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LES AMIS DE RAOUL SALAN LE BULLETIN 2 EME TRIMESTRE 2011 ASSOCIATION «LES AMIS DE RAOUL SALAN» 24, rue alain Chartier - 75015 Paris - www.salan.asso.fr - [email protected] 29 - Salan contre le Viêt-Minh : un livre de Jacques Valette - Le putsch d’Alger : les livres de Maurice Vaïsse et de Pierre Abramovici - Disparition : le lieutenant Daniel Godot - André Rossfelder - Général Paul Gardy : notes inédites sur le putsch d’Alger (suite et fin) #

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les amis de raoul salan

le bulletin

2eme trimestre 2011

association «les amis de raoul salan»24, rue alain chartier - 75015 Paris - www.salan.asso.fr - [email protected]

29

- Salan contre le Viêt-Minh : un livre de Jacques Valette

- Le putsch d’Alger : les livres de Maurice Vaïsse et de Pierre Abramovici

- Disparition : le lieutenant Daniel Godot

- André Rossfelder

- Général Paul Gardy : notes inédites sur le putsch d’Alger (suite et fin)

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3LES AMIS DE RAOUL SALAN Site Internet : www.salan.asso.fr Adresse électronique : [email protected]

Adresse postale : 6-8 avenue de Verdun 92320 Châtillon

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Salan contre le Vietminh Le professeur Valette, vice-président de notre association, vient de publier à la maison L’Esprit du Livre EDITIONS son cinquième ouvrage sur le général Salan. Grâce à lui, les épisodes les plus intenses de la vie publique du général Salan sont présentés et analysés pour l’Histoire : Le retour des Français en Indochine en 1945-46, les grandes batailles de l’année 1952 et du début de 1953 en Indochine, le 13 mai 1958, son commandement militaire en Algérie en 1957 et 1958 et les six mois de 1958 durant lesquels il a assumé la responsabilité civile suprême en Algérie. Jean-Paul Angelelli a lu « Salan contre le Vietminh – Pays Thaï et Laos 1952-1953 »

Jacques Valette, Salan contre le Vietminh, 160 pages 16 euros.

L’Esprit du Livre Editions Ayant utilisé les archives (inédites) du général Salan dans ses livres précédents sur l’Algérie, le professeur Valette, comme pour son ouvrage « 1945, le général Salan dans le piège indochinois », a eu recours pour cet ouvrage à celles sur l’Indochine. Et notamment sur la campagne du Laos en 1952-53. Moins connue que la guerre au Tonkin. A l’époque, changeant de stratégie, Giap à leur tête, les divisions vietminh se reportèrent sur le Laos. Sa chute aurait déstabilisé, par l’effet « dominos » une partie de l’Asie du sud-est. Alors commandant en chef (après le départ et la mort de de Lattre), le général Salan sut y répondre en utilisant la tactique des « hérissons ». Des ensembles fortifiés attirant les offensives armées viets, pour les user grâce à l’aide efficace de l’aviation, les défenseurs décrochant au bon moment pour ne pas être piégés. Dans ses Mémoires, le général Giap a reconnu l’efficacité de cette stratégie. D’autant que les populations Thaïs et Meos étaient hostiles aux envahisseurs venus du Tonkin et que furent montés sur les arrières vietminh des maquis encadrés par des spécialistes « action » des services spéciaux. Les G.C.M.A. (Groupements Mixtes de Commandos Aéroportés). Créés par de Lattre en 1951. Les troupes viets, pas mal étrillées se retirèrent du Laos en 1953. Une défaite dont Giap sût d’ailleurs tirer les leçons. Jacques Valette a su évoquer, dans toute leur complexité, les combats de cette guerre mal connue. Mais ils sont difficiles à situer sur une carte trop sommaire. Le livre se conclut par trois chapitres originaux, écrits à partir des écoutes françaises décryptant les messages viets. Ils contredisent en partie la vulgate héroïque des combattants vietminh. S’ils surent appliquer dans leurs attaques la tactique « ben xi » (« bien courir à l’attaque »), d’où leurs assauts massifs et très meurtriers pour eux, ils eurent aussi des problèmes de ravitaillement (« riz et sel » !), d’encadrement, de découragement, de manque de matériel, d’isolement, du manque de soutien des populations locales malgré une féroce épuration. En face d’eux, l’armée française souffrit constamment d’un manque permanent d’effectifs. Faute d’envoyer en Indo le contingent. Cette campagne du Laos ne fut qu’un succès provisoire. Dont le mérite revient au général Salan avant son départ d’Indochine (mai 1953) et à ses troupes mixtes franco-vietnamiennes. Non seulement engagées dans un combat inégal et difficile. Mais aussi oubliées et déconsidérées dans leur propre métropole.

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Le coup d’Alger d’avril 1961 Photographies inédites

Général d’armée aérienne Maurice Challe

Général d’armée aérienne Edmond Jouhaud

Général d’armée Raoul Salan

Général d’armée André Zeller

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Publications Deux ouvrages consacrés au " putsch" d’avril 1961 sont parus au début de cette année. L’un de Maurice Vaïsse, intitulé "Comment De Gaulle fit échouer le putsch d’Alger" paru en février 2011 et l’autre de Pierre Abramovici, intitulé "le Putsch des généraux" et sous-titré "De Gaulle contre l’armée 1958-1981" paru en mars 2011. Jean-Paul Angelelli a lu le livre de Maurice Vaïsse ; Jacques Valette celui de Pierre Abramovici. Voici leurs analyses. Maurice Vaïsse : Comment de Gaulle fit échouer le putsch d’Alger

C’est la réédition, plus complète, d’un livre publié en 1983. Du même auteur, universitaire, professeur à Sciences Po, spécialiste des relations internationales et des problémes.de défense. Le livre est bien écrit et se lit facilement. Complété par des notes, une bibliographie, un index. Il étudie le « putsch » .Une appellation que Maurice Vaïsse conteste mais qu’il ne remplace pas. Nous dirions nous, comme le général Challe, « Notre révolte ». Cinq chapitres composent le livre. . Sur cet « événement signifiant », Maurice Vaïsse fait le récit des événements du 22 au 25 avril 61. Ensuite une analyse des « raisons de son échec » et de ses conséquences politiques. Conclusion : « Un tournant de la Vème République ». Dans un chapitre à part « Armée-Nation : la crise 1940-1961), Maurice Vaïsse remonte dans le temps et démontre combien l’armée fut amenée et même contrainte à se politiser. En contradiction avec le pouvoir civil et une opinion réticente. A noter que le souvenir de 1940 fut utilisé des deux côtés. Par les putschistes, refusant la défaite, contre de Gaulle et aussi par de Gaulle. Que ce souvenir brûlait.

Se souvenir de Debré jugeant le dernier référendum (27avril 1969), perdu « Nous avons été battus par Vichy » ! Il n’est pas question d’analyser le livre en détail. Interrogation. L’auteur fait partie de la Fondation Charles de Gaulle. Nous ne lui ferons pas un procès d’intention Même si dans un entretien au Point (10 mars 2011) où il réfutait les désinformations d’Abramovici, il

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condamnait le putsch comme « une honte pour la France ». Dans son livre, il ne s’exprime pas ainsi et dans l’ensemble il évite la caricature et le manichéisme. Par exemple lorsqu’il analyse la personnalité et la carrière des chefs putschistes. Ou lorsqu’il évoque le désarroi et même la panique qui saisit le gouvernement devant « la surprise d’Alger ». On a revu cela fin mai 68. Il faut éviter de recommencer l’histoire avec des « si » mais il est évident que si les promesses des militaires sur le terrain faites à Challe (et qui l’avaient décidé à se lancer), avaient été suivies le mouvement aurait eu, peut-être, quelques chances de succès. Il y avait en métropole des sympathies dans certains milieux politiques et économiques et des complicités à un haut niveau qui sont restées secrètes. Maurice Vaïsse s’appuie sur de nombreuses archives. Ce qui fait la qualité de son récit. Ceci dit, la réaction du chef de l’état dans son discours télévisé le soir du 23 avril fut rapide et décisive. En dramatisant, en appelant à son soutien qui réussit avec l’appoint de la gauche et de l’extrême gauche et son ordre d’utiliser « tous les moyens » (c’est à dire l’ouverture du feu), il prit l’avantage en face d’un mouvement qui sur place s’enlisait. On a entendu parfois que si Challe avait procédé à des exécutions de récalcitrants, le putsch aurait réussi. Mais Challe ne voulait pas d’une guerre civile. En étudiant la carrière des quatre chefs putschistes, avant, pendant et après le putsch, la répression qui suivit et qui se poursuivit avant et après 1962 (plusieurs milliers de condamnés, de démissions, de départs volontaires), l’auteur ne minimise pas le coût humain de la révolte. Revenant sur la fameuse résistance du contingent (sans risque puisque couverte au sommet) Maurice Vaïsse montre que sur le terrain ce fut plus compliqué. Les appelés étaient la majorité dans les régiments putschistes. Et ailleurs, dans la grande masse de ces garçons dépassés par les événements, il y eut davantage d’attentistes que d’ « héroïques » anti factieux, manipulés par des réseaux défaitistes. On n’a pas une analyse sérieuse sur ce point. Pourquoi ?.. Maurice Vaïsse souligne que, tout de suite après l’effondrement du putsch, il fut considéré en France comme « une parenthèse ». Une erreur (qu’il ne partage pas). Parce que, d’une part, de Gaulle avait senti le vent du boulet et accélèrera sa politique de reconnaissance de l’indépendance algérienne (mais au prix du sacrifice de ses principales cartes comme la « troisième force », le Sahara, etc.) et, d’autre part, le putsch l’a aussi poussé à la présidentialisation du régime qui ne fut pas aussi massivement approuvée qu’on le dit maintenant (61% au référendum du 28 octobre 1962). A comparer avec les 90% du référendum du 8 avril 1962 approuvant les accords d’Evian. Contre seulement 10% de non (qui ne furent pas tous d’extrême droite). Ce fut unanimité « fort trompeuse » d’après l’analyse du Centre d’études de Sciences Po qui n’oublie pas les millions d’abstentions, de blancs, nuls - en hausse... Ce 8 avril reste pour nous aussi une honte. Surtout quand on fait le triste bilan de ce qui a suivi. (C’est à dire l’exode, le massacre des harkis, la forte immigration algérienne, l’exigence encore actuelle d’Alger pour une « repentance.»). Nous n’oublions pas que les révoltés d’Alger, qui l’avaient prévu voulaient éviter cela ... Maurice Vaïsse citant souvent Denoix de Saint Marc conclut sur « Un baroud d’honneur ». Ce mot est au moins prononcé.

Jean Paul Angelelli

350 p., 19,90 euros, André Versaille éditeur, 2011. Centre Dansaert, 7 rue d’Alost, 1000 Bruxelles. Belgique.

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Pierre Abramovici : Le putsch des généraux, De Gaulle contre l’armée 1958-1961

Voilà un livre de circonstance. L’auteur, journaliste spécialisé dans les livres destinés au grand public, sait choisir ses sujets. Il ne pouvait manquer le cinquantième anniversaire de cette affaire. Il affirme qu’il y livre de "multiples révélations". Une lecture attentive révèle surtout la minceur de sa documentation : des mémoires imprimés d’auteurs du putsch (Salan, Challe, Argoud, Zeller), ou de proches collaborateurs du général de Gaulle, comme Léon Noël, alors président du Conseil constitutionnel. Quelques références aux archives Debré et aux dossiers de Gaston Plissonnier, dans les archives du parti communiste, font sérieux. Il est vrai que l’auteur est "doctorant en histoire contemporaine". Une thèse court au long des chapitres : le putsch fut une simple duperie montée par quelques officiers, duperie dont de Gaulle fut conscient, au point de répéter avec ironie que "le plus grave était que ce n’était pas sérieux" ! Le putsch serait à insérer dans une série de coups militaires avortés, liés aux officiers de l’Armée d’Algérie, une des plus fortes que la France ait possédée dans la deuxième moitié du XXe siècle.

