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La femme qu’a nom - Qui vous mit dans ce temple ? - Une femme inconnue Qui ne dit point son nom, et qu'on n'a point revue. Jean Racine (Athalie) Décembre 2013. Déjà vingt chroniques au compteur. Avec le recul, je m’aperçois qu’il y a indéniablement une cohérence dans mes choix de titres et dans mes inclinations de lecteur. J’en ai eu conscience après avoir emprunté à la bibliothèque de Mosset un roman de John Le Carré, La Constance du jardinier. Tiens ! me suis-je dit, un autre jardinier, après celui de Lucien Suel (ma chronique n° 2) dont l’une des vertus était aussi la constance… Et c’est là que j’ai noté que j’aimais les personnages que rien ne prédestinait à devenir héroïques et qui humblement le deviennent, des petites gens confronté(e)s aux absurdités du monde et de l’histoire. Qui ne gagnent pas à tous les coups mais qui luttent avec leurs modestes moyens : le Pereira d’Antonio Tabucchi, le jardinier de Lucien Suel, certains (certaines, car elles sont femmes) des personnages de Carole Fives, les putes au grand cœur et les ouvriers du salpêtre d’Hernan Rivera Letelier, Lucio, el ultimo lector de David Toscana, Sunderson (cet homme minuscule parmi les herbes hautes, comme le qualifie Jim Harrison), les laissés-pour-compte des temps modernes de Didier Daeninckx, les vies minuscules honorées par Christian Bobin, cette jeunesse abîmée par la guerre d’Algérie dans le récit de Laurent Mauvignier, la jeune morte qu’ Akira Yoshimura range sur un coin d’étagère… Des livres différents certes les uns des autres mais en même temps apparentés. Et dans le labyrinthe que constituent les humeurs qui nous poussent à choisir tel ou tel auteur, la bonne fée dont je suivais le fil m’a conduit au roman Tous les noms de l’écrivain portugais José Samarago.

20 - chronique de Jean-Luc n° 20.pdf

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La femme qu’a nom

- Qui vous mit dans ce temple ?

- Une femme inconnue

Qui ne dit point son nom, et qu'on n'a point revue.

Jean Racine (Athalie)

Décembre 2013. Déjà vingt chroniques au

compteur. Avec le recul, je m’aperçois qu’il y a

indéniablement une cohérence dans mes choix de

titres et dans mes inclinations de lecteur. J’en ai eu

conscience après avoir emprunté à la bibliothèque

de Mosset un roman de John Le Carré, La Constance

du jardinier. Tiens ! me suis-je dit, un autre jardinier,

après celui de Lucien Suel (ma chronique n° 2) dont

l’une des vertus était aussi la constance… Et c’est là

que j’ai noté que j’aimais les personnages que rien

ne prédestinait à devenir héroïques et qui humblement le deviennent, des petites

gens confronté(e)s aux absurdités du monde et de l’histoire. Qui ne gagnent pas à

tous les coups mais qui luttent avec leurs modestes moyens : le Pereira d’Antonio

Tabucchi, le jardinier de Lucien Suel, certains (certaines, car elles sont femmes) des

personnages de Carole Fives, les putes au grand cœur et les ouvriers du salpêtre

d’Hernan Rivera Letelier, Lucio, el ultimo lector de David Toscana, Sunderson (cet

homme minuscule parmi les herbes hautes, comme le qualifie Jim Harrison), les

laissés-pour-compte des temps modernes de Didier Daeninckx,

les vies minuscules honorées par Christian Bobin, cette jeunesse

abîmée par la guerre d’Algérie dans le récit de Laurent

Mauvignier, la jeune morte qu’ Akira Yoshimura range sur un

coin d’étagère…

Des livres différents certes les uns des autres mais en même

temps apparentés. Et dans le labyrinthe que constituent les

humeurs qui nous poussent à choisir tel ou tel auteur, la bonne

fée dont je suivais le fil m’a conduit au roman Tous les noms de

l’écrivain portugais José Samarago.

