3 Veuves Hong Kong

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    GRARD DE VILLIERS

    S.A.S n12

    Les Trois Veuvesde Hong-Kong

    PRESSES DE LA CIT

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    CHAPITRE PREMIER

    Les trois normes machines ronronnaient doucement,clignotant de tous leurs voyants lumineux. Chacune dentre ellesmesurait environ trente pieds de long sur dix de haut. Leursconnexions lectroniques se prolongeaient sur plusieurs piedsdpaisseur, derrire le mur dacier. Elles fonctionnaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sans -coup. Devant chacunedes faades mtalliques, le pupitre avec son oprateur paraissaitminuscule. Le clavier de commande de chacun des troislments tait aussi complexe que celui dun Bing.

    lexception du faible bruit des machines alignes contre laparoi, aucun bruit natteignait limmense pice. Les murs et leplafond taient entirement recouverts dun revtementantibruit absorbant toutes les radiations sonores, intrieures etextrieures. Des milliers de troncs de cne en plastique noir, unpeu comme des emballages dufs. Les mots semblaient mourirsur les lvres, ce qui provoquait trs vite une sensation demalaise.

    Malko, pris dune indfinissable angoisse devant cesmonstres, sclaircit la voix, rien que pour entendre un bruit.Comme sil avait devin sa pense, David Wise, directeur de ladivision des plans la CIA1 remarqua :

    Lordinateur a horreur du bruit. Nous avons dcouvert

    que ses dlicats circuits lectroniques se dtraquent facilementlorsquils sont soumis un environnement sonore de plus dequinze dcibels. IBM nous a tudi ce revtement absolumentsilencieux, cest assez impressionnant, nest-ce pas ? Nousdevons changer les oprateurs toutes les quatre heures,autrement, ils prsentent des troubles psychologiques graves.

    1 Service Action de la Centrale de renseignementsamricaine.

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    Malko regarda le dos de lhomme assis devant un clavierressemblant un tltype :

    Pourquoi diable mavez-vous emmen ici ? Cest sinistre.Ils se trouvaient au troisime sous-sol du btiment A de la

    Central Intelligence Agency, Langley, dans la banlieue deWashington. la porte de la salle des ordinateurs veillaientdeux gardes ayant lordre de refouler toute personne nonporteuse du badge vert, rserv aux chefs de service.

    Pour vous prsenter Max , le cerveau lectronique leplus moderne du monde, rpliqua David Wise, avec un rien demlancolie dans la voix. Dans vingt ans il nous rendra tousinutiles. Vous pourrez enfin vous retirer dans votre fichu

    chteau, o vous vous ennuierez mourirMalko sourit. Son chteau Liezen, en Autriche, tait son

    point faible. Depuis des annes, il y engloutissait des sommesimportantes, gagnes la CIA, pour le restaurer dignement.Ctait la seule raison qui avait fait de lui, authentique princeautrichien, aux innombrables titres, une barbouze de luxe horscadre la CIA. Son charme, sa mmoire tonnante et sa chancesupplaient son manque de discipline. Et son titre dAltesse

    Srnissime lui ouvrait plus de portes que les gros pistolets deses collgues. Un prince, mme barbouze, reste toujours unprince.

    Vous faites en tout cas tout ce que vous pouvez pour que jene my retire que mort, fit-il mi-figue, mi-raisin. Mais je ne voispas en quoi lexistence de ce Max me concerne

    Vous allez comprendre, fit David Wise, mystrieux.Regardez.

    Il prit Malko par le bras et le fit sapprocher des gigantesquesmachines.Il nexiste que deux ordinateurs gants de la srie 9000 au

    monde, expliqua-t-il. Lautre est au Pentagone. La premiremachine absorbe tous les renseignements cods pendant desmois ou des annes, orients vers le but final que lon cherche atteindre.

    David Wise fit quelques pas vers le second lment.

    Voici la mmoire de Max, expliqua-t-il. Toutes lesinformations sont mises sur cartes perfores et vont alimenter

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    la mmoire, qui son tour nourrit la troisime machine, la plusextraordinaire, le cerveau qui, grce aux lments des deuxautres machines, arrive donner des conseils terriblementefficaces, car ils sont bass sur des donnes totalement

    objectivesMalko coutait, fascin. David Wise soupira : Avec Max, nous aurions vit le dsastre de la Baie des

    Cochons. Il ne nous aurait jamais donn le feu vertMalgr son impassibilit, loprateur de Max jeta un coup

    dil scandalis David Wise. La Baie des Cochons, ctait lecadavre dans le placard, la honte de la CIA, le stigmate dont onne parlait jamais, linvasion rate de Cuba, dclenche sur des

    renseignements partiaux non recoups Nous avons fait du chemin depuis, continua David Wise.

    Max nest en service que depuis six mois. Et il a fallu apprendre nous en servir IBM adore vendre de gros ordinateurs, mais,quand il faut les faire marcher correctement, leurs ingnieursattrapent tous des dpressions nerveuses. Enfin, maintenant,nous y sommes

    Malko suivait toutes ces explications, assez perplexe.

    Vous mavez amen ici pour me donner un complexedinfriorit ? demanda-t-il.Le patron de la Division des Plans daigna sourire. Nous. Vous tes directement concern. Max a dsign

    votre prochaine mission. Regardez.Il se pencha vers loprateur de la troisime machine et lui

    dit quelques mots loreille. Celui-ci se leva, alla prendre unpaquet de fiches orange dans un casier et les fit pntrer dans

    une fente de la machine. Puis il appuya sur plusieurs touches etattendit.Le bourdonnement de lordinateur augmenta. Il ne se passa

    rien pendant quelques secondes, puis le clavier du tlex se miten marche, tapant trs rapidement. Malko et David Wise sepenchrent sur le papier qui se droulait devant eux. Trois motsvenaient de sinscrire.

    Action. Danger immdiat.

    Le ronronnement cessa. David Wise arracha la bande et lamit dans sa poche. Malko frona les sourcils :

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    Quest-ce que cela veut dire ? Que vous partez pour Hong-Kong, fit paisiblement le

    patron de la Division des Plans. Je ne suis pour rien dans cettedcision, jaurais dailleurs prfr vous laisser vous reposer un

    peu, aprs vos avatars2Il referma soigneusement la lourde porte dfendant Max.

    Malko plissa ses yeux dors qui ressemblaient une coule dorliquide. Ils ne viraient au vert quen cas de contrarit grave.

    Esprons que Max ne boit pas, il aurait pu aussi bienmexpdier au Kamtchatka. Mais, puisquil est si intelligent,pourquoi ne vous donne-t-il pas lordre dutiliser un de voshommes de lantenne locale ? Vous tenez gaspiller les dollars

    des contribuables ? a vous mnera devant un grand jury,comme Jimmy Hoffa.

    Lascenseur ouvrit silencieusement ses portes et David Wiseseffaa pour laisser passer Malko, avant de lui rpondre :

    Il faut un homme neuf. Puisque nous sortons de laroutine, autant le faire compltement. En plus, tous nos agentsl-bas sont tellement tiquets quils pourraient se promener enuniforme avec un badge agent secret sans rien apprendre

    personne. Les Anglais sont aussi trs susceptibles. Ils tolrentnos analystes et nos sinologues, mais ont une sainte horreur dupersonnel de notre Division

    Les vingt et un tages avaient t avals en seize secondes.Ici Langley, ctait dj le sicle futur. David Wise ouvrit laporte de son bureau en enfonant la petite cl qui ne le quittaitjamais et qui commandait la serrure combinaison. Malkosassit dans le seul fauteuil, o bien peu de gens avaient le

    privilge de prendre place, et attendit. David Wise bourra sapipe : Ne vous moquez pas de Max. Il va peut-tre nous viter un

    coup dur de premire grandeur. Il y a peu de temps, un informateur mme pas class3 a

    contact notre antenne de Hong-Kong. Ce Chinois prtendait

    2 VoirMagie noire New York.

    3 Les informateurs rguliers des Services de renseignementssont classs selon leur crdibilit.

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    dtenir une information extrmement importante concernant lascurit de la flotte, dans le Pacifique. Le chef de lantennedHong-Kong, Dick Ryan, na pas donn suite, concluant aumanque de crdibilit de la source. Mais, comme nous le faisons

    maintenant, lincident a t mis en fiche code et donn digrer Max.

    Il se tut un instant pour donner plus de poids ses paroles. Eh bien, instantanment Max a ragi. Cette information

    recoupait dautres lments que lordinateur possde et quenous ne relions mme pas, nous, ce tuyau. Voil lavantage deMax : il effectue une synthse immdiate de renseignementsque nous mettrions des semaines coordonner et analyser.

    Nous avons effectu tous les contrles possibles. Max estformel. Linformation de ce Chinois a quatre-vingt-dix pour centde chances dtre vraie et vitale Voil pourquoi vous partezpour Hongkong. Tchez de ne pas trop froisser la susceptibilitde ce bon Dick, qui effectue un travail ingrat.

    Mais pourquoi Hong-Kong ? demanda Malko. David Wisejeta un coup dil au calendrier lectronique pos sur sonbureau.

    Nous sommes le 2 novembre. Le 17, arrivera Hong-Kongle porte-avions Coral-Sea, le plus grand btiment de la 7e flotte. part le Vit-Nam, Hong-Kong est le seul port o il puisserelcher trois mille milles la ronde.

    Je vois, fit Malko, rveusement.La pluie fouettait les vitres bleutes du bureau. On grelottait

    Washington. Au fond, la perspective daller au soleil ne luidplaisait pas trop. Dautant quau fond de lui-mme, il navait

    pas trop confiance en Max Cela risquait fort dtre un voyagepour rien. Voici votre viatique, dit David Wise en lui tendant une

    paisse enveloppe marron. De largent, une lettre de crdit surla Barclays Bank et vos papiers Votre couverture estextrmement simple : vous tes le producteur dlgu de laTransinter Films, Hong-Kong pour un reprage dextrieursTous les dtails sont lintrieur. Le film est rellement

    programm, dailleursMais la Transinter

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    Elle nous appartient. Ah ! propos, pas darme surtout.Les Anglais sont pointilleux comme des vieilles filles sur cepoint. Je nai pas envie que vous vous fassiez refouler endescendant davion

    Malko ouvrit lenveloppe, jeta un coup dil sur le billetdavion et sursauta : il dcollait le soir mme de New York par levol Scandinavian Airlines 912 destination de Copenhague, oil arriverait le lendemain matin neuf heures

    Vous ne perdez pas de temps, remarqua-t-il. David Wisesexcusa dun sourire.

    Cest dans votre intrt. La comptabilit vous avait rservsur la Panam par la route du sud : Francfort, Zurich, Rome,

    Beyrouth, Thran, Karachi, New Delhi, Bangkok. Cestinterminable. Vous seriez arriv au bord de la dpressionnerveuse. Je vous ai pris une premire sur la nouvelle ligne de laScandinavian, le Transasian, via Copenhague et Tachkent. Vouschangez davion une fois Bangkok. Et vous gagnez huit heures,je crois que cest apprciable

    Seulement, le Transasian, comme ils lappellent, nopreque trois jours par semaine, lundi, mercredi et samedi. Il fallait

    que vous partiez ce soir. Je connais vos gots de luxe, mon cherprince Malko. Tachkent, vous pourrez faire votre march :caviar et cette vodka russe que vous aimez tant

    Les yeux dor de Malko ptillrent de mille paillettes. Ilaimait bien David Wise, et savait que lAmricain enviaitsecrtement ses titres et son lgance. Ce dernier, au momentde serrer la main de Malko, fit :

    Une dernire question : o avez-vous fait couper le

    costume que vous avez sur le dos ?Malko faillit clater de rire : Je vous le dirai mon retour, rpondit-il en sloignant

    dans le couloir. Ainsi vous penserez un peu moi. Vous avezraison de vouloir un bon tailleur : un homme qui shabillecomme un gentleman est dj un peu un gentleman.