Que Salan ait réussi à faire tomber la IVe République, après Le 13 mai en fut l’acmé. Le pronunciamento à la Franco, le 18 Brumaire à la Bonaparte, que de fois on les a entendu invoquer en mai 1958. Le ministre de l’intérieur, Jules Moch, s’en était fait le spécialiste. Un demi-siècle après, l’analyse semble courte. La stratégie en Algérie ne peut se résumer à une analyse sommaire de l’action psychologique sur les Musulmans et sur les pieds noirs. Le commandement avait mûri son analyse et, avec Salan, mis au point une stratégie nouvelle adaptée à la guerre menée par le F.L.N. – terrorisme urbain, prise en main des ruraux, ravitaillement en armes et en conscrits instruits depuis la Tunisie et moins depuis le Maroc. En France même, les appuis à l’ennemi ne manquaient pas. Tout devait être soumis à l’impératif de poursuivre avec constance cette forme de guerre, qui n’avait rien de commun avec une bonne vieille guerre en Europe. Pour tous ces chefs militaires, annoncer une négociation avec le F.L.N., lui concéder le droit à l’autodétermination ruinerait des mois d’efforts au moment où la conjoncture militaire se retournait. Telle fut la motivation de Salan en 1958, telle fut la finalité des "comités de salut public", telle fut l’utilité de ces unités de parachutistes. Même les bidasses par leurs gardes

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statiques et leurs opérations sans panache participaient pleinement à l’effort militaire. Alors, pourquoi recopier les lignes amères du colonel Argoud sur ces "soldats appelés, indisciplinés, vêtus de façon fantaisiste, rouspéteurs et inefficaces" ? Pourquoi reprendre l’opinion de certains journaux de la Métropole sur ces appelés qui, en trente mois, n’avaient jamais vu un fellagha ? Tout cela est caricatural. Est-ce une bonne méthode que de produire des jugements à l’emporte pièce piqués dans les quelques livres consultés ? Ne retenir du général Gambiez que sa mollesse, c’est avouer qu’on n’a pas de témoignages de ceux qui ont vécu à ses côtés. Le lecteur s’interroge sur les qualités des détails biographiques. Ainsi Salan est taxé de "protestant", d’homme du renseignement. C’est oublier qu’il fut repéré par de Lattre dès la campagne d’Alsace, que depuis 1945 il s’était éloigné du renseignement par les hasards de sa carrière ; adjoint de Leclerc en Indochine du Nord, commandant au Tonkin en 1947, commandant en chef en Indochine après la mort du maréchal de Lattre, commandant en chef en Algérie. C’était un général républicain reconnu. Pourquoi tenter d’en faire, par suggestion, un sacré réactionnaire ? On nous assure que lors du putsch, sa "garde personnelle" était composée de "militants d’un mouvement catholique intégriste, violemment anti-communiste, le MP 13" ; Il est exact qu’après l’échec, Salan fut caché par un colon de la Mitidja connu pour ses sentiments religieux mystiques, mais il s’en dégagea dès qu’il le put. Sur le putsch même, l’auteur n’avait rien à dire de neuf. On espérait qu’il avait levé le secret qui entoure encore la préparation de l’affaire. Il évoque, certes, la réunion autour de Challe d’un "comité secret", de "certains personnages politiques", un "club politico-militaire se réunissant à diverses adresses"(p.164). Puis est évoqué le complot de Paris, cette "quarantaine d’activistes" arrêtés dans la région parisienne. Dès le 19 avril, soit deux jours avant le putsch, bien des gens étaient en prison, mais non "tous les complices connus et repérés". Ne cherchez pas de noms, l’auteur vous répondra que "c’est l’un des mystères de cette histoire" (p.209). Il ne peut éviter de citer quelques officiers archi-connus : le général Zeller, qui depuis longtemps avait compris que de Gaulle ne poursuivrait pas la guerre ; le colonel Argoud, dont les souvenirs sont largement exploités ; Lacheroy et les officiers de l’Ecole Militaire, Hervé de Blignières. Le lieutenant Degueldre est décrit comme "celui qui joue l’émissaire entre l’Algérie et la Métropole". Quel était l’objectif de Challe ? Il aurait estimé, devant un "comité de six membres" anonymes, qu’il utiliserait la résistance des civils des municipalités, en encourageant une "agitation sans révolte" dans les grandes villes d’Algérie. A la mi-mars, il y aurait renoncé, car lui avait-on enseigné (qui ?) que les "civils ne veulent pas y aller". D’après la chronologie des rencontres entre Argoud et Challe, l’idée d’associer Salan et Jouhaud ainsi que le 1er R.E.P. n’aurait été envisagée que tardivement, le 26 mars. Le lendemain, Challe aurait présidé une réunion où fut annoncé "le ralliement d’un certain nombre d’unités". Le 30 mars, enfin, Broizat et Argoud virent Challe à Paris, pour lui faire accepter de diriger l’affaire - "Il faut investir Alger avec quelques unités"- et lui dire qu’il ne devait pas reculer car de Gaulle ne céderait jamais (pp.157-158). Or, une semaine auparavant, le général Faure, à Madrid, aurait affirmé à Salan que le coup se produirait dans la deuxième quinzaine d’avril. Comment l’avait-il su ? Mieux encore, le 28 mars, un "émissaire" sans nom vint annoncer que la date était fixée à la nuit du 20 au 21 avril. Le putsch avait été précédé de rumeurs, comme celle qu’un gaulliste, Dauer, tenta de faire accepter par les services de l’Elysée. Il avait oublié qu’une rumeur n’est pas un renseignement recoupé et daté. Notre auteur affirme que Debré, dès le 18 avril, aurait eu "des indices d’une

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opération indéterminée" et que le 21 avril, il aurait fait prendre des mesures. Tout cela reste vague. Signalons que, le 21 avril, le délégué général Morin disposait d’informations concordantes des ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur et de la Préfecture de Police sur un "éventuel soulèvement militaire". Mais le colonel, chef de la Sécurité militaire avait calmé les inquiétudes du général Gambiez, qui avait assuré Messmer, ministre des Armées, de l’absence de tout risque proche, ce que le ministre avait répété à l’Assemblée nationale. L’auteur veut donner une image du général de Gaulle, conforme à sa thèse. Le chef de l’Etat savait par ses tournées en Algérie l’état d’esprit des officiers. Par des mots "provocateurs", il tentait de "crever l’abcès". Devant le général Zeller, il avait affirmé que l’armée n’est qu’un "instrument" ; dans sa conférence de presse du 11 avril 1961, il avait multiplié les annonces irritantes : l’Algérie coûte cher ; il accepte l’idée d’un Etat algérien, et il aurait "mis en demeure" les dirigeants du F.L.N. de négocier. "Il sait que l’armée va faire un coup", il entend "débusquer ses adversaires". Quant au Premier ministre, Debré, on le voit se lancer allègrement dans l’intoxication. Avant le putsch, il avait essayé de mouiller Challe dans un projet de sécession d’une Algérie française. Il laisse croire à une résurrection de l’opération prévue en mai 1958 sur Paris. Il ne pouvait ignorer qu’elle était impossible, faute d’avions suffisants en nombre. Il envoie Joxe, ministre des Affaires algériennes et Olié, chef d’état-major général, en Algérie, pour laisser croire qu’ils sont en train de maintenir la fidélité des divisions. Tout conduit à une interprétation du putsch. L’auteur n’envisage même pas que ce ne fut qu’une affaire militaire, entre militaires, et limitée quant à ses objectifs. Challe n’avait pas accepté le désintérêt du général de Gaulle pour l’offre de ralliement du chef de la Wilaya 4, Si Salah. Cela rendait crédible l’espoir de gagner les Wilayas de l’intérieur et de les séparer du G.P.R.A. de Tunis. Pourquoi pas ? Un mot circula à l’époque : Challe aurait tenté d’offrir l’Algérie à la France "sur un plateau d’argent". Pour M. Abramovici, de Gaulle a voulu exploiter le malaise des officiers pour renforcer son pouvoir présidentiel. Depuis des mois, il aurait rêvé d’appliquer l’article 16 de la constitution, pour se passer du seing des ministres et du vote des législateurs. Lors d’une réunion secrète au Parti Communiste, Jacques Duclos affirma, sans preuve, que cela était dirigé contre les communistes. Ainsi, le général de Gaulle aurait manipulé un mécontentement latent pour casser l’opposition communiste ! Où sont les preuves ? Encore une fois, ce n’est qu’une affirmation dogmatique. Il est un effet à moyen terme qui n’est même pas évoqué : la cassure du corps des militaires de carrière. Le général Gambiez n’avait pas été associé à la préparation du putsch, il ne pensait pas que des unités entières entreraient en dissidence. Dans la nuit du 21 au 22 avril, il réalisa que le corps des officiers avait changé, qu’il ne serait pas obéi de jeunes lieutenants et capitaines. Il comprit alors cette instruction verbale, donnée par de Gaulle, du danger, pour la discipline militaire comme pour sa politique, de ces officiers attachés à un système d’analyse jugé par lui archaïque : le respect de la parole donnée.

Jacques Valette

Fayard, 2011, 373 p., 22 €

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Disparitions Le lieutenant Daniel Godot Daniel Godot est mort le 11 avril 2011. Une messe a été célébrée à son intention le jeudi 28 avril 2011 en l’église Saint Jacques du Haut Pas à Paris. Daniel Godot, pour ses responsabilités dans l’O.A.S. en Métropole, avait été condamné en août 1962 par la Cour Militaire de Justice, présidée par le général Gardet, à vingt ans de réclusion criminelle. Il a connu les prisons de La Santé, de Fresnes et de Saint Martin de Ré. Les trois éléments ci-après, tirés des annuaires des anciens de Saint-Cyr des années 1957 et 1971 ainsi que d’un document intitulé « SP 70.000 » élaboré en juin 1961 et répertoriant 229 officiers ayant participé à la Révolte d’Alger, dans leur sécheresse, sont quelques uns des jalons du destin d’un officier et d’un homme hors pair.

DANIEL GODOT

Lorsque le Lieutenant Daniel Godot, Major de l’Infanterie de la promotion « Ceux de Dien Bien Phu » de l’Ecole de St Cyr arrive au 1er Régiment Etranger de Parachutistes, les officiers l’accueillent en le félicitant de la chance qu’il a d’être affecté au plus beau régiment du monde. Du tac au tac il leur répond que c’est plutôt ce régiment qui a la chance de l’accueillir. Cette réplique suffit à faire comprendre à ces hommes d’exception qu’il était bien l’un des leurs. Elle est tout Godot, d’un orgueil affirmé, assumé, joyeusement provocateur, loin de toute prétention_ celle ridicule de ce que l’on n’est pas. Dès 1955, à la fin du stage de Saint Maixent, il diffusa le texte suivant qui lui valut déjà quelques problèmes _ et de perdre un nouveau titre de Major de promotion ! _ mais il fut défendu par le général commandant l’école qui n’était autre que le général Faure : « Dans la crise que traverse notre Pays, nous irons jusqu’au dernier sacrifice pour maintenir inébranlable tout ce qu’a forgé le sang versé par nos Anciens. Il faudrait autre chose, pour semer le doute dans nos rangs, que les agissements d’une poignée de défaitistes.

