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ac Année £g N" 18 Dimanche 19 Février 1905 ^EVUE MUSICALE DE WON S Paraissant le Dimanche du 20 Octobre au 1" Mai 7& LÉON VALLAS Directeur- RédatUiir eu Chef PRINCIPAUX COLLABORATEURS Louis AGUETTANT * Alexandre ARNOUX * Fernand BALDENSPERGER -v Gabriel BERNARD -v M.-D. CAL- VOCORESSI * Gabriel CONDAMTO ••- M, DEGAUD -v Hcnrj FELLOT * Daniel FLEURET •* Pau FOREST * Paul FRANCHET - Vinccnl dTNDY -- André LAMBTOET * Paul LER1CHE -v Edmond LOCARD A. MARIOTTE >, Marc MATHIEU -•- Edouard M1LL10Z * Antoine SALLES * Jules SAUERWE1N Joseph TARDV -<- Georges TR1C0U -•- Jean VALLAS * LéonVALLAS -v G-M. W1TK0WSK1. "Premier Concert de la T\evue Musicale Voici le programme de la première « Heure de musique moderne » de la Revue Musicale de Lyon qui aura lieu le lundi 20 février, salle de Musique classique, rue Stella, 2, avec le concours de Mme de Les- tang, soliste de la Schola Ccinloriuu Lyonnaise et de Mlle Fraud, pianiste-accompagnateur du Conservatoire. GABRIEL FAURH : La bonne Chanson (Ver- laine), a) Une Sainte en son auréole, b) ]'ai presque peur en vérité. GUILLAUME LEKEU : Sur une tombe. CLAUDE DEBUSSY : a) Grccn, (Verlaine) b) Fantoches (Verlaine). ERNEST CHAUSSON : La Chanson perpétuelle (Charles Cros). CLAUDE DEBUSSY : a) Le je! d'eau (Baude- laire), b) Le Flûte de. Pan (Pierre Louys), c) Mandoline (Verlaine). Nous avons adressé des invitations pour ce concert à une première série de nos abonnés ; ceux de la seconde série seront invités à la deuxième séance qui en raison de l'abondance actuelle des concerts n'aura lieu que dans le courant de mars. Le concert commencera à 9 heures 1res précises du soir. MUSICIENS LYONNAIS À'iarchand et Leclair Les deux compositeurs lyonnais, Mar- chand et Leclair, sont fort peu connus des musiciens et complètement ignorés de leurs compatriotes. Aucune plaque indicatrice à l'angle d'une rue ne porte leur nom ; leur effigie ne se dresse sur au- cune place de notre ville : rien ne rappelle aux Lyonnais le souvenir de deux musi- ciens de valeur qui eurent tous deux une heure de célébrité. Marchand fut, comme Louis XIV, surnommé « le Grand » par ses contemporains, et Leclair fut qualifié d' « admirable» par les amateurs de l'épo- que. Si ces deux Lyonnais, trop mécon^ nus aujourd'hui, ne méritent pas cet excès d'honneur, il convient pourtant démettre en lumière leur talent car ils occupent une place intéressante, l'un dans la littérature de l'orgue, et l'autre dans l'école française du violon au xvmc siècle. Louis Marchand est à Lyon le 2 février 1669 et fut baptisé dans l'église

upload.wikimedia.org · 2020. 8. 7. · ac Année £g N" 18 Dimanche 19 Février 1905 ^EVUE MUSICALE DE WON S Paraissant le Dimanche du 20 Octobre au 1" Mai 7& LÉON VALLAS Directeur-

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  • ac Année £g N" 18 Dimanche 19 Février 1905

    ^EVUE MUSICALE DE WONS Paraissant le Dimanche du 20 Octobre au 1" Mai 7&

    LÉON VALLASDirecteur- RédatUiir eu Chef

    PRINCIPAUX COLLABORATEURS

    Louis AGUETTANT* Alexandre ARNOUX * Fernand BALDENSPERGER -v Gabriel BERNARD -v M.-D. CAL-VOCORESSI * Gabriel CONDAMTO ••- M, DEGAUD -v Hcnrj FELLOT * Daniel FLEURET •* PauFOREST * Paul FRANCHET- Vinccnl dTNDY -- André LAMBTOET * Paul LER1CHE -v Edmond LOCARDA. MARIOTTE >, Marc MATHIEU -•- Edouard M1LL10Z * Antoine SALLES * Jules SAUERWE1N

    Joseph TARDV -

  • 2o6 RËVUÈ MUSICALE DE LYON

    VSaint-Nizier(i). Il fit ses premières études

    v musicales sous la direction de son père,organiste médiocre qui fut un des pre-miers titulaires des orgues des Cordeîiers(construites en 1593). Il ne resta paslongtempsdans notre ville: à quatorzeansil fut nommé organiste de la cathédralede Nevers, puis d'Auxerre. Suivant l'abbéde Fontenai, il arriva peu de temps aprèsà Paris, dénué de toutes ressources.En 1697, il entra dans la chapelle des

    Jésuites et prit la place de l'organisteabsent. Les pères Jésuites furent émer-veillés de son talent et la réputationgrandissante de Louis Marchand lui valutd'être, à la lois, organiste titulaire deplusieurs églises : en 1702 notamment,il était organiste à Saint-Benoît, chez lesJésuites et chez les Cordeîiers. C'est decette époque que date son premier livrede pièces pour clavecin. Peu après ilsuccéda à Nivers dans le poste d'organistede la chapelle royale et fut décoré del'ordre de saint Michel. En 1703, il reçoitl'hommage d'une pièce de vers, laudativeà l'excès, dont voici le texte :C'est de vous seul, Marchand, (/ne nous pouvions

    \allcmlreCe. trésor qu'au publie votre main vient d'offrir,Lorsqu'un un temple- suint vous vous fuites entendre,

    On y voit en Joule accourirLu Cour, la Province cl lu Ville

    lit, dans cesfols nombreux d'un auditoire habile,Que votre mérite vous fait.C'est toujours le. plus difficileQui s'en vu le plus satisfaitDes charmes de votre musique

    Un rival envieux vainement se défend;lit souvent tel y vient plein d'un esprit critique

    Qui, malgré lui, s'en retourne coulentEnfin vous ciichaule^ les langues médisantes,Et dans votre, parti vous nielle^ des jaloux.Celui que déchira la fureur des BacchantesJurait sauvéses jours et calmé, leur courroux

    S'il eût su jouer comme vous,

    ( 1) A cette époque, la musique était fort goû-tée dans notre ville : en 1676, on joue à la Comé-die des intermèdes de violon et c'est à ce momentque s'ouvre le théâtre d'opéra. A la Charité, lesfilles adoptives forment un choeur bien stylé prê-tant son concours aux offices ; quelques-unesjouentde la viole-et les plus douées s'adonnent à la com-position.