    Sur cette flche du Parthe, il sengouffra dans lascenseur.En franchissant la porte avant du super DC-8 des

    Scandinavian Airlines, Malko eut limpression dentrer de plain-pied dans un bain de vapeur. Ctait la fin de la saison des pluies

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    Bangkok et laroport de Don-muang tait cras dunechaleur lourde et humide. En dix pas, on tait tremp.

    Malko songea avec nostalgie son confortable fauteuil depremire. Aprs avoir vol plus de douze mille kilomtres, il se

    sentait peine fatigu. Copenhague, il avait eu le temps deprendre une douche et de se raser dans une des pices de reposque la Scandinavian mettait la disposition des passagers. Ilavait horreur de voyager sale et mal ras ; cela lui donnait descomplexes, il se sentait une me dmigrant.

    Ltape Copenhague-Tachkent avait pass comme uneflche. Agrmente dun somptueux repas qui aurait fait honte bien des restaurants trois toiles . Membre de la Chane des

    rtisseurs, la plus vieille association gastronomique, lesScandinavian Airlines faisaient des prodiges en cuisine. Malko,en vieil Europen, y tait particulirement sensible.

    Cette fois, il navait pas ressenti dangoisse en posant le pied Tachkent, o, comme David Wise lavait dit, il avait pu soffrirun kilo de caviar au prix dun kilo de riz. Aprs, cela avait t lasplendeur de lHimalaya. Le grand Super-DC-8 glissaitsilencieusement douze mille mtres, sans une secousse, le long

    de limmense chane enneige. Spectacle ferique. La voisine deMalko, une sculpturale Sudoise, poussait des cris dadmirationen maniant fivreusement sa camra. Cela avait t le dbutdun agrable flirt, qui stait termin au-dessus de Rangoon :elle stait endormie sur lpaule de Malko, imprgnant sa vestedalpaga de parfum. Pas trop de regrets, elle allait Djakarta.

    Clignant des yeux, derrire ses ternelles lunettes noires,sous leffroyable soleil, il vit venir vers lui une gracieuse Tha de

    la Thai International. Le prince Malko Linge ? demanda-t-elle en anglaisgazouillant.

    Il ne sut jamais comment elle lavait reconnu.Cest moi. Nous avons reu le tlex de la Scandinavian. Votre place

    est retenue sur notre Caravelle de Hong-Kong qui part dans uneheure et demie. Donnez-moi vos tickets de bagages, je vais men

    occuper.

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    La dlicieuse hospitalit tha lui remit bien des choses enmmoire. Qutait devenue la belle Thepin4 ? Pour se changerles ides, il suivit des yeux la petite croupe tendue de mauve quiondulait devant lui. Les htesses de la Thai taient toujours

    aussi charmantes et efficaces. Il se retrouva dans une salledattente climatise, miraculeusement labri de ltuve. Sonhtesse lui apporta un namana5 bien glac et des magazines.Trois quarts dheure plus tard, un grondement lui fit lever latte : le Super-DC-8 de la Scandinavian repartait pourSingapour et Djakarta. Avec sa belle Sudoise, dont il ne savaitmme pas le nom.

    Peu de temps aprs, le haut-parleur annona :

    La Thai International annonce le dpart de son vol N748 destination de Hong-Kong, Taipeh et Tokyo

    Malko se leva. Comme par miracle son htesse rapparutet le fit passer en tte, comme passager en transit. Aprs latraverse du ciment brlant, la cabine de la Caravelle lui semblaun havre glac. Deux autres htesses sempressrent autour delui, moules jusquaux chevilles dans de longs sarongs orange,infiniment gracieuses. Malko senfona avec plaisir dans son

    fauteuil. Comme chaque changement de temprature, ilsouffrait de sa blessure reue Bangkok. De violentes nvralgiesintercostales.

    Tandis quil spongeait le visage avec une petite serviettebrlante distribue par lhtesse, la Caravelle de la Thai dcollasans une secousse. Destination Hong-Kong, o ils arriveraientquatre heures plus tard.

    Hong-Kong qui signifie en chinois Havre paisible .

    Pas si paisible que cela en croire Max lordinateur.

    4 VoirLOr de la Rivire Kwa.5 Boisson tha base de citron.

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    CHAPITRE II

    La tte ronde de Cheng Chang cachait un cerveau groscomme une noisette. Le vent devait souffler sous son crne sansrencontrer beaucoup dobstacles. Mais quand il avait une ide, illa suivait jusquau bout. Cheng Chang se pencha au hublot duBing 727. Les lumires de lle de Hong-Kong brillaient gauche de lappareil. En se tordant le cou, le Chinois aperut leruban balis de lumires bleues de la piste datterrissage de Kai-tak avanant dans la mer comme un doigt gant dont la mainaurait t Kow-loon, la presqule de la colonie, o sentassaientdeux millions et demi de personnes.

    Le Bing tait moiti vide. Les China Airlines opraientdepuis trois mois seulement entre Formose et Hong-Kong etnarrivaient pas encore concurrencer les luxueuses Caravelleet limpeccable service de leur concurrent, la Thai International. ct du Chinois, une jeune femme, boudine dans un cheong-sam de soie noire, dormait la bouche ouverte, son vtementremont haut sur ses cuisses. Cheng loucha une seconde, avantdattacher sa ceinture de scurit. Brusquement il plongea lebras sous son sige : un peu plus il oubliait la bote de chocolat.

    Cest tout ce quil rapportait de Formose et il en ressentaitune certaine amertume. En raclant ses derniers dollars pourpayer son billet davion, il avait rv de revenir Hong-Kong les

    poches pleines de billets, aprs avoir t accueilli bras ouvertspar les agents de Taipeh. Il stait fait tout un cinma, le nafCheng Chang.

    Il soupira. Le Bing vira sur laile et se prpara se glisserentre les dangereuses collines de Hong-Kong. Ce qui ne troublapas la rverie morose du Chinois.

    La ralit avait t bien diffrente de ses rves. Il avait treu dans un bureau minable, par un capitaine la tenue

    macule de taches de graisse, qui lavait peine cout et lavaitpri de revenir deux jours plus tard. Cheng Chang, connaissant

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    les usages du Kouo-min-tang, avait discrtement faitcomprendre que, si son information tait paye au juste prix,son interlocuteur en recevrait une part mrite.

    Son discours avait t accueilli par un silence glacial, ce qui

    tait mauvais signe. Pendant deux jours, il avait tourn en ronddans Formose, nayant mme pas assez dargent pour profiterdes bordels aussi nombreux que les arbres de lle. Lorsquilstait retrouv en face de son interlocuteur, il avait tout de suitecompris que cela ne marchait pas. Lofficier lui avait ditschement que les Services de renseignement du gnralissimeTchang Ka-chek navaient que faire des racontars dun ver deterre de son espce.

    Avanie suprme, le capitaine ne lui avait mme pas offert deth ! Il ne stait radouci que pour tendre Cheng Chang, cassen deux, une norme bote de chocolats, lui demandant commeun service de la remettre une de ses parentes Hong-Kong.Ladresse tait sur la bote.

    Cheng Chang navait pas os contrarier un aussi puissantpersonnage et avait pris la bote.

    Sa ceinture de scurit solidement attache, le Chinois

    caressa amoureusement du regard la grande bote pose sur sesgenoux. Vu son poids, elle devait contenir au moins troisranges de chocolats. Leau lui en venait la bouche. Il y alongtemps quil navait pas eu les moyens de soffrir une telledouceur. Les affaires allaient mal. Cheng Chang possdait unminuscule bureau dans une ruelle de Kowloon et servaitdhomme tout faire aux producteurs de cinma venant tourner Hong-Kong. Avec sa vieille serviette de cuir marron, bourre

    de paperasses, ses yeux globuleux et son sourire ineffaable, ilgagnait gentiment sa vie, jusquau moment o les communistesavaient commenc jeter des bombes un peu partout.

    Les producteurs staient envols presque aussi vite que lesmilliardaires chinois de Repuise Bay. Cheng avait d liquider lesdeux jeunes Chinois qui laidaient, gardant une secrtairesquelettique. Heureusement le tlphone tait gratuit. Il en taitrduit conduire les rares touristes du Hilton ou du Mandarin

    dans les fumeries dopium prtendument clandestines de Wan-

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    chai. Ce qui laissait tout juste de quoi acheter un bol de riz parjour.

    Cheng Chang soupira en regardant les chocolats.Il ne demandait pas beaucoup la vie. Durant les derniers

    jours, il avait chafaud des plans pour son avenir. Racheter lafabrique de perruques dun de ses amis. Il fallait cinquante milledollars Hong-Kong. Cela lui rapporterait de quoi vivretranquillement. Sans compter les trente jeunes ouvrires surlesquelles il pourrait exercer un juteux droit de cuissage.

    Tout cela stait envol en fume sous le regard mprisant delofficier de Taipeh. Quant aux Amricains, ils ne lavaient pasplus pris au srieux. Ce ntait pas si facile que cela de se lancer

    dans lespionnage.Brusquement, Cheng eut lestomac tordu dangoisse.Et si on le dnonait aux communistes ! Il revit les yeux

    noirs et mprisants de lofficier. lui, il avait t oblig dedonner ses nom et adresse.

    Il tenta de calmer son angoisse en raisonnant. Les gens deTaipeh hassaient les Rouges.

    De penser lofficier le ramena aux chocolats. Et

    brusquement il fut pris dune sainte colre. Il naurait pas toutperdu !Dlibrment sa main parchemine glissa sur le rhodod. Il

    les avait cachs sous le sige pour viter la tentation. Il en avaiteu un peu honte. Maintenant, il se sentait plus de courage.

    Son ongle noir passa sous le rhodod, coupant le papier. Iltait temps. Lhtesse nasilla avec un accent de Tching-king couper au couteau :

    Nous allons atterrir Hong-Kong dans quelques instants.Veuillez ne plus fumer.Cheng Chang jeta un coup dil furtif sa voisine, toujours

    endormie, et souleva dlicatement le couvercle de lnormebote. Il navait pas la moindre intention de lui en offrir. Lecouvercle se dtacha avec un petit bruit de succion et Cheng lerangea soigneusement dans le dossier de son fauteuil. Puis ilbaissa les yeux sur le contenu de la bote.

    Lhtesse, en train de passer des bonbons dans le couloircentral, entendit un cri touff. Son regard tomba sur Cheng

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    Chang et elle touffa une exclamation. Naturellement saillants,les yeux du Chinois semblaient prts jaillir de leurs orbites.Elle crut un malaise et se pencha aussitt vers lui :

    Vous tes malade, sir ?

