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XVI e Séminaire d’histoire de l’art vénitien Le tableau d’autel à Venise entre Moyen Age et

Renaissance

Venise, Vérone, 4-12 juillet 2012

Lorenzo Veneziano : Polyptyque Lion Titre : Polyptyque Lion Sujet : Annonciation avec saints Auteur : Lorenzo Veneziano Technique : Détrempe sur bois, fond d’or Dimensions : 258 x 432 cm; panneaux du registre inférieur : 126x75 cm (centre), 121x60 cm (côtés), registre supérieur: 82x83 cm (centre), 67x60 cm (cotés) Datation : 1357-1359 Lieu de conservation : Venise, Galeries de l’Accademia, N° d’inv. 5 Historique: Venise, Eglise de Saint Antoine Abate à Castello, retable principal ; Eglise de Saint Antoine Abate à Castello, sacristie, avant 1664 ; Venise, Arsenal, dépôt, avant1807 ; Venise, Galeries de l’Accademia, depuis 1812, exposé depuis 1829 Restaurations : 1829 ; 1948, sous la direction de Mauro Pellicioli; 1997

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L’œuvre dans son contexte

Le commanditaire

Le polyptique porte le nom de son commanditaire. Domenico Lion, membre adjoint et provisoire du Sénat de Venise, 1356-57, fut le fils de Nicolo, procureur de San Marco, et mécène très actif, qui parmi d’autres projets, participait à la construction de l’église Saint Antoine d’Abate à laquelle le retable était destiné. Lorenzo fut donc appelé à travailler pour une puissante et prestigieuse famille vénitienne afin de réaliser une œuvre importante, destinée à l’autel principal d’une église avec laquelle le commanditaire entretenait un rapport privilégié.

Contexte de production

La commande du polyptique se situe dans une période d’effervescence et d’activité provoquée par la remise en chantier du Palais des Doges, à la fin des années 1340 sous le dogat des Dandolo, drainant des talents artistiques divers. La cité des doges fut à ce moment là un des plus importants carrefours culturels européens, toutes les tendances et les produits d’Orient et de l’Occident s’y trouvèrent, constituant un terrain fertile pour développer de nouvelles orientations stylistiques, techniques et des typologies originales. Avec la circulation des idées on vit apparaitre les premières manifestations du gothique, principalement en architecture, sculpture et orfèvrerie. Au moment de l’exécution du tableau d’autel, Lorenzo fût surement exposé aux tendances les plus avancées de la culture figurative européenne.

Biographie de l’artiste Nous connaissons peu de choses sur la vie de Lorenzo Veneziano. Il appartenait à une famille de peintres vénitiens. Son père Nicolo avait un atelier à Cannaregio et se décrivit comme « pictor sanctum », exprimant ainsi l’orgueil de son métier, distinct de celui des simples décorateurs. Il y a très peu de certitudes concernant sa formation. Il collaborait probablement avec son père et son frère, comme cela se pratiquait couramment dans les ateliers d’époque, ayant une organisation de type familial. Il reçût vraisemblablement une formation dans l’atelier de Paolo Veneziano. Il semble qu’il ait eu des contacts avec des artistes de la Terraferma, tel que le peintre padouan Guariento di Arpo. Peut-être Lorenzo se rendit-il à Padoue après un premier apprentissage à Venise, et s’y trouva alors très tôt en contact avec le langage giottesque ainsi qu’avec le milieu laïc et sophistiqué des Carraresi. C’est surtout à travers des inscriptions sur ses œuvres que les chercheurs ont tenté de retracer son parcours. Des études plus récentes ont permis de situer sa phase d’activité entre 1353 et 1379, en élargissement la fourchette de 1356-72 qui avait cours jusqu’alors. Lorenzo fut un artiste très complet, ayant pratiqué au delà de la peinture sur bois, l’enluminure et le dessin, capable de passer indifféremment d’une technique à l’autre, avec un niveau de qualité toujours exceptionnellement élevé.