    Partout où Marchand jouait de l'orgue,dit Titon du Tillet, il y avait un grandconcert de musiciens et dé gens de goût.Daquin déclare que Couperin et Mar-chand se partageaient le public de leurtemps et se disputaient la première place.Ce qu'on louait par-dessus tout chezMarchand c'était une exécution fou-droyante, des idées claires et vraimentoriginales bien que son jeu fût entachédes défauts inhérents à l'époque et queses thèmes fussent surchargés, suivant lemode français, d'agréments appelés pre-tintailles.Ajoutons que Marchand avait un ca-

    ractère original, bourru, inconstant, quesa vie fut pleine d'écarts de toutes sortes :voilà plus qu'il n'en ialla.it pour attirersur lui l'attention générale.

    I Criblé de dettes, harcelé par ses créan-ciers, Marchand, en 1717, passa en Alle-magne et alla à Dresde où il se lit enten-dre devant le roi de Pologne qui voulutle nommer organiste de sa cour. C'estalors qu'un musicien de la cour de Polo-gne, Volumier organisa entre MarchandetJ.-S. Bach un concours dont l'anec-dote a été relatée par Fétis dans sa Bio-graphie universelle des musiciens, d'après lerécit de Marpurg qui la tenait, parait-il,de Bach lui-même. Volumier invita se-crètement Bach, alors organiste du ducde Weimar, à venir à Dresde disputer àMarchand la place d'organiste de la courde Pologne. Bach s'y rendit et assistaincognito au concert du Roi, où Mar-chand se fit entendre dans un air françaisqu'il varia et qui fut fort applaudi. Volu-mier invita alors Bach à se mettre auclavier et le grand artiste joua l'air et lesvariations de Marchand et y ajouta douzenouvelles variations plus difficiles et plusbrillantes que celles de son, rival, aprèsquoi il présenta à celui-ci un thème qu'ilvenait de noter en l'invitant à une luttesur l'orgue. Mais Marchand, eflrayé etvoulant éviter une défaite certaine,

  • REVUE MUSICALE DE LYON 207

    refusa le concours et quitta Dresde.A son retour en France, Marchand

    reprit son orgue des Cordeîiers et jouitd'une très grande vogue comme profes-seur. Malgré ses ressources croissantes, ildut à ses goûts de dépense et à son hu-meur inconstante une existence pénible,et ses dernières années se passèrent dansun état voisin de la misère. Peu de joursavant sa mort, Marchand, sentant sa finprochaine, dit en sortant de l'orgue :« Adieu, ma chère veuve ! » 11 mourutà Paris le 37 février 1732.Marchand n'a laissé que quelques piè-

    ces éditées : on a de lui deux Livres de-pièces de Clavecin (1702-1705), un opéraPyratiie et Thisbc, deux livres de piècesd'orgue et un traité de composition. Samort fut un événement, comme en té-moigne cette épitaphe placée en tête dupremier livre d'orgue :

    A feu M. MARCHAND

    Brillant Orphée, illustre. MaîtreDont purtoul on chérit les immortels travaux,

    Marchand, des chefs-d'autvresi beauxA la postérité le joui toujours renaîtrel'ai- un arrêt du Ciel et du Destin,

    Si nos corps, pétris de poussièreDoivent tous retourner ù leur causepremière,S'ils doivent, en un mol, périr et prendre fin,

    Il ne- faut point, tels que nous sommesCraindre les ciseaux d'Alropos'lu suis que le Ion/beau des hommesFait la naissance des Héros.

    .

    Sans nous laisser emporter par un telenthousiasmesur lequel le temps a'passéet lait son oeuvre de justice, nous ne pou-vons néanmoins méconnaître le mérited'un musicien dontBach lui-même recon-naissait le talent, car il copiait et jouaitles pièces de clavecin de Marchand, il lesjouait même, raconte-t-on, avec un art etune légèreté admirables. Puisque nousparlons du grand. Maître et de l'intérêtqu'il portait aux oeuvres du musicienlyonnais, disons qu'il s'était établi, entrele Cantor de Leipzig et l'organiste desCordeîiers, une sorte de commerce artis-

    tique. Si Bach, influencé par des musi-ciens français tels que Marchand, nous alaissé les délicates compositions intitu-lées Suites françaises, Ouvertures fran-çaises, en revanche, Marchand fut— etceci est presque complètement ignoré —le premier musicien impressionné par legénie écrasant du grand Maître allemand.Le style polyphoniquede Bach se reflètedans les pièces pour orgue de Marchandqui présentent une complexité rare chezles musiciens français de cette époque(voir en particulier le Prélude à 6 voixpar lequel débute le premier livre d'orgue,ainsi qu'un quatuor d'un tissu harmo-

    .nique très serré et d'un dessin très ferme,inséré dans le même livre). De plusl'habileté de Marchand à se servir de lapédale, habileté qui émerveillait sescontemporains, ne la tenait-il pas du plusgrand des organistes ?Le service qu'il rendit à l'Art d'être le

    protagoniste de la musique allemande enFrance n'est-il pas, à lui seul, un titre degloire suffisant pour le tirer de l'oubli ?