    Oubliant sa ceinture de scurit, Cheng voulut se lever, maisretomba sur son sige, tenant la grande bote de chocolat deuxmains. Comme un prtre portant le Saint-Sacrement, il la tendit lhtesse, qui la prit sans rflchir.

    Quand elle en vit le contenu son tour, elle poussa un critrangl. Lintrieur de la bote tait un entrelacs de filsmulticolores qui reliaient quatre cylindres rouges de la tailledun saucisson moyen. Une bote noire, grosse comme un

    paquet de cigarettes, tait au centre du systme.La jeune Chinoise sentit ses jambes se drober sous elle. Ses

    genoux sentrechoqurent et elle dut sappuyer au dossier dunfauteuil pour ne pas tomber. Alternativement, elle regardait lepassager qui lui avait tendu la bote et le contenu de cettedernire, ttanise. Le Bing ntait plus qu une trentaine demtres daltitude au-dessus de la mer. Volets baisss, il nedpassait pas deux cent vingt lheure. Pour une fois, le temps

    tait clair sur Hong-Kong. Les silhouettes de trois grossesjonques filrent travers les hublots.Brusquement lhtesse hurla. Un son rauque et

    ininterrompu. Courant maladroitement sur ses hauts talons,elle fona vers lavant, tenant toujours la bote, comme si ellelavait coll ses doigts.

    Paralys par lhorreur, Cheng Chang suivait des yeuxlhtesse. Ses lvres marmonnaient une muette invocation au

    Ciel. Sa voisine ne stait toujours pas rveille.La flamme rouge de lexplosion frappa sa rtine, avant que ladflagration lui dchirt les tympans. Lhtesse parut sesoulever de terre et sa tte vola travers la cabine comme unballon de football. Les hublots de lavant se volatilisrent et unepaisse fume noire envahit instantanment la cabine. ChengChang eut soudain limpression de se trouver dans un ascenseurqui aurait pris du LSD. Le Bing 727, train sorti, tombait

    comme une pierre, vers leau noire de la baie de Hong-Kong.

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    Assomms par le souffle, le pilote et le second pilote gisaient,crass sur les commandes.

    Le souffle de lexplosion atteignit Cheng Chang, qui futplaqu son sige par une main gante. Sa voisine se rveilla

    avec un hurlement et griffa le bras du Chinois dans sa panique.Frntiquement, Cheng Chang tentait de tirer la poigne delissue de secours.

    Dans une gerbe dcume, le Bing 727 frappa la mer etrebondit, se brisant en deux la hauteur des ailes et pulvrisantun sampan qui se trouvait malencontreusement l, relever descasiers de langoustes.

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    CHAPITRE III

    Ctait une innocente bote, entoure de papier marron, ose dtachaient des caractres chinois peints en rouge vif, de lataille dune bote chaussures, pose sur une des banquettes,dans le hall du Hilton. Malko venait de passer devant, sansmme la regarder. Soudain le cri perant dun boy chinois le fitse retourner. Le bras tendu vers la bote, le jeune garontremblait de tous ses membres en hurlant comme une sirne.

    En une seconde, ce fut la panique. Les six employs de larception plongrent, avec un ensemble touchant, derrire leurcomptoir, laissant trois Amricaines en plan. Les petiteshtesses en mini-cheong-sam6 disparurent comme une vole demoineaux. Les employs et les clients les plus courageuxplongrent plat ventre, le nez dans la moquette.

    Le hall stait vid comme par un coup de baguette magique.Un seul navait pu bouger : un assistant manager assis un petitbureau, deux mtres de lobjet. Pour sloigner, il aurait dpasser devant. Sans quitter la bote en carton des yeux il soulevason tlphone, avec des prcautions infinies, et composa le 999.Lorsque quelquun rpondit, il articula dune voix blanche :

    Venez vite Il y a unebombe dans le hall du Hilton.Il raccrocha et demeura rigoureusement immobile, ne

    quittant pas lengin des yeux. Des rigoles de sueur glissaient le

    long de ses bras. Son cerveau vide se refusait penser.On aurait entendu voler une mouche. Les ascenseurs

    staient arrts de fonctionner. Un employ de lhtel bloquaitlescalator menant la rue, avec des gestes hystriques. Lesrares clients du bar semblaient soudain visss leur chaise.Malko, prudemment abrit derrire un pilier, regardait labombe, narrivant pas croire que ctait vrai.

    6 Robe chinoise.

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    Le Hilton tait devenu le chteau de la Belle au boisdormant. Comme si le bruit avait pu faire exploser la bombe. Lesilence se prolongea plusieurs interminables minutes. Peu peu, tous ceux qui staient jets terre rampaient hors de

    porte de lengin.Puis, dehors, le bruit dune sirne se rapprocha et vint

    mourir devant lhtel. Il y eut des cris et des appels, et plusieurspoliciers casqus surgirent de lescalator. Ils jetrent un ilinquiet la bombe puis redescendirent. Se rendant enfincompte que ctait srieux, une des Amricaines poussa un criperant et svanouit.

    Poussant devant eux un rempart fait de sacs de sable monts

    sur une armature de bambous, deux policiers entreprirent detraverser le hall quatre pattes. Dans un silence de mort, ilsparvinrent jusqu un mtre de la bombe. Un tlphone se mit sonner sur le desk de la rception, mais personne ne rpondit.Le Chinois qui avait appel la police essayait dsesprmentdentrer dans le mur derrire lui. Son complet tait aussi trempque sil tait rest une heure sous une pluie dorage.

    labri du bouclier, les deux policiers progressaient pouce

    par pouce. Eux aussi, transpiraient. Si la bombe tait de fortepuissance, ils seraient pulvriss. Un Blanc les rejoignit, unvieux sergent anglais en short. Il cria un ordre, savanatranquillement jusqu trois pieds de la bombe, puis se penchadessus.

    On aurait entendu voler une toute petite mouche.Instinctivement, Malko se rencogna derrire son pilier. Ctaittrop bte de se faire dchiqueter gratuitement.

    Le sergent fit un geste aux Chinois. Avec une perche debambou lun deux commena sonder dlicatement le paquetsuspect, essayant de le retourner. Ce dernier glissa sur labanquette. Effray, le Chinois qui maniait la perche fit un fauxmouvement : pousse trop violemment, la bote tomba parterre !

    On entendit un cri trangl ! Le manager assis derrire lebureau navait plus forme humaine

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    Le paquet avait fait un bruit mou et lger. Avec un jurontouff, le sergent se leva, fit deux pas en avant et ramassa labote.

    Ctait trop pour le manager : il glissa, vanoui, sur sa chaise.

    Le sergent soupesa la bote une seconde et clata de rire. Il laremit par terre et posa dessus son lourd brodequin. Le cartonscrasa: ctait un emballage vide.

    Cest qui surgit le plus vite pour sapprocher de la faussebombe ! Un employ de la rception sauta mme par-dessus soncomptoir. Le sergent dchirait la bombe de ses grandesmains rouges, le visage impassible. Quatre ou cinq employs delhtel se pressaient autour de lui, obsquieux. Il les interrogea

    rapidement, sans conviction. Bien entendu, personne navaitrien vu, rien remarqu. En chinois, la bombe portait : Mortaux imprialistes fauteurs de guerre.

    Un policier en uniforme grimpa en courant lescalator et ditun mot loreille du sergent : il y avait une bombe pose entreles rails du tramway, dans Hennessy Road, moins dun mile.La circulation tait paralyse. LAnglais prit les dbris de labote en carton et salua. Ctait sa septime bombe depuis quil

    avait pris son service, neuf heures.Prs de Malko, un gros Chinois se releva en soufflant etmurmura en spoussetant :

    Un jour il y en aura une vraie et nous serons tous mortsIl ne croyait pas si bien dire : trois jours plus tt, la police,

    la suite dune dnonciation anonyme, avait dcouvert sur le toitdun des ascenseurs du Hilton deux kilos de TNT. De quoiexpdier lascenseur et ses occupants directement en enfer.

    videmment, il ny avait pas de dtonateur. Oubli volontaire ounon ? La direction de lhtel avait fait tomber une pluie dedollars sur les journaux en langue anglaise pour quon ne parltpas de lincident, mais les quotidiens chinois sen taient donns cur joie. Depuis, le petit personnel chinois du Hiltonprfrait lescalier.

    Car il y avait aussi des vraies bombes. On comptait unecinquantaine dalertes par jour. Ds quon apercevait une valise

    ou un carton abandonn, on se ruait sur le tlphone. Lesquipes de dminage dormaient debout.

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    Hong-Kong ntait plus la cit du plaisir et du commerce. Enquelques heures, Malko, arriv la veille en fin de journe, staitsenti, lui aussi, oppress par cette ambiance pesante. LesChinois avaient commenc la reconqute psychologique de

    Hong-Kong. Comme ils venaient de le faire pour Macao, olvque navait plus le droit de dire sa messe sans en demanderlautorisation au responsable du parti. En apparence, ctaittoujours ladministration portugaise qui rgissait la minusculeenclave, mais la plus infime de ses dcisions tait soumise labureaucratie tatillonne des communistes. Aprs une longuecampagne dintimidation et de bombes, le gouverneur de Macaoavait d signer un document en neuf points, abandonnant

    pratiquement le territoire aux communistes.Macao peine digr, les Rouges staient attaqus Hong-

    Kong. Certes, il aurait suffi au gnral Lien-pao, commandanten chef de larme chinoise, de lever le petit doigt pour ne fairequune bouche de la poigne dAnglais de Hong-Kong, sansprovoquer plus quune protestation outre et platonique delONU. Mais ce ntait pas la solution correcte . Il fallait queles occupants blancs perdent la face, quils sinclinent devant la

    sagesse infinie du prsident Mao. Les Rouges ne voulaient pasoccuper Hong-Kong, seulement le contrler. Un mois plus tt,ils avaient soumis au gouverneur de la colonie un document enonze points sur le modle de celui de Macao, qui avait tdignement repouss par le reprsentant de Sa Trs GracieuseMajest.

    La premire bombe avait explos le lendemainDepuis, Hong-Kong tait paralys. Les incidents grotesques

    alternaient avec les provocations dramatiques.Wan-chai, le quartier chaud de Hong-Kong, lest deVictoria City, le cur de lle, le fief de Suzie Wong, tait dsert.Les commerants et les tenanciers de botes de nuit recevaientde mystrieuses consignes et fermaient brusquement, pour uneheure ou pour un jour. Les portiers des innombrables botes denuit stiolaient devant des salles vides dentraneuses. Celles-cirestaient chez elles, apprendre par cur le petit livre rouge de

    Mao. Il fallait prparer lavenir. Seuls quelques rares bordelstrs bon march avaient une maigre clientle locale.

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    Des meutes clataient tout le temps, spontanment .Le jour de larrive de Malko, une centaine de marins des

    jonques communistes dchargeant North Point, peine unmille du Hilton, avaient pris dassaut le commissariat du port,

    arms de haches et de couteaux. Aprs avoir molest les deuxpoliciers anglais du poste et jet la mer les Chinois, ils avaientrelch les deux Blancs, vtus de leur seule dignit, le corps et levisage couverts dinscriptions la peinture rouge, accusant demurs contre nature le gouverneur et son pouse. Lorsque troisvoitures bourres de policiers taient enfin arrives, lesmanifestants staient vanouis dans leurs jonques, et on avaitd se contenter darrter un gamin de treize ans qui avait crach

    en direction des camions grillags hrisss darmes. La policeserait oblige de le relcher pour viter de nouvelles meutes

    Comme lavait proclam Fei-ming, rdacteur en chef duDrapeau rouge, le quotidien communiste de Hong-Kong : LesAnglais attraperaient une dpression nerveuse avant les forcesdmocratiques.

