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FACULTE DES LETTRES N 5300 UL GUSTAVE COURBET; LE DROIT DE SE CONTREDIRE ET LE DROIT DE S'EN ALLER. LOUISE SIMARD Mémoire présenté pour l'obtention du grade de maître ès arts (M.A.) ECOLE DES GRADUES UNIVERSITE LAVAL JUIN 1991 droits réservés 1991

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FACULTE DES LETTRES

N5300UL

GUSTAVE COURBET;LE DROIT DE SE CONTREDIRE

ETLE DROIT DE S'EN ALLER.

LOUISE SIMARD

Mémoireprésenté

pour l'obtentiondu grade de maître ès arts (M.A.)

ECOLE DES GRADUES UNIVERSITE LAVAL

JUIN 1991

droits réservés 1991

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Rés limé .

Ce mémoire jette un éclairage particulier sur le peintre Gustave Courbet, sur son entourage et sur son oeuvre peint et gravé, à l'aide d'une boutade d'un célèbre ami de ce dernier, Charles Baudelaire, qui réclamait pour le peuple français "le droit de se contredire et le droit de s'en aller". Ces deux droits sont intrinsèquement liés et relèvent d'un même sentiment de divinisation de l'homme ou de sécularisation du divin, sensible à travers le XIXe siècle.

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1. INTRODUCTION

"On peut définir le contenu selon le mot de Pierce : ce que 1'oeuvre n'affiche pas mais laisse saisir. C'est le contenu fondamental d'une nation, d'une époque, d'une classe, d'une conviction religieuse ou philosophique - tout ceci amalgamé consciemment ou inconsciemment par une personnalité et condensé dans une oeuvre."1

S'interroger sur Gustave Courbet aujourd'hui n'est pas une

mince affaire; s'attaquer à ce sujet à partir du Québec ajoute à

la difficulté. C'est cet éloignement spatio-temporel entre le

chercheur et son sujet qui fut à la fois notre première et notre

plus grande préoccupation.

Comment en effet aborder d'une manière originale ce qui

n'existe plus que par des documents épars, conservés par la

postérité, et qui a déjà fait l'objet d'une foule d'études? La

pire solution consiste, selon nous, à traiter le document

(pictural ou autre) pour lui-même, isolé du contexte qui l'a

généré; c'est "l'art pour l'art" que Courbet détestait tant.

Forcer le sujet à entrer dans un cadre théorique qui lui est

étranger peut être intéressant, mais trop souvent pervertit le

1. Erwin Panofsky, "L'histoire de l'art et les disciplines humanistes." p.24.

1

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sens véritable des oeuvres étudiées. Reprendre le contenu des

études précédentes confronte immédiatement le chercheur à un

foisonnement quasi-inextricable d'incohérences, dû bien

évidemment aux diverses modes qui se sont succédé en histoire de

l'art, et dont chaque étude, selon sa date de parution, est plus

ou moins le reflet.

La bonne débutante que nous sommes s'est butée à tous ces

écueils, avant de finalement refaire ses classes. Nous avons

fait table rase des sous-produits historiques qu'a pu produire

1'oeuvre de Courbet pour ne conserver aux fins de cette étude

que les documents susceptibles d'éclairer notre compréhension de

l'oeuvre, de l'homme, du cénacle réaliste, mais aussi de la

France et de l'Europe à un tournant particulièrement important

de son histoire.

Une telle entreprise ne peut être qu'incomplète et nous ne

prétendons certes pas restituer tous les tenants et aboutissants

du sujet qui nous occupe. Nous nous sommes pour ainsi dire

parachutée sur un point précis de l'histoire, une phrase de

Baudelaire, à un moment précis, les événements de 1848 en

France. Nous en avons alors dégagé les deux pistes de réflexion

que nous allons explorer dans les pages qui suivent: le droit

de se contredire et le droit de s'en aller. Nous postulons que

2

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"le droit de se contredire et le droit de s'en aller" expriment

une réalité bien concrète de la société française au XIXe

siècle, et que par conséquent cette peinture que Courbet veut

"historique" recèle en elle-même et à sa manière une part de

contradiction et d'errance, reflet d'une situation historique

particulière. Nous tenterons de déterminer quels furent

précisément les phénomènes auquels le poète se référait, et

comment le peintre les a "amalgamé[s] ... et [les a]

condensé[s]"2 dans sa personnalité et dans son oeuvre. En ce

sens, nous ne retiendrons de 1'immense production courbétienne

que les tableaux qui sont susceptibles de nourrir notre

réflexion sur la contradiction et l'errance.

Concomitamment à ceci, et afin de vérifier plus avant nos

postulats théoriques, nous chercherons dans la production

littéraire, épistolaire et picturale de l'entourage de Courbet,

et même dans les cercles romantiques contemporains, les indices

de sentiments et de comportements analogues à ceux qui nous

occupent. Ce dépistage des thèmes relatifs à la contradiction

et à l'errance en périphérie de Courbet, s'il s'avère fertile,

servira en quelque sorte d'argument de validation de nos deux

postulats, à savoir que la contradiction et l'errance expriment

2 Ibid.

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une part de la réalité du XIXe siècle en France et que cette

part de la réalité se trouve interprétée par les individus qui

lui sont contemporains, en accord avec le principe panofskien de

correspondance entre production artistique et époque déterminée.

Enfin, nous tenterons une certaine définition de la réalité

historique particulière au XIXe siècle français, exprimée en

terme "de sentiment d'identification au divin" et perçue comme

étant le dénominateur commun des deux "symptômes historiques"

que sont les droits de se contredire et de s'en aller.

Nos postulats peuvent donc se résumer ainsi: le droit de

se contredire et le droit de s'en aller, ou plus généralement la

contradiction et 1'errance, sont caractéristiques du XIXe siècle

français, dans la collectivité comme chez les individus, et sont

communément symptomatiques d'un sentiment général

d'identification au divin. Par conséquent, Courbet (l'homme et

l'oeuvre) fait montre de contradiction et d'errance, et la

présence de ces éléments révèle une certaine divinisation du

peintre.

Nous convions donc le lecteur(trice) à considérer cet essai

comme un exercice de recherche qui ne prétend aucunement faire

le point sur l'état de la question "Courbet", mais qui tente une

4

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relecture du sujet; l'entreprise est hasardeuse, certes, mais

qui ne risque rien...

5

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2. INTRODUCTION HISTORIQUE.

Le mouvement réaliste: les porte-parole.

Le titre de "réaliste" fut donné à un groupe de peintres,

de sculpteurs et d'écrivains actifs en France, vers le milieu du

XIXe siècle. A proprement parler, nous ne pouvons pas parler

d'école réaliste, car à aucun moment dans l'histoire du

mouvement, il n'y eut de reconnaissance officielle ou

d'organisation vouée à la formation de disciples éventuels; les

réalistes eurent bien plus de détracteurs que de promoteurs. Le

terme "cénacle réaliste", pris dans le sens d'artistes et

d'écrivains que rassemblent des principes communs, convient

mieux à notre propos et fournit une définition plus précise du

sujet.

Nous pouvons situer les débuts du cénacle vers 1843, à

Paris, au "café Momus"3; cependant la période la plus marquante

du mouvement sera longue de trois ans et débutera en 1848; se

rassemblent à la Brasserie Andler "Champfleury, Baudelaire,

Courbet, les peintres Corot, Decamps, Français, Hanoteau, Armand

3. Champfleury, Le réalisme, Paris, Hermann, 1973, p. 14 .

6

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Gautier, Bonvin, Nanteuil, les sculpteurs Barye et Préault, les

caricaturistes Traviès et Daumier, le philosophe Proudhon, les

critiques Castagnary, Gustave Planche, Théophile Silvestre,

Duranty, le poète Max Buchon et bien d'autres."4

Champfleury, dont les critiques compteront pour beaucoup

dans la mise en avant du mouvement à 1'intérieur de la vie

culturelle contemporaine, nous offre une description de

1'atmosphère qui régnait dans ce type d'établissement aussi bien

fréquenté :

"A cette époque, nous prenions nos repas dans un petit divan au fond d'un café dont les joueurs de dominos ne s'approchaient qu'en tremblant, car de là mille imprécations s'étaient envolées, les théories les plus audacieuses, littéraires quelquefois politiques malheureusement, y étaient traitées militairement; tout y était discuté, hommes et choses, avec une cruauté et un enthousiasme de vingt-cinq ans. Le hasard qui avait réuni des peintres, des poètes, des philosophes, des savants, des inutiles, des douteurs et des imbéciles, nous sépara. Ce qu'on appelle 1'esprit était mal vu et laissé à des endroits plus orgueilleux; au contraire régnait la brutalité qui ne laissait pas la plus petite place au mensonge."5

En effet, les réalistes se rassemblent souvent, mais se

4. Ibid.

5. Champfleury, reprints, 1967 , p.12.

Les excentriques, Genève, Slaktine

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ressemblent assez peu. Les opinions divergent quant à

l'orientation essentielle que devrait prendre le mouvement et

ces divergences seront d'autant plus accusées que les

"belligérants" font preuve d'un individualisme et d'une

indépendance à toute épreuve.

D'une part, et dans une certaine mesure à l'origine du

cénacle, nous notons une préoccupation esthétique; Champfleury y

fait la promotion d'un art dont les sujets sont contemporains et

où un "casseur de pierres" sera aussi digne d'être représenté en

pied qu'un notable ou un paysan; ainsi, on refuse la peinture

académique en alléguant qu'un artiste ne peut être compétent que

dans la représentation d'objets ou de sujets palpables,

reconnaissables et ayant cours dans le temps présent.

D'autre part, une préoccupation politico-philosophique à

tendance socialisante, largement inspirée par Pierre-Joseph

Proudhon, fera la promotion d'un ”réalisme critique ... , art

justicier,"6 qui se réclame de socialisme et de positivisme.

Cet aspect se manifestera plus tardivement dans le mouvement,

mais déterminera l'éclatement du cercle des réalistes.

Champfleury ne tolérera pas longtemps les positions du

6. Proudhon, Du principe de l'art et de sa destination sociale, p.233.

8

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philosophe; il avoue : "Un moment, sous la République, j'ai cru

aux idées de Proudhon; j'en ai fait mon mea culpa il y a

longtemps."7 Les deux points de vue seront pour ainsi dire

irréconciliables; selon son tempérament, chacun dans le cercle

choisira l'un ou l'autre parti, ou optera pour une toute autre

orientation.

Le réalisme a donc, pendant une courte période, une double

détermination théorique: esthétique et politique; mais d'un

côté comme de l'autre, on réagit contre 1'autorité.

Autorité esthétique en 1848, où le conflit entre la ligne

d'Ingres et la couleur de Delacroix tend à s'éteindre faute de

participants, où le romantisme a acquis ses lettres de noblesse

et siège confortablement au panthéon de l'art, aux côtés du

néoclassicisme.

Autorité politique de la bourgeoisie et du capitalisme où

en un mot, 1'inégalité de naissance a été remplacée par

l'inégalité économique et où les mécontents sont nombreux

quoique généralement soumis à un gouvernement autoritaire.

7. Champfleury, Souvenirs et portraits de jeunesse, p.298.

9

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Dans ce contexte, le réalisme sera perçu comme une double

"insurrection"8 9 face à l'autorité, tant au niveau artistique que

politique.

Champfleury encouragera généreusement la polémique:

"La critique qui nie rend plus de services que celle qui affirme. Le contre est plus utile que le pour."5 "Plus on nous niera, plus on déblatérera [sic] contre nous, plus on nous grandira, plus on nous donnera d'avenir; car chaque année qu'on nous enlève dans ce moment-ci équivaut à dix ans d'avenir."10

Tous les réalistes, chacun à sa manière, prendront les

armes contre l'autorité; l'errance et la contradiction, nous le

verrons, seront du nombre de ces armes.

8. Champf leury, Le réalisme, p.27. "Le réalisme est une insurrection".

9. Champfleury, Le réalisme, p.159.

10. Ibid.. pp. 156-7.

10

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Le mouvement réaliste: le complexe baudelairien.

"Parmi 1'énumération nombreuse des droits de 1'homme que la sagesse du XIXe siècle recommence si souvent et si complaisamment, deux assez importants ont été oubliés, qui sont le droit de se contredire et le droit de s'en aller"11

Le climat politique et social de la France du XIXe siècle

peut se décrire assez succinctement : les "nouveaux seigneurs de

la société continuaient à se servir des idéaux révolutionnaires

et à parler bruyamment de Liberté, d'Egalité et de Fraternité,

mais la contradiction entre ces notions et la réalité nouvelle

de cette société de non-liberté, non-égalité et non-fraternité

ne faisait qu'accentuer encore cette contradiction fondamentale

entre les idéaux et la réalité"12.

Charles Baudelaire (1821-1867), dans une de ses nombreuses

boutades, a dépeint la situation avec une grande sensibilité, en

proposant deux nouveaux amendements à la Charte : Le droit de se

contredire et le droit de s'en aller. Bien plus qu'un simple

11. Charles Baudelaire, Oeuvres complètes, p.561. ( "Notes surEdgar Allan Poe", 1855).

12. Jan o. Fischer, "Epoque romantique" et réalisme, Praha, Université Charles IV, 1977, p.14.

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mot d'esprit, cette assertion s'avère lourde de sens pour la

compréhension de la nature du sentiment collectif qui a

caractérisé l'époque, 1'individu, et par extension, la

production courbétienne.

