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La prodigieuse actualiteacute scientifique de la theacuteorie mimeacutetique

En 2004 Scott Garrels un chercheur ameacutericain en psychologie clinique a ndash en premier ndash fait remarquer la ressemblance laquo extraordinaire raquo (Garrels 2004) entre les deacutecouvertes toutes reacutecentes (et souvent fortuites) dans son domaine et les eacutecrits drsquoun certain anthropologue franccedilais nommeacute Reneacute Girard Les recherches en neurosciences et en psychologie expeacuterimentale au sujet de lrsquoimitation sont en train de deacutecouvrir la thegravese que Girard a soutenue depuis deacutejagrave plus de quatre deacutecennies Nous sommes teacutemoins drsquoun fait assez rare dans lrsquohistoire des sciences une grande avanceacutee scientifique (comparable agrave la deacutecouverte de lrsquoADN selon les speacutecialistes) a deacutejagrave eacuteteacute entiegraverement devanceacute par un historien qui a travailleacute sur des textes litteacuteraires et anthropologiques Selon le mot de Robert Sylvester les deacutecouvertes reacutecentes sont si monumentales que laquo nul ne sait qursquoen faire raquo Le temps est venu de rassembler les chercheurs en sciences dites laquo dures raquo et les chercheurs en sciences humaines pour eacuteclairer leurs lanternes reacuteciproques Le divorce actuel de ces deux pans de la penseacutee humaine divorce si souvent et vivement deacuteploreacute par Michel Serres nrsquoest pas aussi deacutefinitif qursquoil semble Le temps est venu de se rendre agrave lrsquoeacutevidence une vraie recherche commune nrsquoest non seulement louable mais indispensable Ce sera lagrave sans doute une des tacircches capitales de lrsquoAssociation pour les Recherches Mimeacutetiques Mais quelles sont ces deacutecouvertes reacutecentes Il y a drsquoabord la deacutecouverte des laquo neurones miroirs raquo auxquelles Michel Serres a fait reacutefeacuterence dans sa reacuteponse au discours de reacuteception de Girard agrave lrsquoAcadeacutemie franccedilaise Il y a aussi les derniers travaux drsquoAndrew Meltzoff et autres qui prouvent que les ecirctres humains nrsquoimitent pas tant les comportements exteacuterieurs comme on a toujours penseacute mais les intentions des autres ce que Girard nrsquoa pas heacutesiteacute agrave appeler le deacutesir drsquoautrui Pour un aperccedilu de la reacutevolution dans notre vision de lrsquoimitation ndash avec reacutefeacuterence agrave Girard ndash voici cet article de Simon De Keukelaere paru dans Automates Intelligents Des deacutecouvertes reacutevolutionnaires en sciences cognitives Les paradoxes et dangers de lʹimitation La deacutecouverte des neurones miroirs est absolument renversante Cʹest aussi la deacutecouverte la plus importante et elle est pratiquement neacutegligeacutee parce quʹelle est si monumentale que nul ne sait quʹen faire

__ROBERT SYLVESTER

Les neurones miroirs Lʹune des plus grandes reacutevolutions scientifiques de notre temps ‐ selon moi la deacutecouverte des ʺneurones miroirsʺ ‐ nʹa pas encore reccedilu beaucoup de publiciteacute Il y a fort agrave parier toutefois que cette deacutecouverte va avoir dʹeacutenormes conseacutequences pour notre compreacutehension de lʹhomme Comme lʹa eacutecrit le directeur du Center for Brain and Cognition de lʹuniversiteacute de Californie

The discovery of mirror neurons is the single most important ʺunreportedʺ story of the decade I predict that mirror neurons will do for psychology what DNA did for biology they will provide a unifying framework and help explain a host of mental abilities that have hitherto remained mysterious and inaccessible to experiments (VS Ramachandran 2000)

(La deacutecouverte des neurones miroirs est la plus importante nouvelle non‐transmise de la deacutecennie Je preacutedis que les neurones miroirs feront pour la psychologie ce que la DNA a fait pour la biologie Elles vont fournir un cadre unifiant et aider agrave expliquer une quantiteacute de dispositions mentales qui jusquʹagrave maintenant restaient mysteacuterieuses et inaccessibles agrave lʹempirisme)

Les neurones miroirs sont des neurones qui sʹactivent non seulement lorsquʹun individu exeacutecute lui‐mecircme une action mais aussi lorsquʹil regarde un congeacutenegravere exeacutecuter la mecircme action On peut dire en quelque sorte que les neurones dans le cerveau de celuicelle qui observe imitent les neurones de la personne observeacutee de lagrave le qualitatif ʹmiroirʹ (mirror neurons) Cʹest un groupe de neurologues italiens sous la direction de Giacomo Rizzolati (1996) qui a fait cette deacutecouverte sur des macaques Les chercheurs ont remarqueacute ‐ par hasard ‐ que des neurones (dans la zone F5 du cortex preacute moteur) qui eacutetaient activeacutes quand un singe effectuait un mouvement avec but preacutecis (par exemple saisir un objet) eacutetaient aussi activeacutes quand le mecircme singe observait simplement ce mouvement chez un autre singe ou chez le chercheur qui donnait lʹexemple

Zone F5 du cortex preacute moteur

Il existe donc dans le cerveau des primates un lien direct entre action et observation Cette deacutecouverte sʹest faite dʹabord chez des singes mais lʹexistence et lʹimportance des neurones miroirs pour les humains a eacuteteacute confirmeacutee(1) Dans une recherche toute reacutecente superviseacutee par Hugo Theacuteoret (Universiteacute de Montreacuteal) Shirley Fecteau a montreacute que le meacutecanisme des neurones miroirs est actif dans le cerveau immature des petits enfants et que les reacuteseaux de neurones miroirs continuent de se deacutevelopper dans les stades ulteacuterieurs de lʹenfance Il faut ajouter ici que les savants sʹaccordent pour dire que ces reacuteseaux sont non seulement plus deacuteveloppeacutes chez les adultes (compareacute aux enfants) mais quʹils sont consideacuterablement plus eacutevolueacutes chez les hommes en geacuteneacuteral compareacute aux autres primates(2) Lʹhomme est un animal social qui diffegravere des autres animaux en ce quʹil est plus apte agrave lʹimitation Aristote le disait deacutejagrave (Poeacutetique 4) Aujourdʹhui on peut tracer les sources ceacutereacutebrales de cette speacutecificiteacute humaine La deacutecouverte des neurones miroirs permet de mettre le doigt sur ce qui connecte les cerveaux des hommes En outre cette deacutecouverte a encore confirmeacute lʹimportance neurologique de lʹimitation chez lʹecirctre humain Comme le dit tregraves bien Scott Garrels (2004)

Convergent evidence across the modern disciplines of developmental psychology and cognitive neuroscience demonstrate that imitation based on mirrored neural activity and reciprocal interpersonal behaviour are what scaffold human development (p 3)

mdash Des preuves convergentes de la psychologie du deacuteveloppement et de la neuroscience cognitive deacutemontrent que lʹimitation baseacutee sur lʹactiviteacute neurale miroir et le comportement reacuteciproque interpersonnel est ce sur quoi est construit le deacuteveloppement humain mdash

Lʹimitation est importante pour lʹapprentissage le langage la transmission culturelle mais aussi pour lʹempathie par exemple Quʹon peut mieux saisir lʹempathie agrave lʹaide des neurones miroirs est facile agrave

comprendre tregraves vite lʹenfant fait lʹexpeacuterience de lʹautre comme ʹquelque choseʹ qui peut ʹfaire la mecircme choseʹ que lui En imitant et en eacutetant imiteacute les enfants apprennent que de tous les objets qui les entourent seuls les ecirctres humains peuvent vivre les mecircmes expeacuteriences quʹeux

Un dialogue prometteur Quand on met le doigt sur le speacutecifiquement humain il faut sʹattendre agrave un eacutechange entre sciences expeacuterimentales et sciences humaines En effet gracircce agrave ces deacutecouvertes reacutecentes en neurosciences un dialogue fascinant entre sciences humaines et sciences expeacuterimentales est en train de sʹeacutetablir Il faut se reacutefeacuterer ici ‐ entre autres ‐ aux volumes de Hurley et Chater Perspectives on Imitation From Neuroscience to Social Science (MIT Press 2005) Avec cet article nous voulons participer un peu agrave ce dialogue Dʹabord en donnant un tregraves bref aperccedilu historique de lʹancienne vision sur lʹimitation qui avait cours dans les sciences humaines vision deacutesormais reacutevolue En suite en montrant quʹon peut faire un lien fort eacutetonnant entre lʹanthropologie du chercheur franco‐ameacutericain Reneacute Girard et les conclusions reacutecentes de chercheurs en neurobiologie (en se reacutefeacuterant dʹabord aux travaux de Meltzoff sur le rapport entre imitation et intention) Et finalement en parlant de ce qui me paraicirct encore une lacune dans la recherche actuelle le lien quʹon peut faire (et quʹon devrait explorer) entre imitation inconsciente et la naissance de la rivaliteacute de la violence entre deux (ou plusieurs individus)

DE PLATON Agrave GIACOMO RIZZOLATI ET AL Le processus dynamique et intersubjectif nommeacute ʹimitationʹ est vital pour le deacuteveloppement humain et pour la transmission de la culture durant toute notre vie laquo in ways that we are just beginning to understand raquo (Hurley amp Chater 2002) Selon les chercheurs nous ne commenccedilons quʹagrave saisir lʹimportance de lʹimitation et de lʹinterdeacutependance des ecirctres humains (mecircme au niveau ceacutereacutebral) Jadis cette conscience aigueuml nʹexistait pas Platon est un des premiers penseurs qui a analyseacute le pheacutenomegravene de lʹimitation (quʹil nomme mimesis) Toutefois chez lui lʹimitation nʹest quʹune faculteacute humaine (qui produit des extensions de la veacuteriteacute ideacuteale dans le monde pheacutenomeacutenal) La mimesis deacutecrite par Platon (par exemple le peintre imite un objet du monde exteacuterieur) est fort eacuteloigneacutee de cette interdeacutependance vitale entre congeacutenegraveres que nous montrent les chercheurs dʹaujourdʹhui Les philosophes apregraves Platon ont le plus souvent repris sa vision limiteacutee tronqueacute de lʹimitation ‐ mecircme sʹils nʹeacutetaient pas dʹaccord avec lui au sujet de lʹart Cette situation a beaucoup contribueacute au concept moderne du ʹmoi autonomeʹ (Garrels 2004) Cette influence de Platon mais aussi des Lumiegraveres a sans doute contribueacute au fait que ni Freud(3) ni mecircme Piaget nʹont soupccedilonneacute la possibiliteacute de lʹimitation intersubjective chez les nouveau‐neacutes En 1977 deux chercheurs ameacutericains Andrew Meltzoff et Keith Moore voulaient tester les stades de deacuteveloppement de lʹapprentissage preacuteverbal chez Piaget Par hasard ils ont deacutecouvert que mecircme les nouveau‐neacutes eacutetaient parfaitement capables dʹapprendre par imitation Ils ont donc ducirc critiquer certaines preacutesuppositions de la theacuteorie de Piaget car dʹapregraves le ceacutelegravebre psychologue suisse une forme eacuteleacutementaire de repreacutesentation symbolique est neacutecessaire pour pouvoir imiter Cʹest pourquoi lʹenfant chez Piaget ne commence quʹagrave imiter autrui vers lʹacircge dʹun an Meltzoff et Moore ont veacuterifieacute ce quʹils avaient trouveacute en 1977 dans les anneacutees 1980 (Meltzoff amp Moore 1983 1989) chez des enfants dont la moyenne dʹacircge eacutetait de 32 heures (le plus jeune nʹeacutetait acircgeacute que de 42 minutes) Lʹexistence et surtout lʹimportance de lʹimitation immeacutediate chez les nouveau‐neacutes avaient totalement eacutechappeacute aux chercheurs

The existence of immediate imitation in development was hardly suspected and its role was ignored (Nadel amp Butterworth 1999)

Quatre preacutesuppositions importantes sur lʹimitation se sont donc aveacutereacutees fausses (Garrels 2004)

bull Les hommes apprennent progressivement agrave imiter durant les premiegraveres anneacutees de lʹenfance bull Une forme eacuteleacutementaire de repreacutesentation symbolique est neacutecessaire pour pouvoir imiter bull Les nouveau‐neacutes sont incapables de faire un lien entre ce quʹils voient chez les autres et ce

quʹils sentent chez eux‐mecircmes bull Degraves que lʹenfant est capable dʹimiter cela reste une faculteacute mineure et enfantine

Ces preacutesuppositions qui ‐ on le voit aujourdʹhui ‐ ont souvent formeacute le soubassement dʹun discours fondamental (philosophique et scientifique) sur lʹhumain depuis Platon sʹavegraverent donc erroneacutees On a longtemps cru aussi que lʹimitation est synonyme de comportement greacutegaire moutonnier Lʹimitation appartient au Moi Infeacuterieur de Valeacutery ou agrave ce que Heidegger appelait deacutedaigneusement le ʹonʹ Das Man Actuellement une telle vision semble inexacte Il nʹy a pas encore trois ans un colloque sur lʹimitation a eacuteteacute introduit par les mots suivants

Imitation hellip is often thought of as a low‐level relatively childish or even mindless phenomenon This may be a serious mistake It is beginning to look in light of recent work in the cognitive sciences as if imitation is a rare perhaps even uniquely human ability which may be fundamental to what is distinctive about human learning intelligence rationality and culture (Hurley amp Chater 2002 ‐ citeacute par Garrels) mdash Lʹimitation hellip est souvent consideacutereacutee comme un pheacutenomegravene mineur enfantin ou mecircme inepte Cela est sans doute une grande erreur Il semble aujourdʹhui agrave travers les travaux reacutecents en sciences cognitives que lʹimitation est un pheacutenomegravene exceptionnel peut‐ecirctre speacutecifiquement humain qui est sans doute fondamental pour tout ce qui est original dans lʹapprentissage humain lʹintelligence la rationaliteacute et la culture mdash

Ce nʹeacutetait pas avant les anneacutees 1970 que le terme ʹimitationʹ est devenu une reacutefeacuterence clef dans les bases de donneacutees psychologiques Nadel et Butterworth (1999) ont retrouveacute dix eacutetudes dʹavant 1970 qui sʹoccupaient de lʹimitation au‐delagrave des diffeacuterents stades dʹapprentissage En 1978 ce nombre eacutetait deacutejagrave eacuteleveacute agrave septante‐six Aujourdʹhui lʹimitation est au centre dʹune recherche riche et interdisciplinaire dans la psychologie du deacuteveloppement les neurosciences les sciences cognitives la linguistique lʹeacutethologie lʹeacutevolution culturelle la biologie eacutevolutionnaire et lʹintelligence artificielle

IMITATION ET INTENTION Pour Platon et Aristote lʹimitation avait trait agrave certains types de comportements des maniegraveres des habitudes individuelles ou collectives des paroles des ideacutees des faccedilons de parler toujours des repreacutesentations(4) Gracircce aux recherches actuelles en neuroscience et en psychologie expeacuterimentale nous savons que lʹimitation est un pheacutenomegravene beaucoup plus complexe et ʹintimeʹ agrave lʹhomme nous nʹimitons pas tant des repreacutesentations ‐ ce quʹon voit faire un autre par exemple ‐ mais des intentions des deacutesirs Reacutecemment Andrew Meltzoff (aujourdʹhui responsable de lrsquo Institute for Learning and Brain Sciences agrave Washington) a faccedilonneacute une seacuterie dʹexpeacuteriences ougrave lʹimitation eacutetait employeacutee pour comprendre comment un enfant peut deacutechiffrer les intentions des adultes agrave travers leur comportement (Garrels 2004) Dans une premiegravere expeacuterience un chercheur montrait agrave des petits dʹenviron 18 mois comment il essayait dʹenlever le bout dʹun ʹmini‐haltegravereʹ pour enfants Au lieu dʹachever lʹaction il faisait semblant quʹil nʹarrivait pas agrave enlever le bout du jouet Les enfants ne voyaient donc jamais la repreacutesentation exacte du but de lʹaction En usant de diffeacuterents groupes de controcircle les chercheurs ont remarqueacute que les petits avaient saisi la viseacutee de la deacutemarche (ocircter le bout du haltegravere) et quʹils imitaient cette intention du chercheur et non ce quʹils avaient reacuteellement vu Les enfants imitent donc non pas une repreacutesentation mais un but un dessein Comme le reacutesume Meltzoff ldquoEvidently young toddlers can understand our goals even if we fail to fulfill them They choose to imitate what we meant to do rather than what we mistakenly dordquo (Meltzoff amp Decety 2003 p 496) Les enfants comprennent donc les intentions des adultes mecircme si ces adultes nʹarrivent pas agrave les accomplir Ils imitent ce que les chercheurs voulaient faire plus que ce quʹils faisaient concregravetement

La seconde expeacuterience eacutetait conccedilue pour voir si les enfants attribuent des motifs agrave des objets Pour ce test les chercheurs avaient fabriqueacute une petite machine (avec bras et grappins) qui exeacutecutait exactement la mecircme action avorteacutee de la premiegravere expeacuterience Tregraves vite il sʹest aveacutereacute que les bambins qui avaient profiteacute de cette deacutemonstration nʹeacutetaient pas mieux disposeacutes pour attribuer une intention agrave lʹappareil que dʹautres qui eacutetaient confronteacute au petit haltegravere sans deacutemonstration Il semble donc que les enfants nʹattribuent pas dʹintentions agrave des objets inanimeacutes Une troisiegraveme expeacuterience allait rendre plus visible encore combien lʹenfant precircte attention aux motifs de ses congeacutenegraveres et combien ces motifs ces intentions sont importants pour lui Dans ce test les bouts du petit haltegravere eacutetaient colleacutes solidement agrave la barre Ils ne pouvaient donc pas ecirctre enleveacutes Le chercheur reacutepeacutetait ici la mecircme deacutemonstration que dans les expeacuteriences preacuteceacutedentes il essayait dʹocircter la part exteacuterieure du jouet mais sa main glissait du bout sans le saisir Chez les enfants la mecircme chose exactement se produisait neacutecessairement (les bouts eacutetant colleacutes) mais les bambins nʹeacutetaient pas du tout satisfaits par la pure reproduction de ce quʹils avaient vu faire lʹadulte Ils reacutepeacutetaient leurs tentatives dʹenlever le bout mordaient dedans et lanccedilaient des regards suppliants agrave maman et au chercheur Meltzoff eacutecrit

This work reinforces the idea that the toddlers are beginning to focus on the adultʹs goals not simply their surface actions It provides developmental roots for the importance of goals in organizing imitation in older children and adults (Meltzoff 2002 p 32 ‐ citeacute par Garrels)

Le travail de Meltzoff renforce donc lʹideacutee selon laquelle les bambins commencent agrave concentrer leur attention sur les buts des adultes et pas simplement sur leurs actions Plusieurs savants vont encore plus loin et suggegraverent que lʹimitation chez lʹhomme est toujours ‐ agrave un niveau fondamental ‐ lʹimitation dʹintentions et de buts plutocirct que dʹactions et de repreacutesentations Cette hypothegravese (en reacutealiteacute une deacuteduction de nombreuses donneacutees empiriques qui vont toutes dans ce sens) a eacuteteacute baptiseacutee la ʹgoal‐directed theory of imitationʹ(5) (Trevarthen Kokkinaki amp Fiamenghi 1999 Wohlschlager amp Bekkering 2002)

NEUROBIOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE Un dialogue approfondi entre sciences humaines et sciences ʹduresʹ est agrave souhaiter la chose est claire Les sciences humaines ne peuvent pas rester sourdes agrave ce qui est deacutemontreacute ailleurs Et lʹinverse est peut‐ecirctre vrai aussi dans certains cas Dans ce cadre il faut noter que plusieurs deacutecennies avant le surcroicirct spectaculaire de lʹinteacuterecirct scientifique pour lʹimitation un critique litteacuteraire () et anthropologue franco‐ameacutericain avait deacutejagrave articuleacute une theacuteorie autour de lʹimportance exceptionnelle de lʹimitation dans lʹhomme Son hypothegravese eacutetait ‐ curieusement ‐ que lʹimitation nʹa pas tant trait aux pheacutenomegravenes exteacuterieurs mais aux intentions au deacutesir Ce theacuteoricien de ce quʹil appelle lui‐mecircme le deacutesir mimeacutetique cʹest Reneacute Girard La concordance entre ses eacutetudes et les conclusions scientifiques reacutecentes des chercheurs empiriques sont surprenantes ʹextraordinairesʹ comme le dit Scott Garrels (un chercheur en psychologie clinique)

The parallels between Girardʹs insights and the only recent conclusions made by empirical researchers concerning imitation (in both development and the evolution of species) are extraordinary (Garrels 2004 p 29)

Le contexte dans lequel Girard a deacuteveloppeacute ses theacuteories est aussi remarquable

What makes Girardʹs insights so remarkable is that he not only discovered and developed the primordial role of psychological mimesis during a time when imitation was quite out of fashion but he did so through investigation in literature cultural anthropology historyhellip (Garrels 2004 p 29)

(Ce qui rend les ideacutees de Girard si remarquables cʹest non seulement le fait quʹil ait deacutecouvert le rocircle primordial de la mimesis psychologique agrave une eacutepoque ougrave lʹimitation nʹeacutetait pas agrave la mode mais quʹil a fait cela agrave travers une recherche dans la litteacuterature lʹanthropologie culturelle lʹhistoirehellip)

LES DANGERS DE LʹIMITATION Reneacute Girard a non seulement fait le lien entre imitation et intention mais aussi entre imitation et violence La recherche scientifique qui fait le lien entre imitation et violence est assez populaire aujourdʹhui mais les reacutesultats vraiment inteacuteressants ne sont pas encore lagrave On sʹest souvent poseacute la question si lʹexposition de lʹenfant agrave la violence meacutediatiseacute influence son comportement Est‐ce que le (jeune) teacuteleacutespectateur va imiter les repreacutesentations de violence agrave la teacuteleacutevision Il nʹexiste pas de reacuteponses tout agrave fait claires agrave cette question (Bushman and Huesman 2001) On a pu constater ‐ par exemple ‐ que des jeux dʹordinateurs violents nʹincitent pas neacutecessairement agrave la violence Ces jeux peuvent mecircme avoir des effets ʹcathartiquesʹ au lieu de frapper la petite sœur ou le petit fregravere cʹest sur des ennemis virtuels que le joueur se deacutefoule Reneacute Girard pour sa part a vu dans lʹimitation non pas (seulement) ce qui communique la violence mais ce qui la geacutenegravere la cause de la violence Avant dʹexpliquer comment cela est possible il faut preacuteciser pourquoi la question du lien entre violence et mimesis sʹimpose aujourdʹhui

