75 Ans Petite Ile

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1935 - 2010, 75 ans dhistoire.

Rdaction : Enis Rockel, guide confrencier Conception et Ralisation : IMAZCOM // Impression : Scanner Tirage : 4500 exemplaires

Nous avons appris travailler en mme temps quon apprenait marcher! .

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ette phrase magnifique a t prononce avec force et conviction lors de lexposition du 20 octobre 2010 en mairie qui a rassembl les photographies de 40 personnes nes en 1935

ici dans notre commune. A elle seule, cette phrase caractrise toute la Petite Ile, et notamment lardeur au travail de ses habitants! Elle est en quelque sorte la marque de fabrique de nos anciens, qui se sont dmens construire cette commune que nous aimons et qui nous est envie par beaucoup pour son charme mais aussi son hospitalit bien marque. On ne passe pas Petite Ile, on sy rend! Par cet ouvrage commmoratif des 75 ans de la cration de notre commune, jai voulu vous emmener sur le traces de nos ains, ceux qui ont construit la commune et qui nous ont laiss un si bel hritage. Des premires concessions, en passant par les priodes difficiles Guito Ramoune ou encore en retraant lhistoire de quelques uns qui ont marqu la Petite-Ile, vous pourrez vous approprier lhistoire jeune dun territoire dont nous avons tous, aujourdhui, la charge de parfaire le dveloppement. Je veux remercier chaleureusement le confrencier Enis Rockel qui nous a gratifi de cet ouvrage ainsi que madame Hlne Savin, professeur retrait de lEducation Nationale. Remercier galement les familles, qui par leurs contributions photographiques, nous ont permis la meilleure illustration de cet ouvrage Spcial 75 ans . Et rendre bien videmment un vibrant hommage tous ceux qui ont faonn notre belle commune, dont lhistoire restera jamais grave dans les mmoires aujourdhui ravives de cette petite commune du sud de la Runion dont le nom seul fait rver. Petite-Ile, un nom vocateur et potique, une terre riche de valeurs et de ruralit. Bon anniversaire tous !

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etite-le. Voil un nom plutt original, et mme surprenant pour une ville ! Cest un nom qui attise la curiosit, qui cache une raison, qui demande une explication, qui raconte une histoire. Il na pas fallu le chercher longtemps, la bourgade qui sest forme sur le relief juste en face de ce gros caillou distant de quelques dizaines de mtres seulement du rivage a t ainsi nomme trs logiquement. Sur les terres vallonnes et fertiles, des hommes ont bti leurs cabanes, plant leurs semences, vcu leurs amours, vaincu mille et une difficults. Anims par la force des pionniers, ils nont jamais recul devant les preuves. Lquipe Municipale a voulu rendre hommage aux personnes qui ont bti la Commune, et chacun sa manire, crit son histoire. Ce sont soixante quinze ans de labeur, trois quarts de sicle vcus avec des larmes et des sourires. Un retour sur ce pass pas si lointain est un devoir de mmoire, et un prtexte pour rendre hommage aux familles qui ont port la Petitele jusquau 21me sicle bout de bras, avec lespoir de lguer leurs enfants le confort quils nont pas connu, une ville dynamique, prospre, o il fait bon vivre.

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Le gouverneur Jacques de La Hure tait un mchant homme. Ainsi a-t-il tout simplement fait fusiller Monsieur Vron, son adjoint, garde-magasin et deuxime personnage de lle, pour lui avoir tenu tte au sujet de certaines dcisions. Et comme cela ne suffisait pas Monsieur de la Hure, le cadavre a t cartel en place publique et expos SaintPaul dans un endroit qui depuis, a gard le nom de Quartier Vron . Le gouverneur dcide de dmnager vers SaintDenis en mai 1671, et ds quil sy installe, bon nombre de Dionysiens commencent dserter la ville pour chapper ses griffes. On apprend par le journal du navire Breton, qui mouille en rade la fin septembre 1671, que huit Franais ne pouvant souffrir la tyrannie du gouverneur, ont fui dans les montagnes avec des Noirs quon appelle des Madagaches . On voit bien que ce gouverneur na rien dun ange : excutions sommaires, expropriations arbitraires, dfense absolue de chasser, dfense de commercer librement avec les navires de passage et bien dautres attitudes et ordonnances de mauvais got. Les moindres gestes des colons doivent avoir son approbation. Des malades dans les navires au mouillage, tout prs de leur salut, sont morts cause de son intransigeance : il tardait trop autoriser leur dbarquement, ou lembarquement de mdicaments et vivres. Impossible de vivre dans des conditions pareilles !

Superficie = 3.393 ha Habitants = Petits-lois Cours deau = la Ravine de lAnse Population estime en 2010 = 11.485 habitants

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Les tout premiers Sudisteselon lhistorien Gilles Crestien, trois habitants du Fort Saint-Denis, Antoine Cadet, un borgne qui exerce le mtier de chandelier ; Jacques Fontaine, grand connaisseur des mtiers du bois et Nicolas Rouloff, un Allemand de Hambourg, dcident ds 1671 de quitter les contres du Nord pour stablir loin de l, le plus loin possible. Cest ainsi quils se lancent dans une incroyable expdition par monts et par vaux en direction du Sud, dont on disait dj le plus grand bien. Arms dune volont dont seuls les pionniers denvergure peuvent se prvaloir, ils escaladent les contreforts du Cap-

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Bernard, franchissent les caps vertigineux de la montagne et sensevelissent dans les prcipices tortueux des rivires et des ravines. Au bout de plusieurs jours dun bien long voyage travers une nature aussi poustouflante que dangereuse, ils arrivent dans un lieu appel Grands-Bois. Ce nom figure dj sur une carte dEtienne de Flacourt dessine en 1653 ! Ils dcident de dresser leur campement prs dun piton au bord dun ravin o coule une eau pure et limpide. Ils dnomment ds 1672 la Ravine des Franais, le Piton de Grand-Anse et la Petite le.

Les premires concessions

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a premire concession au-del de la Ravine des Avirons est celle que le gouverneur Antoine Boucher sattribue lui-mme, le 5 mars 1719, la Plaine du Gol. Cest louverture des portes du Sud ! Le pays commence tre habit et mis en valeur. Puis, le gouverneur y place ds 1720, sur les ordres de Mathurin Le Tallec un poste de trente esclaves arms qui sert de corps de garde la colonie nouvelle qui se forme (Pont Mathurin au Gol). Avec Boucher un grand nombre de personnes veulent stablir sur ces terres, notamment des enfants cadets de la noblesse franaise. Ces personnes-l, suivant une tradition ancestrale du vieux continent hritent de biens moins importants que leurs frres ans. Lorsquon sait que la valeur des titres de noblesse est

directement proportionne celle des terres possdes, les concessions presque donnes Bourbon intressent beaucoup de monde, notamment ceux de cette catgorie-l. Une aubaine pour la Colonie, car ils arrivent avec de largent, avec de linstruction et surtout avec des connaissances agricoles prcieuses pour que les champs fertiles de Mahavel puissent en bnficier. Certaines concessions sont denviron 1000 hectares alors que les autres nen dpassent gure 50 en moyenne altitude, et 150 audessus de la ligne des 400 mtres. En 1727, du Rongout le Toullec ouvre des lignes allant jusqu la Ravine des Cafres, puis jusqu lAnse et la Ravine du Pont, puis encore jusqu Petite-le et Manapany. Pour1935 - 2010, 75 ans dhistoire5

satisfaire toutes les demandes, un travail considrable est ralis et finalement des lignes sont ouvertes jusquaux rivages de la Rivire des Remparts ! En cette anne 1727, toute la rgion Sud est mesure, dfriche et morcele en plus de cent grandes concessions !

Les premires portions de terre concernant la rgion de Petite-le sont attribues entre octobre et dcembre 1727. On trouve parmi les premiers habitants de cette rgion beaucoup de noms particule, mais aussi de simples roturiers, et ceux-l, en plus grand nombre quailleurs.

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Des croles, des nobles et danciens pirates

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ela fait moins de dix ans que les terres du Sud se font ventrer par les pioches et les charrues. Sans doute quelques enfants sont dj ns sur ces terres mais ceux quon appelle alors les Sudistes sont les nouveaux concessionnaires, des gens qui viennent en grande majorit dailleurs, notamment de France, et quelques-uns dautres pays dEurope. Parmi les premiers tablis, se trouvent des reprsentants de la noblesse franaise : deux chevaliers, deux comtes, un baron et un marquis, mais ces messieurs-l rsidents Saint-Paul une ou deux rares exceptions ne mettront jamais les pieds Petite-le. Les robes longues et amples, les chapeaux extravagants, les costumes trois pices avec les revers des vestes bards de mdailles et de dcorations, tout cela doit tre affich en socit, tout cela doit tre vu par le plus grand nombre sinon par tous ! Se terrer dans un endroit aussi isol que Petite-le, dpourvu de toute mondanit, est incompatible avec le rang de ces gens-l. Ils confient donc leurs terres des commandeurs

qui se chargent de les mettre en valeur. Il faut en effet se rendre compte que lendroit est beau, charmant, mais totalement isol de la civilisation : pas de routes, pas de ponts, pas dglise, pas de commerces et moins encore de lieux de divertissement. En revanche, on dnombre malgr tout au dbut de lhistoire de Petite-le, en 1727, une bonne dizaine de concessionnaires croles : Guillaume Hoarau, Jacques Fontaine, Franois Morel, Henry Grimaud, Louis Payet, Antoine Bellon, Franois Nativel, Franois Rivire et Pierre Folio. Obtiennent aussi des terres Petite-le un ou deux Franais ayant domicile Sainte-Suzanne et Saint-Denis ; tous les autres appartiennent des familles ayant rsidence Saint-Paul. Une autre catgorie de pionniers relve des pirates, en particulier deux pirates repentis : Edouard Robert et Thomas Elgar ; on peut rajouter aussi deux croles : Georges Nol et Pierre Folio, tous les deux fils de pirates galement.

Dame noble - Wertmuller

Drapeau de pirate

Qui sont les premiers concessionnaires ?uillaume Hoarau est lun des tout premiers croles sinstaller ; il reoit ds novembre 1727 des mains du gouverneur Pierre Benot Dumas le titre qui lui accorde 40 gaulettes entre la Ravine du Pont et celle de la Petite-le, o il cultive notamment le caf moka. Le loyer annuel est de 50 livres de riz blanc et 80 livres de caf par arpent de terre dfrichable, payable moiti

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Pques et moiti la Saint-Martin. Le mas, le bl, les lgumes, le caf et la canne sucre sont les principales cultures qui surgissent sur ces terres. On trouve aussi, pratiquement dans chaque habitation, une basse-cour et un petit levage de porcs. Souvent les lgumes sont plants en intercalaire : mas et bl, mas et ambrevates, bl et embrevates, et ainsi de suite.

