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Jacqueline Régnier Les Couleurs Notes et choix de textes, d’artistes et d’écrivains Beaucoup de gens l’avouent : ils rêvent en gris.Voici le livre qui va leur offrir l’arc-en-ciel. Déguisé en guirlande de cita- tions accompagnées de notes personnelles, ce petit livre – petit comme les diamants – est en fait une encyclopédie. Ces couleurs qu’étudiait le grand Goethe et que poursuivait Monet, les voici qui s’ouvrent à nous par cent portes : le lan- gage, la chimie, les symboles, la nature, l’industrie, les rêves, les croyances, l’ethnologie, les tabous, les pulsions, les vérités, les illusions… Constantes de l’homme éternel : inventez tout ce que vous voudrez, demain le ciel sera bleu, le sang rouge, l’herbe verte et la neige blanche. Les cathédrales étaient peintes. Comme les lèvres et les ongles des femmes, l’éclat du martin-pêcheur est insoutenable. Le monde est en couleurs.Y avait-on même pensé ? Ce livre le révèle. Editions Volets verts

360 DEGRES SUR LA COULEUR

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Mille fenêtres ouvertes sur le thème inépuisable de la couleur. Jacqueline Régnier, peintre de grand talent, a rassemblé toutes ses connaissances enrichies de rencontres et de lectures passionnantes.Disponible sur : http://www.librairie-spe.com/catalog/product_info.php?products_id=2015

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Jacqueline Régnier

Les Couleurs

Notes et choix de textes,

d’artistes et d’écrivains

Beaucoup de gens l’avouent : ils rêvent en gris. Voici le livrequi va leur offrir l’arc-en-ciel. Déguisé en guirlande de cita-tions accompagnées de notes personnelles, ce petit livre– petit comme les diamants – est en fait une encyclopédie.Ces couleurs qu’étudiait le grand Goethe et que poursuivaitMonet, les voici qui s’ouvrent à nous par cent portes : le lan-gage, la chimie, les symboles, la nature, l’industrie, les rêves,les croyances, l’ethnologie, les tabous, les pulsions, les vérités,les illusions…Constantes de l’homme éternel : inventez tout ce que vousvoudrez, demain le ciel sera bleu, le sang rouge, l’herbe verteet la neige blanche. Les cathédrales étaient peintes. Commeles lèvres et les ongles des femmes, l’éclat du martin-pêcheurest insoutenable.Le monde est en couleurs.Y avait-on même pensé ?Ce livre le révèle.

Editions Volets verts

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Les couleurs sont la musique des yeux.DELACROIX

Météore en forme de demi-cercle en sept couleurs du prisme(violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé, rouge), l’arc-en-cielapparaît parfois après la pluie, produit par la réfraction et laréflexion des rayons solaires dans les nuages.Dans la Bible, il est le symbole, après le Déluge, du pardon deDieu : « J’ai placé mon arc dans la nue, et il servira de signe d’al-liance entre moi et la terre. »

La couleur est une nécessité vitale. C’est une matière premièreindispensable à la vie, comme l’eau et le feu. On ne peut conce-voir l’existence des hommes sans une ambiance colorée. Les plan-tes, les animaux se colorent naturellement; l’homme s’habille encouleurs.

FERNAND LÉGER

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Lorsque les couleurs constitutives de la lumière solaire se sépa-rent, par exemple quand un rayon lumineux passe à travers unverre d’eau, apparaît le « spectre lumineux », ou irisation, auxsept couleurs de l’arc-en-ciel. On peut les voir aussi sur les bullesde savon, sur une nappe de pétrole répandu, dans les gouttes derosée au soleil, dans l’éclat du diamant.[…] ; après avoir traversé le jardin de l’Arena, j’entrai dans la cha-pelle des Giotto, où la voûte entière et le fond des fresques sont sibleus qu’il semble que la radieuse journée ait passé le seuil elleaussi avec le visiteur, et soit venue un instant mettre à l’ombre etau frais son ciel pur, son ciel pur à peine un peu plus foncé d’êtredébarrassé des dorures de la lumière, comme en ces courts répitsdont s’interrompent les plus beaux jours, quand, sans qu’on ait vuaucun nuage, le soleil ayant tourné ailleurs son regard pour unmoment, l’azur, plus doux encore, s’assombrit.

MARCEL PROUST

Iris, déesse ailée, est la messagère des Dieux. L’arc-en-ciel,nommé iris en poésie, fut comparé à son voile flottant dans le ciel,ou au chemin qu’elle suivait pour descendre chez les humains.

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Arc-en-ciel du matinPluie sans finArc-en-ciel du soirFait beau temps paroir.

Un poème de l’abbé Delillecélèbre la découverte de Newton

Avant que de Newton la science profondeEût surpris ce mystère et les secrets du monde,La lumière en faisceaux se montrait à nos yeux.Son art décomposa ce tissu radieux,Et du prisme magique armant sa main savante,Développa d’Iris l’écharpe éblouissante.Dans les mains d’un enfant, un globe de savonDès longtemps précéda le prisme de Newton,Et longtemps, sans monter à sa source première,Un enfant dans ses jeux disséqua la lumière.Newton seul l’aperçut, tant le progrès de l’artEst le fruit de l’étude et souvent du hasard !

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[…] la déesse avait fui sur sa conque dorée,La mer nous renvoyait son image adorée,Et les cieux rayonnaient sous l’écharpe d’Iris.

ALFRED DEVIGNY, Horus

Dans une lettre à Gauguin,Van Gogh décrit une peinture représentant sa chambre

« […] les murs lilas pâle, le sol d’un rouge rompu et fané, les chai-ses et le lit jaune de chrome, les oreillers et le drap citron vert trèspâle, la couverture rouge sang, la table de toilette orangée, lacuvette bleue, la fenêtre verte. »

Paris, 4 novembreJe remarquais un de ces matins, étant au soleil dans ma galerie,l’effet prismatique de la multitude de petits poils du drap de maveste grise.Toutes les couleurs de l’arc-en-ciel y brillaient commedans le cristal ou le diamant.Chacun de ces poils, étant poli, réfléchissait les plus vives cou-leurs, lesquelles changeaient à chaque mouvement que je faisais.

DELACROIX, Journal

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Ville violette, astre jaune, ciel bleu-vert. Les blés ont tous les tonsvieil or, cuivre, or vert ou rouge, ou jaune…

VAN GOGH

D’une façon générale, les humains ont une grande joie à voir lacouleur. L’œil en a besoin, comme de la lumière. Qu’on se sou-vienne du bien-être que l’on peut ressentir, lorsque, par un jourgris, le soleil apparaît en un lieu du paysage, et y rend visibles lescouleurs.

GOETHE, Traité des couleurs

Le jour croît, par degrés assez sensibles, et à chaque pas qu’il faittelle nuance se dégage du trouble pâle de l’aube. Le clair et lesombre se divisent – en colorations que l’on peut nommer ; etchaque et chaque couleur se divise à son tour – chaque masse del’espace s’ouvre comme une fleur.

PAULVALÉRY

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À propos du schéma du triangle des couleurs : ainsi sur ce trianglele côté vert fait face au point rouge, le violet au jaune, l’orangé aubleu. Il existe dès lors trois couleurs mères et trois couleurssecondaires, ou six couleurs principales voisines, ou encore troisfois deux couleurs amies (ou couples de complémentaires).

KLEE

Un ton par lui-même n’est ni juste, ni faux. Il ne cause ni joie oudéplaisir que par les couleurs qui l’entourent et qui peuvent dimi-nuer ou augmenter son éclat. C’est le phénomène que les maîtresanciens constataient sans bien se l’expliquer, lorsqu’ils disaient : «Les couleurs ont entre elles des amitiés et inimitiés naturelles. »

HENRI GUERLIN

J’ai eu longtemps devant ma fenêtre un cabaret mi-parti de vertet de rouge crus, qui étaient pour mes yeux une douleur déli-cieuse.

BAUDELAIRE

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De la loi du contraste simultané des couleursMettre de la couleur sur une toile, ce n’est pas seulement colorerde cette couleur la partie de la toile sur laquelle le pinceau a étéappliqué, c’est encore colorer de la complémentaire de cette cou-leur l’espace qui lui est contigu.

CHEVREUL

Avec les trois couleurs primaires essentielles, le rouge, le jaune, lebleu, le peintre obtient par mélanges les autres couleurs :

rouge et jaune = orangejaune et bleu = vertbleu et rouge = violet

Avec l’ensemble de ces bases, plus le blanc et le noir, on peuttrouver une infinité de tons.Tout change quand la couleur n’est plus une matière, mais de lalumière !Si nous voulons obtenir la série des couleurs de base, nous devonsprojeter, sur un fond blanc, de la lumière rouge, bleue, verte ;Un cercle, par exemple, projeté :

rouge sur un cercle vert = jaunevert sur bleu = bleu-vert (cyan)

bleu sur rouge = violet (magenta)

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Il faudra un jour pouvoir librement improviser sur le clavierchromatique que forment les godets à aquarelle.

KLEE

L’effet laissé sur la rétine par un rouge brusquement éloignéaprès une longue exposition n’est pas rouge, mais vert. Et sil’œil s’expose longuement au vert, l’effet laissé dans lesmêmes conditions sera l’émergence soudaine du rouge. Lamême sorcellerie préside à l’alternance du jaune et du violet,du bleu et de l’orangé. Chacun peut constater empiriquementde cette manière la loi des complémentaires et l’existence destrois couples de couleurs.

KLEE

Les lois de la couleur peuvent en quelques heures s’apprendre.Elles sont contenues dans deux pages de Chevreul et de Rood.L’œil, guidé par elles, n’aurait plus qu’à se perfectionner.

SIGNAC

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Delacroix observe un ciel au soleil couchant

« Le gris des nuages, le soir, va jusqu’au bleu ; la partie du ciel quiest pure est jaune vif ou orangé.Loi générale : plus d’opposition, plus d’éclat. »

Les couleurs pures devenant plans et s’opposant par contrastessimultanés créent pour la première fois la forme nouvelleconstruite non par le clair-obscur, mais par la profondeur de lacouleur même.

SONIA DELAUNAY

La couleur est premièrement qualité. Elle est ensuite densité, carelle n’a pas seulement une valeur chromatique mais encore unevaleur lumineuse. Elle est enfin mesure, car elle a aussi ses limites,son contour, son étendue, tout ce qui est mesurable en elle.

KLEE

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Mais lorsque le soleil fut enfin sur le point de disparaître à l’hori-zon, lorsque ses rayons très adoucis par les vapeurs du soir recou-vrirent du plus beau pourpre le monde alentour, l’ombre changeade couleur et parut d’un vert qui, par sa limpidité, pouvait êtrecomparé à celui de la mer, et par sa beauté à celui de l’émeraude.Le phénomène devint de plus en plus vif ; on se croyait transportédans le royaume des fées tant les objets étaient teints de ces deuxcouleurs vives et si bien harmonisées.

GOETHE

LE PEINTRE

Tout à la joie de diriger les jeux et les luttes des sept couleurs duprisme, il sera tel qu’un musicien multipliant les sept notes de lagamme, pour produire la mélodie.

SIGNAC

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Goethe fut passionné du « rapport supérieur du monde des corpscolorés avec l’âme » et travailla de nombreuses années à safameuse Théorie des Couleurs.

Il a étudié la couleur en scientifique, mais l’émotion, toujoursprésente chez lui, était celle d’un artiste :

« Un jour gris mais splendide. J’ai dormi longtemps, mais je mesuis éveillé à quatre heures. Que le vert était beau pour l’œil quis’ouvrait à moitié ivre ! »

Comme le soleil colore les fleurs, l’art colore la vie.

JOHN LUBBOCK

Quand un cosmonaute s’éloigne de la Terre, il voit progressive-ment le bleu du ciel devenir bleu-violet, puis violet de plus en plussombre.

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L’OUTREMER

C’était autrefois le bleu obtenu à partir du lapis-lazuli, pierre pré-cieuse venue d’Asie, au-delà des mers. Un contrat de 1408 nousmontre le prix qu’on attachait à cette couleur. Le peintre doit seconformer à l’exigence du client : ce bleu, du plus bel effet, doitêtre réservé à la peinture du manteau de la Vierge, d’autres bleus,moins chers, suffiront pour le reste du tableau.La même couleur est maintenant produite artificiellement (sulfo-silicate de sodium et alumine).

Les plus anciens hommes de la préhistoire dont nous trouvonstrace ont utilisé une poudre de couleur rouge, fabriquée à partird’argile, pour leurs rites funéraires.

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VOYELLES

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,Je dirai quelque jour vos naissances latentes :A, noir corset velu des mouches éclatantesQui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombres ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,Lance des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;I, pourpre, sang craché, rire des lèvres bellesDans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,Paix des pâtis semés d’animaux, paix des ridesQue l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein de strideurs étranges,Silences traversés des Mondes et des Anges :– O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

L’Etoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles,L’infini roulé blanc de ta nuque à tes reins ;La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles,Et l’Homme saigné noir à ton flanc souverain.

ARTHUR RIMBAUD

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Colbert publia en 1669 l’Instruction pour les teinturesoù les bleus sont ainsi classés

Bleu blanc, bleu naissant, bleu pâle, bleu mourant, bleu mignon,bleu céleste, bleu de reine, bleu turquin, bleu de roy, fleur deguesde, bleu pers, bleu aldego et bleu d’enfer.

POLÉMIQUES…

Au XVIIe siècle, certains théoriciens de la peinture accusent la cou-leur d’exercer par son « bel éclat » une séduction trop facile, demasquer la structure essentielle du dessin – le 7 novembre 1671,l’académicien Gabriel Blanchard est le seul à défendre les coloris-tes, et dans sa conférence Sur les mérites de la couleur, il lanomme avec passion « la belle enchanteresse »…

LE CARMIN

Ce rouge éclatant est extrait de la cochenille, petit insecte parasitedes plantes. Couleur inoffensive, elle peut être utilisée, en plus dela teinturerie, pour la parfumerie et la confiserie.