José est employé aux écritures du Conservatoire général d’une grande ville

portugaise. Son travail (et celui de ses collègues) : enregistrer et archiver tous les

documents d’état-civil de ses concitoyens. Dans les rayonnages immédiats, derrière

les guichets d’accueil, les fiches des vivants, rangées de bas en haut.

Conformément au prétendu ordre naturel des choses, être arrivé en haut

d’une étagère signifie que la chance est désormais fatiguée, que le chemin à

parcourir ne sera plus très long. La fin de l’étagère est, dans tous les sens du

terme, le commencement de la chute. Il se trouve toutefois que, sans que l’on

sache pourquoi, certains dossiers se maintiennent au bord extrême du vide,

insensibles à l’ultime vertige, pendant des années et des années, bien au-delà

de ce qui est recommandé habituellement pour une existence humaine. (p.16)

Dans les tréfonds du Conservatoire les déclarations de décès. Par petites touches

où affleure un humour pince-sans-rire, José Saramago laisse imaginer une machine

administrative entre Messieurs-les-ronds de cuir, José-Luis Borges et Kafka : angoisse

et absurdité. Littéralement, un labyrinthe aussi (nous y voilà).

Un chercheur […] se perdit dans les catacombes labyrinthiques des archives

des morts. Il fut découvert presque par miracle une semaine plus tard, affamé,

assoiffé, épuisé, délirant, ayant survécu uniquement parce que, en désespoir de

cause, il avait recouru à l’ingestion d’énormes quantités de vieux papiers. Le

chef du Conservatoire général, qui avait déjà

fait apporter sur son bureau la fiche et le

dossier de l’historien imprudent pour y

inscrire sa mort, décida de fermer les yeux

sur les ravages, qui furent officiellement

attribués aux souris, mais il rédigea ensuite

une note de service prescrivant, sous peine

d’amende, l’utilisation obligatoire du fil

d’Ariane pour tous ceux qui devaient se

rendre dans les archives des morts. (p.15)

Dessin de Carl Spitzweg

Monsieur José, corvéable à merci, qu’il faut imaginer au

bas de l’échelle administrativement parlant, se retrouve

régulièrement en haut de l’échelle par laquelle on accède

aux dossiers les plus poussiéreux. Et comme il souffre d’un

vertige qu’il n’a jamais osé avouer à ses supérieurs, il

s’équipe en secret d’un harnais de sécurité à sa façon.

Bien entendu, à cinquante ans, monsieur José est

célibataire. Chez lui – il loge dans une masure accolée au

Conservatoire, pour occuper sa solitude, monsieur José a

un hobby : pour le changer des fiches d’état-civil qu’il

manipule dans la journée, il en compose d’autres en vue

d’édifier une collection de notices sur cent personnages

célèbres nationaux.

On rencontre partout des gens

comme ce monsieur José, ils

occupent leur temps, ou celui qu’ils

croient que la vie leur laisse, à

collectionner des timbres, des

monnaies, des médailles, des

potiches, des cartes postales, des

boîtes d’allumettes, des livres, des

montres, des chandails de sport,

des autographes, des pierres, des

personnages en terre cuite, des cannettes vides de boissons rafraîchissantes,

des petits anges, des cactus, des programmes d’opéra, des briquets, des stylos,

des hiboux, des boîtes à musique, des bouteilles, des bonsaïs, des tableaux, des

gobelets, des obélisques en cristal, des canards en porcelaine, des jouets

anciens, des masques de carnaval, poussés probablement par quelque chose

que nous pourrions appeler angoisse métaphysique… (p.21-22)

collectionnite - nom commun, féminin

Compulsion à collectionner, à amasser des objets de collection.

Les collectionneurs se répartissent entre ceux qui sont placard (amassant des objets d'art pour

leur seul plaisir) et ceux qui sont vitrine (exhibant leurs trouvailles) mais tous ont la

collectionnite aigüe.

