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7/28/2019 20564947 Phenomenologie de La Vision Stereoscopique a Lutz 1999
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Universit Paris IV, Paris - Sorbonne
U.F.R. de Philosophie
Mmoire de matrise
Discipline : philosophie
Titre
Phnomnologie de la vision stroscopique
Sous-titre :Usage pragmatique de travaux de Husserl et de Merleau-Ponty sur
lespace vcu en vue de dgager les invariants dune exprience de
vision stroscopique
Prsent et soutenupar :
Antoine LUTZEn octobre 1999.
Directeur de mmoire :
Professeur Renaud Barbaras.
Anne universitaire 1998/1999
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Cette fois-ci ce fut bien diffrent. Pratiquement sur-
le-champ jarrivai loucher et percevoir leurs
ombres individuelles comme si elles se confondaient en
une seule. Je remarquai le fait que de regarder sans
converger donnait cette ombre unique [de deux
rochers] une incroyable profondeur et une
transparence curieuse. (...) Je remarquai que ctait
comme si de trs haut jobservai un monde que je
navais vu auparavant. Je me rendis compte que je
pouvais balayer des yeux les environs de lombre sans
perdre la qualit de la vision. Alors, pendant un
instant, joubliai que je regardais un rocher. Jeus
limpression dentrer dans un monde bien plus vaste
que tout ce que jaurais pu concevoir. Cela ne dura
quune seconde, et la vision svanouit.
Carlos Castaneda,Le Voyage Ixtlan,
p.255-256 (Folio-Essais)
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Remerciements :
Jaimerais remercier tout dabord Monsieur le professeur Renaud Barbaras davoir
accept de prendre la responsabilit de ce mmoire.
Je suis aussi reconnaissant Pierre Vermersch de mavoir sensibilis sa "mthode
dentretien dexplicitation" et de mavoir donn lopportunit de prsenter ces tches
stroscopiques dans un sminaire de "pratique phnomnologique" quil anime.
Merci Sbastien Bonifas, davoir accept dtre sujet et de se prter au jeu de la
chasse aux fautes dorthographe. Merci Yves Frelon pour sa lecture attentive et critique du
manuscrit final. Merci mes sujets : Sophie Mertz, Alexandre Boidron, Andreas Weber,
Raphal Nunez, Frdric Borde.
Je remercie Francisco Varela de mavoir accept dans son quipe de neurodynamique
au laboratoire du LENA et de mavoir propos de travailler sur ce projet dimages
stroscopiques. A cette occasion, jai eu la chance de connatre son programme de
"neurophnomnologie" et de pouvoir le tester dans le cadre de ce protocole prcis. Merci de
mavoir donn lopportunit dapprofondir les ides complexes quil contient en le confrontant,
loccasion de ce mmoire, la littrature classique de phnomnologie. Je le remercie ausside mavoir donn avec patience des claircissements sur sa vision des grands principes
neurodynamiques de la conscience et davoir relu ce manuscrit.
Merci Natalie (sans h sil vous plat) Depraz pour ses conseils mthodologiques et ses
connaissances encyclopdiques des travaux de Husserl. Je la remercie enfin davoir relu et
critiqu plusieurs versions de ce travail.
Je ddie ce travail mes parents, mes frres, mes surs, et Elizabeth.
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Table des Matires
___________________________________________________
Introduction..6
I. Enjeux mthodologiques :8
I.1. Sur lusage pragmatique et non-hermneutique des textes de Husserl
et de Merleau-Ponty..9I. 1.1. Mobilisation du geste de rduction transcendantale de Husserl en vue de dgager les invariants
statiques de lexprience9
I.1.2. Mobilisation dun geste de rduction adhrant au monde vcu (Lebenswelt) et ma chair (Leib)en vue de dgager les invariants gntiques de lexprience13
I.1.3. Privilge de la transcendance chez Husserl, privilge de limmanence chez Merleau-Ponty16
I.2. Statut dune analyse phnomnologique dans un protocole exprimental.17I.2.1. Le problme de lexprience du vcu dans les sciences cognitives contemporaines.18
I.2.2. Vers une approche scientifique non-rductionniste et pragmatique de lexprience :23I.3. Statut dun protocole exprimental dans une analyse phnomnologique.25
II. Prsentation du protocole. ..27
II.1 Prsentation neurophysiologique de ce protocole.27
II.2 Descriptions dtailles des tches et des consignes..28
II.3 Statut du questionnaire et des donnes la "deuxime personne"30
III. Descriptions des invariants sensori-moteurs.32
III.1 Description globale de lmergence : le sensible et lexprience de la profondeur
chez Merleau-Ponty..32III.1.1 O situer le sujet sentant ? Recherche dun entre-deux.32
III.1.2. Description de la dynamique dmergence comme coexistence entre le sentir et le sentant33
III.1.3. Anonymat et transcendance du percept stroscopique36
III.2 Analyse des invariants dorigine kinesthsique et hyltique, mobiliss dans
les deux tches, laide de travaux de Husserl..38.
III.2.1 Analyse des distinctions entre les tches et entre les diffrentes stratgies38
III.2.2. Analyse gntique du couplage entre les kinesthses et le champ visuel..42
III.2.3 Remarques concernant lintentionnalit kinesthsique au dbut de la tche non-guide46
IV . Esquisse dune cartographie de la dynamique
incarne de ces expriences.48
IV.1 La temporalit de la conscience : passerelle potentielle entre les donnes
phnomnologiques et leurs corrlats neurodynamiques..50
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IV.1.1. Introduction50
IV.1.2. Rappels des concepts phnomnologiques sur la temporalit52
IV.1.3. Bref contrepoint neurodynamique..54
IV.2. Analyse dinvariants et de paramtres dynamiques dans la tche guide..56
IV.2.1 Invariants dynamiques de mon acte de fixation :58
IV.2.2 Neurodynamique de lmergence :.59
IV.2.3 Remarques mthodologiques :62
IV.3. Analyse dinvariants et de paramtres dynamiques dans la tche non guide63
Conclusion..65
Bibliographie..69Annexe I : Questionnaire sur les tches et expos des comptes rendus.70
Annexe II : Exemples dautostrogramme75
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Je me souviens tre pass, il y a quelques annes, devant un petit magasin de gravures,
prs de la Sorbonne. Dans la rue, plusieurs personnes se tenaient immobiles, concentres ou
perplexes, mais fixant un demi-mtre de distance des images dans la vitrine. Elles ne
contenaient pour moi quun pattern, une fleur par exemple, qui se rptait de multiples foisdans la figure. Mais les gens semblaient voir autre chose. Autour de moi jentendais des
exclamations :
a y est je le tiens, cest un cheval !
ou bien des cris de dpit :
Zut ! Il ma chapp.
Par quel acte miraculeux et mystrieux ces gens transformaient-ils les fleurs en cheval ?
Introduction
Il est possible de voir un objet en profondeur, lorsque je louche des yeux devant ces
images stroscopiques. Son surgissement graduel saccompagne toujours dune fluctuation
motionnelle et il mapparat alors avec la mme prsence relle quun autre objet du monde.Nous nous sommes intresss cette exprience loccasion dun travail exprimental, dans le
cadre dune thse en sciences cognitives. Nous cherchons caractriser lactivit lectrique
extra-cranienne lors de cette tche perceptive. En raison de la richesse de son vcu
phnomnal, elle soffre nous comme un prtexte pour une rflexion thorique plus gnrale.
En effet, la perception de la figure en relief constitue une exprience et donc, en tant que telle,
est vcue par un sujet. Mais ces donnes subjectives posent linvestigation scientifique le
problme suivant : quel est le lien entre ces donnes la premire personne et les mesures de
leurs corrlats neurobiologiques ?
Malgr l'avance des neurosciences et des descriptions explicites de mcanismes
cognitifs, les sciences cognitives contemporaines doivent admettre quil existe toujours un
gouffre explicatif entre l'exprience subjective des phnomnes mentaux et l'explication
objective de ceux-ci. Le statut scientifique de ces donnes donne lieu depuis une dizaine
dannes des dbats passionns en philosophie de lesprit. Notre travail empirique a pour
ambition dy participer, avec modestie, en ce quil essaie de tester et dappliquer, dans notre
cas prcis, un programme de recherche dit de neuro-phnomnologie. Loriginalit
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mthodologique de cette approche vient de son souci dintgrer et de respecter cette dimension
existentielle. Elle tente dincorporer explicitement les descriptions de ces vcus dans
linterprtation des signaux. Pour ce faire elle mobilise la tradition phnomnologique en
lutilisant comme une thorie descriptive de la conscience.
Lusage que nous voulons faire, dans ce travail, des donnes empiriques et des donnes
phnomnologiques nourrit dimportantes questions mthodologiques que nous allons
esquisser dans une premire partie. Les points que nous voulons aborder sont les suivants :
Quelle mthode dinvestigation, propre la phnomnologie, allons nous mobiliser pour
dcrire le vcu de nos tches ? Quels sont le statut et lusage de ces donnes la premire
personne dans un protocole empirique ? Quest-ce que, rciproquement, la phnomnologie
retire pour elle-mme de cette confrontation lempirisme ?
Ce cadre mthodologique pos, nous nous centrerons, par la suite, exclusivement sur
nos tches de vision stroscopique. Une seconde partie sera consacre aux recueils des
donnes phnomnologiques. Aprs une courte rflexion sur le statut de ces donnes la
deuxime personne nous prsenterons une description du protocole. Dans une troisime partie
nous voulons dgager les invariants sensori-moteurs en tablissant un dialogue entre nos
donnes phnomnologiques et les descriptions classiques de Husserl et de Merleau-Ponty sur
lespace vcu. Une dernire partie sera consacre la description de la structure temporelle de
ces vcus. Cest cette occasion que nous tenterons de renouer avec lempirisme ou, plus
prcisment, avec les proprits spatio-temporelles de nos signaux lectriques. Nous
chercherons alors dgager des contraintes mutuelles entre le niveau phnomnologique et le
niveau empirique tout en respectant lautonomie de chaque perspective. Elles aboutiront, du
ct de lempirique, des hypothses explicitement testables.