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Qu’ils ne comptent pas sur nous pour être les artisans d’une politique d’abandons et de renoncement. Si leur passé est sans gloire, le nôtre est fait de siècles de grandeur et de sacrifice. De Bournazel, Pol Lapeyre, tous ceux de nos Anciens qui sont tombés et tombent encore, ne sont pas morts pour que leur œuvre soit jouée aux dés par quelques misérables prêchant la résignation. Si ces individus ne savent faire que le sacrifice de leur honneur, encore qu’il ne leur en coûte probablement que fort peu, nous avons l’habitude, nous, de faire le sacrifice de notre vie et nous croyons encore à la vertu du sang. Nous sommes les débiteurs des générations qui nous ont précédés et chez les gens honnêtes ce genre de compte ne se règle pas par une faillite. Que tout le monde sache bien que jamais notre lot ne sera celui de la résignation et encore moins de l’indifférence. Mais qu’il craigne notre désespoir, car nous saurons regarder l’abime avec des yeux d’aigle. » Pour ses anciens camarades, parfois restés dans l’armée, il était évident que Daniel Godot était promis aux plus hautes fonctions. Mais ce langage il le tint jusqu’au bout en Lorrain inébranlable. Brillant officier et rude guerrier comme l’ont raconté Pierre Sergent1 et Jacques Favreau2 ; gravement blessé en 1958, cinq fois cité dont une fois à l’ordre de l’armée ; proposé à titre exceptionnel au grade de capitaine en janvier 1961 (paru au journal officiel !) ; lors du Putsch où, parmi les officiers les plus engagés mutés en métropole, ils furent quelques uns dans un avion clandestin (qui aurait dû être complet !) pour regagner l’Algérie ; puis dans l’Armée secrète à nouveau avec Pierre Sergent. Après six années de réclusion, notamment à Saint-Martin-de-Ré, il fit partie des derniers libérés grâce aux tristes évènements de mai 68, dix ans après le grand élan de Mai 58. Il semble que le général Massu _ dont un temps il fut l’aide de camp et qui devait apprécier son intelligence _ auprès duquel De Gaulle était venu se réconforter à Baden Baden ait obtenu de lui, avec j’imagine quelque mauvaise conscience, la libération des derniers combattants de l’Armée secrète. Il fallait toujours avec Daniel être le meilleur. Il le fut au cours d’une belle carrière professionnelle. Et la vérité sortant de la bouche des enfants on comprit aussi par le témoignage de ses petits enfants, lors d’une messe à son intention, qu’il fut un chef de famille exemplaire et aimé. Le prêtre célébrant cet office ayant quelque difficulté à évoquer la personnalité de Daniel Godot eut l’heureuse idée de parler de l’histoire janséniste de son église et de son quartier. Car c’est bien cette rigueur qui le caractérisait et dont il ne se départit pas durant les 13 années de son dernier combat. Ce 30 avril, anniversaire de Camerone, est aussi celui de la fin du 1er REP il y a 50 ans, lorsqu’après l’échec du Putsch les légionnaires quittèrent leur camp de Zeralda en faisant sauter leurs munitions et en entonnant un dernier chant que l’on ne peut depuis entendre sans une terrible émotion « Non rien de rien, non nous ne regrettons rien… ». Il est de circonstance pour évoquer les 1850 officiers, sous-officiers et légionnaires du 1er BEP puis du 1er REP morts pour la France, et ceux qui tel Daniel Godot auraient pensé trahir « Ceux de Dien Bien Phu », de la RC4 et de Camerone sans mener jusqu’au bout le combat de l’Honneur et de la Fidélité.

Patrick Edel

1 Je ne regrette rien. Ed. Fayard. 2 Lieutenant au 1er REP. Ed. Italiques

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André Rosfelder

L’Histoire s’arrête avec ses derniers témoins. Reprend son cours avec les

historiens. Ce n’est plus la même voix. Avec son livre « Le onzième

commandement », André Rosfelder nous a laissé un dernier message du drame algérien, son propre drame qui est ineffaçable et le nôtre aux

conséquences incalculables. Je n’ai pas connu l’homme mais nous

avons, un moment, échangé des signes dont je garde précieusement

la mémoire et l’image que je me suis faite de lui, celle d’une

exceptionnelle intelligence au service de la vérité et du cœur.

J’aime autant le virage qu’il avait pris. Il a donné au moment exact où l’on pouvait frapper et changer le

cours de l’événement.

.

C’était en vain et il a offert sa vie à

la Science qu’il aimait d’amour, méthodique et passionné. In pursuit of Magellan est un

monument auquel il s’est donné avec la même ferveur qu’à

l’action, suivant mille par mille Magellan et ses héros du Tour du

Monde, de nouveaux amis. En vérité, André Rosfelder n’était pas

de notre siècle et c’est heureux qu’il l’ait oublié pour naître une

seconde fois et se donner à l’aventure scientifique. Nous avons

moins froid en pensant à lui.

Michel Déon de l’Académie française

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André Rossfelder : une alchimie rare Été 2000. Le soleil est vif et l’air léger. Dans le cadre d’un « job » décroché parallèlement à mes études, je franchis pour la première fois la porte des mythiques éditions Gallimard, au numéro 5 de la rue Sébastien-Bottin à Paris. A l’accueil, une jeune femme m’aiguille vers le saint des saints de la maison, l’ancien bureau de Gaston Gallimard, où naquirent à la vie littéraire certains des plus grands écrivains francophones du XXe siècle. Accompagné de Georges Liébert, l’un des meilleurs directeurs de collection de la place parisienne, l’auteur que j’y dois interviewer – puisque telle est la raison de ma présence sur les lieux – vient de signer un livre autobiographique au titre énigmatique : Le Onzième Commandement. Cet homme s’appelle André Rossfelder. Signe particulier : il a été l’une des chevilles ouvrières de l’attentat du Mont Faron contre Charles de Gaulle, il y a près de quarante ans. Au cours des années précédant cette rencontre, à titre professionnel ou personnel, j’avais eu l’occasion de rencontrer l’essentiel des « réprouvés » des combats ultra-marins de la France. Appartements simples, restaurants populaires, salles de réunions patinées, étaient – sauf exceptions – les cadres habituels de ces rencontres. Et voici que je me retrouve au cœur de la puissance intellectuelle germanopratine. Diable ! Quelles concessions André Rossfelder avait-il pu faire pour pénétrer au cœur de la forteresse Gallimard par la grande porte, lui qui vit sur les rives californiennes de l’Océan Pacifique, loin des dîners en ville parisiens ? Quel ressort caché avait pu conduire la maison-mère de la NRF à publier le parcours d’un homme qui – à l’instar d’un Jean-Marie Bastien-Thiery et bien d’autres – poursuivit le projet d’exécuter « l’homme du 18 juin », inébranlable statue du commandeur de notre époque ? Nul besoin de rechercher quelque obscur mécanisme pour expliquer ce choix éditorial qui, à l’époque, surprit heureusement la communauté des « réprouvés » et leurs amis, habitués aux maisons d’éditions mineures - sinon marginales - et à une promotion limitée à des médias aussi persévérants que fauchés. Aucun renvoi d’ascenseur, aucun copinage - comme il en existe tant dans le milieu de l’édition - n’expliquait l’apparition sur les rayons des libraires de cet ouvrage volumineux, qu’une photo passée de la baie d’Alger illustrait en couverture. Seule l’exceptionnelle qualité littéraire et historique du Onzième Commandement avait poussé le rigoureux Georges Liébert et Gallimard à soutenir ce récit explosif, quitte à indisposer les faiseurs d’opinion officiels, friands d’une lecture manichéenne de l’histoire. Plus d’une décennie a passé depuis cette interview au cours de laquelle André Rossfelder prit le temps de me détailler l’aventure de sa vie avec ce ton doux caractéristique, qu’un soupçon d’accent américain commençait à teinter. Je ne l’ai jamais revu. L’annonce de sa mort dans le Figaro m’a pourtant frappé profondément. Sans doute car il réconciliait en lui des temps, des lieux et des valeurs qui structurent notre identité. Unité chronologique forgée par son attachement charnel à l’œuvre des ses ancêtres, son implication sans réserve dans les luttes de son temps et sa curiosité insatiable pour les technologies de demain. Unité géographique, presque cosmique, enfonçant ses racines dans trois continents – l’Afrique, l’Europe, et l’Amérique – et irriguée par d’incessantes aventures tous azimuts. Unité anthropologique, enfin, réconciliant les vertus du corps, de l’esprit et de l’âme, par un courage physique, une curiosité intellectuelle et une fidélité inaltérable. Une alchimie précieuse que l’espèce humaine ne manifeste qu’avec grande parcimonie. Et que j’ai eu l’honneur de frôler un jour d’été de l’an 2000.

Guillaume Zeller Directeur de la Rédaction Direct 8

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André Rosfelder et Camus André Rosfelder publie son premier roman en 1949. Il fréquente les milieux littéraires d’Algérie : Albert Camus, Emmanuel Robles, Jean Daniel, Jean Brune… En janvier 1956, Albert Camus sollicite les conseils d’André Rosfelder dans la perspective d’une réunion qu’il veut organiser à Alger destinée à promouvoir une "trêve civile". Celle-ci se tient le dimanche 22 janvier au "Cercle du Progrès", place du Gouvernement, en bordure de la Casbah. Sous tension. Un millier de participants dans la salle, européens et musulmans très largement infiltrés par le F.L.N.; au dehors, un millier de manifestants qui conspuent Camus et chantent La Marseillaise. Camus, mal à l’aise, se sentant manipulé, conclut son discours en demandant que les victimes innocentes soient épargnées, « pour mériter un jour de vivre en hommes libres, c’est-à-dire comme des hommes qui refusent à la fois d’exercer et de subir la terreur. » La lettre ci-dessous, d’Albert Camus à André Rosfelder, qui est reproduite pages 17 à 20, est écrite le 27 février 1956, un peu plus d’un mois après la réunion sur la « "trêve civile".

Cher Rosfelder

Je m’en veux de n’avoir pas répondu plus tôt à votre lettre. Je voulais vous écrire aussitôt rentré pour vous remercier de votre amitié active là-bas pendant ces jours d’Alger. Et puis l’accablement où je me trouvais devant ce que je prévoyais, et qui se réalise point par point, m’a ôté toute autre énergie que celle de me jeter dans mon travail personnel, pour oublier mon impuissance. J’ai quitté "L’Express" 1 , presque aussitôt, pour deux raisons, apparemment contradictoires, mais qui définissent ma position : l’adhésion de Mauriac à France - URSS et l’exhibition de Mollet2 à Alger. (C’était une erreur de nommer Catroux mais ajouter une démission à une faute achevait de déconsidérer ce qui restait d’autorité à la France.) Je comprends le désarroi de vos amis. Et vous pourrez leur dire que je ne leur en veux pas une seule seconde de leur manifestation à mon égard. Mais cela doit les faire réfléchir. La situation actuelle, les ignobles massacres de civils et d’enfants par les terroristes donnent des arguments valables à la faction "dure" des Français d’Algérie. Mais il faut bien dire que l’aveuglement et la bêtise trentenaires de la même faction dure ont créé de toute pièce cette situation. La démission de la métropole est un fait, à bien des égards. Mais cette faction a contribué à saper l’autorité de la métropole en imposant sans relâche sa volonté, en s’opposant sans trêve à des réformes timides, qui auraient été conformes à l’intérêt national.

1 L’Express soutient le F.L.N.. François Mauriac y donne son « bloc-notes » hebdomadaire depuis avril 1954. 2 Guy Mollet est président du conseil après les élections de janvier 1956 qui ont donné la majorité au "Front républicain". Il nomme le général Catroux gouverneur général de l’Algérie et se rend à Alger le 6 février 1956. Alors qu’il dépose une gerbe au monument aux morts, des tomates partent de la foule qui manifeste contre sa présence ; elles s’écrasent à ses pieds. Le soir le général Catroux, qui n’a pas encore rejoint Alger, démissionne.

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Aujourd’hui, le cœur me manque de voir l’Algérie livrée en même temps aux Sérigny1 et à ces hommes de "gauche" qui applaudissaient, il y a quelques jours à la Mutualité, le drapeau fellagha. Il y a en ce moment en moi quelqu’un qui meurt de honte. Si je croyais une action possible, même la plus folle, je la tenterais. Mais nous dévalons vers l’abîme, nous y sommes déjà. L’opinion française, par une évolution que j’ai essayé de faire prévoir aux Arabes de bonne, et de moins mauvaise volonté, et qui me vaut, je suppose, leur méfiance, admet peu à peu l’idée de la guerre. Et ce n’est pas l’affaire de Sakamody 2 qui freinera cette marche. Il faudrait maintenant un miracle pour empêcher le pire. Le programme de vos amis est valable en gros. Il est, à l’heure actuelle, strictement inutile. A moins qu’il ne coagule très rapidement un très fort mouvement et qu’il s’impose ainsi à la métropole elle-même. Et à la condition qu’il soit sans cesse défini sur ses deux frontières contre la faction aveugle et contre l’esprit de démission. Ce qui ne me rassure pas, c’est la référence constante à Soustelle en qui, après réflexion, je n’ai aucune confiance. Je crains que vous ne trouviez rien de réconfortant dans ma lettre. Mais je n’ai pas le cœur à mentir sur ce que j’éprouve. Peut-être ai-je trop vécu et depuis trop longtemps la tragédie de notre pays. Je l’ai servi, je voudrais le servir et je sens à ce point mon impuissance que je ne veux plus rien écrire ni dire à son propos. Vos amis sont jeunes. Ils découvrent d’une certaine manière la réalité algérienne. Ils auront peut-être la fraîcheur qu’il faut pour relancer l’Algérie hors de cette ornière. A vrai dire, je fais confiance à leur énergie. Mais il faudrait plus que l’énergie : la lucidité, la générosité incessante, qui est l’autre nom de la force, et l’esprit d’invention. Si je peux vous aider, je le ferai. Mais il faut me dire comment et me persuader que c’est possible. Vous pouvez faire état auprès de vos amis de ce que je vous dis. Qu’ils essaient seulement de comprendre qu’un homme comme moi, qui n’a jamais connu le découragement et qui a horreur de toute complaisance ne vous écrit pas ceci sans raison. Je suis déchiré, voilà la vérité. Pardonnez-moi, mon cher Rosfelder, cette lettre accablée et accablante. Mon amitié pour vous, et mon estime, n’ont cessé de se renforcer depuis que je vous connais. Et je me suis ouvert à vous, fraternellement. Je vous serre la main. Albert Camus Si vous pouvez m’écrire, faites-le. J’ai besoin d’être informé.

