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2005, 91-1 Les Amériques noires (I) La « lucumisation » des cultes d’origine africaine à Cuba : le cas de Sagua la Grande SILVINA TESTA p. 113-138 Résumés La « lucumisation » des cultes d’origine africaine à Cuba : le cas de Sagua la Grande. La santería ou « religion lucumí » est née dans la région occidentale de Cuba, notamment dans les villes de La Havane et Matanzas. Dans les années suivant l’abolition de l’esclavage (1886), cette religion a connu un processus de diffusion vers l’intérieur du pays créant ainsi une véritable « lucumisation » des cultes d’origine africaine. Dans cet article on analyse son expansion vers l’est de l’île, à travers le cas de la ville de Sagua la Grande. La « lucumización » de los cultos de origen africano en Cuba : el caso de Sagua la Grande. La santería o « religión lucumí » nació en la región occidental de Cuba, principalmente en las ciudades de La Habana y Matanzas. En los años posteriores a la abolición de la esclavitud (1886), esta religión se expandió hacia otras regiones del país creando un verdadero proceso de « lucumización » de los cultos de origen africano. En este artículo se analiza la expansión de este proceso hacia el este de la isla, a través del caso de la ciudad de Sagua la Grande. The « lukumisation » of the religions of African origin in Cuba : the case of Sagua la Grande. Santeria or the « Lukumi religion » was born in the western part of Cuba, especially in Havana and Matanzas. After the abolition of slavery (1886) this religion spread to other parts of the island, and in so doing created a process of « lukumisation » of the other religions of African origin. This article will analyse the spread of Santeria towards the eastern part of Cuba and look specifically at the case study of Sagua La Grande. Entrées d'index Mots-clés : cabildos, sociétés afro-cubaines, religions afro-cubaines, santería, lucumisation, Cuba, Sagua la Grande Keywords : Cuba, cabildos, Sagua la Grande, Afro-Cuban societies, Afro-Cuban religions, santeria, lukumisation Palabras claves : cabildos, sociedades afrocubanas, religiones afrocubanas, santería, lucumización, Cuba, Sagua la Grande La « lucumisation » des cultes d’origine africaine à Cuba : le cas de Sag... http://jsa.revues.org.gate3.inist.fr/index2853.html 1 sur 20 05/02/2013 13:08

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2005, 91-1Les Amériques noires (I)

La « lucumisation » des cultesd’origine africaine à Cuba : lecas de Sagua la Grande

SILVINA TESTA

p. 113-138

Résumés

La « lucumisation » des cultes d’origine africaine à Cuba : le cas de Sagua laGrande. La santería ou « religion lucumí » est née dans la région occidentale de Cuba,notamment dans les villes de La Havane et Matanzas. Dans les années suivant l’abolition del’esclavage (1886), cette religion a connu un processus de diffusion vers l’intérieur du payscréant ainsi une véritable « lucumisation » des cultes d’origine africaine. Dans cet article onanalyse son expansion vers l’est de l’île, à travers le cas de la ville de Sagua la Grande.

La « lucumización » de los cultos de origen africano en Cuba : el caso de Saguala Grande. La santería o « religión lucumí » nació en la región occidental de Cuba,principalmente en las ciudades de La Habana y Matanzas. En los años posteriores a laabolición de la esclavitud (1886), esta religión se expandió hacia otras regiones del paíscreando un verdadero proceso de « lucumización » de los cultos de origen africano. En esteartículo se analiza la expansión de este proceso hacia el este de la isla, a través del caso de laciudad de Sagua la Grande.

The « lukumisation » of the religions of African origin in Cuba : the case ofSagua la Grande. Santeria or the « Lukumi religion » was born in the western part of Cuba,especially in Havana and Matanzas. After the abolition of slavery (1886) this religion spread toother parts of the island, and in so doing created a process of « lukumisation » of the otherreligions of African origin. This article will analyse the spread of Santeria towards the easternpart of Cuba and look specifically at the case study of Sagua La Grande.

Entrées d'index

Mots-clés : cabildos, sociétés afro-cubaines, religions afro-cubaines, santería, lucumisation,Cuba, Sagua la GrandeKeywords : Cuba, cabildos, Sagua la Grande, Afro-Cuban societies, Afro-Cuban religions,santeria, lukumisationPalabras claves : cabildos, sociedades afrocubanas, religiones afrocubanas, santería,lucumización, Cuba, Sagua la Grande

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Géographique/ethnique : Afro-Cubain, CubaThématique/disciplinaire : Anthropologie sociale

Texte intégral

FIG. 1 – Carte de Cuba.

Les institutions afro-cubaines et la

religion lucumí

Pour une large majorité des pratiquants havanais des religions d’origine africaine,le seul nom de Sagua la Grande renvoie aussitôt aux « racines » (la mata) de leurscultes. C’est l’idée de la « campagne »1, par opposition à la « ville » et, parconséquent, l’idéed’une certaine « pureté » qui différerait des pratiques de lacapitale, qui est mise en avant. Mais c’est aussi la représentation de Sagua commepoint d’origine des cultes contemporains, comme si, dans cette ville de l’intérieur dupays, on pouvait trouver certaines marques fondatrices des pratiques de la capitale.Or l’histoire démontre le processus inverse : Sagua la Grande est une ville héritièredes religions d’origine afro-cubaine nées à l’ouest2.

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Même si, aujourd’hui, la santería est considérée comme une religioncubaineparce qu’elle est pratiquée d’un extrême à l’autre de l’île, à l’origine elle étaitexclusivement occidentale. En 1942, Rómulo Lachatañeré (2001, p. 263) affirmaitque le culte « lucumí » se manifestait de manière intense à La Havane et danscertaines villes de la province de Matanzas. Mais, bien avant cela, lestransformations survenues à Cuba entre la fin du XIXe et le début du XXe siècleavaient déjà créé le terrain propice à l’« exportation » de ces pratiques vers d’autresrégions du pays, notamment le centre de l’île (Figure 1).

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Le cas de Sagua la Grande est exemplaire à plus d’un titre. En nous appuyant surles institutions qui ont servi de plate-forme à la mobilité des pratiquants entre lesrégions occidentale et centrale3, nous avons retracé le puissant processusd’expansion progressive du culte lucumí et nous avons choisi de l’appeler« lucumisation ». L’analyse de cette dynamique met en évidence la réorganisationprofonde qui s’opère dans la religiosité d’origine africaine. Dans cet article, noustenterons decomprendre comment on est passé des pratiques religieuses familialesà des pratiques individuelles, tandis qu’une organisation jusque-là fondée sur lelignage biologique s’appuie désormais sur le lignage rituel.

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Les religions d’origine africaine pratiquées de nos jours à Cuba sont nées pendantla période colonialeet étaient étroitement en relationavec la vie institutionnelle des

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Africains et de leurs descendants. En effet, les cabildos de nación, d’abord, et les« sociétés d’instruction, secours et entraide » (sociedades de instrucción, socorro yayuda mutua)4, ensuite, sont les lieux où ces religions ont pris forme à La Havaneet Matanzas, se sont développées et, postérieurement, ont été « exportées » versdifférentes villes du pays.Les cabildos étaient des institutions réunissant les Africains par nation. La

définition la plus ancienne, et néanmoins valable, est celle d’Esteban Pichardo(1985, p. 114). On appelle cabildo « la réunion de Noirs et Noires bossales dans desmaisons destinées à cet usage les jours de fêtes, où ils jouent de leurs timbales ettambours et d’autres instruments nationaux, ils chantent et dansent en désordre,avec un bruit d’enfer et constant, sans intermittence. Ils réunissent des fonds etforment une espèce de société de pur divertissement et secours, avec leur caja5,leurs contremaître, majordome, roi, reine (sans juridiction). Chaque nation a soncabildo et, de ce fait, on les dénomme cabildo arará, cabildo carabalí, etc. ». Ce typed’institution arrive à Cuba par le biais des Espagnols, ce qui fait dire à FernandoOrtiz (1993, p. 58) qu’il s’agit d’une « survivance outremer d’une organisationmoyenâgeuse andalouse », car il existait déjà à Séville des cabildos et des confrériesde Gitans, Noirs et mulâtres.

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La Fête des Rois mages, célébrée le 6 janvier, était le moment de l’année le plusattendu dans la vie des cabildos : les Africains sortaient dans la rue avec leurstambours et défilaient habillés à la mode de leur nation d’origine. Mais les cabildosn’étaient pas seulement des institutions récréatives et d’assistance mutuelle : ilsavaient aussi des implications politiques, certains ayant joué un rôle considérabledans les conspirations abolitionnistes des Noirs (Deschamps Chapeaux 1971).