Laquelle est la vôtre ? Autographilie, bibliophilie, boximusicophilie, cactophilie,

canettophilie, cartophilie, hululophilie, ludophilie, masquerophilie, médaillite, minéralophilie,

mostrophilie, numismatie, philatélie, philuménie, pyrophilie, stylographilie, vasophilie (et

pourquoi pas paninie). Pour en savoir plus : - http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_collections_par_ordre_alphab%C3%A9tique

- http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_collections_par_th%C3%A8me

Il puise nuitamment les informations dont il a besoin dans les rayons du

Conservatoire. Une nuit, il ramène par mégarde la fiche d’une jeune femme

inconnue.

Pour se calmer il alla boire une gorgée d’eau-de-vie. En raison de sa hâte et du

manque d’habitude, car dans sa vie insignifiante même le bon et le mauvais

avaient été rares, il s’étrangla, toussa, toussa encore, presque au bord de la

suffocation, pauvre préposé aux écritures avec cinq fiches à la main, il pensait

en avoir cinq, mais à cause de sa quinte de toux il les avait laissées tomber et il

n’y avait pas cinq fiches mais six, éparpillées par terre,

n’importe qui peut venir voir et

les compter, un, deux, trois,

quatre, cinq, six, jamais une

seule gorgée d’eau-de-vie n’eut

pareil effet.

Quand il reprit enfin haleine, il

se baissa pour ramasser les

fiches, un, deux, trois, quatre,

cinq, six, il n’y avait aucun doute,

à mesure qu’il les rassemblait il

lisait les noms qui y étaient

inscrits, tous célèbres, sauf un. (p.35-36)

Très vite, il oubliera ses célébrités, hanté qu’il est par le mystère de cette femme

dont il ne connaît quasi rien. Elle n’était que trois lignes sur une feuille de bristol. Peu

à peu, une silhouette, puis un destin, vont prendre forme au fil (d’Ariane) d’enquêtes

plus gauches les unes que les autres. Gauches, certes, mais aussi

touchantes, voire rocambolesques. Ainsi monsieur José, s’improvisant

cambrioleur, déniche les dossiers de scolarité de l’inconnue, avec comme il

se doit, pour chaque année d’école, une nouvelle photographie.

Sur cette photo prise quand elle avait quinze ans ses yeux conservaient

leur air de gravité douloureuse. Monsieur José la posa soigneusement sur

une chaise et poursuivit sa quête… Au Conservatoire général ce n’était pas

comme cela, au Conservatoire général il n’y avait que des mots, au

Conservatoire général on ne pouvait pas voir comment les visages avaient

changé et continuaient à changer, alors que c’était précisément cela le plus

important, ce que le temps transforme, et non pas le nom, qui lui ne varie

jamais. (p.109)

On a reconnu ( ?) :

José-Manuel Barroso

José Mourinho

Christian Ronaldo

Maria de Medeiros

Linda de Suza

Photo du film Les Lumières de la Ville où le visage de la

jeune aveugle a été remplacé par celui de sa grand-mère

Quand on nous dit : La vie augmente, ce n’est pas Que le corps des femmes Devient plus vaste, que les arbres Se sont mis à monter Par-dessus les nuages, Que l’on peut voyager Dans la moindre des fleurs, Que les amants Peuvent des jours entiers rester à s’épouser. Mais, c’est, tout simplement, Qu’il devient difficile De vivre simplement.

Timide et embarrassé comme il est, monsieur José n’a, pour la conversation, qu’un

interlocuteur avec lequel il se sent en relative confiance : lui-même.

Monsieur José, pour ne pas perdre les avantages

dialectiques conquis, inventa dans sa tête la fantaisie

de ce nouveau dialogue dont il sortit aisément

vainqueur, malgré le ton ironique et comminatoire de

son interlocuteur, comme une nouvelle lecture plus

attentive pourra le prouver. Et il le fit avec une telle

conviction qu’il fut même capable de se mentir à lui-

même et de défendre ensuite son mensonge sans le

moindre remords de conscience. (p.44)

Pourtant ses pérégrinations inquisitives l’amèneront à faire de belles rencontres.