1 Alain de Sérigny, directeur de L’Echo d’Alger et président de la Compagnie des Cargos Algériens 2 Le 24 février 1956, une embuscade du F.L.N. au col de Sakamody, à une cinquantaine de kilomètres au sud-est d’Alger fait huit morts. Parmi ceux-ci, une famille venue de métropole. La belle-mère, l’épouse et la fillette sont violées et égorgées sous les yeux du mari avant que celui-ci ne soit égorgé à son tour.

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André Rosfelder écrivain André Rosfelder publie son premier roman à 24 ans en 1949. De formation scientifique, il mêlera tout au long de sa vie science et littérature. Son chef d’œuvre, autobiographique, Le Onzième Commandement (Tu seras fidèle aux tiens, surtout quand la nation les oublie ou les diffame) possède, ces dimensions scientifiques, techniques et littéraires auxquelles il faut ajouter les dimensions historiques et humaines, tout à la fois enracinées dans la terre d’Algérie et ouvertes sur le monde. Ce livre est le livre majeur sur l’Algérie française. Avec Cette haine qui ressemble à l’amour, de Jean Brune, et Au lieutenant des Taglaïts, de Philippe Héduy, il compose la trilogie indispensable pour comprendre ce que la France a perdu en livrant l’Algérie, bien plus qu’un territoire, peut-être son âme.

L’Algérie à bâtir, écrit après les événements de mai 1958, sous forme d’une lettre à un Français de métropole, explique à celui-ci la chance extraordinaire s’offrant à la France. A condition que celle-ci s’engage matériellement et surtout humainement pour une Algérie nouvelle. Un livre d’une grande intelligence. Clipperton l’île tragique est le récit de l’extraordinaire aventure vécue par un détachement de militaires mexicains, certains avec leur famille, envoyé sur l’île revendiquée par la France. Unité d’action et de lieu : une tragédie antique.

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André Rosfelder, repères biographiques 1925 Naissance à Oran dans une famille dont il est le deuxième représentant (après son frère aîné Roger) de la 4ème génération installée en Algérie,. 1925-1937 Enfance à Cap Matifou dans la ferme paternelle 1938-1939 En pension au collège Stanislas à Paris 1939-1942 Etudes au lycée Bugeaud à Alger 1942 Avec son frère Roger, dans la mouvance des petits groupes favorables aux alliés. En novembre, après le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, est emprisonné et soumis à un simulacre d’exécution par un détachement de la Marine nationale. 1943 S’engage au 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes (commandant Geille, commandant Faure) rattaché jusqu’au 1er août 1945 à l’armée de l’air. 1944-45 Campagne de France, combat dans les Vosges et en Alsace. Grièvement blessé dans le Bas-Rhin près de Rossfeld 1945 Démobilisé à Marseille avec le grade de sous-lieutenant avec croix de guerre et médaille militaire ; reprend ses études à Alger, au laboratoire de géologie marine

1948 S’intéresse à la présence de pétrole dans la région au sud d’Aumale et crée « Les Raffineries Algériennes » - RAFAL. Exploite un puits au lieu-dit Oued Guétérini et installe une raffinerie à proximité à Oued-Djenann. Une partie du brut extrait est raffiné à Berre. Crée la Société des Pétroles d’Aumale, filiale commune avec la SN-REPAL. 1949 Publie aux Editions Domat son premier roman, Les hommes frontières, qui obtient le prix de la Presse Latine de 1950. 1950 Entre en relation avec Albert Camus, Emmanuel Roblès, Jean Bensaïd (Daniel), Jules Roy, Jean Brune. Entame les travaux de sa thèse de géologie marine avec le professeur Robert Laffitte 1952 Fin de chantier, roman, Domat 1953 Rocade Sud, roman, Calmann-Lévy 1956 La mer où tout commence, roman, del Duca. Présence à la fois amicale et critique aux côtés de Camus lors de la tentative de celui-ci d’instaurer une « trêve civile en Algérie. Stage de cinq semaines à la SCRIPPS à La Jolla en Californie. La Scripps possède l’un des plus importants centre de recherche océanographique du monde

André Rosfelder en 1950

1957 S’éloigne de Jean Daniel et de Jules Roy en raison de leurs positions pro-F.L.N. 1958 Participe à la journée du 13 mai à Alger. Via le colonel Ducasse, avec l’accord du général Massu et sous la houlette du colonel Lacheroy, prend pendant six semaines la direction de Radio-Alger qui diffuse l’ensemble des discours prononcés, en particulier au balcon du Gouvernement Général à Alger, y compris celui du général de Gaulle le 4 juin 1958. Candidat suppléant aux élections législatives de novembre 1958 dans la circonscription

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d’Alger-Banlieue sur la liste d’action pour l’Algérie française et la promotion musulmane par l’intégration menée par Nafissa Sid Cara, Robert Abdesselam, Marc Lauriol et Philippe Marçais (qui sont élus) 1959 L’Algérie à bâtir, Essai, Baconnier. Secrétaire général du Centre de Géologie Marine et de Sédimentologie d’Alger 1961 A la demande du colonel Lacheroy, reprend le 22 avril 1961 la direction de France V rebaptisé Radio-France. Après l’échec de la révolte, échappe de peu à l’arrestation et quitte clandestinement l’Algérie pour Rome via Marseille. Il sera condamné par contumace à 20 ans de réclusion par la Cour de sûreté de l’Etat. Obtient un poste au Bulletin Bibliographique des Pêches à la F.A.O. (Food and Agricultural Organization) à Rome. 1962 Participe à la création du second C.N.R., présidé par Georges Bidault et dont Jacques Soustelle est le représentant pour les affaires extérieures. Le colonel Argoud y assumera la responsabilité (assez théorique) de l’OAS Métro. Le C.N.R approuve à l’unanimité la mise en œuvre du projet « Alpha », condamnation à mort du chef de l’Etat, "non par esprit de vengeance mais par esprit de justice". 1963 Fait la connaissance à Rome de Jean-Jacques Susini 1964 Prépare techniquement avec lui l’attentat dit du Mont-Faron consistant à faire exploser à distance une jarre pleine d’explosif lors de l’inauguration du mémorial du débarquement de Provence par le général de Gaulle le 15 août 1964. La jarre n’explose pas comme prévu pour des raisons non élucidées. 1965 Pour éviter l’enlèvement par les services français, quitte l’Italie pour La Jolla en Californie où un poste lui est offert à la SCRIPPS. 1966 Condamné à mort par défaut par la Cour de Sûreté de l’Etat pour l’attentat du Mont Faron. Change son patronyme de Rosfelder en Rossfelder. 1967 → Parcourt le Pacifique Sud de long en large à la recherche de gisement de phosphates et de nodules polymétalliques. Acquiert une connaissance unique de cet océan. Met au point et brevète divers dispositifs destinés

La Nouvelle République 18 février 1966

aux recherches sous-marines. Crée et préside plusieurs sociétés actives dans le domaine de l’océanographie 1976 Clipperton, L’île tragique, récit, Albin Michel. Réédité en 1986 dans la collection "J’ai Lu" sous le titre Tropique du crabe. 2000 Le Onzième Commandement, Gallimard. Venue à Paris pour présenter son livre. 2010 In Pursuit of Longitude – Magellan and the Antimeridian, A Starboard Book 2011 8février, décès à La Jolla

André Rossfelder en 2009

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Général Gardy Le 21 avril 2011, France-Inter, a consacré l’émission quotidienne de Jean Lebrun, entre 13h30 et 14h00, au « putsch des généraux à Alger », avec la participation de l’historien Maurice Vaïsse. Au cours de cette émission, ont été diffusés « Le fanion de la Légion » et « Rien. Non, rien de rien, non je ne regrette rien... » chanté a capella en juin 1961 par les officiers du 1er R.E.P. aux arrêts au Fort de Nogent, certains attendant leur inculpation et leur traduction devant le tribunal militaire spécial créé par décision du chef de l’Etat se fondant sur l’article 16 de la Constitution. On a pu également entendre un bref extrait d’une intervention du général Gardy à Radio-France introduite par André Rosfelder : André Rosfelder : Le général Gardy, désigné pour prendre le commandement provisoire du Corps d’Armée d’Oran va vous faire une déclaration : Général Gardy : Poursuivie depuis trois ans, une politique de démence a mené l’Algérie au seuil de sa perte. Le gouvernement, reniant ses promesses les plus formelles, se préparait à pactiser avec les assassins de M. Fehrat Abbas. L’armée, refusant la trahison de sa parole, a décidé de dire non. La police, la gendarmerie et les C.R.S. se sont ralliés aussitôt… Notes sur la période du 18 au 25 avril 1961 (suite et fin) Samedi 22 avril (suite) Vers la fin de l’après-midi, Brothier et Argoud appellent d’Oran pour rendre compte de leurs résultats. Il a été convenu avec Pouilly que celui-ci « se retirerait purement et simplement ». Qu’il quitterait son PC le 23 à 6 heures du matin et que, conformément aux ordres du général Challe, je prendrais le commandement provisoire du C.A. à 7 heures. Les commandants de Zones ne se sont pas ralliés, mais l’impression de Brothier est qu’ils ne feront pas d’opposition et pratiquement exécuteront les ordres. Par ailleurs, Pouilly laissera à Oran tout son E.M. et les services (sauf son cabinet), les forces de maintien de l’ordre, et l’ensemble des unités, qui continueront à assurer leurs missions normales et leur service. C’est en somme assez satisfaisant et, compte tenu du ralliement de nombreuses unités, l’affaire paraît s’annoncer bien pour l’Oranie. Les modalités ainsi annoncées sont malheureusement loin d’être exactes et les choses ne se passeront pas ainsi, bien au contraire. La radio a annoncé dans l’après-midi que Joxe et Olié, ce dernier nommé par de Gaulle commandant-en-chef en Algérie, ont atterri à Lartigues, se sont redus à Mers-el-Kébir, puis à Tlemcen, et sont repartis de là pour le Constantinois. Nous ignorons qu’ils ont vu Pouilly et d’autres, et donné des consignes qui s’avèreront efficaces. Pour l’instant, nous pensons que « le retrait pur et simple » de Pouilly signifie qu’il va repartir en métropole, ou peut-être se fixer dans un domicile quelconque aux environs d’Oran. Brothier et Argoud annoncent qu’ils vont rentrer à SBA et me donnent rendez-vous chez Glasser ainsi qu’à de Baulny et Bertany1. Ils y arrivent en effet une heure plus tard et me confirment leur compte rendu de tout à l’heure. Argoud me précise qu’il est nécessaire de me rendre dès ce soir à Oran, bien que je ne prenne le commandement que demain matin, pour prononcer en particulier un appel à la population. Je lui dis d’en préparer le brouillon, ce qu’il fait. Par ailleurs, de Baulny et Bertany me disent