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À leurs débuts, les cabildos étaient exclusivement destinés aux esclaves africains.Plus tard, ils ont admis les Africains libres et, finalement, les créoles ou« Africains » de la deuxième génération6 (Montejo Arrechea 1993). Leur périoded’apogée dure approximativement jusqu’en 1860. À partir de là, les cabildosentament leur déclin. Ils cessent d’admettre les créoles à partir de 1868. En 1876,l’Espagne promeut leur transformation en prenant pour modèle les sociétésibériques blanches (loi des associations de 1878). Six ans plus tard, en janvier 1884,on proscrit la sortie de la Fête des Rois et, en avril de la même année, legouvernement colonial interdit la création de nouveaux cabildos. L’abolition del’esclavage, en 1886, intervient au moment où le paysage associatif des Africains etde leurs descendants est complètement transformé. Désormais, il n’y aura plus decabildos : certains sont fermés tandis que d’autres deviennent des sociétésd’instruction, secours et entraide, placées sous l’égide d’un saint patron.Néanmoins, cette réorganisation, qui se voulait généralisable à tout le pays, n’a pasété effective dans toutes les villes, comme à Matanzas, où de nombreux cabildos ontcontinué à fonctionner bien au-delà de la date de proscription (Hevia Lanier 2002).En effet, il n’y a pas eu de passage obligé du cabildo à la société ; par ailleurs, denombreuses sociétés sont nées sans avoir préalablement été des cabildos.

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Les relations entre les cabildos et l’Église catholique ont toujours été complexes.Fernando Ortiz (1993, p. 60) affirme qu’il y a eu substitution du fétiche africain parun saint catholique et que la double dimension de cabildo-confrérie a permisl’incorporation des cabildos aux églises. Pourtant, on ne peut simplifier ainsi cesrapports car de nombreux cabildos n’ont pas eu de relations avec l’Église catholique,ce qui est le cas Sagua la Grande.

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Nous avons dit que les cabildos et sociedades ont été le point de départ de lacréation des religions d’origine africaine à Cuba. En effet, c’est au sein de cesinstitutions que naît ce qui est connu au XXe siècle sous le nom de « religionlucumí ». Le vocable « lucumí » est employé à Cuba depuis le XVIe siècle, mais sonutilisation s’est diversifiée selon l’époque, le contexte et l’auteur. Au fil du temps, ceterme a désigné d’abord un groupe d’esclaves, ensuite leur langue et finalement une

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Aux origines de la religiosité

afro-cubaine à Sagua la Grande

religion. Selon Fernando Ortiz (1906), le mot « lucumí » serait une déformation dunom de la région et/ou du royaume Ulcami ou Ulcumi, qui ne serait autre que celuid’Oyo, qui aurait été fondé au XVe siècle par Oranyan, fils d’Oduduwa, sur les terresde l’actuel Nigeria. Par extension, à leur arrivée à Cuba, étaient appelés « lucumí »tous les esclaves originaires de l’Afrique de l’Ouest, dont les plus nombreux étaientyoruba. À partir de la désignation d’un groupe humain, le sens du vocable« lucumí » a été élargi pour nommer leur langue. Puis, au cours du XXe siècle, il faitsurtout référence à un type de pratiques religieuses. Nicolás Angarica7 (1990),santero8de grande renommée, va même écrire un texte, « El lucumí al alcance detodos », qui s’adresse aux pratiquants et aux chercheurs et qui se veut le modèle dela religion lucumí. L’ouvrage offre un large éventail de rituels, cérémonies, prièreset, même, un dictionnaire lucumí-espagnol avec la terminologie utilisée dans laliturgie. En 1942, Rómulo Lachatañeré développera l’idée de « panthéon lucumí »,comme un ensemble de divinités (set de deidades), qui n’est pas uniforme et quechaque maison de culte utilise selon son expérience et ses compétences, en donnantla priorité aux divinités qui ont démontré une plus grande efficacité dans larésolution des problèmes des pratiquants. L’ensemble des divinités énoncées parLachatañeré (2001, pp. 100-102) ne sont autres que les orichas9 des Yoruba10 :Olofín, Olordumare, Odudúa, Obatalá, Baba-lu-Ayé, Orúmbila, Olokún, Yemayá,Ogún, Agayú, Oyá, Changó, Eleguá, Ochún, etc. Cette « religion lucumí » sera aussiappelée « Regla de Ocha » ou « santería », et elle sortira de son berceau occidentalpour se répandre dans d’autres régions, notamment le centre du pays.

La ville de Sagua la Grande s’est intégrée tardivement à l’économie nationale. AuXIXe siècle, grâce à la demande internationale de plus en plus forte en sucre, denouvelles zones de plantations ont été développées à Cuba, en particulier Sagua laGrande11. L’essor de la ville est le fruit du déplacement des capitaux occidentaux,notamment de La Havane et de Matanzas, vers le centre du pays, à la recherche denouvelles terres cultivables (Moreno Fraginals 1978).

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Témoin de ce rapide développement, la juridiction de Sagua compte en 1827 2raffineries de sucre, 59 en 1846, 125 en 1862 (Venegas Delgado 1989). En 1860,Sagua occupe la quatrième place dans la production nationale12, produisant 11 % dusucre de l’ensemble de l’île (Rebello 1860). L’accroissement économique local va depair avec l’introduction massive d’une main-d’œuvre esclave, main-d’œuvre surlaquelle a reposé la croissance sucrière cubaine. La présence d’Africains dans laprovince de Las Villas13 est supérieure à la moyenne coloniale du nombre d’esclavespar propriétaire (1/7,9 pour une moyenne de 1/7,5), ce qui fait de cette province un« centre fondamental de l’expansion esclavagiste du milieu du XIXe siècle » (ibid.,p. 72). De plus, Sagua est devenue l’une des trois villes, avec La Havane et Matanzas,à partir desquelles s’est développée la location d’esclaves. Ainsi, malgré sonexpansion économique fort tardive, Sagua la Grande a rapidement occupé une placeprivilégiée à côté des villes phares de l’économie négrière nationale.

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Une des modalités cultuelles d’origine africaine, sans doute la plus ancienne, datede cette période. En effet, le XIXe siècle est aussi le moment où les premières formesde religiosité apparaissent à Sagua. De cette époque subsistent jusqu’à nos joursquelques pièces rituelles appelées « reliques de famille » (reliquias de familia).Cette dernière expression peut prendre deux sens : le premier renvoie à un corps ouun fragment de corps (restes, ossements) d’un héros, d’un saint, d’un bienheureux,ou à des objets qui lui ont appartenu, qui prennent donc un caractère sacré et à quiles fidèles rendent un culte. Le second est associé à un objet auquel on attache

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FIG. 2 – Détenteurs de la relique de Changó Fama.

moralement la plus grande valeur, en tant que vestige ou témoin d’un passévalorisé. De ces définitions, nous retiendrons le caractère sacré de l’objet de culte et,principalement, la notion d’un temps révolu. Les reliques de famille que noustrouvons à Sagua sont des pièces rituelles du type fundamento14, qui ont étéfabriquées et rendues actives par un Africain d’origine ou un créole. D’une manièregénérale, toutes les pièces rituelles peuvent « rester » ou « partir »15 à la mort deleur propriétaire ; dans les cas des reliques de famille, elles ne partent jamais. Ellesont une durée qui dépasse le temps de vie d’une personne (de son propriétaire ou del’héritier) : elles restent systématiquement dans la famille comme des objetsd’adoration et de protection. Leur détenteur les lègue avant sa mort à un autremembre de la maisonnée. Aujourd’hui ces reliques sont à la charge d’un descendantde troisième ou quatrième génération de l’Africain fondateur. Malgré le fait qu’ellesne « partent » jamais, les reliques ne se reproduisent pas, c’est-à-dire qu’ellesn’« accouchent » pas de nouvelles pièces rituelles16. De la même manière, lesreliques ne « travaillent » plus, sauf en cas de besoin extrême, comme dans unemaladie grave ou une épidémie. Dans ces cas, elles font l’objet de diverses activitésrituelles. Cette modalité du culte est directement héritée des esclaves installés dansla région. L’Africain d’origine ou le créole qui a construit et rendu active la relique acréé, avec la pièce rituelle, une descendance religieuse qui va suivre les liens de laparenté biologique. Ainsi, l’assembleur devient nécessairement l’ancêtre de cenouveau lignage religieux.Parmi les reliques de famille qui existent encore à Sagua, une est exemplaire. Il

s’agit de Changó Fama. Selon ses descendants, cette relique est née au XIXe siècledans le quartier San Juan (où elle est toujours), dans une maison légendaire, la casarumba’a. Changó Famaest créée grâce à Florentina Alfonso, femme africainelucumí, « fille » de Changó. Avant de mourir, celle-ci lègue la relique à son filsMargarito Alderete, « fils » d’Obatalá, qui s’en est occupé jusqu’à sa mort. Il latransmet alors à sa nièce Florencia Alfonso, « fille » de Changó. D’après les récits defamille, Florentina, la grand-mère, et Florencia, la petite fille, étaient, toutes deux,l’incarnation de leur oricha tutélaire : quand il y avait une tempête, il fallait sortirdehors et jeter un seau d’eau car, sinon, elles étaient aussitôt possédées par Changó,oricha de la foudre. Florencia a épousé Pedro Arango avec qui elle a eu treizeenfants parmi lesquels une des filles, bien évidemment, fut l’héritière de ChangóFama : Emilia Arango Alfonso17, également « fille » de Changó (Figure 2).