    Les Anglais, plus durs que les Portugais, tenaient bon,rendaient coup pour coup. Mais la lutte tait ingale : trente

    mille contre trois millions et demi. Peu peu, les communistesfaisaient monter la pression par les bombes, les enlvements,les meutes, les appels au meurtre du Drapeau rouge,lintouchable quotidien communiste.

    Ce qui se passe actuellement nest que le prlude,prvoyaient les experts. Un jour, les communistes creront unincident plus srieux qui mettra dfinitivement les Anglais enposition dinfriorit, les forcera accepter les onze points

    humiliants de lultimatum communiste. Alors Hong-Kong retrouvera son calme, toujours anglaisen apparence, mais ladministration britannique ne sera plusquune coquille vide

    En attendant, lagitation se calmait dans le hall du Hilton. Leseul effet durable de la bombe avait t daugmenterconsidrablement la consommation de whisky au bar. Ceux quiavaient assist lincident enjolivaient qui mieux mieux Une

    bombe au Hilton, vraiment ces communistes ne respectaientplus rien. Les propritaires des boutiques de la galerie

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    marchande affichaient des mines consternes. Mme les piresrvolutions chinoises ont toujours respect le commerce.

    Malko prit sa cl et monta dans sa chambre. Sa couverture lui avait permis de louer une somptueuse suite

    au vingt-deuxime tage de lhtel. La vue tait ferique. LeHilton, comme le Mandarin, lhtel le plus luxueux de Hong-Kong, dominait tout Victoria Harbour, le chenal sparant lle deHong-Kong de la pninsule de Kowloon, perptuellementsillonn par une multitude dembarcations diverses.

    Le hurlement dune sirne le fit se prcipiter la fentre.Une voiture de police grillage dvalait Connaugh Road endirection de louest. Encore une bombe. Lui qui avait imagin

    son sjour comme des vacances au soleil !Un fin crachin, reliquat du typhon Emma, fouettait les vitres

    du Hilton. travers la bruine, on apercevait peine lasilhouette massive aurole de barbels de la Bank of China,juste de lautre ct de Queens Road, et les innombrablesbuildings gris de Kowloon formaient une masse confuse etpresque irrelle, par-del Victoria Harbour.

    En dpit du mauvais temps, le trafic maritime tait toujours

    aussi intense. Les sampans, les cargos, les wallas-wallas, taxisnautiques, les jonques pansues avec leurs voiles en lambeaux oude poussifs diesels sentrecroisaient dans Victoria Harbor, en unballet ferique pour le spectateur. Seuls les communistesutilisaient encore les voiles traditionnelles : le mazout taitintrouvable en Chine rouge, quinze milles vol doiseau.

    Malko frona les sourcils : il tait oblig de sortir pourprendre contact avec le patron de lantenne CIA locale, Dick

    Ryan. Le rendez-vous avait t fix par le tlex cod reliantWashington au consulat. Ryan devait se trouver sur le Star-ferry reliant Hong-Kong Kowloon. LAmricain ferait lanavette entre lle et la pninsule entre quatre et six heures. Pasbesoin de signe de reconnaissance. Les yeux dor de Malkosuffisaient largement.

    Au moment o Malko enfilait un trench-coat, on frappa uncoup discret la porte. Il alla ouvrir : un jeune Chinois sinclina

    profondment et lui tendit un petit paquet : les cartes de visitequil avait commandes la veille, en arrivant. Malko donna un

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    dollar Hong-Kong de pourboire, ce qui ne reprsentait gureque quinze cents amricains et ouvrit le paquet.

    Les cartes taient double face, un ct en anglais, lautre enchinois. Indispensable Hong-Kong. Lartisan avait

    consciencieusement calligraphi le titre de Malko. Son Altesse Srnissime le Prince Malko Linge. Il ny avait mme pas de fautes dorthographe. Le cur un

    peu rchauff, Malko sortit de sa chambre. Il avait hte decommencer travailler srieusement. La liftire, moule dansun cheong-sam dor lui donna un petit coup au cur. Elleressemblait Thepin, la jeune Thalandaise quil avait connue Bangkok en essayant de retrouver Jim Stanford7.

    Lascenseur stoppa avec une petite secousse. La Chinoisecoula Malko un regard clin avant douvrir les portes.Dhabitude, les Blancs, ds quils taient seuls avec elle, seconduisaient peu prs comme les singes du zoo

    * * *

    Dick Ryan tait presque chauve, costaud, avec une amorce

    de double menton, une bouche petite, des yeux marronperptuellement en mouvement et un air nergique. Assis surune des banquettes de bois, lavant du ferry, il regardait dunair absent le barrage anti typhon de Yaumati abritant une massecompacte de jonques et de sampans.

    Foutu temps, remarqua-t-il.Malko regarda ses mains : elles taient extrmement

    soignes. Rare chez les barbouzes. Le gros ferry ralentit. Ils

    approchaient de Kowloon. Il y avait peu de Blancs bord, maispersonne ne semblait prter attention eux. Ils auraient pu tredinnocents touristes. Ils se mlrent au flot des Chinois quidbarquaient et reprirent la queue pour monter dans lautreferry qui repartait sur Hong-Kong.

    Dick Ryan parlait presque sans bouger les lvres. Il avaitfacilement trouv Malko. Les deux hommes ne staient mmepas serr la main.

    7 VoirLOr de la Rivire Kwai.

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    Maintenant, accouds au bastingage, ils bavardaientrapidement.

    LAmricain se rapprocha soudain de Malko et celui-ci sentitquil lui glissait quelque chose dans la poche de son

    impermable.La photo du gars. Sappelle Cheng Chang, fit Ryan. Cest

    assez bon pour le reconnatre. Ladresse est au dos. Jai appelce matin son bureau. Il rentre ce soir de Formose par le voldes China Airlines. Vous pourrez le piger Kai-tak ou chez lui.Il a d aller vouloir vendre sa salade aux Chinetoques du grand-pre Tchang Ka-chek.

    Le gros ferry vert stait branl avec une petite secousse.

    Sans arrt, des dizaines de ferries identiques relient Hong-Kong Kowloon, jour et nuit.

    Vous pensez quil est srieux ? demanda prudemmentMalko.

    Ryan tordit sa petite bouche en un ricanement silencieux. Des gars comme lui, on en voit vingt par mois. Quand je

    suis arriv ici, je mamusais interroger tous les rfugisarrivant de Chine communiste. Ils racontaient nimporte quoi

    pour quelques dollars. Dailleurs ici, tout le monde raconte nimporte quoi : entreles barbouzes cocos, les types de Taipeh, les Japonais Depuisun mois, la seule information absolument sre que jai pucommuniquer la bote, cest que la saison des pluies tait enretard. Alors, je vous souhaite bien du plaisir

    Et les Anglais ?Focked bastards8 sont dj cocos. Pire que les

    Chinetoques. Des carpettes.Le spectre de la reine Victoria se glissa entre les deuxhommes. Malko savait que, pour certains membres de la CIA, etnon des moindres, lIntelligence Service tait totalementnoyaute par les communistes. Les trs mauvaises languesinsinuaient mme que la reine Elisabeth margeait sur lesfeuilles de paie du KGB Le travail de la CIA Hong-Kongntait pas ais. Le consulat amricain, un btiment en L,

    8 Enc de merde.

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    dressait ses quinze tages le long de Garden Road, deux pas duHilton, sur les premires hauteurs. Le toit tait hrissdantennes comme une HLM de banlieue. Ctait le plus grandcentre dcoute du Sud-Est asiatique. Vingt-quatre heures sur

    vingt-quatre, des sinologues coutaient tout ce que dversaientles radios communistes, dans les trois dialectes principaux :mandarin, cantonais et yunnan. Le tout tait digr par troiscomputers qui occupaient les cinquime et sixime tages.Chaque matin, la CIA envoyait une synthse confidentielle Washington, tendant mme sa bont jusqu en faire profiter lepatron des Services de renseignement britanniques qui jetait unil distrait sur ces informations obtenues prix dor avant de

    les jeter au panier.Abrutis de propagande communiste, les sinologues allaient

    sagement de la cantine leur studio dcoute, sans faire de mal personne.

    Aussi les Anglais les tolraient-ils, tout en faisant une chasseimpitoyable tout ce qui pouvait ressembler un agent noir .

    Ne me tlphonez quen cas durgence, avertit Dick Ryan.

    Jai un bureau plus discret que le consulat. Electronics ofCalifornia. Dans San-po-Kong derrire Kai-tak. Cest danslannuaire. Nous contrlons la bote. Moi, je ne vous connaispas. Sils vous virent, a mvitera une sance de pleurniche dece fumier de Whitcomb.

    Le ferry arrivait en face du Mandarin. Dans quelquesminutes, ils seraient Hong-Kong.

    Qui est Whitcomb ? demanda Malko. Lnumration de

    Ryan tait irrptable. Il conclut :Cest aussi le patron de la Scurit des British. Jespreque vous naurez pas le rencontrer.

    Et le Coral-Sea ? demanda timidement Malko. Aucun risque, fit premptoirement Dick Ryan. Ils ne vont

    pas lattaquer avec des lance-pierres. Tout ce quils peuventtenter, cest de poignarder quelques gars, terre. On y veillera.Allez, salut, maintenant.

    Il se leva le premier. Quand il fut un mtre de Malko, il cria haute voix, ironiquement :

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    Si votre gars vous donne ladresse dun bon bordel Taipeh, appelez-moi, jy vais la semaine prochaine

    Sa silhouette massive se perdit dans la foule. Malkodescendit sans se presser et prit la direction du Hilton pied.

    Ds quil fut seul, il regarda la photo. Une bonne bouille deChinois.

    Il lui suffisait de remonter Wardley Street jusqu Des VuxRoad. Ainsi il sarrterait chez son tailleur. Il avait bienlimpression que Max, lordinateur, ntait pas tout fait aupoint. Dick tait un type solide connaissant son mtier.

    Dans deux heures il irait chercher lhonorable Cheng Chang Kai-tak. La photo de Dick tait trs bonne. Son sjour Hong-

    Kong risquait de ne pas se prolonger beaucoup

    * * *

    Lessayeur du tailleur Ma-yo-wung ne parlait pas plus de dixmots danglais et voulait tout prix couper Malko descostumes litalienne. Pour lui ctait le comble de llgance.Depuis une demi-heure, ctait un dialogue de sourd. Impavide,

    le Chinois rptait : Very good, sir, very good, en montrant une veste cintrecomme une gupire.

    Malko allait abandonner, quand il croisa le regard malicieuxdune petite fille, une Chinoise aux longs cheveux retenus par unbandeau, vtue dun chemisier blanc et dune jupe plisse bleumarine, un gros paquet de cahiers sur les bras. Elle changeaitdes remarques voix basse avec une fillette de son ge,

    ponctues de fous rires touffs.Visiblement, les dmls de Malko les amusaient beaucoup. Pouvez-vous me venir en aide, mademoiselle, si vous

    parlez anglais ? demanda Malko avec son sourire le pluscharmeur.