Mimesis et violence Pourquoi cela devient pressant actuellement de questionner le lien entre mimesis et violence De nombreuses recherches indeacutependantes il faut conclure que lʹimitation dynamique constitue la condition premiegravere du deacuteveloppement humain et une des caracteacuteristiques humaines les plus importantes Les chercheurs sont dʹaccord aujourdʹhui de deacutefinir le cerveau humain comme ʹune eacutenorme machine agrave imiterʹ qui fonctionne agrave un niveau bien plus eacuteleveacute que chez les autres primates De tous les animaux lʹhomme est le plus ʹmimeacutetiqueʹ Une autre chose au sujet de lʹhumain sʹimpose aussi avec eacutevidence de tous les animaux le plus violent cʹest sans aucun doutehellip lʹhomme Il faut se demander si par hasard ces deux observations eacuteleacutementaires ne sont pas agrave mettre en rapport Il nʹy a pas cent ans cette ideacutee quʹil pourrait exister une correacutelation encore mal connue entre la mimesis et lʹorigine la genegravese de la violence humaine aurait sans doute sembleacute incongrue Le grand theacuteoricien de lʹimitation de lʹeacutepoque Gabriel Tarde auteur du fameux livre Les Lois de Lʹimitation (publieacute en 1890) voyait en lʹimitation la cause premiegravere de lʹharmonie sociale Sans ecirctre totalement fausse on voit aujourdʹhui que cette ideacutee est du moins incomplegravete

bull Lʹimitation est dʹune importance cruciale pour tout ce qui est typiquement humain dans un sens que nous commenccedilons quʹagrave deacutecouvrir (Hurley amp Chater 2002)

bull Selon Tarde lʹimitation humaine est la cause de lʹharmonie sociale

Des deux propositions preacuteceacutedentes il sʹensuivrait que lʹharmonie la paix seraient typiquement caracteacuteristiquement humaines Lʹhomme serait lʹanimal le moins violent Qui oserait cependant deacutefendre une telle conclusion Ou bien lʹimitation nʹest pas si importante ce qui va agrave lʹencontre dʹune masse de donneacutees empiriques reacutecentes ou bien la vision de Gabriel Tarde est fausse ou du moins incomplegravete La seconde conclusion semble la meilleure Mais quʹavons‐nous pu ne pas voir au sujet de lʹimitation

Rivaliteacute mimeacutetique Si deux hommes deacutesirent la mecircme chose alors quʹil nʹest pas possible quʹils en jouissent tous les deux ils deviennent ennemis‐HOBBES (Leacuteviathan)

Dans une interview reacutecente Rizzolati (le directeur du groupe de chercheurs qui a deacutecouvert les neurones miroirs) a dit laquo Le processus dʹimitation est limiteacute chez les singes et cʹest souvent dangereux pour eux dʹimiter raquo (5 feacutevrier 2005 dans Le Figaro) Dʹougrave vient ce danger de lʹimitation Rappelons que les neurones dans le cortex preacute moteur des singes eacutetudieacutes par Rizzolati eacutetaient activeacutes quand lʹanimal effectuait un mouvement avec but preacutecis le plus souvent ʹsaisir un objetʹ Imaginons maintenant un singe qui tente de sʹemparer dʹun objet et un autre qui lʹimite aveugleacutement ʹinconsciemmentʹ Ces deux mains eacutegalement avides qui convergent vers un seul objet ne peuvent

manquer de provoquer un hellip conflit Voilagrave que la mimeacutesis peut ecirctre la source de conflits de violence si lʹon voit que les comportements dʹacquisition et dʹappropriation (le fait de prendre un objet pour soi) sont aussi susceptibles dʹecirctre imiteacutes Lagrave chose est claire et pourtant ‐ chose eacutetrange et remarquable ‐ ce type de comportement fort important pour les primates et pour les humains nʹa pas eacuteteacute incorporeacute dans la recherche sur lʹimitation

Ce nʹest pas un hasard sans doute si le type de comportement systeacutematiquement exclu par toutes les probleacutematiques de lʹimitation de Platon jusquʹagrave nos jours est celui auquel on ne peut pas songer sans deacutecouvrir aussitocirct lʹinexactitude flagrante de la conception quʹon se fait toujours de cette ʹfaculteacuteʹ le caractegravere proprement mythique des effets uniformeacutement greacutegaires et leacutenifiants quʹon ne cesse de lui attribuer Si le mimeacutetique chez lʹhomme joue bien le rocircle fondamental que tout deacutesigne pour lui il doit forceacutement exister une imitation acquisitive ou si lʹon preacutefegravere une mimeacutesis dʹappropriation dont il importe dʹeacutetudier les effets et de peser les conseacutequences (Girard 1978)

Cette remarque pourtant eacutevidente a dʹeacutenormes conseacutequences pour notre compreacutehension de lʹhomme La mimesis devient ‐ du coup ‐ fort paradoxale elle peut ecirctre source dʹempathie de conformisme mais aussi de rivaliteacute Donnons encore un exemple simple mecircme banal dʹune rivaliteacute qui naicirct de la mimeacutesis Imaginons deux bambins dans une piegravece pleine de jouets identiques Le premier prend un jouet mais il ne semble pas fort inteacuteresseacute par lʹobjet Le second lʹobserve et essaie dʹarracher le jouet agrave son petit camarade Celui‐lagrave nʹeacutetait pas fort captiveacute par la babiole mais ‐ soudain ‐ parce que lʹautre est inteacuteresseacute cela change et il ne veut plus le lacirccher Des larmes des frustrations et de la violence sʹensuivent Dans un laps de temps tregraves court un objet pour lequel aucun des deux nʹavait un inteacuterecirct particulier est devenu lʹenjeu dʹune rivaliteacute obstineacutee Il faut noter que tout dans ce deacutesir trop partageacute pour un objet impartageable est imitation mecircme lʹintensiteacute du deacutesir deacutependra de celui dʹautrui Cʹest ce que Girard appelle la rivaliteacute mimeacutetique eacutetrange processus de ʹfeedback positifʹ qui seacutecregravete en grandes quantiteacutes la jalousie lʹenvie et la haine

Conclusion Si lʹimitation est souvent dangereuse pour les singes il ne doit pas y en aller autrement pour les humains Souvent les singes ne risquent pas de se bagarrer agrave mort pour de la nourriture des partenaires un territoire etc parce quʹil existe chez eux des freins instinctifs agrave la violence des rapports de domination (des ʹdominance patternsʹ) Chez les hommes nous le savons ces freins instinctuels nʹexistent plus La violence intraspeacutecifique la ʹguerre de tous contre tousʹ pour reprendre le mot de Hobbes a du jouer un rocircle important dans lʹhominisation Comme le disait deacutejagrave Jacques Monod

laquo Dominant deacutesormais son environnement lʹHomme nʹavait devant soi dʹadversaire seacuterieux que lui‐mecircme La lutte intraspeacutecifique directe la lutte agrave mort devenait des lors lʹun des principaux facteurs de seacutelection dans lʹespegravece humaine Pheacutenomegravene extrecircmement rare dans lʹeacutevolution des animaux [hellip] Dans quel sens cette pression de seacutelection devait‐elle pousser lʹeacutevolution humaine raquo (Monod 1970)

Comment cet obstacle formidable quʹoppose la violence intraspeacutecifique agrave la creacuteation de toute socieacuteteacute humaine a eacuteteacute souleveacute Voilagrave une question importante Voilagrave la question qursquoa ducirc affronter Reneacute Girard apregraves avoir deacutecouvert lrsquoambiguiumlteacute de la mimeacutesis Il faut espeacuterer que les recherches interdisciplinaires sur lʹhomme vont scruter le problegraveme Et on ne peut pas ne pas le rencontrer sur sa route si lʹon contemple vraiment la nature extrecircmement paradoxale de lʹimitation humaine source dʹintelligence dʹempathie mais aussi de rivaliteacute de destruction

Notes (1) Aujourdʹhui cela nʹest plus une question On se demande deacutesormais comment les neurones miroirs opegraverent chez lʹhomme et en quoi cela est diffeacuterent des autres animaux Voir entre autres Buccino G Lui F Canessa N Patteri I Lagravinese G Benuzzi F Porro CA and Rizzolatti G (2004) Neural circuits involved in the recognition of actions performed by nonconspecifics An fMRI study J Cogn Neurosci 16 114‐126

(2) ʺThe human mind demonstrates a greater development of imitative phenomena throughout the lifespan both quantitatively and qualitativelyʺ (Garrels 2004) Shirley Fecteau ʺCeci montre que le meacutecanisme des neurones miroirs est actif dans le cerveau immature Lʹactivation est toutefois plus reacuteduite que celle observeacutee chez les adultes ce qui indique que ces reacuteseaux probablement en place degraves la naissance continuent de se deacutevelopper dans des stades ulteacuterieurs de lʹenfanceʺ Interview sur le forum ʹonlineʹ de lʹUniversiteacute de Montreacuteal httpwwwiforumumontrealcaForumArchivesForum2004‐2005041213article4195htm (3) ʺIt is clear that there is no place in Freudʹs theory of early infancy for imitative self‐other reciprocityʺ (Trevarthen Kokinaki amp Fiamenghi 1999 p 155) (4) Voir Reneacute Girard (1978 p 17) (5) Voici ce que disent Wohlschlager et Bekkering The goal‐directed theory of imitation allows imitators to learn from models even if the differences in motor skills or in body proportions are so huge that the imitator is physically unable to make the same movement as the model Whatever movement the imitator uses the purpose of learning by imitation can be regarded as being fulfilled as soon as he reaches the same goal as the model (Wohlschlager amp Bekkering 2002 p 104)

Il est aussi inteacuteressant de noter ‐ entre parenthegraveses ‐ que cette hypothegravese reacutecente semble aller un peu agrave lʹencontre de la theacuteorie ʹmeacutemeacutetiqueʹ de Richard Dawkins (1976 The Selfish Gene) Dawkins a forgeacute une theacuteorie assez fascinante de la culture en tenant compte de lʹimportance de lʹimitation et en extrapolant le schegraveme Darwinien vers le domaine des ideacutees La tentation est grande en effet pour un biologiste de comparer la seacutelection des ideacutees agrave lʹeacutevolution Darwinienne Six ans avant le fameux livre de Dawkins le prix Nobel franccedilais Jacques Monod eacutecrivait deacutejagrave agrave la fin de son livre Le Hasard et la Neacutecessiteacute sous le titre ʹla seacutelection des ideacuteesʹ

Il est tentant pour un biologiste de comparer lʹeacutevolution des ideacutees agrave celle de la biosphegravere Car si le Royaume abstrait transcende la biosphegravere plus encore que celle‐ci lʹunivers non vivant les ideacutees ont conserveacute certaines des proprieacuteteacutes des organismes Comme eux elles tendent agrave perpeacutetuer leur structure et agrave la multiplier comme eux elles peuvent fusionner recombiner seacutegreacuteger leur contenu comme eux enfin elles eacutevoluent et dans cette eacutevolution la seacutelection sans aucun doute joue un grand rocircle (p 181)

Mais ajoute Monod laquo Je ne me hasarderai pas agrave proposer une theacuteorie de la seacutelection des ideacutees ʺ Chez Dawkins lʹimitation la reproduction porte sur les ʹideacuteesʹ sur des uniteacutes dʹinformation (ʹmegravemesʹ) des repreacutesentations en somme Les recherches toutes reacutecentes nous montrent ‐ au contraire ‐ que lʹimitation humaine porte dʹabord sur des intentions Dans un cadre philosophique on peut dire que Meltzoff et autres deacutegagent deacutefinitivement la mimesis de son ancien contexte dʹideacutealisme platonicien (et ce platonisme ‐ dʹaucuns ont pu le remarquer ‐ semble toujours lagrave chez un Dawkins qui parle dʹideacuteosphegravere un peu comme Monod qui parlait du ʹRoyaume abstrait des ideacuteesʹ ce qui implique toujours la vieille conception platonicienne ‐ un peu mythique il faut lʹavouer ‐ selon laquelle les ideacutees ont une existence indeacutependante des hommes)

Sources Bushman B and Huesmann L (2001) ʺEffects of televised violence on aggressionʺ in DG Singer amp JL Singer (ed) Handbook of children and the media Thousand Oaks Sage pp 223‐254 Dawkins Richard (1976) The Selfish Gene Oxford University Press Garrells Scott R (2004) ʹImitation Mirror Neurons amp Mimetic desireʹ httpwwwcovr2004orggarrelspaperpdf Girard Reneacute (1961) Mensonge Romantique et Veacuteriteacute Romanesque (Paris Grasset) 1972) La violence et le sacreacute (Paris Grasset) (1978) Des Choses cacheacutees depuis la fondation du monde avec Jean‐Michel Oughourlian et Guy Lefort (Paris Grasset) Hurley S amp Chater N (2002) Perspectives on imitation from cognitive neuroscience to social science Royaumont Abbey France 24‐26 May Nadel J amp Butterworth G (1999) Imitation in Infancy Cambridge University Press ‐ Meltzoff A amp Decety J (2003) What imitation tells us about social cognition a rapprochement between developmental

psychology and cognitive neuroscience Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 358 491‐500 Meltzoff A amp Moore K (1977) Imitatoin of facial and manual gestures by human neonates Science 198 75‐78 ‐ Meltzoff A amp Moore K (1983) Newborn infants imitate adult facial gestures Child Development 54 702‐709 Meltzoff A amp Moore K (1989) Imitation in newborn infants exploring the range of gestures imitated and the underlying mechanisms Developmental Psychology 25 945‐962 Monod Jacques (1970) Le hasard et la neacutecessiteacute Seuil Ramachandran V (2000) Mirror neurons and imitation learning as the driving force behind ʺthe great leap forwardʺ in human evolution httpwwwedgeorgdocumentsarchiveedge69html Rizzolati G Fadiga L Fogassi L amp Gallese V (1996a) Premotor cortex and the Recognition of motor actions Cognitive Brain Research 3 131‐141 Tarde Gabriel Les lois de lʹimitation Paris 3egraveme eacuted revue et augmenteacutee 1900 Trevarthen C Kokkinaki T amp Fiamenghi Jr G (1999) What infantsʹ imitations communicate with mothers with fathers with peers In Imitation in Infancy (ed Nadel J amp ‐ Butterworth G) pp 9‐35 Cambridge University Press

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(La deacutecouverte des neurones miroirs est la plus importante nouvelle non‐transmise de la deacutecennie Je preacutedis que les neurones miroirs feront pour la psychologie ce que la DNA a fait pour la biologie Elles vont fournir un cadre unifiant et aider agrave expliquer une quantiteacute de dispositions mentales qui jusquʹagrave maintenant restaient mysteacuterieuses et inaccessibles agrave lʹempirisme)

Les neurones miroirs sont des neurones qui sʹactivent non seulement lorsquʹun individu exeacutecute lui‐mecircme une action mais aussi lorsquʹil regarde un congeacutenegravere exeacutecuter la mecircme action On peut dire en quelque sorte que les neurones dans le cerveau de celuicelle qui observe imitent les neurones de la personne observeacutee de lagrave le qualitatif ʹmiroirʹ (mirror neurons) Cʹest un groupe de neurologues italiens sous la direction de Giacomo Rizzolati (1996) qui a fait cette deacutecouverte sur des macaques Les chercheurs ont remarqueacute ‐ par hasard ‐ que des neurones (dans la zone F5 du cortex preacute moteur) qui eacutetaient activeacutes quand un singe effectuait un mouvement avec but preacutecis (par exemple saisir un objet) eacutetaient aussi activeacutes quand le mecircme singe observait simplement ce mouvement chez un autre singe ou chez le chercheur qui donnait lʹexemple

Zone F5 du cortex preacute moteur

Il existe donc dans le cerveau des primates un lien direct entre action et observation Cette deacutecouverte sʹest faite dʹabord chez des singes mais lʹexistence et lʹimportance des neurones miroirs pour les humains a eacuteteacute confirmeacutee(1) Dans une recherche toute reacutecente superviseacutee par Hugo Theacuteoret (Universiteacute de Montreacuteal) Shirley Fecteau a montreacute que le meacutecanisme des neurones miroirs est actif dans le cerveau immature des petits enfants et que les reacuteseaux de neurones miroirs continuent de se deacutevelopper dans les stades ulteacuterieurs de lʹenfance Il faut ajouter ici que les savants sʹaccordent pour dire que ces reacuteseaux sont non seulement plus deacuteveloppeacutes chez les adultes (compareacute aux enfants) mais quʹils sont consideacuterablement plus eacutevolueacutes chez les hommes en geacuteneacuteral compareacute aux autres primates(2) Lʹhomme est un animal social qui diffegravere des autres animaux en ce quʹil est plus apte agrave lʹimitation Aristote le disait deacutejagrave (Poeacutetique 4) Aujourdʹhui on peut tracer les sources ceacutereacutebrales de cette speacutecificiteacute humaine La deacutecouverte des neurones miroirs permet de mettre le doigt sur ce qui connecte les cerveaux des hommes En outre cette deacutecouverte a encore confirmeacute lʹimportance neurologique de lʹimitation chez lʹecirctre humain Comme le dit tregraves bien Scott Garrels (2004)

Convergent evidence across the modern disciplines of developmental psychology and cognitive neuroscience demonstrate that imitation based on mirrored neural activity and reciprocal interpersonal behaviour are what scaffold human development (p 3)

mdash Des preuves convergentes de la psychologie du deacuteveloppement et de la neuroscience cognitive deacutemontrent que lʹimitation baseacutee sur lʹactiviteacute neurale miroir et le comportement reacuteciproque interpersonnel est ce sur quoi est construit le deacuteveloppement humain mdash

Lʹimitation est importante pour lʹapprentissage le langage la transmission culturelle mais aussi pour lʹempathie par exemple Quʹon peut mieux saisir lʹempathie agrave lʹaide des neurones miroirs est facile agrave

comprendre tregraves vite lʹenfant fait lʹexpeacuterience de lʹautre comme ʹquelque choseʹ qui peut ʹfaire la mecircme choseʹ que lui En imitant et en eacutetant imiteacute les enfants apprennent que de tous les objets qui les entourent seuls les ecirctres humains peuvent vivre les mecircmes expeacuteriences quʹeux

Un dialogue prometteur Quand on met le doigt sur le speacutecifiquement humain il faut sʹattendre agrave un eacutechange entre sciences expeacuterimentales et sciences humaines En effet gracircce agrave ces deacutecouvertes reacutecentes en neurosciences un dialogue fascinant entre sciences humaines et sciences expeacuterimentales est en train de sʹeacutetablir Il faut se reacutefeacuterer ici ‐ entre autres ‐ aux volumes de Hurley et Chater Perspectives on Imitation From Neuroscience to Social Science (MIT Press 2005) Avec cet article nous voulons participer un peu agrave ce dialogue Dʹabord en donnant un tregraves bref aperccedilu historique de lʹancienne vision sur lʹimitation qui avait cours dans les sciences humaines vision deacutesormais reacutevolue En suite en montrant quʹon peut faire un lien fort eacutetonnant entre lʹanthropologie du chercheur franco‐ameacutericain Reneacute Girard et les conclusions reacutecentes de chercheurs en neurobiologie (en se reacutefeacuterant dʹabord aux travaux de Meltzoff sur le rapport entre imitation et intention) Et finalement en parlant de ce qui me paraicirct encore une lacune dans la recherche actuelle le lien quʹon peut faire (et quʹon devrait explorer) entre imitation inconsciente et la naissance de la rivaliteacute de la violence entre deux (ou plusieurs individus)

DE PLATON Agrave GIACOMO RIZZOLATI ET AL Le processus dynamique et intersubjectif nommeacute ʹimitationʹ est vital pour le deacuteveloppement humain et pour la transmission de la culture durant toute notre vie laquo in ways that we are just beginning to understand raquo (Hurley amp Chater 2002) Selon les chercheurs nous ne commenccedilons quʹagrave saisir lʹimportance de lʹimitation et de lʹinterdeacutependance des ecirctres humains (mecircme au niveau ceacutereacutebral) Jadis cette conscience aigueuml nʹexistait pas Platon est un des premiers penseurs qui a analyseacute le pheacutenomegravene de lʹimitation (quʹil nomme mimesis) Toutefois chez lui lʹimitation nʹest quʹune faculteacute humaine (qui produit des extensions de la veacuteriteacute ideacuteale dans le monde pheacutenomeacutenal) La mimesis deacutecrite par Platon (par exemple le peintre imite un objet du monde exteacuterieur) est fort eacuteloigneacutee de cette interdeacutependance vitale entre congeacutenegraveres que nous montrent les chercheurs dʹaujourdʹhui Les philosophes apregraves Platon ont le plus souvent repris sa vision limiteacutee tronqueacute de lʹimitation ‐ mecircme sʹils nʹeacutetaient pas dʹaccord avec lui au sujet de lʹart Cette situation a beaucoup contribueacute au concept moderne du ʹmoi autonomeʹ (Garrels 2004) Cette influence de Platon mais aussi des Lumiegraveres a sans doute contribueacute au fait que ni Freud(3) ni mecircme Piaget nʹont soupccedilonneacute la possibiliteacute de lʹimitation intersubjective chez les nouveau‐neacutes En 1977 deux chercheurs ameacutericains Andrew Meltzoff et Keith Moore voulaient tester les stades de deacuteveloppement de lʹapprentissage preacuteverbal chez Piaget Par hasard ils ont deacutecouvert que mecircme les nouveau‐neacutes eacutetaient parfaitement capables dʹapprendre par imitation Ils ont donc ducirc critiquer certaines preacutesuppositions de la theacuteorie de Piaget car dʹapregraves le ceacutelegravebre psychologue suisse une forme eacuteleacutementaire de repreacutesentation symbolique est neacutecessaire pour pouvoir imiter Cʹest pourquoi lʹenfant chez Piaget ne commence quʹagrave imiter autrui vers lʹacircge dʹun an Meltzoff et Moore ont veacuterifieacute ce quʹils avaient trouveacute en 1977 dans les anneacutees 1980 (Meltzoff amp Moore 1983 1989) chez des enfants dont la moyenne dʹacircge eacutetait de 32 heures (le plus jeune nʹeacutetait acircgeacute que de 42 minutes) Lʹexistence et surtout lʹimportance de lʹimitation immeacutediate chez les nouveau‐neacutes avaient totalement eacutechappeacute aux chercheurs

