2012 -Delebecque Droit_05 - Base

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    Annales IMTM 2 012

    Philippe DELEBECQUEPrsident de la Chambre

    Arbitrale Maritime de Paris

    La gestiondes sinistres majeurs.Aspects juridiques.

    Lanotion de sinistre majeur renvoie la question de savoir sil existeun droit des catastrophes. Sans doute existe-t-il des dispositions sp-ciques en matire dassurance, plus prcisment en cas de catas-trophe naturelle (L. 1982) ou de catastrophe technologique (L. 2003). Dans ledomaine des transports, on ne trouve rien de tel. Quil y ait draillement, crash arien ou naufrage, ce sont les textes gnraux qui sappliquent (code destransports ou conventions internationales). Si dramatiques soient-ils, ces v-nements appellent une indemnisation, mais, somme toute, comme toutdommage corporel. La mme observation simpose pour les accidents mat-riels : pollution, abordage, Peu importe lampleur des prjudices, le droit estle mme : trouver le ou les responsables et assurer une juste indemnisation.Dans ces conditions, il est permis de se demander si traiter des aspects juri-diques du sinistre majeur prsente un intrt. A priori, la rponse est ngative,

    mais la rexion, elle peut tre positive, du moins si lon considre les acci-dents corporels, spcialement si lon tient compte du droit maritime qui, pr-cisment, connat le concept de sinistre majeur. Lart. L. 5421-4 du code destransports (issu de la loi du 18 juin 1966) dispose que la responsabilit du trans-porteur maritime de passagers est prsume si la mort ou les blessures du pas-sager rsulte dun naufrage, dun abordage, dun chouement, dune explosion,dun incendie ou de tout autre sinistre majeur . La notion est comprisecomme un accident grave et de nature collective 1.

    1. V. CA Aix 17 juill. 1997, cit par MM. Bonassies et Scapel, Trait de droit maritime, n 1244, lais-

    sant entendre que le sinistre majeur est laccident affectant la scurit du navire ou pouvantavoir un tel effet

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    LE MONDE MARITIME EN PERSPECTIVE2

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    Le Protocole dAthnes de 2002 et le rglement passagers de 2009 consacreau demeurant la distinction entre laccident grave, collectif, et laccident indi-

    viduel. Il reste, cependant, que le droit maritime est, en loccurrence, isol, etque les autres modes de transport ne distinguent pas selon lampleur du

    sinistre. Au demeurant, les diffrents rglements passagers, arien, ferroviaire et

    maritime, sont assez proches, mais ne rglent pas pour autant toutes les ques-tions et ne disent pas grand-chose de la gestion des sinistres majeurs. Or, sur ce thme, les convergences sont assez nombreuses. Elles tiennent aux dispo-sitions gnrales de procdure civile qui peuvent tre mises en uvre. Lasituation de crise renvoie lurgence, qui renvoie elle-mme au rfr, auxmesures conservatoires et aux mesures provisoires. Il faut songer aux questionsde preuve, dexpertise, de tmoignage, au rle des assurances, la ncessitde rgler les premiers frais, en tenant compte des exigences contemporainesqui font du passager, tort ou raison, un consommateur dont les droitsdoivent tre protgs. Il faut alors envisager ces droits dans le prsent, maisaussi pour le futur. Penser au prsent (I), prparer le futur (II), ce sont lesdeux volets sur lesquels il faut insister quelques instants.

    I. Penser au prsent.

    Penser au prsent conduit envisager les trois questions suivantes, celle desavances, celle des transactions et celle de la mission des associations de vic-

    times.Les avances. Lun des apports de la Convention de Montral est dorga-niser, en cas de catastrophe arienne, un systme davances en faveur des vic-times (art. 28) 2 . Les rglements europens le mettent en musique : le rglementarien du 9 oct. 1997 (mod. 13 mai 2002) xe le montant des avances 16 000DTS en cas de dcs ; le rglement ferroviaire du 23 oct. 2007, 21 000 eurosen cas de dcs et il en est de mme du rglement maritime du 23 avril 2009.Ces premires sommes qui ne sont, une fois encore, que des avances et ont doncun caractre conservatoire et provisoire, permettent aux victimes et leursayants-droit de se retourner et de rgler les premiers frais conscutifs ausinistre. Un tel dispositif est bien entendu ncessaire, mais il reste quil est dif-cile mettre en oeuvre dans la pratique lorsque compte tenu des problmesrcurrents didentication des victimes. En tout cas, le systme ne droge pasau droit commun, il ne fait que le renforcer. Rien ne soppose, supposer ledroit franais applicable, ce quune victime sadresse au juge des rfr

    2. Paiements anticips. En cas daccident daviation entranant la mort ou la lsion de passagers, letransporteur, sil y est tenu par la lgislation de son pays, versera sans retard des avances aux per-sonnes physiques qui ont droit un ddommagement pour leur permettre de subvenir leursbesoins conomiques immdiats. Ces avances ne constituent pas une reconnaissance de res-ponsabilit et elles peuvent tre dduites des montants verss ultrieurement par le transporteur

    titre de ddommagement.