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I. Enjeux mthodologiques :
Lenjeu mthodologique de ce mmoire est dprouver, dans le cas concret dune tche
de vision stroscopique, la ncessit et la possibilit dun dialogue entre la traditionphnomnologique dune part et les sciences cognitives contemporaines dautre part. Nous
voulons tenter dtablir cette interaction trois niveaux.
Dans le premier, nous voudrions utiliser cette tradition philosophique comme support
mthodologique en vue de recueillir avec rigueur le vcu des sujets pendant notre tche. La
phnomnologie, en tant quelle cherche tre une philosophie de la conscience, offre une
mthode dinvestigation de celle-ci qui est originale et que nous voudrions mobiliser ici. Cette
dernire, introduite par Husserl, est qualifie de rduction phnomnologique , ou
depoch . Elle consiste cultiver une disposition particulire de jugement par rapport nos
propres vcus. Son expos a connu des modifications profondes au cours de lvolution de sa
philosophie. Il sera commode den distinguer deux versions : une durant la phase idaliste
de sa phnomnologie et lautre aprs le tournant dit gntique . Nous allons revenir dans
un instant sur cette terminologie.
Le second de ces niveaux est pistmologique et ontologique. Il porte sur le statut des
donnes phnomnologiques dans un travail de neurosciences. Cette problmatique gnrale,
centrale dans notre tude, ne sera quesquisse dans cette section, puis traite indirectement
loccasion de notre tude empirique. Notre objectif nest pas de faire ltat des lieux des
rponses thoriques, qui sont encore dans lensemble hypothtiques, mais de tester un
programme de recherche dit de neuro-phnomnologie 1 pour aboutir, nous lesprons, des
lments nouveaux. Nous aborderons cette question dans la deuxime partie de cette section
depuis le point de vue des sciences cognitives. Elles nous sont mieux connues et semblent les
plus dsireuses, dans leurs rflexions contemporaines, de se rapprocher de la phnomnologie.
Pour finir nous dsirons introduire un troisime niveau danalyse qui couvrira le reste
de notre tude. Il consiste faire une lecture pragmatique des travaux de Husserl et de
Merleau-Ponty sur lespace vcu. Dun point de vue mthodologique, notre intention nest pas
de comparer la cohrence interne de leurs penses sur lespace, mais de confronter les
1Varela, F. (1996), Neurophenomenology : a methodological remedy for the hard problem, Journal of
Consciousness Studies, 3(4), pp. 330-50.
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indications quelles contiennent pour enrichir, structurer et prouver les comptes rendus de nos
sujets. La question de la perception des objets dans lespace occupe une place centrale dans
luvre de Husserl. Inaugure avec Les Leons de 1907sa rflexion va se prolonger tout au
long de sa vie. Ce premier cours, intitul Chose et Espace, marque la naissance de la
phnomnologie comme investigation intuitive des oprations perceptives. Il a t suivi par
plusieurs analyses, comme Les Notes pour la Constitution de lEspace (1917-1918), La
Synthse Passive (1918-1926), qui sont plus tardives et appartiennent sa phnomnologie dite
gntique. Elles mettent jour des volutions significatives par rapport au premier expos. Ces
rorientations et le volume de ces travaux rend la prsentation de ces thses complexe et
controverse. Cest pour cela que nous voudrions, aprs lavoir justifi, associer les travaux
plus tardifs de Husserl ceux de Merleau-Ponty et en particulier son ouvragePhnomnologie
de la Perception (1945). Encore une fois, comme notre dmarche est avant tout pratique, il
nous semble plus efficace dintroduire des distinctions sur les invariants eux-mmes plutt que
de le faire au niveau du discours interne chaque auteur.
I.1. Sur lusage pragmatique et non-hermneutique des textes de Husserl et
de Merleau-Ponty.
1.1.1. Mobilisation du geste de rduction transcendantale de Husserl en vue
de dgager les invariants de lexprience.
La rduction phnomnologique repose sur la possibilit de distinguer entre deux types
de vcus : les premiers, dont je fais lexprience naturellement, sont propos de quelque chose,
une perception, une motion ou un souvenir. Ils se prsentent moi comme existant en soi
et situs dans un lieu et un moment donn. Mais je peux changer dattitude par rapport
ceux-ci et ne plus porter de jugement sur ce quils sont. Je fais alors lexprience dun second
type de vcu qui apparat simplement mais sans se rapporter directement quelque chose qui
existerait dans le monde. Prenons que je sois en train de regarder un livre sur mon bureau. Je
peux mettre hors circuit la croyance que ce livre est l, devant moi, et quil existe de manire
relle. Je vais maintenant porter mon attention non plus sur la prsence du livre mais sur le
vcu qui apparat quand mon regard se porte sur le livre. En dclenchant ce geste de
suspension, mon attention ne va plus tre oriente vers lextrieur mais se tourner vers
lintrieur. Je peux par exemple porter mon attention sur la manire dont les sensations
chromatiques se donnent moi, ou lattirance quune partie du champ visuel produit sur moi.
Dun ct nous avons la perception de la chose et de lautre un nouveau concept de perception
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qui nest pas li la chosit, mais une attitude rflexive sur notre propre vcu. Il est ainsi
possible de distinguer entre lobjet apparaissant et cette simple apparition. Nous avons ainsi
affaire deux modes de donation. Lapparition de la chose est qualifie de transcendantepour
la premire et dimmanente pour la seconde. Avant de prciser ces diffrences, dcrivons la
structure commune ces expriences.
Pour ce faire, commenons par rappeler le principe fondateur sur lequel Husserl fait
reposer ces distinctions. Pour lui, la forme primordiale de notre connaissance est donne par
lintuition, prsente, trs tt dans le dveloppement de sa pense, comme le principe des
principes 1. Lintuition, pour lui, se rfre nos actes dans lesquels les objets apparaissent
en personne 2. Ainsi mon tat mental dans la perception du livre nest pas corrle de manire
anonyme avec le livre rel dans lenvironnement. Jen fais lexprience comme une chose
dans le monde cest--dire que japprhende directement le livre en tant que prsence
effective 3 pour moi. Avec cette formulation, le champ dapplication de notre intuition ne
recouvre pas seulement la perception mais galement limagination et le souvenir.
Nous avons vu que la rduction phnomnologique reposait sur la sparation entre deux
modes de donation, ou comme on vient de le voir, de deux modes dintuition. En ralit elle ne
peut tre complte quen mobilisant une troisime type dintuition originaire , qualifie
deidtique. Celle-ci dsigne le mode de donation dans laquelle la chose se donne comme un
exemplaire dune classe abstraite. Dans notre exemple prcdent, lobjet sur la table se donne
comme subsum sous la catgorie livre, qui est elle-mme incluse dans une classe plus
abstraite, disons par exemple, des objets appartenant lespace.
Cette terminologie fixe, regardons comment peut se rsumer au travers de ces trois
concepts dintuition le geste de rduction phnomnologique. Nous avons vu que lintuition
transcendante renvoie notre perception quotidienne quHusserl qualifie dattitude
naturelle . Dans ma perception, les choses sex-posent (Darstellung4) devant moi comme
tant en-chair-et-en os (Leibhaftigkeit1). Elles sont toujours localises dans lespace, et le
temps et mapparaissent comme ayant entre elles des relations causales. Cette terminologie
complexe renvoie finalement notre perception de tous les jours. Cest dans ce domaine de
vcus que se dploient les sciences exprimentales, les sciences des faits . Comme ces
1Ideen I, 24.2
zur Selbstgegebenheit kommen,Ideen 7, 283. Dfinition trouve dansLcher Prise, Pour une PratiquePhnomnologique, Depraz, N., Varela F. et Vermesch, 5-3, paratre.3Ideen I, 1.
4Ding und Raum, 8.
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objets sont toujours inscrits dans lespace, ma perception en est toujours inadquate. Le livre
que je percevais tout lheure mapparaissait sous une seule face, mais jamais compltement.
Cest parce que je ne peux lenglober en un unique acte perceptif que je sens quil excde ma
perception actuelle. Cest dans ce sens quil est transcendant, cest--dire en dehors de moi. Ce
nest quau travers de plusieurs esquisses (Abschattungen)2 relies entre elles par une
conscience de lidentit (Identittsbewusstsein)3 que lobjet peut se constituer davantage
mais sans jamais ltre totalement.
Cette incompltude implique que l intuition saccompagne toujours dun savoir tacite,
dune doxa . La prsence effective du livre saccompagne dune prsence en
crance (Glaubhaftigkeit)1 ci-dessus, par exemple que le livre se tient l. Ainsi cest parce que
je croyais que ctait un livre que je vais tre surpris de constater par la suite que ce ntait
quun trompe-lil en carton. Cest pour cela que nous sommes surpris de voir dans les
strogrammes quun objet en profondeur puisse apparatre devant nous. Limage en relief
possde la mme prsence quun vritable objet 3D, alors que nous savons que cest une
illusion . Pour le phnomnologue ce nest pas plus une illusion que la pierre solide que je
peux toucher. Les deux expriences saccompagnent dune croyance en lexistence de la chose.
Mais celle-ci na besoin de devenir explicite que quand elle conduit une contradiction comme
cest le cas pour le strogramme. Je peux toucher son support physique, par exemple en
papier, et constater sa platitude mais je peux galement le regarder en louchant devant la figure
de telle manire quun objet en relief apparaisse.
La phnomnologie, pour tre une thorie complte de la conscience, ou mme pour
connatre les limites de la connaissance objective, propose de retracer la gense de cette
transcendance grce notre intuition immanente. Cest l le premier mouvement de la
rduction phnomnologique. Le geste de lepoch, qui se rapproche du doute mthodique
cartsien4
, se veut tre une abstention de jugement, une suspension de notre croyance. Les
objets ne sont plus situs ni dans lespace ni dans le temps. Jai maintenant dans limmdiat de
ce geste rflexif un vcu pur qui nex-pose plus mais sauto-positionne (Selbststellen)5ou
sauto-donne. Son existence effective se donne cette fois comme certaine, absolue et totalement
dtermine. Cest l pour Husserl que se trouve le champ dinvestigation de la
1 Idem, 5.2 Idem, 14.3
Idem, 10.4Mditations Cartsiennes, 8.