The existence of immediate imitation in development was hardly suspected and its role was ignored (Nadel amp Butterworth 1999)

Quatre preacutesuppositions importantes sur lʹimitation se sont donc aveacutereacutees fausses (Garrels 2004)

bull Les hommes apprennent progressivement agrave imiter durant les premiegraveres anneacutees de lʹenfance bull Une forme eacuteleacutementaire de repreacutesentation symbolique est neacutecessaire pour pouvoir imiter bull Les nouveau‐neacutes sont incapables de faire un lien entre ce quʹils voient chez les autres et ce

quʹils sentent chez eux‐mecircmes bull Degraves que lʹenfant est capable dʹimiter cela reste une faculteacute mineure et enfantine

Ces preacutesuppositions qui ‐ on le voit aujourdʹhui ‐ ont souvent formeacute le soubassement dʹun discours fondamental (philosophique et scientifique) sur lʹhumain depuis Platon sʹavegraverent donc erroneacutees On a longtemps cru aussi que lʹimitation est synonyme de comportement greacutegaire moutonnier Lʹimitation appartient au Moi Infeacuterieur de Valeacutery ou agrave ce que Heidegger appelait deacutedaigneusement le ʹonʹ Das Man Actuellement une telle vision semble inexacte Il nʹy a pas encore trois ans un colloque sur lʹimitation a eacuteteacute introduit par les mots suivants

Imitation hellip is often thought of as a low‐level relatively childish or even mindless phenomenon This may be a serious mistake It is beginning to look in light of recent work in the cognitive sciences as if imitation is a rare perhaps even uniquely human ability which may be fundamental to what is distinctive about human learning intelligence rationality and culture (Hurley amp Chater 2002 ‐ citeacute par Garrels) mdash Lʹimitation hellip est souvent consideacutereacutee comme un pheacutenomegravene mineur enfantin ou mecircme inepte Cela est sans doute une grande erreur Il semble aujourdʹhui agrave travers les travaux reacutecents en sciences cognitives que lʹimitation est un pheacutenomegravene exceptionnel peut‐ecirctre speacutecifiquement humain qui est sans doute fondamental pour tout ce qui est original dans lʹapprentissage humain lʹintelligence la rationaliteacute et la culture mdash

Ce nʹeacutetait pas avant les anneacutees 1970 que le terme ʹimitationʹ est devenu une reacutefeacuterence clef dans les bases de donneacutees psychologiques Nadel et Butterworth (1999) ont retrouveacute dix eacutetudes dʹavant 1970 qui sʹoccupaient de lʹimitation au‐delagrave des diffeacuterents stades dʹapprentissage En 1978 ce nombre eacutetait deacutejagrave eacuteleveacute agrave septante‐six Aujourdʹhui lʹimitation est au centre dʹune recherche riche et interdisciplinaire dans la psychologie du deacuteveloppement les neurosciences les sciences cognitives la linguistique lʹeacutethologie lʹeacutevolution culturelle la biologie eacutevolutionnaire et lʹintelligence artificielle

IMITATION ET INTENTION Pour Platon et Aristote lʹimitation avait trait agrave certains types de comportements des maniegraveres des habitudes individuelles ou collectives des paroles des ideacutees des faccedilons de parler toujours des repreacutesentations(4) Gracircce aux recherches actuelles en neuroscience et en psychologie expeacuterimentale nous savons que lʹimitation est un pheacutenomegravene beaucoup plus complexe et ʹintimeʹ agrave lʹhomme nous nʹimitons pas tant des repreacutesentations ‐ ce quʹon voit faire un autre par exemple ‐ mais des intentions des deacutesirs Reacutecemment Andrew Meltzoff (aujourdʹhui responsable de lrsquo Institute for Learning and Brain Sciences agrave Washington) a faccedilonneacute une seacuterie dʹexpeacuteriences ougrave lʹimitation eacutetait employeacutee pour comprendre comment un enfant peut deacutechiffrer les intentions des adultes agrave travers leur comportement (Garrels 2004) Dans une premiegravere expeacuterience un chercheur montrait agrave des petits dʹenviron 18 mois comment il essayait dʹenlever le bout dʹun ʹmini‐haltegravereʹ pour enfants Au lieu dʹachever lʹaction il faisait semblant quʹil nʹarrivait pas agrave enlever le bout du jouet Les enfants ne voyaient donc jamais la repreacutesentation exacte du but de lʹaction En usant de diffeacuterents groupes de controcircle les chercheurs ont remarqueacute que les petits avaient saisi la viseacutee de la deacutemarche (ocircter le bout du haltegravere) et quʹils imitaient cette intention du chercheur et non ce quʹils avaient reacuteellement vu Les enfants imitent donc non pas une repreacutesentation mais un but un dessein Comme le reacutesume Meltzoff ldquoEvidently young toddlers can understand our goals even if we fail to fulfill them They choose to imitate what we meant to do rather than what we mistakenly dordquo (Meltzoff amp Decety 2003 p 496) Les enfants comprennent donc les intentions des adultes mecircme si ces adultes nʹarrivent pas agrave les accomplir Ils imitent ce que les chercheurs voulaient faire plus que ce quʹils faisaient concregravetement

La seconde expeacuterience eacutetait conccedilue pour voir si les enfants attribuent des motifs agrave des objets Pour ce test les chercheurs avaient fabriqueacute une petite machine (avec bras et grappins) qui exeacutecutait exactement la mecircme action avorteacutee de la premiegravere expeacuterience Tregraves vite il sʹest aveacutereacute que les bambins qui avaient profiteacute de cette deacutemonstration nʹeacutetaient pas mieux disposeacutes pour attribuer une intention agrave lʹappareil que dʹautres qui eacutetaient confronteacute au petit haltegravere sans deacutemonstration Il semble donc que les enfants nʹattribuent pas dʹintentions agrave des objets inanimeacutes Une troisiegraveme expeacuterience allait rendre plus visible encore combien lʹenfant precircte attention aux motifs de ses congeacutenegraveres et combien ces motifs ces intentions sont importants pour lui Dans ce test les bouts du petit haltegravere eacutetaient colleacutes solidement agrave la barre Ils ne pouvaient donc pas ecirctre enleveacutes Le chercheur reacutepeacutetait ici la mecircme deacutemonstration que dans les expeacuteriences preacuteceacutedentes il essayait dʹocircter la part exteacuterieure du jouet mais sa main glissait du bout sans le saisir Chez les enfants la mecircme chose exactement se produisait neacutecessairement (les bouts eacutetant colleacutes) mais les bambins nʹeacutetaient pas du tout satisfaits par la pure reproduction de ce quʹils avaient vu faire lʹadulte Ils reacutepeacutetaient leurs tentatives dʹenlever le bout mordaient dedans et lanccedilaient des regards suppliants agrave maman et au chercheur Meltzoff eacutecrit

This work reinforces the idea that the toddlers are beginning to focus on the adultʹs goals not simply their surface actions It provides developmental roots for the importance of goals in organizing imitation in older children and adults (Meltzoff 2002 p 32 ‐ citeacute par Garrels)

Le travail de Meltzoff renforce donc lʹideacutee selon laquelle les bambins commencent agrave concentrer leur attention sur les buts des adultes et pas simplement sur leurs actions Plusieurs savants vont encore plus loin et suggegraverent que lʹimitation chez lʹhomme est toujours ‐ agrave un niveau fondamental ‐ lʹimitation dʹintentions et de buts plutocirct que dʹactions et de repreacutesentations Cette hypothegravese (en reacutealiteacute une deacuteduction de nombreuses donneacutees empiriques qui vont toutes dans ce sens) a eacuteteacute baptiseacutee la ʹgoal‐directed theory of imitationʹ(5) (Trevarthen Kokkinaki amp Fiamenghi 1999 Wohlschlager amp Bekkering 2002)

NEUROBIOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE Un dialogue approfondi entre sciences humaines et sciences ʹduresʹ est agrave souhaiter la chose est claire Les sciences humaines ne peuvent pas rester sourdes agrave ce qui est deacutemontreacute ailleurs Et lʹinverse est peut‐ecirctre vrai aussi dans certains cas Dans ce cadre il faut noter que plusieurs deacutecennies avant le surcroicirct spectaculaire de lʹinteacuterecirct scientifique pour lʹimitation un critique litteacuteraire () et anthropologue franco‐ameacutericain avait deacutejagrave articuleacute une theacuteorie autour de lʹimportance exceptionnelle de lʹimitation dans lʹhomme Son hypothegravese eacutetait ‐ curieusement ‐ que lʹimitation nʹa pas tant trait aux pheacutenomegravenes exteacuterieurs mais aux intentions au deacutesir Ce theacuteoricien de ce quʹil appelle lui‐mecircme le deacutesir mimeacutetique cʹest Reneacute Girard La concordance entre ses eacutetudes et les conclusions scientifiques reacutecentes des chercheurs empiriques sont surprenantes ʹextraordinairesʹ comme le dit Scott Garrels (un chercheur en psychologie clinique)

The parallels between Girardʹs insights and the only recent conclusions made by empirical researchers concerning imitation (in both development and the evolution of species) are extraordinary (Garrels 2004 p 29)

Le contexte dans lequel Girard a deacuteveloppeacute ses theacuteories est aussi remarquable

What makes Girardʹs insights so remarkable is that he not only discovered and developed the primordial role of psychological mimesis during a time when imitation was quite out of fashion but he did so through investigation in literature cultural anthropology historyhellip (Garrels 2004 p 29)

(Ce qui rend les ideacutees de Girard si remarquables cʹest non seulement le fait quʹil ait deacutecouvert le rocircle primordial de la mimesis psychologique agrave une eacutepoque ougrave lʹimitation nʹeacutetait pas agrave la mode mais quʹil a fait cela agrave travers une recherche dans la litteacuterature lʹanthropologie culturelle lʹhistoirehellip)

LES DANGERS DE LʹIMITATION Reneacute Girard a non seulement fait le lien entre imitation et intention mais aussi entre imitation et violence La recherche scientifique qui fait le lien entre imitation et violence est assez populaire aujourdʹhui mais les reacutesultats vraiment inteacuteressants ne sont pas encore lagrave On sʹest souvent poseacute la question si lʹexposition de lʹenfant agrave la violence meacutediatiseacute influence son comportement Est‐ce que le (jeune) teacuteleacutespectateur va imiter les repreacutesentations de violence agrave la teacuteleacutevision Il nʹexiste pas de reacuteponses tout agrave fait claires agrave cette question (Bushman and Huesman 2001) On a pu constater ‐ par exemple ‐ que des jeux dʹordinateurs violents nʹincitent pas neacutecessairement agrave la violence Ces jeux peuvent mecircme avoir des effets ʹcathartiquesʹ au lieu de frapper la petite sœur ou le petit fregravere cʹest sur des ennemis virtuels que le joueur se deacutefoule Reneacute Girard pour sa part a vu dans lʹimitation non pas (seulement) ce qui communique la violence mais ce qui la geacutenegravere la cause de la violence Avant dʹexpliquer comment cela est possible il faut preacuteciser pourquoi la question du lien entre violence et mimesis sʹimpose aujourdʹhui

Mimesis et violence Pourquoi cela devient pressant actuellement de questionner le lien entre mimesis et violence De nombreuses recherches indeacutependantes il faut conclure que lʹimitation dynamique constitue la condition premiegravere du deacuteveloppement humain et une des caracteacuteristiques humaines les plus importantes Les chercheurs sont dʹaccord aujourdʹhui de deacutefinir le cerveau humain comme ʹune eacutenorme machine agrave imiterʹ qui fonctionne agrave un niveau bien plus eacuteleveacute que chez les autres primates De tous les animaux lʹhomme est le plus ʹmimeacutetiqueʹ Une autre chose au sujet de lʹhumain sʹimpose aussi avec eacutevidence de tous les animaux le plus violent cʹest sans aucun doutehellip lʹhomme Il faut se demander si par hasard ces deux observations eacuteleacutementaires ne sont pas agrave mettre en rapport Il nʹy a pas cent ans cette ideacutee quʹil pourrait exister une correacutelation encore mal connue entre la mimesis et lʹorigine la genegravese de la violence humaine aurait sans doute sembleacute incongrue Le grand theacuteoricien de lʹimitation de lʹeacutepoque Gabriel Tarde auteur du fameux livre Les Lois de Lʹimitation (publieacute en 1890) voyait en lʹimitation la cause premiegravere de lʹharmonie sociale Sans ecirctre totalement fausse on voit aujourdʹhui que cette ideacutee est du moins incomplegravete

bull Lʹimitation est dʹune importance cruciale pour tout ce qui est typiquement humain dans un sens que nous commenccedilons quʹagrave deacutecouvrir (Hurley amp Chater 2002)

bull Selon Tarde lʹimitation humaine est la cause de lʹharmonie sociale

Des deux propositions preacuteceacutedentes il sʹensuivrait que lʹharmonie la paix seraient typiquement caracteacuteristiquement humaines Lʹhomme serait lʹanimal le moins violent Qui oserait cependant deacutefendre une telle conclusion Ou bien lʹimitation nʹest pas si importante ce qui va agrave lʹencontre dʹune masse de donneacutees empiriques reacutecentes ou bien la vision de Gabriel Tarde est fausse ou du moins incomplegravete La seconde conclusion semble la meilleure Mais quʹavons‐nous pu ne pas voir au sujet de lʹimitation

Rivaliteacute mimeacutetique Si deux hommes deacutesirent la mecircme chose alors quʹil nʹest pas possible quʹils en jouissent tous les deux ils deviennent ennemis‐HOBBES (Leacuteviathan)

Dans une interview reacutecente Rizzolati (le directeur du groupe de chercheurs qui a deacutecouvert les neurones miroirs) a dit laquo Le processus dʹimitation est limiteacute chez les singes et cʹest souvent dangereux pour eux dʹimiter raquo (5 feacutevrier 2005 dans Le Figaro) Dʹougrave vient ce danger de lʹimitation Rappelons que les neurones dans le cortex preacute moteur des singes eacutetudieacutes par Rizzolati eacutetaient activeacutes quand lʹanimal effectuait un mouvement avec but preacutecis le plus souvent ʹsaisir un objetʹ Imaginons maintenant un singe qui tente de sʹemparer dʹun objet et un autre qui lʹimite aveugleacutement ʹinconsciemmentʹ Ces deux mains eacutegalement avides qui convergent vers un seul objet ne peuvent

manquer de provoquer un hellip conflit Voilagrave que la mimeacutesis peut ecirctre la source de conflits de violence si lʹon voit que les comportements dʹacquisition et dʹappropriation (le fait de prendre un objet pour soi) sont aussi susceptibles dʹecirctre imiteacutes Lagrave chose est claire et pourtant ‐ chose eacutetrange et remarquable ‐ ce type de comportement fort important pour les primates et pour les humains nʹa pas eacuteteacute incorporeacute dans la recherche sur lʹimitation

Ce nʹest pas un hasard sans doute si le type de comportement systeacutematiquement exclu par toutes les probleacutematiques de lʹimitation de Platon jusquʹagrave nos jours est celui auquel on ne peut pas songer sans deacutecouvrir aussitocirct lʹinexactitude flagrante de la conception quʹon se fait toujours de cette ʹfaculteacuteʹ le caractegravere proprement mythique des effets uniformeacutement greacutegaires et leacutenifiants quʹon ne cesse de lui attribuer Si le mimeacutetique chez lʹhomme joue bien le rocircle fondamental que tout deacutesigne pour lui il doit forceacutement exister une imitation acquisitive ou si lʹon preacutefegravere une mimeacutesis dʹappropriation dont il importe dʹeacutetudier les effets et de peser les conseacutequences (Girard 1978)

Cette remarque pourtant eacutevidente a dʹeacutenormes conseacutequences pour notre compreacutehension de lʹhomme La mimesis devient ‐ du coup ‐ fort paradoxale elle peut ecirctre source dʹempathie de conformisme mais aussi de rivaliteacute Donnons encore un exemple simple mecircme banal dʹune rivaliteacute qui naicirct de la mimeacutesis Imaginons deux bambins dans une piegravece pleine de jouets identiques Le premier prend un jouet mais il ne semble pas fort inteacuteresseacute par lʹobjet Le second lʹobserve et essaie dʹarracher le jouet agrave son petit camarade Celui‐lagrave nʹeacutetait pas fort captiveacute par la babiole mais ‐ soudain ‐ parce que lʹautre est inteacuteresseacute cela change et il ne veut plus le lacirccher Des larmes des frustrations et de la violence sʹensuivent Dans un laps de temps tregraves court un objet pour lequel aucun des deux nʹavait un inteacuterecirct particulier est devenu lʹenjeu dʹune rivaliteacute obstineacutee Il faut noter que tout dans ce deacutesir trop partageacute pour un objet impartageable est imitation mecircme lʹintensiteacute du deacutesir deacutependra de celui dʹautrui Cʹest ce que Girard appelle la rivaliteacute mimeacutetique eacutetrange processus de ʹfeedback positifʹ qui seacutecregravete en grandes quantiteacutes la jalousie lʹenvie et la haine

Conclusion Si lʹimitation est souvent dangereuse pour les singes il ne doit pas y en aller autrement pour les humains Souvent les singes ne risquent pas de se bagarrer agrave mort pour de la nourriture des partenaires un territoire etc parce quʹil existe chez eux des freins instinctifs agrave la violence des rapports de domination (des ʹdominance patternsʹ) Chez les hommes nous le savons ces freins instinctuels nʹexistent plus La violence intraspeacutecifique la ʹguerre de tous contre tousʹ pour reprendre le mot de Hobbes a du jouer un rocircle important dans lʹhominisation Comme le disait deacutejagrave Jacques Monod

laquo Dominant deacutesormais son environnement lʹHomme nʹavait devant soi dʹadversaire seacuterieux que lui‐mecircme La lutte intraspeacutecifique directe la lutte agrave mort devenait des lors lʹun des principaux facteurs de seacutelection dans lʹespegravece humaine Pheacutenomegravene extrecircmement rare dans lʹeacutevolution des animaux [hellip] Dans quel sens cette pression de seacutelection devait‐elle pousser lʹeacutevolution humaine raquo (Monod 1970)

Comment cet obstacle formidable quʹoppose la violence intraspeacutecifique agrave la creacuteation de toute socieacuteteacute humaine a eacuteteacute souleveacute Voilagrave une question importante Voilagrave la question qursquoa ducirc affronter Reneacute Girard apregraves avoir deacutecouvert lrsquoambiguiumlteacute de la mimeacutesis Il faut espeacuterer que les recherches interdisciplinaires sur lʹhomme vont scruter le problegraveme Et on ne peut pas ne pas le rencontrer sur sa route si lʹon contemple vraiment la nature extrecircmement paradoxale de lʹimitation humaine source dʹintelligence dʹempathie mais aussi de rivaliteacute de destruction

Notes (1) Aujourdʹhui cela nʹest plus une question On se demande deacutesormais comment les neurones miroirs opegraverent chez lʹhomme et en quoi cela est diffeacuterent des autres animaux Voir entre autres Buccino G Lui F Canessa N Patteri I Lagravinese G Benuzzi F Porro CA and Rizzolatti G (2004) Neural circuits involved in the recognition of actions performed by nonconspecifics An fMRI study J Cogn Neurosci 16 114‐126

(2) ʺThe human mind demonstrates a greater development of imitative phenomena throughout the lifespan both quantitatively and qualitativelyʺ (Garrels 2004) Shirley Fecteau ʺCeci montre que le meacutecanisme des neurones miroirs est actif dans le cerveau immature Lʹactivation est toutefois plus reacuteduite que celle observeacutee chez les adultes ce qui indique que ces reacuteseaux probablement en place degraves la naissance continuent de se deacutevelopper dans des stades ulteacuterieurs de lʹenfanceʺ Interview sur le forum ʹonlineʹ de lʹUniversiteacute de Montreacuteal httpwwwiforumumontrealcaForumArchivesForum2004‐2005041213article4195htm (3) ʺIt is clear that there is no place in Freudʹs theory of early infancy for imitative self‐other reciprocityʺ (Trevarthen Kokinaki amp Fiamenghi 1999 p 155) (4) Voir Reneacute Girard (1978 p 17) (5) Voici ce que disent Wohlschlager et Bekkering The goal‐directed theory of imitation allows imitators to learn from models even if the differences in motor skills or in body proportions are so huge that the imitator is physically unable to make the same movement as the model Whatever movement the imitator uses the purpose of learning by imitation can be regarded as being fulfilled as soon as he reaches the same goal as the model (Wohlschlager amp Bekkering 2002 p 104)

Il est aussi inteacuteressant de noter ‐ entre parenthegraveses ‐ que cette hypothegravese reacutecente semble aller un peu agrave lʹencontre de la theacuteorie ʹmeacutemeacutetiqueʹ de Richard Dawkins (1976 The Selfish Gene) Dawkins a forgeacute une theacuteorie assez fascinante de la culture en tenant compte de lʹimportance de lʹimitation et en extrapolant le schegraveme Darwinien vers le domaine des ideacutees La tentation est grande en effet pour un biologiste de comparer la seacutelection des ideacutees agrave lʹeacutevolution Darwinienne Six ans avant le fameux livre de Dawkins le prix Nobel franccedilais Jacques Monod eacutecrivait deacutejagrave agrave la fin de son livre Le Hasard et la Neacutecessiteacute sous le titre ʹla seacutelection des ideacuteesʹ

Il est tentant pour un biologiste de comparer lʹeacutevolution des ideacutees agrave celle de la biosphegravere Car si le Royaume abstrait transcende la biosphegravere plus encore que celle‐ci lʹunivers non vivant les ideacutees ont conserveacute certaines des proprieacuteteacutes des organismes Comme eux elles tendent agrave perpeacutetuer leur structure et agrave la multiplier comme eux elles peuvent fusionner recombiner seacutegreacuteger leur contenu comme eux enfin elles eacutevoluent et dans cette eacutevolution la seacutelection sans aucun doute joue un grand rocircle (p 181)