Description du Polyptique Lion Il s’agit d’un polyptique, un ensemble de dix panneaux de bois peints à la détrempe, rassemblés dans une composition horizontale. Les volets ne se replient pas sur la partie centrale. A la différence des grands retables qui le précèdent, tel celui de Paolo Veneziano, destiné à Santa Chiara, le cadre en bois sculpté et doré du Polyptique Lion se distingue par sa taille monumentale,

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258x432 cm, et sa forme très architecturée, rappelant l’élévation de nef des cathédrales gothiques de France, par exemple celle de la cathédrale de Noyons. En revanche, contrairement au polyptyque de Paolo, il ne se complique pas d’une architecture de gables et de pinacles. On y trouve également certains éléments faisant référence à l’héritage classique tel que les colonnes torsadées et les lunettes en demi-rosaces à décor rayonnant surmontant les arcatures géminées du registre inférieur. D’après une inscription le cadre est l’œuvre du sculpteur Zanino. Le décor peint s’organise sur deux registres principaux. Le registre inférieur est dominé au centre par une scène d’annonciation, flanquée de chaque côté de quatre représentations de saints en pieds, groupés deux à deux dans des arcatures gothiques et séparés par un pilier torsadé. Des inscriptions et des attributs permettent leur identification. De gauche à droite sont représentés : saint Antoine l’Ermite, saint Jean Baptiste, saint Paul et saint Pierre, saint Jean, Marie Madeleine, saint Dominique et saint François. Au registre supérieur, sur le panneau central, figure une représentation de Dieu le Père par l’artiste Benedetto Diana, datée du début du XIXe siècle. Le tableau du XIVe siècle ayant disparu, nous ne connaissons pas le sujet d’origine. Sur les côtés se trouvent huit panneaux de prophètes en buste, disposés en paire dans des baies géminées gothiques. A défaut d’inscriptions et d’attributs spécifiques, nous ne pouvons les identifier. Dans les pilastres sont logées trente-six petites représentations de saints en pied, groupés par trois, identifiés par une inscription. Le décor est complété au niveau de la prédelle par cinq médaillons quadrilobés aux effigies de saints ermites, vus en buste. Les inscriptions les identifient comme saint Saba, saint Macarius, saint Paul, saint Hilarion et saint Théodore.

Étude iconographique et stylistique

L’Annonciation, dont l'Évangile de Luc fournit l’essentiel des informations (Luc 1-2), est centrale pour la foi et la spiritualité catholique. Elle représente l’aboutissement de l’attente messianique vétérotestamentaire et constitue pour beaucoup de fidèles l’événement fondateur. C’est la révélation de l'Incarnation.

Une iconographie inédite

L’Annonciation en tant que thème principal d’un tableau d’autel est une iconographie inédite à Venise. En effet, la place réservée à cette scène, dans les retables vénitiens, était aux extrémités ou à côté du panneau central du registre supérieur, le plus souvent intégrée dans des cycles narratifs plus vastes, tel que le montre l’exemple du Couronnement de Guariento di Arpo de 1344. Les traditionnels thèmes byzantins étaient la Vierge à l’Enfant, debout ou trônant, portant l’enfant dans ses bras ainsi que le thème de la Dormition. En revanche, le Couronnement et l’Annonciation furent des thèmes très largement représentés dans l’art septentrional. Peut-être ce choix iconographique correspondait-il à un souhait du commanditaire, en rapport avec l’intitulation du retable principal de l’Eglise Saint Antoine d’Abate ou par rapport à l’importance que revêtit à Venise la fête de l’Annonciation. Dans le panneau central l’iconographie traditionnelle de l’Annonciation est également bousculée : la Vierge est nettement mise en avant et occupe les trois quarts de l’espace, reléguant en quelque sorte l’ange annonciateur, dont la petite taille semble inédite, sur la gauche. Il semble que l’iconographie de la Vierge en tant que reine du ciel, richement vêtue, couronnée et trônant, soit également nouvelle dans une scène d’annonciation. Ce thème, propagé par Bernard de