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En 1735 on compte 35 habitations Petite le. On peut remarquer que la majorit des terres alloues aux nobles, se trouve entre la Ravine de lAnse et la Ravine du Pont. Ainsi quelques noms apparaissent dans lhistoire uniquement dans cette priode de distribution de concessions, comme celui du chevalier Paix de Beauregard par exemple. Ce monsieur, dcourag par les difficults de transport de ses produits jusqu Saint-Paul, car le magasin de la Rivire dAbord nexiste pas encore, sen ira de lle au bout de trois ans, du par son administration. On peut imaginer combien tait difficile en ces temps-l le transport jusqu Saint-Paul, sur un chemin cahoteux interminable, de sacs de mas, de ballots dembrevates ou de cochons, par exemple. Parfois le voyage se faisait sur deux jours, et il fallait passer une nuit sur le chemin ! Deux autres noms particule qui surgissent parmi les premiers concessionnaires sont Etienne Joseph Courant de la Vergne, mais aussi Isaac de Lavergne. Ces deux nobles nont fait que passer dans lhistoire de cette poque : pas de mariage pour le premier, pas de descendance dans les archives pour les deux. Ils nont strictement rien voir avec Carles de Lavergne qui sera maire de Petite-le aprs la deuxime guerre mondiale. Car ce Carles de Lavergne est petit-fils de lAveyronnais Jean-Baptiste La Vergne, mari Saint-Paul le 10 novembre 1846 28 ans une jeune crole qui porte le mme nom que lui, avec la particule en plus : Franoise Zulnie de La Vergne. Les enfants de cette union emprunteront la particule leur mre et certains la transmettront aux gnrations futures. Quant aux premiers Morel de Petite-le, Franois le pre et Louis le fils, ils sadjugent des terres dans la partie des nobles ; pour mmoire, ils

sont originaires de la rgion de Calais. Louis sera Conseiller Garde-Magasin gnral et caissier de la Compagnie ; il dcde le 19 avril 1745 SaintDenis. Le comte Antoine Nol Thuault de Villarmoy est n Chteaudun (Eure-et-Loir) paroisse de Saint-Lubin. Il arrive Bourbon en novembre 1723, au moment o des concessions sont attribues dans le Sud. Il obtient la sienne en 1727. Ce monsieur est commis de la Compagnie des Indes ds son arrive en 1723 ; il sera par la suite garde-magasin de Saint-Denis, conseiller au Conseil Suprieur puis garde-magasin gnral en 1741. Il pouse Genevive Lger (1701-1781) le 5 juin 1725 Saint-Paul, et ils auront ensemble au moins 7 enfants. Il dcde Saint-Denis le 9 fvrier 1741. La famille Bellon est aussi prsente sur le territoire de la future Petite-le : Antoine, Catherine, Marguerite et Thrse. Antoine Bellon est le troisime du nom ; son grand-pre est lun des fondateurs de Saint-Denis avec le gouverneur Regnault. Antoine est n le 9 aot 1700 et mort Petite-le en 1746. La famille Hoarau, Guillaume, Etienne et Laurent, est lune des pionnires : Guillaume est n Saint-Paul le 21 mai 1690, fils dEtienne Hoarau et de Genevive Dennemont. Son pouse est Marie Grondin. Etienne est lan, Laurent est son demi-frre, fils dUrsule Payet. Pour sa part, la concession de Monsieur Boisseau qui jouxte celle de Guillaume Hoarau, na jamais t mise en valeur. Alors, elle lui a t retire pour tre r attribue Nicolas Morel. Jean Charrier, qui laissera son nom au piton bien connu aujourdhui est un employ de

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la Compagnie ; trs pris par son travail, il ne vient dans sa proprit que de temps en temps. Nanmoins ses terres sont tenues convenablement par un commandeur et par un bon groupe de Noirs. Quant au parisien Philippe Chassin, dit Saint-Maurice, on a des renseignements presque photographiques sur lui : sa taille est de 5 pieds, son visage est rond et un peu basan ; ses cheveux et ses sourcils sont noirs ; ses yeux roux. Un beau petit gars. Il est dabord modeste soldat, puis devient employ de la Compagnie et avant de stablir Petitele, expditionnaire des greffes Saint-Paul. Son pouse est Marie Anne Robert. En 1727, il a 28 ans. Un autre parisien venir sinstaller dans les abords est Simon Gaudin. Mari Marie-Jeanne Gurin, il arrive Bourbon en 1723 avec son pouse et un fils. Simon meurt en 1733 et cest son fils Jean-Louis, parisien de naissance, qui soccupe du domaine. Henry Grimaud est un crole, fils dHenry Grimaud et de Marie Touchard, n le 27 juin 1698 Saint-Paul. Son pouse est Julienne Guichard. Un autre crole est Georges Nol, n Saint-Paul en 1711, fils de Georges Nol, horloger de Londres, et de la crole Catherine Royer. Son pre est un ancien pirate du groupe de John Bowen arriv dans lle en 1704. Sa mre Catherine, une trs jolie femme, tenait sa maison de Saint-Paul dans un ordre et une propret admirables ! Georges est clibataire en 1735. Il se marie Saint-Paul une cousine, Thrse Nol, en 1739 ; puis devenu veuf, il se remarie en 1751 Marie Anne Rivire. Il est probable que ce crole-l ne soit venu Petite le que trs rarement. Sa sur Marie Anne Nol, pouse dIsaac de la Vergne, y possde elle aussi un bon bout de terre.

Louis Payet est le fils cadet de Germain Payet et de Louise Robert ; il est n Saint-Paul le 20 aot 1703, dans une fratrie de 16 enfants ! Sa mre est fille de Julien Robert, originaire des Deux-Svres et arriv dans lle en avril 1671, avec lescadre de Jacob de La Haye. Mais le personnage haut en couleurs est bien Edouard Robert, dit Robin, ancien pirate anglais, vraisemblablement arriv Bourbon en 1704 avec le pirate John Bowen. Il est ami intime de Thomas Elgar, la piraterie tant leur lien commun. Son pouse est Marie Anne Bellon, fille dAntoine, concessionnaire Petite-le. Il est loncle de Pierre Folio, dont la mre est sur de son pouse. Pierre Folio vit aussi Petite le. Autant dire quils sy sont installs en famille ! En 1735, Edouard Robert est g denviron 56 ans. Un autre Pierre Folio, fils de Pierre Folio pre et ancien pirate, et de Brigitte Bellon, a 24 ans en 1735 ; il est clibataire. Sa mre Brigitte a t accuse davoir supprim son mari, disparu sur la plage de Saint-Paul dans la nuit du 17 au 18 mars 1714. On na jamais pu le prouver. Interdite de mariage, elle sacoquine avec Alexis Lauret, dont elle a 3 enfants. Pierre est neveu dEdouard Robert, qui est mari la sur de sa mre. Jean Daniel est n en 1692 dans la paroisse dAuray en Bretagne. Il arrive dans lle en 1718. Veuf de Marie Anne Elgar (1729), il se remarie Saint-Paul en 1730 Franoise Charlotte du Coudray, veuve aussi. Jean Daniel est mort Saint-Paul en 1773. Il a eu trois filles, deux du premier mariage et une du second, toutes nes Saint-Paul. On peut penser que ses terres de Petite-le taient srement tenues par un commandeur.

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Thomas Elgar, anglais de Londres, ami et compagnon de flibuste dEdouard Robert, est aussi ancien pirate du groupe de John Bowen, de Nathaniel North et de Thomas White. Il aurait t dpos sur lle en dcembre 1706, par White. Il est mari Raphaelle Royer. Il est g denviron 54 ans en 1735. Jacques Fontaine est presque un enfant du pays ; il est le fils du pionnier de la Petite-le, le menuisier qui a vcu quelques mois GrandAnse entre 1671 et 1672. Jacques est dcd quelques jours aprs avoir sign son acte de concession, 62 ans. Il na pratiquement pas vcu Petite-le ; ce sont ses derniers fils, Gilles et Pierre notamment, qui soccuperont de la concession. Lun de ses descendants fera partie de lquipe municipale de Petite-le dans les annes 2000 ! Le marquis Adhmar de Grignan, certainement un descendant des Grignan, dans la Drme provenale, dont le chteau date du 12me sicle, coup sr na jamais mis les pieds sur ses terres. Joseph Hoarau est encore bien jeune lorsquil obtient des terres Petite-le. N Saint-Paul en aot 1715, mari Saint-Pierre Genevive Fontaine en novembre 1756, Joseph dcde Saint-Joseph le 9 janvier 1792 77 ans. Son pre est Etienne Hoarau ; sa mre, Barbe Payet, est connue pour avoir construit Saint-Louis la chapelle du Rosaire en 1729, le plus ancien btiment catholique encore existant en 2010. Jean Martin est arriv de Saint-Malo en 1715, et sest mari Marianne Royer. Il a 42 ans en 1735. Tous leurs enfants naissent Saint-Paul, ce qui laisse penser que ses terres taient

tenues par un commandeur. Quant au mystrieux Paul Mascle, il est probablement le frre de lHraultais Louis Mascle, un habitant Sainte-Suzanne. Antoine Maunier, lui, est originaire du Var ; il arrive Bourbon en 1714, ancien capitaine du quartier de Saint-Paul, il a sa concession en 1735. Comme beaucoup de Saint-Paulois, il sest lui aussi intress aux terres du Sud, en proprit secondaire. Mari Marie Gruchet, il en a 12 enfants ns Saint-Paul, dont la petite dernire en 1738, ce qui laisse penser quil na pas vcu Petite le. Franois Nativel est un crole vtran de SaintPaul, n en cette ville en juillet 1679, mari Radegonde Lauret ; ils ont six enfants. Ce sont sans doute ses enfants qui ont vcu sur la concession de Petite-le. Franois Rivire est n Saint-Paul le 27 mars 1699. Mari Thrse Mussard, il a 7 enfants ; puis veuf en 1729, il se remarie Marie Grondin qui lui donne un dernier enfant. Install dans le Sud, il meurt Saint-Louis le 28 aot 1772. Csar Antoine Bonardo Mangarde, comte de Roburent est un capitaine dinfanterie originaire de Nice. Il a servi en le-de-France. Son fils Joseph Amde sera commandant du quartier de Saint-Paul en 1784. Lui et le Baron Traverse de Sainte Catherine ont eu des terres dans la rgion au dbut de son histoire, mais elles ont sans aucun doute t mises en valeur par des employs. Jean-Baptiste Tardif na pas fait souche Bourbon. Les Tardif runionnais sont des descendants de Pierre-Jean Tardif, arriv dans lle en 1777.

