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CÔTÉ COEUR Après dix ans passés à la Réunion, le frère dominicain André Lendger part enseigner à l'université catholique de Tananarive à Mad~gascar. A 75 ans, il démarre une nouvelle vie déjà très riche sur le plan humain. Dialogue avec un prêtre d'exception. S'il fallait raconter votre vie, par quoi commenceriez- vous? Il existe deux façons de lire sa vie : par les événements ou par l'histoire intérieure liée aux événements mais pas for- cément en cohérence avec eux. Je donne la priorité à la vie intérieure. Car son évolution n'est pas nécessairement conforme à ce que les gens attendent. Je me pose par exemple beaucoup plus de questions sur la foi qu'aupara- vant. Notamment sur l'Eglise telle qu'elle représente la foi. Et des questions sur Dieu avec lequel je suis toujours en ba- taille. Quelles sont ces questions que vous vous posez sur l'Eglise? La Création décrite dans la Genèse est belle. Et je me dis qu'elle est souvent ratée. J'ai découvert récemment que f étais plus dans la réponse à l'appel que j'ai entendu. Plus précisément: je suis plus attiré par la rencontre avec dieu, à travers la prière, que par le rituel de la liturgie de la mes- se. Comme la grande majorité des séminaristes qui atten- dent d'être ordonnés prêtres, je n'ai pas l'impression d'avoir désiré faire la messe en premier, L'eucharistie est un acte liturgique très difficile. On le fait trop souvent. Il y a une banalisation de la messe. Est-ce que cela nous rap- proche de Dieu? Pas sûr. Comment décririez-vous votre place au sein de l'église? Je fais un travail de prêtre, plutôt je remplis une mission. A ce titre, je suis totalement dedans. Mais le fait de ne pas avoir été curé de paroisse me donne un recul par rapport au sacramental, au rituel obligé. La priorité, c'est l'homme. L'homme est image de dieu. Comment se fait-il que cette image soit si déconsidérée? Vous dites exercer un travail de prêtre. J'aime avoir un certain recul par rapport à la hiérarchie. Pour cette raison, j'ai toujours voulu exercer un travail sa- larié me garantissant une liberté. Avoir un travail salarié, pour un prêtre, lui permet de se structurer socialement. Pour moi, c'est important. Comment est née votre foi? Je ne suis pas issu d'une famille chrétienne. J'ai été bap- tisé sous la pression de mes grands-parents. Je me suis converti durant mon service militaire où j'ai fait la premiè- re communion et reçu la confirmation. J'étais un étudiant en droit insatisfait, avec des problèmes affectifs. Je n'étais pas athée. Je n'étais ni pour ni contre. J'ai choisi les para- chutistes à Perpignan, plus précisément à Saint Mexan, jus- te avant la guerre d'Algérie. J'ai pris des risques dans mon corps. Je me cherchais. Et cette période m'a permis d'ap- profondir cette recherche. J'ai alors su ce qu'il me restait à faire dans le coin de mon être. Eglise à La Réunion, novembre 2004 " 27

75 ans, il démarre une nouvelle vie déjà très riche sur le ...data0.eklablog.com/lendger/perso/eglise-a-la-reunion-novembre-2004.pdf · Dialogue avec un prêtre d'exception. S'il

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CÔTÉ COEUR

Après dix ans passés à la Réunion, le frère dominicain André Lendgerpart enseigner à l'université catholique de Tananarive à Mad~gascar.A75 ans, il démarre une nouvelle vie déjà très riche sur le plan humain.Dialogue avec un prêtre d'exception.

S'il fallait raconter votre vie, par quoi commenceriez-vous?

Il existe deux façons de lire sa vie :par les événements oupar l'histoire intérieure liée aux événements mais pas for-cément en cohérence avec eux. Je donne la priorité à la vieintérieure. Car son évolution n'est pas nécessairementconforme à ce que les gens attendent. Je me pose parexemple beaucoup plus de questions sur la foi qu'aupara-vant. Notamment sur l'Eglise telle qu'elle représente la foi.Et des questions sur Dieu avec lequel je suis toujours en ba-taille.

Quelles sont ces questions que vous vous posez surl'Eglise?

