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LYNDONSTACEYSans retour

Premier tome d’une nouvelle série de romans policiers mettanten scène l’ancien maître-chien Daniel Whelan

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Sans retour

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Traduit de l’anglais par Charles Baulu

LYNDON STACEY

Sans retourPremier tome d’une nouvelle série de romans policiers

mettant en scène l’ancien maître-chien Daniel Whelan.

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Copyright © 2010 Lyndon StaceyTitre original anglais : No Going BackCopyright © 2013 Éditions AdA Inc. pour la traduction françaiseCette publication est publiée en accord avec Severn House Publishers Ltd, Surrey, AngleterreTous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

Éditeur : François DoucetTraduction : Charles BauluRévision linguistique : Daniel PicardCorrection d’épreuves : Katherine LacombeConception de la couverture : Matthieu FortinPhoto de la couverture : © ThinkstockMise en pages : Matthieu FortinISBN papier 978-2-89733-003-3ISBN PDF numérique 978-2-89683-943-8ISBN ePub 978-2-89683-944-5Première impression : 2013Dépôt légal : 2013Bibliothèque et Archives nationales du QuébecBibliothèque Nationale du Canada

Éditions AdA Inc.1385, boul. Lionel-BouletVarennes, Québec, Canada, J3X 1P7Téléphone : 450-929-0296Télécopieur : [email protected]

DiffusionCanada : Éditions AdA Inc.France : D.G. Diffusion Z.I. des Bogues 31750 Escalquens — France Téléphone : 05.61.00.09.99Suisse : Transat — 23.42.77.40Belgique : D.G. Diffusion — 05.61.00.09.99

Imprimé au Canada

Participation de la SODEC.Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Stacey, Lyndon

Sans retour

Traduction de : No Going Back.

ISBN 978-2-89733-003-3

I. Baulu, Charles. II. Titre.

PR6119.T32N614 2013 823’.92 C2013-940016-8

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Ce livre est pour mon agente, Dorothy Lumley, pour tout le travail qu’elle a fait pour moi

ces dernières années. Merci.

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Un gros merci à la véritable Hilary McEwen-Smith, qui a fait un don généreux dans la vente aux enchères, au profit d’un organisme de charité, pour avoir la chance d’apparaître dans ce livre. J’espère avoir été fidèle !

Merci aussi à Dave McIver, à Glyn Jones et au chien policier Jerry, de l’Unité canine de la police d’Avon et Somerset, pour leur aide remarquable et pour la joie que j’ai eue à les regarder travailler toute une journée.

Pour avoir pris le temps de répondre à mes questions, merci à ma vétérinaire, Sophie Darling, et, comme toujours, merci à Mark Randle, de la police du Wiltshire, pour être toujours là afin de répondre à mes questions.

REmERCiEmENTS

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Quelque part, un chien aboyait, irrité, sans espoir. Au loin, une sirène se fit entendre, triste plainte signalant la misère

de quelqu’un.Dans le domaine de Jubilee Park, à Bristol, les contours aus-

tères des toits plats formaient des silhouettes sombres contre le ciel nocturne strié de nuages qui avançaient rapidement. Le long des passages flanqués de balcons, la plupart des fenêtres étaient obscures. À minuit et quart, dans ce quartier, la plupart des gens préféraient rester à l’intérieur, leur porte fermée à double tour et renforcée par une barre, avec des barreaux improvisés aux fenêtres.

Sur la promenade du troisième étage, rien ne bougeait, excepté les détritus, balayés par le vent, de la vie sur la propriété : quelques paquets de cigarettes, le sachet d’un préservatif et plusieurs sacs de croustilles vides. Près d’une porte couverte de graffitis, les pages d’un journal s’ouvraient et se refermaient toutes seules, sans arrêt, comme si une main invisible avait tourné les pages par ennui. La tête d’une poupée bon marché traînait près d’un vieux briquet rouge en plastique et, un mètre plus loin, un bout de papier d’alu-minium calciné glissait sur le béton sale en face de l’appartement numéro 231.