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Une pomme verte,Une pomme rouge,Une pomme d’or,C’est toi qui es dehors !

Comptine

LESVERTS

Différents verts sont produits chimiquement, comme le vertmalachite, à base de carbonate de cuivre, le vert Véronèse, à based’arséniate de cuivre, le vert émeraude, à base d’oxyde dechrome.

LEVERMILLON

Le vermillon, autrefois cinabre, est la couleur rouge vif obtenue àpartir de sulfure rouge de mercure pulvérisé.Les empereurs de Constantinople signaient à l’encre rouge. Lagarde du vase contenant le cinabre qui ne devait servir qu’à l’Em-pereur était confiée à son premier secrétaire.

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[…] Et tous ces jolis vermillonsTremblent comme des papillons

Au bout des tiges.Les carmins et les incarnats,La pourpre des assassinats,Tous les rubis, tous les grenats

Luisent en elles ;C’est pourquoi, par certains midis,Leurs doux pétales attiédisSont le radieux paradis.

Des coccinelles.

MAURICE ROLLINAT,

Le Ravin des coquelicots

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LE COBALT

Ce bleu que Balzac appelait « l’ardent cobalt de l’éther » n’existepas à l’état pur dans la nature. Il fut isolé à l’état métallique en1773. Le fameux Bleu de Sèvres est à base de cobalt.

BLEUS…

Ciel, bleu-nuit, bleu-horizon, bleu-faïence, pervenche, turquoise,bleu-canard, bleu-marine, bleu-pétrole, lapis-lazuli, lavande,bleu-roi, saphir, bleu-lessive…

LA POURPRE

Elle était, dans l’antiquité, extraite d’un coquillage, le murex,par les Phéniciens. Ils en gardèrent le monopole pendant presque2000 ans. Le colorant, d’un rouge intense, tirant sur le vio-line, se vendait au poids de l’or. Les tissus pourpres, teints àTyr, étaient le luxe suprême, réservé, à Rome, aux grandsdignitaires et à l’Empereur.La pourpre d’aniline fut le premier colorant synthétique. Il futmis au point par un Londonien de dix-huit ans, William HenryPerkin, en 1836.

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L’INDIGO

L’indigo, teinture d’un bleu profond, extraite de l’arbrisseaunommé indigotier, était connu des Egyptiens et des Phéniciens. EnEurope, à partir de 1730, il supplanta définitivement le colorantbleu issu des feuilles du pastel (ou guède).Adolf von Baeyer repro-duisit la synthèse de l’indigo en 1880.La coloration des tapisseries de l’Apocalypse d’Angers est consti-tuée de quatre teintures de base :

la gaude pour les jaunes,la cochenille (ou kermès) pour les rouges,le pastel pour les bleus,le brou de noix pour les bruns.

Ces colorants naturels, élaborés en 1377, ont résisté au temps.

À la queue leu leu,Mon petit chat est bleu.S’il est bleu,Tant mieux ;S’il est gris,Tant pis ! Comptine

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J’ai la pensée, quand je fais un roman, de rendre une coloration,une nuance. Par exemple, dans mon roman carthaginois, je veuxfaire quelque chose de pourpre. […] Je ne crois pas qu’il s’agisselà d’une couleur liée au sujet du livre, à la nature des objets et deslieux, des personnages qu’il représente ; mais plutôt d’unelumière diffuse, au fond de l’esprit, qui veut prendre corps.

FLAUBERT,

(propos rapporté par les Goncourt)

Dans son Histoire naturelle, Pline décrit,en fin coloriste, des tonalités de tissus teints

Le luxe a voulu rivaliser dans les étoffes avec les fleurs que recom-mande l’éclat de leur couleur. Je remarque qu’il y a trois couleursprincipales : le rouge de coccus qui brille de tout son éclat dans lesroses, et dont on retrouve le reflet dans la pourpre de Tyr, dans lapourpre deux fois teinte et dans celle de Laconie ; la couleurd’améthyste, qui brille dans les violettes et qui se retrouve dans lacouleur pourpre et celle que nous avons nommée ianthine ; enfinla couleur conchylienne proprement dite, de plusieurs sortes :l’une semblable à l’héliotrope et généralement plus foncée, l’autreressemblant à la mauve et tirant sur le pourpre ; une troisièmeressemblant à la violette, et c’est celle qui a le plus de vivacité.

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LES TERRES

Les plus connues, l’ocre rouge, l’ocre jaune, la terre de Sienne, laterre d’ombre, sont des argiles naturellement colorées.

LES JAUNES

Différentes sortes de jaunes sont obtenus à partir de minéraux(jaune de chrome, jaune de Naples, jaune indien), d’un métal(jaune de cadmium), de végétaux, dont le safran, le réséda (jaunede gaude), le genêt, la rhubarbe, le curcuma, la camomille, etc.Au XVIIe siècle, Fagon découvre en Chine les teintures jaunesextraites du gardénia, du réséda, du safran, de la gomme-gute, ducurcuma surtout, pour le magnifique jaune impérial. Les plantessont acclimatées à grands frais au Jardin du Roi, et, surprise etmystère, aucune n’a gardé son pouvoir colorant !…

Les peintres des temps préhistoriques utilisaient des argiles pourfabriquer le rouge, le brun, le jaune, le noir, seules couleurs dontils aient pu disposer. Les artistes d’aujourd’hui emploient toujoursdes terres (terre de Sienne, rouge vénitien, terre d’ombre, etc.).Ces pigments naturels n’ont pas encore été remplacés par des pro-duits de synthèse.

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Les « muralistes » mexicains, Diego Rivera, Orozco, peignaient,vers 1920, de grandes surfaces, en extérieur. Ils voulaient queleurs œuvres puissent durer, supporter le soleil, les pluies. Ils ontincité les industriels de la chimie à produire un type de peinturequi réponde à ces exigences. Les chimistes réussirent rapidement,et créèrent les vinyliques, les acryliques.

Les noms inscrits sur les tubes de « couleurs fines » pour les artis-tes font rêver. On imagine leurs nuances :Terre d’ombre brûlée,Jaune de Mars, Rouge de Venise, Rose Bengale, Rouge Turc, RoseTyrien, Laque de Garance cramoisie, Bleu Touareg, Bleu Lumière,Bleu Azural, Jaune Sénégal, Vert Véronèse, Carmin d’Alizarine,Violet minéral, Jaune de Naples…

CAMAÏEU

Peinture (souvent décorative) réalisée avec une seule couleurassez intense pour permettre de nombreux dégradés par mélangede blanc, ou par transparence.

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Une porcelaine « caméléon », dont la pâte contenait des rubisartificiels, fut fabriquée par la Manufacture Nationale de Sèvres.Elle changeait de coloration suivant les angles sous lesquels on laregardait.

Avez-vous jamais, vous qui me lisez, vu « la couleur des ténèbres àla lueur d’une flamme » ? Elles sont faites d’une matière autre quecelle des ténèbres de la nuit sur une route, et si je puis risquer unecomparaison, elles paraissent faites de corpuscules comme d’unecendre ténue, dont chaque parcelle resplendirait de toutes les cou-leurs de l’arc-en-ciel.

TANIZAKI JUNICHIRO, Éloge de l’Ombre

Il y a le noir antique et le noir frais, le noir brillant et le noir mat, lenoir à la lumière et le noir dans l’ombre. Pour le noir antique, ilfaut y mêler du rouge ; pour le noir frais, c’est du bleu ; pour lenoir mat, c’est du blanc ; pour le noir brillant, c’est une adjonctionde colle ; pour le noir dans la lumière, il faut le refléter de gris.

HOKUSAI

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BEIGES…

Coquille d’œuf, sable, écru, mastic, poivre, ficelle…

Une couleur peut avoirbeaucoup d’aspects différents

pure dégradéecriarde brillantechatoyante pastelfluorescente patinéevive neutrelumineuse rompuephosphorescente francheirradiante clairetransparente sombrenuancée passéedécolorée matelaquée satinée

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Un objet sur lequel on voit plusieurs couleurs peut être

moiré, irisé, nacré, opalescent, bariolé, bigarré,jaspé, multicolore, polychrome, diapré, versico-lore…

Kandinsky est allé visiter une petite ville médiévale.Il pleut et il ne peut pas peindre.Quelques jours plus tard,il la peint de mémoire,et ensoleillée de la lumière du soir...

Le rose, le lilas, le jaune, le blanc, le bleu, le vert pistache, le rougeflamboyant des maisons et des églises y chantent leur partie avecle gazon d’un vert fou et le murmure profond des arbres.

Violet dans les gris.Vermillon dans les ombres orangées,par un jour froid de beau temps.

BONNARD, Notes,7 février 1927

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Van Gogh écrit à Théo

Egalement me faudrait-il encore12 Blancs de zinc, grands tubes1 Emeraude, grands tubes2 Cobalt, grands tubes2 Outremer, grands tubes1 Vermillon, grands tubes4 Vert Véronèse, grands tubes3 Chrome I, grands tubes1 Chrome II, grands tubes2 Laque géranium, tubes moyens

Il ne s’agit pas, en effet, pour être coloriste, de poser des rouges,des verts, des jaunes, à côté les uns des autres, sans règle nimesure. Il faut savoir ordonner ces divers éléments, sacrifier lesuns pour faire valoir les autres. Bruit et musique ne sont pas syno-nymes. La juxtaposition des couleurs, si intenses qu’elles soient,sans observation du contraste, c’est du coloriage et non du coloris.

SIGNAC

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Tous mes rapports de tons trouvés, il doit en résulter un accordde couleurs vivant, une harmonie analogue à celle d’une compo-sition musicale.

MATISSE

Pour exprimer l’espace par les vibrations multicolores de l’air,pour faire de la lumière avec de la couleur, Monet exclut les terreset le bitume, arrache la matière à l’inertie des louches mélanges,réduit le plus possible sa palette aux couleurs primaires, en pré-serve la pureté et l’intensité en les disposant par minces couchesséparées Les éléments des tons juxtaposés sur la toile se recompo-sent à distance dans les yeux du spectateur, assurant par cemélange optique la puissance de vibration de chaque couleur.

GEORGE BESSON

Dans ma peinture il n’y a ni sol, ni lointain, ni ciel : il y a des cou-leurs dont les rapports entre eux créent l’espace, et c’est tout.

DUFY

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Berthe Morisot se promène avec sa fille Julie : « Nous nousasseyons, moi pensant à mon tableau du jardin, regardant lesombres sur le sable et les toits du Louvre, je cherche avec elle lesrelations entre les ombres et la lumière, elle voit du rose dans leslumières, du violet dans les ombres. »Quand le grand foyer descend dans les eaux, de rouges fanfaress’élancent de tous côtés ; une sanglante harmonie éclate à l’hori-zon, et le vert s’empourpre richement. Mais bientôt de vastesombres bleues chassent en cadence devant elles la foule des tonsorangés et rose tendre qui sont comme l’écho lointain et affaiblide la lumière. Cette grande symphonie d’hier, cette succession demélodies, où la variété sort toujours de l’infini, cet hymne com-pliqué s’appelle la couleur.

BAUDELAIRE,

Ecrits sur la Peinture

Rendre la lumière solaire… quel en serait donc l’équivalent ? Lacouleur pure, il faut tout lui sacrifier.

GAUGUIN

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Le noir avec l’outremer a la chaleur des nuits tropicales, teinté debleu de Prusse, la fraîcheur des glaciers…

MATISSE

Sur la mer, la couleur est une tache, pour le seul plaisir de la cou-leur sans forme définie ; ainsi chez Raoul Dufy la couleur ne s’ar-rête-t-elle pas aux contours de la forme. Le dessin et la couleur sesuperposent, sans subir aucune contrainte l’un et l’autre, chacunexprimant ce qui est de son domaine.

RAYMOND COGNIAT�

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Le fauvisme a été pour nous l’épreuve du feu : les couleurs deve-naient des cartouches de dynamite, elles devaient décharger de lalumière.

DERAIN�

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FRA ANGELICO

Une paix, un repos, une douceur sans pareille dans un arc-en-ciel des tons les plus purs et les plus vifs, mais aussi les plustendres, c’est la couleur de cette âme, qui serait une fée si ellen’était pas si sainte.

ANDRÉ SUARÈS, Voyage du Condottiere

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La couleur n’est rien, si elle n’est pas convenable au sujet, et sielle n’augmente pas l’effet du tableau par l’imagination.

DELACROIX, Journal�

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« Donnez-moi de la boue, laissez-moi l’entourer, j’en ferai un dia-mant. » Voici une proposition de vrai coloriste. Le faux coloriste(il court les rues) soupçonne mal l’importance des gris, des tonsneutres, propres à enchâsser les gemmes de feu, de l’azur ou dusang.

ANDRÉ MASSON

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GRIS…

Acier, gris-perle, ardoise, anthracite, gris-souris…

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La couleur… est comme la fleur du beau modelé. Ces deux quali-tés s’accompagnent toujours.

RODIN

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En avril 1914,Paul Klee découvre Tunis,Kairouan et Hammamet.Il écrit

La couleur me possède. Je n’ai plus besoin de la rechercher. Elleme possède à jamais, je le sais. Voici ce que signifie ce momentheureux : moi et la couleur, nous ne formons qu’un. Je suis pein-tre.

Matisse,à propos de ses papiers découpés

Dessiner avec des ciseaux. Découper à vif dans la couleur me rap-pelle la taille directe des sculpteurs.

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Paul Klee semble manier les couleurs et les rêves comme s’ilss’échappaient tous deux de la boîte à jouets d’un enfant. Il joue etrêve avec tout ce qu’il trouve.