    IL. -V -V

    Plus heureux que son compatriote,Leclair a résisté à l'oeuvre du temps, sonnom est connu de tous les violonistes,ses oeuvres sont au répertoire de tous lesvirtuoses. Jean-Marie Leclair, surnommél'Aîné, car il faut le distinguer de sonIrère Antoine-Rémi Leclair, dit le Cadet,qui fut également violoniste, naquit àLyon en 1697. Son père était musiciendu roi Louis XIV. Il fut recueilli parlamarquise de la Mésangèr.e qui pourvutaux frais de son éducationmusicale. Maisce n'est pas comme violoniste qu'il fit sesdébuts. Nous le trouvons d'abord au théâ-tre de Rouen en qualité dt danseur .puismaître de ballet à celui de Turin. Soninl'ayant entendu le prit sous sa protectionet en fit son élève préféré. Deux ans plustard le maître déclara qu'il n'avait plusrien à apprendre à son élève. Leclair n'encontinua pas moins à travailler seul avec

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    acharnement. 11 arriva à Paris en 1729 etfut engagé à l'Opéra en qualité de violo-niste ripieniste ; ce poste subalterne étaitindigne du talent de Leclair, car son rôlese bornait à accompagner les choeurs etla danse,-tandis que le petit choeur étaitaffecté à l'accompagnementdes chanteurs.Après avoir étudié la composition sous ladirection de Chéron, Leclair devintaccompagnateur au clavecin, puis chefd'orchestre de l'Opéra.En. 1731, il fut adjoint à la musique du

    roi. Cependantpeu de temps après, à lasuite d'une discussion avec le violonisteGuignon, il se retira du théâtre, pour selivrer au professorat et à la composition.Sa femme, cantatrice à l'Opéra, a gravéplusieurs des ouvrages de son mari: Le-clair mourut le 22 octobre 1764, d'unefin tragique. Gn le trouva devant sa porteà 11 heures du soir lrappé d'une maininconnue. Certains attribuent ce meurtreà ses rivaux Baptiste et Guignon, maisl'auteur du crime ne fut jamais décou-vert.Les oeuvres de Leclair tiennent une

    place importante dans l'art du violon auxvinc siècle. Laissons de côté son opéraet ses divertissements qui n'ajouterontpas beaucoup à sa gloire pour ne porternotre attention que sur son oeuvre deviolon.A ce titre, Leclair peut être considéré

    comme le chef de l'école française. Sonoeuvre pour cet instrument consiste en49 sonates pour violon et basse continue,12 sonates à 2 violons sans basse, 6sonates à 2 violons et basse, 12 concer-tos à 3 violons, alto et basse, des récréa-tions, des ouvertures et des sonates outrios pour 2 violons et basse. Le style deLeclair est évidemment influencé parLocatelli et Coulli. A ce dernier il em-prunte le type de la sonate à 4 mouve-ments qui n'est en réalité qu'une suitebien que chaque n° ne.porte pas les titresconventionnels de Allemande, Sarabande,

    Menuet et Gigue. Chaque morceau estcoupé en deux parties l'une procédant dela tonique à la dominante, l'autre retour-nant de la dominante à la tonique.Cependant nous retrouvons parfois chezLeclair le type du rondeau avec unephrase-type — le refrain — servant à en-cadrer d'autres phrases secondaires—lescouplets.Parmi les sonates les plus connues de

    Leclair, il faut mentionner le Tombeau.Suivant M. Michel Brenet, c'était unegageure entre les compositeurs de mu-sique instrumentale que d'écrire tour àtour le tombeau de leurs prédécesseurs.Le Tombeau de Leclair fut exécuté à unservice funèbre célébré à la mémoire ducélèbre violoniste.Lesoeuvresde Leclair se recommandent

    tout d'abord par la verve, l'esprit, lecaractère bien français des thèmes, maissurtout par l'emploi des doubles cordesdont il sait tirer un parti extraordinaire,et les effets de timbre, de sonorité, declair-obscur qui lui étaient suggérés parson impeccable virtuosité. Leclair prati-quait avecaudace le démanché, le staccato,le double trille, les arpèges, les acrobatiesles plus extraordinaires. Il rivalisait au-tant ses contemporains avec le clavecin.« Le clavecin, disait Hubert le Blanc, serévolta ouvertementcontre le violon ; seplaignant de le voir chasser sur ses terressemées d'accords. Mais le clavecin futrelevé de bonne sorte. Le violon luitomba sur le râble par le ministère de McLeclair qui n'a pas son pair dans une exé-cution delàdernière justesse des accords. »Les oeuvres de Leclair sont là pour

    témoigner de l'impeccable virtuosité etde l'exécution impeccable de l'auteur.Et l'on comprend encore aujourd'huil'enthousiasme des stances élogieusesadressées à la mémoire du Maître lyon-nais par du Rozai :Le premier îles Français Leclair à son génie

    Sut l'art d'asservir sou archet.Du grand Rameau rival pur l'harmonie

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    7/ est mate, élégant, tendre et toujours parfait ;Lui seul méritait bien île rendre ses ouvrages.

    L'amitié caressa ses mccurs,Il fut estimé par les sagesAdmiré pur les connaisseurs.

    DAN1KL FLEURET.

    La Bonne Chansonde Gabriel Fauré

    A l'occasion de ht « Première Meure de musi-que moderne » de notre Revue au coursde laquelleseront chantées deux mélodies du Recueil Lalionne Chanson de Fauré. nous entravons d'uneétude de notre collaborateur,M. Ague* tant, paruenaguère dans le Courrier Musical, les quelqueslignes suivantes consacréesà l'analyse de l'oeuvreen qui se résument les dons les plus précieux dumusicien raffiné qu'est Gabriel Fauré.

    Le jour oit l'inspiration vint à Ga-briel Fauré de traiter en cycle, à l'instardes « liederkreise » de Schumann, lecharmant recueil de Verlaine, il se pour-rait qu'il eût conçu l'idée de son chef-d'oeuvre. Les Vénitiennes déjà étaient un« cercle de chants », mais lié d'un lîlintermittent. Dans la Bonne Chanson, aucontraire, l'emploi libre mais continu,de quelques thèmes, donne à l'ensembleune rigoureuse unité. Comme pour té-moigner que sa manière nouvelle n'estpoint un accident, mais le terme natureloù il tendait, M. Fauré a littéralementemprunté l'un de ces thèmes (qui appa-raît pour la première lois dans le n" } de-là Bonne Chanson^) à une de ses plus an-ciennes mélodies, Lydia (op. 4). Ainsiqu'à l'orchestre d'un drame Ivrique, cesmotifs vivent et évoluent, se colorent dechangeants reflets, s'associent curieuse-ment, s'unissent enfin dans une conclu-sion synthétique. La partie de piano enreçoit un exceptionnel intérêt : c'est unvoile riche et léger où s'entrelacent, sansl'alourdir, les arabesquesde la polvphonie.Si élégante qu'en soit l'écriture pianisti-que, à tout instant cet « accompagne-ment » fait allusion aux timbres de l'or-

    chestre, La beauté de matière de ces lie-der est incomparable : c'est ici qu'il .fautchercher les plus fugaces modulations, lesplus audacieuses ellipses musicales, lesenharmonies les plus rares. La déclama-tion atteint au dernier degré de précisesjustesse. Le moindre souffle de sentimentl'agite de frissons légers, pareil aux jeuxdes brises sur une eau calme. Ici plus'souvent qu'ailleurs, assuré de l'unité quele rappel des thèmes confère à son oeuvreM. Fauré peut réaliser l'expression musi-cale du « mot ». A cet égard, la mélodieUne Sainte (dont le poème commandaitce procédé) est d'une ingéniosité char-mante.Mais ce raffinement du détail n'exclut,