Quelques instants plus tard, la porte s’ouvrit et, dans la lumière qui sortait de l’appartement, un homme de grande taille sortit. Il

PROLOguE

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avait l’air de vouloir partir sans s’arrêter, mais une main maigre et brune agrippa l’une des manches de son blouson de cuir.

— Quand vais-je te revoir ? Le visage maigre aux grands yeux bleus trop maquillés était

pathétiquement impatient. Les cheveux teints en blond, et de petite taille, la femme portait une robe de chambre en satin rouge, dont le devant révélait un décolleté très bronzé et un cou qui avait déjà connu des jours meilleurs.

— Dans un jour ou deux peut-être, dit-il de façon désinvolte avec un accent d’Europe de l’Est.

Des doigts forts et olivâtres retirèrent la main de la femme, révélant dans la lumière la peau pâle et plissée d’une vieille cica-trice. Ses yeux sombres clignèrent froidement devant la femme qui levait la tête vers lui.

— Je dois y aller.— Et l’héroïne ? Tu l’as ? Tu as dit que…L’homme secoua la tête et claqua la langue.— Shelley, Shelley, tu sais que ce n’est pas bon pour toi, dit-il

d’un ton moqueur.— Juste une autre fois. Tu as promis, Anghel ! S’il te plaît. Je

ne t’en demanderai plus. Elle l’implorait des yeux.— Et comment tu vas me la payer ? Tu ne travailles plus.

Pourquoi Yousef devrait-il payer ta drogue ?— Mais je pourrais travailler s’il me le permettait ! Je ne com-

prends pas pourquoi je dois rester ici. Qu’est-ce que je vais faire ? Je n’ai personne à qui parler. Les filles me manquent. Molly me manque.

Des larmes remplirent ses yeux, et elle agrippa le cadre de la porte comme si elle avait besoin de son appui.

— S’il te plaît, Anghel — je veux seulement voir ma petite fille.

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— Tu la verras bientôt. Sois sage, et tout se passera bien. D’accord ?

Il mit un doigt sous son menton et releva sa tête vers lui.— D’accord ?Shelley hocha la tête à contrecœur. Elle referma un peu plus sa

robe de chambre et frissonna. Après un moment, Anghel prit quelque chose dans une de ses

poches et le déposa dans la main de la jeune femme.— Tiens. Ne dis rien à Yousef. Les yeux de Shelley s’illuminèrent. Elle serra le sachet de

poudre grise et recula rapidement d’un pas, comme si elle avait eu peur qu’il change d’avis.

La porte se referma et, en secouant la tête, l’homme remonta son collet pour se protéger du vent froid. Il s’éloigna, ses pas réson-nant et l’ombre lunaire de ses larges épaules se promenant sur le mur. Il descendit au rez-de-chaussée en croisant dans l’escalier un groupe d’adolescents ivres, et il fronça le nez en passant devant des poubelles qui débordaient et sentaient l’urine.

Une fois hors de la propriété, il sortit un téléphone cellulaire de sa poche et l’ouvrit. Quelques secondes plus tard, on décro-chait à l’autre bout du fil.

— Oui, c’est moi. Tout est arrangé… Non, aucun problème. Je te vois bientôt.

Shelley s’enfonça dans les coussins en vinyle de son sofa et siffla en aspirant entre ses dents alors que la drogue commençait à faire effet. Elle détestait le premier choc ressenti, mais désirait désespérément la lueur réconfortante qui allait suivre. Bientôt, tout irait bien ; même la volonté de voir sa fille allait disparaître dans le brouillard doré. Anghel allait s’occuper d’elle. Ne l’avait-il pas promis ? Anghel avait toujours été gentil avec elle — du moins, autant que n’importe qui d’autre…

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Elle soupira profondément lorsque son corps et son esprit com-mencèrent à flotter, l’euphorie l’extirpant de l’horrible appartement et l’emportant dans un monde paradisiaque où la dépression ne pouvait pas suivre.