La Création décrite dans la Genèse est belle. Et je me disqu'elle est souvent ratée. J'ai découvert récemment quefétais plus dans la réponse à l'appel que j'ai entendu. Plusprécisément: je suis plus attiré par la rencontre avec dieu,à travers la prière, que par le rituel de la liturgie de la mes-se. Comme la grande majorité des séminaristes qui atten-dent d'être ordonnés prêtres, je n'ai pas l'impressiond'avoir désiré faire la messe en premier, L'eucharistie estun acte liturgique très difficile. On le fait trop souvent. Il ya une banalisation de la messe. Est-ce que cela nous rap-proche de Dieu? Pas sûr.

Comment décririez-vous votre place au sein de l'église?Je fais un travail de prêtre, plutôt je remplis une mission.

A ce titre, je suis totalement dedans. Mais le fait de ne pasavoir été curé de paroisse me donne un recul par rapportau sacramental, au rituel obligé. La priorité, c'est l'homme.L'homme est image de dieu. Comment se fait-il que cetteimage soit si déconsidérée?

Vous dites exercer un travail de prêtre.J'aime avoir un certain recul par rapport à la hiérarchie.

Pour cette raison, j'ai toujours voulu exercer un travail sa-larié me garantissant une liberté. Avoir un travail salarié,pour un prêtre, lui permet de se structurer socialement.Pour moi, c'est important.

Comment est née votre foi?Je ne suis pas issu d'une famille chrétienne. J'ai été bap-

tisé sous la pression de mes grands-parents. Je me suisconverti durant mon service militaire où j'ai fait la premiè-re communion et reçu la confirmation. J'étais un étudianten droit insatisfait, avec des problèmes affectifs. Je n'étaispas athée. Je n'étais ni pour ni contre. J'ai choisi les para-chutistes à Perpignan, plus précisément à Saint Mexan, jus-te avant la guerre d'Algérie. J'ai pris des risques dans moncorps. Je me cherchais. Et cette période m'a permis d'ap-profondir cette recherche. J'ai alors su ce qu'il me restait àfaire dans le coin de mon être.

Eglise à La Réunion, novembre 2004 " 27

maine' rdigieux,social, poli- Je n'admire pas abbé Pierre. quoi j'ai· fait beaucoup detique,danstoutcequitbuche à .Je n'é\dmirepas. grand mol1de.choses différeIltes. J'ai mêmel'humain. Celàmevientdu Je n'aime pas le mot« admirer étéUlltempsjolrr~làlisteau.«tempsoùj'étaiscuré.C'est un », J'aime. . QUQtidiend~.Pans»pourla

..travail.tênorme !Teine devais Les regrets .éhroriiqllereligietise: De.Illàin,.:pas dépasser un certain lignage je vais avoir un boulot. etj' ai; Ce qui oblige àorganîSer sa Je vais quitter une commu- I'IntentlondeIe.menerà bien..pensée·A. la péaufirier pour al- nautétrès chaleureuse, très fra- Mais j~~eyais.pas·~e coriten-

Une question m'intéresse :·leleràl'essentid. Teprépare une temelle. C'est·dommage.M~. tet de rn'enfèrmér dans un seul

repAAemeIlt.de..rîle.so/elle-mê~ ·•.•petit~éditi<m dec~~ts .:d'il·Y~··~~t~~~i.~tZr~t;:~#t~i/".Prtr."a ••.:.•l!s:.ail.m••...~.een~.•.:tgba;.··g:er:..••.•~...'t~J\,!i'ft.~~~~~~1i.j~r~~~Ji~!:d~un app.-.nt'J'&Ufii·

d'aIIlbitio.n.....•...autre. quel.aRé~ .•........faiécrihiri bouquinstir mon .~~ttut~:t~~1~~~::;~:·i~~éfIeXionUnion. Il-faut. queI'tlèsèdéve- .iraV"alld.@S iê15istr{)f/J>ârisi~ll:,.contacts. . J'ai un.rituél : je lis «LeMon-.loppe. Mais ellenep{)urra le Un autre sut lë§artÎStes et le .. ViéiHir de» tOllslesjouiS, Ulle matière. fairequ.esielle se tourne vers - monde-de i'ari,unautresur la à réfleX1on,poiU' approf()ndirl'extérleur.EtlesRéunionnais prédication, puis j'ai essayé J'ai la chance d'avoir une unsujet.Avecletravailàlàpri-ne -.sont •••pas du ,tout .tOlrrnés ..d' êcrirejd' autres bricoles. J'ai bonne santé. Je ne me rends pas .son, j'ai.pris le .goûtdelaTu~VeTI; .I'extérieùr. il existe une tenula chronique sur la prison compte de mon âge. Mais si jej)rique desChieris éëz:~és.j\ la