1 Capitaine Bertany, chef d’état-major du 1er R.E.

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(et sur le moment j’ai absolument cru que Brothier était d’accord) que la compagnie Bonnel1 va partir pour Oran immédiatement, pour occuper les points essentiels de la ville, suivie par l’EMT de Fournier lequel restera en lisière d’Oran, prêt à intervenir si besoin était. Au surplus, je ne serais certainement pas parti sans quelques unités sûres ; il est regrettable que je n’aie pas songé à le dire expressément à Brothier et à vérifier qu’il était au courant de ces dispositions. En fait, j’ignore ce qui s’est passé exactement, s’il était au courant ou non, ou si de Baulny et Bertany ont agi de leur initiative, dans le sens étudié dans l’après-midi, pour que les choses se passent ainsi, comptant que Brothier approuverait une fois l’affaire lancée et réussie. Après un dîner rapide, je pars pour Oran, accompagné de Glasser et en outre de Pompidou pour me seconder. Avant mon départ, Argoud me confirme l’arrivée à Oran demain soir des colonels Masselot2 et Lecomte3 avec leurs régiments ; ils sont ce soir région Alger, venant du Sud-Constantinois. Ainsi, à partir du 24 matin, avec les trois régiments de Légion d’Oranie et deux régiments para, nous serons en force. Argoud va dîner chez Brothier et doit me rejoindre demain matin à Oran. Trajet sur Oran sans incidents. Nous dépassons en route la colonne de l’EMT de Fournier. Je vais directement au Poste Dépôt où je dois passer la nuit. Bonnel, déjà arrivé et dont la Cie occupe les points vitaux d’Oran, vient de m’y rejoindre et m’emmène à la radio pour prononcer l’appel à la population. Quelques activistes s’y trouvent. Viens se présenter à moi le colonel Petit4 qui, conformément à ce qui est prévu, va continuer d’exercer ses fonctions sous mon commandement. Il me signale la nécessité, à son avis, de faire garder dès demain matin la base aérienne de La Senia. Je lui dis de prendre liaison au préalable avec le général Clausse5 en tachant d’être diplomate. Retour au Poste Dépôt vers 1h30 du matin. Avant de m’endormir, Clausse m’appelle au téléphone. Conversation très désagréable. Je la conclus en lui disant que j’irai le voir dès demain matin. Dimanche 23 avril Dès 5h du matin je suis avisé que : - Pouilly a quitté Oran dès le début de la nuit hier soir, au lieu d’attendre 6h ce matin comme convenu. On ignore les raisons de ce départ précipité. - Le super-Préfet Guy et le préfet de police Plattrier sont également partis, probablement pour Tlemcen, emmenant tous les CRS. Par contre les gendarmes sont restés sur place. - BH et les officiers du cabinet du Angelini sont partis avec leur patron. Je me rends au Château-Neuf et prend sommairement mes fonctions vers 6h30. Argoud m’y rejoint dans la matinée. Glasser et Pompidou ainsi que le capitaine Monganne6 y seront également le plus souvent. En fait ce sont ces quelques officiers qui seront seuls à travailler, l’EM du Angelini se bornera à assurer les affaires courantes, et encore… Le Chef d’EM provisoire du C.A. (le titulaire, Cdt Canonne, est en permission) vient se présenter. Correct et embêté, visiblement pas un lion. Me dit que lui et l’EM continueront à assurer leur service, sans adhérer au mouvement n’y s’en mêler. C’est une formule ambigüe et inviable. . J’espère alors que l’allure des événements réglera la question d’ici 24 ou 48 heures. Il est évident qu’en dehors de 10 ou 20% d’officiers nettement hostiles, de quelques isolés nettement sympathisants, les autres sont des attentistes, comme partout.

1 Capitaine Bonnel, commandant la compagnie parachutiste du 1er R.E. 2 Masselot, commandant le 18ème R.C.P. 3 Lecomte, commandant le 14ème R.C.P. 4 Major de garnison d’Oran 5 Commandant l’aviation de l’Oranie 6 Du 1er R.E.

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Les deux colonels adjoints : le colonel Lancrenon et le colonel du Chayla, plus ouverts, pratiquement déjà avec nous de cœur, mais sans encore s’engager totalement. Dès le début de la matinée, nouvelles de SBA reçues au téléphone par ses officiers. Brothier manifeste une violente mauvaise humeur en apprenant (ou en feignant d’apprendre ?) la présence à Oran d’éléments du 1er RE, et réclame leur retour immédiat. Je fais répondre que je verrais dans la matinée pour en renvoyer une partie si possible, selon la situation. De toutes manières, la compagnie Bonnel est indispensable pour garder les points essentiels et notamment le PC. Vers 9 heures, je me rends comme convenu à La Senia pour voir le général Clausse, avec le commandant Fournier1 qui m’attendra à proximité. Conversation très tendue avec Clausse visiblement hostile et ne le cachant pas. Me dit que la majeure partie de ses personnels se refusent à suivre le mouvement, que, notamment, si je fais garder la base par des légionnaires, une partie des équipages filera en Métropole avec les avions… J’arrive cependant à conclure avec lui un espoir d’accord comme suit :

-Une compagnie de légion stationnera dans les environs (à Valmy) prête à se porter sur la base si besoin était – Un officier de liaison restera au PC de la base pour me représenter et m’informer.

-L’aviation de La Sénia continuera à assurer ses missions opérationnelles normales -Le général Clausse s’engage à ne pas mettre de moyens aériens au service de l’autorité

« légale » pour entraver le mouvement Challe. Par contre, je ne lui demande pas de coopération avec nous.

-Il promet d’autre part, et c’est le plus difficile à obtenir, de ne pas permettre l’utilisation du terrain de La Sénia par des avions au service du gouvernement. S’il en atterrit, venant de Métropole, il les y renverra sans admettre le débarquement de passagers, sauf accord de Challe.

Nos nous quittons très froidement. Je donne pour instruction à Fournier, avant de retourner à Oran, de laisser une compagnie à Valmy en mesure d’intervenir sur La Sénia, sur mon ordre, en cas d’incident ou de menaces. Le capitaine Angelini restera au PC de la base pour me renseigner et, s’il y a lieu, provoquer l’intervention de la compagnie. Fournier avec le reste de son EMT regagnera SBA. Je fais donc l’impossible pour ne pas couper les ponts avec Brothier. Mon intention est d’aller ensuite voir l’amiral commandant la Marine à Oran. J’ignore la présence de l’amiral Querville que je croyais encore à Alger, arrêté ou non. En revenant au Château-Neuf, j’apprends précisément que Querville me demande de lui téléphoner, ce que je fais, et je lui annonce que je pars le voir de suite. Je me rends donc à Mers-El-Kébir (où je suis reçu avec les honneurs rituels). Conversation très courtoise avec Querville, malgré l’opposition complète de nos points de vue. Il la rapportera de façon totalement inexacte et tendancieuse dans son interview avec des journalistes vers la fin d’avril ; si, intentionnellement, j’ai été poli, comme lui-même d’ailleurs, et ai recherché un accord faute de pouvoir agir en force, je n’ai nullement tenu de propos dans l’esprit qu’il a rapporté, c’est-à-dire exprimé des vues presque voisines des siennes ! Peu importe. Cette conversation aboutit en fait à un gentleman-agreement sur les bases suivantes :

1 Du 1er R.E.

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-La Marine poursuivra ses missions opérationnelles sur les côtes et la surveillance de la mer (navires et avions) conte le FLN sans intervenir contre le mouvement Challe,

-Elle continuera à utiliser ses moyens radio, indispensables pour ces opérations, mais s’engage à ne pas s’en servir pour des liaisons avec la Métropole ou des éléments hostiles au mouvement. Je ne prends de mon côté aucun engagement.

En partant, l’officier d’ordonnance de l’amiral-adjoint, le lieutenant de vaisseau de Villeroche, qui m’accompagne, me confie qu’il est prêt, pour lui, à se rallier à nous, ainsi que le chef d’état-major, mais qu’ils sont à peu près seuls. 95% des personnels, à terre ou sur les navires, sont hostiles. Il me confie qu’il ne faut accorder aucune confiance à Querville, qui ne respectera pas ses engagements, et que nous devrions nous emparer de la base navale dès que nous en aurons les moyens. Malgré l’hostilité générale, il n’y aura pas de résistance et Querville s’embarquera à la première alerte, il s’en dit certain. Retour au Château-Neuf. Afflux de visites diverses : civils, activistes, plus ou moins qualifiés et utiles. Quelques officiers, isolés, de corps divers, mandatés ou non, etc. ; renseignements ou demandes de renseignements, avis et conseils, tout cela dans une confusion inévitable, puisque nous n’avons pas d’état-major organisé et qualifié pour traiter ce questions, ni de secrétariat. Argoud et mes quelques officiers de légion assurent ce travail comme ils peuvent, au milieu de multiples coups de téléphones. Il en sera ainsi durant tout le cours de ces journées à Oran. Il me faut néanmoins me faire présenter les officiers de l’Etat-Major et des services du Corps d’Armée. Je choisis de les réunir tous ensemble, en fin de matinée, dans une salle de réunion. Attitude correcte de l’ensemble ; la plupart des visages sont fermés ou inquiets. Le chef d’E.M. par intérim me présente les chefs de bureau ou de service ; puis je fais un bref laïus. Dès mes premiers mots, disant que je suis ici par ordre de Challe, un intendant général m’interrompt en disant qu’il reste, ainsi que la plupart des officiers présents, fidèle au gouvernement et au général de Pouilly. Je le prie sèchement de se taire, précise que je n’entends pas ouvrir un débat sur les sentiments et tendances de chacun, et que je prie ceux qui voudraient m’exposer leur cas de conscience de venir me trouver individuellement dans mon bureau, où je les recevrai. (Aucun d’ailleurs ne viendra.) Sur ce, j’enchaîne, dans cette atmosphère assez glaciale, sur les points suivants :

-J’assume, par ordre de Challe, le commandement par intérim du Corps d’Armée. Je remplirai cette mission en vue de faire triompher les objectifs du mouvement, pour l’Algérie Française, dans le sens indiqué par les proclamations faites à la radio d’Alger.

-Dans la période transitoire que nous vivons, je respecte les convictions de chacun ici, je leur demande d’assurer leurs fonctions militaires comme l’a prescrit Pouilly lui-même avant son départ.

-La mission de lutte contre le FLN demeure prioritaire. En particulier, l’intégrité du barrage à la frontière Franco-Marocaine est essentielle ; aucun moyen n’en sera distrait.

-L’ordre dans la rue, à Oran et dans les agglomérations, doit être maintenu plus que jamais. Toute occasion de heurt entre Européens et Musulmans du faubourg d’Oran doit être évitée, ou enrayée, à tout pris. La lutte contre l’O.P.A. doit être activée.

-L’action psychologique dans le sens Algérie Française doit être reprise et développée. Les populations de toutes confessions doivent être persuadées que cette politique est désormais définitive. (Je ne fais d’ailleurs aucune illusion sur la mauvaise volonté

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pour travailler dans ce sens de la part des officiers de l’E.M. qui en sont chargés, et qui ont agi depuis un an exactement en sens opposé ; je compte les relever dès que possible.)

-Je prévois de n’avoir à exercer ce commandement qu’à titre très provisoire. Il est entendu que dans un délai très bref, un officier général du grade et de l’ancienneté voulus viendra prendre le commandement définitif du Corps d’Armée. Jusque là, je demande à tous de me faire confiance. Nous servons la France, et non un régime ou un homme.

