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7/31/2019 6546017 Etienne Klein Le Temps de La Physique
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ETIENNE KLEIN
LLLLLLLLEEEEEEEE TTTTTTTTEEEEEEEEMMMMMMMMPPPPPPPPSSSSSSSS
DDDDDDDDEEEEEEEE LLLLLLLLAAAAAAAAPPPPPPPPHHHHHHHHYYYYYYYYSSSSSSSSIIIIIIIIQQQQQQQQUUUUUUUUEEEEEEEE11
En dpit de son allure familire, le temps suscite des impasses et
des paradoxes de toute sorte, dont le nombre semble grandir avec la
pntration du regard. La premire difficult, dj repre par saint
Augustin, est que le mot temps ne dit pratiquement rien de la chose qu'il est
cens exprimer. Le mot temps dsigne - en apparence - l'objet d'un savoir et
d'une exprience immdiats, mais il se perd dans les brumes ds qu'on veut
en saisir le contenu. Bien sr, on peut tenter de dfinir le temps: dire qu'il
est ce qui passe quand rien ne se passe; qu'il est ce qui fait que tout se fait
ou se dfait; qu'il est l'ordre des choses qui se succdent; qu'il est le devenir
en train de devenir; ou, plus plaisamment, qu'il est le moyen le plus
commode qu'a trouv la nature pour que tout ne se passe pas d'un seul
1 Texte publi dans Dictionnaire de l'ignorance, Albin Michel, 1998, ouvrage collectifsous la direction de Michel Cazenave; reproduit dans notre Bulletin avecl'autorisation de l'auteur.
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coup. Mais toutes ces expressions prsupposent ou contiennent dj l'ide
du temps. Elles n'en sont que des mtaphores, impuissantes rendre
compte de sa vritable intgrit. D'o une certaine frustration, dont seul (mon avis) Ludwig Wittgenstein peut nous librer: "Un mot, crit-il dans ses
Carnets Bleus, n'a pas un sens qui lui soit donn pour ainsi dire par une
puissance indpendante de nous, de sorte qu'il pourrait ainsi y avoir une
sorte de recherche scientifique sur ce que le mot veut rellement dire. Un
mot a le sens que quelqu'un lui a donn". Ainsi, il faut reconnatre que le
sens d'un mot n'est rien d'autre que les faons qu'on a de s'en servir, sans
qu'on soit sr qu'il y ait quelque chose derrire. Il n'y a pas se poser la
question d'une vrit qu'il dtienne ou qu'ils masque.
De fait, les physiciens sont parvenus faire du temps un concept
opratoire sans tre capables de dfinir prcisment ce mot. De faon
gnrale, nous mditons sur le temps sans trop savoir quel type d'objet
nous avons affaire. Le temps est-il un objet naturel, un aspect des processus
naturels, un objet culturel? Est-ce parce que nous le dsignons par un
substantif que nous croyons abusivement son caractre d'objet? Qu'est-ce
donc qu'indiquent vraiment les horloges quand nous disons qu'elles
donnent l'heure2? Est-ce parce que nous sommes capables de mesurer le
temps que de nombreuses locutions familires suggrent que le temps est
un objet physique? Mais l'ide que nous avons du temps est-elle un fidle
dcalque de la ralit? En temps qu'objet de rflexion, ne se ramne-t-il pas
plutt une reprsentation forge par l'individu? Le temps existe-t-il
autrement que par les traces qu'il laisse dans l'espace (coulements,
rosions, battements rguliers, cycles...)?
Une deuxime difficult vient de ce que nous ne pouvons pas nous
mettre en retrait par rapport au temps, comme nous ferions pour un objet
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ordinaire. Nous pouvons le mesurer, mais pas l'observer en le mettant
distance, car il nous affecte sans cesse. Nous sommes inexorablement dans
le temps.Une troisime difficult vient de ce que le temps n'est une "matire"
aucun de nos cinq sens. Il n'est pas perceptible en tant que phnomne
brut. Les expriences des splonautes, ces hommes (et ces femmes) qui
ont vcu plusieurs mois dans des grottes ou des bunkers, coups de tous les
cycles temporels externes et donc livrs leurs seuls rythmes biologiques,
ont bien tabli l'impossibilit de palper l'paisseur du temps lorsque tous les
repres extrieurs ont disparu.
Enfin, il y a le paradoxe, et mme le prodige, de la ralit du temps.
Puisque le pass n'est plus, que l'avenir n'est pas encore, puisque le prsent
lui-mme a dj fini d'tre ds qu'il est sur le point de commencer,
comment pourrait-on concevoir un tre du temps? Comment pourrait-il y
avoir une existence du temps si le temps n'est ainsi compos que
d'inexistences? De fait, le temps est toujours disparaissant3. Son mode
d'tre est de ne pas tre. "Il ne se montre que ni", crit Marcel Conche4.
Pourtant, si l'on devait penser que le temps n'est rien, il faudrait d'un seul
coup nier la globalit de notre exprience humaine. Serions-nous prts
assumer toutes les consquences de cette hypothse? Qui pourrait nier par
exemple la "pression" qu'exerce sur nous le temps par le biais des
calendriers, des horloges, des horaires, d'une faon parfois discrte, mais
omniprsente et inluctable5? Pas plus que nous ne pouvons concevoir
2 Le temps ordinaire se montre dans "la prsentification de l'aiguille qui avance"
(Heidegger, l'tre et le Temps, 81)3 Ludwig Wittgenstein se demandait: "O va le prsent quand il devient pass, et
o est le pass?" Voil, disait-il, une des plus grandes sources d'embarrasphilosophique.4 Marcel Conche, Temps et destin, PUF, 1992.5 Cette pression est trs forte dans les socits dont le mode de vie est occidental.