    La Chinoise se tut, dabord confuse. Mais elle parlait anglaisassez bien. Trs vite lessayage prit une autre tournure. Avec depetites phrases courtes, incomprhensibles pour Malko, la jeune

    Chinoise fit abandonner la coupe italienne au tailleur.

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    Lorsque tout fut enfin termin, Malko remerciachaleureusement. Son interprte clignait des yeux, trsintimide.

    Comment vous appelez-vous ? demanda-t-il.

    Po-yick.Elle pela. Elle ponctuait chacune de ses phrases de fous

    rires nerveux, ne cessant de dvisager Malko du coin de lil,fascine par ses cheveux blonds et ses yeux dors.

    Eh bien ! Po-yick, proposa Malko, je vous offre un ice-cream la caftria du Hilton, pour vous remercier de mavoir sibien aid.

    La jeune fille refusa avec horreur, comme si Malko lui avait

    propos une orgie sexuelle dix-sept. Quand il leut poussedans ses derniers retranchements, elle avoua enfin quelle seraittrs heureuse quil jett un coup dil sur sa version anglaiseEt puisquelle refusait la caftria, ils transigrent pour le halldu Hilton, lieu moins expos aux perversions. Comme parmiracle, lamie avait disparu. Po-yick entra dans le grand htel,les yeux baisss, lair affreusement gn. Malko en riait toutseul. Il remarqua une petite toile rouge pingle sur le

    chemisier blanc. Vous tes communiste ? demanda-t-il, amus. Bien sr !Ils staient installs sur une banquette de la Jade Room loin

    des regards indiscrets. Ds que Malko eut prononc le motcommuniste, ce fut un dluge de questions poses dune voixaigu :

    Est-ce que dans votre pays on aime le prsident Mao ?

    Est-ce que vous avez lu ses uvres ? Est-ce quon trouve ses photos ?Malko dut avouer sa grande honte quil navait pas lu le

    petit livre rouge.Mais vous ntes pas un capitaliste ? interroge Po-yick

    avec une pointe dhorreur dans la voix.Il jura quil ntait quun pauvre salari exploit par un

    patron inhumain. Ce qui tait presque vrai et rassura la jeune

    Chinoise.

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    Votre pays, cest un pays ami ? demanda-t-elle,souponneuse.

    Sur la rponse affirmative de Malko lAutriche nayantjamais manifest dintentions particulirement agressives

    lgard de la Chine elle sortit un stylo de son sac et dessinarapidement plusieurs caractres sur une feuille blanche.

    Cest un pome de bienvenue, expliqua-t-elle. Pour lesamis trangers.

    Malko remercia, touch, et ils se lancrent dans la versionanglaise. Les longs cheveux noirs de Po-yick frlaient le visagede Malko tandis quil se penchait sur le texte insipide, luichatouillant agrablement lpiderme. Po-yick tait grande pour

    une Chinoise, avec de longues jambes et une poitrineinfinitsimale.

    Une vraie petite Lolita.Le devoir termin, elle se leva un peu brusquement, comme

    gne.Il faut que je men aille.Je men vais aussi, dit Malko. Partons ensemble.Il avait juste le temps daller cueillir Cheng Chang Kai-tak.

    En rangeant ses cahiers, Po-yick demanda timidement : Pourquoi tes-vous venu Hong-Kong ?Quand il expliqua quil venait reprer les lieux de tournage

    dun film, les yeux de la Chinoise brillrent dexcitation :Vous memmnerez quand vous tournerez vraiment ? Bien sr, promit Malko.Ce ne serait pas pour demainOubliant son envie de partir, elle lassaillit de questions sur

    Hollywood, sur les acteurs. Elle connaissait le box-office aussibien que les penses de Mao. Avec une prdilection pour SteveMacQueen.

    Jai cach une photo de lui dans mes cahiers, expliqua-t-elle, ma mre serait furieuse si elle savait que jadmire un acteurimprialiste. Nous sommes de bons communistes dans lafamille. Jadmire beaucoup le prsident Mao, ajouta-t-ellevivement avec une moue grave.

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    Malko sourit : cause de lui cette bonne communiste hantaitle Hilton, lieu de perdition de la socit capitaliste ! Il regarda samontre discrtement, et dit :

    Je nai pas le temps de bavarder maintenant, je vais Kai-

    tak chercher un ami.Po-yick trottinait prs de lui. Vous voulez bien me dposer prs de chez moi,

    Kowloon ? demanda-t-elle. Je suis trs en retard.Gentiment, il lui prit le bras dans lescalator juste au

    moment o montait un Amricain en civil, le crne ras. Il eutun haut-le-corps horrifi devant le spectacle de cette nymphettependue au bras dun homme de vingt-cinq ans son an. Et avec

    des socquettes blanches ! Dans certains tats amricains onaurait envoy Malko la chambre gaz pour une pareilleatteinte aux bonnes murs

    Malko avait gar la Volkswagen loue le matin lhtel, prsdes six pousse-pousse verts rangs devant lhtel.

    Ils allaient rarement plus loin que le coin de Queens Road etde Garden Road, servant surtout aux photographies destouristes. Accroupis par terre, les coolies-pousses suivirent

    Malko et Po-yick dun il cynique.Po-yick se glissa prs de Malko et posa ses cahiers par terrepuis croisa sagement ses mains sur ses genoux. Malko atteignitlembarcadre du Star-Ferry en trois minutes. Des gaminspieds nus vendaient le Hong-Kong Standard. Malko embarquala voiture sur le pont infrieur et ouvrit la portire. Le vent fraisde la mer lui fouettait agrablement le visage. Po-yick lerejoignit. Dj le ferry sbranlait. La traverse ne durait pas

    plus de dix minutes. Il frla une jonque godille frntiquementpar une Chinoise au visage sans ge en large pantalontraditionnel. Une lampe ptrole se balanait larrire enguise de feu de position.

    Soudain, Malko aperut un paquet pos par terre prs de lavoiture. De la taille dune bote chaussures. Un picotementdsagrable lui parcourut le bout des doigts. Il dsigna lobjet Po-yick :

    Regardez ! Si ctait une bombe ?

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    La Chinoise clata dun rire frais, avant de donner un coupde pied dans la bote :

    Non, il ny a jamais de bombes sur les ferries ! Malkohaussa les sourcils.

    Pourquoi ?Parce quils appartiennent tous des amis du peuple.En bon anglais, des communistes. trange Hongkong. Po-

    yick, en dpit de son jeune ge, semblait parfaitement aucourant des dtours de la politique. Malko abandonna leproblme et se perdit dans la contemplation des centainesdembarcations sillonnant le chenal. Soudain, il sentit le regardde sa compagne pos sur lui et demanda :

    Pourquoi me regardez-vous ainsi ? Po-yick ouvrit labouche puis fit, extasie :

    Je je regardais vos yeux et vos cheveux. Je ne savais pasque cela pouvait exister. Est-ce que vous tes communiste ?

    Ce fut au tour de Malko de rester bouche be. Non, pourquoi ? Elle secoua la tte :Parce que si vous ntes pas communiste, vous tes

    imprialiste. Et si vous tes imprialiste, vous tes mauvais.

    Ctait un raisonnement dune logique implacable. Malko,amus, remarqua : Je suis un imprialiste, comme tu dis, mais je ne suis pas

    mauvaisLa Chinoise neut pas le temps de rpondre. Une explosion

    sourde fit lever toutes les ttes. Cela venait de lest de VictoriaHarbour.

    Les passagers du ferry staient tous prcipits tribord,

    caquetant en chinois avec des voix assourdissantes. Mais onnapercevait rien. Il y avait trop de cargos ancrs entre la routesuivie par le ferry et le lieu o stait produit lexplosion.

    Quest-ce que cest ? demanda Malko. Une grosse bombe, fit Po-yick, extasie.Le son de plusieurs sirnes de pompiers monta dans le

    lointain.Avec des petits coups de sirne hargneux, une vedette grise

    de la police frla le ferry, fonant vers le lieu de laccident, dansun sillage dcume blanche.

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    La corne aigu dune ambulance clata tout prs, en face delHtel Peninsula, dans Kowloon. Le ferry ntait plus qu unecentaine de mtres du quai. Malko rentra dans la voiture. Po-yick stait rembrunie et ne disait plus rien.

    Malko se dgagea de lembouteillage de la place Yaumati etenfila Jordan Road, impatient darriver Kai-tak.

    La mer tait entirement recouverte dune sorte de boue, unmlange de chair humaine, de krosne, de bagages ventrs, depapiers, de dbris de fauteuils et de quelques gilets desauvetage, sur une zone de trois cents mtres de circonfrence,juste en face du Devils Peak surmontant la pointe de Sam Ka-tsuen.

    Une petite vedette de la police repcha le corps duneChinoise presque entirement dvtue, et, cent mtres plus loin,celui dun enfant japonais, qui il manquait un bras. Toujours laide de longues gaffes, ils hissrent bord un morceaudantenne, un bout de carlingue clate, troue comme si elleavait t soumise au tir dune arme automatique.

    cent mtres de l, flottaient deux portefeuilles.Discrtement, les occupants dun petit sampan les cueillirent

    pour les enfouir sous un tas de casiers homard.Il ny a pas de petits bnfices.La baie de Kowloon grouillait dembarcations de toutes

    sortes. Les vedettes de la police tentaient de repousser toutes lesjonques accourues la cure, beaucoup plus que pour aider lessurvivants ventuels. Le jet stait bris en deux. La partiearrire gisait intacte sur un fond de boue de quinze mtresenviron. Des hommes-grenouilles plongeaient inlassablement

    pour tenter de remonter les corps pris dans lpave.Lavant, avec les ailes, stait disloqu au contact brutal deleau, le nez ayant heurt la surface liquide presque sous unangle de quatre-vingt-dix degrs. Cest l que flottaient laplupart des cadavres, horriblement mutils.

    Presque tous les corps retrouvs avaient t sectionns lahauteur des hanches cause des ceintures de scurit. Certainsportaient des brlures superficielles dues lexplosion des

    rservoirs de krosne contenus dans les ailes. Et parmi tous cescadavres, il y avait des vivants !

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    Nous ne savons rien, monsieur, dit-il. Il y a des blesssdans les hpitaux, mais ils ont perdu leurs papiers et nous nepouvons pas les interroger. Si vous ntes pas un parent direct, ilfaut attendre demain matin.

    Il sessuya le front, hors dhaleine. Est-il parmi les morts ou non ? insista Malko. Lautre

    daigna jeter un coup dil sa liste et laissa tomber.Pas jusqu maintenant.La foule, derrire, poussait Malko en avant, en un

    mouvement silencieux et dsespr. Il comprit quil ne sauraitrien de plus prcis pour linstant.

    Comment est-ce arriv ? demanda-t-il encore.

    Le visage du chef dagence de la China Airlines se fermainstantanment : les compagnies ont horreur que leurs avionstombent.

    Nous ne savons rien encore, affirma-t-il. Il semble quelappareil ait t en difficult avant latterrissage. Lenqute estdj commence. Vous serez tenu au courant.

