285
Aquilegia Nox et Léo Sigrann La Patte de Velours I : Jeux de Mains - Collection Romans / Nouvelles - Retrouvez cette oeuvre et beaucoup d'autres sur http://www.inlibroveritas.net

7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Aquilegia Nox et LéoSigrann

La Patte de Velours I: Jeux de Mains

- Collection Romans / Nouvelles -

Retrouvez cette oeuvre et beaucoup d'autres surhttp://www.inlibroveritas.net

Page 2: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]
Page 3: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Table des matièresLa Patte de Velours I : Jeux de Mains......................................................1

CHAPITRE 1.......................................................................................2CHAPITRE 2.....................................................................................41CHAPITRE 3.....................................................................................63CHAPITRE 4...................................................................................101CHAPITRE 5...................................................................................141CHAPITRE 6...................................................................................173CHAPITRE 7...................................................................................199CHAPITRE 8...................................................................................239Remerciements................................................................................273Quelques idées de lecture................................................................274

i

Page 4: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

La Patte de Velours I : Jeux deMains

Auteur : Aquilegia Nox et Léo SigrannCatégorie : Romans / Nouvelles

Date de publication originale : 12/01/07

Laurent Asmuldet. Journaliste, 24 ans, naïf, maladroit, mais volontaire.Viktorka Salix. Déteste qu'on la dise laborantine, 33 ans, cynique etdésabusée.Chat Noir. Tueur à gages, le reste ne vous regarde pas.

Trois personnages hauts en couleurs portant sur une histoire communetrois éclairages différents, selon leurs idées, leurs doutes et leurs folies.Trois personnages entraînés dans les rouages d'une enquête tortueuse surune main coupée.Trois personnages liés par le contrat signé par l'un sur la tête des deuxautres.

Laissez vous prendre au jeu.

http://www.ilv-edition.com/librairie/jeux_de_mains_la_patte_de_velours_i.html

Licence : Licence Creative Commons (by-nc-nd)http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/

1

Page 5: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

CHAPITRE 1

Tout petit, je rêvais d'être un grand reporter. Mes héros étaient Tintin,Rouletabille, Jimmy Olsen... J'avais l'habitude d'errer un peu partout, à larecherche des sensations fortes et des scoops du tonnerre. Je rêvais dedémanteler des réseaux de trafiquants chez la voisine et de libérer lesesclaves qui rangeaient la bibliothèque municipale après le passage de maclasse.Quand j'ai grandi un peu, au lycée, je me suis naturellement investi dans larédaction du journal de la classe. J'ai vite remarqué que ce qui intéressait leplus mes congénères, ce n'était pas de savoir si la voiture du proviseuravait été achetée grâce à un détournement de fond, ou si les échantillonsutilisés en salle de biologie n'étaient pas des reliques du Muséum datant dusiècle précèdent, mais plutôt les ragots et cancans courant sur les liaisonshypothétiques entre telle et telle star en vogue, recueillis dans les derniers« Voilà » et « Paris Match ».Cruelle désillusion.Ne voulant pas faire aussi vite une croix sur mes idéaux de jeunesse, je mesuis tout de même lancé dans une école de journalisme après le bac.Pendant les vacances, soit j'emballais du thon en boîte dans l'usine oùtravaillait ma mère, soit, quelques années plus tard, je jouais lescorrespondants régionaux pour la gazette du village. Bien entendu, cela nesatisfaisait pas mes aspirations de voyage et de découverte. J'ai doncdécidé, il y a trois ans, de me rendre à Paris, afin de me faire embaucherpar un Vrai Journal. Je réussis à entrer à la Dépêche Chavilloise, aprèsavoir envoyé au moins deux cents CV et obtenu trois entretiens. Ils meconfièrent la chronique des Chiens Écrasés - j'eus droit aux Faits Diverspendant trois mois, c'est à dire la durée du congé de maternité de LineDussec, ma collègue d'infortune - et finis, au bout d'un an de bons etloyaux services, par être autorisé à m'occuper de la rubrique « Sport ».Que les choses soient claires : je déteste le sport. Les seules disciplinespour lesquelles j'ai eu quelque intérêt au lycée, c'étaient la course à pied et

CHAPITRE 1 2

Page 6: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

le judo. Tout le reste, surtout les sports d'équipe, m'est toujours passé àvingt mètres au dessus de la tête. D'ailleurs, quand le prof laissait lesélèves choisir eux même leurs coéquipiers, j'étais à chaque fois le dernier àrester sur le banc.Par conséquent, malgré la promotion sociale que représentait mon passageà la rubrique des sports, je ne peux pas dire que j'avais encore atteint monplein épanouissement professionnel.Grâce à ma carte de presse je pouvais - et devais par principe - aller voir àpeu près n'importe quel match de la Région parisienne, et j'eus mêmel'insigne honneur d'être chargé de l'interview des entraîneurs des équipesde foot junior locales. Un vrai bonheur.Malgré tout, j'avais trouvé un moyen assez ingénieux de m'en tirer sansavoir besoin de me farcir plein de matchs. J'avais un ami, Jérôme Greene,qui était passionné de foot. Comme il était policier, nous avions trouvé unterrain d'entente qui nous convenait à tous les deux. En échange des placesque je lui cédais gratuitement, il me racontait le match - en tant quepassionné, il me faisait toujours part de ses commentaires, techniques oucroustillants, concernant tel ou tel joueur - et discutait avec moi de certainséléments des affaires louches dont il s'occupait, sans toutefois dépasser leslimites du secret professionnel. Il disait qu'il appréciait d'avoir un point devue extérieur, et que certaines de mes remarques pouvaient lui faire mettrele doigt sur des pistes négligées. Il ne me donnait bien sûr pas les nomsvéritables des personnes impliquées et, de plus, je lui avais donné maparole de ne jamais utiliser ces infos pour un article. Un parjure m'auraitconduit à voir les détails de mon anatomie exposés en divers pointsgéographiquement éloignés de la ville, « façon puzzle ».Comme vous pouvez le constater, ma petite vie était une mécanique assezbien huilée. Mais il y manquait toujours quelque chose, un je-ne-sais-quoide piquant, un peu d'adrénaline, une enquête vraiment tordue... un peud'exaltation...Je le désirais ardemment. Si j'avais été croyant, j'aurais prié pour ça, maiscomme je suis athée, je ne l'ai pas fait.J'ai tout de même été exaucé.Un soir, je rentrais chez moi, impasse Voltaire, après une journée bienchargée. J'avais passé deux heures sous la pluie à regarder l'entraînement

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 3

Page 7: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

d'une équipe de deuxième division. On était fin juin, et il ne faisait pas tropfroid. Heureusement, parce que sinon, avec mon pantalon à tordre, et monimperméable - qui n'avait d'imperméable que le nom - dans un état à peinep lus re lu i san t , j ' au ra i s eu mi l l e fo i s l e t emps d ' a t t raper unebroncho-pneumonie. Si tel avait été le cas, je n'aurais même pas puinterviewer l'entraîneur et son poulain. J'aurais dû me passer desdescriptions tactiques, de la longue énumération des CV de chacun desjoueurs, de l'autosatisfaction des types, des remarques grivoises sur lecharisme des footballeurs... Ça aurait été bien dommage.J'avais rempli mon carnet plein de notes sur les expressions des deuxhommes, leur façon de parler, de se tenir, les coups d'œil échangés etc... etavec l'intégralité de la conversation enregistrée sur un magnétophone depoche. Très pratique, le magnéto. Je n'ai eu des problèmes qu'une seulefois , quand, rentré chez ma mère pour le week-end, et l 'ayantnégligemment posé sur la table de la cuisine, un petit neveu avaitenregistré une heure de vocalises et discours divers sur la bande qui avaitrecueilli les propos d'un joueur du Quinze de France, ma plus grosseinterview.A l'entrée de l'impasse où j'habitais, se trouvait souvent un vieux clochard,vautré au milieu de cartons. Je le connaissais bien, il habitait là, en quelquesorte, depuis que je m'étais installé. Souvent, je lui donnais la monnaie demon ticket de bus. Ce soir là, il m'appela :« Hey, jeun'homme !!!! psssst ! »Je m'approchai, en gardant toutefois une certaine distance de sécuritéodorante, à cause du parfum de la vinasse.« Psssssst... v'nez voir par ici... j'ai quequ'chose pour vous... »Il farfouilla dans un tas de chiffons à côté de lui, et en sortit un objetenveloppé dans un vieux bout de tissus. Ayant regardé à droite et à gaucheavant de déballer son trésor, il ôta le textile avec des gestes méticuleux, engloussant d'excitation contenue. Tout à coup il me le brandit sous le nez.C'était une sorte de vieille main momifiée. Je reculai d'un bond.« Hey, c'est dégueulasse !!!!- Mais non, p'tit gars, c'est tout sec, tu vois bien... Et puis, j'en connais quipaieraient cher pour avoir un porte bonheur comme ça... »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 4

Page 8: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il caressait la main d'un geste amoureux. Elle était toute racornie, mais onvoyait des traces brunes de sang coagulé, et des marques circulairessombres dont je préférais ne pas savoir la provenance.« Gardez ça, j'en veux pas, c'est dégoûtant !!!!- Allez, quoi, juste dix euros et elle est à toi...- Non, j'ai dit non ! »Je m'éloignai à grands pas.Lorsque je poussai finalement la porte de mon petit appartement, lapremière pensée qui me vint fût : « Enfin, au chaud et au sec ». Comme parhasard, la pluie cessa de tomber presque à cet instant. Mon chat trotta versmoi en miaulant, mais, au moment de se frotter contre ma jambe, s'arrêta,puis secoua la tête avant de s'éloigner de quelques pas.« Et alors, on n'aime pas l'eau ? »Je retirai mon imper - le premier vrai bonheur de la journée - puis le restede mes vêtement, pour prendre une douche bien chaude. J'ai dû utiliser toutle ballon d'eau chaude avant de me rendre compte qu'il fallait que je melave, ce que je fis avec de l'eau tiède. Peu importait, j'étais bien réchauffé.J'enfilai un vieux T-shirt de l'école, et un treillis hors d'âge - mes vêtementsfétiches pour écrire... Ensuite, je donnai à manger à mon chat, et me fischauffer une boîte de Bolinos. Pour terminer, j' écoutai mon répondeur.« Bonjour, c'est Anna... j'ai pensé qu'on pourrait peut-être se voir demain ?Bon, tu peux me rappeler quand tu auras le temps... Euh... Je t'embrasse. »Aargh !!!!! Mais oui, Anna ! Elle m'avait déjà appelé la veille, et j'avaiscomplètement oublié de la rappeler... Il faut dire que sans portable et untéléphone fixe pour trois dans un bureau commun au boulot, ce n'étaientpas les meilleures conditions du monde pour échanger des roucoulades...Le message suivant était moins culpabilisant. « Allo, c'est Jérôme... dis, tudevrais regarder les infos, à vingt heures, ça va te plaire. C'est nous quinous occupons de ça. Si t'arrives à m'avoir des places pour le Stade deFrance samedi à 15 heures, peut-être que je pourrais en discuter cinqminutes avec toi... Nan, j'rigole... Je t'attends demain vers 14 heures, auparc, comme d'hab... OUI, LÂCHE MOI LA GRAPPE, JE VAIS LEVOIR, TON SUSPECT !!!!... Euh, bon, pour le match, ça serait bienquand même... à demain. OK, ÇA VA, J'ARRclic... »Je regardai ma montre : 20h30.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 5

Page 9: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

J'allumai la télé en hâte. « ...sortie en salle. Ce sera sans aucun doute undes plus grands succès au cinéma cet été... » Bon, pas grave. Je décidaid'attendre le journal de minuit.En attendant, j'appelai Anna. Répondeur. « Allo... Salut, c'est Laurent.Euh, je serais super partant pour demain soir. Je pensais qu'un petit resto çaserait sympa. Je t'invite, bien sûr... Euh, bon, ben j'essayerai de te rappelerplus tard. Je t'embrasse. »Bravo. C'était nul, comme message. Bah, je la rappellerai plus tard. Detoutes façons, je me demandais si je n'étais pas en train de faire fausseroute avec cette fille. Elle était un peu maniérée, un peu trop superficielle àmon goût.Je m'installai à ma table de travail, et je sortis mes notes et mon magnéto.Je commençai par réécouter le contenu de la bande. Ça n'allait pas être trèsfacile d'en faire un bon article, de cette interview. D'un autre côté, cestypes représentaient sans doute une bonne partie de mon lectorat à euxseuls, alors il ne fallait pas les décevoir.J'avais mis mon réveil à sonner pour ne pas oublier les infos. J'en étaisarrivé à un article de trois cents mots quand la sonnerie retentit.J'allumai sur la trois. C'était la fin d'un polar. J'attendis avec patience quele coupable soit confondu, puis que passent les pubs et les bandesannonces des films de la semaine suivante. Enfin, le jingle du journaltélévisé retentit. Je compris dès le sommaire pourquoi Jérôme m'avaitappelé. La BNF du centre ville avait subi un braquage. Un vrai hold-up,avec des otages et tout ! Suivait un reportage sur la sécurité dans lesmagasins et les établissements publics, et une longue interview dudirecteur de la banque. Assez banal, comme histoire. Mais peut-être quequelque chose d'inhabituel avait attiré l'attention de Jérôme.J'éteignis la télévision. Un hold-up, ça au moins c'était intéressant. J'auraisbien aimé pouvoir couvrir ce genre d'évènement. Aller fouiner, mettre monnez partout, risquer sa vie enfin... de loin.J'imaginais déjà qui allait s'occuper de l'affaire à la Gazette. ProbablementLaureen, ou encore Mickael. Voire les deux ensemble. Ils récupéreraientles infos de l'AFP, et en feraient un article à leur sauce, sans même sedéplacer. Le journalisme d'investigation, ce n'était pas tellement le truc dela Dépêche Chavilloise. Il fallait vraiment que je change d'employeur.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 6

Page 10: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

C'est sur cette pensée constructive et absolument-pas-aigrie que j'allai mecoucher ce soir-là.Le lendemain matin, je commençai par relire mon article, puis je rédigeaiune conclusion ravageuse. Après m'être passée la tête sous le robinet d'eaufroide, avoir bu un verre de lait, suivi d'une tasse de café bien noir et dedeux tartines de Nutella, je le relus une nouvelle fois, et ré-écrivis unenouvelle conclusion, un peu plus en accord avec l'esprit du journal. Jeregardai ma montre. Il était huit heures trente cinq, aussi fourrai-je le toutdans ma serviette. Il fallait filer en vitesse. Alors que je poussais la portede l'immeuble, je me souvins tout à coup que je n'avais pas donné àmanger à mon chat. Je remontai quatre à quatre, ouvris fébrilement laporte, courus vers la cuisine, saisis la gamelle du chat, versai une ration decroquettes. Tout à coup, l'évidence me frappa. Pourquoi diable le chatn'était-il pas en train de faire des huit entre mes jambes ? Je courus vers lasalle de bain, et ouvris la porte. Une boule noire jaillit de derrière lebattant, en gazouillant toutes sortes de « miaous » différents. Il était entrédans la salle de bain avec moi, et avait attendu que je termine mesablutions allongé sur le radiateur. Je l'avais enfermé en sortant. Il m'escortajusqu'à la cuisine en se frottant contre moi.J'avais vingt minutes de retard sur mon horaire habituel en arrivant à l'arrêtde bus. Si on cumule le temps d'attente, surtout lorsque je dus changer deligne, et les bouchons le long de la route, j'arrivai avec trente cinq minutesde retard au journal.Heureusement qu'on n'était pas dans un comics américain, ou je me seraisfait dévisser la tête. Là, le patron se contenta de me remonter gentiment lesbretelles. Je lui tendis mon article, qu'il accepta en grommelant.« Ouais, ben la prochaine fois, t'essaieras quand même d'être à l'heure ! » Ilclaqua la porte pour faire bonne mesure. On se représente souvent lesrédacteurs en chef comme des hommes d'une cinquantaine d'année, avecde l'embonpoint, et des auréoles sous les bras. Le mien, ce n'était pasexactement ça. Il était grand, maigre, environ soixante quinze ans, et descheveux gris clairsemés sur les côtés du crâne, assez longs pour être nouésen un catogan ridicule. Tout le monde attendait avec impatience le jour oùil accepterait enfin de prendre sa retraite - à mon avis, pas avant dix ouvingt ans - et laisserait le journal à sa fille. Sa fille. Une cinquantenaire

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 7

Page 11: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

vive et joyeuse, à la fois stricte et bon vivant. Des cheveux bruns, trèscourts, et des yeux bleus, très clairs. Tout le monde l'appelait Cathy. Elleétait célibataire, et au moins la moitié du personnel masculin était en secretamoureux d'elle. Dommage pour eux, elle n'aimait que les femmes. C'estce qui devait les faire fantasmer, je suppose...« Laurent !!!! Quand tu auras fini de rêvasser, tu pourras peut-être nousdonner la grille des pronostics du foot de la semaine...- Oui, Laureen... »Laureen. Le dragon de l'équipe. À la fois journaliste et responsable de lamise en page, la moitié du journal tournait sur ses épaules. Qu'elle avaitlarges, d'ailleurs. Bien trop larges pour son mètre soixante, mais çacompensait avec son ventre en forme de ballon. Une chevelure rousseflamboyante, un maquillage assez outrageant, généralement vert, violet ourose fuchsia, une certaine tendance à l'engueulade, mais un bon fond. Leseul problème, à mes yeux, était la mauvaise qualité de ses articles. Maison ne peut pas tout mener de front, même quand on est une femme de tête.Écrire le tableau des pronostics, puis une liste de quatre ou cinq articlespotentiels, et enfin prendre les contacts nécessaires, cela me prit lamatinée. J'avais presque oublié mon rendez- vous avec Jérôme quand leréveil posé sur ma table sonna. Je l'avais réglé pour 13h45, pour mesouvenir de rappeler Anna, qui devait juste avoir fini de déjeuner, ets'accordait généralement une pause d'un quart d'heure avant de se remettreau boulot. Ça sonnait occupé.Tant pis, je réessaierai dans cinq minutes...Le temps de prendre mon imper, de descendre et de traverser la rue, il étaitmoins cinq. Jérôme était déjà là. Il était grand, environ un mètrequatre-vingt dix, brun, avec une moustache, et des yeux gris perçants. Ilportait toujours un vieil imper démodé. Je le suspectais parfois d'avoirchoisi son job uniquement pour pouvoir porter ce genre d'imper. Il me fitun signe de la main.Après les salutations d'usage, il commença à déballer un énorme sandwich.« Tu m'excuses... J'ai rien mangé depuis hier midi... On n'arrête pas en cemoment... Entre ce fameux braquage et les affaires habituelles... plus unincendie criminel rue Victor Hugo...- Ah ? Mais c'est à côté de chez moi, ça...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 8

Page 12: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Oui, mais on a résolu le mystère sans problème, le coupable est venu sedénoncer... Mais... Tu ne manges pas ?- Euh... J'ai pas eu le temps de prendre un truc...- Ah, t'avais oublié qu'on devait se voir, pas vrai ? T'es toujours le même !Tu sortirais sans ton fute, tu ne t'en rendrais compte qu'une fois au boulot,en face du gars à interviewer... »Il éclata de rire.« Heureusement pour toi, j'en ai deux... Tiens, ça m'ennuierait de te voirmourir de faim. »Il sortit un autre sandwich monstrueux.« Non, mais c'est bon, tu sais, je mangerai après, laisse tomb... »Il me fourra le sandwich dans les mains.« T'occupes. Pourquoi je les fais si gros, d'après toi, si c'est pas pour lespartager ? »Je ne savais pas quoi dire, d'autant que ce n'était pas la première fois.« Ta charité te perdra.- Je sais. Mais ce n'est pas gratuit.- Euh, pour les places, je...- Je ne parle pas de ça, triple buse ! J'ai une enquête un peu tordue sur lesbras, et un petit coup de main officieux serait le bienvenu. On est débordésen ce moment, et pour couronner le tout, je viens de recevoir l'ordreofficiel de concentrer mes efforts sur les autres affaires.- Tu suspectes des magouilles ?- Je ne sais pas... Des fois, je me dis que si les bœufs-carottes faisaient bienleur boulot, on aurait moins de bâtons dans les roues... Enfin, note bien queje ne sais rien...- Mouais... Alors, de quoi veux-tu que je m'occupe ?- C'est à propos du braquage de la BNF du centre.- J'ai vu les infos... sacré bordel.- Oui. On a passé le lieu du braquage au peigne fin, et on n'a rien trouvé.Pas un cheveu, pas une empreinte. Bon, ça, c'était prévisible. Ils semblaientconnaître l'emplacement exact de tous les boutons d'alarme... Rien de trèsoriginal. Jusque là, on n'a rien sur eux, à part une minute de bande vidéo dela seule caméra de surveillance qu'ils n'aient pas immédiatement détruite,et les témoignages des employés et clients de la banque au moment des

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 9

Page 13: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

faits. Il y avait cinq braqueurs, quatre hommes, une femme, vêtus detreillis, cagoulés, gantés, armés jusqu'aux dents. Ils sont arrivés dans unecamionnette. Un gars en civil est entré dans le sas, a posé un explosifcontre la deuxième porte, et l'a déclenché immédiatement. Ensuite, ils ontdéboulé partout. Le temps qu'on arrive, ils avaient filé avec le contenu ducoffre.- L'alarme a été donnée tout de suite ?- Non, parce que les trois guichetiers ont été immédiatement abattus, sansqu'ils aient seulement le temps de réagir- C'était si rapide que ça ?- En fait, l'explosif utilisé était vraiment bizarre. Un curieux mélange quin'a pas encore été analysé. Il a suffi au type d'en placer quatre boulettesaux gonds et points d'attache de la porte, et Blam ! Ils sont entrés avec ungros bélier d'acier. Dès qu'ils ont fait irruption, ils ont tiré.- À part les guichetiers, il y a eu des morts ou des blessés ?- Il y a eu un autre mort chez les employés, un gars qui a essayé de jouer auhéros. Chez les clients, deux balles perdues, mais pas de mort, juste ungars qui risque de perdre son bras. C'étaient des balles explosives.- Eurk. »Mon sandwich avait du mal à passer.« En fait, personne n'aurait été blessé si ce crétin de gardien n'avait pascherché à jouer les héros. Pourtant, c'est peut-être grâce à lui qu'on a laseule piste. Il a tiré sur un des braqueurs, et ça lui a éraflé la main.- Et il n'y a pas de sang ?- Non. Ils y ont fait extrêmement attention.- Ok. Et c'est quoi, cet indice ?- Je te disais qu'ils avaient « oublié » une caméra de surveillance quelquessecondes. En fait, le type qui s'est fait toucher à la main a enlevé son gantpendant un instant, et on peut voir un tatouage sur sa main blessée.- C'est tout ?- Ben oui. Tu peux venir voir les vidéos si ça t'amuse, peut-être que tutrouveras autre chose, mais la bande dure exactement quarante cinqsecondes, et rien n'est vraiment net.- Je vois. Vous pédalez dans la semoule. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 10

Page 14: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il mâcha sans rien répondre. Jérôme était un gars méticuleux. Il arrivaittoujours à l'heure, dormait dans un lit carré, et aimait les choses bien faites.Il était capable de travailler trente six heures d'affilées pour boucler uneaffaire. Et je comprenais fort bien que l'ordre de laisser tomber cettehistoire de braquage l'ait rendu furieux.« Bon, tu me la montres quand, cette vidéo ?- On peut y aller maintenant, si tu es libre...- Bah, ce dragon de Laureen ne verra rien si je reviens un quart d'heure enretard. »Je le suivis jusqu'au commissariat, deux rues plus loin. Une foule denseencombrait tout l'étage. Une femme qui pleurait sur une chaise à l'entrée,des gens qui beuglaient, quelque part au fond, et un groupe hétérocliteoccupé à des tâches diverses. C'était un tout petit commissariat, alors, biensûr, quand je dis « foule », cela signifie « une quinzaine de personnes ».Beaucoup de travail pour quatre inspecteurs.« Qu'est ce qui se passe ici ? » aboya Jérôme à l'adresse du gars de l'accueilpour couvrir les cris d'une rouquine exaltée.« Trois voitures volées, on pense à une mauvaise blague. Ces gens - elledésigna l'ensemble de la pièce - étaient à la fête foraine, et leurs véhiculesont disparu. Ils étaient tous ensemble, et il n'y a que leurs voitures qui ontdisparu. »Jérôme haussa les épaules et me glissa : « Oookay... ce n'est pas à ça que jepensais quand je disais qu'on était débordés, mais, tu vois... Allons dansmon bureau, je vais te montrer la chose. »Je lui emboîtai le pas, pour slalomer entre les tables, les chaises et lesjoyeux fêtards redevenus piétons, et nous pûmes accéder à l'étage. Il ouvritla porte de son bureau, un petit cagibi aux murs jaunes décrépits, avec justeune fenêtre, sans barreaux. On n'interrogeait jamais les suspects chez lui,mais tout de même... Tout était tellement vétuste, ici...Il se dirigea vers une télé et un magnétoscope, posés dans un coin.« C'est juste une copie, mais on voit aussi bien que sur l'original, tu peuxme croire. »Il alluma la télé et appuya sur « lecture ». Le magnétoscope se mit àronronner. On voyait l'intérieur de la banque et quelques clients, d'un pointsitué quelque part derrière un guichet. La caméra avait un angle un peu

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 11

Page 15: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

bizarre : elle avait dû s'incliner sans que personne s'en aperçoive. Tout àcoup, il y eut du remue-ménage. La guichetière s'écroula, la tête en sang.Un homme pénétra dans le champ, et soudain, se plia en deux. Il retira songant, convulsivement. L'espace d'un instant, je vis effectivement untatouage fugitif. Puis, bousculant le premier, un autre type cagoulé entradans le champ, et tira sur l'objectif. Fin de l'histoire. Et du film.Jérôme attrapa une photo. « Voilà, je l'ai fait tirer pour toi. Tu peux lagarder. C'est le cliché le plus net que l'on ait pu tirer du tatouage. »Eh bien, on était loin de la série télé où, d'une bande pourrie, lesenquêteurs tiraient une image nette. Là, on avait bien la bande pourrie, pasde problème. Mais pour les images nettes, il faudrait repasser. Pourtant,comme le tatouage était simple, ce n'était pas trop difficile. Il n'y avait qu'àespérer que ce qu'on voyait était bien le dessin en entier, et qu'il nemanquait pas de détails.C'était une espèce de symbole de la paix. « À ton avis, ça se lit dans quelsens ? » demanda Jérôme, regardant la photo par dessus mon épaule.« Tu veux dire, dans le sens d'un Y ou dans celui du symbole de la paix ?- Oui...- Je ne sais pas, mais j'ai peur que ce soit un tatouage bateau... Je veux bienfaire la tournée des tatoueurs, mais je ne te garantis rien. Il faudraitvraiment un autre indice.- On fait ce qu'on peut... »Je suis resté encore cinq minutes avec Jérôme. Je sentais qu'il avait enviede parler d'autre chose. Je lui racontai mes difficultés avec Anna - laversion courte - et il me parla de sa femme, de son frère qui était entré àl 'hôpital la veille pour une appendicite, à trente six ans.. . Puis,brusquement, il se redressa et dit : « Bon, allez, mon gars, tu vas te fairerôtir les moustaches par ton dragon si tu ne retournes pas bosser. Et moi, ilfaut que j'aille donner un coup de main à mes petits poulets avant qu'ils nese fassent croquer tous crus. »Il ouvrit la porte. Le vacarme des voix était assourdissant. Je cavalai jusquedans la rue pendant que Jérôme essayait en vain de se faire entendre.Bien entendu, je suis encore arrivé en retard. Bien entendu, Laureenm'attendait à la porte. « Laurent, je t'ai déjà dit mille fois que le téléphonedu journal, ce n'était PAS ton téléphone personnel ! Dis à ta copine

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 12

Page 16: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

d'attendre le soir pour te harceler, ok ? »Je fis le gros dos.« Et la prochaine fois, arrive à l'heure !!!! »Elle tourna les talons. Je m'assis à ma table, dépité. Le prochain numéroattendait sur mon bureau, que je le relise. En tant que membre du comitéde relecture, j'étais tenu à respecter un certain timing.Mais que c'est ennuyeux de relire un journal en entier ! Je m'attelai à latâche de mauvaise grâce, avec un marqueur vert. Il me faudrait au moinsune bonne heure avant que ce soit fini. Avec un peu de chance, à 15h,j'aurais terminé, et je pourrais alors aller à mon rendez-vous avec lesjeunes basketteurs de la Cité des Pinsons.Bon, tout d'abord, rappeler Anna. Encore le répondeur. Normal, étantcoiffeuse, elle éteignait toujours son portable pendant les heures de boulot.Je laissai un petit mot, et me penchai sur l'exemplaire de la « Dépêche »posé sur mon bureau.J'ouvris la première page. Gros titre : un incendie rue Victor Hugo. Ah oui,c'est vrai... Ils ne disaient même pas que le coupable était venu sedénoncer. Cet article était juste un prétexte pour parler de la vétusté desimmeubles du quartier... Quelle misère, mais qui donc payait pour lire ça ?Je repensai à mon entretien avec Jérôme. Juste un vague tatouage, c'étaitplutôt mince. Il allait falloir que j'aille voir plusieurs boutiques de tatouage,au moins pour savoir si c'était un dessin commun ou pas. Je regardairapidement dans les pages jaunes pour avoir la liste des tatoueurs en régionparisienne. Et encore, le gars de la vidéo n'était pas forcément originaire dela région parisienne... Un problème à la fois. D'abord, j'avais besoin desavoir ce que représentait ce tatouage, sa fréquence et son symbolisme.Je regardai la photo en détail. Elle était floue, mais je remarquai que lecercle entourant le Y n'était pas régulier... plutôt ondulé. Intéressant...Curieusement, le dessin m'était plutôt familier. J'avais l'impression del'avoir déjà vu avant. D'après le bottin, je pourrais trouver trois tatoueurs àcinq minutes du journal. Ça ne prendrait pas très longtemps à vérifier...J'étais embarrassé pour Jérôme. Si ce tatouage représentait son seul indice,l'enquête, à moins d'un miracle, ne risquait pas d'avancer beaucoup.Je consultai ma montre. 14h 45 !Argh, plus qu'un quart d'heure pour lire la feuille de chou, sinon, je serais

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 13

Page 17: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

en retard pour mon rendez-vous de l'après midi ! Je m'armai de mon plusbeau feutre vert et me mis à corriger frénétiquement toutes les fautes defrappe que je pouvais voir. L'affaire fut conclue en vingt et une minutes. Jefonçai au bureau de Laureen, mon imper sous un bras, mon pull dans lamain gauche, mon sac à dos dans la main droite, le journal dans la bouche,entrai sans frapper, posai le journal devant elle, rattrapai in extremis monpull qui avait profité de l'occasion pour tomber par terre, et m'élançaidehors avant qu'elle ait eu le temps d'ouvrir la bouche.Une fois à l'extérieur, je filai jusqu'à l'arrêt de bus le plus proche. Le carpartait tout juste. Je courus à sa poursuite sur au moins cinq cents mètres,mais ce fut peine perdue, il ne s'arrêta pas. Je n'avais plus qu'à continuerjusqu'au prochain arrêt, à bout de souffle.Comme vous avez dû le deviner, je ne suis pas arrivé à l'heure à monrendez-vous. Je devais interviewer un joueur de basket professionnel venudonner un cours gratuit aux jeunes d'une cité, mais il avait déjà commencé.Je n'avais plus qu'à attendre. Je m'assis sur une borne en béton et lesregardai jouer. Je pris quelques photos, puis il vint me voir. Il étaitmanifestement ravi. Les gamins l'appelaient à grands cris, alors il nes'approcha que le temps de me donner rendez- vous à 19h, à son hôtel,pour dîner dans une gargote de mon choix.J'avais beaucoup de temps à perdre.Je sortis la photo du tatouage de mon sac, et l'étudiai en même temps queje téléphonais aux renseignements pour avoir les adresses de tatoueursdans le quartier. Il y en avait deux. Je décidai d'y aller à pied, surtout parceque, ne connaissant pas la rue, il fallait d'abord que je trouve un plan. Jemis une petite heure pour enfin trouver la première échoppe, dont ladevanture étroite était prise en sandwich entre un sex-shop et une boutiquede prêt-à-porter. La vitrine consistait en une porte cochère recouverte d'ungrand panneau portant tout un étalage de photos de tatouages et depiercings. Pour atteindre le « salon », il fallait entrer dans une courd'immeuble, et la traverser jusqu'à une petite porte ouverte. La pièceprincipale ne devait pas faire plus de six mètres carrés, et elle étaitencombrée d'albums de photos, et de dessins pris dans des cadresgothiques. Les murs en étaient également recouverts et un comptoir enverre contenait une impressionnante quantité d'objets en métal, destinés

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 14

Page 18: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

aux adeptes des trous dans la peau.À mon entrée, une sonnerie retentit et un jeune homme aux longs cheveuxnattés fit son apparition, sortant d'une autre pièce, beaucoup plus sobre etclaire. Probablement la salle où ils « opéraient ».Je le saluai de la tête, puis je sortis une petite feuille blanche pour dessinerle Y du braqueur, et lui demandai si il avait déjà vu ce dessin quelque part.Il étudia consciencieusement mes pattes de mouches, puis soupira ensecouant la tête. « Non, ça ressemble à pas mal de trucs, le symbole de lapaix, quelque chose comme ça... Mais avec les bords ondulés, et tournédans ce sens, ça ne me dit rien. Vous le voulez pour vous ?- Euh, non... Je... Je l'ai vu sur un ami, et je me demandais ce que c'était.- Eh bien dans ce cas, je ne peux pas vous aider. Pourtant, j'en ai vu défiler,des trucs. Mais dans les dessins très simples comme celui-ci, je suis sûr dene rien avoir vu de tel. »J'étais un peu déçu, mais je m'y attendais. En réalité, ma plus grandecrainte, c'était qu'il y existe des dizaines de schémas qui ressemblent àcelui que je recherchais, sans que je sois capable de le différencier. Là, aumoins, j'avais une petite chance que ce ne soit pas une coïncidence, maisréellement un symbole unique. Qui sait ? Il fallait que je rencontre d'autrestatoueurs. Il y en avait un autre trois rues plus loin. Je remerciai le jeunehomme aux longues nattes, et je sortis de sa boutique.Il commença à pleuvoir dès que je mis le nez dehors, comme par hasard.Au début, il ne tomba que quelques gouttes, mais au bout d'une trentainede secondes, la pluie s'intensifia. J'étais pressé, alors je me mis à courir. Letemps de trouver l'échoppe que je cherchais, j'étais trempé comme unesoupe, les cheveux dans les yeux, l'imper dégoulinant, le bas du pantalon àtordre. On aurait pu croire que j'avais plongé tout habillé dans une piscine.Ce magasin était bien différent du la précédent. Ils avaient une grandepièce décorée d'illustrations de bandes dessinées et de sculptures dedragons orientaux, meublée d'un canapé et de nombreux poufs, le tout dansune ambiance chaleureuse de crème, beige et acajou. Des classeurscontenant les modèles de tatouages étaient posés sur une table basse, et,dans une vitrine façon bijoutier, l'étalage de bijoux pour piercingstraditionnel était exposé. Une charmante demoiselle brune, aux cheveuxcourts, me sourit.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 15

Page 19: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Je peux vous renseigner, monsieur ? »Je devais ressembler à un cocker mouillé. Je lui décochai monsourire-du-mec-qui-est-ridicule-mais-qui-le-sait-et-qui-en-joue. Puis jesortis mon croquis de ma poche. Il était tout chiffonné et le stylo avaitbavé. Je le rempochai en toussotant, et pris la photo dans ma pocheintérieure.« Un de mes amis s'est fait faire ce tatouage, mais il n'a pas voulu me direce que c'était...- Votre photo est vraiment mauvaise. Vous l'avez prise avec votretéléphone portable ?- Euh... oui... c'est pour ça que c'est un peu flou. Mais bon, vous voyezquand même que c'est une sorte de Y entouré d'un cercle ondulé...- Oui... »Elle se pencha sur la photo, puis attrapa un lorgnon de bijoutier pourl'examiner de près.« Oui... Et au centre, il y a comme un petit rouage.- Ah bon ? ! »Je me penchai à mon tour, et elle me passa son lorgnon. Elle avait raison.Comment ce détail avait-il pu m'échapper ?« Ah oui, c'est exact. Vous avez déjà vu ce dessin ? Peut-être qu'un de vosclients l'a déjà demandé ? Ça doit être un schéma assez courant, non ?- Non, ça ne me dit rien... Des symboles de la paix, j'en ai déjà fait desmilliers, mais ils ne ressemblaient pas à ça. Désolée. »Je rempochai la photo. « Ce n'est pas grave. Il finira par me dire ce quec'est, de toutes façons. Ce doit être un symbole ethnique qu'il a vu envacances. Merci pour tout... »Je m'apprêtai à sortir, quand elle me dit : « Vous êtes tout mouillé. Vouspouvez attendre ici, que la pluie cesse. Si vous voulez, je peux mettre votreimperméable sur un radiateur. »Je la regardai. Après tout, je n'avais pas grand-chose d'autre à faire avantdix neuf heures, et il n'était que seize heures trente. « Pourquoi pas ? »Je lu i tendis mon imperméable dégoul inant en la remerc ian tchaleureusement. Ensuite, j'allai m'asseoir sur le grand canapé. Il était trèsconfortable. Le genre de siège d'où il est difficile de sortir. Je soupirai. Ilfaisait chaud dans la boutique. Je saisis un des classeurs, et regardai les

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 16

Page 20: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

photos à l'intérieur. Certains tatouages, des dragons multicolores, étaientvraiment impressionnants. Mais ce qui retint mon attention fut la photod'une femme brune, aux longs cheveux relevés, dont tout le dos étaitcouvert d'un grand iris, dans des tons bleus, violet sombre et verts. Elle setenait de dos, avec une telle expression de tristesse sur son beau visage,que j'avais envie de la prendre dans mes bras pour la réconforter.« C'est ma sœur, fit une voix à coté de moi. Elle s'était fait faire cetatouage après la mort de son copain. Il était fleuriste et il lui offraittoujours de gros bouquets d'iris, parce qu'il disait que leur couleur bleufoncé était celle qui lui convenait le mieux.- C'était il y a longtemps ?- Un an et demi environ... C'est moi qui lui ai fait le tatouage. Sans doutemon plus beau. »Je continuai à feuilleter le classeur. Il y avait vraiment de tout. Desgros-bras avec le nom de leur copine sur le biceps, des filles avec dessymboles chinois au bas du dos. Des tatouages noirs, d'autres pleins decouleurs...« Vous êtes seule à faire marcher la boutique ?- Non, on est trois associés. Mais Léa est en congé, et Geoffrey est en trainde faire un implant. »Elle était vraiment jolie, avec ses cheveux noirs. Je me rendis compte qu'untout petit tatouage très fin ornait le coin de son œil droit, ce qui lui donnaitun regard troublant.Nous discutâmes pendant une petite vingtaine de minutes, jusqu'à ce queson collègue et le client ressortent, ce dernier avec un gros pansement surl'avant bras gauche. Quand je pris congé, elle m'assura qu'elle ferait desrecherches pour savoir d'où pouvait venir le symbole. Je lui donnai macarte et enfilai mon pardessus, maintenant sec et chaud.Il ne pleuvait plus. Le ciel était parsemé de nuages clairs troués d'espacesbleutés. Je décidai de retourner au stade à pied, en passant par les petitesrues. Cela faisait assez longtemps que je n'étais pas venu dans le quartier,et je ne me souvenais plus des restaurants qui s'y trouvaient. Faire un petittour ne pourrait que me rafraîchir la mémoire.Je marchai pendant environ une heure, flânant, lorgnant les cartes desbrasseries... et réfléchissant. Le tatouage n'était pas si simple qu'il y

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 17

Page 21: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

apparaissait à première vue. Ce n'était donc peut-être pas une si mauvaisepiste que ça, après tout.Une autre chose m'intriguait : plus j'y pensais, plus l'impression de déjà-vuqui m'avait saisi en voyant le dessin la première fois s'intensifiait. J'étaiscertain de l'avoir observé auparavant, mais impossible de me souvenir dansquelles circonstances.Je retrouvai mon joueur de basket à l'endroit prévu. Il buvait un verre aubar de l'hôtel, un trois étoiles bien tenu. Il avait troqué son short contre unjean noir. Il devait faire deux têtes de plus que moi. Il me sourit de toutesses dents, et finit son verre en se levant. Je savais que tout son voyage avaitété payé par l'association qui avait organisé sa venue. « Il est pété dethunes... Il aurait pu faire un effort, quand même... » songeai-je en lerejoignant.Nous dînâmes ce soir là dans le petit restaurant repéré par mes soins, encompagnie d'une jeune femme charmante, au sourire fruité et de deuxarmoires à glace. Ce n'étaient pas les meilleures conditions pour uneinterview, mais bon... je n'avais qu'à m'en prendre à moi-même. Si j'étaisarrivé à l'heure...Je passai une soirée assez désagréable, à essayer de tirer le meilleur d'untype qui n'arrêtait pas de changer de sujet, et tellement égocentrique dansses discutions que j'en venais à me demander s'il ne serait pas un peumythomane sur les bords. À la fin, j'avais rempli plusieurs pages de moncarnet, mais je me promis de vérifier le moindre de ses dires. J'étaisexténué.Quand je rentrai chez moi, vers onze heures, quatre messages m'attendaientsur mon répondeur. Trois étaient d'Anna, avec une tension agressive dansla voix, proportionnelle au temps écoulé depuis l'appel précédent, et un deJérôme, qui voulait savoir si j'avais trouvé des indices.Mais qu'est ce qu'ils croyaient, tous ? Que ça m'amusait de passer dessoirées entières à travailler ?Je rappelai d'abord Anna. Elle était glaciale. J'eus droit à la série dereproches habituels « Tu ne m'appelles jamais, tu ne penses à moi que justeavant de te coucher, ton job est plus important que moi dans ta vie... » J'enpasse et des meilleures.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 18

Page 22: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Heureusement, j'avais appris depuis longtemps à gérer ce genre de crise. Ilsuffisait de la laisser parler, de m'excuser platement le temps qu'ellereprenne son souffle, et ensuite elle embrayait directement sur ce qui s'étaitpassé dans sa journée, ce qui consistait surtout à se plaindre de sescollègues de boulot. Au bout d'un moment, je posai le combiné et allai mechercher un coca au frigo. Quand je le récupérai, elle ne s'était même pasaperçue que j'étais parti. Bonjour l'écoute. Quand enfin elle me demanda sima journée s'était bien passée, je ne répondis que le minimum, déjà shootéd'une overdose de paroles.Je ne rêvais que d'un peu de calme.Au bout d'une heure de conversation, Anna était calmée, et nous avionsconvenu de passer la soirée suivante ensemble. Elle avait raison, dans unsens. Elle avait envie que nous passions du temps en tête à tête et c'étaitbien compréhensible.Dès que j'eus posé le combiné, le téléphone sonna de nouveau.« Allo ?- Allo, Lolo ?- Jérôme. Appelle moi encore une fois comme ça, et je te tue.Recommence ça à minuit, et tu seras pendu avec tes tripes.- Moi aussi je t'aime, ma biche.- Et c'est pour me dire ça que tu m'appelles maintenant ?- À ton avis ?... Bon arrête de me faire lambiner... Tu as trouvé quelquechose ?- Hey ! Attends une minute... Je ne suis pas payé pour m'occuper de tesaffaires, tu sais. J'ai un boulot, que je suis sensé effectuer pendant lajournée.- Mmmh. Alors ?- Ok. Je suis allé voir plusieurs tatoueurs, mais aucun ne connaissait cedessin. Il est plus compliqué que ce qu'on pensait au départ, d'ailleurs. Il ya un petit rouage au centre, qu'on n'avait pas remarqué.- Et personne ne sait d'où ça peut venir ?- Non.- Bon, d'un coté c'est plutôt une bonne nouvelle, puisque ça veut dire qu'iln'est pas courant, donc on aura peut-être une chance de ne pas voir dixmille types en porter un identique. Mais d'un autre coté, on n'avance pas

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 19

Page 23: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

beaucoup.- Tu sais, ça fait juste une journée. Demain, j'irai voir d'autres tatoueurs. Jete ferai un rapport.- Ok. De mon coté, j'ai peut-être une piste pour le gang... Un de mes indicspourrait bien être au courant de quelque chose.- Ah ? »Je réprimai un bâillement.« Je ne t'ennuie pas plus longtemps...- C'est ça. Que j'aille enfin dormir.- Fais de beaux rêves mon petit lapin... »Il avait raccroché avant que j'aie trouvé une réplique.Enfin au calme. J'achevai mon coca, toujours assis dans le canapé en cuirfatigué et craquelé, mon chat sur les genoux, contemplant la lune par lafenêtre. Je n'avais même pas pris le temps d'allumer la lumière en entrant.Qu'importent une ou deux chaises renversées le temps de ramener letéléphone au canapé ?J'étais épuisé. Non pas que j'aie eu une journée particulièrement chargée,mais elle avait été intense. Cette nuit là, mon sommeil se mêla de rouescrantées et de rouages tatoués, de basketteurs fous et d'articles impossiblesà écrire, tandis que la voix d'Anna me poursuivait partout en me suppliantd'un ton plaintif : « Ne m'oublie paas, occupe toi de moiii... »Le lendemain, je me réveillai de bonne heure, avec un léger mal de gorge.J'avais décidé que je finirais mes articles en cours le plus vite possible, afinde me consacrer à ma tournée des tatoueurs. Si je donnais ma prose àLaureen, il n'y avait pas de raisons pour qu'elle ou qui que ce soit d'autretrouve à redire à mon départ.Ceci fait, je réussis à sortir du journal à cinq heures et demie mais Jérômecontraria mes plans. Il m'attendait au bas des marches, terminant unecigarette.« J'allais monter te chercher.- Quel vent de tempête t'amène par ici ?- Je me suis dis que ça t'intéresserait de venir voir l'indic avec moi.- C'est vrai ? Tu m'emmènes ?- Holà ! Calme ta joie. On ne va pas à une fête foraine. C'est des crapulesqu'on va voir. Je te ferai passer pour mon équipier. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 20

Page 24: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Quelle excitation ! J'étais Starsky en personne, en route pour une rencontreavec Huggy-les-bons-tuyaux. Jérôme m'ouvrit la porte de sa petite voiturebanalisée, une 106 grise.Pendant tout le trajet, il n'arrêta pas de pester contre les embouteillages, quinous firent perdre une heure le long des quais.Vers dix-neuf heures, nous arrivâmes à un petit bar enfumé, pas très loindu Panthéon, joliment et fort à propos nommé « La Licorne Fumante ».L'enseigne représentait une licorne rouge, avec une pipe et des yeuxpsychédéliques.Nous nous frayâmes un chemin dans une sorte de caveau étroit et enfumé,à travers la foule de clients. J'avais l'impression d'être un cargo naviguantun jour de brouillard à couper au couteau. Jérôme aurait dû porter depetites lumières rouges clignotantes autour de la tête, pour que je ne leperde pas.Soudain, il reconnut son indic, et s'assit à coté de lui. C'était un petithomme d'une cinquantaine d'années, un peu dégarni, l'air débonnaire, despoches sous ses yeux délavés. Il portait un jean crasseux et un pull-oververt rafistolé aux coudes avec des pièces de cuir.« Bonjour m'sieur Derrick !- Salut le Rat.- C'est qui, ton mignon ?- T'occupe, c'est mon équipier. Faut qu'il apprenne les ficelles. »Jérôme se tourna vers moi.« Va nous chercher deux bières. »Une petite voix ironique me chuchota « Enfin utile... ». Quelle déception,moi qui pensais assister à toute la pièce, j'étais privé du premier acte. Sansdoute Jérôme avait il de bonnes raisons de m'éloigner...Quand je revins avec les bières demandées, l'indic rigolait. Il se tut à monapproche.Jérôme prit les chopes avec un vague « merci », puis but une gorgée. Ilposa la seconde bière devant moi.« Bon, trêve de plaisanterie. T'es au courant du braquage de la BNF ? »L'autre leva un sourcil.« Non, et je m'en fous. Je suis à la Caisse d'Épargne.- Un rat chez l'écureuil ? Tu me fais rire.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 21

Page 25: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Y garde bien mes noisettes, ça me suffit.- À propos de tes noisettes, reprit Jérôme, ça me désolerait d'avoir à lescasser.- Chuis pas au courant !- C'est pas ce que Lili m'a raconté...- Quoi ? ! Cette vieille peau ! Elle est juste bonne à tapiner les clébards duquartier. »Il roula une cigarette. Jérôme but quelques gorgées sans rien dire. Jeregardais ma bière comme un chien fixerait un hérisson. C'était joli toutesces petites bulles. La dernière fois que j'en avais ingurgité, j'avais dansé lacarmagnole avec le prêtre qui avait célébré le mariage d'un ami, debout surune table.« Écoute, le Rat. Je vais être clair avec toi. J'ai passé l'âge de jouer au chatet à la souris. »Le « Rat » se tassa sur sa chaise.« Alors, si tu veux pas que je t'envoie au trou, déballe ce que tu sais.- Mais, m'sieur l'inspecteur, puisque j'vous dis que j'sais rien !!!! Je vaispas vous l'inventer, tout de même ! »À cet instant précis, Jérôme fit un geste brusque en direction de la veste encuir de son interlocuteur, posée sur la chaise libre. L'autre accompagna songeste et lui attrapa la main au moment où Jérôme retirait un objet de lapoche. L'indic saisit l'objet, mais Jérôme lui tordit le poignet, l'obligeant àlâcher. Un petit sachet empli de poudre blanche tomba sur la table.« C'est du sucre pour ton thé, le Rat ?- Mais, mais, c'est quoi c't'embrouille ? Je l'ai jamais vu de ma vie, cetruc ! »Jérôme, sans le lâcher, prit le sachet avec une pincette, l 'ouvritprudemment, et goûta du bout de la langue quelques grains de la poudre.Il se tourna vers moi : « Ça m'a tout l'air d'être un flag. D'après vous,possession de substance illicite, ça vaut combien ? »Je ne savais pas quoi répondre. Je bredouillai : « Euh...- Raah ! On ne vous apprend rien à l'école de police ? »Il prit le Rat à témoin : « Tout se perd, pas vrai ? De notre temps... »Le Rat acquiesça nerveusement.« Bon. Ta mémoire est revenue ?

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 22

Page 26: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Non ! Je vous dirai rien. Vous êtes que des pourris ! C'est vous qu'avezmis ça dans ma veste !- Ouais. T'as raison. Fais moi un procès. Je suis sûr que ta parole pèseraplus lourd que la mienne et celle de mon coéquipier devant un tribunal. Parcontre, je rajouterais bien « Insulte à agent » dans mon procès verbal. »Le Rat s'essuya le front.« Ok Ok. Je connais juste le nom du gang des types que tu cherches.- Je t'écoute.- C'est les cougars Volants. »J'éclatai de rire.Pourquoi pas les Couillons Volant ?Jérôme me fusilla du regard.« Il crèchent où, tes mecs ?- Tu veux leur téléphone ? J'en sais rien, moi ! Je croyais que leur chefs'était fait pincer. Il doit toujours être en taule. T'as qu'à lui demander !- Son nom ?- Mais j'en sais rien !!!! À l'époque, il se faisait appeler Thorteute, ou untruc comme ça. »Jérôme soupira et sourit : « Et ben tu vois, quand tu veux... Je garde le petitsachet. À bientôt ! »Il lui donna une petite tape affective sur la joue.« Tu sais où tu peux te le mettre !!!!! »Il prit la chope encore pleine devant moi et l'avala cul sec, puis s'essuya labouche d'un revers de manche avant d'éructer bruyamment.Jérôme se leva, déposa de la monnaie sur le bar, et sortit. Je ne le quittaipas d'une semelle.Une fois dans la voiture, il mit le petit sachet dans sa poche intérieure.« Quand même, dis-je, je n'en reviens pas qu'il ait eu le culot de prétendrene jamais avoir vu la poudre. Comment tu as su ?- Il ne l'avait jamais vue. C'est moi qui l'y ai mise en arrivant.- Quoi ? Tu as de la drogue sur toi ? »Il rit, et me balança le sachet. « Mais non, triple buse ! C'est du sucre. Tu lemettras dans ton café ! »Je me risquai à y goutter. C'était bien du sucre.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 23

Page 27: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il glissa la clef dans le contact et démarra. Il me reconduisit chez moi. Jedormis comme une masse.Je restai perplexe après l'entrevue avec le Rat. Je connaissais Jérômedepuis le lycée : sa manœuvre pour soutirer des informations à son indic nese différenciait pas beaucoup de sa façon de nous avoir du rab à la cantine,mais là, ce n'était pas légal.C'est vrai que ces malfrats étaient des personnes sans scrupules, et qu'il nefaisait que son travail, mais mon côté protecteur des faibles me titillait. Jeme rassurai en pensant qu'après tout, le Rat avait eu une bière endédommagement et que, s'il était blanc comme neige, il aurait sûrementattaqué Jérôme pour diffamation. Mon côté optimiste a toujours brillé...C'était préférable vues mes conditions de travail...C'est Laureen qui me tira de ma réflexion :« Toujours en train de rêvasser, Asmuldet !!!!!!!- Ça me permet de me sortir de l'affreuse réalité....- Je vous comprends, me dit-elle en s'arrêtant devant moi, les deux poingssur les hanches, j'aurais aussi envie de fuir votre vie !!!!!- Merci », dis-je avec un sourire forcé, avant de reprendre mon crayon pourfaire semblant de noter les réactions à chaud des supporters du derniermatch de l'équipe de Créteil.Alors qu'elle s'éloignait, mon téléphone sonna. J'entendis Laureen dire« Pff ! Encore des coups de fils personnels ! »Après avoir vérifié qu'elle n'était plus dans le couloir, je répondis, endécrochant le combiné : « Moi, au moins, j'en ai !!!! »- Je le sais, c'est pour ça qu'on t'appelle monsieur, non ? »C'était Jérôme.« Je ne parlais pas à toi, mais à ma démone de chef.- Laureen ?- Da ! Yavol ! Ton enquête, elle avance ?- Je suis allé voir le chef des Clowns Volants à la prison de Fresnes.- Et ?- Rien, mis à part qu'il était énervé de n'avoir pas été mis au courant dubraquage.- Il les a balancés ?