Aucune réaction. Je salue et je sors, les officiers au garde-à-vous, et retourne à mon bureau. On commence à connaître la vérité sur le départ de Pouilly. Il s’est rendu en réalité à Tlemcen, où il a rejoint les préfets Guy et Plattrier. Loin de se retirer « purement et simplement » comme il s’y est engagé, il continue à donner des ordres et des instructions en tant que commandant du Corps d’Armée d’Oran aux généraux commandant les zones, et à recommander l’obéissance au gouvernement légal. Il a à ses ordres directs la zone de Tlemcen (12ème D.I.). Il semble que se constitue là une sorte de base de l’Algérie gaulliste. Je suppose que Pouilly a dû prendre cette ligne de conduite à la suite de la réunion tenue la veille à Mers-El-Kébir par Joxe et Olié, ce qui s’avèrera exact. On apprendra qu’y assistaient en même temps que les deux préfets, Pouilly, Clausse, Querville, notamment. En tout cas, cette action menée de Tlemcen est très dangereuse et il faudrait y mettre un terme rapidement. Les nouvelles venant des différentes zones du Corps d’Armée ne sont pas fameuses. Aucun général ne s’est rallié au mouvement, la plupart manifestant même leur fidélité au gouvernement. Il faudrait pouvoir les remplacer. Il n’en est pas question pour le moment… On m’apprend que Pfirrmann1 s’est porté avec une partie de son régiment de Géryville sur Michéria (ou Saïda) pour obliger le général Ginestet2 à se rallier ou à céder la place. Réponse en substance, paraît-il : si vous m’y forcez, je ne pourrai que m’incliner devant la force ; mais vous n’aurez ni Etat-Major, ni transmissions, ni services, etc. , personne ne vous obéira. Vous serez en particulier dans l’impossibilité d’assurer la mission du barrage-frontière. Prenez-en la responsabilité. Evidemment Pfirrmann a dû renoncer et s’est retiré. A Oran même, pas de difficultés majeures, pas de désordres ; la population, confiante, manifeste son enthousiasme sans excès ; les musulmans de la périphérie restent tranquilles. Les deux colonels commandant respectivement la Gendarmerie Mobile et la Compagnie territoriale viennent se mettre à mes ordres, se disant obéir « à l’autorité de fait », me demandant seulement de ne rien prescrire de contraire aux règles de traditions de leur arme. Je reçois la visite du commandant de Préval, qui exerce ici de vagues fonctions de liaison avec les autorités civiles, venant exprimer sa sympathie et son dévouement personnels. Vers la fin de l’après-midi, un officier de l’Etat-Major demeuré à la disposition de Mme de Pouilly (restée dans les appartements personnels du général au Château-Neuf) me suggère de lui rendre visite si je le juge opportun. J’ignorais sa présence, et l’apprenant, lui fais demander si elle veut bien me recevoir, ce qui a lieu. Elle me fait un accueil très amical et même ému, me disant que son mari a été déchiré par le refus de se joindre à nous qu’il a estimé de son devoir ; que la raison capitale de ce refus est qu’il croit notre réussite impossible et que notre tentative n’aboutira qu’à aggraver la situation et augmenter les chances du communisme. Elle m’affirme que, malgré tout, Pouilly désire secrètement notre succès si, contrairement à ce jugement il s’avérait possible. A quoi je lui rétorque qu’en ce moment, de Tlemcen, il fait tout

1 Colonel commandant le 5ème R.E.I., dans le Sud-Oranais 2Commandant la zone Sud-Oranais et la 13ème D.I. à Saïda

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ce qu’il peut pour s’y opposer. Je prends congé cependant en la remerciant de ses sentiments et de son accueil. Durant cette après-midi également se produit l’affaire des documents sur le cessez-le-feu unilatéral, que Pompidou1 a trouvé dans les tiroirs (non fermés, je le précise) d’un bureau de Pouilly. Je n’en ai gardé qu’un souvenir assez confus, ayant eu à peine le temps de les lire, malgré leur intérêt capital. Cette question n’avait été jusqu’alors qu’évoquée comme une hypothèse dans certains journaux ou échos politiques. Elle était en fait, comme le prouvent ces documents (datés, autant que je me souvienne de fin mars), préparée selon les modalités qui seront mises à exécution en mai. Il s’agit de directives émanant de la Présidence du Conseil signées Debré, et transmises avec commentaires aux différents échelons, notamment par Gambiez et Pouilly. Il s’agit de créer des « zones de fait de cessez-le feu », etc. X me demande s’il faut s’en servir pour la propagande, vu l’intérêt capital que présente cette concrétisation des intentions gaullistes, avalisées par le commandement dit « loyaliste ». Je lui prescris d’en faire connaître l’essentiel à l’Etat-Major de Challe et de se conformer aux instructions qu’il donnera. C’est ainsi que ces documents seront divulgués, le lendemain ou le surlendemain, notamment par L’Echo d’Alger, assez mal exploités d’ailleurs pour la propagande sur l’opinion et sur l’armée. Les régiments para de Masselot et Lecomte ne vont pas tarder à arriver. Leur marche est signalée se poursuivant sans incidents. Ils sont ravitaillés sur leur parcours, notamment en essence, par les autorités de zones traversées, même fidèles au gouvernement. Encore moins ne rencontrent-ils aucune opposition, même passive. Je discute donc avec Argoud de l’emploi le plus urgent à en faire. Nous tombons d’accord pour monter par priorité une opération sur Tlemcen, afin d’éliminer Pouilly et les préfets en les faisant prisonniers ou en les obligeant à la fuite. Argoud voudrait monter dès ce soir au préalable une opération avec l’un des régiments pour mettre la main sur Mers-El-Kébir. Je m’y oppose, vu l’état de fatigue probable des hommes après une randonnée de 1200 km en deux jours, et aussi pour ne pas risquer, s’il y avait un incident sérieux, d’empêcher l’opération du lendemain sur Tlemcen que je considère comme capitale. Il avait été envisagé le matin d’organiser un défilé en ville des deux régiments pour exalter le moral et faire impression sur la population et l’armée. On y a renoncé pour les mêmes raisons (fatigue). On a renoncé également à utiliser la musique du 1er R.E., venue la veille au soir et qui a été renvoyée à SBA avec Fournier dans la matinée. Dès l’arrivée de Masselot et Lecomte en fin de journée, nous mettons au point avec Argoud et eux les ordres pour cette mission. Ils se porteront dès l’aube sur Tlemcen par SBA. Un des régiments entrera dans la ville par la route directe. S’il y a résistance, l’autre débordera par le Nord. Je fais confiance à Masselot, le plus ancien, pour les détails. Conduite à tenir : éviter à tout prix, selon les ordres de Challe, une effusion de sang, sauf impossibilité absolue. Laisser, si cela devait se produire, aux forces opposées l’initiative de l’ouverture du feu. Agir par intimidation et surprise. (Masselot, qui connait très bien Pouilly, fera au préalable, si possible une démarche auprès de lui pour l’amener à composition. Mme de Pouilly lui a confié une lettre pour son mari, écrite après la visite que je lui ai faite). De toutes manières, je serai sur place en personne à l’arrivée au contact, pour prendre moi-même la responsabilité de ce qui pourrait se produire et donner les ordres selon l’évolution de l’affaire. Il est du reste extrêmement peu probable qu’il y ait résistance. Les renseignements émanant de Tlemcen (civils et certains militaires) montrent que les barrages établis ne sont pas sérieux et que l’attitude des forces « loyales » ne brille pas par la détermination.

1 Capitaine, 1er R.E.

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Autre renseignement : les autorités de Tlemcen, qui ne disposent que d’un poste émetteur insuffisant, font diffuser leurs émissions de propagande par Radio-Maroc, c’est-à-dire le moyen dont se servent également nos ennemis du F.L.N. On apprendra dans la soirée que ce procédé a été utilisé pour diffuser l’appel de De Gaulle traduit en arabe… On saura aussi que les communications de Tlemcen avec le gouvernement étaient assurées par Radio-Maroc… Je n’ai pas entendu moi-même ce soir-là l’appel de De Gaulle, pas plus qu’aucun autre ni, durant toute cette période, les émissions de Paris, d’Alger ou d’ailleurs, faute de temps. On m’a apporté le texte de De Gaulle. Je m’attendais à cela, pour la lettre, l’esprit et même la forme ; j’aurai pu le rédiger moi-même d’avance, il n’aurait été guère différent, tellement j’ai pénétré la dialectique et l’éloquence gaullistes… Je ne suis donc pas surpris, mais m’attend aux conséquences les plus graves, dès lors qu’il a pu être diffusé. Je téléphone à Challe (je l’ai fait déjà plusieurs fois dans la journée) pour lui rendre compte de la situation et de mes intentions, qu’il approuve. Je ne lui dissimule pas la gravité du fait qu’aucune autorité du Corps d’Armée ne s’est ralliée, et que l’attitude de plus en plus réticente de Brothier m’enlève mon meilleur atout. Challe espère que l’élimination de Tlemcen le lendemain fera basculer la plupart ou une partie des attentistes. Quoiqu’il en soit, je lui demande, dès ce soir là, d’envoyer aussitôt que possible, dès demain s’il le peut, un Divisionnaire ancien et de préférence d’active qui pourra exercer plus d’influence et d’autorité pour déterminer les hésitants et qui n’aura pas, comme moi, le handicap d’une appartenance exclusivement légionnaire. Il me répond qu’il y songe, mais d’attendre un peu, de ne pas hésiter à remplacer les commandants de zones et de secteur… Bien, mais par qui ? Et avec quelles forces pour soutenir les nouveaux ? Avec quels moyens pour assurer leur commandement si tous les subordonnés se croisent les bras ou sabotent… ? Toujours de SBA en fin de journée et dans la soirée, reçus par moi, Argoud, ou les officiers de légion qui m’entourent, émanant de de Baulny et de divers officiers de là-bas : Brothier manifeste, ou affecte, une extrême irritation de la présence à Oran d’unités de son régiment, bien que la plupart aient été renvoyées par moi dès le matin. Il s’est cantonné à son domicile toute la journée, refusant de donner aucun ordre ou indication. De Baulny en est désespéré, disant qu’on risque une crise effroyable, qu’il ne peut être question de compter sur le régiment si Brothier est hostile ou même se cantonne dans cette abstention irritée. Il supplie qu’on ménage la susceptibilité de celui-ci, qu’on arrivera, si on lui fait confiance, à faire peu à peu glisser Perrotat dans notre camp, etc. Malgré ces bonnes paroles, je suis de plus en plus inquiet quant à l’attitude de Brothier et aux conséquences qu’elle pourra avoir. Reçu par ailleurs un tuyau sur la présence à Saïda de Jeanneney, ministre de quelque chose. Il serait excellent de le kidnapper. Je téléphone au commandant Jacquerez1 dans ce sens. Il me répond à mots couverts que là-bas ça ne vas pas du tout, et je comprends que le commandement local (Ginestet) et les autres troupes sont résolument hostiles à notre action. Il me dit que la mission en question ne peut certainement pas être remplie. Je l’encourage pour la suite en lui disant que nous espérons éliminer Tlemcen demain. La nuit est tombée de puis longtemps. La conclusion de cette journée est très inquiétante pour l’Oranie. Nous restons cependant confiants dans la suite des événements ; il s’agit pour nous de tenir ici en parant au plus pressé ; d’ici 24 ou 48 heures tout basculera en notre faveur sous la pression du succès dans le reste de l’Algérie. Nous croyons en effet que l’ensemble du territoire du Corps d’Armée d’Alger et celui de Constantine (on a annoncé le matin le ralliement de Gouraud) est désormais entièrement acquis au mouvement. Hélas…

1 Commandant, 1er R.E., à Saïda

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Lundi 24 avril Au réveil, je laisse donc Argoud pour assurer le commandement en mon absence, avec les officiers de légion, sauf Glasser que j’emmène avec moi. Masselot et Lecomte sont partis un peu avant nous comme prévu, je dois les rejoindre sur la route avec une section de la compagnie

Bonnel comme escorte, qui m’attend à La Sénia. Malheureusement au moment de partir, notre voiture reste en panne… ( sabotage, cette VL étant fournie par le Corps d’Armée ?). Près

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d’une heure de perdue pour en faire venir une autre. Nous partons enfin, trajet jusqu’à SBA sans histoires, nous laissons tomber l’escorte pour ne pas nous retarder davantage. En arrivant aux lisières de SBA, nous dépassons les échelons arrière des régiments paras ; un officier nous dit que les colonnes sont passées et déjà en route sur Tlemcem. Je décide donc de continuer au plus vite pour les rattraper, sans m’arrêter au 1er R.E. Je le ferais au retour. Nous dépassons Détry, Lantar, continuons sans rien trouver. Je commence à me demander si les paras sont bien devant nous, il y a longtemps que nous devrions les avoir rejoints. A Tassin, je m’arrête à la gendarmerie, où l’on me dit qu’aucune troupe n’est passée. Je téléphone au 1er R.E. pour m’informer. Bertany me répond qu’effectivement les deux régiments se sont arrêtés à SBA, en attente, sur la route de Mascara (ce qui explique que je ne les ai pas vus), tandis que Masselot partait en hélicoptère pour faire une démarche personnelle auprès de Pouilly. On attend sont retour d’un moment à l’autre. Je reviens donc à SBA auprès du 1er R.E. où Bertany, qui y est seul, m’apprend :

-que Masselot vient de revenir de Tlemcem en hélico, ramenant Pouilly, qui a accepté de se rendre auprès de Challe à Alger, en avion, après une conversation téléphonique avec celui-ci. L’opération sur Tlemcem est suspendue jusqu’au résultat de cette démarche.

-que Brothier a réuni tous ses cadres, officiers et sous-officiers, pour leur parler de la situation. Je ne saurais qu’une chose précise de cette réunion, c’est que Brothier a conclu que Pouilly n’ayant pas tenu ses engagements du 22 au soir (se retirer purement en simplement), il se refusera, quoiqu’il arrive, à se placer désormais sous mes ordres. Mais il n’a rien de net quant à sa ligne de conduite pour l’instant, autant que je sache.