JEAN HÉLION�

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Constable dit que la supériorité du vert de ses prairies tient à cequ’il est composé d’une multitude de verts différents. Ce quidonne le défaut d’intensité et de vie à la verdure du commun despaysagistes, c’est qu’ils la font ordinairement d’une teinte uni-forme. Ce qu’il dit ici du vert des prairies peut s’appliquer à tousles tons.

DELACROIX

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VERTS…

Vert pomme, vert olive, amande, vert d’eau, vert-de-gris, éme-raude, vert pré, jade, vert saule, vert billard, vert bouteille, vertpin…

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Les couleurs claires attirent davantage l’œil et le retiennent. Lescouleurs claires et chaudes le retiennent plus encore : comme laflamme attire l’homme irrésistiblement, le vermillon attire etirrite le regard.

KANDINSKY

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Par le moyen et l’effet de la couleur, on peut donner de l’intérêtaux choses les plus vulgaires et faire un chef-d’œuvre avec un potet des fruits. Mais comment en arriver là ?

CHARDIN

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Et dans un tableau je voudrais dire quelque chose de consolantcomme une musique. Je voudrais peindre des hommes ou desfemmes avec ce je-ne-sais-quoi d’éternel, dont autrefois le nimbeétait le symbole, et que nous cherchons par le rayonnementmême, par la vibration de nos colorations.

VAN GOGH, Lettre

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L’icône de la Sainte Trinité, de Roublev : La pourpre foncée (l’amourdivin) et le bleu dense (la vérité céleste) avec l’or rutilant des ailes(l’abondance divine) forment l’accord parfait qui se perpétue etse retrouve dans une tonalité adoucie comme une révélationnuancée, l’initiation par degrés : rose léger et lilas à gauche, bleuplus doux et vert argenté à droite.

PAUL EVDOKIMOV, L’art de l’icône

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Léonard de Vinci avait imaginé un système, ou plutôt une gammede petites cuillers pour prendre les différentes couleurs. Ce sys-tème devait permettre une harmonisation mécanique. Un de sesélèves, malgré la peine qu’il se donnait, ne réussissait pas àemployer avec succès le procédé. Désespéré, il demanda à uncamarade comment le Maître s’y prenait. « Le Maître ne s’en sertjamais », lui répondit-il.

MEREJKOWSKI

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Haillet de Couronne dit, dans son Éloge de Chardin : «On se sert decouleurs, mais on peint avec le sentiment. »

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À PROPOS DU DOUANIER ROUSSEAU

[…] Ses bleus, ses violets, ses rouges sont extrêmement beaux etvariés. Dans l’emploi du vert et du noir il est d’une maîtriseincomparable. Il a peint des tableaux entiers presque exclusive-ment avec du vert dont il trouve d’innombrables nuances. Sesnoirs, que Gauguin, dit-on, admirait déjà, sont d’une hardiesse àfaire trembler tout autre peintre. […] Il n’a point de théorie, maisune grande sensibilité de la couleur et une maîtrise absolue dansson emploi.

WILHELM UHDE

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Nous avons travaillé pour libérer la couleur. Avant nous, le vertc’était un arbre, le bleu c’était le ciel, etc.Après nous, la couleurest devenue un objet en soi ; on peut utiliser aujourd’hui un carrébleu, un carré rouge, un carré vert…

FERNAND LÉGER

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La couleur a été pour moi un tonique nécessaire. Là encore,Delaunay et moi étions loin des autres. Ils peignaient mono-chrome, nous polychrome.

La couleur donne la joie, elle peut aussi rendre quelqu’un fou.Elle peut guérir, dans un hôpital polychrome. C’est une formida-ble matière, aussi indispensable à la vie que l’eau ou le feu.

F.L.

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Faire vivre plastiquement une ville, la colorer, l’élargir. Concevoirle tout dans un esprit utile et social. Ordonnation de la publicitécolorée et lumineuse.

F.L.

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JAUNES…

Citron, vanille, canari, banane, bouton d’or, jaune d’œuf, jaunesoufre, safran, jonquille, ivoire, vieil or, topaze…

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RECETTE DU JAUNE D’OR,AU XIVE SIÈCLE

Prenez de l’orpiment, pilez-le sur la pierre, avec du fiel de chèvreou de bœuf. Mettez dans un vase avec du safran, versez du vinblanc, mettez au feu et faites bouillir jusqu’à une certaine épais-seur. Laissez refroidir et prenez votre couleur, qui est très belle etimite l’or.

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Les lois sur la coloration devraient dépasser le cadre des lois uni-verselles d’harmonie, où trop de facteurs subjectifs entrent enligne de compte, pour tenter d’en établir d’autres basées sur descaractéristiques physiologiques liées au comportement humain.On doit aider l’homme qui vit dans des sociétés et des villes deplus en plus génératrices de traumatismes graves à « compen-ser » par diverses choses, dont l’harmonie des couleurs.

FRANÇOIS PARRA

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COULEURS DE RUSSIE

AU KREMLIN

Certaines salles voûtées du vieux palais sont si basses, qu’unhomme de taille un peu au-dessous de la moyenne peut à peines’y tenir debout. C’était là que, dans une atmosphère surchaufféepar les poêles, les femmes accroupies à l’orientale sur des piles decarreaux passaient les longues heures de l’hiver russe à regarder, àtravers les petites fenêtres, la neige scintiller sur l’or des coupoleset les corbeaux décrire leurs larges spirales autour des clochers.Ces appartements, bariolés de peintures, dont les palmes, lesramages, les fleurs rappellent les dessins de cachemire, font pen-ser à des harems asiatiques transportés dans les frimas polaires. Levrai goût moscovite, faussé plus tard par l’imitation mal entenduedes arts de l’Occident, y apparaît dans toute sa primitive origina-lité et avec son âpre saveur barbare. […] Une fantaisie inépuisablepréside à la décoration de ces chambres mystérieuses, où l’or, levert, le bleu, le rouge se mêlent avec un bonheur rare et produi-sent des effets charmants.

THÉOPHILE GAUTIER, Voyage en Russie

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COULEURS DE RUSSIE (SUITE)

À MOSCOU

Au-dessus de maisons qui ne différaient pas beaucoup de cellesde Saint-Pétersbourg, s’arrondissaient parfois des coupolesd’azur étoiles d’or, ou des clochers bulbeux revêtus d’étain ;une église d’architecture rococo dressait sa façade coloriée d’unrouge vif et bizarrement rehaussée de neige à toutes les saillies ;d’autres fois l’œil était surpris par une chapelle peinte en bleuMarie-Louise que l’hiver avait, çà et là, glacé d’argent. La ques-tion de l’architecture polychrome, si vivement débattue encoreparmi nous, est depuis longtemps tranchée en Russie ; on ydore, on y argente, on y peint de toutes couleurs les édifices sansle moindre souci du bon goût et de la sobriété, comme l’enten-dent les pseudo-classiques, car il est certain que les Grecs don-naient des teintes variées à leurs monuments et même à leursstatues. Rien de plus amusant que cette riche palette appliquée àl’architecture condamnée dans l’Occident aux gris blafards, auxjaunes neutres et aux blancs sales.

THÉOPHILE GAUTIER, Voyage en Russie

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38 Les Couleurs

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… entrant pour la première fois dans une isba, je restai clouéd’étonnement devant les peintures surprenantes qui m’entou-raient ; tables, bancs, poêles énormes, armoires et chaque choseétaient recouverts d’ornements primitifs aux couleurs vives…Lorsque enfin je pénétrai dans la chambre, je me trouvai entouréde tous côtés par la peinture, comme si j’étais entré moi-mêmedans la peinture.

KANDINSKY

L’iconostase, haute muraille de vermeil à cinq étages de figuresqui a l’air de la façade d’un palais d’or, éblouit l’œil par sa fabu-leuse magnificence. à travers les découpures de l’orfèvrerie, lesmères de Dieu, les saints et les saintes passent leurs têtes bruneset leurs mains aux tons de bistre. Leurs auréoles en relief accro-chant la lumière font scintiller les facettes des pierres précieusesincrustées dans leurs rayons et flamboient comme de vraies gloi-res ; aux images, objets d’une vénération particulière, sont appli-qués des pectoraux de pierreries, des colliers et des braceletsconstellés de diamants, de saphirs, de rubis, d’émeraudes, d’amé-thystes, de perles, de turquoises ; la folie du luxe religieux ne sau-rait aller plus loin.

THÉOPHILE GAUTIER, Voyage en Russie

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MAISONS COLORÉES

Voyageant à pied, Sophie et Xavier Bohl Raverdy notent, en Ligu-rie : « La couleur régit les alliances de l’espace : blanc cassé, jaunede Naples, violet, rose, mauve, cassis ; les tons ne se limitent pasau pastel et peuvent être forts et enivrants. Les peintres en bâti-ment prennent aux mondes minéral et végétal leurs couleursriches et limpides. »En Macédoine : « Les encadrements, les menuiseries et le porches’ornent de couleurs vives : violet, rose indien, bleu pâle, jaunecitron… »En Turquie, d’anciennes maisons de bois, les yali : «repeints,aimés, oubliés, rouge sanguin, jaune chaud, blanc, jaune citron,noir bois. »Les habitants de la petite ville de Greve, en Toscane, peignent tousleurs volets en vert : verts vifs, verts pomme, verts jade, verts-bleus, verts-jaunes, et beaucoup d’autres, se détachent sur leblanc des façades.

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DE QUELLES COULEURS COUVRIR LES MURS ?

Le rouge est tonique, attractif. Il s’impose avec force, mais peutlasser assez rapidement. Il donne une impression de chaleur.Un séjour prolongé dans une pièce rouge peut provoquer unetension nerveuse pénible.Des cabines téléphoniques expérimentales ont été peintes enrouge, extérieur et intérieur ; on a pu constater qu’elles étaientplus fréquentées que les autres, mais que les durées des commu-nications y étaient beaucoup plus courtes.Le rouge supporte mal les mélanges, il y perd sa qualité spécifique; vers le foncé, il tire sur le brun ou le bordeaux, vers le clair, surl’orange ou le rose.

L’orange ressemble aux reflets du feu, au soleil couchant, auxfruits exotiques. Sa qualité est une certaine intensité ; pour res-ter orange, il ne doit tirer ni vers le rouge, ni vers le jaune. C’estune couleur chaleureuse, qui invite à la convivialité.

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Le blanc, les blancs « cassés », les beiges, les gris permettent demettre en valeur les peintures, des objets, des volumes colorés.

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Dans la nature, le bleu est pour nous le ciel, le lointain, la mer, unlac, de larges surfaces où notre vision se perd, trouve peu d’obsta-cles ; il nous entraîne à une certaine torpeur, au rêve, à l’imagi-naire. L’Oiseau Bleu…Sur des murs, il donnera une impression d’élargissement de l’es-pace ; il allégera les volumes, il évoquera la fraîcheur.Comme le vert, et contrairement au jaune et au rouge, il garde saqualité bleue, du foncé au clair, dans des registres très différents.Ses tendances vont du bleu-vert (les turquoises, bleus d’Orient)au bleu-violet (outremer).

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Le jaune, la plus claire des couleurs, même dans sa plus forteintensité. Elle crée l’illusion de la lumière du soleil et l’impressionjoyeuse qu’elle nous fait éprouver. On ne peut foncer du jaune ; ildeviendrait jaune-vert, ou jaune-brun, ocre. Ses deux tendancessont jaune d’or (comme le jaune d’œuf) et citron. Ces tons adou-cis sont très agréables sur des murs.Trop vifs, ils seraient envahis-sants ; et puis sur un fond jaune vif, nous paraissons avoir un teintrose-mauve…

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Le noir peut donner l’impression de dilater l’espace d’unetoute petite pièce, d’un couloir, d’élever un plafond trop bas.Il donne un éclat particulier aux couleurs fortes et vives.

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L’équilibre du vert est à trouver entre son pôle vert-jaune, et sonpôle vert-bleu.Le vert est la couleur dont l’homme a toujours été le plusentouré. Elle lui est familière et apaisante. Le registre de cettecouleur est large ; du foncé au clair, on peut établir une multitudede belles tonalités.D’instinct, on a recouvert les tables de jeu, de conseils d’adminis-tration, les billards, en vert. En effet, autour de ces tables, il vautmieux être calme et concentré.

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Le rose fait surgir en nous des images de fleurs, de fruits, d’auro-res, des couleurs d’enfance, de féminité, de jeunesse. Ses tonalitésévoluent des roses chauds (rose thé, abricot-rose) aux roses froids(rose-lilas, dragée), en passant par les vifs, framboisés, fuchsias,fraises. Un rose hyper-éclatant, baptisé « rose shocking », devintun moment l’emblème de la maison de couture Schiaparelli.

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Dans leurs versions douces, les roses conviennent à l’atmosphèrede l’intimité. Il est difficile d’imaginer de vivre dans des locauxviolets. Cependant les tonalités déclinées, lilas, mauve, parme,peuvent avoir un charme sophistiqué.

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Les couleurs très intenses et vives sont le mieux utilisées dans desendroits où l’on passe peu de temps ; les tons plus doux mieuxadaptés à la maison, aux lieux de travail, de repos.

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LEVOYAGE DE LA NUIT

Mahomet eut un songe initiatique : chevauchant sa jument ailée,guidé par l’archange Gabriel, il traverse les sept sphères célestes,chacune d’une couleur différente, qui symbolisent les septniveaux d’existence. Enfin il atteint l’infinie lumière blanche,et s’approche de Dieu.

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Comme la terre est belle en sa rondeur immense.La vois-tu qui s’étend jusqu’où le ciel commence ?La vois-tu s’embellir de toutes ses couleurs ?

