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Clémence LAURAS Juillet 2012
La Présentation au Temple, Vittore CARPACCIO
1. Description de l’œuvre
L’œuvre est signée et datée sur le cartel représenté en
bas au centre de l’œuvre : « VICTOR CARPATHIVS. /
M.D.X. »
Cette peinture à l’huile sur bois aujourd’hui présentée à
la Galleria dell’Academia à Venise représente la
présentation au temple du Christ par la Vierge, épisode
de la vie du Christ relaté dans l’évangile de Luc et
correspondant à la fête de la Chandeleur. « Selon la loi
liturgique, toute mère qui avait enfanté un fils devait le
conduire au Temple quarante jours après
l’accouchement ; suivant cette coutume, la Vierge
présenta le Christ au grand prêtre Siméon, et elle
apporta en offrande un couple de tourterelles. »1 Il est
important de noter qu’il s’agit donc d’un sujet narratif,
et non d’une ‘sacra conversazione’ comme celles qui
étaient représentées à la même époque par G. Bellini et
A. Mantegna par exemple.
La Présentation au Temple, V. Carpaccio, 1510
Marie, suivie de deux servante et portant Jésus, s’avance devant Siméon, le dernier prophète et celui qui
avait annoncé « l’épée qui s’enfoncerait dans le cœur de Marie ». Siméon avait été averti par le Saint
Esprit qu’il ne mourrait pas avant d’avoir vu le fils de Dieu. L’une des servantes tient deux tourterelles,
que la loi prescrivait en offrande lors de la présentation au temple des nouveau-nés. Derrière Siméon se
tiennent deux diacres. Tous les personnages convergent vers l’enfant. On observe la simplicité et
l’inflexion de leur visage, en particulier de celui de la vierge, qui traduit la méditation.
Sur la chape de Siméon, on observe des broderies d’or représentant des épisodes de la Genèse.
Au bas de l’œuvre sont représentés 3 anges musiciens, dans des poses désinvoltes, jouant (de gauche à
droite) du cromorne (variété de hautbois à capsule, de forme courbée, apparue au XVIème siècle), du
luth et de la viole de bras (instrument à corde dérivé du luth, de la même famille que la viole de gambe,
1 « Carpaccio : catalogue complet des peintures », Peter Humfrey, 1993, p.106
Clémence LAURAS Juillet 2012
apparu au XVème siècle en Espagne et importé en Italie par le Pape Alexandre VI en 1492). Ils
symbolisent l’harmonie céleste et la béatitude. Motif apparu pour la première fois à Ravenne vers 423-
425 sur la coupole du mausolée de Gala Placidia, puis à Rome sur la voûte de la chapelle San Zeno
(Basilique Santa Praxade) à la fin du VIIIème siècle, les anges musiciens sont souvent représentés dans
la peinture vénitienne du XVème siècle2.
On retrouve en haut au centre de l’œuvre un lustre vénitien représenté dans de nombreux tableaux du
XVème siècle ; ils s’agissait du type de lustres qui ornaient les autels dans les églises à cette époque.
La coupole, qui fait référence au monde celeste, est ornée d’un motif floral similaire à celui qu’on trouve
dans le tableau d’autel de Giovanni Bellini à l’Eglise San Zaccaria de Venise, daté de 1505.
Vierge à l’enfant, Carlo Crivelli,
vers 1460, Musée de Castelvecchio,
Vérone
Vierge à l’enfant, Giovanni Bellini,
1505, Eglise San Zaccaria, Venise
Vierge à l’enfant, Mantegna, 1457-
1460, Retable de San Zeno, Vérone
2. Etude iconographique
La perspective minutieuse du tableau évoque la rigueur d’un dessin technique. L’architecture peinte du
tableau correspond au dessin architectonique de l’encadrement originel en pierre de l’œuvre. La
combinaison d’éléments fictifs (la scène de la présentation au temple) et réels (le décor) permettait de
créer un effet illusionniste et de suggérer ainsi que la scène sacrée avait lieu dans la chapelle de l’église.