Dans un premier volet, au niveau collectif, le droit de se

contredire est sous-tendu par le climat politique français ; "Le

renversement de "l'ancien régime" et 1'instauration du

capitalisme ont créé des conditions nouvelles et ont dû, tout

nécessairement, mener à des attitudes différentes à l'égard de

la vie, à la réalisation des idéaux ou à une déception"13.

Ainsi, c'est au XIXe siècle que le capitalisme bourgeois

naissant engendrera son opposé, le socialisme. Marx en convient

en soutenant que le capitalisme bourgeois est l'étape ultime

avant 1'avènement du socialisme, et que les deux tendances

doivent s'opposer jusqu'à ce qu'un prolétariat enfin

conscientisé fasse basculer la classe dominante.

Au niveau des beaux-arts de l'époque, la contradiction

ne réfère pas simplement à la bousculade qui eut lieu entre

l'académisme et le romantisme; Castagnary en convient :

13. Ibid, p. 13 .

12

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"Les classiques, qui occupaient la Grèce et Rome par droit héréditaire, avaient mis garnison à la fois sur le Parnasse où sont les Muses et sur 1'Olympe où sont les Dieux. Ils avaient pour poète Homère et pour historien Plutarque. Les romantiques, arrivés les derniers, s'étaient répandus dans le Moyen âge et les temps modernes ; à 1'Olympe ils opposaient le Calvaire; aux poèmes homériques les poésies de Dante. Shakespeare, lord Byron, Goethe, Walter Scott les approvisionnaient en romans historiques. On escarmouchait d'un camp à l'autre, les uns affirmant la supériorité du dessin sur la couleur, les autres celle de la couleur sur le dessin. Cette petite guerre avait pour résultat de tenir le public en haleine; mais, sous ces apparences d'antagonisme, les deux écoles se ressemblaient. ... Leur tâche la mieux définie consistait à réaliser des abstractions, à représenter sous une forme sensible des êtres imaginaires, à donner la vie au néant. ... Cette peinture, il faut bien le dire, correspondait exactement à l'éducation classique que recevaient alors dans les lycées et les collèges les fils de la bourgeoisie. Pour la goûter ou même simplement pour la comprendre, il fallait avoir fait ses humanités. C'était la peinture des classes dirigeantes et de la monarchie censitaire."14

Courbet abonde dans ce sens; dans une lettre qu'il adresse

à Victor Hugo en 1864, lors de l'exil du poète, il célèbre le

talent et le courage du choix esthétique des romantiques mais

note que "les luttes étaient artistiques, [que] c'était des

questions de principes, [que les romantiques n'étaient] pas

14. Castagnary, Fragments d'un livre sur Courbet, 1911, "Gazette des Beaux- Arts", tome 2, p.492.

13

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menacés de proscription "15.

L'avènement du réalisme dans le panorama artistique fut

bien plus bouleversant que ne le fut celui du romantisme, et fut

perçu comme une véritable révolution tant les objectifs du

mouvement s'opposaient aux valeurs esthétiques et idéologiques

dominantes. Dans la France de Courbet,

"il eut été contraire au bon goût de mettre en scène les bourgeois qui avaient fait 1830 et qui allaient faire 1848. Le présent était toujours entaché de vulgarité; l'actualité n'avait pas accès au domaine du grand art. Les tableaux qu'elle inspirait ne devaient pas dépasser les dimensions minimes; on le désignait sous le nom méprisant de "genre", et le "genre" ne comptait pas. "16

Contradiction entre les idéaux et la réalité, entre la

bourgeoisie et le prolétariat français, entre l'académisme et

les nouveaux courants artistiques, mais aussi, en réponse à la

collectivité, contradiction dans les attitudes spécifiquement

individuelles.

Baudelaire, "ami et collaborateur de Courbet en 1849,

impossible poseur, pique-assiette, dictateur de ses rêves

d'opium, sceptique, schismatique, opposant au réalisme; mais

15. Charles Léger, Courbet et Victor Hugo, "Gazette des Beaux- Arts XXIV, 1943, p.358.

16. Ibid. . p.493.

14

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engagé avec les réalistes de manière bien plus profonde qu'il ne

l'admettait"17, demeure l'un des personnages parmi les plus

représentatifs de 1'inhérence des comportements contradictoires.

Le dandysme du poète, par son aspect exhibitionniste opposé au

caractère solitaire et contemplatif d'un misanthrope, réfère à

ce concept. Courbet lui-même convient de cette ambiguïté chez

le poète: "Je ne sais comment aboutir avec le portrait de

Baudelaire; il change d'aspect tous les jours"18 19.

Gustave Courbet fait lui aussi montre de plusieures

attitudes contradictoires dans sa vie privée. Pendant tout son

séjour à Paris, milieu urbain par excellence, il affichera un

comportement résolument campagnard, allant jusqu'à la

caricature, dans une sorte de dandysme de la grossièreté.

Dans une lettre de Courbet à Alfred Bruyas, écrite en 1854,

nous relevons un comportement analogue: "Derrière ce masque

souriant que vous connaissez, je dissimule amertume et chagrin,

et une tristesse qui s'accroche à mon coeur comme un vampire1,19.

17. T. J. Clark, Image of the people. Gustave courbet and the 1848 Revolution, p.52.

18. Ibid. . p. 75 .

19. T. j. Clark, Image of the people .... p.24.

15

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De telles caractéristiques se retrouvent chez la plupart

des membres du cercle réaliste; c'est le cas de Max Buchon,

qu'"on a été très surpris de voir figurer à une procession

[ordonnée à Salins, en "réparation des blasphèmes de Proudhon"]

un cierge à la main, dans un recueillement parfait, [Buchon],

l'un des chefs du parti socialiste, partisan avoué des doctrines

de Proudhon, dont il passe pour être l'ami particulier"20. Le

même Buchon se fera le chantre socialiste de la république de

1848 et, après un dur exil, reviendra en France chanter la

gloire napoléonienne.

Citons encore Marc Trapadoux, étrange personnage, parfois

"agressif, énorme, vautré sur la table de la Brasserie Andler"21

(FIG:1), parfois mystique, absorbé à la contemplation, "croyant

que l'ascèse est une forme d'ivresse, utile à 1'impulsion

créatrice"22 (FIG:2).

Trapadoux, à 1'instar de plusieurs autres, illustre aussi

le second amendement proposé par Baudelaire : "Le droit de s'en

aller". Mais voyons auparavant si ce thème du nomadisme se

reflète dans la collectivité française. Il semble que les

20. Ibid.. p. 171.

21. Ibid., p. 70.

22 Ibid., p.50.

16

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journaux de l'époque soient truffés de commentaires concernant

une partie importante de la population déstabilisée, sans

domicile fixe et potentiellement dangeureuse. Même Paris

1'urbaine, la spectaculaire, ne semble être autre chose qu'une

fragile illusion: ""Il n'y a pas de société parisienne, il n'y

a pas de parisiens, Paris n'est rien d'autre qu'un camp nomade",

nous dit un commentateur désespéré en 1848. Et en mai 1850,

dans un discours à 1'Assemblée, Thiers lui-même reprend ce

diagnostic. Paris est en proie à "la vile multitude", ce

"dangereux élément" qui a détruit toutes les républiques"1,23.

Cet état de fait se reflète dans la politique électorale des

gouvernements; ceux-ci ont souvent réduit l'obtention du droit

de vote aux seuls gros payeurs de taxes, ce qui implique que le

voteur type jouissait d'une certaine stabilité économique et

politique qui assurait en même temps celle des élus. Le

gouvernement de la seconde république reprendra ce genre de

manoeuvre le 31 mai 1849: "On vote une fin au suffrage

universel; ... ceux qui perdent le droit de vote sont

précisément ceux qui portent des idées dangereuses"23 24, c'est-à-

dire ceux qui ne peuvent prouver qu'ils ont résidé au même

endroit pendant au moins trois années consécutives.

23 Ibid.. p.147.

24. Ibid., p. 94 .

17

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Qui sont précisément ces nomades et quelles sont ces idées

dangereuses qu'ils colportent par tout le pays? Outre les

pauvres diables voués à la mendicité, point n'est besoin d'aller

chercher bien loin; les amis et collaborateurs du cercle

réaliste de la Brasserie Andler sont nombreux à pratiquer la vie

de bohème. "Marc Trapadoux, mystique et bohémien ... et Henri

Murger auteur de "Scènes de la vie de bohème""25. Le plus

célèbre de tous est sans doute Jean Journet, itinérant invétéré

et apôtre du fouriérisme (FIG.3). Cet homme, "partant pour la

conquête de 1'harmonie universelle" nous montre bien à quel

point le phénomène du nomadisme français dépasse le simple

désoeuvrement et rejoint un idéalisme allant jusqu'au mysticisme

doctrinaire. Journet a une certaine "parenté avec le juif

errant de 1'imagerie populaire ... il a quelque chose du saint,

...spécialement du pèlerin Saint Jacques"26.

Les idées que colporte la bohème réaliste se teintent

tantôt de socialisme, avec les propos de Karl Marx que Proudhon

considère comme un maître à penser27, avec la naissance des

premiers phalanstères que Journet fréquentera un temps, tantôt

25. Ibid., p.29.

26. Meyer Schapiro, Modem art 19th and 20th centuries,p. 51.

27. Ce qui, soit dit en passant, n'était pas du tout réciproque...

18

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de positivisme ou d'autres courants de pensée contemporains ou

réminiscents du siècle précédent. Nous comprenons aisément que

tout gouvernement en place alors se méfie de tels colportages

qui ébranlent les fondements mêmes du capitalisme. Le droit de

se contredire implique ici le "droit de contredire" que les

réalistes emploieront allègrement contre l'autorité politique ou

esthétique, qui ne tardera pas à réagir: emprisonnements, exils,

saisies, ou tout simplement refus de tableaux au Salon, tous les

moyens seront bons pour faire taire les voix discordantes. Au

XIXe siècle, nous assistons, avec le droit de se contredire et

le droit de s'en aller, à une cristallisation des attitudes

individuelles vers un idéalisme collectif: Les uns se rangent

du côté du scientisme ou du capitalisme, les autres du côté de

l'ésotérisme ou du marxisme, avec la même fougue intempérante

relevant de la quête mystique d'un ordre nouveau; la marmite

sociale est en pleine ébullition, les prêcheurs de toutes

tendances arpentent la France en se disputant une audience

volatile, les idées s'opposent farouchement, les Hommes aussi...

Nous le constatons, la contradiction et l'errance sont

présents dans la France de Courbet et trouvent leur écho dans le

cénacle réaliste; elles ont en commun l'inquiétude qu'elles

génèrent dans les classes dominantes, détentrices du pouvoir.

19

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Mais plus que ceci, le droit de se contredire et le droit

de s'en aller relèvent de la sensibilité particulière d'une

époque. Ces droits que revendique Baudelaire proviennent

pareillement de ce que nous pourrions appeler un "sentiment

collectif" d'identification au divin, déjà amorçé par le XVIIIe

siècle et ses philosophes, et qui prendra un essor particulier

avec les progrès technologiques du XIXe siècle, véritable

creuset idéologique où s'affrontent tant de courants de pensée

opposés.

Nous croyons que l'analyse et la comparaison de ces

interprétations que sont le droit de se contredire et le droit

de s'en aller peuvent mener à une certaine définition de la

nature de ce "sentiment collectif" dans la France des années

quarante et cinquante.

20

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3. LE DROIT DE SE CONTREDIRE: DEIFICATION DE L'HOMME.

"La vie humaine se compose incessamment de l'union [.. . ] des contraires.1,28

Ce n'est pas innocemment que nous avons amené dans le

chapitre précédent, le concept de "ressemblance à Dieu"; cette

identification de 1'humain au divin est trop présente en France

au XIXe siècle pour ne pas mériter notre attention. Elle se

caractérise par la recherche d'un absolu, d'un modèle parfait

susceptible de résoudre tous les problèmes que posent les

bouleversements socio-économiques de l'époque. Dans ce cadre,

des théoriciens de tout acabit élaboreront des ouvrages qui, de

par leur volonté d'apporter la panacée universelle, trouveront

un public avide et attentif dans toute une population insécure.

C'est dans ce contexte idéologique que naîtra la solution

socialiste dont les échos se feront fortement sentir dans le

mouvement réaliste. Le marxisme, entre autres doctrines

sociales qui ont inspiré Proudhon, participe de ce principe.

Marx déclare que "la transformation des structures est 28

28. Proudhon, Du principe de l'art et de sa destination sociale, p.243.

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inévitable, qu'elle est la conséquense logique des

contradictions internes du régime capitaliste"29. Marx remarque

justement les contradictions présentes non seulement en

Allemagne mais aussi en Angleterre et en France; la solution

qu'il préconise, le marxisme, évacue le problème existentiel de

dieu en lui substituant un "modèle social parfait" qui n'a aucun

besoin de répondant divin.

La quête de la "vraie vérité"30 que fait Courbet pour sa

peinture découle en partie de cet engouement général.

Cependant, il y a un pas important à franchir entre la

quête de l'absolu et 1'identification au divin; ce pas fut

franchi par "le XIXe siècle et son "scientisme" qui prétendait

tout élucider"31. Nous le verrons, les penseurs de l'époque,

enhardis par les progrès technologiques et scientifiques,

tendent à encenser 1'humanité et occultent de plus en plus le

concept de dieu, ce qui correspond dans la population à la

montée de 1'anticléricalisme.