ALFRED DEVIGNY, Le Déluge

Le philosophe Alain écrit,à propos du vitrail

« C’est la peinture la plus éclatante et qui retrouve presque cettepure couleur des pierres précieuses, dont Goethe ne se lassait pas.C’est la peinture qui participe le plus directement du brillant de lalumière cosmique ; c’est la seule qui colore aussi les autres cho-ses, en mêlant à elles sa propre image. »

[…] Et quand descend le soir au manteau écarlate,Tu poses doucement ton corps sur une natteOù tes rêves flottants sont pleins de colibrisEt toujours comme toi, gracieux et fleuris.

BAUDELAIRE, à une malabraise

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Page 46: 360 DEGRES SUR LA COULEUR

À un moment où je dénombrais les pensées qui avaient rempli monesprit pendant les minutes précédentes, pour me rendre compte sije venais ou non de dormir (et où l’incertitude même qui me faisaitme poser la question était en train de me fournir une réponse affir-mative), dans le carreau de la fenêtre, au-dessus d’un petit boisnoir, je vis des nuages échancrés dont le doux duvet était d’unrose fixé, mort, qui ne changera plus, comme celui qui tient lesplumes de l’aile qui l’a assimilé, ou le pastel sur lequel l’a déposé lafantaisie du peintre. Mais je sentais qu’au contraire cette couleurn’était ni inertie, ni caprice, mais nécessité et vie. Bientôt s’amon-celèrent derrière elle des réserves de lumière. Elle s’aviva, le cieldevint d’un incarnat que je tâchais en collant les yeux à la vitre, demieux voir, car je le sentais en rapport avec l’existence profonde dela nature ; mais la ligne du chemin de fer ayant changé de direction,le train tourna, la scène matinale fut remplacée dans le cadre de lafenêtre par un village nocturne aux toits bleus de clair de lune, avecun lavoir encrassé de la nacre opaline de la nuit, sous un ciel encoresemé de toutes ses étoiles, et je me désolais d’avoir perdu ma bandede ciel rose quand je l’aperçus de nouveau, mais rouge cette fois,dans la fenêtre d’en face qu’elle abandonna à un deuxième coudede la voie ferrée ; si bien que je passais mon temps à courir d’unefenêtre à l’autre, pour rapprocher, pour rentoiler les fragmentsintermittents et opposites de mon beau matin écarlate et versatileet en avoir une vue totale et un tableau continu.

MARCEL PROUST

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Enfin il fut devant le Ver Meer, qu’il se rappelait plus éclatant, plusdifférent de tout ce qu’il connaissait, mais où, grâce à l’article ducritique, il remarqua pour la première fois des petits personnagesen bleu,que le sable était rose,et enfin la précieuse matière du toutpetit pan de mur jaune.

MARCEL PROUST

Le nom de Parme, une des villes où je désirais le plus aller depuisque j’avais lu La Chartreuse, m’apparaissant compact, lisse, mauveet doux, si on me parlait d’une maison quelconque de Parme danslaquelle je serais reçu, on me causait le plaisir de penser que j’habi-terais une demeure lisse, compacte, mauve et douce, qui n’avait derapport avec les demeures d’aucune ville d’Italie, puisque je l’ima-ginais seulement à l’aide de cette syllabe lourde du nom de Parme,où ne circule aucun air, et de tout ce que je lui avais fait absorber dedouceur stendhalienne et du reflet des violettes.

M.P.

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Page 48: 360 DEGRES SUR LA COULEUR

… quand on venait voir Mme Verdurin l’après-midi, on attendaitqu’elle fût prête, cependant que les fleurs roses des marronniers,dehors, et sur la cheminée des œillets dans des vases semblaient,dans une pensée de gracieuse sympathie pour le visiteur, que tra-duisait la souriante bienvenue de leurs couleurs roses, épier fixe-ment la venue tardive de la maîtresse de maison.

MARCEL PROUST

Vlaminck écrit,à propos de Max Jacob

Il coloriait de petits croquis avec des couleurs comme celles queles gosses achètent chez le libraire du quartier. Pour ces petits tra-vaux, il employait un peu d’encre de Chine, du bleu, du rose, de lacendre de cigarette délayée au fond de sa tasse dans un reste decafé.

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Je te donne pour ta fêteUn chapeau couleur noisetteUn petit sac en satinPour le tenir à la mainUn parasol en soie blancheAvec des glands sur le mancheUn habit doré sur trancheDes souliers couleurs orange :Ne les mets que le dimancheUn collier, des bijouxTiou !

MAX JACOB

Poésie ! ô trésor ! Perle de la pensée !Les tumultes du cœur, comme ceux de la mer,Ne sauraient empêcher ta robe nuancéeD’amasser les couleurs qui doivent te former.

ALFRED DEVIGNY

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TITRES EN COULEURS…

Le Grand BleuLe Mouron rougeLe Fanal bleuLa Charrette bleueLa Robe mauve de ValentineCes dames aux chapeaux vertsLa Tulipe noireLe Rideau cramoisiLe Lys rougeNuits noiresLe Chasseur vertGoupil Mains RougesLa Lettre écarlateLe Rouge et le NoirAlcool vertLe Mystère de la chambre jauneBarbe-bleueLe Petit Chaperon rougeLe Perroquet vertSous-marin jauneLe Petit Livre rouge

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… TITRES EN COULEURS (SUITE)La Rose pourpre du CaireLe Chevalier de Maison-rougeLe Bleu du cielUn taxi mauveVert-VertLe Hussard bleuLa Vipère rougeJaune bleu blancLe Nain jauneL’Auberge rougeLes Quatre Plumes blanchesAmours jaunesL’Ange bleuLe Signe rouge du courageLe Pape vertLes Fleurs bleuesCavalerie rougeLa Jument verteLe Pigeon d’argentL’Île de pourpreLes Vertes AnnéesLe Bréviaire bleuLa Jeune Fille verte

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Page 52: 360 DEGRES SUR LA COULEUR

Sur des pierreries de couleur s’édifie la nouvelle Jérusalemdécrite dans l’Apocalypse : « Les fondements de la muraille de laville étaient ornés de pierres précieuses de toute espèce : le pre-mier fondement était de jaspe, le second de saphir, le troisième decalcédoine, le quatrième d’émeraude, le cinquième de sardonyx,le sixième de sardoine, le septième de chrysolite, le huitième debéryl, le neuvième de topaze, le dixième de chrysoprase, leonzième d’hyacinthe, le douzième d’améthyste. […] La place dela ville était d’or pur, comme du verre transparent. »

L’Éternel indique à Moïse comment les meilleurs artisansdevront réaliser les vêtements sacerdotaux d’Aaron :« Ils emploieront de l’or, des étoffes teintes en bleu, en pourpre,en cramoisi, de lin fin. »

Avez-vous vu la Ligne bleue des Vosgesou le Rayon vert ?

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Page 53: 360 DEGRES SUR LA COULEUR

Ce qui me plongeait dans le ravissement, c’était d’étendre untablier de couleur, emprunté à ma mère, sur deux piquets, devantun groseillier que j’avais planté dans la cour, et de voir les effets delumière que le soleil en passant à travers le tissu produisait sur lesfeuilles.

HANS CHRISTIAN ANDERSEN,

le Conte de ma vie

Une poule grise Une poule roussequi pond dans la remise, qui pond dans la mousse,

Une poule brune Une poule blanchequi pond dans la lune, qui pond dans la grange,

Une poule noirequi pont dans l’armoireun p’tit coco tout chaud

pour l’enfant qui fait dodo…

Comptine

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Page 54: 360 DEGRES SUR LA COULEUR

Ramuz travaille avec Stravinski pour établir la versionfrançaise du livret d’une comédie musicale,« Renard »

« Nous nous retrouvions presque chaque jour dans la chambrebleue d’où on dominait le jardin : nous étions parmi les tam-bours, les timbales, toutes espèces d’instruments de choc (ou depercussion, qui est le terme officiel…) Le papier du mur étaitd’un bleu extraordinaire, d’un bleu de boule de lessive, nousoccupions l’intérieur d’un cube qui semblait avoir été taillé à lahache dans de l’azur.Au-dessous était un joli jardin verger avec del’herbe et des arbres en fleurs, où quatre beaux enfants… cou-raient et riaient tous le long des jours. »

Ramuz décrit la table de travail de son ami Stravinski

« Il y avait un ordre qui éclairait parce qu’il n’était lui-même quele reflet d’une clarté intérieure. Et c’est cette clarté-là qui trans-paraissait aussi au travers de toutes ces grandes pages couvertesd’écriture, de façon plus complexe encore, plus persuasive, pluspéremptoire avec la collaboration des différentes encres, la bleue,la verte, la rouge, la noire, deux espèces d’encre noire (l’ordinaireet l’encre de Chine), chacune ayant sa destination, sa signification,son utilité particulière ; l’une servant à écrire les notes, une autre

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le texte ; celle-ci servant pour les titres, celle-là pour les diversesindications écrites que comporte une partition; tandis que lesbarres étaient tracées à la règle, les fautes soigneusement effacéesau grattoir. »

Jacques Perry décrit, dans Mère Paradis, les sensations d’un bébéqui entend son père : « Sa voix, je l’entendais déjà avant.Avant devoir. Il y avait une voix de couleur rouge, rouge brun mais c’estpeut-être en voyant que j’ai senti que sa voix était rouge.Avant cetinstant où j’ai vu, je n’ai pas de souvenirs mais j’entendais sûre-ment cette voix rouge et la voix vert d’eau de ma mère. »

Plus tard, en analysant mes goûts et mes préférences, j’airetrouvé la trace de la violente émotion visuelle provoquée jadispar l’apparition de l’oiseau. Les arts exotiques me séduisent, et,dans les maisons que j’ai habitées, ma chambre préférée s’ornaittoujours de soie d’un vert tendre de jeune pousse sur des fondsnoirs. Mon œil a gardé l’impression délicieuse du perroquetvert posé comme un bouquet de feuilles fraîches sur le manchonde loutre et, depuis, j’ai cherché souvent à recréer autour demoi cette harmonie.

PRINCESSE BIBESCO, le Perroquet Vert

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… C’est ma sœur qui m’a fait peurDans la rue des trois couleurs :

Bleu, blanc, rouge,La Croix-Rouge !Bleu, blanc, vert,La croix de l’enfer.

Comptine

On ne dit pas « hisser le drapeau »mais « hisser les couleurs ».

… Rouge de colère, vert de jalousie,il avait une peur bleue…

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Havelock Ellis décrit (en 1898) ses visionssous l’influence du peyotl

... Je voyais des étendues lumineuses couvertes de bijoux, sépa-rés ou mêlés, tantôt brillants et scintillants, tantôt émettant unelueur profonde et sourde. Sous mes yeux fascinés, ils s’épa-nouissaient en bouquets, puis semblaient vouloir formerd’éblouissants papillons ou les plis infinis d’ailes aux fibres bril-lantes, iridescentes, appartenant à de merveilleux insectes ; enmême temps, j’avais l’impression d’admirer l’intérieur d’unvase profond animé d’un mouvement tournant ; sur ses paroispolies, les teintes changeaient rapidement. J’étais surpris parl’énorme profusion d’images qui s’offraient à mon admirationet plus encore par leur variété… Chaque couleur, chaque teinteimaginable m’apparut à un moment ou à un autre. Parfois tou-tes les nuances d’une même couleur, du rouge par exemple,avec ses tons écarlates, ses pourpres, ses roses, jaillissaientensemble, ou se succédaient rapidement...

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La princesse du conte de Perrault, « Peau-d’Ane » exige pourconsentir au mariage, une robe couleur du temps, selon elle,impossible à trouver.Cependant « Le second jour ne luisait pas encoreQu’on apporta la robe désirée :Le plus beau bleu de l’empiréeN’est pas, lorsqu’il est ceint de gros nuages d’or,D’une couleur plus azurée… »Alors elle demanda une robe couleur de lune, puis encore uneautre couleur de soleil…

ORANGÉS…

Carotte, cuivre, orange, abricot, rouille…

BRUNS…

Ocre, tabac, pain-brûlé, chocolat, marron-glacé, fauve,noisette, feuille-morte, poil-de-chameau…

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Page 59: 360 DEGRES SUR LA COULEUR

Annoncez la couleur !�

Il m’en a fait voir de toutes les couleurs.�

Je suis en rouge à la banque.�

Que faut-il faire ? Rire jaune, ou voir rouge ?�

La nuit tous les chats sont gris.�

Je vois la vie en rose.�

Bleue, bleue, bleue,La bouteille est bleueBlanc, blanc, blancÇa la remplira…

Comptine

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… Lézard bleu diamant,Violet reine-claudeEt vert d’émeraude,Lézard d’agrément !

ROBERT DESNOS

INCARNAT, BLANC ET NOIR

Un jeune homme se promenait par un temps de neige ; il tua unecorneille. L’éclat de son plumage, la blancheur de la neige et larougeur de son sang produisirent un assemblage de couleurs dontle prince fut frappé. Il pensa qu’il serait heureux de rencontrerune jeune fille dont le teint incarnat et blanc serait relevé par descheveux d’un noir parfait.

Nouveau recueil des contes de fées,1718

Il n’est pas de rose assez tendreSur la palette du Printemps,Madame, pour oser prétendreLutter contre vos dix-sept ans.

THÉOPHILE GAUTIER, Emaux et Camées

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ROUGES…

Rubis, cerise, coquelicot, lie-de-vin, grenat, bordeaux, sang-de-bœuf…

« J’ai cherché à exprimer avec le rouge et le vert les terriblespassions humaines. »

VAN GOGH, Lettre à Théo,8 septembre 1888 sur le Café de nuit.

À propos de la couleur jaune de Van Gogh

Quand il écrit : « Que le jaune est beau ! » il ne s’agit pas seule-ment de la réaction sensitive d’un peintre, mais de la professionde foi d’un homme pour qui le jaune est la couleur du soleil, sym-bole de la chaleur et de la lumière. Le jaune, en tant qu’idée,plongeait l’homme en extase, puis, en tant que couleur ravissait lepeintre. C’est pourquoi les tournesols, qu’il ne se lassa jamais depeindre, dépassent en signification celle de la simple nature morteet lui-même compare leur effet à celui des rosaces gothiques.