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La casa rumba’a n’existe plus. Faite de bois et de paille, elle a été détruite à lasuite d’intempéries. Depuis, la famille Arango-Alfonso en a construit une autre,dans le même quartier, cette fois en bois et tuiles. Cependant, au fur et à mesureque les enfants ont grandi, ils ont quitté le foyer parental et aujourd’hui ils ont entre55 et 80 ans. De plus, la maison ne pouvait contenir toute la descendance quicompte plus d’une centaine de personnes, toutes générations confondues.Aujourd’hui, la maison qui a remplacé la casa rumba’a n’est plus habitée, elle nesert qu’à abriter la relique Changó Fama. Elle est devenue le lieu de réunionquotidien de plusieurs des membres habitant à proximité. Cette maison étaitjusqu’en 1999 en mauvais état. Depuis, toute la famille a apporté sa contributionpour refaire les murs en briques. L’engagement de tous vis-à-vis de Changó Famase

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Configuration de la ville dans la période

post-abolitionniste

manifeste dans toutes les sphères de la vie car, d’après eux, « sans Changó Fama, iln’y a pas de famille ».Nous avons vu que cet héritage africain peut toucher toute une famille. Chez les

Arango-Alfonso, plusieurs personnes ont reçu une initiation religieuse individuelle,mais Changó Fama est au centre de la vie familiale. Les festivités des familleshéritières d’une relique sont entièrement dédiées au culte en question, parfoismême au détriment des fêtes religieuses personnelles. Toute la famille, restreinte etélargie, adore la relique. En effet, le jour de sa fête, on réalise toutes les cérémoniesde rigueur, principalement le repas rituel et les tambours (toque) en l’honneur deChangó Fama. La fête de la relique peut être l’anniversaire du jour de sa naissanceou celui du saint catholique avec lequel l’oricha est syncrétisé.

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Les reliques sont des pièces fondatrices d’une religiosité qui garde encore sesmarques dans la ville. Elles échappent à toute normalisation religieuse, nul besoind’une quelconque initiation pour devenir héritier d’une relique. Elles restent dans lecadre d’une transmission simple, d’une génération à la suivante, qui se fait demanière « naturelle », sans grands dispositifs ni artifices liturgiques. Cette modalitécultuelle, qui est par définition héréditaire et familiale (par filiation ou par alliance),n’a pas disparu avec l’arrivée de la santería occidentale. Les deux modalitéscoexistent sans conflit, elles ne sont pas en concurrence car la suprématie desreliques n’est jamais remise en question.

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L’urbanisme de Sagua la Grande a été modifié à la suite de l’abolition del’esclavage en 1868. En effet, les nouveaux hommes libres quittaient les maisonsdes maîtres et les habitations pour s’installer sur les terrains autorisés à l’extérieurde la ville. L’élargissement du tissu urbain acommencé dès 1874 (Alcover y Beltrán1905). À cette période, les quartiers de Pueblo Nuevo18, Cocosolo et Villa Alegre sesont consolidés. Leur localisation n’a pas été laissée au hasard, les faubourgsnaissants devaient être construits sous le vent, c’est-à-dire vers le sud, car le ventsouffle de l’est vers le sud/sud-ouest et « l’odeur de nègre » ne devait pas dérangerles familles aisées qui étaient installées, justement, à l’est de la ville (dans lequartier qui, aujourd’hui, est appelé Finalet)19. À l’est, il n’y avait pas de« quartiers », mais des pavillons et des villas des propriétaires de sucreries ou dechemins de fer, parmi lesquels on comptait quelques familles anglaises. D’ailleurs,l’emplacement du cimetière a été déterminé selon la même conception de l’espace,c’est-à-dire « en orientant les odeurs » pour éviter de perturber certains secteurs.

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C’est bien dans ces quartiers consolidés après l’abolition de l’esclavage quefonctionnaient les anciens cabildos et/ou les sociétés de culte afro-cubain. Le plusancien de tous est le cabildo congo « Kunalumbo », dans le quartier de PuebloNuevo, devenu société San Francisco de Asís en 1909. La santería d’origine lucumín’y a jamais été pratiquée puisque ce cabildo était d’origine congo, néanmoins denombreux santeros de la ville le fréquentaient20. Les trois autres cabildos étaientlucumí. Le cabildo Santa Bárbara du quartier Cocosolo a été déplacé à trois reprises,à chaque fois que la zone où il se trouvait était incorporée au centre ville. Ce cabildon’a jamais été enregistré comme tel et n’a pas été transformé en société non plus,mais, paradoxalement, c’est bien à travers cette institution que la religion lucumí estentrée dans la ville. Inversement, la société Santa Bárbara du quartier Villa Alegreest née telle quelle en 1898 et, bien qu’on la surnomme « el cabildo de loschinitos », elle n’a jamais existé en tant que cabildo. Depuis, cette société a toujoursfonctionné et c’est par elle que sont arrivés à Sagua, dans les années 1950, lestambours batá de fundamento (l’instrument musical par excellence de la santería).

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L’arrivée des grandes transformations

La quatrième société, San Miguel Arcángel, située dans le quartier de San Juan, aété enregistrée très tardivement, en 1951, même si elle existait officieusementdepuis la fin du XIXe siècle. Cette société a été la première à intégrer lesmodifications introduites dans la santería au XXe siècle. Toutes les quatre sontappelées, de façon familière, cabildos. Elles sont situées dans les « quartiers » et ontjoué un rôle important dans la transformation du paysage religieux de la ville.Le « quartier », comme espace urbain différencié et opposé au « centre » de la

ville, se maintient jusqu’à la première moitié du XXe siècle. C’est avec la révolutionsocialiste de 1959 que les deux notions de « quartiers » et de « centre » vont seconfondre en créant une homogénéité communicationnelle dans le tissu socialcitadin (Villavicencio, communication personnelle, 1999). Autrefois, les habitantsdes quartiers n’allaient pas facilement ni fréquemment au centre de la ville (on ditencore « aller au village » pour indiquer le déplacement de la périphérie en directiondu centre). Il convient de rappeler que, dans de nombreuses villes du pays, les parcset les places étaient différemment fréquentés par les Blancs et les Noirs : cesderniers ne pouvaient pas se promener à l’intérieur, qui était exclusivement réservéaux Blancs. La dichotomie quartier/centre reflète, d’une certaine manière, la mêmeconception discriminante d’occupation des espaces publics.

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Cet aspect de l’organisation citadine était important pour la vie des cabildos et dessociétés de culte afro-cubain car ils étaient situés dans les « quartiers » et, lorsqu’onapportait le saint patron en procession jusqu’à l’église, c’était bien au centre de laville que l’on se rendait. Saint François d’Assise du cabildo Kunalumbo (du quartierde Pueblo Nuevo) et sainte Barbe du cabildo de los chinitos (du quartier de VillaAlegre) étaient accompagnés par les tambours consacrés (de fundamento) depuisleur sortie jusqu’au chemin de fer qui se trouvait à proximité. De l’autre côté lesattendait la fanfare municipale qui les recevait et les accompagnait en cortègejusqu’à l’église principale puis qui les ramenait, immédiatement, au quartier. Là oùla fanfare s’arrêtait de jouer, les tambours reprenaient leur musique jusqu’à leurarrivée aux cabildos. Dans les deux sens, le chemin de fer, interprété comme lalimite entre le quartier et le centre, n’était autre chose que la frontière entre« l’africanité » et le « catholicisme » qui se cristallisait dans les espaces urbains.Autrement dit, saint François ou sainte Barbe pouvaient sortir de leur quartier etaller au centre à condition de laisser derrière eux leur « africanité ». Les tambourssonnaient dans le quartier, la fanfare au centre ville, le compromis entre les deuxcomposants des cultes se désolidarisant pour pouvoir traverser la barrièresymbolique (le chemin de fer) qui maintenait séparés les deux univers.

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Tandis que l’on faisait référence, dans la presse, à certaines sociétés – y comprisles sociétés d’entraide des Noirs –, les sociétés afro-religieuses n’étaient jamaismentionnées. Celles-ci sont nées et se sont développées dans l’indifférence de laville. C’est probablement parce qu’elles ont continué à représenter « l’arriération »en opposition au « progrès » que représentaient les autres sociétés, tendance quiétait celle du pays en général21. Les sociétés afro-religieuses pouvaient cohabiteravec leurs homologuesdans le même espace du quartier, mais il n’y avait pasd’interaction entre elles.