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Les habitations se crolisent

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n recensement gnral est organis en 1780. Matre Laurent Alexandre Lambert Fron, membre du Conseil Suprieur et responsable du Tribunal terrier, se rend Petite-le en compagnie de larpenteur JeanBaptiste Bank, du notaire Philippe Leclerc de Saint-Lubin et de matre Prosper de Greslan. Ces importants visiteurs laissent des descriptions remarquables sur un quartier essentiellement agricole ; ayant trouv Petite-le trois ravines non encore baptises, ils leur ont donn leurs propres noms : la Ravine Fron, la Ravine Bank et la Ravine Greslan. Les Greslan sont originaires de Nantes, et le petit-fils de ce Greslan-l, Jean Baptiste Pierre Prosper de Greslan n en 1796, sera dput de la Runion de 1849 1852. La fondation du quartier de Saint-Joseph en 1785 attire dans la rgion beaucoup de familles de lEst, notamment de Saint-Benot, mais ces nouveaux venus sinstallent plutt du ct du Baril et de Mare-Longue. La culture des pices devient un enjeu conomique important et encourage les chefs de quartiers (on ne parlera de Maires quaprs 1790) ouvrir et amliorer les voies de communication, et lcart de Petitele en bnficie grandement. En 1816, le recensement dnombre une population de 110 habitants Peite-le, ce qui est trs peu, vu la fertilit des terres si stratgiquement situes, entre Saint-Joseph et Saint-Pierre. ce moment-l, la majorit des Petits-lois sont des croles venus de SaintJoseph et de Saint-Louis. Un seul Indien est

recens, un certain Marcier, arriv du Bengale en 1815. En cette anne-l, Petite-le ne compte quun seul pcheur possdant sa barque. Et une seule grande habitation est signale, celle des Payet, avec 212 esclaves. Avec le formidable dveloppement agricole de cette rgion Sud, qui allait de Petite-le jusquau Baril, le Maire de Saint-Joseph Peyre de Lescure trace en 1836 la nouvelle route Royale, qui, partant de Saint-Joseph, aprs le franchissement de la ravine Carrosse, suivait la cte vers Manapany pour remonter par celui quon appelle aujourdhui improprement, le chemin des Anglais. Il fit tracer une ligne droite aprs le passage de la ravine, jusqu la source Lucas ; ce chemin contournait la falaise pour retrouver ensuite le pont en bois qui enjambe la ravine Manapany, reconstruit en 1837. Un pont existait cet endroit bien avant la cration de la commune de Saint-Joseph en 1785, de mme pour la ravine du Pont, la bien nomme. Monsieur Pierre Charles Guy de Ferrires est un ingnieur colonial avis ; il se rend compte que cette rgion est prometteuse et ds 1853, obtient du maire de Saint-Joseph, Bourgine, un permis dtablir un pont dbarcadre, des entrepts, une maison et un four chaux, Manapany-les-Bains. Lanne suivante, en 1854, alors que les travaux sont en cours, il succde Adolphe Bourgine la Mairie et son dsir de faire prosprer davantage la rgion le pousse construire une usine sucrire sur la rive droite de la ravine Manapany, par association avec Julien1935 - 2010, 75 ans dhistoire11

Larpenteur du Roi qui est venu mesurer les terres de Petite-le est, bel et bien, Jean-Baptiste Bank, et non Bancks comme beaucoup le pensent. Ce faisant, on le confond avec Sir Joseph Banks (1743-1820), qui nest jamais venu la Runion. Ce Banks, botaniste amateur fortun, a accompagn ses frais le grand explorateur James Cook sur lEndeavour, jusquen Australie de 1768 1771, lors de son premier voyage ; il na aucun lien avec La Runion.

Caprice Orr

Gabriel de Kerveguen

Four Chaux de Grand-Anse

Le chemin de fer nexistera que dans les rves, mme si les Sudistes, ont failli lavoir pour de bon. En 1908, le projet est dpos et tous les habitants de Petite-le et de Saint-Joseph ne parlent que de cela. En 1911 le gouverneur Rodier obtient lautorisation dun emprunt de 2.200.000 francs pour sa ralisation. Merveilleux, largent ncessaire est trouv ! En 1913 un terrible cyclone vient contrarier lvolution du projet, et tout de suite aprs, lclatement de la grande guerre le rangera dfinitivement dans le placard. Cen est fini pour le chemin de fer vers Petite-le.

Gaultier de Rontaunay. Selon lhistorien JeanFranois Graud, en 1828 un moulin sucre quip dun alambic existe dj cet endroit. En 1865 cette usine est vendue aux frres Orr, Anicet, Louis-Jrme et Ren. Elle prend alors le nom de Caprice Orr . La crise du sucre perceptible ds la fin des annes 1860 fait des dgts considrables dans la rgion ; toutes les usines sucrires ferment et celle des Orr nchappe pas la crise. Seule, celle de Langevin appartenant aux puissants Kerveguen, rsiste. partir de 1854, le petit port de Manapany enregistre un mouvement tout fait convenable ; on y voit des chaloupes apporter des coraux de Grands-Bois et de Grand-Anse pour alimenter le four chaux et souvent, ces chaloupes portent mme des passagers. On y embarque surtout des ballots de sucre roux qui sentent fort la mlasse, mais aussi quelques productions agricoles telles des avocats et des letchis. Ce dbarcadre est aussi utilis par les habitants de Petite-le, qui nen avaient pas sur leur territoire. Il maintiendra une importante activit jusqu louverture du chemin de fer, en 1885.

Le 12 fvrier 1889, lhritier de Caprice Orr , Lon Orr, obtient du gouvernement une autorisation pour difier un four chaux au lieu-dit lAnse , sur la commune de Saint-Pierre, autrement dit, Grand-Anse Petite-le. Ce four chaux double foyer est une ralisation du dernier cri lpoque, et il fournit les usines de Manapany les Bains, de Caprice Orr et de lAnse. Profitant du chemin ouvert quelques annes auparavant, ainsi que du pont qui enjambe la Ravine Manapany, les produits de ce four arrivaient galement jusqu lusine Kerveguen du Piton Saint-Joseph. Un autre personnage marquant de lhistoire de Petite-le est Charles Augustin Choppy, qui hrite, entre autres, des terres et des moulins de Manapany et de lAnse. Ses grands parents Furcy Choppy et Thrse Constance Orr, sont parmi les pionniers de lindustrie du sucre dans la rgion. Le Domaine Choppy qui comprenait les terres de Manapany, de lAnse, de GrandsBois, de la Cafrine et de Terre Rouge, sera vendu en 1919 la socit de monsieur Georges Rougier Langane, qui la cdera en 1923 la Socit Anonyme de Grands-Bois, prside par Anatole Hugo.

Comte Ch. Choppy Coll. prive Adam de Villiers

Petite-le est une agglomration non planifie ; elle nest pas comme plusieurs villes runionnaises qui ont fait objet dtudes pralables avant leur fondation officielle. Les rues sont sinueuses et tant donn son relief particulier, elles sont presque toutes en pente. Les quartiers du littoral de Manapany avec son ancien dbarcadre, et de Grand-Anse avec son ancien four chaux, sa belle plage et son bassin de baignade, sont les attraits touristiques majeurs de la Commune. Le petit muse VarlopeGalre, vritable condens historique de la ville et de la rgion, est un endroit particulier et surprenant.

Les souliers de Petite-le

la fin du 19me sicle, en dehors des nombreux agriculteurs qui y font prosprer les terres, le hameau de Petite-le compte un menuisier, un charpentier et deux cordonniers qui fabriquent artisanalement des chaussures et des souliers sur mesure. Lexcellente qualit

de leur ouvrage acquiert une renomme telle quils sont dans lincapacit dhonorer toutes les commandes ; alors ils font appel un confrre de Saint-Pierre et un autre de Saint-Joseph qui viennent Petite-le prendre les commandes, le dimanche, pour les livrer le dimanche daprs.

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Transport collectif en 1883

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es routes sont empierres de pierres appeles macadam et calibres par une espce de caisse sans fond quipe de deux anses. Les employs de la voirie sont pied duvre en permanence pour les rparer, tant les charrettes avec de fines roues cercles de mtal dlogent les pierres chaque passage, creusant des sillons tout le long. Elles seront dailleurs interdites de circulation partir de 1956. ct de la gare de Saint-Pierre, la carriole qui attend les passagers du chemin de fer en transit vers Petite-le et Saint-Joseph a bien mauvaise mine. Les harnais ne sont pas cirs, les rnes sont rafistoles plusieurs endroits et les moyeux des roues bien mal graisss ou pas graisss du tout. La voiture tracte par deux petits chevaux croles na pas de place suffisante pour cinq passagers, mais on les embarque quand mme, avec leurs bagages ! Dans les descentes de Petite-le Manapany, il faut faire des miracles pour que les btes tiennent le coup, car la carriole nest quipe ni de reculoir, ni de frein ! Pauvres btes ! Le cocher narrte pas tout le long du parcours de faire claquer le chabouk au-dessus de leurs ttes et les petites cloches accroches leur cou retentissent jusquau fond des ravines. Au passage du bassin dix-huit, il valait mieux ne pas regarder sur les cts, de crainte dtre impressionn par l-pic de la falaise ! Il ny a pas de jour o deux ou trois arrts imprvus ne simposent pour des rparations

fortuites : une roue tombe ou une pice du harnais rompue. Heureusement Saint-Joseph, il ny a pas de correspondance vers dautres endroits, cest le terminus. Lheure darrive nest jamais sre. Dans lautre sens par contre, on pouvait presque toujours tre certain que la carriole allait arriver aprs le dpart du train pour Saint-Denis. Que de patience chez ces braves anctres !

Carte postale Coll. J. Ryckebusch

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Lglisees paroisses de la Petite-le et celle de la Plaine des Palmistes sont des paroisses surs ; elles sont nes la mme anne, 1857, cres par lvque Amand Ren Maupoint. Il faut dire que cet homme de Dieu, une poque o il ny avait presque pas de routes et que son moyen de transport se rsumait une vieille mule appele Batavia, en lespace de 14 annes dun fcond piscopat, na pas cr moins de 17 paroisses ! Ds 1857, on lance une souscription pour la construction dune glise et quelques mois plus tard seulement, une modeste chapelle ddie Saint Jean-Baptiste est rige en haut de la ville ; le cur Simon en est le premier pasteur. Cest Jacob Ethve qui donne le terrain pour la construction de lglise, et le chantier est men grce la gnrosit de tous. En mme temps, le cimetire du Piton Nol est officiellement ouvert. Lanne suivante, 1858, un cyclone impitoyable ravage la modeste btisse ; le cur Simon en est afflig. Il faut tout recommencer zro ! Ce nest que prs de cinq ans plus tard,

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en 1863, que les travaux de construction de la nouvelle glise commencent. Il faut souligner la solidarit de tous les paroissiens, ainsi que celle des usiniers des Domaines Choppy, qui ont t trs gnreux. En 1893, un autre malheureux cyclone met lglise genoux, et les Petite-lois devront aller prier presque lair libre durant une dizaine dannes, puisquen 1893 seulement lglise sera restaure. Cest le pre Franc Rivire qui lui donnera laspect actuel. Quelques curs ont laiss des souvenirs bien vivants dans la population, le pre Franck Rivire par exemple, qui en plus de son travail de cur tait un entrepreneur en tous genres. Beaucoup de jeunes paroissiens ont appris souder, travailler le bois et labourer les champs avec lui. Il avait des champs de mas, il levait des cochons et se trouvait toujours du temps pour aller visiter les familles ncessiteuses. Cest lui et ses ouvriers bnis qui ont construit le clocher, la salle duvres et la charpente de la nouvelle glise.

14 - Jacob Ethve 1858 Coll. prive Fontaine Hilaire

La Sainte CroixCroix Glorieuse

Petite-le on raconte que bien avant la cration de la paroisse en 1857, un visiteur a dcouvert au creux dune grotte, l-haut sur le Piton Nol, une petite croix de bois daspect trs ancien, suppose miraculeuse. La nouvelle de cette dcouverte fait vite le tour de lle et de nombreuses personnes se rendent dj sur le site, de faon non organise, pour invoquer les bienfaits de la Sainte Croix. Cette importante fte liturgique ntait pas1935 - 2010, 75 ans dhistoire

encore clbre la Runion. Pour cette raison, rapporte le Pre Georges Franc dans une lettre adresse le 21 octobre 1927 Mgr de Beaumont, le Pre Jean-Baptiste Simon, premier cur de Petite-le, a lide damnager le site et dorganiser comme il se doit le plerinage du Calvaire. Malade, il ne peut pas mener terme son entreprise. Il nest rest en cette glise quune seule anne, de 1857 1858. Son successeur, le Pre Jules-Louis Blanc,

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reprend le projet ds son arrive, et fait ouvrir un chemin menant vers la colline, le Piton Nol, dont le sommet est distant denviron 400 mtres de lglise ; lon y difie un calvaire surmont de la croix glorieuse. Le Pre Blanc, aid par une poigne de fidles met aussi en place les 14 stations et inaugure officiellement le plerinage. Nous sommes en 1858. Prs dune cinquantaine dannes plus tard, le site a besoin de quelques travaux et il revient au Pre Antoine-Victor Jules Louvrier, vers 1904 ou 1905, de les mener bien et damnager au niveau de la dernire station, des murs et une toiture pour abriter la grotte. Vers 1912, ce plerinage gagne de lintrt et devient davantage populaire. Dans une poque mondialement trouble, la guerre ntant pas loin, et dans un contexte social prcaire, la population est avide dune vie meilleure et sadonne volontiers toutes sortes de croyances, mme les plus absurdes. Il leur faut des croyances auxquelles se raccrocher. Le cur dalors, le Pre Puren leur en donne. Il relance le plerinage du Calvaire de manire formidable, et le nouvel lan spirituel quil lui confre le transforme en un trs grand succs ! Au dbut du 21me sicle, la ferveur populaire de ce plerinage na pas pris la moindre ride ; bien au contraire, elle se bonifie au fil des ans. Ce sont des milliers et des milliers de fidles qui y accourent de toute lle, chaque 14 septembre, pour passer ensemble des moments inoubliables de recueillement dans un site qui se prte merveille la prire et la mditation. Depuis la veille au soir, un chemin de croix aux flambeaux part de lglise SaintJean lvangliste et se dirige vers le Calvaire.