Elle eut soudain un spasme violent et ouvrit brièvement les yeux ; puis le spasme passa, et sa tête tomba par derrière, ses pupilles devenant minuscules alors que son pouls ralentissait et que sa respiration devenait courte. L’obscurité se fit autour d’elle.

La ville commençait à s’agiter alors que la première lumière grise d’une aurore d’hiver s’infiltrait lentement le long des promenades en béton de la propriété. Des lampes s’allumaient, des voitures remplissaient les rues et, sur les trottoirs, des enfants se bouscu-laient et jacassaient en se rendant à l’école.

Au 231 Jubilee Park, le seul bruit était celui de la télévision ; mais la jeune femme ne pouvait pas entendre les efforts que fai-saient les joyeux présentateurs, et leurs images se reflétaient sim-plement dans ses yeux mi-ouverts.

Elle était étendue sur le sofa en faux cuir, entourée des outils de sa dépendance, une manche relevée, le bras endolori et par-semé de cicatrices laissées par toute une vie de seringues.

Un seul homme savait qu’elle était là et il n’allait rien dire. Il faudrait peut-être des semaines avant qu’on trouve son corps.

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Le chien d’un camionneur sauve un enfant », pouvait-on lire au milieu de la première page du Western Post.

Ce journal, vieux de presque une semaine, c’est le propriétaire de la cantine de hamburgers sur le bord de la route qui l’avait gardé pour Daniel, qui venait de payer pour un déjeuner. Il était stationné à moins de 20 mètres du casse-croûte ambulant, dans un sta-tionnement pour camions sur le bord de la A386, entre Tavistock et Okehampton. C’était officiellement un endroit pour pique-niquer mais, à cette heure matinale, il y avait plus de camions que de voitures.

La mine désabusée et secouant la tête, Daniel Whelan prit une gorgée de son café au lait et continua à lire, les pieds bottés posés sur le tableau de bord.

Lorsque Peter Daley, un fermier de 58 ans, et sa femme Sally, 56 ans, s’aperçurent samedi dernier que leur petite-fille Émilie, 4 ans, avait disparu depuis plus d’une heure, sur leur ferme de 70 hectares située près de Launceston, ils s’attendaient au pire. Normalement, Peter et Sally ne sont pas des grands-parents anxieux, mais dans ce cas-ci on peut leur pardonner, car Émilie, qui passait la fin de semaine chez eux, souffre de surdité profonde.

ChAPiTRE 1

«

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« Je croyais qu’elle était avec Peter, et Peter croyait qu’elle était avec moi, expliqua Sally. Nous étions très inquiets parce qu’il y avait des tracteurs dans les champs, et les employés auraient pu ne pas voir un si petit enfant. Nous ne savions pas quoi faire, où chercher en premier lieu, et évidemment il était inutile de crier, puisqu’elle ne pouvait pas nous entendre. »

Effectivement, l’avenir aurait pu être très sombre pour la petite Émilie, si la providence n’était pas interve-nue, sous la forme d’un livreur, Daniel Whelan, et de son ancien chien policier, Taz.

Lorsque Daniel, un camionneur de 28 ans qui livrait de la nourriture pour animaux, apprit ce qui se passait, il offrit d’utiliser son berger allemand pour retrouver la petite fille. Taz avait servit 18 mois dans l’Unité canine de la police de Bristol, avant d’être blessé au travail et de prendre sa retraite l’année dernière. En tant que chien policier, retracer quelqu’un faisait partie de son travail, bien qu’il eût plutôt l’habitude de retracer des criminels en fuite, et pas des enfants perdus.

Après avoir senti un cardigan appartenant à l’enfant, Taz montra rapidement qu’il n’avait rien oublié de ses habiletés et, en 10 minutes, retrouva l’enfant qui jouait dans une grange à foin, à seulement quelques mètres d’un troupeau de vaches.