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 24

Page 28: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Non... Il m'a parlé d'une sorte de code, enfin des foutaises pour sedéculpabiliser des saloperies que font ses collègues.- Je vois.- Par contre, il m'a donné l'adresse de leur dernière planque. Tu veuxvenir ?- C'est vrai ? ? ?- T'affoles pas, je ne pense pas qu'il y aura quelque chose, mais sait-onjamais !- Tu passes quand ?- Je suis en bas de ton immeuble. »Je jetai un œil par la fenêtre et, comme il s'en doutait, il me fit signe.« Ok... Je vais tâcher d'éviter le Monstre roux et j'arrive ! - Je fais chauffer la voiture. »Bon. Laureen. Pour l'éviter je devais d'abord savoir où elle se trouvait. Jetendis mon cou le long du coude où je l'avais vue disparaître... Personne. Jepris, lentement, la veste posée ma chaise. Un grincement de portem'immobilisa. C'était Marc qui venait chercher sa tasse de caféquotidienne. Il me vit, immobile avec un pied en l'air, figé, mon manteau àmoitié mis.« Tu peux poser ton pied, Asmuldet. Ce n'est que moi.- Tu ne sais pas où est Laureen ?- Partie voir un imprimeur.- Quel était le problème ?- Tu t'intéresses au journal maintenant ?- C'est vrai, laisse tomber. J'y vais.- Où ?- Faire du VRAI journalisme. »Je finis ma phrase en fermant la porte du couloir.Je retrouvai Jérôme en bas, dans sa voiture personnelle cette fois, une 206bleu foncé. Il toqua sa montre quand il me vit. J'ouvris la portière en luidisant :« Excuse moi, j'ai fait le plus vite que j'ai pu...- T'inquiète mais j'étais à deux doigts d'appeler le GIGN. »Il rit.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 25

Page 29: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Je ne comprends pas comment tu peux supporter de te faire marcher surles pieds comme ça !- Ça ne t'arrive jamais à toi ? »Il réfléchit.« Si !- J'aimerais faire un boulot où je n'aurais de compte à rendre à personne,sauf à moi bien sûr.- Deviens détective, ou alors romancier...- Ou tueur à gages ?- Toi ? Tueur à gages... Désolé mais j'ai du mal à t'imaginer en unepersonne froide et insensible tuant pour du blé ! »Il attacha sa ceinture et démarra.« L'endroit où l'on va est théoriquement sans danger mais... »Il sortit un petit revolver de la boîte à gants et finit sa phrase : « ...Au casoù. »Je regardai l'arme. La lumière du soleil se reflétait dans l'inox du canon.Elle était un peu lourde mais j'avais l'impression de tenir une épée dechevalier. J'éprouvai un sentiment de puissance. Je la reposai sur le tableaude bord.« C'est grisant...- Quoi ? Tenir une arme ? Méfie toi, Laurent, beaucoup de gens ont pensécomme toi jusqu'à ce qu'ils voient un type mort à leurs pieds.- Tu t'es déjà servi de ton arme ?- Plusieurs fois....- Whoaaa !!- Mais, tu sais, quand les balles sifflaient au dessus de moi, je ne pensaisqu'à une chose...- Laquelle ?- Ma fille.- Ça fait longtemps que tu ne l'as pas vue ?- Trop longtemps. »Le silence s'installa quelques instants, au point d'en devenir gênant. Saprésence était aussi imposante que celle d'un éléphant dans la voiture.« Quand même, c'est une belle arme, dis-je en retournant le pistolet entremes mains.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 26

Page 30: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Ouais ben, t'emballe pas trop, c'est qu'un pistolet d'alarme.- Quoi ?- Tu as une autorisation de port d'arme ? »Que répondre à ça ? Mon petit monde s'écroula, sous le rire bon enfant deJérôme. Ma belle épée était devenue un sabre en plastique, un jouet pourenfant.« Ah ! C'est là ! »Nous étions arrivés à une sorte terrain vague où ne subsistaient qu'unepetite maison et une caravane.Jérôme ne se gara pas immédiatement, mais roula un peu plus loin, ets'arrêta sur le bas-côté.« Normalement, il n'y a plus personne mais je préfère rester prudent.»J'allais ouvrir la portière quand il me dit :« Reste là, je fais d'abord un tour de reconnaissance. - Très bien. » dis-je, déçu.Je regardai Jérôme s'éloigner de la voiture dans le rétroviseur. Mon regardfut alors attiré par le revolver posée sur le tableau de bord. Je le pris etcommençai à faire semblant de mettre en joue des bandits imaginaires,jusqu'à ce que ma vessie me rappelle mes besoins naturels. Je sortis duvéhicule, avec l'arme, pour m'abriter derrière un arbre. De là, je pouvaisvoir l'auto et la route, sans être vu. Je remontai ma braguette quand uneautre voiture passa devant mon arbre pour se garer dans le terrain vague.« Flûte ! » pensai-je.Deux types genre Sylvester Stallone sortirent de la voiture et se dirigèrentvers la maison. Je vis Jérôme en sortir au même moment, une expressionde stupeur sur son visage.Le plus grand des deux dégaina et Jérôme plongea en direction de lacaravane. Il réussit à entrer dedans avant que l'autre n'ouvre le feu. Je nesavais pas quoi faire...Prendre la voiture et foncer sur eux, prendre la fuite comme un lâche, oudégainer et tirer comme John Wayne sur ses « voleurs de chevaux » ?Le temps que je choisisse entre les deux premières solutions, ils avaienttroué le caravane d'une dizaine d'impacts.Jérôme cria :« Police !!Vous êtes en état d'arrestation !!! »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 27

Page 31: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Les deux gars se regardèrent et se mirent à rire.« ON VA TE FAIRE CRAMER, SALE POULET !!!! » cracha l'un desdeux malfaiteurs.Pendant que l'un mettait la caravane en joue et tirait dès qu'il apercevait latête de Jérôme, l'autre alla chercher un jerrican d'essence. Quelquessecondes s'écoulèrent avant son retour.À ce moment là, je me dis : « C'est maintenant ou jamais ! »Je filai à la voiture. Je démarrai et fit demi-tour, avant de foncer sur le typequi couvrait son pote.Il fut surpris de voir une voiture se précipiter vers lui et se jeta sur la droitepour m'éviter. Jérôme en profita pour sortir.Celui qui portait le jerrican posa son fardeau et tira. Il blessa Jérôme aubras droit au moment où celui-ci sautait dans la 206.« Fonce !!!Fonce !!! - Tu ne veux pas les interroger ? » dis-je ironiquement.A sa grimace, il n'apprécia pas ma plaisanterie.Lorsque la distance entre nous et eux fut suffisante pour que je puisse mepermettre de ralentir, Jérôme me dit :« J'ai envie de voir ma fille....- Je crois que le plus urgent est de t'emmener à l'hôpital.- Tu crois ? Merci de m'avoir sauvé la... »Il tomba inconscient.Il fallait trouver l'hôpital le plus proche. Je pris la première sortied'autoroute, guidé par un panneau où était inscrit : « CHU de Mondor ».Je l'ai amené aux urgences puis j'ai attendu. Assis sur ma chaise enplastique bleu, je me demandais quelle impression ça pouvait faire derecevoir une balle de revolver... J'ignorais que j'aurais bientôt l'opportunitéde le savoir...Au bout de deux heures, un médecin me rassura en disant que Jérôme étaithors de danger. La balle avait traversé le gras de son bras, en en emportantun peu au passage, mais il devrait récupérer entièrement sa mobilité.Une heure s'écoula encore avant que l'on m'autorise à lui rendre visite. Ilétait allongé, les traits tirés, le bras en écharpe, et terriblement vexé.« Comment j'ai pu me faire avoir comme ça ?- Tu ne pouvais pas deviner.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 28

Page 32: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Imagine ce qui ce serait passé si tu n'avais pas été là ! »Jérôme semblait vraiment démotivé. Dans ces moments, on aimeraittrouver des paroles réconfortantes mais elles ne viennent jamais.« Au moins tu es vivant et puis tu as vu le visage des types....- Tu parles !! Une fraction de seconde avant de foncer dans la caravanepuis dans la voiture... Aide moi à m'habiller, y faut que je me cassed'ici !!!! »Mêlant l'action à la parole, il se leva et enfila sa chemise. Je l'aidai commeje pus en lui disant qu'il devrait rester encore un peu se reposer. Il appelal'infirmière, qui fit venir le docteur qui l'avait soigné, et il lui demanda lapermission de sortir. Celui-ci la lui donna puisque je me portais garant queje conduirais. Je pense qu'ils devaient avoir de sérieux problèmes de placedans cet hôpital...Lorsque nous sortîmes, Jérôme me demanda de l'accompagner chez sonex-femme. Il voulait voir sa fille. Nous arrivâmes à cinq heures de l'aprèsmidi près de son ancienne maison. Il n'avait pas desserré les mâchoiredurant le trajet. Ils n'était pas encore divorcés, mais ils ne se voyaient plusdepuis quelques mois. Elle ne supportait plus le métier de Jérôme, tropdangereux. Ils étaient devenus des étrangers l'un pour l'autre.« Tu veux que je t'accompagne ?- Non, ça va aller... »Il sortit de la voiture et se dirigea vers la maison. Le jardin était en terrelabourée, et il n'y avait pas encore de chemin pour accéder à la ported'entrée. Avec son bras en écharpe, Jérôme avait un peu de mal à trouverson équilibre, mais il finit par arriver devant la porte. Je le vis prendre unegrande inspiration, puis il sonna et sa femme lui ouvrit. Elle portait un pullrouge sur un jean bleu, mais je ne distinguai pas très bien son expression.Je n'entendais pas leur conversation mais par contre je voyais Jérôme fairede grands gestes. Ensuite, sa femme commença à pleurer, et essuyanerveusement ses yeux avec ses mains. Jérôme hésita à la prendre dans sesbras. C'est à ce moment que sa fille apparut derrière lui avec son sacd'école sur le dos. Une pitchounette brune avec des couettes.Jérôme se retourna et se baissa pour prendre sa fille dans ses bras. Celle-cirecula d'un pas puis fit un écart pour aller se blottir contre sa mère. Jérômeresta penaud avant de tourner les talons et me rejoindre dans la voiture. Il

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 29

Page 33: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

ouvrit silencieusement la portière.« Je t'emmène où ? Méfie-toi, mes tarifs sont chers. »Il me regarda avec ses yeux rouges remplis de tristesse et me dit avec unsourire :« Le bar le plus proche.- Le bar ? Tu es fou... Si on allait plutôt retrouver le Rat ? ? Il doit savoirautre chose !! Ou retourner à la planque...- Il y a rien là-bas, à part des vieux journaux de cul ou des vidéos pornos.- Tu en est sûr ? Pourquoi sont-ils revenus alors ?- Ils voulaient peut-être de la lecture. »Il réfléchit un instant puis s'essuya les yeux avec son mouchoir.« Tu as raison, allons voir le Rat.- Ok, Chef. »Vers dix neuf heures, nous étions au seuil d'un des lieux où le Rat avaitl'habitude de se rendre. C'était un restaurant chinois, paradoxalement tenupar deux italiens. En fait de cuisine, ils proposaient des... comment dire...rendez-vous galants. Nous nous postâmes près de l'entrée, près d'une ruellepleine de crasse. Ça sentait le poisson frit.« Tu crois qu'il va venir ici ?- Ne t'inquiète pas : pour le Rat, ici, c'est du gruyère !! »En effet, au bout d'une heure, notre type se pointa avec une femme quiaurait pu être sa fille. Dans un éclair et malgré son bras en écharpe, Jérômefonça sur lui et le plaqua contre le mur. Le Rat n'eut pas le temps de voirvenir son agresseur.« J'ai rien fait !!!!!Lâchez moi !!! - Tu te recycles dans le proxénétisme maintenant ?- C'est vous, Inspecteur ? »Je rejoignis Jérôme au moment où il se retournait pour s'adresser à la fille :« Toi, tu dégages !- Mais... Monsieur Lerat m'a dit qu'il allait me présenter un acteurcélèbre... » dit-elle avec un fort accent yougoslave.Faut dire qu'elle était mignonne avec ses couettes blondes et ses grandsyeux bleus, mais sa mini jupe en sky la rendait un peu vulgaire.« Noon, le Rat !! Tu fais encore croire ça aux filles ! Dégage, ma grande,avant que je t'embarque pour attentat à la pudeur. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 30

Page 34: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Celle-ci tourna ses talons aiguilles et partit avec un déhanchement qui melaissa rêveur...Jérôme tira le Rat dans la ruelle, sans ménagement.« Écoute-moi bien. Je veux retrouver les types qu'ont fait le coup de laBNF Si tu ne t'allonges pas, je fais courir le bruit que tu as donné le parrainAlberto dans l'affaire du Paquebot « Corinne ».- Non !! Vous ne feriez pas ça !! J'ai toujours été loyal envers vous ! Pitié...- Je t'écoute. Je suis impatient.- Mais je les connais pas, moi, ces gars !!! »Après ce qui s'était passé avec sa fille, je craignais que Jérôme ne se laisseemporter. Au fond de moi, je pensais à « Rodney King » et espérais qu'iln'y aurait pas de caméra dans le coin. Mais Jérôme était un professionnel etil garda tout son calme.« Je veux juste un nom, Marcel !- M'appelle pas comme ça !- Rappelle toi, je t'ai couvert auprès de ta mère... Je pourrais changer d'avis.- Non! Ça la tuerait ! Bon je peux vous mettre en relation avec quelqu'unqui les connaît parce qu'il leur a rendu service...- Quel service ?- Je sais pas mais ils lui sont redevables... Y a juste qu'il ne voudra jamaisparler à un flic.- Ça tombe bien, mon ami ici présent est journaliste.- Tu m'avais dit qu'il était ton co-équipier !- Et c'est vrai ! »Je me sentis fier quand il dit ça. J'étais enfin utile à quelqu'un d'autre quemon chat.« Qu'il vienne seul du coté du vieux Saint Maur, derrière l'église. Danstrois jours, vers vingt heures.- Merci, le Rat. »Je rentrai avec Jérôme au commissariat. Il m'installa à son bureau.« Reste là. Je vais parler à mon chef de ce qui s'est passé. Tu entendras deséclats de voix mais ne t'inquiète pas : quand je reviendrai, il aura approuvémon opération.- Côté « éclats de voix », je suis rôdé. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 31

Page 35: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Son opération était un classique du genre. Je devrais porter un micro sousma chemise et je me ferais passer pour un journaliste voulant écrire unlivre sur le grand banditisme. Jérôme lui-même serait bien sûr encouverture, avec d'autres policiers.Impliquer un civil dans une affaire policière n'est pas évident, il fallaitdonc que je signe une décharge. Normalement, j'aurais appelé Anna pourlui raconter l'aventure mais je ne me sentais pas du tout l'envie de l'avoir autéléphone. Je ne pensais même pas à me mère, car elle aurait ameuté tout levoisinage. Je restai donc sans rien faire, un peu tendu, tâchant d'écouter cequi se passait dans l'autre pièce.Il y eu effectivement des éclats de voix puis, au bout de cinq, minutes lecalme. Jérôme sortit avec son chef et vint vers moi.« C'est vous le journaliste ?- Oui.- Vous vous rendez compte du danger ?- Oui. » réussis-je à articuler en avalant ma salive.« Bon, puisque tout est en règle, on va mettre ça en place. Dans trois jours,c'est ça ? Vous viendrez vers dix huit heures. On vous fera un briefing eton vous équipera d'un micro. »Il tourna les talons et sortit en secouant de la tête. Jérôme s'approcha demoi.« Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer... Rentre chez toi, et repose toi.- Toi, ça va aller ?- Oui. Merci Laurent. »Je me levai en me persuadant que ce mensonge était vrai et je rentrai chezmoi.Le lendemain matin, je me réveillai avec une gueule de bois. Bizarre, jen'avais pas bu, pourtant. Je n'avais pas du tout envie de me lever, malgréles injonctions de mon réveil. Quand enfin je me décidai à poser le piedpar terre, je me rendis compte que tous les muscles de mon corps étaientnoués, comme si j'avais passé la journée de la veille à faire du sport.Courbaturé de partout.J'ouvris mes volets, et saluai le soleil de juillet d'un magnifique doubleéternuement. « Splendide », songeai-je.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 32

Page 36: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

On a toujours le temps d'avoir une bonne crève. Je fouillai dans mes tiroirsà la recherche de mes restes de médicaments. Ils étaient tous périmés.Je pris une douche, m'habillai comme en hiver, nourris mon chat, et sortisen catastrophe, direction la pharmacie. Bien entendu, il y avait déjà unefile d'attente d'enfer. Cinq ou six papys et mamies, une femme avec troisenfants et un autre type avec la goutte au nez. Le pharmacien, seul dans laboutique, prenait son temps. Il semblait connaître tous ses clientsfamilièrement et demandait à chacun des nouvelles de sa petite famille. Ilexpliqua trois fois à une grand-mère la posologie des remèdes qu'il luiremit, jusqu'à ce qu'elle pense à allumer son sonotone. Je levai les yeux auciel. Quand mon tour vint enfin, il passa cinq minutes à farfouiller dansson arrière boutique, et me donna trois boîtes de médicaments.Bilan : j'étais déjà épuisé de ma journée, et encore en retard, pour changer.J'entrai dans mon bureau en catimini, comme une ombre, en rasant lesmurs, sans regarder personne, pour ne pas attirer les regards. Je me calaiensuite dans mon fauteuil, et ressortis mes notes de l'interview dubasketteur. Je ne rêvais que d'une chose : rester dans mon siège toute lajournée, emmitouflé, et me traîner chez moi, jusqu'à mon lit dès que je lepourrais. J'étais heureux que mon interview de gang n'ait pas lieu le jourmême. Mais j 'avais quand même un petit footballeur en herbe àinterviewer, et mon enquête sur les tatoueurs à finir pour Jérôme. Sanscompter mon article sur le basketteur...Je me mis à travailler, mais au ralenti. Il fallut que le soleil arrive à glisserquelques rayons par ma fenêtre pour que je me sente un peu mieux, retireun pull, me rende compte que les médicaments commençaient à faire effet,et que le remords me prenne. Je ne pouvais pas me permettre de travaillersi lentement. Je passai un petit coup de fil à Jérôme, histoire de prendre desnouvelles. Répondeur. Je lui laissai un message. Je finis mon article, ainsique mes rubriques habituelles - comme les résultats et tuyaux du LotoSportif - avant de me glisser dehors. Heureusement que le soleil avait enfinconsenti à se rappeler qu'on était en juillet ! Le moral commençait àrevenir. Je me mouchai bruyamment, et me mis en route.Il était onze heures quand j'arrivai au Gymnase « Jean Moulin » pour monentrevue avec le jeune poulain de l'équipe. Il devait sûrement plus tenir del'esprit bovin que de l'équidé. Vous me trouvez peut-être dur mais j'en ai

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 33

Page 37: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

fréquenté, des « footeux », et même si certains ont fait de longues études,la majeure partie de ceux que j'ai interrogés ont à peine assimilé leur CoursPréparatoire. C'est donc avec une certaine appréhension que je franchis ladouble porte de l'établissement. De toutes façons, je n'aime pas le foot. Jereste objectif dans mes articles, je peux même y être un peu lèche-botte,alors ne me demandez pas d'en faire autant dans la vie.Le gymnase venait d'être rénové. Les murs, jaune canari, flambant neufs,semblaient vouloir imposer deux choses au visiteur : la première, unerigidité à toute épreuve et la deuxième, le mauvais goût du peintre.Je traversai le terrain, en me demandant pourquoi on m'avait donnérendez-vous dans un gymnase et pas dans un stade, lorsqu'une voixderrière moi m'appela :« Vous, là-bas ! »Je me retournai. Un type avec une casquette « Adidas » et le survêtementassorti se dirigea vers moi.Avant, on payait des personnes pour porter des marques. Je ne pus retenirun sourire en voyant cet homme sandwich m'accoster. J'étais prêt à parierqu'il avait aussi un slip « Adidas »...« Vous êtes le journaliste qui vient interviewer Bertrand ?- Oui.- Bon. Il vous attend dans le vestiaire. Venez ! »Il me dépassa et m'invita à le suivre d'un geste de la main.Il y a un dénominateur commun à tous les vestiaires dans lesquels je suisallé. L'odeur. Cette odeur de transpiration et de pieds qui vous soulève lecœur. C'est d'ailleurs ce qui m'est arrivé... Alors que l'entraîneur appelaitson « gars », qui finissait de se préparer, je rendis mon piètre déjeuner surle banc. Enfin, j'aurais préféré... Ce fut sur les affaires d'un joueur, installélui aussi sur ce banc, qui hurla au moment où je dégobillai.Le type faisait un bon mètre quatre vingt dix et au moins cent kilos demuscles. Heureusement pour moi, trois personnes réussirent à le retenir,me permettant de m'échapper du vestiaire avec « Bertrand ».Après une course effrénée qui fit encore davantage tourner ma tête déjàfiévreuse, nous nous arrêtâmes dans un café intelligemment baptisé « Cafédes sports ».

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 34

Page 38: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Je m'excuse... je n'ai jamais supporté les vestiaires pour hommes et leshôpitaux. - Boh ! C'est pas graaave. » répondit l'intéressé. Il semblait plutôt amusé,mais voulait se la jouer « cool » avec un sourire goguenard.Je fis un crochet par les toilettes pour me rafraîchir un peu. Ça devait être àcause du rhume, aussi. Je me sentais barbouillé. Quand je revins, Bertrandme fit un large sourire. Il n'avait pas retiré la casquette qui surmontait satrogne un peu pouponne, avec un nez en trompette. Je m'assis en face delui et il appela le serveur :« Marcel ! Un jambon beurre avec mayonnaise s'il te plaît ! »Un nouveau haut-le-cœur me secoua.« Vous voulez quelque chose, monsieur le journaliste ? Monsieur ?Une corde pour te pendre. Et moi avec.- Rien... merci » réussis-je à articuler entre deux hoquets.« Alors vous voulez que je vous parle de ma carrière ?Qui vient de débuter ? Laisse moi rire.- Pourquoi pas ?- Bien. »Il s'éclaircit la voix.« Alors j'ai reçu mon premier ballon à l'âge de cinq ans. Ce fut unerévélation, tu vois. Un peu comme la Vierge qui apparaît à Marie, quoi...- C'était Marie, la Vierge. C'est pour ça qu'on l'appelle la Vierge Marie... »Il rit.« Peu importe... Tout ça c'est des foutaises pour les vieux, tu vois. J'ai vu leballon. ET LÀ ! Bing ! J'ai dit mon premier mot : « Football » et tu vois, letruc étrange c'est que je l'avais entendu nulle part ! »Son premier mot à cinq ans ! Et le deuxième c'était quand ? À quinze ansquand il a vu une fille ?« Tu vois ?- Oui... dis-je en sortant nonchalamment un calepin et un crayon...- Bon alors, à cinq ans, je débute le football. Et maintenant j'en ai dixhuit... ça fait... euh... » Il compta sur ses doigts.Manque de pot, t'en as pas assez, de doigts.« 10 !Perdu.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 35

Page 39: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Treize » soupirai-je.Il me regarda avec une expression bovine puis une lumière passa dans sesyeux. Un reste de synapse active ?« Ah oui... »Et le voilà reparti ! Son premier match, sa première coupe... D'un côté c'esttouchant qu'une personne partage ses émotions de cette façon, certes, avecune grammaire loin d'être impeccable et des phrases ponctuées par des« Tu vois ! » intempestifs... Mais d'un autre coté, son égocentrisme et sonnarcissisme gâchaient tout.Aaah ! Marcel arrive avec son jambon dégoulinant de mayonnaise.Beurk !!! Vous croyez que manger va empêchez Bertrand de parler ? Quenenni ! Les miettes viennent arroser la table à chaque fois qu'il prononce« Tu vois ! » et sa langue tente de remettre de temps en temps lamayonnaise s'échappant de sa bouche lorsqu'il mord dans son sandwich. Jene me sentais pas très bien...« Ça va, Monsieur ?- Oui... oui...En fait, non... Non, mais y faut achever l'interview sinon je vais finircrucifié par Laureen sur la croix des journalistes maudits.- Donc je disais... Ah oui ! »Nouvelle bouchée.« Il y a déjà quatre clubs qui me veulent, mais moi je reste fidèle à mesracines !- Ah bon ?- Surtout quand ces racines vous payent plus ! Ah ! Ah ! Ah !- Je me disais...- Ben ouais, gars ! C'est ce qui fait marcher le monde ! »Ben toi, je ne sais pas qui te fais marcher, mais ce n'est sûrement pas toncerveau !A ce moment, un type en survêtement, avec un sifflet pendu au cou, vintnous rejoindre. Il avait les cheveux grisonnants, le sommet du crânedégarni, des yeux bleus lumineux, et un survêtement Adidas. Je reconnul'entraîneur.« J't'avais dit de pas commencer sans moi !!!- Mais Boss... Je peux y arriver...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 36

Page 40: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- T'es juste bon à pousser le ballon, ton cerveau est conditionné à ça, pas àréfléchir ! » dit-il en assénant un claque affectueuse à son champion.Je retiens un sourire. La « star » rougit.L'entraîneur l'obligea à se décaler un peu pour lui laisser de la place, puis ilrepositionna sa casquette sur sa tête.« Oubliez tous ce qu'il a dit ! »Ça commence bien...« C'est moi qui l'ai découvert ! »Je levai les yeux vers le ciel.L'interview va être longue !Deux heures plus tard, je quittai ces deux abrutis de sportifs, qui si on lesécoutait méritaient la légion d'honneur, pour filer recopier mes notes aujournal. Bah, ils n'étaient pas tous comme ça. Ces deux- ci, c'étaient desspécimens vraiment gratinés.Recopier mes notes, mmmhh... Je dirais plutôt inventer un entretien. Mercila déontologie.Retour aux choses sérieuses. Je pris la liste des tatoueurs dans ma poche.Mon mouchoir avait un peu bavé dessus... J'avais trois boutiques à visiter,ce qui pouvait être fait dans l'après midi, et me permettrait de rentrer chezmoi pas trop tard pour de me reposer un peu avant mon rendez-vous avecAnna. Je commençai par m'acheter un thon crudités, pour le manger sur lechemin.En marchant dans les rues, je me rendis compte qu'il régnait vraiment uneambiance de vacances estivales. C'était bien normal vue la date, mais lespluies de ces derniers jours avaient un peu retardé l'apparition des premierstouristes en chemise flânant dans les allées.Je trouvai la première boutique sans trop de peine. Elle avait une largedevanture, et ses vitrines de piercings étaient exposées sur le trottoir. Degrands panneaux de dessins de tatouages et de photos occupaientégalement une partie de l'espace. Quand j'entrai, je fus reçu par un hommed'une quarantaine d'année, crâne rasé et visage marqué, tellement couvertd'anneaux et de clous en tous genres qu'il ne devait pas être évident pourlui de nager sans bouée. Il portait un simple T-shirt noir révélant égalementun tatouage noir abstrait sur le bras gauche. Je me dirigeai vers lui.« Bonjour bonsieur » dis-je.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 37

Page 41: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il me regarda d'un air moqueur.J'avais refait un beau schéma, propre comme tout, représentant le motifque je cherchais. Je le sortis de ma poche - l'autre poche - et le lui montrai.Peine perdue. Il fit venir son collègue, et plusieurs clients se mêlèrent à laconversation mais personne ne put m'indiquer l'origine du dessin. Pire, ilsétaient même certains de ne jamais l'avoir vu avant. On me sortit unclasseur avec plusieurs variations de symboles de la paix, et d'autres motifsressemblants, mais il n'y avait pas à dire... L'énigme demeurait complète.Par la suite, je me rendis dans les deux autres boutiques, une petiteéchoppe à la devanture gothique et une autre de taille moyenne au lookhigh-tech, lumière bleue et tabourets en métal, mais partout la réponsedemeura la même : c'était un dessin simple, mais que personne n'avaitjamais vu avant.Il était environ cinq heures de l'après midi quand je quittai la dernièreboutique. J'étais fatigué de ne pas progresser, d'autant que moi, j'étaiscertain de l'avoir déjà vu avant, ce schéma. Alors pourquoi tous cesprofessionnels étaient-ils si ignorants ?Quand je poussai la porte de mon appartement, mon chat vint s'enrouleramoureusement autour de mes jambes. J'avais mal à la tête, mal au dos...mal partout. Et toujours la goutte au nez. Je me traînai jusqu'à mon lit, etm'y roulai en boule.Mon chat se glissa entre mes deux bras et je m'endormis jusqu'à ce que lasonnette menace d'exploser de fureur. J'entrouvris un œil hagard. Je nesavais plus où j'étais, quel jour, quelle heure, quelle planète. Je pouvais aumoins répondre à la troisième question en consultant mon réveil, ce qui ducoup me donna les réponses à la première et à la dernière.Je descendis du lit en titubant, un peu vaseux et mal réveillé, les vêtementschiffonnés, mon pull gris clair plein des poils noirs de mon chat. J'ouvris laporte. Anna était là, ses cheveux blonds et lisses relevés avec élégance,vêtue d'une robe noire lui arrivant à la mi-cuisse. Elle écarquilla les yeux.« Laurent ? Mais qu'est ce qui t'arrive ? Tu n'es pas prêt ? J'ai réservé pour19h30 ! »Je me maudis intérieurement jusqu'à la vingtième génération.« Euh... Ne t'inquiète pas... Je... J'ai dû m'assoupir en t'attendant... Je... Jesuis prêt... enfin... Je change de pull et j'arrive. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 38

Page 42: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Sans lui laisser le temps de répliquer, je filai à la salle de bain, non sansavoir au passage récupéré le linge accumulé sur le canapé, pour lui faire dela place. Pas la peine de demander si c'était du linge propre ou sale, je nerépondrai pas.Je me passai la tête sous le robinet d'eau froide, manquai de mourir étoufféà cause de la quinte de toux qui suivit, enfilai un pull noir, et me regardaidans la glace.J'avais l'air d'un zombi.« Tant pis, on ne peut pas faire mieux quand on a la crève... » songeai-je.Je rejoignis Anna dans le salon. Elle avait l'air vaguement inquiète : elle nesavait pas si elle devait se mettre en colère ou s'inquiéter de mon état. Je luipris la main et m'excusai. Elle posa sa main sur mon front. « Ce n'est pasgrave. Tu n'as pas bonne mine, tu sais. On ferait peut-être mieux de dînerici ? »J'aurai adoré ne pas dîner du tout. Mais elle comptait sur cette soiréedepuis longtemps.« Non, ne t'en fais pas, j'ai justement besoin de changer d'air » répondis-je.La mort dans l'âme, je descendis avec elle jusqu'à la voiture.La soirée fut désagréable, mais pas autant que j'aurais pu le craindre. Annameubla l'essentiel de la conversation par le récit minutieux de sa journée etdes relations complexes entre les différents membres du salon de coiffure,avec un humour certain. J'ai toujours pensé que, quand elle ne se plaignaitpas, cette fille avait une manière de raconter les histoires qui plairait biensur scène.N'empêche, le demi bol de soupe que je réussi à avaler me rendit malade.Et je n'arrêtais pas de me moucher. Enfin...Elle me raccompagna chez moi - au cas où vous ne l'auriez pas encorecompris, je n'avais pas de voiture - pour une traditionnelle tisane, mais vuma bonne mine, c'est d'un air presque soulagé qu'elle franchit la porte pourme laisser seul avec mes microbes.Je dormis mal, cette nuit là. J'avais un mal de crâne fou, et le nez bouché.Je ne sommeillai que par intermittence, d'un sommeil empli de songesétranges et cauchemardesques. J'errais sans but dans des rues glauques,sous une pluie battante... Je me réveillai plusieurs fois.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 39

Page 43: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

J'avais du mal à me rendormir, alors j'essayai de m'occuper l'esprit enréfléchissant à mon problème de tatouage. Et c'est à mi-chemin entre laveille et l'assoupissement que vint la solution. J'avais déjà vu ce tatouage.Et je savais où. C'était sur la main momifiée que ce clochard avait voulume vendre quelques jours plus tôt.Je m'éveillai tout à fait. L'idée m'avait frappé comme la foudre. Je savaisque j'étais dans le vrai. Je ne me rendormis pas. Je passai les quelquesheures restantes avant le lever du soleil à cogiter pour imaginer desstratégies réalisables au cas où je ne retrouvais pas le SDF à sa placehabituelle au matin.Bien entendu, je fus sur le pied de guerre dès six heures du matin. À sixheures une je passai la porte. À six heures trois, je constatai que le clochardn'était pas à l'endroit prévu. À neuf heures trente, je cessai mes rechercheset rentrai chez moi prendre un petit déjeuné consistant pour compenser lestrois heures de marche dans le quartier.Il me fallait un plan. D'abord, aller bosser. Ensuite, aviser. Booon ! Voilàun plan simple.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 1 40

Page 44: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

CHAPITRE 2

Avez vous déjà essayé de travailler sur quelque chose qui non seulementne vous intéresse pas, mais qui en plus vous semble la dernière des futilités- en l'occurrence les derniers résultats de foot et de rugby - alors qu'unmystère troublant et passionnant encombre votre esprit ?Si cela vous est déjà arrivé, j'espère que votre patron n'était pas une sortede furie rousse nommée Laureen, parce que sinon, vous devez avoir fini lajournée sourd comme un pot. Je dus prétexter un début de gastro-entérite etla menacer de vomir l'intégralité de mon déjeuner sur son bureau - unepizza aux fruits de mer, inventai-je, anchois et moules comprises - pourqu'elle consente à ce que je parte une heure plus tôt que d'habitude, àcondition que je lui amène une ordonnance du médecin que j'étais senséaller voir pour justifier mon départ précipité, dès le lendemain à l'aube.J'avais rarement été aussi excité depuis les deux dernières années. Enréalité, je n'avais jamais été aussi excité du tout. De ma vie entière. Jepouvais enfin faire avancer une véritable enquête policière, grâce à unindice que j'avais trouvé moi-même !!Il ne me manquait plus que « la preuve ».Je me torturai l'esprit tout l'après midi en échafaudant des plans pourretrouver le SDF au cas où il ne serait toujours pas revenu le soir. Le longdu trajet du retour, mes mains moites lâchèrent le ticket du bus à plusieursreprises, jusqu'à ce que je trouve une place assise. Sur tout le chemin del'arrêt de bus à ma rue, je dus me retenir pour ne pas courir.Mais il n'était toujours pas là. J'éprouvai le même genre de déceptionlorsque, tout gamin, un ami devant venir chez moi renonçait à sa visite audernier moment, me laissant l'attendre sans fin dans la maison trop calme.Je montai chez moi. Devais-je lancer un avis de recherche ? Prévenir lapolice ? « Bonjour, je recherche un homme qui m'est parfaitement inconnu,parce qu'il a une main séchée qui m'intéresse. Son adresse ? Quelque partdans le pays, je suppose. »Ridicule.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 41

Page 45: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

J'installai un siège près de la fenêtre du salon. En tordant suffisamment lecou, je pouvais apercevoir l'angle de la rue. Au bout d'un quart d'heure, untorticolis d'enfer m'obligea à renoncer. Je me fis un lait chaud, m'assis dansle canapé et mon chat vint s'installer sur mes genoux. Je dus me tenir àquatre pour rester assis cinq minutes avant de retourner voir à la fenêtre.Je répétai ce manège cinq fois. À la sixième, alors que le soleilcommençait à décliner, je crus distinguer une silhouette sombre assise àl'angle de la rue. Je courus dans l'escalier. Une fois en bas, je me forçai àralentir. Pas la peine de sembler trop presser, cela pourrait lui paraîtresuspect. J'approchai. C'était bien lui, pas de doute. Jusqu'à l'odeur, il n'avaitpas changé. Pauvre homme.« Salut p'tit ! Comment ça va depuis la dernière fois ?- Euh... Pas mal, pas mal... »Je me passai la main dans les cheveux. Comment diable aborder le sujet ?« Et vous, ça marche, les affaires ?- Boh, tu sais... »Il rit.« J'ai pas beaucoup d'affaires en cours... Et puis, mes actions ne se sont pasvendues très bien la dernière fois... Pourquoi cette question? »Un éclat de mélancolie traversa son regard. J'avais toujours pensé qu'ilfaisait partie de ceux qui avaient librement « choisi » de vivre à l'écart dela société. La vérité serait elle autre ?« Eh bien, comme vous avez voulu me vendre cette main momifiée lasemaine dernière... Au fait, vous avez trouvé preneur ?- Ah, la main... Non, personne n'en voulait.- Et... Vous l'avez encore ? »Je me serais donné des baffes, pour avoir montré tant de précipitation.« Non.Et merde !!- Ah, c'est dommage, parce que j'en avais parlé à un pote, et... Il aurait étéintéressé. »Un ange passa. Le vieil homme me regarda de travers.« Je m'en suis débarrassé. »Il se pencha vers moi.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 42

Page 46: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Vous savez... ce genre d'objet, vous ne devriez pas trop vous y frotter. Ilm'est arrivé des choses... Étranges.- Comment ça ?- C'est un objet maudit. Je m'en suis débarrassé. »Comment démêler le vrai du faux dans son histoire ? Il ne l'avait plus, ça,j'en était sur. Mais qu'en avait-il fait ? Il l'avait vendue ? Il l'avait jetée ?« Vous l'avez jetée ? »Il me lança un long regard appuyé, comme pour m'évaluer.« Non, je l'ai donnée à quelqu'un d'autre, quelqu'un qui ne croit pas à ceschoses-là. Un esprit fort. »Je haussai les sourcils, pour l'inciter à continuer sans avoir l'air de tropinsister. Il ne mordit pas à l'hameçon.« Qui ? »Il soupira. « Vous pouvez demander à la vieille mémé Jeannie. Elle crècheaux Halles, sur les escaliers de la sortie de la Place Carrée. Mais ne m'enparlez plus, je ne veux plus en entendre parler. Il y a des choses qu'il vautmieux laisser dormir. »Il se renfrogna, et baissa son chapeau sur ses yeux.Supposant qu'il se classait lui même dans « les choses qu'il vaut mieuxlaisser dormir », je le quittai. Direction les Halles.Paris by night, vous avez déjà eu l'occasion ?En été c'est magnifique. Il y a du monde, des spectacles de rue. Si vous yallez le vendredi, peut-être aurez vous la chance - sauf si vous êtes envoiture, dans ce cas vous ne parlerez pas de chance - de croiser larandonnée de rollers filant comme des flèches dans les rues de la capitale.Pour ma part, je ne goûtai que très peu le spectacle ce soir là, ne passantque par en dessous. RER, métro.Une fois à la station du métro « les Halles », quelques secondes me furentnécessaires pour me repérer.Forum, Place Carrée...Je restai un instant interloqué par la disparition de la mention « PlaceCarrée » sur les panneaux, puis finis par la retrouver un peu plus loin.Un seul escalier remontait tout d'abord vers la sortie. Je le pris. Ensuite,j'eus le choix entre des escaliers mécaniques ou traditionnels. Je choisis lesseconds, jugeant plus probable que des SDF soient abrités dessous. En

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 43

Page 47: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

effet, ils étaient plusieurs, au milieu d'un fatras de cartons et decouvertures.Il n'y avait qu'une femme. Elle était vieille, les cheveux noués en un épaischignon gris. Elle portait un châle à mailles lâches, sur un T-shirt indiquant« I love Paris ».« Excusez moi, je cherche Mémé Jeannie.- Ah oui ? Elle est pas là. »Quel dommage. Je sortis mon portefeuille de ma poche, et une carte devisite.« Vous la voyez souvent ?- Non.- C'est dommage qu'elle ne soit pas là, parce que je venais faire affaire. »Le regard de la vieille s'illumina. Je lui tendis ma carte.« Si vous pouviez lui donner ma carte.- Mais vous lui voulez quoi, exactement, à Jeannie ?- Je voulais lui parler d'un objet qu'elle a et que j'aimerais acheter. Mais jeverrai ça avec elle.- Non, mais, c'est que je la connais bien, la Jeannette. Elle a pasgrand-chose à vendre.- Je sais qu'elle a un objet particulier, mais je préférerais en discuter avecelle. »La vieille femme resta pensive un instant, puis farfouilla dans une besacegrise posée à coté d'elle.Elle en sortit un objet sale enrobé de chiffons gris.« C'est ça, que tu cherches ? »Je me penchai. C'était bien la main. Je pris un air dégagé.« Hum, ça se pourrait. Mais elle est en bien moins bon état que la dernièrefois que je l'ai vue. »Ce n'était pas faux, mais pas entièrement vrai non plus. On voyait toujoursle tatouage. Un frisson me parcourut.« Combien tu donnes ?- Je sais pas... Vous voulez quoi ? »Je réussis à négocier l'affaire pour vingt euros. Pas donnés, dans ce monde,les vieux bouts de brigands rabougris.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 44

Page 48: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je jetai un coup d'œil à ma montre. 21h30. Jérôme devait être rentré chezlui. Je courus jusqu'à la cabine la plus proche pour lui passer un coup defil. Il était bien chez lui. Je ne lui dis pas exactement ce que j'avais trouvé,mais lui en révélai juste assez pour le faire baver. Avec la main desséchéesoigneusement roulée dans quelques kilomètres de chiffons et mouchoirs -subitement, je compris ce qui pouvait motiver les égyptiens à envelopperleurs momies dans des bandelettes - je pris le RER, le métro et le busjusqu'à chez lui.J'arrivai à son petit appartement à 22h. Jérôme vivait seul dans un troispièces aménagé comme seul savent le faire les vieux garçons et lesdivorcés. La pièce principale - du point de vue du propriétaire, et où il merecevait à chaque fois que je venais le voir - était encombrée de dossiers entous genres, et un immense bureau ensevelit sous une montagne depaperasses trônait face à l'unique fenêtre.La télévision, dans le salon à coté, diffusait une chaîne câbléed'information. Jérôme ouvrit la porte, avec un large sourire et m'assena uneénorme claque dans le dos.« Alors, comment ça va, Sherlock ? Tu as progressé ?- Je pense que mes poumons sont hors d'usage après tes effusions, mais j'aieffectivement quelque chose pour toi. »Il afficha un large sourire et m'entraîna vers son bureau. « J'ai du boulotjusque par dessus la tête. Je dois me préparer pour le procès du dealer de larue Gambetta demain... mais je veux bien te consacrer cinq minutes.Fais-moi voir ton scoop. »Je sortis la main, avec mille précautions. Plus que tout, j'avais peur qu'ellene s'émiette.« Eh bien, tu pilles les musées maintenant ? fit Jérôme avec un gros rire.- Rigole moins fort et regarde mieux. »Il attrapa une loupe, et poussa une exclamation étouffée en voyant letatouage. « Bordel de bordel... Ça, c'est une belle touche. Bon, ne lalaissons pas à l'air libre, elle n'a pas l'air bien solide. »Il extirpa un sac en plastique et un formulaire de sous une pile dedocuments qui s'écroulèrent sur le sol. Il n'y prêta pas attention.« Tu l'as eue où ? Je vais la faire porter au labo. Déjà, le légiste va voir sion peut en tirer quelque chose, et puis il enverra des échantillons pour une

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 45

Page 49: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

analyse d'ADN. »J'étais aux anges.« Tu me tiendras au courant, hein ? Je veux tout savoir, jures-moi que tume diras tout !! »Jérôme me regarda en riant, et me flanqua à la porte. « Dans deux jours, onaura déjà des résultats. De toutes façons, on aura peut-être déjà des indicesdemain, n'est ce pas ? »Je rentrai sur un petit nuage.Une fois chez moi, je nourris mon chat et appelai Anna. Elle avait l'airfatiguée. Je lui racontai ma journée pour lui changer les idées mais cela nefit qu'empirer. Quand, à court d'imagination, je lui demandai ce qui n'allaitpas, elle me répondit « rien rien » d'une petite voix tout sauf naturelle. Ellen'allait jamais bien, ces derniers temps, mais elle refusait de me direpourquoi. Comment pouvais-je le deviner si elle ne me faisait partd'aucune pensée ? Je n'avais ni la science infuse ni le pouvoir de lire dansles esprits.Alors, comme je ne voyais pas quoi faire d'autre, j'essayai de la faire rire.Quand j'entendis son rire cristallin à l'autre bout du fil, je fus rassuré. Jedétestai raccrocher sans être sûr qu'elle aille bien.Je terminai mon boulot pour le journal par la suite, et je ne me couchai quecinq heures avant le lever du jour.Le jour de mon reportage sur les gangs était enfin arrivé. Je me levai à dixheures, mais mes cinq heures de sommeil furent passablement agitées. Jerevoyais la caravane en flammes, qui était allumée par une main sanscorps. Je cherchais désespérément à en sortir, mais un bâton en forme d'Ym'en empêchait. Par la fenêtre Laureen criait :« Vous ne sortez pas ! Faut rendre votre article à l'heure ! Bien que ça meparaît mal parti ! Ah ! Ah ! Ah ! »Je m'éveillai en sueur, faisant tomber mon chat par la même occasion.C'est avec une mine à faire peur au premier zombi du coin que je mepointai au journal. Même la gueulante de Laureen ne réussit pas à chasserles derniers restes de sommeil de mon esprit.A partir de 14 heures, je n'arrêtai pas de regarder l'heure, levant la têtetoutes les cinq minutes. Il fallait se rendre à l'évidence : j'étais stressé. Pourme calmer, je commençai un article relatant les faits du braquage de la

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 46

Page 50: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

BNF. Je ne me rendis pas compte de l'heure qui filait jusqu'à ce quej'entende un coup de klaxon dans la cour. C'était Jérôme qui venait mechercher.Laureen sortit de son bureau comme un diable dans sa boîte :« ASMULDET ! SI VOUS NE...- IL EST SUR MON BUREAU !!! » coupai-je avant de courir rejoindreJérôme.J'étais à la fois inquiet et excité de participer à une vraie enquête de police.Jérôme me rappela une centaine de fois de ne pas jouer les héros. Perso,j'aurais aimé, ça m'aurait changé de mes habitudes de zéro.On me scotcha un micro sur la poitrine et, après les tests son habituels, onm'indiqua le lieu du rendez-vous. Je pris la voiture de Jérôme pour y aller.Jérôme et ses coéquipiers, quant à eux, me suivaient de loin.J'arrivai avec un quart d'heure d'avance, une première pour moi, maisc'était normal, puisque tout le monde sauf moi s'était occupé du timing... Jem'assis et commençai à donner à manger aux pigeons, avec un petit boutde pain qui me restai dans la poche. Tout était calme. Presque trop. Le coinn'était pas très fréquenté. Je n'eus pourtant pas le temps de m'inquiéter, carle « contact » ne tarda pas. Un type faisant dans les deux mètres, le crânechauve et portant un Y au milieu du front, s'approcha de moi. Je ne pusm'empêcher de frissonner en voyant le tatouage. Nous touchions au but. Ils'installa à côté de moi. Il était habillé en jean, avec un T-shirt blanc uni. Ilavait les yeux tombant, et la mine dure.« Vous êtes le journaliste ?- Oui... vous... vous êtes la liaison ?- Chut ! Pourquoi vous voulez les voir ?- Je fais un livre sur le grand banditisme et mon premier chapitre est sur leshold-up.- Vous êtes fou ?- Non, sérieux... »Le type me regarda de la tête au pied puis, avec un hochement de tête et unrictus malsain, me lança :« Venez ! »Mon esprit voulait le suivre, mais mon corps non. Je ne réussis à me leverqu'après une bonne demi-douzaine de secondes de lutte intérieure.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 47

Page 51: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je le suivis dans une ruelle et je vis une voiture faire deux appels dephares. En plein milieu du mois de juillet, ça se voyait un peu. Il meconduisit jusqu'à la elle.« Monte ! » me dit le conducteur.C'était une BMW série 3 noire. Elle avait des sièges en cuir qui crissèrentquand je m'assis. Le type chauve monta devant. Ils m'emmenèrent àl'ancienne planque. Je reconnus la route et frémis.« Ils vont me tuer là-bas, c'est sûr ! » pensai-je.L'attente était insupportable. Je sentais mes mains devenir moites et mesgenoux jouer des castagnettes. J'essayai de me détendre, de me donner l'airsûr de moi... Je ne sais pas si j'y parvins.Alors que nous arrivions à la planque, les deux types qui avaient tiré surJérôme sortirent de la maison. J'en reconnu un grâce à ses cheveux enqueue de cheval. L'autre avait une carrure d'armoire à glace, et des cheveuxen brosse.Le chauve descendit de la BMW.Un des deux hommes au dehors héla le conducteur :« Pourquoi t'as amené l'autre ? »Boule de Billard répondit :« L'autre y t'emmerde ! Il est juste là pour surveiller les investissements deses patrons.- Mouais- Ta gueule ! »Un quatrième homme cria en sortant de la maison. Il me fit sursauter. Ilétait brun et mesurait un mètre soixante dix environs. Mais ce qui retenumon attention, c'était sa main : elle avait été coupée.« Tu as vu de quoi ils sont capables ? » dit-il en montrant son moignon.Ils ? pensai-je.« Alors comme ça vous voulez nous interviewer ?- Euh...oui... »Celui que j'avais failli écraser, le brun à la queue de cheval, s'avança versmoi et me regarda dans les yeux. Son haleine puait le tabac. Il avait lesyeux vairons.« Y me dit quelque chose.... »Il plissait les yeux comme si son cerveau faisait un travail extraordinaire.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 48

Page 52: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Dégage ! » lui dit le type avec la main coupée.- Avant toute chose, je dois vérifier un truc. »Il s'approcha de moi et tira un grand coup sur ma chemise, la déchirant. Lemicro tomba par terre.« Putain !! Vous avez même pas vérifié ça ! » hurla-t-il en dégainant unearme.Soudain, sorties de nulle part, les sirènes de police se mirent à crier. Nousétions encerclés. L'homme pointa son arme sur moi.« Je vais te but... »Il n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'une balle l'atteignit dans le torse.Une seconde, le touchant au cœur, le tua net. Instinctivement je courusvers les sirènes, à moitié recroquevillé et les mains sur les oreilles. Jérômem'agrippa par les épaules.« Planque-toi là ! »Je me cachai derrière un véhicule banalisé, priant que ça s'arrête bientôt.Les balles sifflèrent, puis j'entendis une voiture démarrer et s'enfuir enforçant le barrage. Quand je levai enfin la tête, il n'y avait plus que deuxtypes du gang, par terre, dont celui qui était amputé de la main. Boule deBillard était parti.Je demandai pourquoi ils revenaient toujours là. Jérôme me répondit qu'ilsétaient peut-être nostalgiques. Mais il pestait d'avoir laissé filer les troisautres, et surtout Boule de Billard.Les policiers fouillèrent la maison, mais je n'eus pas le droit d'approcher,puis une ambulance arriva, sirènes hurlantes. La boue du terrain vaguetacha ses flancs blancs, et elle s'arrêta exactement où le lui indiqua Jérôme,près des hommes étendus. Deux brancardiers et un médecin constatèrentles décès et emmenèrent les corps. Au moins, le mystère de la main étaitrésolu : on avait retrouvé le propriétaire. Il ne restait qu'à trouver sonidentité. Mais pourquoi la lui avait-on coupée, et que signifiait le Y tatoué,sur la main et la tête ? Cela restait un mystère... Si c'était le symbole desCougars Volants, la symbolique m'échappait.Une fois toutes les formalités achevées, nous fêtâmes quand même cettepetite victoire, autour d'un coca pour moi et d'une pinte de bière pourJérôme, mais la joie fût de courte durée. Vers vingt heures, il reçut unappel de l'hôpital s'inquiétant de n'avoir toujours pas revu son ambulance.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 49