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    LA GESTION DES SINISTRES MAJEURS. ASPECTS JURIDIQUES. 3

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    pour obtenir une provision : il lui suft dtablir que sa crance nest pas srieu-sement contestable (CPC art. 809, al. 2). Tel est au demeurant le cas dans laplupart des sinistres, dans la mesure o la responsabilit du transporteur estune responsabilit de plein droit.

    Les transactions. Il arrive assez souvent que des transactions soient pro-poses aux victimes et leurs ayants-droit dans les premiers jours qui suiventle sinistre. Ainsi dans laffaire du Costa Con cord i a, la compagnie avait-elletrs rapidement offert chacun des passagers une indemnisation hauteur de11 000 euros titre de ddommagement pour la perte des bagages et autreseffets personnels, pour le choc motionnel caus par la catastrophe et pour tous les autres ventuels dommages patrimoniaux occasionns. Il avait cepen-dant imparti aux victimes un dlai trs court pour rpondre et ce, dunemanire irrvocable. Do une action en rfr (cf. art. 809 CPC) engage par la Fenvac (Fdration nationale des victimes daccidents collectifs) pour quecette offre soit retire et quil soit ordonn de maintenir des pourparlers

    jusqu ce que lensemble des consquences dommageables aient t dter-mines et portes la connaissance des victimes. La premire question, de com-ptence, ne soulevait gure de difcult, dans la mesure o lart. 484 CPCfondait bien la comptence du juge des rfrs, tant prcis que le juge fran-ais pouvait intervenir pour prononcer des mesures conservatoires, la com-pagnie maritime disposant dune succursale en France. Quant la Fenvac, sonintervention volontaire est considre comme recevable ds linstant que las-sociation entendait participer la recherche de la vrit sur les causes et cir-constances de laccident. Sur le fond, si lon ose dire, le juge saisi a fait observer qu en proposant aux victimes places dans une situation de dpendancemorale et conomique, dans un dlai qui ne leur permet pas dorganiser leur dfense et dvaluer ltendue de leurs droits, une offre transactionnelle for-faitaire et dnitive, la compagnie pourrait tre conduite abuser de sa situa-tion pour obtenir des passagers quils consentent une transaction qui, enraison du renoncement prmatur toute action ultrieure quil comporte, estsignicativement dsquilibre , tout en ajoutant que le risque de voir cestransactions ainsi consenties dans des conditions qui seraient de nature caractriser une violence morale au sens de lart. 1111 du Code civil constitue

    donc un dommage imminent 3. La rfrence la thorie civiliste de la vio-lence est, on en conviendra, des plus intressantes. Elle est, de surcrot, par-

    faitement fonde au regard des circonstances de laffaire.Le r le des associ at i on s de vi cti m es. Les associations de victimes ont vu

    leur rle samplier. Elles peuvent aujourdhui assurer la dfense collective desintrts individuels de leurs membres. Elles sont, de fait, trs souvent consti-tues et ce, pour rassembler les personnes dont les intrts individuels ont tatteints et qui, lunion faisant la force, ont vu dans leur regroupement, le moyen

    3. TGI Nanterre 13 fvr. 2012, Gaz. Pal. 19 avr. 212, 16 ; dcision conrme en appel, CA Versailles

    9 mai 2012.

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    dassurer une dfense plus rationnelle et plus efcace de leurs intrts parti-culiers.

    Deux exigences doivent tre respectes pour quelles puissent agir : dunepart, laction doit avoir pour objet la dfense des intrts individuels de latotalit ou dune partie des membres ; dautre part, le pacte social doit prvoir le droit pour lassociation dexercer toute action en justice pour assurer cettedfense.

    Quant la Fenvac, elle peut, de son ct, se prvaloir de lart. 2-15 du codede procdure pnale, aussi bien sur le terrain pnal que sur le terrain civil. Ainsi,cette association est-elle habilite exercer les droits reconnus la partiecivile en ce qui concerne laccident et peut-elle demander rparation des fraisexposs en lien avec laccident et qui sont la consquence directe ou indirectede linfraction. En se portant partie civile, on pense au prsent, mais on prpare

    galement lavenir.