Comme celle de cette vieille dame :

Quand j’eus fini de parler, elle me demanda,

Et maintenant, que comptez-vous faire […] il

se produisit alors une chose à laquelle je ne

m’attendais pas, elle retint ma main et la

porta à ses lèvres. Jamais de ma vie une

femme ne m’avait baisé la main, j’en ressentis

comme un choc dans mon âme, un

tressaillement dans mon cœur, et maintenant

encore, alors que bien des heures ont passé et

qu’il fait déjà jour, tandis que je consigne dans

mon carnet les événements de la veille, je regarde ma main droite et je la

trouve différente, même si je suis incapable de dire en quoi consiste cette

différence, cela doit se passer à l’intérieur, pas à l’extérieur. Monsieur José

arrêta d’écrire… (p.195)

Car, au fil des jours et des pages, monsieur José change

comme si désormais il prenait corps et présence, plus grande

et plus belle. Parvenant à réaliser cet exploit de démentir,

comme monsieur Pereira de Tabucchi, le court poème

d’Eugène Guillevic que j’ai déjà cité (ma chronique n° 5).

Sa maison était là, mais elle semblait beaucoup plus

petite, ou alors c’était le Conservatoire qui avait

augmenté de taille pendant les dernières heures.

Double portrait de Fernando

Pessoa par Almada Negreiros

Monsieur José entra en baissant la tête, pourtant il n’avait pas besoin de se

courber, le linteau de la porte donnant sur la rue était à sa hauteur habituelle,

et lui n’avait pas grandi physiquement, pas plus que ses actions, ou ses

obligations, ou son crédit. (p.145)

Monsieur José discourant avec lui-même, on l’a vu, il ne faut pas s’étonner si l’on a

l’impression de ne pas sortir de la forme du monologue même quand il y a réellement

face à face deux interlocuteurs, tellement monsieur José intériorise toute situation.

Le procédé peut paraître déroutant mais on finit par en accepter le parti-pris (il suffit

de repérer le signal des majuscules). Ainsi cet exemple quand monsieur José rentrant

chez lui y trouve le Conservateur en chef qui a tout découvert :

Je peux vous expliquer, Ce n’est pas nécessaire, j’ai observé régulièrement vos

activités, en outre votre cahier de notes m’a été d’une grand assistance, je

profite de cette occasion pour vous féliciter de la qualité de votre plume.

Demain je vous présenterai ma démission, Que je n’accepterai pas, Et

pourquoi, si vous me permettez de vous posez la question…

Je n’en dirai pas plus. Si vous voulez accompagner la quête de monsieur José,

laissez-vous guider dans le labyrinthe de cette histoire qui mêle émotion, humour et

magie. Comment faire ? Suivez son exemple :

Il attacha l’extrémité du fil à sa cheville et avança vers l’obscurité. (p.271)

Et si vous vous laissez prendre à aimer ce roman de José Samarago (seconde photo

ci-dessous), vous aimerez, j’en suis sûr, les films de Wood Allen (sur la photo, il

embrasse Romy Schneider) et, sans doute, aimerez-vous le premier roman d’Emile

Ajar (alias Romain Gary) : Gros-Câlin, qui plante lui aussi un protagoniste solitaire en

mal d’affection, plein de touchante gaucherie, incarnation probante que l’humour est

bien la politesse du désespoir.

Illustration de Chiara Carrer

pour un roman de Gabriele

Clima (Mumi senza memoria)

Trois digressions avant de fermer cette chronique.