Page 53: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Jérôme lança un avis de recherche et une heure plus tard, on nous apprit lasinistre nouvelle. Une patrouille avait retrouvé le véhicule, avec les deuxbrancardiers et le médecin abattus d'une balle dans la tête. Les cadavres,dont l'amputé de la main gauche, avaient disparu. Le visage de Jérôme étaitlivide...Pourquoi se donner autant de mal pour récupérer des cadavres ? On n'avaitmême pas son identité...« Laurent, il faut que j'aille au commissariat, excuse moi...- Tu veux que je t'accompagne ?- Non, t'en as fait assez pour aujourd'hui. Merci, encore. »Il se leva, paya pour nous deux et partit. Je finis mon soda en meremémorant, un peu comme pour le jeu des prénoms, tout ce quicommençait par un « Y ». Après être arrivé à Yemen, je rentrai chez moiavec l'intention d'écrire le plus bel article de ma carrière.Le lendemain matin, c'est encore avec un affreux mal de crâne que je misle pied hors du lit. Cela me parut une raison suffisante pour y retournercinq minutes après m'être traîné jusqu'à la salle de bain pour me laver lesdents. Je me sentais dans un état si déplorable que j'éteignis la lumière.C'est un rayon de soleil au travers des volets qui me sortit des bras deMorphée, à neuf heures et demie. Juste le temps de me réveiller tout à faitavant le coup de fil furibard de ma chef à neuf heures trente deux. La voixqui sortait du combiné dépassait les normes d'intensité sonore autorisées,j'en étais sûr.Du coup, ce matin là, je me suis présenté au bureau avec le même T-shirtque la veille, qui était également celui avec lequel j'avais dormi. Je voussaurais gré de bien vouloir m'épargner tout commentaire.De toutes façons, ne vous inquiétez pas pour mes collègues. Mon bureauétant isolé dans un coin, derrière des plaques de contre plaqué, je n'eus pasl'occasion de les importuner d'un fumet indélicat.Je pus même m'octroyer une heure de sieste supplémentaire à l'abri desregards au lieu d'aller déjeuner à midi.Cette journée, ainsi que la suivante, je la passai dans l'attente du coup de filde Jérôme. Je ne saurais même pas vous raconter ce que j'ai fait dansl'intervalle, je me souviens uniquement que mon esprit était tout entieroccupé à spéculer sur les conséquences de ma découverte. Est ce que Anna

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 50

Page 54: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

le sentit lors de notre rendez-vous ? Je ne sais pas. En tout cas, si cela peutvous rassurer, j'avais pris le temps de me doucher et de me changer avantde la voir. Elle avait toujours l'air aussi fatiguée et n'accepta même pas queje la raccompagne chez elle après la soirée.J'en profitai pour appeler Jérôme. Il m'envoya promener.Certains jours, on se sent aimé...Le coup de fil tant attendu arriva le lendemain en début d'après midi.J'étais descendu m'acheter un sandwich, et je trouvai un post-it sur monbureau en rentrant, pour me prévenir qu'un certain « Jérôme » m'avaitappelé. Je rappelai immédiatement.« Allo, Jérôme ?- Laurent ? J'ai les résultats du labo concernant la main.- Alors ?- Ça n'a rien donné, mon vieux... On a de l'ADN, mais il ne correspond àrien de nos fichiers. C'était prévisible... Mais les gars du labo ont quandmême pu avoir des empreintes digitales. Ils ont utilisé une techniquenouvelle et ont réhydraté les tissus... J'ai l'image des empreintes digitales...- Alors ?- J'ai pas eu encore le temps de regarder, espèce de buse. Je te dis que jeviens de le recevoir. Mais je t'appelle si j'ai quelque chose. Fais pas debêtises en attendant. »Il raccrocha avant de me laisser le temps de lui dire au revoir.Et voilà, c'est toujours comme ça. Je me demande comment font les hérosde films. Moi, les indices que je trouve ne mènent jamais à rien.Toute l'excitation s'était envolée. J'avais cru pouvoir aider à la résolutiond'une enquête, je m'étais vu tel Sherlock Holmes, aidant la police par desraisonnements brillant, mais tout ce que j'avais gagné, c'était un indicecul-de-sac. Bravo, Lolo.Je retournai, la mort dans l'âme, à mes joueurs de foot. Toujours lesrésultats du Loto Sportif et un reportage à faire sur un club de foot junior.Le nouveau Zidane, y serait, d'après l'entraîneur. J'avais rendez-vous pourl'interviewer, ainsi que quatre autres gamins. La fête, quoi.En fin d'après midi, un appel d'Anna m'annonçait qu'elle avait la grippe,qu'elle était allée chez sa mère jusqu'à la fin de la semaine, et qu'elledébrancherait son portable jusqu'au lendemain pour pouvoir se reposer.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 51

Page 55: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Jérôme me rappela quelques heures plus tard. J'étais rentré chez moi, et jeregardais les infos à la télévision quand le téléphone sonna. Il avait unevoix étrange.« Laurent ?- Le Père Noël, puis-je prendre votre commande ?- J'ai eu des résultats pour la main.- Ah bon ? ? Je n'y croyais plus.- Mais je pense qu'ils ont dû faire une erreur au labo.- Comment ça ?- Mieux vaut que je te montre. Tu peux passer ?- J'arrive. »Je laissai mon dîner en plan et pris les billets que j'avais pour lui, pour unmatch de foot au Stade de France à la fin de la semaine suivante.Quand j'arrivai au commissariat, le soleil se couchait. Tout Paris baignaitdans une lueur dorée et rose incendie.Je saluai la réceptionniste. Elle me connaissait bien maintenant. C'était unefemme d'origine marocaine, avec de très beaux yeux noirs en amande. Ellesentait toujours bon. Souvent, si elle n'était pas trop occupée, je discutaisavec elle cinq minutes avant de monter voir Jérôme. Cette fois ci, ilm'attendait dans la salle principale, qui était presque déserte. Il m'entraînadans son bureau sans un mot et me fit asseoir dans son fauteuil, en face del'ordinateur. Lui-même prit le tabouret qui d'habitude m'était destiné. D'unclic de souris, il fit disparaître les volutes de fumée multicolores de sonéconomiseur d'écran. Deux empreintes digitales apparurent à l'écran. Ellesétaient, autant que je puisse en juger, identiques. Et j'étais plutôt bon au jeudes sept erreurs.« Alors ?- Celle de gauche est celle que tu m'as ramenée.- Et celle de droite ?- Elle était dans nos fichiers depuis une cinquantaine d'années.- Bigre, ils emploient des hommes de main vachement âgés, les gangs, denos jours. En plus... Attends une minute... le gars à la main coupée dont lecadavre a été volé, il n'était pas si vieux que ça...- Ce n'est pas le même.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 52

Page 56: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Ah bon ? Ils étaient deux à s'être fait couper la main ? C'est une tradition,dans ce gang ?- Peut-être. Mais je ne serais même pas sûr qu'ils fassent partie du mêmegang... si je n'avais pas vu plusieurs membres porter le même tatouage.- Et on a une idée de sa planque, à ce type ?- Un peu, oui... Il est au cimetière.- Lui aussi ? Et il a été enterré sans enquête ?- Il est au cimetière depuis une cinquantaine d'années. »J'ouvris de grands yeux, et Jérôme me fit signe de me lever. Il s'assit à maplace, et sortit la fiche signalétique de l'homme correspondant auxempreintes. Il était mort en 1957.« J'ai bien vérifié. Il n'y a pas d'erreur. Comment la main d'un type mort ily a cinquante ans a pu arriver chez des sans-abris dans un état deconservation tel que le labo date l'amputation de six jours maximum ?Voilà une question intéressante. »Il se leva de nouveau et prit un petit cahier qu'il ouvrit et me tendit. C'étaitle rapport de l'analyse du labo sur la main. Si je savais encore lire, ilsdisaient que l'amputation ne datait pas de plus de six jours, malgré que ledessèchement de la main ait été artificiellement accéléré par une sorte deséchage au four.C'était incompréhensible. Cela signifiait que la main pouvait très bien êtrecelle du tatoué de la BNF. D'un autre coté, un fichier vieux d'unecinquantaine d'années ne pouvait mentir non plus. Les empreintes digitalessont trop personnelles pour qu'une coïncidence soit possible. Je l'avais vude mes yeux : elles correspondaient à celle laissées par Jean Duquai, en1951, au commissariat de Nantes, six ans avant sa mort.Hypothèse la plus vraisemblable : Jean Duquai n'était pas mort et avaitparticipé au cambriolage la BNF la semaine dernière. Je partageai mapensée avec Jérôme.« Oui, j'y ai pensé. Mais il a été autopsié, et reconnu officiellement parplusieurs membres de sa famille. Dans le dossier de l'affaire de sa mort,tout concorde. Il faudrait que le légiste et toute l'équipe de l'affaire aientfalsifié les documents attestant sa mort.- Pourquoi a-t-il été autopsié ?

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 53

Page 57: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Il est mort empoisonné, et son meurtre avait été maquillé en suicide. Maisvu ses antécédents - il a dû tremper dans toutes les magouilles de l'époque,jouant les hommes de l'ombre et les hommes de main - une enquêtepoussée avait été réalisée. »Je marchai jusqu'à la fenêtre, et réfléchis les yeux dans le vague.« Il y a une manière de savoir ce qu'il en est : il doit bien rester des os dansson cercueil. »Jérôme se leva à son tour et vint me rejoindre.« On ne demande pas comme ça l'exhumation d'un corps. »Il avait une curieuse expression en disant cela. Et il ne regardait même pasdans ma direction. Il se passa une main sur le visage et cracha le morceaude lui même.« Et puis, d'ailleurs, à ce sujet, mon supérieur a vu les notes de frais dulabo, et a de nouveau insisté... vivement... pour que cette enquête n'aillepas plus loin. J'ai beaucoup d'affaires en cours et dans ces conditions,même si je le voulais, je ne pourrais jamais demander comme ça qu'onexhume le corps du gars juste pour une vérification. Je ne peux même pasfaire valoir l'argument de la résolution d'une enquête passée - celle de lamort de Jean Duquai. Au bout de pratiquement cinquante ans, il y aprescription depuis longtemps.- Bah, avec la main, de toutes façons, on est sûrs qu'il est en cavale quelquepart, ce monsieur Duquai. »Nous restâmes pendant plusieurs minutes sans rien dire, plongés chacundans nos réflexions personnelles.« Et à ton avis, dis-je pour finir, pourquoi diable ont-ils eu la maintranchée, ces types, Jean Duquai, dont on apparemment retrouvé la main,et l'autre, qui avait perdu la sienne ?- Je ne sais pas... C'est une drôle de coïncidence, il faut l'admettre. S'ilsfaisaient partie du même gang, c'était peut-être une punition... Quesais-je ? »Lorsque je me couchai ce soir là, je gardai longtemps les yeux ouverts.Cette histoire était vraiment louche. Qui était réellement Jean Duquai ?Comment était-il revenu d'entre les morts ? Ne pouvait-il avoir eu un frèrejumeau ? Non, même dans ce cas, ils n'auraient pas eu les mêmesempreintes digitales.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 54

Page 58: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Jean Duquai était vivant, ou en tout cas, l'avait été jusqu'à la semaineprécédente... Où était-il maintenant, qu'était il devenu, avait-il seulementsurvécu à l'amputation de sa main ? Et surtout... QUI était le mec filmédans la banque ?Autant de questions sans réponse, qu'une nuit de sommeil ne résolurentpas.Le lendemain matin, j'entrai au bureau à sept heures. Je voulais pouvoir meservir d'Internet sans être dérangé. Une idée m'avait traversé l'esprit. Jecherchai toutes les archives concernant l'affaire Duquai. Plusieurs journauxen avaient parlé, notamment à sa mort. Ils avaient récapitulé son histoire,et, ce qui m'intéressait davantage, avaient publié des photos diverses, dontune sur laquelle on distinguait bien son visage. C'était un homme massif,avec des épaules de charretier, une mâchoire carrée et un nez proéminent.Je n'avais pas vraiment d'idée précise, mais plutôt un pressentiment.J'appelai Jérôme à huit heures.« Allo, Greene à l'appareil.- Jérôme, c'est Laurent.- Non pas maintenant, je suis occupé !!- Pardon... Je... Je rappellerai plus tard...- Mais non, pas toi, triple buse, je parlais à mon adjoint. Sois bref, parceque j'ai du boulot jusque par-dessus la tête...- Juste un instant. À propos de l'affaire de le BNF... On a une image de latête du gars tatoué ?- Il avait un bas sur la tête !! Tu crois pas que ça aurait été plus facile, si onavait eu sa photo, dis ? »Évidemment...« Peu importe, je veux juste voir la forme de son visage... »- Mmh... J'en ai une pas trop mal... Bon, je vais satisfaire ton caprice : je tel'envoie par email.- Merci. »Le temps de me servir un café, et le message était là. J'ouvris la piècejointe. On voyait difficilement les détails. Mais ça allait peut-être suffire.Si c'était bien Jean Duquai, il avait maigri. Beaucoup, même. La mort, çan'aide pas à garder la forme...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 55

Page 59: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Au travers du bas, impossible de voir son visage. Néanmoins, j'étais sûrque la mâchoire du mec de la photo était nettement moins carrée que cellede l'ami Jean. Elle ressemblait beaucoup plus à celle du second amputé,celui dont le cadavre avait disparu... Qui était-ce vraiment ? Auraient-ils puêtre là tous les deux, et avoir subi le même châtiment ? Et si les empreintesavaient été trafiquées ? Le fichier de la police pouvait il avoir été saboté ?« Alors, Laurent, on rêvasse ? »Laureen. Moi aussi, je t'aime.« T'es là à l'heure, dis moi... Tu vas peut-être pouvoir me donner ta pagedans les temps cette fois. »Souvent, s'occuper l'esprit à tout à fait autre chose que ce qui nouspréoccupe permet de se faire une bien meilleure idée de la situation quandon se penche de nouveau sur le problème. L'inconscient peut-être trèsefficace à traiter les problèmes complexes comprenant de nombreuxparamètres. C'est comme ça que les pros font preuve d' « intuition ».Je me mis donc de bon cœur à ma page de sport, espérant que, dansquelques heures, une intuition géniale aurait peut-être vu le jour dans monesprit.Je commençai à rédiger. Hum... plus facile à dire qu'à faire... Mes penséesrevenaient constamment à l'enquête. Il fallut trois rappels à l'ordre excédésde Laureen, dont le dernier à dix-huit heures, soit une heure et demie avantle bouclage, pour que j'arrive enfin à me concentrer et à finir mon boulot.À six heures et demie pile, le téléphone sonna.« Lolo ?- Jéjé...- Alors elle t'a aidé ma photo ?- Mouais... On pourrait peut-être en discuter en tête à tête ?- Bonne idée. Amène des pizzas ce soir, on mangera au bureau.- Vers huit heures, comme d'hab ?- Ok. »Il raccrocha. Cela arrivait régulièrement que l'on dîne ensemble dans sonbureau. Jérôme étant du genre obstiné et accro au boulot, il rentraitrarement chez lui avant huit heures et demie. Et quand il avait des enquêtesen cours, il pouvait rester jusqu'à dix heures sans problèmes. C'étaitpeut-être pour ça que sa femme l'avait quitté...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 56

Page 60: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Un jour, j'amènerai de la bière et je le ferai parler de lui » songeai-je.Après avoir enfin rendu mon travail à Laureen, je commandai trois pizzaspar téléphone, avec des garnitures différentes. Pour nous permettre de tenirjusqu'au moment de rentrer chez nous...Vers huit heures et quart, les pizzas dans les bras, je remontais la ruemenant au commissariat. C'était une rue calme, assez étroite, bordéed'arbres. Le ciel était clair et l'air encore chaud. Les gens, la plupart enT-shirt, déambulaient comme seuls savent le faire les touristes et lesvacanciers. J'ai toujours aimé ce genre de soirée.Quand j'entrai, le standardiste m'appela.« Hey ! Vous ne voulez pas me laisser une part de pizza ? Je suis sûr que leboss y verra que du feu !! »C'était un jeune blond d'une vingtaine d'année, qui remplaçait sa collègueféminine. Il affichait un air feint de cocker battu à faire fondre le cœur d'ungeôlier.Je souris, et ouvris la boite. Il n'avait fait que plaisanter, mais je savais qu'ilne partait qu'à minuit et que ça lui ferait plaisir de grignoter maintenant. Ilme remercia avec un grand sourire. « Le patron est dans son bureau. Jevous indique pas le chemin ? »Je le saluai de la main, et me dirigeai vers le bureau de Jérôme. Je frappai,il ne répondit pas, mais j'entendis un bruit de chaise. Il devait être occupé.J'entrai.Jérôme était à sa table, assis sur sa chaise, la tête penchée en arrière. Surson visage coulait un filet de sang, conséquence probable d'un violent coupsur la tête. Derrière lui, un homme cagoulé se tenait prêt à le soulever. Lespizzas tombèrent de mes bras. L'homme chargea Jérôme sur son épaulecomme un ballot de paille et le fit passer par la fenêtre. Je criai, et unpolicier en uniforme, qui passait justement non loin, arriva en courant dubout du couloir. Au même instant, le type cagoulé se glissait à son tour parl'ouverture pour prendre la fuite.Je ne réfléchis pas. Je me jetai à sa poursuite. En atterrissant sur le sol, jevis qu'ils étaient plusieurs. L'un d'eux tenait un sac en plastique. Je sus quec'était la main.Il fallait que je les ralentisse jusqu'à l'arrivée des flics. Je courus comme undératé, glissant sur l'herbe parmi les arroseurs municipaux.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 57

Page 61: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Deux voitures attendaient les malfrats. Celui qui portait Jérôme montadans une Mercedes, les autres s'engouffrèrent dans le véhicule le plusproche de moi, un gros 4x4 façon pick-up. Avant qu'il ne démarre, j'eustout juste le temps de m'accrocher à la grosse roue à l'arrière. J'étais sûr quepersonne ne m'avait vu. Et aussi que j'allais mourir bientôt, en tombant demon perchoir stupide, car ils avaient démarré trop vite pour que je puissemonter dans le pick-up... Je pédalai dans le vide, en faisant de mon mieuxpour ne pas glisser dans les virages. Enfin, je parvins à tomber parmi unfatras de toiles et de chaînes. Je rampai jusqu'à l'avant, pour jeter un coupd'œil au travers de la vitre arrière. Ils n'étaient que deux. Le fuyard quiavait emporté la main portait une sorte de marcel blanchâtre mettant envaleur des biscoteaux bien dessinés. Sur son épaule droite, un tatouage.Je frottai discrètement la vitre pour y voir un peu plus clair. C'était lemême que celui de la main, le même que celui du grand chauve. Lamarque des Cougars Volants ?Il n'y avait pas grand-chose à faire. Le mieux était de voir où ils allaient.Le plus urgent : me cacher. Je me glissai sous les toiles, ne jetant un œil detemps en temps que pour regarder si la Mercedes était toujours avec nous.Au troisième coup d'œil, elle n'y était plus. En tournant la tête, je la visemporter Jérôme sur une route perpendiculaire à la mienne.Nous roulâmes ainsi pendant plusieurs heures. Je n'avais même pas lesmoyens d'appeler au secours, ne possédant pas de téléphone portable. Ànotre époque...La nuit tomba. Nous avions quitté la capitale depuis longtemps, mais je nesavais pas du tout où nous étions. Nous avions pris l'autoroute pendantquelque temps, puis nous avions suivi des routes de campagne. Lesconducteurs avaient évité les péages, prenant des routes peu fréquentées...Je n'osai pratiquement pas sortir la tête pour essayer d'en apprendredavantage. L'affolement passé, j'avais réalisé que ce que j'étais en train defaire était suicidaire. Je résistai néanmoins à la tentation de sauter enmarche pour éviter de mettre davantage mes jours en danger. Et puis si jene découvrais pas maintenant l'identité des kidnappeurs, les chances deretrouver Jérôme sans dommage devenaient très faibles.Il devait être près d'une heure du matin quand nous arrivâmes àdestination. C'était une ville moyenne, sans grand monde dans les rues.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 58

Page 62: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Nous avons roulé jusqu'à la zone industrielle, avant d'entrer dans la courd'un hôtel. Là, les types descendirent, et l'un d'eux sortit son portable.« On est là. »Il raccrocha. Plusieurs minutes s'écoulèrent, et un homme sortit de l'hôtel.Il portait un costume sombre, et avait une démarche décidée. Je ne voyaispas son visage.« Vous l'avez ? » »Il prit le sac plastique que lui tendit l'un des hommes, et en sortit la main.« C'est bien ça. Elle est inutilisable maintenant, mais ils seront quandmême contents de la récupérer chez Anatech. Beau boulot.- Et les autres ont le flic.- Bien. Personne ne vous a vus ? Vous avez pris le temps de vérifier quevous ne laissiez rien ?- On a été surpris, et on a dû prendre la fuite.- Imbéciles ! Vous ne ferez jamais rien comme prévu... Je vous préviens, sivous êtes découverts, on ne vous couvrira pas ! Et vous finirez commeMarc, au niveau moins quatre. »Les types ne bronchèrent pas. Il y eu un temps de silence qui duraplusieurs secondes. C'est pour ça qu'ils m'ont si bien entendu éternuer.« Il y a quelqu'un ici ! »Quelquefois, un réflexe peut sauver une vie. Si on m'avait posé à l'avancela question : « Que ferais-tu dans ce cas ? » j'aurais répondu quelque chosedu genre « Je ne sais pas, je suppose que je resterais pétrifié... »Là, j'eus tellement peur que je bondis de sous ma bâche, hors de la voiture,sans demander mon reste. Un coup d'œil par dessus mon épaule m'avertitque l'un des types avait dégainé un pistolet et me mettait en joue. Je meruai derrière le mur de l'hôtel et de là par dessus la haie qui le séparait de laroute. Un slalom entre les voitures et je fus dans un parking desupermarché.Je couru de zone d'ombre en zone d'ombre jusqu'à sentir mon cœur éclater.Quand je n'en pus plus, malgré l'adrénaline, je m'arrêtai derrière unconteneur, dans une ruelle. J'écoutai attentivement pour savoir si quelqu'unme suivait. Le bruit de ma propre respiration et celui du sang battant mestempes m'empêchèrent tout d'abord d'entendre quoi que ce soit, mais quandje fus enfin un peu calmé, je pus me rendre compte que personne ne me

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 59

Page 63: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

suivait. Je restai immobile plusieurs minutes, peut-être une petitedemi-heure, avant de me risquer hors de ma cachette.Je marchai prudemment, jusqu'à la route la plus proche. Ensuite, je lasuivis jusqu'au centre ville, le cœur battant, redoutant de voir surgir mespoursuivants de derrière chaque maison. J'étais sûr qu'ils n'avaient pas demoyen de connaître mon identité. Il fallait donc que je me donne ladémarche assurée de celui qui ne craint rien afin de ne pas attirerl'attention. Je sortis un bonnet de ma poche et l'enfonçai sur ma tête, à lafois pour dissimuler ma tignasse hirsute et me protéger du froid. Jeconsultai ma montre : deux heures du matin, et je ne savais toujours pasoù j'étais. Je me décidai à téléphoner : une cabine se trouvait à coté de lamairie. Mais quelle utilité si je ne savais même pas le nom de la ville où jeme trouvais ? Je cherchai un plan, et finis par en trouver un derrière unpanneau lumineux.Ensuite, j'appelai le commissariat de Jérôme. Je ne reconnus pas lapersonne qui me répondit, mais mon coup de fil mit le feu aux poudre.« Ne bougez pas d'où vous êtes, j'envoie immédiatement quelqu'un vouschercher ! »Je n'étais pas contre. J'avais froid, j'étais épuisé, j'avais encore peur d'êtredécouvert par les kidnappeurs de Jérôme, et mon moral commençaitsérieusement à chuter.Seul point positif : l'indice que j'avais par miracle réussi à obtenir :Anatech. Il faudrait un deuxième miracle pour que je puisse en tirerquelque chose, mais c'était déjà ça.Je m'assis sur un banc. Au bout d'un quart d'heure, alors que, frigorifiésous un fin crachin, je me demandais s'ils avaient bien compris le nom dela ville, une voiture de police se gara devant moi. Un policier en uniformeen sortit. Il avait une fine moustache blonde et des cheveux de la mêmecouleur. « Monsieur Asmuldet ? »Ils me conduisirent au commissariat local, et me firent entrer dans un petitbureau bien tenu. Ensuite, ils me donnèrent un café chaud et m'écoutèrentraconter mon périple. Je n'omis rien, ni la main, ni le nom d'Anatech. Ildevait être près de trois heures et demie quand je terminai. Ils medemandèrent ensuite si je voulais remonter à Paris immédiatement ou si jepréférais me reposer sur place.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 60

Page 64: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je voulais rentrer le plus vite possible, retrouver mon appartement,retourner au commissariat de Jérôme... J'optai donc pour un retour express.Le voyage s'effectua sans encombres. À l'arrière d'une voiture confortable,je somnolai jusqu'aux portes de la capitale. Ils me déposèrent devant lecommissariat alors que le soleil se levai juste, inondant d'une lumièresanguine cette funeste matinée de Juillet.Tout le monde était paniqué. Le commissaire était enfermé dans sonbureau, et la réceptionniste vint amicalement me serrer l'épaule de la mainquand j'entrai. On me fit répéter mon histoire encore une fois, bien que madéposition soit arrivée depuis longtemps via internet. Mais je crois que toutle monde avait envie de l'entendre de ma bouche. Le bureau de Jérômeavait été mis sous scellés, et deux inspecteurs étaient encore en train del'examiner.Je tombais de sommeil, et cela devait se voir sur mon visage, car on meconduisit chez moi en voiture banalisée. Mon chat m'accueillit en venantfaire des huits entre mes jambes. J'ouvris un paquet de croquettes et leposai sur le sol, puis me traînai jusqu'à mon lit et dormis tout habillé dixheures d'affilées.Ce fut un coup de téléphone de ma mère qui me tira du sommeil. Elle avaitappris la disparition de Jérôme aux infos, et elle voulait venir me tenircompagnie quelques jours - Jérôme était mon ami depuis longtemps, ellesavait à quel point sa disparition pouvait me toucher. Je réussis à grandpeine à l'en dissuader.Le second coup de fil - j'avais heureusement eu le temps de prendre unedouche et de m'habiller - venait d'Anna.« Laurent ? C'est moi.- Oui...- Comment vas-tu ?- Ça pourrait aller mieux...- Qu'est ce qui t'arrive ?- Jérôme a été enlevé.- Jérôme ?- C'était un ami. Un flic. J'allais lui rendre visite quand il a été enlevé sousmes yeux.- Oh mon Dieu ! »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 61

Page 65: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je réalisai que je ne lui avais jamais parlé de Jérôme. C'était ma petiteamie, on se voyait régulièrement depuis six mois, et je ne lui avais jamaisparlé d'un de mes meilleurs amis... Quel nul.Le reste de la conversation fut d'un banal achevé, aussi ne vousl'infligerai-je pas.Je posai le combiné et regardai ma montre. Six heures du soir.Heureusement qu'on était samedi. Cela me laissait encore une journée pourfaire quelques recherches. Je mis mon imper et descendis au cybercafé.« Anatech. Vos analyses médicales au meilleurs prix et en touteconfidentialité. Nos laboratoires se trouvent à seulement cinq kilomètres deParis. Faites faire le prélèvement dans votre centre d'analyse habituel, quinous l'enverra à frais réduits. Résultats garantis sous huitaine pour les testscourants... bla bla bla. »Les Cougars Volants avaient des ramifications partout... C'était peut-êtreun gang un peu plus important que ce que l'on pensait.Bon. Cinq kilomètres de Paris. Parfait.J'imprimai les renseignements et rentrai chez moi. La gazette Chavilloiseallait avoir un bel article sur les technologies de pointe en biologie.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 2 62

Page 66: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

CHAPITRE 3

Les rêves. On peut soi-disant les interpréter. Ils représenteraient notresubconscient. Personnellement c'est la vie que j 'aimerais qu'onm'interprète. Toute une vie à travailler pour s'acheter une boîte, danslaquelle vous pourrissez pour l'éternité.Je suis de mauvaise humeur ?Oui.Je déteste être en retard, surtout quand j'ai un travail à faire.Je me présente. Je m'appelle Léo Mac Kinney. Je suis dans la force del'âge, ce qui bien sûr ne signifie rien, puisqu'à tout âge, on a la force ou, aumoins, la foi.J'ai trente et un ans, et ça fait six ans maintenant que je suis dans le métier.J'ai fini de m'habiller, je n'oublie pas mes outils et je fonce.La journée commence bien : un procès verbal. De toutes façons ce n'est pasma voiture...Le client est sympa, il m'a réservé une chambre à l'Holliday Inn du coin, audernier étage. Il pensait peut-être que j'allais y dormir pour éviter de ratermon objectif. Il n'avait pas tout à fait tort...Il y a beaucoup trop de voitures - ou trop de gens. En fait, c'est à sedemander si tout le monde n'a pas la même impulsion en même temps :une sorte de migration de milliers d'automobilistes.D'ordinaire je râle peu, ou c'est plus espacé dans le temps. Mais rappelezvous; je suis en retard. Incroyable ! Le trafic reprend. Devinez la source duralentissement ... Allez, vous devez bien avoir une petite idée... Lacuriosité.Un accident. Moche. C'était une belle voiture. Je ne suis pas réellement fandes Ford fiesta mais là, j'avoue qu'avec les rayures blanches ça en jette,enfin... ça en jetait.J'arrive enfin à l'hôtel ! Reste à trouver une place : autre grand but dans lavie d'un automobiliste.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 63

Page 67: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Hey ! La chance me sourit, une voiture quitte sa place de stationnementjuste devant moi.Un petit créneau et je suis arrivé.Je rentre dans l'hôtel. Le réceptionniste semble contrarié.« On m'a réservé une chambre depuis hier, au nom de Mc Arthur. »J'adore ce pseudo, ça fait très général.« Je vais vérifier », répond-il d'un ton énervé.- Excusez moi de vous poser cette question, mais vous semblez légèrementanxieux.- Anxieux ! Je suis de vacation depuis hier soir et ma relève n'est toujourspas arrivée. Ça va faire une heure que j'attends !- Whow ! Remarquez, s'il est en voiture il peut être pris dans lesbouchons...- Dans ce cas, on prévoit, on part avant !- Quelle voiture conduit-il ? »Je sais, vous allez dire, en levant les yeux au ciel : « Il discute avec unréceptionniste alors qu'il est en retard », mais sachez que, dans mon budgettemporel, j'avais inclus le stationnement, ce qui m'alloue un bonus detemps grâce à mon coup de bol de tout à l'heure. Et puis, je suis toujours àl'écoute des gens.« Une Ford fiesta noire avec des rayures blanches. »Aïe.« Merci pour la clé. »Je me sens gêné pour lui, car sa relève, elle n'est pas prête d'arriver...J'ai vraiment bien trouvé mon nom de code : « Chat Noir ».Je me dirige vers l'ascenseur d'un pas calme et détendu. Les portess'ouvrent sur un espace relativement grand. Si un jour je trouve le mec quia eu l'idée saugrenue de mettre de la musique dans les ascenseurs... « Girlfrom Ipanema ».Si je n'ai pas cet air dans la tête toute la journée, on pourra dire que j'ai dela chance.Dernier étage. Bon l'escalier qui m'intéresse est celui qui mène au toit.Un coup de bump key, aucune porte ne me résiste - sauf celles sansserrure.Ah ! oui ! Et les portes avec des passes magnétiques...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 64

Page 68: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Bon on se réveille ! L'heure H arrive.Une belle matinée et une belle prime en perspective. Je m'installeconfortablement contre le parapet.Je me demande quelle figurine je vais m'acheter avec... Ne vendons jamaisla peau de l'ours avant de l'avoir tué... Mmmh... À propos de tuer.Je sors mon fusil sniper. C'est tout ce qui me reste d'elle. Elle.Tiens... du bruit derrière moi ?Je me retourne en braquant mon fusil sur la personne qui s'approche.« Si je pensais te trouver ici ! ».Je relève mon fusil. Ce n'est que Norman...« J'aime prendre le frais sur les toits des hôtels le matin. Et toi ? dis-je d'unton ironique.- Regarde comment je suis habillé ! »Il porte un manteau bleu bordé de jaune.« Tu t'es reconverti en facteur ? Qui est l'heureux élu ? »Norman s'approche du bord de l'immeuble et regarde dans la mêmedirection que moi.« C'est juste à côté de la grande résidence, à droite. »A ce moment là, une explosion retentit deux rues plus loin. Les pompierssont déjà là.C'est bien Norman, ça. Toujours prévenir les pompiers pour éviter desdommages collatéraux.Je souris.« Apparemment il l'a ouverte. J'aime bien les lettres explosives, ça m'évitede regarder ma cible en face et de la voir s'écrouler ».Il me tape dans le dos.« Tu as des nouvelles de notre demoiselle d'honneur préférée ?- Tu sais Norman, si j'avais des nouvelles, c'est que je serais mort. Elle metient toujours responsable de ce qui est arrivé.- Ça n'est pourtant pas faute de clamer ton innocence... Mais bon, quandune femme a une idée derrière la tête... »- Excuse moi, deux secondes... »C'est l'heure. J'arme mon fusil, je l'épaule. Je règle la focale de mon viseurafin de voir la voiture arriver.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 65

Page 69: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

J'hésite, il y a des enfants avec lui. Peut-être les siens ? Je vais plutôtattendre qu'il sorte. La voiture ralentit et s'arrête. Ce fumier a tué ou faittuer tellement de monde que la Mairie pourrait lui créer un impôt, pouravoir rempli la moitié de son cimetière. Mon employeur aussi, remarquez...Mais il faut bien manger, non ?Il sort enfin.Sans les enfants.La voiture redémarre. Ses deux gorilles sont avec lui. J'en ai assez de levoir. Je presse la détente. Une balle dans la tête et il fait ce que tout boncadavre doit faire : s'écrouler. Les gardes du corps regardent de gauche àdroite, paniqués. L'un d'eux glisse sur un morceaux de la cervelle de sonboss. Délectable...« Beau tir ! »Je range mon fusil sniper.« Viens on va allez boire dans ma chambre. En plus, je dois appeler monclient, dis-je.- Tes boss sont riches...- Pas toi ?- Non. Moi, ils sont très riches. »Il rigole, et moi aussi.Le temps passe vite quand on est avec un ami. Il me parle de ses dernierscontrats, je lui parle des miens. Dans notre métier, l'amitié peut vite êtreréévaluée avec de l'argent. Dans notre cas, heureusement, elle n'est pasestimable.Norman pose son verre et se lève. Il se dirige vers mon fusil.« Elle avait du goût pour les armes... »Je l'écoute, les yeux plongés dans mon Bailey's.« Quand elle m'a parlé de toi la première fois, elle avait tant d'étoiles dansles yeux que l'on aurait dit qu'elle avait vu le messie.- Tu es poète maintenant ? »Il sourit puis d'un ton grave poursuivit :« Je suis inquiet pour toi.- Facteur, poète, mère, souffle un peu !- Je suis sérieux. On n'a jamais trouvé qui avait fait le coup et on n'a jamaisretrouvé le corps. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 66

Page 70: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Pendant qu'il parle, je vois les deux dernières années défiler devant mesyeux. Ma période de décadence, puis de vengeance et finalementd'abandon. Abandon de la vengeance, abandon du désir de vivre. Puisreprise du goût à la vie grâce à Norman et à Céline.Bien que, pour Céline c'est un peu différent. Elle veut me faire payer le faitde n'avoir pas été avec Chloé quand elle a disparu. Elle me considèrecomme responsable.« Tu m'écoutes ?- Bien sûr ! » fis-je, du ton du garçon niant d'avoir regardé dans ledécolleté de sa camarade de classe.« Chien Fou veut être le numéro un, et il est prêt à tout.- Chien Fou... »Ce nom ridicule m'a toujours fait marrer. Pourquoi pas « Vache Folle » ou« Requin Marteau » ?J'éclate de rire.« Je vois que cela ne t'inquiète pas.- Il a toujours voulu être meilleur que moi. Il rêve de me tuer. Sonproblème c'est qu'il ne veut pas le faire gratuitement. Vu que je ne risquepas de travailler avec lui, je suis tranquille côté « balle perdue ». Quand jepense aux déculottées que je lui ai mises...- Sauf s'il est engagé pour te tuer... »Ma bouche reste ouverte et je me lance dans l'imitation involontaire del'expression d'un poisson sur l'étal.« Tu as des tuyaux ?- Non, mais protège tes arrières. Je te rappelle qu'il convoitait aussi Chloé.- Oui, dans ses rêves. Ah, une situation bien comique ! Tout le monde veutm'abattre parce que ma femme a disparu.- Non, pas tout le monde. Juste Céline. Bien que je sois content de ne pasl'avoir à mes trousses.- Je te remercie pour cet encouragement. »Le téléphone portable de Norman sonne. La musique de « MissionImpossible » s'élève.« Pitié ! Change de sonnerie !- Je l'adore, cette série. »Il rigole et décroche.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 67

Page 71: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

J'en profite pour appeler mon « client ».Nous quittons la chambre deux heures plus tard, séparément bien sûr.Ce n'est plus le même réceptionniste. Je lui rends la clé.« Votre collègue a pu partir, finalement ?- Oui... Je l'ai remplacé... Il y a une... demi-heure. »Pourquoi tremble-t-il ?« Bonne journée !- Mer ... merci. »Je jette un rapide coup d'œil dans le miroir au dessus du comptoir ensortant. Soit je suis devant la première espèce de réceptionniste à quatrepieds, soit ce type est menacé par quelqu'un accroupi derrière lui. Aprèstout, ce ne sont pas mes affaires.Une fois dehors un sentiment de culpabilité m'assaille. Je pourrais entrer denouveau et sauver ce pauvre bougre de je ne sais qui, ou je pourraisprendre ma voiture et aller acheter une figurine.Je déteste les remords...J'entre rapidement dans l'hôtel avec mon calibre 22, équipé d'un silencieux,dissimulé dans mon pardessus. Le réceptionniste est figé sur place. Àcause de l'expression de mon visage ou d'autre chose ?Je fais le tour du comptoir et avant que la personne accroupie ne lève sonarme, je l'abats d'une balle entre les deux yeux. Le sang éclabousse le basdu pantalon du réceptionniste qui crie, avant de se lancer dans une ode deremerciements.« Qui c'était ? » dis-je en remettant mon pistolet, encore fumant, dans mapoche.« Un type qui voulait me faire la peau, parce que j'avais couché avec safemme.- Et moi qui croyais tomber sur un gang organisé, voulant faire un attentatdans votre hôtel... En fait c'était juste un pauvre type...- Vous m'avez sauvé la vie... »Je le regarde en souriant. Je déteste tuer gratuitement. J'entends Chloé mefaire l'un des mes premiers reproches :« Prends ton temps, analyse la cible, n'agis jamais dans la précipitation. Etsurtout, méfie toi des apparences ! »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 68

Page 72: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Les hurlements des sirènes de police me sortent de ma torpeur. Leréceptionniste les a appelés. Je préfère m'en aller pendant qu'il est temps,malgré ses supplications. Chacun ses problèmes. J'ai assez merdé pouraujourd'hui.Je reprends ma voiture de location, qui se trouve gratifiée d'un deuxièmeprocès verbal. Je quitte le quartier au moment où la police le bloque.

*****Je rêve que je tombe. J'étais avec Lui, nous dansions, quand tout à coup,une faille s'est ouverte dans le sol, et il est tombé dedans. J'ai crié pourappeler à l'aide, mais toutes les autres personnes avaient disparu. La pisteétait vide. Je me suis alors approchée au bord du trou, et une rafale de ventm'a précipitée dedans. Je tombe.Il est des blessures qui ne guérissent jamais. Et le pire, c'est quand on se lesest soi-même infligées.Je m'éveillai ce matin là, comme tous les autres matins, avec la sensationd'avoir oublié quelque chose. Les bribes de mon dernier rêve, pourtantinsipide, me retenaient encore, mais les rayons du soleil filtrant à traversles volets me forcèrent à ouvrir les yeux.Je ne voyais aucun intérêt à bouger. Je ne voulais que retourner dans lesbras de Morphée ou attendre la mort, sans effort, comme tous les matins.Mon réveil sonna. Il fallait aller bosser. Je me levai au dernier moment,comme tous les jours, et me préparai à affronter une journée sans intérêt,encore une fois. J'avais mis six mois à décrocher mon dernier job, mais aubout de six nouveau mois, j'en avais déjà par dessus la tête de tous cesabrutis qui me servaient de collègues.Je pris le métro, passai en bus dans des villes sans noms et atteignis laporte de mon bureau à 8h31. Pas mal.J'entrai sans frapper. Le temps que la porte s'ouvre, il y eu un grand bruitde chaises précipitamment bougées. Véro et Lucas devaient encore être entrain de se bécoter comme des sangsues. Dégueulasse. Je m'assis sans unbonjour - pourquoi souhaiter un bon jour à des gens qui ne vous plairaientqu'en disparaissant de votre vie ?J'allumai mon ordinateur, et filai en salle de manip avant qu'il ait fini decharger. Il n'y aurait qu'à entrer le mot de passe quand je reviendrais.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 69

Page 73: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je m'assis à ma paillasse pour commencer les travaux du jour. Extractiond'ADN sur des échantillons sanguins pour un test de paternité, PCR desextractions de la veille...Je récupérai les résultats des tests de l'avant-veille, encore des tests depaternité. La moitié au moins seraient négatifs. Je leur souhaitais bien dubonheur avec leurs morveux.Une fois les résultats analysés, je m'assis sur un tabouret. J'en avais plusqu'assez de faire et refaire sans arrêt les mêmes gestes, sans aucune autrefinalité que celle de donner à des couples l'identité des pères de leursgamins. Et il y avait aussi, et surtout, les dépistages de maladiesgénétiques... Une routine qui ne m'avait plus excitée dès la premièresemaine que j'avais passée au labo. Sans parler de l'ambiance... Bien quemon caractère, peut-être un rien taciturne, n'arrangea rien, osons l'avouer.Parfois, pourtant, même dans les jours de pluie intense, un petit rayon desoleil inattendu vient percer les nuages. Alors que je rangeais le matériel,Alfred passa sa tête grisonnante dans l'entrebâillement de la porte.« Salut Vik... Si tu as une minute, j'ai deux trois bricoles à te montrer... »Je m'essuyai les mains sans répondre, et le suivis jusqu'à son bureau. Ilferma la porte derrière nous. Alfred était technicien, comme moi, mais luiavait trouvé un moyen d'ajouter un peu de piment dans sa vie. Il récoltaittoutes les données, publications, communications et autres, sur lesnouveaux médicaments, en particuliers ceux de Pharmatech, la filiale derecherche pharmaceutique du groupe. Il y avait travaillé pendant dix ans,avant d'être muté ici. Il faut dire qu'Alfred avait un don pour dénicher toutce qui clochait dans les protocoles de tests des médicaments, et ne seprivait pas d'exprimer tout haut, voire même dans la presse, ses sentiments.Il avait retardé d'un an la mise sur le marché d'un des bébés de la firme, etavait carrément empêché un concurrent de commercialiser son produit.Heureusement, d'ailleurs, quand on y pense...Bref, c'était la seule personne avec qui je m'entendais à peu près bien...« Voilà. J'ai découvert que Pharmatech planche sur un projet demédicament anti-inflammatoire... rien que de très normal... Mais je viensde voir la première publi... regarde, tu vois de quoi il s'agit ? »Non, je ne voyais pas, mais peu importe, il allait se faire un plaisir de mel'expliquer...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 70

Page 74: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« C'est la même molécule qu'en 90, pour le truc qu'ils voulaient appeler« Auryl ». Elle avait été refusée à cause d'un test en double aveugle quiavait montré son inefficacité... Enfin, pas plus qu'un placebo. Ils ont refaitdes tests, soi-disant... Mais leur étude ne tient pas la route! Si ils ont leurAutorisation de Mise sur le Marché avec ça, je mange mon chapeau! »Je consultai les documents en question. Effectivement, il manquait descontrôles, l'étude était biaisée...« En tous cas, reprit Alfred, ça ne peut pas être moins efficace que cettevaste fumisterie que sont les trucs homéopathiques. Quand on sait que lespréparations homéomachin n'ont même pas besoin de prouver leurefficacité pour avoir leur AMM, elles...- Elles ne l'auraient jamais sinon, ce n'est que du sucre !- En effet. Aucun espoir d'avoir ne serait ce qu'une molécule active partube de granules quand tu as dilué une goutte de ton produit initial dansune piscine olympique... ou un océan. Donc, non seulement leur théorie esten tous points une insulte au bon sens scientifique et commun, maiscomme en plus ils ne font ni tests à grande échelle, ni double aveugle...Heureusement qu'il leur reste la pub! »J'essayais de lire tout en écoutant ce qu'il disait, et ses paroles mirent untemps avant d'atteindre mon cerveau. Je dus rater plusieurs phrases.« Ils ne font aucun test du tout? dis-je pour gagner du temps- Non! Les rares expériences bien fichues qui ont été faites ne concluaientà aucun effet, en plus. On vend un truc qui ne fonctionne ni théoriquement,ni expérimentalement. C'est scandaleux de prendre les gens pour despigeons à ce point. On est en plein obscurantisme. »Je reposai les documents et dis en souriant :« Bah, l'effet placebo suffit parfois à guérir ou à soulager, par suggestion,par exemple, ou simplement parce que les gens étaient de toutes façons surla voie de la guérison. »Il soupira d'un air excédé.« Bien sûr, mais le problème c'est que l'on ment aux gens, on les prendpour des imbéciles. On leur vend du simple sucre à un prix exorbitant lekilo. Ça fait cher le placebo. Ça me ferait chier que Pharmatech prenne cegenre de voie. »J'étais d'accord avec lui, bien sûr, mais j'aimais bien l'entendre vitupérer.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 71

Page 75: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il marqua une pause, et reprit les papiers que je lui tendais, le regard vague,l'esprit pris dans la tourmente de sa réflexion.« On est quoi, des charlatans? »Nous discutâmes du problème pendant une bonne demi-heure. Encore,dans ce cas, il s'agissait juste d'une molécule inefficace, mais Alfred avaitd'autres dossiers, bien plus brûlants. Quelques années auparavant, il s'étaitpas mal investi dans les commissions chargées d'évaluer les conditionsd'AMM, et avait également été consulté comme expert dans des procès,avant d'être muté de Pharmatech à Anatech. Ils devaient se lasser de sefaire mettre des bâtons dans les roues à tout bout de champ, sans pourautant oser le faire taire ou l'éloigner trop. Et puis après tout, il s'attaquaitaussi à la concurrence, alors... D'ailleurs, le bougre commençait à êtrerelativement connu dans le domaine, à défaut d'être apprécié.Personnellement, je l'aimais bien.Quand je revins à mon ordinateur vers midi, Lucas et Véro étaient partis sebécoter ailleurs. S'ils pouvaient ne jamais revenir, voilà qui aurait été unebonne nouvelle...Je déballai mon repas - sandwich aux tomates et salade de thon - et l'avalaien regardant mes mails. Ensuite, je commençai à faire les quelquesexercices que le kiné m'avait donnés, pour la rééducation de mon bras.Depuis un an que l'accident avait eu lieu, ce foutu bras ne voulait toujoursrien porter. Il restait faible comme une nouille trop cuite et je ne pouvaismême pas le tendre complètement sans ressentir de violentes douleurs.J'avais vu une pléthore de médecins et kinés mais à chaque fois le résultatavait été le même : « Mademoiselle, votre bras est tout à fait normal, ildevrait fonctionner à la perfection, vous devez l'exercer régulièrement etvous ne garderez aucune séquelle bla bla bla. »Eh bien, il était là le résultat : un bras douloureux et inutilisable, un poidsmort et sans intérêt. À bout de souffle, je cessai les exercices. Au diable lescinq dernières minutes ! Ce n'était pas cela qui allait changer quoi que cesoit maintenant.Maudit accident ! Il m'avait laissée infirme et méprisable. Moi qui avaistoujours pratiqué danse et acrobatie, j'étais devenue incapable nonseulement de tendre le bras, mais également de me tenir debout sur unsimple tabouret, à cause d'un incontrôlable vertige. Encore heureux que je

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 72

Page 76: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

supporte de me tenir du haut de ma propre taille, sinon, j'aurais été obligéede me déplacer à quatre pattes.J'enfilai ma blouse quand la porte s'ouvrit sur une Véro tout sourire. Elleétait flanquée d'un type maigrichon et assez grand, portant un badge devisiteur sur sa chemise à carreaux - il avait dû la faire lui-même avec lesrideaux de sa grand-mère - et tenant un carnet dans la main droite.« Vik, je te présente Laurent Asmuldet, c'est un journaliste qui est venufaire un petit reportage sur notre service. »Elle avait un sourire gluant, cette fille. Avant que j'aie pu seulement ouvrirla bouche, elle enchaîna : « Je ne peux pas m'occuper de lui, parce que j'aipris mon après midi. »Voilà pourquoi elle souriait ! Tout a une explication en ce bas monde.« Donc, c'est à toi que revient la tâche de lui faire les honneurs de la visite.- Attends une minute...- À bientôt ! »Elle sortit aussi vite qu'elle était venue, comme un courant d'air.Et l'autre qui restait là, à changer la pellicule de son appareil, sans avoirl'air de se rendre compte que je n'avais aucune, mais alors vraimentaucune, envie de lui faire faire une visite guidée...Je me rassis.« Mademoiselle ? Puis je vous demander votre nom ?- Vous pouvez. »Il resta quelques instants à attendre la réponse, et finalement poussa unsoupir.« Vous savez, je ne vous ennuierai pas très longtemps, je veux juste savoirquels genres d'analyses sont effectués ici... »Je me tournai vers lui. Il avait plutôt une bonne tête, avec ses cheveux rouxen pétard et ses taches de rousseur. Il était toujours en train de bidouillerson appareil photo machinalement. Une pensée me traversa l'esprit. Ceserait peut-être l'occasion d'égayer un peu cette journée, après tout...Voyons voir... J'ai toujours voulu savoir comment un reporter pouvaitprendre des photos avec un tel appareil et des gants en nitrile tropgrands...Je lui adressai un grand sourire.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 73

Page 77: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Mais bien sûr, il n'y a pas de problème... Je vais tout vous montrer. Vouspouvez m'appeler Viktorka. Suivez moi. »Je le guidai au travers des couloirs encombrés jusqu'à la laverie, et pris uneblouse sur l'étagère - du XXL - et la lui tendis.« Là ou nous allons, il vaut mieux pour vous que vous mettiez ça... On nesait jamais... »Il m'adressa un coup d'œil vaguement inquiet, mais obtempéra. Parfait, ilavait l'air d'un épouvantail. Nous descendîmes dans la pièce du séquenceurdont je m'occupais avec Véro.Heureusement, Nous étions un vendredi après midi, en plein mois dejuillet, et il n'y avait quasiment personne. Je me dirigeai vers l'étagère audessus de ma paillasse, et saisis une paire de gants violets.Je les enfilai en les faisant claquer à la façon ridicule de Scully dans X-files. « Je vais vous en donner aussi. »Je jetai un coup d'œil appuyé sur les flacons posés un peu partout, et dontles étiquettes aux noms complexes ne manqueraient pas d'inspirer aunon-initié une certaine crainte, puis le regardai de nouveau. Avec unepointe d'hésitation dans la voix, je dis : « Ça vaut mieux... Pour vous. »avant de choisir les gants les plus grands, et de les lui tendre.Il avait l'air impressionné par l'étalage chimique qu'il avait devant les yeux.Il mit les gants à grande peine, car il essayait en même temps de gérer soncarnet, son crayon, son appareil photo, et surtout ses dix doigts, quisemblaient toujours vouloir se glisser à deux dans le même doigt de gant.Son manège dura bien une minute avant qu'il ne se décide à tout poser surune paillasse. Trop drôle.« Holà, faites attention, vous ne savez pas ce qui a pu être utilisé ici ! »,dis-je, en récupérant les objets. Il commençait à paniquer.« Ne vous inquiétez pas, mais pour plus de sûreté, ne posez rien sans medemander avant, et ne touchez rien. »Quant il eut enfin réussi à se dépêtrer, il balaya la pièce du regard unenouvelle fois, avec un émerveillement certain. Il devait se croire soit dansun film de science fiction, soit dans une pub pour crème de jour. Tout àcoup, il se figea.Il venait d'apercevoir l'un des grands séquenceurs. Là, c'était la Guerre desÉtoiles, j'en étais sûre. Il faut dire qu'il en jetait, cet appareil, avec sa

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 74

Page 78: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

devanture vitrée laissant voir la mécanique interne, d'une infiniedélicatesse. Je l'allumai pour renforcer encore l'effet.Le journaliste était fasciné, comme un gosse à la foire. Touchant, dans unsens.« Wow !! Qu'est ce que c'est que ça, à quoi ça sert ? Je peux prendre desphotos ?- Bien sûr... »Si tu y arrives, songeais-je, vu la longueur des gants dépassant de sesdoigts.Il y arriva, après s'être battu pendant une bonne minute. Puis il pritquelques clichés, et attrapa son carnet pour prendre en note mesexplications de grand gourou de la science.Je pourrais lui raconter n'importe quoi, il ne s'en rendrait même pascompte...« Cette machine sert à séquencer l'ADN amplifié par PCR. »Ses yeux s'agrandirent comme ceux d'un noyé. Il me fit pitié.« Quoi ?- Bon, venez, je vais vous expliquer. »Je saisis un échantillon de sang.« Vous voyez ce sang ? Dedans, il y a des cellules, dont chacune contientl'ensemble du génome de la personne.- Comme les globules rouges ?Perdu.- Euh, non, justement, les globules rouges sont pratiquement les seuls quin'en contiennent pas.- Les globules blancs alors ?- Exactement, les globules blancs sont un bon exemple. On trouve dans lenoyau de ces cellules quasiment toute l'information nécessaire à lafabrication d'un individu humain entier.Quelle galère... qu'est ce qui me prend de jouer les pédagogues ?- Ah oui. Mais c'est tout petit !! On est si simple que ça ?Ton esprit est simple, imbécile... pas ce que tes cellules font avec trentemille gènes.- La taille ne veut rien dire. Mais si une personne a une maladie génétique,on peut comparer la portion d'ADN qui correspond à la protéine qui n'est

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 75

Page 79: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

pas fabriquée correctement chez elle à celle d'une personne « saine » etêtre sûr du diagnostic. »Je me levai pour attraper sur l'étagère plusieurs flacons, et revins enjonglant avec, d'une main. Le journaliste devint pâle comme la mortlorsque je posai celui étiqueté « acide chlorhydrique » devant lui. J'adoreépater les gogos. Il ne pouvait pas savoir que c'était du dilué à cinq pourcent. Et il ne pouvait pas non plus savoir que la probabilité que je lâche untruc en jonglant équivalait celle qu'il avait de gagner au loto.Je commençai une extract ion f ine d 'ADN jusqu 'à la premièrecentrifugation. Ensuite, afin de ne pas perdre de temps, je lui montrai lesdernières étapes avec d'autres échantillons. Comme nous travaillionsd'ordinaire avec de très petites quantités, je passai un tube contenant del'ADN dans quelques microlitres d'eau sous une loupe binoculaire.« Woua, vous voulez dire que toute l'information nécessaire à la...comment dire... à la fabrication d'un être humain, se trouve dans cet espèced'amas filamenteux ?On est peu de chose, hein ?- Eh oui... Et uniquement dans un alphabet à quatre lettres. Et encore, il yen a plus de la moitié qui ne « sert à rien », ou, du moins, à riend'identifiable... des bouts de séquences répétées, des fragments que l'onsuppose être des reliquats de virus...- Des virus... Vous voulez dire que l'on a de quoi fabriquer du virus danstoutes nos cellules ?Bon sang, s'il a une décharge d'adrénaline à chaque fois qu'il écarquilleles yeux comme ça, il va rentrer chez lui sur les rotules...- Non, pas des virus entiers, juste des petites portions d'information...quoique généralement il ne manque pas grand-chose... Mais après tout, ilfaudrait réellement une énorme coïncidence pour que le bon fragmentvienne s'insérer juste à l'endroit voulu... Mais ces morceaux d'ADN onttrouvé une très bonne méthode pour se reproduire : ils restent insérés dansle génome d'un hôte, qui fait tout le boulot pour eux, en les répliquantd'une génération à l'autre via sa descendance...- Ah oui... Surtout si ça ne coûte rien à l'hôte... Mais si le génome del'individu en question est envahi ?