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Les années suivant l’abolition de l’esclavage, c’est-à-dire après 1886, ont étériches en changements de toutes sortes. La condition récemment acquise d’hommeslibres permettait aux anciens esclaves de se déplacer à l’intérieur de l’île, ce qui étaitimpensable par le passé. Malgré cela, dans la région centrale, il n’y a pas eud’évolutions significatives dans la composition de la population. Néanmoins,Rebecca Scott (2001) affirme que Sagua la Grande a été le lieu choisi pour l’« exil

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Le premier acte curieux et transcendantal de l’année 1888 a sans doute étél’arrêté du maire [Felipe Obeso y Robles], daté du 4 janvier, interdisant le défilédes traditionnelles comparses ou cabildos de Rois dans les rues de la ville. Lemaire justifiait cette décision par le fait que la cohue pouvait représenter unmoyen de propagation d’une épidémie de variole qui sévissait dans la ville. Unautre argument, non moins suggestif, était que les cabildos contrastaient avecle [haut] degré de civilisation atteint par la race noire. Mesure sympathique etprogressiste, digne d’être saluée, parce que rien ne peut sembler plus sauvageque ces cabildos africains qui caractérisent à Cuba les fêtes du Jour des Rois.(Alcover y Beltrán 1905, pp. 388-389)

interne » de certains anciens esclaves, à travers l’implantation de communautésindépendantes en milieu rural, mais sans que ce modèle se propage dans d’autresrégions du pays.Deux ans après l’abolition de l’esclavage, en 1888, se sont produits de grands

événements qui ont été à l’origine de la première grande transformation dans leprocessus de construction des pratiques religieuses d’origine africaine à Sagua. Lestrois faits qui ont modifié complètement le paysage religieux sont : l’interdiction dela sortie à la Fête des Rois, la consolidation du spiritisme et l’introduction de lasantería havanaise. Ces trois événements jettent les bases d’un nouveaufonctionnement religieux qui régira tout le XXe siècle.

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L’interdiction tardive – notamment par rapport à celle de La Havane qui date de1884 – de la sortie des cabildos de Sagua, lors de la Fête des Rois, est rapportée parl’historien local comme un grand fait de « civilisation et culture » :

24

Cette mesure gouvernementale a freiné le dynamisme de la vie religieuse desAfricains et de leurs descendants et favorisé leur repli sur eux-mêmes. Si la mesurevisait à sortir de la scène publique les fêtes des Noirs, en revanche elle avantageaitd’autres collectivités dont, bien entendu, les Blancs. Dans la même année, 1888, aeu lieu la réunion des Catalans au théâtre Lazcano avec un défilé de charrettes, unechorale et la parade à travers la ville. L’idéologie du « blanchiment »,sous-bassement de la transformation sociale, se manifestait aussi dans lesexpressions urbaines des groupes ethniques qui formaient la nation naissante.

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Par ailleurs, un nouveau mouvement religieux se consolidait : le spiritisme. Sonintroduction dans l’île était alors récent22, et encore plus à Sagua. Une année plustôt, le 15 juin 1887, la revue La Alborada23 affirmait que la doctrine spirite étaitconnue depuis peu dans la ville et ne comptait que quatre ou six pratiquants.L’importance de cette donnée n’est pas négligeable si nous envisageonsqu’aujourd’hui le spiritisme est inséparable de la pratique de la santería. À cemoment-là, le spiritisme fonctionnait dans le centre ville et ses adeptes étaient tousdes Blancs, alors que la santería arrivait à peine et s’installait dans les quartierspériphériques parmi les Africains et leurs descendants. La même année, unecommission du centre spirite de Sagua, appelé « El Salvador », participait auCongrès international spirite de Barcelone ; juste après, ces mêmes personnes sesont rendues à Paris pour visiter le tombeau d’Allan Kardec au cimetière du PèreLachaise et y ont déposé une œuvre artistique avec le nom du centre et de la ville deSagua la Grande (Alcover y Beltrán 1905). En même temps, la revue La Alboradapubliait le texte complet du discours de Camille Flammarion prononcé à la mort dufondateur du spiritisme kardeciste, décédé en 1869. Dès ses débuts, cettepublication diffusait les écrits du penseur parisien ainsi que ceux d’Alfred RussellVallace de Nantes et de José Buchanam de Londres, du Journal of Man, ce quimontre bien les liens que la revue entretenait avec ses homologues européens24.

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Le troisième grand événement, survenu en 1888, selon la mémoire collective, etsans doute le plus significatif, est la première initiation à la Regla de Ocha, pratiquejusque-là méconnue dans la ville. Cet événement sera le premier pas del’expansionnisme lucumí occidental dans la région de Sagua.

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Le santo à l’africaine

FIG. 3 – Statue de sainte Barbe du cabildo Santa Bárbara du quartier de Cocosolo (cliché Testa).

La santería ou Regla de Ocha, en tant que religion « normée », s’implante à Saguapar le biais d’un cabildo, celui de Santa Bárbara, dans le quartier périphérique deCocosolo (Figure 3).

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C’est au siège de ce cabildo que deux femmes africaines, Ma’ Antoñica Wilson etMa’ Joaquina Mora, furent les premières à être initiées, en 1888, à la religionlucumíoccidentale. Tout paraît indiquer qu’elles étaient d’origine lucumí, surtoutMa’ Antoñica Wilson qui, d’après ceux qui l’ont connue, avait le visage rayé de troistraits verticaux sur chaque joue, marque des esclaves en provenance d’Afrique del’Ouest (Deschamps Chapeaux 1969, p. 67).

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Les deux femmes étaient des filles d’Ochún, la déesse des eaux douces. Lapremière reçut pour nom liturgique Ochún Funké et la seconde Ba Mefún. La Reglade Ocha a été introduite à Sagua par le babalao25 havanais Remigio Herrera – ungrand nom, mieux connu sous son appellation religieuse d’Addechina26, puisqu’ilaurait, selon les anciens de la ville, présidé les cérémonies – et par un santero deCárdenas (province de Matanzas), appelé Trinidad Infante. Difficile de savoir lequeldes deux a dirigé les initiations, d’autant plus que c’est une tâche liturgique réservéeaux santeros, mais en tout cas le nom d’Addechina est resté étroitement lié àl’arrivée de la santería à Sagua27.

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De l’initiation de ces deux femmes africaines, il ne reste, bien évidemment, aucunsouvenir. Néanmoins, tous les religieux de la ville – surtout les plus vieux – leuraccordent une place de pionnières en matière de santería. Ma’ Antoñica Wilson28 aeu une importante descendance religieuse et a occupé jusqu’à sa mort la directiondu cabildo de Santa Bárbara à Cocosolo. En revanche, Ma’ Joquina Mora a constituéune grande famille biologique de laquelle est issu le seul babalao que compte Sagua

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aujourd’hui, Rolando Mora García, son arrière-petit-fils.Bien que la santería occidentale ait connu un développement dans le quartier de

Cocosolo, la zone par excellence de l’afro-religiosité est celle de San Juan, espacegéographique où l’on trouve les reliques de famille. Là aussi, une femme est restéedans la mémoire collective locale et a été considérée comme la grande santera dudébut du XXe siècle : Elena Mestre, mieux connue sous le sobriquet de « Nena ».Nous n’avons aucune information sur les liens religieux entretenus entre les deuxfemmes africaines et Elena Mestre, mais vraisemblablement on peut penser que cesliensont été rendus possibles grâce à Félix Laserie, surnommé Lucumí, membre ducabildo Santa Bárbara de Cocosolo, car, à la mort des Africaines du cabildo, il auraitdéménagé chez Elena Mestre. D’ailleurs, Agustina Thondike (1909-2002), sa seule« filleule »29 (ahijada), encore vivante au moment de notre enquête, avait étéinitiée conjointement par Elena Mestre et Félix Laserie, le 8 juillet 1926, dans lequartier de San Juan. Dans les dernières années du XIXe siècle et les premières duXXe, se pratiquait à Sagua le « santo à l’africaine » (santo a la africana). Cetteexpression est liée au fait que, pour les anciens de la ville, cette modalité cultuelleavait été introduite par des Africains (Adecchina et Trinidad Infante) venus de LaHavane et de Matanzas. Dorénavant, la pratique religieuse devient individuelle et, àla différence de celle des reliques de famille, plusieurs orichas peuvent cohabiterdans la même maison, chacun correspondant à une seule et même personne. Deplus, et pour la première fois, le processus initiatique est mis en place pour devenirpratiquant car, dans les cultes de type familial, il n’y avait pas de recours àl’initiation. L’initiation impliquait un temps de réclusion (dans le cas d’Agustina, il aduré douze jours), la coupe rituelle des cheveux, même si la tête devait demeurertoujourscouverte, et le port de vêtements blancs dans l’année qui suivait l’entrée enreligion (iyaworage30). Un autre aspect important de ce processus initiatique étaitla remise de pièces rituelles : l’initié recevait la représentation matérielle de sadivinité tutélaire ainsi que les santos guerreros (Eleguá, Ogún, Ochosi et Osun).Cette variante est encore appelée « pieds et tête » (pié y cabeza), les pieds étant lessantos guerreros et la tête, l’ange gardien ou oricha tutélaire. À partir du momentoù la personne avait son santo31 chez lui, sa maison devenait alors « la maison de…(Changó, Ochún, etc.) ». Cela signifiait que si, par exemple, quelqu’un (déjà initié ounon) avait besoin de « faire une œuvre »32 auprès d’un autre santo que le sien, ilétait obligé de s’adresser au santero qui avait chez lui cette divinité. L’orichatutélaire ayant une exclusivité presque absolue sur ses fils, il était nécessaire depasser par l’un d’eux pour avoir accès à la divinité afin d’accomplir l’activité rituelle.