5Idem, 9.
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phnomnologie1.
Ce que nous dcouvrons tout dabord dans la rduction cest limpression sensible, par
exemple le blanc de la couverture du livre. De telles donnes sensibles, appeles hyltiques ,
taient dj vcues comme immanentes avant mme lepoch. En effet comme ma cognition
est le support de la perception, je vois peut-tre le livre en dehors sur la table mais je suis, en
tant qutre vivant, le sige de cette perception. Comme cette dernire a lieu en moi, elle est
donc littralement immanente. Ce qui apparat maintenant en plus de limpression sensible et
qui ntait pas explicite dans lattitude naturelle, cest lintention qui anime ces data sensibles,
cest--dire ce qui leur donne sens. Lintentionnalit qui faisait que ce livre existait l sur la
table, de manire transcendante, devient maintenant, au moins partiellement, immanente la
lumire de la rduction. Autrement dit je peux porter attention lintrieur sur lacte mental
qui fait que lobjet apparat lextrieur. Husserl dcrit cette corrlation entre lobjet vis et
lacte qui le vise laide de deux concepts clefs : la signification (Sinn) propre lobjet
apparaissant est appele nome tandis que lacte constitutif, vcu du ct du sujet, est appel
nos. Lobjet de la rduction est de ressaisir la faveur de cet acte de suspension ces structures
notico-nomatiques .
Mais nous lavons signal, limmanence dans la rduction est caractrise par son
instantanit. Je peux donc exercer lattitude rductrice, mais je me vois pris dans un flux de
moments certes absolument donns mais toujours de manire singulire. Ainsi, si je ne
possdais pas, daprs Husserl, ce troisime type dintuition dit idtique, je ne pourrais rien
dire sur ce qui est identique entre ces diffrents moments dgags. Lintuition idtique est une
vision des essences (Wesenschauung) grce laquelle nous avons la capacit de voir dans
un flux dexpriences immanentes les traits caractristiques qui les relient. La recherche de ces
invariants constituent le second moment ncessaire la rduction; le premier tant constitu
par le geste de suspension lui-mme (voir supra). Sans cela, les singularits de ces vcus purs
resteraient inutilises faute de gnralisation. Nous sommes dots dune telle capacit
dgager les structures, les rgles, plus ou moins gnrales partir dun groupe dexpriences.
Ces lois tablies dans notre intuition eidtique sont pour Husserl, du moins dans sa premire
philosophie, synthtiques a priori. Une telle facult nest pas un concept abstrait mais une
proprit cognitive universelle et essentielle. Pour sen convaincre il suffit, par exemple,
dobserver de jeunes enfants qui, trs tt, sont capables, en interagissant avec leur
environnement, de classer et de manipuler des objets selon leur formes gomtriques sans
1 Cette possibilit, que pose la phnomnologie de pouvoir revenir au contact de lexprience pour fonder notre
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lavoir appris explicitement. .
Pour rsumer, la phnomnologie nest ni une philosophie argumentative ni une
philosophie spculative mais doit tre comprise, selon une formule elliptique dHusserl,
comme une thorie descriptive de lessence des vcus purs 1. Dans notre travail cette phase
a lieu avant lenregistrement de llectroencphalogramme (EEG) de nos sujets. Par un allez
retour entre lexprience et son compte-rendu, guid par un dialogue permanent avec
lexprimentateur, le sujet est invit refaire la tche de nombreuses fois en faisant
successivement attention certaines phases ou composantes particulires de lexprience.
Lattitude que nous tentons de solliciter chez eux est une disposition rompre avec leurs
habitudes perceptives pour prendre du recul vis--vis de leur propre cognition.
I.1.2. Mobilisation dun geste de rduction adhrant au monde
vcu (Lebenswelt) et ma chair (Leib) en vue de dgager les invariants
gntiques de lexprience.
La formulation initiale de la rduction phnomnologique pourrait laisser croire,
comme lont remarqu ses dtracteurs, un retour une nouvelle forme didalisme. En effet,
la thse du monde, sous la rduction, se donne comme contingente car elle peut tre suspendue
et devenir lexpression dun sujet apodictique. Ainsi, Husserl crit dans Ideen I2 que tout ce
qui, dans la sphre des choses, se donne soi-mme en personne, en chair et en os, peut
galement ne pas tre ; aucun vcu qui se donne soi-mme ne peut ne pas tre . Mais cette
thse est sujette caution. Il est vrai que je peux mettre entre parenthses lexistence du
livre. Car son identit de chose se constitue dans une synthse desquisses, lesquisse
immdiate anticipant lesquisse suivante. Il est en mon pouvoir de suspendre cette anticipation.
Je vis alors, dans linstantan, limmanence dune donation et mon acte intentionnel quilanime. Mais ai-je pour autant suspendu le monde dans sa totalit ? A lvidence, non. Il
continue exister tout au moins comme un horizon. Un bruit dun Klaxon peut surgir de la rue
et attirer mon attention. Je dcouvre que du sens fuse au travers lui sans que je le constitue et
quil sollicite en moi une certaine attitude. Je peux par exemple me rappeler que javais rendez-
vous cette heure en bas de chez moi. Le monde vcu (Lebenswelt), dans sa globalit, apparat
ainsi comme un fond pralable mes actes de saisir et danticiper en lui des objets singuliers 1
connaissance, loppose la tradition nominaliste anglo-saxonne et la philosophie analytique en particulier.1Ides Pertinentes pour une Pure Phnomnologie, 75.
2Ideen I, p.109, lignes 1-9.
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ci-dessous Cette proposition est paradoxale. Car ce Lebenswelt est, dune part, non rductible
mes seuls actes intentionnels tout en ntant pas dautre part connaissable sans le dploiement
de ces actes intentionnels. Dune manire similaire, ce qui est vrai pour le monde, lest encore
pour ma propre corporalit. Dans la rduction transcendantale je peux observer une partie de
mon corps, par exemple mes yeux quand ils regardent le livre. Je dcouvre ce que Husserl
appelle mon Krper cest--dire mon corps physique en tant quil est un objet dans le monde.
Nanmoins, alors que je fais ce geste de suspension pour lobserver je peux sentir que, disons,
la posture de mon corps nest pas confortable. Cette tension va solliciter en moi une certaine
attitude qui va tre, par exemple, de me redresser. Ainsi ma chair (Leib), cest--dire mon
corps phnomnologique tel que je le vis en tant que sujet, englobe toujours lapparatre de
mon Krper. Et cela exprime une aporie identique celle rencontre pour le Lebenswelt.
Mme si mon Leib ne peut-tre rduit mon Krper, tout vcu a, cependant, un fondement
biologique et repose donc, dans labsolu, sur ce dernier.
Cest la problmatique souleve, au dbut des annes 20, dans La Synthse
Passive 1. Existerait-il, se demande Husserl, une composante de la nature, une ressource
factuelle (faktischen Bestand), qui soit, en soi, inintelligible 2et qui fournisse pourtant une
motivation, un stimulus pour la constitution de la donation de sens elle-mme ? Ce quil va
mettre en vidence cest le caractre passif de notre activit. Toute activit de donation de sens
de la conscience contient une zone opaque mme dans lattitude rductrice. Du sens peut surgir
en moi dune manire autonome, sans que je puisse avoir accs lacte qui le constitue. La
vie entire de lesprit est traverse par lefficacit "aveugle" des associations, des impulsions
(Treiben), des affects (Gefhle) comme excitations (Reize) et comme sources dterminant pour
les impulsions, des tendances mergentes de lobscurit etc., qui dterminent le cours ultrieur
de la conscience en accord avec des rgles "aveugles". 3 Cette zone dirrflchi, rsistant
lattitude transcendantale, amne Husserl reconsidrer le statut de lesprit par rapport celui
de la nature. Autant sa premire phnomnologie allait dans le sens dune dnaturalisation de
celle-ci, autant la seconde la rhabilite en ce quelle d-spiritualise lesprit4. Autrement dit, sa
philosophie de jeunesse a dgag comment les objets de la nature apparaissaient constitus par
un sujet, alors que sa philosophie seconde a dgag comment ce sujet constituant apparaissait
aussi constitu car motiv. Son mergence se dploie partir dune motivation corporelle,
1Je nai eu quune connaissance indirecte de la phnomnologie gntique de Husserl, ce qui suit sest inspir de
larticle When Transcendantal Genesis Encounters the Naturalization Project de Natalie Depraz.2Hua IV, 61, p.276.3Hua IV, 61, p.276-277.4
I.5 Depraz N. When Transcendantal Genesis Encounters the Naturalization Project , dansNaturalizingPhenomenology, voir bibliographie.
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hyltique et kinesthsique, qui signore. Dans ce sens la conscience goque nest plus lunique
ple constitutif. Si la subjectivit est donatrice de sens, le monde forme au contraire son
impulsion motivante et les deux sont dynamiquement lis lun lautre. Ce retour au monde
dans la pense de Husserl a t souvent qualifi de phnomnologie gntique en ce qu'elle
cherche maintenant dcrire la gense des actes intentionnels. La dcouverte de cette passivit
inhrente la conscience soulve la question des modifications mthodologiques apporter
la rduction transcendantale pour faire droit cette synthse particulire.
Si le geste de suspension ne change pas, son objet sest modifi. Il ne sagit plus davoir
lintuition des actes actifs de ma conscience, mais au contraire dtre lcoute de cette
conscience passive qui va prcisment engendrer ces actes. La hyl, par exemple, nest plus
subordonne une nose, mais est mise automatiquement en relation des kinesthses, cest--
dire des sensations musculaires, qui vont solliciter par la suite les actes notiques eux-mmes.
Dans une telle approche, la transcendance se trouve incarne et fonde dans limmanence
mme dune exprience vcue. Le niveau dobservation va donc se situer entre lindividu et le
monde, dans cette couche intermdiaire de ma chair (Leib) et des habitudes de mon monde
vcu (Lebenswelt). Cest ce niveau que nous voudrions faire intervenir les tudes de
Merleau-Ponty.