    à l'occasion,ni l'ampleur, ni l'élan lyrique.— M. Fauré n'a peut-être pas dessiné dephrase d'un plus spacieux déploiementque l'admirable période qui commence à :« Isolés dans l'amour... » (Bonne Chanson,n" 8). Quelle expansion, quelle fraîcheurjeune dans toute la deuxième mélodiePuisque l'aube grandit..., qui semble pal-piter d'un espoir timide encore ! Dansl'avant-dernierlied :

    Donc ce sera par un clair jour d'é/é.dès les premières notes quel geste vain-queur dressé en pleine lumière ! commecela éclate de joie triomphante ! Puis,après

    Le ciel tout bleu connue une haute tente.

    quel soudain et vasteélargissement,obtenupar une simple marche contraire de labasse et du chant ! Mais voici que la fêtes'éteint dans l'ombre douce. La fièvre del'attente s'apaise en une molle dégradationrythmique ; des violoncelles, dirait-on,s'élève une voix, qui est la mélodiemêmede l'aveu, mais alanguic et comme péné-trée de nuit; et le lied s'achève et se fonden un bref épithalame, délicieux de sua-vité insinuante et de recueillement dansle bonheur.'Foutes les mélodies de la Bonne Chan-

    son font admirer en M. Fauré un art, qui

  • REVUE MUSICALE DE LYON

    Mi est propre, de bien finir. A parler pré-cisément,elles n'ont pas (saufla dernière)de « conclusion » ; je veux dire que leurfin n'est pas close. C'est une porte ou-verte, une invitation à rêver plus avant.Il y en a qui s'évanouissent et s'éva-porent lentement dans le silence (LaLuneblanche...') D'autres s'agrandissent ets'exaltent. On a déjà signalé la merveil-leuse « déclaration » qui termine : J'aipresque peur..., lancée d'abord d'un élanpassionné, puis reprise de plus près, chu-chotée en un ardent murmure. Aux der-nières mesures de l'aubade : Avant que lune l'en ailles, toute emplie des rumeurs etdes flottantes brumes d'avant le jour, lesoleil levant jette sa fanfare éclatante. Jene sais si je ne suis encore plus touché dela fin du 4e lied (pallais par des cheminsperfides). Sur le motjoie, tout animé vrai-ment d'une liesse enfantine, un traitmonte et frémit, échelle d'or, ascensionbienheureusequi va se perdre et se reposerdans la lumière.Mais je sens combien est décevante la

    tâche de traduire péniblement en parolesces « correspondances» ténues. Je ne l'aitentée que pour le plaisir de vivre plusintimement avec des oeuvres exquises, etde leur gagner peut-être de nouveauxamis. Toutemusique échappe, paressence,aux interprétations verbales : celle deM. Fauré plus que d'autres sans doute.Cette rêveuse a le charme qui retient etne se laisse pas saisir: elle est la grâce.Mais ce n'est point la grâce ignorante etvague d'une barbare. Une force secrètehabite en ces formes onduleuses ; unrythme caché en règle les attitudes et lesrend dociles aux lois d'une souple sagesse.Ses caprices même et ses langueurs ontun geste harmonieux. Elle n'a pas envain respiré la souriante noblesse de l'airde France. Jean Racine et André Chénierl'eussent reconnue : car c'est une soeurmoderne de Bérénice et de Myrto.

    L. AGUETTANT.

    IMPRESSIONSd'un Chef d'Orchestre

    M. Camille Chevillard, que nousapplaudirons, dans huit jours, au Casino,vient de passer quelques jours en Russie,où il y a dirigé deux concerts, l'un àSaint-Pétersbourg et l'autre à Moscou.Interrogé par un de nos confrères sur cequ'il pensait des divers publics qu'il con-naît, voici ce qu'a répondu Péminent chefd'orchestre français :« — Le public de Moscou est autre-

    ment vibrant que celui de Saint-Péters-bourg. Il s'intéresse davantage au mou-vement artistique, et son attention témoi-gne de sa bonne volonté à s'affiner. Mais,en général, les Russes ne comprennentpas grand chose à leurs compatriotesmodernes. La jeune école musicale, siactive, si vivante, les laisse indifférents.Us n'aiment point Wagner. Ce qu'ilspréfèrent, en somme, c'est la musiquefrançaise et un peu l'italienne.

    « Le pays où j'ai trouvé le plus desatisfaction comme chef d'orchestre, vousle devinez, c'est l'Allemagne. Non pas queles Allemands soient meilleurs connais-seurs que nos compatriotes, mais ils ontle respect de la musique. Ils ont la foimusicale. Ils écoutent avec une docilité,presque avec une religion touchantes.Nous, nous sommes irrespectueux ; àl'occasion nous blaguerions même Bee-thoven. Pour un Allemand, nous com-mettrions alors un sacrilège.

    « En Italie, pays du chant et de lamusique, on ne chante pas et on ne goûtepas la musique symphonique. J'ai senti àRome que je n'étais pas en communiond'idée et d'émotion avec mon public.Comment sur cette terre, patrie de tousles arts, les joies purement artistiques

  • REVUE MUSICALE DE LYON

    sont-elles si.peu goûtées? Je reconnais,par exemple, que l'orchestre municipalde Turin — le meilleur de l'Italie — aune réellevaleur. Cependant les orchestresitaliens où, individuellement, il y a desartistes d'une adresse, d'une souplesseextraordinaire, sont indisciplinés.