« Une chance que le chien l’a trouvée à ce moment-là, déclara Sally Daley, encore sous le choc. Les vaches sont des animaux paisibles en général, mais elles sont imprévi-sibles — je frémis à l’idée de ce qui aurait pu arriver si elle s’était promenée parmi elles. »

Daniel, qui travaille comme chauffeur chez Tavistock Farm Supplies, a préféré ne pas être interviewé, disant

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seulement que tout le mérite revenait à Taz, le chien de 3 ans et 42 kilos qui l’accompagne toujours dans son camion poids lourd.

Tout est bien qui finit bien à la ferme des Daley. Grâce à Taz, Émilie n’a pas souffert de son aventure — en fait, elle a trouvé un nouvel ami, Taz, ce qui prouve que, tout en étant sévère avec les criminels, Taz est au fond un bon géant qui a un faible pour les petites filles.

La dernière ligne fit sourire Daniel. L’article était illustré d’une photo de Taz assis gentiment près de l’enfant, cette dernière embrassant son cou à la fourrure épaisse. Mais pour Daniel, qui connaissait le chien mieux que quiconque, l’expression du chien montrait une résignation un peu douloureuse plutôt que du plaisir.

Il prit le journal et se retourna vers Taz, assis à l’autre bout de la banquette.

— Regarde, Taz, tu es célèbre. Le berger allemand frappa une ou deux fois la banquette avec

sa queue et s’approcha de Daniel, mais son attention était fixée fermement sur le tableau de bord, où se trouvait un sac en papier contenant un rouleau aux œufs et bacon.

— Si tu commences à saliver, tu peux toujours t’asseoir dehors ! menaça Daniel sévèrement, mais le chien ne fut pas impressionné.

Il s’approcha même davantage, le regard toujours fixé sur le sac, sachant par expérience que la dernière bouchée de pain et de bacon serait pour lui.

Puis, soudainement, la collation fut oubliée, et Taz se jeta sur la fenêtre du passager en aboyant furieusement. Un mot brusque de Daniel le calma un peu, mais il demeura sur ses gardes, hors de lui et grondant d’un air menaçant, tout en observant un petit terrier Staffordshire noir qui trottait de façon désinvolte devant le camion et près de son propriétaire, un camionneur.

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— Quoi ? Cette ridicule petite chose ? dit Daniel d’un ton moqueur. Mais tu en ferais de la viande hachée. Tiens, prends un peu de bacon.

Le berger allemand accepta le morceau, lécha ses babines et gronda encore un peu. Il avait eu une mauvaise expérience avec un Stafford quand il était encore chiot, et il faudrait plus qu’un pot de vin savoureux pour qu’il oublie ce petit chien.

C’était une journée froide et pluvieuse, et c’est avec soulagement que Daniel remonta dans son camion après la dernière livraison, prêt à rentrer chez lui. C’était l’après-midi ; il avait terminé plus tôt que d’habitude et, avec un peu de chance, il pourrait éviter la circulation lourde du vendredi.

Pas que l’idée de rentrer chez lui soit particulièrement attrayante à ce moment précis de sa vie : avec un budget limité et la nécessité d’avoir un endroit où stationner le camion de temps en temps, tout ce qu’il avait pu trouver était un appartement à une chambre, au-dessus d’un magasin vide, dans une petite rue donnant sur la route allant de Tavistock à Launceston. L’espace au-dessous avait servi à vendre des tondeuses à gazon, à preuve les traces d’huile et l’horrible odeur d’essence qui y étaient encore. Mais la propriété comportait trois bons points : le loyer était bas ; il y avait un assez gros stationnement à l’arrière ; et elle était assez éloignée du plus proche village pour que personne ne soit dérangé lorsqu’il démarrait à l’aube le moteur V12 du camion.

Le jour était sombre sous un ciel couvert, et les essuie-glaces allaient et venaient en sifflant, de façon monotone, nettoyant à peine la bruine avant que le pare-brise soit de nouveau mouillé, ce qui allongeait les phares des autres véhicules en leur donnant des formes d’étoile.