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Clairvaux dès le XIIe siècle, était jusqu’alors réservé avant tout aux scènes du couronnement mais pouvait également figurer dans celles des Vierges à l’Enfant. Gabriel représenté de profil et en génuflexion effectue le geste d’annonciation de la main droite, une iconographie conventionnelle. L’archange se trouve à droite de la Vierge, ce qui représente selon Erwin Panofsky, le « bon » côté dans le contexte d’un symbolisme médiéval bien établi, désignant ainsi la pureté de sa mission. La position verticale des ses ailes est inhabituelle, mais peut s’expliquer par la contrainte spatiale résultant de la prééminence que l’artiste à souhaité conférer à la Vierge. Une solution similaire a été adoptée par Matteo di Giovannetto da Viterbo (Annonciation, musée du Louvre, RF 1996-3) Dans l’extrémité supérieure du compartiment est représenté le buste de Dieu le Père en vieillard barbu, comme suspendu dans le ciel. Contrairement aux figurations relativement discrètes jusqu’alors, l’artiste lui a conféré du volume et du ressort. D’un geste des mains il envoie la colombe, symbole du Saint Esprit et de l’Incarnation. Bien que la colombe ne soit pas mentionnée dans un contexte annonciateur, ni dans les Evangiles, ni dans les apocryphes, elle est devenue habituelle dans l’iconographie de l’Annonciation au XIVe siècle. Sa présence permet de condenser le moment de l’annonce angélique avec celui de la conception du Christ. On note l’absence du « souffle divin » faisceau de lumière, quasi systématique chez les Florentins, mais rare chez les Siennois, et également absent chez Guariento di Arpi. L’ensemble du panneau central se caractérise par une richesse et par une élégance extraordinaire, chargé de mystique surnaturelle, qui se trouve également exprimée par l’abolition de l’espace réel à travers le fond doré, héritage de la culture byzantine. Le commanditaire, Domenico Lion, figure en position d’adoration aux pieds de la Vierge, ce qui témoigne de la tendance nouvelle des donateurs à se faire représenter à l’intérieur d’une scène sacrée. Par respect pour l’ordre hiérarchique il est figuré de petite taille, particulièrement minuscule en comparaison à d’autres exemples contemporains. Le peintre décrit avec soin les traits du commanditaire, manifestant une remarquable et inédite veine de portraitiste. Les figures des saints enrichissent par leur message symbolique le thème iconographique principal. De gauche à droite sont représentés : Saint Antoine Abbé (Antoine l’Ermite) qui fut le saint patronyme de l’église à laquelle le polyptique était destiné. Il est reconnaissable à son bâton se terminant par une croix en tau, cette dernière étant ici plus élaborée que d’habitude. Considéré comme le fondateur de l'érémitisme chrétien, exhortant à la pauvreté et à la pénitence, connu pour avoir à la manière du Christ résisté aux tentations du diable, son personnage eut un franc succès au trecento. Saint Jean Baptiste est considéré par les Evangélistes comme le dernier des prophètes et précurseur du Christ. Il fut également l’initiateur de la vie érémitique, menant une vie ascétique et prêchant le repentir. Dans beaucoup de représentations il apparait légèrement dénudé sous sa peau de mouton ou des haillons. Lorenzo traduit l’aspect de sa pauvreté par l’absence de chaussures et par des vêtements plus courts que ceux des autres saints. Il a souvent le rôle du personnage qui indique aux spectateurs la scène principale; il pointe de son index la Vierge, y renvoie les regards. Aussi son aspect hirsute répond à la nécessité de le détacher de la série des figurants. Saint Paul, porte l’épée, l’insigne de son martyr, et le livre des écritures symbolisant son rôle d’apôtre auprès des « gentils ». Saint Pierre, en position privilégiée, sur la droite de la Vierge et de la scène sacrée, tient les clés du royaume des cieux. Comme Jésus est la Porte qui y mène (Jean 10 ; 7), ainsi Pierre, son délégué sur terre, détient les « clés », symbole de l’autorité en tant que premier évêque de l’église chrétienne. Saint Jean l’Evangéliste, dont la représentation dans un cortège de saints est habituelle, tient dans ses mains son Evangile. Il fait paire avec Marie Madeleine. Jusqu’alors cette dernière a été rarement représentée de manière individualisée. Dans la tradition chrétienne elle est l’image exemplaire de la