La sagesse africaine dit que "ceux qui ont des montres n'ont pas le temps".
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l'existence du temps, pas plus n'en pouvons nous concevoir l'inexistence.
Il y a au moins deux sortes de temps: le temps physique, celui des
horloges, et le temps subjectif, celui de la conscience. Le premier est censne pas dpendre de nous, il est rput uniforme et nous savons le
chronomtrer. Le second, le temps que l'on mesure de l'intrieur de soi,
dpend videmment de nous et ne s'coule pas uniformment: sa fluidit est
mme si variable que la notion de dure prouve n'a qu'une consistance
trs relative. Il n'y a vraisemblablement pas deux personnes qui, dans un
temps donn, comptent un nombre gal d'instants. Il a t prouv que notre
estimation des dures varie notablement avec l'ge, et surtout avec la
signification et l'intensit des vnements qui se produisent. Notre temps
psychologique est lastique.
L'irrductibilit de ces deux sortes de temps semble insurmontable.
Les tentatives pour driver le temps du "monde" du temps de "l'me" ou
celui-ci de celui-l paraissent indfiniment condamnes l'chec. Cette
aporie apparat dj autour de la structure du prsent, fracture entre deux
modalits: l'instant ponctuel, rduit une coupure entre un avant et un
aprs illimits, et le prsent vivant, gros d'un pass immdiat et d'un futur
imminent. Aucune de nos sensations n'indique l'alchimie par laquelle une
succession d'instants parvient s'paissir en dure (nous ne sentons pas les
instants). Rien ne dit mieux cette conflictualit irrductible du temps du
monde et du temps de l'me, que la posie la plus populaire, celle o l'on
dit que la vie est brve, les amours phmres et la mort certaine.
Les scientifiques de toute discipline sont confronts au temps. Je
parlerai surtout des physiciens. Il peut sembler curieux d'associer le temps
et la physique. Celle-ci cherche en effet, sans se l'avouer toujours,
liminer le temps. Le temps est associ au variable, l'instable,
l'phmre, tandis que la physique, elle, est la recherche de rapports quisoient soustraits au changement. Lors mme qu'elle s'applique des
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processus qui ont une histoire ou une volution, c'est pour y discerner soit
des substances et des formes, soit des lois et des rgles indpendantes du
temps. Dans son dsir d'accder un point de vue quasi divin sur la nature,la physique prtend l'immuable et l'invariant. Mais dans sa pratique, elle
se heurte au temps. Reprenons la mtaphore classique comparant le temps
un fleuve qui coule. Elle voque les notions d'coulement, de succession,
de dure, d'irrversibilit. Ces symboles font partie du questionnement des
physiciens. Est-il question d'coulement? Les physiciens se demandent si
l'coulement du temps est lastique ou non. La physique classique, sur ce
point, ne rpond pas comme la relativit. Est-il question de dure? Les
cosmologistes, quant eux, aimeraient savoir si le temps a eu un dbut et
s'il aura une fin. Enfin, l'instar du fleuve, le temps a un cours: il s'coule
inexorablement du pass vers l'avenir (ce cours irrversible n'est pas un
caractre du temps parmi d'autres caractres, il estla temporalit mme du
temps). Mais qu'en est-il des phnomnes qui se droulent dans le temps,
s'interrogent les physiciens? Leur sens peut-il ou non s'inverser? C'est la
fameuse question de la rversibilit - ou de l'irrversibilit - des lois
physiques.
Le temps s'incarne en physique sous la forme d'un nombre rel, le
paramtre . Il n'a donc qu'une dimension (un seul nombre suffit
dterminer une date) et on peut fixer sa direction d'coulement (il est
orientable). Une telle figuration du temps postule implicitement qu'il n'y a
qu'un temps la fois et que ce temps est continu. Elle s'appuie sur notre
exprience intrieure la plus sre, qui nous prsente parfois des vnements
qui se chevauchent, mais jamais de lacunes: il ne cesse jamais d'y avoir du
temps qui passe. Contrairement celle de l'espace, la topologie du temps
est trs pauvre. Elle n'offre que deux variantes, la ligne ou le cercle, c'est--
dire le temps linaire, qui va de l'avant, ou le temps cyclique, qui fait des
boucles. Ce dernier, favoris par le caractre magique du cercle, a prvalu
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dans la plupart des mythes mais il est aujourd'hui dlaiss par la physique
parce qu'il ne respecte pas le principe de causalit. Ce principe, indiquant
qu'une cause ne peut qu'tre antrieure ses effets, impose au temps d'avoirune structure ordonne de faon ce qu'on puisse toujours dire si un point
se situe avant ou aprs un autre point. Les vnements peuvent alors tre
ordonns selon un enchanement irrmdiable, de sorte qu'on ne peut
rtroagir dans le pass pour modifier une squence d'vnements qui ont
dj eu lieu. En brouillant les notions de cause et d'effet, un temps cyclique
n'offrirait pas de telles garanties.