29. Petit Larousse illustré, 1985, p.937.

30. T. J. Clark, Image of the people..., p.172. (Lettre de Courbet au journal "Le Messager", 19 nov., 1851).

31. C. G. Jung, Aspects du drame contemporain, p.79.

22

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La vieille histoire d'Adam et Eve n'est pas étrangère à

notre propos ; rappelons-nous cet "arbre de la connaissance du

bien et du mal" qui fut cause de l'expulsion du Paradis

Terrestre. Le dieu d'alors punit nos mangeurs de pomme parce

qu'ils avaient acquis la connaissance du bien et du mal, du

libre arbitre. Symboliquement, c'est dans cette faculté de

juxtaposer des éléments opposés que l'homme en vient à

ressembler au concept qu'il se fait de dieu. Dans le cas qui

nous occupe, le dieu judéo-chrétien est en cause, mais plus

généralement le concept de déité présente, dans beaucoup de

religions, ce caractère de dualité, de manichéisme : Enfer,

Paradis; Yin, Yan; Visnou, Siva.

Vraisemblablement, un

phénomène d'identification au

divin a cours dans la France

de Courbet; ce dernier ainsi

que plusieurs de ses amis,

connaissances et

sympathisants, laissent

largement paraître cette

caractéristique dans leur

comportement. Ceci ne passe

pas inaperçu aux yeux du caricaturiste Lemot (ill. 1) qui

111. 1: Lemot.Prov. de l'ill: Le monde pourrire.3 juillet 1870.

23

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auréole Courbet de ses propres pinceaux. Nous postulons qu'ici

la réunion des contraires ou, selon le mot de Baudelaire, le

droit de se contredire réfère directement à 1'identification au

divin, et se caractérise par une sorte "d'inflation

psychique"32, de survalorisation de l'homme libre, émancipé et

parfait, inflation intrinsèquement liée au mouvement réaliste

français.

Dans ce mouvement, une préoccupation politico-philosophique

à tendance socialisante, largement inspirée par Pierre-Joseph

Proudhon, fera la promotion d'un réalisme "critique [...], art

justicier,"33 qui se réclame d'une foule de théories dont

quelques-unes s'inscrivent parfaitement dans le cadre de notre

étude : "La Philosophie Positive d'Auguste Comte, la

Métaphysique positive de Vacherot, le Droit Humain ou Justice

immanente [de Proudhon]; le droit au travail et le droit du

travailleur, annonçant la fin du capitalisme et la souveraineté

des producteurs, la phrénologie de Gall et de Spurzheim, la

physiognomonie de Lavater”34.

Le Système de politique positive d'Auguste Comte

32. C.G. Jung, Le moi et l'inconscient, p.42.

33. Proudhon, Du principe de l'art et de sa destinationsociale, p.233.

34. Ibid. . p.287.

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(Montpellier 1798-1857) propose "une religion qui rend un culte

à 1'humanité, à ce Grand Etre d'où nous viennent tous les biens

et toutes les prescriptions de conduite"35. Dans une lettre à

son père, il confie que "dès l'âge de quatorze ans, [il avait]

naturellement cessé de croire en Dieu"36. "Au culte de Dieu, il

va substituer celui de 1'humanité, "l'auteur de tous les

bienfaits dont on avait jusqu'ici remercié Dieu"37. Comte ira

plus loin jusqu'à se déclarer lui-même "le pontife suprême de la

religion de 1'Humanité qui, selon Huxley, "n'est qu'une sorte de

Catholicisme sans le Christianisme""38. Pour Comte, "le mot

positif désigne le réel, par opposition au chimérique, [...]

indique le contraste de l'utile et de l'oiseux [...], [qualifie]

l'opposition entre la certitude et 1'indécision [...], oppose le

précis au vague"39; ce système philosophique à deux valeurs

opposées a eu de quoi inspirer Proudhon et par conséquent

Courbet.

35. Encyclopédie Universelle Française, p.592.

36. Auguste Comte, Cours de philosophie positive. Introduction par Khodoss, Florence, Paris, Hatier, p.7.

37. Auguste Comte, Cours de philosophie positive. (Introduction par Baudry, J.),B Paris, J. de Gigord, p.12.

38. Ibid.

39. Auguste Comte, Discours sur l'esprit positif, tiré de Domino, Maurice. "Les discours du Réalisme" Histoire et Critique des Arts■ Paris, colloque de mai 1978. p.9.

25

Page 28: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

Proudhon porte de plus un intérêt certain aux recherches de

Franz Joseph Gall (1758-1828), médecin allemand, qui croyait

pouvoir saisir la nature du cerveau humain par l'étude des

formes crâniennes. Gall enseigna à Paris et eut une large

diffusion en France; sa théorie, nous le verrons, obéit au même

principe de fonctionnement que celle de Lavater en ce sens que

les deux théories visent une connaissance de la nature de

l'homme par l'homme et plus particulièrement par son aspect

extérieur. Ce n'est pas sans raisons, d'ailleurs, que Gall sera

publié en France dans le même livre que Lavater40.

Le cas de Jean-Gaspar Lavater (1741-1801), auteur des

Essais Physiognomoniques, est des plus intéressants ; l'homme

"s'occupait d'études théologiques, lorsqu'à vingt-deux ans,

[...] il échappa à la vie contemplative pour lancer un pamphlet

virulent contre le bailli de sa ville [... ] . Après une année

d'absence, Lavater retourna dans sa patrie" et y devint pasteur

en 1775. La science qu'il tente de promouvoir dans son célèbre

ouvrage vise à "connaître 1'intérieur de l'homme par son

extérieur et d'apercevoir, dans certains indices naturels, ce

qui ne frappe pas immédiatement les sens".41 Lavater a un

40. Jean-Gaspar Lavater, Le petit Lavater français ou les secrets de la physiognomonie dévoilés, (Suivi de Gall, Le petit docteur Gall ou l'art de connaître les hommes), Paris, Delarue.

41. Ibid., p.l.

26

Page 29: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

succès certain chez les réalistes et plus généralement chez les

intellectuels de l'époque où on ne compte plus les descriptions

de type "physio-psychologique".

Ami de Courbet, Castagnary, dans ses Fragments d'un livre

sur Courbet, dépeint la population de la Franche-Comté comme

étant "de haute stature, "la plus haute de France"[...] Ils ont

les épaules carrées, les pommettes saillantes, la mâchoire

solide, tous les signes extérieurs de la force et de la

volonté"42. Lorsqu'il s'intéresse à Courbet, il parle d'un

grand jeune homme à la taille mince et élégante, [d'un visage

dont] l'arcade sourcilière largement construite abrite des yeux

d'une grande beauté, [d'une bouche] [...] railleuse et positive;

[de] pomettes saillantes et [de] tour serré du crâne [qui]

accusent l'énergie de la volonté"43

Il semble d'ailleurs que la théorie de Lavater était conçue

autant pour encenser certaines physionomies que pour justifier

un racisme et un sexisme dont la réalité au XIXe siècle ne peut

nous échapper. A la rigueur, selon que quelqu'un nous apparaît

peu sympathique, la description physique qu'on en fera suffira à

42. Castagnary, Fragments d'un livre sur Courbet, "Gazette des Beaux-Arts", vol.V, t.l, pp.5-6.

43. Ibid. , p.20.

27

Page 30: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

justifier les pires insultes. Champfleury n'aimait pas beaucoup

Proudhon, c'est connu; nous savons aussi qu'il avait pris

"connaissance des études de physiognomonie de "Le Brun, de Porta

et de Lavater"44. Lorsqu'il fait la description du philosophe,

Champfleury utilise ce deuxième tranchant de l'arme qu'est la

physiognomonie :

"Singulier personnage que Proudhon [...] Il a le crâne mal construit. D'où la sincérité relative de ses paradoxes au fond desquels se cache un grand orgueil; mais le petit nez, une sorte de conformation simiesque du crâne prouvent un cerveau mal équilibré. Détail non moins important: Proudhon met ses lunettes à l'envers. Tout s'enchaîne, les opinions et les lunettes"45.

De par son sacerdoce, la foi de Lavater en Dieu n'est

nullement à mettre en doute; toutefois, les propos relevés dans

son oeuvre tendent grandement à diviniser l'humanité par la

recherche d'un type humain parfait, et plus particulièrement

d'une humanité européenne dont les représentants sont "les plus

beaux, les plus blancs et les mieux faits de toute la terre"46.

Lavater ne nie pas le caractère divin de la création; il affirme

cependant le caractère divin de l'homme avec beaucoup

d'insistance en rappelant que "le visage humain [est à] l'image

44. Champfleury, Les exentrigues, p.6-7.

45. Champfleury, Souvenirs et portraits de jeunesse, pp.296-297.

46. Lavater, Le petit Lavater français, p.34.

28

Page 31: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

de Dieu"47. "Dans l'homme se réunissent toutes les forces de la

nature. C'est le résumé de la création; il est à la fois le

fils et le souverain de la terre; le sommaire et le centre de

toutes les existences, de toutes les forces du globe qu'il

habite"48.

Proudhon, dans son essai Du principe de l'art et de sa

destination sociale, applique la leçon de Lavater et propose que

l'art doit viser "une représentation idéaliste de la nature et

de [soi-même], en vue du perfectionnement physique et moral de

[1']espèce"49. Pour Proudhon, non seulement il y a des types

physiques supérieurs, mais la représentation de ceux-ci par

l'art, et la volonté du public de se conformer à ces types peut

mener, avec le temps, à une espèce humaine parfaite.

Cet héritage théorique, que le réalisme doit à son époque,

s'inscrira en cours de route dans la production de Courbet;

toutefois, sa première manière, d'inspiration romantique, laisse

déjà entrevoir ce que sera son cheminement artistique: on y

relève un goût pour la paysage natal, pour le portrait et

47. Ibid. , p.5.

48. Ibid., p. 8.

49. Proudhon, Du principe de l'art et de sa destination sociale, p.43.

29

Page 32: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

1'autoportrait; la peinture à caractère religieux y est

pratiquement absente. On n'y relève guère qu'une vague copie de

Guido Reni, Ecce Homo, que Courbet aurait peint vers 1840 et

dédicacé à une voisine, Anna Nodier, ainsi que le Saint Nicolas

ressuscitant les petits enfants qui décore le maître-autel de

l'église des Saules, un petit village qui domine Ornans et la

Vallée de la Loue [...] le gaillard n'avait rien du dévot."50

Le goût du jeune Courbet pour une peinture à caractère

champêtre, point de départ d'un réalisme qui se politisera

ultérieurement, se réfère en partie au "postulat rousseauiste

selon lequel la nature - le milieu rural par opposition au

milieu urbain - serait une condition indispensable à

l'épanouissement de la bonté, dont l'homme est par essence

pourvu"51. "L'étude de l'homme est dominée chez Rousseau par

l'opposition entre l'homme naturel et l'homme civil: "L'homme

sauvage et l'homme policé, nous dit le Discours sur l'inégalité,

diffèrent tellement par le fond du coeur et des inclinations,

que ce qui fait le bonheur suprême de l'un réduirait l'autre au

50. Robert Fernier, Gustave Courbet peintre de l'artVivant, Paris, Bibliothèque des Arts, 1967, p.39.

51. David Karel, Horatio Walker, Cat. d'exp. Musée du Québec, 25 sept, au 23 nov. 1986, Montréal, Fides, 1986, p.82.

30

Page 33: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

désespoir1,52

L'idée rousseauiste de la bonté et de la perfection de

l'homme naturel par opposition à l'homme policé a eu cours dans

la France du XIXe siècle. Cependant elle fut interprétée

différemment, souvent simplifiée à outrance ou carrément

dénoncée selon les sensibilités.

George Sand, dont les échanges épistolaires avec

Champfleury sont révélateurs de 1'intérêt qu'elle porte au

réalisme, s'inspire de la pensée de Rousseau. L'auteure "a

surtout composé deux articles importants, parus dans la Revue

des Deux Mondes52 53, où elle exprime plus totalement qu'ailleurs

son opinion sur celui qui fut son maître à penser[...]:

"Quelques réflexions sur J.-J. Rousseau" et "A propos des

Charmettes " " .54 La lecture que fait Sand de Rousseau nous

montre que "le concept de la nature ne fonde pas seulement la

liberté et l'égalité, il abolit les dogmes de la faute

52. Robert Derathé et ail. Pensée de Rousseau, Paris, Seuil, 1984, "L'homme selon Rousseau" p.110.

53. Le premier fut publié dans le tome XXVI, 1er Juin 1841; le deuxième, dans le tome XLVIII, 15 nov. 1863.

54. Marc Eigeldinger et ail. Etudes baudelairiennes IX, "Baudelaire juge de Jean-Jacques", Paris, Payot, 1981, p.20.

31

Page 34: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

originelle, de l'enfer et des peines éternelles"55 56. A ce

niveau, 1'attachement de Sand à la philosophie de Rousseau n'est

pas exempt d'une certaine religiosité melée de socialisme qui

n'est pas incompatible, nous le verrons, avec le concept de

ressemblance à Dieu. Quoique nous n'ayons pas de preuves

irréfutables de l'attachement de Courbet aux propos

rousseauistes, il reste qu'il était attaché à ceux, notamment,

de Georges Sand. Nous rappellerons au lecteur l'opinion de

Castagnary, contemporain et ami du peintre:

"[...]au sortir du collège, Courbet était romantique comme l'était d'ailleurs son ami Max Buchon, et tous les jeunes gens d'alors. [...]Je reconstruis ici les sentiments de Courbet, d'après ceux que j'ai éprouvés moi-même quand j'achevais mes humanités dans le petit collège de ma ville natale: nous n'avions pas de plus grand plaisir que de lire Lamartine, Victor Hugo, Alfred de Musset, en cachette, à l'étude ou à la promenade. [...] Il suffisait que les auteurs contemporains fussent sérieusement bannis pour être ardemment recherchés. [... ] J'imagine que, dix ans auparavant, les choses s'en allaient à peu près de même. Au collège de Besançon comme au Petit Séminaire, Courbet dut être du parti de la nouveauté. Je le vois s'avancer dans la campagne, un jour de congé, avec un volume de Victor Hugo ou de George Sand, puis, étendu dans l'herbe odorante, en pleine vallée de la Loue, [...] s'enivrer de poésie et de sentimentalité.1,56

Ajoutons à ceci que dans son ouvrage sur Courbet, Léonce

55. Ibid. . p. 20 .

56. Castagnary, Fragments d'un livre sur Courbet, "Gazette des Beaux-Arts", 1911, vol.V, p.18.

32

Page 35: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

Bénédite fait mention d'une "Odalisque inspirée par Victor Hugo,

[et d'une] Delia empruntée à George Sand"57 que Courbet aurait

peintes. Autre membre du cercle réaliste et ami d'enfance de

Courbet, Pierre Dupont "est un émule de la George Sand des

romans compagnonniques et champêtres"58.