    Malko se dgagea de la foule. La grosse Chinoise pritinstantanment sa place, sans dire un mot. Les avions avaient

    recommenc se poser et une longue file dhindous faisait laqueue devant les guichets de limmigration tenus par de jeunesChinoises impeccables et maussades. Dehors, des dizaines deprojecteurs fouillaient les eaux sombres de la rade, larecherche de problmatiques survivants. Toute laire delaccident avait t passe au peigne fin. Du Bing 727, il nerestait que des dbris informes de carlingue et un bout de drivefrappe de ltoile bleue des Chinois nationalistes, le tout gard

    par un soldat en armes, dans un hangar dsaffect.Quant Cheng Chang, il tait soit la morgue, soit entredeux eaux. Aucune des deux hypothses narrangeait Malko. Lescomplications commenaient. Adieu les vacances paisibles ausoleil. Lespace dune seconde, il rva quil tait au coin du feu,dans son chteau. Un jeune Chinois le bouscula et le phantasmesvanouit. Une petite pense tenace et encore informe taraudaitson cerveau, comme un insecte malfaisant : il y avait peu de

    concidences dans son mtier. Et cela ne lui disait rien qui vailleque ce soitjustementlavion de Cheng Chang qui se soit cras.

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    Ctait pour le moins un hasard regrettable. Pour connatre lesrenseignements dtenus par le Chinois, il ny avait plus qufaire tourner les tables. Mthode peu prise chez les barbouzes,mme de luxe.

    Tout cela parce que Dick Ryan navait pas voulu corner sesfonds secrets

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    CHAPITRE IV

    On lappelait Holy Tong. Tong le Saint. Un saint laque etforniqueur, bien entendu, mais aucun saint bon teint nirait seperdre sur le rocher de Hong-Kong.

    Son surnom ntait pourtant pas totalement usurp. Dansune partie du monde o on confond facilement sang-froid etcruaut, Holy Tong tait dsesprment bon. Il tait incapablede faire volontairement du mal qui que ce soit. Pas mme unhindou ou un Malais. Acupuncteur, il soignait tous ceux quivenaient le voir et ne demandait jamais un dollar aux coolies ouaux sampaniers misrables.

    Aussi tait-il lune des rares personnes de Hong-Kong pouvoir se promener la nuit dans lentrelacs des jonquesdAberdeen, la ville flottante, sans risquer un couteau dans ledos.

    Ses seules apparentes mauvaises actions consistaient changer le corps de trs jeunes vierges rfugies de Chinerouge contre des extraits de naissance de la colonie, fauxvidemment. Comme les filles ntaient pas tout fait vierges,ce ntait un march de dupes, quen apparence.

    premire vue dailleurs, il avait, peu de chose prs, toutesles qualits. Et deux dfauts : une boulimie rotique sans limiteet une incontinence verbale qui lavait mis souvent dans des

    situations dlicates. Petit-fils de mdecin, la cour delimpratrice Tseuhi, Holy tait un rat : il navait jamais pudpasser le stade de lacupuncture. Et encore, ses ennemislaccusaient-ils de piquer un peu au hasard.

    Pendant la guerre, il avait acupunct bras raccourcis tousles amiraux japonais qui passaient sa porte. Ils raffolaient deses petites aiguilles dor, dautant plus quaprs chaque sance,Holy leur remettait une petite fiole dun aphrodisiaque de sa

    composition, capable, ses dires, de rveiller un mort. Commela plupart des bnficiaires de ce philtre taient alls par le fond

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    les communistes nauraient plus envie de jouer au chat et lasouris

    Bref, en ce matin de novembre, Holy Tong tait plutt port loptimisme. Assis dans la position du lotus, devant la grande

    baie vitre de son bureau, il regardait les volutions des oiseaux.Tuan, son domestique, entra silencieusement et dposa un

    plateau avec son th et leSouth China Mail, quotidien qui dataitde lpoque o le drapeau britannique flottait de Changha Singapour. La reine Elisabeth ne contrlait plus quun bout deterritoire grand comme la moiti de Londres, mais le titrenavait pas chang. Merveilleux anglais.

    Le snobisme de Holy consistait ne lire que la presse

    anglaise. Il dplia son journal et jeta un coup dil sur les grostitres. On annonait la catastrophe du Bing des China Airlinesen avanant lhypothse quil sagissait dun sabotage. Il repliavite le quotidien : il avait horreur des nouvelles tristes.

    Avant davaler la premire gorge de son th, il regardaattentivement si aucune particule ne flottait la surface duliquide. Cet t un trs mauvais prsage. Son grand-pre luiavait toujours enseign de tenir compte des avertissements du

    Ciel. Encore fallait-il quil y en ait.Holy Tong but une gorge de th, eut un petit rot depolitesse, bien quil soit seul, et reposa sa tasse. La pice, o il setrouvait, tait absolument silencieuse, ferme par une doubleporte capitonne. Les murs, tendus de velours noir,disparaissaient sous les rayonnages emplis de livres prcieux,enrichis de gravures frntiquement rotiques.

    Tout un panneau tait occup par un divan trs bas, noir lui

    aussi, avec des coussins de soie, de toutes tailles. Cest lquHoly donnait ses consultations. ct, dans une niche de la bibliothque, se trouvait le petit

    coffret de bois de rose contenant les aiguilles dor. Le tlphonetait le seul objet moderne de la pice, ainsi quun interphonedissimul derrire une gravure.

    Holy venait peine de faire glisser sur sa langue la derniregoutte de th que linterphone grsilla :

    Elle est l, annona simplement Tuan.

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    Imbcile, siffla-t-elle, quand elle fut tout prs de lui. toute vole, elle le gifla. Les doigts minces laissrent une

    trane rouge sur la joue du Chinois. Il fit un pas en arrire et ditdune voix geignarde :

    Mais, mais, pourquoi ?Des larmes dans les yeux, les bras ballants, il tait rest

    debout au milieu de la pice. Pourquoi ? rpta ironiquement la Chinoise. Tu me

    demandes pourquoi ! Je devrais te tuer.Holy se laissa tomber sur le divan : Je ne comprends pas, gmit-il. Elle vint se planter en face

    de lui :

    Ah ! tu ne comprends pas ! Eh bien, je vais te raconter unehistoire : il y a trois jours, un imbcile dans ton genre sestprsent Taipeh chez un officier des Services derenseignements. Il avait vendre une information trsimportante sur nous. Il en a lch un petit morceau pour lesappter

    Tu me suis ? demanda-t-elle dune voix dure. Holy opina. Malheureusement pour cet imbcile, continua Mme Yao,

    cet officier avait compris depuis longtemps o tait son intrt.Il nous a avertis immdiatement. Nous avons fait une enqute etdcouvert la vrit.

    Le tratre a t chtiHoly leva sur elle des yeux de chien battu. Quel tratre ? je ne comprends pasLes yeux noirs de Mme Yao flamboyrent. Elle se pencha sur

    le Chinois.

    Si je te dis que le tratre sappelait Cheng Chang, tucomprendras mieux ? Cheng Chang, rpta Holy dune voix o se mlaient la

    surprise et lhorreur. MaisCtait ton ami, nest-ce pas ? Il bredouilla :Oui, bien sr Mais Elle continua, impitoyable : Et tu ne lui as rien dit, toi. Tu ne lui as pas rpt ce que je

    tavais confi pour que tu le gardes comme une tombe ?

    Soudain, Holy Tong parut se tasser sur lui-mme : sespaupires, son menton, son corps trahissaient une sorte

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    Je ne le ferai plus.Une seconde, ils restrent se dvisager sans parler. Holy

    Tong avala sa salive. Mme Yao tait vraiment une femmefascinante. Personne ne savait quil tait son amant. Et cela

    valait mieux. Car Mme Yao tait le numro un de lorganisationclandestine du parti. Autrement dit, la patronne des Servicessecrets de Hong-Kong, en remplacement du journalisteFeiming, jug trop infod au marchal Lin-piao, rival duprsident Mao. Elle tait la seule personne de la colonie pouvoir faire obtenir un visa pour la Chine rouge en deuxheures. Officiellement, elle dirigeait le Cinma Astor dune mainde fer. Un an plus tt, alors quelle se plaignait dun lumbago

    persistant, une amie lui avait recommand Holy et ses aiguillesdor.

    Pleine de mfiance, elle lui avait rendu visite dans sa villa,sans aucune arrire-pense. Depuis plusieurs annes, Mme Yaoavait sacrifi sa vie sexuelle au petit livre rouge, ayant perdu sonmari tu dans une bagarre politique.

    Lorsquil lui avait demand dter sa robe pour la soigner,elle lavait schement averti :

    Ne me traitez pas comme vos femelles. Je suis ici pour quevous me gurissiez, et cest tout.Une heure plus tard, cest elle qui lavait presque viol. son intense satisfaction dailleurs. Mais les mains du

    Chinois dgageaient un magntisme rotique incontestable. Ettoutes les autocritiques consciencieuses de Mme Yao navaientjamais permis de dcouvrir une faille importante : elle tait toutbtement refoule. Mme Yao touffait son insu dans la

    carapace vertueuse du parti. Son apptit sexuel brid troplongtemps avait trouv le partenaire idal en Holy Tong, dont laboulimie rotique trouvait enfin se rassasier. En mme temps,elle faisait payer cette entorse aux rgles du parti en lhumiliant plaisir. Pourtant, elle lui avait souvent confi des secretsimportants, persuade que la terreur quelle lui inspirait auraitraison de son got pour lindiscrtion. De plus, elle brandissaittoujours la menace dune rupture, en sachant quelle aurait du

    mal retrouver un exutoire aussi dou et discret.

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    Bon, fit Mme Yao, je men vais maintenant. Que cela teserve de leon.

    Holy se sentit transform en statue de sel. Aprs le choc quilvenait de subir, sil ne faisait pas lamour avec elle, il allait tout

    doucement vers la folie. Tu ne veux pas que je te soigne ? demanda-t-il

    timidement. Cela sera vite fait.Son sac la main, elle fit semblant dhsiter, puis le reposa et

    sassit sur le divan. Dpche-toi, alors. Je nai pas beaucoup de temps. Holy

    ouvrit sa bote en bois de rose et en sortit deux aiguilles dor. Il faudrait que tu tes ta robe.

    Sa voix tait rauque et son regard glissa sur elle sanssarrter.

    Sans rpondre, elle fit sauter les pressions et dfit lafermeture clair sur le ct. Lorsquelle apparut en dessoussaumon, Holy crut quil allait mourir de dsir. Mme Yao avaitbeau avoir la fesse flasque, une poitrine fripe et un corps tropmaigre dadolescente rachitique, il la prfrait toutes sesmatresses plus jeunes. Peut-tre parce quil savait quelle au

    moins ne se donnait pas lui pour une fausse carte didentit.Lorsquelle fut tendue sur le ventre, bien cale par les petitscoussins de soie noire, dun petit coup sec, il planta une desaiguilles dor au creux des reins de la Chinoise. Elle eut un petitsursaut et ferma les yeux. Holy prit la seconde aiguille etlenfona trs lgrement dans la nuque, puis il se redressa.

    Le rite tait en train de saccomplir. Jamais encore Mme Yaonavait fait lamour avec lui sans sacrifier lacupuncture.

    Trs doucement, sans retirer les aiguilles, Holy commena lui masser les reins et le dos. Elle restait rigoureusementimmobile. Au bout de plusieurs minutes, le souffle court, il ladplaa lgrement pour sallonger prs delle. Son tat auraitfait honte un chimpanz en rut. Mme Yao bougea lgrement.