Le spectacle est surraliste, car il se joue sans spectateurs : en loccurrence tous sont acteurs, mme ceux qui ne sont l que pour regarder. Chaque individu est, malgr lui, intgr dans cette singulire manifestation. Des centaines de lumires scintillantes serpentent le sentier au son des cantiques et des prires ; les dcors ainsi crs relvent du divin et favorisent llvation du corps autant que de lesprit. Les Petite-lois nen perdent pas pour autant le got festif. La kermesse est soigneusement mise en place au bas du sentier : les manges, les carrousels, les restaurants de fortune et tous les autres divertissements attendent depuis la veille. Dans les familles, on met les petits plats dans les grands ; on reoit les proches ; on accueille les amis dont certains quon na pas vus depuis longtemps. Voil lautre face du plerinage du Calvaire de Petite-le : la fraternisation, les rencontres chaleureuses entre les gens. Le Pre Franck Rivire, dans les annes 1950 1960, refait compltement le site et relance cette fte liturgique en lui redonnant un sens plus profond. partir de l, le plerinage de Petite-le, ou plerinage du Calvaire, revt une importance spirituelle toute particulire dans le cur des fidles. Lglise de Sainte-Agathe, la Plaine des Palmistes, clbre aussi la Croix glorieuse. Cest le Pre Fernand Coupy qui la cre avec laide de la municipalit en 1976. Le parcours fleuri qui mne vers le Piton Calvaire est trs beau. Le plerinage a lieu, soit le dimanche avant le 14 septembre, soit le dimanche daprs pour ne pas concider avec celui de Petite-le. Sa frquentation est cependant suprieure celle du Sud, cause de lapport du Renouveau.

Eglise de Petite le

17 - Pre Franck Rivire - Arch. EvchLISTE DES CURES DE PETITE ILE SIMON Jean-Baptiste1857 EYMARD Pierre aot 1858 LE LIBOUX Joseph 1er fvrier 1879 PERRIN Toussaint 13 octobre 1879 REY Hippolyte 10 juin 1890 ZINS Antoine 22 fvrier 1892 MOUNIER Jean 25 juin 1892 LOUVRIER Victor 1904 1908 MAITRE Maurice 1908 1912 JOUHANNO Eugne 1912 PUREN Albert 1912 1922 FRANC Georges 1922 1930 DOUCE Paul 1930 1951 RIVIERE Franck 1951 1967 NOEL Ren1967 1970 HOAREAU Pierre 1970 2000 HOAREAU Jean 2000

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Champ de choufleur

Une ville dans la campagnela fin du 19me sicle, Georges Gonthier dit Kic, cultive dans sa petite proprit des hauts de la Petite-le brdes, salades, lgumes, mas, tabac, granium, vtiver, oignon et ail aussi. Les grains sont schs dans le far-far o sont aussi suspendus les aulx et les oignons en bottes. Dans la cour se trouve lenclos , une clture lancienne, monte en pierres sches qui dlimitent des espaces lintrieur desquels on lve deux ou trois cochons noirs et quelques poulets ; tous prennent refuge dans le parc zanimo , une petite btisse en bois couverte de paille de lataniers. Kic possde galement une vache qui produit du lait pour toute la famille. Pour les saillies, il sarrange avec des propritaires possesseurs dun taureau. Entre agriculteurs,

surtout cette poque-l, on sentraide gnreusement. La production agricole du quartier de la Petite-le est un peu autarcique en cette fin du 19me sicle, car principalement destine aux besoins de la famille ; rares sont ceux qui descendent en charrette jusquau march de nuit de Saint-Pierre pour vendre leur surplus sous le chapiteau du march couvert. Les cultures marachres et vivrires se trouvent majoritairement dans les Hauts, Piton Goyave, la Ravine du Pont et au Domaine du Relais notamment. Ces plantations ne se retrouveront dans les parties littorales que lorsquun rseau dirrigation sera mis en place, partir des annes 1980.

Lail de Petite-le

SLa belle et la botte

uite la cration de la Commune en 1935, toutes les forces vives simpliquent fortement dans le dveloppement de la ville et lagriculture qui reprsente presque cent pour cent de ses ressources, en bnficie grandement. Dans les annes 1970 par exemple, la production dail atteint les 100 tonnes ! Entre temps, des tracteurs apparaissent dans les champs et les charrues remplacent les pioches ; on change aussi

le systme de schage. Dsormais on ne le fait plus dans des far-fars exigus et souvent enfums, mais dans des hangars spacieux et ventils. On cultive aussi un petit peu doignon, mais Petite-le est le vrai pays de lail ; celui de loignon se trouve dans la ville voisine de Saint-Joseph. Ae, ae ! Voil quarrive la maladie de lail ! Dans les annes 1980, la maladie de la pourriture

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blanche surgit un bien mauvais moment. Cest un champignon qui sattaque aux racines de la plante et qui ruine des mois et des mois de travail. Une catastrophe ! Cest bien connu, le mtier dagriculteur nest pas de tout repos. Et comme un malheur narrive jamais seul, le manque dail se faisant sentir sur les tals

des distributeurs, le march ragit et se tourne vers limportation. Il ne manque plus que cela !Mais lhomme de la terre ne baisse pas la tte ; il se lve tt, remet son chapeau, reprend ses outils et repart aux champs dail. En 2010, en dpit dune importation toujours prsente, la production dail atteint les 170 tonnes !

Champ dail la Petite-le

La cration de la Commune

C

est sous le mandat du maire SaintPierrois Franois Isautier (1888 1900) que la Commune de Petite-le est cre. Depuis le 26 fvrier 1891 un poste dadjoint spcial a dj t mis en place pour subvenir aux besoins administratifs des habitants de lAnse et de Petite-le. Lors de la sance du conseil municipal de Saint-Pierre du 21 novembre 1891, une demande est dpose par Frdric Barrab pour acheter aux hritiers Leveneur un immeuble destin devenir la Mairie. Ce bureau est inaugur le 4 fvrier 1893 et le reprsentant de ltat civil est Alexandre Payet. Larrondissement de Petite-le est officiellement dtach de celui de Saint-Pierre par la loi du 2 mars 1935. Lors des festivits de la cration de la Commune une partie de ses 3000 habitants est aux premires loges devant le bureau de monsieur Achille Bnard, jusqualors dlgu spcial de Petite-le auprs du conseil municipal de Saint-Pierre. La modeste btisse est dsormais devenue mairie, son premier occupant et premier maire tant le docteur Paul Arnaud.

Lun des fils dEmile Folio, Antonin, avait 14 mtiers et 16 misres comme on disait lpoque. Pour mmoire, il descend du pionnier de 1727, Pierre Folio. Son pre Emile, comme petit agriculteur, a labour les terres hrites de ses anctres, mi-hauteur des pentes Petite-loises. Les temps tant durs, le travail tait obligatoire pour tout le monde, grands et petits. Tous les enfants dEmile simpliquent avec dtermination au labeur de la terre et participent activement, leur manire, au dveloppement du quartier. Mais Antonin, comme agriculteur bien sr, est aussi charroyeur deau, secrtaire de mairie et arpenteur asserment (ou jur). Faute darpenteurs officiels pour rgulariser un nombre important de proprits dans les annes 1900, les notaires font appel lui. Antonin sacquitte consciencieusement de ce minutieux travail. Antonin a les fonctions de premier adjoint la mairie. Lorsque le maire, le docteur Arnaud, est mobilis pour la deuxime guerre, Antonin Folio devient maire pour un laps de temps, jusqu ce que les dlgations spciales soient mises en place par le nouveau gouvernement de lle.1935 - 2010, 75 ans dhistoire17

Dr Franois Isautier Arch. Mun. St Pierre

Famille dAntonin Folio Coll. prive Raphael Folio

Les dures annes

LLeau la source - Photo Blay

Carri au feu de bois

es enfants se lvent tt et leur premire tche est celle daller chercher de leau la fontaine ou la citerne municipale. Chacun prend un ustensile, un fer blanc, une grosse dame-jeanne ou un vieux broc en plastique. Ils sont plusieurs devant le robinet, dix, quinze, vingt, selon lheure darrive, et ainsi une queue se forme naturellement. Tous les jours, des petits malins essaient de voler leur tour, ce qui provoque invitablement des bagarres acharnes ; la journe est longue et tous veulent sacquitter de leur obligation le plus tt possible. Parfois des adultes arrivent et simposent ; ils passent devant, et les enfants ne peuvent que ravaler leur rage. Quand leur ustensile est enfin rempli, pour viter que le balancement de leur marche ne leur fasse perdre trop de prcieux liquide sur le parcours, et pour que leau ne mouille pas ses porteurs, ceux-ci couvrent les rcipients avec des feuilles de bambou de prfrence, mais aussi avec des feuilles de bananier et mme de goyavier. De retour la maison, ils avalent rapidement un petit dj : riz ou mas chauff, ou simplement mas avec un peu de piment, manioc ou quelques patates cuites la vapeur, et cest tout ! Et en route pour lcole, nu-pieds. lpoque, mme les enfants des familles aises navaient pas de chaussures. La premire cole de Petite-le se trouvait juste en haut de la boutique Ah-Sou, en ville, et les cours commenaient 8 heures. Des enseignants tels Francisque Dorseuil, Jules Gonthier ou Emile Payet, par leur inexorable patience et par leur grande gentillesse, sont des exemples marquants, en tout cas inoubliables, pour presque tous leurs lves. En ces annes hroques, il ny avait pas de cantine scolaire ; alors les enfants apportaient avec eux un casse-crote,

qui le plus souvent tait un prolongement du petit djeuner, avec quelques morceaux de pomme de terre ou de manioc cuit. onze heures on revenait la maison lorsquelle ntait pas trop loigne, pour le djeuner. Les enfants Nativel par exemple, qui marchaient neuf kilomtres pour se rendre lcole y restaient le midi. Le repas de mi-journe tait nouveau constitu de mas ou de riz, de bouillon de brdes, pois, parfois agrment de morue ( lpoque, un mets bon march), de sardines ou de pilchar en conserve. Le bon carri volaille tait rserv aux dimanches. Exceptionnellement, lorsquon avait tu un cochon dont tout le voisinage en profitait, on avait droit un bon carri patte cochon . Le soir, le dner consistait le plus souvent manger le reste du midi, augment de quelques friandises lorsque cela tait possible, un beignet de banane par exemple. quatre heures ctait la dbandade, tout le monde rentrait en courant la maison et en arrivant, il fallait tout de suite aller chercher les herbes pour les animaux, qui pour la vache, qui pour les cabris, qui pour les lapins. Une fois cette corve accomplie, alors on soccupait des leons. Et les matres taient intraitables l-dessus. Le soir, certaines familles, pas toutes, savonnaient les enfants, cest--dire les faisaient se laver avant daller au lit. Et l, pnurie deau obligeant, on rcuprait celle que la maman avait utilise pour laver le riz ou le mas, pour se laver les pieds, dans lordre hirarchique des ans aux benjamins. On imagine combien le 13me ou le 14me enfant prenait son pied lorsquil mettait ses orteils mariner dans ce jus ! La couleur de leau lorsque le 13me ou le 14me enfant fermait la marche !