    II. Prparer lavenir

    A la suite dun sinistre majeur, les victimes doivent, dans la perspective deleur indemnisation future, runir et constituer les preuves qui simposent. A cet gard, il faut toujours avoir lesprit la distinction commande par lestextes entre le droit des enqutes accident et celui de lexpertise judiciaire.Une chose est de dterminer les lments pour viter quun accident ne sereproduise et contribuer, sur un plan macro conomique, ainsi au renforcementde la scurit, autre chose est de sassurer de la ralit dun accident, de la ralitdes faits, sans porter dapprciation juridique, pour en tirer des consquences

    judiciaires et lchelon individuel. Rappelons ici les exigences du droit fran-ais, celle de larticle 10 du Code civil ( chacun est tenu dapporter sonconcours la justice en vue de la manifestation de la vrit ), celle de larticle9 CPC ( il incombe chaque partie de prouver conformment la loi les faitsncessaires a succs de ses prtentions ) et de larticle 15 du mme code (les parties doivent se faire connatre mutuellement en mme temps les moyensde fait sur lesquels elles fondent leurs prtentions, les lments de preuvequelles produisent et les moyens de droit quelles invoquent, an que chacunsoit mme dorganiser sa dfense ).

    Rappelons aussi toute la panoplie de mesures dinstruction (art. 143 s.CPC) qui pourront tre mise en musique la demande des parties ou que le

    juge lui-mme pourra, le cas chant, ordonner. Quant lobtention de preuves ltranger, elle est encore plus importante. Les textes organisent ici la nces-saire coopration intertatique (art. 733 CPC) que des conventions bilatralesou, mieux multilatrales (cf. La Haye, 18 mars 1970) sefforcent de parfaire. Dansles relations entre les Etats membres de lUE, cette mthode de cooprationest supplante par des techniques plus directes. Le rglement 1206/2001

    relatif la coopration entre les juridictions des Etats membres dans le domaine

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    de lobtention des preuves en matire civile et commerciale ouvre des voiesplus rapides plus efcaces. Le texte doit sarticuler sur le rglement 44/2001sur la comptence des tribunaux et lexcution des dcisions de justice, dontlarticle 31 sera souvent sollicit. Aux termes de cette dernire disposition, les

    mesures provisoires ou conservatoires prvues par la loi dun Etat membrepeuvent tre demandes aux autorits judiciaires de cet Etat, mme si, en vertu du rglement, une juridiction dun autre Etat membre est comptentepour connatre du fond. Prcisons quune demande probatoire formule avantla naissance du litige peut tre qualie de mesure conservatoire au sens delart. 31, si elle respecte le caractre conservatoire et rversible exig par cette disposition. Lart. 31 ne permettra cependant pas de procder laudi-tion de tmoins avant tout procs pour valuer les chances de succs dunprocs.

    Prparer lavenir, cest aussi anticiper sur le contentieux et les problmesde procdure. La comptence des tribunaux est souvent discute et on lecomprend, car du choix de tel tribunal peut dpendre le montant de lin-demnisation nalement alloue. Faut-il souligner que les juridictions amricainessont tort ou raison plus gnreuses que les juridictions europennes ?En tout cas, cette ralit conduit prouver la thorie du forum non conve-niens , puisquil faudra dmontrer aux juges amricains (le plus souvent)que, malgr leur comptence, telle ou telle juridiction nationale en Europe lestaussi en raison de tel ou tel chef de comptence. Dans cette perspective, unequestion a t pose qui est de savoir si les victimes pouvaient agir titre dcla-ratoire devant telle juridiction nationale pour lui demander de dire quelletait ou encore quelle ntait pas comptente. La Cour de cassation sestmontre trs ouverte vis--vis dune action de ce type, si originale soit-elle 4.

    Une autre proccupation des victimes doit tre dviter toute prescrip-tion, les dlais tant gnralement courts : 2 ans en matire arienne et mari-time, 3 ans en matire ferroviaire. La question de linterruption de la prescriptionest bien entendu essentielle, dautant que les procds ayant cette vertu ne sontpas toujours les mmes. Ajoutons que le droit franais considre que le dlaide prescription est suspendu en cas de minorit et que cette solution jouemme lorsque le dlai est considr comme un dlai prx. Du moins est-ce

    ce qui a t admis sous lempire de la Convention de Varsovie 5. Cette solutionmriterait dtre maintenue et sans doute systmatise.

    Inutile de dire que toutes ces rgles sont dlicates mettre en uvre dansun sinistre majeur, compte tenu du nombre de victimes et de la diversit deleur situation. Ces questions de comptence et de prescription sont dautantplus difciles que les victimes ne se contentent plus dagir contre le seultransporteur et son assureur. Elles font che de tout bois en se retournant

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    4. Cass. 1re civ. 7 dc. 2011, D. 2012, 5.

    5. Cass. ass. pln. 14 janv. 1977, D. 1977, 89.

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    aujourdhui galement contre les constructeurs, les quipementiers ou encoreles socits de maintenance. Cette multiplication des actions devant, parfois,les tribunaux du monde entier, ralentit considrablement le rglement dessinistres. Do cette dernire question pour se demander si la voie privil-

    gier nest pas, au fond, celle de la conciliation. La rcente loi franaise (de2012) sur la conciliation, prise en application dune directive communautaire,pourrait cet gard faciliter les ngociations et permettre de trouver des solu-tions rapides et justes.

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