Mais ajoute Monod laquo Je ne me hasarderai pas agrave proposer une theacuteorie de la seacutelection des ideacutees ʺ Chez Dawkins lʹimitation la reproduction porte sur les ʹideacuteesʹ sur des uniteacutes dʹinformation (ʹmegravemesʹ) des repreacutesentations en somme Les recherches toutes reacutecentes nous montrent ‐ au contraire ‐ que lʹimitation humaine porte dʹabord sur des intentions Dans un cadre philosophique on peut dire que Meltzoff et autres deacutegagent deacutefinitivement la mimesis de son ancien contexte dʹideacutealisme platonicien (et ce platonisme ‐ dʹaucuns ont pu le remarquer ‐ semble toujours lagrave chez un Dawkins qui parle dʹideacuteosphegravere un peu comme Monod qui parlait du ʹRoyaume abstrait des ideacuteesʹ ce qui implique toujours la vieille conception platonicienne ‐ un peu mythique il faut lʹavouer ‐ selon laquelle les ideacutees ont une existence indeacutependante des hommes)

Sources Bushman B and Huesmann L (2001) ʺEffects of televised violence on aggressionʺ in DG Singer amp JL Singer (ed) Handbook of children and the media Thousand Oaks Sage pp 223‐254 Dawkins Richard (1976) The Selfish Gene Oxford University Press Garrells Scott R (2004) ʹImitation Mirror Neurons amp Mimetic desireʹ httpwwwcovr2004orggarrelspaperpdf Girard Reneacute (1961) Mensonge Romantique et Veacuteriteacute Romanesque (Paris Grasset) 1972) La violence et le sacreacute (Paris Grasset) (1978) Des Choses cacheacutees depuis la fondation du monde avec Jean‐Michel Oughourlian et Guy Lefort (Paris Grasset) Hurley S amp Chater N (2002) Perspectives on imitation from cognitive neuroscience to social science Royaumont Abbey France 24‐26 May Nadel J amp Butterworth G (1999) Imitation in Infancy Cambridge University Press ‐ Meltzoff A amp Decety J (2003) What imitation tells us about social cognition a rapprochement between developmental

psychology and cognitive neuroscience Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 358 491‐500 Meltzoff A amp Moore K (1977) Imitatoin of facial and manual gestures by human neonates Science 198 75‐78 ‐ Meltzoff A amp Moore K (1983) Newborn infants imitate adult facial gestures Child Development 54 702‐709 Meltzoff A amp Moore K (1989) Imitation in newborn infants exploring the range of gestures imitated and the underlying mechanisms Developmental Psychology 25 945‐962 Monod Jacques (1970) Le hasard et la neacutecessiteacute Seuil Ramachandran V (2000) Mirror neurons and imitation learning as the driving force behind ʺthe great leap forwardʺ in human evolution httpwwwedgeorgdocumentsarchiveedge69html Rizzolati G Fadiga L Fogassi L amp Gallese V (1996a) Premotor cortex and the Recognition of motor actions Cognitive Brain Research 3 131‐141 Tarde Gabriel Les lois de lʹimitation Paris 3egraveme eacuted revue et augmenteacutee 1900 Trevarthen C Kokkinaki T amp Fiamenghi Jr G (1999) What infantsʹ imitations communicate with mothers with fathers with peers In Imitation in Infancy (ed Nadel J amp ‐ Butterworth G) pp 9‐35 Cambridge University Press

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comprendre tregraves vite lʹenfant fait lʹexpeacuterience de lʹautre comme ʹquelque choseʹ qui peut ʹfaire la mecircme choseʹ que lui En imitant et en eacutetant imiteacute les enfants apprennent que de tous les objets qui les entourent seuls les ecirctres humains peuvent vivre les mecircmes expeacuteriences quʹeux

Un dialogue prometteur Quand on met le doigt sur le speacutecifiquement humain il faut sʹattendre agrave un eacutechange entre sciences expeacuterimentales et sciences humaines En effet gracircce agrave ces deacutecouvertes reacutecentes en neurosciences un dialogue fascinant entre sciences humaines et sciences expeacuterimentales est en train de sʹeacutetablir Il faut se reacutefeacuterer ici ‐ entre autres ‐ aux volumes de Hurley et Chater Perspectives on Imitation From Neuroscience to Social Science (MIT Press 2005) Avec cet article nous voulons participer un peu agrave ce dialogue Dʹabord en donnant un tregraves bref aperccedilu historique de lʹancienne vision sur lʹimitation qui avait cours dans les sciences humaines vision deacutesormais reacutevolue En suite en montrant quʹon peut faire un lien fort eacutetonnant entre lʹanthropologie du chercheur franco‐ameacutericain Reneacute Girard et les conclusions reacutecentes de chercheurs en neurobiologie (en se reacutefeacuterant dʹabord aux travaux de Meltzoff sur le rapport entre imitation et intention) Et finalement en parlant de ce qui me paraicirct encore une lacune dans la recherche actuelle le lien quʹon peut faire (et quʹon devrait explorer) entre imitation inconsciente et la naissance de la rivaliteacute de la violence entre deux (ou plusieurs individus)

DE PLATON Agrave GIACOMO RIZZOLATI ET AL Le processus dynamique et intersubjectif nommeacute ʹimitationʹ est vital pour le deacuteveloppement humain et pour la transmission de la culture durant toute notre vie laquo in ways that we are just beginning to understand raquo (Hurley amp Chater 2002) Selon les chercheurs nous ne commenccedilons quʹagrave saisir lʹimportance de lʹimitation et de lʹinterdeacutependance des ecirctres humains (mecircme au niveau ceacutereacutebral) Jadis cette conscience aigueuml nʹexistait pas Platon est un des premiers penseurs qui a analyseacute le pheacutenomegravene de lʹimitation (quʹil nomme mimesis) Toutefois chez lui lʹimitation nʹest quʹune faculteacute humaine (qui produit des extensions de la veacuteriteacute ideacuteale dans le monde pheacutenomeacutenal) La mimesis deacutecrite par Platon (par exemple le peintre imite un objet du monde exteacuterieur) est fort eacuteloigneacutee de cette interdeacutependance vitale entre congeacutenegraveres que nous montrent les chercheurs dʹaujourdʹhui Les philosophes apregraves Platon ont le plus souvent repris sa vision limiteacutee tronqueacute de lʹimitation ‐ mecircme sʹils nʹeacutetaient pas dʹaccord avec lui au sujet de lʹart Cette situation a beaucoup contribueacute au concept moderne du ʹmoi autonomeʹ (Garrels 2004) Cette influence de Platon mais aussi des Lumiegraveres a sans doute contribueacute au fait que ni Freud(3) ni mecircme Piaget nʹont soupccedilonneacute la possibiliteacute de lʹimitation intersubjective chez les nouveau‐neacutes En 1977 deux chercheurs ameacutericains Andrew Meltzoff et Keith Moore voulaient tester les stades de deacuteveloppement de lʹapprentissage preacuteverbal chez Piaget Par hasard ils ont deacutecouvert que mecircme les nouveau‐neacutes eacutetaient parfaitement capables dʹapprendre par imitation Ils ont donc ducirc critiquer certaines preacutesuppositions de la theacuteorie de Piaget car dʹapregraves le ceacutelegravebre psychologue suisse une forme eacuteleacutementaire de repreacutesentation symbolique est neacutecessaire pour pouvoir imiter Cʹest pourquoi lʹenfant chez Piaget ne commence quʹagrave imiter autrui vers lʹacircge dʹun an Meltzoff et Moore ont veacuterifieacute ce quʹils avaient trouveacute en 1977 dans les anneacutees 1980 (Meltzoff amp Moore 1983 1989) chez des enfants dont la moyenne dʹacircge eacutetait de 32 heures (le plus jeune nʹeacutetait acircgeacute que de 42 minutes) Lʹexistence et surtout lʹimportance de lʹimitation immeacutediate chez les nouveau‐neacutes avaient totalement eacutechappeacute aux chercheurs

The existence of immediate imitation in development was hardly suspected and its role was ignored (Nadel amp Butterworth 1999)

Quatre preacutesuppositions importantes sur lʹimitation se sont donc aveacutereacutees fausses (Garrels 2004)

bull Les hommes apprennent progressivement agrave imiter durant les premiegraveres anneacutees de lʹenfance bull Une forme eacuteleacutementaire de repreacutesentation symbolique est neacutecessaire pour pouvoir imiter bull Les nouveau‐neacutes sont incapables de faire un lien entre ce quʹils voient chez les autres et ce

quʹils sentent chez eux‐mecircmes bull Degraves que lʹenfant est capable dʹimiter cela reste une faculteacute mineure et enfantine

Ces preacutesuppositions qui ‐ on le voit aujourdʹhui ‐ ont souvent formeacute le soubassement dʹun discours fondamental (philosophique et scientifique) sur lʹhumain depuis Platon sʹavegraverent donc erroneacutees On a longtemps cru aussi que lʹimitation est synonyme de comportement greacutegaire moutonnier Lʹimitation appartient au Moi Infeacuterieur de Valeacutery ou agrave ce que Heidegger appelait deacutedaigneusement le ʹonʹ Das Man Actuellement une telle vision semble inexacte Il nʹy a pas encore trois ans un colloque sur lʹimitation a eacuteteacute introduit par les mots suivants

Imitation hellip is often thought of as a low‐level relatively childish or even mindless phenomenon This may be a serious mistake It is beginning to look in light of recent work in the cognitive sciences as if imitation is a rare perhaps even uniquely human ability which may be fundamental to what is distinctive about human learning intelligence rationality and culture (Hurley amp Chater 2002 ‐ citeacute par Garrels) mdash Lʹimitation hellip est souvent consideacutereacutee comme un pheacutenomegravene mineur enfantin ou mecircme inepte Cela est sans doute une grande erreur Il semble aujourdʹhui agrave travers les travaux reacutecents en sciences cognitives que lʹimitation est un pheacutenomegravene exceptionnel peut‐ecirctre speacutecifiquement humain qui est sans doute fondamental pour tout ce qui est original dans lʹapprentissage humain lʹintelligence la rationaliteacute et la culture mdash

Ce nʹeacutetait pas avant les anneacutees 1970 que le terme ʹimitationʹ est devenu une reacutefeacuterence clef dans les bases de donneacutees psychologiques Nadel et Butterworth (1999) ont retrouveacute dix eacutetudes dʹavant 1970 qui sʹoccupaient de lʹimitation au‐delagrave des diffeacuterents stades dʹapprentissage En 1978 ce nombre eacutetait deacutejagrave eacuteleveacute agrave septante‐six Aujourdʹhui lʹimitation est au centre dʹune recherche riche et interdisciplinaire dans la psychologie du deacuteveloppement les neurosciences les sciences cognitives la linguistique lʹeacutethologie lʹeacutevolution culturelle la biologie eacutevolutionnaire et lʹintelligence artificielle

IMITATION ET INTENTION Pour Platon et Aristote lʹimitation avait trait agrave certains types de comportements des maniegraveres des habitudes individuelles ou collectives des paroles des ideacutees des faccedilons de parler toujours des repreacutesentations(4) Gracircce aux recherches actuelles en neuroscience et en psychologie expeacuterimentale nous savons que lʹimitation est un pheacutenomegravene beaucoup plus complexe et ʹintimeʹ agrave lʹhomme nous nʹimitons pas tant des repreacutesentations ‐ ce quʹon voit faire un autre par exemple ‐ mais des intentions des deacutesirs Reacutecemment Andrew Meltzoff (aujourdʹhui responsable de lrsquo Institute for Learning and Brain Sciences agrave Washington) a faccedilonneacute une seacuterie dʹexpeacuteriences ougrave lʹimitation eacutetait employeacutee pour comprendre comment un enfant peut deacutechiffrer les intentions des adultes agrave travers leur comportement (Garrels 2004) Dans une premiegravere expeacuterience un chercheur montrait agrave des petits dʹenviron 18 mois comment il essayait dʹenlever le bout dʹun ʹmini‐haltegravereʹ pour enfants Au lieu dʹachever lʹaction il faisait semblant quʹil nʹarrivait pas agrave enlever le bout du jouet Les enfants ne voyaient donc jamais la repreacutesentation exacte du but de lʹaction En usant de diffeacuterents groupes de controcircle les chercheurs ont remarqueacute que les petits avaient saisi la viseacutee de la deacutemarche (ocircter le bout du haltegravere) et quʹils imitaient cette intention du chercheur et non ce quʹils avaient reacuteellement vu Les enfants imitent donc non pas une repreacutesentation mais un but un dessein Comme le reacutesume Meltzoff ldquoEvidently young toddlers can understand our goals even if we fail to fulfill them They choose to imitate what we meant to do rather than what we mistakenly dordquo (Meltzoff amp Decety 2003 p 496) Les enfants comprennent donc les intentions des adultes mecircme si ces adultes nʹarrivent pas agrave les accomplir Ils imitent ce que les chercheurs voulaient faire plus que ce quʹils faisaient concregravetement

La seconde expeacuterience eacutetait conccedilue pour voir si les enfants attribuent des motifs agrave des objets Pour ce test les chercheurs avaient fabriqueacute une petite machine (avec bras et grappins) qui exeacutecutait exactement la mecircme action avorteacutee de la premiegravere expeacuterience Tregraves vite il sʹest aveacutereacute que les bambins qui avaient profiteacute de cette deacutemonstration nʹeacutetaient pas mieux disposeacutes pour attribuer une intention agrave lʹappareil que dʹautres qui eacutetaient confronteacute au petit haltegravere sans deacutemonstration Il semble donc que les enfants nʹattribuent pas dʹintentions agrave des objets inanimeacutes Une troisiegraveme expeacuterience allait rendre plus visible encore combien lʹenfant precircte attention aux motifs de ses congeacutenegraveres et combien ces motifs ces intentions sont importants pour lui Dans ce test les bouts du petit haltegravere eacutetaient colleacutes solidement agrave la barre Ils ne pouvaient donc pas ecirctre enleveacutes Le chercheur reacutepeacutetait ici la mecircme deacutemonstration que dans les expeacuteriences preacuteceacutedentes il essayait dʹocircter la part exteacuterieure du jouet mais sa main glissait du bout sans le saisir Chez les enfants la mecircme chose exactement se produisait neacutecessairement (les bouts eacutetant colleacutes) mais les bambins nʹeacutetaient pas du tout satisfaits par la pure reproduction de ce quʹils avaient vu faire lʹadulte Ils reacutepeacutetaient leurs tentatives dʹenlever le bout mordaient dedans et lanccedilaient des regards suppliants agrave maman et au chercheur Meltzoff eacutecrit

This work reinforces the idea that the toddlers are beginning to focus on the adultʹs goals not simply their surface actions It provides developmental roots for the importance of goals in organizing imitation in older children and adults (Meltzoff 2002 p 32 ‐ citeacute par Garrels)

Le travail de Meltzoff renforce donc lʹideacutee selon laquelle les bambins commencent agrave concentrer leur attention sur les buts des adultes et pas simplement sur leurs actions Plusieurs savants vont encore plus loin et suggegraverent que lʹimitation chez lʹhomme est toujours ‐ agrave un niveau fondamental ‐ lʹimitation dʹintentions et de buts plutocirct que dʹactions et de repreacutesentations Cette hypothegravese (en reacutealiteacute une deacuteduction de nombreuses donneacutees empiriques qui vont toutes dans ce sens) a eacuteteacute baptiseacutee la ʹgoal‐directed theory of imitationʹ(5) (Trevarthen Kokkinaki amp Fiamenghi 1999 Wohlschlager amp Bekkering 2002)

NEUROBIOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE Un dialogue approfondi entre sciences humaines et sciences ʹduresʹ est agrave souhaiter la chose est claire Les sciences humaines ne peuvent pas rester sourdes agrave ce qui est deacutemontreacute ailleurs Et lʹinverse est peut‐ecirctre vrai aussi dans certains cas Dans ce cadre il faut noter que plusieurs deacutecennies avant le surcroicirct spectaculaire de lʹinteacuterecirct scientifique pour lʹimitation un critique litteacuteraire () et anthropologue franco‐ameacutericain avait deacutejagrave articuleacute une theacuteorie autour de lʹimportance exceptionnelle de lʹimitation dans lʹhomme Son hypothegravese eacutetait ‐ curieusement ‐ que lʹimitation nʹa pas tant trait aux pheacutenomegravenes exteacuterieurs mais aux intentions au deacutesir Ce theacuteoricien de ce quʹil appelle lui‐mecircme le deacutesir mimeacutetique cʹest Reneacute Girard La concordance entre ses eacutetudes et les conclusions scientifiques reacutecentes des chercheurs empiriques sont surprenantes ʹextraordinairesʹ comme le dit Scott Garrels (un chercheur en psychologie clinique)

The parallels between Girardʹs insights and the only recent conclusions made by empirical researchers concerning imitation (in both development and the evolution of species) are extraordinary (Garrels 2004 p 29)

Le contexte dans lequel Girard a deacuteveloppeacute ses theacuteories est aussi remarquable

What makes Girardʹs insights so remarkable is that he not only discovered and developed the primordial role of psychological mimesis during a time when imitation was quite out of fashion but he did so through investigation in literature cultural anthropology historyhellip (Garrels 2004 p 29)

(Ce qui rend les ideacutees de Girard si remarquables cʹest non seulement le fait quʹil ait deacutecouvert le rocircle primordial de la mimesis psychologique agrave une eacutepoque ougrave lʹimitation nʹeacutetait pas agrave la mode mais quʹil a fait cela agrave travers une recherche dans la litteacuterature lʹanthropologie culturelle lʹhistoirehellip)

LES DANGERS DE LʹIMITATION Reneacute Girard a non seulement fait le lien entre imitation et intention mais aussi entre imitation et violence La recherche scientifique qui fait le lien entre imitation et violence est assez populaire aujourdʹhui mais les reacutesultats vraiment inteacuteressants ne sont pas encore lagrave On sʹest souvent poseacute la question si lʹexposition de lʹenfant agrave la violence meacutediatiseacute influence son comportement Est‐ce que le (jeune) teacuteleacutespectateur va imiter les repreacutesentations de violence agrave la teacuteleacutevision Il nʹexiste pas de reacuteponses tout agrave fait claires agrave cette question (Bushman and Huesman 2001) On a pu constater ‐ par exemple ‐ que des jeux dʹordinateurs violents nʹincitent pas neacutecessairement agrave la violence Ces jeux peuvent mecircme avoir des effets ʹcathartiquesʹ au lieu de frapper la petite sœur ou le petit fregravere cʹest sur des ennemis virtuels que le joueur se deacutefoule Reneacute Girard pour sa part a vu dans lʹimitation non pas (seulement) ce qui communique la violence mais ce qui la geacutenegravere la cause de la violence Avant dʹexpliquer comment cela est possible il faut preacuteciser pourquoi la question du lien entre violence et mimesis sʹimpose aujourdʹhui

Mimesis et violence Pourquoi cela devient pressant actuellement de questionner le lien entre mimesis et violence De nombreuses recherches indeacutependantes il faut conclure que lʹimitation dynamique constitue la condition premiegravere du deacuteveloppement humain et une des caracteacuteristiques humaines les plus importantes Les chercheurs sont dʹaccord aujourdʹhui de deacutefinir le cerveau humain comme ʹune eacutenorme machine agrave imiterʹ qui fonctionne agrave un niveau bien plus eacuteleveacute que chez les autres primates De tous les animaux lʹhomme est le plus ʹmimeacutetiqueʹ Une autre chose au sujet de lʹhumain sʹimpose aussi avec eacutevidence de tous les animaux le plus violent cʹest sans aucun doutehellip lʹhomme Il faut se demander si par hasard ces deux observations eacuteleacutementaires ne sont pas agrave mettre en rapport Il nʹy a pas cent ans cette ideacutee quʹil pourrait exister une correacutelation encore mal connue entre la mimesis et lʹorigine la genegravese de la violence humaine aurait sans doute sembleacute incongrue Le grand theacuteoricien de lʹimitation de lʹeacutepoque Gabriel Tarde auteur du fameux livre Les Lois de Lʹimitation (publieacute en 1890) voyait en lʹimitation la cause premiegravere de lʹharmonie sociale Sans ecirctre totalement fausse on voit aujourdʹhui que cette ideacutee est du moins incomplegravete

bull Lʹimitation est dʹune importance cruciale pour tout ce qui est typiquement humain dans un sens que nous commenccedilons quʹagrave deacutecouvrir (Hurley amp Chater 2002)

bull Selon Tarde lʹimitation humaine est la cause de lʹharmonie sociale

Des deux propositions preacuteceacutedentes il sʹensuivrait que lʹharmonie la paix seraient typiquement caracteacuteristiquement humaines Lʹhomme serait lʹanimal le moins violent Qui oserait cependant deacutefendre une telle conclusion Ou bien lʹimitation nʹest pas si importante ce qui va agrave lʹencontre dʹune masse de donneacutees empiriques reacutecentes ou bien la vision de Gabriel Tarde est fausse ou du moins incomplegravete La seconde conclusion semble la meilleure Mais quʹavons‐nous pu ne pas voir au sujet de lʹimitation

Rivaliteacute mimeacutetique Si deux hommes deacutesirent la mecircme chose alors quʹil nʹest pas possible quʹils en jouissent tous les deux ils deviennent ennemis‐HOBBES (Leacuteviathan)

Dans une interview reacutecente Rizzolati (le directeur du groupe de chercheurs qui a deacutecouvert les neurones miroirs) a dit laquo Le processus dʹimitation est limiteacute chez les singes et cʹest souvent dangereux pour eux dʹimiter raquo (5 feacutevrier 2005 dans Le Figaro) Dʹougrave vient ce danger de lʹimitation Rappelons que les neurones dans le cortex preacute moteur des singes eacutetudieacutes par Rizzolati eacutetaient activeacutes quand lʹanimal effectuait un mouvement avec but preacutecis le plus souvent ʹsaisir un objetʹ Imaginons maintenant un singe qui tente de sʹemparer dʹun objet et un autre qui lʹimite aveugleacutement ʹinconsciemmentʹ Ces deux mains eacutegalement avides qui convergent vers un seul objet ne peuvent

manquer de provoquer un hellip conflit Voilagrave que la mimeacutesis peut ecirctre la source de conflits de violence si lʹon voit que les comportements dʹacquisition et dʹappropriation (le fait de prendre un objet pour soi) sont aussi susceptibles dʹecirctre imiteacutes Lagrave chose est claire et pourtant ‐ chose eacutetrange et remarquable ‐ ce type de comportement fort important pour les primates et pour les humains nʹa pas eacuteteacute incorporeacute dans la recherche sur lʹimitation