Chronique que j’ai failli intituler « L’inconnue du labyrinthe ». A cette occasion,

surfant sur internet, je suis tombé sur une autre histoire d’inconnue. Je cite :

Vous savez Resusci Anne,

ce mannequin-poupée

fabriqué en des millions

d'exemplaires pour

enseigner le secourisme ?

Connaissez vous son

histoire ? Avez vous déjà

remarqué son sourire et son

air paisible ? À la fin du 19e, le corps d’une très jeune femme fut repêchée dans la

Seine sans que personne ne l'identifie. Un employé de la morgue trouva son visage

tellement paisible et son sourire tellement beau qu'il en fit un moulage. Le masque de

celle qui sera nommée "l'inconnue de la Seine" devint alors un mythe allant jusqu'à

inspirer certains poètes. comme : Louis Aragon, Vladimir Nabokov et Jules

Supervielle.

Dans les années 50, le fabricant de jouets Norvégien Asmund Laerdal réalise ses

Resusci Anne en s'inspirant du visage de...." l'inconnue de la Seine ".

Celle qui (comme le prétend la légende) se serait donné la mort en se jetant dans la

Seine à cause de ses échecs amoureux est devenue la femme la plus embrassée au

monde et sauve des milliers de vie ! Un fabuleux destin posthume !

http://www.letribunaldunet.fr/actualites/la-femme-la-plus2-embrassee-au-monde-

est.html#BAqeZbq5wlQ3XeH4.99

Mosset aussi possède son archiviste fou (ne

voyez pas de malignité derrière ce qualificatif

mais comment appeler autrement les vrais

passionnés) : Jean Parès dont j’ai déjà salué le

travail dans ma chronique n° 12. Tous ces noms

de Mossétans qu’il exhume des Archives

Départementales. Et tous ces documents

comme cet extrait d’Etat-civil rédigé en catalan

daté de 1713 : un tricentenaire !

Autre tricentenaire, celui de l’épigraphe qui orne la clé d’arc au-

dessus de la porte de la Maison du Juge (la Casa del Jutge), au 7 de

l’Escaler del Jutge. Battu Verdi, au bicentenaire duquel Opéra

Mosset a rendu hommage !

Enfin, deux poèmes que j’associe au roman de José Saramago :

Le premier de Paul Verlaine Le second de Louis Aragon (Elsa, 1959)

Chacun est un livre. Ici, bien rangé sur une étagère de la bibliothèque de Mosset.

Classé. Oublié là-bas peut-être, sous un pouce de poussière. Mais aussi, ailleurs,

vivant. Dès qu’il s’ouvre dans les mains d’un feuilleteur, dès qu’il se retrouve entre les

lèvres d’un diseur (Ah ! diseur, diseur et demi !), souvenir vivace dans la tête et le

cœur du lecteur qui l’aimera.

José Saramago, Tous les noms, éditions du Seuil – 271 pages (1999)

Encore en 2013. Bonnes fêtes à toutes et à tous. Le 22 décembre

Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend. Car elle me comprend, et mon coeur, transparent Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême, Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant. Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore. Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues, Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L'inflexion des voix chères qui se sont tues.

Tu m’as enseigné l’alphabet de douleur

Je sais lire maintenant les sanglots Ils sont tous faits de

ton nom

De ton nom seul ton nom brisé ton nom de rose effeuillée

Ton nom le jardin de toute Passion

Ton nom que j’irais dans le feu de l’enfer écrire à la face

du monde

Comme ces lettres mystérieuses à l’écriteau du Christ

Ton nom le cri de ma chair et la déchirure de mon âme

Ton nom pour qui je brûlerais tous les livres

Ton nom toute science au bout du désert humain

Ton nom qui est pour moi l’histoire des siècles

Le cantique des cantiques

Le verre d’eau dans la chaîne des forçats

Et tous les vocables ne sont qu’un champ de culs-de-

bouteille à la porte d’une cité maudite

Quand ton nom chante à mes lèvres gercées

Ton nom seul et qu’on me coupe la langue

Ton nom

Toute musique à la minute de mourir