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 76

Page 80: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- E t b i en , s i l e coû t , que l qu ' i l s o i t , que ce so i t à c ause dedysfonctionnements cellulaires, de maladies génétiques ou autres, est tropgrand, la sélection naturelle fait son œuvre.- Je vois... les meilleurs seuls survivent, hein ?Si c'était le cas, tu serais mort depuis longtemps...- Disons plutôt que les moins viables n'arrivent pas à se reproduire autantque les autres, ou même pas du tout.- C'est vraiment bizarre toutes ces théories... Ça fait un peu peur...Peur aux égocentriques comme toi qui se croient une création divine ausommet de l'évolution, banane !- En effet... Tous comptes faits, on peut même considérer que l'individu estune sorte de « machine » créée par ses gènes afin qu'ils aient les plusgrandes probabilités d'être transmis à la génération suivante...- Ouak ! Vous voulez dire que les gènes ont un dessein ?Si tes gènes avaient une conscience, mon pote, ils t'auraient suicidé il y alongtemps... Pourquoi les gens sont-ils si stupides ?- Non, évidemment. Pas plus que les lettres d'encre écrites dans un livre.Mais simplement, l'information qui donne des avantages à l'individu qui laporte a plus de chances d'être reproduite à un grand nombre d'exemplairesvia sa progéniture.- Ah je vois... Mais comment est-ce que les différences entre les individusapparaissent alors ?Attention, le grand mot va être lâché.- Les mutations...Ok. Rien qu'à voir ses yeux, il est passé de Star Wars aux Tortues Ninja.- Des mutations ? Mais il faut des... conditions spéciales pour qu'ellesapparaissent, non ?Oh non, Professeur Xavier, qu'est ce que j'ai fais ? Ça va me prendre desheures ces explications...- Non, ce sont juste de petites erreurs qui se produisent lorsque l'ADN estrecopié... Par exemple, lorsqu'une cellule se divise en deux cellules... Etoubliez tout ce que vous avez appris dans X-men et autres... »Ding !Ah, merci, centrifugeuse ! Tu es mon amie pour la vie !!« Excusez moi, je dois m'occuper de la centri. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 77

Page 81: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

C'était drôle, le regard fasciné qu'il traînait partout. Fasciné, mais aussi unpeu... comment dire... dégoûté. C'était ce que je lui avais raconté qui l'avaitmis mal à l'aise ? Les Hommes sont tellement vaniteux. Dès qu'on leurrappelle leur condition animale, ils sont mal à l'aise.« Voilà, vous savez maintenant comment se passe une extraction d'ADN.Vous voulez voir une séquence ? »Il fit « oui » de la tête. Je saisis la première sur la pile au coin de lapaillasse.« Pour séquencer un fragment, il faut d'abord l'avoir en plusieursexemplaires. C'est ce qu'on appelle amplification, ou PCR. »Je désignai le papier où était écrite la séquence.« C'est comme une phrase gigantesque, composée de mots de trois lettresdans un alphabet à quatre lettres.- C'est terrible ! Et ça, ça donne quoi, exactement ?- Pour simplifier, disons que chaque gène - chaque phrase si vous voulez -est traduite en protéine par la machinerie cellulaire. Les mots de troislettres correspondent à des acides aminés, qui sont assemblé bout à boutdans le sens de lecture du fragment d'ADN, pour faire la protéine.- Et vous en faites quoi, de ces séquences ?- Eh bien, on peut utiliser certains fragments, uniques chez chaqueindividu, pour identifier le père d'un enfant, par exemple- Ou le coupable d'un crime, évidemment ! »Si tu pouvais faire les questions et les réponses à chaque fois...Je dois avouer que je trouvais assez agréable que quelqu'un s'intéresse àmon travail comme ça. Surtout un épouvantail hirsute dans une blouse degéant et aux mains violettes.Je lui montrai encore une ou deux pièces, avec les hottes, la verreriedestinée aux préparations, les paillasses, les pipettes multiples, les blocs àélectrophorèse. Quand nous eûmes fini de faire le tour, il avait rempli deuxpellicules.« Excusez moi, mais j'ai besoin de faire une pause... Où sont les toilettes ?- Au bout du couloir... De toutes façons, je vous ai à peu près tout montré.Vous serez capable de retrouver mon bureau d'ici ?- Oh oui, ne vous en faites pas... Je vous rejoins dans un instant. »Il se débarrassa de ses gants et de sa blouse, et sortit.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 78

Page 82: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je revins dans mon bureau, et commençai à rédiger un rapport de test depaternité. Plusieurs minutes s'écoulèrent avant le retour du journaliste. Jeme demandai s'il n'était pas tombé dans le trou des toilettes, ou s'il nes'était pas perdu - je voyais déjà l'avis de recherche que j'aurais pudiffuser : « Perdu : grand Homo sapiens, mâle. Cheveux : en bataille,Yeux : ahuris, Signe particulier : sens de l'orientation déplorable etc. »,mais il finit par revenir. Il était, si c'était possible, encore plus ébourifféqu'avant. Il me fit une sorte de sourire, puis me serra la main en meremerciant. Néanmoins, avant de me quitter, il jeta un coup d'œil nerveuxautour de lui et me dit, d'un air gêné :« Dîtes moi... je sais que ça peut sembler un peu stupide de demander ça,mais... Est ce que vous n'auriez pas... euh... eu vent, vu, ou suspecté des...des activité étranges... ?- Des activités étranges ? Vous devriez arrêter de regarder la télé, vous.Votre imagination voyage trop. Vous imaginez quoi, l'Île du DocteurMoreau au sous-sol ?- Non... évidemment. Non, je veux parler de... d'activités pas très légales...- Comment ça ? »Il avait l'aspect d'une bête aux aguets, c'était impressionnant. Il inspira ungrand coup, comme s'il allait se jeter à l'eau.« D'accord... À quoi sert l'étage moins quatre ?- C'est une cave immonde, personne n'y va jamais... »Il marqua un silence, les yeux dans le vague.« J'ai dû me tromper, alors... »Il se passa une main dans les cheveux. Le ton de sa voix ne disait pas dutout « J'ai dû me tromper. » Il disait : « Je veux partir au plus vite. J'aitrouvé quelque chose qui m'a fait peur et je sais que vous savez de quoi jeparle. Ou alors vous devriez. »Il me regarda droit dans les yeux.« Si vous voyez quelque chose de bizarre, de pas habituel ou quoi,pourrez-vous me prévenir ? »Il me tendit sa carte, une carte toute simple, avec son nom et son mail, etun grand smiley faisant un clin d'œil en fond.« Je... je vous dirai si je trouve quelque chose... »C'était ridicule, mais...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 79

Page 83: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il me fit un bref signe de tête, très sec, tourna les talons et disparu.*****

Notre vie est faite de choix, certains bons et d'autres moins. Nous avons lachance de pouvoir choisir, et pour l'instant, je me dis il est temps d'alleracheter quelque chose pour me remonter le moral. Tuer, ça creusel'estomac.Au bout de vingt minutes, j'arrive à ma boutique préférée. Déjà deuxfigurines me tentent dans la vitrine, dont une que je cherchais depuislongtemps... Je salue Éric, le patron. C'est un petit gars chauve etrondouillard. Il porte toujours un T-shirt représentant une héroïne de sescomics préférés. Un type adorable.«Salut Léo, je finis avec mon client et je suis à toi. » me dit-il en montrantle téléphone du doigt.J'acquiesce et je me dirige vers ma figurine tant convoitée : une WonderWoman. Elle n'est qu'en porcelaine mais sa finition est exemplaire.Il s'avance vers moi après avoir raccroché.« Elle est belle, n'est ce pas ?- Oh oui ! Et je vais te l'acheter !- Désolé elle est déjà vendue. Je viens de la céder à l'instant...- C'est pas vrai !- T'inquiète ! J'en aurai d'autres.- Ouais, ouais...- Je ne savais pas que tu la recherchais...- Je tuerais pour l'avoir.- Si tu veux, je te donne l'adresse du client. »Il rigole.Je l'aime bien, Éric, mais il ne sait rien de mon boulot.« Pourquoi pas ? »Je me force à rire.Après cet échange de banalités sociales, je jette mon dévolu sur unefigurine de « Catwoman ». Je décide qu'elle est plus jolie que celle deWonder Woman.«Tu as de la chance c'est ma dernière.- Chouette j'économise les balles de mon fusil. »Je lui fais un clin d'œil. Il rigole

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 80

Page 84: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Je te fais ta réduc habituelle... »Je sors de l'argent de mon portefeuille.« Tu en reçois bientôt de nouvelles ?- D'ici 15 jours... Je t'appelle si j'ai une nouvelle figurine de WonderWoman, »- Merci ! »Après une poignée de main virile, je laisse Éric et ses figurines. Je vaisretrouver mon appartement, qui est bien trop grand pour une seulepersonne.Le répondeur clignote, m'indiquant un message à écouter. Mais je leconnais déjà. Ça fait deux ans qu'il clignote. Son dernier appel. Elle memanque tellement.Le téléphone est débranché depuis 2 ans, car je ne veux pas effacer cemessage. Si on veut me contacter, il y a mon GSM ou le salon de thé «leChat Bleu », tenu par le père de Chloé.Il faut que j'aille le voir pour lui remettre une petite enveloppe. C'est lamoindre des choses.Je déballe ma figurine consciencieusement puis je la place dans ma vitrine.Y a pas à dire : elle en jette.

*****Le lundi matin, je téléphonai à Anatech. Il me fallut passer par plusieursintermédiaires, mais je finis par obtenir un petit entretien et la promessed'une visite des locaux pour le vendredi.Toute la semaine, j'attendis que l'on retrouve la trace des kidnappeurs deJérôme. Peine perdue. La Mercedes, brûlée, avait été retrouvée, mais aucunindice n'était disponible. Des membres des Cougars Volants avaient étéinterrogés, mais personne n'était arrivé à en tirer quoi que ce soit. Ilsavaient l'air de n'être au courant de rien.Le vendredi matin, je pris tout mon équipement du « parfait petit reporter »pour aller, la bouche en cœur, me jeter dans la gueule du loup. J'annonçai :« Laurent Asmuldet, reporter pour la Gazette Chavilloise » au gardien, quipassa un coup de téléphone et ouvrit la grande grille austère. J'avaisrendez-vous avec une certaine Laura Delme, responsable du serviced'analyses génétiques, qui m'attendait à l'accueil. C'était une dame auxcheveux gris et aux yeux clairs, le genre de personne un peu âgée, un peu

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 81

Page 85: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

forte, mais très stricte, qu'on appellerait spontanément « mère supérieure ».Elle me conduisit à son bureau, et m'accorda une interview d'une petitedemi-heure, qui consista surtout en une jolie propagande pour son service.Ensuite, elle appela une autre femme, pour qu'elle me fasse faire une petitevisite guidée. C'était une grande blonde aux yeux bleus pétillants, lachevelure tirée en arrière dans un chignon impeccable d'où pas un cheveune dépassait. Elle me guida à travers un dédale de couloirs d'une propretéimpeccable, encombrés d'armoires, de photocopieuses, d'étagères de livreset catalogues, jusqu'à son bureau. Ça ressemblait plus à une administrationqu'à un laboratoire, si ce n'était ce vague relent d'éther, ou de je ne saisquoi. Je craignais un peu de voir un des Cougars Volants au détour d'uncouloir, et j'essayai de dresser mentalement une carte des lieux, tâche ardueà cause du nombre de jonctions, d'escaliers et de détours. Cela empêchaitmon imagination de trop voyager... Une fois à destination, mon guideouvrit la porte blanche et stricte de son bureau, une grande pièce équipéede plusieurs postes. Les murs étaient littéralement tapissés de grosclasseurs aux couleurs diverses, et les grosses armoires devaient encore enabriter d'autres. Plus confidentiels?Quand nous entrâmes, une femme enfilait une blouse, une brune pas trèsgrande, avec une très longue natte dans le dos.« Vik, je te présente Laurent Asmuldet, c'est un journaliste qui est venufaire un petit reportage sur notre service. » dit mon guide.« Je ne peux pas m'occuper de lui, enchaîna-t-elle, parce que j'ai pris monaprès midi, donc, c'est à toi que revient la tâche de lui faire les honneurs dela visite.- Attends une minute...- À bientôt ! »Elle ressortit aussitôt, comme si elle craignait que l'autre refuse, prenant àpeine le temps de me jeter un : « Vik vous fera faire une belle visite. Boncourage! » avant de disparaître.Je me tournai vers mon nouveau guide. Elle avait un joli visage ovale, etdes yeux en amande, mais ne dégageait aucune impression de douceur. Sesyeux noirs jetaient des éclairs. Elle me regarda comme si elle pouvait voirau travers de mon corps et se rassit.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 82

Page 86: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je n'avais pas bien saisi toutes les subtilités du jeu étrange auquel je venaisd'assister, mais...« Mademoiselle ? Puis je vous demander votre nom ?- Vous pouvez. »Ça n'allait pas être facile. J'aimais mieux Blondie.« Vous savez, je ne vous ennuierai pas très longtemps, je veux juste savoirquel genre d'analyses sont effectuées ici... »Soupir... Elle devait être over-bookée. J'esquissai un sourire. Elle meregarda à nouveau, et sourit à son tour. Mon charme est irrésistible.« Mais bien sûr, il n'y a pas de problème... Je vais tout vous montrer. Vouspouvez m'appeler Viktorka. Suivez moi. »Elle me conduisit, d'une démarche vive, sa tresse battant le rythme de sespas, à l'étage du laboratoire proprement dit. Les étagères étaient toujourslà, mais cette fois les photocopieuses étaient remplacées par des armoiresde matériel et d'autres choses que je ne parvenais pas à identifier. Elle medonna une blouse, des gants - d'une stupide couleur fuschia : où étaient lessobres gants jaunâtres en latex ? J'ignorais que les scientifiques modernesavaient si mauvais goût. De reporter, je devenais le « parfait petitlaborantin ». Pas très pratique, n'empêche, cet équipement. En outre, je nem'étais jamais senti très à l'aise dans les labos, même au lycée, sanscompter cette odeur d'hôpital... Mais mon guide avait une assurancerassurante dans le milieu un peu inquiétant des fioles et machineriesexotiques.Après des tours et détours dans un labyrinthe de couloirs encombrés, nousarrivâmes dans une grande pièce avec beaucoup de matériel, et desétagères pleines de bouteilles étranges aux étiquettes sibyllines. Mais leplus fascinant était une grosse machine dans le coin, un appareillagecomplexe semblant tout droit sortit d'un bouquin de S.F.Je pris des photos.« Cette machine sert à séquencer l'ADN amplifié par PCR.- Quoi ? »Des explications étaient nécessaires. Avait-elle dit cette phraseincompréhensible pour tester mon niveau en sciences ?Elle entreprit patiemment de me faire un petit cours théorique, suivi d'unedémonstration pratique. Intéressant. J'en oubliai presque la véritable raison

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 83

Page 87: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

de ma venue.« Il faudrait quand même que je trouve le moyen d'être seul » songeai-je.Si je voulais essayer de trouver le niveau moins quatre, je ne pouvais pasêtre accompagné d'un chaperon.. . Peut-être une « pause pipi »suffirait-elle...J'en étais à ce stade de mes réflexions quand la fille, qui s'était éloignéepour aller prendre quelques flacons, revint avec, et en jonglant d'une main,encore ! Je me reculai instinctivement. Elle était folle ou quoi ? Il y enavait une avec de l'acide chlorhydrique !!Elle posa le tout sur la table et termina sa démonstration le plusnaturellement du monde. Elle me faisait une impression étrange. Jen'arrivais pas à déterminer si je l'ennuyais profondément ou si elle prenaitplaisir à partager ses connaissances. Probablement un peu des deux.Elle me fit faire le tour de la pièce, en me montrant les différents appareils,et je pris des photos pour donner le change. Je sentais que l'interview allaittoucher à sa fin. C'était le moment ou jamais de prendre un peu de liberté...« Excusez moi, mais j'ai besoin de faire une pause... Où sont les toilettes ?- Au bout du couloir... De toutes façons, je vous ai à peu près tout montré.Vous serez capable de retrouver mon bureau d'ici ?- Oh oui, ne vous en faites pas... Je vous rejoins dans un instant. »Je posai blouse et gants sur une chaise, et sortis.Voyons, où peut donc se trouver le niveau moins quatre ? Au sous-sol : ilfallait donc trouver des escaliers ou un ascenseur.Je marchai rapidement, d'un pas assuré, afin de ne pas attirer l'attention. Jecroisai plusieurs employés en blouse, certains poussant des chariots dematériel.Soudain, au détour d'un couloir, je le vis. L'homme de l'hôtel, le costumegris foncé. J'avais mal vu son visage, l'autre nuit, mais j'avais bien entendusa voix, et j'étais sûr que c'était lui. Je fis un pas en arrière, pour retourner àl'abri de l'angle du couloir, et fis semblant de renouer mes lacets. Ildiscutait avec une femme d'un certain âge. Question de gros chiffres etd'organisation interne. Je ne pouvais plus continuer, ça devenait tropdangereux.Il fallait pourtant que je me livre à une investigation approfondie, poursavoir ce qui se tramait ici. J'étais au bon endroit, c'était sûr. Comment

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 84

Page 88: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

accéder au bon étage ? Il me faudrait revenir, probablement à des heuresun peu moins journalières.Je revins vers le bureau de Viktorka, en marchant vite pour rattraper monretard. La pause ne devait pas être trop longue... Tout en avançant, jeréfléchissais. Peut-être qu'elle pourrait m'aider, elle... J'avais le sentimentqu'elle m'aimait bien. Évidemment, je prenais un risque si elle était demèche.Pourtant, au point où j'en étais, je ne voyais pas d'autre solution. Il mefallait un allié dans la place, et je ne connaissais qu'elle.Je frappai discrètement à sa porte, et ouvris. Elle eut un sourire en coin. Jedevais avoir été un peu long.Je lui serrai la main en la remerciant chaleureusement. Je ne savais pas tropcomment tourner ma phrase. Elle sourit et prit une brève inspiration pourdire « au revoir ». Je me jetai à l'eau avant de lui en laisser le temps :« Dites moi... Je sais que ça peut sembler un peu stupide de demander ça,mais est ce que vous n'auriez pas vu, ou suspecté des activité étranges cesderniers temps ? »Ne riez pas. Ce n'est pas facile d'introduire ce genre de sujet.« Des activités étranges ? Vous devriez arrêter de regarder la télé, vous.Votre imagination voyage trop. Vous imaginez quoi, l'Île du DocteurMoreau au sous-sol ? »Elle avait l'air de trouver l'idée très drôle. Si Jérôme n'avait pas été endanger de mort, j'aurais peut-être ri avec elle.« Non, évidemment. Je veux parler d'activités pas très légales... », dis-jepour donner un tournant plus plausible à l'affaire. De plus, je ne savais pasce que je cherchais exactement. Pour l'instant, il fallait se contenterd'envoyer des lignes au hasard en espérant que ça morde.« Comment ça ?- À quoi sert l'étage moins quatre ?- C'est une cave immonde, personne n'y va jamais... »Soit elle ne savait rien, soit elle était de mèche et j'étais perdu. Néanmoins,si elle était complice, c'était une drôlement bonne actrice.« J'ai dû me tromper, alors... Si vous voyez quelque chose de bizarre, depas habituel ou quoi, pourrez-vous me prévenir ? »Je lui donnai ma carte.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 85

Page 89: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Je... Je vous dirai si je trouve quelque chose... »*****

Déjà 18 heures : il est temps d'aller voir Henry au Chat Bleu, au cas où il yaurait un client pour moi.Mais avant, petite précaution, je me munis de ma trousse de maquillage. Jeme fabrique une fausse cicatrice en latex puis je l'applique en travers demon nez. Je me rajoute une petite moustache à la Clark Gable et me voilaprêt. Je prends ma voiture, une Clio vert olive, afin de me rendre au ChatBleu.« Bonjour Léo.- Salut Henry. C'est dingue, tu me reconnais toujours malgré mesdéguisements.- C'est le talent. La même chose que d'habitude ?- Oui. Pas de messages ?- Si : le type assis au fond, un certain Polames. Ça fait deux jours qu'ilrevient sans cesse pour te voir. »Le type en question a toutes les allures du sous-fifre de base. Costume unisgris, petites lunettes rondes montées sur un nez porcin. Dégarni devant.« J'ai un étrange pressentiment, je ne l'aime pas.- On dirait Chloé.- Tu trouves ? Pourtant elle était moins grosse. »Il me jette un regard noir.« J'oubliais... »Je dépose une enveloppe contenant de l'argent sur le comptoir.« Tu n'es pas obligé. »Il la ramasse quand même.« J'espère que tu les auras un jour, ces salopards.- Moi aussi. Bon je vais voir ce qu'il me veut.- Ne damne pas ton âme.- Mon âme... Je l'ai perdue il y a 2 ans ».Je m'en vais sans attendre la réponse.Je dis bonjour à la serveuse, qui m'ignore - mais je ne lui en veux pas : ungars avec un pardessus noir une paire de lunette de soleil en plein mois dejuillet, ça fait rire... Je vous ai parlé de mon chapeau de cow-boy ? Il fautentretenir le mythe du tueur à gage ténébreux...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 86

Page 90: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Bonjour Monsieur Polames. Vous vouliez me parler ? »Je termine ma phrase en retirant mon chapeau.«Le Chat Noir !- Criez plus fort, les deux policiers de l'autre côté de la rue n'ont pas bienentendu.- Excusez moi. J'ai une mission pour vous.- Qui ? Où ? Quand ? »Je m'assois. La serveuse apporte ma tequila. Le type attend qu'elle reparteavant d'enchaîner.« Qui ? Un journaliste. Quand ? Le plus vite possible.- Un journaliste, mmmhh... Il semble que l'on vous ait mal informé surmoi...- Je sais, je sais, vous ne vous « occupez » que des malfrats, mais celui-ciest une vrai ordure. Il s'appelle Laurent Asmuldet.- Je veux des preuves. »J'avale ma tequila.« Des preuves ? »Il rigole nerveusement.« Allons, Chat noir, vous êtes un tueur...- Si vous répétez ce mot encore une fois ici, les poissons de la Seine serégaleront avec votre cadavre. Si il en reste,bien sûr... »Le type recule sur sa chaise. Je souris et je me lève.« Apportez moi des preuves, et je réfléchirai à votre contrat.- Mais... Mais... Très bien. »Il réajuste sa veste. « Je vous les amène demain matin. »Je le laisse finir son thé. Quelque chose me dit qu'il va avoir du mal àl'avaler.Bon, du coup, ma soirée est libre.Le plus dur dans ce métier, c'est la conscience. J'ai beau me dire que lestypes que je bute sont des crapules, on fauche quand même des vies. Audébut, j'avais arrêté ma carrière de médecin pour devenir tueur à gages. Pasla peine de prendre votre air offusqué, j'avais mes raisons.Pourtant, peut-être pour alléger ce qui me restait de conscience, j'avaisdécidé de la reprendre. À mi-temps. Ce n'est pas facile de trouver unhôpital qui accepte ce genre de compromis.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 87

Page 91: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

L'hôpital Saint Georges m'a offert cette opportunité quand je la cherchais.Son architecture fait penser à une église de l'époque carolingienne. Ledirecteur, monsieur Draven, dirigeait alors cet établissement, et le dirigetoujours.Je préfère travailler de nuit à l'hôpital. L'équipe est plus sympa. C'estpeut-être dû à la pression. Il y a tellement d'urgences.J'arrive à 19 heures. Je n'ai jamais réussi à m'habituer à l'odeur deshôpitaux. Un comble pour un médecin. Je devrais peut-être prendre uncabinet, ou ma retraite. Vivre tout simplement. Mais je ne peux pas, jeveux continuer, pour Elle.... Qu'est ce qui m'arrive, me voilà en train debroyer du noir.« Holà ! Attention ! »Je m'arrête à deux centimètres de mon collègue le Docteur Kawashawski.Ce polonais, d'une quarantaine d'années, aux yeux et cheveux marron,dirige l'équipe de nuit depuis quatre ans. Tout le monde le respecte pour sacourtoisie et son dévouement. Je doute que les gens se rendent compte dusacrifice que font ces médecins pour les soigner.« Excuse moi, j'étais perdu dans mes pensées.- Mouais... Tu viens nous filer un coup de main ?- Oui.- Merci, on va en avoir besoin.- Qu'est ce qui se passe ?- Un accident de la route. Un camion qui a rencontré un car de touristes.Les hôpitaux les plus proches n'avaient pas l'infrastructure nécessaire pourles accueillir.- Je vais me changer.- Au fait, Carole a un message pour toi.- Merci. »Je me dirige vers le vestiaire. Il n'y a personne. Tout le monde est déjà autravail. Je me change rapidement. Je croise des collègues, que je salueamicalement.J'arrive à la réception.Carole est en train de régler un différent avec un visiteur plutôtantipathique.«Les visites vous sont interdites, monsieur Belin.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 88

Page 92: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Je veux voir ma femme !- Votre femme est ici à cause de VOUS ! Partez avant que j'appelle lapolice.- T'AS PAS À ME JUGER ! Je... Je... »Il bondit vers moi et sort un revolver, qu'il pointe vers ma tête. Ce type memenace. Moi, un tueur à gage.« Je veux la voir sinon je lui fais sauter le caisson ! »Je le regarde dans les yeux, et lui dis d'un ton calme« Posez votre revolver... Maintenant.- Tu... Tu me fais pas... peur.- Carole, pour quelle raison sa femme est-elle hospitalisée ?- Il l'a battue. Elle a eu le nez brisé et le genou déboîté. »Je serre les dents.« Je vois.- Qu'est ce que ça peut te foutre ? »Les personnes qui attendent commencent à se rapprocher de nous.« Lâchez votre revolver.... Non. En fait, gardez-le. » dis-je avec un grandsourire.Carole et le type me regardent, surpris.Je donne un coup de pied latéral dans son revolver que j'envoie valdinguerà l'autre bout de la salle. Il se rue vers moi. Fatale erreur.J'esquive son coup de poing droit. Je lui attrape le bras et, usant de sonpoids, je le renverse, comme au judo.Il fait un bruit mat en touchant le carrelage de la salle d'attente,accompagné d'une exclamation étouffée. Je fais tourner son bras dans lesens inverse des aiguilles d'une montre. Un craquement se fait entendre. Letype hurle. Je l'achève d'un coup de poing dans le visage. Le bruit de l'os sebrisant me confirme la fracture de son nez. Le type tombe dans lespommes.La salle d'attente applaudit. Je déteste me faire mousser.« Carole, appelle un infirmier et la police, s'il te plaît. Ah ! Et demandequ'il ne reste pas ici.- Bien sûr ! »Je regarde le type par terre. Si ça ne tenait qu'à moi, je le laisserais biencrever. Mais il y a des témoins. Je m'accroupis et lui administre les

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 89

Page 93: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

premiers soins, puis l'installe en position latérale de sécurité. Un autremédecin arrive avec un infirmier et l'évacue sur une civière.Après avoir expliqué l'incident à l'infirmier de garde, Carole se tourne versmoi et sourit. Carole a une vingtaine d'années, elle est d'un calmeolympien. Elle a des cheveux blonds bouclés qui remontent en pointe dechaque côté de son visage. Ses deux yeux verts vous percent l'âme enmoins de deux. Si on a une âme bien sûr.Elle est très appréciée par tout le monde ici, indépendamment de sa beauté.«J'ai un message pour toi !- Je t'écoute.- Une personne avec un fort accent asiatique a cherché à te joindre. Il auraitfait une découverte importante. Il veut que tu le rappelles. »Sacré prof. Je souris.« Merci Carole. »Je sors de l'hôpital et j'allume mon GSM.J'appelle le prof. Personne ne répond. Il doit être devant sa télé. Commentun génie peut-il prendre plaisir à regarder ces feuilletons à l'eau de rose ?En plus, c'est toute une cérémonie : il les enregistre l'après midi, puis lesregarde le soir. Tant pis... Je laisse un message.« Prof, c'est moi. Il parait que tu as essayé de me joindre. Tu peux merappeler ce soir à l'hôpital, ou bien demain sur mon GSM. Je te redonnemon numéro, pour la cinquantième fois. Ah ! Et puis Jean-Charles sortbien avec Priscilla. Salut. »L'un des avantages, si je puis dire, de voyager aux États Unis, c'est de voirles séries en avance. Je suis un enfoiré mais grâce à moi il économise aumoins deux ans de sa vie, le temps qu'on rattrape notre « retard » parrapport à l'Amérique.Je me dirige vers le bloc opératoire au moment où on m'appelle chez ledirecteur.Je frappe à la porte.« Entrez » me fait une voix monocorde.La pièce est grande et tapissée de bibliothèques. Il y a un tapis persan ausol. Monsieur Draven est assis derrière son bureau. À mon arrivée, il lèveses yeux au dessus de sa monture dorée.« Ah ! Docteur Mc Kinney ! »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 90

Page 94: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Monsieur le Directeur.- On donne des cours d'arts martiaux dans la salle d'attente, maintenant ? »Les bruits de couloir vont de plus en plus vite.« Disons que j'ai usé de self-défense.- Peu importe. Ce type avait battu sa femme, on va dire qu'il le méritait.Espérons juste qu'il ne porte pas plainte. Je vous ai fait venir car jevoudrais vous proposer un travail à temps plein.- Je...- Je sais, je sais. Vous ne voulez pas de temps plein, mais vous êtes un bonélément et j'aimerais vous voir évoluer.Finir assis derrière un bureau ? Non merci.- J'y réfléchirai.- Merci. Je ne vous retiens pas plus longtemps.- Au revoir.- Bon courage. »

*****Le soir, vers vingt heures, alors que j'avais fini de rentrer mes résultats dujour dans l'ordinateur, et que je finissais de ranger la salle de manips avantde rentrer chez moi, je ne pensais plus du tout à la cave. Mais au momentde retirer ma blouse, ma main rencontra la petite carte de visite, toutechiffonnée, dans ma poche. Alors, au lieu de prendre l'escalier pour monterau bureau, je pris celui pour descendre.C'est curieux comme, lorsqu'on a l'habitude d'un endroit plein de monde, etqu'on se prend à arpenter ce même endroit dans un contexte totalementdifférent, on peut se sentir comme en faute, surveillé. Je ne faisais qu'allerà la cave - j'aurais pu avoir mille prétextes pour y descendre - et pourtant,j'avais l'impression d'être en train d'effectuer une mission d'espionnage dehaut vol.Et si je trouvais quelque chose ? S'il y existait réellement une affairelouche se tramant là-dessous, que je tombais sur une sorte de maffia ?Comment m'en sortirais-je ?Non, c'est ridicule, voyons, ce journaliste était clairement en manque desensations fortes... Hey, si ça se trouve, c'est un mythomane, insatisfait deson travail, qui essaye par tous les moyens de se rendre intéressant...Alors, peut-être que s'il essaye de se rendre intéressant à mes yeux, cela

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 91

Page 95: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

voudrait dire que je lui plais ?Voyons, c'est stupide, c'est juste un looser, un gosse en mal d'aventures...Bon, voici la porte de la cave... Pourquoi ces endroits sont ils toujours simal éclairés ? On se croirait dans un mauvais film.Ma main s'arrêta sur la poignée.Et s'il y avait vraiment quelque chose, qu'est ce que je ferais ? Après tout,ce ne sont pas mes oignons, je ne vois pas pourquoi j'irais mettre mon nezdans les affaires de la boîte......Allons, reprends-toi, andouille, c'est juste une putain de cave !!J'ouvris la porte. Ma main tremblait, je sentais la montée d'adrénaline. Jecherchai l'interrupteur en tâtonnant et le tournai en hésitant. Je ne mereconnaissais plus. J'étais obligée de me tenir à quatre pour ne pas m'enfuiren courant. Lorsque la lumière s'alluma, je sursautai si violemment que jefaillis perdre l'équilibre et tomber dans l'escalier qui s'ouvrait devant moisur la cave pouilleuse.Mais qu'est ce que je fais là... Ce n'est pas possible, de toutes façons, je neserais pas capable de trouver quelque chose... Et si je le trouvais, je seraisencore moins capable d'en faire quoi que ce soit.Je réalisais parfaitement que j'étais en train de paniquer comme uneimbécile, que je me montais le bourrichon toute seule, mais il n'y avait rienà faire. Je ne pouvais plus bouger. Au moins une minute dû s'écouler avantque je ne retrouve mon calme.Bon, de toutes façons, ouvre les yeux, abrutie, il n'y a pas besoin d'êtreDupin pour s'apercevoir que ce n'est qu'une vieille cave mal entretenue...Allez, il n'y a rien à voir, ici, autant remonter.Je descendis pourtant l'escalier. Oui, je sais encore voir mes petiteslâchetés. Une fois mon sang-froid un peu revenu, je me décidai à explorerl'endroit pour me montrer à moi-même qu'il n'y avait pas lieu d'avoir peur.La pièce était plutôt grande, et encombrée de vieilles tables, de chaiseshors d'âge, de planches, de caisses vides et vermoulues. Sur les côtés, je nevis que des étagères recouvertes de journaux dont les pages avaientsédimenté, et des toiles d'araignée. Une blatte américaine longue de troiscentimètres s'enfuit alors que je soulevai une planche.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 92

Page 96: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il n'y avait rien. Qu'aurais-je dû faire, sonder les murs ? J'en étais à ce stadede ma réflexion quand je remarquai une petite porte, derrière un amas deplanches. Ma respiration s'arrêta.Bien sûr... Cette cave doit être aussi grande que l'étage au dessus...Le courage commençait à me manquer, à l'idée de l'étendue à fouiller. Plusça allait, plus je me trouvais ridicule.J'ouvris quand même la porte. Elle donnait sur une pièce encore plus vasteque la précédente, et tout aussi pleine de fatras. Là, je trouvai de vieillesarmoires en tous sens, des tabourets hétéroclites, un vieux coffre-fort hautcomme un homme, des chiffons...Je regardai un peu partout, sans conviction. Je cherchais plutôt desdossiers, alors j'ouvris les tiroirs, déplaçai les meubles...Lorsque j'en arrivais au coffre-fort, la première chose que je me dis fût : Ilsont dû en chier pour transporter ce truc énorme jusqu'ici. Ils auraient dûle laisser dans l'autre pièce...Tout à coup, ma pensée se figea et mon cœur s'arrêta de battre. Cette piècen'avait qu'une seule issue : la petite porte par laquelle j'étais entrée, j'avaisbien vérifié. Comment un aussi gros coffre avait-il pu passer par cetteouverture, alors qu'il était plus large et plus haut d'au moins cinquantecentimètres ?Je m'approchai pour le regarder de plus près. Il était étroitement posécontre le mur. Très étroitement. En fait, il était collé au mur, comme s'il enfaisait partie.Et si ce n'était pas un vieux coffre ?Il existait un moyen de savoir si ce coffre devait définitivement êtreconsidéré comme « quelque chose de louche », et je savais lequel. J'avaisun petit tube de colle forte dans ma poche. J'en plaçai une goutte sur laporte. Puis je posai un cheveu sur la goutte, et le fixai sur le chambranle dela même manière. Je testai : si la porte était ouverte, le cheveu casseraitplutôt que de se décoller. Je reculai de quelques pas : ça ne se voyait pasdu tout.Le cœur battant la chamade, je remontai quatre à quatre, attrapai mesaffaires au vol dans mon bureau, et sortis.

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 93

Page 97: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Une nuit agitée. Deux interventions sur des traumatismes crâniens. Uneréanimation. Des plâtres, des sutures, des perfusions. Du soutien moralenvers les familles. Des poignées de main et, heureusement, pas de décès.Je rentre chez moi à 10 heures du matin. Je m'effondre sur le lit.Je rêve de Chloé, de notre dispute... Puis le noir. Elle réapparaît et me ditquelque chose que je n'entends pas. J'essaye de me concentrer sur seslèvres.« Ysh'tar... »Elle me parle d'Ysh'tar, mais pourquoi ? Et qu'est ce que c'est, d'abord ? Leréveil fait son office.On est vendredi, il est 14 heures, j'ai l'impression qu'un semi-remorques'est servi de ma tête comme d'une voie express.Merde. Il faut que je repasse au « Chat Bleu ».Après un rafraîchissement rapide, je prends la direction du salon de thé.Toujours déguisé, bien sûr.« Henry.- Léo.- Il est revenu, l'autre type ?- Il t'attend depuis ce matin, 9 heures.- Et bien ! Il y tient, à ce contrat ! »Je me dirige vers lui. Et je vois une mallette métallique avec un logo « Y ».« Ah ! Vous êtes là ! »Il me voit regarder la valisette.« C'est ma mallette. Celle où je mets l'ordinateur portable que vous voyezsur la table. »- Que veut dire le « Y » imprimé ?- C'est le logo de la boîte qui nous chapeaute : « Ysh'tar ».- Jamais entendu parler. »Polames fait une moue de déception. Je m'assois. Dure journée enperspective.Il tourne son portable vers moi.« Vous avez ici toutes les preuves de sa culpabilité. »Je vois des photos où le journaliste serre la main à différents types.« Ce sont des mafiosi ?

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 94

Page 98: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Absolument. Il revend des renseignements sur l'entreprise où je travaille àdes boîtes concurrentes. »En fait je les regarde sans grande attention. Mon seul intérêt porte surYsh'tar.« Effectivement, ce sont de belles preuves. Vous avez dû travaillerlongtemps pour les fabriquer, dis-je, le menton enfoui dans ma main droiteet le coude appuyé sur la table.- Mais non, elles sont authentiques ! essaye-t-il de se justifier.- Faites moi une copie sur CD de ces photos.- Tout est dans l'enveloppe ainsi qu'une sortie papier, dit-il en sortant uneenveloppe kraft de format A4 de sa mallette.- Je serai bref. Je prends le contrat, mais les trois quarts payés d'avance. Sivous me doublez, je m'occuperai personnellement de vous. »Le type déglutit.« Ok... Channoir. »Je souris.« Bien. Je commence dès que je reçois mon premier versement.- Mais je l'ai là, monsieur Chanoire. »Il met sa mallette sur la table.« Un double fond ? Astucieux.- On n'est jamais trop prudent. »Je me retourne.« Henry, apporte moi un sac, s'il te plaît ! »Henry me donne un sac à dos noir.J'enfourne les liasses de billet dans le sac en les comptant sous l'œil dePolames.« Nous sommes arrivés aux trois quart, lui dis-je.- Vous êtes le meilleur et le moins cher du marché, Chat Noir. On avaitprévu plus.- Je ne suis pas un voleur, voyons.- Mes employés veulent des résultats avant le milieu de la semaineprochaine. »Il me tend l'enveloppe kraft.« Vous les aurez. »Je la prends. Polames se lève et s'éloigne.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 95

Page 99: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Henry s'assoit à côté de moi et me tend une tequila.« Tu n'as pas le temps de te reposer.- Le crime est rarement au chômage. Et puis j'ai rien d'autre...- Tu nous as, nous. »J'esquisse un sourire.« Justement. Il faut bien que je vous entretienne. »Nous éclatons de rire.Je quitte le « Chat Bleu », deux heures après mon entrevue avec Polames.Je rentre chez moi. Mon GSM sonne.« Allo ?- Baka gaijin ! Tu ne m'aimes plus ?Merde je l'avais oublié.- Mais si voyons, tu sais bien que tu es le soleil jaune de ma vie.- Fiche toi de moi !- J'allais justement te voir.- Je t'attends » dit-il en raccrochant.Je regarde mon lit moelleux... Snif ! J'espère te revoir bientôt.Le Prof et moi, c'est une longue histoire. Il travaille pour moi. Cependant,notre relation est plus amicale que professionnelle. Je lui ai sauvé la vieplusieurs fois et je lui en dois quelques unes.Son atelier se situe au 50, rue du Disque, dans le 13ème arrondissement, la« Chinatown » de Paris.La rue du Disque a cette particularité de passer sous le centre commercialchinois. Avec son trottoir ridiculement petit, on a plus l'impressiond'accéder à un parking par la voie d'entrée des voitures qu'à une rue.Je sonne sur l'interphone.« Qui c'est ? me jette agressivement le haut-parleur.- Ton seul ami. »Il rigole.« C'est justement parce que j'ai toi comme ami que je n'ai pas d'amis ! »La porte s'ouvre.« Philosophie orientale », je suppose...L'escalier qui mène à son « antre » est étroit, avec des caméras à chaqueangle. Des lampes en forme de dragon sont accrochées aux parois. Bonjourle stéréotype !

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 96

Page 100: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Léo San ! »Me voila pris dans l'étreinte d'un bouddha d'un mètre cinquante de hauteur.« Salut Prof ! Je vous ai manqué à ce point là ? Je ne me suis absenté quedeux semaines.- Oui, mais deux semaines importantes ! J'ai fait de nouvelles inventions. »Il m'entraîne, non le mot n'est pas assez fort, il me tire vers son atelier.Le professeur Makasazi est un génie en électronique et en biomécanique. Ila décidé de travailler pour moi quand je l'ai sauvé d'une organisationbaptisée le Phénix. Une dette de sang en quelque sorte. Avec Chloé, on luiavait trouvé un appartement qui s'est bien vite transformé en atelier. Unendroit qui ferait baver d'envie des entreprises comme l'O.C.P. ou Skynet !J'entre dans la pièce en évitant les pièces mécaniques qui pendent. Je mecogne à ce qui ressemble à une jambe. Je grommelle.« Tu ne peux pas ranger ta chambre, petit ? »Il sort une pochette en cuir plus longue que large du tiroir d'un établi.« Regarde » me dit-il en exhibant victorieusement son invention.« Dans cette pochette, tu as tout pour te libérer si tu es attrapé : fiole acide,rossignol, plusieurs bump keys... Indétectable !- Un ticket de carte orange aussi ?- Moque toi ! Retire ton pantalon !- Je te demande pardon ? !- Ne t'inquiète pas, ton rouleau de printemps ne m'intéresse pas ! Je vaisfixer ça sur ta jambe.- Hey ! Je n'ai pas dit que je te le prenais !- Moi je te dis que si ! »Ça ne sert à rien de discuter avec lui.« Ok !... Ok ! »Je défais ma boucle de ceinture, résigné. Et je descends mon pantalon entoile. Je m'assois dans son fauteuil de dentiste.Il ferme son « kit d'évasion », puis le place dans un boîtier de soninvention. Il tourne un bouton situé sur la gauche de la boîte. Elle émet unevibration puis se lance dans un ronflement qui pourrait concourir aveccelui de mon senseï. Il se lave les mains, s'équipe de gants stériles, puissort le kit après le son de cloche de la boîte. « C'est propre, maintenant »,précise-t-il.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 97

Page 101: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il revient vers moi en poussant un petit chariot encombré d'instrumentsdivers, et passe une compresse imprégnée de Bétadine sur ma jambe. Çafait une tache marron...Ensuite, il passe une noisette de crème.« C'est pour que t'aies pas mal, petite nature. »Il se munit d'un scalpel stérile puis s'approche de moi.« Ce n'est pas que je m'inquiète, mais... »Il se penche. Il prend des compresses. Il trempe une gaze dans l'alcool etl'applique sur le haut de ma cuisse.« Ça va faire peut-être un peu mal...- Comment ça ?- Tu vas bien voir.... »Il fait une entaille de la longueur de son étui dans ma jambe droite. Uneviolente douleur se propage dans tout mon corps et principalement dansma cuisse. Il éponge le sang avec des compresses.« PUTAIN ! T'es malade ! Qu'est ce que c'est, ton anesthésique ? Il estpérimé ou quoi ? J'aurais eu moins mal en le faisant moi-même !!- Arrête de bouger ! Vous êtes vraiment douillet, vous les Occidentaux. »Lorsqu'il a finit de faire l'entaille, il badigeonne sa pochette avec un je nesais quoi de son invention puis l'introduit dans ma plaie. Doucement.Lentement.Je serre les dents.« Très... Hygiénique...- Ne t'inquiète pas c'est stérile. Au pire on te coupera la jambe et je t'enferai une bionique. »Je ne peux m'empêcher de laisser échapper un rire nerveux.« Tu regardes trop la télé, professeur Goodman... »A la fin de l'opération, on pouvait encore voir l'étui au centre de la plaie.« Très discret, ton truc. - Attends. »Il va chercher dans la pièce d'à côté une sorte de gel couleur peau. Il lechauffe. J'en transpire d'avance. Il me regarde et dit :« Tu aimes les épilations ? »Avant que je puisse répondre, il l'applique. Mes mains arrachent le hautdes accoudoirs de la chaise.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 98

Page 102: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Yearrgh !!! »Il l'étale le long de la plaie, consciencieusement.« Au moins c'est cautérisé.- M... M... Merci... Je... suis... rassuré.- On va attendre deux petites heures. »Il amène une chaise à côté de moi. Puis il va chercher une bouteille deSaké et deux soucoupes sans filles nues au fond. Il verse le saké dedans etm'en tend une.« Tiens bois, ça te changera de ta saloperie mexicaine. »Je prends la soucoupe.« Merci. »On reste cinq minutes à regarder notre soucoupe. Puis, d'un ton enjoué, ilme dit :« Avec ça dans ta cuisse, tu pourras t'évader de n'importe quel endroit !- C'est gentil. Mais si j'ai les mains liées ? - ... Je n'y ai pas pensé... J'aurais peut-être du te le greffer dans le bras.- C'est bon ! Pourquoi tu ne me construis pas plutôt une montre laser,comme James bond ? - Stupide ! Tu crois encore à ça, à ton âge ?- Je te rappelle que j'ai déjà affronté un robot géant. Mais c'est vrai, tun'aurais pas pu me montrer tes talents de sadique. »On avale nos coupelles respectives.« Je suis inquiet pour toi.- Prends un ticket et fais la queue.- Je t'ai vu en rêve.- J'avais mon pantalon ?- Ne plaisante pas ! » me dit-il, avec des larmes dans les yeux.Je perds mon sourire.« Tu affrontais Chien Fou dans une salle avec des cuves. Dedans, il y avaitdes êtres vivants. Je les voyais car la pièce était éclairée successivementpar des arcs électriques bleus et rouges.- Et ?- Mon imbécile de chat m'a réveillé.- Pas grave, on attendra la rediffusion.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 99

Page 103: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Je t'ai fait de nouvelles balles perforantes. Méfie-toi, elles possèdent ungrand recul.- Pour mon fusil.- Oui, pour lui. Sinon, tu peux les envoyer avec les mains, mais je ne suispas sur que ça marche pareil...- Merci.- J'ai enregistré « les feux de l'amour », cet après midi. Je vais te montrerl'épisode. Il est très instructif.- Pitié !- De toutes façons, tu en as pour deux heures au moins. »Ma première pensée est d'essayer tout de suite son kit d'évasion.Deux heures plus tard, je laisse le prof avec Darcy et Jean-Louis, qui aubout de 10 ans se demandent toujours s'ils s'aiment, pour rejoindre mon lit.Mon doux lit.Avec les comprimés que j'ai ingurgité, la douleur est passée. Je m'endorsprofondément.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 3 100

Page 104: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

CHAPITRE 4

Je rêvais que je tombais. Je me trouvais dans un champ, en train depique-niquer avec Lui, et peut-être aussi d'autres personnes. Tout allaitbien, le ciel était clair, il y avait des fleurs partout. Tout à coup, le vents'était levé, et j'avais vu que d'énormes nuages noirs d'orage s'étaientaccumulés au dessus de nous. Partout, des voix disaient « Fuyez, c'estdangereux, il ne faut pas rester sous un orage en plaine, c'est dangereux ! »Nous essayions de ranger, mais le vent dispersait tout, et le tonnerre se mità gronder. Tout à coup, une rafale, l'emporta, Lui, et il s'éloigna en hurlant.J'essayai de courir à sa poursuite, pour le rattraper, le ramener à moi, maisil s'envolait toujours plus haut. Soudain, la foudre tomba sur Lui, et je susqu'il était mort. Je continuai à courir, mais le sol s'ouvrit sous mes pieds :j'étais au bord d'une falaise.Je tombai en chute libre.Je me réveillai en sursaut. Il faisait encore nuit, et je sentais les larmes surmes joues. Mon T-shirt était trempé, et mes cheveux collés par la sueur. Jeme levai comme un automate, pour me laver les mains. Je me passaiensuite un peu d'eau sur le visage, puis m'assis sur une chaise, et pleurai àchaudes larmes. La pluie battait la fenêtre. Je bus un fond de whisky avantde me recoucher, et de me rendormir d'un sommeil sans rêve.Au matin, lorsque j'ouvris les yeux, toutes mes pensées étaient occupéespar le mystérieux coffre-fort. Je me sentais curieusement excitée, et enmême temps parfaitement stupide. À la lumière grisâtre du matin filtrantau travers des rideaux, mon attitude de la veille m'apparaissait ridicule. Jem'étais vraiment fait un film, et je pouvais être heureuse que personne nem'ait vu agir comme ça. Et pourtant, ça aurait pu être intéressant, s‘il yavait réellement eu des choses bizarres dans ce coffre... Des documentscompromettants... Des comptes frauduleux... que sais-je ?Bah, de toutes façons, je verrais bien lundi...De fait, je passai un week-end plutôt vif, pour une fois. D'ordinaire, samedicomme dimanche, je traînais un peu d'une tâche à l'autre... je me promenais

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 101

Page 105: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

de longues heures dans la ville, de préférence dans les quartiers pas tropanimés, jusqu'à avoir mal aux pieds et qu'il ne reste plus rien d'autre à faireque manger et aller me coucher. J'aimais bien ces promenades. Je regardaisles gens, leurs façons de faire, de se comporter entre eux. Et puis je dînaisdans une pizzeria, parce que je n'avais jamais envie de préparer à manger.Mais ce week-end là, je changeai un peu mes habitudes. Tout d'abord, jefis le ménage, ce qui n'était pas un luxe, vu qu'avec le nombre de moutonsque je réussis à trouver un peu partout, j'aurais pu faire fortune en melançant dans l'élevage ovin. Ensuite, je fis une lessive, et en profitai pourbalancer les fringues trop usées qui traînaient sur une chaise depuis unmois, dans un coin de la chambre.Lorsque j'eus fini, il était quinze heures passées. Je décidai d'aller faire mapromenade habituelle au pas de course, mais dans les bois cette fois ci. Jerentrai épuisée, dégoulinante de sueur, mais assez satisfaite. On est peu dechose. Je dormis comme une masse.Le dimanche fut plus calme. Je pensais sans arrêt au coffre-fort dans lessous-sols du labo. Je me sentais un peu bête de m'être fait peur toute seuleen allant à la cave. Cette recherche m'apparaissait complètement stupide.Le journaliste espérait manifestement trouver des petits hommes verts dansdes erlenmeyers, et j'avais utilisé un truc de James Bond pour vérifierl'utilisation d'un meuble tellement vieux que tout le monde avait voulu s'endébarrasser et qu'il s'était retrouvé à la cave. Ridicule.La porte trop petite ? Il pouvait y avoir mille explications... Si ça se trouve,elle avait été refaite après le passage du coffre... De grands travaux avaienteu lieu cinq ans plus tôt dans tout le bâtiment... Elle avait dû être modifiéeà ce moment là...Pourtant, lundi matin, l'une des premières choses qui me vint à l'esprit futde descendre à la cave. Véro et Lucas étaient absents. En regardant legrand calendrier pendu au mur, je vis qu'ils avaient pris deux semaines devacances. Tant mieux... deux tronches de cons en moins à regarder, c'étaittoujours ça de pris, mais il en restait encore pas mal, surtout le lundi.J'avais reçu de nouveaux échantillons à analyser, comme l'indiquaient lesbons posés à côté de mon ordi. Tiens tiens, un test de chorée deHuntington... On n'en avait pas souvent, il faudrait que je me renseigneprécisément et que je commande le bon kit. C'était le seul avantage de mon

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 102

Page 106: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

poste : j'héritais de tous les cas qui sortaient de l'ordinaire, les tests que l'ondevait faire en petite quantité, voire à l'unité.Il fallut attendre la fin d'après midi, vers dix-sept heures, et que tout lemonde soit parti, avant de me rendre à la cave. En pleine journée, c'étaitnettement moins impressionnant. Heureusement que personne de m'avaitvue le vendredi soir, ou j'aurais été la risée de tout le labo. J'en souriaisintérieurement en franchissant la première porte, puis la deuxième.Mon sang se glaça quand je constatai que le coffre-fort avait été ouvertpendant le week-end.