Charles Baudelaire est aussi de ceux qui font des

références fréquentes à Rousseau; "c'est à l'imitation de Jean-

Jacques, même s'il prétend s'en distancer et le dépasser, qu'il

est sollicité par l'entreprise autobiographique. [Ceci devient

évident lorsque Baudelaire dit, en parlant de son livre:] Mon

coeur mis à nu, s'il est un jour achevé et publié, fera que "les

Confessions de J.-J. paraîtront pâles""59. La position de

Baudelaire face à Rousseau reste très ambiguë, comme elle le

sera du reste, face au réalisme. "A la thèse de la bonté

originelle de l'homme il substitue le dogme de la perversité

naturelle et se persuade que tout être est voué au mal, qu'il

porte en lui aux racines de l'existence les stigmates

ineffaçables de la faute."60 Du reste, notre contradictoire

57. Bénédite, Courbet, p.20.

58. Hélène Toussain, Gustave Courbet 1819-1877, p.202.

59. Marc Eigeldinger, Baudelaire juge de Jean-Jacques, "Etudes Baudelairiennes", IX, p.24.

60. Ibid., p.15.

33

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Baudelaire plonge dans 1'autobiographie avec la même passion qui

a animé Rousseau et qui animera les autoportraits de Courbet.

La récurrence de 1'attitude judéo-chrétienne chez

Baudelaire qui persiste à préserver le dogme du péché originel

explique peut-être les réserves qu'il émet face au réalisme

profondément anticlérical de Courbet; et anticlérical, Courbet

l'est, autant dans sa pratique artistique que dans sa vie

privée, de son enfance à son dernier repos. En Suisse, il

raconte à ses amis d'exil comment, petit garçon, il s'est

défendu, sans succès d'ailleurs, "d'une [première] communion

dont il ne voulait point entendre parler [...] . A ce propos,

[ajoute-t-il] souvenez-vous que je ne veux pas de curé, lorsque

sonnera ma dernière heure [...]"61.

Rappelons-nous le retour de la conférence (FIG:4), oeuvre

de 1863, qui fut détruite par "un catholique exalté"62, peu

après 1881, à la suite d'une impressionnante série de déboires.

"L'oeuvre, refusée avec éclat au Salon de 1863, luifut renvoyée "pour cause d'outrage à la moralereligieuse", elle ne fut même pas admise à

61. Louis Léger, Le cinquantenaire du Maître d'Ornans, Courbet, ses amis et ses élèves, "Mercure de France", jan. 1928, t.CCI, p.38.

62. Ibid.. p.20.

34

Page 37: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

l'exposition des Refusés, aux Champs-Elysées, organisée sur la volonté de l'empereur et réservée aux tableaux refusés par le jury. Pour la première fois, [...] Champfleury lui-même s'abstint de féliciter son ami.Il en résulta une crise dans leurs rapports, qui ne tarda pas à entraîner une rupture complète entre eux"63.

Dans la même veine des

oeuvres "lèse-curés", notons

encore deux autres esquisses

(ou répliques) du même sujet.

Le retour de la conférence aurait été montré "à l'Exposition de

Gand en 1868 [...] [en compagnie d'autres tableaux dont] la mort

de Jeannot [(fig;5)]. [Courbet] mettait de surcroît, sous les

yeux amusés de ces chers Belges, dix dessins originaux d'un

mordant[...] lesquels, gravés sur bois, ornaient deux brochures

anticléricales vendues à l'Exposition: La mort de Jeannot et

les Curés en goguette, [...] ces messieurs au dessert, où on

assiste à des pugilats de soutanes, suivis de cabrioles par la

fenêtre du presbytère, le coucher des conférenciers, et le

111. 2: Randon. Le Maître.Prov. de l'ill: Journal amusant,1869.

Pierre Courthion, Tout l'oeuvre peint de Courbet, p.91.

35

Page 38: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

Retour. it 64

Nous croyons qu'il existe un rapport entre

1'anticléricalisme de Courbet et 1'importance qu'il attache à sa

propre personne. La sentence: "Gustave Courbet, maître-

peintre, sans idéal et sans religion"64 65, nous éclaire à ce

sujet; nous y relevons deux propositions affirmatives (ses nom

et prénom, et son état de "maître-peintre") et deux propositions

négatives (sans idéal et sans religion); or, cette phrase a

servi d'en-tête au courrier d'un homme exilé et que la maladie

emportait lentement. Le choix qu'il fait à ce moment encore

d'affirmer sa personne et son état au détriment de l'idéal et

de la religion est révélateur de la perception "déifiante" qu'il

a de lui-même. Courbet, s'il avait eu foi en quelque chose ou

en quelque dieu, aurait certainement montré plus de modestie

face à ses contemporains à cet ultime moment et, lorsque "dieu

est mort", la tentation est grande pour l'homme de s'investir

personnellement de la déité, ce qu'a semblé faire Courbet, par

la survalorisation qu'il a faite de sa personne et de son

travail.

64. Léger, Le cinquantenaire du Maître d'Ornans.... p. 22 .

65. Roger Bonniot, Gustave Courbet en Saintonge, 1862-1863, Paris, Klincksieck, 1973, p.VIII. C'est pendant son exil en Suisse, alors que la maladie 1'emporte lentement, que Courbet signe des lettres qui porte cette en-tête.

36

Page 39: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

Il est d'ailleurs intéressant, à cet égard, de constater à

quel point les réalistes, tout en étant majoritairement

anticléricaux ou indifférents à la religion, usent du

vocabulaire religieux afin de se définir. Champfleury, dans ses

Souvenirs et portraits de jeunesse, intitule un chapitre: Le

réalisme, ses dieux et son temple66’, le même ira jusqu'à dire

que "le culte de la réalité est le premier des cultes"67 et que

Courbet ne fait pas de discours mais qu'il prêche68.

Il faut se demander ici comment concilier

1'anticléricalisme et même 1'athéisme des réalistes avec

l'utilisation fréquente qu'ils font du vocabulaire sacré. Il

est possible que dans une époque aussi troublée politiquement

que celle qui nous occupe et où les progrès technologiques et

scientifiques font reculer ou évacuent simplement toute croyance

dogmatique, on récupère les coquilles vides des dogmes pour se

les approprier. Cette réaction "bernard-1'ermitienne",

sécurisante, peut peut-être expliquer le phénomène de la

religiosité si particulière des réalistes.

66. Champfleury, Souvenirs et portraits de jeunesse,pp.185-192.

67. Champfleury, Grandes figures d'hier et d'aujourd'hui, p.III.

68. Champf leury, Le réalisme, p. 169.

37

Page 40: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

Nous proposons ici que le modèle "opposition" sensible à

travers le cercle réaliste est en partie redevable du modèle

rousseauiste, et que la presque négation de Dieu qu'on retrouve

chez Rousseau a quelque chose à voir avec 1'inflation

egocentrique des autobiographies de Baudelaire et des

autoportraits de Courbet. Les réalistes s'opposent à toute

autorité, divine ou temporelle, mais s'investissent

personnellement de cette autorité et tentent de l'établir sur

leurs contemporains ; ils ne croient et n'obéissent qu'à eux-

mêmes. Les théories de Gall, de Lavater, la philosophie

positive d'Auguste Comte ainsi que toutes les doctrines

socialistes de l'époque, à la recherche d'un type humain ou

social parfait, participent de ce modèle, et servent à merveille

le principe idéologique d'une toute-puissance humaine.

38

Page 41: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

L'atelier du peintre; Allégorie de la contradiction.

"L'atelier du peintre" (FIG:6), autoportrait édifiant par

le nombre de personnages qui y sont mis à contribution, est

présenté lui aussi de manière à mettre le principe de

contradiction en évidence; nous y retrouvons à droite les gens

qui "vivent de la vie, [et à gauche, ceux] qui vivent de la

mort"69. Ces propos de Courbet relevés dans une lettre à

Champfleury en 1855 peuvent sembler excessifs; en parlant du

premier groupe, le peintre désigne les mentors qui sont ses

"amis, les travailleurs, les collectionneurs d'art". Dans

l'autre groupe sont représentés les "gens du peuple, les

indigents, les pauvres, les opulents, les exploités et les

exploiteurs". L'Atelier est une véritable apothéose; Courbet,

tel Dieu le Père, siège, indifférent à tout sauf à son tableau,

au milieu de la composition, et forme avec les deux groupes

opposés une nouvelle "trinité" bien humaine : la chair mortelle

à gauche et l'esprit immortel à droite.

Ceci s'entend, le célèbre tableau a fait couler beaucoup

d'encre; l'allégorie fut diversement interprétée, rarement avec

69. Benedict Nicolson, Courbet: The studio of the painter.p. 13.

39

Page 42: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

bonheur. Afin de demeurer aussi fidèle que possible à

1'intention du peintre, nous choisissons de baser notre analyse

sur une lettre de Courbet à Champfleury70, dans laquelle il

décrit 1'oeuvre et les personnages qui y sont inscrits. Voici,

schématiquement représentée, la liste des personnages et des

objets significatifs qui s'y retrouvent :

111. 3: Schéma de "l'atelier", coté gauche du tableau.

A- Le juif semble dire: "C'est moi qui suis dans le droit chemin" B- Le curé "à face rouge; satisfait de lui"C- Le vétéran de la république de 1793 devenu mendiantD- Le ChasseurE- Le garde-chasseF- Le laboureurG- Le moissonneurH- Le vendeur de mauvais tissusHH- L'homme fortJ- Le clownK- Le croque-mortL- La femme du laboureurM- Le laboureurN- Une pauvre irlandaise et un enfant

Un petit paysan Franc-ComtoisA M " *3 X X A AT11 A M X11 VAVn « ^

NN-1- Les ""défroques du romantisme12- Une tête de mort sur un Journal des Débats : "Les journaux, a dit Proudhon, sont les cimetières des idées71."3- Statue?, modèle masculin dans une attitude de la peinture néo-classique.

70. Ibid. , pp.14-15.

71. Courthion, Tout 1'oeuvre peint de .... p.82.

40

Page 43: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

P- Gustave Courbet Q- Le ModèleR- Alphonse Promayet avec son violon S- Alfred BruyasT- Pierre-Joseph Proudhon, le philosophe U- Urbain Cuenot V- Max Buchon W- ChampfleuryX- Couple d'amoureux se chuchotant des mots doux.Y- Collectionneurs d'artZ- Jeanne Duval (maîtresse de Baudelaire)? "une négresse s'admirant coquettement dans un miroir".ZZ- Charles Baudelaire lisant un livre.

"L'atelier du peintre" nous offre peut-être 1'illustration

la plus éclatante du principe baudelairien de la contradiction.

Les termes mêmes du sous-titre de ce tableau, "allégorie réelle

déterminant une phase de sept années de ma vie artistique"

participent de ce principe. Comment, en effet, faire une

allégorie réelle? La quête de la "vraie vérité" pousse ici le

peintre à faire de son tableau une oeuvre d'imagination.

41

Page 44: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

Benedict Nicolson72 l'a bien démontré ; tous les personnages

représentés, y compris Courbet, proviennent d'oeuvres

antérieures ou même de photographies (le modèle féminin aux

côtés du peintre). L'arrangement des figures est donc programmé

par l'auteur.

Si l'on prête attention aux propos de Courbet, l'opposition

des deux groupes de figures naît vraisemblablement d'une volonté

politique: d'un côté, ceux que le peintre considère comme une

part représentative de l'intelligentsia française, et dont il

fait siennes les prémisses idéologiques; de l'autre, la société

telle que gouvernée par Louis Napoléon, et même plus, l'humanité

souffrante en général, car le "Juif"73 rencontré à Londres et

1'Irlandaise74 font déborder le cadre restreint des frontières

françaises.