On trouve le paramtre reprsentant le temps dans toutes les
quations de la physique, sous une forme plus ou moins explicite. Cette
omniprsence n'est-elle pas incongrue dans la mesure o la physique,
comme nous l'avons dit, tend nier le temps en faisant appel des " idaux
immobiles "? Pour rpondre cette question, il faudrait examiner comment
le concept d'histoire, qui suppose que le monde se modifie au cours du
temps, est li celui de loi, qui voque au contraire l'immuabilit. Le
monde doit-il tre vu plutt comme un systme ou plutt comme une
histoire? De ce point de vue, la physique d'aujourd'hui demeure cartele
entre deux piliers de la pense grecque: d'un ct Parmnide, le philosophe
de l'tre et de l'immobilit fondamentale; de l'autre, Hraclite, le
philosophe du devenir et de la mouvance, qui voyait le temps comme un
pur devenir, comme un flux toujours en mouvement6. Ce vieux dbat n'a
cess d'opposer, au travers des ges, deux camps: d'un ct celui qui
comprend Newton et Einstein, partisans d'une radication du temps en
physique; de l'autre, celui qui compte des physiciens persuads que
l'irrversibilit est en fait prsente toutes les chelles de la physique, mais
qu'on a eu tort de l'oublier. La physique a-t-elle vocation dcrire
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l'immuable ou bien doit-elle tre la lgislation des mtamorphoses? Telle
est la question.
On peut aussi se demander si cette omniprsence du temps est lamarque d'une universalit ou bien si elle reflte une juxtaposition de statuts
particuliers. Tous ces temps qui apparaissent dans les quations sont-ils
identiques ou bien distincts? Le temps de la thermodynamique est-il le
mme que celui de la mcanique ou de la cosmologie? Examinons ces
questions la lumire du problme de l'irrversibilit.
Le temps subjectif a manifestement une structure dissymtrique. Le
pass nous semble crit, fig. Nous pouvons certes nous souvenir de lui
mais nous ne pouvons plus le sentir passer. Quant au futur, si tendue que
soit notre volont, il nous parat incertain, sans attache solide avec le rel, a
priori multiple. Dans la vie courante, pass et futur ne sont pas quivalents.
Qu'en est-il de la rversibilit des phnomnes physiques? Font-ils
eux aussi la distinction entre la pass et l'avenir? Mme si cela a de quoi
surprendre, ce problme, dit de la flche du temps, n'est pas aujourd'hui
rsolu de manire satisfaisante: les dveloppements modernes de la
physique ont compliqu la fois la question pose et les rponses qu'on lui
donne. Le statut du temps n'a cess de changer. A ses dbuts, la physique a
labor un concept de temps cens reprsenter (avec l'espace) le cadre
naturel dans lequel les phnomnes se produisent. Plus tard, les ncessits
mmes de la physique amneront un renversement de point de vue,
notamment avec la thorie de la relativit et la cosmologie, en faisant voir
que le temps et l'espace ne sont pas le contenant ou la forme des
phnomnes, mais que ce sont au contraire les phnomnes physiques eux-
mmes qui les dfinissent et les dterminent.
C'est avec Galile qu'est apparu pour la premire fois le temps
6 Platon, lui, insistait sur la permanence du temps comme totalit. Il voyait dans le
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comme grandeur physique fondamentale, par quoi il faut entendre une
grandeur quantifiable susceptible d'ordonner des expriences et de les relier
mathmatiquement7
. Le temps physique reprsente donc une ramificationtrs tardive du temps social. Galile tudiait la chute des corps par
l'utilisation trs astucieuse de plans inclins. Il ralisa que si le temps,
plutt que par exemple l'espace parcouru, tait choisi comme le paramtre
fondamental, alors la chute des corps obissait une loi simple: la vitesse
acquise est simplement proportionnelle la dure de la chute. La
dynamique moderne tait ne.
Newton, le premier, donna dans ses Principia une dfinition du
temps de la mcanique, la faisant reposer sur un postulat assez complexe: le
temps s'coule uniformment, il est universel et absolu. Cette conception
sous-tend, avec une efficacit remarquable, les principes de sa mcanique.
Le mouvement des corps dans l'espace est dcrit en donnant leurs positions
des instants successifs. Dans les calculs de trajectoires, le temps apparat
comme un paramtre externe de la dynamique, dont Newton a postul qu'il
s'coule du pass vers le futur, selon un cours invariable. Mais,
curieusement, les quations de Newton sont telles qu'on peut explorer avec
les mmes mthodes mathmatiques le pass et l'avenir. En effet, lorsqu'on
inverse le sens du temps, la loi fondamentale de la dynamique reste
invariante. toute volution du pass vers l'avenir, elle associe l'existence
d'une volution symtrique de l'avenir vers le pass. Autrement dit, tout ce
que la nature fait, elle pourrait le dfaire selon le mme processus. Les
phnomnes newtoniens, dans les cas idaux o il n'y a pas de frottement,
temps "l'image mobile de l'ternit immobile" (Time, 37d).7 Jusqu' l'poque de Galile, ce que nous appelons "temps" tait centr avant tout
sur des communauts humaines. Le temps servait essentiellement aux hommes de
moyen d'orientation dans l'univers social et de mode de rgulation de leurcoexistence, mais il n'intervenait pas de faon exlicite et quantitative dans l'tudedes phnomnes naturels (voir sur ce point le livre de Norbert Elias, Du temps,Fayard, 1997).