WILHELM UHDE

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CHEZ LES INDIENS

L’ethnologue (et marquis) de Wavrin relate ce que lui disentles Huitotos, Indiens d’Amazonie : « Arc-en-Ciel est un sor-cier qui se présente avec son hamac. Nous voyons cet homme ;nous distinguons son reflet. Il présage les maladies. »Les Boros : « Arc-en-Ciel est un serpent. Il est le maître des piro-gues. Nous le redoutons parce qu’il nous apparaît brusquementet est coloré comme les étoffes. C’est une erreur de prétendrequ’il provoque les maladies. Tout comme l’éclair, il est bon denature et ne devient mauvais que lorsqu’il est en colère. »Chez les Indiens Dakota (Amérique du Nord), les couleursavaient souvent un sens symbolique, aussi bien dans l’art que laguerre et la religion. Le rouge suggérait le coucher du soleil oule tonnerre ; le jaune l’aube, les nuages ou la terre ; le bleu leciel, les nuages, la nuit ou le jour ; le noir, la nuit ; le vert, l’été.

… Dans nos rêves, les couleurs révèlent des situations psychiques

VIOLET

C’est l’alliance à part égale du bleu et du rouge, sentiment etintelligence, il est symbole de vie intérieure, de recueillement, demystère.

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BLEU

Le bleu est la couleur du ciel, de l’espace, du lointain. Sur le planpsychique, c’est la couleur de la pensée, de la recherche spiri-tuelle, de la pureté. Physiquement, l’influence du bleu est séda-tive.

VERT

Le vert, c’est le végétal renaissant, un ancestral symbole d’espé-rance. Dans le rêve, il indique la fonction sensitive.Couleur équilibrée (jaune + bleu), son influence physique estapaisante.

JAUNE

Le jaune, claire couleur solaire, est symbole d’illumination, de vieéternelle.Vu en rêve, il exprime la fonction psychique de l’intui-tion. Par la gaieté qu’il inspire, le jaune a une action stimulante.

ORANGE

Il est fait de jaune et de rouge et symbolise l’équilibre entre l’es-prit et la libido. Robes jaunes-orangées des moines bouddhistes,couleur rouge orangée nommée tango…

ROUGE

Le rouge est la couleur du sang, du feu. Psychiquement, celle dessentiments, de la passion, de l’ardeur. Son effet physique est trèstonique. Le rouge est, par tous les peuples du monde, la couleur

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la plus souvent utilisée sur les costumes de fête traditionnels.Chacun sait que le jaune, l’orange et le rouge donnent et repré-sentent des idées de joie, de richesse.

DELACROIX

Les couleurs influencent notre psychisme ; elles ont le pouvoirde provoquer des sensations, des émotions, des idées qui nousapaisent ou nous agitent, nous rendent gais ou tristes.

GOETHE

Rouge intérieurJusqu’à la mortMon amour te ressemblera,Jamais il ne pâliraJusque dans la mortRouge de brasierIl te ressemblera.

CAROLINEVON GURDERODE

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En France, les blasons étaient composés de bleu, rouge, vert, noir,pourpre (azur, gueules, sinople, sable, violet) et d’or et argent.Ces couleurs sont franches, vives, assemblées en contrastes dansles blasons qui devaient être clairement visibles de loin. Ellessignifient des qualités et des sentiments :

Sinople – Honneur, courtoisie, vigueur, espérance, joie.Sable – Deuil et tristesse, mais aussi gravité, science.Pourpre – Foi, tempérance, chasteté.Or – Sagesse, constance, vertus chrétiennes.Argent ou blanc – Pureté, innocence, vérité, félicité.

Gourdon de Genouillac précise, dans « les mystères du Blason » :« Azur qui représente le ciel, signifie justice, humilité, fidélité,chasteté, joie, loyauté, bonne réputation, amour et félicité éter-nelle. Entre les vertus mondaines, l’azur symbolise la beauté, ladouceur, la noblesse, la victoire, la persévérance, la richesse, lavigilance et la récréation. Quant aux gueules, c’est la justice,l’amour de Dieu, la vaillance, la hardiesse, l’intrépidité, lacruauté, la colère, le meurtre et le carnage. »

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Avril, l’honneur des prés verts,Jaunes, pers,Qui, d’une humeur bigarrée,Emaille de mille fleursDe couleursLeur parure diaprée.

RÉMY BELLEAU

CHANTS PEAUX-ROUGES,WINNEBAGO

Il était agréable à voirCe monde nouvellement créé.Sur toute la longueur et la largeurde la terre, notre grand-mère,s’étendait le reflet vertde sa couvertureet les odeurs qui en montaientétaient douces à respirer.

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Qu’elle était belle, ma frégate,Lorsqu’elle voguait dans le vent !Elle avait, au soleil levant,Toutes les couleurs de l’agate.

ALFRED DEVIGNY

Le bleu est la seule couleur qui, à tous ses degrés, conserve sa pro-pre individualité. Prenez un bleu à ses diverses nuances, de la plusfoncée à la plus claire, ce sera toujours du bleu, alors que lejaune noircit dans les ombres et s’éteint dans les clairs, que lerouge foncé devient brun et que, dilué dans le blanc, ce n’estplus du rouge, mais une autre couleur : le rose.

DUFY

Une ineffable paix monte et descend sans cesseDu bleu profond de l’âme au bleu profond des mers.

VICTOR HUGO

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Dans tout l’Orient musulman, la perle bleue (précieuse ou deverre, de céramique) est talisman contre le « mauvais œil ». Natu-rellement, on en met au cou des bébés. On vend de petits yeux,tout ronds, en verre, qu’on porte sur soi.

« Le vert absolu est la couleur la plus calme qui soit. Elle n’est lesiège d’aucun mouvement. Elle ne s’accompagne ni de joie, ni detristesse, ni de passion. Elle ne demande rien, elle ne lance aucunappel. Cette immobilité est une qualité précieuse et son action estbienfaisante sur les hommes et sur les âmes qui aspirent au repos.»

KANDINSKY, Du Spirituel dans l’art

Les civilisations celtiques (Irlande, Pays de Galles, Bretagne)n’avaient qu’un seul mot pour désigner le bleu ou le vert : glass.

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À l’aide de sables colorés, les Indiens Navajo (Amériquedu Nord) exécutaient sur le sol des peintures rituelles

Quatre couleurs, noir, bleu, jaune, blanc, symbolisaient les quatremondes ascendants d’où émerge l’Homme. Les plantes, les mon-tagnes, les points cardinaux, l’Oiseau Bleu du Bonheur étaientreprésentés, entourés d’un tracé circulaire de plusieurs couleurs,figurant la déesse Arc-en-Ciel.Le ciel était tout entier fait de ce bleu radieux et un peu pâlecomme le promeneur couché dans un champ le voit parfois au-dessus de sa tête, mais tellement uni, tellement profond, qu’onsent que le bleu dont il est fait a été employé sans aucun alliage, etavec une si inépuisable richesse qu’on pourrait approfondir deplus en plus sa substance sans rencontrer un atome d’autre choseque de ce même bleu.

MARCEL PROUST

KRISHNA LE BLEU

Krishna, héros de la mythologie hindoue, est une des incarnationsdu dieu Vishnou. Berger, musicien, charmeur des animaux, commeOrphée, il séduit les femmes, et il aime faire des farces. Il occupe lapremière place dans la dévotion populaire de l’Inde. On le recon-naît à l’aigrette de plumes de paon qui orne son diadème,mais sur-tout, quoique son nom signifie « noir » en sanskrit, à la couleurbleue de sa peau.

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Un héraut d’armes d’Alphonse V d’Aragon, Scille, décrit dansle Second traité du Blason, au milieu du xvie siècle, les symbo-les des qualités morales attachées à chaque couleur, et ce quipourrait être signifié en combinant deux ou plusieurs couleursdans un costume.

Lors de bleu est divin, et l’ennemi du malLe jaune est jalousie et parfois fort banalLe rouge est infernal, vivant et puis féroce,Le vert est espérance, et rose est douce noce.

UTRILLO

À l’époque où les seigneurs affirmaient leur puissance par la bril-lance et les riches colorations de leurs habits, Charles le Témé-raire, Duc de Bourgogne, choisit pour lui-même et pour sa courle strict velours noir…Il y a des rouges triomphaux et des rouges assassins, il y a un bleuqui peut être celui de sainte Madeleine, et un bleu qui sera celuide Messaline.

LÉON BAKST

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Les couleurs de Gargantua étaient le blanc et le bleu, comme vousauriez pu le lire ci-dessus, et son père, par leur truchement, vou-lait donner à entendre que son fils lui apporte une joie céleste.Car le blanc signifiait à ses yeux joie, plaisirs, délices et réjouissan-ces, et le bleu, choses célestes.Je me doute bien qu’en lisant ces mots vous vous moquez de cevieux buveur qui vous parle et jugez cette interprétation des cou-leurs trop grossière et impropre ; vous dites que le blanc signifiefoi et le bleu fermeté.

RABELAIS, Gargantua

Éluard n’a jamais cessé d’éveiller en moi l’idée de la couleur duciel, d’une eau profonde et tranquille, d’une douceur qui connaîtson énergie.

PABLO NERUDA

Ce qui me frappe d’abord, c’est que partout – coquelicots dansles gazons, pavots, perroquets, etc. – le rouge chante la gloire duvert.

BAUDELAIRE

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Les cinq couleurs symboliques des ornements sacerdotauxdu rituel catholique alternent suivant le cycle liturgique

Le Blanc, pureté, joie, fête ; il est réservé à la célébration desFêtes de Jésus-Christ (Noël, Pâques, Ascension), de la Vierge, etdes saints, et aussi utilisé pour les messes de mariage.

Le Rouge évoque le sang des martyrs, le feu des apôtres ; il figureaux cérémonies de la Passion, de la Pentecôte, aux fêtes des saintsmartyrs.

Le Violet : tristesse, méditation, pénitence. Il correspond aux offi-ces de l’Avent, de Septuagésime, du Carême, des Vigiles et desRogations.

Le Vert symbolise l’espérance, les biens à venir ; il est utilisé pourles Dimanches après la Pentecôte.

Le Noir est réservé au Vendredi Saint et aux messes des morts.

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Il y a des connaisseurs de bleu comme il y a des amateurs de crus.[…][…] Je n’allais pas mendier le bleu aux clairs lits de sable fin où lavague se repose, sachant bien qu’à peine né de l’aurore, le bleu dela mer serait mordu cruellement par le vert insidieux qui éteintau ciel la dernière étoile, et que chaque point cardinal, quittant lebleu instable, choisit sa couleur céleste : l’est est violacé, le nordd’un rose glacial, l’ouest rougeoyant et gris le sud.

COLETTE, Pour un herbier�

On raconte qu’un Français spirituel aurait dit : « Le ton de laconversation avec Madame était changé depuis qu’elle avaitchangé en cramoisi le meuble de son cabinet qui était bleu. »

GOETHE, Traité des Couleurs�

Les images d’Epinal doivent en grande partie leur succès aux tonstrès vifs dont était colorié, au pochoir, le dessin noir : rouge, bleu,jaune, brun, violet, vert, rouge clair «rosette », et, au début duXIXe siècle, un orange éclatant.

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« – Tenez, tenez, dit Pantagruel, voyez-en ici qui ne sont pasencore dégelées. »Alors il nous jeta sur le tillac de pleines poignées de parolesgelées ressemblant à des dragées perlées de diverses couleurs.Nous y vîmes des mots de gueules, des mots de sinople, desmots d’azur, des mots de sable, des mots dorés. Après avoir étééchauffés entre nos mains, ils fondaient comme neige, et nous lesentendions réellement, mais nous ne les comprenions pas carc’était un langage barbare.

RABELAIS, Le quart livre�

BRODERIES GRECQUES ANCIENNES

On brodait avec des fils de couleurs, de soie, de laine ou de coton,parfois mélangés à des fils d’or ou d’argent. Les substances végéta-les employées pour la teinture garantissaient l’inaltérable fraîcheurdes couleurs telles qu’elles résultaient des différents procédés defabrication selon d’anciennes recettes fort détaillées qui préci-saient même le moment le plus propice à la cueillette des plantescolorantes.

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Pierre Loti décrit la robe d’une impératricedu Japon de l’an 200

« Elle est faite de sept doubles d’une fine mousseline de soie,superposés, tous de nuances différentes, et laissés libres d’on-doyer séparément dans la longueur de la traîne. L’étoffe de des-sus, qui jadis était blanche et que le temps a rendue d’une couleurde vieil ivoire jauni, est semée d’oiseaux envolés (grandeur demoineaux) à tête de dragon; très espacés dans leur vol fantasti-que, les uns verts, les autres bleus, les autres jaunes ou violets. Ladeuxième étoffe est jaune, la troisième bleue, la quatrième vio-lette, la cinquième vieil or, la sixième verte, – toutes parseméesd’animaux étranges et différents qui volent à tire-d’aile. La der-nière enfin, celle de dessous, celle qui touchait et enveloppait lecorps d’ambre de l’impératrice, est violette, semée de blasonsimpériaux – qui sont des enroulements de chimères.

Japoneries d’Automne

Le « bleu-lessive » ou bleu de Bâle, mélange à base de bleu dePrusse, était utilisé pour rehausser le blanc du linge, et aussi endécoration.

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Depuis l’antiquité jusqu’à la deuxième moitié du XIXe siècle, lescolorants pour la teinture des tissus étaient extraits de plantes,d’animaux ou de minéraux.Aujourd’hui, les chimistes ont mis aupoint des dizaines de milliers de colorants synthétiques. C’est unart dont la pratique demande beaucoup d’expérience : il fautmélanger deux, trois, ou quatre colorants afin d’obtenir la teinteexacte demandée pour telle ou telle sorte de textile et en garantirla permanence au lavage et à la lumière.