    « Que n'avons-nous en France dessalles de concertsdignes de nos orchestres!Que n'avons-nous les « halls » merveil-leux de Londres, < '.Queen's hall », parexemple, ou la salle du ConservatoiredeMoscou, dont je vous parlais ! Jevais vousfaire une confidence. A Paris on neconnaît pas mon orchestre. Il ne peut pasdonner sa mesure. 11 n'est pas à son aise ;la place lui manque. Il ne saurait fairevaloir sa puissance et ses charmes. «Et M. Chevillard, pour peindre l'insuf-

    fisance de la salle de concert par rapport àla qualité de son orchestre dit en riant deson rire de cuivre, sonore comme lestrompettes de Lohengrin : « C'est un troppetit corset pour une trop grosse poi-trine. »

    Chronique Lyonnaise

    GRAND-THEATRE

    L'EhangerLa neuvième représentation de YEtranger

    donnée jeudi présentait un double attrait : laprésence de M. Vincent d'Indy et les débutsde Mlle Janssen dans le rôle de Vita.M. d'Indy, de passage à Lyon à son retour

    de .Nice, où il venait de diriger la premièrereprésentation de YEtranger se trouvait dansla loge du Gouverneur militaire et fut lon-guement acclamé après la fin de chaqueacte. Le Maître s'est déclaré fort satisfait del'interprétation lyonnaise de son oeuvre et aadressé les plus vives félicitations à M. Flonet aux interprètes, Mlle Janssen tout parti-culièrement.

    Celle-ci avait une lourde succession à re-cueillir, car Mlle Claessen avait donné au rôlede Vita une interprétation très' intelligenteet très fouillée. Notre grande 'artiste, d'abordun peu gênée sous la robe courte de la jeunemaritime, si différente des amples costumesd'Eisa ou de Briinnhild, s'est montrée comme

    " toujours, artiste sincère au jeu émouvant,cantatrice à la voix très sûre et si égale dansles divers registres. Elle a manifesté son habi-tuel dédain des conventions théâtrales (dontM. Dangès, en dépit de ses qualités vocaleset dramatiques remarquables, est toujours,étroitement, le prisonnier) a su trouver desdétails de jeu d'une grâce et d'un naturelexquis. Combien cet art simple et vrai estdifférent du métier de tel cabotin très fêté,de l'art truqué et non sincère de profession-nels issus des manufactures conservatoriales'.

    Hier soir a été donnée la reprise du Trouvèredont nous rendrons compte dimanche pro-chain.

    I V

    LES CONCERTS

    3c Concerl de la Sli;de Musique classique

    Le :5e Concert de la Société lyonnaise desConcerts de musique classique, a eu lieuvendredi soir, avec le concours du pianisteMalats. Nous en rendrons compte dans notreprochain numéro. Remarquons pourtant quela sonate de Beethoven qu'il a jouée (Op. Sia,les Adieux, l'Absence, le. Retour, est une desrares oeuvres dont le Maître ait indiqué lui-même le caractère descriptif par un titresignificatif.Cette sonate a été considérée par Adolphe

    Marx, parHans de Bulow et par le plus grandnombre des commentateurs comme, expri-mant les sentiments d'amour de deux jeunesfiancés placés successivement dans chacunedes situations indiquées par le titre: adieu,absence, retour. On a contesté cette inter-prétationen essayant de prouver que Beetho-ven conçut son oeuvre à l'occasion d'unvoyage de l'archiduc Rodolphe, et c'est eneffet à ce personnage que la sonate est dédiée,

  • REVUE MUSICALE DE LYON

    mais cela ne contredit point l'interprétationadmise généralement, car Beethoven, quiavait toujours un amour dans le coeur, yrapportait volontiers ses pensées et compo-sait sans programme rigoureux, en pensantà ce qui ne fut jamaispour lui que des rêves.Voici ce qu'a écrit Marx au sujet de l'exécu-tion du finale, le Retour:« Le troisième morceau de la sonate exprimele tumultueux moment d'allégresse du « re-voir » ; il est dans la forme d'un dialoguedes deux amants. Beethoven a ainsi marquéle mouvement : « Vivacissintamcntc, dans unrythme très animé », Avant tout, cela est ap-plicable exactement à l'introduction [dixmesures]. Cependant l'on pourrait, dans laphrase principale, celle qui est écrite encroches, user avec bonheur de maintes finesmodifications ; de même plus loin, dans laphrase en noires, et enfin au commencementde la deuxième partie. En ce qui concerne laphrase en croches (Je te possède donc de nou-veau) | paroles dans le sentiment des chansonspopulaires, supposées dites par les amants],,un poco amiante, est même écrit à la fin et unretard plus marqué est encore rendu néces-saire à cause de la phrase en syncopes. 11serait inexplicable qu'à côté de l'expressionde ravissement des bienheureux fiancés quise retrouvent, il ne fût pas question d'uneémotion intime et profonde. »Hans de Bulow, dans la fantaisie de son

    imagination toujours en éveil, a signalé untrait naturaliste. 11 a voulu voir, dans lesnotes en tierces de la main gauche, ^e, (Y,7° et 8e mesures, l'indication du mouvementde bras de l'amie qui agite une écharpe, unvoile ou un mouchoir, en reconnaissant deloin celui qu'elle attend.La Gabelle, musicale de Leipzig apprécia en

    ces termes la sonate op. 8i" : « Unepièce decirconstance comme en fait un hommed'esprit ». L'oeuvre fut terminée en iSioetpubliée en juillet 1811.

    Concerts annoncés— Dimanches 19, 26 février, 5, 12, 19 et 26

    mars, à 2 heures, paroisse de N. D. des Anges (laMouche.) 51. chemin des Culattes, nouvelles repré-sentations de la Passion avec musique de Bach etMcendel dont nous avons, l'an dernier, signalé le

    grand intérêt. Artistes, choeur et orchestre, 200exécutants, sous la direction de M. L. Maillot(places: 5 fr. et 3 fi\, chez MM. Clôt et Dulieux,éditeurs de musique.— Lundi. 20 février, à 9 h. salle Dufour etCabannes. 1, rue Stella, première « Heure de mu-

    sique moderne » de la Revue. Musicale de Lyon :Lieder de Chausson,Debussy, Fauré, Lekeu.— Mercredi,22 février, salle des Folies-Bergère,

    concert des Chanteurs de Sl-Gervais dont nousavons publié le programme.— Lundi, 27 février, au Casino, concert La-

    moureux, sous la direction de M. Chevillard. Auprogramme : Symphonie héroïque, Fantaisie sympho-nique de Chevillard, Ma^ejfa de Liszt, Concerto enn? mineur de Haendel, YApprenti Sorcier de PaulDukas. Ouverture des Maîtres-Chanteurs.Location,chez M. Dulieux, 98, rue de l'Hotel-de-Ville.— Mercredi i 1'1' niar.s: ]'"'' concert du quatuorRinuecini, salle Dufour et Cabannes.— Vendredi 3 mars, séance de sonates laudoin-Rosset. salle Béai.