Malgr que Merleau-Ponty critique la tentation idaliste du premier Husserl, sa
phnomnologie peut tre vue comme un prolongement et une exploration de la
phnomnologie du second Husserl. Ainsi ds lintroduction de Phnomnologie de la
perception , il sattaque lanalyse rflexive, quil qualifie de "nave" dans son projet initial,
consistant faire driver le sens du monde du seul pouvoir constitutif dun ego absolu. Daprs
lui cette prise de conscience est incomplte car elle signore comme commencement. Ma
rflexion est une rflexion sur un irrflchi 1. Elle doit reconnatre en de de ses propres
oprations, le monde qui mest donn au pralable. Dans ce sens la perception doit tre
comprise comme un fond sur lequel tous les actes se dtachent et qui est prsuppos par
eux 2. Sil est vrai que jai le pouvoir de mettre entre parenthses lexistence des choses, je ne
peux le faire pour le monde dans sa totalit. Merleau-Ponty rappelle ce paradoxe : pour voir
jaillir les transcendances 3je dois et peux effectivement rompre ma familiarit avec le
monde, mais cette rupture ne va pas compltement le dpouiller de son opacit 3. La
rduction phnomnologique est dcrite alors comme un mouvement de recul par rapport au
1p.iv. dansPhnomnologie de la Perception, d. Gallimard.
2Ibid. p.v.
3Ibid. note en bas, p. 419.
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monde pour sen tonner 1 et devenir conscient de notre dpendance lgard dune vie
irrflchie . La connaissance et la pense objective vont pouvoir se constituer sur un tel fond
sans que, de manire contradictoire, le cogito puisse esprer dcrire lensemble des actes
constitutifs. Il ne peut atteindre la fin une transparence totale du monde. La
phnomnologie de Merleau-Ponty, en acceptant que toutes nos descriptions ne soient pas
toujours pensables, se pose ainsi comme une alternative entre un extrme subjectivisme et un
extrme objectivisme. Pour retrouver lexprience irrflchie du monde, la rflexion
radicale 2 se donne comme tche dpouser puis de dcrire le jaillissement immotiv du
monde 3.
I.1.3. Privilge de la transcendance chez Husserl, privilge de limmanence chez
Merleau-Ponty.
Arrivs ce point dans notre travail, certains lecteurs vont sans doute se demander
pourquoi nous avons recours deux philosophes assez identiques alors quun seul aurait pu
suffire. Notre rponse se veut, encore une fois, pragmatique. Nous voulons les utiliser
ensemble car, bien quappartenant la mme famille philosophique, ils sont plutt
complmentaires quidentiques quant au style et la mthode de leurs analyses. En les faisant
communiquer nous esprons tre la fois rigoureux dans lanalyse thorique et en mme temps
respectueux de la dynamique globale du vcu des expriences. Dtaillons un peu plus ce qui
fait la spcificit de chacun deux.
Avant de se tourner vers la philosophie, Husserl a t lorigine un excellent
mathmaticien. Sa formation se ressent dans toute son uvre, anime par la recherche
constante des essences et du gnral. Mme dans sa philosophie tardive sil reconnat que les
structures idtiques ne peuvent tre purement formelles, cest pour ajouter que ces structures
matrielles doivent respecter une homognit pour que la transcendance puisse exister. Ainsi
malgr son anti-naturalisme de principe, la rigueur conceptuelle de son uvre en fait une
thorie potentielle de la conscience pour un programme scientifique de naturalisation. Cest
pour cela quil inspire depuis plusieurs annes des chercheurs en sciences cognitives4. Nous
allons y revenir dans la section suivante. La faiblesse de sa pense, notre niveau, vient que
1 Lexpression est emprunte Eugen Fink, lassisant de Husserl, Ibid. p.viii.2
ibid. p.278.3
Ibid. p.viii4
Pour un exemple rcent, voir louvrageNaturalizing Phenomenology cit dans la bibliographie.
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son discours est souvent trs abstrait, et pauvre en exemples. Lexpos de sa mthode de
rduction phnomnologique a toujours t principiel en ce quil na que rarement dcrit
explicitement les gestes procduraux 1 pour la mettre en uvre. Ainsi la validation
intersubjective 2 des invariants quil a dgag est dlicate car difficilement reproductible.
Enfin il na pas vraiment chercher confronter ses travaux dautres domaines de
connaissance comme par exemple les sciences du vivant.
Ces dernires limitations se trouvent rduites chez Merleau-Ponty. En effet, il a
constamment eu recours dans ses travaux des rsultats de psychophysique ou de
psychopathologie de son temps. Il en fait usage gnralement pour critiquer linterprtation de
ces travaux empiriques et il sefforce dy substituer une interprtation phnomnologique
restituant le monde vcu sur lequel se construit le savoir scientifique. Cependant, ses critiques
de la phnomnologie transcendantale et de lanalyse rflexive le conduisent des descriptions
globales et strictement immanentes des phnomnes vcus. Son langage va chercher avant tout
pouser les rythmes, la fugacit et le fourmillement de nos expriences plutt que den
dgager les invariants constitutifs. Cest cette perspective holiste que nous allons avoir
recours pour trouver les descriptions dynamiques qui pourront reproduire avec justesse
lentrelacement du sujet et du monde dans le droulement de nos tches. La faiblesse de ces
travaux, pour la dmarche scientifique qui est la ntre, vient que ces concepts, parce quils sont
trop proches du vcu, ne sont pas assez gnraux et prcis pour tre mis en relation avec une
proprit dynamique neuronale reproductible. Cest parce que nous voulons identifier des
proprits neuro-dynamiques gnrales quil nous faut galement faire appel aux travaux
dHusserl beaucoup plus analytiques et tourns vers la recherche des essences.
I.2. Statut dune analyse phnomnologique dans un protocole exprimental.
Aprs avoir dtaill la mthode phnomnologique auquel nous allons avoir recours
dans cette tude, nous voudrions poursuivre cette rflexion mthodologique sur un autre
niveau. Ltude phnomnologique de ces tches de vision stroscopique est en ralit
couple une tude exprimentale dans lequel nous enregistrons les signaux extra-craniens de
1 Cest le pari quont tent de relever Depraz N., Varela F. et Vermesch P. dans louvrage paratre : OnBecoming Aware : Steps to a Phenomenological Pragmatics, ou Depraz N. The Phenomenological Reduction asPraxis ,Journal of Consciousness Studies, 1999.2
Idem.
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sujets pendant cette tche. Nous voudrions aborder ici la question suivante : quel est lusage et
le statut de ces donnes phnomnologiques dans une tude empirique ?
Ce nest quau cours de la dernire dcennie que lexprience subjective a gagn ou
regagn son droit dtre ouvertementun problme empirique. Pour un lecteur cultiv, une telle
affirmation cache une mconnaissance de toute une tradition philosophique car la question de
linterface corps/esprit ou celle du rapport entre les sciences physiques et les sciences du vivant
ont nourri depuis lantiquit les interrogations des philosophes et des scientifiques. Et pourtant
la possibilit dune explication empirique de ces phnomnes mentaux na pas, finalement,
constitu, ni chez les uns ni chez les autres, un problme en soi. Ces interrogations se sont
situes par rapport deux grands ples qui tous deux mutilaient une partie du problme. La
premire de ces perspectives ne situe pas lexprience du vcu comme un problme
ontologique original. Ce vcu est la manifestation dun organisme vivant, certes complexe,
mais accessible une observation scientifique extrieure, la troisime personne. Il sera donc
un jour au lautre compltement rductible des lois empiriques gnrales. Par contre, selon la
seconde perspective, les donnes du vcu ne peuvent tre interprtables que par le sujet lui-
mme, la premire personne1. Ce vcu appartient une rgion ontologique inaccessible par
principe lempirisme. Lexplication scientifique apparat alors comme inadquate pour rendre
compte de ces phnomnes. Il n'y a donc a prioripas de sens donner cette question une
perspective pistmologique. Ainsi lintrieur mme des sciences cognitives, la rsistance du
mental linvestigation scientifique a fait resurgir la vieille tension entre un empirisme
autoritaire et un subjectivisme de principe. Nous allons la dtailler prsent, rsumer les
solutions mthodologiques proposes et prsenter pour finir une voie intermdiaire qui sera
suivie et teste dans ce travail.
I.2.1. Le problme de lexprience du vcu dans les sciences cognitives
contemporaines.
Ce qui suit a t fortement inspir par lintroduction du volume Beyond the Gap : an
Introduction to Naturalized Phenomenology2 Depuis lapparition de la science moderne avec
la mcanique newtonienne, le projet scientifique dexpliquer les phnomnes en les rduisant
des principes causaux a rencontr dans les phnomnes biologiques ou mentaux un obstacle
majeur. La rsistance principale un tel projet vient du principe de finalit qui semble animer
1Un bon tat des lieux de cette question peut tre trouv dans le numro spcial The View from Within,Journal of
Consciousness Studies, d. Varela, Shear.2
Cest lintroduction gnrale de louvrageNaturalizing Phenomenology.
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ces organismes vivants. Comment une ontologie mcaniste peut-elle rendre compte
dvnements o cest leffet qui semble prcder la cause ? Cette vieille question du vitalisme
a reu de nombreuses rponses, soit augmenter la mtaphysique dun principe original, soit
refuser toute pertinence aux phnomnes, soit enfin comme chez Kant, dans sa troisime
Critique, rester fidle une ontologie strictement mcaniste tout en acceptant de dcrire le
vivant, pour palier sa complexit, laide dune maxime de jugement tlologique .
Les sciences exprimentales ont majoritairement suivi la troisime conception. Elles
sont restes nanmoins trs prudentes, selon un vieux principe dconomie, enrichir leur
ontologie matrialiste dautres ingrdients. Lexigence de la mthode exprimentale et la
complexit des phnomnes mentaux ont ainsi laiss depuis ce temps ce vieux projet dune
science de lesprit un stade spculatif loin derrire les progrs des autres branches des
sciences naturelles. Lhistoire des sciences contient dj cependant plusieurs tentatives dtude
empirique de lesprit comme celle de Brentano1 au dbut du sicle. Cependant lapproche des
Sciences Cognitives, apparues dans les annes soixantes, est celle qui semble possder pour la
premire fois les moyens techniques et conceptuels adquats pour tester les mcanismes de
processus crbraux complexes un niveau explicatif appropri. Or cette prtention pouvoir
expliquer les donnes phnomnologiques est remise en question depuis une dizaine dannes2.