Des manuscrits précieux, au début du Moyen Age, ont été écrits àl’encre d’or sur du parchemin teint en pourpre.

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ANCIENS NOMS DE COULEURS

PONCEAU. Nom du coquelicot, et de son rouge.

AMARANTE.Nom de la fleur et de sa couleur rouge-pourpreveloutée.

PUCE. Brun-rouge.

PERS (OU PERSE). Nuance du bleu des yeux.

INCARNAT. Rouge clair de nuance orangée.

BARBEAU. Nom du bleuet et de sa couleur.

ISABELLE. Blanc jauni.

EMAIL.Anciennement l’ensemble des colorations du blason, puis,en poésie, toutes les couleurs des fleurs dans un pré ou unjardin.

ZINZOLIN. Violet tirant sur le rouge.

GORGE-DE-PIGEON. Gris changeant du vert au rose-violet.

AURORE. Rose tendre.

CRAMOISI. Vient de l’arabe « kermès » qui désigne le rouge produitpar la cochenille du même nom.

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LA GARANCE

Andrinople et Smyrne en étaient les principaux centres dans l’an-tiquité. Puis il y eut une grande production en Flandres, en Alsaceet en Avignon.L’infanterie de ligne, en France, portait le pantalon garance. « Enpincer pour la garance » voulait dire : être attiré par le métiermilitaire. Cultivateurs et teinturiers furent ruinés par la décou-verte, en 1869, de l’alizarine artificielle, dont le pouvoir tinctorialest cent fois plus fort que celui du colorant naturel.

Avant 1914, le couturier Paul Poiret ose, pour des manteaux dusoir, des accords de tons surprenants : violet et rouge, émeraudeet violet, bleu Nattier et vieux rose.Si on regarde, dans un miroir grossissant bien éclairé, toutes lesnuances qui composent l’iris de nos yeux, on pourra y trouverune gamme de tonalités spécifiquement en harmonie avec nous-mêmes, pour nos vêtements, par exemple. On pourrait jouer decette palette de base, du clair au foncé, du vif au sourd, en y incor-porant, en contrastes complémentaires, des couleurs choisiesparmi celles, sans cesse différentes, que la Mode apporte à chaquesaison.

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En se maquillant, beaucoup de femmes appliquent avec succès leslois de l’harmonie des couleurs ; instinctivement elles saventchoisir parmi les innombrables nuances proposées celles qui met-tent en valeur leur teint, leurs yeux, leurs cheveux, et s’accordentà leur vêtement.

Le savant Rood admire la luminosité des peintures faites de peti-tes touches de couleurs juxtaposées, à la manière des impression-nistes et des pointillistes, et leur compare la coloration de tissusindiens : « Dans les châles de cachemire, le même principe estdéveloppé et poussé fort loin, et c’est à cela que ces étoffes doi-vent une grande partie de leur beauté. »

Les dames de 1664 aimèrent à la folie les « perses » (ou indiennes)aux couleurs très fraîches sur le fin coton des Indes; fleurs réelleset imaginaires, en violets, bleus, rouges, jaunes, verts, envahirentnon seulement leurs robes, mais les meubles, les murs et lesrideaux aux fenêtres.

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GAMME DE COLORANTS EXTRAITS DE PLANTES

Rouge-orangésextraits de la garance

Rougedu Bois de Brésil

Jaune-orangédu rocou

Jaunesde la gaude, de l’orpiment, du genêt (ougenestrelle),du safran, du curcuma,du carthame.

Vertdu nerprun (ou graine d’Avignon)

Bleus foncésde l’indigo

Bleus clairsdu pastel (ou guède)

Brunsdu brou de noix, du cachou

Violetdu sésame

Noirde la noix de Galle

EXTRAITS D’ANIMAUX

Pourpredu murexEcarlate, carminde la cochenille (ou Kermès)

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Toutes ces couleurs étaient utilisées pour l’impression et lateinture des tissus jusqu’à l’apparition des colorants synthéti-ques, à partir de 1856.L’essor des colorants de synthèse, dans la deuxième moitié duxixe siècle, a rendu bon marché les tissus colorés et imprimés,et multiplié leur gamme de façon spectaculaire. Un largepublic féminin découvre alors le plaisir de s’habiller de cou-leurs. Michelet remarque le nouveau visage de la foule pari-sienne : « Toute femme portait jadis une robe bleue ou noirequ’elle gardait dix ans sans la laver, de peur qu’elle ne s’enallât en lambeaux. Aujourd’hui son mari, pauvre ouvrier, auprix d’une journée de travail la couvre d’un vêtement defleurs.Tout ce peuple de femmes qui présente sur nos prome-nades une éblouissante vue de mille couleurs, naguère était endeuil. »

Pomme de reinette et pomme d’apiTapis rouge, tapis rougePomme de reinette et pomme d’apiTapis gris, tapis gris

Comptine

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Paul Poiret écrit,en 1925

Quand j’ai commencé à faire ce que je voulais dans la couture, iln’y avait plus de couleur du tout sur la palette des teinturiers.[…] Les nuances « cuisse de nymphe », les lilas, les mauvespâmoison, les hortensias bleu tendre, les maïs, les pailles, toutce qui était doux, délavé et fade, était en honneur. Je jetai danscette bergerie quelques loups solides : les rouges, les verts, lesviolets, les bleus-de-roi firent chanter tout le reste. Il fallutréveiller les Lyonnais et mettre quelque gaieté, quelque fraî-cheur nouvelle dans leurs coloris. Il y eut des crêpes de Chineorange et citron auxquels ils n’auraient pas osé penser. […]J’entraînai la troupe des coloristes en abordant tous les tons parle sommet, et je rendis la santé aux nuances exténuées.

EN HABILLANT L’ÉPOQUE

Dans le domaine des tissus imprimés pour la maison, la colora-tion a un rôle prépondérant. Le succès d’un imprimé dépendsurtout de ses tonalités. C’est pourquoi plusieurs colorationsd’un même tissu sont proposées au public ; par exemple, uneharmonie où le bleu est la dominante, une autre le rouge, le

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rose, etc. L’artiste qui imagine un dessin coloré pour l’impres-sion, le conçoit donc simultanément en plusieurs « variantes ».Cela demande un œil de peintre ; il faut que contrastes de tons,distribution des clairs, foncés, vifs, neutres, gardent le mêmeéquilibre dans chaque version, tout en créant différentes atmos-phères colorées, et qu’elles soient toutes aussi attirantes.

Sous le signe des couleurs, en Inde, se termine une année et com-mence la suivante. Durant trois jours, on fête « Holi », avec beau-coup de rires et de plaisanteries. Célébrant Krishna, et Kama,dieu du plaisir, les Indiens se couvrent le visage de vermillon ets’aspergent d’eaux multicolores.

Au XIXe siècle,la couleur est excluede l’habillement masculin

MUSSET REGRETTE :

« Qu’on ne s’y trompe pas : ce vêtement noir que portent leshommes de notre temps est un symbole terrible, pour en venir làil a fallu que les armures tombent pièce à pièce et les broderiesfleur à fleur. C’est la raison humaine qui a renversé toutes les illu-sions. »

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CHARLES BLANC ANALYSE :

« Partout où la civilisation se complique et se développe,l’homme abandonne aux femmes la couleur et devient lui-mêmeincolore et sombre. »

THÉOPHILE GAUTIER RÉSISTE :

« Le rapin dominait encore, chez nous, le poète, et les intérêts dela couleur nous préoccupaient fort. Pour nous le monde se divi-sait en flamboyants et en grisâtres, les uns objets de notre amour,les autres de notre aversion. »

COULEURS ET « USAGES DU MONDE »AU XIXE SIÈCLE

NOCES D’OR

La « mariée » n’a pas perdu la coquetterie nécessaire à celle quiveut plaire jusqu’à la fin à celui qu’elle aime. Elle est vêtue d’unerobe traînante en velours ou en satin violet pâle, un mantelet dedentelle ou de velours pareil à la robe. Ses boucles d’argent sontvoilées d’une épaisse mantille de dentelle piquée de pensées. Lapensée est la fleur de ces noces. Le marié la porte à sa bouton-nière et tous les assistants dans leur toilette.

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SECONDES NOCES

La veuve qui se remarie ne s’habillera ni de gris, ni de mauve, cequi aurait l’air demi-deuil et serait peu aimable pour son secondmari ; elle évitera le rose, couleur trop gaie, qui serait déplacée.Elle se coiffera d’une mantille noire ou blanche, dans laquelle ellepiquera quelques fleurs. Les chrysanthèmes et les scabieuses, quisont dénommées fleurs de veuve, doivent être éliminés de saparure.

FIANÇAILLES

La jeune fiancée est habillée d’une robe gaie, rose tendre, bleucéleste, blanche avec des rubans aurore. Les femmes présentesassortissent la couleur de leur toilette à la circonstance, c’est-à-dire qu’il ne faut pas de notes sombres.

VISITE AU NOUVEAU-NÉ

L’accouchée reçoit étendue sur une chaise longue et parée, carc’est fête, grande fête dans la maison. La robe de la mère est à lacouleur de l’enfant (bleue pour un garçon, rose pour une fille). Lanourrice ou la bonne (si la mère a le bonheur de nourrir elle-même), qui se tient à portée pour montrer l’héritier, porte égale-ment la livrée du nouveau-né, et les tentures du berceau sontaussi roses ou bleues. L’enfant est tout de blanc vêtu.

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Une mère soucieuse de faire bien juger sa fille et de se faire bienjuger elle-même, ne souffrira pas qu’un pot de carmin entre dansle cabinet de toilette ; au besoin, elle exercera une surveillancerigoureuse pour soustraire son enfant à cette déplorable pratiquedu maquillage.

Au déjeuner de Pâques, on sert toujours des œufs durs teints debrillantes couleurs ou argentés ou dorés.Il y a aussi des bals roses, où, par une jolie convention, toutes lesfemmes invitées sont habillées de rose : soie, gaze, tulle, crêpe,etc. Les hommes attachent un camélia rose à la boutonnière deleur habit. Si on recevait une invitation à un bal rose et si on nepouvait faire la dépense d’une toilette de cette couleur, on refuse-rait simplement… et sans regrets, si l’on était raisonnable…

BARONNE STAFFE

Sur la terre natale, les gouttes de sang des martyrsSont les tulipes rouges du printemps de la liberté.

Chant des femmes pashtounes

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Elle était charmante, marchant à petits pas dans sa jupe plissée,noire à bande orange, qui est de mode cette année (car les modeschangent à Isvor), et brillant au soleil de toutes les paillettes d’ar-gent cousues à sa chemise. Sa face ronde, où ses grands yeuxs’épanouissent comme des fleurs étonnées d’être bleues, s’ornaitde deux lunes rouges. Pitts avait bien vu :Anica se farde, commetoutes les autres filles d’ailleurs. Les jours de cérémonie, elles pla-cent sur leurs pommettes le signe conventionnel de la beauté : ilattire le regard des hommes.C’est dans la même intention qu’on trace ici des ornements decouleurs vives sur les façades des maisons où demeurent des fillesà marier.

PRINCESSE BIBESCO, Isvor

Les Colorado se peignent le corps en entier, se collent les che-veux, imprègnent tous leurs vêtements avec le rouge de roucou.Cette couleur leur plaît tout particulièrement.Tout ce qu’ils tou-chent et ce qui les touche en est imprégné, ce qui leur a valu leurnom.

MARQUIS DEWAVRIN

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COULEURS DE PÂQUES

J’ai vu les œufs rouges, les œufs peints ; on m’en apporte. Lesplus nombreux, les plus ordinaires, sont rouge sang. Mais il y enaussi des bleus, des verts, des jaunes, et même des noirs. Lesnoirs représentent « la douleur du supplice de Jésus ». Il en estd’autres tout couverts de dessins étranges, ils émerveillent ; ilsne sont pas dans la nature ; ils ont le charme du fard, l’attrait de cequi ne s’est pas fait tout seul ; la mystérieuse sensualité de la pein-ture s’en dégage. La peine qu’il faut prendre pour les colorier destons les plus vifs, les plus frais, pour les décorer avec un art minu-tieux d’enlumineur, ne sera pas perdue. Les femmes qui se livrentà cette opération délicate savent bien que les enfants, et les hom-mes qui leur ressemblent, se réjouiront davantage en mangeantun œuf bleu, un œuf rouge, un œuf couvert de rébus et d’entre-lacs, qu’en mangeant un simple œuf blanc de poule, comme on envoit tous les jours.

PRINCESSE BIBESCO, Isvor

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DRAPEAU

Les révolutionnaires de 1789 décidèrent que les couleurs nationa-les étaient le blanc (la monarchie) entre le bleu et le rouge (lescouleurs de la ville de Paris).

Ardent défenseur de Victor Hugo, son ami,Théophile Gautier, lesoir de la « première » – et de la bataille – d’Hernani, arborait unprovocant gilet rouge.

La couleur militaire kaki est née en Inde. Les Cipayes portaientune tunique rouge. Après leur révolte, en 1857, un colonel del’armée coloniale anglaise décida qu’ils porteraient désormais lacouleur « khâki » qui signifie poussière, en hindoustani.

« Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nosbelles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg ! »

GÉNÉRAL LECLERC, Koufra, 1er mars 1941

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Les jeunes volontaires 1794 étaient habillés de bleu, à défaut devéritables uniformes. On appelle encore un « nouveau » un «bleu ».

[…] Et soudain tous, jetant leurs armes sur la terre,Lavent dans le ruisseau les couleurs de la guerreQui luisaient sur leurs fronts cruels et triomphants.