Ce nʹest pas un hasard sans doute si le type de comportement systeacutematiquement exclu par toutes les probleacutematiques de lʹimitation de Platon jusquʹagrave nos jours est celui auquel on ne peut pas songer sans deacutecouvrir aussitocirct lʹinexactitude flagrante de la conception quʹon se fait toujours de cette ʹfaculteacuteʹ le caractegravere proprement mythique des effets uniformeacutement greacutegaires et leacutenifiants quʹon ne cesse de lui attribuer Si le mimeacutetique chez lʹhomme joue bien le rocircle fondamental que tout deacutesigne pour lui il doit forceacutement exister une imitation acquisitive ou si lʹon preacutefegravere une mimeacutesis dʹappropriation dont il importe dʹeacutetudier les effets et de peser les conseacutequences (Girard 1978)

Cette remarque pourtant eacutevidente a dʹeacutenormes conseacutequences pour notre compreacutehension de lʹhomme La mimesis devient ‐ du coup ‐ fort paradoxale elle peut ecirctre source dʹempathie de conformisme mais aussi de rivaliteacute Donnons encore un exemple simple mecircme banal dʹune rivaliteacute qui naicirct de la mimeacutesis Imaginons deux bambins dans une piegravece pleine de jouets identiques Le premier prend un jouet mais il ne semble pas fort inteacuteresseacute par lʹobjet Le second lʹobserve et essaie dʹarracher le jouet agrave son petit camarade Celui‐lagrave nʹeacutetait pas fort captiveacute par la babiole mais ‐ soudain ‐ parce que lʹautre est inteacuteresseacute cela change et il ne veut plus le lacirccher Des larmes des frustrations et de la violence sʹensuivent Dans un laps de temps tregraves court un objet pour lequel aucun des deux nʹavait un inteacuterecirct particulier est devenu lʹenjeu dʹune rivaliteacute obstineacutee Il faut noter que tout dans ce deacutesir trop partageacute pour un objet impartageable est imitation mecircme lʹintensiteacute du deacutesir deacutependra de celui dʹautrui Cʹest ce que Girard appelle la rivaliteacute mimeacutetique eacutetrange processus de ʹfeedback positifʹ qui seacutecregravete en grandes quantiteacutes la jalousie lʹenvie et la haine

Conclusion Si lʹimitation est souvent dangereuse pour les singes il ne doit pas y en aller autrement pour les humains Souvent les singes ne risquent pas de se bagarrer agrave mort pour de la nourriture des partenaires un territoire etc parce quʹil existe chez eux des freins instinctifs agrave la violence des rapports de domination (des ʹdominance patternsʹ) Chez les hommes nous le savons ces freins instinctuels nʹexistent plus La violence intraspeacutecifique la ʹguerre de tous contre tousʹ pour reprendre le mot de Hobbes a du jouer un rocircle important dans lʹhominisation Comme le disait deacutejagrave Jacques Monod

laquo Dominant deacutesormais son environnement lʹHomme nʹavait devant soi dʹadversaire seacuterieux que lui‐mecircme La lutte intraspeacutecifique directe la lutte agrave mort devenait des lors lʹun des principaux facteurs de seacutelection dans lʹespegravece humaine Pheacutenomegravene extrecircmement rare dans lʹeacutevolution des animaux [hellip] Dans quel sens cette pression de seacutelection devait‐elle pousser lʹeacutevolution humaine raquo (Monod 1970)

Comment cet obstacle formidable quʹoppose la violence intraspeacutecifique agrave la creacuteation de toute socieacuteteacute humaine a eacuteteacute souleveacute Voilagrave une question importante Voilagrave la question qursquoa ducirc affronter Reneacute Girard apregraves avoir deacutecouvert lrsquoambiguiumlteacute de la mimeacutesis Il faut espeacuterer que les recherches interdisciplinaires sur lʹhomme vont scruter le problegraveme Et on ne peut pas ne pas le rencontrer sur sa route si lʹon contemple vraiment la nature extrecircmement paradoxale de lʹimitation humaine source dʹintelligence dʹempathie mais aussi de rivaliteacute de destruction

Notes (1) Aujourdʹhui cela nʹest plus une question On se demande deacutesormais comment les neurones miroirs opegraverent chez lʹhomme et en quoi cela est diffeacuterent des autres animaux Voir entre autres Buccino G Lui F Canessa N Patteri I Lagravinese G Benuzzi F Porro CA and Rizzolatti G (2004) Neural circuits involved in the recognition of actions performed by nonconspecifics An fMRI study J Cogn Neurosci 16 114‐126

(2) ʺThe human mind demonstrates a greater development of imitative phenomena throughout the lifespan both quantitatively and qualitativelyʺ (Garrels 2004) Shirley Fecteau ʺCeci montre que le meacutecanisme des neurones miroirs est actif dans le cerveau immature Lʹactivation est toutefois plus reacuteduite que celle observeacutee chez les adultes ce qui indique que ces reacuteseaux probablement en place degraves la naissance continuent de se deacutevelopper dans des stades ulteacuterieurs de lʹenfanceʺ Interview sur le forum ʹonlineʹ de lʹUniversiteacute de Montreacuteal httpwwwiforumumontrealcaForumArchivesForum2004‐2005041213article4195htm (3) ʺIt is clear that there is no place in Freudʹs theory of early infancy for imitative self‐other reciprocityʺ (Trevarthen Kokinaki amp Fiamenghi 1999 p 155) (4) Voir Reneacute Girard (1978 p 17) (5) Voici ce que disent Wohlschlager et Bekkering The goal‐directed theory of imitation allows imitators to learn from models even if the differences in motor skills or in body proportions are so huge that the imitator is physically unable to make the same movement as the model Whatever movement the imitator uses the purpose of learning by imitation can be regarded as being fulfilled as soon as he reaches the same goal as the model (Wohlschlager amp Bekkering 2002 p 104)

Il est aussi inteacuteressant de noter ‐ entre parenthegraveses ‐ que cette hypothegravese reacutecente semble aller un peu agrave lʹencontre de la theacuteorie ʹmeacutemeacutetiqueʹ de Richard Dawkins (1976 The Selfish Gene) Dawkins a forgeacute une theacuteorie assez fascinante de la culture en tenant compte de lʹimportance de lʹimitation et en extrapolant le schegraveme Darwinien vers le domaine des ideacutees La tentation est grande en effet pour un biologiste de comparer la seacutelection des ideacutees agrave lʹeacutevolution Darwinienne Six ans avant le fameux livre de Dawkins le prix Nobel franccedilais Jacques Monod eacutecrivait deacutejagrave agrave la fin de son livre Le Hasard et la Neacutecessiteacute sous le titre ʹla seacutelection des ideacuteesʹ

Il est tentant pour un biologiste de comparer lʹeacutevolution des ideacutees agrave celle de la biosphegravere Car si le Royaume abstrait transcende la biosphegravere plus encore que celle‐ci lʹunivers non vivant les ideacutees ont conserveacute certaines des proprieacuteteacutes des organismes Comme eux elles tendent agrave perpeacutetuer leur structure et agrave la multiplier comme eux elles peuvent fusionner recombiner seacutegreacuteger leur contenu comme eux enfin elles eacutevoluent et dans cette eacutevolution la seacutelection sans aucun doute joue un grand rocircle (p 181)

Mais ajoute Monod laquo Je ne me hasarderai pas agrave proposer une theacuteorie de la seacutelection des ideacutees ʺ Chez Dawkins lʹimitation la reproduction porte sur les ʹideacuteesʹ sur des uniteacutes dʹinformation (ʹmegravemesʹ) des repreacutesentations en somme Les recherches toutes reacutecentes nous montrent ‐ au contraire ‐ que lʹimitation humaine porte dʹabord sur des intentions Dans un cadre philosophique on peut dire que Meltzoff et autres deacutegagent deacutefinitivement la mimesis de son ancien contexte dʹideacutealisme platonicien (et ce platonisme ‐ dʹaucuns ont pu le remarquer ‐ semble toujours lagrave chez un Dawkins qui parle dʹideacuteosphegravere un peu comme Monod qui parlait du ʹRoyaume abstrait des ideacuteesʹ ce qui implique toujours la vieille conception platonicienne ‐ un peu mythique il faut lʹavouer ‐ selon laquelle les ideacutees ont une existence indeacutependante des hommes)

Sources Bushman B and Huesmann L (2001) ʺEffects of televised violence on aggressionʺ in DG Singer amp JL Singer (ed) Handbook of children and the media Thousand Oaks Sage pp 223‐254 Dawkins Richard (1976) The Selfish Gene Oxford University Press Garrells Scott R (2004) ʹImitation Mirror Neurons amp Mimetic desireʹ httpwwwcovr2004orggarrelspaperpdf Girard Reneacute (1961) Mensonge Romantique et Veacuteriteacute Romanesque (Paris Grasset) 1972) La violence et le sacreacute (Paris Grasset) (1978) Des Choses cacheacutees depuis la fondation du monde avec Jean‐Michel Oughourlian et Guy Lefort (Paris Grasset) Hurley S amp Chater N (2002) Perspectives on imitation from cognitive neuroscience to social science Royaumont Abbey France 24‐26 May Nadel J amp Butterworth G (1999) Imitation in Infancy Cambridge University Press ‐ Meltzoff A amp Decety J (2003) What imitation tells us about social cognition a rapprochement between developmental

psychology and cognitive neuroscience Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 358 491‐500 Meltzoff A amp Moore K (1977) Imitatoin of facial and manual gestures by human neonates Science 198 75‐78 ‐ Meltzoff A amp Moore K (1983) Newborn infants imitate adult facial gestures Child Development 54 702‐709 Meltzoff A amp Moore K (1989) Imitation in newborn infants exploring the range of gestures imitated and the underlying mechanisms Developmental Psychology 25 945‐962 Monod Jacques (1970) Le hasard et la neacutecessiteacute Seuil Ramachandran V (2000) Mirror neurons and imitation learning as the driving force behind ʺthe great leap forwardʺ in human evolution httpwwwedgeorgdocumentsarchiveedge69html Rizzolati G Fadiga L Fogassi L amp Gallese V (1996a) Premotor cortex and the Recognition of motor actions Cognitive Brain Research 3 131‐141 Tarde Gabriel Les lois de lʹimitation Paris 3egraveme eacuted revue et augmenteacutee 1900 Trevarthen C Kokkinaki T amp Fiamenghi Jr G (1999) What infantsʹ imitations communicate with mothers with fathers with peers In Imitation in Infancy (ed Nadel J amp ‐ Butterworth G) pp 9‐35 Cambridge University Press

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bull Les hommes apprennent progressivement agrave imiter durant les premiegraveres anneacutees de lʹenfance bull Une forme eacuteleacutementaire de repreacutesentation symbolique est neacutecessaire pour pouvoir imiter bull Les nouveau‐neacutes sont incapables de faire un lien entre ce quʹils voient chez les autres et ce

quʹils sentent chez eux‐mecircmes bull Degraves que lʹenfant est capable dʹimiter cela reste une faculteacute mineure et enfantine

Ces preacutesuppositions qui ‐ on le voit aujourdʹhui ‐ ont souvent formeacute le soubassement dʹun discours fondamental (philosophique et scientifique) sur lʹhumain depuis Platon sʹavegraverent donc erroneacutees On a longtemps cru aussi que lʹimitation est synonyme de comportement greacutegaire moutonnier Lʹimitation appartient au Moi Infeacuterieur de Valeacutery ou agrave ce que Heidegger appelait deacutedaigneusement le ʹonʹ Das Man Actuellement une telle vision semble inexacte Il nʹy a pas encore trois ans un colloque sur lʹimitation a eacuteteacute introduit par les mots suivants

Imitation hellip is often thought of as a low‐level relatively childish or even mindless phenomenon This may be a serious mistake It is beginning to look in light of recent work in the cognitive sciences as if imitation is a rare perhaps even uniquely human ability which may be fundamental to what is distinctive about human learning intelligence rationality and culture (Hurley amp Chater 2002 ‐ citeacute par Garrels) mdash Lʹimitation hellip est souvent consideacutereacutee comme un pheacutenomegravene mineur enfantin ou mecircme inepte Cela est sans doute une grande erreur Il semble aujourdʹhui agrave travers les travaux reacutecents en sciences cognitives que lʹimitation est un pheacutenomegravene exceptionnel peut‐ecirctre speacutecifiquement humain qui est sans doute fondamental pour tout ce qui est original dans lʹapprentissage humain lʹintelligence la rationaliteacute et la culture mdash

Ce nʹeacutetait pas avant les anneacutees 1970 que le terme ʹimitationʹ est devenu une reacutefeacuterence clef dans les bases de donneacutees psychologiques Nadel et Butterworth (1999) ont retrouveacute dix eacutetudes dʹavant 1970 qui sʹoccupaient de lʹimitation au‐delagrave des diffeacuterents stades dʹapprentissage En 1978 ce nombre eacutetait deacutejagrave eacuteleveacute agrave septante‐six Aujourdʹhui lʹimitation est au centre dʹune recherche riche et interdisciplinaire dans la psychologie du deacuteveloppement les neurosciences les sciences cognitives la linguistique lʹeacutethologie lʹeacutevolution culturelle la biologie eacutevolutionnaire et lʹintelligence artificielle

IMITATION ET INTENTION Pour Platon et Aristote lʹimitation avait trait agrave certains types de comportements des maniegraveres des habitudes individuelles ou collectives des paroles des ideacutees des faccedilons de parler toujours des repreacutesentations(4) Gracircce aux recherches actuelles en neuroscience et en psychologie expeacuterimentale nous savons que lʹimitation est un pheacutenomegravene beaucoup plus complexe et ʹintimeʹ agrave lʹhomme nous nʹimitons pas tant des repreacutesentations ‐ ce quʹon voit faire un autre par exemple ‐ mais des intentions des deacutesirs Reacutecemment Andrew Meltzoff (aujourdʹhui responsable de lrsquo Institute for Learning and Brain Sciences agrave Washington) a faccedilonneacute une seacuterie dʹexpeacuteriences ougrave lʹimitation eacutetait employeacutee pour comprendre comment un enfant peut deacutechiffrer les intentions des adultes agrave travers leur comportement (Garrels 2004) Dans une premiegravere expeacuterience un chercheur montrait agrave des petits dʹenviron 18 mois comment il essayait dʹenlever le bout dʹun ʹmini‐haltegravereʹ pour enfants Au lieu dʹachever lʹaction il faisait semblant quʹil nʹarrivait pas agrave enlever le bout du jouet Les enfants ne voyaient donc jamais la repreacutesentation exacte du but de lʹaction En usant de diffeacuterents groupes de controcircle les chercheurs ont remarqueacute que les petits avaient saisi la viseacutee de la deacutemarche (ocircter le bout du haltegravere) et quʹils imitaient cette intention du chercheur et non ce quʹils avaient reacuteellement vu Les enfants imitent donc non pas une repreacutesentation mais un but un dessein Comme le reacutesume Meltzoff ldquoEvidently young toddlers can understand our goals even if we fail to fulfill them They choose to imitate what we meant to do rather than what we mistakenly dordquo (Meltzoff amp Decety 2003 p 496) Les enfants comprennent donc les intentions des adultes mecircme si ces adultes nʹarrivent pas agrave les accomplir Ils imitent ce que les chercheurs voulaient faire plus que ce quʹils faisaient concregravetement

La seconde expeacuterience eacutetait conccedilue pour voir si les enfants attribuent des motifs agrave des objets Pour ce test les chercheurs avaient fabriqueacute une petite machine (avec bras et grappins) qui exeacutecutait exactement la mecircme action avorteacutee de la premiegravere expeacuterience Tregraves vite il sʹest aveacutereacute que les bambins qui avaient profiteacute de cette deacutemonstration nʹeacutetaient pas mieux disposeacutes pour attribuer une intention agrave lʹappareil que dʹautres qui eacutetaient confronteacute au petit haltegravere sans deacutemonstration Il semble donc que les enfants nʹattribuent pas dʹintentions agrave des objets inanimeacutes Une troisiegraveme expeacuterience allait rendre plus visible encore combien lʹenfant precircte attention aux motifs de ses congeacutenegraveres et combien ces motifs ces intentions sont importants pour lui Dans ce test les bouts du petit haltegravere eacutetaient colleacutes solidement agrave la barre Ils ne pouvaient donc pas ecirctre enleveacutes Le chercheur reacutepeacutetait ici la mecircme deacutemonstration que dans les expeacuteriences preacuteceacutedentes il essayait dʹocircter la part exteacuterieure du jouet mais sa main glissait du bout sans le saisir Chez les enfants la mecircme chose exactement se produisait neacutecessairement (les bouts eacutetant colleacutes) mais les bambins nʹeacutetaient pas du tout satisfaits par la pure reproduction de ce quʹils avaient vu faire lʹadulte Ils reacutepeacutetaient leurs tentatives dʹenlever le bout mordaient dedans et lanccedilaient des regards suppliants agrave maman et au chercheur Meltzoff eacutecrit

This work reinforces the idea that the toddlers are beginning to focus on the adultʹs goals not simply their surface actions It provides developmental roots for the importance of goals in organizing imitation in older children and adults (Meltzoff 2002 p 32 ‐ citeacute par Garrels)

Le travail de Meltzoff renforce donc lʹideacutee selon laquelle les bambins commencent agrave concentrer leur attention sur les buts des adultes et pas simplement sur leurs actions Plusieurs savants vont encore plus loin et suggegraverent que lʹimitation chez lʹhomme est toujours ‐ agrave un niveau fondamental ‐ lʹimitation dʹintentions et de buts plutocirct que dʹactions et de repreacutesentations Cette hypothegravese (en reacutealiteacute une deacuteduction de nombreuses donneacutees empiriques qui vont toutes dans ce sens) a eacuteteacute baptiseacutee la ʹgoal‐directed theory of imitationʹ(5) (Trevarthen Kokkinaki amp Fiamenghi 1999 Wohlschlager amp Bekkering 2002)

NEUROBIOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE Un dialogue approfondi entre sciences humaines et sciences ʹduresʹ est agrave souhaiter la chose est claire Les sciences humaines ne peuvent pas rester sourdes agrave ce qui est deacutemontreacute ailleurs Et lʹinverse est peut‐ecirctre vrai aussi dans certains cas Dans ce cadre il faut noter que plusieurs deacutecennies avant le surcroicirct spectaculaire de lʹinteacuterecirct scientifique pour lʹimitation un critique litteacuteraire () et anthropologue franco‐ameacutericain avait deacutejagrave articuleacute une theacuteorie autour de lʹimportance exceptionnelle de lʹimitation dans lʹhomme Son hypothegravese eacutetait ‐ curieusement ‐ que lʹimitation nʹa pas tant trait aux pheacutenomegravenes exteacuterieurs mais aux intentions au deacutesir Ce theacuteoricien de ce quʹil appelle lui‐mecircme le deacutesir mimeacutetique cʹest Reneacute Girard La concordance entre ses eacutetudes et les conclusions scientifiques reacutecentes des chercheurs empiriques sont surprenantes ʹextraordinairesʹ comme le dit Scott Garrels (un chercheur en psychologie clinique)

The parallels between Girardʹs insights and the only recent conclusions made by empirical researchers concerning imitation (in both development and the evolution of species) are extraordinary (Garrels 2004 p 29)

Le contexte dans lequel Girard a deacuteveloppeacute ses theacuteories est aussi remarquable

What makes Girardʹs insights so remarkable is that he not only discovered and developed the primordial role of psychological mimesis during a time when imitation was quite out of fashion but he did so through investigation in literature cultural anthropology historyhellip (Garrels 2004 p 29)

(Ce qui rend les ideacutees de Girard si remarquables cʹest non seulement le fait quʹil ait deacutecouvert le rocircle primordial de la mimesis psychologique agrave une eacutepoque ougrave lʹimitation nʹeacutetait pas agrave la mode mais quʹil a fait cela agrave travers une recherche dans la litteacuterature lʹanthropologie culturelle lʹhistoirehellip)

LES DANGERS DE LʹIMITATION Reneacute Girard a non seulement fait le lien entre imitation et intention mais aussi entre imitation et violence La recherche scientifique qui fait le lien entre imitation et violence est assez populaire aujourdʹhui mais les reacutesultats vraiment inteacuteressants ne sont pas encore lagrave On sʹest souvent poseacute la question si lʹexposition de lʹenfant agrave la violence meacutediatiseacute influence son comportement Est‐ce que le (jeune) teacuteleacutespectateur va imiter les repreacutesentations de violence agrave la teacuteleacutevision Il nʹexiste pas de reacuteponses tout agrave fait claires agrave cette question (Bushman and Huesman 2001) On a pu constater ‐ par exemple ‐ que des jeux dʹordinateurs violents nʹincitent pas neacutecessairement agrave la violence Ces jeux peuvent mecircme avoir des effets ʹcathartiquesʹ au lieu de frapper la petite sœur ou le petit fregravere cʹest sur des ennemis virtuels que le joueur se deacutefoule Reneacute Girard pour sa part a vu dans lʹimitation non pas (seulement) ce qui communique la violence mais ce qui la geacutenegravere la cause de la violence Avant dʹexpliquer comment cela est possible il faut preacuteciser pourquoi la question du lien entre violence et mimesis sʹimpose aujourdʹhui