Quels sont les fondements de ces inquitudes selon lesquelles ces donnes exprimentales sur
les manifestations de la conscience souffrent dun gouffre explicatif 3?
La nature des donnes exprimentales recueillies dpend des hypothses thoriques qui
les motivent. Il est donc bon den faire dabord un rapide tat des lieux. Lappellation de
Sciences Cognitives regroupe en ralit plusieurs approches. Les trois grandes tendances
sont nommes : 1) computationaliste-symbolique , 2) connectioniste-dynamique , 3)
enactive .
Le paradigme computationnaliste, dabord exclusivement dominant, coexiste
maintenant galit avec les deux autres. Les distinctions entre ces trois tendances peuvent
tre rsumes comme suit : Lapproche computationaliste-symbolique repose sur les travaux de
Turing et de von Neumann et prend dans un sens littral la mtaphore de lordinateur. Lesprit
est, au sens propre, un ensemble de processus informationnels manipulant des symboles
1 Brentano, F. 1874, Psychologie vom empirischen Standpunkt.2 Comme par exemple, la plaidoirie de Searle J. pour lirrductibilit de la conscience, dans The Rediscovery ofthe Mind(1992, Cambridge, MA : The MI Press)3
Lexpression est de Levine Joseph dans Materialism and Qualia: The Explanatory Gap., Pacific PhilosophicalQuarterly64:354-61
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discrets. Ces symboles ont certes une ralit biologique et suivent donc le principe de causalit,
mais leurs successions respectent en mme temps des rgles de type logique. Dans la forme
radicale de ce courant, ce qui importe est moins le substrat matriel que le logiciel qui y est
"implment". La fertilit de ce postulat est venue typiquement du transfert de comptences
entre les sciences de lingnieur et les sciences du vivant.
Mais cest justement la lgitimit biologique de ces symboles discrets qui va tre remise
en question par le courant connectionniste la fin des annes 70. Au lieu de modliser un
processus cognitif par des variables discrtes et des rgles explicites, cette approche va
sinspirer plus des proprits dynamiques intrinsques des neurones biologiques. Ceux-ci sont
maintenant traits comme des variables analogiques dont le couplage selon des rgles simples
va permettre lmergence de proprits, ventuellement interprtables comme des rgles
logiques. La notion dmergence est la contribution centrale de ces recherches drives des
sciences de la complexit. Elle fournit un cadre thorique pour comprendre comment un
systme peut sauto-organiser de telle sorte que des proprits nouvelles apparaissent1.
Cependant ces deux courants partagent, au moins dans leur forme radicale, le
prsuppos suivant : le monde possde des proprits invariantes que le systme cognitif doit
apprendre percevoir, catgoriser, et mmoriser sous forme dentits internes. Cette position
dite du reprsentationnalisme est critique par le troisime courant, lenactivisme. Pour
celui-ci les processus cognitifs doivent tre plutt vus comme mergents ou nacts par des
agents en situation. Ces proprits, dynamiques comme chez les connectionismes, ne sont plus
extraites de proprits externes prdonnes mais mergent au contraire au cours du couplage
sensori-moteur entre un agent particulier et son environnement. Un tel couplage est guid
phylogntiquement tout en se constituant de manire originale au cours de son ontogense.
Mme si ces trois courants diffrent sur la nature de linformation mesurer, leur
dmarche est commune en ce quils veulent, contrairement au bhaviorisme , ouvrir la
bote noire quest le cerveau, et identifier le ou les processus cognitifs responsables dun
certain comportement. Lhypothse qui est alors faite est que des comportements cognitifs
complexes peuvent tre spcifis laide de processus informationnels dfinissables
fonctionnellement. Contrairement lliminativisme, les sciences cognitives introduisent en
plus des mcanismes bio-physiques dautres niveaux explicatifs plus formels pour rendre
1Pour des exemples rcents voir Port, R. and T. van Gelder (1994), Mind as Motion: Explorations in the
Dynamics of Cognition, MIT Press, Cambridge, ou Arbib, M.A. (1995), Handbook of Brain Theory and NeuraNetworks, MIT Press, Cambridge.
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compte dune tche. Les tats psychologiques ou mentaux vont ainsi pouvoir tre associs
des fonctions abstraites tout en ne contredisant pas le principe de causalit. Ce faisant les
Sciences Cognitives prtendent, ou prtendaient, avoir trouv une solution matrialiste lgante
au problme de la relation corps/esprit.
Ce point est crucial et ncessite dtre clarifi par un exemple. Dans un travail rcent et
spectaculaire1 des chercheurs ont mis en vidence un mcanisme fondamental impliqu dans la
perception. Linformationmesure tait lindice de synchronisation entre plusieurs lectrodes
mesurant lactivit lectrique sur le scalp au cours dune tche visuelle. La fonction cognitive
mesure tait la perception versus la non-perception dune image de type Mooney. Un visage
de Mooney contient un visage visible quand limage est lendroit, mais non perceptible
lenvers.
Il a t mis en vidence quune image lendroit provoquait une augmentation
significative de la synchronie (ligne noire sur le graphe du haut, P) et que cette augmentation
disparaissait lors dune image renverse (ligne grise sur le graphe du haut, NP). Ce rsultat,
corroborant dautres rsultats empiriques, a permis de dire quil existe probablement une
quivalence entre une relation fonctionnelle portant sur la variable synchronie et ltat
mental de perception/non perception dun objet visuel. Une telle fonction de synchronie
constitue une relation portant sur une variable globale, plus abstraite. En effet, elle mesure la
mobilisation de millions de neurones mais repose nanmoins sur les fonctionnalits locales
propre chaque neurone. Ce niveau dexplication peut tre son tour expliqu par un autre
1Rodriguez et al. 1999,Perceptions shadow, long distance synchronization of human brain activity, Nature, 297.
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plus fondamental laide des proprits membranaires de la cellule. Ce dernier repose lui aussi
sur des relations bio-physiques plus lmentaires.
Cependant le mental est quelque chose dont nous, en tant que sujet, avons limpression
de faire lexprience immdiate. Je peux percevoir le visage dans la figure de Mooney, mais
galement savoir que je suis en train de la voir, ou me sentir agac du ct rptitif du
protocole. Le mental semble donc avoir la capacit dtre conscient au moins en partie de ses
propres processus de perception, de mmorisation ou dmotion.
Or les Sciences Cognitives noffrent pas pour linstant une thorie de ce que cest que
dtre un esprit en prise avec sa propre cognition, mais seulement une thorie de ce qui se passe
dans nos esprits ce moment l. Expliquer ce qui se passe lintrieur de la bote noire nest
pas quivalent expliquer ce qui se passe pour la bote noire 1. Cette insuffisance, signale
dans larticle de T. Nagel What is it like to be a bat ? 2, a rvl la communaut cognitive
quil existait, comme on la nomm par la suite, un gouffre explicatif (explanatory gap)
entre ces donnes phnomnologiqueset les donnes empiriques.
Le constat de ce gouffre explicatif a donn lieu plusieurs prises de positions. En
cartant les chercheurs pour qui ces donnes ne sont que des piphnomnes, reste ceux qui,
sous une forme ngative ou positive, prennent aux srieux lirrductibilit de ces vcus la
premire personne. Pour les sceptiques ces donnes ne peuvent devenir une entit scientifique
parce quelles sont justement la premire personne. Or les sciences, surtout physiques,
doivent porter sur des objets apprhendables indpendamment de lobservateur. Donc ces
donnes ne peuvent tre naturalises. Mais un tel raisonnement admet deux prmisses qui sont
discutables. La premire porte sur la dfinition de lobjectivit scientifique. Elle prsuppose
que lontologie physique doit tre une ontologie raliste. Cependant, comme lont remarqu
Kant ou des pistmologues plus contemporains tel Poincar3
, les thories physiques portent
sur des phnomnes observables et non sur des entits indpendantes de nous. Les objets de la
physique correspondent ainsi des mesures faites par notre systme perceptuel et sont
indissociables de ce dernier. Mais une telle contrainte na pas empch la physique quantique
de construire une thorie scientifique dans laquelle les phnomnes mesurs sont modifis par
les instruments de mesure eux-mmes. La seconde prmisse suppose que parce que ces
donnes sont la premire personne elles ne peuvent devenir gnralisables. Lenjeu de ce
1dans lintroduction deNaturalized Phenomenology (1.2.2)
2Nagel, T. 1970. What is like to be a bat ? Philosophical Review79: 394-403.
3Poincar, R., 1902, La Science et lHypothse.
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mmoire et du travail exprimental qui le sous-tend est justement de montrer le contraire. La
dmarche que nous allons dcrire maintenant rcuse cette limitation de principe et lui prfre
une approche pragmatique. Celle-ci va chercher dgager des invariants dans ces vcus tout en
respectant leur irrductibilit.
I.2.2. Vers une approche scientifique non-rductionniste et pragmatique de
lexprience.
