entretienentre le salarié et la hiérarchie directe qui, pour les axes complémentaires, a obligation deconsulter les responsables respectifs. Cette mesure présente l'intérêt d'introduire une certainecollégialité dans le processus d'évaluation.

L'entretien se structure autour d'une phase de bilan et une phase d'orientation. Le bilan metà jour le répertoire des compétences détenues par le salarié. Sont reconnus les modules mis enoeuvre au service de l'entreprise. Les modules pouvant comporter différents éléments, leur vali-dation reste soumise à l'utilisation de la totalité de ces éléments. Ainsi, l'accord spécifie qu'”unsalarié peut être amené, dans le cadre de sa progression de carrière, à exercer les éléments d'unmodule qui ne lui est pas globalement reconnu”. En cas de non exercice d'un module pendantdeux ans ne relevant pas d'un mauvais fonctionnement du système, il y a perte de ce module.

Les évolutions envisagées en matière d'acquisition de modules sont liées aux besoins del'entreprise, besoins exprimés dans le cadre d'un plan stratégique à cinq ans réactualisé annuelle-ment. La hiérarchie directe doit tenir compte de ces orientations pour développer une véritablegestion des carrières à moyen terme. Son rôle se voit ainsi renforcé mais également complexifié.Le système étant extrêmement ouvert, des stratégies de changement d'axe apparaissent qu'il estnécessaire de réguler : ce rôle d'arbitrage est du ressort du directeur.

IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 20

5-3 Résultats

5-3.1 Coûts

La masse salariale a augmenté de 1,5% à la signature de l'accord (12/1993), et de 1,2% unan plus tard.

Au moment de la signature de l'accord, l'ensemble des salariés avaient effectué un premierbilan de compétences avec leur hiérarchie. Soixante cas de recours ont été recensés.

Les revalorisations maximales ont atteint un montant de 2.500F. Les valeurs d'anticipationles plus élevées sont de 3.500F. Les augmentations moyennes sont de 250 à 280F.

9.500 points de modules ont été distribués, soit une moyenne de 49 points par personne,sachant que la valeur d'un module n'est jamais inférieure à trois points.

Par ailleurs, contre toute attente, on constate une rationalisation des coûts de formation plutôtqu'une augmentation :

5-3.2 Gains chiffrés

La prime d'intéressement trimestrielle (m2 produits/heures travaillées) a augmenté de 10%en 1994.

5-3.3 Autres évolutions identifiées- Il n'y a plus deux salaires identiques dans l'entreprise.- Les titres ont été supprimés : les salariés sont désormais des agents. La direction ne

constate pas de problèmes liés à une perte d'identité. La substitution des compétences aumétier traditionnel apparaît comme une évolution valorisante. A noter tout de même quele personnel conserve son coefficient dans l'accord de branche, ce qui lui permet deconstater que le coefficient “3i” est plus intéressant que la classification de la branche.

- Le système constitue un outil stratégique : c'est un bras de levier pour faire évoluer lesorganisations de l'entreprise et les modes de gestion ; par exemple, il permet de donner desorientations nouvelles à certaines fonctions (cf. cas des assistantes commerciales qui, bienque possédant de nombreuses compétences administratives, sont positionnées sur un axede métier “vente” ouvrant à une évolution de leur fonction). Le formalisme de l'outilfavorise l'objectivation des situations individuelles.

- La direction fait état d'un changement complet de l'ambiance de l'entreprise, avec unecommunication accrue mais déjà présente dans les pratiques antérieures (journal d'entre-prise hebdomadaire).

- Le rôle de la maîtrise est fortement renforcé, même si les nouveaux enjeux ne sont pastoujours compris. La direction note que les agents de maîtrise et les cadres sont les deuxpopulations les plus réticentes à l'égard du système, d'où l'importance d'une large commu-nication.

- La direction mentionne une évolution vers une gestion disjointe des machines et descompétences. L'optimisation des machines et l'évolution des compétences sont devenuesdeux éléments déconnectés. Les postes de travail deviennent des découpagesgéographiques (postes physiques) sans lien avec la répartition effective des hommes.

1990 1991 1992 1993 1994 Plan 1995

3,63%†

†. % de la masse salariale

6,11 5,16 3,82 3,83 4,49

IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne ) - GREGOR - 1996.04 - 21

5-4 Limites identifiées- Risque d'évolution d'une gestion des carrières vers une gestion des salaires : Le système

est un système ouvert, extrêmement flexible, qui devient par là même un puissant outil degestion des carrières. Conjointement, ce qui constitue sa force est un élément de safragilité en ce sens que l'absence d'une gestion stratégique ou prévisionnelle des carrièrespeut à la fois conduire à des dérives en coûts, mais encore faire évoluer le système versune stricte gestion des salaires.

- Perte de référentiel pour les gestionnaires : La direction reconnaît avoir perdu toutcontrôle sur l'état des qualifications dans l'entreprise. Si le système permet en effet unevisibilité d'ensemble des compétences détenues et mises en oeuvre, seule la hiérarchiedirecte possède une vision claire de la situation de son secteur. Le système oblige à unedélégation importante qui n'est pas en soi une limite quand elle est bien gérée (hiérarchie“forte”), mais représente un certain inconfort du point de vue de la direction et des cadresqui perdent une partie de leurs prérogatives, et sont confrontés à une situation de rupturepar rapport aux pratiques de management traditionnelles.

- Un système qui nie l'histoire pour ne plus considérer que le présent : Le système procureun état des compétences mises en oeuvre au sein de l'entreprise. A l'inverse, il ne tientaucun compte de la notion de “parcours professionnels”. Les compétences antérieurementvalidées et devenues obsolètes compte tenu d'évolutions professionnelles particulières, nesont consignées nulle part, sinon dans les dossiers de la hiérarchie directe. La directionreconnaît la faiblesse d'un système qui tend à oublier l'histoire.

1996.04

Les papiers de recherche du GREGOR sont accessiblessur INTERNET à l’adresse suivante :http://www.univ-paris1.fr/GREGOR/

Secrétariat du GREGOR : Claudine DUCOURTIEUX ([email protected])

Rémunération des compétences : proposition de typologie

Valérie Marbach

Docteur ès Sciences de Gestion de l'IAE de Paris