Mimesis et violence Pourquoi cela devient pressant actuellement de questionner le lien entre mimesis et violence De nombreuses recherches indeacutependantes il faut conclure que lʹimitation dynamique constitue la condition premiegravere du deacuteveloppement humain et une des caracteacuteristiques humaines les plus importantes Les chercheurs sont dʹaccord aujourdʹhui de deacutefinir le cerveau humain comme ʹune eacutenorme machine agrave imiterʹ qui fonctionne agrave un niveau bien plus eacuteleveacute que chez les autres primates De tous les animaux lʹhomme est le plus ʹmimeacutetiqueʹ Une autre chose au sujet de lʹhumain sʹimpose aussi avec eacutevidence de tous les animaux le plus violent cʹest sans aucun doutehellip lʹhomme Il faut se demander si par hasard ces deux observations eacuteleacutementaires ne sont pas agrave mettre en rapport Il nʹy a pas cent ans cette ideacutee quʹil pourrait exister une correacutelation encore mal connue entre la mimesis et lʹorigine la genegravese de la violence humaine aurait sans doute sembleacute incongrue Le grand theacuteoricien de lʹimitation de lʹeacutepoque Gabriel Tarde auteur du fameux livre Les Lois de Lʹimitation (publieacute en 1890) voyait en lʹimitation la cause premiegravere de lʹharmonie sociale Sans ecirctre totalement fausse on voit aujourdʹhui que cette ideacutee est du moins incomplegravete

bull Lʹimitation est dʹune importance cruciale pour tout ce qui est typiquement humain dans un sens que nous commenccedilons quʹagrave deacutecouvrir (Hurley amp Chater 2002)

bull Selon Tarde lʹimitation humaine est la cause de lʹharmonie sociale

Des deux propositions preacuteceacutedentes il sʹensuivrait que lʹharmonie la paix seraient typiquement caracteacuteristiquement humaines Lʹhomme serait lʹanimal le moins violent Qui oserait cependant deacutefendre une telle conclusion Ou bien lʹimitation nʹest pas si importante ce qui va agrave lʹencontre dʹune masse de donneacutees empiriques reacutecentes ou bien la vision de Gabriel Tarde est fausse ou du moins incomplegravete La seconde conclusion semble la meilleure Mais quʹavons‐nous pu ne pas voir au sujet de lʹimitation

Rivaliteacute mimeacutetique Si deux hommes deacutesirent la mecircme chose alors quʹil nʹest pas possible quʹils en jouissent tous les deux ils deviennent ennemis‐HOBBES (Leacuteviathan)

Dans une interview reacutecente Rizzolati (le directeur du groupe de chercheurs qui a deacutecouvert les neurones miroirs) a dit laquo Le processus dʹimitation est limiteacute chez les singes et cʹest souvent dangereux pour eux dʹimiter raquo (5 feacutevrier 2005 dans Le Figaro) Dʹougrave vient ce danger de lʹimitation Rappelons que les neurones dans le cortex preacute moteur des singes eacutetudieacutes par Rizzolati eacutetaient activeacutes quand lʹanimal effectuait un mouvement avec but preacutecis le plus souvent ʹsaisir un objetʹ Imaginons maintenant un singe qui tente de sʹemparer dʹun objet et un autre qui lʹimite aveugleacutement ʹinconsciemmentʹ Ces deux mains eacutegalement avides qui convergent vers un seul objet ne peuvent

manquer de provoquer un hellip conflit Voilagrave que la mimeacutesis peut ecirctre la source de conflits de violence si lʹon voit que les comportements dʹacquisition et dʹappropriation (le fait de prendre un objet pour soi) sont aussi susceptibles dʹecirctre imiteacutes Lagrave chose est claire et pourtant ‐ chose eacutetrange et remarquable ‐ ce type de comportement fort important pour les primates et pour les humains nʹa pas eacuteteacute incorporeacute dans la recherche sur lʹimitation

Ce nʹest pas un hasard sans doute si le type de comportement systeacutematiquement exclu par toutes les probleacutematiques de lʹimitation de Platon jusquʹagrave nos jours est celui auquel on ne peut pas songer sans deacutecouvrir aussitocirct lʹinexactitude flagrante de la conception quʹon se fait toujours de cette ʹfaculteacuteʹ le caractegravere proprement mythique des effets uniformeacutement greacutegaires et leacutenifiants quʹon ne cesse de lui attribuer Si le mimeacutetique chez lʹhomme joue bien le rocircle fondamental que tout deacutesigne pour lui il doit forceacutement exister une imitation acquisitive ou si lʹon preacutefegravere une mimeacutesis dʹappropriation dont il importe dʹeacutetudier les effets et de peser les conseacutequences (Girard 1978)

Cette remarque pourtant eacutevidente a dʹeacutenormes conseacutequences pour notre compreacutehension de lʹhomme La mimesis devient ‐ du coup ‐ fort paradoxale elle peut ecirctre source dʹempathie de conformisme mais aussi de rivaliteacute Donnons encore un exemple simple mecircme banal dʹune rivaliteacute qui naicirct de la mimeacutesis Imaginons deux bambins dans une piegravece pleine de jouets identiques Le premier prend un jouet mais il ne semble pas fort inteacuteresseacute par lʹobjet Le second lʹobserve et essaie dʹarracher le jouet agrave son petit camarade Celui‐lagrave nʹeacutetait pas fort captiveacute par la babiole mais ‐ soudain ‐ parce que lʹautre est inteacuteresseacute cela change et il ne veut plus le lacirccher Des larmes des frustrations et de la violence sʹensuivent Dans un laps de temps tregraves court un objet pour lequel aucun des deux nʹavait un inteacuterecirct particulier est devenu lʹenjeu dʹune rivaliteacute obstineacutee Il faut noter que tout dans ce deacutesir trop partageacute pour un objet impartageable est imitation mecircme lʹintensiteacute du deacutesir deacutependra de celui dʹautrui Cʹest ce que Girard appelle la rivaliteacute mimeacutetique eacutetrange processus de ʹfeedback positifʹ qui seacutecregravete en grandes quantiteacutes la jalousie lʹenvie et la haine

Conclusion Si lʹimitation est souvent dangereuse pour les singes il ne doit pas y en aller autrement pour les humains Souvent les singes ne risquent pas de se bagarrer agrave mort pour de la nourriture des partenaires un territoire etc parce quʹil existe chez eux des freins instinctifs agrave la violence des rapports de domination (des ʹdominance patternsʹ) Chez les hommes nous le savons ces freins instinctuels nʹexistent plus La violence intraspeacutecifique la ʹguerre de tous contre tousʹ pour reprendre le mot de Hobbes a du jouer un rocircle important dans lʹhominisation Comme le disait deacutejagrave Jacques Monod

laquo Dominant deacutesormais son environnement lʹHomme nʹavait devant soi dʹadversaire seacuterieux que lui‐mecircme La lutte intraspeacutecifique directe la lutte agrave mort devenait des lors lʹun des principaux facteurs de seacutelection dans lʹespegravece humaine Pheacutenomegravene extrecircmement rare dans lʹeacutevolution des animaux [hellip] Dans quel sens cette pression de seacutelection devait‐elle pousser lʹeacutevolution humaine raquo (Monod 1970)

Comment cet obstacle formidable quʹoppose la violence intraspeacutecifique agrave la creacuteation de toute socieacuteteacute humaine a eacuteteacute souleveacute Voilagrave une question importante Voilagrave la question qursquoa ducirc affronter Reneacute Girard apregraves avoir deacutecouvert lrsquoambiguiumlteacute de la mimeacutesis Il faut espeacuterer que les recherches interdisciplinaires sur lʹhomme vont scruter le problegraveme Et on ne peut pas ne pas le rencontrer sur sa route si lʹon contemple vraiment la nature extrecircmement paradoxale de lʹimitation humaine source dʹintelligence dʹempathie mais aussi de rivaliteacute de destruction

Notes (1) Aujourdʹhui cela nʹest plus une question On se demande deacutesormais comment les neurones miroirs opegraverent chez lʹhomme et en quoi cela est diffeacuterent des autres animaux Voir entre autres Buccino G Lui F Canessa N Patteri I Lagravinese G Benuzzi F Porro CA and Rizzolatti G (2004) Neural circuits involved in the recognition of actions performed by nonconspecifics An fMRI study J Cogn Neurosci 16 114‐126

(2) ʺThe human mind demonstrates a greater development of imitative phenomena throughout the lifespan both quantitatively and qualitativelyʺ (Garrels 2004) Shirley Fecteau ʺCeci montre que le meacutecanisme des neurones miroirs est actif dans le cerveau immature Lʹactivation est toutefois plus reacuteduite que celle observeacutee chez les adultes ce qui indique que ces reacuteseaux probablement en place degraves la naissance continuent de se deacutevelopper dans des stades ulteacuterieurs de lʹenfanceʺ Interview sur le forum ʹonlineʹ de lʹUniversiteacute de Montreacuteal httpwwwiforumumontrealcaForumArchivesForum2004‐2005041213article4195htm (3) ʺIt is clear that there is no place in Freudʹs theory of early infancy for imitative self‐other reciprocityʺ (Trevarthen Kokinaki amp Fiamenghi 1999 p 155) (4) Voir Reneacute Girard (1978 p 17) (5) Voici ce que disent Wohlschlager et Bekkering The goal‐directed theory of imitation allows imitators to learn from models even if the differences in motor skills or in body proportions are so huge that the imitator is physically unable to make the same movement as the model Whatever movement the imitator uses the purpose of learning by imitation can be regarded as being fulfilled as soon as he reaches the same goal as the model (Wohlschlager amp Bekkering 2002 p 104)

Il est aussi inteacuteressant de noter ‐ entre parenthegraveses ‐ que cette hypothegravese reacutecente semble aller un peu agrave lʹencontre de la theacuteorie ʹmeacutemeacutetiqueʹ de Richard Dawkins (1976 The Selfish Gene) Dawkins a forgeacute une theacuteorie assez fascinante de la culture en tenant compte de lʹimportance de lʹimitation et en extrapolant le schegraveme Darwinien vers le domaine des ideacutees La tentation est grande en effet pour un biologiste de comparer la seacutelection des ideacutees agrave lʹeacutevolution Darwinienne Six ans avant le fameux livre de Dawkins le prix Nobel franccedilais Jacques Monod eacutecrivait deacutejagrave agrave la fin de son livre Le Hasard et la Neacutecessiteacute sous le titre ʹla seacutelection des ideacuteesʹ

Il est tentant pour un biologiste de comparer lʹeacutevolution des ideacutees agrave celle de la biosphegravere Car si le Royaume abstrait transcende la biosphegravere plus encore que celle‐ci lʹunivers non vivant les ideacutees ont conserveacute certaines des proprieacuteteacutes des organismes Comme eux elles tendent agrave perpeacutetuer leur structure et agrave la multiplier comme eux elles peuvent fusionner recombiner seacutegreacuteger leur contenu comme eux enfin elles eacutevoluent et dans cette eacutevolution la seacutelection sans aucun doute joue un grand rocircle (p 181)

Mais ajoute Monod laquo Je ne me hasarderai pas agrave proposer une theacuteorie de la seacutelection des ideacutees ʺ Chez Dawkins lʹimitation la reproduction porte sur les ʹideacuteesʹ sur des uniteacutes dʹinformation (ʹmegravemesʹ) des repreacutesentations en somme Les recherches toutes reacutecentes nous montrent ‐ au contraire ‐ que lʹimitation humaine porte dʹabord sur des intentions Dans un cadre philosophique on peut dire que Meltzoff et autres deacutegagent deacutefinitivement la mimesis de son ancien contexte dʹideacutealisme platonicien (et ce platonisme ‐ dʹaucuns ont pu le remarquer ‐ semble toujours lagrave chez un Dawkins qui parle dʹideacuteosphegravere un peu comme Monod qui parlait du ʹRoyaume abstrait des ideacuteesʹ ce qui implique toujours la vieille conception platonicienne ‐ un peu mythique il faut lʹavouer ‐ selon laquelle les ideacutees ont une existence indeacutependante des hommes)

Sources Bushman B and Huesmann L (2001) ʺEffects of televised violence on aggressionʺ in DG Singer amp JL Singer (ed) Handbook of children and the media Thousand Oaks Sage pp 223‐254 Dawkins Richard (1976) The Selfish Gene Oxford University Press Garrells Scott R (2004) ʹImitation Mirror Neurons amp Mimetic desireʹ httpwwwcovr2004orggarrelspaperpdf Girard Reneacute (1961) Mensonge Romantique et Veacuteriteacute Romanesque (Paris Grasset) 1972) La violence et le sacreacute (Paris Grasset) (1978) Des Choses cacheacutees depuis la fondation du monde avec Jean‐Michel Oughourlian et Guy Lefort (Paris Grasset) Hurley S amp Chater N (2002) Perspectives on imitation from cognitive neuroscience to social science Royaumont Abbey France 24‐26 May Nadel J amp Butterworth G (1999) Imitation in Infancy Cambridge University Press ‐ Meltzoff A amp Decety J (2003) What imitation tells us about social cognition a rapprochement between developmental

psychology and cognitive neuroscience Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 358 491‐500 Meltzoff A amp Moore K (1977) Imitatoin of facial and manual gestures by human neonates Science 198 75‐78 ‐ Meltzoff A amp Moore K (1983) Newborn infants imitate adult facial gestures Child Development 54 702‐709 Meltzoff A amp Moore K (1989) Imitation in newborn infants exploring the range of gestures imitated and the underlying mechanisms Developmental Psychology 25 945‐962 Monod Jacques (1970) Le hasard et la neacutecessiteacute Seuil Ramachandran V (2000) Mirror neurons and imitation learning as the driving force behind ʺthe great leap forwardʺ in human evolution httpwwwedgeorgdocumentsarchiveedge69html Rizzolati G Fadiga L Fogassi L amp Gallese V (1996a) Premotor cortex and the Recognition of motor actions Cognitive Brain Research 3 131‐141 Tarde Gabriel Les lois de lʹimitation Paris 3egraveme eacuted revue et augmenteacutee 1900 Trevarthen C Kokkinaki T amp Fiamenghi Jr G (1999) What infantsʹ imitations communicate with mothers with fathers with peers In Imitation in Infancy (ed Nadel J amp ‐ Butterworth G) pp 9‐35 Cambridge University Press

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La seconde expeacuterience eacutetait conccedilue pour voir si les enfants attribuent des motifs agrave des objets Pour ce test les chercheurs avaient fabriqueacute une petite machine (avec bras et grappins) qui exeacutecutait exactement la mecircme action avorteacutee de la premiegravere expeacuterience Tregraves vite il sʹest aveacutereacute que les bambins qui avaient profiteacute de cette deacutemonstration nʹeacutetaient pas mieux disposeacutes pour attribuer une intention agrave lʹappareil que dʹautres qui eacutetaient confronteacute au petit haltegravere sans deacutemonstration Il semble donc que les enfants nʹattribuent pas dʹintentions agrave des objets inanimeacutes Une troisiegraveme expeacuterience allait rendre plus visible encore combien lʹenfant precircte attention aux motifs de ses congeacutenegraveres et combien ces motifs ces intentions sont importants pour lui Dans ce test les bouts du petit haltegravere eacutetaient colleacutes solidement agrave la barre Ils ne pouvaient donc pas ecirctre enleveacutes Le chercheur reacutepeacutetait ici la mecircme deacutemonstration que dans les expeacuteriences preacuteceacutedentes il essayait dʹocircter la part exteacuterieure du jouet mais sa main glissait du bout sans le saisir Chez les enfants la mecircme chose exactement se produisait neacutecessairement (les bouts eacutetant colleacutes) mais les bambins nʹeacutetaient pas du tout satisfaits par la pure reproduction de ce quʹils avaient vu faire lʹadulte Ils reacutepeacutetaient leurs tentatives dʹenlever le bout mordaient dedans et lanccedilaient des regards suppliants agrave maman et au chercheur Meltzoff eacutecrit

This work reinforces the idea that the toddlers are beginning to focus on the adultʹs goals not simply their surface actions It provides developmental roots for the importance of goals in organizing imitation in older children and adults (Meltzoff 2002 p 32 ‐ citeacute par Garrels)

Le travail de Meltzoff renforce donc lʹideacutee selon laquelle les bambins commencent agrave concentrer leur attention sur les buts des adultes et pas simplement sur leurs actions Plusieurs savants vont encore plus loin et suggegraverent que lʹimitation chez lʹhomme est toujours ‐ agrave un niveau fondamental ‐ lʹimitation dʹintentions et de buts plutocirct que dʹactions et de repreacutesentations Cette hypothegravese (en reacutealiteacute une deacuteduction de nombreuses donneacutees empiriques qui vont toutes dans ce sens) a eacuteteacute baptiseacutee la ʹgoal‐directed theory of imitationʹ(5) (Trevarthen Kokkinaki amp Fiamenghi 1999 Wohlschlager amp Bekkering 2002)

NEUROBIOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE Un dialogue approfondi entre sciences humaines et sciences ʹduresʹ est agrave souhaiter la chose est claire Les sciences humaines ne peuvent pas rester sourdes agrave ce qui est deacutemontreacute ailleurs Et lʹinverse est peut‐ecirctre vrai aussi dans certains cas Dans ce cadre il faut noter que plusieurs deacutecennies avant le surcroicirct spectaculaire de lʹinteacuterecirct scientifique pour lʹimitation un critique litteacuteraire () et anthropologue franco‐ameacutericain avait deacutejagrave articuleacute une theacuteorie autour de lʹimportance exceptionnelle de lʹimitation dans lʹhomme Son hypothegravese eacutetait ‐ curieusement ‐ que lʹimitation nʹa pas tant trait aux pheacutenomegravenes exteacuterieurs mais aux intentions au deacutesir Ce theacuteoricien de ce quʹil appelle lui‐mecircme le deacutesir mimeacutetique cʹest Reneacute Girard La concordance entre ses eacutetudes et les conclusions scientifiques reacutecentes des chercheurs empiriques sont surprenantes ʹextraordinairesʹ comme le dit Scott Garrels (un chercheur en psychologie clinique)

The parallels between Girardʹs insights and the only recent conclusions made by empirical researchers concerning imitation (in both development and the evolution of species) are extraordinary (Garrels 2004 p 29)

Le contexte dans lequel Girard a deacuteveloppeacute ses theacuteories est aussi remarquable

What makes Girardʹs insights so remarkable is that he not only discovered and developed the primordial role of psychological mimesis during a time when imitation was quite out of fashion but he did so through investigation in literature cultural anthropology historyhellip (Garrels 2004 p 29)

(Ce qui rend les ideacutees de Girard si remarquables cʹest non seulement le fait quʹil ait deacutecouvert le rocircle primordial de la mimesis psychologique agrave une eacutepoque ougrave lʹimitation nʹeacutetait pas agrave la mode mais quʹil a fait cela agrave travers une recherche dans la litteacuterature lʹanthropologie culturelle lʹhistoirehellip)

LES DANGERS DE LʹIMITATION Reneacute Girard a non seulement fait le lien entre imitation et intention mais aussi entre imitation et violence La recherche scientifique qui fait le lien entre imitation et violence est assez populaire aujourdʹhui mais les reacutesultats vraiment inteacuteressants ne sont pas encore lagrave On sʹest souvent poseacute la question si lʹexposition de lʹenfant agrave la violence meacutediatiseacute influence son comportement Est‐ce que le (jeune) teacuteleacutespectateur va imiter les repreacutesentations de violence agrave la teacuteleacutevision Il nʹexiste pas de reacuteponses tout agrave fait claires agrave cette question (Bushman and Huesman 2001) On a pu constater ‐ par exemple ‐ que des jeux dʹordinateurs violents nʹincitent pas neacutecessairement agrave la violence Ces jeux peuvent mecircme avoir des effets ʹcathartiquesʹ au lieu de frapper la petite sœur ou le petit fregravere cʹest sur des ennemis virtuels que le joueur se deacutefoule Reneacute Girard pour sa part a vu dans lʹimitation non pas (seulement) ce qui communique la violence mais ce qui la geacutenegravere la cause de la violence Avant dʹexpliquer comment cela est possible il faut preacuteciser pourquoi la question du lien entre violence et mimesis sʹimpose aujourdʹhui

Mimesis et violence Pourquoi cela devient pressant actuellement de questionner le lien entre mimesis et violence De nombreuses recherches indeacutependantes il faut conclure que lʹimitation dynamique constitue la condition premiegravere du deacuteveloppement humain et une des caracteacuteristiques humaines les plus importantes Les chercheurs sont dʹaccord aujourdʹhui de deacutefinir le cerveau humain comme ʹune eacutenorme machine agrave imiterʹ qui fonctionne agrave un niveau bien plus eacuteleveacute que chez les autres primates De tous les animaux lʹhomme est le plus ʹmimeacutetiqueʹ Une autre chose au sujet de lʹhumain sʹimpose aussi avec eacutevidence de tous les animaux le plus violent cʹest sans aucun doutehellip lʹhomme Il faut se demander si par hasard ces deux observations eacuteleacutementaires ne sont pas agrave mettre en rapport Il nʹy a pas cent ans cette ideacutee quʹil pourrait exister une correacutelation encore mal connue entre la mimesis et lʹorigine la genegravese de la violence humaine aurait sans doute sembleacute incongrue Le grand theacuteoricien de lʹimitation de lʹeacutepoque Gabriel Tarde auteur du fameux livre Les Lois de Lʹimitation (publieacute en 1890) voyait en lʹimitation la cause premiegravere de lʹharmonie sociale Sans ecirctre totalement fausse on voit aujourdʹhui que cette ideacutee est du moins incomplegravete

bull Lʹimitation est dʹune importance cruciale pour tout ce qui est typiquement humain dans un sens que nous commenccedilons quʹagrave deacutecouvrir (Hurley amp Chater 2002)

bull Selon Tarde lʹimitation humaine est la cause de lʹharmonie sociale

Des deux propositions preacuteceacutedentes il sʹensuivrait que lʹharmonie la paix seraient typiquement caracteacuteristiquement humaines Lʹhomme serait lʹanimal le moins violent Qui oserait cependant deacutefendre une telle conclusion Ou bien lʹimitation nʹest pas si importante ce qui va agrave lʹencontre dʹune masse de donneacutees empiriques reacutecentes ou bien la vision de Gabriel Tarde est fausse ou du moins incomplegravete La seconde conclusion semble la meilleure Mais quʹavons‐nous pu ne pas voir au sujet de lʹimitation

Rivaliteacute mimeacutetique Si deux hommes deacutesirent la mecircme chose alors quʹil nʹest pas possible quʹils en jouissent tous les deux ils deviennent ennemis‐HOBBES (Leacuteviathan)

Dans une interview reacutecente Rizzolati (le directeur du groupe de chercheurs qui a deacutecouvert les neurones miroirs) a dit laquo Le processus dʹimitation est limiteacute chez les singes et cʹest souvent dangereux pour eux dʹimiter raquo (5 feacutevrier 2005 dans Le Figaro) Dʹougrave vient ce danger de lʹimitation Rappelons que les neurones dans le cortex preacute moteur des singes eacutetudieacutes par Rizzolati eacutetaient activeacutes quand lʹanimal effectuait un mouvement avec but preacutecis le plus souvent ʹsaisir un objetʹ Imaginons maintenant un singe qui tente de sʹemparer dʹun objet et un autre qui lʹimite aveugleacutement ʹinconsciemmentʹ Ces deux mains eacutegalement avides qui convergent vers un seul objet ne peuvent

manquer de provoquer un hellip conflit Voilagrave que la mimeacutesis peut ecirctre la source de conflits de violence si lʹon voit que les comportements dʹacquisition et dʹappropriation (le fait de prendre un objet pour soi) sont aussi susceptibles dʹecirctre imiteacutes Lagrave chose est claire et pourtant ‐ chose eacutetrange et remarquable ‐ ce type de comportement fort important pour les primates et pour les humains nʹa pas eacuteteacute incorporeacute dans la recherche sur lʹimitation