Bouc de Petite-le

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Lhygine, un problme

L

hygine laissait beaucoup dsirer. La plupart des enfants attrapaient dans la poussire les fameuses puces blanches ou les chiques qui se logeaient le plus souvent au niveau des talons. Cela provoquait de grosses dmangeaisons ! Certains enfants avaient mme du mal marcher tellement leurs pieds en taient couverts ! Il fallait les enlever une une avec une pingle, ce qui tait loin dtre une partie de plaisir. Les maux de ventre aussi taient rcurrents ; il faut dire quon ne lavait jamais les fruits, les lgumes ou les crales quon mangeait. Il ny avait pas de docteur Petite-le, cest le docteur Henri Roussel de Saint-Pierre qui venait une fois par semaine soigner les pauvres gens la mairie, et chaque fois il y avait foule, et tous les malades ne pouvaient pas tre consults. Le docteur Archambault aussi a rempli cette mission en son temps. Il ny avait pas dinfirmier non plus ; cest monsieur Marcel Bnard qui, bnvolement, soignait les foulures, perait les furoncles et faisait les piqres. Il faut attendre 1958 pour que le docteur Andr ouvre Petite-le un premier centre mdical, avec une salle daccouchement et une petite pharmacie. Il faut ajouter que lpouse du docteur Andr est infirmire de toutes les coles qui se trouvent entre SaintPierre et Saint-Philippe. lpoque, part le camion de Laurida Payet qui circule dans la

ville depuis sa cration, la 2 cv du docteur est pratiquement le seul vhicule moteur circuler en ville. Les familles qui avaient la chance davoir une vache, sarrangeaient avec des voisins qui en possdaient aussi une, pour quelles naient pas leur veau en mme temps, de faon que les enfants aient du lait tout le temps (on chelonnait les vlages en gros tous les trois mois). La matrone qui a probablement le plus uvr dans la Commune, est Mme Nonome qui, selon les souvenirs et les calculs des anciens, a assist au moins 7000 accouchements !

Dr Henry Roussel 1904 Coll. prive Arlette Roussel

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Le vtiver

IJacky Huet planteur Petite le

rne Huet est encore jeune quand il assiste aux festivits de la cration de la commune en 1935, mais cest dj un vieil habitu de la terre. Dans les annes 1950, il se lance dans la culture du granium et presque en mme temps, dans celle du vtiver. Quils sont velus ses champs de vtiver ! Lorsque le vent les caresse dlicatement, leur ondoiement rivalise avec celui des vagues de la mer toute proche ! La culture du vtiver demande peu de soins et peut rapporter trois quatre fois plus que celle de la canne sucre, mais au prix de longs et pnibles efforts. On travaille cette plante au deuxime semestre ; on coupe les fines feuilles avec un sabre bien aiguis, puis avec la pioche on retourne les mottes de 25 30 kilos pour les exposer lair, de manire que les rhizomes schent. Et l, gare la pluie ! Lorsquelle arrive et quelle dure plusieurs jours, cest autant de temps dinaction pour les agriculteurs,

et de dprime! Bon nombre dentre eux se retrouvent alors la buvette du coin pour noyer ce malheureux temps dans un verre darak, puis un autre. Et l, les mfaits de lalcool Enfin, tout nest pas sombre dans les Hauts de Petite-le ; nombreux sont les bras courageux qui reprennent les prcieuses mottes, coupent les racines et les mettent en meules , les recouvrent avec leurs propres feuilles pour quau bout de quelques jours, elles soient prtes tre distilles. Depuis la cueillette, sans la pluie, il faut au moins 15 jours de prparation avant de procder la cuite . Il faut ensuite les porter sur la tte jusqu la distillerie, comme des forats ! Les cuves ont plusieurs capacits : elles peuvent aller de 300 800 kilos de rhizomes dshydrats. Personne ne peut senrichir avec le produit de ce travail, mais au moins il reprsente une valeur sre. Si les bnfices ne sont pas trs importants, ils ont lavantage dtre rguliers.

Lutile et lagrable

LJouet hlice paille canne baton vtiver

es enfants des planteurs ont vite trouv dautres utilits au vtiver : avec les fines tiges des panaches (fleurs) et avec de petites lses de paille de canne sche, ils confectionnent des jouets, des charrettes miniature, des maisonnettes et de petits moulins vent. Les matresses dcole y dnichent un outil

pdagogique original : de nombreux enfants apprennent compter en manipulant les btonnets de vtiver. Les pouses des planteurs sont aussi trs imaginatives : avec de la paille de vtiver elles confectionnent des chapeaux, des bertelles, des sacs, des siges de tabourets et de chaises. Un artisanat de toute beaut !

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La distillerie How Chong

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onsieur How Chong Andr, plus connu sous le nom de Ah Soon arrive la Runion en 1934, alors quil est encore bien jeune, seize ans. Il est log chez les Ah Fa au Tampon, faisant valoir lternel esprit dentraide des hommes de lEmpire du Milieu. Comme tout bon Chinois, il sintgre trs rapidement et sintresse aux terres de Manapany-les-Hauts o un frre de lait est dj install. Monsieur How Chong fait connaissance de Marie Tsang King Sang, une Saint-Pierroise fille dimmigrants chinois. Leur mariage a lieu en 1945 alors quil a vingt-sept ans, et elle dix de moins. Et, selon les termes du biographe Frdric Mocadel, ils sinstallent au royaume du Vtiver . Comme beaucoup dimmigrants chinois, ils se tournent dans un premier temps vers le commerce de dtail, vendant une grande varit de produits : de la morue, de lhuile de coco, du saindoux, de lalcool brler, et parfois de trs petites quantits sadaptant la demande et aux moyens de certains clients : un petit sachet de sucre, un comprim daspirine, voire deux ou trois cigarettes, par exemple. Ils consentent aussi du crdit presque tous leurs clients pour tre pays au moment o ils touchent largent de leur rcolte. Leur premier enfant nat sept ans plus tard, en 1952, et dans les huit ans qui vont suivre six autres viendront grossir la famille. En bons Chinois runionnais, suivant les enseignements du philosophe Confucius, dans la recherche de lharmonie et ayant la volont dintgrer les valeurs de la socit dans laquelle ils vivent, ils embrassent le christianisme et se

font baptiser catholiques. Le vtiver, originaire de lInde et de Ceylan, est prsent lle Maurice ds 1764, mais depuis 1882 seulement des planteurs des Hauts de la Runion se lancent dans sa culture, ainsi que dans celle du granium. Dans le Sud, toute la rgion allant du Tampon jusqu Saint-Joseph se couvre de ces plantes entre 400 et 600 mtres daltitude. Le vtiver est une gramine qui sadapte trs bien dans les sols volcaniques ; robuste, il rsiste aux cyclones et demande peu dentretien. Cependant, pour extraire son huile, un travail colossal est ncessaire. Les Ah Soon (How Chong) dcident de diversifier leur activit en 1958. La Runion entre en quelque sorte dans lge dor des huiles essentielles ; la qualit de ces produits intresse les grands parfumeurs franais, notamment ceux de la rgion de Grasse. Utilis comme note de fond ou comme fixateur dans les parfums, le vtiver est prsent dans plus de 300 produits ! Le couple utilise dabord, dans sa petite exploitation, les modestes et traditionnels alambics au feu de bois dj prsents chez quelques voisins. Heureusement le bois pousse au milieu des champs de vtiver et aussi proximit de la source du piton Charrier. Mais les alambics sont aussi gros consommateurs deau que de bois. Ayant la volont doptimiser son activit, Andr Ah Soon achte un ferrailleur de Saint-Pierre une chaudire usage, et avec laide technique de Luc Lesport, ancien employ dun autre distillateur, il ouvre la distillerie de Manapany-les-

Andr How Choong Coll prive Ah Soon

Monsieur Luc Lesport Coll. prive Serge Hoarau (Muse Varlop-Galr)

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Hauts, tout prs de sa boutique. Il savre quau dbut des annes 1960, la Compagnie du chemin de fer de la Runion vend en pices dtaches ses vieilles locomotives. Le perspicace Chinois achte des chaudires et relance la distillerie avec des moyens techniques plus performants, qui permettent ds lors de rcuprer un maximum dhuile des racines du vtiver. Pendant que Marie soccupe de la boutique, Andr Ah Soon et Luc Lesport saffairent tester de nouveaux matriels, essayer de nouvelles techniques et amliorer les conditions de production et de rendement. En septembre 1963, un drame survient dans la proprit de Manapany les Hauts : un arrt vasculaire crbral met fin brutalement la vie de lhomme nergique et rempli dambition. Ah Soon na que quarante cinq ans ! Marie est veuve trente trois ans et elle se retrouve avec ses sept enfants, lan nayant que onze ans et le petit dernier venant tout juste de fter son premier anniversaire. La famille, la belle-famille, la famille du frre de lait des Ah Soon (How Chong) et tout leur entourage resserrent les liens de leur lgendaire solidarit et lpreuve est vite surmonte par Marie, cette mre courage qui pate tout le monde par sa force morale et par ses grandes capacits de travail. Cette jeune veuve reprend seule les rnes de laffaire et fait resurgir des chaudires de Manapany-les-Hauts, la vapeur blanchtre des cuites et larme subtil de lessence du vtiver. Si auparavant une cuite durait entre douze et vingt heures, avec les nouvelles techniques mises en place elles ne prennent que huit dix heures. Les procds crs dans son entreprise

donnent une huile de grande qualit, sans doute lune des meilleures au monde et du coup, trs recherches par les industriels du parfum. Peu de temps aprs la disparition de son poux, Marie accrot les capacits de distillation en rachetant la chaudire dun bateau, le vapeur La Virginie, un remorqueur de la Pointe des Galets parti la retraite. Cette chaudire de quinze tonnes qui fonctionnait au charbon occupe en permanence quinze ouvriers pour lalimenter directement en bois ; elle brle en continu de mai dcembre et fournit de la vapeur six alambiques la fois. Au prix de cadences infernales, la production de la distillerie de Manapany-les-Hauts augmente de manire considrable. Un an plus tard, Marie rachte une deuxime chaudire, celle de feu Zarzuna , un autre remorqueur dont la capacit de vapeur est deux fois plus importante que celle de la Virginie ! La cadence augmente encore, et la production aussi. Cette nouvelle chaudire engloutit une tonne de bois par heure ! Un gouffre de bois ! Une quipe douvriers est affecte uniquement couper (et replanter) des pieds dacacia partout o il se peut. videmment cette source dnergie nest pas ternelle et Marie a dj en tte une alternative. En peu de temps, elle fait adapter son matriel pour fonctionner lhuile de vidange ! Cette huile est rachete un prix intressant auprs des garagistes de toute lle, puis elle est filtre sur place et brle dans les chaudires. Avec la Zarzuna , ce sont douze alambics la fois qui sont approvisionns en vapeur, et elle mobilise vingt cinq ouvriers. Les rendements