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Agustina Thondike se rappelait aussi d’autres cérémonies faites par sa marraine,notamment celles réalisées en pleine nature. D’après Agustina, son initiation n’a pascommencé par le bain lustral dans le fleuve, comme c’est l’habitude de nos jours.Mais les eaux douces de Sagua ont joué un rôle prépondérant dans cette maison deculte : chaque 24 juin, jour du saint patron du quartier (saint Jean), Nena Mestrefaisait plonger dans le fleuve tous les filleuls qui avaient besoin d’une« purification ». Pour les autres, elle emportait de l’eau dans une bassine qu’ellemettait devant l’autel, pour qu’ils se lavent avant de saluer le santo. Mais, bienqu’Elena Mestre ait été connue pour ses grandes connaissances et ses pouvoirsreligieux, ayant de surcroît initié beaucoup de personnes à Sagua, elle n’a jamais étéreconnue santera. En effet, quelques-uns des filleuls d’Elena Mestre, surtout ceuxqui ont consacré leur vie à la santería, sont allés à La Havane pour « refaire leursanto », c’est-à-dire accomplir une deuxième initiation afin d’être reconnus commesanteros. Cela explique une phrase que l’on entend souvent à Sagua : « Un tel a faitsanto deux fois ». Mais s’agissait-il d’une répétition de l’initiation antérieure oud’une initiation complètement nouvelle ? Les avis des anciens de la ville sontpartagés. À l’instar de Minga (filleule de baptême d’Elena Mestre et « filleule »d’initiation dans la santería de Nenene, elle-même « filleule » d’Elena Mestre),

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Le santo à la cubaine

certains pensent qu’il s’agissait d’une confirmation de la première initiation àtravers un processus semblable à celui que l’on réalise pour l’enfant dont la mère aété initiée lorsqu’elle était enceinte, c’est-à-dire qu’il la « reçoit » dans le ventre et la« confirme » après la naissance. Pour d’autres, comme Chelé (deuxième santero enimportance dans la ville33), lors des initiations faites par Elena Mestre, il n’y auraitpas eu de fixation de l’oricha tutélaire dans la tête de l’initié, autrement dit celacorrespondait à une demi initiation ; en termes vernaculaires il s’agirait d’un« santo lavé » (santo lavado) et non pas d’un « santo couronné » (santo coronado),expression qui désigne l’initiation proprement dite. Chacune des deux réponsesrenvoie toujours à l’idée d’une non-reconnaissance du santo à l’africaine, autrementdit à la caducité de cette modalité de culte à partir de l’année 1927.Ce même type de phénomène existe dans d’autres villes de Cuba, notamment à

Matanzas. La raison se trouverait dans l’histoire des esclaves lucumís sur le solcubain. En effet, les Lucumíssont connus à Cuba depuis le XVIIe siècle mais, àl’époque, ils ne constituaient qu’un faible pourcentage de la population esclave.Leur arrivée en masse s’est faite au XIXe siècle, à la suite de la chute de l’empired’Oyo34. Ainsi, vers 1850, ils représentaient 35 % du total des esclaves africains.D’après Miguel Ramos (2003), les Lucumís, entrés jusqu’aux premières années duXIXe siècle, seraient originaires d’Egbado, tandis que ceux arrivés par la suiteviendraient d’Oyo. Or chaque territoire avait sa propre tradition religieuse. Ainsi, àCuba, se sont développées deux pratiques cultuelles d’origine lucumí, évoluantdifféremment selon les époques. La plus ancienne, celle d’Egbado, aurait dominé leculte lucumí approximativement jusqu’en 1825. De cette tradition découlent lesdeux variantes (celle des « reliques de famille » et celle du « santo à l’africaine »35)que nous avons déjà évoquées dans le cas de Sagua. Ensuite, avec l’arrivée desesclaves lucumís originaires d’Oyo, l’imposition de leur propre mode d’initiation afait disparaître la tradition d’Egbado. Cela expliquerait la non-reconnaissance de lamodalité « pieds et tête » ou « santo à l’africaine » et, donc, l’obligation pourcertains santeros de Sagua de refaire leur initiation.

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L’expression « santo à l’africaine » acquiert encore plus de force lorsque lanouvelle mode arrive de La Havane, à partir de 1927, car elle met hors jeu lesinitiations pratiquées avant cette date. Le « santo à l’africaine » a fortement marquéla religiosité locale, la grande innovation étant celle du passage d’un culte familial,ancré dans le lignage biologique et sans procédure initiatique (la relique de famille),à un culte individuel, inséré dans un lignage rituel, auquel on est intégré à la suited’une initiation (santo à l’africaine). Par ailleurs, les femmes, d’abord africaines,ensuite créoles, avaient un grand pouvoir avant 1927, ce qui n’est plus le cas aprèscette date.

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Le fonctionnement religieux que nous venons d’analyser commence à perdre de lavigueur avec l’arrivée de la nouvelle « mode » havanaise. En fait, il n’a été valablequ’entre 1888 et 1927. Nous avons dit que certains pratiquants de la ville ont refaitleur initiation. Le premier à l’accomplir à nouveau a été Valentín Alfonso, présidentde la société San Miguel Arcángel du quartier de San Juan, là où se trouvent lesreliques de famille. Bien qu’il ait fréquenté assidûment la maison d’Elena Mestre etse soit considéré comme un de ses « filleuls », il avait reçu son « santo àl’africaine » de Pablo González à Recreo, dans la province de Matanzas. Cetteinitiation dans le culte d’Oyá, son oricha tutélaire, n’a pas été reconnue quand il estarrivé à La Havane36. Il a dû y retourner pour faire sa nouvelle initiation, cettefois-ci, en suivant la modalité cubaine, également appelée « santo créole » (santocriollo). À cette occasion, il se mit en relation avec une maison de culte renommée,

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dans le quartier havanais de Guanabacoa. Son parrain était José Urquiola, Echubbi,mieux connu par son surnom « pata ’e palo », et sa deuxième marraine(oyugbona37), Francisquita Estensi, ChangoBolé, fondatrice du cabildo San Roquede Palmira (à côté de la ville de Cienfuegos). Sa deuxième initiation a eu lieu le27 mai 1927. Bien que la première fût d’Oyá, cette fois-ci Changó n’a pas voulu céderson fils et l’a réclamé en exclusivité. Ainsi, Valentín Alfonso est devenu omóChangó38, avec le nom rituel d’Addé Kola, traduit comme « roi de la couronne ».Mais le chemin ouvert par Valentín Alfonso dans la santería créole n’a pas

rapidement fait des émules dans la ville de Sagua. Il a fallu attendre treize ans pourqu’une autre personne suive ses pas. Le 29 mai 1940, Juan García Fonseca, mieuxconnu sous le nom de « Bienvenido », dont le nom rituel était Omi Taguardé, a étéinitié au culte de Yemayá par sa « marraine »39, María La O Batte (Orfandei), dansle quartier havanais de Puentes Grandes, chez sa deuxième marraine (oyugbona)Bernardina Pérez (Ochún Funké), de surnom « NinaLaPuente ». L’obba-oriaté40 del’initiation était Octavio Samá, mieux connu sous son nom religieux d’Obbadimeyi,disciple direct de Latuán, femme lucumí pionnière de la tradition d’Oyo à Cuba. ÀSagua, Juan García Fonseca n’appartenait à aucun cabildo ou autre société, mais ilhabitait le quartier de Pueblo Nuevo, à proximité de Kunalumbo, le cabildo congo,dont il était un habitué. Son amitié avec Catalina Prendes, femme congo et anciennereine du cabildo, était connue de tousà tel point qu’elle a même été inscrite dans leschansons de l’institution afro-cubaine41. Juan García Fonseca a aussi été lapremière personne blanche de Sagua à s’initier dans la santería. Comme beaucoupd’autres santeros de la ville, il n’a pas eu d’enfants, mais il a créé une grande famillereligieuse. Il a d’ailleurs lui-même initié la deuxième personne de Sagua, JesúsLópez Zúñiga, omó Eleguá, le 16 juillet 1942, dans la maison havanaise où il avaitreçu son initiation. Aujourd’hui, Jesús López Zúñiga42 est le santero le plusimportant (santero mayor) de la province de las Villas.