Le tableau suit une construction pyramidale rigoureuse, selon des lignes verticales, horizontales et
diagonales claires.
2 Vierge de la passion de Crivelli, 1460,
Clémence LAURAS Juillet 2012
Dans cette composition, la lumière joue un rôle important : la lumière rasante venant de droite fait briller
l’étonnant lustre en bronze et en verre ; elle donne un aspect brillant à l’estrade de l’orchestre et délimite
avec précision les zones claires et foncées des marbres. Les ombres viennent quant à elle accentuer les
formes et l’espace. La couleur, « appliquée en fines paillettes et soulignant la construction plastique,
donne lieu à un effet ‘luministe’ dont il n’y a pas d’autre exemple dans la peinture vénitienne
contemporaine.3 »
Le tableau de Carpaccio est caractérisé comme beaucoup d’autres œuvres de l’artiste par « un espace vu
dans une perspective cristalline, la réduction des formes à des volumes simples cernés par la lumière, la
clarté des structures formelles, l’impassibilité émotionnelle. »4
La Présentation, Giovanni Bellini, vers 1487
Galleria dell’Academia, Venise
Selon Boschini (1660), Carpaccio aurait
exécuté l’œuvre en s’inspirant de la
Présentation de Giambellino, également
présentée à l’origine dans l’église de San
Giobbe (voir ci-dessous), qui présente
cependant des tons plus chauds et où les
personnages sont davantage représenté
comme les héros d’un monde surhumain et
fermé5.
L’œuvre de Carpaccio est cependant de style
plus néo-classique, s’attachant à représenter
une forme de ‘beau idéal’.
Les dimensions imposantes des personnages et les drapés des vêtements ne va pas sans rappeler les œuvres
de Mantegna.
Enfin, le tableau est signé, ce qui traduit une fois de plus l’influence de Giovanni Bellini sur l’artiste.
3. L’œuvre dans son contexte
Selon Peter Humfrey, « l’œuvre fut exécutée pour le troisième autel – probablement consacré à la
Purification – sur le côté droit de l’église franciscaine de l’Osservanza di San Giobbe » à Venise, sur un
autel portant les armes des Sanudo. Selon Ludwig et Molmenti (1906) le commanditaire de l’œuvre
3 « Carpaccio », Terisio Pignatti, 1976, p. 93-94
4 « Carpaccio : catalogue complet des peintures », Peter Humfrey, 1993, p.12
5 Idem
Clémence LAURAS Juillet 2012
serait donc Pietro di Matteo Sanudo, mort en 1509 et qui fit un legs important à l’église dans son
testament. Vittore Carpaccio avait alors déjà acquis une bonne réputation notamment par la réalisation
du cycle narratif de la Légende de Sainte Ursule entre 1490 et 1500.
L’œuvre se trouve à la Galleria dell’Academia depuis 1815 et a fait l’objet d’un nettoyage en 1959.
4. Quelques mots sur l’artiste
Vittore Carpaccio (Venise~1460 - ~1526), de son vrai nom Scarpazza, est un peintre italien narratif de
l'école vénitienne, émule de Gentile Bellini et de Lazzaro Bastiani, influencé par la peinture flamande.6
Artiste en marge de la mode picturale de son époque, Vittore Carpaccio fut l'un des premiers à utiliser
l'architecture comme moyen de créer un espace géométrique et lumineux à trois dimensions dans lequel
viennent s’insérer les personnages. Il fut toute sa vie au service des ‘Scuole’(la Scuola di Sant’Orsola
puis celles des Schiavoni et des Albanesi, et enfin la Scuola di Santo Stefano), confréries charitables et
de bienfaisance qui rivalisaient entre elles en commandant des œuvres aux meilleurs artistes.