tell~ protectiol1de la.métropole daI1S«Eglise .àIaRéunion ». reste ici, à Ià Réunion, je .sais Réunion, on peut mt?fti:el1llvi-! Les Réunionnais sonthyper Des articles délllSune revue bi- qt1ejevaî$ vieillir· Nous avons sage suIunnon:r:tieris,qll'est-

..protégés .mais .aussi.hyper .·dé-. blique. L'intérêt dans. toutça ? souventdù mal à nous .situer . •ce qu'P ,a encore fait?Pl11sonpèridiirlfs; Apprendre àposerlesques", ••..dans l'âge. Peut-être par~equerêfléchit,plusonposedeE-.L'êdrifure ....tions.Sila question, est bien po- nous r{avons pas d;enfant. . questions' plus ()u estcapable

sée/On .n'a pas une réponse lLavie de rép?IldreauxqûestioriSdefmais un chemin. autres, de les aider, deles corn-

prendre.

CÔTÉ COEUR

L'armée pour un étudiant en mal être, oui, mais pour-quoi les parachutistes? \

J'aime le risque, les situations un peu dangereuses.C'est mon caractère. Cela m'empêche d'être entierquelque part. Je n'entretiens pas ce côté mais il s'impose.Je maîtrise tant bien que mal la chose.

Vous avez des :regrets ?J'aurakpu faire autre chose de ma vie. Mais je n'ai pas

de regrets à avoir.

Après dix ans passés à la Réunion, vous partez à Ma-dagascar pour une nouvelle mission, à 75 ans, c'est unautre virage?

Le même que celui pris quand j'ai dit : je vais au servi-ce militaire. il faut créer des situations nouvelles. C'est unchoix qui s'impose.

Au sortir de l'armée, vous avez donc suivi des étudesde Dominicain?

Pas immédiatement après. il ne me restait qu'une an-née à effectuer pour obtenir une maîtrise de droit. Unefois en poche, j'ai commencé à travailler dans une banqueà Paris. Puis j'ai dit :halte-là! Et j'ai suivi des études nor-males de Dominicain.

Quel a été votre premier travail ?'A l'aumônerie des étudiants, à Toulouse, jusqu'en

1969. Pendant sept ans, j'ai participé à la naissance debeaucoup d'universitaires qui sont sortis du campus de

':.Refl·êx ionS.·.···... -.-::'-.-'.':.- .

.··sÙr·.•·••.••.:La Réunion

. .

Chaquesemaine, jeme suis:échinéà faire un papier «<élé-mentsderéflexion)} dans.le do-

Rangueil. En 68, (étais donc à Toulouse du côté des gré-vistes dans les défilés. J'ai trouvé ce moment d'échanged'idées extraordinaire! Aujourd'hui, on est dans l'orniè-re.

Vous avez exercé durant 10 ans en tant qu'aumôniernational des artistes du spectacle.

J'avais fait un peu de théâtre, de l'art dramatique à Pa-ris. Mais je n'avais pas une grande culture. J'ai hésitéavant de dire « oui ». Durant cette période, j'ai égalementété nommé à la commission de contrôle des films qui dé-cidait de leur interdiction aux moins de 12, 16 ou 18ans...J'ai rencontré des « grands» de l'époque: Fernan-del, Jean Lepoulain, Claude François... J'en ai enterrébeaucoup. Mais il me reste encore quelques amis ...

Vous avez été responsable d'un bar chrétien à Parispendant plus de sept ans. Là encore, votre vie a pris unautre tournant?