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pécheresse repentie, symbole de la rédemption offerte à tout pêcheur trouvant le bon chemin. Elle porte un vase, de type ciboire, orfévré, allusion au repas chez Simon et à l’onction des pieds du Christ. Dans la dernière arcature sont représentés saint Dominique et saint François, pères fondateurs des deux grands ordres mendiants du XIIIe siècle, dominicain et franciscain, qui s’inscrivirent sous la protection de la Vierge. Les premiers lancèrent la dévotion du Rosaire. Les deuxièmes se firent avocats de l’Immaculée conception, qui stipule que la mère du Christ était exempte du pêché originel dès sa conception. Dans le registre supérieur les prophètes non identifiés servent à rappeler que plusieurs textes de l’Ancien Testament ont été interprétés comme l’annonce de la venue du Sauveur. Par exemple la prédiction messianique d’Isaïe (Isaïe, 7, 14) « Ecce virgo concipient et pariet filium » (« La vierge sera enceinte, elle mettra au monde un fils ») a été considérée comme allusion à l’Annonciation et à la conception virginale. Comme l’explique Louis Réau, la fragilité de cette référence n’a pas empêché les théologiens du Moyen Age d’interpréter les textes vétérotestamentaires dans le but d’étayer la foi dans la maternité virginale. Dès le XIIIe siècle le cycle des préfigures comprend sept sujets tirés des livres de Moïse, des Juges, des prophètes Ézéchiel et Daniel, tous interprétés dans ce sens. Les saints ermites sont représentés dans les médaillons de la prédelle. Les pères du désert connaissent un vif succès dans la première moitié du XIVe siècle. Leurs capacités de pénitence et d’ascèse sont exemplaires dans la recherche du salut. Souvent cités par les prédicateurs de l’époque, ils sont de plus en plus représentés dans l’art. Le programme iconographique apparait d’une forte cohérence : Autour du moment fondateur de la religion chrétienne, l’Incarnation, sont rassemblés les prophètes, annonçant le Messie, et les saints de première importance dans la vie du Christ et dans l’établissement de l’Ecclésia. La présence des fondateurs des deux ordres mariaux les plus importants souligne la place primordiale accordée à la Vierge. Marie Madeleine, Jean Baptiste et les saints ermites rappellent la nécessité du repentir pour ouvrir la voie vers la rédemption. Reste à élucider la question du panneau central du registre supérieur, aujourd’hui disparu. Nous ne connaissons pas le sujet, mais il parait effectivement peu probable, tel que l’a exposé Cristina Guarnieri, que ce fut Dieu le Père, qui d’ailleurs, figure déjà dans le compartiment central. En revanche, le thème de la crucifixion, qui figure souvent dans les parties hautes du tableau d’autel de l’époque, compléterait parfaitement le programme iconographique et établirait une cohérence autour de la thématique du Salut chrétien : l’Incarnation, la Foi et le Repentir, la Rédemption.

Des nouveautés stylistiques et techniques

On perçoit dans le Polyptique Lion un nombre d’éléments novateurs qui rompent avec les traditions figuratives rigides d’origine byzantine même si le fond doré se situe encore dans la tradition byzantine et si les saints du registre inferieur reflètent encore l’héritage du langage pictural de Paolo, notamment dans leurs proportions allongées et dans les têtes de petites tailles (retable de la Vierge à l’Enfant du musée du Louvre, 1354 ; panneaux représentant des saints de la pinacothèque de San Severino Marche, 1358). Le jeu précieux des vêtements chatoyants, la virtuosité raffinée des drapés au développement rythmé et complexe de plis profondément creusés, la structure du modelé plastique des corps sinueux révèlent un langage gothique, inédit dans la peinture vénitienne. Il atteint sa meilleure expression chez saint Paul et saint Jean, comparables uniquement à la statuaire gothique produite en Italie centrale, en France et en Bohème à cette époque et dont nous trouvons également l’expression dans la peinture de Guariento di Arpo. Marie Madeleine, la tête légèrement inclinée, affecte un déhanchement typique du