Parmi ses œuvres les plus remarquables, on peut citer le cycle de la Légende de sainte Ursule, peint à
partir de 1490 – donc au tout début du peintre – pour la Scuola di Sant’Orsola, ou encore le cycle de
peinture narrative à grande échelle de la salle du Grand Conseil du Palais des Doges de Venise, peint en
1507.
« Le talent de Carpaccio convient incontestablement mieux à la peinture narrative et, même au sommet
de son talent, il est moins heureux comme peintre de tableaux d’autel. Les retables de Giovanni Bellini
fournissaient des modèles irremplaçables pour ses œuvres les plus ambitieuses en ce domaine ; mais
Carpaccio était moins habile que Bellini pour combiner des effets d’une douceur pleine de dignité et
d’une majesté paisible. […]Les retables métropolitains de la première décennie du XVIe siècle sont un
peu plus réussis mais il est regrettable que Carpaccio ait reçu la majeure partie de ses commandes de
retables dans les quinze dernières années de sa vie, autrement dit à l’époque où sa puissance créatrice était
sur le déclin. »7.
5. Place de l’œuvre commentée dans la carrière de l’artiste
Vittore Carpaccio réalise la Présentation au Temple dans les quinze dernières années de sa vie, alors que
l’art vénitien est en pleine transformation, comme on peut le voir à l’évolution de la peinture d’artistes
comme Mantegna ou Giovanni Bellini. Contrairement à ces artistes, au début du XVIe siècle, Carpaccio
reste relativement ‘primitif’ dans sa peinture.
6 Wikipédia
7 « Carpaccio : catalogue complet des peintures », Peter Humfrey, 1993, p.8-9
Clémence LAURAS Juillet 2012
C’est également l’époque où Carpaccio commence à s’inspirer des motifs de Dürer, qui avait peint à
Venise entre 1506 et 1507, peut-être afin de répondre au style nouveau de Bellini et de Giorgione. Ses
œuvres de 1500 à 1520 sont en effet relativement ‘néo-classique’, caractérisée par l’éclat des formes
polies.
La palette révélée par l’analyse des pigments utilisés par Carpaccio au cours de sa vie révèle une
évolution : relativement restreinte dans ses œuvres de la fin du XVe siècle telles que la Légende de
sainte Ursule, elle devient plus riche dans une œuvre tardive comme la Présentation au Temple, « peut-
être afin de rivaliser avec les effets chromatiques de ses contemporains les plus jeunes »8.
Dans ce contexte, la Présentation au Temple reste cependant isolée, plus poétique que ses autres œuvres.
« En ayant recours à ce ‘luminisme’ froid et contrôlé, en réduisant à de minces glacis l’épaisseur de la
couleur, Carpaccio semble vouloir consciemment résister aux séductions du style de Giorgione. »9
6. Quelques mots sur la fortune critique de l’œuvre présentée
Pourtant, d’après Peter Humfrey, « en dépit du déclin de son art dans les dernières années […]
Carpaccio est apparu aux générations ultérieures comme le plus important des artistes vénitiens
contemporains de Giovanni Bellini. »10 C’est donc la critique moderne qui a permis de redécouvrir son
œuvre longtemps dépréciée, alors qu’il n’était jusqu’alors considéré que comme un simple élève de
Bellini, à l’exception notable de Ruskin au XIXe siècle.
La Présentation au Temple n’est pourtant pas épargnée par la critique moderne. En effet, selon Terisio
Pignatti, « cette construction à l’aspect solennel ne laisse paraître aucune trace d’intention narrative ou
descriptive et sa grandeur n’est due qu’à la seule perfection de la forme. ». De même, d’après Giuseppe
Fiocco (1931), l’œuvre est intéressante sur le plan technique mais manque de profondeur d’expression.
8 « Carpaccio : catalogue complet des peintures », Peter Humfrey, 1993, p.11 d’après Lazzarini, 1983
9 « Carpaccio », Terisio Pignatti, 1976, p. 96
10 « Carpaccio : catalogue complet des peintures », p. 11