Marie How Choong (Ah Soon) Coll. prive Alex HC

Restes de la chaudire du Zarzuna

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peuvent avoir des variations importantes : une tonne de racines peut produire de dix vingt kilos dessence, et parfois, ce qui est plutt rare heureusement, cela peut descendre deux misrables kilos ! Malgr tout, la fin des annes 1960, lusine atteint son apoge avec plus de vingt cinq tonnes dhuile de vtiver produites dans lanne. La production totale de la Runion est de quarante cinq tonnes. Marie est partout : elle est dans le bureau, dans les champs, dans la boutique ; elle est dans lusine ; elle respire la poussire paisse des racines au moment o on les met dans les cuves ; elle respire aussi les effluves concentres du vtiver Marie pense beaucoup plus aux autres qu elle-mme. Dune certaine manire, madame Ah Soon mutualise ses installations en les mettant disposition des producteurs voisins qui, en guise de location, lui versent une partie de leur production. Voil qui est intelligent ! Marie squipe aussi en amont ; elle est lune des premires exploitantes mettre en service des tracteurs vers 1968 ; elle commence avec un, puis deux et on en comptera jusqu dix ! Ctaient des engins de la marque Deutz. La dame propose aux petits agriculteurs de leur venir en aide avec ses tracteurs, sous la base dchanges ; au moment de rcuprer les racines, cest aussi son camion qui va dans les champs pour le faire. La production dhuile essentielle est une activit spculative, les cours des essences sont fixs par les bourses de Paris et de New York, et ils sont soumis dimportantes fluctuations. Dans les annes 1980, le produit runionnais est fortement concurrenc par celui dHati et de

Java notamment. une poque o la mise sur les marchs de parfums masculins sintensifie et que lessence de vtiver est fortement demande, sajoute la guerre des prix une formidable augmentation du cot de la mainduvre en France. Aussi, la mise en place par le gouvernement daides sociales aura-t-elle un effet pervers dans certaines activits agricoles ; elles feront dserter les champs de vtiver par les derniers ouvriers. La production runionnaise accuse le coup ; elle stagne, puis diminue inexorablement. Cest dans ce contexte morose que tout un mtier va perdre sa principale animatrice : Marie dcde en 1982, 48 ans, emporte par un cancer des poumons. Ce sera la fin de ladmirable pope du vtiver Petite-le, et la Runion. En dcembre 1993, onze ans aprs sa disparition, la distillerie de Manapanyles-Hauts ferme ses portes. La production dhuile de vtiver dans toute lle atteint alors pniblement une tonne. En 1985, les installations sont vendues au Conseil Rgional qui souhaite relancer lactivit, certainement avec des moyens bien suprieurs ceux dune seule famille, mais la ralit conomique aura raison de la courageuse entreprise. Les installations sont abandonnes ; les quipements dont les magnifiques vases florentins sont pills un un, et la distillerie How Chong, qui a fait vivre tant de familles, finit presque dans loubli. Presque, parce quelle sera toujours bien prsente dans le souvenir de nombreux planteurs qui y ont pass de longues et dures annes de leur vie.

Vtiver How Chong Coll. prive Alex AC

Tracteur Deutz

Usine How Choong Coll. prive Serge Hoarau (Muse Varlop-Galr)

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Les premiers Chinois

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Jean Ah Fou (1888 - 1965) Coll. prive Famille Ah Fou

e premier Chinois sinstaller dans le quartier de la Petite-le est Jean Ah Fou. N en 1888 dans lEmpire du Milieu, cet aventurier arrive dans lle juste la fin de la premire guerre mondiale et se fixe dans le Sud, ds 1919. Il a 31 ans. Dsireux de fonder une famille, il fait connaissance de la belle Pauline Alexina Payet, une jeune fille de 24 ans, et lpouse en 1920. Ils ouvrent dans un premier temps une petite boutique juste en face de lglise, pour dmnager quelques annes plus tard un peu plus bas, proximit de la croise du Calvaire, dans un emplacement plus spacieux, plus confortable, et leur nouveau commerce sadapte au fur et mesure aux besoins de leurs clients. Lpoque est difficile ; les annes qui suivent la premire guerre mondiale sont rudes et des efforts considrables sont ncessaires pour donner lessentiel leurs enfants qui commencent natre. Entre 1921 et 1936, le couple en aura six, cinq garons et une seule fille ! Il ny a presque rien dans cet cart de Saint-Pierre ; cest le bout du monde. Chaque jour, il faut aller chercher de leau la citerne ; les chemins sont cahoteux et les approvisionnements compliqus ; le manque dargent fait que les grossistes sont pointilleux et trs exigeants.

faut se lever trs tt pour aller se ravitailler Saint-Pierre. Souvent aussi, il faut emprunter le train pour aller de l jusqu Saint-Denis sapprovisionner chez des importateurs, ce qui prend au moins deux jours de voyage. Voyant dans ce besoin un crneau prendre, Jean Ah Fou achte la Compagnie de Chemin de fer un car courant dair et cre vers 1940 la premire socit de transport de la Petite-le. Cest son fils Alex qui assure au volant du vieux Citron une fois par jour, un aller-retour ; le car part de la place de lglise 4 heures du matin et arrive au march de Saint-Pierre au lever du jour. Puis, vers les onze heures, charg de passagers et de marchandises il rentre Petite-le o il est de retour vers midi. Le deuxime Chinois simplanter Petite-le est Pierre Chane-Woa. Arriv de Canton en 1916 il passe quelques mois Saint-Denis o rside dj un frre an, Chane-Yuen, puis il gagne le Sud, lEntre-Deux, o il se loge et travaille chez les cousins Chane-Hive. Au bout dune dizaine dannes, Pierre retourne en Chine avec lide de sy marier ; aprs ses noces, il revient la Runion en 1929. Cest alors quil sinstalle Petite-le avec son pouse Marguerite, tout prs de la croise du Calvaire et des Ah-Fou. La ville se voit dote dune deuxime boutique chinoise, et ce nest pas trop, chacune y trouvant largement son compte. Trs vite, Pierre ChaneWoa remarque une clientle spciale quil ne fallait surtout pas ngliger : les fidles paroissiens catholiques qui se rendent chaque dimanche

Pauline Alexina Payet puse Ah Fou en 1918 Coll. prive Famille Ah Fou

Les transports collectifs sont inexistants, les uns dpendent des autres, mais une sorte de solidarit existe naturellement : celui qui possde un cheval, un buf ou une charrette vient au secours de celui qui nen a pas. Il

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la messe ds quatre heures du matin ! Voil une vieille coutume hrite des temps de lesclavage et encore bien vivace en ces temps-l. Ds la fin de la messe, ils sont nombreux venir chercher chez Chane-Woa gteaux secs, sucres dorge, bonbons la rouroute, nougatine, gteaux chemin de fer, berlingots, bonbons patate, colle pistache, mche pain et autres bonbons la menthe en deux couleurs. Ainsi, Pierre construit avec de faibles moyens, dans un local exigu, un atelier et un four, et il ouvre la premire ptisserie confiserie de la ville. Peu de temps aprs la deuxime guerre mondiale, il achte au garde forestier Grondin, la grande maison en bois den face, 25.000 francs CFA , se souvient Charles, et partir de l, avec plus despace il commence diversifier ses affaires. Ds 1950, Pierre Chane Woa est le premier utiliser un frigidaire ptrole, un quipement de la marque Servel, qui permettait la conservation de certains aliments mais aussi des boissons fraches offrir sa clientle. Grande nouveaut ! Sans tarder, pour optimiser ses activits, il acquiert un groupe lectrogne produisant du courant de 12 volts, ce qui entrane automatiquement lacquisition dautres appareils fonctionnant llectricit. Un nouveau frigidaire entre dans le magasin, un magnifique Westinghouse de 250 litres ! Avec ce groupe, on chargeait aussi des batteries, des accumulateurs, pour lclairage lectrique, et plusieurs familles qui en possdaient les apportaient priodiquement la boutique pour les recharger. De lingniosit de Ti-Kai

nat un drle dappareil fabriquer des sachets en plastique pour emballer notamment des pistaches grilles (cacahutes). Ds lors, il commercialise presque la totalit des cacahutes produites Petite-le. Un type de commerce plutt surprenant et original tait assur par les enfants des carts : ils surveillaient de prs le caqutement des poules dans les champs avoisinants pour vite rcuprer luf pondu, et aller le vendre monsieur Pierre. Souvent les enfants changeaient des ufs contre des parties de baby foot ou de billard, puisque le commerce des Chane-Woa tait aussi la premire salle de jeux de Petite-le. Pierre Chane Woa acquiert un poste de radio galne, probablement le premier de la ville, et linstalle sur lune des tagres de la boutique. Les gens y venaient toute heure pour couter la radio ; cela crait une joyeuse ambiance et, videmment, ctait aussi un excellent prtexte pour attirer de la clientle. Le deuxime possder un poste de radio, daprs les souvenirs de Roger TiKa, est Maurice Ethve, un agent des Ponts et chausses. Pour le rhum, se souvient Flix, il fallait dabord se procurer un laisser passer auprs de monsieur Lon Reneval la Perception, puis, venir chercher le rhum avec monsieur Tcher, le responsable du dpt qui se trouvait lemplacement du parking de la Mairie. Au dtail, on le vendait par petites mesures, un musqu , un demi quart ou un quart de verre. Cest cette poque aussi que Chane Woa achte la premire moto de lhistoire de la ville,1935 - 2010, 75 ans dhistoire25

Car courant dair - carte postale Coll. J. Ryckebusch

Marguerite et Pierre Chane Woa - 1935 Coll. prive Famille Chane Woa

Maison de lagent forestier Grondin Croise du Calvaire - 1954 Coll. Chane Woa

Patisserie Chane Hoa

un engin dont les vitesses se passaient la main. Le mcano tait monsieur Moiseau, un agent de la Poste. Certainement le fait de devoir acheter du carburant pour sa moto lui donne lide den faire aussi le commerce ; les conditionnements sont des galons de 20 litres, des fers blancs , quil dtaille laide dune toute petite pompe manivelle. Cest alors que Mobil Oil lui propose douvrir Petite-le une premire station essence. Pierre Chane Woa hsite ; pour passer ce stade, il faut manipuler des fts de 200 litres dun produit extrmement inflammable et, compte tenu des fours et des autres appareils lectriques dont son commerce est dsormais dot, le danger lui parat trop grand. Il dcline loffre. Li-Thiao-T, dit Pintev, est le troisime Chinois install Petite-le et ce, depuis lanne de la cration de la Commune, 1935. Cest lui qui profite de loccasion pour conclure un contrat avec le distributeur dessence, en 1949. Il aura donc la premire station de la ville. Plutt que de sattribuer un prnom occidental comme le font tous les immigrs chinois, Li-Thiao-T sest donn lui-mme le sobriquet Pintev, qui dans sa langue veut dire Prfet . Ds que sa station est oprationnelle, ses premiers clients sont le car courant dair dAlex Ah Fou, le premier ambulancier de la ville monsieur Armand Ethve, avec son fourgon Renault immatricul 24 U 974, et le pre Douce qui avait lui aussi une petite voiture manivelle. Pintev sinstalle dabord la Ravine du Pont en 1935, et ce nest quaprs 1948 quil26

Ancien poste de radio Coll. Serge Hoarau (Muse Varlop-Galr)

dmnage en centre ville. Il retourne, lui aussi, dans son Meixiam natal pour se marier une compatriote, Tsang-Chun-Wan, avant de revenir Petite-le avec pouse et belle-mre, Tseng-Fon-Thiam. Son choppe du centre ville devient peu peu une quincaillerie, qui sera aussi la premire de la ville. Le couple aura onze enfants, dix garons et une seule fille ! Cest Justin, dit Rmi, qui juste aprs avoir fini son service militaire reprend lactivit parentale en 1964. Il prend sa retraite quarante ans plus tard, et en 2004 il ferme les deux activits, la station et la quincaillerie. Cest en 1954 que llectricit arrive dans la ville. On plante des poteaux, on tire des cbles, on raccorde les habitations, on change le dcor du hameau qui commence ressembler une vraie ville. Cest en cette anne que Jean Ah Fou se paye le luxe dinstaller dans son commerce un poste de tlphone, le premier de lhistoire de Petite-le. Inutile de dire que ce modernisme sera de grande utilit de nombreux villageois qui souvent se serviront de lui pour les besoins les plus divers. Ds 1958, limportateur Shell reprend contact avec Pierre Chane Woa pour lui proposer un nouveau systme de distribution de carburant, avec de grandes cuves enterres. Cette fois-ci, le contrat est rapidement sign. En 2010, les Chane-Woa de Petite-le sont les seuls grants de la marque Shell la Runion ayant un contrat ininterrompu de plus de cinquante ans ! Avec louverture de la station, automatiquement un garage automobile est aussi mis en place, et lui aussi est le premier de la ville.