Brothier s’étant rendu avec de Baulny au PC de la zone en sortant de cette réunion, je décide d’aller l’y retrouver. Je l’y rencontre en effet avec le général Perrotat. Brothier fait aussitôt une scène très violente ( Perrotat se retire aussitôt ) me disant que c’est Argoud, qui par son agitation et son manque de mesure, a tout saboté et fait échouer la tactique de persuasion qu’il préconisait le 22 au soir, qui aurait amené, selon lui, un ralliement progressif en Oranie. Il prétend que c’est le mouvement d’unités de légion sur Oran, fait malgré lui, qui a braqué tout le monde ; qu’on a voulu disposer de son régiment à son insu, que cela ne se produira plus, qu’il préfère s’en aller, en ne répond de rien quant aux conséquences, etc… Il ne répond pas bien entendu à mes arguments ou contradictions ; impossible d’autre part de lui tirer une conclusion sur ce qu’il aurait lieu de faire à son avis, des propositions, et encore moins sur la ligne de conduite personnelle qu’il désire adopter. Je n’en tire que des récriminations et des prédictions sinistres. Poussé dans ses retranchements, il se borne à dire qu’il n’y a rien à faire tant qu’Argoud sera avec moi à Oran. Enfin, affectant de me juger très fatigué, il me suggère, ce qui est injurieux, d’aller me reposer chez ma fille (Glasser) et d’y attendre les événements, auxquels, dit-il, on ne peut plus rien. Je lui réponds très vertement que j’ai été chargé d’une mission, que je me déshonorerais en la désertant, et que même si je n’ai plus aucune possibilité d’agir, je resterai à Oran jusqu’à ordre contraire de Challe. Brothier fait d’autre part dramatiquement état des événements de Paris qu’il a appris par la radio (mise sur pied de milices par Malraux, etc.) et prédit la main mise des communistes sur la Métropole… Tout cela ne rime à rien. Pour finir, cependant, il me suggère de proposer à Challe d’accepter que Perrotat prenne le commandement du Corps d’Armée. Il espère qu’on trouvera une formule qui permettra d’accepter « l’autorité de fait » de Challe. Et d’y faire adhérer les commandants de zone, en attendant mieux.

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Je fais demander à Perrotat de revenir, et lui pose la question. Il répond par une mimique dubitative à ma question de savoir s’il accepterait de se rallier (c’est tout vu : il se rallierait au succès, mais ne prendra pas le moindre risque) et qu’il lui faudra d’abord consulter les commandants de zone. Je m’en vais donc retourner à Oran, après cet entretien réjouissant. Avant de partir, Brothier me propose encore de me donner comme aide de camp le lieutenant Gardy, en me reprenant Glasser qu’il affecte de croire très énervé. Je refuse nettement en lui disant que le lieutenant Gardy n’a rien à faire auprès de moi, et que Glasser me satisfait et est parfaitement calme, ce qui est exact. Brothier réclame d’autre part le retour d’urgence à SBA de Pompidou. En me quittant, de Baulny, visiblement désolé, me dit de lui faire confiance, qu’on ne peut forcer la main à Brothier mais qu’on arrivera, en donnant le commandement à Perrotat, à rallier celui-ci et, par lui, les autres… En arrivant à Oran, la première chose que j’apprends est que Brothier, dès le début de la matinée, a donné l’ordre aux deux compagnies de légion restées à ma disposition (Bonnel à Oran même, l’autre compagnie à La Sénia) de rentrer immédiatement à SBA. Elles sont donc parties sans être relevées. A mon P.C. même, il ne reste pas une seule escouade dont je puisse être sûr. Désormais, je suis fixé. Brothier veut démontrer qu’il n’a pas adhéré effectivement au mouvement (malgré les engagements qu’il avait pris, en fait) et qu’il n’a jamais donné l’ordre à des éléments de son régiment d’agir ; qu’au contraire, il s’y est opposé. Toutefois, il veut encore laisser croire à Challe et à moi, tant que l’issue finale reste douteuse, qu’il est d’accord en principe avec nous, mais estime que les unités de légion ne doivent pas intervenir dans l’affaire. C’est, je le répète, un virtuose du double jeu. Les autres nouvelles que j’apprends à mon retour à Oran ne sont pas plus gaies :

-L’attitude du contingent en général est de plus en plus hostile. Dans la nuit précédente, selon un renseignement sûr, des éléments du 2ème R.I. avait projeté de nous kidnapper au Château-Neuf. Seule la présence de la section de légion de garde les a fait renoncer à ce projet.

-Le commandant des transmissions du Corps d’Armée, avec ses compagnies, a essayé de partir pour Mers-El-Kébir. Il en a été empêché au tout dernier moment. On ne peut donc compter sur les communications radio et téléphone.

-L’Etat-Major est bien entendu de plus en plus réticent. -Et surtout, de SBA, Lecomte fait connaître qu’il y a des indices inquiétants de flottements

dans certaines de ses unités. Il y aurait un risque grave si l’on voulait reprendre avec elles la mission sur Tlemcen : elle refuserait probablement de marcher. (C’est la conséquence de l’écoute du discours de De Gaulle, et d’un noyautage). Précisément, on annonce d’Alger que Pouilly a confirmé son refus de se rallier.

Challe me précise lui-même que son intention était de le laisser repartir libre, mais

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Général Gouraud

Général de Pouilly

Général Olié

Louis Joxe

Amiral Querville

Colonel Brothier

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qu’ayant appris que Tlemcen utilisait Radio-Maroc pour ses émissions et ses communications avec la Métropole, il a décidé à son encontre une « mesure d’éloignement » à In-Salah. Je rends compte à Challe des évènements de la matinée et des conclusions que j’en tire, notamment en ce qui concerne l’impossibilité de compter sur le régiment de Brothier et sur la situation critique dans l’ensemble en Oranie. Je lui soumets la question pour le commandement du Corps d’Armée par Perrotat. Il approuve l’idée, faute d’autre solution, me prescrit, si Perrotat accepte, de rester auprès de lui comme adjoint pour veiller au grain et de faire pour le mieux… De toutes manières, je fais annuler la mission initialement prévue sur Tlemcen. Le régiment de Lecomte rentrera à Oran, où nous n’avons plus personne. Masselot restera provisoirement à SBA en vue de toute mission éventuelle. Je téléphone à Perrotat pour l’informer de l’accord de Challe pour la solution envisagée. (Challe lui adresse directement un message le désignant comme commandant du Corps d’Armée). Perrotat me dit qu’il a convoqué ses commandants de zone, qu’ils vont arriver, et qu’il espère pouvoir arriver à un compromis viable ; il m’en fera connaître les modalités avant la nuit. Mais il ajoute que l’arrestation de Pouilly va rendre les choses plus difficiles encore. J’appelle ensuite de Baulny qui m’encourage à patienter encore, qu’il fait tout son possible que Brothier revient à de meilleures dispositions, qu’il est persuadé que Perrotat acceptera de marcher avec nous pourvu que les apparences soient à peu près sauves, et que la formule qu’il va adopter comportera la subordination à « l’autorité de fait ». Il m’adjure de lui faire confiance. Pauvre de Baulny, sincère, loyal, voulant croire malgré tout, incapable en tout cas d’aller contre son patron direct. Quel dommage qu’il n’ait pas eu le commandement lui-même… Discussion avec Argoud (qui toute la journée à eu de son côté toutes sortes de difficultés, bien entendu) sur la conduite à tenir. Il est d’avis d’agir en force, d’obliger Brothier à obéir à un ordre formel de mettre ses unités à notre disposition, et s’il refuse, ce qui est hors de doute de le remplacer. Mais je lui rétorque que de Baulny n’acceptera pas, et que personne dans les subordonnés, bien qu’ils nous soient acquis, n’est en mesure d’assumer cette mission. Nous ne pouvons qu’espérer le succès d’un compromis provisoire, comme celui qui est préparé. Je conviens que je n’ai aucune confiance dans cette solution, ni dans la personnalité de Perrotat, que je méprise, mais ceci nous permettra peut-être d’attendre qu’Alger soit en mesure de nous aider. Viens d’arriver d’autre part le lieutenant de vaisseau Guillaume, venant d’Alger, qui nous propose, avec les deux ou trois officiers de marine de Mers-El-Kébir sympathisants de s’emparer demain de la base navale. Ils garantissent qu’il n’y aura pas de résistance effective et que Querville s’embarquera à la première démonstration. Les ordres sont donnés dans ce sens à Lecomte (qui vient d’arriver avec son régiment). L’opération sera menée demain 25 au lever du jour. L’annonce de l’arrivée de la flotte a fait courir des bruits alarmants : débarquement de fusiliers-marins, voire bombardement. En fait il ne s’est rien produit de tel, et il ne se produira rien.

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L’ambiance est toujours angoissante. Les civils sont de plus en plus inquiets de la tournure des évènements. Le départ de Bonnel qui était chargé de les organiser les a déconcertés. Je réclame à SBA son retour demain matin, lui de sa personne au moins, à défaut de sa compagnie. A ce point de vue, une unité sûre de Lecomte a pris en charge la protection du P.C. et des points essentiels. Petitjean nous a rejoints, avec son « maquis » ; sont aussi à notre disposition les CRS qui sont revenus de Tlemcen. Nous envisageons avec ces éléments et les civils dont l’organisation a été préparée par Bonnel de mener l’action si les choses tournaient tout à fait mal. Le colonel Lancrenon que j’ai chargé de régler les « affaires civiles » et qui nous a aidés, je dois le dire, loyalement, y est tout à fait opposé, en raison du risque de déferlement des masses musulmanes gagnées au FLN et des excès probables des civils oranais excités. Sans renoncer à cette éventualité, s’il n’y avait plus d’autre moyen de tenir, je ne l’envisage pas pour l’immédiat. Cette sombre journée s’achève, sans autres nouvelles de SBA et de Perrotat. Le fameux texte annoncé ne nous est pas parvenu, bien après minuit. Je vais prendre quelques heures de repos. Mardi 25 avril Dès l’aube, on me communique un message indiquant le texte rédigé par Perrotat à la suite de la réunion de ses commandants de zone la veille. Il s’exprime à peu près dans les termes suivants (sauf lacune ou erreur de détail de ma part) : …Etant le général le plus ancien sur le territoire du Corps d’Armée d’Oran, je décide d’assumer provisoirement le commandement du Corps d’Armée et de sa zone territoriale, en remplacement du général de Pouilly, momentanément empêché, conformément aux règlements militaires et aux lois de la république. Dans l’exercice de ces fonctions, je continuerai à remplir la mission qui a été confiée au Corps d’Armée par le gouvernement… Si Perrotat n’exprime pas l’intention de lutter contre le mouvement Challe, il n’en ressort pas moins que de ce texte qu’il ne se réfère qu’au gouvernement « légal ». Il ne fait aucune allusion au fait que Challe l’a désigné par message, sur ma suggestion, pour exercer le commandement du Corps d’Armée. Et surtout, contrairement aux promesses de la veille, peu explicites, je le reconnais, et aux garanties de Brothier et de de Baulny, il n’y est pas question d’une quelconque subordination à « l’autorité de fait » d’Alger. J’apprendrai dans la journée, par Masselot, que les commandants de zone, après une violente discussion, se sont opposés à toute expression impliquant cette subordination. Je téléphone à de Baulny qui, navré, désespéré, ne peut que constater l’échec de ses efforts. Je le sens découragé. (Je songe à demander à Challe de convoquer Brothier à Alger pour tenter de le regagner à nous. Cette idée ne pourra être mise à exécution, les événements nous ayant dépassés quelques instants plus tard. Il aurait fallu y penser le premier jour…) Autre nouvelle qui marque la dégradation définitive de la situation : Lecomte m’annonce que deux sur trois de ses compagnies, désignées pour l’opération prescrite la veille au soir sur Mers-El-Kébir, ont refusé de marcher, malgré les efforts des officiers. De plus, cinq sous-officiers ont déserté et probablement rejoint le camp de la « légalité ». Après conversation avec Argoud, qui cette fois est d’avis que notre situation en Oranie est sans issue, je téléphone à Alger pour rendre compte. Challe est en conférence, je ne puis avoir