C'est l'imprévu. Par le biais d'un ami qui cherchait duboulot, j'ai été embarqué dans la direction d'un bistrot,qui appartenait à l'abbé Pierre, dans le quartier Saint-Germain-des-Prés. C'était à la fois une affaire commer-ciale et une activité de prévention. La clientèle privilégiéese composait de Maghrébins, d'Africains, de types pau-més sans toit, sans boulot, sans fric, dont beaucoupd'émigrés plus ou moins sans papiers, rejetés par lesautres bars du quartier. Bar égal alcool, alcool égal vio-lence. Sans oublier la drogue. Nous tentions de les aider.C'était une réponse à des souffrances de ces années 70.

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Unverbe : admirer Je la prends comme ellevient. C'est sans doute pour- .

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-----:-- ..;-

lçl,;19r~g~(a-~()Jt';e·-(jrat•.r~"Rir-org~nisé~pâri'â.1II'nôri_~ri~._..de$prisôl"l~~.~.-

Quand on vous a alors proposé une fonction de curéde village en Provence, c'était le retour à la messe?

Je n'étais pas préparé à cela. Cela m'a obligé à me re-mettre au catéchisme et à l'écriture sainte qui devientalors mon grand amour. J'ai essayé aussi de relever se sesruines, Sainte-Baume, la grotte de Madeleine. Ce lieu estmagnifique. Auparavant, j'étais à Bordeaux. Trois annéespas très intéressantes, excepté ma fonction d'exorcistedurant un an. Là, on prend conscience des croyances po-pulaires!

Que tirez-vous de votre expérience à l'aumônerie desprisons à la Réunion ?

Cela m'a passionné. Quelque soit le rang social qu'oc-cupe une personne, c'est un être humain, pas plus. Mêmeun homme dangereux, un assassin, est un être humain. ilest en prison pour des raisons qui sont les siennes, quisont la famille, l'éducation, la société ... Cela veut direquoi? Qu'ils ont eu moins de chance que nous. il faut queles gens comprennent que s'il y a un besoin de prisons,c'est que la société est imparfaite. Nous avons les prisonset les délinquants que nous méritons. Ce sont d'abord desvictimes. Et chacun peut en devenir une. Nous n'avons nià juger, ni à condamner. Notre monde est comme il est.Là, je me retourne vers dieu. Qu'est-ce que tu as fabriquéau départ ? La prison est inhumaine. Pour certains, elleva leur permettre de prendre du recul, pour d'autres,c'est la déliquescence complète de leur être.

Et demain ...Je ne vois pas mon avenir à la Réunion. A mon âge, 75

ans, on ne me proposera aucun travail dans lequel jem'engage. En partant à Madagascar, je prends un enga-

gement. Je n'arrête pas d'apprendre pour pouvoir donnerensuite. Ici, je crains de servir de pion de remplacementpour une chose ou une autre, ça suffit!

Je commence à ouvrir une nouvelle page. J'intègrel'université catholique de Tananariv~ où je vais enseignerl'ancien testament pendant un an. Mais comme je suisloin de posséder le niveau, je retourne à l'école: j'ai déci-dé d'aller me recycler à l'école biblique de Jérusalem defévrier à mai prochains. Puis je verrais comment orienterma vie. Tout en souhaitant qu'elle continue à Madagas-car.

Alice Potier

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'Dix ans à la Réunion :1 11 1

: Frère André est arrivé -à la Réunionen 1993: Cest :1 •• l'aventure qui le tente. A ce moment-là, il ne sait rien 11 _ ... 1

: de ce caillou perdu dans l' océan.Peridant plusieurs an- :: nées, il apporte une aide aux prisonniers cieI'île.Jlap- :1 - .. ". 1

: prend à les écouter. Et nous demande de faire de mê- :: me par le biais de sa rubrique «Prison » dans notre :1 - 1

: magazine« Eglise à la Réunion ». :

: Mais parmi ses nombreux engagements sur l'île, il :: retient son embauche au sein de l'association.Amare, :1_ . _ _. __ . _. J

: créée par une religieuse. Rappelons que «: Accueil de la :: Mère à la Réunion » s'occupe de l'accueil pré-et post:1 :--.. . t

: natal de la jeune mère en difficulté. Mais aussi de rac- :: cueil et de la réinsertion de jeunesdêsemparësïmères, :; pères, couples); ainsi que d'information sur le plan so- :: cial et administratif, et ci'orientation pour une aide :: éventuelle. :1 1

: Au revoir frère André. :1 1~---------------------------------------------~

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