Commenons par rsumer le programme de recherche introduit par Francisco Varela
dans Neurophenology : a Methodological Remedy for the Hard Problem1. En partant du
constat de ce gouffre explicatif, celui-ci va proposer dexplorer avec mthode la relationprivilgie du sujet avec sa propre cognition en vue dclairer les donnes exprimentales. Le
souci est de ne plus traiter lexprience seulement comme un objet thorique mais de revenir
lexamination immdiate et intuitive de lexprience cest--dire selon le vieux dicton
dHusserl aux choses elles-mmes 2. Pour viter les cueils de lintrospectionnisme, ces
descriptionsdu vcu doivent se faire selon une mthode reproductible dun sujet lautre. A
travers une relecture personnelle de la tradition phnomnologique de Husserl Merleau-
Ponty, une stratgie exprimentale est esquisse. Nous allons nous contenter de la rsumer
brivement car ces rfrences phnomnologiques ont dj t largement rappeles dans la
section prcdente. En simplifiant3, le recueil de ces donnes pourrait se faire en quatre
moments : (1) lattitude de rduction. Cest un geste de suspension de nos croyances sur le
phnomne qui est examiner. Il sagit de rediriger le mouvement de nos penses non plus sur
les contenus de pense mais sur lapparition de ces penses elles-mmes. Il sagit de mobiliser
notre capacit rflexive. (2) lintuition: le rsultat de cette rduction est que cette exprience
apparat moins encombre et plus prsente notre attention. En faisant varier cette mme
exprience on gagne une plus grande intimit avec celle-ci, et des (3) traits descriptifs
invariants se dgagent progressivement. Ce geste de rduction phnomnologique nest pas
naturel et doit tre 4) cultiv et stabilis4.
1Varela, F. ,1999, dans Journal of Consciousness Studies.....
2Zurck zum den Sachen Selbst !,Logische Untersuchungen, Vol. II., Part 1, p.6.
3 Nous renvoyons le lecteur curieux louvrage On becoming Aware, Steps to a Phenomenological Pragmatics,cit plus tt.4 Cest l une autre originalit de ce programme. Le geste de rduction nest plus seulement principiel, maissincarne dans une situation. Il doit tre cultiv comme un savoir-faire part entire. Lauteur fait ici rfrence des pratiques mditatives, comme dans lAbhidharma de la tradition bouddhiste, qui dcrivent dj des procdurespour stabiliser ce geste.
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Ce programme de neurosciences est une des alternatives suggres pour faire droit aux
donnes phnomnologiques dans les sciences cognitives. Nous voudrions expliquer
brivement en quoi elle nous semble la plus radicale dans le statut quelle mnage ces
donnes dans un protocole exprimental. Lautre grande option1 suggre dtablir un lien de
type isomorphique entre les mesures la troisime personne et les descriptions la premire
personne. Il sagit l dutiliser un niveau comme une heuristique pour comprendre lautre et
cela de manire rciproque. Dun ct les invariants phnomnologiques peuvent servir
identifier les mcanismes neuronaux impliqus dans ces phnomnes. Et symtriquement, ces
explications causales peuvent assurer aux donnes phnomnologiques une plus grande
intelligibilit. Cependant mme sil sagit ici dune stratgie de dcouverte efficace, elle ne se
donne pas les moyens, comme cela a t soulign2, de pouvoir combler ce gouffre explicatif.
Car, faire lhypothse dune telle bijection, cest avouer implicitement une frontire, quasi
ontologique, entre ces deux plans conceptuels. Le programme de neuro-phnomnologie
naccepte pas cette distinction et lui prfre lhypothse suivante :
Hypothse de travail de la neurophnomnologie : Les explications phnomnologiques de la
structure de lexprience et leurs contreparties en sciences cognitives sont lies lune lautre
sous la forme de contraintes mutuelles. 1
La singularit de cette proposition repose sur lide que les donnes
phnomnologiques ne nous fournissent pas seulement des descriptions clairants les mesures,
mais sont, en soi, les distinctions que nous mesurons et donc ne sont pas accessibles autrement
qu la premire personne. Cest cette hypothse que nous allons tester au cours de ce travail et
qui fait toute loriginalit et la richesse possible de ce programme. De manire image ce
quelle pose finalement cest lexistence possible dune relation de type : parce quune
exprience est vcue selon une certaine relation interne pour la bote noire, alors on peut
mesurer une relation isomorphique dans la bote noire . La premire partie de la proposition
en raison de son irrductibilit nest accessible que a posteriori par un compte-rendu la
premire personne du sujet sur sa propre exprience. La seconde partie de la relation, quand
elle, est accessible la troisime personne via la mesure de grandeurs physiques.
Il faut souligner pour finir quun tel programme ne prtend pas pouvoir rendre compte
1 Gallagher, S. (1998), The Inordinance of Time, Evanston, IL : Northwestern University Press2
Varela, F. (1996), Neurophenomenology : a methodological remedy for the hard problem, Journal ofConsciousness Studies, 3(4), pp. 330-50.
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ultimement de la totalit dune exprience. Le sujet cognitif est en situation dans le monde et
chacune de ses expriences est unique. Cependant comme nous nous rendons compte que
certaines distinctions phnomnologiques se rptent, nous pouvons faire lhypothse qu ces
entits formelles et leurs relations qui ont t dgages vont correspondre des corrlats
neurobiologiques spcifiques. Le critre de validit dune relation neurophnomnologique
proviendra donc dune stabilit inter-essais et ventuellement inter-sujets de celle-ci. Les
variations phnomnologiques inter-essais ou inter-sujets seront dfinies comme du bruit dans
nos mesures.
I.3. Statut dun protocole exprimental dans une analyse phnomnologique.
Dans la section ci-dessus nous avons analys dans quelle mesure nous pouvions faire unusage ancillaire de la phnomnologie lintrieur dun protocole exprimental. Cest dans ce
sens que nous y aurons recours dans notre dernire partie sur la temporalit. Rciproquement,
nous voudrions souligner en quoi la phnomnologie pourrait faire un usage interne de cette
confrontation lempirique. Cest dans ce sens que nous voulons la mobiliser dans nos deux
prochaines sections consacres notre protocole lui-mme, au recueil des comptes rendus et
lanalyse des invariants sensori-moteurs.
Quel critre de vrit allons nous mettre en uvre dans ces deux prochaines parties ?
Donnons dabord un critre ngatif. Nous voudrions faire rfrence aux travaux dj raliss
par Husserl et Merleau-Ponty sur lespace vcu. Mais, nous allons nous dmarquer des
perspectives heuristique ou historique qui sont gnralement dployes et dans lesquelles la
cohrence logique des textes cristallise une norme du vrai qui reste interne l'uvre. Nous
allons prfrer revenir lexprience, source mme de ces descriptions.
Nanmoins, comme ce travail se destine tre insr dans un travail empirique, cela
implique que ces donnes phnomnologiques ne viennent pas seulement de moi, en tant que
sujet de mes expriences, mais dautres alter ego. Cependant, tous ces sujets ne vont pas
possder la mme motivation que moi, ni la mme familiarit avec le protocole, son enjeu ou la
mobilisation du geste de rduction. Une premire stratgie serait de travailler avec des sujets
"entrans" "stabiliser" ce geste depoch. La tradition de la "prsence attentive" (ou
1Cette hypothse a t nonce pour la premire fois dans larticle de Varela F. "The Naturalization of
Phenomenology as the Transcendence of Nature. Searching for Generative Mutual Constraints", dans le numroVeille, sommeil, rve, de la revueAlter, n.5/1997.
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samatha/vipasyana)1, drive de traditions contemplatives orientales, pourrait fournir un cadre
adquat2. La publication dun tel travail dans la communaut scientifique sera dj, par sa
dmarche mme, dlicate. Ce choix mthodologique ne ferait quajouter une difficult
supplmentaire. Nous sommes donc orients vers une deuxime solution, dveloppe et
problmatise par Vermersch P. dans, par exemple, son rcent article "Introspection As
Practice3". Nous allons aborder ce point au cours de la section suivante. Lide gnrale est que
ces donnes la premire personne vont maintenant tre recueillies par un mdiateur. Son rle
sera de guider le compte rendu et dinviter par la, le sujet effectuer un geste rflexif sur un
vnement juste-pass de sa cognition. Nous obtiendrons ainsi des donnes
"phnomnologiques empiriques" la "deuxime personne".
Lenjeu philosophique des deux prochaines sections se rsume comme suit : nous
souhaitons faire appel un corpus conceptuel hrit de la phnomnologie pour nous guider et
mieux formuler nos invariants. Le critre de vrit reposera sur les donnes
phnomnologiques eux-mmes, la premire et la deuxime personne. Ils seront recueillis,
par un mdiateur, lors dun questionnaire qui suivra les tches. Les proprits dgages seront
confrontes en retour aux invariants proposs dans la littrature.
_________________________________
1 Une illustration de ce savoir-faire peut se trouver par exemple dansMeditation in Action de Ch. Trungpa,Shambhala, Boulder, 1972.2 Je renvoie encore ici louvrage paratre On becoming Aware, Steps to a Phenomenological Pragmatics . Jenprofite pour remercier les auteurs de mavoir donn accs ce manuscrit avant sa publication.3
Vermersch Pierre, Introspection As Practise,The View from Within,Journal of Consciousness Studies, d.Varela, Shear, pp.17-42.
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Mais lmergence stroscopique dune forme ne peut tre rduite un tableau des
disparits entre rcepteurs1. La Gestalt2 stroscopique mergente apparat au sujet comme un
tout, comme donne en chair et en os. Une partie des contraintes impliques inclut le
mouvement corporel et les contraintes cologiques, qui, eux, restent disponibles pour le sujet
(les stratgies motrices, la mmoire etc.). C'est--dire, le niveau phnomnologique peut tre
explicitement incorpor dans un protocole exprimental. Comme le seul niveau des
observations neurobiologiques est insuffisant pour fournir une explication complte du
phnomne dmergence de la forme (il s'agit d'une Gestalt donne comme un tout), un pont
avec le niveau subjectif est ncessaire. Le pont est naturellement celui des actes mentaux
pertinents pour le sujet, en temps quacteur de sa propre cognition. Cest la description des
invariants phnomnologiques de ce dernier que nous nous sommes fixs de dcrire dans ce
mmoire. Cette composante active du sujet renvoie la distinction, en phnomnologie, entre
le volontaire et linvolontaire3.
II.2 Descriptions dtailles des tches et des consignes.
Le protocole est divis en deux tches bases sur des autostrogrammes. Ces derniers,
plus complexes que ceux introduits par B. Julesz, rassemblent en une seule image les patterns
des deux yeux. Il est impratif pour comprendre la suite que le lecteur sentrane au moins sur
les exemples prsents dans lannexe II4.