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au bout du fil que le colonel Coustaux1, puis le colonel de Boissieu. J’expose les nouvelles du matin ci-dessus et conclus que, me heurtant à l’hostilité générale dans tout le Corps d’Armée, ne pouvant compter ni sur le régiment de Brothier, ni maintenant sur celui de Lecomte, je suis hors d’état de remplir ma mission. De Boissieu va rendre compte à Challe et revient quelques minutes après, me prescrivant les ordres de celui-ci : « Regagnez Alger dans la journée avec les régiments de Masselot et de Lecomte. Je n’ai à ce moment-là pas la moindre idée de ce qui se passe à Alger et dans le reste de l’Algérie ; j’ignore que Challe et Zeller considèrent depuis la veille déjà que l’échec du mouvement est fatal, que Challe a pris la décision d’y mettre fin, et que de Boissieu va partir à Paris pour en informer De Gaulle. Je suis persuadé que nous allons regagner Alger pour continuer à agir dans le cadre du mouvement et que, par nous ou par d’autres, la mission pour l’Oranie sera bientôt reprise avec de nouveaux moyens. C’est dans cet esprit que les ordres seront donnés pour le repli sur Alger. L’opération sur Mers-El-Kébir envisagée la veille au soir n’a en fait pas même été ébauchée, (contrairement aux récits fantaisistes de la presse, parlant d’un coup de semonce de la flotte sur les paras), en raison de l’attitude du 14ème R.C.P.. Autant que je sache, car absorbé par de multiples occupations urgentes, je n’ai pas suivi de près l’affaire dont Argoud et le lieutenant de vaisseau Guillaume m’ont parlé ensuite brièvement ; l’amiral Querville est parti de lui-même dès l’aube pour s’embarquer sur un navire au large, sans attendre la moindre démonstration, en laissant le commandement à un officier supérieur. De toutes façons, l’opération n’aurait donc pas été nécessaire puisque le départ de Querville en était le but principal. Celui-ci regagnera la base lorsque tout « danger » aura été écarté. Je voudrais partir le plus tôt possible, puisque la décision est prise, de manière à arriver à Alger dès la nuit prochaine. Nous n’avons plus rien à faire ici. Je suis navré de laisser la population retomber sous le coup des autorités gaullistes, mais il est désormais impossible de nous maintenir. Cependant, il faut prendre certaines mesures, et surtout rassembler, pour les emmener avec nous, nos partisans les plus compromis : C.R.S. passés de notre côté, maquis Petitjean, et un certain nombre de civils ; moyens de transports à trouver pour eux, etc.. Argoud se propose de fixer le départ à 14h30. , il n’est pas possible de démarrer plus tôt. Le lieutenant de vaisseau Guillaume et X partiront également avec nous. Bonnel est revenu dans la matinée, sur mon insistance auprès de de Baulny, et s’occupe activement des civils, avant de regagner SBA. Pompidou rappelé expressément par Brothier part de son côté pour SBA au milieu de la matinée. Il demandera à Brothier d’envoyer au minimum une compagnie à Oran avant 14h pour couvrir notre départ en cas d’incidents. L’attitude des unités du contingent en ville est en effet plus que douteuse. Bien entendu, Brothier n’enverra aucun élément… Je n’ai plus donc avec moi que Glasser. Je lui demande de m’accompagner jusqu’à Alger, d’où il regagnera SBA avec les derniers renseignements appris sur place et des directives de Challe pour la suite.

1 Chef du 3ème bureau de l’Etat-Major à Alger

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Retour vers L’Algérois

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Masselot m’appelle au téléphone de SBA où il est toujours ; Perrotat lui propose d’être employé avec son régiment sur la frontière marocaine où une alerte est, paraît-il, en cours. Je lui réponds que c’est probablement un piège pour le soustraire à notre cause, et que l’ordre de Challe de regagner Alger est formel. Il acquiesce aussitôt. Du reste, cette alerte, si elle a eu lieu, n’a eu en tout cas aucune gravité. Le barrage disposant de tous ses moyens et de ses réserves, auxquelles nous n’avons pas touché, même s’il s’agissait d’unités qui nous avaient exprimé leur ralliement. Par ailleurs, Masselot et Lecomte reçoivent un message du général Autrand1 prescrivant à tous ses corps de regagner sans délai leur base. Nous ignorons à ce moment si cet ordre est donné d’accord avec Challe ou non. On verra donc à l’arrivée à Alger. J’ai une dernière conversation avec le colonel Lancrenon, bien inquiet et désorienté, qui décide de rester. Je le remercie de ses services et le charge de veiller à ce que la gendarmerie assure le maintien de l’ordre après notre départ. Je convoque le chef d’état-major du Corps d’Armée, qui s’est borné à assurer les affaires courantes, pour lui donner les directives en attendant que la situation se clarifie ; il est bien entendu déjà au courant de notre départ imminent et ne fait pas de commentaires. Le rassemblement des éléments divers qui doivent se joindre à nous est laborieux. Il s’effectue cependant sans incidents notables, de même que le départ et la traversée de la ville. La population européenne est frappée de stupeur et ne réagit pas. Les musulmans des faubourgs se tiennent tranquilles, comme les jours précédents. L’attitude des militaires « loyaux » qui nous regardent partir est veule et avachie. Mais aucun cri ou geste de leur part. La colonne démarre en direction de Sainte Barbe du Tlélat où Masselot doit nous attendre pour se joindre à nous. Nous y arrivons vers 16h ou 16h30. Outre Masselot et son régiment, Brothier et un certain nombre d’officiers de SBA sont venus nous faire leurs adieux : de Baulny, Des Rieux, Pompidou, Bertany, d’autres encore que j’oublie. Le commandant Orsini est venu de Mascara. Tous sont catastrophés de ce qui s’est passé en Oranie et de l’inaction du 1er R.E.. Ils en voient maintenant les conséquences. Toujours ignorant, et eux aussi de ce qui se passe à Alger, je leur dis que nous reviendrons bientôt, et que nous gagnerons. Quant à Brothier, je suis naturellement plus que froid avec lui, et lui demande simplement ce que je dois dire de sa part à Challe, à mon arrivée à Alger, sur son attitude désormais : se considère-t-il encore comme lié à notre mouvement, au moins en principe ? Impossible de lui arracher une réponse : « …tout le monde connaît mes sentiments, j’ai fait l’impossible pour trouver une solution, etc., etc. ». Je le quitte pour parler aux autres officiers et ne le reverrai pas. Pompidou décide brusquement de se joindre à nous pour passer définitivement dans notre camp. Comme il n’appartient pas à la garnison de SBA et qu’il n’est là que provisoirement, Brothier l’a laissé libre d’agir désormais à sa guise. La marche reprend, le régiment de Masselot cette fois en tête. Arrêt de plus de deux heures dans les environs de Relizane. Le général de Menditte2 a fait porter par un officier une lettre personnelle à Masselot, lui imputant une certaine responsabilité dans l’arrestation de Pouilly par Challe. En fait Masselot n’avait pris aucun engagement, et on sait pourquoi Challe a fait arrêter Pouilly (affaire de Radio-Maroc). De Menditte propose à Masselot de se constituer lui-même en otage à Mostaganem jusqu’à la libération de

1 Commandant la 25ème Division Parachutiste 2 Commandant la zone Est-Oranais et la 5ème D.B. à Mostaganem

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Pouilly. Masselot répond bien entendu négativement. Un groupe d’officiers « loyalistes » stationne au bord de la route, parmi lesquels le général Hublot1 qui discute avec Masselot. Je ne m’en mêle pas. Un avion fait le va et vient avec le PC de de Menditte, emmenant la lettre de Masselot rapportant je crois une réponse. Tout cela traîne, et n’a sans doute pour but que de nous faire perdre notre temps. Je presse Masselot de repartir, ce qu’il fait enfin. Un barrage prétend « contrôler » la colonne, et sans s’opposer à notre mouvement, empêche les éléments civils de poursuivre la route avec nous. La compagnie de tête de Masselot passe outre et les « loyalistes » s’écartent précipitamment. Le mouvement se poursuit. La nuit est tombée depuis longtemps lorsque nous arrivons à proximité d’Orléansville, où le général Prieur2, bien que non rallié au mouvement, a fait envoyer des citernes de ravitaillement en essence. Mon intention est de continuer la route jusqu’aux abords d’Alger, mais les conducteurs sont fatigués et Masselot me demande de bivouaquer quand nous aurons dépassé largement Orléansville. Mais sur ces entrefaites, un officier se présente et demande à Masselot de venir au PC de Prieur qui a des informations de la plus haute importance à lui communiquer. Il s’y rend et reste très longtemps. J’ai de sombres pressentiments, sans toutefois imaginer ce que nous allons apprendre. Masselot revient enfin et me demande à venir avec Argoud et Lecomte à l’écart. Il nous apprend que selon des renseignements certains, qu’il a pu vérifier, le mouvement de Challe est terminé ; les autorités légales et les forces « loyalistes » ont repris le contrôle d’Alger, sans rencontrer de résistance. On n’en sait pas plus. Le bruit court, mais ce n’est là qu’un bruit, que les quatre généraux s seraient rendus. Une autre information dit que le général Salan se serait suicidé. En tout cas, l’effondrement de notre mouvement est certain, quelles qu’en soient les causes et les circonstances. Nous sommes atterrés. Nous nous concertons sur la conduite à tenir dans l’immédiat, pour nous, pour les deux régiments, pour les éléments qui se sont joints à nous. Après une brève délibération, nous décidons de continuer le plus vite possible jusqu’en Mitidja. Les deux régiments y marqueront un temps de repos y marqueront un temps de repos et poursuivront, sauf événements imprévus à nouveau, sur leurs bases de Philippeville. Les C.R.S., les civils, les partisans de Petitjean sont informés et laissés libres d’agir à leur guise : les uns se répandront dans la nature, la plupart tenteront de regagner Oran. Petitjean lui-même décide de se rendre, il est découragé. Quant à Argoud et moi, notre intention a priori est de se planquer dans la Mitidja, sans savoir encore comment. Ces décisions prises, la colonne est remise en route. Prieur, bien qu’ayant engagé Masselot à ne pas pousser plus loin, ne fait rien pour s’opposer au mouvement. Mercredi 26 avril Nous nous arrêtons au passage à Duperré pour essayer d’y recueillir des informations plus précises ou plus détaillées. Masselot y connaît le colonel Kaminski 3 , non rallié au mouvement, mais sympathique, et va le voir. J’ignore l’heure, mais il doit être environ

1 Adjoint au général de Pouilly au Corps d’Armée d’Oran 2 Commandant la zone Ouest-Algérois et la 9ème D.I. à Orléansville 3 Commandant le secteur de Duperré

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deux ou trois heures du matin. Masselot revient après s’être renseigné ; on confirme l’effondrement de notre mouvement. Challe se serait rendu ; les autres seraient en fuite. Morin et Gambiez et les autres « éloignés » seraient déjà de retour à Alger. La gendarmerie, les C.R.S., les unités « loyalistes » auraient réoccupé entièrement la ville, sans incidents sérieux. Les unités qui avaient soutenu le mouvement seraient reparties pour leurs cantonnements ou leurs bases, y compris le 1er R.E.P. Pompidou et Glasser me demandent de nous quitter et de prendre tranquillement le train du matin pour SBA, où ils tacheront de rejoindre leur corps sans être remarqués. Je les approuve et leur fais mes adieux. Nous repartons sur Affreville et Blida ; je monte dans le camion PC pour éviter d’être repéré au lever du jour dans ma voiture. Je m’habille en civil (j’ai heureusement conservé avec moi mes vêtements). Je me débarrasse de tous les documents que j’avais emportés d’Oran, qui seront brûlés par les soins de Masselot, ainsi que mes pattes d’épaule et autres insignes de grade et de l’Arme. Masselot, spontanément, me déclare que tant que je serai au milieu de son régiment, personne ne touchera pas plus qu’à Argoud et qu’il nous déposera en lieu sûr d’où nous pourrons essayer de trouver une planque. Il fait grand jour depuis longtemps quand nous traversons Blida. La colonne s’arrête un moment après. Voici le lieu très provisoire, où nous pourrons disposer de quelques heures pour atteindre un gîte plus sûr, on nous en fournit les moyens. Je fais mes adieux à Masselot ; nous sommes émus tous les deux. Je lui dis simplement mes remerciements pour ses services dans notre cause maintenant perdue, et la profonde estime pour son caractère. Il remonte en jeep et s’éloigne. Je reste seul avec Argoud et mes nouveaux compagnons qui vont nous aider à disparaître. L’aventure est terminée. Nous sommes désormais des proscrits.

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Extraits d’un fascicule de la Sûreté Nationale : Individus recherchés

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