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sont donc rversibles. Le temps de Newton est scrupuleusement neutre. Il
ne cre pas, il ne dtruit pas non plus. Il ne fait que battre la mesure et
baliser les trajectoires. Il coule identiquement lui-mme,imperturbablement. Il trne hors de l'histoire. C'est un temps indiffrent,
sans qualit, sans accident, qui rend quivalents entre eux tous les instants.
Plus tard, prenant acte de cette dissociation newtonienne entre le cadre
spatio-temporel des vnements et les vnements eux-mmes, Emmanuel
Kant fera du temps et de l'espace les formes a priori de la sensibilit, celles
qui conditionnent justement la possibilit de la connaissance des
phnomnes.
La rversibilit des lois newtoniennes a t ressentie comme un
scandale par plusieurs savants du XIXe sicle, notamment Ludwig
Boltzmann, Willard Gibbs, Ernst Zermelo, Joseph Loschmidt, et plus
rcemment Ilya Prigogine. La grande majorit des vnements dont nous
sommes tmoins ne sont-ils pas irrversibles? En gnral, lorsqu'un film est
projet l'envers (ce qui revient inverser le cours du temps), nous nous en
rendons compte immdiatement, et cela nous fait presque toujours rire.
Mais comment rendre compte de cette irrversibilit par les lois
physiques? Au dbut du XIXe sicle, Sadi Carnot dmontra que la
transformation de la chaleur en nergie mcanique tait limite par le sens
unique dans lequel s'effectuent les transferts de chaleur (du chaud vers le
froid uniquement), comme si la chaleur portait en elle une qualit spciale
en rapport avec l'irrversibilit. SesRflexions sur la puissance motrice du
feu, publies en 1824, contiennent les prmices du deuxime principe de la
thermodynamique, nonc sous sa forme dfinitive par Rudolph Clausius
en 1865. Cette loi postule d'abord l'existence, pour tout systme physique,
d'une grandeur appeleentropie, fixe par l'tat physique du systme, et qui
reprsente le degr de dsordre prsent dans le systme. Le deuximeprincipe indique ensuite que la quantit d'entropie contenue dans un
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systme isol ne peut que crotre lors d'un quelconque vnement physique.
C'est bien parce que l'entropie totale d'un morceau de sucre et d'une tasse
de caf non sucr est infrieure l'entropie d'une tasse de caf sucr que lemorceau de sucre n'a pas d'autre choix que de se dissoudre dans la tasse. Ce
phnomne est irrversible: le sucre en train de fondre au fond de la tasse
de caf ne reprendra jamais sa forme paralllpipdique ni d'ailleurs sa
blancheur. Le deuxime principe semble bien s'accorder avec notre
sensation d'une direction bien tablie du sens des phnomnes. Du moins
premire vue....
Car, comme toujours, il faut regarder les choses de plus prs. Parmi
les quations de la physique, il y a celles qui sont fondamentales, au sens
o elles rendent compte des comportements de base de la matire et, en
principe, expliquent tout. On les qualifie de microscopiques, car elles
concernent essentiellement les "briques lmentaires", atomes ou autres
molcules, partir desquelles la matire sous toutes ses formes est cense
se construire. Le point important ici est que toutes les quations
microscopiques de la physique sont rversibles: lorsque l'on y fait s'couler
la variable temps dans un certain sens, par exemple vers le futur, les
quations dcrivent un certain mouvement des particules; si l'on fait
s'couler la variable temps dans l'autre sens, le mouvement calcul est le
mme que prcdemment, mais dcrit en sens inverse. Aucun de ces deux
mouvements ne peut tre dit plus physique ou moins physique que l'autre.
C'est pour cela que l'on dit que les quations microscopiques sont
rversibles. Mais ct de ces quations microscopiques, il y en a d'autres,
qui rsument un comportement plus global de la matire. Ces quations,
dites macroscopiques, dcrivent des phnomnes qui se produisent une
chelle proche de la ntre. Elles sont irrversibles. Par exemple, l'quation
de la chaleur tablie par Joseph Fourier en 1811 indique que celle-ci nepeut circuler qu'en sens unique, du chaud vers le froid, et non l'inverse.
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Si l'on admet qu'un comportement global n'est jamais que
l'assemblage d'un grand nombre d'vnements lmentaires, alors les
quations macroscopiques devraient pouvoir tre dduites des quationsmicroscopiques. Pourtant, les unes sont rversibles, les autres non. Par quoi
raccorder les deux bouts de la chane? Comment comprendre l'existence
mme de l'entropie, fonction dissymtrique par rapport au temps de l'tat
macroscopique du systme, alors que l'on sait que l'volution
microscopique du matriau est symtrique? Voulant approfondir cette
question, Ludwig Boltzmann tenta de trouver un lien entre la mcanique
newtonienne et le second principe de la thermodynamique. Comme il est
impossible d'intgrer rigoureusement les comportements d'un trs grand
nombre de particules, Boltzmann eut recours aux lois de la statistique,
abandonnant le calcul explicite des trajectoires pour celui des probabilits.