Un tel choix programmatique, s'il semble être difficilement

conciliable avec les canons du réalisme tels que proposés par

Champfleury, rejoint cependant l'opinion de Baudelaire:

"L'allégorie est un des plus beaux genres de l'art [...] tout

72. Nicolson, Courbet: The studio of the painter, New York, Viking Press, 1973.

73. Ibid. , p.14.

74. Ibid.

42

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pour moi devient allégorique"75. Il n'en reste pas moins que

Courbet relègue Baudelaire à 1'extrême droite et réserve une

place de choix à Champfleury, qui n'appréciera pas spécialement

1'hommage qui lui est fait dans l'Atelier. "Champfleury, pas

plus qu'il n'accepte une peinture à thèse, n'approuve un art qui

n'a d'autre fin que d'exalter celui qui l'a créé: L'Atelier et

Bonjour M. Courbet gênent le critique"76.

L'intérêt du tableau pour notre démonstration vient

justement du bât qui blesse Champfleury. Au delà des

connotations politiques présentes dans l'Atelier, 1'oeuvre rompt

avec la tradition des tableaux d'atelier où le peintre se

représentait toujours plus discrètement, alors que l'emphase

était mise sur ses mentors. L'Atelier n'a finalement d'autres

fins que de déifier Courbet, de le placer en position de maître

et juge face à tous ceux qui l'entourent. Nous avons utilisé

plus haut le terme "apothéose" pour qualifier l'Atelier; le

Larousse nous apprend que ce terme désigne "la déification d'un

héros ou d'un souverain après sa mort" ou alors les "honneurs

extraordinaires rendus à quelqu'un". De même, la description

d'un "Jugement Dernier" pourrait convenir à l'oeuvre, où Courbet

75. Alan Bowness, Courbet and Baudelaire, "Gazette des Beaux Arts, sér. 6, vol. 90, déc. 1971, p. 193. (Propos de Baudelaire relevés dans Les fleurs du Mal, "Le cygne").

76. Champfleury, Le réalisme, p.24.

43

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juge et sépare, par sa présence centrale dans la composition,

les "bons" (ses amis et mentors, promoteurs des principes

idéologiques du réalisme), et de l'autre côté les "méchants"

(les exploiteurs et les exploités, la société française du XIXe

siècle). Symboliquement, 1'Atelier, de par son contenu

d'éléments opposés, se réfère au concept de dieu dont il a été

question au début de ce chapitre.

L'Atelier ainsi que Bonjour M. Courbet ou La Rencontre,

quoi qu'ils ne plaisent pas à Champfleury, participent d'un même

sentiment de déification de l'homme, si caractéristique de

1'époque et très présent chez Courbet : L'Atelier, par

l'opposition qui articule sa composition et La Rencontre par son

caractère "juif-errantesque", caractère dont nous vous proposons

l'étude dans les lignes qui suivent.

44

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4. DE DROIT DE7 S’ EN ADDER:IDENTIEICATION AU JUIE ERRANT.

"Il n'y a pas incompatibilité absolue entre le réalisme et le fantastique"77, mais il y a certainement contradiction[...]

Nous l'avons vu, le XIXe siècle, loin de niveler les

disparités économiques entre citoyens français, creuse au

contraire l'écart entre ceux-ci. Cet état de fait conduit à la

montée du phénomène des "sans abris", du nomadisme prolétaire et

paysan, thème que la littérature romantique reprend sous la

forme du Juif Errant, et qu'elle érige en véritable symbole du

peuple.

Du coup, "les mass media s'emparent de la légende [du Juif

Errant]"70 et toute la population s'y intéresse avidement.

Cependant, cette détermination littéraire de la légende du Juif

Errant au XIXe siècle est relativement nouvelle; le Juif Errant,

depuis sa création, est véhiculé par la tradition populaire, il

7 7

p. 153 .

7 e

Roland Auguet, Le juif Errant, Paris, Payot, 1977,

Ibid.. p.132.

45

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fait partie en quelque sorte "du domaine de la para-

littérature "79. C'est justement dans la conjonction entre la

littérature et la culture populaire que se trouve la

signification rénovée de la légende du Juif Errant,

signification essentielle pour la compréhension du sentiment

général en France et dans le cercle réaliste.

Courbet, comme tous ses contemporains, fut submergé par le

flot des livres et feuilletons dans lesquels le Juif Errant

tient place. L'immense intérêt que portent Champfleury,

Proudhon et Max Buchon à la culture populaire et à son Juif

Errant a très probablement orienté la pensée du peintre et par

conséquent son oeuvre; mais avant de faire la démonstration de

ceci, il importe de définir un peu plus précisément quelle fut

la transformation qu'a subie l'image du Juif Errant au XIXe

siècle et comment s'est exercée son influence sur les réalistes.

79. Ibid., p. 104.

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Des origines de la légende du Juif Errant.

"Les légendes n'ont guère d'histoire et il est difficile d'identifier leur passé. Celle du juif errant [...] fait exception parce que sa genèse et sa diffusion ont obéi à des données idéologiques complexes.

Ce sont les pèlerins du Moyen-Age qui, imprégnés d'une littérature qui avait largement diffusé le thème de la culpabilité juive liée à l'accusation de déicide, ont inventé en la personne de Malchus, le personnage Juif condamné à un châtiment éternel.

Le paradoxe est que ce Juif maudit, à une époque qui se situe en gros au début du XVIIe siècle va se métamorphoser en "bon Juif", en même temps que son errance, jusqu'ici discrète, tend de plus en plus à définir le personnage. Cet élément "spectaculaire" va assurer la diffusion de la légende par le moyen de la complainte, des brochures populaires et des romans de colportage : rien d'étonnant donc à ce que cette légende nourrisse le folklore, qu'il soit russe ou breton : on assiste à la fusion d'une littérature faite pour le peuple et d'une littérature orale faite par le peuple[. . . ] "80.

Malchus, Buttadeus, Cartaphilus, Ahasvérus: le Juif errant

change de nom et de fonction symbolique à travers les âges et

les régions. Les origines de la légende sont liées à

1'antisémitisme chrétien: les Juifs, peuple déicide qui a exigé

la mort du Christ. Malchus, cordonnier juif qui a refusé le

80. Roland Auguet, Le Juif Errant, [extrait de 1'épigraphe du livre].

47

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repos au Christ pendant son Calvaire et qui fut condamné par lui

à errer jusqu'au jugement dernier. La première version écrite

de la légende du Juif Errant est attribuable à "un moine de

Damas [...] au Vie siècle"81.

Au XVIle siècle, dès qu'elle passe au folklore, la légende

du Juif Errant est réellement diffusée à travers l'Europe

chrétienne et elle s'enracine, entre autres, dans la tradition

populaire française. Le Malchus maudit fait place au bon

Ahasvérus, coupable certes, mais repentant: "Juif missionnaire

[...] Juif Idéal"82, témoin du Christ, de la vraie religion,

"une "figure" que la tradition auréolait d'un grand prestige"83 84.

Dans ce contexte,

"le Juif Errant porte en lui la mémoire de la terre [...], il est le seul à connaître le passé grandiose ou tragique des lopins de terre auquels sont accrochés les hommes : il incarne une conscience cosmique libérée de la finitude des vies humaines. C'est sur lui que les hommes projettent la fascination qu'ils éprouvent pour une nature dont les métamorphoses gigantesques suscitent leur effroi et leur rêverie.1,84

Le scepticisme du XVIIle siècle ne freinera pas la

81. Ibid., p. 99.

82. Ibid., p. 92 .

83. Ibid. , p.100.

84. Ibid. , p.118.

48

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diffusion de la légende dans le peuple; il semble, d'après "le

succès de 1'iconographie populaire consacrée au sujet et la

parution en 1777 dans la Bibliothèque Universelle des Romans,

des Mémoires du Juif Errant, qu'il faut considérer cette époque

comme un des temps forts de la diffusion de la légende"85.

C'est au solide fond populaire de la légende du Juif Errant

que puise la littérature romantique au XIXe siècle. Bien sûr,

le thème du Juif Errant n'est pas le seul à être récupéré;

d'autres figures médiévales issues de la légende, mais aussi de

l'histoire et de la littérature, émergent avec le romantisme.

Mais seule la figure du Juif Errant devient un véritable

phénomème médiatique; pour la première fois, le thème fera la

délectation de 1'intelligentsia autant que du bourgeois ou du

prolétaire; nous croyons que ce succès est dû en grande partie

aux racines populaires du sujet, qui le rendent à la fois

accessible à tous et recherché de même.

De tous les écrivains participants au phénomène, Eugène Sue

(1804-1857) aura la plus grande diffusion et, par conséquent, la

meilleure pénétration dans la population française:

85. Ibid., p. 104 .

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C'est lui qui "lança le Juif Errant dans sa carrière commerciale [... ] On sait qu'il parut en 1844, dans le Constitutionnel [...] Le journal n'eut pas à regretter la somme exorbitante -cent mille francs- qu'il versa pour l'achat du manuscrit [...] De l'aveu même de ses adversaires, dès les premières parutions, le Juif Errant pénétra partout, "dans le salon, dans la mansarde, au tourne- bride où les valets se désaltèrent, dans la boutique du marchand, dans le boudoir de la chaussée d'Antin, au cabinet de lecture dont il est la providence". Il faut également ajouter les hôtels du Faubourg Saint-Germain où il s'introduit par effraction, car on s'y serait cru déshonoré de laisser entrer chez soi un seul numéro du Constitutionnel, on n'y lisait que la très légitimiste Gazette de France. [...]Il ne s'agit plus au Constitutionnel que du Juif, le Constitutionnel, c'est le Juif"86.

Champfleury, dans son "Histoire de 1'imagerie populaire"

reconnaît lui-aussi le phénomène :

"En 1848, lors d'un déluge de feuilles politiques assez nombreuses pour tapisser le pont des Arts, il parut un petit journal ayant pour titre le Juif-Errant. Les éditeurs n'ayant pas à leur service les éternels cinq sous d'Ahasvérus, le journal disparut peu après sa naissance. Ne faut-il pas que les racines d'une ancienne tradition soient profondément implantées dans le coeur d'un peuple pour qu'un industriel ait employé un titre gothique, à une époque ébranlée par tant de secousses?"87.

Cette question de Champfleury

réponse. Avec le romantisme et le

trouve en elle-même sa

réalisme, l'héritage

86. Ibid. , p. 140.

87. Champfleury, Histoire de l'imagerie populaire, Paris, E. Dentu, 1886, p.4.

50

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populaire de la légende se doublera des nouvelles déterminations

que voudront bien lui donner les théoriciens, écrivains et

penseurs de l'époque; les romantiques "reviennent à la légende

originelle qui met l'accent sur le châtiment, non plus par

antisémitisme mais à des fins anti-religieuses : Ce qu'ils

retiennent de l'épisode du Golgotha, c'est 1'injustice de la

malédiction jetée par le Christ"88. Avec la crise

intellectuelle qui précède la révolution de quarante huit, "la

légende du Juif Errant sert de fer de lance à la littérature de

gauche"89. Champf leury en convient : "Le Juif servait à des

compositions à thème social dans lesquelles toutes les

aspirations modernes étaient entassées ensemble"90. A ce

propos, Champfleury relève un conte breton dans son Histoire de

l'imagerie populaire; il y est question d'une rencontre fortuite

entre le Bonhomme Misère et le Juif Errant, où notre héros a

enfin trouvé son aîné (le Bonhomme Misère étant né à 1'époque

d'Adam et d'Eve). Il s'ensuit une discussion orageuse où le Juif

tonne contre les injustices sociales :

Juif Errant: "Je crois que tu as tort d'habiter de préférence sous le chaume. Va frapper à la porte des riches, tu y seras mieux traité que dans la cabane du pauvre,

88. Auguet, Le Juif Errant, p. 136.

89. Linda Nochlin, Gustave Courbet's Meeting: A Portrait ofthe Artist as a Wandering Jew, Art Bulletin, XLIX, 1967, p.214.

90. Nochlin, Gustave Courbet's Meeting.... p.214.

51

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où le pain manque souvent!91.

Ces bouleversements de fond dans la légende du Juif Errant

au XIXe siècle s'entendent plus aisément si l'on se rappelle la

technique des romantiques qui procèdent à la "transformation de

1'iconographie traditionnelle chrétienne ou classique en idiomes

du séculier et du contemporain, si typique pendant la première

moitié du dix-neuvième siècle, effectuée par exemple, dans la

transformation d'un martyr chrétien ou d'une déposition du

Christ en un héros mort de la révolution dans la "mort de Marat"

de David"92 93. Ainsi il est aisé à un écrivain ou un peintre de

reprendre le motif du Juif et d'en faire l'apôtre du socialisme.

C'est exactement ce qu'a fait Eugène Sue avec son feuilleton:

le cordonnier Ahasvérus s'identifie clairement au peuple

injustement traité; Sue crée même de toutes pièces une "juive

errante", symbole de la condition féminine. Du reste, la

dédicace du roman "à la mystique ouvriériste1,93 en dit long sur

le contenu politico-idéologique de l'oeuvre. Selon Klaus

Herding, "le réalisme de Courbet [à 1'instar du romantisme,

utiliserait] [...] la tradition iconologique dans un but de

renversement des valeurs qui y sont impliquées

91. Champfleury, Histoire de l'imagerie populaire, p.147.

92. Nochlin, Gustave Courbet's Meeting..., p.214.

93. Ibid. . p.212.

52

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traditionnellement1,94. Dans le cas du Juif errant comme dans

bien d'autres, de telles pratiques mènent à une certaine forme

de perversion du sujet par les différentes qualités nouvelles et

souvent contradictoires qu'on lui attribue.