    Cest fini ?La sance daiguilles ne durait jamais plus de cinq minutes.

    Pris de court, Holy balbutia :

    Oui, je pense.

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    Avec dextrit, il retira les aiguilles. Aussitt la Chinoisesauta du divan et prit sa robe. En quelques secondes, elle staitrhabille, rajustait son chignon. Holy tait rest tout bte, sesaiguilles la main et le ventre en feu.

    Je men vais, annona Mme Yao dune voix sereine. Je mesens beaucoup mieux.

    Elle fit deux pas vers la porte. Holy posa nimporte o sesprcieuses aiguilles et courut vers elle. Les verres de ses lunettesen taient embus.

    Tu ne vas pasSiMais elle ne se dgagea pas quand il la prit dans ses bras et la

    serra violemment contre lui. Tu es un porc souffla-t-elle. Un chien. Tu ne sais pas

    refrner tes instincts. Regarde-toi. Lche-moi tout de suite oujappelle Tuan.

    Brusquement, Holy avait retrouv sa paix intrieure. MmeYao avait pris lexpression avide, quil connaissait bien, seslvres paisses retrousses sur ses grandes dents jaunes. Elleavait envie de lui.

    Il lui prit la main et la guida tout doucement sous la soie dukimono. Si ses clients avaient pu constater leffet de son philtre,ils en auraient command par bonbonnes entires. Mme Yaoavait les yeux presque rvulss maintenant. Sa main se crispaune seconde sur Holy, puis elle se recula lgrement.

    Je nai pas besoin de retirer ma robe, nest-ce pas ?murmura-t-elle.

    Sans attendre la rponse de son amant, elle fit glisser son

    slip le long de ses jambes et le jeta sur le bureau. Holy Tong entremblait dexcitation. Il la jeta plutt quil ne la poussa sur ledivan et la prit immdiatement. Elle saccrochait lui commeun poulpe, les narines dilates, agitant spasmodiquement soncorps maigre de grands coups de boutoir. Si fort quelle roula terre, entranant Holy avec elle. Ils continurent leur treintesur la natte, jusquau moment o Mme Yao exhala une espcede sifflement de chaudire quon vide.

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    ils laissaient de nombreux domestiques, mais ne reviendraientjamais. Insensiblement, Hong-Kong se transformait, rosissait.

    En dpit de la vue magnifique, Holy ne parvenait pas trouver le calme. Il ne pouvait sempcher de penser Cheng

    Chang. Ctait un vieux camarade. Pas trs intelligent, pas trsbrillant, mais dvou. Des larmes perlaient dans les bons yeuxdHoly. Comme beaucoup de Chinois traditionalistes, il croyaitfermement que lme dun mort ne pouvait trouver la paix que sielle tait enterre dans la terre de ses anctres.

    Ctait le dernier service quil pouvait rendre ce pauvreCheng Chang, n, comme lui, dans les faubourgs de Tchung-king. Il dcrocha son tlphone et appela une jeune Chinoise

    quil avait jusquici utilise des fins moins sordides : Mina,putain de son tat et taxi girl officiellement. Il ne se sentait pasle courage daller la morgue lui-mme

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    M. Cheng Chang de Kowloon.Il lui sembla que la Chinoise cillait imperceptiblement.

    moins que cela ne soit une fantaisie du ventilateur pos sur lebureau. Mais, au lieu de lui conseiller de repasser le lendemain,

    lemploye sourit et sa main fusele lui dsigna lunique chaisede bois :

    Voulez-vous vous asseoir, sir ? Je vais me renseigner. Elleavait pourtant une liste devant elle. Sans un regard pour Malko,elle sortit du bureau, refermant silencieusement la portederrire elle. Malko neut pas le temps de se poser de questionque dj la Chinoise tait de retour.

    Ce gentleman rclame le corps de M. Cheng Chang,

    annona-t-elle, comme si Malko avait rclam le Koh-i-noor, une personne qui devait se trouver derrire lui.

    Il tourna la tte et se trouva nez nez avec deux yeuxtonnamment bleus surmontant une paire de moustachesrousses, comme seul un colonel anglais de larme des Indespeut en porter sans tre ridicule.

    Je suis le colonel Archie Whitcomb, annona le nouveauvenu. Directeur de la Scurit de la colonie.

    Comme beaucoup de Blancs vivant en Extrme-Orient, lecolonel Whitcomb avait conserv un visage tonnamment lissepour son ge. Il passerait dun coup de quarante soixante-dixans, le jour o il prendrait sa retraite.

    Avec sa silhouette interminable et dgingande, son shortkaki et son stick, il semblait sortir dun livre de Kipling. Mais ilnavait pas lair dun imbcile et sa poigne de main avait laforce dun tau.

    Malko se demanda comment il pouvait supporter deschaussettes de laine blanche par une chaleur pareille, maissurtout ce quil lui voulait. Lavertissement de Dick Ryan taitgrav dans sa mmoire.

    Je suis le prince Malko Linge, dit-il, en se levant, aussisnob, de Liezen, en Autriche.

    Le colonel Whitcomb tait trop bien lev pour mettre endoute la parole dun gentleman ou suppos tel, mais son il

    bleu prit une expression infiniment lointaine. Il laissa tomber,glacial :

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    Autrichien, nest-ce pas ? Vous portez un beau nom qui lavez-vous vol ? semblait-il dire. Les yeux bleus toisaientMalko, incisifs et durs. Vex, ce dernier faillit lui numrerquelques-uns de ses titres : Chevalier dhonneur et de dvotion

    de lOrdre souverain de Malte, chevalier du Saint-Spulcre,Grand vovode de la Vovodie de Serbie mais cet t dplac.Il prfra attaquer sur le sujet brlant :

    A-t-on retrouv le corps de M. Cheng Chang ? Le colonelWhitcomb lissa sa moustache, rveur.

    Puis-je vous demander, sir, fit-il dune voix douce,pourquoi vous vous intressez tellement cette personne ?

    La rponse de Malko tait prte depuis deux jours et ses yeux

    dors, tout aussi innocents que ceux du colonel : Mais certainement. Je suis venu Hong-Kong reprer les

    extrieurs dun film que ma maison de production a lintentionde tourner dans la colonie. M. Cheng Chang avait dj travaillpour moi et tait porteur de papiers qui nont de valeur quepour moi, mais qui mviteraient de perdre un temps prcieux.

    Mais vous-mme, colonel, je suis flatt de lintrt quevous me portez

    LAnglais laissa tomber schement :Sir, lorsquun avion civil est sabot avec quarante-septpersonnes bord, il est du devoir des autorits de mener uneenqute srieuse. Cest ce que nous faisons.

    Effectivement, renchrit Malko, votre tche ne doit pastre facile. Avec toutes ces bombes

    Quelles bombes ?Les yeux bleus taient plants dans les siens, Nelson la

    bataille de Trafalgar. Il ne pouvait y avoir de bombes sur unterritoire de Sa Majest. Lorsque lintrt de la Couronne taiten jeu, le colonel Archie Whitcomb, DSO9, savait tre dunehypocrisie sans limite.

    Ses amis anglais le prsentaient comme un tre admirable etexemplaire : un tiers aptre, un tiers esthte, un tiersbienfaiteur de lhumanit. Un ange du Bon Dieu qui propageait

    9 Distinguished Service Order.

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    dans les lointains territoires de la Couronne le message de feu lareine Victoria aux Chinois de bonne volont.

    Il y en avait, hlas, de moins en moins.Certains Amricains des Services spciaux laccusaient par

    contre de dnoncer aux communistes les Chinois de Taipeh quise montraient trop remuants. Et davoir oubli pendant deuxans davertir ces derniers en principe des allis que leurfilire dinfiltration en Chine rouge, partir de Hong-Kong,menait directement la prison de Canton, o les espions taientdcoups en petits cubes ou achets, selon leur rang.

    Pour rpondre ces commrages viprins, le colonelWhitcomb animait les cocktails du Cricket Club en racontant

    lhistoire rcente dun des responsables de la CIA de Hong-Kong, le capitaine Bliss. Sa marotte tait de vouloir monter desmaquis anticommunistes en Chine continentale. Tout le mondele savait. Un beau jour, il avait t contact par un gnral deTaipeh, qui, sous le sceau du secret, lui avait confi avoir unepetite troupe oprant deux cents milles de Hong-Kong. Il luiavait mme communiqu les frquences radio utilises par ceminimaquis. Bien entendu, le capitaine Bliss stait ru sur les

    stations dcoute. Oh ! miracle, on avait bien capt des messagesdun certain poste Radio-Chine libre, sans contesteanticommuniste. Les spcialistes de la gonio avaient situlmission sur la cte de Chine, prs de la ville de Chik Chu.

    Le lendemain, Bliss avait suppli le gnral daccepter vivres,munitions, argent pour dvelopper son maquis. Lautre staitfait poliment prier, mais, un mois plus tard, il commenait sefaire construire Formose une villa de vingt-six pices avec

    piscine chauffe et rachetait des parts dans le plus importantbordel de lle. Sa fortune aurait t complte si des petitscamarades jaloux navaient prvenu le capitaine Bliss que le maquis consistait en tout et pour tout en une jonque rapide,loue par le gnral, qui sapprochait un quart dheure par jourdes ctes pour mettre

    Le gnral avait disparu dans sa villa pas finie et le capitaineBliss avait t mut Anchorage (Alaska).

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    Je vais tre simplement oblig, continua lAnglais, de lesrenvoyer.

    De nouveau, il tint un long discours en chinois. Sa matrisede la langue tait tonnante. En fermant les yeux, Malko aurait

    cru entendre un autochtone.Les trois femmes ne rpondirent pas au discours du colonel.

    Simplement, elles se levrent et sortirent de la pice la queueleu leu, la Chinoise en tunique grossire ouvrant la marche. Lecolonel contemplait le spectacle mi-ironique, mi-srieux. Quandil fut seul avec Malko, il remarqua :

    Les Jaunes sont dcidment imprvisibles. Votre prsencesemble les avoir charmes.

    Ce nest pas le mot quet employ Malko. Sans releverlironie, il suivit le colonel travers les couloirs. Les trois veuvesmarchaient un peu devant eux, sans sadresser la parole. Ilsfinirent tous devant la porte de Po-chang Street. Un marchandde soupe chinoise attendait accroupi, avec une grande marmitede cuivre. Ses jambes taient encore plus maigres que celles ducolonel Whitcomb.

    Les trois veuves sortirent les premires, traversrent la rue et

    simmobilisrent sur le trottoir den face. LAnglais tendit lamain Malko. Je suis content de vous avoir rencontr, sir, dit-il dune

    voix gale. Jespre que la disparition prmature de M. ChengChang ne nuira pas trop au tournage de votre film. Et que votresjour dans la colonie sera agrable. Mfiez-vous despickpockets Si nous avons du nouveau, je ne manquerai pasde vous le faire savoir.

    Bonne chance, mister Linge. Avec un bon sourire, il referma la porte sur lui. Malko seretrouva seul dans la rue. Avec en face les trois veuves quiattendaient.

    Il ne put sempcher de penser que la CIA devrait remplacerquelques-uns de ses gorilles par des colonels Whitcomb. Mmeavec des chaussettes de laine blanche.