BAUDELAIRE, Le calumet de la paix

La couleur peut être utilisée comme avertissement muet

En 1991, les femmes suisses, pour obtenir le droit de vote, ontorganisé une grève des femmes au travail. La consigne fut diverse-ment suivie. En revanche, la couleur fuchsia, symbole de cettegrève, a figuré, le jour dit, dans l’habillement d’un grand nombrede travailleuses, affirmant ainsi leur revendication.Durant les années de l’Occupation en France, des ouvrièresdémontrèrent sans paroles leur patriotisme en portant chacuneune pièce de vêtement ou un accessoire bleu, blanc ou rouge, lejour de la visite de leur usine par un grand commandant alle-mand.

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Ettore Bugatti présente, en juillet 1927, sa fameuse «Royale»peinte de noir et jaune, ses couleurs personnelles.

La guerre fut grise et camouflée. Une lumière, une couleur, unton même étaient interdits sous peine de mort. Une vie d’aveu-gles où tout ce que l’œil pouvait enregistrer devait disparaître.Personne n’a vu la guerre, caché, dissimulé, à quatre pattes, cou-leur de terre, l’œil inutile ne voyait rien. Tout le monde a «entendu » la guerre. Ce fut une énorme symphonie qu’aucunmusicien ou compositeur n’a encore égalée : « Quatre années sanscouleur ».

FERNAND LÉGER

Dans les années trente, la tenue des vendeuses d’un grand magasinparisien était encore très précisément réglementée:Robe de lainage noire ou marine foncéCols et poignets blancs autorisésGarnitures de couleur absolument interdites.

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L’inventeur de la photographie en couleur (en 1867), Charles Cros, étaitaussi un poète

J’ai voulu que les tons, la grâce,Tout ce que reflète une glace,L’ivresse d’un bal d’opéra,Les soirs de rubis, l’ombre verteSe fixent sur la plaque interne.Je l’ai voulu, cela sera.

… Je suis jeune ; la pourpre en mes veines abonde.

THÉOPHILE GAUTIER

J’ai trois fenêtres à ma chambre :L’amour, la mer, la mort,Sang vif, vert calme, violet.

CHARLES CROS

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PALETTE DE COULEURS ÉLECTRONIQUE

Pour colorer les images de synthèse, on dispose sur l’écran gra-phique d’une gamme (de 16 à 256 tons) à partir desquels on peutopérer des mélanges et des variations d’intensité. Des faisceauxlumineux émettent le rouge, le vert, le bleu (RVB) en formesminuscules qui, en se superposant, reconstituent toutes les cou-leurs demandées.Avec facilité et rapidité, on peut obtenir des permutations sur unmême dessin, ou bien essayer toutes sortes de colorations diffé-rentes. Ces images apparues à l’écran peuvent être transcrites surpapier ; ce sera alors un autre jeu de couleurs de base, magenta,jaune et cyan, qui sera utilisé.Des artistes s’empareront-ils de ces moyens techniques totale-ment nouveaux, de cette matière couleur-lumière ?

ROSES…

Fuchsia, cyclamen, rose-bonbon, fraise-écrasée, rose-tyrien, bois-de-rose…

ROSES ORANGÉS…

Corail, saumon, abricot…

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Entre 1916 et 1925,en Russie,Alexandra Exterrévolutionne le décor de théâtre

La scène est désormais construite en plans géométriques de diffé-rentes couleurs; cercles, triangles, spirales, formes zigzaguantes,oscillent entre le mouvement et le statisme, accentués par desjeux de lumière.

TECHNICOLOR

On coloria d’abord le film à la main.En 1909 il y eut le Kinémaco-lor, procédé en deux couleurs. En 1935, à Hollywood, apparaît lepremier long métrage en Technicolor trichrome, « Becky Sharp ».

LES « CLICHÉSVERTS »

Les « clichés verts » étaient une invention des peintres de Barbizon.Ils peignaient à la gouache, sur une plaque sensible, un paysage.L’exposition au soleil révélait une image d’une étrange poésie.

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« Robert n’avait rien d’un bonnet de nuit avec son costume: man-teau rouge à col bleu, veston vert, gilet bleu de ciel, minusculecravate rouge, pantalon noir, chaussettes rouges, chaussures noiret jaune. »

SONIA DELAUNAY

En 1924, Marcelle Tinayre décrit ainsi l’arrivée du Père Noël :« Etait-il vraiment à Paris ? Une diabolique fantasmagorie d’élec-tricité faisait grimacer le visage de la ville. Ce n’étaient que lettrescolorées, inscriptions colossales, dessins étranges, animés d’unevie intermittente et lumineuse, qui, dans un rouge reflet, dansune phosphorescence jaune et verte, couraient, se déformaient,se détruisaient, se reformaient sans cesse. »

AGENDA 1924, GALERIES LAFAYETTE

LUMIÈRES EN COULEURS

Aujourd’hui il est possible d’obtenir cent cinquante nuances denéon, en combinant différents gaz et phosphores. Des artistes tra-vaillent avec cette palette de lumière.

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BALLETS RUSSES

Schéhérazade, Cléopâtre, L’Oiseau de Feu furent combinés par unpeintre autant que par un chorégraphe. Les tons jouent par com-plémentaires, purs et entiers ; les feux de la rampe, l’éloignementde la scène délayeront les couleurs violentes, les mélangeront, lesfondront d’une manière harmonieuse. Le peintre qui a fourni lamaquette du décor a également donné les aquarelles des costu-mes, échantillonné les tissus ; ces étoffes, ces costumes s’intègrentau décor ; les personnages se placent de manière à souligner telletonalité de la toile de fond, à contraster avec elle. Les évolutionsdes ballets sont dominées par une conception picturale.

LÉANDREVAILLAT, Histoire de la Danse

À l’Exposition universelle de 1889, un petit garçon de dix ans,Paul Poiret, est émerveillé par des fontaines lumineuses. Ilécrira plus tard : « Je me suis souvent demandé si mon goût pourla couleur n’était pas né ce soir-là devant la fantasmagorie desroses, des verts et des violets. »

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VIOLETS…

Mauve, améthyste, aubergine, lilas, prune…

À Vienne en 1900, Franz Cisek créa une classe de peinture pourles enfants. Des expositions en 1908 à Londres, 1914 à Cologne,1918 aux Etats-Unis, révélèrent au monde les couleurs de « l’ArtEnfantin ».

La danseuse Loïe Fuller eut l’idée, vers 1900, au moment de l’ap-parition de l’électricité, de créer un spectacle de couleurs-lumiè-res, en s’entourant d’immenses voiles colorés qu’elle faisait tour-noyer en dansant sous le jeu des projecteurs.

Mon père a acheté à ma mèreune jupe rouge

Ma mère a acheté à mon pèreun béret rouge

c’est pour ça que ma mèreaime mon père !

Chanson basque

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Il y en avait un qui était un haut compartiment divisé en une cen-taine de petits vitraux rectangulaires où dominait le bleu, commeun grand jeu de cartes pareil à ceux qui devaient distraire le roiCharles VI ; mais soit qu’un rayon eût brillé, soit que mon regarden bougeant eût promené à travers la verrière, tour à tour éteinteet rallumée, un mouvant et précieux incendie, l’instant d’aprèselle avait pris l’éclat changeant d’une traîne de paon, puis elletremblait et ondulait en une pluie flamboyante et fantastique quidégouttait du haut de la voûte sombre et rocheuse, le long desparois humides, comme si c’était dans la nef de quelque grotte iri-sée de sinueuses stalactites que je suivais mes parents, qui por-taient leur paroissien ; un instant après, les petits vitraux enlosange avaient pris la transparence profonde, l’infrangible duretédes saphirs qui eussent été juxtaposés sur quelque immense pec-toral, mais derrière lesquels on sentait, plus aimé que toutes cesrichesses, un sourire momentané de soleil ; il était aussi recon-naissable dans le flot bleu et doux dont il baignait les pierreriesque sur le pavé de la place ou la paille du marché ; et, même à nospremiers dimanches quand nous étions arrivés avant Pâques, il meconsolait que la terre fût encore nue et noire, en faisant épanouir,comme en un printemps historique et qui datait des successeursde Saint Louis, ce tapis éblouissant et doré de myosotis en verre.

MARCEL PROUST

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C’est principalement en raison de leur coloration que sont choisiset achetés les aliments. (En effet, il est interdit de toucher ; il fautdonc se guider par la vue.) Ainsi, en Espagne, les verts et les rou-ges des poivrons et des tomates ont été étudiés avec soin pour éta-blir les colorations-type qui sont le signe, pour les consomma-teurs, d’une parfaite maturation de ces légumes.

Au Japon, la délicatesse des coloris, leurs contrastes, les formeset la disposition des aliments sur des assiettes carrées ou rec-tangulaires, édifient de petites œuvres d’art éphémères.

À la floraison des cerisiers mon père revint. […] Il apporta àmon frère un réveil à carillon d’orgue. J’écoutais sans fatiguecette même musique cent fois de suite. à moi il apporta une boîteémaillée avec sept couleurs différentes.J’étais si heureux que je la nettoyais tout le temps.

FOUJITA

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Une grande firme de soieries japonaises a présenté à Paris, en1979, des créations somptueuses, dans une gamme de sept tons :« Ces couleurs ont été aimées de la Maison impériale et l’aristo-cratie. Les gens d’autrefois les ont tirées de plantes qui poussaientà l’état sauvage. Les coloris sobres (shibui iro) ont une délicatessetypiquement japonaise. »Ils étaient : gris tourterelle, bleu-ciel intense, vert olive-verte,jaune vieil-or clair, feuille morte, bois de rose, lilas.

MOSAÏQUES DE RAVENNE

L’or brille sous un voile d’azur sombre. Les métaux des mosaï-ques laissent errer de longues lueurs entre les colonnes quifuient. Profonde, diaprée, c’est la couleur de l’émail et de lasoie, la roue du paon.Violette et irisée, d’algue glauque et d’in-digo, la splendeur de Ravenne est sous-marine.

ANDRÉ SUARÈS

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Gilgamesh fait élever une statuedigne de la mémoire de son ami Enkidu

La statue fut faite d’un grand poids de lapis-lazuli, pour la poi-trine, et d’or pour le corps. Une table de bois dur fut dressée ; ony posa une coupe de cornaline remplie de miel, et une coupe delapis-lazuli remplie de beurre. Il les exposa et les offrit au Soleil.Puis, en larmes, il s’en alla.

L’Epopée de Gilgamesh

Imaginons les statues grecques telles qu’elles furent, entièrementpeintes, yeux, visages, chevelures et belles robes colorés derouge, ocre, noir, bleu, dont on voit encore les traces…

Dans la Rome antique, les pavements de mosaïque composée avectous les coloris du marbre, mais aussi, de ceux, beaucoup plusriches, du verre coloré, firent dire ironiquement à Sénèque : « Onne peut plus marcher que sur des pierres précieuses. »

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Les colorations des vitraux du XIIe siècle sont les plus audacieu-ses, et jouent sur des fonds variés, pourpres, verts, jaunes, et passeulement rouges et bleus comme au siècle suivant.

Les colorants employés par les tisserands coptes étaient d’unetelle solidité qu’aujourd’hui encore, envers et endroit ont lemême éclat.

L’enlumineur (appelé illuminator,ou paginator) du Moyen Age prépa-rait lui-même ses couleurs. Certains d’entre eux entreprenaientde grands voyages pour se procurer de meilleures recettes, amé-liorer leur savoir-faire. Ils consignaient leurs trouvailles dans desregistres, et confrontaient, entre amis, leurs expériences d’artis-tes.Au Palais de Topkapi dans le pavillon de Murat III, à cause de leurcouleur rouge tomate, on peut dater les carreaux de faïence ver-nissée du bas des murs : 1540-1560. Seul un contremaître armé-nien, qui travaillait à cette époque dans la fabrique d’Iznik, savaitréaliser cette teinte rare. Il a gardé son secret.Les Phéniciens coloraient le verre, naturellement bleu ou bleu-vert, au moyen de différents oxydes, pour obtenir des bleus ciel,verts, jaune clair ou jaune doré, et blanc.

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DANS L’ÉGYPTE ANCIENNE

Les artisans peignaient et incrustaient les meubles. Des milliers depeintres se succédaient pour colorer (avec du blanc, du noir, del’ocre rouge, de l’ocre jaune, du vert et du bleu) les statues, lesscènes, les textes et les décors gravés sur les murs, les piliers, lesplafonds, les façades des temples et des palais, les chambres funé-raires, où sont restées, intactes, les couleurs.

Les yeux étaient maquillés : les paupières inférieures soulignéesde vert, les paupières supérieures et les sourcils de noir, en pro-longeant les lignes vers les tempes. Le meilleur talisman était «l’Œil Oudjat », une représentation de l’œil maquillé du dieuHorus.

Les orfèvres disposaient de pâte de verre bleue et verte, de lapis-lazuli, de cornaline, d’améthyste, d’or, de cristal de roche, demalachite, pour créer des bijoux très colorés.

La couleur très foncée de la terre, du limon, désignait l’Egypteantique, nommée Keme, « la Noire ». Le noir était la couleur dela fertilité, et aussi pouvait symboliser la renaissance après lamort, à cause du bitume qui préservait les momies.

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Le rouge évoquait le désert, le dessèchement, était maléfique. «Mauvais » se disait « rouge ». L’expression « âne rouge » nous vientde très loin… Le jaune, l’or, le bleu du lapis-lazuli, représentaientl’immortalité, la matière du corps des Dieux. Le blanc était la cou-leur de la fête, de la joie.