(Pintev) Li Thiao T, sa mre et son pouse - Coll. Famille LTT

Ancienne boutique Chane Woa Coll. famille CW

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Les premiers Zarabes Sulliman Ismal Karodia arrive de lInde vers 1919, avec son pouse Marriam Sady Karodia et un couple denfants tout petits, Kadidja et Issop. Il passe quelques temps lEntre-Deux, puis il sinstalle Petite-le en 1923. Son commerce est juste au-dessus de lglise, dans le virage. Monsieur Sulliman droge la rgle ; il nest pas commerant comme tous les autres Zarabes de lle : il est gnraliste ! Dans son choppe on trouve de tout, tout comme chez les Chinois ! Ces annes daprs-guerre ne lui sont pas tellement favorables et il rencontre beaucoup de difficults sen sortir. Ses enfants vont lcole du village et ils ont comme ami un gamin de la Ravine du Pont appel Armand Nativel, qui deviendra quelques annes plus tard le maire de la ville ! Avant la cration de la Commune, en 1933, Sulliman dmnage vers Cilaos pour tenter lhaut la chance quil na pas eue Petite-le. Mais il y a laiss de nombreux amis, les commerants sont toujours des gens trs sympathiques et en ces temps-l, on se respectait beaucoup ; les liens damiti supportaient facilement et la distance, et labsence. Cest ainsi que, selon les souvenirs de son petit dernier n Cilaos, Amode Karodia, de temps en temps il venait en famille Petite-le sapprovisionner auprs de ses amis, les Nativel, les Ethve, les Folio et les Hoarau. Puis, ils rentraient avec leur vieille carriole remplie de salades, dail, doignons et aussi de trs bonnes et grandes pastques. Le second Zarabe de Petite-le est Moussa Mooland, dit Issop, arriv de lInde et install peu aprs 1935, proximit de lancienne mairie o il tenait un petit commerce. Cette activit sera phmre. Monsieur Issop se marie une jeune femme crole de lEtang-Sal, Estella Lallemand, et

Sulliman Ismael Karodia 1924 Petite-le Coll. prive M. Karodia

Marriam Sady Karodia en 1950 Cilaos Coll. prive M Karodia

Ismael Badat Coll. prive famille Badat

le couple aura un seul enfant, une fille prnomme Ansou. Moussa Issop dcde lors dun voyage la Mecque et la famille ferme aussitt le magasin et se destine dautres activits. En 1989 le dernier des petits enfants Issop quitte Petite-le pour sinstaller Saint-Pierre. Pour sa part, le troisime Zarabe de Petite-le est Ismael Badat ; il arrive en 1947 et loue monsieur Maurice Ethve un modeste emplacement proximit de la citerne au-dessus de lglise, l o tous les matins, des enfants venaient chercher de leau. Il se souvient que des animaux aussi y venaient, notamment des vaches qui sabreuvaient leau qui tombait dans le bassin en contrebas. Ismael rencontre une fiance originaire de la ville du Port, une jeune femme de la famille Gangate, Havan Bibi. Ils se marient selon les rites musulmans le 16 mars 1952, mais leur union ne sera officialise la Mairie de Petite-le que le 7 mars 1961. En 1956, pri de quitter son loyer, Ismael Badat a la chance den trouver un autre un peu plus en aval, en bas de lglise, une maison appartenant Yvon Ethve, un habitant de la ville du Port sans lien de parent avec le premier, Maurice. En 1965, le couple Badat et ses sept enfants emmnagent dans une magnifique maison en bois disposant dune grande cour. Ds lors, cette maison, avec beaucoup deffort et dabngation, voit prosprer les affaires, car ils y difient leur beau magasin.1935 - 2010, 75 ans dhistoire

Patisserie Chane Hoa

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Les btisseurs de la ville

N

Irene Fontaine et Jules Ethve en 1914 Coll. prive Marie Annie Fontaine

icphore Fontaine est un Petit-lois de vieille souche ; il a entre les mains un mtier hrit de ses parents et grandsparents, autant dire quil excelle dans lartisanat du bois, menuisier, charpentier et mme bniste ses heures. Il est demand partout, pour difier des charpentes, pour couvrir des maisons, pour produire des meubles et mme pour fabriquer des cercueils ! En cette fin de 19me sicle, tout le monde est aussi un peu agriculteur. Rares sont les familles qui ne disposent pas quelque part dun petit bout de terre pour y planter quelques choux, quelques pommes de terre ou quelques tomates. Nicphore et Elisabeth (Gonthier) ont six enfants : Irne est lan, cest lui qui reprendra en son temps lactivit de son pre. En 1914, quelques jours aprs quIrne sest fianc Lona Lucie Achila Marcella Payet, la guerre est dclare en Europe et il est appel pour partir vers la Mtropole avec le contingent runionnais. Nombreux sont les jeunes de Petite-le devoir partir et lun des compagnons dIrne est un certain Carles de Lavergne. Dans lle, ils seront plus de quatorze mille ; cest la premire fois que les Runionnais se sentent Franais part entire ; jusque-l la Colonie tait superbement oublie de Paris, mais pour cause de guerre, les jeunes croles sont appels en renfort pour combattre lennemi aux cts des mtropolitains, dans les mmes tranches et sous les couleurs dun seul et mme drapeau.

Heureusement, Irne Fontaine fait partie de ceux qui reviennent au pays. En 1919, les quais du port de la Pointe des Galets sont noirs de monde pour accueillir les hros de la grande guerre. Lpisode de la grippe espagnole qui sen suit, supprime dfinitivement le sourire de beaucoup de familles dcimes par ce flau. Petite-le chappera au pire. Les liens damiti nous entre les excombattants sont ternels ; dsormais les frres darme forment une grande famille. Irne retrouve sa fiance et le 10 aot 1920 en lglise de Petite-le, le cur les unit par les liens sacrs du mariage. Cette crmonie signe lpilogue dune longue attente, dune incroyable histoire riche en vnements et en motions ; en mme temps elle crit le dbut dune autre vie, celle dune famille qui aspire de plus nobles destins que guerriers. Irne reprend son rabot, ses gouges, sa varlope, son gone, son marteau et autres chignoles et en compagnie de Thierry Jean-Baptiste, dIrne Leichnig et dautres amis proches, reprend la construction non dune simple pice, non dune modeste case, mais celle dune ville tout entire ! Tous participent avec leur admirable savoir faire, meuble par meuble, maison par maison, ldification de la grande cit. Lorsque Carles de Lavergne se porte candidat la Mairie, de manire tout fait naturelle, Irne Fontaine est dans sa liste. Lun est lu Maire, et lautre devient Conseiller Municipal.

Irene Fontaine et Lucie Coll. prive MA Fontaine

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De la plume lenclumecadius Mzino est un autre enfant de Petite-le qui a marqu lhistoire de sa ville de longues annes durant, 102 exactement, par une existence pleine et exemplaire. N en septembre 1908, fils de modestes agriculteurs, il passe son certificat dtudes lge de 12 ans, puis 14 il laisse la maison familiale pour se rendre au Petit Sminaire de Cilaos en 1922, parfaire ses tudes secondaires. En 1926, il est de retour dans sa ville avec un niveau dtudes que bien peu de Runionnais connaissent

A

lpoque. Ds lanne suivante, 1927, 19 ans il commence un parcours professionnel dexception. Il est clerc de notaire SaintPierre. Cinq ans plus tard, en 1932, la stupfaction gnrale il quitte volontairement les stylos, les buvards, lambiance feutre des bureaux Saint-Pierrois pour devenir, tenez-vous bien, marchal ferrant ! Il acquiert les outils ncessaires, embauche un vieux manuvre

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et se met ferrer des chevaux et des bufs Petite-le ! Le contraire ntonnerait personne, un marchal-ferrant qui voluerait dans la vie et deviendrait clerc de notaire, soit ! Mais dans ce sens-l, la chose est plutt rare ! Son manuvre, un homme bien plus g que lui et plein dexprience, lui apprend au fur et mesure des jours, fabriquer des outils pour travailler le bois. Cherchez lerreur : un employ forme son patron ! Au bout de quelques mois seulement, Acadius ajoute une activit supplmentaire sur sa carte de visite : menuisier. Que dis-je, bniste ! Le 3 septembre 1935, Acadius se marie Anselma et ils auront une vie conjugale longue et heureuse. Treize enfants viendront gayer leur foyer. Dans la maison des Mzino des pinces sabots, des pots dencre de Chine, des papiers de verre et des volumes de Victor Hugo se ctoient, comme si cela tait normal. Pour un non initi, lendroit est lenvers, il est droutant. Lors dune exposition de meubles Saint-Denis en 1938, Acadius remporte une mdaille dargent, lor tant destin un Dionysien. Lhomme de plume, lhomme denclume, lhomme aux mains dor droit dans ses projets sachte une dgauchisseuse avec moteur essence. Il ny a pas encore dlectricit Petite-le et pour mieux travailler le bois, certains quipements sont indispensables. Dballant lune des pices, Acadius est attir par une notice moiti dchire relative la reliure de vieux livres. Nouveau filon ! Peu de temps aprs, il devient relieur. Un fin relieur videmment ! Ayant vu quelques-unes de ses30

reliures, le patron de limprimerie Cazal vient le chercher Petite-le pour quil devienne son relieur, Saint-Denis. Acadius accepte la proposition ; mais il assiste dans le chef-lieu larrive du modernisme ; il voit la presse passer du tout manuel la mcanisation. Le semi automatisme des imprimeries en 1935 utilise encore beaucoup de main duvre : mais voil soudain notre artisan intellectuel mal plac. En mme temps quil applaudit larrive de nouvelles techniques, il sent que ses mains sont destines des missions bien plus nobles que celle dapplaudir simplement. Il dmissionne et revient Petite-le. Nous sommes en 1935, cest la misre partout, nimporte qui donnerait nimporte quoi pour obtenir un poste salari, nimporte o, et notre brave Acadius, lui, dmissionne. Acadius passe donc la plus grande partie de sa vie travailler le bois, et se perfectionner tant que faire se peut. Lhomme dbonnaire, qui sest toujours lev tt, qui se douchait leau froide et qui se nourrissait entre autres de sosso mas, se fait un plaisir de recevoir chez lui des visiteurs pour raconter sa vie, toujours le sourire aux lvres. Cest le pre Rivire qui me la prsent la premire fois, et nous avons longuement parl du temps o il tait clerc de notaire, du temps o il ferrait les chevaux et o il fabriquait des meubles, et je nai pas pu quitter sa maison sans avoir bu le petit caf coul la mode ancienne. Notre bon vieil Acadius a quitt paisiblement ce bas monde en 2009.