Les romantiques appliquent encore le motif du Juif à leur

propre personne: "Balzac, par exemple s'est défini lui-même

comme "le Juif Errant de la pensée [...] toujours à pied,

toujours en marche, jamais en paix et privé des satisfactions du

coeur"94 95.

Le thème populaire du Juif Errant au XIXe siècle a encore

ceci d'exceptionnel qu'il s'inscrit directement dans la

sensibilité et même dans le mode de vie des réalistes. On

s'intéresse au paysan, à ses traditions, ses misères et ses

croyances ; on fait même plus, on érige le peuple en véritable

conscience et mesure de 1'humanité, en allant même jusqu'à

donner tout le poids divin : "voix de Dieu, voix du peuple", à

sa voix révolutionnaire (ill. 5).

Ami d'enfance de Courbet, Pierre Dupont nous est dépeint

94. Klaus Herding, Les lutteurs "détestables": Critique de style, critique sociale, p.97.

95. Nochlin, Gustave Courbet's Meeting..., p.214.

53

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pour ses chansons "à thèmes

populaires"96, dont le

Voyageur à pied de 185497,

qui semble décrire Courbet

dans la rencontre:

111. 5: Courbet. Frontispice pour "Le Salut Public. 1848. Prov. de l'ill.s Clark, T.J. Image of the People... p.64 .

"Guêtre, lavé, la tête fraîche,L'oeil limpide comme un miroir,Le sac au dos[...]"98.

Le poète Max Buchon, vers 1856, introduit le concept selon

lequel "la créativité paysanne instinctive est à la base du

grand art individuel"99; Buchon insiste encore en disant: "Il

faut se faire peuple"100. Dès 1846, Proudhon remarque qu'il

faut "que 1'ouvrier marche de plain pied avec le savant et

l'artiste [...]; il n'y a personne qui soit en réalité plus

96 Ibid., p.97.

97 Ibid., p.214.

98 Ibid., p.214.

99 Schapiro, Modem Art 19th and 20th centuries, p.55.

100 Clark, Image of the people. Gustave Courbet and the 1848revolution, p.112.

54

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savant et plus artiste que le peuple"101

Les réalistes connaissent la légende du Juif, l'étudient et

l'appliquent à leur propre production. Champfleury, avec la

publication en 1869 de son Histoire de l'imagerie populaire, où

il se penche longuement sur les représentations du Juif Errant,

"est certainement considéré comme faisant autorité sur le sujet

en France [...] et ce dès les années 1850. Son essai, "Le Juif

Errant", est encore aujourd'hui considéré comme une contribution

majeure dans ce domaine d'études”102. Il semble d'ailleurs que

Courbet ait contribué à cet ouvrage ; "Dès 1849, [il] annonce,

dans une de ses lettres, qu'il collectionne à l'usage de

Champf leury des chansons de paysans"103. Cette forme de

diffusion par l'image populaire de la légende du Juif Errant est

déterminante pour notre étude: l'omniprésence de ces images à

deux sous a intéressé les réalistes et les tableaux de Courbet

sont en partie redevables de cet engouement. Il n'est pas rare

de voir le Juif au dessus des cheminées, aux côtés d'un Christ

et d'un "Napoléon"104.

101. Proudhon, Carnets de P. J. Proudhon, p.349.

102. Nochlin, Gustave Courbet's Meeting..., p.212.

103. Jean Adhémar, Imagerie populaire française, p.8.

104. Ibid., p.8.

55

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Les longues randonnées pédestres sont monnaie courante chez

les réalistes. Remarquons au passage qu'ici encore Jean-Jacques

Rousseau, avec les Rêveries du promeneur solitaire, a pu servir

de modèle au phénomène. Nous avons déjà proposé la possibilité

d'une filiation entre la pensée rousseauiste et une certaine

déification de l'homme chez les réalistes. Cette double parenté

entre Rousseau et les réalistes tend à confirmer 1'influence

qu'a pu avoir le philosophe des Lumières sur 1'héritage

idéologique sous-jacent au mouvement.

Baudelaire, grand marcheur solitaire, reprend lui aussi le

thème dans son poème, Le Voyage (1859):

"[...] Il est, hélas 1 des coureurs sans répit,Comme le Juif errant et comme les apôtres,A qui rien ne suffit, ni wagons ni vaisseau,Pour fuir ce rétiaire infame [... ] "105

"Les frères Concourt (Edmond Huot 1822-1896, et Jules 1830-

1870), [...] Gustave Flaubert, [...] et Maxime Du Camp"106

105. Charles Baudelaire, Oeuvres complètes, Paris, Le Dantec et Claude Pichois, 1961, p.126.

106. Nochlin, Gustave Courbet's Meeting..., p.214.

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expérimentent aussi le voyage à pied pendant les années

quarante, moment fort de 1'explosion réaliste, dans ce mouvement

d'identification au mythe du Juif Errant.

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Le Juif errant et la bohème réaliste.

Le mythe de l'errance se concilie aisément avec la bohème

du XIXe siècle; Clark nous donne plusieurs définitions de ce

que fut la bohème de ce temps: "Une classe à part, pauvre,

anti-bourgeoise, vivant d'absolu, courtisant la mort par

privation [...], les premières victimes de 1'industrialisation

[...], un refus d'abandonner le romantisme [...], un

individualisme d'auto-destruction"107. Nous l'avons déjà

remarqué, la bohème est généralement perçue par les autorités

comme potentiellement génératrice d'"idées dangereuses", au

point que le 31 mai 1849 "on vote une fin au suffrage universel

[...] [et] ceux qui perdent le droit de vote sont précisément

ceux qui ne peuvent prouver qu'ils ont résidé en permanence au

même endroit pendant trois ans"108.

Lorsque Champfleury tente une description de certains de

ses compatriotes et amis dans "les excentriques", il nous les

dépeint comme étant "des bohèmes véritables [...,] des

excentriques qui s'ignorent et pour lesquels il faudrait un mot

107. Clark, Image of the people..., p.33.

108. Ibid. , p. 94 .

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rusé-naïfs"109 110. Jean Journet apparaît dans ce livre, à la

poursuite de ses utopies ; Courbet y fait aussi l'objet d'un

court passage dans "l'homme aux figures de cire". Plus près de

nous, dans son excellent ouvrage sur Courbet, T.J. Clark reprend

cet aspect bohème des réalistes du cercle de la brasserie

Andler: "Marc Trapadoux: mystique et bohémien [...] et Murger,

auteur des "scènes de la vie de bohème"1,110

A l'instar du Juif errant, les réalistes sont bohèmes; ils

forment "une classe à part, [...] anti-bourgeoise,

individualiste "111. Mais au contraire des premières victimes

de 1'industrialisation, des malheureux n'ayant d'autre choix que

de mendier leur pain de ville en ville, les réalistes sont

bohèmes par conviction: de cette bohème romantique chantée par

les poètes et, somme toute, beaucoup plus confortable, parce que

choisie volontairement et généreusement appuyée par quelque

mécène. Il y a contradiction ici entre ce que le réaliste veut

être et ce qu'il est réellement. Champfleury fut, à notre

connaissance, le seul à lever le masque sur cette quasi-

109. Champf leury, Les exentriaues. p.8. Notons ici que Champfleury, pour définir la bohème de son temps, utilise une contradiction: "rusé-naifs".

110. Clark, Image of the people. Gustave Courbet and the 1848Revolution, p.29.

111. Ibid. . p. 33 .

59

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imposture. En parlant de Courbet, heureux fils de propriétaire

terrien, il s'étonne de l'intérêt que porte le peintre aux idées

gauchistes: "Dans les villages où la vie est douce et facile,

une fois que vous avez quelques petites rentes pour mourir

confortablement, pourquoi devenir communiste?"112.

Clark nous fait encore très justement remarquer cette

évidente contradiction:

"Le bohémien est-il absorbé par lui- même, ou dépendant de l'audience qu'il provoque? Est-il vulnérable ou agressif, joue-t-il avec le monde ou construit-il des paradis artificiels?"113.

Rappelons-nous cette curieuse cohabitation du réalisme avec

l'utopie fouriériste, le saint-simonisme, les pseudo-sciences de

Gall et de Lavater. Rappelons-nous le dandysme de Baudelaire

qui oscille constamment entre l'exhibitionnisme et la

misanthropie. Rappelons-nous Courbet, poseur et frondeur qui

pourtant avoue à son mécène Alfred Bruyas: "Derrière ce masque

souriant que vous connaissez, je dissimule amertume et chagrin,

112. Ibid. , p.67.

113. Ibid., p.45.

60

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et une tristesse qui s'accroche à mon coeur comme un

vampire.1,114 Le mouvement réaliste est cousu de ces

comportements contradictoires.

L'individualisme est une autre caractéristique essentielle

du modèle du Juif errant que retiendront les réalistes. Au XIXe

siècle, Ahasvérus est seul et injustement condamné à le rester;

de par ses racines populaires, le personnage acquiert, grâce à

cette solitude, à cette mémoire immense, un prestige qui n'a que

peu d'égal: quand le Juif parle dans les romans, il parle de

droit divin; son propos a force de loi. Nous voyons aisément

1'avantage qu'eurent les réalistes à s'identifier à cet homme

sans pareil. A ce titre, Proudhon écrit le 25 février 1848:

"Mon corps est au milieu du peuple, mais ma pensée est ailleurs.

J'en suis venu, par le cours de mes idées, à n'avoir presque

plus de communauté d'idées avec mes contemporains.1,115

Ici, comme le dit Clark, 1'individualisme en devient un

d'auto-destruction: aussitôt la bannière réaliste levée,

aussitôt les troupes dispersées. Quand Champfleury dit à

Baudelaire: ""Vous serez certainement accusé de réalisme." Le 114 115

114. Clark, Image of the people..., p.24. Lettre de Courbet à Alfred Bruyas, nov. 1854.

115. Karl Marx, Misère de la philosophie, p. 12.

61

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poète poussa un cri de colère. Non pas qu'il craignît les

horions et les ruades. Il les recherchait au contraire; mais il

voulait les recevoir, seul, les coups de bâton. Telle était sa

marotte. "116

Champfleury finit lui aussi par quitter le cénacle; sa

carrière, "l'ensemble de son oeuvre, sa vie témoignent

suffisamment [...] d'une volonté bien arrêtée de garder son

indépendance vis-à-vis du pouvoir autoritaire"117, de quelque

côté qu'il vienne. Il ressort essentiellement de ceci que pour

Baudelaire et Champfleury, les positions irréconciliables de

1'individualisme et de la gauche devenaient intenables. Cet

état de fait, parmi d'autres, a pu motiver l'éclatement du

cénacle au moment de sa politisation.

Ici se rencontrent la contradiction et l'errance; le motif

même du Juif Errant que Courbet emploiera à diverses

compositions est en lui-même profondément contradictoire au XIXe

siècle: 1'individualiste Ahasvérus, nettement isolé de la

collectivité par le châtiment qui pèse sur lui, se fait en même

temps apôtre du socialisme. Nous le constatons, les bohèmes,

116. Champf leury, Souvenirs et portraits de jeunesse, p. 138.

117. Champf leury, Le réalisme, p.33.

62

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ces "rusés-naifs " de Champfleury, portent indissociablement en

eux contradiction et errance.

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Le Juif Errant et le romantisme chez Courbet.

Nous l'avons remarqué dans les lignes précédentes, les

artistes romantiques ont largement utilisé le thème du Juif

Errant; Courbet, à ses moments de romantisme a pu, consciemment

ou non, reprendre lui aussi le modèle. Nous croyons que c'est

le cas pour deux tableaux de jeunesse: Le désespéré (1841)

(FIG:7), et Le désespéré ou le

Fou de peur (vers 1843)

(FIG:8), tableau inachevé mais

dont le contenu romantique ne

nous échappe pas. Le jeune

peintre se montre ici sous les

traits de l'angoisse, voire de

la folie rageuse; il est

intéressant à ce moment de

comparer cette attitude de

l'artiste au caractère qu'ont donné les romantiques au Juif

Errant.

Le Juif des romantiques crie à 1'injustice de la

malédiction qui pèse sur lui; la représentation romantique

d'Ahasvérus (ill. 6) qu'on retrouve dans l'étude de Champfleury

a probablement pu inspirer Courbet pour ses désespérés si nous

111. 6: Ahasvérus. Prov. de l'ill: Champfleury. "Histoire de 1'imagerie populaire". p.36.

64

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convenons, avec Nochlin et Clark, que Champfleury disposait déjà

de cette documentation plus de vingt ans avant la parution de

son ouvrage et que Courbet en a eu largement l'accès. Inspiré

de l'allemand Schubart, le Juif Errant de cette gravure lance du

haut d'un précipice les crânes de son père, de ses femmes et de

ses enfants : "Il rugit, les yeux ardents de rage: Ils ont pu

mourir! Mais, moi, maudit, je ne puis pas![...] L'effroyable

sentence pèse sur moi pour 1 ' éternité 1 "118. Le tragique de

cette scène a pu être à l'origine des Désespérés de Courbet ;

notons enfin que la version inachevée de 1843 nous montre un

Courbet représenté en déséquilibre devant ce qui aurait bien pu

devenir un gouffre.

La solitude est une autre caractéristique du Juif Errant

qui découle du modèle romantique.

Dans 1'imagerie populaire du XIXe siècle, Ahasvérus, son

bâton à la main, est le plus souvent représenté seul sur la

plage: Champfleury relève plusieures gravures de ce genre dans

son Histoire de l'imagerie populaire. L'étonnant ici est que

ces gravures proviennent des presses de Metz, d'Epinal et de

Wissembourg, localités situées bien à 1'intérieur des terres.