Dans la premire tche, le sujet doit faire merger une figure en relief dun
strogramme. Lactivit lectrique pendant la tche est compare avec un tat antrieur dans
lequel le sujet doit simplement regarder un fond. Ce fond est un nuage de points alatoires en
moyenne identique au strogramme mais ne contenant pas de disparits binoculaires. Cette
tche appele tche non-guide (TNG) est oppose une tche dite tche guide(TG). Cette
dernire est plus longue. Le sujet commence galement par regarder un fond, mais maintenant,
au signal sonore il doit, au pralable, faire fusionner deux carrs en bas de limage en un
troisime. Quand ce dernier apparat, il doit regarder le centre de lcran tout en maintenant la
position de son regard. Quelques secondes aprs un strogramme lui est prsent lcran.
Comme les yeux du sujet sont dj dans la bonne position, il voit immdiatement la figure.
Dans les deux cas, il doit appuyer sur un bouton ds que la figure en relief a compltement
merg. Lcran steint ensuite et le sujet doit faire un compte rendu de son exprience dans
un microphone. Un schma synoptique de lexprience est prsent ci-aprs.
1 Pour discussion rcente voir Tyler et Kontsevich, 19952 von Weiszcker, V. 1939.Der Gestaltkreis. Trans. Foucault et Rocher,Le cycle de la structure. Louvain :Descle de Brouwer, 1958.3
Par exemple chez Ricoeur, P.,Le Volontaire et lInvolontaire.4
Si, si faites le !
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Reprsentation synoptique des deux tches :
Tche non-guide
(les rectangles sont
rajouts pour
reprsenter les
disparits binoculaires)
Signal sonore | apparition fond | apparition strogramme | rponse | compte-
dannonce + signal sonore motrice rendu
2000ms 4000ms ~ 2000ms
Consignes :
regarder l cran | au signal sonore | appuyer quand | valider et
normalement i.e. comme commencer sa stratgie limage en relief dcrire son
une image contenant pour faire merger se dtache exprience
seulement des points alatoires. le strogramme. distinctement du fond. vcue
Tche guide
(les rectangles sont
rajouts pour
reprsenter les
guides disparits binoculaires)
signal sonore | apparition fond | signal sonore | apparition | rponse | compte-
dannonce strogramme motrice rendu
2000ms 4000ms 5000ms ~ 500ms
Consignes :
Regarder l cran | au signal sonore, modifier | Appuyer quand | Valider
normalement i.e. comme stratgie visuelle pour faire limage en relief dcrire son
une image contenant fusionner les guides en bas de se dtache
exprience seulement des limage puis positionner son distinctement
vcue
points alatoires regard au centre de lcran du fond.
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Quand le mouvement de vergence est trop ample, le sujet risque de voir apparatre une
autre figure dans le strogramme. Pour sen convaincre, il suffit de prendre la figure avec les
deux guides. En louchant un peu on voit trois points, en continuant on en voit quatre. Le mme
phnomne se produit pour lensemble des points dans le strogramme. Si la convergence est
trop forte, une autre figure merge, qui peut tre distingue de celle recherche par sa
complexit gomtrique. Le sujet avait pour consigne de ne pas voir cette figure, nomme
figure fantme, et de la signaler dans son compte-rendu lorsquelle apparaissait.
Une autre consigne tait de ne pas utiliser les informations visuels locales dans la
figure, mais de faire un mouvement global . Certains sujets utilisaient au dpart dans la tche
non guide une stratgie identique celle de la tche guide : ils repraient un motif qui se
rptaient dans la figure, le faisaient fusionner localement et obtenait par l lmergence
globale de la figure. Ils ont t entrans par la suite avoir une stratgie globale.
II.3 Statut du questionnaire et des donnes la "deuxime personne".
Ce questionnaire a pris forme progressivement avec la ncessit de valider
intersubjectivement les invariants qui se dgageaient. Son objectif est dattirer lattention du
sujet sur le droulement de son exprience et sur le savoir-faire quil mobilise. Ces questions se
sont prcises au fur et mesure que lexprience nous devenait plus familire. Le recueil de
ces donnes phnomnologiques pose en soi un problme mthodologique que nous allons
aborder trs brivement. Nous nous sommes fis des travaux spcialiss comme lEntretien
dExplicitation de Pierre Vermersch ou la thse de doctorat Recherche sur lExplicitation
de lExprience Intuitive de Claire Petitmengin-Peugeot. Nous avons t sensibles dans
leurs travaux trois points : en premier, comme le note Vermersch, il existe une disjonction
entre la logique de laction et la conceptualisation 1, il est donc possible dinduire et de guider
un geste introspectif, dans le jargon de la psychologie, ou de rduction, dans un langage plus
phnomnologique, chez des personnes qui nont pas explicitement thoris ces questions. Ce
chercheur se spcialise depuis plusieurs annes dans le statut mthodologique de ce dialogue
entre un mdiateur et un sujet en vue de recueillir des donnes dites en seconde personne .
Nous navons pas directement fait appel ses techniques dentretiens dexplicitation , mais
nous nous en sommes librement inspirs. Nous en avons retenu deux grandes ides.
1Vermersch P., Introspection as Practise , The View from within, JCS.
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En premier que lusage dun savoir-faire comporte une grand part de connaissance
non-conscientise. En effet nous navons pas besoin pour russir une action physique ou
mentale de savoir explicitement comment nous avons fait pour la raliser. Un dcalage risque
donc de se produire entre ce qui a t rellement vcu et ce que le sujet pense ou simagine
avoir fait. Pour viter de recueillir une thorisation de lexprience par le sujet et pour accder
au vcu pr-rflchi lui-mme, nous avons respect un va-et-vient constant entre les questions,
lexprience et son explicitation. En second, nous avons privilgi dans ce questionnement les
comment aux pourquoi pour ne pas faire glisser le sujet dune position de parole
incarne vers une position de parole abstraite 1.
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1p. 78 de la thse de Claire Petitmengin-Peugeot.
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III. Descriptions des invariants sensori-moteurs
III.1 Description globale de lmergence : le sensible et lexprience de la
profondeur chez Merleau-Ponty.
III.1.1 O situer le sujet sentant ? Recherche dun entre-deux.
Merleau-Ponty consacre de longs passages dans la Phnomnologie de la
Perception sur lexprience de la profondeur1. Pour le philosophe elle est essentielle car en
elle se dploie une exprience primordiale de la spatialit. Ces descriptions sinscrivent dans
une mditation plus gnrale sur le sensible (I. deuxime partie) et lespace (II. deuxime
partie). Son point de dpart, comme le ntre, est le constat que la pense empirique ignore le
sujet de la perception. Pour lempiriste quand les yeux convergent dans une certaine position
alors le strogramme va provoquer un tat mental qui est la conscience de la profondeur. Mais
rien nest dit sur la conscience par le sujet de sa propre exprience. La rflexion de Merleau-
Ponty dbute donc par la question logique mais presque provocatrice de dcrire quel est ce
sujet de la perception.
La rponse quil apporte tente de dgager une position intermdiaire entre labsence du
sujet dans la pense empirique et son omniprsence dans la pense rflexive. En effet cette
dernire, contrairement lempiriste, tient faire figurer le sujet de manire incontournable
dans la description. Par consquence celui qui peroit ne peut saisir une chose comme existante
que si dabord il sprouve dans lacte de la saisir. Ainsi ce qui tait avant, pour lempiriste, un
tat de conscience ou un tat de passivit devient maintenant, pour lintellectualiste, une
conscience dun tat ou une position de passivit. Et la profondeur comme toutes les autres
relations spatiales nexiste plus ainsi que dans la synthse quen fait un sujet. On subordonne
tout le systme de lexprience, - monde, corps propre, et moi empirique,- un penseur
universel charg de porter les relations des trois termes 1.
Mais ceci contredit notre exprience immdiate dans nos tches stroscopiques. Le
moi empirique et le corps propre ne sont pas, ds le dbut, des objets. Le sentiment de surprise,
du Ah ! je lai vu quand la figure surgit, est dabord vcu avant dtre conscient de lui-
mme. Si je fais des mouvements daccommodation pour terminer de faire merger la figure ce
1 par exemple p.294-309
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nest pas parce que jen ai une conscience explicite mais parce que quelque chose dans la
figure my invite. Le monde enfin sil tait une synthse de lentendement devrait se donner en
entier et avec certitude. Or lmergence de la figure est dcrite au contraire comme incertaine
et graduelle. Ce Je transcendantal auquel est agrippe lanalyse rflexive ne peut tre
constamment pos et tre tenu pour acquis. Si la perception contient bien en elle la possibilit
de souvrir sur la rflexion, et donc de pouvoir tre explicite dans un compte rendu, ce nest
quen se dployant sur le fond et sur la proposition dune vie consciente pr-personnelle 2.
En nous aidant de nos comptes-rendus et de ceux de Merleau-Ponty comment ce rapport vivant
de celui qui peroit avec son corps et avec son monde peut-il tre dcrit ?
III.1.2. Description de la dynamique dmergence comme coexistence
entre le sentir et le sentant.
La psychologie inductive a suggr de donner ce rapport un statut original qui soit au
del de cette alternative tat/conscience dun tat. Merleau-Ponty sest inspir de ces travaux
notamment propos de la perception des couleurs. Le rouge ou le jaune, par exemple,
provoque lexprience dun arrachement, dun mouvement qui sloigne du centre alors que
le bleu ou le vert celle du repos et de la concentration3. Ces significations vitales, bien
connues et utilises par des peintres comme Rothko ou Kandinsky, sont perceptibles mmes
sans avoir lexprience explicite des couleurs. Ainsi en la prsentant de manire suffisamment
brve ou faible pour ne pas tre perue, la couleur sannonce par lexprience dune certaine
attitude du corps qui lui est propre4. Un sujet par exemple peut reconnatre le jaune la
crispation de ses dents qui laccompagne4. En augmentant graduellement lintensit lumineuse
le sujet refait dabord lexprience dune certaine attitude corporelle puis brusquement la
sensation se constitue et se propage dans le domaine visuel . Ainsi la sensation chromatique
ne se rduit pas un certain tat mais soffre avec une physionomie motrice qui est
enveloppe dune signification vitale. Cet accompagnement moteur nest pas provoqu
directement par la longueur donde ou par lintensit lumineuse5. Il nest donc pas un tat au
sens des empiristes. Je ne peux pas non plus dire, comme lintellectualiste, quil est suscit par
la conscience de la couleur. Car une couleur comme le rouge peut modifier mon comportement
1Phnomnologie de la Perception, p.241.2 Ibid. p.241.3
Goldstein et Rosenthal,Zum Problem der Wirkung der Farben auf den Organismus, pp.23-25.4
Werner, Untersuchungen ber Empfindung und Empfinden, I, p.158.5
Merleau-Ponty,Phnomnologie de la Perception p. 243.