    Aucun taxi ntait en vue. Il partit pied sans mme se

    retourner, prfrant laisser linitiative aux veuves. Car si lui

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    pensait quelles pouvaient laider, la rciproque devait trevraie.

    * * *

    Malko tait sorti de sa voiture pour admirer la baie, accoudau bastingage. Ctait un spectacle dont il ne se lassait pas. Maisson cerveau tait en bullition. Qui taient vraiment ces troisfemmes ? Quel tait le secret de Cheng Chang ? Maintenant quiltait identifi par les services anglais, sa mission allait treencore plus dlicate. Si mission il y avait.

    Devant lui, les buildings modernes de Connaugh Road

    grandissaient. Ils allaient arriver. Dj le ferry ralentissait.Soudain un minuscule walla-walla surgit larrire, frlantlnorme coque. Malko vit une main jaune sortir de sous labche et lancer quelque chose dans sa direction.

    Instinctivement il recula.Lobjet roula sur le pont mtallique, ses pieds. Dj le taxi

    de la mer avait vir et sloignait toute vitesse. Malko sepencha et ramassa ce quon lui avait jet. Ctait tout

    simplement un bout de bois envelopp dun morceau de papierquil dplia.En lettres dimprimerie, maladroitement traces, il y avait

    une adresse :27, Tsing-fung Street, appartement 8b.Il avait t suivi par une des veuves, qui avait saisi la

    premire occasion dentrer en contact avec lui. Il remonta dansla Volkswagen aprs avoir dchir le papier en menus morceaux

    et les avoir jets la mer. Il grillait denvie de se rendreimmdiatement ladresse indique, mais le colonel Whitcombntait pas un imbcile. Malko tait certainement suivi.

    Pour samuser, il sarrta et gara la VW devant la Bank ofChina, quartier gnral des communistes Hong-Kong. Ctaitbien la seule banque au monde o il fallait montrer une carte duParti communiste pour y entrer. Deux gardes en salopettesbleues barraient lentre. Le Hilton tait de lautre ct de

    Queens Road.

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    La premire personne quil vit en sortant de lescalator futPo-yick, la jeune Chinoise qui lavait aid chez le tailleur.

    Elle tait assise sur une banquette, prs du marchand dejournaux. Accompagne de la mme camarade. Quand elle

    aperut Malko, elle rajusta une des socquettes blanches etbaissa la tte en se mordant les lvres.

    Po-yick ! fit-il en riant. Cest gentil dtre venue me voir.Dune voix peine audible, la jeune Chinoise dit :Jai oubli mes cahiers dans votre voiture. Malko se fora

    sourire. Il avait dautres chats fouetter. Vous pourriez revenir demain, Po-yick, demanda-t-il. Ma

    voiture nest pas l pour le moment et je nai pas beaucoup de

    temps.Po-yick se leva vivement. Ses yeux dansaient un ballet

    effrn pour ne pas rencontrer ceux de Malko. Je ne voulais pas vous dranger, murmura-t-elle. Sans

    dire au revoir, elle tourna les talons et sloigna dans le hall,flanque de son insparable copine. Brusquement Malko ralisaquelle semblait tre tombe amoureuse de lui, comme on peutltre quatorze ans.

    Ctait touchant et frais, mais il navait pas le temps de larattraper.Ostensiblement il prit sa cl et monta dans lascenseur. La

    jolie liftire eut un sourire enjleur. Une fois encore, il tait leseul client. Beaucoup montaient pied depuis la bombe.

    Au lieu daller jusquau vingt-deuxime tage, il se fit arrterau quatrime, comme sil allait la piscine. Puis, discrtement,il reprit lescalier des gens prudents jusquau niveau infrieur.

    Dpassant le coffee-shop, il sengagea dans un couloir dsert quimenait une des entres condamnes de lhtel, sur GardenRoad. Depuis les troubles, seule lentre principale tait enservice, avec toujours deux policiers en civil pour examiner lesarrivants et les colis suspects.

    Assis sur un pliant, un tromblon qui datait du temps deslanciers du Bengale entre les jambes, un gurkha barbu leregardait venir.

    Hong-Kong tait plein de ces hindous amens par lesAnglais. Lorsquils avaient quitt les Indes ils avaient pris dans

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    leurs bagages les plus compromis de leurs hommes de main.Depuis, les gurkhas et les sikhs stiolaient, faute de ttes couper, fidles comme des bergers allemands.

    Celui-l secoua la tte lorsque Malko expliqua quil voulait

    sortir. En plus, il parlait peine anglais et Malko navait que devagues rudiments de gurkha La discussion sternisait. Unbillet de dix dollars HK emporta finalement la dcision, et fitrevenir le gurkha des sentiments plus humains.

    Aprs tout, il avait lordre dinterdire lentre aux Jaunes, pasla sortie aux Blancs.

    Malko se retrouva dans Garden Road, la rue qui montait lacolline paralllement au funiculaire de Victoria Peak. Pour plus

    de sret, il alla prendre un taxi au dpart du funiculaire.Personne ne pouvait lavoir suivi. Lentre principale taitinvisible de cet endroit.

    Il montra ladresse au chauffeur qui, par chance, comprenaitquelques mots danglais. Tsing-fung Street se trouvait NorthPoint, un quartier assez pauvre, tout au bout de lle, habituniquement par des Chinois. Laissant droite Happy Valley, lechamp de courses, le taxi senfona dans les ruelles troites de

    Wang-chai. Presque chaque carrefour il y avait un car depolice grillag stoppant les voitures et les pousse-pousse avecdes policiers chinois impeccables, arms de mitraillettes plusgrandes queux, et casqus. Toujours les bombes.

    Plus il senfonait dans le quartier chinois, plus Malko sesentait mal laise. Il navait pourtant jamais eu peur desJaunes mais, cette fois, il sentait une haine presque palpable. chaque feu rouge, deux ou trois jeunes sapprochaient du taxi et

    marmonnaient des injures. On ne voyait presque pas de Blancs,les touristes ne saventuraient gure au-del de Queens Road etde ses boutiques lgantes.

    Jadis on lui aurait propos des petites filles, une pipedopium. Maintenant ctaient des tracts exaltant la pense deMao.

    Le taxi suivit Kings Road et tourna gauche dans une petiterue, puis stoppa devant une norme HLM hrisse de cordes

    linge. Ctait l. Tout le rez-de-chausse tait occup par des

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    boutiques pauvres, allant du tailleur au rparateur de pousse-pousse.

    Malko paya et descendit. Les gens le regardaientcurieusement. Ces immeubles avaient t construits pour loger

    les rfugis de Chine rouge qui vivaient de charit etdallocations gouvernementales.

    Il sengagea dans un couloir sombre. Oh ! miracle, il y avaitun ascenseur ! Il sarrta au huitime tage. Lascenseur donnaitsur une sorte de coursive intrieure. Lappartement 8b tait toutde suite droite. Malko regarda autour de lui avant de tournerla sonnette. Rien ne se passa. Il sonna de nouveau sans plus desuccs et attendit. Une gamine, qui descendait quatre quatre

    par lescalier de service, lui jeta un regard en dessous.Bizarre ! Bizarre !Il sloignait quand il entendit un grincement derrire lui, la

    porte du 8bvenait de sentrouvrir sur une tte effraye : celle dela plus ge des trois veuves !

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    CHAPITRE VI

    Lappartement sentait la soupe chinoise aigre. Dabord, dansla pnombre, Malko ne distingua pas grand-chose.Involontairement, il frla la Chinoise, qui frmit comme untalon trop nerveux et dtourna la tte. Sa robe de chambre taitimprgne dun parfum bon march et enttant.

    Elle le prcda dans une minuscule entre et le fit pntrerdans un petit living-room aux meubles recouverts de housses enplastique bon march. Une seule lampe clairait la pice et lesstores taient baisss bien que les fentres fussent ouvertes. Ilrgnait une chaleur lourde et malsaine.

    Il sassit dans un fauteuil inconfortable et la Chinoise pritplace en face de lui. Ils navaient pas encore dit un mot. Il ladvisagea. Les mains croises sur les genoux, elle semblaitterrorise. Son visage ntait vraiment pas joli, mais elledgageait une sensualit suractive, comme une pile troprecharge. Chaque fois que ses yeux effleuraient Malko, ils sedtournaient comme devant un spectacle obscne.

    Qui tes-vous ? demanda-t-elle, voix basse, en anglaissaccad.

    Malko hsita. Ctait de la roulette russe.Une relation daffaires. Il devait travailler avec moi, un

    film, rpondit-il tardivement.

    Les yeux de la Chinoise taient pleins dincrdulit.On la tu.Ce ntait mme pas une accusation. Tout juste une

    constatation. Avec une infinie lassitude. Malko ne savait plusquelle contenance adopter.

    Pourquoi ce mystre pour me rencontrer ? demanda-t-il.Jai peur, dit-elle. Ctait vrai. Qui tes-vous ? demanda-t-il.

    Sa femme. Et les autres ?

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    Elle se tordit les mains en un geste enfantin.Je ne les connais pas, je ne les ai jamais vues. Elles mont

    insulte, elles mentent. Il navait quune seule femme, moi.Tout en elle respirait la sincrit. Mais Malko connaissait le

    pouvoir de dissimulation des Asiatiques. Sil avait t en facedune des deux autres, elle aurait probablement t aussisincre. Il fallait quil sache, tout prix.

    Pourquoi aurait-on tu votre mari ? demanda Malko. Je ne sais pas, gmit-elle. Je ne sais pas. Mais on la tu.Brusquement, elle clata en sanglots silencieux. Les larmes

    coulaient sur son visage comme de leau. Son menton tremblaitlgrement. Elle tait pitoyable.

    Gn, Malko laissa passer la crise. Pour prendre unecontenance, il prit une petite statuette divoire pose sur unguridon et commena jouer avec. Ctait ce que les Chinoisnomment une doctors daughter.10 Une figurine reprsentantun corps de femme qui se trouvait jadis dans tous les cabinetsde consultation des mdecins chinois, lintention des patientestimides. Pour viter de se dshabiller elles dsignaient surlivoire lendroit dont elles souffraient.

    Pendant plusieurs minutes, le silence ne fut troubl que parles reniflements de la Chinoise. Malko caressait distraitement lacuisse de la statuette, en rflchissant. Soudain, il ralisa que laChinoise ne pleurait plus. Il leva les yeux. Elle suivait, fascine,le mouvement de sa main sur livoire, les yeux fixes, les lvreslgrement entrouvertes sur des dents trs blanches. Comme siMalko avait caress sa propre peau. Quand il arrta son va-et-vient, elle sursauta, comme si on lavait secoue, et ses yeux

    perdirent de leur fixit sans quitter toutefois la statuette.Malko reprit son mouvement de va-et-vient, troubl luiaussi. Docilement, la Chinoise frissonna. tonnante tlpathierotique. Pas un mot navait t prononc depuis plusieursminutes.

    Volontairement Malko fit remonter sa main le long delivoire, lissant le ventre bomb, de la statuette.

    10 Fille du docteur.

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    En face de lui, la Chinoise se plia en deux comme si elle avaitreu un coup de poing, puis dtendit brusquement ses jambes,le ventre en avant. Son peignoir souvrit et Malko aperut sesbas sans jarretire, trs hauts sur les cuisses, sans aucun autre