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gothique septentrional et nous rappelle l’art courtois français. La coiffure de l’ange n’est pas sans rappeler celle d’Adam, sculpture en provenance du bras sud de Notre-Dame de Paris, d’environs 1260, conservée au musée Cluny, Paris. Un autre aspect novateur provient des carnations douces et claires, en rupture totale avec le clair-obscur de tradition byzantine et qui sont typiques du peintre Tommaso de Modène. Le ton clair, mais dense et moelleux, restitue de manière exceptionnelle la peau douce et lisse de la Vierge. Lorenzo maitrise les nuances : le teint des apôtres et des prophètes est rendu avec un aspect plus rugueux et marqué par le temps. L’artiste démontre ainsi sa grande réceptivité aux références extra-vénitiennes, notamment à la sensibilité naturaliste d’artistes tels que Guariento di Arpo, Tommaso da Modena et encore Vitale da Bologna, Lorenzo innove également au niveau de l’expressivité de ses protagonistes en faisant un effort d’individualisation, d’animation et de profondeur psychologique. L’artiste expérimente des positions diverses, de profil jusqu’à la vue de trois quarts. On note par exemple la position de saint Pierre, vu de trois quart, sa tête indiquant un mouvement en direction opposée, lui conférant un dynamisme nouveau. Marie Madeleine, la tête légèrement inclinée affecte une expression rêveuse. Les prophètes, représentés dans des attitudes différentes, semblent être en plein dialogue. Le jeu subtil des poses et des attitudes des divers personnages atteint ici une qualité de vie jamais vue à Venise. La palette de couleur s’éloigne aussi des codes de la tradition byzantine alors en vogue à Venise, et s’enrichit de toute une gamme chromatique raffinée, nuancée et chatoyante : bleus, rouges et verts pâles, gris perle, rose, orange. L’artiste met en valeur la richesse des tissus et capte merveilleusement les reflets de la lumière grâce à des effets de brillance métallique. C’est dans le travail de l’or que l’on saisit l’extraordinaire maitrise technique de l’artiste. Lorenzo étonne par des subtilités techniques totalement novatrices qui ne trouveront d’équivalents qu’à l’époque du gothique tardif avec Gentile da Fabriano : la silhouette du trône de la Vierge est suggérée uniquement par incision sur le fond d’or; son auréole est ornée de rinceaux végétaux laissés en creux sur fond d’or incisé au pointillé; sa couronne est d’une facture extrêmement raffinée, de même que les ornements dorés de son vêtement; les ailes de Gabriel sont peintes en glacis directement sur la feuille métallique et finies avec de l’or à la mixtion. Le travail de la matière picturale en fines hachures et glacis successives permet d’éliminer la trace de brosse pour obtenir un dégradé subtil proche de la technique de Tommaso. La modernité du langage de Lorenzo s’apprécie pleinement au travers de la confrontation avec une œuvre contemporaine, les panneaux de la Pinacoteca Civica di San Severino Marche, représentant des saints et qui faisaient corps avec le Couronnement de la collection Frick, daté de 1358 et attribué à Paolo Veneziano et son fils Giovanni. La distance mentale entre ces deux œuvres contemporaines est manifeste. Lorenzo Veneziano représente ses figures avec une telle présence physique et une telle vérité humaine, les rendant peu comparables avec les figures fluettes et langoureuses de l’ensemble de Marche. Ainsi il semble que dans le polyptique Lion Lorenzo se soit largement affranchi de l’héritage byzantin. Il ne reste que le fond d’or en substrat.