118. Champf leury, Histoire de l'imagerie populaire, p.3.

65

Page 68: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

Ceci tend à affirmer l'acceptation et la diffusion générale du

modèle du Juif seul devant la mer. Ce modèle a-t-il inspiré les

très nombreuses marines de Courbet? Nous ne pouvons 1'affirmer.

Cependant, l'une d'elles, Le bord de la mer à Palavas (1854)

(FIG:9), exprime avec toute la force d'expression habituelle au

peintre le thème de la solitude et la mer tant de fois

représenté dans 1'imagerie populaire. Ce tableau de Courbet, un

autoportrait, présente le peintre bâton à la main, en train de

saluer ou de défier 1'immensité.

66

Page 69: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

111. 7: Ahasvérus. Metz. Prov de 1*111: Champfleury. "Histoire de ..." p.31.

111. 8: Ahasvérus. Epinal. Prov. de 1 ' i11. : Champfleury. "Histoire de l'imagerie..." p.21.

Le bâton du voyageur est d'ailleurs une véritable marotte

chez Courbet; nous le voyons appara ître dans des autoportraits

importants tels que Courbet au chien noir (1842) (FIG:10) et la

rencontre (1854 ) (FIG : 11). Nous ne pouvons affirmer que ce bâton

est celui de l'éternel Ahasvérus, mais il faut reconnaître que

Courbet 1'emploie à des sujets bien souvent mystérieux. Citons

par exemple la sieste (1841-2) (FIG:12), où le voyageur ne peut

être identifié, le retour au pays (1840-2) (FIG:13), qui peut

très bien être assimilé au Juif Errant de 1'imagerie populaire,

67

Page 70: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

ainsi que les louis d'or (v.1844) (FIG:14), qui nous montre un

personnage des plus ambigus dont Pierre Dupont, ami du

nous dit que c'est "le Diable le Bon Dieu"119.

119. Pierre Dupont, Chants et poésies. Paris, 1897, p.187.

peintre,

Estignard,

68

Page 71: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

Jean Journet, apôtre du fouriérisme.

Parmi tous les porteurs de bâton de voyageur que Courbet a

représenté, un célèbre

excentrique, Jean Journet

(1799- ), est certainement

l'un des mieux documentés.

Certains ont même postulé

qu'il fut "un modèle pour

Courbet : Jean Journet [...]

prophète du fouriérisme [...]

partant pour la conquête de

1 ' harmonie universelle"120.

Courbet a présenté son

portrait peint au Salon de

1850 (FIG:3); une lithographie

exécutée par Courbet (ill. 9)

est parue chez Vion à cette

111. 9: Courbet. Portrait de Jean Journet. Lithographie parue chez Vion v. 1850. prov. de l'ill.s Nochlin, Linda. "Gustave Courbet's Meeting..."

date. Plus que le tableau, cette lithographie est révélatrice du

caractère "juif-errantesque" de la production de Courbet. Déjà

Clark, Image of the people.... p.32.

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Page 72: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

en 1896, John Grand Carteret121 remarque la filiation entre le

portrait gravé de Journet et le Juif Errant de 1'imagerie

populaire; plus près de nous, Nochlin, Clark et Schapiro ont

redécouvert cette parenté.

La filiation est ici plus que probante si l'on considère

que la lithographie représentant Journet était accompagnée d'une

complainte, à la manière exacte des "complaintes du Juif Errant"

si populaires à l'époque et qui, de par leur grande diffusion

dans la population, ont assuré la durabilité de la légende122.

A notre connaissance, 1'iconographie particulière au Juif Errant

est unique dans 1'imagerie populaire française du XIXe siècle;

la stabilité de sa représentation au travers des différents

ateliers fait qu'il est aussi aisé pour 1'observateur

d'aujourd'hui que pour le contemporain de Courbet, de

reconnaître du premier coup d'oeil l'éternel voyageur. Ainsi,

lorsque Courbet nous présente un Jean Journet avec les attributs

du Juif Errant (plus particulièrement la longue barbe et le

bâton), l'allusion est sans équivoque.

De plus, la complainte qui accompagne la gravure de Journet

121. John Grand Carteret, Vieux papiers, vieilles images, Paris, A. Le Vasseur, 1896, p.135.

122. Champfleury, Histoire de l'imagerie populaire, p.2.

70

Page 73: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

présente des similitudes avec la complainte du Juif Errant: la

quête de 1'Harmonie Universelle est un martyre pour Journet

comme l'est la quête de la rédemption pour le Juif. Cependant,

une différence essentielle caractérise la complainte de Jean

Journet: alors que la complainte traditionnelle du Juif Errant

ne compte que deux couplets consacrés aux misères de 1'humanité,

celle de Journet en compte plus d'une dizaine. Ceci figure

l'emphase nouvelle que met 1'époque sur le nouveau symbolisme

attribué au modèle du Juif Errant: 1'humanité souffrante.

Un autre aspect distingue la complainte du Journet: son

coté messianique;

"[...]Bientôt, apôtre intrépide, Je me guide Au flambeau de vérité;Dans le bourbier je m'allonge,Je me plonge,Pour sauver 1'humanité 1

[...]Peuple, enfin, lève la tête, Vois la fête,Aurore de ton bonheur;Le Seigneur nous est propice;Sa justiceNous devait un Rédempteur [...]"123

Journet ajoute : "La réalisation n'arrive pas, je vais la

chercher"124. La lithographie de Jean Journet caractérise et

peut-être même contribue au glissement sémantique du Juif Errant

123. Nochlin, Gustave Courbet's Meeting..., p.222.

124. Champfleury, Les exentrigues, p.74.

71

Page 74: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

au XIXe siècle. Le passage de la victime injustement punie vers

1'Ahasvérus revendicateur, symbole messianique de 1'humanité

opprimée, en attente de 1'instauration d'un ordre nouveau,

s'effectue clairement ici.

Selon Clark et Nochlin,

le portrait de Journet ainsi

que "La Rencontre" seraient

redevables d'un Juif Errant

originaire du Mans (ill. 10).

Il n'entre certes pas dans nos

intentions de discuter d'une

telle affirmation que, somme

toute, nous ne pouvons

confirmer ou infirmer.

Il nous semble toutefois

plus prudent de nous en tenir aux sources les plus probables de

1'oeuvre de Courbet. Ce dernier, de par son amitié avec

Champfleury, a presque à coup sûr consulté les gravures parues

plus tard dans 1'Histoire de l'imagerie populaire. L'image

apparaissant en page frontispice de ce volume (ill. 11, 12) nous

offre un modèle du Juif Errant tout aussi plausible que la

gravure parue du Mans. L'inversion de l'ordre des personnages,

111. 10: Le Mans. Le vrai portrait du Juif Errant. Prov. de 1'ill.: Nochlin, Linda. "Gustave Courbet's Meeting..."

72

Page 75: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

fréquente lors du passage de la peinture à la gravure, ne peut

être retenue contre le modèle du livre de Champfleury; Courbet

lui-même ne semble pas porter grande attention à ce phénomène :

ceci est perceptible dans la gravure de Journet, exécutée par

Courbet d'après le tableau, et qui inverse la composition

initiale.

73

Page 76: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

111. 11: Ahasvérus.Fabrication parisienne. Prov. de 1 ' il1. : Champfleury. "Histoire de l'imagerie..." Frontispice.

Courbet semble avoir anticipé l'effet qu'aurait son tableau

au Salon: "Journet est si bien connu dans Paris qu'il faudra

mettre, à côté de ce tableau, un gendarme pendant

l'exposition"125. Il faut ici se demander ce que connaissaient

les Parisiens de ce personnage; Champf leury126 nous le dépeint :

mauvais élève, prisonnier politique, faiseur d'esclandre,

lanceur de tracts, époux fantomatique, fouriériste convaincu et

125. Bénédite, Courbet, p. 31.

126. Champf leury, Les Exentrigues.

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coureur de grands chemins. A plusieurs égards, Courbet répond à

ce signalement: rappelons-nous son séjour difficile au collège,

son exil en Suisse, ses mil et un scandales esthétiques, sa

rupture d'avec Virginie Binet et son fils et son attachement aux

doctrines de Proudhon. De par ces ressemblances biographiques

entre les deux personnages, le portrait de Jean Journet, en plus

de consacrer le nouveau symbolisme du Juif Errant au XIXe

siècle, préfigure peut-être la vision messianique que Courbet

aura de lui-même quelques quatre ans plus tard dans la

Rencontre.

75

Page 78: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

Courbet ajoute en parlant

du portrait de Journet: "Ca

ressemble à Malbrough s'en va

t-en guerre"127. Cette

affirmation du peintre semble

avoir gêné les historiens ;

nous ne retrouvons que très

peu de mentions de celle-ci

dans les différentes études

parues au sujet de Courbet.

En effet, la parenté

iconographique entre Journet

et le Juif Errant est beaucoup

plus probante que celle que

nous pourrions établir avec

Malbrough (ill. 13).

111. 13: La mort de M. de Malbrouq. Orléans, Perdoux,1783. Prov. de 1'ill.: Adhémar,Jean. Imagerie____populairefrançaise. #70.

Toutefois, au delà de 1'iconographie, nous pouvons établir

différents parallèles entre 1'histoire de Malbrough et celle du

Juif Errant: tous deux ont fait l'objet de chansons ornées d'un

portrait gravé et ont été semblablement colportées dans les

campagnes; cette forme d'art populaire a particulièrement

127 Ibid.

76

Page 79: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

intéressé les réalistes. De plus il semble que les deux

chansons aient eu ce même aspect " comique - tragique "128 dans la

population. Enfin, il y a dans l'histoire de Malbrough un

événement qui rappelle étrangement celle du Juif: la chanson

"fut composée par un mauvais plaisant contre le fameux duc de

Malbrough, implacable ennemi de la France, et sur le faux bruit

de sa mort lors de la bataille de Malplaquet (11 septembre

1709), mort qui n'eut lieu qu'en 1722"129. Ainsi, comme

1'indestructible Juif Errant, Malbrough a semblé échapper

miraculeusement à la mort.

128. Clark, Image of the people. .., p. 139.

129. Gustave Malo, Les chansons d'autrefois, Paris, Jules Laisné, 1861, p.20.

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Page 80: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

La Rencontre ou Boujour H. Courbet: Gustave Courbet, Juif

Errant... réaliste!

Tout comme 1'image du Juif Errant se politise en

symbolisant 1'humanité opprimée au milieu du XIXe siècle, "la

bohème que pratique Courbet le conduit à la politique en

1848"130. Mais plus que ceci, le droit de s'en aller lui fera

tenter d'ériger le réalisme au dessus des mouvements

contemporains, d'en faire une peinture historique, véritable

mesure de 1'humanité; cette tentative, il la mènera un moment

avec Alfred Bruyas, "riche et très excentrique collectionneur

de Montpellier"131. C'est ce dernier qui commande "La

Rencontre" (FIG:11) et qui y apparaît, suivi par son serviteur

qui s'incline révérencieusement. Bruyas et Courbet ont élaboré

ensemble le projet d'une mystérieuse "solution réaliste"132

pour laquelle ils n'ont laissé aucune documentation susceptible

de nous éclairer.

Toutefois, nous sommes portée à croire qu'une "solution

réaliste", telle qu'imaginée par Courbet et Bruyas, déborde des

simples considérations esthétiques et s'inscrit étroitement dans

130. Clark, Image of the people.... p.46.

131. Clark, Image of the people..., p. 156.

132. Ibid.

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Page 81: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

l'espace des recherches à caractère existentiel ou absolutistes

si courantes à l'époque. La quête de la "vraie vérité" que fait

Courbet a probablement quelque chose à voir avec cette solution.

La Rencontre, tableau exécuté en 1854, qui a pour ainsi

dire scellé l'alliance entre les deux hommes, nous offre

quelques pistes de réflexion qui pourraient éclairer ce curieux

problème qu'est la "solution réaliste".

Tout d'abord, nous pouvons aisément reconnaître la parenté

de composition entre "la rencontre" et l'imagerie populaire

relative au Juif Errant, plus particulièrement "les bourgeois de

la ville parlant au Juif Errant" (voir ill. 10, 11, 12); l'ordre

d'apparition des personnages est encore ici inversé par rapport

à la gravure, mais l'allusion est des plus claires: nous avons

affaire à un Courbet Juif Errant, barbe au menton et bâton à la

main.

Dès sa création, le tableau est clairement identifié aux

complaintes du Juif Errant, largement diffusées par les

colporteurs :

"Deux bourgeois de la ville, Deux notables d'Ornans,D'une façon civile,

79

Page 82: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

L'abordent cheminant.

-N'êtes-vous pas cet homme De qui l'on parle tant?-Oui, c'est moi, mes enfants, Qui suis Courbet le grand."133

Cette chanson écrite afin de railler le tableau de Courbet

reprend presque mot pour mot la traditionnelle Complainte du

Juif Erranti

"Un jour près de la ville De Bruxelles en Brabant Des bourgeois fort dociles L'accostent en passant[...]