Il constata en 1872 qu'on pouvait construire une grandeur mathmatique,
fonction des positions et des vitesses des molcules du gaz, ayant une
proprit remarquable: sous l'influence des collisions entre les molcules,
elle ne peut que diminuer au cours de l'volution vers l'quilibre, ou rester
constante si le gaz est dj l'quilibre (auquel cas tout se passe comme si
le temps ne s'coulait plus). Elle est donc, au signe prs, l'analogue de
l'entropie. Ainsi, l'agrgation statistique des quations rversibles de la
dynamique des particules conduit-elle une quation macroscopique
irrversible. Cela conduisit Boltzmann interprter l'irrversibilit comme
rsultant d'une volution d'un macro-tat peu probable vers un macro-tat
plus probable. La croissance de l'entropie d'un systme isol exprimerait
simplement la tendance moyenne, manifeste par ce systme, d'voluer
vers des tats de plus en plus probables l'chelle des molcules, c'est--
dire vers des tats de plus en plus dsordonns. La flche
thermodynamique du temps ne serait autre que celle qui va de l'ordre versle dsordre.
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Ainsi l'irrversibilit semble-t-elle surgir - presque
miraculeusement - au bout des calculs. Mais ces calculs interprtent
l'irrversibilit comme n'tant qu'une ralit statistique propre aux systmesmacroscopiques, c'est--dire contenant un trs grand nombre de degrs de
libert. Au niveau microscopique, les phnomnes restent, eux, rversibles.
L'irrversibilit ne serait donc qu'une proprit mergente caractristique
des seuls systmes complexes. Elle serait de fait, non de principe.
De l dire que le temps lui-mme n'est qu'illusion, il n'y a qu'un
pas que d'aucuns ont franchi, et non des moindres. Einstein lui-mme a
crit dans sa correspondance prive (lettre crite le 21 mars 1955 aprs la
mort de son ami Michele Besso la famille de ce dernier) que "pour nous
autres, physiciens convaincus, la distinction entre pass, prsent et futur
n'est qu'une illusion, mme si elle est tenace". Mme si son point de vue sur
la question n'a pas toujours t aussi radical (peut-tre voulait-il seulement
consoler les proches du dfunt?), il reste qu'Einstein esprait bien liminer
la notion d'irrversibilit en ramenant la physique une pure gomtrie,
c'est--dire une forme sans histoire8.
D'autres physiciens, en revanche, jugent impossible de soutenir que
l'irrversibilit procde de notre ignorance des "dtails fins" ou de notre
subjectivit humaine. Quelque chose d'essentiel, pensent-ils, a d chapper
la physique. Ilya Prigogine, qui dfend ce point de vue, confesse
volontiers l'influence cruciale qu'eut sur lui la phrase de Henri Bergson:
"Le temps est invention, ou il n'est rien du tout"9 (le mot invention est
prendre ici au sens de nouveaut cratrice, non au sens de chimre). Selon
lui, l'irrversibilit macroscopique est l'expression d'un caractre alatoire
8 A la fin de sa vie, Einstein semble avoir chang d'avis. En 1949, Kurt Gdel
proposa un modle cosmologique dans lequel il tait possible de voyager vers son
propre pass. Einstein ne fut pas convaincu, reconnaissant qu'il tait incapable decroire que l'on puisse "tlgraphier vers son pass" (voir Ilya Prigogine, La fin descertitudes, Editions Odile Jacob, 1996).
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du niveau microscopique. Loin d'tre une affaire de point de vue, elle serait
inhrente la nature. Il crit: "La description statistique introduit les
processus irrversibles et la croissance de l'entropie, mais cette descriptionne doit rien notre ignorance ou un quelconque trait anthropocentrique.
Elle rsulte de la nature mme des processus dynamiques"10. Ainsi, au lieu
de dire qu'il n'y a pas de flche du temps, mais que le niveau
macroscopique cre l'illusion qu'il y en a une, Prigogine proclame qu'il y a
une flche du temps, mais que le niveau microscopique cre l'illusion qu'il
n'y en a pas. A ce sujet, les controverses sont nombreuses. Il reste en
particulier dterminer prcisment comment la flche du temps
parviendrait percer l'harmonieux difice de la physique classique, si
notoirement indiffrent au message d'irrversibilit qu'elle porte. Le dbat
est notablement compliqu par le fait que la physique classique n'est pas
seule en course. La physique moderne, c'est aussi la relativit restreinte, la
relativit gnrale, la mcanique quantique, la thorie des champs, la
cosmologie, bref, de nombreux formalismes qui se compltent, voire se
contredisent. Il nous revient de mettre un peu d'ordre dans ce foisonnement,
au moins propos du temps.
Dans les premires annes de ce sicle, Einstein tente de concilier
l'lectromagntisme de Maxwell et le principe de relativit de la
mcanique. Il trouve la solution dans une redfinition de l'espace et du
temps, introduisant le concept d'espace-temps, en remplacement des
concepts jusqu'alors spars d'espace et de temps. Si l'on change de
rfrentiel galilen dans l'espace-temps, le temps se transforme en partie en
espace, et l'espace se transforme en partie en temps. Consquence
philosophique: le temps perd son idalit newtonienne, il cesse d'tre
extrieur l'espace et se met dpendre de la dynamique. Consquence
9Evolution cratrice (1916), PUF, 1970, p. 341.