Datation de l’œuvre

Sur la prédelle se trouvent un certain nombre d’inscriptions. Les repeints lourds de 1829, bien qu’enlevés au cours de la restauration en 1946, en ont rendu la lecture difficile. Avant la restauration, un déchiffrage minutieux des inscriptions effectuée par Cicogna en 1824-25, faisait ressortir la date de

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1357 comme point de départ du travail, ainsi que le nom de Lorenzo, Laurencium pictorem, celui du sculpteur Zanino ainsi que du fondateur de l’église, Giotto degli Abati et du commanditaire, Domenico Lion. La date de 1357 a été vivement contestée par l’étude de Testi (1909), suggérant une datation plus tardive en invoquant la grande maturité du langage artistique du Polyptique Lion, différent du style plus âpre de la phase de jeunesse du peintre. L’intégration des nouveautés en provenance de la Terraferma et tout particulièrement l’influence de Guariento, qui sera présent à Venise entre 1365 et 1368 pour effectuer le décor de la salle du Grand Conseil, l’amenèrent à considérer une erreur de lecture de la part de Cicogna et de proposer une datation de 1367. Son point de vue influencera les chercheurs durant des décennies. En revanche, les travaux de Marconi (1955) et Cuppini (1958) reconfirmèrent une datation de 1357-1359, notamment grâce à la révélation d’une seconde inscription à la base du trône de la Vierge indiquant l’année 1359. Ainsi une datation de 1357-1359 semble aujourd’hui généralement acceptée.

Place de l’œuvre dans la carrière de l’artiste

Exception faite d’un petit tableau, daté de 1356, ayant appartenu au collectionneur véronais Scipione Maffei, aujourd’hui perdu et dont le sujet demeure inconnu, le Polyptyque Lion serait donc la première œuvre datée et signée de Lorenzo Veneziano, qui nous soit parvenue. L’extraordinaire nouveauté du langage et la grande maitrise technique laissent penser que Lorenzo était, au moment de la création du Polyptique Lion, déjà un artiste mature, dégagé de l’influence paolesque. En outre, obtenir une commande de la part d’un mécène prestigieux, d’une valeur de 300 ducats d’or (pour la seule réalisation des peintures), laisse supposer qu’à cette époque Lorenzo Veneziano avait déjà fait ses preuves dans le monde artistique. Nous n’avons que peu de certitudes sur son œuvre de jeunesse et son parcours avant l’exécution du Polyptique Lion car cette première période est très peu documentée. On suppose qu’avant cette réalisation, Lorenzo travailla dans l’entourage de Paolo Veneziano. Les recherches d’Andrea de Marchi ont mené à l’identification d’un petit groupe d’œuvres qui lui sont attribuées: Naissance, Prédication et Funérailles de Jean Baptiste, part d’une prédelle de polyptyque du même genre que le polyptique Santa Chiara de Paolo Veneziano. Le langage âpre de la définition des architectures et des figures pleines de vie trahit un peintre formé à Venise, comme le révèle une gamme chromatique intense et éclatante. Toutefois, les visages, la géométrie de corps, les plis relevés et brisés, le goût pour la description minutieuse renvoient au langage du peintre padouan Guariento. A ce groupe on peut-on joindre l’Adoration des Mages du musée Kereszteni. D’autres œuvres de cette époque présentent un mélange d’éléments vénitiens et d’emprunts à Guariento, surtout pour la volumétrie des figures, des vêtements, des plis profonds, telle que la Vierge de l’humilité et crucifixion du Courtauld.Institute. Le Jean Baptiste du musée Correr, la Vierge à l’Enfant de Boston pourraient, selon Christina Guariento, constituer le trait d’union entre la manière âpre et anguleuse, bien qu’adoucie, des œuvres citées et le style splendidement aboutit du polyptique Lion. Il semble également que Lorenzo ait passé quelques années à Vérone où il aurait produit vers 1358 une fresque pour l’Eglise San Anastasia et un Croix stationnée pour San Zeno, œuvres contemporaines du Polyptique Lion et également novatrices dans certains aspects. Ainsi la période 1357-59 et tout particulièrement le Polyptique Lion, marque un tournant dans la carrière de Lorenzo. Œuvre de sa première maturité, ce tableau d’autel inaugure un nouveau langage, poursuivi dans le Mariage mystique de Sainte Catherine, en 1359, tableau qui confirmera cette rupture

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avec l’art byzantin et annonce les chefs d’œuvres à venir tels que le Polyptique Proti, 1366, ceux plus tardifs de l’Annonciation et de la Résurrection.