*****J'ouvre les yeux. D'après mon réveil, nous sommes le samedi matin... Cettenuit sans rêves m'a fait du bien. Je boîte encore et mon muscle estdouloureux comme si j'avais fais un marathon. Je jette un regard mornevers l'enveloppe que Polames m'a donnée.Ça pue le coup foireux.Je m'occuperai sérieusement de ce contrat lundi, à condition que je trouvede vraies preuves de sa culpabilité. Si je m'écoutais des fois, je rigolerais.Un tueur à gage avec des principes.Je prends la direction du cimetière où repose le cercueil de Chloé. Uncercueil vide. Je pourrais retrouver sa tombe les yeux fermés. Troisièmeallée à gauche, l'avant dernière tombe. Je dépose un lys noir que j'ai achetéau fleuriste du coin. C'était son nom de code.Il est midi quand je quitte le cimetière pour le Chat Bleu. Il y a du monde.À peine arrivé, je reçois un coup de fil d'Éric, mon pourvoyeur officiel defigurines.« Léo ?- Je t'écoute.- Je t'ai récupéré une Wonder Woman, elle t'attend à la boutique...- Merci, je passe tout à l'heure. »Je vois Henry en plein rush.« Je tombe mal ?- Non, mais si tu veux qu'on discute, faudra passer plus tard.- Alors à plus tard ! »Je décide d'aller acheter ma figurine et de prendre un petit cadeau pour leprof au passage.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 103

Page 107: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Que lui acheter ? Il a tout ou peut tout se construire. Je chine de boutiqueen boutique jusqu'au moment où, chez un bouquiniste, je tombe sur unexemplaire original de « Vingt Mille Lieues sous les Mers », de JulesVernes. Je le prends sans regarder le prix, puis me dirige d'un pas enjouévers l'atelier de mon ami.Mon téléphone sonne. Tiens, c'est lui.« Léo-san, je viens de recevoir un truc extraordinaire !- Moi aussi.- Ah bon ?- Passe à la maison, on mangera ensemble. J'ai commandé deux pizzas.- Tu savais que j'allais venir ?- Non. C'était pour mon chat...- Ton chat mange des pizzas ?- Mais non imbécile c'était une blague !- Et c'est quoi ton truc extraordinaire ?- Un ami m'a envoyé un exemplaire original de « Vingt Mille Lieues sousles Mers », de Jules Vernes. Depuis le temps que j'en rêvais !!!- ... »Je regarde le livre que je tiens dans les mains.« Allô ? Allô ? T'es toujours là ? - Ouais, j'arrive chez toi dans vingt minutes.- Ok. Sayonara !- C'est ça ! »Je suis dégoûté. Si je n'aimais pas les livres, je l'aurais jeté à la poubelle. Jerentre dans une boutique de chocolat et lui achète une boîte de différentessucreries chocolatées.Pendant que la caissière me sert, je me sens observé. Je fais volte face.C'est une gamine de huit ans qui me regarde fixement. La caissière voitmon geste et dit :« C'est ma fille. Excusez la... »Je m'agenouille pour être à sa hauteur :« Ce n'est rien. Tu t'appelles comment ?- Aylia.- C'est un joli prénom. Tu aimes lire ? »Elle me fit signe que « oui » en souriant.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 104

Page 108: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Tiens, un cadeau pour toi. »Je lui offre le livre de Jules Vernes.Elle écarquille les yeux d'émerveillement et le prend comme si je luidonnais une bouteille de nitroglycérine, désolé pour la métaphore.« Mais, Monsieur... » commence la caissière.Je lève la main droite en me relevant.« Ce n'est rien, ça me fait plaisir.- Merci » fit Aylia.Je paye malgré les protestations de la caissière et prends ma boîte dechocolat. La gamine était déjà en train de lire, en touchant avec son indexles illustrations du roman. Je souris et me rends au rendez-vous du prof.Lorsque je tends le paquet de chocolat, il me dit en souriant :« Tu aurais pu trouver plus original, merci quand même. »Lorsqu'il se retourne pour déposer le paquet, je fais semblant de vouloirl'étrangler.Il m'invite à m'asseoir. Il a fait chauffer les pizzas dans son four rafistolé,et ça sent bon jusque dans la rue.On évoque le bon vieux bon temps. Je ne le quitte que vers quatre heurespour aller voir Éric.Il a déjà emballé la figurine. Je le paye en le remerciant avant de filer auChat bleu.Le calme est un peu revenu. Je parle avec Henry, de tout et de rien. Aumoment de payer, je m'aperçois que je n'ai plus d'argent sur moi. Henryrigole et m'offre le repas. Je lui promets que je le rembourserai mais me ilme coupe : « C'est la maison qui régale ! »Heureusement que je ne suis pas vendeur dans un petit magasin de disques,sinon je ne pourrais pas maintenir mon rythme de vie. Après avoir déposéma résine de Wonder Woman dans ma vitrine, je me rends à l'hôpital pourune garde de nuit. Il me faudra dormir tout le dimanche pour compenser,d'autant que je recommencerai dimanche soir.Le lundi matin, je suis éreinté, mais heureux de m'endormir dans mon lit.Midi.Je me réveille et me déplace lentement. J'atteins la salle de bain presque enrampant. Je ne boîte plus. Tant mieux.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 105

Page 109: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je me lave. L'eau chaude me fait du bien. Je regarde ma cuisse droite. Leprof a fait du bon boulot. L'entaille me fait penser à une cicatrice referméedepuis des années. Je passe mon doigt dessus. Je sens une légère bosse.Son gel est efficace.Mon GSM me tire de ma rêverie. J'achève ma douche et je m'habille. Jeconsulte ensuite mon répondeur. Norman.« Léo, j'ai entendu dire que Céline était en France. À Marseille, je crois.Fais attention. »Super ! Il ne manquait plus que ça. De toutes façons, il faudra bien que l'ons'explique un jour ou l'autre.J'ouvre la chemise en carton que m'a remis Polames et en fais glisser lecontenu sur la table. Trois photos en noir et blanc de taille 10*15 tombenten premier. On peut y voir ma cible vaquant à des occupations diverses.Une où il est en train de faire ses courses, une à un match de football et uneà la sortie de son journal. Quelle chance ! Une photo A4 - et en couleur s'ilvous plaît - suit, avec les mots « Laurent ASMULDET » écrits au dos.Il n'a pas l'air féroce. Il me fait plus penser à un Peter Parker avant morsured'araignée qu'à un caïd...Aaah !! Et la fameuse photo que Polames m'a montrée au café. Cette soidisant preuve de sa culpabilité est... Parfaite ! Après tout, on ne doit pas sefier aux apparences. Ce truand sur la photo... Sa tête me dit quelquechose... Peu importe.Ça devrait être rapide, je vais me rendre à son boulot et me renseigner surlui. Si je trouve quelque chose, je l'attendrai à la sortie, le suivrai et letuerai chez lui.

*****J'étais sorti du labo sans encombres. Ensuite, je me rendis au journal, pourterminer ma page hebdomadaire.J'avais donné mon numéro de téléphone de bureau à Viktorka. J'y restaijusqu'à vingt heures trente en espérant qu'elle m'appellerait, jusqu'à ce queLaureen me jette dehors.Ensuite, suivit un week-end sans fin. J'étais démoralisé, et renvoyaiplusieurs fois Anna sur les roses sans raison véritable. Quand elle fut aubord des larmes, je lui présentai mes plus plates excuses et invoquai laraison du chamboulement émotionnel dû à l'enlèvement de mon ami. Je

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 106

Page 110: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

sais, ne dites rien, c'était pathétique.Le coup de fil tant attendu vint dès le lundi en fin d'après midi, alors quej'en étais déjà à envisager une infiltration nocturne en solitaire. J'étaissurexcité.« Vous avez trouvé ?- Euh... Eh bien, j'ai peut-être quelque chose, mais je préférerais vous enparler de vive voix, vous comprenez...- Bien sûr... Puis-je vous rejoindre ?- Comment ça, maintenant ? Mais je suis au labo, là... »Appeler du cœur même du labo ? Si les lignes étaient surveillées, je nedonnais pas cher de notre peau à tous les deux...« Vous m'appelez du laboratoire ?- Euh, oui, mais de mon portable, en fait...- Vous savez, vous ne devez pas sous-estimer ces gens-là... »Si elle avait su de quoi ils étaient capables, elle ne l'aurait pas pris autant àla légère...« Ne vous inquiétez pas... Vous voulez me rejoindre ici ? »Je réfléchis quelques secondes. Ça sentait le piège. D'un autre coté, ils nem'avaient jamais vu avant la poursuite en voiture et j'étais quasimentcertain qu'ils ne pouvaient pas m'identifier. Je me souvenais de mes ArsèneLupin. C'est souvent dans la gueule du loup qu'on est le plus en sécurité, sile loup ne sait pas qu'on est comestible...« Je ne pense pas que ce soit un endroit pire qu'un autre, en surface.J'arrive dans vingt minutes. »Voilà, ça y était. Soit j'allais mourir et me faire piéger comme un bleu, soitj'allais enfin en apprendre un peu.Je descendis l'escalier en courant, et Laureen cria : « Hé, où tu files commeça ? !- À Anatech ! Enquête en cours !! »Merde, je n'aurais pas du lui dire, c'est sorti par réflexe... songeai-je encontinuant à courir.Bah, avec un peu de chance, elle n'aura rien entendu...Je faillis renverser le patron dans l'escalier. À peine le temps de grommelerune excuse et je fus dans la rue.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 107

Page 111: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Au bout d'une dizaine de minutes de marche et autant de bus, j'arrivaidevant la grille d'Anatech. On m'ouvrit quand je donnai mon nom.Dans le hall d'entrée, la réceptionniste me fit signe de monter. « On vousattend en haut... Vous connaissez le chemin, n'est ce pas ? »Elle avait un curieux sourire en disant cela, qui accentua encore monimpression de malaise. N'étais-je pas en train de me jeter dans lesmâchoires du piège ?Le bureau de Viktorka était fermé. Je frappai doucement.« Entrez ! »Elle était seule, assise à son poste. Rien dans son attitude ne laissaitsuspecter de coup fourré quand je lui serrai la main.« Bonjour. J'ai couru aussi vite que possible après votre coup de fil, vousavez trouvé quelque chose ? »Elle soupira. « Je suis allée faire un tour à l'étage moins quatre. Du couloirnord, il y a un escalier qui permet de descendre à la cave. Je l'ai empruntévendredi soir. »Je retins ma respiration.« C'est un débarras qui s'étend sur plusieurs pièces, mais quelque chose departiculier a retenu mon attention. Il s'agit d'un vieux coffre-fort, entreposéau fond. Je suis sûre qu'il a été ouvert pendant le week-end.- Comment ça ?- Je... J'avais mis en place un petit fil... »Elle rougit légèrement.« Un fil en travers de la porte, et il a été cassé pendant le week-end. Il estpossible que des documents secrets soient contenus dans ce coffre. Je nesais pas si c'est le genre de « truc louche » que vous espériez découvrir ausous-sol, mais en tout cas, ça m'a paru bizarre. Que cherchez-vousexactement ? »Il était possible que l'on tienne un début de piste. Je me décidai à lui faireconfiance. Il était temps de lui dire la vérité.« Je... Je ne sais pas exactement ce que je cherche, mais je crois que jepeux vous raconter la vraie raison de ma venue ici... »Elle me laissa parler, m'interrompant de temps en temps pour poser desquestions. Son visage reflétait une grande concentration, mais aussi unecertaine incrédulité, surtout qu'en j'en vins au point douloureux des

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 108

Page 112: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

empreintes digitales.A la fin, elle poussa un grand soupir, et se rassit à sa table en réarrangeantune mèche de cheveux échappée de sa natte. Elle me regarda dans lesyeux. Son regard était si froid que je me raidis.« Et il ne vous est jamais venu à l'idée que je pourrais faire partie de laconspiration, et n'être là que dans le but de vous neutraliser ? »Oh si, j'y avais pensé, et la tête me tourna à l'idée que ce pouvait bien êtrevrai. Je pris le temps de respirer lentement une fois ou deux avant derépondre :« J'y avais pensé, mais je crois que si ça avait été le cas, vous ne m'auriezpas laissé sortir, la première fois que je suis venu. En plus, vous êtes laseule piste dont je dispose. »Elle resta immobile plusieurs secondes avant de dire :« Je vois... »Elle se releva et sourit. Je n'étais pas tout à fait rassuré. Quelque chosechez elle me mettait toujours mal à l'aise.« On peut aller jeter un coup d'œil à la cave si vous voulez, dit-elle enavançant vers la porte.- Vous pensez qu'on peut y aller sans attirer l'attention ?- J'y suis allée deux fois ces derniers temps...- Non, il y a trop de monde... Il faudrait venir de nuit.- Cette nuit ? Tout sera fermé.- Vous devez avoir des codes d'accès aux bâtiments, non ?- Hum... oui, mais bon, ça ne me plaît pas trop. Qu'est ce qui me dit quevotre histoire est vraie ? »Elle me prend pour un doux dingue.Paradoxalement, cela me rassura sur son compte à elle. Si elle n'avait pasconfiance en mon histoire, elle ne pouvait pas être de mèche avec leskidnappeurs de Jérôme. Il fallait que je lui donne une preuve pour qu'ellecomprenne que je n'avais rien inventé. J'avais apporté des copies desclichés que Jérôme m'avait donnés sur le braquage. Elle les étudia avecminutie. Ses sourcils se froncèrent. J'en déduisis qu'elle était prête à mecroire.« Ce n'est pas grand-chose, ce que je vous demande. Un soir, on vient ici,comme si vous aviez oublié vos clefs de maison et que vous reveniez les

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 109

Page 113: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

chercher, et vous me montrez la cave. Si on ne trouve rien, on ressortcomme si de rien n'était. Où est le mal ? »Elle nota son numéro de portable sur une feuille. Nous sortîmes de sonbureau, et elle me la tendit. J'aurais préféré qu'on n'échange pas de papier àla vue de tous.Soudain une voix s'écria : « Hey, vous !! » et je crus que j'étais découvert.Heureusement, ce n'était qu'une femme qui interpellait un livreur venantvers nous.« Oui ?- Ce paquet, ce n'est pas le kit d'extraction que tu attendais, Viktorka ? »Le moment était venu de partir.

*****« Allo ? Monsieur Asmuldet ?- Oui, qui est à l'appareil ?- Viktorka Salix, d'Anatech.- Ah oui ! Vous avez trouvé ? »Cet enthousiasme de gamin... On dirait qu'il pense que je vais lui révélerqu'il y a une raffinerie d'héroïne dans la cave du labo...Il me faisait penser à un jeune chien qui vient de trouver un os. Il voulaitabsolument me rencontrer immédiatement, pour que je lui détaille monhistoire par le menu.Curieux, vraiment, ce mec qui veut dépister un complot, et donnerendez-vous à son contact au cœur même du lieu suspect..« Je ne pense pas que ce soit un endroit pire qu'un autre, en surface.J'arrive dans vingt minutes. »Pas un endroit pire qu'un autre... Quand même la gueule du loup, monpote, si tu crois à la moitié de ce que tu sembles dire... Enfin... c'estpeut-être une stratégie que n'aurait pas désavouée ce cher Dupin.J'appelai l'accueil pour les prévenir de son arrivée, afin qu'il ne soit pasimmédiatement refoulé.« Ah oui, le journaliste de vendredi dernier... Il a oublié quelque chosechez vous ?Quelle curieuse ! Est ce que je m'occupe de ta vie, à toi ?- Non, c'est moi qui ai oublié de lui donner une brochure sur le labo. Vouspourrez le faire monter ici directement ?

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 110

Page 114: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Ne vous inquiétez pas, je vous l'enverrai dès qu'il arrivera. »C'est quoi ce petit gloussement en fin de phrase ? De quoi se mêle-t-elle,cette espèce de vieille pie ?En l'attendant, j'eus un peu de mal à me concentrer sur mon travail. Jeregardais mes mails pour la n-ième fois, lorsqu'un léger grattement se fitentendre à la porte.« Entrez !Il entra comme une furie, les cheveux en bataille, et posa son sac sur lecoin de mon bureau, derrière une pile de classeurs.Et voilà mon journaliste, rouge comme une tomate et tout essoufflé !! Bonsang, il faudrait qu'il pense à utiliser un déo plus efficace !Il était tout débraillé, avec un vieux jean, troué au genou gauche, et un pullinforme. Pourtant, malgré son visage tendu, ses yeux bleus brillaientd'excitation.Et s'il y avait un trafic ici, mon gars, et que je fasse partie du gang,comment te sortirais-tu de ce guêpier ?Je poussai un soupir et lui racontai ma découverte.« Je ne sais pas si c'est le genre de « truc louche » que vous espériezdécouvrir au sous-sol, mais en tout cas, ça m'a paru bizarre. Que cherchez-vous exactement ? »Il était devenu très pâle, pendant que je lui narrais ma petite aventure.« Je... je ne sais pas exactement ce que je cherche, mais je crois que jepeux vous raconter la véritable raison de ma venue ici... »Véritable raison ? L'autre jour je t'ai expliqué des trucs pendant une heurepour des prunes ?Il inspira profondément, et s'assit sur une chaise.« Il y a quelques jours, un de mes amis a été enlevé. Il était policier. Ilenquêtait sur une affaire de hold-up à la BNF... C'était dans tous lesjournaux, vous avez dû en entendre parler... Bref, un des malfrats avait untatouage sur le poignet, un tatouage unique... Et sa main a été retrouvée parun SDF, peu de temps après le braquage.- Comment savez vous qu'il s'agit de sa main ?- On peut voir le tatouage sur une vidéo de la caméra de surveillance, justeavant qu'ils ne la fracassent. Le type avait eu la main éraflée par une balleet avait soulevé son gant, sans se rendre compte qu'il était en dessous de la

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 111

Page 115: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

caméra. C'est bien sa main blessée qui a été retrouvée, coupée au niveau dupoignet...- Si c'était pour ne pas être identifié, il aurait été plus simple de fairedisparaître le tatouage, non ?- On pense qu'il aurait pu s'agir d'une sorte de punition, parce que le garsétait vraiment maladroit, et qu'il avait failli faire rater le hold-up. En toutcas, la police a fait faire une recherche d'identité par analyse de l'ADN...- Alors vous vous êtes moqué de moi, l'autre jour, en jouant les naïfs...vous saviez parfaitement comment ça marche, ces analyses...- Euh, non, je savais le nom, mais je vous assure, j'ai beaucoup appréciévos explications parce que j'ignorais tout du mécanisme...- Bon... Venez-en au fait.- L'ADN n'a rien donné. Mais les empreintes digitales, si. La maincorrespondait à celle d'un gars qui est mort il y a cinquante ans !Sans blague ! Non mais tu me prends pour qui, à me raconter ces trucs àdormir debout ? C'était Duncan Mc Leod, ton gangster ?- Il y a dû y avoir une erreur... Ou ils étaient deux.- Peut-être... En tout cas, les analyses ont été refaites plusieurs fois, et monami a bien tout vérifié... Il a été kidnappé juste après. Des gens se sontintroduits dans le commissariat, et l'ont enlevé et ont récupéré la main. Jevenais lui rendre visite à ce moment là. Nous étions très proches, et il metenait au courant de l'affaire parce que c'est moi qui avais trouvé la main.Ok, j'ai compris. C'est la caméra cachée. Où est l'objectif, que je lui fasseun doigt d'honneur ?- Comment avez- vous fait ? repris-je.- J'ai eu de la chance. En fait, c'est un clochard qui l'avait récupérée et ilessayait de la refourguer aux passants.- Bref. Ensuite ?- J'ai réussi à prendre les kidnappeurs en filature, jusqu'à ce qu'ilstéléphonent à leur chef.Si la moitié de ce que tu dis est vrai, tu pourrais faire un bon héros deroman...- Et ?- Et c'est là qu'ils ont mentionné le nom de votre labo comme lieu oùacheminer la main.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 112

Page 116: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- C'est peut-être une coïncidence... Juste un lieu de rencontre, que sais-je ?- Non, je ne crois pas. Ils avaient un contact ici. Et je les ai entendumentionner le sous-sol. Plus précisément le niveau moins quatre. »Décidément, il avait réponse à tout. Pourtant, je ne croyais pas un mot deson histoire... Même si le fait d'avoir moi-même découvert quelque chosede bizarre à la cave me troublait plus que je n'aurais voulu l'admettre.Je poussai un autre soupir.« Et il ne vous est jamais venu à l'idée que je pourrais faire partie de laconspiration, et n'être là que dans le but de vous neutraliser ? »J'avais pris soin de mettre mon bureau entre lui et moi avant de sortir ça.Ses lèvres se serrèrent. Il joua son va-tout.« Vous êtes la seule piste dont je dispose. »Bon, eh bien, en tout cas, soit c'est un très bon acteur, soit il est intimementconvaincu de ce qu'il dit.Je lui proposai d'aller voir la cave. Il se remit à respirer. Il se passa lalangue sur les lèvres avant de répondre, de bredouiller qu'en plein jour,avec le monde, tout ça.....Bien sûr, je n'ai que ça à faire... Tu devrais faire des jeux de rôles, plutôtque de te monter des films pareils, ça défoule autant...Il voulait venir de nuit. Autant je voulais bien l'accompagner sur place,autant revenir la nuit... Je secouai la tète.Il sortit une grande enveloppe de sa poche, et me la tendit. « Ce ne sontque des copies que j'ai scannées. »Effectivement, la qualité était mauvaise, mais, après toutes les imagesdiffusées à la télé, je reconnus l'attaque de la banque. On voyait clairementle tatouage sur la main d'un des hommes. Et quant aux autres photos, ils'agissait de celles de la main coupée.Je n'étais pas encore entièrement convaincue, mais l'idée de lui montrer madécouverte me paraissait assez excitante. Et cela me permettrait de tirerl'histoire au clair.« Bon... Je note mon numéro de téléphone sur ce papier. Appelez moi. »Nous sortîmes sur le palier. Le journaliste jeta des coups d'œil nerveux detous les côtés.Pas beaucoup de self-control, hein ? Quelque chose me dit qu'on va faireune jolie équipe...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 113

Page 117: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Je vous appel lerai dès que j 'aurai réuni deux ou trois out i lsd'investigation.- Plaît-il ?- Pas grand-chose... un stéthoscope, des trucs comme ça... »C'est ça, Tintin, n'oublie pas tes jouets.Il me serrait la main quand quelqu'un s'exclama « Hey, vous !! » Nousdûmes faire un bond de deux mètres tous les deux. Un livreur, qui avançaitvers nous, se retourna. « Oui ?- Ce paquet, ce n'est pas le kit d'extraction que tu attendais, Viktorka ? »Ce n'était que Lydia, la technicienne qui travaillait dans la même salle demanip que moi. Je regardai le paquet, que le livreur tendit devant moi avecun sourire charmeur.« Euh, si... si, on dirait bien... »Je fis un signe de la main au journaliste qui s'éloignait.« Si vous voulez bien signer ces quelques formalités...- Euh... Je vous en prie, entrez dans mon bureau... Je vais signer ça. »Il me suivit dans la pièce, et posa le formulaire sur mon bureau. Alors queje l'examinais, le livreur commença à me raconter sa vie.Allons bon, un livreur en mal de conversation. Désolée, pour le social, il ya des organismes adaptés...Je signai le formulaire sans répondre.« Par contre, apparemment, le savoir vivre est en option », marmonna-t-il.Ben voyons... Je ne suis pas payée pour palier à tes manques affectifs, mongars...« Mêlez- vous de ce qui vous regarde...- Waow ! C'était une question, pas une demande en mariage... Il se trouveque j'ai déjà eu l'occasion de travailler dans des laboratoires d'analyse. »Il tapota le colis, avec un petit sourire en coin.« L'extraction d'ADN n'a aucun secret pour moi.Ah oui ? C'est quoi ce sourire de surfeur ? Non mais, quel branleur !« C'est le dernier kit mis au point par Labotech, pour les tests de CFTR... »dis-je pour le faire taire.Son regard s'assombrit.« Mmh... Sale truc, la mucoviscidose. »En effet, ce type n'avait pas dû être livreur toute sa vie.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 114

Page 118: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Moi qui pensais qu'à Anatech, on ne s'occupait que de tests depaternité... » ajouta-t-il.Ce genre de test était effectivement une source de revenus, mais ilsauraient pu rapporter bien plus en étant autorisé en dehors des actions dejustice. Beaucoup de personnes se posent des questions à n'en plus finir surla réelle identité de leur enfant, quand celui-ci n'a pas le même groupesanguin qu'elles, ou une couleur d'yeux différente. Quelquefois, même, desmédecins incompétents en génétique entretiennent le doute. Sans parler des« amis » avec leurs remarques assassines du style « Tu sais, un enfant auxyeux marrons ne peut pas naître d'un couple aux yeux bleus ». Unepersonne m'avait dit ça, une fois, à propos d'un ami. Je lui avais envoyé mamain dans la f igure, pour lui apprendre à se renseigner sur lacomplémentation des gènes.« Vous connaissez bien les habitudes de la boîte..., enchaînai-je, pourdonner le change au livreur qui attendait ma réponse.- Oh vous savez, j'ai les oreilles qui traînent... Et puis, Anatech, c'est quandmême une société importante dans le milieu... D'ailleurs, est-ce qu'ils n'ontpas des liens avec l'armée ?- Je ne connais pas tous les détails des affiliations du laboratoire...- On peut avoir de mauvaises surprises quand on ne connaît pas bien sesemployeurs... »Quelque chose dans le ton du type me fit froid dans le dos. Je songeai aucoffre du sous sol. Et s'il contenait des documents compromettant... pourde vrai ? Des secrets pour lesquels on risquait de se faire TUER ?« Allo la Lune, ici la Terre, me recevez vous ? »Le livreur me regardait dans les yeux, avec un sourire interrogateur.« Euh... je... Vite, trouver quelque chose à dire, n'importe quoi... Vousn'avez pas toujours été livreur, n'est ce pas ?Bravo, c'était nul. Ça c'est l'art de détourner les conversations...- Bah, vous savez, on a tous plusieurs cartes dans son chapeau... Le garsavec qui vous discutiez tout à l'heure, c'était votre petit ami ?- Non ! Euh je veux dire... non, pas du tout...Super. Le scénariste ne m'avait pas dis qu'aujourd'hui c'était une comédieà l'eau de rose...- Donc vous êtes libre pour aller boire un verre ce soir ? »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 115

Page 119: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Alors ça, c'est dingue. Un livreur en mal de conversation, qui me proposed'aller boire un verre ? Et quoi d'autre, encore ?J'hésitai... D'un côté, cette idée ne me plaisait pas du tout, mais d'un autre...« Pourquoi pas ? »Bon, tout réfléchi, il m'avait mis la puce à l'oreille, et j'avais bien envied'en savoir un peu plus sur celui qui semblait si bien connaître les rouagespolitiques d'Anatech. Peut-être cela pourrait-il m'aider à résoudre lemystère du coffre...« Vous finissez à quelle heure ? Vous connaissez le Red Mambo ?- Pourquoi celui là ?- J'y ai été barman. »Bigre, c'est le Jarod, ce mec. Ou alors il est mytho. 98% de probabilités devéracité pour la seconde hypothèse. Enfin bon. Entre ça et une soirée faceau mur... Et puis si je m'ennuie, je pourrai toujours mettre les voiles.Je souris. « Ok pour le Red Mambo, disons... vers 19h ? »Il empocha le formulaire, fit un petit signe de tête avec un sourire, et sortit.

*****Je m'habille, jeans et T-shirt, puis je sors. D'après les informationsprésentes dans son dossier, il travaille à la Gazette Chavilloise.Je n'ai pas trop de mal à la trouver. Un grand immeuble héberge le journal.Je gare ma voiture.Je rentre avec ma paire de lunettes de soleil sur le nez, en mâchant unchewing-gum de façon exagérée.Je me dirige vers l'accueil avec une démarche de cow-boy tout en ruminantmon bout de latex.Les bureaux de la Gazette sont au troisième étage. Un vieil ascenseur m'yconduit, et s'ouvre sur une sorte de hall. Trois bureaux sont ouverts. Àl'extrémité droite, une grande salle de rédaction, ouverte elle aussi. Àgauche, une porte avec la mention « salle de réunion ».Une femme est occupée à photocopier des documents. Elle est mince, avecdes cheveux courts et des yeux gris derrière des lunettes à monture d'acier.Jouons franc jeu. Je crie :« Hi ! M'dame !! », avec un accent américain.La femme lève les yeux d'un air méchant. Je suis heureux.« Vous désirez ? » dit-elle d'un ton glacial.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 116

Page 120: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Je suis... comment vous dîtes... a business man. Et je cherche un de vosplus grands reporters...- Vous avez son nom ?- Eh ! (Je mâchouille mon chewing-gum) Laurent... As.. Asmul...- Laurent ASMULDET ! S'exclame-t-elle comme si elle venait de trouverla réponse à une question à un million d'euros.- That's it ! »Elle rit.« Sorry ?- Vous... hi !hi !hi ! demandez le plus grand... ah !ah !ah !... journaliste ? Jecrois qu'on vous a mal informé. Il s'occupe que des rencontres sportives etde la rubrique des « chiens écrasés ».Tiens tiens.- On m'a dit qu'il enquêtait...- Enquêter ?... Vous rigolez. Vous ne nous demandez pas la bonnepersonne !- Il est là en ce moment ?- Je vais me renseigner, un instant. »Elle entre dans un bureau. Je fais une bulle avec mon chewing-gum enattendant, en me demandant quel diamètre j'allais pouvoir atteindre.« Asmuldet est là ? Non ? Il revient quand ? Quoi, Anatech ? (Ma bulle dechewing-gum éclate). C'est où ça ? Ah ! Ok ! Merci. »Elle ressort.« Il s'est absenté et ne... »Elle s'arrête de parler car je suis déjà parti.J'appelle le prof.« Allô !- Prof ! C'est Léo ! Anatech, ça te dit quelque chose ?- Je sais juste que c'est un laboratoire. Ils sont spécialisés dans la génétiqueet l'analyse d'ADN. Tu vas là-bas ? - Dès que je trouve l'adresse.- Je te l'envoie en SMS. Salut !- Merci. »Il faut que je me change et je m'équipe. De la génétique...Quel rapport avec un journaliste sportif ? Peut-être un trafic d'anabolisants.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 117

Page 121: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

M. Polames, je sens que vous ne m'avez pas tout dit... Mais je m'occuperaide vous plus tard.Je passe à l'appartement. Je prends ma mallette avec mon fusil sniperdedans, les balles du prof et un vingt-deux. Je mets un pantalon de toilenoir, un T-shirt noir et un imperméable beige.Je reçois le SMS du prof. Après une visualisation rapide de l'itinéraire, jesors et je prends ma voiture.La nuit va être longue, mon petit chat.Un peu avant dix-huit heures, et de nombreuses déviations, j'arrive auLaboratoire Anatech.Je me gare dans le parking aér ien du supermarché en face del'établissement, le plus près possible du parapet.Je sorts la lunette de visée de mon fusil.Petite mise au point et... Tiens ! Tiens ! Le hasard fait bien les choses.Notre petit journaliste roux en herbe se dirige vers l'entrée. Il s'adresse àl'accueil. Au bout d'une dizaine de minutes, une femme vient le rejoindre.Je range ma lunette dans le coffre. Je ferme tout à clé et je descends duparking aérien, jusqu'à la rue en face du complexe médical.Comment rentrer dans ce labo quand personne ne vous connaît ?Mais que vois-je ? Une camionnette de livraison arrêté au feu rouge avecun clignotant indiquant qu'elle va rentrer chez Anatech. Il y a un Dieu pourles tueurs à gages...Je toque à la porte côté du conducteur. Le type me regarde surpris. Il baissela vitre.« Excusez moi, je cherche la rue Lombard.- C'est la troisième à droite...- Je n'entends rien ! »Le feu passe au vert et le concert de klaxons en « la majeur » commence. Ilregarde dans son rétroviseur.- Raaaaah ! Ça va ! Je vous disais la troisième...- Vous pouvez vous garer sur le bas côté ? Avec tout ce boucan Jen'entends rien ! »Il va se garer sur le trottoir de droite. Le gars est sympa, j'ai un peu honte.Il arrête le moteur. Je lui fais signe de m'ouvrir la porte du côté passager. Ilme l'ouvre.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 118

Page 122: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je sors un plan de ma poche et l'étale devant le tableau de bord. Jereprends, en montrant le plan :« Indiquez-la moi, s'il vous plaît.- Alors... »Il se penche. Je lève mes yeux vers le ciel, ainsi que la tranche de ma main.« Désolé » pensé-je en abattant le côté de ma main sur sa nuque.Le type se cogne contre le tableau de bord et tombe dans l'inconscience.Plus personne dans la rue, je me mets au volant. Je gare le véhicule à côtédu mien dans le parking du centre commercial. Le gars est un peu robuste.Il doit faire dans les quatre vingt cinq kilos...Je prends la combinaison du livreur et sa casquette. Je le ligote alors qu'ilest toujours inconscient. J'ouvre la portière arrière de la fourgonnette. UnJ5, ça me rappelle mon service militaire. Je regarde les paquets à livrer. Il yen a juste un pour Anatech. Je le prends sous le bras. Hou là ! Ne pasoublier le formulaire de réception.Je cours vers l'entrée du labo.La standardiste me regarde, surprise. Ça doit être la première fois qu'ellevoit un livreur courir.« Bonjour M'dame !- Vous désirez ? »Ok ! J'ai affaire à une lumière. Avec tous les autocollants collés sur macombinaison, elle ne voit pas que je suis livreur.« Je viens faire un tennis. Vous pouvez m'indiquer où sont les courts ?dis-je ironiquement.- Pardon ? »Dommage... Je suis pressé. Je pose le colis sur le comptoir et lui montre lelogo de la boîte brodé sur la casquette.« Je suis livreur.- Ah ! C'est un colis pour qui ? »Je regarde sur le dos de la boîte.« Pour une certaine Viktorka... ? Je n'arrive pas à lire le nom, je suisdésolé.- Il n'y a qu'une personne de ce prénom, ici. Vous venez juste de la rater,elle est avec un journaliste. Vous prenez le premier couloir à gauche etdemandez le département de génétique.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 119

Page 123: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Je vous remercie. »Je reprends le colis et je me dirige vers le couloir.Aaaah ! Si tous les contrats étaient aussi faciles ! Je me demande bien dequoi ils peuvent parler ?Résultats sportifs ? C'est peut-être son petit ami ? Ou alors ils font un traficde substances illégales... Ça y est je suis arrivé. Ce n'était pas si compliqué.J'entends des voix provenant de ce labo. Je jette un coup d'œil.Bingo ! Voilà notre reporter. Il n'a vraiment pas l'air d'un malfrat. Unesonnerie dans ma tête, puis un vieil enseignement me revient :« Ne te fie pas aux apparences ! »Merci Chloé, j'avais oublié.La laborantine est assez mignonne mais n'a pas l'air très à l'aise avec lui.Elle est brune avec des cheveux longs. Je pense qu'elle doit avoir latrentaine. À ses regards, ce n'est pas son petit ami. Ou alors c'est son ex ?« Je vous appel lerai dès que j 'aurai réuni deux ou trois out i lsd'investigation. »« Outils d'investigations ». Bizarre ce journaliste. Sa copine en restebouche bée.« Pas grand-chose... un stéthoscope, des trucs comme ça... » ajoute-t-il.Ils se serrent la main. Définitivement pas « petit ami ».« Hey, vous !! » Une voix surgit de derrière mon dos.Je me retourne. Je dois mieux surveiller mes arrières.Je prends le ton le plus innocent possible : « Oui ? »Une grande fille blonde vient à mon niveau, regarde le paquet et jette unœil vers la brunette.« Ce paquet ! Ce n'est pas le kit d'extraction que tu attendais, Viktorka ? »Je tends le paquet devant elle, avec un de mes plus beau sourire style« Ultra Bryte ».Je ne sais pas si c'est le fait d'avoir été surprise avec le scribouillard oumon sourire irrésistible, mais sa réponse trahit ses émotions. Malgré lahaute estime que je peux avoir de ma personne, je pencherais quand mêmepour la première solution, ce qui me donne envie d'en savoir plus. Tous leschats sont curieux.« Euh, si... si, on dirait bien... »J'en profite pour prendre un ton posé avec une voix grave et sensuelle.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 120

Page 124: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Si vous voulez bien signer ces quelques formalités...- Euh... Je vous en prie, entrez dans mon bureau... je vais signer ça. »Hé ! Hé ! Tu as raison un peu plus d'intimité, ne fait jamais de mal àpersonne.Beau bureau. Bon phase 2, lançons la conversation.Le beau temps ? Non ! Vu où elle est enterrée, elle ne doit pas voirbeaucoup le soleil. Plutôt son boulot.« J'avais déjà fais des livraisons dans pas mal de labos, mais celui-ci estparticulièrement impressionnant. Il faut avoir de sacrées connaissances,pour travailler dans ce genre de structure, n'est ce pas ? »Une petite flatterie au passage.Pas de réponse, à part celle du stylo comme une griffe sur le papier.Ok ! Ce n'est pas gagné !« Par contre, apparemment, le savoir vivre est en option. »S'il n'y a pas de réaction, je laisse tomber.« Mêlez- vous de ce qui vous regarde... » me lance-t-elle agressivement.Ah ! Enfin !« Waow ! C'était une question, pas une demande en mariage... Il se trouveque j'ai déjà eu l'occasion de travailler dans des laboratoires d'analyse. »Il est temps que je lui en bouche un coin.« L'extraction d'ADN n'a aucun secret pour moi. »Je sais, je ne dois pas griller ma couverture, mais c'est trop tentant.« C'est le dernier kit mis au point par Labotech, pour les tests de CFTR... »CFTR... Je ne connais que trop bien. On en avait fait pour la sœur deChloé.« Mmh... Sale truc, la mucoviscidose. »« Hou là ! Danger Will Robinson ! Danger ! », pour citer le robot dans« Perdus dans l'espace ». Je dois rester sympathique. Ré-embraye sur lesujet principal.« Moi qui pensais qu'à Anatech, on ne s'occupait que de tests depaternité... »- Vous connaissez bien les habitudes de la boîte... »Méfiance, après tout je ne connais rien d'elle. Ses yeux sont des vraiskaléidoscopes. Au début ils étaient agressifs, après surpris et maintenantméfiants. C'est clair, je dois jouer fin avec elle.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 121

Page 125: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Oh vous savez, j'ai les oreilles qui traînent... Et puis, Anatech, c'estquand même une société importante dans le milieu... D'ailleurs, est-cequ'ils n'ont pas des liens avec l'armée ? »En fait, je n'en ai aucune idée. Mais, un gros labo comme ça doit bientravailler avec.« Je ne connais pas tous les détails des affiliations du laboratoire... »Mmmmh, le kaléidoscope est en marche. J'avoue que sa mine inquiète esttrès touchante. Allez, enfonçons le clou.« On peut avoir de mauvaises surprises quand on ne connaît pas bien sesemployeurs... »Alors là, elle est en orbite. Je ne sais pas ce qu'elle trame avec Asmuldetmais ça semble l'inquiéter au plus au point.« Allo la Lune, ici la Terre, me recevez vous ? - Euh... je... Vous n'avez pas toujours été livreur, n'est ce pas ? »Ça c'est pathétique. Vouloir changer de sujet. Tss... Tss...« Bah, vous savez, on a tous plusieurs cartes dans son chapeau... Le garsavec qui vous discutiez tout à l'heure, c'était votre petit ami ? - Non ! Euh je veux dire... non, pas du tout... »Maintenant elle rougit. Bon, cette fille m'intrigue. J'ai envie d'en savoirplus sûr elle.« Donc vous êtes libre pour aller boire un verre ce soir ? »Attention je me prépare à la claque ou...« Pourquoi pas ? »Hey ! Mon sex-appeal fonctionne encore. Tant mieux ! Ça m'évite dedevoir la torturer.« Vous finissez à quelle heure ? Vous connaissez le Red Mambo ?- Pourquoi celui là ?- J'y ai été barman. »C'est vrai, lors d'un contrat sur un type de la triade. De plus, je connais parcœur la configuration du lieu, ce qui me facilitera grandement la tâche, s'ily a du grabuge.« Ok pour le Red Mambo, disons... vers vingt heures ? »Je rêve, elle a souri.Je quitte le labo. J'ai deux heures pour me préparer.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 122

Page 126: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je jette le formulaire dans la poubelle de l'entrée devant le regard méduséde la réceptionniste.Non ! Le type du fourgon était sympa. Je retourne chercher le papier.« Je me suis trompé avec mon emballage de chewing-gum. »Stupide excuse pour l'hôtesse, qui me fixe avec la bouche ouverte.« Au revoir ! »Je file vers le parking du supermarché. Le type est encore évanoui dans lafourgonnette. J'espère ne pas avoir tapé trop fort. Je le rhabille et replace safourgonnette là où elle était stationnée.Je le réveille.« Hey ! Ben mon vieux ! Ça ne va pas ?- Qu'est ce qui m'est arrivé ? dit-il en se frottant le front.- Vous vous êtes cogné contre le tableau de bord. »Il regarde sa montre.« Merde ! Je suis à la bourre.- Je vous remercie de m'avoir renseigné... qu'est ce qu'il y a ?- Pourquoi vous portez ma casquette ? »Quel con ! J'ai oublié de la retirer.« J'avais envie de l'essayer. Elle ne me plaît pas. Vous pouvez la garder. »Je lui donne la casquette et je sors rapidement du J5.Je le vois regarder sa tournée, il hausse les épaules, puis démarre entrombe.Je culpabilise un peu de mener cette fille en bateau mais j'aimerais ensavoir plus sur sa relation avec le journaliste. Mais tout d'abord je vais merenseigner sur elle.J'appelle le prof.« Encore toi ? Tu n'as pas d'ami ?- Allons, tu es le seul qui compte... J'ai un service à te demander.- Ça m'étonnait aussi...- J'aurais aimé que tu te renseignes sur une certaine Viktorka Salix.- Elle est censée avoir fait quoi ?- Elle travaille actuellement chez Anatech.- Ok. Je vois ce que je peux trouver et je te rappelle.- Merci. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 123

Page 127: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il faut que je tue le temps jusqu'à ce soir. Façon de parler bien sûr. Jem'installe dans ma voiture et je consulte le dossier du journaliste. Il y a unecarte dedans. Celle de mon employeur, monsieur Polames. Je regarde denouveau la photo du journaliste avec les pontes de la maffia.Ça y est ! Je me souviens maintenant ! Quel débile je fais !Celui là je le connais... Je l'ai abattu la semaine dernière. Et d'après lagrosse pancarte derrière lui, la photo aurait été prise avant-hier.M. Asmuldet, on discute avec les morts ? M. Polames tsst !tsst ! Petitcachottier, Tonton Chat Noir va venir te donner une fessée !Tout ça ne sent pas très bon... Généralement, on abat un journaliste quandil fouine un peu trop dans le linge sale avant qu'il y ait une grande lessive.Ho là ! Doucement ! Tu es payé pour tuer le journaliste, pas pour faire del'Hercule Poirot.Je vais aller faire un tour chez lui puisque l'adresse est au dos de sa photoformat A4. Avec un peu de chance, il n'y aura pas trop de déviations...Son immeuble n'est pas dur à trouver. Je me gare en face de l'entrée, et jevais vers la porte C'est fermé, bien sûr, et je n'ai pas le code. Soit j'attendsqu'une personne rentre et je me glisse avec elle, soit j'essaye de trouver lecode.Attendons ici.Ça fait une demi-heure que je poireaute, et toujours personne.Ah ! Du bruit derrière la porte. C'est la gardienne qui sort les poubelles.« Bonjour Madame, dis-je en entrant.- Monsieur. » fait-elle poliment, avec un hochement de tête, deux sacspoubelle dans chaque main.Je jette un œil sur les boîtes aux lettres. As.. As... As.. Asmuldet Laurent,voilà. 3eme étage, escalier B, 1ere à gauche.Je monte rapidement les marches, je ne suis pas du tout gêné par le trucque m'a mis le prof dans la cuisse. Beau boulot.J'arrive à l'étage du journaliste. C'est quoi cette porte ? C'est une insulte àmes compétences ! Je suis sûr que je n'ai qu'à souffler dessus pour qu'elletombe ! J 'ai envie de la crocheter avec une paire de cure-dents.Définitivement, je ne crois pas à un type fricotant avec la mafia... ou alorsc'est un leurre.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 124

Page 128: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

J'introduis une de mes bump keys dans la serrure. Ça passe du premiercoup. J'ouvre la porte les yeux fermés. Et je la referme.Je m'attendais à voir un taudis, mais l'appartement est assez bien rangé sion exclu bien sûr les piles de papier ou de journaux par terre. Vous allezme dire que c'est normal pour un journaliste, après tout c'est son boulot.Mouais. Et bien si vous venez chez moi, vous ne trouverez pas de cadavrespar terre.Enfin ! Chacun sa vie. L'appartement comporte trois pièces. Une cuisinesalle à manger, une salle de bain et une chambre. Les fenêtres donnent surune cour intérieure.Je vais dans la pièce qui semble s'apparenter à un bureau. Sa chambre.Une photo de lui avec une fille - je suppose que c'est sa petite amie -repose sur la petite table à côté du lit. J'ouvre le placard. Il est tellementgrand qu'on pourrait y cacher un éléphant. Peut-être y a-t-il une portecoulissante au fond ? Je regarde s'il y a un espace entre l'armoire et le mur.Oui. Adieu ma porte coulissante. Je jette un œil sur son bureau. Aucuntiroir n'est fermé à clé. C'est désespérant.Bon, de tout évidence je perds mon temps. J'entends la porte s'ouvrir. Jel'abats maintenant ou j'essaye de savoir ce qu'il fricote avec la fille dulabo ? La curiosité est un vilain défaut mais c'est une de mes principalesqualités. Direction le placard. Je laisse la porte entrebâillée.« Y a quelqu'un ? »Il est con. Chiche de lui répondre : « Oui, je suis caché dans le placard ! »C'est tentant mais je suis un professionnel.« Tu es là, Anna ? »Apparemment il laisse tomber. Tiens, il semble chercher quelque chose...Il entre dans la chambre. Il ouvre les tiroirs du bureau. Il sort unstéthoscope. Naooon !!!! Il va quand même pas jouer au docteur avec lalaborantine ! Qu'est ce qu'il fait ? Eurrkk ! Il s'habille.Mince ! J'espère qu'il ne va pas chercher des affaires dans son placard.Il tire un sac noir de dessous de son lit. Aya ! C'est quoi cette tenue, ondirait un Ninja de série B. Oh ! Non ! Pitié pas le bandeau ! Là on touchele fond. Je devrais l'abattre pour mauvais goût ! Un petit sac noir et ondirait un « G.I. Joe ». Pitié pas de T-shirt en maille blanche, sinon c'est« San Ku Kaï » !

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 125

Page 129: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je vois déjà la figurine commercialisée ! Le « Journaliste Édition Limitée »avec son costume noir d'investigation qui luit dans la nuit... En bonus, sonbandeau et son stéthoscope.Il écoute ses messages. Il ouvre la porte d'entrée.Mon portable se met à vibrer. Merde, c'est tout le placard qui se met àvibrer ! C'est quoi cet appart de merde ? Il va faire demi-tour c'est sûr !Faut que j'arrête ce foutu téléphone.« M. ASMULDET ! crie une voix dans le couloir.- Mme Tchelebine ? lui répond le journaliste- Dois-je vous rappeler que vous avez un mois de retard ? »C'est quoi cette sorcière ?« Non, non, ne vous inquiétez pas... » dit timidement le journaliste.- Si, je m'inquiète ! » lui lance la sorcière furibonde.Il sort dans le couloir avec elle et referme la porte à clé. J'entends ce que jepense être la fin de la conversation.« J'attends un gros chèque.- Pff ! Comme tous les mois... »La voix s'éloigne.Vite ! Je dois sortir d'ici avant d'être contaminé par ce looser.Je crochète la serrure pour sortir. Je ne referme pas la porte à clef. Pour cequ'il y a dedans... Je ressors de l'immeuble.S'il savait qu'en plus il a un contrat sur sa tête, je me demande ce qu'ilpenserait de sa vie !De toutes façons, ce ne sont pas mes oignons. Première règle dans lemétier : Ne pas s'approcher sentimentalement de ses cibles.Je monte dans ma voiture. J'écoute le message. C'est le prof.« J'ai trouvé quelques informations sur ta copine. Avant d'être chezAnatech, elle était trapéziste. Au cours d'une répétition, elle a eu unaccident et son partenaire est mort. Détail intéressant pour toi, le cirqueappartenait aux frères Yuno. Si j'en trouve de plus intéressante, je terappelle. Sayonara ! »Trapéziste ? Sans le vouloir, un sourire se dessine sur mon visage.Trapéziste, laborantine, journaliste... Comment vais-je appeler cecocktail ? Intéressant.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 126

Page 130: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je pensais appeler monsieur Polames pour lui dire que je refusais le boulotmais j'ai envie d'abord de savoir ce qu'ils font ensemble.Je regarde ma montre. Hou là ! C'est bientôt l'heure. Pas le temps dechanger de tenue, j'y vais comme ça. Tant pis !