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pratique: les horloges, lorsqu'elles se dplacent en mouvement rapide dans
l'espace, ralentissent le rythme de leurs battements. Ce ralentissement des
horloges, qui mesure l'lasticit du temps de la relativit, est courammentobserv sur les particules lmentaires instables, par exemple sur les
muons. Les muons sont des sortes d'lectrons lourds produits naturellement
en haute atmosphre par le rayonnement cosmique, ou artificiellement lors
de collisions entre particules acclres haute nergie. Leur dure de vie
moyenne vaut 2,2 microsecondes. Toutefois, la thorie de la relativit
implique, et l'exprience tablit que l'intervalle de temps mesur entre lacration d'un muon et sa dsintgration ne concide avec la dure de vie
propre que si ce muon nat et meurt en un mme point de l'espace.
Autrement dit, cela ne vaut que s'il est immobile. Sinon, sa dure de vie
effective (et donc la longueur du trajet qu'il parcourt) dpend de son
nergie ou, si l'on prfre, de sa vitesse: plus il va vite et plus il dure
longtemps, au point que si sa vitesse est proche de celle de la lumire dansle vide, il a tout loisir de se manifester pendant un temps bien suprieur .
La thorie de la relativit oblige modifier bien d'autres
conceptions propos du temps. Notamment, la notion de simultanit cesse
d'tre absolue: des vnements qui sont dans le futur pour tel observateur
sont dans le pass pour tel autre et dans le prsent pour un troisime. En
d'autres termes, ce qui m'est prsent un certain instant n'existe plus ou pasencore pour quelqu'un d'autre en dplacement par rapport moi. Le mot
maintenant devient ambigu. Il existe dsormais autant d'horloges
fondamentales qu'il y a d'objets en mouvement uniforme. On ne peut pas
les synchroniser. Si l'on ajuste leurs cadrans un certain moment, les
heures indiques ne concident plus quelques instants plus tard. Chaque
observateur a l'impression que le temps indiqu par les horloges autres que
10 Ilya Prigogine, La fin des certitudes, Editions Odile Jacob, 1996, page 126.
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la sienne propre est dilat en raison, prcisment, du ralentissement des
horloges. Le temps n'a donc plus d'talon. Mais le principe de causalit est,
quant lui, conserv: si, pour un observateur, un vnement A est antrieur un vnement B et tel qu'un signal lumineux a le temps de partir de A
pour atteindre B, alors il en est de mme pour n'importe quel autre
observateur. Pass et futur gardent un caractre absolu. Passant d'un
rfrentiel galilen un autre, on peut, selon leur vitesse relative, modifier
le rythme du cours du temps mais on ne l'inverse jamais. Il faudrait pour
cela dpasser la vitesse de la lumire, ce que prcisment la thorie de la
relativit interdit11.
Venons-en maintenant la gravitation et ce qui semble tre
aujourd'hui sa bonne thorie, la relativit gnrale d'Einstein. Si l'on en
croit ses principes, la gravitation n'est pas une force s'exerant entre les
diffrents contenus matriels de l'univers. Elle est plutt une proprit
gomtrique de l'univers lui-mme. Cette insertion de la gravitation dans
l'espace-temps lui-mme l'oblige se dformer, se cabosser, autrement dit
devenir courbe. C'est au sein de cet espace-temps courbe que l'espace, le
temps et aussi la matire ont des intrigues fort compliques. Les quations
d'Einstein prvoient en effet que la densit de masse et d'nergie
conditionne la structure mme de l'espace-temps et que c'est cette structure
(qu'on appelle la mtrique de l'espace-temps) qui, en retour, dtermine la
dynamique et la trajectoire des objets contenus dans l'univers. Dans un tel
contexte, non seulement la vitesse des observateurs, mais aussi la masse
(l'intensit du potentiel gravitationnel) influent directement sur la vitesse
d'coulement du temps. Par ce biais, le temps est maintenant soumis aux
phnomnes.
11 Un voyage dans le temps impliquerait invitablement un cart entre le temps et
le temps, c'est--dire entre le temps extrieur et le temps "personnel" d'unvoyageur particulier.
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On pourrait s'attendre voir la cosmologie confirmer la vision d'un
espace-temps statique telle que la prne la relativit restreinte. Il n'en est
rien. La quasi-unanimit des physiciens s'accorde aujourd'hui sur desmodles d'univers particuliers, dits de big bang, dans lesquels on peut
dfinir un temps cosmologique, li l'expansion de l'univers. Sans pour
autant s'identifier au temps absolu de Newton, ce temps cosmologique
partage avec lui la proprit d'tre universel: des observateurs qui ne sont
soumis aucune acclration et ne subissent aucun effet gravitationnel
mutuel peuvent en effet synchroniser leurs montres, et celles-ci resteront en
phase tout au long de l'volution cosmique. De plus, comme le temps de
Newton, ce temps cosmologique s'coule toujours dans le mme sens, et
c'est ce qui permet de l'utiliser pour retracer l'histoire de l'univers.