    M. Dulieux, le sympathique éditeur de musique,nous prie d'annoncer que la tournée qu'il avaitorganisée, pour le mois de Mai, avec YOrchestrePhilharmonique île Berlin et son chef A. Nildsch,n'aura pas lieu cette année par suite de la nomi-nation de M. Nikisch à la place de directeur et dechef d'orchestre de l'opéra de Leipzig.

    CORRESPONDANCE

    Nous avons reçu l'intéressante et curieuse lettresuivante avec prière très instante d'insérer :

    Monsieur,]e prends la liberté de vous envover ma

    biographie (en miniature) que vous voudrezbien publier dans votre journal aussitôt quepossible. S. V. P.M. Gustave Ktihle, ex-directeur au conser-

    vatoire de Hambourg (Allemagne), rédacteuren chef de la Neite. Musikçcitung, Leipzig, ungrand compositeur, a demandé l'autorisationde faire publier ma biographie dans sonAlbum d'artistes musiciens entre 30 des plusgrands maestros du monde. J'espère alorsque vous êtes en possession de faire publierma biographie avec le petit article.Par la.présente nous avons l'honneur d'in-

    former l'honorable public que la ville deLyon est depuis quelques temps plus riched'un très grand compositeur, virtuose demusique, etc., en la personne de M. J. Bau-

  • REVUE MUSICALE DE LYON

    mann. (Voici sa biographie publiée en Franceet dans les pavs étrangers.)Jos. Baumann, né à Mulhouse (Alsace), le

    23 mars 1864. se révéla toutjeune doué d'unréel talent •musical, aussi à S ans occupait-ille premier rang à l'Ecole de solfège au pointd'enseigner déjà ses camarades d'étude.Admis à 15 ans à l'Ecole de musique deMulhouse, il conquit bien vite les premiersprix d'harmonie, de lecture à vue, de pianoet de violon et ces brillants débuts lui ouvri-rent les portes du Conservatoire de Paris oùsous l'habile direction du maître AmbroiseThomas, il acheva ses études de vrai artiste.Jos. Baumann excelle en tous genres et plusde 800 compositions nous donnent lamesure de son talent (une partie de sesoeuvres a été éditée en Allemagne, Hollande.Alsace, etc., les autres en France), à la hâtenous citerons : une méthode vocale, unemissa solennis à 4. voix d'hommes et pourchoeurs mixtes avec accompagnement d'or-gue, des chansons classiques, compositionspour musique militaire et orchestre à cordes,piano, comédies et opérettes, entre autresune cyclus de valses (genre Strauss), nousremarquons« La Vie Lyonnaise » une desplus jolies qui. existe jusqu'à présent (encoreen manuscrit).Ce réel musicien sait aussi être poète et

    comme tel il est l'auteur d'un volumineuxrecueil de différentes poésies très recom-mandé.

    11 est actuellement très en vogue commeprofesseur d'harmonie, piano, violon, man-doline et chant, et ce qui donne à ses leçonsun cachet tout particulier, c'est sa réputa-tion de virtuoseen instrumentsde tout genre,bois et cuivre, etc.Jos. Baumann vient fonder ici une nou-

    velle société (orchestre à cordes en mêmetemps harmonie ou fanfare) comme Lamou-

    • reux et Colonne à Paris. Les artistes musi-ciens et les élèves qui désirent faire partie del'a société, sous l'habile direction du maestro]os. Baumann, sont priés de s'adresser à Jos.Baumann, professeur et compositeur de mu-sique. 34, quai de Vaise, Lyon.

    A TRAVERS LA PRESSE-

    La manière de composer cie no^aiiil.c Monde Musical)

    Mozart, dans une très curieuse et peuconnue conversation, a raconté comment ilcomposait :« Quand je me sens bien et que je suis de

    bonne humeur, soit que je voyage en voitureou que je me promène après un bon repas,ou dans la nuit quand je ne puis dormir, lespensées me viennent en foule et le plus aisé-ment du monde. D'où et comment m'arri-vent-elles?Je n'en sais rien, je n'y suis pourrien. Celles qui me plaisent, je les garde dansma tète et je les fredonne, à ce que, du moins,m'ont dit les autres. Une fois que je tiensmon air, un autre bientôt vient s'ajouter aupremier, suivant les besoins de la composi-tion totale, contre-point, jeu des divers ins-truments, et tous ces morceaux finissent parformer le pâté. Mon Ame s'enflamme alors,si toutefois rien ne vient me déranger. L'oeu-vre grandit, je l'étends toujours et la rendsde plus en plus distincte ; et la compositionfinit par être tout entière achevée dans matète, bien qu'elle soit longue. Je l'embrasseensuite d'un seul coup d'oeil. comme unbeau tableau ou un joli garçon ; ce n'estpas successivement, dans le détail de sesparties, comme cela doit arriver plus tard,mais c'est tout entière dans son ensembleque mon imagination me la fait entendre.Quelles délices pour moi ! Tout cela, l'inven-tion et l'exécution, se produit en moi commedans un beau songe très distinct; mais larépétition générale de cet ensemble, voilà lemoment le plus délicieux ! Ce qui s'est faitainsi ne me sort plus facilement de la mé-moire, et c'est peut-être le don le plus pré-cieux que Notre-Seigneur m'a fait... Com-ment maintenant, pendant mon travail, mesoeuvres prennent la forme ou la manière: quicaractérisent Mozart et ne ressemblent àcelles d'aucun autre, cela arrive, ma foi, toutcomme il se fait que mon nez est gros etcrochu, le nez de Mozart enfin et non celuid'une autre personne; je ne vise pas à l'origi-

  • I\A REVUE MUSICALE DE LYON

    nalité, et je serais bien embarrassé de définirma manière. 11 est tout naturel que les gensqui ont réellement un air particulier parais-sent aussi différents les uns des autres audehors qu'au dedans. Ce que je sais bientoutefois, c'est que je ne me suis pas plusdonne l'un que l'autre; ne m'interrogez plussur ce sujet, cher ami, et croyez que, si jem'arrête, c'est que je n'en sais pas plus long.Vous ne vous imaginez pas, vous qui êtesun savant, combien ces explications m'ontcoûté. »Ainsi Mozart faisait dans sa tète tout le tra-

    vail de la composition : quelquefoispourtant,il en indiquait les principaux motifs sur unefeuille volante. Lorsqu'il voulait faire enten-dre une de ces compositions, il l'écrivaitcomplètement, et ce travail lui était extrè-.mement désagréable ; il le faisait avec unerapidité extraordinaire, et, le plus souvent,il n'y retouchait plus, ainsi que l'indiquentsesmanuscrits, qui ne présentent presque pasde ratures.