*****Bon, eh bien, voilà une journée bien remplie, d'un point de vue rencontres.Je me sentais curieusement excitée, même si j'appréhendais un peu lerendez-vous avec le livreur. Il m'avait mise mal à l'aise, avec sesinsinuations sur les affiliations du labo et de l'armée, il avait l'air d'ensavoir beaucoup plus que moi sur mes employeurs.Bah, on verra bien...Je finis rapidement mes manips ce jour là, et arrivai à l'heure au RedMambo, un petit bar dans une ruelle près du centre. Ils recevaient souventdes joueurs de jazz, et l'ambiance était chaleureuse. Le livreur m'attendaiten terrasse, vêtu cette fois d'un jean et d'un T-shirt noir révélant une carrureassez impressionnante.« J'espère que vous aimez le jazz ?- J'aurais proposé un autre bar si ce n'était pas le cas... »Je m'assis en face de lui, et posai mon manteau sur le dossier de la chaise.L'air était un peu trop enfumé à mon goût. Et surtout, l'ambiance merappelait d'autres temps.« Pour tout vous avouer, je ne pensais pas que vous sortiez beaucoup... »Tu « pensais », tu es sûr ? Ça ne sert à rien de faire marcher son cerveaupour dire de telles banalités...« Je vous préviens, il y a beaucoup de témoins ce soir..., sourit-il.- Pardon ?- Si vous me tuez... » ajouta-t-il, avec toute la malice du monde dans leregard. Je ne pus m'empêcher de sourire à mon tour.« J'aime bien ce genre d'ambiance » fis-je, en désignant les musiciens.Je pris la carte. Ils ne servaient que les trucs habituels, bière, tequila,whisky etc... En la retournant, je trouvai les cocktails. Souvenirs,souvenirs....« Je prendrai un Apple Jack, dis-je au serveur venu prendre lescommandes.- Comme d'habitude, lâcha le livreur.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 127

Page 131: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Pardon ? »Le serveur haussa les sourcils.Quel frimeur...Le livreur avait de beaux yeux verts, qui se plissèrent joliment quand ilfronça les sourcils.Après s'être expliqué avec le serveur, il passa la main sur son front pourremettre ses cheveux en arrière et se cala dans sa chaise, avant des'adresser à moi.« Ça doit être un nouveau... »C'est ça... Plus ça va, plus je pense que tu es un sacré mytho, toi...« Au fait, je ne connais même pas votre nom... dis-je- Vous pouvez m'appeler John.- C'est votre nom pour les rancards au Red Mambo ?- Juste pour les laborantines aux cheveux d'ébène et aux yeux revolvers. »Mais ma parole, ce type me drague !Je levai les yeux au ciel. Je détestais être appelée « laborantine ». Iltoussota. Le silence s'installa quelques instants, puis il pris une inspirationet son courage à deux mains :« Bon ! Ça fait longtemps que vous travaillez chez Anatech, Viktorka ? »Cette conversation m'amusait. Je réfléchis... J'avais l'impression d'avoirtravaillé à Anatech toute ma vie. Ces journées toutes semblables, lamorosité constante... Oui, ce serait pareil si j'y avait travaillé pendant dixans.Le livreur me regardait dans les yeux, il fallait répondre. Je souris.« Environ six mois... Vous livrez souvent chez nous ? Je ne me souvienspas vous avoir vu auparavant... »Il rit.« Excusez moi... j'ai débuté cet après midi, par hasard... Et j'avoue que jen'aime pas leur casquette.- Par hasard ? Que faisiez vous avant ?- J'étais médecin. »Ooookay... Là, on frôle l'hystérie... Il sort d'où, ce mec ?« J'ai aussi été barman... »Il réfléchit une seconde.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 128

Page 132: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Pizzaïolo, fleuriste, antiquaire, concessionnaire... Je crois que c'est tout...J'ai toujours eu du mal à savoir ce que je voulais faire... »Là j'en étais sûre, il était mytho. Je souris.« Et ils vous ont laissé sortir il y a longtemps ? »Il rit de nouveau.« Il y a un peu moins de deux mois... »Le serveur arriva et posa nos commandes sur la table. La musique passad'un air jazzy à un slow. Je montai le verre à ma bouche.« Votre bras gauche vous fait toujours souffrir ? »Je m'étranglai avec mon cocktail.Comment peut-il savoir ? Qui est ce type ?Je me levai à demi.« Du calme... je vous ai dis que j'étais médecin... »Je me rassis... Ces histoires étranges dans lesquelles je me complaisaisdepuis quelques jours me rendaient trop nerveuse.Il me demanda s'il pouvait examiner mon bras.J'hésitai. J'avais un peu honte d'avoir réagi aussi violemment, mais d'unautre côté, la lanterne rouge qui s'était allumée dans mon esprit continuait àclignoter.J'agitai la main.« Vous savez, j'ai vu pas mal de monde et ce n'est rien d'important... »Je laissai ma main sur mes genoux, aussi n'insista-t-il pas. Il fallait que laconversation prenne un autre tournant. J'essayai de la dévier sur lui. J'avaisenvie de savoir comment il allait arranger son histoire du « type qui ne saitpas ce qu'il veut faire et essaye un peu tout », et surtout comment il allaitexpliquer son passage de la profession de médecin à celle de livreur.Il ne répondit pas. Il prit une pincée de sel dans une coupelle que le serveuravait posée à côté de son verre, et la posa sur sa main, entre le pouce etl'index. Il porta ensuite la main à sa bouche pour sucer le sel. Il saisit leverre, et en frappa trois fois le fond sur la table. À la troisième fois, latequila se mit à mousser et il l'avala cul sec. Il prit ensuite une demirondelle de citron et la suça pensivement, puis éluda ma question.La lumière rouge clignotait toujours. Nous discutâmes de choses et d'autrespendant plusieurs minutes. La musique revint sur un morceau de jazzmanouche. Derrière John, dans un miroir, je vis une femme embrasser son

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 129

Page 133: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

amant par dessus la table.« Alors, cette personne avec qui vous discutiez quand je vous aiinterrompue tout à l'heure, ce n'était pas votre petit ami ? »Il faisait très chaud dans cette pièce. Ou alors c'était l'effet de l'alcool. Johnavait une voix agréable, et la musique me plaisait. Le warning quicontinuait à briller quelque part en arrière plan de mes pensées passa horsdu champ de ma conscience.« Non, ce n'est pas mon petit ami. C'est juste une connaissance. Unjournaliste qui était venu faire un reportage sur le labo.- Un journaliste ? Un métier que je n'ai pas encore essayé, tiens... Jepourrais peut-être lui demander des tuyaux... Il travaille dans quel journal ?Peut-être qu'ils recrutent...- Je crois que c'est un tout petit journal... »Je bus une autre gorgée. Le saxophoniste qui, jusque là, jouait hors de mavue, se mit à arpenter la pièce sur un air de blues.« C'était un reportage sur quoi exactement ?- Sur les analyses que l 'on effectue en routine. . . Rien de bienpassionnant... »J'aurais voulu que l'on parle d'autre chose. Pourquoi revenait-il toujours surAnatech ? Il est vrai que c'était le lieu de notre rencontre, mais je sentaisconfusément une autre raison, qui m'échappait totalement.« L'extraction d'ADN ? C'est étrange qu'un petit journal s'intéresse à ça... »Pourquoi ça l'intéresse ? Je tentai d'éviter la question en répondant unebanalité, pour dévier le chemin de ses pensées et passer à autre chose.« Bah, vous savez, avec toutes les histoires qui se déroulent actuellement,les crimes où le coupable est retrouvé grâce à quelques poils abandonnés...C'est peut-être plus facile pour un petit journal d'envoyer quelqu'un dansun labo comme Anatech que dans un labo de la police scientifique...- Vous devez avoir raison... »Il ne paraissait pas très convaincu. Il avait un regard un peu étrange.Comme s'il pensait à autre chose. Sa phrase était lourde de sous-entendus.« À propos, comment s'appelle-t-il ?Curieux, cette focalisation sur le journaliste... Je recommençais à me sentirun peu mal à l'aise.- Asmuldet. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 130

Page 134: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

J'eus une impression bizarre en lui donnant le nom du journaliste, mais jen'avais pas de raison de ne pas le lui dire. Il fallait vraiment changer desujet.« Vous avez été barman ici, alors ? enchaînai-je.- Oui, ça remonte à l'année dernière. Et vous, vous avez toujours travaillédans un laboratoire ?- Euh... quasiment. »Je n'ai jamais aimé raconter mon CV en dehors d'un entretien d'embauche.Ce n'est pas que j'en aie honte, non, c'est que... mince, pourquoi il ne med e m a n d a i t p a s s i m p l e m e n t s i j ' a v a i s a i m é l e d e r n i e r n a v e tcinématographique de l'été ?« Et vous travailliez dans quel laboratoire, avant d'être à Anatech ? »Bah, au moins, il s'intéresse à ce que je fais... Je réfléchis. Le dernier labooù j'ai bossé ? Voyons voir... C'était un assez mauvais souvenir, il valaitpeut-être mieux donner le précédent...À cet instant, son portable sonna. Ouf, sauvée par le gong. « Excusezmoi. »Il décrocha et se tourna à demi. Je finis mon verre, et me laissais bercer parla musique. Exceptées les toutes dernières minutes, et encore, je devaisreconnaître que je n'avais pas passé une soirée aussi agréable depuislongtemps. Mon cœur se serra en songeant que la dernière fois, c'était avecLui . Nous ét ions venus dans un bar du même style , après unereprésentation. Nous étions avec des amis de boulot, un groupe trèshétéroclite, et nous avions ri toute la soirée. C'était le bon temps. Je ne lesavais pratiquement jamais revus depuis l'accident.Tout à coup mon portable sonna à son tour. « Oui ?- Allo, Viktorka ?Merde, le journaliste... Pourquoi justement maintenant, alors que je suisavec quelqu'un ?- Oui.- J'ai réuni le matériel. Je suis prêt pour ce soir.- Déjà ? Mais je...- Je vous en prie. s'il y a réellement quelque chose à trouver, il faut que cesoit fait au plus vite. Je vous demande juste de me laisser entrer. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 131

Page 135: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Pourquoi pas ? Après tout, je n'avais pas franchement envie de reprendre laconversation là ou nous l'avions laissée avec John, et les derniers souvenirsm'avaient donné le cafard. Autant ne pas insister et garder un bon souvenir.« D'accord... Rendez-vous dans une demie heure devant la grille. »Je raccrochai. John me regardait d'un air curieux.« Je suis désolée... Un ami a oublié son manteau chez moi hier et il doitvenir le récupérer. Je vais devoir y aller.- Pas de problème. Je peux vous raccompagner ?- Je vous remercie, mais je préfère rentrer seule. »Je me levai et enfilai ma veste.« Comme vous voulez. L'addition est pour moi. Passez une bonne fin desoirée. »Eh bien, au moins je ne peux pas dire qu'il insiste pour prolonger lasoirée...Il leva son verre d'eau. Je tournai les talons et sortis.

*****Après mon entrevue avec Viktorka, je décidai de rentrer au bureau jusqu'àla fin d'après-midi, puis de passer chez moi prendre quelques affaires,avant de revenir au laboratoire à la tombée du jour pour l'expédition versles sous-sols.Laureen me tomba dessus dès que je posai le pied à l'étage.« Tiens, monsieur Asmuldet daigne enfin nous honorer de sa présence. »J e l u i r é p o n d i s p a r u n t i m i d e s o u r i r e , d u g e n r e« j'avais-du-boulot-par-dessus-la-tête-mais-je-vais-encore-mettre-un-coup-de-collier. »« Monsieur Asmuldet avait sans doute des choses beaucoup plusimportantes à faire que de venir à la réunion de ce matin, n'est ce pas ? Ils'imagine sans doute que son travail est parfait et que personne n'y trouverien à redire ? Ce journal est petit, Laurent, c'est pour ça que nous devonstravailler en équipe !! Et si vous oubliez les réunions de travail, vous faitesperdre du temps à tous ceux qui devront vous expliquer ce qui a été dit devotre travail, qui entre nous n'est pas brillant !! »Elle pinça les lèvres.« Je veux voir votre prochaine page jeudi soir, et je ne souffrirai aucundélai !! Il y a des dizaines de mecs qui donneraient cher pour prendre votreplace et votre salaire !! »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 132

Page 136: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Elle réussit à envoyer le tout comme une rafale de mitraillette en moins devingt secondes, et je dus me cramponner au mur pour ne pas tomber oùm'envoler en miettes sous cette bourrasque folle furieuse.Quand elle claqua la porte de son bureau, je rampai jusqu'au mien en medemandant si j'allais un jour récupérer mon ouïe.Je n'ai pas travaillé mieux, pourtant. Je ne supporte pas de me faireenguirlander de cette manière. C'est non seulement humiliant, maisdémotivant. Et puis, j'avais tellement matière à penser... Je passai en revuele matériel dont je risquais d'avoir besoin. Appareil photo, pellicules derechange, piles... peut-être une corde, un stéthoscope pour être sûr que lespièces seraient vides avant d'y entrer... J'ai tout écrit sur une liste.A six heures et demie, je profitai d'un moment où Laureen était auxtoilettes pour filer en douce.J'arrivai chez moi un petit quart d'heure plus tard.La porte était ouverte. Pas vraiment ouverte, mais le verrou n'était pas mis.Mon chat arriva en trottinant et se frotta à mes jambes. Je le pris dans mesbras. Quelque chose était bizarre. Peut-être Anna était-elle passée mevoir ?« Il y a quelqu'un ? »Pas de réponse.« Tu es là, Anna ? »Toujours pas de réponse. Ce n'était pas la première fois que j'oubliais defermer la porte en partant. Je posai mon chat par terre, avant de me dirigervers la chambre. Il fallait que je me change. De préférence des habitssombres, gris foncé ou noir. J'avais ce qu'il fallait. Un bandeau, que jetrouvai dans une commode, pour ne pas être gêné par mes cheveux - ils ontun peu tendance à me retomber dans les yeux. Je fis un essai devant laglace. Parfait. Je pris mon vieux stéthoscope et le fourrai dans mon sac,avec une lampe. Je vérifiai les piles : il n'y en avait plus. Quelques coursesavant de partir combleraient ce manque... Je balançai mon sac sur monépaule.Il était temps d'y aller. Juste le temps d'écouter mon répondeur... unmessage d'Anna. Elle n'avait pas l'air ravie... En fait, j'ai eu droit à touteune scène au téléphone. Je décidai de la rappeler plus tard... Quand j'auraisde nouveau l'esprit libre.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 133

Page 137: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Tout à coup, quelqu'un frappa à la porte, de plusieurs coups assez forts.J'envisageai un instant de ne pas répondre, car je savais qui c'était, maiscette fichue porte s'ouvrit toute seule. De la camelote cet immeuble.« M. Asmuldet !- Mme Tchelebine ?- Dois-je vous rappeler que vous avez un mois de retard ? »Ma chère propriétaire. Elle habite dans l'immeuble aussi, mais dans l'ailequi a été rénovée. Je réussis à grande peine à la semer dans l'escalier - avecses deux tonnes par essieu, il lui est difficile de me suivre - et à aller aucentre commercial le plus proche.Quelques courses, une halte dans une cabine pour appeler Viktorka, versneuf heures, et c'était l'heure de prendre la direction du laboratoire.Le soleil commençait tout juste à baisser. Un sandwich à la main, je memis en route.

*****Je fonce au Red Mambo. Pourquoi avoir proposé ce bar ?A cause de sa sortie de secours près des toilettes ? Ma connaissanceparfaite des lieux ?Trop de souvenirs me reviennent, alors que je me gare près de sonenseigne rouge, dont le palmier vert semble danser au rythme de moncœur. Que vient faire cette appréhension ici ? J'ai rien à me reprocher.Je fais ce que tout bon tueur doit faire, se renseigner sur sa proie...Je pénètre dans le bar, l'ambiance n'a pas changé. Il y a toujours Eddy ausaxophone alto, Marc au ténor et Vincent à la basse. Par contre, il y a despetits nouveaux. Si j'ai le temps je leur dirai un petit bonjour, bien que cene soit pas forcément raisonnable.A quand remonte la dernière fois, déjà ? Un an, je crois... Mais j'ail'impression que c'était hier. J'étais serveur, du moins je me faisais passerpour. Mon but était d'approcher l'ancien patron de la boîte pour, eh bien...comme vous vous en doutez, le tuer.Pendant plusieurs mois, j'ai servi des gens qui croyaient vivre dans unappart plus beau que le mien, j'ai serré les mains de personnes qui avait tuédes innocents pour un paquet de frics. Plusieurs fois, j'ai hésité à mettre dupoison dans leurs verres, mais dans ce métier, sauf en cas de légitimedéfense, on ne tue pas gratuitement.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 134

Page 138: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Ma cible était Antonio Falconi, il était assis tous les soirs à l'endroit où, ence moment, deux étudiants s'expliquent mutuellement l'anatomie de façonpratique. Falconi... Ce nom résonne dans ma tête...En plus d'être un assassin, c'était un dealer et un mac de la pire espèce.Ce fut l'un des contrats qui m'a procuré le plus de plaisir... Le voir setortiller de douleur en implorant mon pardon. Mon commanditaire ? Unpère qui avait perdu sa fille. Elle était venue faire sa vie à Paris et avait finijunkie et prostituée pour Falconi avant de mourir d'une overdose. Son pateravait hypothéqué sa maison pour s'offrir mes services. En échange, je luiavais donné ce que contenait le coffre-fort de Falconi. Quand je lui avaisdit de le prendre, il m'avait répondu :« La vie de ma fille n'a pas de prix, que voulez vous que j'en fasse ?- Bah... faites un foyer d'aide pour les jeunes paumés afin d'éviter que cequi est arrivé à votre fille se reproduise avec quelqu'un d'autre... »J'étais utopique. Il a crée un foyer qu'il a baptisé « Jennifer », du nom de safille et trois mois plus tard, il a fini à l'hosto. Les bandes du coins voienttoujours d'un mauvais œil ceux qui leur proposent aide et rédemption.Pour en revenir au Red Mambo, il a changé de proprio : maintenant, il esttenu par un canadien voulant lancer des petits groupes de jazz.Elle n'est pas encore arrivée. Tant mieux. Je me faufile à travers les chaisesprès du bar et je m'installe à une table donnant sur la sortie. Je vérifie quemon odeur corporelle est supportable... Oui, heureusement, elle l'est. Lesrouages de ma réflexion se mettent en marche pour faire le tri des derniersévènements.A ce moment là, Viktorka entre. Elle s'est recoiffée ? Elle se dirige versmoi d'une démarche souple... et la machinerie dans ma tête se détraquesoudain. Je perds un instant mon assurance, cette fille me trouble.Ressaisis-toi ! Tu es un pro ! Elle est peut-être dangereuse... Commençonspar du banal.« J'espère que vous aimez le jazz ?- J'aurais proposé un autre bar si ce n'était pas le cas... »Ok. Ça commence bien. Mon petit Léo, va falloir jouer serré.« Pour tout vous avouer, je ne pensais pas que vous sortiez beaucoup... »Quel con ! Tu ne peux pas réfléchir avant de parler? Mon dieu, ce regard.Elle va me flinguer.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 135

Page 139: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Vite une réplique !« Je vous préviens, il y a beaucoup de témoins ce soir... »-Pardon ?- Si vous me tuez... »Bingo ! Elle sourit. Ce fut dur de le décrocher mais ça en valait la peine.Qu'est ce que je vais prendre ? Voyons... Bah... Comme d'habitude. Jerepose la carte alors que Viktorka n'a pas encore fini de choisir. Tiens..tiens... Elle n'utilise pas son bras gauche, pourquoi ? Que m'a dit le Prof,déjà ? Je me sens de plus en plus mal à l'aise. Je n'étais pas sorti avec unefille depuis la disparition de Chloé. C'est idiot, j'ai l'impression de latromper.Dans ce genre de rendez-vous, il faut essayer de rester naturel.Apparemment l'humour ne semble pas être mon point fort ce soir. Je doisme souvenir d'une bonne blague. L'atmosphère a besoin d'être détendue.Heureusement que le serveur arrive. Je le remercierai plus tard.Ma compagne demande un Apple Jack. Le serveur se tourne vers moi,crayon levé.Jouons-la cool.« Comme d'habitude.- Pardon ? »Il se rapproche un peu plus de moi.Et merde, un nouveau. Le monde conspire-t-il contre moi pour que je meridiculise ce soir ?« Une tequila frappée... »Il s'éloigne...Je lâche une pathétique excuse. Je m'attendais à quoi après tout ? Ça faitquand même un an.« Au fait, je ne connais même pas votre nom... »Ouch ! J'ai oublié de forger mon perso... J'entends Chloé me dire« Improvise ! » et moi lui répondre : « Je fais quoi, d'après toi depuis tout àl'heure ? »« Vous pouvez m'appeler John. »Génial et pourquoi par Hubert ?« C'est votre nom pour les rancards au Red Mambo ?- Juste pour les laborantines aux cheveux d'ébène et aux yeux revolvers. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 136

Page 140: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Qu'est ce que je viens de faire ? ! Les séries à l'eau de rose du prof m'ontcontaminé! Je dois passer mon corps en manuel, mon cerveau déconnetrop. J'ai la gorge qui se serre, je toussote. Vite, à boire !« Bon ! Ça fait longtemps que vous travaillez chez Anatech, Viktorka ?Bravo, Léo tu viens de te souvenir de la raison pour laquelle tu l'asinvitée !- Environ six mois... Vous livrez souvent chez nous ? Je ne me souvienspas vous avoir vu auparavant... »Elle est bien bonne celle là ! Elle est en train de me piéger. La chanson deClaude François me revient inconsciemment « Méfie toi des filles, elles nesont pas ce que tu crois... Elles sont belles, belles... »Je déteste Cloclo. J'éclate de rire.« Excusez moi... J'ai débuté cet après midi, par hasard... Et j'avoue que jen'aime pas leur casquette. »Restons naturel, c'est préférable.« Par hasard ? Que faisiez vous avant ?- J'étais médecin. »Et on continue. J'aurais dû apporter un appareil photo, sa mine vaut lecoup.« J'ai aussi été barman... »Voyons, je ne peux pas lui dire croque-mort...« Pizzaïolo, fleuriste, antiquaire, concessionnaire... Je crois que c'est tout...J'ai toujours eu du mal à savoir ce que je voulais faire... »Limitons quand même les boulots. Je n'ai que 31 ans. Et un deuxièmesourire de sa part...Whow ! Elle me taquine... Ça va, avec le prof j'ai de l'entraînement.Elle laisse reposer son bras gauche mollement sur la table. Ça me revient...Sûrement la séquelle de l'accident dont m'avait parlé le prof. Aaaahh ! Madose quotidienne de tequila arrive ! Il est temps que je montre à mes fansde quel bois je me chauffe ! Il faut se motiver, dans la vie.« Votre bras gauche vous fait toujours souffrir ?- Quoi ? Mais comment... ? »Elle bondit. Elle était sur la défensive, et j'ai mis le feu aux poudres. Ondirait un animal acculé, qui se demande si la main qui s'approche vafrapper, prêt à en découdre. Intéressant.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 137

Page 141: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Du calme... Je vous ai dis que j'étais médecin... »Elle se détend... Tant mieux, je craignais devoir faire un sprint pour laramener. Elle me fait penser à Chloé. Je rigole de ma pensée.« Montrez-moi votre bras... »La méfiance s'est transformée en gêne dans ses yeux. Je suis peut-être allétrop loin.Elle n'ose pas me le tendre. Dommage, j'aurais sincèrement aimé l'aider.« Comment un médecin peut-il décider de devenir livreur ? »« Et une trapéziste devenir laborantine ? » aurais-je voulu répondre.Je bois ma tequila frappée, ça me laisse le temps de réfléchir... La chaleurme fait du bien, mais attention, l'alcool donne une assurance trompeuse.« Eh bien... Je dirais... par dégoût de certaines méthodes.- Vous avez abandonné vos patients parce que certaines pratiques ne vousplaisaient pas ? »Hé là ! Ma petite, t'es à côté de la plaque. Je rigole. Je vais finir par mefaire passer pour un hystérique. Ça me rappelle la dernière cuite que l'ons'est prise avec le prof... Revenons à la conversation.« Mes patients ? Sachez que mes patients étaient plus inquiets de passer du85A au 90D que de prendre connaissance des effets secondaires de leursimplants...- Vous étiez chirurgien esthétique ? Si cela ne vous plaisait pas, pourquoine pas simplement changer de voie, mais rester dans la médecine ?- Oh, mais je suis resté médecin... Mais disons que ce n'est plus mon métierprincipal. »Elle est de la police ? Assez joué... Il est temps de reprendre laconversation en main.« Votre situation est vraiment étrange. Où travaillez vous, maintenant,quand vous n'êtes pas livreur ? »Décidément, elle ne me lâche pas....« Holà, si j'avais su que c'était un interrogatoire, j'aurais appelé monavocat... Parlons plutôt de vous... Alors, cette personne avec qui vousdiscutiez quand je vous ai interrompue tout à l'heure, ce n'était vraimentpas votre petit ami ? »Moi non plus, je ne lâcherai pas. Je lui fais un sourire suave.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 138

Page 142: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Non, ce n'est pas mon petit ami. C'est juste une connaissance. Unjournaliste qui était venu faire un reportage sur le labo. »Merci pour la perche. Je fais « Échec et Mat » en trois échanges.« Un journaliste ? Un métier que je n'ai pas encore essayé, tiens... Jepourrais peut-être lui demander des tuyaux... Il travaille dans quel journal ?Peut-être qu'ils recrutent...- Vous pourriez essayer, mais je crois que c'est un tout petit journal...- Personne n'est petit... C'était un reportage sur quoi exactement ?- Sur les analyses que l 'on effectue en routine. . . Rien de bienpassionnant... »Un journaliste, et j'ai vu sa piaule, qui se découvre un intérêt scientifiquesoudain ? Remarquez, ça peut expliquer sa combinaison à la tortue ninja. Ilveut peut-être découvrir ses origines. Il devrait plutôt chercher du côté deségouts que du côté des tubes à essai.« L'extraction d'ADN ? C'est étrange qu'un petit journal s'intéresse à ça...- Bah, vous savez, avec toutes les histoires qui se déroulent actuellement,les crimes où le coupable est retrouvé grâce à quelques poils abandonnés...C'est peut-être plus facile pour un petit journal d'envoyer quelqu'un dansun labo comme Anatech que dans un labo de la police scientifique...- Vous devez avoir raison... »Et le père Noël fait du golf en antarctique avec ses lutins.« À propos, comment s'appelle-t-il ?- Asmuldet. Vous avez été barman ici, alors ? »Elle réattaque. Mais cette fois j'ai mon bouclier« Oui, ça remonte à l'année dernière. Et vous, vous avez toujours travaillédans un laboratoire ?- Euh... quasiment.- Et vous travailliez dans quel laboratoire, avant d'être à Anatech ? »Ah ! Ah ! Dérangeant, hein ?À cet instant, mon portable sonne.« Excusez moi. »Je décroche.« Bonsoir, M. Chat Noir.- À qui ai-je l'honneur ?- Le commanditaire de votre opération.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 139

Page 143: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

C'est le client. Je m'écarte de la table pour parler.« Vous ne prenez plus monsieur Polames comme intermédiaire ? »J'entends le portable de Viktorka sonner.« Non, nous aimons que les choses aillent vite. Vous aussi, je l'espère ?- C'est une menace ?- Non. Un conseil.- Tout sera fini ce soir. »Je raccroche. J'entends Viktorka dire« D'accord... Rendez-vous dans une demie heure devant la grille. »Intéressant. On va faire une petite ballade nocturne avec ninja-boy ?« Je suis désolée... Un ami a oublié son manteau chez moi hier et il doitvenir le récupérer. Je vais devoir y aller. »Super bobard. Votre ami, c'est son cerveau qu'il a oublié.« Pas de problème. Je peux vous raccompagner ?- Je vous remercie, mais je préfère rentrer seule. »Je me sers un verre d'eau.« Comme vous voulez. L'addition est pour moi. Passez une bonne fin desoirée.- Merci. J'ai passé une bonne soirée. À une prochaine fois.- Au prochain colis »Elle quitte le Red Mambo. J'avale mon verre d'eau puis me lève. Marc acommencé une improvisation sur « Take Five », je souris. C'est sur cemorceau que j'ai tué Falconi. Je me lève et me dirige nonchalamment versle comptoir. Je paye. Je laisse un billet de cinquante euros pour lesmusiciens.« Merci pour eux. Vous les connaissez ? Je dois leur laisser un message ?- Non, dites leur juste qu'un chat est passé pour vérifier qu'il n'y a plus derats. »Je laisse le barman bouche bée et je m'éloigne. Maintenant que tous lesacteurs sont en place, il est temps de tirer le rideau.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 4 140

Page 144: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

CHAPITRE 5

Une fois tous mes achats effectués, je me rendis directement devant leslocaux d'Anatech. J'arrivai avant Viktorka. J'avais finis mon sandwich dansle bus, mais je me sentais tellement tendu que j'en avais presque mal aucœur. La nuit n'était pas totale, mais le ciel couvert ne laissait pas filtrerune grande luminosité. Un fin crachin commença à tomber. Viktorkaarriva.Elle portait un jean sombre et un petit gilet fermé par une cordelette sur unhaut noir, avec son sac en bandoulière. Elle sortit sa carte, et, sans un mot,la glissa dans la fente du boîtier près de la porte. La rue était déserte.Personne ne nous verrait entrer. Un déclic et la petite porte latérale s'ouvrit.Elle la poussa, et me fit signe d'entrer avec un petit sourire.Nous marchions vite, ayant peur d'être surpris. Elle me guida jusqu'à laporte arrière de son bâtiment, par un chemin ombragé sous le couvert desarbres. Elle avait une démarche décidée et rapide, progressant à grands passur le sentier gravillonné. Le silence était presque total, excepté levrombissement lo inta in de quelques voi tures e t le s i f f lementmélodieusement exotique d'un merle en parade.Arrivés à la porte, elle tapa un code et nous pénétrâmes dans un couloirsombre.« Mieux vaut ne pas allumer », murmura-t-elle.Elle avait raison : les vastes fenêtres permettraient à quiconque de nousvoir en ombres chinoises. Il fallut progresser dans le noir absolu. Difficilequand on ne connaît pas la topographie des lieux !!Nous progressâmes jusqu'à l'escalier qui menait au sous-sol. J'allumai matorche, et lui donnai l'autre. Elles étaient assez petites, mais puissantes.Elles m'avaient déjà servi de nombreuses fois dans des expéditionsnocturnes ou simplement pour lire un bouquin pendant un match de foot...Nous arrivâmes à la porte du dernier palier. Il n'y avait même pas deserrure. Viktorka l'ouvrit et alluma la lumière. Il me fallut plusieurssecondes pour y voir clair.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 141

Page 145: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« On dirait un vieux grenier...- Je vous l'avais dit : ce n'est qu'un vieux débarras encombré de matérielhors d'âge. »Elle avait l'air agacée. Regrettait-elle de m'avoir conduit jusque là ? Detoutes façons, je ne m'attendais à rien de particulier... et mieux valait fairevite.« Et où se trouve ce fameux coffre dont vous m'avez parlé ?- Suivez moi... »Elle se dirigea vers le fond et ouvrit une seconde pièce. Le coffre setrouvait tout au fond. Elle avait fait une observation judicieuse enmentionnant ce coffre lors de notre dernière entrevue. Il était beaucouptrop large pour pouvoir passer par la porte. Comment était-il arrivé ici ?Je l'examinai, alors qu'elle s'asseyait dans un coin. J'aurais donné cher poursavoir ce qui pouvait se passer dans sa tête à ce moment là.« Vous aviez raison, il est impossible qu'il soit passé par cette porte... Soitil y a eu des travaux, comme vous le disiez, soit il y a une ouverturederrière... »Mon stéthoscope ne m'apprit rien de plus. Cela devenait vraiment rageant.J'étais convaincu qu'il y avait bien des renseignements à tirer de ce coffre !Il était simplement impossible d'y accéder. Le stéthoscope plaqué contre lalourde porte hermétique en acier, j'écoutai attentivement le bruit quefaisaient les molettes quand je les tournais. Soudain, milieu des cliquetis,j'entendis nettement un bruit de pas.« Éteignez la lampe ! Il y a des bruits de pas ! »

******J'attends que Viktorka disparaisse, je paye et je me lève d'un geste décidé.Décidé à finir ce contrat qui commence à peser sur ma conscience.Direction : ma voiture et mes armes.J'ai garé la voiture à côté du bar. Je monte dedans et prends la direction dulabo. Je trouve une place à quelques mètres d'Anatech. Je sors et j'enfilemon imperméable. Je me munis de mon 22 avec un chargeur et mon fusilsniper. Son fusil sniper. J'aime la savoir près de moi lorsque je tire. Je doisme concentrer... Un journaliste qui fourre son nez partout mais qui est loind'être un malfrat. Une laborantine qui se réfugie dans une carapace froidepour combler son manque de confiance en elle. Mmh ! Que faire ? De quel

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 142

Page 146: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

côté me ranger ?...La nuit est claire, ce soir. Un bruit métallique me pousse à me retournerbrutalement en braquant mon fusil. Un chat sur une poubelle me toise duregard. Je m'approche de lui en le mettant en joue. Il se frotte contre lecanon de mon fusil. Je souris et, après l'avoir caressé, je retourne à mespensées.Je les suis, histoire de voir ce que fabrique mon employeur du moment, ouje les abats ? Je peux abandonner aussi. « Abandon » est un mot banni demon vocabulaire.Je vais les suivre et s'il le faut, je les tue tous les deux. C'est un bon mixdes deux décisions.Je m'abrite dans l'ombre d'un renfoncement de bâtiment.Je vois notre Tintin ninja à la grille en train de faire les cent pas. Quellediscrétion !Viktorka arrive cinq minutes après. Elle sort sa carte et tape un code. Ilsrentrent, et referment derrière eux.Je cours à l'entrée. Je ne peux même pas me faire passer pour un chercheur,Viktorka me reconnaîtrait. J'aurais dû prévoir un déguisement lorsqu'ons'est rencontrés chez Anatech. Je les entends s'éloigner. Je mets la paire degants que m'a fabriquée le prof. Ils sont équipés de mini-ventouses mepermettant de m'accrocher quasiment partout. Je deviens ainsi Spider-man,le collant en moins.La rue est déserte, profitons-en !Je saute le plus haut possible et je plaque mes mains contre le murd'enceinte, qui me barre le passage. Je déplace la main droite, puis lagauche. Arrivé en haut, je saute par-dessus le rebord et j'atterris à côté d'unarbre. Je me cache instinctivement derrière. Je les vois tous les deuxdisparaître derrière un bâtiment. Je cours me précipiter dans l'ombre del'angle de deux murs. Grâce à mon imper, je peux facilement empêcher lefusil de bouger. J'entends qu'on tape le code à l'entrée.Pas la peine d'espérer qu'ils me tiennent la porte. Je fais le tour dubâtiment. Je dois trouver une fenêtre basse et dépourvue de barreaux. Si jen'en trouve pas, il faudra grimper. J'avance doucement sur l'herbe mouillée.Il fait encore assez clair. Je vois enfin une fenêtre à ma convenance. Jecours : il ne faut pas que mes deux souris prennent trop d'avance.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 143

Page 147: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

J'hésite au moment d'atteindre la fenêtre : si les architectes n'y ont pas misde barreaux, c'est qu'un fossé large de trois mètres la sépare de là où je metiens. En réalité elle est au premier étage.Je recule... Et dire que j'aurais pu flinguer ce journaliste tout à l'heure etêtre tranquille chez moi...Je saute.Je m'accroche au rebord de la fenêtre, je glisse un peu... et je me rétablis.Il n'y a personne dans la pièce, bien sûr, car la lumière est éteinte. Je sorsmon diamant et - vous voulez un dessin ? revoyez vos vieux polars -j'ouvre la fenêtre.Je passe dans le couloir, après avoir forcé la serrure, car la pièce étaitfermée. Il me faut une bonne minute de concentration et d'écoute attentive,dans le couloir, avant de distinguer un bruit. Je me dirige vers sa source...Merde, ça venait d'une salle fermée contenant des machines bruyantes. Jem'éloigne de nouveau.Soudain, un léger choc me fait tendre l'oreille. J'avance... Pas de doute, cesont eux. Je remercie le ciel de la maladresse de mes deux proies. À pasfeutrés, je marche dans leur direction, pour les retrouver au rez-dechaussée, alors qu'ils s'engouffrent dans un escalier. J'attends une trentainede seconde avant de les suivre. Ils descendent toujours. Ils cherchent lesenfers ?Leurs lampes et leurs murmures me guident. Au bout d'un moment ilss'arrêtent au quatrième et dernier sous-sol et ouvrent une porte. Je patienteencore un peu avant de me glisser discrètement à leur suite, dans une vastecave. Des faisceaux de lampes balayent la pièce. Je me cache dans unangle et je sors mon revolver. Je les entends parler d'un coffre.Seraient-ils ici pour voler quelque chose ? Ils continuent leur investigationvers une autre salle. Je me rapproche de cette deuxième pièce en longeantle mur. J'entends un choc métallique. Apparemment, le journaliste a vouluouvrir le coffre avec sa tête, à moins que ce soit l'inverse. Quel idiot !Pff ! Quelle galère... Je pourrais être tranquillement chez moi en train dechoisir mes prochaines figurines. À quoi ça sert de les suivre, à les aider ?Je ne les connais même pas, ce sont peut-être des escrocs après tout.Je les tue et on n'en parle plus.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 144

Page 148: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je ne dois pas oublier que je suis un tueur à gage. J'entends comme un écholointain ma discussion avec Chloé lorsque j'ai découvert son véritablemétier.« Tueur à gage ? !- Depuis longtemps...- C'étaient ça, tes prétendus voyages !- Hey ! Je ne t'ai pas menti ! Je partais bien en voyage...- Pour tuer des gens !- Écoute Léo, tu es important dans ma vie. Je voulais te dire la vérité...J'ai...- Tu es une criminelle !- Je ne tue que des pourritures !- Me voilà rassuré ! Mais qui les désigne comme « pourritures » ? Tescommanditaires ? Ou toi ? »Retour au présent, et sans le vouloir ma bouche reprend sa phrase : « Je netue que des pourritures... »Je souris malgré moi.

*****Je pressai le pas. Il ne faisait pas encore nuit, mais il fallait bien vingt cinqminutes entre le Red Mambo et le labo.Les rues étaient pleines de monde. En fait, la ville commençait juste às'animer. Je pris le bus qui conduisait à cinq cent mètres du labo. Il étaitplein, mais je réussi à trouver une place assise, juste derrière le chauffeur.Le long du chemin, je songeai que mon entrevue avec le livreur, quoiqueagréable, ne m'avait rien appris sur les hypothétiques liens entre le labo etl'armée.De toutes façons, je suis bien incapable de faire la part du vrai et du fauxdans tout ce que ce type m'a dit. Si ça se trouve, il a juste cherché à attirermon attention.J'étais un peu mal à l'aise. D'un côté, ce livreur avait un certain charme, etcela ne m'aurait pas déplu de rester un peu plus longtemps en sacompagnie. D'un autre côté, j'étais également soulagée d'avoir eu ceprétexte pour mettre les voiles.Et l'autre niais de journaliste, qu'est ce qu'il manigance ? Est ce que jepeux croire ce qu'il dit ?

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 145

Page 149: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Les passagers du bus descendirent les uns après les autres au fur et àmesure que l'on s'éloignait du centre et des commerces. Le laboratoire sesituait un peu en dehors de la ville. Quand vint mon tour de descendre, ilne restait qu'une grand-mère endormie à l'arrière, et un homme d'unequarantaine d'années qui regardait pensivement par la fenêtre.Le journaliste m'attendait à quelques pas de la grille, comme convenu. Ilétait vêtu de noir, avec des manches longues, un bandeau noir retenant sescheveux hirsutes. Il avait l'air tendu. Je glissai ma carte dans l'appareil ettapai le code d'accès nocturne. La porte s'ouvrit, et nous entrâmes. Lelaboratoire était un ensemble de plusieurs grands bâtiments, entourés d'unesorte de petit parc. Nous nous glissâmes en catimini jusqu'à la porte dederrière du bâtiment B, elle aussi verrouillée. Je tapai le code, différent decelui de la porte d'entrée, et poussai la porte, le journaliste sur mes talons.Tout était désert, et il faisait noir. Le silence était rompu par le seulronronnement des machines qui continuaient de travailler dans la nuit,seules et sans surveillance.Mais qu'est ce que je fais là, bordel ? Pourquoi est ce que j'aide cetilluminé à chercher des embrouilles à mon gagne-pain ?Je me sentais très mal à l'aise, pas du tout à ma place. Je fis signe aujournaliste de me suivre, et marchai vivement dans les couloirs, éclairés çaet là par quelques fenêtres. J'avais hâte que tout soit fini.« Vous êtes sûre qu'il n'y a pas d'alarmes ?- Oui. Il n'y en a nulle part, sauf dans les bibliothèques et dans certainsbureaux, où nous entreposons les résultats avant de les envoyer auxclients. »Nous passâmes devant une multitude de portes fermées, salles de manip etbureaux divers. L'aile où je voulais aller, où se trouvait l'entrée vers la caveque j'avais empruntée, se situait environ au milieu du bâtiment.Nous n'allumâmes aucune lumière, naturellement, ni aucune lampe depoche, à cause des fenêtres devant lesquelles nous passions - inutiled'attirer l'attention - aussi devions nous faire particulièrement attention à nepas nous cogner un peu partout. Pour moi, qui connaissais bien les lieux,ce n'était pas trop dur, mais le malheureux journaliste se cognasuccessivement les jambes dans une table, un chariot, puis une armoire , ets'étala par terre à cause d'une marche qu'il n'avait pas vue.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 146

Page 150: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Faites un peu attention, quand même ! Je ne connais pas les horaires destours effectuées par les gardiens, mais avec tout ce boucan, on va finir parattirer les flics !- Vous croyez que je le fais exprès ? répliqua-t-il, une main sur la tête.- Peu importent vos intentions, si le résultat est de nous faire prendre icidans ces conditions, je risque de sérieux ennuis... si je perds mon boulot, cesera de votre faute ! »Nous avançâmes ainsi, à pas comptés, jusqu'à l'entrée des sous sols. Nousaurions pu prendre l'ascenseur, mais je préférai les escaliers. De toutesfaçons, il n'y avait que peu d'étages à descendre.Lorsque nous passâmes au sous sol, et que nous fûmes sûrs qu'il n'y avaitplus de fenêtres, le journaliste alluma sa lampe-torche, et m'en passa une.Lorsque nous ouvrîmes la porte du quatrième sous-sol, et éclairâmesl'intérieur, rien n'avait bougé. J'entrai dans la pièce, suivie du journalistequi se mit à examiner les lieux.« On dirait un vieux grenier...- Je vous l'avais dit : ce n'est qu'un vieux débarras encombré de matérielhors d'âge.Non, mais qu'est ce qu'il croit ? Qu'il va tomber dans un labo secret ?- Et où se trouve ce fameux coffre dont vous m'avez parlé ?- Suivez moi... »J'ouvris la porte menant à la seconde pièce. En compagnie du journaliste,même à cette heure indue, l'atmosphère me paraissait beaucoup moinsangoissante que la première fois. Le coffre, au fond de la salle, n'avait pasbougé.Le journaliste courut jusqu'à lui, se prit les pieds dans une pile de vieuxmagazines, et percuta la porte de plein fouet. Je courus et le pris par lesépaules, alors qu'il s'asseyait sur le sol, à moitié sonné.Si tu te sers toujours de ta tête comme ça, mon gars, cela pourraitexpliquer certaines choses quant à ton comportement...« Pas trop de mal ?- Non, non... Ça va. C'est idiot, je n'avais pas vu ces journaux... »Il tourna la tête vers le coffre.« Alors c'est ça, ce fameux coffre qui a été ouvert pendant le week-end ?Ah quel dommage que je n'aie jamais appris à percer les coffres !! Vous

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 147

Page 151: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

permettez que je prenne le temps de l'examiner ?- On est là pour ça, il me semble. »C'était l'expédition la plus stupide qui soit : même si des documentscompromettants se trouvaient dans ce coffre, comment le savoir, si on nepouvait pas l'ouvrir ?Je m'assis dans un coin pendant que le journaliste s'affairait à son enquête.« Vous aviez raison, il est impossible qu'il soit passé par cette porte... Soitil y a eu des travaux, comme vous le disiez, soit il y a une ouverturederrière... »Il sortit un stéthoscope de sa besace, et le posa sur le mur. Puis il le tapaavec une baguette. « Ça sonne plein... plein.... plein... Non, je ne vois pas...Bon, examinons ce coffre. »Il appliqua l'appareil contre la porte, et commença à tourner les molettes.Pathétique. Je posai la tête contre le mur, et commençai à réfléchir à ce queje pourrais faire du reste de la soirée - peut-être regarder cette émission quej'aime bien, s'il n'est pas trop tard - et je pensai tout à coup que je n'avaispas fais mes exercices du soir, pour mon bras.Bah, pour une fois, qu'est ce que ça change ?Je songeai de nouveau au livreur-médecin-barman-mythomane. Je voulaisbien croire qu'il ait été médecin... À moins que simplement il ait eu un bonsens de l'observation, ce qui lui aurait permis de voir que je ne me servaispas de mon bras...Méfiance...« Tiens, qu'est ce que c'est ? Oh mais... des bruits de pas ! Éteignez lalampe ! Il y a des bruits de pas ! »L'exclamation étouffée du journaliste me tira de ma rêverie. J'éteignis lalampe et tendis l'oreille, le souffle court, le cœur battant la chamade.Est-il possible qu'un gardien vienne jusque là ? Ou alors nous avions faittrop de bruit ? Misère, comment expliquer ma présence ici ?Je tendis de nouveau l'oreille. Je n'entendais rien. Rien d'autre que larespiration du journaliste, blotti de l'autre côté du coffre.Il a rêvé... Il n'y a personne ici...J'aurais aimé trouver la force de rallumer ma lampe, mais tous mesmuscles étaient paralysés.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 148

Page 152: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Et si ce type était un maniaque, qui aurait tout manigancé pour m'attirerici ? Viktorka, tu es la dernière des imbéciles !!Je ne bougeai pas d'un cheveu. Je savais que s'il voulait s'approcher demoi, je l'entendrais forcément, et j'étais sûre d'entendre sa respiration venirde derrière le coffre.Non, il a dû paniquer tout seul... Si cet abruti maladroit est un maniaque,je suis la reine d'Espagne. Rallumons la lampe...Ma main refusait de bouger. Et heureusement, car à cet instant, un fortgrincement retentit. Ce n'était pas la porte d'entrée, c'était le coffre, lecoffre qui s'ouvrait tout seul !Une lumière diffuse envahit la pièce, et un homme sortit par la porteblindée. Il tenait une lampe-torche dans la main, avec laquelle il balayarapidement le sol.J'étais incapable de remuer, de respirer, ou simplement de penser. Je nesavais qu'une chose : je m'étais attaquée à un beaucoup trop gros poisson.N'était-il pas possible de revenir en arrière, dans la rue, et que j'envoie cefouille-merde de journaliste se faire foutre une bonne fois pour toute ? Oualors ne pouvais-je pas me réveiller dans mon lit ? Où était passée mapetite vie tranquille ?J'étais contre une armoire, ce qui me cachait aux yeux de l'intrus. Parcontre, je pouvais le voir à travers les fentes du bois. Il resta immobilequelques secondes, puis un autre arriva à son tour.« Alors ?Une voix de femme...- Rien... Pourtant, je suis sûr d'avoir entendu quelque chose. Un choccontre la porte, ou quelque chose comme ça. »Il balaya encore une fois la pièce de sa lampe.« Il n'y a rien, laisse tomber. »Ils retournèrent dans le coffre, et fermèrent la lourde porte derrière eux. Jetremblais comme une feuille.Quelques secondes à peine s'étaient écoulées quand le journaliste allumade nouveau sa torche. Il chuchota :« Vous me croyez maintenant ? J'ai bien étudié les plans du labo avant devenir, et rien n'est indiqué à cet endroit. Il ne devrait rien y avoir d'autreque ces deux pièces. Il y a un labo clandestin ici. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 149

Page 153: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il avait sorti son stéthoscope et le plaça de nouveau contre le coffre.« Je les entends... Ils se racontent une blague... Une souris marseillaise...Ils sont trop loin, je n'entends plus. Ils sont partis. Ils n'ont pas vu quej'avais mis une cale dans la porte ! »Je m'approchai à quatre pattes. Il avait effectivement glissé une grossemèche de carton fort dans la porte, l'empêchant de se refermer totalement.Il commença à ouvrir le coffre. Je l'agrippai et le tirai en arrière, face àmoi.« Mais vous êtes cinglé ! Qu'est ce que vous voulez faire ?- Ben, entrer....- Mais vous voulez nous faire tuer, ou quoi ? Si seulement la moitié de ceque vous m'avez dit est vrai, on ne peut pas entrer là dedans la bouche enfleur, et espérer en ressortir vivants !! Il faut aller trouver la police ! Ilsferont une perquisition, je ne sais pas, mais là, ce n'est plus pour nous,c'est... c'est trop dangereux ! »Il me regarda d'un air très grave.« J'aimerais bien faire comme vous dites. Mais c'est impossible. Mon amiflic, qui enquêtait sur le braquage... celui qui a été enlevé... Il s'occupait decette histoire de manière officieuse. Il a fait des rapports... Et à chaque fois,même quand les indices et les pièces à conviction s'accumulaient, lerésultat était le même : ses supérieurs lui ordonnaient de laisser tomber. Ily a des gens très haut placés qui ont intérêt à ce qu'on ne touche pas à cetteaffaire. Et maintenant, la seule vraie preuve, la main, a disparu. Jamaisnous ne pourrons obtenir d'enquête. Par contre, eux, ils seront mis aucourant de toute notre investigation, dès qu'on ira voir les flics. Et voussavez quoi ? Ils nous feront tuer, mais on n'aura jamais eu l'occasiond'avoir des preuves de ce qui se passe ici. »Il s'arrêta pour reprendre son souffle.« Ici, maintenant, j'ai enfin l'occasion de savoir ce qui se passe. Mon amiest en danger, et peut-être se trouve-t-il ici, derrière cette porte blindée... Jeveux savoir ce qu'il est devenu, et qui est derrière tout ça. Rien ne pourram'en empêcher. Si vous voulez laisser tomber maintenant, je vous en prie,allez-y. Vous m'avez déjà beaucoup aidé. La seule chose que je vousdemande, c'est de me laisser 24h avant de prévenir la police. »Tu vas te faire tuer, mon gars.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 150

Page 154: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

J'éprouvais un curieux sentiment. Je savais que je n'étais pas capable dem'infiltrer là dedans. Que je n'aurais jamais la moelle, le sang-froid, pourfaire ce genre de chose. À une autre époque, peut-être que j'aurais osé.Mais là, infirme...Pourtant, pourrais-je continuer de travailler pour le labo dans cesconditions ? Et si le journaliste se fait tuer ?Et s'il avait raison... Mes jours ne seraient pas plus protégés si je mecontentais de prévenir la police.Dans tous les cas, c'est l'impasse.Je regardai le journaliste. Il était tendu, et semblait animé d'une énergieprête à exploser. Lui, il allait se jeter dans la gueule du loup, c'était sûr.Pourrais-je vivre après ça ? S'il se faisait tuer, pourrais je supporter cepoids ?Un de plus un de moins... Qu'est ce que ça change ?Non. Je ne pourrais pas. J'inspirai pour essayer de retrouver un semblant decalme. Je réfléchis brièvement.Solution la moins risquée : tout laisser tomber, oublier. Et vivre avec unemort sur la conscience. Solution risquée numéro un : aller prévenir lesflics. Risquer de se faire tuer sans jamais rien savoir, et vivre avec la mortdu journaliste sur la conscience entre-temps.Solution risquée numéro deux : suivre le journaliste et s'exposer à unemort immédiate. Argh !!! C'est un prix élevé. Mais est-ce que ma vieactuelle vaut si cher que ça ?J'expirai. Le problème, c'était que je me sentais incapable de faire unechose pareille. Et pourtant, au fond de moi, une petite voix essayaitdésespérément de se faire entendre. Une voix que je n'avais plus entenduedepuis un an. Je me rendis compte que je tremblais. J'étais morte de peur.Tu vas te faire tuer, mon gars. Et moi aussi.« Ok. Je viens avec vous. Mais dès qu'on a trouvé des preuves, onremonte. »Au moins, je ne regretterai rien.Cela faisait très longtemps que je n'avais pas eu cette pensée. Pourtant, jesavais qu'on ne remonterait probablement jamais. Il n'y avait simplementpas d'autre solution.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 151

Page 155: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il acquiesça. Ensuite, nous tirâmes sur la porte, qui s'ouvrit sans trop depeine sur un couloir bien différent du reste du sous sol. Il était entièrementmétallique, et j'eus l'impression de contempler une sorte de vaisseauspatial. S'ils avaient fait ce couloir pour impressionner les visiteursimportuns, eh bien, c'était réussi.Il faisait sombre, mais on pouvait voir une autre porte au fond du corridor.Si ça se trouve, on va tomber sur des portes à code et on ne pourra pasaller plus loin.Le journaliste indiqua le plafond d'une main, désignant un œil de caméra àmi-chemin... mais pas tourné vers nous, heureusement. Sur la gauche, uninterrupteur. Il pénétra dans le couloir, en prenant soin de passer juste endessous de la caméra, soit hors-champ. Je le suivis.