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La guerre de 39 45est le 3 septembre 1939 que sonne le tocsin Petite-le, cest--dire les cloches de lglise retentissent en mme temps que le tambour de la mairie va annoncer partout en ville que la guerre est dclare. Le poste de radio de chez Chane-Woa est assailli par des familles entires qui veulent senqurir de la situation (il y a dans lle moins de 800 postes de radio ce moment-l). Moins dune semaine plus tard, un bon nombre de jeunes gens sont mobiliss et parmi eux le maire, le docteur Arnaud. Ce sera Antonin Folio, son premier adjoint qui le secondera pendant le temps quil faudra. Le car courant dair de Jean Ah-Fou est rquisitionn pour emmener les mobiliss jusqu Saint-Pierre, o ils prennent le train pour se rendre la caserne Lambert de Saint-Denis. L videmment, rien nest prpar pour recevoir autant de monde. Cela commence bien mal. Prs de soixante hommes de Petite-le sont partis. Et leurs salaires ne sont pas verss aux familles durant leur absence. Pour les agriculteurs, ce sont les bras qui manquent pour assurer la coupe de la canne ou les autres tches quimposent les exploitations. Pauvres femmes, pauvres mres, elles devront se ddoubler de manire incroyable pour faire face aux besoins ! Sans tarder, les tickets de rationnement font leur apparition dans le commerce ; dsormais pour acheter le riz, le mas, la graisse, les tissus, il faut en avoir. Tout est rationn ; tout commence manquer, notamment le savon. Alors, limagination fait des prodiges ! On se sert des feuilles de choca pour se laver et pour faire la lessive. Certains se lavent leau de cendre, dautres ne se lavent pas, tout simplement. Il faut se rendre la ravine ou la citerne la plus proche pour chercher de leau ; il ny a pas deau au robinet, et dans presque toutes les habitations, il ny a mme pas de robinet ! Curieusement cette priode plus que difficile laisse

C

de bons souvenirs dans la mmoire de beaucoup denfants de lpoque ; linsouciance propre leur ge sans doute, a transform ces dures preuves en une sorte de jeu, et cest tant mieux si les enfants peuvent trouver du bonheur l o ladulte nen trouve pas. Le 20 octobre 2010, lors de la rception que le Maire Guito Ramoune a organis en hommage aux personnes nes en 1935, anne de la cration de la Commune, lune delles, qui tait encore enfant pendant la guerre, a prononc la phrase suivante : Petite-le on apprenait travailler en mme temps quon apprenait marcher . Quelques planteurs de Petite-le redoublent defforts pour produire davantage de mas, de haricots et autres arachides (cacahutes). Le mas est la nourriture de base pendant ces annes-l. Les Petits-lois reoivent du manioc provenant de lexploitation de Monsieur Barau de Sainte-Marie, achemin par train jusqu Saint-Pierre, et par le car courant dair jusqu Petite-le. Ces maniocs arrachs la veille, voire deux ou trois jours avant, sont oxyds et ont une couleur bleutre, do lappellation de manioc bleu . Monsieur Omarjee Abou-Bakar russit crer une huilerie Grands-Bois et fabriquer de faon trs artisanale une huile darachide (de Petite-le) tout fait convenable. Le sympathique musulman met au point aussi une sorte de bougie fabrique avec du suif de buf mlang de la cire dabeille (de Petitele). Ses bougies ne tardent pas clairer presque tous les foyers de lle, et se consument mme sur les candlabres des glises. Elles portaient la marque on ne peut plus expressive de Lumire du Sud. Autre invention, Petite-le, Monsieur Boyer a fabriqu une machine en bois, pour coudre les chapeaux de paille de vtiver et choca fabriqus par sa femme.

Lieutenant Paul Arnaud 1915 Coll. prive C. Mignard

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La politique pendant la guerree mandat du Gouverneur Joseph Court sera bref, il a eu peine le temps dannoncer aux Runionnais lentre de la France dans la guerre et de prendre quelques sages mesures, et le voil remplac par un autre, monsieur Emile Aubert. Ce nouveau gouverneur, aprs une priode dhsitation, tout comme son homologue de Madagascar dcide de se rallier au marchal Ptain, le vieillard de Verdun, et ce, par strict respect de la lgalit, disait-il. Cela suscite lindignation chez beaucoup de Runionnais mais aussi chez les Anglais qui rdent dans locan Indien depuis le dbut du conflit. Pour punir le gouverneur de La Runion son ralliement au rgime de Vichy, cest toute la population qui en ptira puisque les Anglais instaurent un blocus, et empchent les bateaux de circuler librement. Dans lle, le Conseil Gnral est mis en sommeil, la Commission Coloniale est suspendue et dans les Communes les maires et les conseillers municipaux sont dmissionns doffice. Dans la mairie de Petite-le certaines dcisions importantes et impopulaires simposent. Ce nest dj pas simple dadministrer une Commune en temps de paix, alors en temps de guerre surtout que des directives drastiques arrivent directement de la maison du gouvernement de Saint-Denis. Dsormais les employs doivent travailler les samedi et aussi le dimanche tour de rle ! Ce nest plus possible dobtenir des avances, ce qui tait jusqu lors une pratique courante. Les employs de plus de 55 ans sont pousss vers la porte de sortie, la circulation de vhicules la nuit est rglemente et bientt on ne pourra plus couter la radio !32

L

Les administrs de Petite-le protestent vivement et les runions du Conseil Municipal se transforment souvent en une partie de pugilat. Antonin Folio en est dgot, et au bout de neuf mois la tte de la mairie, il dmissionne. Dans cette priode trouble, de mars 1941 juin 1945, selon les recherches effectues par Hlne Savin, la mairie connait cinq prsidents de la dlgation spciale nomms par le Gouverneur : Antoni Folio, Ruben Fontaine, Alfred Isautier, Coelus Payet et Francisque Dorseuil. Cest un record ! En novembre 1941 le Gouverneur charge Maxime Payet de contacter monsieur Armand Adam de Villiers, le directeur de lusine de Grand Bois pour remplacer Ruben Fontaine qui na tenu le fauteuil de maire que pendant dix jours ! (818 dcembre 1941) Gentiment Armand dcline loffre, il est trop occup son travail et de surcrot, tout patron quil est, il nest quun salari ! Cest alors quAubert se tourne alors vers Alfred Isautier, un gros propritaire de Brive dont la famille est fort bien implante et au Tampon et Saint-Pierre. Dans les premiers jours de dcembre 1941 il est mis en place en tant que chef de la dlgation spciale de Petite-le et il tiendra bon une anne (18 dcembre 1941 19 janvier 1943). Isautier laisse sa place Coleus Payet qui ne fera pas mieux, il tiendra neuf mois, laissant son poste linstituteur charismatique Francisque Dorseuil qui mnera les affaires de la Commune du 7 septembre 1944 au 1er juin 1945, jusquaux nouvelles lections dmocratiques.

Gouverneur Joseph Court - ADR

Gouverneur Emile Aubert - Arch JIR

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Peut-tre que le terme dmocratique cette priode-l nest pas tout fait adapt, les anciens nous racontent qu Petite-le, et certainement ailleurs dans lle aussi les campagnes lectorales taient tellement passionnes que des affrontements entre les adversaires dgnraient souvent, les uns empchant les autres daller voter. La trs large victoire de Carles de Lavergne du 8 mai 1945 a t longtemps conteste.

Lettre manuscrite du Gouverneur Auber

Maxime Payet - Coll. prive Charles Payet

Pendant la guerre, la fin novembre 1942 dbarquent dans lle depuis le Lopard les hommes dAndr Capagorry qui renversent en douceur le Vichyste Auber, reclus volontairement entretemps HellBourg. Ds que la situation politique de lle se stabilise, dbut 1943, les maires mis en place par Auber dmissionnent les uns aprs les autres et le nouveau Gouverneur rorganise de nouvelles dlgations spciales.

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Les Maires de Petite-lePaul Arnaud 1932 1939 Carles de Lavergne - 01 juin 1945 1959 (Agriculteur) Armand Nativel - 1959- 1983 (Agriculteur) Christophe Payet - 1983 -2008 (Professeur de SVT) Guito Ramoune lu en 2008

Le premier Maire

P

Le premier Conseil Municipal, lu le 8 mais 1935ARNAULT Paul : n le 21 Juillet 1906 Saint-Denis. Mdecin. DERAND Adolphe n le 15 octobre 1891 Saint-Pierre DERAND Stphane ETHEVE Louis n le 10 avril 1894 Petite-le ETHEVE Flix n le 02 juin 1877 Saint-Joseph doyen, 58 ans. FONTAINE Juvnal n le 22 octobre 1897 0 Petite-le FOLIO Antonin n le 18 septembre 1895 au Tampon lu 1er adjoint FOLIO Jean Eulazaire n le 14 juillet 1891 Saint-Pierre GONTHIER Louis Bruno n le 02 aot 1883 Saint-Pierre GROSSET Fortun n le 20 janvier 1884 Saint-Pierre HOAREAU Rosaire n le 26 juillet 1896 Petite-le HOREAU Emile n le 08 aot 1887 Saint-Pierre HOAREAU Jean Justin Floris n le 31 aot 1895 Petite-le lu 2me adjoint HOAREAU Paul Joseph n le 14 janvier 1904 Petite-le. Cultivateur HOAREAU Flix Toussaint n le 09 janvier 1894 Petite-le. Agriculteur HOAREAU Emilien n le 27 janvier 1906 Petite-le LEBON Lopold n le 31 aot 1891 au Tampon LEVENEUR Albini n le 27 mars 1904 Petite-le MEZINO Elien n le 12 janvier 1897 Petite-le. Propritaire. PAYET Edouard n le 28 janvier 1892 Saint-Joseph PRUGNIERES Luay n le 14 mars 1908 Petite-le le plus jeune, 27 ans. TAMBON Alfred n le 08 juin 1883 Saint-Pierre TERGEMINA Elyse n le 28 juillet 1888 Saint-Pierre VIENNE Ren n le 01 janvier 1887 Saint-Joseph

aul Arnaud est n en 1906 Saint-Denis. Fils de Flicien Arnaud et de Caroline Rene Moy de la Croix, Paul est lan de quatre enfants, deux garons et deux filles ; lui et son frre cadet Georges font de brillantes tudes au Lyce Leconte de Lisle. En 1919, alors que les garons sont gs de 13 et de 11 ans respectivement, ils perdent leur pre, emport par la terrible pidmie de grippe espagnole. En 1921 cest leur mre qui succombe aux effets tardifs de la mme grippe. Les voil tous quatre orphelins ! Leur oncle maternel Georges Moy de la Croix prend en charge les deux garons et tout de suite aprs le bac, les envoie lun aprs lautre en France, faire des tudes : Paul en mdecine et Georges en odontologie. Les deux russissent admirablement ! Les frres Arnaud (ou Arnault) sont trs proches des cousins de V