37

La même année, c’est Valentín Alfonso qui amène le « santo à la cubaine » àSagua la Grande. Au siège de la société, San Miguel Arcángel, qu’il présidait, il ainitié, le 12 novembre 1942, cinq nouveaux santeros dont il ne reste que l’aîné,Pedro Pablo Dreke Alfonso43, « Chelé », omó Obatalá44. Pour cette célébration, il afait venir des santeros de La Havane, Matanzas, Colón, Jovellanos, Cárdenas etPerico, la présence de ce grand nombre de religieux offrantdes témoins à cesinitiations. Il y a eu plusieurs oyugbonas, dont la célèbre havanaise, du quartier deRegla, Dominga Sandoval, omó Changó, qui avait pour nom rituel Obá Tuké.Valentín Alfonso est donc devenu parrain de cinq nouveaux santeros.

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Bien que nous ne connaissions pas qui était l’obbá-oriaté de l’initiation deValentín Alfonso, nous savons en revanche qu’il a été secondé, lors de l’initiation deses premiers filleuls, par Tomás Romero45, disciple direct d’Obbadimeyi.Par ailleurs,Obbadimeyilui-même a été l’obbá-oriaté de « Bienvenido » et de son filleul JesúsLópez Zúñiga. Donc, c’est bien la lignée religieuse de l’obbasa-oriaté46Latuán, c’est-à-dire la tradition d’Oyo, qui a été introduite à Sagua à partir de 1927.C’est en effetl’arrivée de cette tradition qui a annulé celle d’Egbado, ce qui expliquerait lanon-reconnaissance du « santo à l’africaine » et donc l’initiation à la modaliténommée « créole » ou « santo à la cubaine » à Sagua. Paradoxalement, la modalitédite « plus pure », associée au symbole majeur de la culture yoruba – Oyo –, devientle « santo à la cubaine » ou « créole ».

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Nous avons déjà vu qu’à l’époque où l’on pratiquait le « santo à l’africaine » lenovice recevait la représentation matérielle de son oricha tutélaire (ou « tête ») etles santos guerreros (ou « pieds »). Désormais, avec l’introduction de la nouvellemode havanaise, l’initié recevra, en plus des précédents, tout un ensemble d’orichasdu panthéon lucumí, dont les quatre divinités de base sont Obatalá, Changó,Yemayá et Ochún. Il est intéressant de signaler que la première initiation à lasantería créole à Sagua, en 1942, coïncide avec la sortie du livre El sistema religioso

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de los afrocubanos de Rómulo Lachatañeré, livre dans lequel il est question de lanotion de « panthéon lucumí », c’est-à-dire un ensemble de divinités47. De plus, cenouveau mode d’initiation veut que chaque oricha soit reçu dans toute samatérialité. Auparavant, le novice ne recevait que les pierres réceptacles des orichaset, dans quelques cas, une figure anthropomorphe en bois représentant la divinitéen question. Désormais, l’impétrant reçoit aussi les cauris48 et les outils(herramientas) de chaque oricha ; il est tenu de respecter l’iyaworage pendant uneannée entière et, durant l’initiation, a lieu une longue séance oraculaire appelée itá,avec les prescriptions et les interdictions que le santero devra observer le reste de savie. La durée de l’initiation est officialisée également et se réduit systématiquementà sept jours, alors qu’avant elle était bien plus longue : douze jours pour le casd’Agustina et encore plus pour d’autres. De toute évidence, nous sommes enprésence d’une nouvelle définition du profil santero, beaucoup plus complexe et,surtout, assez codifié. Nous verrons aussi qu’à partir de ce moment la pratiqueisolée de la santería n’est plus possible : pour toute nouvelle initiation, d’autressanteros doivent être présents afin d’en être les « témoins ».À l’arrivée du « santo à la cubaine », les liens qui se tissaient entre les pratiquants

de Sagua et ceux de la capitale ne se résumaient pas à des relations« parrain »-« filleul ». En effet, l’engagement allait bien plus loin, notamment dansla vie associative. La sociedad San Miguel Arcángel, qui a toujours été « la maisonde Valentín Alfonso », est devenue le lieu de nombreuses initiations. Un dessanteros havanais qui fréquentait cette maison de culte de manière assidue étaitGregorio Torregrosa (Obbá Bí), omó Changó. Il y allait comme officiant de la liturgielocale, en tant qu’obbá-oriaté, mais a aussi effectué la confirmation des pratiquantsde la ville, initiés par Nena Mestre à la manière africaine : cela a été le cas deGregoria Alfonso(Ogún Bí), surnommée « Nena Zacarías », omó Ogún, dont les« parrains » ont été Gregorio Torregrosa et Dominga Sandoval, la même santerahavanaise qui a été la deuxième marraine (oyugbona) des premiers initiés à Saguaen 1942. Un cas similaire est celui de Deogracia Herrera(Arokumatindé49),« Nenene », omó Changó, qui a confirmé, de nouveau, son santo avec Torregrosa, saoyugbona étant Gregoria Alfonso. L’obbá-oriaté des deux femmes a également étéTomás Romero, lui-aussi Havanais. Ainsi, en confirmant le santo avec GregorioTorregrosa, les nouveaux santeros devenaient automatiquement ses « filleuls ».

41

Gregorio Torregrosa a continué pendant longtemps à se rendre à Sagua en qualitéd’obbá-oriaté, dirigeant les cérémonies de l’initiation de Felicia Mestre et d’IreneHerrera en 1947, toutes les deux « filleules » de Gregoria Alfonso. Felicia avaitrencontré sa future marraine chez Elena Mestre, la pionnière, dans le mêmequartier de San Juan. Après leur initiation, les deux femmes furent présentées autambor50 dans le cabildo de Yemayá de Pepa, EchúBí, à Regla, car cette femme avaitété la « marraine » de Gregorio Torregrosa, c’est-à-dire qu’elle était l’arrière-grand-mère de santo des deux iyawós. Pepa était la fille biologique d’Addechina, lebabalao havanais qui avait amené le « santo à l’africaine » à Sagua en 1888(Figure 4).

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Santero

Initiation

à

l’africaine

Initiation

à la

cubaine

Date

Marraine

ou

parrain

Oyugbona

Lieu

d’initiation

Obbá-

Oriaté

Valentín

Alfonso

X Pablo

González

Recreo

(Matanzas)

X 1927 José

Urquiola

Francisquita

Estensi

Regla

(La

Havane)

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FIG. 4 – Récapitulatif des premières initiations à Sagua, modalités à l’africaine et à la cubaine.

Juan

García

Fonseca

X 1940 María

La O Batte

Bernardina

Pérez

Puentes

Grandes

(La

Havane)

Obbadimeyi

Jesús

López

Zúñiga

X 1942 Juan

García

Fonseca

Bernardina

Pérez

Puentes

Grandes

(La

Havane)

Obbadimeyi

Pedro

Pablo

Dreke

X 1942 Valentín

Alfonso

Dominga

Sandoval

Quartier

San Juan

(Sagua)

Tomás

Romero

Gregoria

Alfonso

X Elena

Mestre

Quartier

San Juan

(Sagua)

X 1947 Gregorio

Torregrosa

Dominga

Sandoval

La Havane Tomás

Romero

Deogracia

Herrera

X Elena

Mestre

Quartier

San Juan

(Sagua)

X 1947 Gregorio

Torregrosa

Gregoria

Alfonso

La Havane Tomás

Romero

Felicia

Mestre

X 1947 Gregoria

Alfonso

Deogracia

Herrera

Quartier

San Juan

(Sagua)

Gregorio

Torregrosa

Irene

Herrera

X 1947 Gregoria

Alfonso

Deogracia

Herrera

Quartier

San Juan

(Sagua)

Gregorio

Torregrosa

Dominga

Pérez

X 1959 Deogracia

Herrera

Gregoria

Alfonso

Quartier

San Juan

(Sagua)

Mais Gregorio Torregrosa n’a pas été seulement un santero très reconnu pour sesqualités religieuses, il était également le président de la « sociedad Culto LucumíSan Pedro Crisólogo » de La Havane51. La société fut fondée le 2 mars 1937 et, selonsa charte52, elle était composée d’« individus cubains qui pratiquent la religionlucumí ». Le but principal de cette société était d’« offrir de l’aide morale etmatérielle à ses associés », ce qui rappelle l’assistance que les cabildos de nación duXIXe siècle fournissaient à leurs membres. Or la fonction de cette société allait plusloin. Elle jouait un rôle primordial dans la normalisation de la santería : dans sonarticle 7, la charte signale que « la consécration et l’initiation des associés serontvérifiées dans les locaux de l’association et à une date fixée par le conseild’administration ». Cette volonté normalisatrice qui animait la société sematérialisait par un diplôme octroyé à chaque membre (Figure 5).

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FIG. 5 – Diplôme de membre de la société Culto Lucumí appartenant à Deogracia Herrera (cliché Testa).