*****Je ne ferai pas honte à ta mémoire, Chloé... Qu'est ce que j'entends ? Ungrincement, le coffre s'ouvre ? Des gens sortent et examinent la pièce oùViktorka et Asmuldet se sont aventurés avec une lampe-torche. Deuxpersonnes, une femme et un homme.Je n'entends pas bien ce qu'ils disent. Le coffre se referme.Très bien ! Qu'est ce que font nos détectives en herbes ? Sont-ils encorelà ? Apparemment oui, car j'entends Viktorka :« Mais vous êtes cinglé ! Qu'est ce que voulez faire ? »S'ensuit une discussion... C'est donc ça tes motivations, monsieur lejournaliste ! On veut passer de la gazette des sports à « Détective ». « Lesflics »... mmmh. Mauvaise idée. Finalement, il n'est pas si débile. Il estjuste inconscient.Bon, je dois me décider... Jouer les anges gardiens c'est gentil mais jerisque ma peau pour rien. En fait il faudrait qu'ils fassent demi-tour, çam'arrangerait. Ce n'est pas vrai ! Ils ouvrent le coffre et entrent dedans.Et merde, je déteste la culpabilité. Je me précipite pour retenir la porteavant qu'elle ne se ferme. Je les vois s'enfoncer dans l'obscurité du couloir.Je sais ce que je vais faire : je les suis et ensuite, je les force à sortir d'ici...Ils me remercieront. C'est un bon plan.J'entends un bruit d'ascenseur. Vite ! J'ouvre la porte, et je fonce dans lecouloir.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 152

Page 156: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Oups ! Une caméra ! Passons hors de son champ de vision. Je range monarme et je me sers de ma main gauche pour suivre le couloir dansl'obscurité. Je suis presque nyctalope. Je vois les numéros de l'ascenseurs'afficher successivement... Et s'arrêter à D.Ok, là ça se corse. Je vais un peu attendre, disons quatre minutes, puisaprès je descendrai.Tiens un bruit de porte ! Oh ! Oh ! Je reviens en arrière de quelques pas, enévitant la caméra, pour voir qui arrive, planqué dans l'ombre du couloir.Un gardien. Il vient de la cave. Il porte un uniforme qui ferait pâlir dejalousie n'importe quel super héros !Il est habillé d'une tenue matelassée bleu nuit, avec des épaulettes qui lefont ressembler à un joueur de football américain, mais sans le casque. Ilporte une matraque et un pistolet - à la crosse, je dirais un glock.Il vient dans ma direction. Je reviens vers l'ascenseur sans un bruit... Jesuis mal. J'appuie sur le bouton. Dépêche, dépêche. La lumière du couloirs'allume.« Qui êtes vous ? »Merde.« Excusez moi, j'ai dû me tromper d'étage, je cherchais les WC. »Il dégaine son arme, je regarde la caméra au-dessus de lui... Je passe à latélé dans vingt secondes.« Jetez votre fusil vers moi ! »19... 18...« Faudra venir le chercher, la boucle de ma sangle est cassée. »17... 16... 15...« Alors je vais t'abattre là. »14... 13... 12... Il avance vers moi.« Et puis merde ! »11... 10... 9...Je me baisse, attrape le couteau planqué dans ma botte et le lui plante entreles deux yeux.8... 7... 6...Le type tire par réflexe avant de s'écrouler. La balle ricoche une fois contrele mur avant de se ficher à sept centimètre de mon épaule.5... 4... 3...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 153

Page 157: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

J'attrape le type par les pieds et je le traîne hors du champ de vision de lacaméra.2... 1... 0.Je pense qu'ils n'ont rien vu. Je le planque où ?Je le laisse là ? Sous la caméra ? Non je vais le sortir dans la salle ducoffre.J'attends que la caméra finisse son aller et je tire le type pendant son retour.Il est un peu lourd. C'est marrant, son visage a une drôle d'expression... Lecouteau le fait loucher. Voilà, je l'installe dans les cartons de la salle parlaquelle nous sommes tous arrivés.Je lui laisse son arme. Les glocks, ça n'a jamais été mon truc. Les armes enplastique, beurk !J'ai mémorisé le temps d'aller-retour de la caméra. Je ne pénètre qu'aumoment le plus adéquat.Et je file vers l'ascenseur. La porte est ouverte.J'espère ne pas arriver trop tard !

*****Passée la porte du coffre, nous avançâmes très doucement, attentifs aumoindre bruit. Il faisait noir, malgré une toute petite lumière émanant de lalampe du journaliste, enveloppée dans des chiffons. Il fallait prier pour quede si faibles variations de lumière ne soient pas perçues par la caméra.Nous progressâmes jusqu'au bout du couloir, où se trouvait une ported'ascenseur. Le journaliste appuya sur le bouton d'appel.« C'est du suicide, murmurai-je. Qui sait sur quoi on risque de tomber si onprend cet ascenseur ?- On ne va pas renoncer maintenant. »Il avait raison. Une fois la décision prise, rien ne sert de revenir en arrière.Il enleva son manteau, et le tendit devant lui, face à l'ouverture du coffre,pour masquer dans la mesure du possible la lumière de la cabined'ascenseur quand elle s'ouvrirait.« Passez derrière moi. Quand ce sera ouvert, entrez. »J'obtempérai. Au bout de quelques secondes, la porte s'ouvrit sur une petitecabine métallique. On n'avait pas fait appel à une société spécialisée pourfaire cet ascenseur. Ça ressemblait à une construction de chantier. J'entrai,et le journaliste recula d'un pas. « Appuyez sur un bouton, n'importe

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 154

Page 158: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

lequel ! »J'hésitai une seconde devant une série de boutons rouges, portant lesmentions A, B, C, D, E. Je pressai D, au hasard. La porte se referma. Lejournaliste rabaissa son manteau en soupirant. Un frisson le parcourut,mais il remit son manteau et carra les épaules. Il n'était pas plus rassuréque moi.L'ascenseur descendit lentement pendant ce qui me parut une éternité. Lejournaliste se plaqua contre une paroi latérale, et me fit signe de l'imiter.Ainsi, de part et d'autre de l'entrée, nous ne serions peut-être pas vusimmédiatement quand les portes coulisseraient de nouveau.Un léger choc. Un grincement presque inaudible. Les portes s'étaientouvertes sur un autre couloir sombre. Nous sortîmes de l'ascenseur, qui seferma derrière nous. Il y avait des portes le long des murs. Le journalisteportait toujours son stéthoscope autour du cou, ce qui le faisait ressemblerà un drôle de médecin sorti d'un film d'aventure dans la brousse. Il avançadoucement, et écouta à chacune d'elles. Je marchais sur la pointe des pieds,et de la sueur froide me coulait dans le dos. Pendant qu'il se livrait à cetexamen, je réfléchis aux deux individus que l'on avait vus sortir du coffre.Ils « avaient entendu quelque chose », probablement le journaliste heurtantla porte blindée. Mais il était peu vraisemblable qu'ils aient stationné dansle couloir, et soient partis immédiatement ensuite.La caméra. Il devait y avoir un micro avec la caméra, et si c'étaient desgardiens, ils ont pu entendre le choc de Laurent contre la porte commecela. Prions pour qu'ils ne nous aient pas entendus, nous.« On dirait qu'il n'y a personne. »Il appuya sur la poignée de la première porte. Fermée.La deuxième. Fermée.La troisième. Fermée.La quatrième. Ça s'ouvre... Sur une salle de manip tout ce qu'il y a de plusordinaire. Je m'avançai dans la pièce. Rectification, ce n'était pas ordinaire.Une partie du matériel m'était inconnu, notamment ce qui était couplé auspectromètre de masse. Une boîte de gants en latex était posée sur uneétagère. J'en enfilai une paire, afin d'être plus à l'aise. De grandes étuves,fermées, et dans un coin, une vaste sorbonne. Plusieurs flacons en dessous,dont de nombreux solvants. Rien de très étrange. À droite de la hotte, se

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 155

Page 159: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

trouvaient deux postes équipés de microscopes, recouverts de sacs enplastique, et à gauche, un microscope équipé pour des injectionscellulaires, aussi protégé de plastique.Il y avait des traces d'activité récente, comme la vaisselle en train de sécherà côté de l'évier : plusieurs erlenmeyers, quelques béchers, une boîte enverre avec des cônes dans de l'eau de javel. Le matériel était un peudifférent de celui des étages au dessus. On voyait que ceux qui avaientéquipé cette salle n'avaient pas regardé à la dépense, mais...« Ça ressemble plus à un labo de recherche qu'à un labo d'analyse, ici. Lematériel est très varié, ils doivent faire plein de trucs.- Vous avez une idée plus précise ?- Pas pour l'instant. »J'ouvris une étuve. Elle était pleine de boîtes de Pétri.« Ils font pas mal de culture cellulaire. Je ne peux pas en dire plus.- Il y a des cahiers sur cette étagère. »J'en ouvris un. C'était un cahier de manips avec plusieurs protocoles. De latransgenèse, de la purification de divers composés cellulaires...« On va voir les autres pièces ? » demanda le journaliste.Il avait pris une série de photos.À moins d'y passer beaucoup plus de temps, je ne pourrais pas enapprendre davantage.Nous sortîmes. J'avais un peu oublié ma peur, je ressentais surtout del'excitation, de la curiosité. Tout cet équipement, ces installations, au nez età la barbe de tout le monde !Il restait encore deux portes. Nous essayâmes la plus grande, qui s'ouvritsur une pièce gigantesque, circulaire, toute en hauteur. Elle faisait aumoins l'équivalent de trois étages et les murs étaient entièrement couvertsde livres et de classeurs. Des échelles et des rampes de métal permettaientd'y accéder et se déplacer. Je regardai devant moi. On se serait crus dansun mauvais film de science fiction, présentant l'archétype du laboratoire,avec des appareillages complexes, des paillasses couvertes de matériel, degrandes cuves au contenu brunâtre ou rosâtre. Il faisait très sombre, lalumière ne provenant que de quelques appareils allumés.« Vous pensez qu'ils sont nombreux à travailler ici ? » interrogea lejournaliste.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 156

Page 160: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je haussai les épaules.« Qui sait ? Il y a sans doute d'autres ouvertures que celles qu'on atrouvées, et peut-être des passages directs vers l'extérieur. Les gens quibossent ici pourraient très bien ne pas tous appartenir au laboratoire« officiel ». D'abord, il faudrait avoir une idée de la surface exacte deslieux, trouver des bureaux, des comptes rendus... Il doit y avoir beaucoupd'informations dans ces livres et ces dossiers... »Je désignai l'ensemble de la pièce. Une curieuse structure circulaire étaitsuspendue au plafond. L'éclairage ?Le journaliste prenait photos sur photos. Il s'approcha des cuves alors queje me dirigeai vers la première rangée de livres.Dis moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es. Et ce que tu étudies.

*****Je me plaquai contre le mur, le souffle court, le cœur battant. La porte ducoffre s'ouvrit et deux personnes en sortirent. Je ne les voyais pas, maisj'entendais ce qu'ils disaient. Ils nous avaient entendus, et étaient venusvérifier. Un homme et une femme, relativement jeunes. D'où j'étais, assispar terre, ils me paraissaient démesurés. Ils portaient des uniformes noirs,avec ce qui ressemblait à un gilet pare-balle, un peu comme les policiersqui chassent les émeutes, mais tout en noir. Ils portaient un casque, qui,j'en aurais mis ma main au feu, comportait aussi un micro. Une petitequeue de cheval blonde dépassait de celui de la femme.Je ne respirai quasiment pas jusqu'à ce qu'ils soient repartis. Juste avantqu'ils referment la porte, je pris une liasse de papier et la glissais entre lebattant et le chambranle, de sorte qu'elle ne se ferme pas tout à fait.J'écoutai ensuite avec mon stéthoscope, et en déduisis qu'ils s'éloignaient.Nous pouvions entrer à leur suite.Je n'en revenais pas. Il y avait vraiment un laboratoire clandestin ici. Qu'estce qu'ils pouvaient y faire, quel était le lien avec le braquage de la BNF ?Est ce que l'on trouverait l'explication du mystère Duquai ? Jamais jen'avais été aussi proche du but, j'en étais intimement convaincu. Je savaisaussi que pour percer ces secrets, il fallait entrer.Convaincre Viktorka de venir fut le plus dur. Elle m'opposa tous lesarguments possibles, et le ton qu'elle employait indiquait clairement qu'elleme prenait pour un fou de vouloir entrer la dedans. Une partie de

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 157

Page 161: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

moi-même était d'accord avec elle, mais une autre trouvait enfin dans cetteinvestigation une justification de mon existence. Je ne fléchis pas. Elleaccepta de m'accompagner.À l'intérieur, il faisait noir, et nous n'y voyions rien. J'enveloppai ma lampede mon blouson et l'allumait. La lumière était extrêmement faible, maiselle nous permit de nous faire une idée de la configuration des lieux, et derepérer une caméra de surveillance. Nous passâmes rapidement. Enquelques pas, nous arrivâmes à la porte du fond. Un ascenseur. Messieursdames, bienvenue en Enfer, niveau D.La plupart des portes étaient fermées, et pour autant que je le sache avec unexamen au stéthoscope, vides de toute présence humaine. La première às'ouvrir ne recelait pas de grandes surprises, pourtant Viktorka semblatrouver de l'intérêt dans une pile de dossier.Vous avais-je dis que je ne m'étais jamais sentis très à l'aise dans leslaboratoires ? Eh bien, dans un labo clandestin, c'était toujours vrai.Viktorka, en revanche, évoluait comme un poisson dans l'eau, fouillant,examinant les étiquettes et le matériel. Je pris quelques photos, en sachantbien que ce labo était semblable à n'importe quel autre, et que mes clichésn'apporteraient pas de preuve de quoi que ce soit.La seconde porte, par contre... Jamais je ne l'oublierai de ma vie. Un pièceénorme, très haute, cylindrique, avec des appareillages de cauchemar, de latuyauterie, un vrai laboratoire de film de série B. Il y avait également degrandes cuves transparentes contenant des liquides plus ou moins opaques,et je faillis avoir une crise cardiaque quand je réalisai qu'elles contenaientdes corps.

*****Tout à coup, il y eu un fracas de verre brisé. Le journaliste, une main sur labouche, les yeux exorbités, rejeté en arrière sur une paillasse, venait derenverser un portoir de tubes.« Qu'est ce qu'il y a ? »Je courus vers lui. Il se courba violemment en avant et vomit.Je regardai dans la cuve. Et je compris. Dedans se trouvait un corps, uncorps d'enfant, qui bougeait spasmodiquement. La cage thoracique étaitouverte, les yeux fixes. Il flottait dans une solution brune.« Il faut le sortir de là ! »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 158

Page 162: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je fis non de la tête. J'avais de nouveau des sueurs froides.« Il est mort. Le cœur ne bat pas. »Le journaliste ouvrit de grands yeux.« Mais il bouge !- Je ne sais pas ce qu'ils font, mais je peux vous dire que si cet enfant danscette cuve bouge, ce n'est pas le signe qu'il soit vivant. »Du moins... Certains de ses tissus sont vivants, c'est sûr... mais soncerveau...Je regardai de nouveau. Le petit corps bougeait faiblement, par spasmes,ou pliait un membre de temps en temps. Mais quand la tête se tourna, jepus voir que le crâne était ouvert, et qu'il n'y avait plus de cerveau.Là, c'est fichu.« Non, il n'y a vraiment rien à faire. Prenez des photos. On va essayer desavoir exactement ce qu'ils font. »Le journaliste était blanc comme un linge. Je me demandai s'il n'allait pass'évanouir. Je lui tapotai maladroitement l'épaule.« On n'a pas beaucoup de temps... il faut réunir un maximum de preuves. »Je me dirigeai vers les autres cuves. Elles renfermaient des morceaux decorps, rarement des individus entiers. L'une d'elle contenait même deuxchiens.Mais qu'est ce qui se trame ici ? Qu'avons nous découvert ? Un laboclandestin travaillant sur l'humain, des corps dans tous les coins... Desexpériences illégales...Les cuves étaient reliées à des appareillages complexes. Parmi ceux-ci, jereconnu un appareil à dialyses. Il devait remplacer les reins déficients decertains corps...J'examinai les dispositifs en détail. Dans les cinq plus grandes cuves aumilieu de la pièce, se trouvaient les corps encore pourvus de têtes, flottantdans des effluves violacés, liés à de multiples tuyaux où circulaient diversliquides. Des corps nus, dont peut-être seuls quelques organes étaient envie, si je comprenais ce que je voyais. Soudain, dans une convulsionspasmodique, l'un d'eux tourna son visage vers moi, et cligna des yeux.Épouvantée, je reculai. J'avais l'impression que cette femme était encoreconsciente. Ses yeux ne bougèrent plus, mais le doute m'avait saisie. Et si,parmi ces enveloppes vides, elle était la seule à avoir un cerveau encore

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 159

Page 163: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

fonctionnel, emprisonnée dans la souffrance abjecte d'un corps tellementmutilé que la mort soit son seul espoir ?La machinerie complexe qui liait ces cuves entre elles se trouvait dans uncoin. Il y avait un moniteur central, des dizaines de cuves annexes... Je n'ycomprenais pas grand-chose, mais je finis par découvrir le petit appareilqui gérait les pompes servant à faire circuler le sang de ces malheureux. Jel'arrêtai. La pompe cessa son activité, et les corps s'immobilisèrent. Unlong frisson me parcourut.Soudain, une série de bips jaillirent du moniteur principal.Merde ! J'aurais dû penser qu'il y aurait une alarme !Je me précipitai. Une vague de panique me submergea. Je ne savais pasquoi faire.« Qu'est ce qui se passe ? » demanda le journaliste. J'appuyai surl'interrupteur. Tout cessa, et je respirai.Eh bien, ce n'était pas si difficile...Je me remis à explorer les environs après avoir rassuré le journaliste d'ungeste de la main.Je regrettais de ne pas avoir pris les cahiers de manips dans la pièce d'àcôté. Je ne les avais pas regardés assez en détail. Il y avait gros à parierque, vu le contenu de la grande salle, les expériences menées dans la petiteseraient riches d'enseignement.« Je retourne chercher les cahiers de l'autre côté. Voyez s'il n'y a pas descomptes-rendus qui traînent. » lançai-je au journaliste.Je courus vers la petite pièce, et empochai les cahiers. Je regardai aupassage s'il n'y en avait pas d'autres, fouillai dans les armoires... Je glissaimes trouvailles dans mon sac et revins vers la grande salle.Alors que je fermais la porte derrière moi, mon cœur se mit à battre à toutrompre. J'entendais des voix. Je dû me tenir à quatre pour ne pas partir encourant.Pas de doute, quelqu'un avait fini par nous trouver. C'était idiot, aussi,comment avions nous pu imaginer que nous pourrions nous livrer à nospetites enquêtes sans éveiller de soupçons ? Nous avions vu une caméra enhaut, donc il y en avait forcément ailleurs, un peu partout.Pétrifiée, j'écoutai avec attention. Je ne pouvais distinguer les paroles, maisje reconnaissais le timbre du journaliste, avec au moins une autre personne,

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 160

Page 164: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

dont la voix m'était également familière - sans pour autant que je puissedéterminer son identité.Probablement un de mes collègues, qui bosserait à la fois ici et en haut...Je m'approchai, et jetai un coup d'œil par l'entrebâillement de la porte de lagrande salle. À peu près au milieu de la pièce, me tournant le dos, un typefaisait face à Asmuldet. Le journaliste était adossé à une paillasse, lesmains levées.

******Des enfants, des adultes, même des chiens... J'avais faillis m'évanouir à mapremière dissection au collège, alors là, vous pouvez imaginer...La plupart étaient éviscérés, ou avaient subi des mutilations diverses.Viktorka les examina quasiment comme si de rien n'était, renforçant dansmon esprit l'image de la froideur scientifique. Elle ne voyait donc pas lasouffrance de tous ces corps torturés ?Ils étaient morts, malgré leurs mouvements spasmodiques, ce fut saconclusion. Savoir cela me permit de surmonter ma répulsion et de prendrequelques clichés. Ceux-ci feraient des preuves excellentes.Je pris des vues d'ensemble et des vues de détail des appareils et ducontenu des cuves.Soudain, une série de sifflements retentit. Je me retournai violemment,certain que nous avions été surpris, mais il n'y avait personne. Mon regardcroisa celui de Viktorka. « Qu'est ce qui se passe ? » demandai-je. Elle neme regarda pas, et appuya sur un bouton. Tout s'arrêta.« J'ai touché quelque chose qu'il ne fallait pas apparemment...- Vous ne trouvez pas que le danger est assez fort sans en rajouter ? »E l l e h a u s s a l e s é p a u l e s . S o n c o m p o r t e m e n t m e p a r a i s s a i ti n c o m p r é h e n s i b l e . E l l e f i t u n p e t i t g e s t e p o u r d i r ene-vous-inquiétez-pas-tout-va-bien. Nous n'avions pas de temps à perdreen vaines disputes. Je me remis au travail.Elle était partie depuis une minute pour aller rechercher les cahiers del 'autre salle, quand un bruit de pas résonna derrière moi. Je susinstantanément que ce n'était pas elle.

******Il me semblait que le journaliste n'était menacé que par une seulepersonne.. Si je m'approchais suffisamment silencieusement, je pourrais

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 161

Page 165: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

peut-être essayer de l'assommer par derrière...Je retirai mes chaussures, et les glissai dans mon sac à bandoulière. Pas lapeine de faire du bruit. Petite, j'arrivais toujours à surprendre mon père decette manière quand il travaillait, ce qui le mettait en rage. J'entrouvris laporte et me faufilai par l'ouverture.« Chut, ne criez pas, on va se faire repérer... » dit l'homme à Laurent.Celui-ci, jouant fin, pour une fois, lui répondit sans jeter un seul coup d'œilvers moi.Je pris le plus gros erlenmeyer à ma portée, le levai, et l'abattis de toutesmes forces sur le crâne du type, au moment où, sans doute alerté par unpetit bruit, il se tournait vers moi. Il s'écroula en arrière, son pistolets'échappant de ses mains. C'était John, le livreur.Je restai sans voix, incapable de bouger.« Ah merci, sans vous j'étais cuit ! Vous vous rendez compte que c'était untueur à mes trousses !! Vite, il faut filer d'ici ! »Je ne pouvais détacher mon regard de l 'homme à terre, qui avaitpéniblement roulé sur le côté et porté ses mains à ses tempes.J'étais estomaquée, je ne pouvais plus respirer. Un tueur à gages ! Cethomme était un tueur à gages et je n'avais rien vu, j'avais discuté avec luicomme si de rien n'était ! Je lui avais fait confiance, et il m'avait abusée !Le journaliste me regardait sans comprendre. Je me sentais malade, ma têtese mit à tourner. « Que se passe-t-il ? Vous l'aviez déjà vu ?- J'étais avec lui quand vous m'avez appelée au téléphone, tout à l'heure ! Ilm'avait fait croire qu'il était livreur et il m'avait invitée à boire un verre... »Le journaliste ouvrit de grands yeux. J'étais à la fois paniquée et morte dehonte.« Venez, il faut partir avant qu'il revienne à lui !- Vous ne comprenez pas !! Il m'a posé des tas de questions sur vous, parcequ'il nous a vus ensemble... Je lui ai donné votre nom ! »Je ne pouvais pas faire autre chose que de parler. Je me sentais tellementmal... Je n'avais pas cru à son histoire, je le prenais pour un doux dingue, etj'avais donné son nom à un tueur !Il a failli mourir à cause de mon inconséquence !Il fallait qu'il le sache, et je lui déballai toute la scène du bar en quelquessecondes, dans une étrange et incontrôlable diarrhée verbale. Je sentis les

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 162

Page 166: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

larmes me monter aux yeux. Le journaliste me prit par les épaules.« Écoutez... écoutez moi... Ce n'est pas grave. »Je le regardai sans comprendre.« Je vous le dis. Ce n'est pas grave. L'essentiel, c'est de faire, maintenant,en sorte que nous puissions ramener des preuves à la surface. Peut importece qui c'est passé, vous m'avez sauvé la vie. Et j'ai encore besoin de vous.Maintenant. »J'acquiesçai. À l'entendre parler ainsi, mon sang s'était remis à circuler, etje pouvais de nouveau respirer librement. Le journaliste se tourna vers« John », qui s'était mis sur les genoux. Du sang lui coulait en travers de lafigure. Nous prîmes la fuite.Nous courûmes sans demander notre reste, reversant tout sur notrepassage, vers la porte, puis vers l'ascenseur, la seule issue que nousconnaissions. J'appuyai sur le bouton pour le faire venir et je remis meschaussures en vitesse. Des mocassins légers... facile à enfiler. Lejournaliste barricada la porte de la grande pièce en tirant avec peine unearmoire devant, ce qui produisit un grincement intense, le temps quel'ascenseur arrive.Peine perdue. Lorsque la porte métallique de l'ascenseur s'ouvrit, ellerévéla la présence de trois hommes à l'intérieur, qui braquèrent leurs armessur nous. Au même instant, après plusieurs chocs sourds et puissants,l'armoire tomba, et « John » arriva. Nous étions cernés.

*****Encore un autre couloir. Tu t'attendais à quoi ? Une piscine ? J'entends unappareil photo se déclencher à plusieurs reprises.Je me dirige vers la source du bruit. Je rentre. Une grande salle circulaire.Des cuves et... Personne. J'aurais juré...« Qui êtes vous ? »Je me retourne en dégainant mon 22. C'est Asmuldet.Il lève les bras en l'air et s'adosse contre la paillasse.« Ne tirez pas ! - Écoutez ! Si vous saviez le nombre de fois que j'aurais pu vous tuer. »Le type est blanc. C'est pas comme ça que je vais gagner sa confiance.« Peu importe... Je suis un tueur à gage embauché par Anatech pour voussupprimer. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 163

Page 167: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Tu t'enfonces, Léo.« Quoi ? !- Chut ! Ne criez pas ! On va se faire repérer.- En quoi ça vous dérange ?- Rhaaa ! Laissez moi parler, je vous disais... »Du bruit ? Derrière moi ? Je me retourne. Quel con j'avais oublié...« Chcling !!!!! »C'est le bruit d'une des plus grosses fioles que je connaisse contre ma tête.Je les entends parler pendant que je tombe par terre. J'évite d'embrasser lesol grâce à ma main droite. Je perds mon 22. Je sens un liquide chaudcouler le long de ma tempe. Instinctivement, j'y porte la main. Du sang,ouf ! Mon sang ! Je craignais que la fiole soit pleine d'un liquidequelconque.Je me relève péniblement, j'entends une armoire se déplacer. Aidez lesgens et voilà comment ils vous remercient. Une dizaine de répliques duprof, métamorphosé en rouleau de printemps à lunettes, tournent autour dema tête en chantant :« Vu comme t'es doué en communication, ça ne m'étonne pas ! »Je me précipite vers la sortie, obstruée par une armoire, que je déplacefacilement, mais trop tard.Viktorka et Asmuldet sont face à trois gardes et M. Polames, sortant del'ascenseur.Merde ! Merde ! Et re-merde !Polames ne me reconnaît pas, le blaireau ! Il me fixe de ses petits yeuxbleus et aboie comme un roquet jusqu'à ce qu'il s'aperçoive de son erreur.Il me scrute de haut en bas puis me regarde dans les yeux. Je lui fais monplus beau regard, celui du mec énervé. Il recule.« Venez avec nous. Votre salaire vous attends... »Mon regard croise celui de Viktorka. Elle me foudroie littéralement de sesyeux sombres. Je me détourne et me concentre sur Polames. Pourquoiest-il aussi nerveux ? A-t-il peur pour la suite ?Alors que l'ascenseur remonte doucement - mais pas jusqu'à la surface - jeme demande une autre chose :Comment vais-je me sortir de ce guêpier ?

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 164

Page 168: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Les pas que j'avais entendus étaient ceux d'un homme d'environ un mètresoixante quinze, brun, avec un catogan, qui me tournait le dos. Il semblaitchercher quelque chose. Au moment où je dis : « Qui êtes vous ? », il mevint à l'esprit que c'était la dernière chose à faire. Il ne m'avait pas vu etj'aurais pu tirer parti de cet avantage. Il se retourna et me fit face, unrevolver à la main. Trop tard.Je levai les bras :« Ne tirez pas ! - Écoutez ! Si vous saviez le nombre de fois où j'aurais pu vous tuer... »Il me regarda dans les yeux. Je ne comprenais pas. Me tuer ?Soudain, une ombre derrière lui. Viktorka s'approchait à pas de velours.Vite, recapter l'attention du mec.Je criai une ineptie et au moment où il s'apprêtait à répondre, agacé...« Chcling !!!!! » Viktorka l'assomma d'un gros bocal. L'homme tomba enavant. Je fis un pas en arrière pour l'éviter. Il ne perdit pas connaissance etporta une main à son visage qui se couvrit de sang.La situation était encore plus grave que je ne le pensais. Il fallait filer auplus vite, mais Viktorka ne me suivit pas. Je la pris par le bras mais autanttirer une statue de marbre ancrée dans la pierre. Elle le fixait, les yeuxexorbités, sans ciller.Elle le connaissait. Hystérique, elle me raconta leur rencontre :« Il m'a fait parler, j'ai bu sans me méfier, je lui ai dit tout ce que je savaissur vous alors que je n'aurais jamais dû, je lui ai tout raconté, des chosess u r m o i , s u r v o u s , i l a u r a i t p u v o u s t r o u v e r o u m ê m epirevoustueràcausemoi... »Un sanglot lui coupa la parole et elle se mit à pleurer.Je n'en croyais pas mes oreilles. Il m'avait suivi, m'avait espionné, avaitinterrogé les gens avec lesquels il m'avait vu discuter, et je ne m'étaisjamais douté de rien. Qui sait si cet homme n'était pas aussi entré chezmoi ?Peu importait, il fallait mettre les voiles.Je la pris par les épaules et tâchai de la rassurer. Elle se calma un peu.Derrière, le tueur s'était remis sur les genoux. Il n'y avait plus un instant àperdre. Nous partîmes en courant.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 165

Page 169: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Nous réussîmes à barricader la porte de la grande salle et à atteindre laporte de l'ascenseur, mais il ne daigna pas s'ouvrir vide. Quatre personnesétaient à l'intérieur, dont trois armées, qui nous mirent en joue. Pourparfaire le tout, le tueur renversa notre barricade, et arriva par derrière.Échec et mat.

*****L'un des hommes, un petit gros à lunettes, aux lèvres grasses, approcha etfit négligemment sauter le revolver des mains du journaliste, qui le tenaitencore, sans même penser à le lever.« Eh bien, eh bien, monsieur Asmuldet, il semble que vous n'ayez paschoisi la meilleure affaire pour vous lancer dans le grand journalisme,finalement. Allez, venez, le grand patron veut vous voir. »Il se tourna vers moi. « Vous êtes invitée aussi, Mademoiselle Salix, bienentendu. Mais à mon avis, votre carrière chez nous est plus quecompromise. »Il me poussa rudement, dans le dos, vers l'ascenseur, et un des types meprit mon sac avec rudesse.« Qui êtes vous ? dit le petit gros au tueur à coté de moi.- C'est moi, Chat Noir.- Vous mentez ! Je l'ai rencontré et il était beaucoup plus grand.- Plus grand ? J'étais déguisé ! Rappelez vous, je vous ais demandé ce quel'« Y » de votre attaché-case signifiait ! »On se serait crus dans un jeu télévisé. Si la mort ne m'attendait pas à l'issude leur petite saynète, j'aurais ri.Chat Noir... Enculé de merde ! Tu m'as bien eue avec tes blagues à deuxballes et tes manières de séducteur, connard !

*****On nous conduisit au bureau du grand patron. Ah si j'avais encore eu monappareil photo !! Mais un des gorilles me l'avait arraché, et puis, je ne suispas sûr que ce petit monde aurait accepté que je le photographie...La première chose qui me frappa dans ce bureau, ce fut le grand tableauqui ornait le mur du fond. C'était le dessin du tatouage. Les CougarsVolants avaient des ramifications partout. Ils cachaient bien leur jeu. Quelpoisson avions-nous levé !

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 166

Page 170: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Comment me sortir de ce guêpier ?« Mal », est ma première pensée quand je vois l'étendue des corridors. Letruc quand on vous emmène dans des bureaux la première fois, c'est debien faire travailler sa mémoire.Visualiser les portes de secours, calculer la longueur des couloirs ennombre de pas, le nombre de caméras de surveillance, ainsi que leurposition. Je regarde monsieur Polames, du coin de l'œil. Nos regards secroisent, je fronce les sourcils. Il manque d'avoir un arrêt cardiaque. Jesouris et je regarde devant moi en adoptant l'attitude du chat heureuxd'avoir surpris une souris en train de voler.Après des tours et des détours, nous arrivons enfin au bureau du grandchef. Il va falloir que tu te creuses les méninges, mon petit chat car tupénètres chez le roi des rats.Son bureau est assez spacieux, mais ce qui retient mon attention c'est legrand tableau derrière lui. Je l'ai déjà vu... Mais où ? Le directeur, unhomme vêtu d'un costume gris clair, aux cheveux ras et aux yeux bleucobalt, fait ranger les armes aux gardes. Tant mieux ! Je gagne au moins letemps qu'ils dégainent. Polames se dirige vers sa droite. Le directeur parled'une voix grave et posée.« Ah ! Voilà mes fauteurs de trouble... »Je m'exclame : « Ne généralisez pas, tout de même ! »Si je veux qu'on sorte d'ici vivant, ce n'est pas le moment d'être tous misdans le même cercueil.Polames lui glisse mon identité dans l'oreille. Le type sourit d'un rictus quitient plus de la provocation que de la complicité. Sur son ordre, Polamessort une mallette d'un coffre blindé de type « dillinger ». Il la pose sur latable et l'ouvre. Il s'y trouve le quart restant de l'argent du contrat.Si je veux me servir de quelqu'un comme bouclier, Polames me sembleêtre la cible la plus évidente, le directeur ayant un bureau en protection - etje ne parle même pas de ses gorilles. Je me rapproche de la mallette - maisje veux juste me tenir plus près de Polames.Ma concentration est troublée par le directeur.« Attendez, attendez ! » me dit-il d'une voix claire. « Votre contrat n'étaitpas de ramener deux personnes ici, mais simplement de « neutraliser » lejournaliste ici présent, et de vous arranger pour qu'aucun lien ne puisse être

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 167

Page 171: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

fait avec nous. »Je ne me rappelle pas avoir lu cette clause dans le contrat. Je regardePolames, il semble chercher un trou de souris pour s'y cacher.Le directeur allume une cigarette. Je déteste les gens qui fument. Sonattitude est étrange, d'habitude les personnes qui font affaire avec moi etqui ont des choses à se reprocher ne sont pas à l'aise. Or là, il a lecomportement de quelqu'un qui maîtrise tout. Je deviens parano ?« Toutefois, vue la situation actuelle, je vous permets de vous rattraper. »Il veut une médaille ? Je ne pense pas qu'il sache à qui il a affaire. J'aienvie de lui exploser sa petite tête avec la crosse de mon fusil. Polamessort un pistolet du coffre, et me le tend en tremblant. Il le tient avec unmouchoir blanc pour éviter de laisser ses empreintes.« Vous vous occuperez de finir votre contrat avec monsieur... »Il me désigne le journaliste.« Ensuite, votre manque de professionnalisme ayant conduit un témoinjusqu'ici, je ne vois pas d'autre solution que de nous en débarrasserégalement. Ce sera dans vos cordes ? »Nous y voilà, le pied du mur. Que faire ? Si je refuse, on meurt tous. Sij'accepte, on a une chance... Surtout que pour prendre le pistolet, je doisencore m'approcher de Polames...

*****Je reconnus le directeur dès que je le vis. C'était normal, après tout, c'étaitmon patron, l'homme qui m'avait engagée dans le laboratoire « dudessus ». J'étais allée deux fois dans son bureau. Son bureau en surfaceétait moins grand que celui du sous-sol. Il commença à parler, distribuantles ordres. Comme un chef d'orchestre, il dirigeait ses employés avecmaîtrise et finesse.Quant au tueur, il m'inspirait un mépris profond. Il tuait pour de l'argent.Non seulement il travaillait pour des gens qui se livraient à des expériencesillégales se déroulant qui sait dans quelles conditions - car nous n'avionsaucune idée de l'endroit d'où pouvaient venir les corps et les organes frais,mais cela sentait le trafic à plein nez - mais en plus, il pouvait supprimerdes vies humaines de sang-froid pour quelques poignées de fric. Focalisermes pensées sur ma haine pour ce type m'empêchait de me laisser aller à laterreur absolue que m'inspiraient les autres.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 168

Page 172: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Le directeur, avec une désinvolture parfaite, lui ordonna de nous tuer,Laurent et moi, comme il m'aurait ordonné la veille de m'occuper de lacommande d'une série de kits d'extractions.Il avait allumé une cigarette. Ce geste curieusement humain, cette faiblesseavouée, me donna l'envie de me jeter à ses pieds pour lui demander defaire cesser cette mascarade, mais les hommes qui me tenaient avaient unepoigne trop forte. Mes jambes se dérobèrent sous moi, mais personne ne leremarqua.Le journaliste hoqueta de terreur quand le tueur se tourna vers lui.Le souffle me manqua.Tu savais que ça se terminerait comme ça dès l'instant où tu as passé laporte du coffre. Les détails de la scène, à partir de ce moment là, segravèrent avec une incroyable netteté dans mon esprit.

*****Je hausse les épaules et je dis :« J'ai toujours été mauvais en négociation. »Je m'avance pour prendre le pistolet, réfléchissons...Deux gardes s'occupent du journaliste, les autres sont avec Viktorka. C'estjouable. Six pas pour atteindre la sortie. En prenant le couloir à gauche, onpourra atteindre l'ascenseur et abattre d'éventuels renforts qui poindraientle bout de leur nez. Après, il faudra aller vite. Je me retourne versAsmuldet. Le pauvre type essaye de se débattre en vain. Les gardessemblent prendre un malin plaisir à le rouer de coup. J'interviens :« Me l'abîmez pas... C'est moi qui suis payé pour le tuer ! »Je prends le pistolet. Il est léger, il ne doit pas y avoir beaucoup de balles...j'en veux au moins une. Je regarde une dernière fois Polames en souriant, ilrecule d'un pas. Ma petite souris, tu aurais dû te cacher dans le trou.Je pointe le pistolet vers Asmuldet. Il tient à peine debout. Il a du cran pourme regarder en face. Je commence à l'apprécier.

*****Et voilà ! La première vraie enquête de ma vie, et un contrat est mis sur matête. Je ne suis vraiment qu'un looser.On posa un flingue enveloppé d'un mouchoir sur une table. Le tueur lesaisit.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 169

Page 173: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

La tête me tourna. Mourir ainsi, à deux doigts de réussir enfin quelquechose dans ma vie, c'était trop bête ! Je songeai à ma mère. Dans quellesconditions allait-on retrouver mon corps ?Deux hommes me saisirent par les bras. Ils avaient une poigne de démon.Je tentai de me débattre, et n'y gagnai qu'un coup de poing qui me mit surles genoux. La seule chose qu'il me restait à faire était de regarder la morten face. Une image me revint, la photo, en noir et blanc, d'un hommeagenouillé à peu près dans le même position que moi, un autre au dessusde lui, un sabre levé. Il s'était rebellé au mauvais moment.« Ne vous inquiétez pas, ça va aller vite. » dit le tueur en pointant son armevers moi.

*****Les hommes qui m'encadraient resserrèrent un peu leur étreinte. Les yeuxme brûlaient. Un cri de rage, de peur, et d'impuissance s'étrangla dans magorge. J'aurai tellement aimé avoir la répartie de dire quelque chose pourarrêter ce massacre ! Mais mon esprit était vide, vide comme une télé àl'antenne cassée. Comme s'il avait saisi ma pensée, l'homme à ma droiteappliqua sa main sur ma bouche. J'étais muette, immobile, et jamais, à partdans le coma, je n'avais été si impuissante. Au moins, à l'époque,l'inconscience rendait les choses moins douloureuses.Les gardes semblaient vouloir en finir au plus vite. Ils n'avaient pas du toutl'air à l'aise d'être là et se montraient rudes avec le malheureux condamné àmort. Un peu comme s'ils lui reprochaient de les placer dans la situationinconfortable de devoir assister à son exécution.Le tueur prit le pistolet. Le petit gros recula légèrement, et s'adossa au mur.Lui non plus n'avait pas l'air dans son assiette.Chat Noir pointa son pistolet sur un Laurent terrorisé, qui releva pourtantbravement la tête.

*****Agenouillé devant mon bourreau, ma vie défila devant mes yeux. Lessecondes s'égrenèrent... je n'entendais que le flot de sang de mes oreilles...puis tout s'assourdit et ma vue se brouilla un peu.

*****« Ne vous inquiétez pas, ça va aller vite. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 170

Page 174: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je sais. J'aurais dû réfléchir à quelque chose de plus rassurant mais c'est lapremière phrase qui m'est venue.J'attends d'avoir toute l'attention de la salle, et au moment le plus opportun,je fais volte face. Avant que mon imperméable ne finisse sa rotation dansles airs, Polames a mon pistolet sur la tempe et sa gorge est prise par monbras gauche. L'effet est réussi... Seul le directeur n'a pas cilié et continue àfumer tranquillement. Méfiance. Je m'adresse aux gardes.« Libérez les ! »Ils attendent l'ordre de leur patron, c'était prévisible. Nos regards secroisent. Mais il ne bronche pas. Qu'est ce que tu manigances ? Il garde uncalme olympien. Polames pue de plus en plus. C'est une vraie infection ! Siça continue mon bras va glisser le long de sa gorge graisseuse. Dès que jesors, je file chez le teinturier.

*****J'étais aussi surprise que si le directeur s'était mis à danser la gigue sur sonbureau.Chat Noir ordonna aux gardes pétrifiés de nous libérer... mais ils restèrentimmobiles, et tournèrent leurs regards vers le directeur, assis dans sonfauteuil. Les ordres ne pouvaient venir que de lui. Auraient-ils sacrifié lepetit gros s'il le leur avait demandé ? Il inspira une bouffée de sa cigarette,la retint quelques secondes, et soupira.Le tueur, lui, avait retrouvé sa superbe - l'avait-il seulement perdue ?L'effarement disparu, je ne savais plus quoi penser. Pourquoi cerevirement ? Est ce qu'il allait pouvoir nous aider, ou y avait-il quelquechose qui m'avait échappé ?J'avais l'impression d'assister à un duel entre deux volontés, chacunetentant de faire croire à l'autre qu'elle avait plus de cordes à son arc. Quiavait la véritable maîtrise des événements ?« Pitié... »Le petit gros ne faisait pas partie des décideurs, c'était ma seule certitude.Non, les seuls vrais joueurs de cette étrange partie de poker, dont les misesétaient ma vie et celle de Laurent - et probablement bien d'autres chosesque je ne connaissais pas - étaient l'homme qui m'avait embauchée et celuiqu'il avait payé pour me tuer.

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 171

Page 175: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Dépêchez vous, j'ai une crampe au doigt. Et ce pauvre Polames est entrain de se vider de son eau. M'enfin c'est pas mon tapis, hein ? » précisé-jeavec un sourire en coin.J'appuie un peu plus fort sur la tempe de Polames avec l'arme.« Pitié... » gémit Polames.Enfin, une réaction ! Le directeur ordonne aux gardes de les relâcher, d'unsigne de la tête.Maintenant, le fric. Je m'adresse à Viktorka, le journaliste n'étant pas enétat de porter quelque chose, à part peut-être une tequila pour qu'il me lasecoue.« Viktorka, prenez la mallette, je vous prie. »Elle ne réagit pas tout de suite... Allo, la lune ? Ce genre d'indécision peutnous coûter très cher ! Elle se décide à y aller. Tout en reculant vers lasortie avec mon Polames suintant, je m'adresse au Directeur.« Vous auriez dû davantage vous renseigner sur moi !- Mais, c'est ce que nous avons fait, monsieur. »Il recommence à sourire, ça m'énerve ! Et les deux autres qui restent dansmes pattes !« Vous deux, sortez ! »La fraction de seconde durant laquelle je me retourne pour le leur diresuffit à un garde pour se jeter sur moi. Il veut une augmentation ? Je luienvoie un coup de coude droit mais le petit gros bouge tellement qu'ilm'envoie une gerbe de sueur sur le visage. Instinctivement je lâche monétreinte pour m'essuyer. Polames en profite pour se dégager.Un garde tire et me loupe. Je ne riposte pas, par souci d'économie deballes, surtout qu'apparemment l'arme n'en contient pas beaucoup. Je meretourne et j'attrape le bras de Viktorka qui, je ne sais pas pourquoi, n'esttoujours pas dans le couloir en train de courir.« Venez, vite !! »Nous nous précipitons dans le corridor. Dans cinquante pas, nous allonscroiser une caméra sur la gauche. L'ascenseur est au bout du couloir qui setrouve dans cent cinquante pas. Alors que je calcule les distances dans matête, j'entends Viktorka crier :« Arrêtez vous ! Le... Le journaliste n'est pas avec nous !! »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 5 172

Page 176: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

CHAPITRE 6

Au moment où j'allais partir à mon tour, en même temps que le tueur et saprise, quelqu'un me frappa à la tête. Je ne vis pas qui, mais des étoiles semirent à danser devant mes yeux, feux d'artifice unicolore et aveuglant,alors qu'on me tirait en arrière. Des coups de feu retentirent. Le tueur etViktorka avaient eu le temps de filer.« Eh bien, il nous en reste au moins un! », dit le directeur. « Polames,ajouta-t-il à l'intention de celui qui, libéré du tueur, était entrain de seliquéfier de trouille - chacun son tour - arrêtez de répandre vos fluidescorporels sur mon tapis. »Le petit homme se leva péniblement, épongea son front avec sonmouchoir, constata que du sang maculait le tissu et s'assit dans un coinavec un soupir tragique.Un garde, un grand brun baraqué, vérifia son arme et s'apprêta à s'élancer àla poursuite des fuyards.« Attendez... Ne bougez pas, dit le directeur. On va attendre qu'Il les aitinterceptés et on ira les cueillir. »Il s'assit sur son bureau et termina sa cigarette. Les gardes ne dirent rienmais échangèrent des coups d'œil inquiets et des haussements de sourcil.Plusieurs minutes s'écoulèrent. Je sentais qu'un de mes yeux devaitcommencer à bleuir, et que du sang coulait de l'arrière de mon crâne au colde ma chemise. D'ailleurs, j'avais l'impression que quelque chose debeaucoup plus gros qu'un cerveau essayait de sortir par cette blessure. Celapulsait comme des coups de marteau.Le directeur regardait un moniteur sur son bureau. Tout à coup, il se leva.« On y va. Vous deux, dit-il en désignant deux des gardes, vous irez par lenord, vers la salle B6. Nous allons à votre rencontre, en passant de l'autrecoté. »Il me regarda. « Allons chercher vos amis. Je dois avouer que Chat Noir nem'a pas déçu. Son collègue avait parfaitement raison. »

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 173

Page 177: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Et merde ! Vous ne pouvez pas lui mettre une laisse, à votre copain ? »Chat Noir était essoufflé lui aussi.Que répondre ? Le couloir était désert. Personne à nos trousses ? Si, jesursautai en entendant un bruit de pas.Non, c'est une personne seule !Je partageai ma pensée avec mon « coéquipier ».J'avais raison. Quelqu'un arrivait, au petit trot. Avant de tourner dans notrecouloir, il repassa à la marche.Chat Noir était de mauvais poil, et il préférait évacuer la tension en lançantdes piques cinglantes plutôt qu'économiser son souffle.Le journaliste devait être épuisé après ce qu'il avait enduré. À part ses paset le léger ronronnement d'une caméra de surveillance, le silence étaitabsolu.« Vous ne trouvez pas étrange qu'ils n'aient pas déclenché d'alarme, etqu'ils ne nous poursuivent pas ? » chuchotai-je.Chat Noir braqua son pistolet.Je ne comprenais pas son action. Je me risquai à glisser un :« Qu'est ce qui passe ?»Une voix se fit entendre. Ce n'était pas celle du journaliste.Chat noir serra les dents.

*****« Qu'est ce qui passe ?»Au moment de répondre à la question de Viktorka, je reconnais une voixque je n'avais plus entendue depuis ma vendetta. Une voix qui me rappellemon premier meurtre. Une voix dont j'aurais dû abattre le propriétaire lafois où j'en avais eu l'occasion. Cette voix n'était autre que celle de ChienFou.« J'aime quand on me supplie...- Pas lui... fis-je en serrant les dents.- Qui ça, lui ? » dit Viktorka, en écho à ma réponse plus que floue.Il apparaît au détour du couloir. Avec son air suffisant et son éternelT-shirt moulant ses pectoraux. Quel look de péquenaud !« Alors mon petit chat, en promenade ? »

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 174

Page 178: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

C'était un grand type blond et baraqué, genre surfeur californien. Il tenaitun pistolet dans sa main gauche, nettement plus gros que celui de ChatNoir. Son visage, parfaitement détendu, reflétait un profond amusement. Jene l'avais jamais vu, mais j'étais prête à parier que notre ami le directeurvenait de dévoiler une partie de son jeu. Chat Noir avait-il aussi des atoutsdans sa manche ou avait-il bluffé ?

*****Je ne peux retenir mon rire. Maintenant, je comprends le comportement dudirecteur. D'un côté ça me rassure, je craignais avoir perdu ma réputation.« J'aurais dû me douter qu'il t'appellerait.- Hey ! Oui ! On m'appelle toujours pour réparer tes bourdes, dit-il enhaussant les épaules.- C'est vrai ! »Je souris puis je le regarde, avec une expression qui ferait peur au plus grosdes chiens et l'assassine avec une phrase :« Le truc, tu vois... C'est qu'ils m'appellent toujours avant toi. »L'effet recherché est atteint au-delà de mes espérances.Dommage que la laborantine se sente obligée de parler.« Ok. Temps mort ! J'ai rien contre une manifestation de testostérone, maisj'aimerais comprendre ! »J'aurais dû faire les présentations...« Ce type s'appelle Chien Fou. C'est un tueur psychopathe.- Comment peux tu me présenter comme ça à ton amie ? En tout cas je voisque tu n'as pas perdu de temps... Lys Noir, déjà oubliée ? Tss... tss... J'enconnais une qui ne va pas être contente ! »Lys Noir... Sa bouche ne mérite pas de prononcer ton nom. Commentose-t-il ? J'ai été trop complaisant avec lui toutes ces années ! Il est tempsd'en finir et c'est pour ce soir. Personne ne m'arrêtera ! Et le journaliste quine se pointe pas... Je ne peux rien faire tant que je ne le vois pas... Est-cequ'un jour dans une de mes neuf vies de chat, je saurais me décider ?

*****Ils commencèrent à se tourner verbalement autour, comme cerfs en rut. Lesattaques orales étaient les coups de test, mais... quel était le poids des motsdans notre situation ?

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 175

Page 179: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Chat noir regardait son adversaire d'un air qui me faisait froid dans le dos.Soit il avait le dessus - je me demandais bien comment - soit il n'avait plusrien à perdre et nous livrait son chant du cygne dans ce flot de venin.Le type blond grimaça. Chat Noir me renseigna à son sujet.« Ce type s'appelle Chien Fou. C'est un tueur psychopathe. »L'autre rigola.« Comment peux tu me présenter comme ça à ton amie ? En tout cas jevois que tu n'as pas perdu de temps... Lys Noir, déjà oubliée ? Tss...tss... »À la mention de ce nom, Chat Noir perdit son calme et mit Chien Fou enjoue. Celui ci fit de même. J'avais la désagréable impression d'être aumilieu d'un duel entre Clint Eastwood et Lee Van Cleef.Je refuse de jouer Tuco !Le duel était rythmé par le seul bruit de va et vient de la caméra desurveillance. Pourquoi Chat Noir ne lui avait-il pas tiré une balle dans legenou tout de suite ? Pourquoi jouait-il ainsi alors que nous étionspoursuivis ? Ne voyait-il pas que l'autre cherchait seulement à gagner dutemps ? Soudain, une horrible pensée me vint.Et si tout ce que nous venions de faire, notre fuite, n'avait été qu'un jeu,organisé par le directeur, sachant bien que nous n'irions pas loin ?Et si ça avait été une mascarade pour mettre Chat Noir à l'épreuve ?