Ce nʹest pas un hasard sans doute si le type de comportement systeacutematiquement exclu par toutes les probleacutematiques de lʹimitation de Platon jusquʹagrave nos jours est celui auquel on ne peut pas songer sans deacutecouvrir aussitocirct lʹinexactitude flagrante de la conception quʹon se fait toujours de cette ʹfaculteacuteʹ le caractegravere proprement mythique des effets uniformeacutement greacutegaires et leacutenifiants quʹon ne cesse de lui attribuer Si le mimeacutetique chez lʹhomme joue bien le rocircle fondamental que tout deacutesigne pour lui il doit forceacutement exister une imitation acquisitive ou si lʹon preacutefegravere une mimeacutesis dʹappropriation dont il importe dʹeacutetudier les effets et de peser les conseacutequences (Girard 1978)

Cette remarque pourtant eacutevidente a dʹeacutenormes conseacutequences pour notre compreacutehension de lʹhomme La mimesis devient ‐ du coup ‐ fort paradoxale elle peut ecirctre source dʹempathie de conformisme mais aussi de rivaliteacute Donnons encore un exemple simple mecircme banal dʹune rivaliteacute qui naicirct de la mimeacutesis Imaginons deux bambins dans une piegravece pleine de jouets identiques Le premier prend un jouet mais il ne semble pas fort inteacuteresseacute par lʹobjet Le second lʹobserve et essaie dʹarracher le jouet agrave son petit camarade Celui‐lagrave nʹeacutetait pas fort captiveacute par la babiole mais ‐ soudain ‐ parce que lʹautre est inteacuteresseacute cela change et il ne veut plus le lacirccher Des larmes des frustrations et de la violence sʹensuivent Dans un laps de temps tregraves court un objet pour lequel aucun des deux nʹavait un inteacuterecirct particulier est devenu lʹenjeu dʹune rivaliteacute obstineacutee Il faut noter que tout dans ce deacutesir trop partageacute pour un objet impartageable est imitation mecircme lʹintensiteacute du deacutesir deacutependra de celui dʹautrui Cʹest ce que Girard appelle la rivaliteacute mimeacutetique eacutetrange processus de ʹfeedback positifʹ qui seacutecregravete en grandes quantiteacutes la jalousie lʹenvie et la haine

Conclusion Si lʹimitation est souvent dangereuse pour les singes il ne doit pas y en aller autrement pour les humains Souvent les singes ne risquent pas de se bagarrer agrave mort pour de la nourriture des partenaires un territoire etc parce quʹil existe chez eux des freins instinctifs agrave la violence des rapports de domination (des ʹdominance patternsʹ) Chez les hommes nous le savons ces freins instinctuels nʹexistent plus La violence intraspeacutecifique la ʹguerre de tous contre tousʹ pour reprendre le mot de Hobbes a du jouer un rocircle important dans lʹhominisation Comme le disait deacutejagrave Jacques Monod

laquo Dominant deacutesormais son environnement lʹHomme nʹavait devant soi dʹadversaire seacuterieux que lui‐mecircme La lutte intraspeacutecifique directe la lutte agrave mort devenait des lors lʹun des principaux facteurs de seacutelection dans lʹespegravece humaine Pheacutenomegravene extrecircmement rare dans lʹeacutevolution des animaux [hellip] Dans quel sens cette pression de seacutelection devait‐elle pousser lʹeacutevolution humaine raquo (Monod 1970)

Comment cet obstacle formidable quʹoppose la violence intraspeacutecifique agrave la creacuteation de toute socieacuteteacute humaine a eacuteteacute souleveacute Voilagrave une question importante Voilagrave la question qursquoa ducirc affronter Reneacute Girard apregraves avoir deacutecouvert lrsquoambiguiumlteacute de la mimeacutesis Il faut espeacuterer que les recherches interdisciplinaires sur lʹhomme vont scruter le problegraveme Et on ne peut pas ne pas le rencontrer sur sa route si lʹon contemple vraiment la nature extrecircmement paradoxale de lʹimitation humaine source dʹintelligence dʹempathie mais aussi de rivaliteacute de destruction

Notes (1) Aujourdʹhui cela nʹest plus une question On se demande deacutesormais comment les neurones miroirs opegraverent chez lʹhomme et en quoi cela est diffeacuterent des autres animaux Voir entre autres Buccino G Lui F Canessa N Patteri I Lagravinese G Benuzzi F Porro CA and Rizzolatti G (2004) Neural circuits involved in the recognition of actions performed by nonconspecifics An fMRI study J Cogn Neurosci 16 114‐126

(2) ʺThe human mind demonstrates a greater development of imitative phenomena throughout the lifespan both quantitatively and qualitativelyʺ (Garrels 2004) Shirley Fecteau ʺCeci montre que le meacutecanisme des neurones miroirs est actif dans le cerveau immature Lʹactivation est toutefois plus reacuteduite que celle observeacutee chez les adultes ce qui indique que ces reacuteseaux probablement en place degraves la naissance continuent de se deacutevelopper dans des stades ulteacuterieurs de lʹenfanceʺ Interview sur le forum ʹonlineʹ de lʹUniversiteacute de Montreacuteal httpwwwiforumumontrealcaForumArchivesForum2004‐2005041213article4195htm (3) ʺIt is clear that there is no place in Freudʹs theory of early infancy for imitative self‐other reciprocityʺ (Trevarthen Kokinaki amp Fiamenghi 1999 p 155) (4) Voir Reneacute Girard (1978 p 17) (5) Voici ce que disent Wohlschlager et Bekkering The goal‐directed theory of imitation allows imitators to learn from models even if the differences in motor skills or in body proportions are so huge that the imitator is physically unable to make the same movement as the model Whatever movement the imitator uses the purpose of learning by imitation can be regarded as being fulfilled as soon as he reaches the same goal as the model (Wohlschlager amp Bekkering 2002 p 104)

Il est aussi inteacuteressant de noter ‐ entre parenthegraveses ‐ que cette hypothegravese reacutecente semble aller un peu agrave lʹencontre de la theacuteorie ʹmeacutemeacutetiqueʹ de Richard Dawkins (1976 The Selfish Gene) Dawkins a forgeacute une theacuteorie assez fascinante de la culture en tenant compte de lʹimportance de lʹimitation et en extrapolant le schegraveme Darwinien vers le domaine des ideacutees La tentation est grande en effet pour un biologiste de comparer la seacutelection des ideacutees agrave lʹeacutevolution Darwinienne Six ans avant le fameux livre de Dawkins le prix Nobel franccedilais Jacques Monod eacutecrivait deacutejagrave agrave la fin de son livre Le Hasard et la Neacutecessiteacute sous le titre ʹla seacutelection des ideacuteesʹ

Il est tentant pour un biologiste de comparer lʹeacutevolution des ideacutees agrave celle de la biosphegravere Car si le Royaume abstrait transcende la biosphegravere plus encore que celle‐ci lʹunivers non vivant les ideacutees ont conserveacute certaines des proprieacuteteacutes des organismes Comme eux elles tendent agrave perpeacutetuer leur structure et agrave la multiplier comme eux elles peuvent fusionner recombiner seacutegreacuteger leur contenu comme eux enfin elles eacutevoluent et dans cette eacutevolution la seacutelection sans aucun doute joue un grand rocircle (p 181)

Mais ajoute Monod laquo Je ne me hasarderai pas agrave proposer une theacuteorie de la seacutelection des ideacutees ʺ Chez Dawkins lʹimitation la reproduction porte sur les ʹideacuteesʹ sur des uniteacutes dʹinformation (ʹmegravemesʹ) des repreacutesentations en somme Les recherches toutes reacutecentes nous montrent ‐ au contraire ‐ que lʹimitation humaine porte dʹabord sur des intentions Dans un cadre philosophique on peut dire que Meltzoff et autres deacutegagent deacutefinitivement la mimesis de son ancien contexte dʹideacutealisme platonicien (et ce platonisme ‐ dʹaucuns ont pu le remarquer ‐ semble toujours lagrave chez un Dawkins qui parle dʹideacuteosphegravere un peu comme Monod qui parlait du ʹRoyaume abstrait des ideacuteesʹ ce qui implique toujours la vieille conception platonicienne ‐ un peu mythique il faut lʹavouer ‐ selon laquelle les ideacutees ont une existence indeacutependante des hommes)

Sources Bushman B and Huesmann L (2001) ʺEffects of televised violence on aggressionʺ in DG Singer amp JL Singer (ed) Handbook of children and the media Thousand Oaks Sage pp 223‐254 Dawkins Richard (1976) The Selfish Gene Oxford University Press Garrells Scott R (2004) ʹImitation Mirror Neurons amp Mimetic desireʹ httpwwwcovr2004orggarrelspaperpdf Girard Reneacute (1961) Mensonge Romantique et Veacuteriteacute Romanesque (Paris Grasset) 1972) La violence et le sacreacute (Paris Grasset) (1978) Des Choses cacheacutees depuis la fondation du monde avec Jean‐Michel Oughourlian et Guy Lefort (Paris Grasset) Hurley S amp Chater N (2002) Perspectives on imitation from cognitive neuroscience to social science Royaumont Abbey France 24‐26 May Nadel J amp Butterworth G (1999) Imitation in Infancy Cambridge University Press ‐ Meltzoff A amp Decety J (2003) What imitation tells us about social cognition a rapprochement between developmental

psychology and cognitive neuroscience Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 358 491‐500 Meltzoff A amp Moore K (1977) Imitatoin of facial and manual gestures by human neonates Science 198 75‐78 ‐ Meltzoff A amp Moore K (1983) Newborn infants imitate adult facial gestures Child Development 54 702‐709 Meltzoff A amp Moore K (1989) Imitation in newborn infants exploring the range of gestures imitated and the underlying mechanisms Developmental Psychology 25 945‐962 Monod Jacques (1970) Le hasard et la neacutecessiteacute Seuil Ramachandran V (2000) Mirror neurons and imitation learning as the driving force behind ʺthe great leap forwardʺ in human evolution httpwwwedgeorgdocumentsarchiveedge69html Rizzolati G Fadiga L Fogassi L amp Gallese V (1996a) Premotor cortex and the Recognition of motor actions Cognitive Brain Research 3 131‐141 Tarde Gabriel Les lois de lʹimitation Paris 3egraveme eacuted revue et augmenteacutee 1900 Trevarthen C Kokkinaki T amp Fiamenghi Jr G (1999) What infantsʹ imitations communicate with mothers with fathers with peers In Imitation in Infancy (ed Nadel J amp ‐ Butterworth G) pp 9‐35 Cambridge University Press

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LES DANGERS DE LʹIMITATION Reneacute Girard a non seulement fait le lien entre imitation et intention mais aussi entre imitation et violence La recherche scientifique qui fait le lien entre imitation et violence est assez populaire aujourdʹhui mais les reacutesultats vraiment inteacuteressants ne sont pas encore lagrave On sʹest souvent poseacute la question si lʹexposition de lʹenfant agrave la violence meacutediatiseacute influence son comportement Est‐ce que le (jeune) teacuteleacutespectateur va imiter les repreacutesentations de violence agrave la teacuteleacutevision Il nʹexiste pas de reacuteponses tout agrave fait claires agrave cette question (Bushman and Huesman 2001) On a pu constater ‐ par exemple ‐ que des jeux dʹordinateurs violents nʹincitent pas neacutecessairement agrave la violence Ces jeux peuvent mecircme avoir des effets ʹcathartiquesʹ au lieu de frapper la petite sœur ou le petit fregravere cʹest sur des ennemis virtuels que le joueur se deacutefoule Reneacute Girard pour sa part a vu dans lʹimitation non pas (seulement) ce qui communique la violence mais ce qui la geacutenegravere la cause de la violence Avant dʹexpliquer comment cela est possible il faut preacuteciser pourquoi la question du lien entre violence et mimesis sʹimpose aujourdʹhui

Mimesis et violence Pourquoi cela devient pressant actuellement de questionner le lien entre mimesis et violence De nombreuses recherches indeacutependantes il faut conclure que lʹimitation dynamique constitue la condition premiegravere du deacuteveloppement humain et une des caracteacuteristiques humaines les plus importantes Les chercheurs sont dʹaccord aujourdʹhui de deacutefinir le cerveau humain comme ʹune eacutenorme machine agrave imiterʹ qui fonctionne agrave un niveau bien plus eacuteleveacute que chez les autres primates De tous les animaux lʹhomme est le plus ʹmimeacutetiqueʹ Une autre chose au sujet de lʹhumain sʹimpose aussi avec eacutevidence de tous les animaux le plus violent cʹest sans aucun doutehellip lʹhomme Il faut se demander si par hasard ces deux observations eacuteleacutementaires ne sont pas agrave mettre en rapport Il nʹy a pas cent ans cette ideacutee quʹil pourrait exister une correacutelation encore mal connue entre la mimesis et lʹorigine la genegravese de la violence humaine aurait sans doute sembleacute incongrue Le grand theacuteoricien de lʹimitation de lʹeacutepoque Gabriel Tarde auteur du fameux livre Les Lois de Lʹimitation (publieacute en 1890) voyait en lʹimitation la cause premiegravere de lʹharmonie sociale Sans ecirctre totalement fausse on voit aujourdʹhui que cette ideacutee est du moins incomplegravete

bull Lʹimitation est dʹune importance cruciale pour tout ce qui est typiquement humain dans un sens que nous commenccedilons quʹagrave deacutecouvrir (Hurley amp Chater 2002)

bull Selon Tarde lʹimitation humaine est la cause de lʹharmonie sociale

Des deux propositions preacuteceacutedentes il sʹensuivrait que lʹharmonie la paix seraient typiquement caracteacuteristiquement humaines Lʹhomme serait lʹanimal le moins violent Qui oserait cependant deacutefendre une telle conclusion Ou bien lʹimitation nʹest pas si importante ce qui va agrave lʹencontre dʹune masse de donneacutees empiriques reacutecentes ou bien la vision de Gabriel Tarde est fausse ou du moins incomplegravete La seconde conclusion semble la meilleure Mais quʹavons‐nous pu ne pas voir au sujet de lʹimitation

Rivaliteacute mimeacutetique Si deux hommes deacutesirent la mecircme chose alors quʹil nʹest pas possible quʹils en jouissent tous les deux ils deviennent ennemis‐HOBBES (Leacuteviathan)

Dans une interview reacutecente Rizzolati (le directeur du groupe de chercheurs qui a deacutecouvert les neurones miroirs) a dit laquo Le processus dʹimitation est limiteacute chez les singes et cʹest souvent dangereux pour eux dʹimiter raquo (5 feacutevrier 2005 dans Le Figaro) Dʹougrave vient ce danger de lʹimitation Rappelons que les neurones dans le cortex preacute moteur des singes eacutetudieacutes par Rizzolati eacutetaient activeacutes quand lʹanimal effectuait un mouvement avec but preacutecis le plus souvent ʹsaisir un objetʹ Imaginons maintenant un singe qui tente de sʹemparer dʹun objet et un autre qui lʹimite aveugleacutement ʹinconsciemmentʹ Ces deux mains eacutegalement avides qui convergent vers un seul objet ne peuvent

manquer de provoquer un hellip conflit Voilagrave que la mimeacutesis peut ecirctre la source de conflits de violence si lʹon voit que les comportements dʹacquisition et dʹappropriation (le fait de prendre un objet pour soi) sont aussi susceptibles dʹecirctre imiteacutes Lagrave chose est claire et pourtant ‐ chose eacutetrange et remarquable ‐ ce type de comportement fort important pour les primates et pour les humains nʹa pas eacuteteacute incorporeacute dans la recherche sur lʹimitation

Ce nʹest pas un hasard sans doute si le type de comportement systeacutematiquement exclu par toutes les probleacutematiques de lʹimitation de Platon jusquʹagrave nos jours est celui auquel on ne peut pas songer sans deacutecouvrir aussitocirct lʹinexactitude flagrante de la conception quʹon se fait toujours de cette ʹfaculteacuteʹ le caractegravere proprement mythique des effets uniformeacutement greacutegaires et leacutenifiants quʹon ne cesse de lui attribuer Si le mimeacutetique chez lʹhomme joue bien le rocircle fondamental que tout deacutesigne pour lui il doit forceacutement exister une imitation acquisitive ou si lʹon preacutefegravere une mimeacutesis dʹappropriation dont il importe dʹeacutetudier les effets et de peser les conseacutequences (Girard 1978)

Cette remarque pourtant eacutevidente a dʹeacutenormes conseacutequences pour notre compreacutehension de lʹhomme La mimesis devient ‐ du coup ‐ fort paradoxale elle peut ecirctre source dʹempathie de conformisme mais aussi de rivaliteacute Donnons encore un exemple simple mecircme banal dʹune rivaliteacute qui naicirct de la mimeacutesis Imaginons deux bambins dans une piegravece pleine de jouets identiques Le premier prend un jouet mais il ne semble pas fort inteacuteresseacute par lʹobjet Le second lʹobserve et essaie dʹarracher le jouet agrave son petit camarade Celui‐lagrave nʹeacutetait pas fort captiveacute par la babiole mais ‐ soudain ‐ parce que lʹautre est inteacuteresseacute cela change et il ne veut plus le lacirccher Des larmes des frustrations et de la violence sʹensuivent Dans un laps de temps tregraves court un objet pour lequel aucun des deux nʹavait un inteacuterecirct particulier est devenu lʹenjeu dʹune rivaliteacute obstineacutee Il faut noter que tout dans ce deacutesir trop partageacute pour un objet impartageable est imitation mecircme lʹintensiteacute du deacutesir deacutependra de celui dʹautrui Cʹest ce que Girard appelle la rivaliteacute mimeacutetique eacutetrange processus de ʹfeedback positifʹ qui seacutecregravete en grandes quantiteacutes la jalousie lʹenvie et la haine

Conclusion Si lʹimitation est souvent dangereuse pour les singes il ne doit pas y en aller autrement pour les humains Souvent les singes ne risquent pas de se bagarrer agrave mort pour de la nourriture des partenaires un territoire etc parce quʹil existe chez eux des freins instinctifs agrave la violence des rapports de domination (des ʹdominance patternsʹ) Chez les hommes nous le savons ces freins instinctuels nʹexistent plus La violence intraspeacutecifique la ʹguerre de tous contre tousʹ pour reprendre le mot de Hobbes a du jouer un rocircle important dans lʹhominisation Comme le disait deacutejagrave Jacques Monod

laquo Dominant deacutesormais son environnement lʹHomme nʹavait devant soi dʹadversaire seacuterieux que lui‐mecircme La lutte intraspeacutecifique directe la lutte agrave mort devenait des lors lʹun des principaux facteurs de seacutelection dans lʹespegravece humaine Pheacutenomegravene extrecircmement rare dans lʹeacutevolution des animaux [hellip] Dans quel sens cette pression de seacutelection devait‐elle pousser lʹeacutevolution humaine raquo (Monod 1970)

Comment cet obstacle formidable quʹoppose la violence intraspeacutecifique agrave la creacuteation de toute socieacuteteacute humaine a eacuteteacute souleveacute Voilagrave une question importante Voilagrave la question qursquoa ducirc affronter Reneacute Girard apregraves avoir deacutecouvert lrsquoambiguiumlteacute de la mimeacutesis Il faut espeacuterer que les recherches interdisciplinaires sur lʹhomme vont scruter le problegraveme Et on ne peut pas ne pas le rencontrer sur sa route si lʹon contemple vraiment la nature extrecircmement paradoxale de lʹimitation humaine source dʹintelligence dʹempathie mais aussi de rivaliteacute de destruction

Notes (1) Aujourdʹhui cela nʹest plus une question On se demande deacutesormais comment les neurones miroirs opegraverent chez lʹhomme et en quoi cela est diffeacuterent des autres animaux Voir entre autres Buccino G Lui F Canessa N Patteri I Lagravinese G Benuzzi F Porro CA and Rizzolatti G (2004) Neural circuits involved in the recognition of actions performed by nonconspecifics An fMRI study J Cogn Neurosci 16 114‐126

(2) ʺThe human mind demonstrates a greater development of imitative phenomena throughout the lifespan both quantitatively and qualitativelyʺ (Garrels 2004) Shirley Fecteau ʺCeci montre que le meacutecanisme des neurones miroirs est actif dans le cerveau immature Lʹactivation est toutefois plus reacuteduite que celle observeacutee chez les adultes ce qui indique que ces reacuteseaux probablement en place degraves la naissance continuent de se deacutevelopper dans des stades ulteacuterieurs de lʹenfanceʺ Interview sur le forum ʹonlineʹ de lʹUniversiteacute de Montreacuteal httpwwwiforumumontrealcaForumArchivesForum2004‐2005041213article4195htm (3) ʺIt is clear that there is no place in Freudʹs theory of early infancy for imitative self‐other reciprocityʺ (Trevarthen Kokinaki amp Fiamenghi 1999 p 155) (4) Voir Reneacute Girard (1978 p 17) (5) Voici ce que disent Wohlschlager et Bekkering The goal‐directed theory of imitation allows imitators to learn from models even if the differences in motor skills or in body proportions are so huge that the imitator is physically unable to make the same movement as the model Whatever movement the imitator uses the purpose of learning by imitation can be regarded as being fulfilled as soon as he reaches the same goal as the model (Wohlschlager amp Bekkering 2002 p 104)

Il est aussi inteacuteressant de noter ‐ entre parenthegraveses ‐ que cette hypothegravese reacutecente semble aller un peu agrave lʹencontre de la theacuteorie ʹmeacutemeacutetiqueʹ de Richard Dawkins (1976 The Selfish Gene) Dawkins a forgeacute une theacuteorie assez fascinante de la culture en tenant compte de lʹimportance de lʹimitation et en extrapolant le schegraveme Darwinien vers le domaine des ideacutees La tentation est grande en effet pour un biologiste de comparer la seacutelection des ideacutees agrave lʹeacutevolution Darwinienne Six ans avant le fameux livre de Dawkins le prix Nobel franccedilais Jacques Monod eacutecrivait deacutejagrave agrave la fin de son livre Le Hasard et la Neacutecessiteacute sous le titre ʹla seacutelection des ideacuteesʹ