Quant l'origine du temps cosmologique, l'instar de celle de
l'univers lui-mme, elle se perd dans les brumes aurorales de l'univers
primordial. En effet, admettre le modle du Big Bang, pour un physicien,
c'est reconnatre l'impossibilit d'extrapoler indfiniment vers le pass
l'aide des lois de la physique. Une telle extrapolation conduirait
infailliblement une impasse, c'est--dire un tat de l'univers dans lequel
les lois de la physique telles que nous les connaissons entreraient en conflit
les unes avec les autres, cause de l'incompatibilit des principes de la
physique quantique avec ceux de la relativit gnrale. Nous ne savons
donc rien de l'origine de l'univers, rien non plus de l'origine du temps, que
le terme origine soit pris ici au sens chronologique ou au sens explicatif.
Nous savons aujourd'hui que l'univers a eu une histoire. Est-ce
dire qu'il a eu un dbut? La question de l'origine surgit ainsi ds que l'on
voque l'ide d'un commencement. Aussitt, elle nous dpasse. Par
exemple, nous sommes incapables de savoir si l'univers a eu un prlude
temporel: est-il apparu dans un temps lui prexistant ou bien sonmergence a-t-elle t contemporaine de celle du temps? Peut-on concevoir
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le temps sans le changement? Pour qu'on puisse parler de changement, il
faut que quelque chose change, et ce quelque chose, c'est dj un univers...!
Venons-en la mcanique quantique, qui fut labore dans lespremires dcennies de ce sicle. La physique classique ne pouvant rendre
compte correctement du comportement des atomes, et en particulier des
interactions entre matire et lumire, elle fut remplace par un formalisme
rvolutionnaire, le formalisme quantique, dont la fcondit concerne
aujourd'hui toutes les branches de la physique. Pour dcrire l'tat d'un
systme quantique, par exemple une particule, on utilise un objet
mathmatique que l'on appelle la fonction d'onde du systme. En gnral,
cette dernire est une somme de plusieurs termes distincts, chacun des
termes correspondant une valeur possible d'une proprit physique du
systme (sa position, son nergie...). Une des originalits troublantes de la
physique quantique vient de ce qu'elle postule que lorsque l'on fait une
mesure sur le systme, par exemple une mesure de son nergie, il se produit
une modification brutale de la fonction d'onde: un seul terme de la somme
qu'elle contient subsiste, correspondant la valeur de l'nergie qui a t
effectivement mesure. On dit que la fonction d'onde a t rduite par la
mesure. D'aprs l'interprtation courante de la mcanique quantique, le
choix du terme de la somme qui subsiste aprs cette rduction est
parfaitement alatoire, la fonction d'onde avant la mesure permettant
seulement de calculer la probabilit que telle ou telle valeur soit
slectionne.
Qu'en est-il alors de la question du temps en physique quantique?
Pour simplifier, nous ne retiendrons de son formalisme que l'quation de
Schrdinger, qui est valable tant que les vitesses restent faibles par rapport
celle de la lumire. Elle permet de calculer l'volution au cours du temps
de la fonction d'onde associe toute particule. Cette quation estparfaitement rversible, et elle est tout aussi parfaitement dterministe. Le
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temps qu'elle manipule est donc a priori le temps newtonien. Mais si une
opration de mesure est faite sur le systme, un seul des rsultats de mesure
a priori possibles se ralise effectivement. La description mathmatique dusystme est modifie, de sorte qu'on peut dire que l'acte de mesure
implique la production irrversible d'une "marque" sur le systme, que
l'quation de Schrdinger ne dcrit pas. Notons que la flche qui apparat l
est plutt trange, puisque ce sont les mesures faites sur les systmes qui
interviennent dans la cration de l'irrversibilit.
En matire de temps, la physique des particules a elle aussi son mot
dire. Les thoriciens de cette discipline ont trs habilement su utiliser
toute la richesse du concept de symtrie. Chacun comprend bien par
exemple que l'image dans un miroir d'une exprience de physique n'est pas
identique l'exprience elle-mme: gauche et droite sont inverses. Mais
les physiciens ont longtemps cru que cette image correspondait aussi une
exprience de physique, ralisable comme l'autre en laboratoire. C'est cette
invariance de la physique par rflexion dans un miroir qu'on appelle la
conservation de la parit. L'opration qui, dans le formalisme, correspond
la rflexion dans un miroir, s'appelle en effet la parit. On la note P. Elle
consiste inverser les coordonnes spatiales des particules. On peut
dmontrer que le fait de dire d'une thorie qu'elle conserve la parit revient
dire qu'aucune exprience qui relve de cette thorie ne permettrait de
donner un sens absolu aux notions de droite et de gauche.
Il existe d'autres oprations de symtrie que la parit. Par exemple,
dans une raction faisant intervenir des particules et des antiparticules, on
peut par la pense remplacer chaque particule par son antiparticule et vice
versa. Cette permutation de la matire avec l'antimatire s'appelle la
conjugaison de charge. On la note C. Une autre opration, note T, consiste
inverser le sens du temps. Applique un processus quelconque, cetteopration revient drouler le processus dans le sens oppos celui o il a
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effectivement eu lieu. Sous peine de perdre leurs fondements les mieux
ancrs (en particulier le principe de causalit, qui en dfinitive rend
ncessaire l'existence de l'antimatire), toutes les thories de la physiqueprdisent l'invariance des lois de la dynamique par l'opration globale CPT.