    11 écrivait d'abord le chant et le quatuor àcordes, ainsi que l'accompagnement de cer-tains passages du chant par tel ou tel instru-ment ; il laissait le reste en blanc jusqu'auderniermoment ; ce n'est qu'alors que, pressépar l'obligation de donner son travail, il sur-montait sa répugnance et finissait d'écrire sacomposition.Quelques anecdotes achèveront de faire

    connaître la manière dont il composait. Aus-sitôt levé, il courait à son clavecin et en jouaitpendant quelque temps pour échauffer sonimagination ; puis il faisait sa toilette, qu'ilinterrompait à chaque instant pour écrire lesidées qui lui venaient, allant tantôt à sa tablede travail, tantôt à son clavecin, et frappantla mesure avec, son pied en marchant. Sonbarbier a raconté quelle affaire c'était de leraser ; il était à peine assis, la serviette aumenton,qu'il s'absorbait dans sa méditation;de temps en temps il se levait pour allerécrire ou jouer quelques notes ; le barbier lesuivait alors le rasoir ou le peigne à lamain.Pendant les repas, ses distractions étaient

    continuelles, et on était souvent forcé de lerappeler à ..la réalité. Un de ses tics consistaità tortiller un coin de sa serviette et à se le

    passer sous le nez. Souvent sa> figure se con-tractait et il faisait une espèce de grimace quifaisait sourire ceux qui étaient à table aveclui.Les voyages surtout l'inspiraient ; le mou-

    vement de la voiture, la vue du paysage fai-saient naître une foule d'idées dans sonesprit ; on voyait alors sa physionomies'éclairer, on l'entendait fredonner certains

    j airs pendant des heures, et il disait à ceux| qui l'accompagnaient qu'il regrettait de nei pouvoir pas fixer sur le papier l'oeuvre qu'ilj venait de concevoir.' Voici dans quelles circonstances il composal'ouverture de Don Juan : il s'enferma danssa chambre, a l'auberg'e où il se trouvait.alluma sa pipe, se fit faire un bol de punch,et pria sa femme de l'amuser avec des contesde fées : mais bientôt, sentant l'inspirationvenir, il congédia sa femme, déposa son

    i verre, éteignit sa pipe, et, tout d'un trait.| sans corrections, sans retouches, il écrivit| l'ouverture, du commencement à la fin. On] voit aisément, sur le manuscrit, qui est d'une; seule écriture hâtive et comme emportée.! avec quelle rapidité incroyable il jeta sur lei papier cette puissante symphonie.I

  • REVUE MUSICALE DE LYON 215

    Nouvelles Diverses

    Autres pays, autres meviirs : dans les .sallesde spectacle japonaises, un soir d'enthou-siasme et d'allégresse, on n'applaudit pas,on sait trop que la claque trop frénétiquen'est 'pas toujours la plus sincère. Les petitsNippons ont une toute autre manière detémoigner leur joie et leur contentement.Quand une actrice ou un acteur leur plaît, ilsjettent sur la scène, pendant le spectacle cer-taines parties de leur costume. Après lareprésentation, ils rachètent à prix fixés cesprojectilesapprobateurs, l'argent est destiné àl'artiste qui excite leur admiration.Les abonnés de l'Opéra en manches de

    chemise, les mondaines des Variétésou de laGaité, pour glorifier Réjane ou Coquel'm,quittant dentelles ou fanfreluches ! vraimentle spectacle serait dans la salle.

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    On vient de publier la statistique des opé-ras représentés sur les scènes allemandesdepuis le i 01' septembre 1903 jusqu'au 31rïbùt 1904. Y figurent en rang plus qu'hono-rable

    ,Georges Bizetavec 303 représentations,

    Ambroise Thomas avec 230, Gounod avec237, Auber avec 166, Adolphe Adam avec125 et Saint-Saëns avec 79 représentations.Richard Wagner tient la tète avec 1,323

    représentations, tandis que son fils SiegfriedWagner doit se contenter du total infinimentplus modeste de 14.

    Comme le théâtre de Bayreuth ne donnepoint de festival cette année, l'administrationdu théâtre Covent-Garden de Londres s'estdécidée à donner, du i™ mai au 24 juillet,une série de représentations wagnériennes.dont la direction est confiée à Hans Richter.On jouera deux fois la Tétralogie de l'Anneaudu h'ibeliiug, sans coupure, comme elle estdonnée à Bayreuth. Parmi les nombreuxartistes engagés déjà, on en cite plusieurs deceux qui se sont produits à Bayreuth, entreautres MM. Van Roy et Krauss, ainsi queMines Morena, Wittich et Reinl. Les repré-sentations commenceront à cinq heures.

    Le doyen des compositeurs russes, M. Ce-,sar Cui, qui, en dépit de ses soixante-dixans,a conservé toute sa vigueur d'esprit et d'ima-gination, vient de composer un 'opéra nou-veau dont le livret a été écrit d'après Made-moiselle Fifi, l'émouvantenouvelle de Guy deMaupassant.

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    On annonce la prochaine publication dedouze menuets inédits de Beethoven, datantde 1799, que M. Chantavoine aurait décou-verts, l'année dernière, à la bibliothèque dela cour de Vienne.