Fortune critique

Comme ce fut le cas pour beaucoup de primitifs italiens, Lorenzo et le polyptique Lion tombèrent dans l’oubli. Suite aux changements de goût et de mode, le polyptique fut relégué de l’autel principal à la sacristie de l’Eglise avant 1664. Les écrits consacrés à l’église Saint Antoine d’Abate pendant les XVIIe et XVIIIe siècles n’y font pas référence. L’œuvre, désormais déposée dans la sacristie de l’église, est décrite par Anton Maria Zanetti, qui nous informe de la valeur de la commande, 300 ducats d’or pour la réalisation des peintures, selon un inventaire de l’église datant de 1368. Au siècle suivant se manifeste un intérêt croissant pour Lorenzo Veneziano, intérêt qui s’inscrit plus généralement dans le contexte de la redécouverte des origines de la peinture vénitienne. (Lanzi, Zanotto, Venturi, Testi). L’étude du retable Lion par Testi en 1909 discutant le déchiffrage des inscriptions fait par Cicogna, a généré une grande partie de la critique du XXe siècle (Longhi, 1946, revu par les recherches de Sandra Marconi, 1955, et Luciano Cuppini en 1958). A la lumière des recherches les plus récentes, nous pouvons considérer que le Polyptyque Lion fut l’œuvre qui conféra à l’artiste un rôle de première importance à Venise. Les solutions iconographiques et stylistiques inédites proposées par Lorenzo, à une date très précoce, permettent de voir en Lorenzo l’innovateur de la peinture vénitienne de la seconde moitié du siècle.

Curieusement son langage demeura méconnu par ses contemporains, qui se contentèrent d’imiter superficiellement les modèles tels qu’on le voit dans l’exemple du Couronnement, à la mise en page rigide, de Catarino Veneziano, daté de 1375. En revanche, Nicoletto Semitecolo propose un travail plus inspiré comme le montre la vivacité et l’expressivité de Scènes de la vie de saint Sébastien de 1367, où l’artiste utilise un langage aux forts accents réalistes. Stefano Plebanus représente à la manière de Lorenzo une Vierge en mère douce et anxieuse, l’enfant affectueux et attentif. La mise en page architecturale du cadre du polyptique annonce en tout cas les grandioses autels des Dalle Masegne. Mais le véritable héritier de Lorenzo fut quelques années plus tard son neveu Nicolo di Pietro et surtout, au siècle suivant Gentile Fabriano, qui poursuivra encore plus loin la sensibilité naturaliste et le raffinement des textures précieuses qui paraissent être des éléments clés du langage de Lorenzo Veneziano.

Beate von der Seipen, Ecole du Louvre, M II

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Bibliographie sélective Autour de Lorenzo Veneziano : fragments de polyptiques vénitiens du XIVe siècle Andrea de Marchi, Cristina Guarnieri, Michel Laclotte, ... [et al.]. - Cinisello Balsamo (Milano): Silvana, 2005. L’Art de Venise Sous la direction de Giandomenico.Romanelli, Paris 2007 Chapitre III : La Peinture du trecento à Venise Berenson, Bernard Italian Pictures of the Renaissance, Venetian School, Phaidon Press 1957, Vol. 1, p.98 Guarnieri, Cristina Lorenzo Veneziano. - Milan: Silvana ed., 2006 Longhi, Roberto Ricerche sulla pittura veneta, 1946-1969.- Florence, 1978 Il trecento adriatico : Paolo Veneziano e la pittura tra oriente et occidente Exposition, Rimini, Castel Sismondo ; a cura di Francesca Flores D'Arcais, Giovanni Gentili. - Milan : Silvana, 2002 Van Marle, Raimond The development of the Italian Schools of Painting, Hacker Art Books 1970 Vol. 4, p.39 Liens:

http://www.venicethefuture.com/schede/uk/213?aliusid=213#

http://www.philipresheph.com/a424/gallery/venice/venice.htm

http://web.tiscali.it/wwwart/accademia/dipinti/dipinti.htm

http://www.wga.hu/html_m/l/lorenzo/venezian/1lion.

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