Cela signifie que si l'on passe l'envers le film de l'image dans un miroir de
n'importe quel phnomne dans lequel on a chang particules et
antiparticules, on observe un phnomne aussi probable que celui dont on
est parti, mme s'il est diffrent. Cette invariance est notamment vrifie
par le fait que la masse et la dure de vie des particules instables est
rigoureusement gale celle de leurs antiparticules. Si l'on appliquait
globalement l'opration CPT notre monde, on obtiendrait un monde qui
aurait une autre allure. Par exemple, chaque proton y serait remplac par un
antiproton d'hlicit oppose. Il n'empche que les quations rgissant ce
nouveau monde resteraient identiques celles qui valent dans le ntre.
L'invariance ne s'applique pas au monde lui-mme, mais aux quations qui
dcrivent la dynamique qui s'y produit.
leur grande surprise, des physiciens dcouvrirent en 1957 que la
loi de conservation de la parit n'est pas respecte par l'une des quatre
interactions fondamentales de la nature: l'interaction nuclaire faible,
responsable de certains phnomnes de radioactivit. L'image dans un
miroir de tels processus ne correspond pas un phnomne qu'on puisse
reproduire.
Ayant constat que l'invariance par parit n'tait pas respecte par
l'interaction faible, on dmontra que cette dernire violait aussi l'invariance
par conjugaison de charge, d'une faon telle que la symtrie globale PC
tait, elle, prserve. Arriv ce point du raisonnement, il ne fallait pas tre
grand clerc pour conclure que l'invariance par PC, combine l'invariance
PCT, impliquait l'invariance par T. Ce rsultat rassurant ne tint quequelques annes. En 1964, une exprience rvla (l encore la surprise
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gnrale) que l'invariance par PC est elle aussi brise, mme si ce n'est que
trs lgrement, lors de la dsintgration de particules tranges qu'on
appelle les kaons neutres. Mais alors, PCT tant toujours conserve, si PCne l'est pas en l'occurrence, c'est que T ne l'est pas non plus ! Trente ans
aprs qu'on l'ait dcouverte, l'origine profonde de cette lgre brisure de la
symtrie temporelle pass-futur demeure mystrieuse.
Comme nous venons de le voir, chacun des systmes conceptuels
de la physique donne au temps un statut original et particulier. Il n'y a
visiblement pas d'universalit du concept de temps, ni d'unit thorique
autour de lui. Pour ce qui est de la question de l'irrversibilit, nous avons
vu apparatre des bribes de flche (thermodynamique, cosmologique,
quantique), sans pouvoir mettre le doigt sur la flche-mre de toutes ces
flchettes, qui vaudrait pour la physique tout entire. Il semble de toute
faon que ces deux faons de penser, celle qui se fonde sur l'histoire et le
temps, et celle qui se fonde sur l'ternit et l'absence de temps, soient deux
composantes contradictoires mais insparables de notre effort pour
comprendre le monde. Nous ne pouvons pas expliquer le changeant sans le
ramener au permanent, et nous ne savons pas raconter la dure sans
imaginer qu'elle monnaie quelque invariance.
Quant aux liens entre le temps du monde et celui de l'me, ils sont
chercher la couture de la matire et de la vie. Le temps mathmatis du
physicien n'puise manifestement pas le sens du temps vcu, pas plus que
le temps vcu ne donne l'intuition de toutes les facettes du temps physique.
A force de schmatisation, la physique aurait-elle laiss chapper quelques-
unes des proprits fondamentales du temps? C'tait le point de vue de
Bergson, convaincu que la physique - et l'intelligence discursive en gnral
- se faisaient une reprsentation fausse du temps. Plutt que d'observer le
temps qui s'coule, l'esprit scientifique se proccuperait de noter desconcidences; il substituerait la dure un schma simpliste, celui d'un
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temps une dimension, homogne, constitu seulement d'instants qui se
succdent l'identique. Ce faisant, expliquait Bergson, il oublierait de
regarder en face la vritable nature de la dure, qui est invention continue,apprentissage perptuel, mergence ininterrompue de nouveaut. Les tic-
tac rptitifs et esseuls constituant le temps monotone des physiciens ne
sauraient donc tre la pte du vrai temps, celui de la vie.
REFERENCES
- Cohen-Tannoudji, G., Spiro, M., Matire-Espace-Temps, PocheGallimard, 1989.
- Prigogine, I. et Stengers, I., La nouvelle alliance (Gallimard) 1979; Entrele temps et l'ternit (Fayard), 1988.
- de Broglie, L., Physique et microphysique (Albin Michel), 1956.
- Hawking, S., Une brve histoire du temps (Flammarion) 1988.
- Le temps et sa flche, ouvrage collectif dit par tienne Klein et MichelSpiro, Collection Champs-Flammarion, 1996.
- Bachelard, G., L'intuition de l'instant, ditions Stock, 1992.
- Desanti, J.T., Rflexions sur le temps, Grasset, 1992.
- Guitton, J., Justification du temps, Quadrige, PUF, 1993.
- Levinas, E., Le temps et l'autre, Quadrige, PUF, 1991.
- Bergson, H., Dure et simultanit, PUF.
- Conche, M., Temps et destin, PUF, 1992.
- Grimaldi, N., Ontologie du temps, PUF, 1993.
- Klein, E., Le temps, Flammarion, collection Dominos, 1996.
Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et tudestransdisciplinaires n 12 - Fvrier 1998