Çà et là, à la surface, rougissait comme une fraise une fleur denymphéa au cœur écarlate, blanc sur les bords. Plus loin, les fleursplus nombreuses étaient plus pâles, moins lisses, plus grenues,plus plissées, et disposées par le hasard en enroulements si gra-cieux qu’on croyait voir flotter à la dérive, comme après l’effeuil-lement mélancolique d’une fête galante, des roses mousseuses enguirlandes dénouées.Ailleurs un coin semblait réservé aux espè-ces communes qui montreraient le blanc et le rose proprets de lajulienne, lavés comme de la porcelaine avec un soin domestique,tandis qu’un peu plus loin, pressées les unes contre les autres enune véritable plate-bande flottante, on eût dit des pensées de jar-din qui étaient venues poser comme des papillons leurs ailesbleuâtres et glacées sur l’obliquité transparente de ce parterred’eau ; de ce parterre céleste aussi : car il donnait aux fleurs un sold’une couleur plus précieuse, plus émouvante que la couleur desfleurs elles-mêmes ; et, soit que pendant l’après-midi il fît étince-

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ler sous les nymphéas le kaléidoscope d’un bonheur attentif,silencieux et mobile, ou qu’il s’emplît vers le soir, comme quel-que port lointain, du rose et de la rêverie du couchant, changeantsans cesse pour rester toujours en accord, autour des corol-les de teintes plus fixes, avec ce qu’il y a de plus profond, de plusfugitif, de plus mystérieux – avec ce qu’il y a d’infini – dansl’heure, il semblait les avoir fait fleurir en plein ciel.

MARCEL PROUST,

À la recherche du temps perdu,Du côté de chez Swann

Diderot,dans son Essai sur la peinture, décrit l’art du peintre

« … sa palette est l’image du chaos. C’est dans ce chaos qu’iltrempe son pinceau ; et il en tire l’œuvre de la création, et lesoiseaux et les nuances dont leur plumage est teint, et les fleurs etleur velouté, et les arbres et leurs différentes verdures, et l’azurdu ciel, et la vapeur des eaux qui les ternit, et les animaux, et leslongs poils, et les taches variées de leur peau, et le feu dont lesyeux étincellent. »

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Ma retraite pendant le jour était, lorsque je voulais éviter les pas-sagers, la hune du grand mât ; j’y montais lestement aux applau-dissements des matelots. Je m’y asseyais, dominant les vagues.L’espace tendu d’un double azur avait l’air d’une toile préparéepour recevoir les futures créations d’un grand peintre. La couleurdes eaux était pareille à celle du verre liquide.

CHATEAUBRIAND

Les ailes du papillon Machaon sont jaune soufre avec une largebordure noire et des croissants bleus.

[…] le jardinier est aussi un peintre ; il veut plaire par la juxtapo-sition ou le mélange de certaines couleurs.

ALAIN, Leçons sur la peinture

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À l’époque Kokin (Xe siècle),au Japon« Le peuple de cette époque voyait une grande beauté dans cescoloris dérivés du climat humide qui prévaut au Japon, les vertsimbibés de rosée, les clairs ruisseaux et le sable blanc. Les genscommencèrent à préférer l’élégance des mariages subtils de tonali-tés. Ils ressentaient une unité avec la nature en portant un vêtementcorrespondant à la saison.»

IMAÏ, peintre.Tokyo,mai 1985

[…]Voyez ce lustre variantDe mille couleurs entasséesQu’un trait de lumière a tracéSur ce fond brun, vers l’orient.

Voyez ces tirades de feuDont le ciel vers le nord éclate ;Et, dans ces plaines d’écarlate,Ce bois d’amarante et de bleu.

JULES DE LA MESNARDIÈRE,

Le Soleil couchant�

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En 1576, Jean de Léry relate son voyage au Brésil. Il écrit, desIndiens « … lors ils se veulent parer et faire plus braves, se vêtentde robes, bonnets, bracelets, et autres parements de plumes ver-tes, rouges, bleues, et d’autres diverses parures naturelles, naïveset d’excellente beauté. »

L’ARA BLEU

… Il est entièrement bleu d’azur sur le dessus du corps, les aileset la queue, et d’un beau jaune sous tout le corps : ce jaune est vifet plein, et le bleu a des reflets et un lustre éblouissant. Les sauva-ges admirent ces aras et chantent leur beauté ; le refrain ordinairede leurs chansons est : oiseau jaune, oiseau jaune, que tu es beau !

BUFFON

C’était un martin-pêcheur bleu comme du fer chauffé.

BACHELARD,

Fragment d’une poétique du feu

PARURES DE PLUMES DES INDIENS DU BRÉSIL

L’artisanat de la plume apparaît comme celui d’une magnificationde la couleur. à cet égard, la richesse de la matière première qui,non seulement couvre tout le champ du spectre chromatique,

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mais encore offre des particularités de brillance, de satiné, et demétallisation, ne saurait être comparée qu’à celle de l’émail. […]

La sélection faite par chaque artisanat apparaît aussi clairement auniveau de l’exploitation de certaines couleurs. Ainsi, pour cequi a trait à la gamme des bleus, par exemple, si les appel-lations bleu cendré, bleu clair, bleu turquoise, bleu roi, bleugentiane, bleu pers, bleu violacé, azur foncé, azur clair, suffisent àpeine à rendre compte de la richesse de la gamme urubu, le bleudes Kayapos, est, lui, entièrement décrit par les deux seules tona-lités bleu clair et bleu outremer.

DANIEL SCHOEPF

Les marchands de fruits et légumes sont d’habiles coloristes quisavent spontanément doser et répartir les gammes de rouges, deroses, de jaunes, d’orangés, de verts, rapprocher aubergines etcitrons, cerises et laitues, et tout illuminer brillamment.

La fleur nommée Zinnia reflète la luminosité de son pays d’ori-gine, le Mexique, en une gamme éclatante de tons chauds : pour-pre, carmin, vermillon, safran, orangé, jaune d’or, citron, vanille,rose violine, saumon, rose bonbon, et blanc. On retrouve cestonalités ardentes dans les broderies de l’art populaire mexicain.

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Des nappes d’eau s’épanchaient, bleues,Entre des quais roses et verts,Pendant des millions de lieues,Vers les confins de l’univers ;

C’étaient des pierres inouïesEt des flots magiques ; c’étaientD’immenses glaces éblouiesPar tout ce qu’elles reflétaient !

BAUDELAIRE, Rêve Parisien

Chromosome,du grec khrôma : couleur, et sôma :corps.

Une peinture qui vole, c’est la « perruche omnicolore »d’Australie : rouge, vert, noir, jaune d’or et jaune-vert, azur etoutremer !

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TESTAMENT

Je lègue à mes amisun bleu céruleum pour voler hautun bleu de cobalt pour le bonheur

un bleu d’outremer pour stimuler l’espritun vermillon pour faire circuler le sang allègrement

un vert mousse pour apaiser les nerfsun jaune d’or : richesse

un violet de cobalt pour la rêverieune garance qui fait entendre le violoncelle

un jaune barite : science-fiction, brillance, éclatun ocre jaune pour accepter la terre

un vert Véronèse pour la mémoire du printempsun indigo pour pouvoir accorder l’esprit à l’orage

un orange pour exercer la vue d’un citronnier au loinun jaune citron pour la grâce

un blanc pur : puretéterre de Sienne naturelle : la transmutation de l’or

un noir somptueux pour voir Titienune terre d’ombre pour mieux accepter la mélancolie noire

une terre de Sienne brûlée pur le sentiment de durée

VIEIRA DA SILVA

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[…] ; l’aurore de jeunesse dont s’empourprait encore le visage deces jeunes filles, hors de laquelle je me trouvais déjà, à mon âge,illuminait tout devant elles et, comme la fluide peinture de cer-tains primitifs, faisait se détacher les détails les plus insignifiants deleur vie sur un fond d’or. Pour la plupart, les visages mêmes deces jeunes filles étaient confondus dans cette rougeur confuse del’aurore d’où les véritables traits n’avaient encore jailli. On nevoyait qu’une couleur charmante sous laquelle ce que devait êtredans quelques années le profil n’était pas discernable.

MARCEL PROUST

Ayant rompu l’œuf d’or par le soleil mûri,Sort de son lit de fleurs l’éclatant colibri ;Une verte émeraude a couronné sa tête,Des ailes sur son dos la pourpre est déjà prête,La cuirasse d’azur garnit son jeune cœur,Pour les luttes de l’air l’oiseau part en vainqueur…

ALFRED DEVIGNY

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Trois noms de poissons exotiques

Charbon ardentClown orangeClown de feu.

Voici le papillon FauneNoir et jaune

Voici le Mars azuré,Agitant des étincelles

Sur ses ailesD’un velours riche et moiré.

GÉRARD DE NERVAL

LE PAON

La couleur la plus permanente de la tête, de la gorge, du cou et dela poitrine, c’est le bleu avec différents reflets de violet, d’or etde vert éclatant ; tous ces reflets, qui renaissent et se multiplient

Les Couleurs 113

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sans cesse sur son plumage, sont une ressource que la nature sem-ble s’être ménagée pour y faire paraître successivement et sansconfusion un nombre de couleurs beaucoup plus grand que sonétendue ne semblait le comporter.

BUFFON

Une lumière étincelante mais froide tombait du ciel clair ; c’étaitune aurore boréale, polaire pour ainsi dire, avec des nuances delait, d’opale, d’acier dont notre ciel à nous ne donne aucune idée; une clarté pure, blanche, sidérale, ne paraissant pas venir dusoleil, et telle qu’on en imagine lorsque le rêve nous transportedans une autre planète.

Le papillon morphos, connu pour son bleu changeant, d’uneluminosité métallique, nous réserve une surprise : au microscope,nous espérons voir de quoi est composé cet éclat surprenant, etnous ne voyons plus de couleur du tout! C’est une fine structurede kératine translucide qui, par des phénomènes de diffusion etdiffraction de la lumière, donne à nos yeux la sensation de ce bleumerveilleux.

THÉOPHILE GAUTIER, Voyage en Russie

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… Les soleils couchantsRevêtent les champs,Les canaux, la ville entière,D’hyacinthe et d’or ;Le monde s’endortDans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,Luxe, calme et volupté.

BAUDELAIRE, Invitation au voyageà l’embouchure de la Néva

La peau du caméléon, dont l’épiderme jaune clair est transpa-rent, est faite de deux couches différentes de pigments colorésqui, en se contractant ou se dilatant, produisent des change-ments de couleurs.Les animaux marins des grandes profondeurs, où la lumièremanque, ont tous à peu près la même couleur indéfinissable :noirâtre, rougeâtre, ou à tendance brun ou violet.

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RECETTE POUR FAIRE LE BLEU

Si tu veux faire du bleu, prends un morceau de ciel et mets-le dansune grande marmite, que tu puisses porter au feu de l’horizon ;puis mélange-le avec un reste du rouge de l’aube, jusqu’à ce qu’ilait fondu ; verse le tout dans une bassine bien propre, pour qu’ilne reste rien des impuretés de l’après-midi. Pour finir, tamise unreste d’or du sable de midi, jusqu’à ce que la couleur attache aufond métallique.Si tu veux, pour que les couleurs ne passent pas avec le temps,jette dans le liquide un noyau de pêche brûlé.Tu le verras fondre,sans laisser la moindre trace comme si tu ne l’y avais mis ; et lenoir de cendre ne laissera pas même un reste d’ocre sur la surfacedorée.Tu pourras, alors, porter la couleurs à hauteur des yeux, etla comparer avec le bleu authentique.Les deux couleurs te paraîtront sembables, sans qu’il te soit possi-ble de les distinguer l’une de l’autre.Voilà comment j’ai procédé – moi,Abraham ben Juda Ibn Haïm,enlumineur de Loulé – et comment j’ai laissé la recette à qui vou-drait, un jour, imiter le ciel.

NUNO JUDICE, traduction inédite des élèvesde Michèle Giudicelli à l’université de Lyon

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Au Chili,Pablo Neruda enfant était fasciné par un gros coléoptère

« C’était un éclair en tunique d’arc-en-ciel. Le rouge et le vio-let et le vert et le jaune étincelaient sur sa carapace. Comme unéclair il s’échappa de mes mains et retourna à sa forêt. »

J’avoue que j’ai vécu�

LE SAPHIR-ÉMERAUDE

Les deux riches couleurs qui parent cet oiseau lui méritent le nomde deux pierres précieuses dont il a le brillant : un bleu de saphiréclatant couvre la tête et la gorge, et se fond admirablement avec levert d’émeraude glacé, à reflets dorés, qui couvre la poitrine, l’es-tomac, le tour du cou et le dos.

BUFFON

La coloration de l’anémone des montagnes est un signal attirant lesabeilles. Elle en a un besoin vital pour disséminer ses germes etassurer la continuation de l’espèce. Les deux couleurs, cœur jauneet pétales violets, sont exactement celles que l’abeille perçoit lemieux. (Elle voit le violet en bleu éclatant ; elle ne voit pas les rou-ges, mais très bien l’ultraviolet que nous ne pouvons pas voir.)

Les Couleurs 117

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JEAN CHANRION

Lettres du Cuisinierdu Commandant

de la Jeanne d’Arc à ses Parents(1959-1961)

Récit

HUBERT COMTE

l’HuîtreEssai

La pesanteur et le vent, le tissu dans l’ArtL’Art et manière de le regarder

EssaiLe Tour du livre

Un manuelEcrits sur la peinture

AnthologieEnfance.La Ville ancienne

RécitsS’il faisait beau,nous passions par les quais

RécitsYucatánRécits

ROGER FARELLE

Je suis un rescapé des bagnes du NeckarRécit

JEAN-FRANÇOIS LAZENNEC

Traces de voyageursAnthologie

Un musée personnelEssai

ROBERTO PICCIOTTO

Connaissances de Vénuspour ceux qui commencent

Poésie française-espagnole (Argentine)

JACQUES FONTERAY

Costumes pour le cinémaCarnet de dessins

JEAN-MARIE PINÇON

Le champagneEssai

RAYMOND ROUSSEL

La VuePoésies illustrées par Maja

SAINT-AMANT

Table pour sixPoésie

DANS LA MÊME COLLECTION

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