    Le théâtre municipalde Dortmund prépare,pour être joué incessamment, un nouvelopéra intitulé Sol Hatschuel. L'action se passeau Maroc et serait la mise en scène d'uneaventure véritablement arrivée. L'auteur dela musique est un compositeur anglais, M.Bernard de Lisle, celui des paroles un fran-çais, M. Macé. La traduction allemande estduc à M. Otto Neitzei. L'ouvrage est enquatre actes: l'ouverture et des airs de bal-let auraient été déjà exécutés avec succès àCovent-Gardenet en France. Sol Hatschuelest le nom d'une juive dont la décapitationforme le dénouement de l'opéra.

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    Une assez vive agitation est provoquéedepuis quelque temps à Londres en vue dela création d'un théâtre ayant un répertoirenational. Un comité formé à cet effet a fixéà 20.000 livres sterling (300.000 francs) lasomme jugée nécessaire pour la réussite duprojet. Resterait à savoir par quel procédé onse procurerait cette somme. Un premierfonds important vient d'être fourni par unécrivain dramatique, M. Walter Stephens,qui a mis aussitôt 100.000 francs à la dispo-sition du comité, en exprimant le désir quele reste soit obtenu à l'aided'une souscriptionpublique. M. Walter Stephens a émis aussil'avis que l'on construise un théâtre nouveau,auquel on donnerait le nom d'irving Réper-toire Théâtre, et qui se trouverait ainsi placésous les auspices du plus célèbre comédienanglais, lequel est d'ailleurs très sympathi-que au projet, auquel il prend le plus vifintérêt.

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    A l'occasion du centième anniveisaire de lanaissancede Wilhclmine. Schroeder-Devrient,

  • REVUE MUSICALE DE LYON

    le Ménestrel rappelle le souvenir d'une repré-sentation de la. Vestale de Spontini, qui eutlieu à Dresde pendant l'automne de 1844,Wagner étant chef d'orchestredu théâtre decette ville. Le futur auteur de Tristan et Isoldevoulant donner à la reprise de l'oeuvre le ca-ractère d'une solennité musicale, avait eu"imprudence d'écrire à Spontini pour luidemander de diriger l'orchestre pendant lapremière soirée. Quand il lit part de cettedémarche à M"10 Schroeder-Devrient. qui de-vait interpréter le rôle de julia, celle-ci se mità rire comme un véritable lutin. « Vous neconnaissez pas l'homme, dit-elle, vous allezvoir ce qu'il adviendra ». Elle convainquit sibien Wagner des embarras inextricables danslesquels on allait se trouver qu'il usa de sub-terfuges et crut avoir déterminé Spontini àne pas venir.On arriva ainsi jusqu'à la veille du jour

    fixé pour la répïtition générale. Wagner, trèsrassuré sur les résultats de son imprudence,était sans appréhensions et comptait sur unbeau succès pour le surlendemain lorsqu'ilvit entrer tout à coup dans sa chambre Spon-tini lui-même, venu de Berlin et s'avançantavec une allure passionnée. Pour toute expli-cation il mit sous le nez de Wagner les pro-pres lettres de celui-ci, lui prouva sans peine

    .que l'invitation subsistait et indiqua ses exi-gences. Wagner se mit en quatre pour lesatisfaire, lui lit construire un énorme bâtonde mesure en bois noir avec deux grossesboules blanches à chaque bout et, le joursuivant, le maître, possédant l'engin de com-mandementqu'il avait désiré, dirigea la répé-tition.Dès l'abord, il parut évident que toutes les

    études seraient à reprendre. Le personnel duthéâtre, déjà mal disposé, fut bientôt outré,exaspéré, affolé par les prétentionsminutieu-ses du compositeur. Fischer, le régisseur, àla fois chef des choeurs, était tellement aveu-glé par la rage que Spontini ne pouvaitplusouvrir la bouche sans qu'il en conclût quec'était pour se plaindre de lui. A la fin d'unmorceau, Spontini ayant fait signe àWagnerde s'approcher, lui dit à l'oreille : « Mais ilschantent fort bien, vos choeurs ». Fischertransporté de fureur, mais n'ayant rien en-tendu, s'écria : « Qu'est-ce qu'il lui faut en-core, à ce vieux ?»Wagner parvint à calmer tout le monde et

    se mit dans les bonnes grâces de Spontini enécrivant, sur sa demande expresse, des par-ties de.trombones pour la marche triomphaledu premier acte de la Vestale et une partie

    de basse-tuba pour toute la. partition. Spontini apprécia si fort cette collaboration qu'illança un regard affectueux à Wagner pendantl'exécution et se fit envoyer à Paris la nota-tion de ce supplément instrumental. Il étaittrès myope et prétendait diriger du regard :«OEil gauche, premiers violons, oeil droit,seconds violons » disait-il. Son bâton à deuxboules, il le brandissait comme aurait lait ungénéral pour commander.En 1848,'Mme Schroeder-Devrient n'était

    plus entièrement jeune pour le théâtre; enoutre, elle se trouvait en rivalité avec uneartiste charmante, Johanna Wagner, nièce deRichardWagner et alorsâgée de dix-sept ans.Celle-ci représentait le personnage de lagrand Vestale. Afin de produire plus d'effet,Wilhelmine Schroeder-Devrient exagéra sonjeu et se laissa entraîner à déclamer certainesparties du rôle plutôt qu'elle ne les chantait.Elle parla môme tout à fait les mots // estsauvé, après le grand trio du troisième acte.De l'aveu de Wagner, elle manqua pleine-ment son but. Malgré l'Interprétation excel-lente dans l'ensemble, cette reprise de layestalene réussit pas.On prétexta uneindispo-sition de Mme Schroeder-Devrientpour retar-der la deuxième représentation jusqu'aprèsle départ de Spontini, dont la présence étaitun obstacle, à cause de l'hostilité des musi-ciens de l'orchestre et des choristes.

    f ^ °tLe droit du spectateur: Le juge de paix du

    deuxième arrondissementvient de rendre unjugement d'après lequel le spectateur qui aloué-une place numérotée, sur les indicationsdu plan du théâtre affiché au bureau delocation, a le droit de réclamer le rembour-sement de cette place si ces indications'sontinexactes. 11 s'agissait, en l'espèce, d'un.stra-pontin de balcon, que le plan du théâtre indi-quait comme étant au premier rang, et quise trouvait, en réalité, au troisième rang,par suite de modifications exigées par la pré-fecture de police.

    Le Propriétaire-Gérant : LÉON VALLAS

    Imp. WAI.TKNKR & Ci", Rue Stella, 3, Lyon