Conclusion

Mais, les sociétés n’étaient pas l’unique mécanisme de contrôle dont la santeríaoccidentale usait dans son processus expansionniste. Il y avait aussi le monopoledes tambours batá de fundamento, appelés aussi Añádu nom de la divinité qui yréside. Fernando Ortiz (1994, p. 144) fait référence à une circulaire adressée auxsanteros en 1950 qui signale, dans une note finale, que la présentation d’un iyawón’aura pas de valeur si elle ne se fait pas devant un tambour Añá reconnu à laHavane et à Matanzas. La circulaire est signée par quatre grands omó Añá53

havanais dont le réputé Pablo Roche. Comme à Sagua, il n’y a pas eu de tamboursAñá jusque dans les années 1950, les santeros étaient obligés de se présenter dansd’autres villes et, selon ce que racontent les plus anciens, beaucoup d’entre eux sontmorts sans jamais avoir été présentés au tambour. D’ailleurs, les premiers tamboursAñá de Sagua appartiennent à la société Santa Bárbara de Villa Alegre et ont été faitspar Miguel Alsina à Matanzas54. Ces tambours ont eu le monopole de la musiquereligieuse de la ville pendant quatre décennies. Ce n’est que dans les années 1990qu’a été fabriqué le deuxième jeu de tambours consacrés.

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Nous avons vu que les cabildos et les sociétés de Sagua sont les lieux où lasantería a pris place dans la ville, à travers ses deux modalités, africaine et créole.Les responsables des cabildos ou des sociétés sont devenus à leur tour les« marraines » et les « parrains » des pratiquants de la ville. Aujourd’hui, à Sagua, ily a de nombreux conflits entre les santeros et santeras des différentes maisons deculte, héritières ou non des anciennes associations. Autrefois, les liens étaient bienplus harmonieux et les rapports se traduisaient surtout par l’entente et lacollaboration. Nous avons de cela maints exemples, comme le cas de la sacralisationdes statues vénérées dans les cabildos et les sociétés. La statue de saint MichelArchange, de la société qui porte le même nom, est arrivée en 1931, probablementd’Espagne. Elle est d’abord passée par l’église locale, où elle a été baptisée par lecuré, les parrains étant Luis Chis (président de la société Santa Bárbara de VillaAlegre) et Anastasia Arango. Ensuite, elle a été apportée au siège de la société duquartier de San Juan, où elle a subi les mêmes rituels qu’une personne que l’on

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Bibliographie

initie, ces cérémonies étant dirigées par le même Valentín Alfonso.Les cabildos et les sociedades ont été des lieux d’initiation qui ont suivi tour à

tour les modalités exportées de la région occidentale du pays, celle d’Egbado, etensuite celle d’Oyo. La tradition d’Egbado, plutôt rurale, est restée cantonnée à sapratique familiale, c’est-à-dire le culte des reliques de famille, disparaissant en tantque mode d’initiation du « santo à l’africaine ». La tradition d’Oyo, principalementurbaine, a modifié les pratiques au point de faire disparaître les plus anciennes(« santo à l’africaine »). Elle a surtout imposé le kariocha ou « santo couronné »,qui est devenu par la suite l’initiation à proprement parler55. Si, dans le culte desreliques de famille, le lignage biologique se superpose au lignage rituel, à partir dumoment où l’on introduit le processus initiatique, ce n’est plus le cas. Désormais,pour être inclus dans une famille de religion, il faudra suivre une initiationindividuelle.

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Dans la configuration actuelle de la pratique de la santería à Sagua, on peutpenser que le « santo à l’africaine » a été un mode intermédiaire entre un cultefamilial et non-initiatique (les reliques de famille) et un autre, individuel etnécessitant une initiation (le santo à la cubaine), qui s’est imposé partout dans l’île.C’est cette même modalité du « santo créole » qui est devenue, au cours duXXe siècle, le paradigme de la santería cubaine.*

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* Manuscrit reçu en janvier 2005, accepté pour publication en juin 2005.48

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Notes

1 Je remercie Stefania Capone, Irina Georgieff et Pascale Jaunay pour leurs commentaires etsuggestions.La ville de Sagua la Grande se trouve sur le littoral nord de la région centrale de l’île, à 260 kmde la capitale du pays.

2 Depuis la période coloniale, l’île de Cuba est divisée en trois grandes régions : occidentale,centrale et orientale. La Havane et Matanzas se trouvent dans la région occidentale, Sagua laGrande dans la région centrale.

3 Cette enquête a été possible grâce à la collaboration de plusieurs santeros octogénaires etnonagénaires de la ville de Sagua (Testa 2004).

4 Ces institutions constituent l’un des sujets les plus étudiés dans l’ensemble de la cultureafro-cubaine, une large profusion de textes dans le domaine étant la preuve de l’intérêt quesuscite ce thème depuis plus de 150 ans.

5 La caja était une boîte destinée à garder l’argent que les membres apportaient pour lefonctionnement du cabildo.

6 À l’origine, le mot « créole » désignait toute personne de « race » blanche née dans lesAntilles. Plus tard, son utilisation s’est élargie pour désigner aussi le descendant d’Africain né àCuba. Dans le cadre de cette recherche, le terme « créole » est employé dans le second sens : ilest également synonyme de Cubain. Pour une analyse détaillée du vocable « créole » voirLavallé (1980).

7 Nicolas Angarica fut un disciple direct d’Obadimejí, premier obbá masculin (maître decérémonie de la santería) selon Miguel Ramos (2003). Plusieurs orthographes sont possibles

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pour le nom Obadimejí ; on trouve également : Obadimelli, Obbadimelli, Obadimeyi,Obbadimeyi. Nous utilisons la dernière, c’est-à-dire Obbadimeyi.

8 On appelle santera et santero, la femme et l’homme, qui ont été initiés dans la santería.

9 Les orichas sont les divinités adorées dans la santería.

10 Bien que les divinités soient d’origine yoruba, l’orthographe est totalement « cubanisée ».

11 La ville a eu une reconnaissance officielle le 8 décembre 1812 (Alcover y Beltrán 1905).

12 L’ordre national d’importance dans la production sucrière était Cárdenas (147 sucreries),Matanzas (128), Colón (126) et Sagua (119). Les trois premières appartiennent à la régionoccidentale, seule la ville de Sagua appartient à la région centrale.

13 Sagua la Grande et sa juridiction se trouvent dans cette province.

14 Un fundamento est un objet tel qu’une pierre ou un réceptacle avec différents élémentsnaturels et sur lequel est matérialisé un oricha ou une entité de mort. Le fundamento doit êtrealimenté régulièrement avec du sang animal pour maintenir sa puissance. Les pièces rituellesutilisées dans la santería actuelle sont plus complexes que les reliques de famille : ellescomportent plusieurs pierres et outils (herramientas) qui sont assemblés selon des règles plusou moins fixes et qui diffèrent selon l’oricha auquel elles sont consacrées.

15 On dit qu’un fundamento « part » à la mort de son propriétaire. En effet, au moment dudécès, la pièce est soit détruite, soit rendue à la nature. Dans certains cas, il arrive qu’aumoment de la cérémonie funéraire (itutu) une ou plusieurs divinités demandent, par le biais dela divination, qu’une personne déterminée garde les autels individuels.

16 Dans la santería, toute naissance d’une pièce rituelle procède d’une autre pièce rituelle. Ondira qu’elle « accouche » de nouvelles pièces.

17 Emilia est née en 1932, elle avait 68 ans au moment de l’entretien en 2000.

18 Le quartier de Pueblo Nuevo s’est construit sur des « terrains bas, insalubres etimpraticables » (Alcover y Beltrán 1905, p. 544).

19 Raúl Villavicencio, directeur du Museo Histórico de Sagua, communication personnelle (21décembre 1999).

20 À la mort de son dernier responsable, en 1990, la société San Francisco de Asís avait cesséses activités. En 2002, elle a été réouverte sous l’ancien nom de cabildo Kunalumbo et le saintpatron, saint François d’Assise, est maintenant syncrétisé avec Orula (dieu de la divination). Orce syncrétisme ne correspond pas à l’univers congo mais à celui de la santería.

21 Pendant les dernières années du XIXe siècle, ainsi que pendant la période républicaine(1902-1958), la vie associative était très riche. Les Noirs ont créé de nombreuses sociétés pourleur progrès et leur divertissement, elles étaient regroupées dans le « Directoire général desociétés noires de Cuba » (Directorio Central de Sociedades Negras de Cuba). À ce propos, voirHevia Lanier (1996).

22 Certains auteurs considèrent que 1856 est l’année de l’introduction du spiritisme à Cuba.D’autres affirment que la Guerre de Dix Ans (1868-1878) est la période de l’expansionnismespirite, car les créoles insurgés (principalement dans la région orientale) avaient une tendanceà assimiler cette pratique religieuse aux idées indépendantistes, en opposition au catholicismequi était associé directement au pouvoir colonial espagnol (Argüelles et Hodge 1991).