-N'êtes-vous point cet homme De qui l'on parle tant[...] -Oui c'est moi mes enfants Qui suis le Juif Errant.134

Les considérations que nous pouvons tirer de la

comparaison entre la Rencontre et le Juif Errant de l'imagerie

populaire sont semblables à celles qui nous viennent de la

comparaison entre les deux chansons. Dans les deux cas, Courbet

nous est présenté avec beaucoup plus d'emphase que le Juif

Errant de l'imagerie traditionnelle qui demeure sobre, autant

dans ses propos que dans sa représentation. Ceci est

133. Charles Léger, Courbet selon les caricatures et les images, Paris, 1920, p.68.

134. Anon., La chanson française du XVe siècle au XXe siècle. p.136.

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Page 83: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

particulièrement sensible dans "la Rencontre" où le peintre se

présente en pleine lumière alors que Bruyas et son serviteur

sont relégués dans l'ombre.

Il semble clair que Courbet s'identifie dans la Rencontre

avec la signification rénovée du Juif Errant au XIXe siècle et

même qu'il l'enrichit; avec ce Juif immortel, puissant

revendicateur social, il fait un véritable "homme-dieu",

évoluant au dessus de toute autorité. La tentation est certes

grande pour un peintre qui se considère comme un "homme sans

pareil"135 de vouloir se démarquer de ses contemporains :

1'adoption de la vie de bohème fut le premier pas dans cette

direction136; revêtir la peau du plus formidable bohème que

1'imagination du XIXe siècle ait pu enfanter achève la démarche.

Sous les traits de Courbet, le Juif Errant domine de très haut

ceux qu'il rencontre, il prend une stature qu'il n'a jamais eue

dans 1'imagerie populaire ; c'est un errant triomphant, non

fautif, sûr de lui et de ses idées, et qui n'attend aucune

rédemption divine ou terrestre.

Une lettre de Courbet à Bruyas en 1854 à propos de "l'homme

135. Toussain, Gustave Courbet 1819-1877, p.41.

136. Clark, Image of the people.... p.29. "C'est la "vie d'un sauvage" que Courbet choisit en 1850; Virginie Binet et son fils le quittent cette même année".

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Page 84: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

à la pipe" est révélatrice de cette attitude : "Je suis enchanté

que vous ayez mon portrait. Il a enfin échappé aux barbares.

C'est miraculeux, car, dans un temps bien difficile, j'ai eu le

courage de le refuser à Napoléon pour la somme de deux milles

[sic] francs"137. Identifier Louis Napoléon et son

gouvernement aux barbares est déjà un défi à 1'autorité

politique, mais adresser ce message à un Bruyas qui voit dans

Napoléon "un Sauveur"138 ajoute à l'affront. Courbet ne

reconnaît aucun pouvoir au dessus de lui; pas plus le pouvoir

économique de 1'acheteur de tableau que le pouvoir politique de

l'empereur ou le pouvoir spirituel de l'Eglise qu'il charge avec

toute l'énergie que nous lui connaissons.

137. Bénédite, Courbet. p. 24 .

138. Clark, Image of the people.... p. 156.

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5. CONCLUSION

Courbet : "Savoir pour pouvoir, telle fut ma pensée. Etre à même de traduire les moeurs, les idées, l'aspect de mon époque, selon mon appréciation, être non seulement un peintre, mais encore un homme, en un mot, faire de l'art vivant, tel est mon but."139

"Où marches-tu gai compagnon?Je m'en vais conquérir la terre;J'ai remplacé Napoléon,Je suis le prolétaire"140.

Gustave Courbet est mort pour nous aujourd'hui, et l'oeuvre

qu'il nous a laissée l'est tout autant, parce qu'isolée à tout

jamais du contexte qui a présidé à sa conception. La grande

complexité de ce contexte fait que nous ne pouvions

l'appréhender que bien partiellement dans le cadre exigu de cet

essai, et ne restituer au lecteur qu'une oeuvre éclairée à

1'aide des deux pauvres lampes que sont le droit de se

contredire et le droit de s'en aller, alors que Courbet et ses

tableaux n'ont vécu pleinement qu'aux mil et un reflets du

soleil.

Ainsi, notre compréhension de l'homme et de l'oeuvre ne se

139. Paul Eluard, Anthologie des écrits sur l'art, p.8.

14°. Schapiro, Modern Art ..., p.56. Extrait d'une balladede Pierre Dupont, membre du cénacle réaliste.

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Page 86: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

mesure qu'à l'exactitude de notre perception du droit de se

contredire et du droit de s'en aller au XIXe siècle; les miroirs

de l'histoire sont déformants et nous ne pouvons affirmer que ce

que les phénonènes que nous rapportons, étaient effectivement,

dans les proportions qu'ils ont pu prendre à leur époque, tout à

fait fidèles à notre rapport.

Il n'en demeure pas moins que les meilleurs comptes rendus

d'une époque nous sont souvent fournis par ceux qu'on appelle

"les excentriques" et que ce qui déplaît particulièrement aux

classes dominantes est justement retenu par l'histoire comme

pertinent à celle-ci et profondément indiciel de sa mentalité,

parce que sortant du discours "officiel" et complexifiant une

réalité qui autrement paraîtrait faussement monolithique.

Ainsi, les deux thèmes que nous a fournis l'excentrique

Baudelaire se sont révélés extrêmement riches en matériel

applicable à l'étude d'un oeuvre aussi controversée que celle de

Courbet à son époque.

Nous l'avons remarqué au cours de cette étude, le droit de

se contredire et le droit de s'en aller sont intimement liés ; la

contradiction, confrontation d'éléments opposés, un des

principes fondamentaux de la symbolique qui se réfère au concept

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de "ressemblance à Dieu"141, n'est pas étrangère au sentiment

de toute-puissance qui anime la bohème. Nous croyons que cette

commune référence au droit de se contredire et au droit de s'en

aller peut décrire une partie de ce "sentiment collectif", de

ce bain idéologique dans lequel Courbet et ses contemporains ont

évolué.

Courbet et sa prétention d'être "l'homme le plus

orgueilleux de France"142, "un homme sans pareil"143, furent

trop souvent étudiés de façon à mettre en relief ou à occulter

pieusement ce qu'on croyait être du narcissisme, de l'orgueil ou

de la vanité, en résumé tout ce qu'aujourd'hui nous considérons

comme étant des défauts de personnalité, particuliers à un

individu.

Notre étude nous mène à des conclusions différentes : avec

cet orgueil et cette vanité, Courbet, comme il le dit lui-même,

a fait "de l'art vivant [...] [en traduisant] les idées de [son]

époque", ou, selon le mot de Panofsky, le contenu fondamental de

sa nation. Bien plus que des défauts particuliers à un seul

homme, l'orgueil et la vanité que nous pouvons considérer comme

141 C. G. Jung, Le moi et l'inconscient, pp.36-7.

142 Toussain, Gustave Courbet .... p.31.

143. Toussain, Gustave Courbet..., p.41.

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symptomatiques de 1'identification a Dieu sont un élément

essentiel du sentiment collectif français au XIXe siècle, et se

traduisent non seulement chez Courbet mais dans une très large

part de la communauté des créateurs, par la récurrence des

thèmes reliés à la contradiction et à l'errance.

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LISTE DES ILLUSTRATIONS.

FIG. 1 : Gustave Courbet, La Brasserie Andler, 1848, fusain,17.7cm. *23cm., oeuvre perdue. Prov. de 1'ill.: Clark, T.J., Image of the people..., Londres, Thames and Hudson, p.64.

FIG. 2 : Gustave Courbet, Portrait de Marc Trapadoux examinant un livre d'estampes, 1848-49, 80cm.*65cm., collection privée. Prov. de l'ill.: Clark, T. J., Image of the people...,Londres, Thames and Hudson, 1973, p.102.

FIG. 3 : Gustave Courbet, Jean Journet partant à la conguête de l'harmonie universelle, 1850, 100cm*80cm., Paris, coll. A. Esnault-Pelterie. Prov. de l'ill.: Fernier, Robert. La vie et l'oeuvre de Courbet. Paris, La Bibliothèque des Arts, t.l, p. 65.

FIG. 4 : Gustave Courbet, Le retour de la conférence, 1863, huile sur toile, 229cm.*330cm., oeuvre détruite. Prov. de l'ill.: Fernier, Robert. La vie et l'oeuvre de Courbet.Paris, La Bibliothèque des Arts, t.l, p.197.

FIG. 5 : Gustave Courbet, La mort de Jeannot à Ornans, 1867, huile sur toile, 100cm.*140cm., Localisation inconnue. Prov. de l'ill.: Courthion, Pierre, Tout l'oeuvre peint de Courbet.Paris, Flammarion, 1987, p.108.

FIG. 6 : Gustave Courbet, L'atelier du peintre. 1854-5, huile sur toile, 359cm.*598cm., Paris, Louvres. Prov de l'ill.: Nicolson, Benedict, Courbet: The studio of the painter, New York, Viking Press, 1973, pp.102-3.

FIG. 7 : Gustave Courbet, Le désespéré, 1841, huile sur toile, 45cm.*54cm., Luxeuil, coll. part. Prov. de l'ill.: Fernier, Robert. La vie et l'oeuvre de Courbet. Paris, La Bibliothèque des Arts, t.l, p.13.

FIG. 8 : Gustave Courbet, Le désespéré fou) le fou de peur, 1843, huile sur papier marouflé sur toile, 60.5cm.*50.5cm.,Oslo, Nasjonal Galleriet. Prov de l'ill: Fernier, Robert. La vie et 1'oeuvre de Courbet. Paris, La Bibliothèque des Arts, t.l, p.21.

FIG. 9 : Gustave Courbet, Le bord de la mer à Palavas„ 1854, huile sur toile, 27cm.*46cm., Montpellier, Musée Fabre. Prov. de l'ill.: Fernier, Robert. La vie et l'oeuvre de Courbet. Paris, La Bibliothèque des Arts, t.l, p.95.

FIG. 10 : Gustave Courbet, Courbet au chien noir, 1842, huile

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Page 90: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

sur toile, 46cm.*56cm., Paris, Musée du petit Palais. Prov. de l'ill.: Fernier, Robert. La vie et l'oeuvre de Courbet.Paris, La Bibliothèque des Arts, t.l, p.17.

FIG. 11 : Gustave Courbet, La rencontre, 1854, huile sur toile, 129cm.*149cm., Montpellier, Musée Fabre. Prov. de l'ill.: Fernier, Robert. La vie et l'oeuvre de Courbet. Paris, La Bibliothèque des Arts, t.l, p.93.

FIG. 12 : Gustave Courbet, La sieste, 1841-2, huile sur toile, 19.5cm.*25cm., localisation inconnue. Prov. de l'ill.:Fernier, Robert. La vie et 1'oeuvre de Courbet. Paris, La Bibliothèque des Arts, t.l, p.14.

FIG. 13 : Gustave Courbet, Le retour au pays, 1840-2, huile sur toile, 81cm.*65cm., localisation inconnue. Prov. de l'ill.: Fernier, Robert. La vie et l'oeuvre de Courbet. Paris, La Bibliothèque des Arts, t.l, p.14.

FIG. 14 : Gustave Courbet, Les Louis d'Or. v.1844, huile sur toile, 27cm.*22cm., localisation inconnue. Prov. de l'ill.: Fernier, Robert. La vie et l'oeuvre de Courbet. Paris, La Bibliothèque des Arts, t.l, p.27.

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Page 91: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

FIG. 1 : Gustave Courbet. La brasserie Andler. 1848.

FIG. 2 : Gustave Courbet. Portrait de Marc Trapadoux examinant un livre d'estampes. 1848-1849.

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Page 92: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

FIG. 3 : Gustave Courbet. Jean Journet partant à la conquête de l'harmonie universelle. 1850.

90

Page 93: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

FIG. 4

: Gustave

Courbet.

Le

retour

de

la

conférence.

1863.

k* V

Page 94: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

FIG. 5 : Gustave Courbet. La mort de Jeannot à Ornans. 1867.

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Page 95: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

FIG. 7 Gustave Courbet. Le désespéré. 1841.

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Page 96: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

FIG. 8 Gustave Courbet. Le désespéré (ou) le fou de peur. 1843 .

FIG. 9 : Gustave Courbet. Le bord de la mer à Palavas. 1854.

94

Page 97: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

FIG.

10

: Gustave

Courbet.

Courbet

au

chien

noir.

1842

Page 98: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

FIG. 11 Gustave Courbet. La rencontre. 1854.

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Page 99: 5300 UL FACULTE DES LETTRES GUSTAVE COURBET; LOUISE …

FIG. 13 : Gustave Courbet. Le retour au pays. 18 4 0-2.

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FIG. 14 Gustave Courbet. Les louis d'or, v.1844.

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TABLE DES MATIERES

RESUME I

1. INTRODUCTION 1

2. INTRODUCTION HISTORIQUE 6

-Le mouvement réaliste: les porte-parole 6

-Le mouvement réaliste: le complexe baudelairien 11

3. LE DROIT DE SE CONTREDIRE : DEIFICATION DE L'HOMME 21

-L'atelier du peintre; allégorie de la contradiction 39

4. LE DROIT DE S'EN ALLER: IDENTIFICATION AU JUIF ERRANT 45

-Des origines de la légende du Juif Errant 47

-Le Juif Errant et la bohème réaliste 58

-Le Juif Errant et le romantisme chez Courbet 64

-Jean Journet, apôtre du fouriérisme 69

-La Rencontre ou "Bonjour M. Courbet":

Gustave Courbet : Juif Errant ... réaliste 78

5. CONCLUSION 83

LISTE DES ILLUSTRATIONS 87

ILLUSTRATIONS 89

BIBLIOGRAPHIE 99