En somme, c’était un après-midi triste, et il n’y avait rien pour empêcher Daniel de songer au tour déprimant que sa vie avait pris. Seulement trois mois plus tôt, il avait eu ce qu’il avait cru être une

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vie de famille stable, avec une femme et un fils de huit ans, une carrière dans la police et un cercle d’amis. Maintenant, entière-ment par sa faute, il n’avait plus rien de tout cela, et la prise de conscience était encore difficile chaque fois qu’il y songeait.

Le fait que ses amis et collègues, qui s’étaient montrés si volages, ne représentent peut-être pas une grande perte ne lui apportait absolument aucun réconfort. Depuis quelque temps, il se demandait souvent s’il ferait les mêmes choix, si c’était à refaire, mais il n’en savait rien.

Daniel se frotta les yeux d’un air fatigué. De telles réflexions étaient inutiles. Les décisions avaient été prises, et il devait vivre avec les conséquences. Fin de l’histoire. Il alluma la radio et flatta vigoureusement son chien. Celui-ci était devenu la seule constante dans sa vie.

Taz récompensa sa caresse en baissant les oreilles. Daniel se disait que lui, au moins, était satisfait des nouvelles circonstances de leur vie. Amanda n’avait pas voulu du chien dans la maison, parce que les poils qu’il perdait sans arrêt lui donnaient plus de besogne ; donc, dans la première partie de sa vie, Taz avait surtout vécu dans une niche et couru dans la cour arrière. Ce n’était pas si mal lorsque le chien travaillait mais, alors que ce dernier avait été obligé de prendre sa retraite, Daniel détestait le laisser enfermé pendant ses quarts de travail. Maintenant, le chien était avec lui 24 heures par jour et bénéficiait d’une promenade quotidienne dans la lande.

Soudainement, le thème musical de James Bond se fit entendre, interrompant le fil de ses pensées et faisant réapparaître un vif regret : un jour, son fils Drew avait téléchargé le thème dans son téléphone cellulaire sans le lui dire, et maintenant il n’avait pas le courage de le remplacer. Sur l’écran, il vit que c’était Fred Bowden qui appelait, son patron de TFS. Espérant que ce ne soit pas plus de travail pour la journée, Daniel appuya sur le bouton du téléphone.

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— Salut Fred. Je te rappelle dans cinq minutes — je suis en train de conduire.

Quand il était policier, Daniel avait trop souvent vu les consé-quences horribles de conducteurs distraits pour oser prendre un risque. Il ne l’aurait pas fait, même si cela avait été légal. Il trouva un endroit où stationner, éteignit le moteur, puis composa le numéro.

— Salut. Quoi de neuf ?— Daniel, un bonhomme qui veut te parler m’a téléphoné.

Apparemment, il a deux filles qui sont allées se promener dans la lande et qui ne sont pas revenues ; et il veut savoir si tu pourrais l’aider à les retrouver avec Taz. Il a vu l’article dans le journal, évidemment...

— Mais il devrait appeler la police.— C’est ce que j’ai dit. Mais quoi qu’il en soit, tu veux lui par-

ler ou non ? Je peux lui donner ton numéro ?— Euh... ouais, d’accord. Je crois que oui, dit Daniel à

contrecœur. Bien qu’il appréhendât la soirée à venir, l’idée de faire un

détour pour aller consoler un parent hystérique dont les enfants allaient très probablement réapparaître sans son aide ne lui plai-sait pas non plus.

Il raccrocha et, une minute ou deux plus tard, le téléphone sonna de nouveau.

— Êtes-vous monsieur Whelan ?— Oui, tout à fait, répondit Daniel. Qui est à l’appareil ?— John. John Reynolds. L’homme semblait un peu à bout de souffle, comme s’il était

en train de marcher.— Comment puis-je vous aider, monsieur Reynolds ?— C’est mes filles — elles sont parties se promener dans la

lande et elles ne sont pas revenues. Je les ai cherchées, mais c’est sans espoir. Je ne sais pas du tout par où elles sont allées. J’ai lu

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