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sans que je men aperoive. Elle est plutt la fois lexpression de mon adaptation un monde
de sensation et en mme temps une sollicitation de ce monde le percevoir.
Nous retrouvons, au travers les comptes-rendus, que la sensation provoque par les
disparits binoculaires sannonce au sujet de faon similaire. Cela est surtout vrai pour la tche
non-guide qui, parce quelle est moins immdiate, rend perceptible la distinction entre une
certaine disposition du corps, lorsquil est affect par ces disparits, et lexprience elle-mme
du percept en relief. Les sujets, lorsquils font converger leurs yeux dans la tche non-guide
dans une certaine position du regard, rapportent que, souvent, avant de percevoir le contour en
relief ils ressentent quil y a quelque chose dans la figure mme si aucune forme nest encore
donne. Avant mme que lobjet apparaisse en relief, la profondeur se laisse aussi reconnatre
par un comportement qui la vise dans son essence(p.245). Mon corps dans la familiarit
quil a avec lui-mme sait identifier et ressaisir par un savoir latent ce que cette impression de
discontinuit, qui prcde lmergence, signifie au-del delle-mme. Selon lexpression de
Merleau-Ponty, une telle sensation pose mon corps une sorte de problme confus (p.248).
Il est la proposition dun certain rythme dexistence (p.247) auquel je vais donner suite en
me glissant dans cette forme qui mest suggre. Lorsque je sens que lmergence est proche
mon regard va rpondre cette suggestion par un mouvement familier dimmobilit pour
laisser le sensible se dterminer, le contour encore flou sorganiser en profondeur. Ce nest
quen reprenant et assumant, sil en est capable, cette existence suggre par le sensible que le
sujet va se rapporter et devenir conscient de ltre extrieur qui merge.
La dynamique de cette mergence varie selon les essais, le type de tche, ou le type
dimage. Elle est dcrite, en gnrale dans la tche guide, comme abrupte et immdiate en
particulier avec les figures o le relief est devant le fond. Elle peut tre plus graduelle et se
dcomposer selon deux moments. Un premier plan merge dabord en relief. Cest le plus
souvent le plus grand des deux. Sur ce dernier je peux alors prouver une zone encore floue.
Cette sensation de flou nest pas, comme le dirait un empiriste, quun tat provoqu par la
mauvaise accommodation de mes yeux. Comme pour la sensation de discontinuit, elle est une
tension qui sollicite en moi une certaine attitude corporelle. Selon les sujets et le type dimage
cet accompagnement moteur peut varier. Cela peut tre un petit mouvement latral pour
terminer la figure (A.B), un geste de laisser-aller pour laisser la figure dcanter delle-
mme (F.V) ou encore un geste daccommodation (S.B.). Cette sensation de flou nest pas
seulement un dsquilibre entre lexcitation de mes rtine droite et gauche elle vise au-deldelle-mme ce mouvement de mon regard. Elle est dans ce sens intentionnelle, mais pas
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comme lentendrait un intellectualiste. Cette intentionnalit nest pas pose par un acte de
pense, par un sujet acosmique . Elle merge dun savoir qua mon corps sur lui-mme,
acquis au cours de mon histoire individuelle. Comme Merleau-Ponty le rsume, je suis
capable par connaturalit de trouver un sens certains aspects de ltre sans le leur avoir moi-
mme donn par une opration constitutive . Le sujet de la sensation nest donc ni un
observateur dune qualit, ni un substrat inerte qui serait affect par elle, il est une puissance
qui co-nat un certain milieu dexistence ou se synchronise avec lui (p.245). Avec cette
dfinition Merleau-Ponty dpasse lalternative entre le sentir et le sentant, le peru et le
percevant et pose la sensation comme une co-existence ou comme une communion (p.247).
Ces descriptions nous ont familiarises un peu plus avec lexprience de stroscopie.
A partir de celles-ci, il est bon de sinterroger nouveau sur le statut et la pertinence de ces
comptes-rendus. Lacte de perception et la perception sont prsents comme troitement
imbriqus. Mais do provient ce savoir de soi dont se rclame le sujet ? Soit un sujet qui me
dcrit comment le percept a surgi devant lui. Il me rapporte avoir une conscience de lobjet
mergeant. Cependant ne faut-il pas pour cela avoir, dabord, une conscience de soi en train de
regarder ? Car il ne suffit pas que ce sujet embrasse du regard le percept, il faut encore quil
sache quil le fait. Mais cette conscience dtre nest-elle pas ignorante delle-mme et donc
non traduisible dans un compte-rendu ? Faut-il admettre que le vrai sujet est rest dans
lombre ?
Revenons lexprience stroscopique. Quand je perois la figure en relief, mon
acte de perception moccupe (p.275). Il moccupe mme suffisamment pour ne pas que je
maperoive la percevant. Cela est vrai surtout quand la tche est nouvelle ou complexe,
comme la tche non guide. Comme justement mon regard est enlis dans la tche, je ne
cherche pas y faire attention explicitement. Au moment o le sujet est enregistr en train de
passer la tche, il ny a donc pas de sujet cach sobservant pour faire un compte-rendu.
Comme cela a t dcrit prcdemment, la synthse binoculaire repose sur un acquis, un
savoir-faire qui peut signorer. Dans la perception nous ne pensons pas plus lobjet que nous
nous pensons le pensant, nous sommes lobjet et nous nous confondons avec ce corps qui
en sait plus que nous sur le monde et les moyens den faire la synthse (p.276).
Mais quand lmergence est termine ou quand limage disparat, je cesse dtre
absorb par la perception. Je peux prendre conscience des sensations qui mont travers et de
mon acte de synthse pour y rpondre. Je dcouvre en moi un pouvoir de suspendre la
communication , ou au moins de laffaiblir, pour me reporter sur quelque chose qui vient juste
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de se produire. Il est donc possible a posteriori de dire quelque chose sur le droulement de
lexprience sans en avoir t conscient sur le moment.
La premire invariance que cette prsentation suggre est dordre dynamique. Elle sera
dcrite avec plus de dtails dans la suite de ce mmoire. Disons simplement ici quelle contient
en germe une description de la tche comme une co-dtermination entre le monde, le corps
propre, et le sujet percevant. La relation entre ces termes, et ces termes eux-mmes, ne sont pas
fixs de manire intangibles comme le pose lempiriste ou lintellectualiste. Ils sont constitus
et sollicits par lexprience elle-mme. Le sujet de la sensation, contre lempiriste, doit tre
pos, mais sans que ce soit de manire immuable comme le suppose lintellectualiste. Il est un
pli qui sest fait et peut se dfaire (p.249), incarn dans une situation du monde.
III.1.3. Anonymat et transcendance du percept stroscopique.
Essayons par contre de caractriser un peu plus cette coexistence entre le sentir et le
sentant. Dans la tche guide, une fois que le sujet a boug ses yeux dans la position adquate,
il attend que limage lui soit prsente. Lapparition du percept est dcrite comme
automatique, immdiate, invitable . De mme dans la tche non-guide, le sujet reporte que
lmergence a lieu delle-mme , quil laisse simplement la figure sauto-organiser . Ainsi
la perception, comme le note de son ct Merleau-Ponty, se produit dans une ambiance de
gnralit et se rvle nous comme anonyme. Elle exprime une activit qui a lieu la
priphrie de mon tre, (...) et qui donne limpression quon peroit en moi et non pas que je
perois (p.249). Cette synthse passive est linvariant le plus caractristique de la conscience
sensible. Par la sensation je fais tat dune vie de conscience donne, en marge de ma vie
personnelle et de mes gestes propres, do ces derniers mergent cependant. Jprouve la
sensation comme dj ddie au monde extrieur et dont le sens me traverse sans que jen sois
lauteur.
Lanonymat de la sensation dcrit un invariant mais du point de vue du sujet. Mais,
rciproquement, il peut tre dcrit du ct de lobjet. Selon Merleau-Ponty, si la sensation est
impersonnelle, cest quelle estpartielle. Lorsque je vois un objet, je sens quil y a de ltre au-
del de ce que je vois en ce moment. Un horizon de choses possibles soffre mon voir, mon
entendre, mon toucher. Je sais par exemple quil y a quelque chose de plus que la discontinuit
que je ressens dans la figure, je sais que la figure va se dvoiler. Ou bien je sens que la
perception de contour flou nest pas encore la perception complte de lobjet en relief. Ainsi
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non seulement je sens que cet tre sensible nest pas compltement esquiss mais je sais encore
quil y a entre lui et moi une profondeur quaucun prlvement sensoriel ne comblera. En effet,
la synthse perceptive sappuie sur ce savoir acquis, prconscient, de mon corps propre. Je nai
donc pas, moi le sujet sentant, le secret de ce dernier pas plus que celui de lobjet peru. Cest
pourquoi la figure en relief soffre comme transcendante (p.269). La synthse perceptive
semble se faire l-bas, sur lobjet mme, dans le monde. En dplaant mes yeux jai
conscience, dans la tche non guide, de progresser vers lobjet lui-mme, davoir enfin sa
prsence charnelle (p.269). Quand lobjet merge enfin, jai envie de dire a y est je le tiens !
. Cependant la chose nest jamais atteinte.
Considrons la srie de mes expriences dans laquelle progressivement le fond se
transforme et les plans se constituent. A la fin jai une impression de stabilit. Lobjet est
constitu je peux le parcourir d