Il est tentant pour un biologiste de comparer lʹeacutevolution des ideacutees agrave celle de la biosphegravere Car si le Royaume abstrait transcende la biosphegravere plus encore que celle‐ci lʹunivers non vivant les ideacutees ont conserveacute certaines des proprieacuteteacutes des organismes Comme eux elles tendent agrave perpeacutetuer leur structure et agrave la multiplier comme eux elles peuvent fusionner recombiner seacutegreacuteger leur contenu comme eux enfin elles eacutevoluent et dans cette eacutevolution la seacutelection sans aucun doute joue un grand rocircle (p 181)

Mais ajoute Monod laquo Je ne me hasarderai pas agrave proposer une theacuteorie de la seacutelection des ideacutees ʺ Chez Dawkins lʹimitation la reproduction porte sur les ʹideacuteesʹ sur des uniteacutes dʹinformation (ʹmegravemesʹ) des repreacutesentations en somme Les recherches toutes reacutecentes nous montrent ‐ au contraire ‐ que lʹimitation humaine porte dʹabord sur des intentions Dans un cadre philosophique on peut dire que Meltzoff et autres deacutegagent deacutefinitivement la mimesis de son ancien contexte dʹideacutealisme platonicien (et ce platonisme ‐ dʹaucuns ont pu le remarquer ‐ semble toujours lagrave chez un Dawkins qui parle dʹideacuteosphegravere un peu comme Monod qui parlait du ʹRoyaume abstrait des ideacuteesʹ ce qui implique toujours la vieille conception platonicienne ‐ un peu mythique il faut lʹavouer ‐ selon laquelle les ideacutees ont une existence indeacutependante des hommes)

Sources Bushman B and Huesmann L (2001) ʺEffects of televised violence on aggressionʺ in DG Singer amp JL Singer (ed) Handbook of children and the media Thousand Oaks Sage pp 223‐254 Dawkins Richard (1976) The Selfish Gene Oxford University Press Garrells Scott R (2004) ʹImitation Mirror Neurons amp Mimetic desireʹ httpwwwcovr2004orggarrelspaperpdf Girard Reneacute (1961) Mensonge Romantique et Veacuteriteacute Romanesque (Paris Grasset) 1972) La violence et le sacreacute (Paris Grasset) (1978) Des Choses cacheacutees depuis la fondation du monde avec Jean‐Michel Oughourlian et Guy Lefort (Paris Grasset) Hurley S amp Chater N (2002) Perspectives on imitation from cognitive neuroscience to social science Royaumont Abbey France 24‐26 May Nadel J amp Butterworth G (1999) Imitation in Infancy Cambridge University Press ‐ Meltzoff A amp Decety J (2003) What imitation tells us about social cognition a rapprochement between developmental

psychology and cognitive neuroscience Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 358 491‐500 Meltzoff A amp Moore K (1977) Imitatoin of facial and manual gestures by human neonates Science 198 75‐78 ‐ Meltzoff A amp Moore K (1983) Newborn infants imitate adult facial gestures Child Development 54 702‐709 Meltzoff A amp Moore K (1989) Imitation in newborn infants exploring the range of gestures imitated and the underlying mechanisms Developmental Psychology 25 945‐962 Monod Jacques (1970) Le hasard et la neacutecessiteacute Seuil Ramachandran V (2000) Mirror neurons and imitation learning as the driving force behind ʺthe great leap forwardʺ in human evolution httpwwwedgeorgdocumentsarchiveedge69html Rizzolati G Fadiga L Fogassi L amp Gallese V (1996a) Premotor cortex and the Recognition of motor actions Cognitive Brain Research 3 131‐141 Tarde Gabriel Les lois de lʹimitation Paris 3egraveme eacuted revue et augmenteacutee 1900 Trevarthen C Kokkinaki T amp Fiamenghi Jr G (1999) What infantsʹ imitations communicate with mothers with fathers with peers In Imitation in Infancy (ed Nadel J amp ‐ Butterworth G) pp 9‐35 Cambridge University Press

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manquer de provoquer un hellip conflit Voilagrave que la mimeacutesis peut ecirctre la source de conflits de violence si lʹon voit que les comportements dʹacquisition et dʹappropriation (le fait de prendre un objet pour soi) sont aussi susceptibles dʹecirctre imiteacutes Lagrave chose est claire et pourtant ‐ chose eacutetrange et remarquable ‐ ce type de comportement fort important pour les primates et pour les humains nʹa pas eacuteteacute incorporeacute dans la recherche sur lʹimitation

Ce nʹest pas un hasard sans doute si le type de comportement systeacutematiquement exclu par toutes les probleacutematiques de lʹimitation de Platon jusquʹagrave nos jours est celui auquel on ne peut pas songer sans deacutecouvrir aussitocirct lʹinexactitude flagrante de la conception quʹon se fait toujours de cette ʹfaculteacuteʹ le caractegravere proprement mythique des effets uniformeacutement greacutegaires et leacutenifiants quʹon ne cesse de lui attribuer Si le mimeacutetique chez lʹhomme joue bien le rocircle fondamental que tout deacutesigne pour lui il doit forceacutement exister une imitation acquisitive ou si lʹon preacutefegravere une mimeacutesis dʹappropriation dont il importe dʹeacutetudier les effets et de peser les conseacutequences (Girard 1978)

Cette remarque pourtant eacutevidente a dʹeacutenormes conseacutequences pour notre compreacutehension de lʹhomme La mimesis devient ‐ du coup ‐ fort paradoxale elle peut ecirctre source dʹempathie de conformisme mais aussi de rivaliteacute Donnons encore un exemple simple mecircme banal dʹune rivaliteacute qui naicirct de la mimeacutesis Imaginons deux bambins dans une piegravece pleine de jouets identiques Le premier prend un jouet mais il ne semble pas fort inteacuteresseacute par lʹobjet Le second lʹobserve et essaie dʹarracher le jouet agrave son petit camarade Celui‐lagrave nʹeacutetait pas fort captiveacute par la babiole mais ‐ soudain ‐ parce que lʹautre est inteacuteresseacute cela change et il ne veut plus le lacirccher Des larmes des frustrations et de la violence sʹensuivent Dans un laps de temps tregraves court un objet pour lequel aucun des deux nʹavait un inteacuterecirct particulier est devenu lʹenjeu dʹune rivaliteacute obstineacutee Il faut noter que tout dans ce deacutesir trop partageacute pour un objet impartageable est imitation mecircme lʹintensiteacute du deacutesir deacutependra de celui dʹautrui Cʹest ce que Girard appelle la rivaliteacute mimeacutetique eacutetrange processus de ʹfeedback positifʹ qui seacutecregravete en grandes quantiteacutes la jalousie lʹenvie et la haine

Conclusion Si lʹimitation est souvent dangereuse pour les singes il ne doit pas y en aller autrement pour les humains Souvent les singes ne risquent pas de se bagarrer agrave mort pour de la nourriture des partenaires un territoire etc parce quʹil existe chez eux des freins instinctifs agrave la violence des rapports de domination (des ʹdominance patternsʹ) Chez les hommes nous le savons ces freins instinctuels nʹexistent plus La violence intraspeacutecifique la ʹguerre de tous contre tousʹ pour reprendre le mot de Hobbes a du jouer un rocircle important dans lʹhominisation Comme le disait deacutejagrave Jacques Monod

laquo Dominant deacutesormais son environnement lʹHomme nʹavait devant soi dʹadversaire seacuterieux que lui‐mecircme La lutte intraspeacutecifique directe la lutte agrave mort devenait des lors lʹun des principaux facteurs de seacutelection dans lʹespegravece humaine Pheacutenomegravene extrecircmement rare dans lʹeacutevolution des animaux [hellip] Dans quel sens cette pression de seacutelection devait‐elle pousser lʹeacutevolution humaine raquo (Monod 1970)

Comment cet obstacle formidable quʹoppose la violence intraspeacutecifique agrave la creacuteation de toute socieacuteteacute humaine a eacuteteacute souleveacute Voilagrave une question importante Voilagrave la question qursquoa ducirc affronter Reneacute Girard apregraves avoir deacutecouvert lrsquoambiguiumlteacute de la mimeacutesis Il faut espeacuterer que les recherches interdisciplinaires sur lʹhomme vont scruter le problegraveme Et on ne peut pas ne pas le rencontrer sur sa route si lʹon contemple vraiment la nature extrecircmement paradoxale de lʹimitation humaine source dʹintelligence dʹempathie mais aussi de rivaliteacute de destruction

Notes (1) Aujourdʹhui cela nʹest plus une question On se demande deacutesormais comment les neurones miroirs opegraverent chez lʹhomme et en quoi cela est diffeacuterent des autres animaux Voir entre autres Buccino G Lui F Canessa N Patteri I Lagravinese G Benuzzi F Porro CA and Rizzolatti G (2004) Neural circuits involved in the recognition of actions performed by nonconspecifics An fMRI study J Cogn Neurosci 16 114‐126

(2) ʺThe human mind demonstrates a greater development of imitative phenomena throughout the lifespan both quantitatively and qualitativelyʺ (Garrels 2004) Shirley Fecteau ʺCeci montre que le meacutecanisme des neurones miroirs est actif dans le cerveau immature Lʹactivation est toutefois plus reacuteduite que celle observeacutee chez les adultes ce qui indique que ces reacuteseaux probablement en place degraves la naissance continuent de se deacutevelopper dans des stades ulteacuterieurs de lʹenfanceʺ Interview sur le forum ʹonlineʹ de lʹUniversiteacute de Montreacuteal httpwwwiforumumontrealcaForumArchivesForum2004‐2005041213article4195htm (3) ʺIt is clear that there is no place in Freudʹs theory of early infancy for imitative self‐other reciprocityʺ (Trevarthen Kokinaki amp Fiamenghi 1999 p 155) (4) Voir Reneacute Girard (1978 p 17) (5) Voici ce que disent Wohlschlager et Bekkering The goal‐directed theory of imitation allows imitators to learn from models even if the differences in motor skills or in body proportions are so huge that the imitator is physically unable to make the same movement as the model Whatever movement the imitator uses the purpose of learning by imitation can be regarded as being fulfilled as soon as he reaches the same goal as the model (Wohlschlager amp Bekkering 2002 p 104)

Il est aussi inteacuteressant de noter ‐ entre parenthegraveses ‐ que cette hypothegravese reacutecente semble aller un peu agrave lʹencontre de la theacuteorie ʹmeacutemeacutetiqueʹ de Richard Dawkins (1976 The Selfish Gene) Dawkins a forgeacute une theacuteorie assez fascinante de la culture en tenant compte de lʹimportance de lʹimitation et en extrapolant le schegraveme Darwinien vers le domaine des ideacutees La tentation est grande en effet pour un biologiste de comparer la seacutelection des ideacutees agrave lʹeacutevolution Darwinienne Six ans avant le fameux livre de Dawkins le prix Nobel franccedilais Jacques Monod eacutecrivait deacutejagrave agrave la fin de son livre Le Hasard et la Neacutecessiteacute sous le titre ʹla seacutelection des ideacuteesʹ

Il est tentant pour un biologiste de comparer lʹeacutevolution des ideacutees agrave celle de la biosphegravere Car si le Royaume abstrait transcende la biosphegravere plus encore que celle‐ci lʹunivers non vivant les ideacutees ont conserveacute certaines des proprieacuteteacutes des organismes Comme eux elles tendent agrave perpeacutetuer leur structure et agrave la multiplier comme eux elles peuvent fusionner recombiner seacutegreacuteger leur contenu comme eux enfin elles eacutevoluent et dans cette eacutevolution la seacutelection sans aucun doute joue un grand rocircle (p 181)

Mais ajoute Monod laquo Je ne me hasarderai pas agrave proposer une theacuteorie de la seacutelection des ideacutees ʺ Chez Dawkins lʹimitation la reproduction porte sur les ʹideacuteesʹ sur des uniteacutes dʹinformation (ʹmegravemesʹ) des repreacutesentations en somme Les recherches toutes reacutecentes nous montrent ‐ au contraire ‐ que lʹimitation humaine porte dʹabord sur des intentions Dans un cadre philosophique on peut dire que Meltzoff et autres deacutegagent deacutefinitivement la mimesis de son ancien contexte dʹideacutealisme platonicien (et ce platonisme ‐ dʹaucuns ont pu le remarquer ‐ semble toujours lagrave chez un Dawkins qui parle dʹideacuteosphegravere un peu comme Monod qui parlait du ʹRoyaume abstrait des ideacuteesʹ ce qui implique toujours la vieille conception platonicienne ‐ un peu mythique il faut lʹavouer ‐ selon laquelle les ideacutees ont une existence indeacutependante des hommes)

Sources Bushman B and Huesmann L (2001) ʺEffects of televised violence on aggressionʺ in DG Singer amp JL Singer (ed) Handbook of children and the media Thousand Oaks Sage pp 223‐254 Dawkins Richard (1976) The Selfish Gene Oxford University Press Garrells Scott R (2004) ʹImitation Mirror Neurons amp Mimetic desireʹ httpwwwcovr2004orggarrelspaperpdf Girard Reneacute (1961) Mensonge Romantique et Veacuteriteacute Romanesque (Paris Grasset) 1972) La violence et le sacreacute (Paris Grasset) (1978) Des Choses cacheacutees depuis la fondation du monde avec Jean‐Michel Oughourlian et Guy Lefort (Paris Grasset) Hurley S amp Chater N (2002) Perspectives on imitation from cognitive neuroscience to social science Royaumont Abbey France 24‐26 May Nadel J amp Butterworth G (1999) Imitation in Infancy Cambridge University Press ‐ Meltzoff A amp Decety J (2003) What imitation tells us about social cognition a rapprochement between developmental

psychology and cognitive neuroscience Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 358 491‐500 Meltzoff A amp Moore K (1977) Imitatoin of facial and manual gestures by human neonates Science 198 75‐78 ‐ Meltzoff A amp Moore K (1983) Newborn infants imitate adult facial gestures Child Development 54 702‐709 Meltzoff A amp Moore K (1989) Imitation in newborn infants exploring the range of gestures imitated and the underlying mechanisms Developmental Psychology 25 945‐962 Monod Jacques (1970) Le hasard et la neacutecessiteacute Seuil Ramachandran V (2000) Mirror neurons and imitation learning as the driving force behind ʺthe great leap forwardʺ in human evolution httpwwwedgeorgdocumentsarchiveedge69html Rizzolati G Fadiga L Fogassi L amp Gallese V (1996a) Premotor cortex and the Recognition of motor actions Cognitive Brain Research 3 131‐141 Tarde Gabriel Les lois de lʹimitation Paris 3egraveme eacuted revue et augmenteacutee 1900 Trevarthen C Kokkinaki T amp Fiamenghi Jr G (1999) What infantsʹ imitations communicate with mothers with fathers with peers In Imitation in Infancy (ed Nadel J amp ‐ Butterworth G) pp 9‐35 Cambridge University Press

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(2) ʺThe human mind demonstrates a greater development of imitative phenomena throughout the lifespan both quantitatively and qualitativelyʺ (Garrels 2004) Shirley Fecteau ʺCeci montre que le meacutecanisme des neurones miroirs est actif dans le cerveau immature Lʹactivation est toutefois plus reacuteduite que celle observeacutee chez les adultes ce qui indique que ces reacuteseaux probablement en place degraves la naissance continuent de se deacutevelopper dans des stades ulteacuterieurs de lʹenfanceʺ Interview sur le forum ʹonlineʹ de lʹUniversiteacute de Montreacuteal httpwwwiforumumontrealcaForumArchivesForum2004‐2005041213article4195htm (3) ʺIt is clear that there is no place in Freudʹs theory of early infancy for imitative self‐other reciprocityʺ (Trevarthen Kokinaki amp Fiamenghi 1999 p 155) (4) Voir Reneacute Girard (1978 p 17) (5) Voici ce que disent Wohlschlager et Bekkering The goal‐directed theory of imitation allows imitators to learn from models even if the differences in motor skills or in body proportions are so huge that the imitator is physically unable to make the same movement as the model Whatever movement the imitator uses the purpose of learning by imitation can be regarded as being fulfilled as soon as he reaches the same goal as the model (Wohlschlager amp Bekkering 2002 p 104)

Il est aussi inteacuteressant de noter ‐ entre parenthegraveses ‐ que cette hypothegravese reacutecente semble aller un peu agrave lʹencontre de la theacuteorie ʹmeacutemeacutetiqueʹ de Richard Dawkins (1976 The Selfish Gene) Dawkins a forgeacute une theacuteorie assez fascinante de la culture en tenant compte de lʹimportance de lʹimitation et en extrapolant le schegraveme Darwinien vers le domaine des ideacutees La tentation est grande en effet pour un biologiste de comparer la seacutelection des ideacutees agrave lʹeacutevolution Darwinienne Six ans avant le fameux livre de Dawkins le prix Nobel franccedilais Jacques Monod eacutecrivait deacutejagrave agrave la fin de son livre Le Hasard et la Neacutecessiteacute sous le titre ʹla seacutelection des ideacuteesʹ

Il est tentant pour un biologiste de comparer lʹeacutevolution des ideacutees agrave celle de la biosphegravere Car si le Royaume abstrait transcende la biosphegravere plus encore que celle‐ci lʹunivers non vivant les ideacutees ont conserveacute certaines des proprieacuteteacutes des organismes Comme eux elles tendent agrave perpeacutetuer leur structure et agrave la multiplier comme eux elles peuvent fusionner recombiner seacutegreacuteger leur contenu comme eux enfin elles eacutevoluent et dans cette eacutevolution la seacutelection sans aucun doute joue un grand rocircle (p 181)

Mais ajoute Monod laquo Je ne me hasarderai pas agrave proposer une theacuteorie de la seacutelection des ideacutees ʺ Chez Dawkins lʹimitation la reproduction porte sur les ʹideacuteesʹ sur des uniteacutes dʹinformation (ʹmegravemesʹ) des repreacutesentations en somme Les recherches toutes reacutecentes nous montrent ‐ au contraire ‐ que lʹimitation humaine porte dʹabord sur des intentions Dans un cadre philosophique on peut dire que Meltzoff et autres deacutegagent deacutefinitivement la mimesis de son ancien contexte dʹideacutealisme platonicien (et ce platonisme ‐ dʹaucuns ont pu le remarquer ‐ semble toujours lagrave chez un Dawkins qui parle dʹideacuteosphegravere un peu comme Monod qui parlait du ʹRoyaume abstrait des ideacuteesʹ ce qui implique toujours la vieille conception platonicienne ‐ un peu mythique il faut lʹavouer ‐ selon laquelle les ideacutees ont une existence indeacutependante des hommes)

Sources Bushman B and Huesmann L (2001) ʺEffects of televised violence on aggressionʺ in DG Singer amp JL Singer (ed) Handbook of children and the media Thousand Oaks Sage pp 223‐254 Dawkins Richard (1976) The Selfish Gene Oxford University Press Garrells Scott R (2004) ʹImitation Mirror Neurons amp Mimetic desireʹ httpwwwcovr2004orggarrelspaperpdf Girard Reneacute (1961) Mensonge Romantique et Veacuteriteacute Romanesque (Paris Grasset) 1972) La violence et le sacreacute (Paris Grasset) (1978) Des Choses cacheacutees depuis la fondation du monde avec Jean‐Michel Oughourlian et Guy Lefort (Paris Grasset) Hurley S amp Chater N (2002) Perspectives on imitation from cognitive neuroscience to social science Royaumont Abbey France 24‐26 May Nadel J amp Butterworth G (1999) Imitation in Infancy Cambridge University Press ‐ Meltzoff A amp Decety J (2003) What imitation tells us about social cognition a rapprochement between developmental

psychology and cognitive neuroscience Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 358 491‐500 Meltzoff A amp Moore K (1977) Imitatoin of facial and manual gestures by human neonates Science 198 75‐78 ‐ Meltzoff A amp Moore K (1983) Newborn infants imitate adult facial gestures Child Development 54 702‐709 Meltzoff A amp Moore K (1989) Imitation in newborn infants exploring the range of gestures imitated and the underlying mechanisms Developmental Psychology 25 945‐962 Monod Jacques (1970) Le hasard et la neacutecessiteacute Seuil Ramachandran V (2000) Mirror neurons and imitation learning as the driving force behind ʺthe great leap forwardʺ in human evolution httpwwwedgeorgdocumentsarchiveedge69html Rizzolati G Fadiga L Fogassi L amp Gallese V (1996a) Premotor cortex and the Recognition of motor actions Cognitive Brain Research 3 131‐141 Tarde Gabriel Les lois de lʹimitation Paris 3egraveme eacuted revue et augmenteacutee 1900 Trevarthen C Kokkinaki T amp Fiamenghi Jr G (1999) What infantsʹ imitations communicate with mothers with fathers with peers In Imitation in Infancy (ed Nadel J amp ‐ Butterworth G) pp 9‐35 Cambridge University Press

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psychology and cognitive neuroscience Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 358 491‐500 Meltzoff A amp Moore K (1977) Imitatoin of facial and manual gestures by human neonates Science 198 75‐78 ‐ Meltzoff A amp Moore K (1983) Newborn infants imitate adult facial gestures Child Development 54 702‐709 Meltzoff A amp Moore K (1989) Imitation in newborn infants exploring the range of gestures imitated and the underlying mechanisms Developmental Psychology 25 945‐962 Monod Jacques (1970) Le hasard et la neacutecessiteacute Seuil Ramachandran V (2000) Mirror neurons and imitation learning as the driving force behind ʺthe great leap forwardʺ in human evolution httpwwwedgeorgdocumentsarchiveedge69html Rizzolati G Fadiga L Fogassi L amp Gallese V (1996a) Premotor cortex and the Recognition of motor actions Cognitive Brain Research 3 131‐141 Tarde Gabriel Les lois de lʹimitation Paris 3egraveme eacuted revue et augmenteacutee 1900 Trevarthen C Kokkinaki T amp Fiamenghi Jr G (1999) What infantsʹ imitations communicate with mothers with fathers with peers In Imitation in Infancy (ed Nadel J amp ‐ Butterworth G) pp 9‐35 Cambridge University Press