23 Revue écrite et publiée à Sagua.

24 Pour la plupart des chercheurs cubains, le spiritisme arrive à Cuba via les États-Unis(Argüelles et Hodge 1991 ; Millet 1996 ; Hodge et Rodríguez 1997 ; Cordova et Barzaga 2000).Cependant, les publications spirites de Sagua la Grande ne font jamais référence aux liensentre les deux pays ; au contraire, elles montrent les rapports qu’elles maintenaient avec desvilles d’Amérique Latine et d’Europe.

25 Le babalao est le prêtredu culte d’Ifá, spécialiste de la divination, etse consacre au dieuOrula. Littéralement son nom veut dire « père (baba) du secret (awo) ».

26 Addechina est un des babalaos les plus renommés dans les prières (moyugbas) de sesconfrères puisqu’il est considéré comme le père de l’Ifá cubain. Ifá étant l’oracle dont sontspécialistes les babalaos, c’est aussi un culte qui est fortement lié à la santería, tous les deuxsont d’origine yoruba. Fernando Ortiz (1994, p. 146) reconnaît Addechina comme l’un des troisfondateurs du cabildo de Yemayá à Regla.

27 D’après Ramos (2003), la santeria de la fin du XIXe et début du XXe siècle était entre lesmains des femmes, notamment Latuán à La Havane et Obá Tero à Matanzas. Selon le mêmeauteur, l’une et l’autre étaient très proches d’Addechina, voire « inséparables » ; il est donc fortprobable que l’une ou l’autre soit venue à Sagua pour ces initiations, mais la mémoirecollective n’a retenu que le nom du babalao, ce qui est d’ailleurs en rapport avec la montée enforce des hommes dans la religion pendant le XXe siècle.

28 Elle fut aussi la marraine du peintre surréaliste Wifredo Lam, né à Sagua la Grande en 1902

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dans le quartier de Cocosolo.

29 Les termes « filleule » (ahijada) pour la femme et « filleul » (ahijado) pour l’hommedésignent le lien de parenté (rituelle) unissant une personne à celle qui l’initie dans la santería.Cette dernière sera désormais sa « marraine » (madrina) si c’est une femme ou son « parrain »(padrino) si c’est un homme. Ces mêmes mots sont utilisés pour les liens de parenté créés à lasuite du baptême catholique, que nous écrivons sans guillemets pour les différencier de ceuxutilisés dans la santería.

30 Iyaworage est le nom de l’année qui suit la date de l’initiation à la santería, iyawó est lenouvel initié qui est en période d’iyaworage. Des obligations et des interdictions sont imposéesà l’iyawó ; leur non-respectentraînerait le châtiment de la part des orichas. Pour les mêmestermes, on trouve d’autres orthographes : yaworage, iyaguorage ; yawó, yaguó.

31 Santo et oricha sont deux termes synonymes dans la santería, les pratiquants utilisantdavantage celui de santo.

32 L’expression « faire une oeuvre » (hacer una obra, hacer un trabajo) indique, dans ce cas,« réaliser une offrande, un nettoyage rituel ou une cérémonie précise auprès d’une divinité ».

33 La santería est régie par un principe de séniorité : l’ancienneté dans une fonction concèdeprestige et pouvoir, par conséquent (entre pratiquants qui ont le même degré d’initiation) uneprééminence du plus ancien sur les autres.

34 La capitale Oyo fut rasée en 1837, à la suite de quoi la population se dispersa et le royaumed’Oyo tomba dans l’anarchie (Tamisier 1998).

35 La tradition d’Egbado à Matanzas est appellée « santo parado » ou « santo de dotación »(Ramos 2003).

36 Une situation semblable est arrivée à Obadimejí, fils de lucumí, originaire de Sabanillas. Àson arrivée à La Havane, il a été contraint de s’initier une nouvelle fois car la premièreinitiation n’était pas reconnue dans la capitale (Ramos 2003).

37 Dans les liens de parenté rituelle qui s’établissent lors de l’initiation dans la santería,l’oyugbona est la personne qui, entre autres, seconde la « marraine » et la remplace en cas dedécès. De ce fait, elle est également appelée « deuxième marraine ». On trouve aussi yugbona,oyubona, oyyugbona.

38 Omó Changó signifie « initié au culte de Changó » : omó vient du yoruba qui veut dire« fils ».

39 Pour les termes « marraine » et « parrain », voir la note 29.

40 L’obbá-oriaté est le maître de cérémonie dans la santería ; il dirige tous les rituels lorsd’une initiation. C’est aussi un spécialiste de la divination par les cauris.

41 D’après Jesús López Zúñiga, la chanson disait « Iyamuana Mundele, Muana MundeleKitamamba », ce qui signifie « un homme blanc vient saluer ».

42 Jesús López Zúñiga est né en 1917, il avait 83 ans au moment de l’entretien en 2000.

43 Pedro Pablo Dreke Alfonso est né en 1922, il avait 78 ans au moment de l’entretien en2000.

44 Les quatre autres étaient José Manuel Gibet, Pepe, omó Changó ; Concepción Gibet,Conchita, omó Ochún ;Valeriana Pequeño, omó Yemayá, et Elvira Mestre, omó Ochún.

45 Tomás Romero (Ewinleti), omó Obatalá, est reconnu par Valdés Garriz (1997, p. 135)comme l’un des premiers oriatés de Cuba et aussi comme un des grands connaisseurs dudilogún. Il s’agit d’un système divinatoire utilisé dans la santería et se servant de cauris pouravoir accès à l’oracle.

46 Obbasa-oriaté est le féminin d’obbá-oriaté (maître de cérémonie de la santería). Elles ontexisté de la fin du XIXe siècle au début du XXe.

47 Rómulo Lachatañeré fut le premier à contester l’utilisation du vocable « sorcellerie »(brujería) pour se référer aux pratiques religieuses des descendants d’Africains. Ce vocableétait en vogue au début du XXe siècle ; les premiers écrits de Fernando Ortiz en témoignentamplement. Lachatañeré proposait à la place le terme de « santería », ce qui était sans douteune légitimation des cultes considérable dans la société cubaine de l’époque. À ce propos voirErwan Dianteill (1995) qui fait une analyse approfondie de la naissance de l’étude scientifiquedes religions afro-cubaines.

48 Pour certains santeros havanais, le santo est l’ensemble des cauris (parce que c’est àtravers eux que le santo parle) et non les pierres, ce qui confirme l’importance de cechangement.

49 La première « filleule » de Deogracia Herrera raconte que sa marraine disait que, lors deson initiation avec Gregorio Torregrosa, son oricha n’a pas accepté d’autre nom rituel pour safille que celui de sa première « marraine », Elena Mestre. Toutes les deux étaient des filles deChangó et avaient pour nom rituel Arokumatindé.

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50 La présentation au tambour consacré (Añá) du nouvel initié (iyawó) est une cérémonietrès importante parce que c’est à ce moment-là qu’Olofin, dieu suprême, reconnaît la personneen tant que santero.

51 La société avait son siège social dans le quartier havanais de Los Sitios, à l’adresse dudomicile personnel de son président.

52 Reglamento de la Sociedad Culto Lucumí San Pedro Crisólogo, 1937 (dossier 313, « negros-cabildos », Fond Fernando Ortiz, Instituto de Literatura y Lingüística de La Habana).

53 Omó Añá, traduit par « fils du tambour », est le nom donné au musicien qui est initié auculte d’Añá. On dit aussi batalero ou tamborero. Il est le seul autorisé à jouer des tamboursconsacrés.

54 La société Santa Bárbara de Villa Alegre est, depuis ses origines, un lieu d’initiation à lasantería. Elle a connu les mêmes avatars que les autres, avec des initiations à l’africained’abord et créoles ensuite. Néanmoins sa filiation n’est pas havanaise, mais de Matanzas, de lagrande famille religieuse de Ferminita Gomez (Ocha Bí), héritière de Ma’ Monserrate González(Obá Tero), importante obbasa-oriaté lucumí du XIXe siècle et décédée en 1907.

55 La pratique de la santería est un thème bien étudié par les chercheurs cubains et étrangers.À Cuba, la bibliographie sur le sujet est si prolixe qu’un catalogue réalisé par FernandezRobaina lui a été consacré en 1985. Depuis, elle ne cesse de croître, aussi bien dans l’îlequ’ailleurs, notamment aux États-Unis. En France, deux ouvrages ont été publiés, l’un dansune optique anthropologique (Argyriadis 1999), l’autre sociologique (Dianteill 2000).

Pour citer cet article

Référence papier

Journal de la Société des Américanistes, 2005, 91-1, pp. 113-138

Référence électronique

Silvina Testa , « La « lucumisation » des cultes d’origine africaine à Cuba : le cas de Sagua la

Grande », Journal de la société des américanistes [En ligne], 91-1 | 2005, mis en ligne le 10

janvier 2010, Consulté le 05 février 2013. URL : http://jsa.revues.org.gate3.inist.fr

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Auteur

Silvina Testa

Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, UMR 7535, CNRS/Université

Paris X-Nanterre

Droits d'auteur

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