*****Les deux gardes qui me tenaient m'entraînèrent de nouveau dans lescouloirs. J'avais du mal à marcher, la tête me tournait. Des éclats de voixcommencèrent à retentir devant. Je reconnus la voix du tueur. Il discutaitavec un autre homme. Au détour d'un couloir, ils apparurent. Chat Noir,puisque tel était son nom, avec Viktorka, juste derrière, tenait en joue unhomme que je n'avais jamais vu, pas très grand, plutôt costaud, avec descheveux fournis, courts et blond, qui nous tournait le dos. De l'autre coté,les autres gardes arrivèrent. Viktorka me regarda et ses yeux s'emplirent depitié. Je ne devais pas être très beau à voir.Le blond se retourna. Il avait des yeux bleu acier et de grandes dents trèsblanches découvertes par son sourire féroce et suffisant. Il appuya sonpistolet contre ma tempe. Pour la deuxième fois, je crus que c'était la fin.« Ça ne te rappelle rien, cette situation ? » dit-il à l'intention de Chat Noir.

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 176

Page 180: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Quel connard ! Bien sûr que cette situation n'est pas nouvelle pour moi. Leprof était à la place d'Asmuldet. Et je sais quoi faire... Espérons qu'il y a aumoins une balle dans ce pistolet, ce dont personnellement, je doute de plusen plus.J'appuie sur la détente et je tire en visant son épaule droite. Mais rien nepart. L'arme n'était effectivement pas chargée. Quel idiot !J'abaisse mon arme. J'ai échoué.« Ah !Ah !Ah ! On a perdu ses griffes ? »J'ai fait une des plus graves erreur du métier : je les ai sous-estimés. Et jet'ai déçue, Lys Noir. Je me tourne vers Viktorka.« Désolé, Viktorka. Vous êtes le témoin de ma pire tentative d'évasion. Jene pense... »Je ne peux même pas finir ma phrase. C'est le black-out. Je vais enfinrejoindre Chloé et toute cette vie prendra fin ici. Tant mieux ! Tu memanques tant...

*****Assommé. C'est la deuxième fois aujourd'hui... Je l'ai un peu sur-estimé.« Chat noir, je vais personnellement m'occuper de toi ! » lança Chien Fou.Il ne t'entend pas, Ducon. Il est dans les pommes. Ça ne sert à rien de fairela roue.Deux gardes me saisirent de nouveau par les bras. Après m'avoir retiré lamallette de billets, ils me lièrent les mains dans le dos, sans ménagement,avec des cordelettes fines, puis m'entraînèrent avec les autres. Un grandtype large d'épaules, vêtu de l'uniforme noir des gardiens, portait Chat Noirévanoui, et deux autres traînaient le journaliste groggy.Cette fois, les enfants, c'est la fin.Un garde, en me saisissant le bras, tira violemment ma natte. Son souriresalace me donna un frisson. On nous ramena au bureau du directeur, maissans y entrer. Il avait l'air content de lui, et il récupéra la mallette enéchange de mon sac à bandoulière qu'il donna à un des gardes.« Bon. Amenez moi cette bande d'ahuris dans la chambre froide de la salleA30, et remettez les documents à leur place... »Il soupira en souriant et ferma sa porte.Alors qu'on nous guidait à travers d'interminables couloirs d'une blancheurimmaculée, je me risquai à demander un : « Qu'est ce que vous allez faire

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 177

Page 181: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

de nous ? » au petit gros.Il transpirait un peu moins mais ne daigna pas me répondre.Lorsque nous arrivâmes devant la porte de la salle A30, après nous avoirfait remonter un étage par rapport au bureau de grand patron, le petit grosrenvoya les gardes qui ne nous tenaient pas, et nous fit entrer avec lesautres. La pièce était grande, et servait apparemment de salle de stockage,malgré l'évier attestant de sa première nature de cuisine. Une porte donnaitsur une petite chambre froide, d'environ quatre mètres sur trois, laquelle nepossédait pas d'autre ouverture.« Vous n'allez pas nous laisser là dedans quand même ? ! »J'avais vu trop de film où les héros étaient condamnés à mourir dans cegenre d'endroit. Ils s'en sortaient toujours in-extremis, mais je doutais quenous ayons la chance de nous en tirer à aussi bon compte que des héros decinéma.« Ne vous inquiétez pas, elle ne fonctionne pas. Vous allez juste rester unpeu ici... »Il passa un doigt dans le col de sa chemise. « Jusqu'à ce qu'on... Jusqu'à cequ'on décide quoi faire de vous. »Il n'avait pas du tout l'attitude de quelqu'un à l'aise dans sa position. Il neme regardait même pas en parlant, il faisait mine de surveiller lessous-fifres qui attachaient le tueur à gages aux tuyaux courant le long desmurs. Alors que je passai devant lui, entraînée par les autres gardes, je dis :« Vous savez, vous devriez vous mettre au régime. Vous risquez lesproblèmes cardiaques, dans votre état. »Pour toute réponse, il glapit « Dépêchez vous ! » aux gardes qui nousentravaient, chacun à un mur différent.C'est vraiment pas ton job, hein ? Ton patron doit avoir une bien piètreopinion de toi, pour te donner le sale boulot...Un des gardes prit le pouls du tueur toujours dans les pommes, puis ilssortirent tous.Et voilà. On n'est pas dans la merde.Il faisait noir, excepté la faible lueur émanant d'une veilleuse diffusant unelumière verdâtre. Le silence n'était rompu que par les respirations de mescompagnons de cellule. Le journaliste avait, autant que je puisse en juger,une attitude prostrée et un regard fixe, sans doute la conséquence des

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 178

Page 182: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

nombreux coups qu'il avait reçus.*****

On nous conduisit dans une petite pièce obscure, et on nous attacha auxtuyaux. J'avais encore terriblement mal à la tête, et je ne voyais pas clair,même en pleine lumière. Ils avaient du taper un peu trop fort, les salauds.À quoi bon se soucier d'un condamné à mort ?Je songeai à Jérôme. Je n'avais même pas réussi à savoir, finalement, dequoi il retournait. Ils faisaient des choses pas claires avec des corpshumains, mais quoi exactement ? Cela avait probablement un lien avec lamain. Si Jean Duquai était mort, ils avaient peut-être greffé sa main surquelqu'un d'autre ? Je ne comprenais pas pourquoi ils auraient fait ça, maisde toutes façons je n'aurais pas compris pourquoi deux et deux faisaientquatre même si on me l'avait expliqué avec des bonbons, tellement je mesentais mal.Je crois que Viktorka tenta de me parler. J'entendais sa voix, mais j'étaisbien incapable de comprendre ses paroles, ou de lui répondre...

*****« Laurent ? »Pas de réponse.« Laurent ! »En m'allongeant au maximum, j'arrivai à le toucher. Il leva les yeux.« Laurent, ça va ?- Je... J'ai reçu un coup sur la tête, je crois...- Ça va aller, maintenant ?- Je crois... J'ai l'impression d'être dans le brouillard... et cette douleur... »Il gémit.« Je crois que si on doit faire quelque chose, c'est le moment ou jamais... »articulai-je.Maintenant que la fièvre de l'action était retombée, la terreur m'envahissaitde nouveau. Je l'entendis se tortiller dans ses liens.« Rien à faire, c'est solide. »Il soupira : « Je suis désolé de vous avoir entraînée dans cette histoire,Viktorka... »Même si j'avais peur, je n'étais pas en colère contre lui. Je ne pouvais l'êtreque contre moi-même, pour avoir franchi la porte du coffre. Et aussi contre

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 179

Page 183: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

le tueur, pour s'être servi de moi, bien que j'aie ignoré son rôle exact dansl'histoire.« Vous ne m'avez pas forcée à vous suivre... »À ce moment, Chat Noir soupira. Il revenait à lui. Il ouvrit un œil torve,dans lequel se refléta la lumière verte de la veilleuse. Le sang séché sur sonfront et sa mauvaise mine lui donnaient l'air d'un poivrot sur le bord despavés.Je déteste les gens qui essaient de me manipuler.

*****Je me réveille dans mon lit. J'entends une voix féminine provenant de lapièce d'à côté. Je reconnais cette voix, c'est celle de Chloé.Je me dirige vers la cuisine. Je la vois. Elle est nue sous son tablier decuisine. Je rêve ce n'est pas possible, elle fait la cuisine en chantant !« Chloé ? Tu n'es pas morte ?- Morte ? Disparue tu veux dire.- Je ne comprends rien...- C'est ton problème Léo, tu ne comprends pas le monde qui t'entoure.Pourquoi s'être investi dans cette mission ? Que t'importent ces gens... »Elle s'approche de moi et commence à me caresser comme un chat.« Minou, minou. »Puis son corps se transforme et il prend l'apparence de celui de Chien Fou.Heureusement, sans tablier et, surtout, habillé.Je recule et je m'apprête à lui mettre mon poing dans la figure mais j'ai lataille d'un chat. Je suis un chat !« Tes œufs, tu les veux brouillés ? Mon petit chat ? »Il me prend délicatement par la peau du cou et m'amène vers la table decuisine. Il y a un gros mixeur sur lequel on a rajouté un post-it : « Ne pasoublier de donner à manger au chat ! »« Je vais te mettre dedans et tu te sentiras mieux après. »Il me place dans une cuve et appuie sur le bouton du mixeur. Tout tourneautour du moi et je me réveille dans une pièce sombre avec un mal decrâne à réveiller un mort. Je soupire.J'entends une voix sur ma droite, c'est Viktorka.« Alors, « John », on se sent mieux ? »

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 180

Page 184: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il se tourna vers moi. « Je ne suis pas encore au paradis ? Réveillez moiquand on y sera... »Il referma les yeux.Je me tendis vers lui, et le secouai du bout du pied.« Hey ! Réveillez vous, matou d'opérette ! Ils vont revenir bientôt... Vouspouvez au moins nous éclairer sur ce qui se passe ici, ce sont vosemployeurs après tout ! »Toujours les yeux fermés, il sourit.« Viktorka, croyez- vous que ce soit le moment de me faire du pied ? »Je me retirai précipitamment, non sans lui flanquer un coup au passage.

*****Besoin de me concentrer sur cette pièce. Voyons... Au bruit et à la couleurdes murs, je pense que l'on est dans une ancienne chambre froide et... Jesens un bout de pied le long de ma jambe. Elle ne lâche pas le morceau :« Hey, réveillez vous, matou d'opérette ! Ils vont revenir bientôt... Vouspouvez au moins nous éclairer sur ce qui se passe ici, ce sont vosemployeurs après tout ! »Qu'est ce qu'elle veut que je lui réponde... J'en sais autant qu'elle....« Viktorka, croyez- vous que ce soit le moment de me faire du pied ? »Sa réponse ne se fait pas attendre. Elle me gratifie d'un superbe coup depied.Je me décide à leur raconter l'histoire. Version du réalisateur bien sûr.

*****« Mes ex-employeurs m'avaient engagé pour tuer le journaliste ici présent,que l'on m'avait décrit comme une petite frappe au service de la maffialocale. » commença le tueur d'une voix rauque.Laurent hoqueta, mais ne dit rien. Le tueur se tourna vers moi.« Mais j'ai commencé à avoir des doutes après notre première rencontre -fort charmante - et j'ai mené ma petite enquête. Notre tête-à-tête a fini parme convaincre de son innocence. »Il aurait été abusé par ses employeurs ? Pauvre lapin...Je ne croyais pas un mot de son histoire. Est ce qu'il n'essayait pas juste dese faire bien voir ? En réalité, je ne voyais pas pourquoi il aurait eu un telcomportement étant donnée notre situation, mais il m'avait déjà tellementbien menée en bateau...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 181

Page 185: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Laurent rompit le silence en exprimant la pensée que nous avions tous, etqui rendait vaine toute réflexion.« De toutes façons, maintenant, ça n'a plus d'importance. Nous avonséchoué. »Chat Noir se mit à rire.« Allons allons, monsieur Asmuldet... Ce n'est pas avec ce défaitisme quevous allez faire les gros titres... Personnellement, je n'ai pas l'intention deremplir votre rubrique nécrologique.- C'est vrai que vous nous avez fait une belle démonstration de vos talentsjusqu'ici. Sortir sera un jeu d'enfant pour vous, répondis-je.- Mon deuxième prénom c'est Houdini, ma ch... »À cet instant, la porte s'ouvrit de nouveau.

*****Alors que je vais finir ma contre-attaque, mon ex-boss chéri ouvre la porteet pénètre dans la pièce. Mon roquet préféré est avec lui, ainsi que deuxgardes.« Bon ! Maintenant que nous sommes tous ensemble, cette petitemascarade va enfin pouvoir prendre fin. »Ne décevons pas mon public, je rigole nerveusement.« Écoutez, finalement, j'ai réfléchis, je veux bien les descendre... »Chien Fou s'approche de moi et me dit :« Le minet a peur de l'eau ?- Et oui ! Que veux-tu, tout le monde n'a pas l'habitude d'être au fond... Çamarche, tes affaires, Chien Fou ?- Je n'ai pas à me plaindre ! J'ai même gagné un trophée... »Il exhibe, fièrement, mon fusil sniper. Le fusil de Chloé.« Tu le reconnais ? »Le fait qu'il l'ait touché va m'obliger à l'astiquer pendant des heures.« Tu ne devrais pas jouer avec les armes à feu des grandes personnes. »Avec un sourire non dissimulé, Chien Fou m'assène un coup de crossedans l'abdomen. Après une brève vision de ses chaussures, une violentedouleur se propage dans mon ventre. Je m'y attendais... J'aurais dûcontracter mes abdos.La tequila du bar commence à se frayer un chemin vers ma bouche, enemportant mon maigre encas du soir, lorsque Chien Fou me tire les

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 182

Page 186: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

cheveux en arrière.« C'est moi, maintenant, le numéro un.- Tu l'as toujours été. »Et j'ajoute, avec un sourire en coin :« Le numéro un des psychopathes. »Chien Fou me lâche et s'incline, singeant un maître d'hôtel.« Tu sais que les flatteries ont toujours fonctionné sur moi ! »Un raclement de gorge nous fait revenir de la dimension des tueurs.« C'est ici que tout ce termine. Vous ne pensiez tout de même pas que jevous aurais permis d'asperger de sang tout mon bureau ? Maintenant, c'està vous...- Monsieur, monsieur !! »Je relève la tête, un gringalet déguisé en petit chimiste déboule. Génial, uncosplayeur... Vivement une fille en Jill Valentine. Je ne vois plus que çapour nous sauver...

*****Tout à coup, un homme en blouse fit irruption dans la pièce.Le directeur avait l'air furieux de cette interruption. Je connaissais bien ceregard, il le destinait à ses inférieurs hiérarchiques, tels que moi. L'autreallait passer un sale quart d'heure. Pourtant, j'aurais donné cher pour être àsa place. Lui, au moins, il allait vivre.« Monsieur..., reprit-il, essoufflé, il y a un problème avec les cuves de lasection D. »Le directeur ouvrit de grands yeux.« Quoi ? Parle !- Elles ont été arrêtées. Tous les sujets sont morts !- Ce n'est pas possible ! Elles étaient stables et prêtes à être livrées ! »Il avait l'air bouleversé et furieux. L'assistant continua.« On a regardé les bandes de surveillance. Quelqu'un les a débranchées. »Il regarda rapidement autour de lui. Son regard s'arrêta sur moi :« C'est elle ! C'est elle qui a tout saboté ! »Le directeur le prit par le col.« Tu es sûr de ce que tu dis ? »

*****Le mec en blouse désigne Viktorka.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 183

Page 187: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je la regarde avec un sourire, qui disparaît quand je vois la peur dans sesyeux.Le directeur s'approche d'elle. J'essaye de me libérer mais Chien Foum'attrape à la gorge.« Inquiète-toi plutôt pour toi.- Pitié, ne me dis pas que tu vas me lécher ? »J'entends un bruit de coup. Je serre les dents. Le directeur se dirigemaintenant vers les gardes.Je me fais une promesse, je tuerai ce salaud.Il sort une cigarette d'un étui en argent et l'allume avec un briquet surlequel est gravée une tête de cheval.

*****« Oui, je l'ai vue de mes yeux ! Elle a débranché la pompe et stoppé lescontrôles... »Le directeur lâcha son assistant. Il s'approcha de moi. Son visage reflétaittoute la haine et la frustration du monde. Sachant qu'il allait me tuer detoutes façons, cela apporta un petit baume à ma souffrance. Puisse-t-il encrever de fureur !Il m'assena un coup violent au visage. Des étoiles dansèrent devant mesyeux et je sentis un liquide chaud couler le long de mon menton et dans mabouche. La douleur suivit après quelques secondes.Quand il s'éloigna de nouveau, ce fut pour molester les gardes. « Je ne saispas ce que vous foutez, en haut, mais s'il y a des caméras, c'est justementpour éviter ce genre de chose !! »Il inspira profondément et alluma une cigarette.« Bon, il y a un petit changement de programme. David, redescendez.Nous allons trouver de nouveaux sujets. Préparez les cuves et dites àMarietta de m'attendre salle E215. »Quand il fut partit, le directeur se tourna vers nous. Chien Fou leva sonarme.« Messieurs dame, vous allez avoir l'honneur de visiter nos installations etde contribuer à notre travail... de l'intérieur. »Il s'adressa ensuite à ses gardes.« Détachez monsieur Asmuldet. À lui les honneurs, puisqu'il est là pour ça.Vous le conduirez en salle E215. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 184

Page 188: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

*****On me débarrassa de mes liens.En un éclair, je compris. Mon esprit était embrouillé, mais là, je n'avaisplus de doute. C'est nous qu'ils allaient mettre dans les cuves ! Ils allaientnous tuer et se servir de nos corps, nous mettre en pièces détachées !!Je me débattis en vain, ils me traînèrent hors de la pièce. Je m'accrochai àtous les chambranles, freinai des quatre fers, distribuai des coups, mais rienn'y fit. Ils finirent par s'y mettre à trois et m'attacher bras et jambes, pourme porter.

*****Les larmes recommencèrent à couler le long de mes joues. Si Laurentconnaissait cette fin absurde et douloureuse, c'était de ma faute, à moi quiavait saccagé leurs expériences !Le dénommé Chien Fou commençait à s'agiter comme un clebs redoutantque son maître parte sans le sortir.« Chien Fou, vous allez m'accompagner dans mon bureau, que je vousremette votre dû. »

*****« Mais... Laissez-moi au moins tuer Chat Noir !- Donnez lui son os, qu'il arrête de japper ! »Dommage pour Chien Fou, le directeur a d'autres plans pour moi.« Certainement pas. »Je fais un clin d'œil à cet enfoiré en lui promettant qu'on se retrouva.Le directeur s'adresse à Viktorka.« Vous voyez, finalement, vous allez nous aider à réparer votre bévue. Eten plus, vous allez contribuer à servir la science.- J'ai déjà légué mon corps à la science » dis-je, comme si il s'était adresséà moi.Le directeur sourit et sort avec son animal de compagnie, sans se donner lapeine de me répondre.Leurs pas s'éloignent. Le silence revient.Il faut que j'arrive à desceller ce maudit tuyau avant de finir en pâté pourchat. En me servant du mur et en poussant fort avec les pieds. Je devraisarriver.NNGGGH !!!..

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 185

Page 189: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Ça ne marche pas. Les tuyaux sont trop bien fixés de ce coté.Changeons de tactique, essayons de fragiliser la chaîne des menottes.« Mais pourquoi est-ce qu'ils nous ont menottés ? »

*****Pour pas qu'on parte.Je secouai mes liens sur le tuyau, dépitée, mais au lieu du « clang »attendu, seul un frottement doux se fit entendre.« Moi, c'est juste de la ficelle, pas des menottes... »Chat Noir ouvrit de grands yeux et poussa un cri de joie. Le merveilleux dela situation était beaucoup moins clair pour moi.Je tâtai la corde. Elle était passée autour du tuyau dans mon dos, et épaissesous mes doigts. Trop pour espérer la rompre sans outil tranchant.

*****« Moi, c'est juste de la ficelle, pas des menottes... - Mais c'est génial ! Vous allez pouvoir vous libérer, me libérer ! Regardez,il y a une pointe au dessus de vous. Vous allez pouvoir vous en servir pourcasser la corde qui vous lie. »Ces idiots l'avaient sous-estimée. Bon dès qu'elle est libre, j'utilise mon kitet on se barre d'ici.Allez ! Dépêche toi ! Pourquoi met-elle autant de temps? Elle étaittrapéziste avant. C'est un jeu d'enfant pour elle, à moins qu'elle n'aitvraiment plus du tout confiance en elle. Je dois l'encourager. Dommageque j'aie oublié mes boules de pom-pom girl...

*****J'avais beau lever la tête, il faisait trop sombre, je ne voyais rien, pas lamoindre pointe.« Plus haut, je l'ai vue quand ils ont ouvert, dit Chat Noir. Vous devriezpouvoir l'atteindre sans trop de problèmes. »Je ne comprenais pas. J'étais entravée les mains derrière le dos ! Commentpourrais-je atteindre une pointe si haute que je ne la voyais pas ?« C'est trop haut... Je ne peux pas la toucher.- Arrêtez de geindre ! Ayez confiance en vous, vous pouvez y arriver. »Je me mis péniblement debout, en suivant le tuyau remontant le long dumur. Comme mes yeux s'étaient habitués au peu de lumière, je vis lapointe. Elle était à au moins deux mètres au dessus du sol. C'était

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 186

Page 190: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

impossible de l'atteindre. Les secondes s'égrenaient.*****

« Vous êtes acrobate, non ? Faites quelque chose bon sang ! »- Comment savez-vous ça ? »Aïe, Léo t'a gaffé !« Peu importe ! Vous croyez vraiment que c'est le moment de poser laquestion ? Concentrez vous sur ce tuyau ! Ils peuvent revenir d'un instant àl'autre ! »Pfui ! J'ai cru qu'on allait être parti dans une discussion interminablegenre : « Pourquoi vous avez enquêté sur moi ? Vous vous êtes servi demoi ! » Nia ! Nia ! Tout le monde se sert de tout le monde. Merde, c'estcomme ça que le monde tourne.

*****Y a t-il encore beaucoup de choses secrètes qu'il sache sur mon compte ?Plus tard. Je verrai ça plus tard. Si on s'en sort... Il regrettera d'être né.Je me rassis et pris une inspiration. Je n'avais pas fait ce genre de chosedepuis un an, mais ça n'avait pas d'importance. Je remontai doucement autravers du cercle formé par mes bras attachés. Ensuite, je passai les pieds :j'avais les mains devant moi. Je me relevai, et cette fois, la pointe était àma portée si je levais les bras. Je frottai la corde avec vigueur, jusqu'à cequ'elle cède.

*****Je l'entends se libérer. Pourvu qu'ils ne viennent pas nous chercher tout desuite.« Bien ! À moi maintenant. Venez par ici. »Pourquoi elle me regarde comme ça ?« Qu'est ce que vous attendez ? »Ça y est ça a trouvé son cerveau ! Elle bouge !

*****J'hésitai. Pouvais-je faire confiance à cet homme, qui avait été engagé pourtuer Laurent, et qui en savait beaucoup plus long qu'il n'y paraissait ?« Qu'est ce que vous attendez ? »J'avais probablement plus de chance de m'en sortir avec lui que seule. Jem'approchai :« Qu'est ce que vous voulez que je fasse ?

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 187

Page 191: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Aidez moi à enlever mon pantalon.- Quoi ? !- Ne vous posez pas de questions, faites moi confiance ! »Je n'avais pas confiance, mais pas vraiment de choix non plus. Comme ilétait attaché, j'obtempérai. C'était curieux, la dernière fois que j'avaisdéshabillé un homme, c'était dans des circonstances bien différentes...pratiquement une autre vie. Mais qu'avait-il derrière la tête ?En tout cas, il avait de longues jambes musclées... Très différent de l'autretueur, râblé comme un taureau, lui était tout en longueur.« J'ai de quoi crocheter une serrure, dans un étui métallique, glissé sous lapeau de ma cuisse droite.- Quoi ? !- Pitié... Posez vos mains, vous le sentirez. »Mais c'est quoi ce plan moisi ?Il se méprit sur mon hésitation.

*****« Pitié... Posez vos mains, vous le sentirez. »Ok ! Là , je dois penser à un truc désagréable...« Je suis attaché : je ne vais pas vous mordre, vous savez. »Ses doigts remontent légèrement ma cuisse avant de prendre la directionopposée et de buter contre mon kit d'évasion. Pendant tout son trajet, jem'impose des images abjectes, comme le prof en bikini ou Chien Fou entrain de boire une bière avec moi comme un copain. Je ne dois pas penser àune quelconque situation érotique. Il y va de ma crédibilité et de madécence...« Et maintenant ? Qu'est ce que je fais ?- Vous avez des ongles, servez vous en. Attention quand même : suivez lepetit coté.- Ça va pas non ? »Mais qu'est ce qu'elle a, à faire la mijaurée, quelques coups d'onglessuffiront, j'espère...« Ne vous plaignez pas : un de mes ancêtre cachait son couteau dans sonrectum. »Bon, après je me dirigerai vers la porte, elle appellera le garde et jel'assommerai. Ça me paraît un bon plan. Classique. Mais bon plan. Ça ne

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 188

Page 192: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

fait pas mal finalement.Je regarde ma cuisse. Rien. Pas d'entaille. Je la regarde, elle. Silence radio.Elle fixe ma cuisse sans rien dire. Je regarde ma cuisse puis je la regarde ànouveau.« Qu'est ce que vous attendez ?- Je ne peux pas... »

*****Je ne pouvais pas lui ouvrir la cuisse à grands coups d'ongles, même si jene le portais pas dans mon cœur. Ça me révulsait.D'autre part je n'avais pas confiance en lui. Je ne sais pas s'il m'aidera unefois libre, me dis-je. Mais c'était peut-être une un prétexte que je medonnais pour ne pas avoir à reconnaître le vérité : je ne me sentais pas dutout capable de faire ce qu'il demandait.Chat Noir soupira. Il me regarda quelques secondes, plissa les yeux et dit :« Viktorka, on ne peut pas vous faire confiance. Même un petit service,vous êtes incapable de le rendre. En fait, j'ai eu tort de croire en vous. Et ence moment, Asmuldet est en train de payer le prix de votre incompétence.Restez dans votre petite vie bien rangée. Bonne chance. »Il désigna la porte du menton et tourna la tête.Je serrai les dents.Abominable petit coq.« Vous êtes autant responsable que moi de notre sort. Vous n'avez rien faitd'autre que de vous laisser prendre deux fois de suite, sans rien prévoir ouanticiper, répondis-je. Vous avez été engagé pour tuer Laurent, et vous nevous êtes même pas renseigné sur vos employeurs. Je n'ai aucuneconfiance en vous. Vous m'avez menti à plusieurs reprises. Vous m'avezmanipulée. Si ça ne tenait qu'à moi, je vous laisserais volontiers croupirici. »Il se retourna violemment, le masque de la colère sur le visage. Je reculaid'un pas.« Vous oubliez une chose. Je vous ai suivis jusqu'ici.- Et en quoi cela devrait-il me donner un indice de votre bonne foi ? Jevous ai vu menacer Laurent de votre arme.- C'est marrant... Vous avez dû me le répéter une centaine de fois depuisqu'on est ici. Vous oubliez QUI vous a fait sortir du bureau. On serait en

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 189

Page 193: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

surface si quelqu'un ne m'avait pas crié « Arrêtez vous ! »- Mais vous êtes monstrueux ! Je ne pouvais pas laisser Laurent entre leursgriffes !- Et pourquoi ? Vous vous sentez responsable de lui ? Ou vouliez-vousvous prouvez quelque chose à vous-même ? Vous savez, Viktorka, pourjouer les héros, il faut déjà avoir réglé le sort de ses démons intérieurs. »Je le toisai de toute ma hauteur. « Je ne suis pas responsable de Laurent.Mais je refuse de le laisser là si je peux le tirer d'affaire. »Je me rendis compte que ma voix tremblait, car en réalité, je savais bienqu'il serait quasi impossible de le récupérer. Je savais aussi que le tempsjouait contre nous, mais... Je me sentais tellement impuissante.« Le tirer d'affaire ? ! Vous voulez faire quoi ? fit-il en riant, les endormiren leur récitant la liste des acides aminés ? Vous n'êtes pas capable de faireune entaille de deux centimètres et vous voudriez vous lancer là dedans,seule ? Vous êtes ridicule. »Avant qu'il ait le temps de reprendre son souffle, je lui plantai mes onglesdans la cuisse. Mais pas à l'endroit indiqué. Il se raidit. Ses yeux jetaientdes éclairs.« Je ne sais pas si je peux vous faire confiance, mais vous avez raison surun point : je n'ai pas le choix. »Curieusement, cet acte de pure colère m'avait en quelque sorte libérée demon aversion à faire ce qu'il demandait. Je palpai la peau pour repérerl'endroit où était caché l'étui. Je ne le prévins pas avant de l'entailler.Ensuite, assise à califourchon sur sa jambe pour l'immobiliser, je fis glisserle rectangle de métal. Le tueur ne dit rien, mais je le sentais trembler.Lorsque j'eus la petite boîte dans la main, je me tournai vers lui. Il était trèspâle et en sueur.

*****Aargh !! Ça fait mal ! Bon je ne dois pas y penser. On change defocalisation, exit le prof en bikini. Il me faut me motiver avec une imagepositive. Le prof et elle attachés à une broche dans une rôtisserie. Non !Non ! Mieux ! Je fourre un couteau dans le rectum du prof ! Non mieux,j'étrangle Chien Fou avec la lanière de mon fusil.« Calme toi. »Qui a parlé ?

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 190

Page 194: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« C'est moi, Chloé, tu ne me reconnais pas ? »Je vois une Chloé évanescente se diriger vers moi avec sa démarche féline,traverser Viktorka et poser ses mains de chaque côté de mon visage.Je tremble. Puis elle disparaît. Et je ne vois plus que Viktorka avec l'étui duprof dans la main.

*****« Voilà » dis-je après avoir un peu essuyé la petite boite. Le sang la rendaitpoisseuse. Je l'ouvris. Plusieurs petits instruments s'y trouvaient.« Bien...Bien... »Chat Noir faisait des efforts pour se maîtriser. Le sang continuait à couler.J'appuyai ma main sur la plaie.« Je savais que vous y arriveriez. Je m'excuse de vous avoir parlé un peudurement. »Houlà, il a du mal à articuler. Il ne va pas tomber dans les pommes quandmême ?Il inspira.Je lui glissai les outils dans les mains. Il ferma les yeux.

*****Tout est une question de doigté. J'ai appris à le faire dans l'eau aussi. Dansces conditions, c'est de la rigolade. Le crochet fait tourner le cylindrependant que la tige droite appuie sur les goupilles. Le déclic ne se fait pasattendre. Me voila libre. Je me frotte les poignets. Je déteste les menottes.En fait je déteste être entravé tout court.Mais qui aime ça ? Je récupère mon kit d'évasion ensanglanté des mains deViktorka.

*****« Merci. » fit le tueur en prenant l'étui.Il grimaça en posant le pied par terre. Le sang avait coulé le long de sajambe. Dans sa petite boite, il saisit un pansement, juste adapté à la taillede la plaie.« Il faudrait désinfecter » remarquai-je.

*****Elle s'inquiète pour ma santé ? Ou pour son évasion ? J'enfile monpantalon et la rassure.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 191

Page 195: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Pas besoin, c'est le pansement qui s'en charge. Bon, maintenant, c'est lemoment d'établir un plan. Voyons voir... »Je me dirige vers la porte et j'essaye d'écouter. C'est calme. Trop calme. Ona besoin d'une diversion... Ils ont besoin de nous vivants ? Parfait.« J'entends rien, mais je parie qu'il y a au moins un type juste de l'autrecoté. Il faudrait lui faire ouvrir la porte. Vous pourriez peut-être appeler àl'aide... »Je me replace à l'endroit où j'étais menotté. Maintenant je dois simuler unmalaise.« Voilà, je suis affreusement malade. S'ils ont besoin de nous vivants, lesgardes au dehors viendront voir. Appelez-les. Soyez convaincante.- Mais... Et s'il n'y a personne, ou s'ils viennent à plusieurs ? »Toujours à poser des questions. La confiance règne à ce que je vois.

*****Une embrouille vieille comme le monde, ce plan. Chat Noir se rassit àl'endroit où il avait initialement été attaché, et se resta prostré sur le sol,dans une position évoquant une agonie douloureuse.Je retournai à ma place, pris une grande inspiration et criai :« À l'aide !! Au secours ! »J'attendis quelques secondes. Rien ne se passa.« Plus fort ! » dit le tueur.Je recommençai. Je criai sans discontinuer pendant trente bonnes secondes.Tellement fort que je n'entendis pas la porte s'ouvrir. Un rayon de lumièrem'éblouit.« Qu'est ce qu'il y a ? fit une vague silhouette noire sur fond blanc.- Chat Noir ne se sent pas bien, réussis-je à articuler malgré le picd'adrénaline. Il ne respire presque plus ! »Je ne voyais rien, impossible de dire s'ils étaient plusieurs ou non, aveccette lumière. Ce connard avait braqué sa torche sur mon visage pendantque je parlais. Il se retourna en direction du tueur, toujours recroquevillédans son coin.« Qu'est ce qui vous arrive ? »Il se pencha. Je n'avais pas vu son visage, mais à sa voix, c'était un jeunehomme. Tout à coup, il y eu un bruissement de tissus, un craquement sec,et une silhouette se releva. Mes yeux s'étaient habitués à la lumière. C'était

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 192

Page 196: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Chat Noir, qui me fit un large sourire. Nous étions libres ! J'avais peine à lecroire.Je m'avançai vers lui. Le garde gisait à ses pieds, assommé.Assommé ? Sa tête faisait un angle bizarre avec son corps... Il l'a tué !Le visage du jeune homme avait un air si touchant... presque un gamin...toute la détresse du monde...Je savais très bien que Chat Noir avait fait le choix de tuer plutôt qued'assommer. Soudain, il me fit de nouveau peur. Je reculai.

*****Un type, sûrement un garde, éclaire Viktorka. Elle se lance dansl'interprétation de la fille terrorisée de partager sa cellule avec un futurmacchabée.Elle mérite un oscar. J'aperçois la pièce derrière lui. Elle semble vide.Quelle honte ! Gardé par un seul homme ! Décidément, i ls mesous-estiment. Tant mieux !Le garde braque la torche sur moi. Je me lance dans un rôle decomposition qui aurait rendu le malade imaginaire fou de jalousie. Lepoisson mord à l'hameçon.Penche toi petit... Comme ça, c'est bien. Je le balaye avec mon pied droitpuis me jette sur lui. Sa lampe tombe par terre. Je lui attrape le cou avecmon bras et je fais tourner sa tête d'un coup sec.J'entends « crack » ! Un de moins. Ce n'est pas sans une certaine fierté queje me retourne vers Viktorka. Elle aussi m'avait sous-estimé.Elle s'approche de moi. J'avoue que je ne m'attendais pas à un « Monhéros ! » mais pas non plus à :

*****« Vous... vous l'avez tué !- Vous croyez ? »Du pied, il donna un petit coup au cadavre.« Vous avez raison... Il est mort. »Il essaya la torche.« Bon, fini de rire. »Il ramassa le pistolet du type, le vérifia, puis récupéra également lacasquette et le blouson sur le corps.« C'est pas tout à fait ma taille. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 193

Page 197: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il vient de tuer un homme et maintenant il se plaint de la taille de saveste... ?

*****« Bon, fini de rire. »Pas de trousseau de clés, ce n'est donc pas lui qui m'a menotté. Encore unglock. Bah, c'est mieux que rien. Je l'arme, en faisant glisser la culasse enarrière.Après le rayon outillage, passons au rayon habillage... La casquette estjuste mais je peux l'adapter. Par contre c'est plus dur pour le reste... Çasuffira peut-être pour passer devant les caméras, mais guère plus.« C'est pas tout à fait ma taille. Ils recrutent des nains ou quoi ? ? »- Vous n'auriez pas pu juste l'assommer ?Je pensais même lui proposer de se faire un ciné aussi.- Écoutez... Quand on sera sortis d'ici et que je serai devant un verre detequila, on pourra discuter sur la meilleure façon de s'évader. Pour l'heure,quittons cet endroit. »Je me félicite intérieurement de ma maîtrise, puis j'ouvre un peu la porte,l'unique porte de, bientôt, notre ex-cellule.« La voie est libre. »Il doit y avoir d'autres gardes, c'est évident. Je ne connais pas leurroulement. Pensons au pire.Petit conseil à « Emma Peel », qui vient de récupérer son sac plein depaperasses, posé sur table :« Suivez moi comme mon ombre. De toutes façons, ce n'est pascompliqué : la sortie est au dessus. Premier ascenseur : direction le mondeextérieur. »Tous les couloirs semblent avoir la même configuration... vingt pas, unecaméra, toujours en face d'une porte. Ce dispositif de surveillance estétrange... Il y a peu de gardes et peu de caméras balayent un couloir entier.Mmmmh !! Soit ils pensent être à l'abri de toute intrusion, soit ils ont unautre moyen de surveiller. Lequel ? Des chiens, peut-être.En attendant, comment se servir de l'ascenseur sans être repérés ? Je n'aipas vu d'escalier.Viktorka me sort de ma réflexion :« Et Laurent ? »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 194

Page 198: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

*****Il s'arrêta brusquement, soupira, et fit volte-face : « C'est pas que j'aime pasjouer les héros, vous savez. Mais là, je pense que c'est trop tard. »Il avait raison. Le journaliste était sans doute déjà dans une cuve, en piècesdétachées. Il se remit à marcher, et je le suivis. Nous n'avions pas fait vingtmètres que des bruits de pas résonnèrent dans le couloir. Il se plaqua contrele mur, m'entraînant avec lui.Au moins deux personnes, deux hommes, discutaient en approchant. Ilsparlaient fort, et nous entendions très bien ce qu'ils disaient.« Marietta était furax. Mais maintenant, tout est réglé, je suis allé chercherles bidons de sérum phy, et elle va pouvoir se mettre au boulot dès que legrand patron aura fini ses petites explications. Je me demande pourquoi ilse donne cette peine. De toutes façons, le type va mour... »

*****Donc, s'ils ont des chiens... Attention, du bruit dans le couloir, après lecoude. Une discussion entre deux types. Le pas est lourd, ce ne sont pasdes gardes. Peut-être des chercheurs... Le couloir est en métal. J'espèrequ'il n'y aura pas trop d'écho. Je retire le blouson de garde que je porte etj'enfourne le pistolet dedans. Ça étouffera un peu le bruit. Je nous plaquecontre le mur. Je ferme les yeux et j'écoute. Je me concentre sur les pas etfais abstraction de ce qu'ils disent.6... 5... 4... 3... 2. Je me décolle d'un coup. Le carrelage du sol me permetde glisser et d'arriver juste devant eux. J'abats celui de droite. Son cafétombe par terre et le sang de sa tête reteint la blouse de son collègue.Quel gâchis ! Moi qui avait envie d'un déca.Son collègue s'apprête à dégainer. Je lui mets du plomb dans la tête. Jesens qu'une remarque ne va pas tarder à sortir de derrière moi...

*****Tout ce sang... Ces vies répandues sur le sol... Ils avaient peut-être desenfants... Hey ! Pourquoi ce genre de pensées maintenant ? C'est de lalégitime défense !Je me ressaisis en me remémorant leurs paroles. Une vie pour une vie ?« Vous avez entendu ce qu'ils ont dit ? Laurent est encore en vie !- Et alors ? Pour combien de temps à votre avis ? Fichons le camp d'ici !- Attendez une minute ! Il est peut-être tout près d'ici, à deux pas !

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 195

Page 199: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Et peut-être pas ! Il peut être n'importe où dans le complexe, autantchercher un menu équilibré dans un fast-food ! »Comme toujours, j 'avais l'impression de souffler dans un violon.Quiconque n'était pas armé n'avait aucune chance de se faire entendre delui.Tu veux juste sauver ta peau, chacal !J'en avais par dessus la tête, de ce type qui se taillait un chemin dans la viecomme la faucheuse en personne. Que représentaient les gens pour lui, sice n'étaientt des moyens faciles d'obtenir ce qu'il voulait ? Ce genre de mecne comprenait vraiment qu'un seul langage.Je me baissai et saisis l'arme du deuxième homme abattu, tombée au sol.Avant que Chat Noir ait pu intervenir, je la lui braquai sous le nez etreculai de plusieurs pas. Le mur m'empêcha de prendre trop de distance.Il se mit à rire.« Qu'est ce qui vous prend ?- Je VEUX qu'on aille chercher Laurent ! »

*****Crie plus fort, les autres gardes n'ont rien entendu.« Vouloir est une chose... »Je m'avance vers elle.« ... pouvoir en est une autre. »Petite fille... tu veux jouer à un jeu dont tu ne connais pas les règles. Tu nesais ni ce que tu fais, ni où tes actes peuvent te conduire.Elle n'a même pas levé le cran de sécurité... Quelle mascarade.

*****« Vous pouvez tirer, ici et maintenant ? » dit le tueur.Je ne pouvais plus reculer, au propre comme au figuré. Lui tirer dessus,même sans toucher un point vital, signifiait le condamner, sans compterque d'autres gardes risquaient d'arriver d'un instant à l'autre. Je déglutisavec peine.« Viktorka, c'est difficile de tuer quelqu'un de sang-froid... continua-t-il enavançant toujours. Surtout... »Il posa la main en haut de la crosse de l'arme que je ne tenais qu'à peine.« ...Quand le cran de sûreté est enclenché. »Il leva le cran de sécurité, sourit, puis se retourna.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 196

Page 200: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Laissez moi le sale boulot. »Il se dirigea vers l'ascenseur.Je me tenais adossée à la paroi du couloir, les jambes tremblantes. Lesbattements de mon cœur m'emplissaient les oreilles. Je crus me trouvermal.« Vous ne pouvez pas partir... Je... Je vous engage s'il le faut ! »Il rit de nouveau, et se tourna pour me faire face. « M'engager ? Je penseêtre trop cher pour vous.- Je vous donnerai ce que vous voudrez...- N'insistez pas. »Il leva les yeux au ciel : « Après tout, il n'est rien pour vous. Ce n'est pasun proche. Et il connaissait les risques. S'il était à notre place, il ferait lamême chose. »Je me laissai glisser au sol. J'avais du mal à parler car ma voix tremblait,me donnant un ton de petite fille pleurnicheuse. J'avais tellement peur,tellement envie que tout s'arrête ! Ma volonté de rester se fissurait detoutes parts sous la voix chaude et rassurante de l'homme devant moi.J'articulai avec peine un faible : « Je refuse de le laisser là... », mais mêmeà moi, l'absence de conviction m'apparut flagrante.Il me tendit la main.« Venez. Vous avez fait ce que vous pouviez. »Je levai les yeux. La vision de cette main éveilla en moi un souvenir flou.Une main tendue. Racheter les fautes ?Cette pensée m'était venue sans que j'y réfléchisse. Quelque chose en moise brisa alors, comme une corde trop serrée. Une vague de chaleurm'envahit. Du fond de ma mémoire, une voix surgit : « La peur, c'estl'absence de maîtrise. Une seule solution : le choix d'affrontement. » Lechoix m'appartenait, il m'avait toujours appartenu et je connaissais madécision : vivre, ce n'était pas laisser mourir, vivre, ce n'était pas se laisserenvahir par la crainte.Je me relevai, me passai la main sur les yeux. Ma voix ne tremblait plus.« Je ne partirai pas avec vous. Je ne pourrai pas vivre avec ça. Nos cheminsse séparent ici, Chat Noir. »Je reculai.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 197

Page 201: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il me fixa un instant, un éclat d'incompréhension - de déception ? - dans lesyeux.« Très bien. Bonne chance. » répondit-il d'une voix atone. Il tourna lestalons et s'en fut.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 6 198

Page 202: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

CHAPITRE 7

Nous parcourûmes des couloirs, descendîmes en ascenseur, parcourûmesencore des couloirs. Je ne voyais guère que les plafonds. J'avaisl'impression de revivre mon opération d'appendicite.Ils me conduisirent à ce qui ressemblait à une salle d'opération. Je faillistourner de l'œil. On m'attacha sur le fauteuil au centre de la pièce, sansménagement, et le directeur vint se placer à coté de moi. L'adrénaline meréveilla.« Vous n'auriez jamais du venir ici. Qu'est ce qui a bien pu vous passer parla tête ?- Si vous n'aviez pas enlevé un de mes amis, je n'aurais peut-être pasessayé de vous trouver !!- Qui ?- Jérôme... un inspecteur de police.- Le policier ? Ça c'est pas de chance, en effet... Enfin, notez bien quequand je dis que vous n'auriez jamais du venir ici, je ne dis pas que votrevie aurait été épargnée, puisque nous vous avions déjà mis un contrat survotre tête... Mais ça aurait peut-être été moins traumatisant pour vous. »Il marqua une pause.« Tout cela ne serait jamais arrivé si vous n'aviez pas trouvé cette main... »Autour de nous, des personnes en blouses vertes et blanches s'affairaient. Ilme vint alors à l'esprit que ce serait ma dernière chance de savoirexactement de quoi il retournait.« La main... d'où venait-elle ? Vous pouvez me le dire maintenant... »Il me regarda, avec une pointe d'amusement dans le regard.« Vous ne lâchez jamais, hein ? »Il soupira.« C'est la main d'un homme qui est mort il y a longtemps. Nous avonstravaillé sur la conservation des corps et des tissus vivants, et sur lesgreffes, depuis le début des années trente. Maintenant, nous travaillonspresque uniquement sur les greffes... Et nous avons avancé un peu plus

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 199

Page 203: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

vite qu'en surface....- Vous avez des cobayes humains.- Oui. Nous arrivons à greffer des mains, des bras, des jambes... même desorganes d'animaux spéciaux... Nous finançons nos recherches grâce à lavente de ce service... entre autres. C'est très lucratif.- Qu'est ce que vous faites d'autre ?- Nous avons également mis au point quelques très bons dopants, que nousutilisons pour faire tenir nos greffes. Vous avez trouvé la main parce qu'ungang avait fait appel à nous pour l'un de ses membres. Dès que nous avonsappris qu'il avait stupidement exposé sa marque à une caméra desurveillance, nous l'avons pourchassé, et nous avons procédé à l'ablation del'organe greffé. C'était dans son contrat. Il n'était pas prévu que cette mainserait jetée.- La marque ? »Il leva sa manche droite. Il portait le Y tatoué sur l'avant bras.« Cette marque, c'est notre logo, que nous apposons sur tout le matérielissu de notre laboratoire... En réalité, c'est encore plus que ça. C'est le logode notre maison mère. »Ce n'était donc pas du tout le symbole des Cougars Volants. Il n'y avaitaucun rapport.« Comment s'appelle-t-elle ?- Yshtar... Vous en savez assez. Il est temps de rejoindre votre am... »À ce moment, je sentis une aiguille s'enfoncer dans mon bras. Il avaitdétourné mon attention par son discours. Je m'enfonçai dans un lac noirétrange et gluant qui me vola la fin de sa phrase. Des ombres mouvantes...

*****« Tu fuis ? »Je m'arrête net. Je dégaine mon arme.« Qui est là ?- Tu reconnais plus ta femme ? »Chloé est devant moi, en blouse blanche... Je sais que ce n'est pas elle maismon cœur y croit, lui.« Tu abandonnes ?- Elle ne veut en faire qu'à sa tête !- Ça me rappelle quelqu'un...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 200

Page 204: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Ce quelqu'un t'a laissée mourir...- Arrête de te flageller. »Elle s'approche de moi.« La seule chose dont tu es responsable c'est mon bonheur. »Elle m'embrasse. Un courant d'air caresse mon visage. Je ne peux retenirune larme, qui coule le long de ma joue droite.Le courant d'air provient d'une porte qui vient de s'ouvrir. Le type qui sortde la pièce se trouve face à un tueur à gage en train de pleurer.Instinctivement, je donne un coup de pied dans la porte, qui frappeviolemment le garde. Celui-ci tombe en arrière et porte ses mains à sonvisage ensanglanté.La pièce dans lequel je viens de rentrer est le poste central de surveillance.Quelle chance !Je saisis le garde à bras le corps et le projette sur ses collègues, avant deplonger derrière un bureau. Une rafale de tir conclut mon action.Ils sont quatre dans la pièce.Au jugé des tirs, ils ne sont visiblement pas entraînés. Heureusement pourmoi.« Jetez vos armes et je ne vous tuerai pas !- Tu rigoles ! On est trois, on va te faire la peau ! »J'aurai essayé...Je tire dans les pieds du plus près. Il hurle et s'écroule.Quelqu'un se précipite pour l'aider. Il ne l'atteindra pas. Je l'abats de deuxballes dans le sternum. Je crie :« J'aime bien la fête foraine mais là, ça tient plus du jeu de massacre. Jevous propose une nouvelle fois de vous rendre, du moins les personnes quisont encore en vie ! »J'entends un petit : « D'accord. »« Jetez vos armes dans ma direction. »Deux armes arrivent à mes pieds. Je me redresse doucement de derrière latable.Le garde qui a une balle dans le pied droit est en train de se tortiller dedouleur par terre.« Soignez le, qu'il arrête de geindre ! Toi ! Le type qui s'est pris une porte,apporte moi le plan de ce laboratoire...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 201

Page 205: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- On n'en a fas, articula-t-il avec peine à cause de sa lèvre éclatée.- Tu te fous de moi, et tes rondes ? Il y a bien un tracé quelque part ! »Il se dirige d'un pas mal assuré vers un bureau dont il ouvre le tiroir duhaut. Sa main tremble.Je braque mon arme vers lui.« Doucement, petit ! »Il sort un plan plié en huit.« Maintenant, attache les autres ! »Il exécute l'ordre sous le regard noir se ses collègues.« Bien, retourne toi. »Il hésite. Je braque mon arme sur lui.« Tu veux de l'élan ? »Il se retourne. Je m'approche de lui et l'assomme avec la crosse du pistolet.Il s'écroule.Je regarde les moniteurs à la recherche de Viktorka. Je déplie le plan de labase.« On est à quel niveau, ici ?- Niveau « A ».- Merci. »Si je veux retrouver l'endroit où ils retiennent Laurent, et bientôt Viktorka,je dois étudier cette carte avec application.Je regarde les différents moniteurs. Le troisième est fixe, mais les autressont en « rotation ». En effet, plusieurs caméras sont en liaison sur unmême moniteur. Par conséquent, même en surveillant constamment uncouloir, pendant cinq secondes celui-ci est absent de l'écran. Ces cinqsecondes correspondent au défilement des images entre les différentescaméras situées un peu partout dans le complexe. Intéressant...Tiens, la caméra de l'entrée est thermique... Je comprends pourquoi lecouloir était faiblement éclairé... et l'autre type qui n'arrête pas de geindre.« Vous avez une trousse à pharmacie, ici ?- Oui... Dans le placard, là-bas à gauche. »Il me désigne ce qui est sûrement leur salle de repos. Je ligote celui que j'aiassommé avec la corde qui reste puis je me dirige vers le lieu indiqué.C'est une pièce de huit mètres sur huit, avec une petite table en son centre.Sur le côté droit, il y a un évier, avec des produits ménagers au dessus.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 202

Page 206: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Ce ne sont pas les posters de filles nues qui retiennent mon attention, maisune des armoires métalliques, à moitié ouverte. J'y trouve un fusil d'assautAK-47, ainsi que deux pistolets à seringue hypodermique. Probablementpour injecter des anesthésiants. J'ouvre les autres armoires à l'aide del'AK-47, ce qui me permet d'en obtenir trois autres d'un modèle identiqueet encore d'autres fusils anesthésiants. C'est une vraie armurerie.Qu'est ce que c'est que ce bordel ?Je prends la trousse à pharmacie, qui ressemble d'ailleurs plus à une valise,puis je me dirige jusqu'au type blessé. J'ouvre la mallette. Une vraie mined'or !« Dites-moi vous êtes, sacrément équipés... »Je sors une ampoule de morphine et lui en injecte une dose - pasentièrement, heureusement pour lui.« Vous... me... soignez ? »Je tue, je soigne. Il faut savoir être polyvalent.« ... Vous êtes combien en tout ? »Le seul qui soit valide et apte à me répondre m'envoie sur les roses.Je soupire. Je sors une aiguille et une seringue de la boîte.« J'ai demandé gentiment... »J'emboîte l'aiguille dans la seringue et me dirige vers l'étagère des produitsménagers.Je reviens avec de l'acide chlorhydrique en bouteille.« J'adore cet acide, très pratique pour nettoyer des taches qui ne partent pasou qui ne parlent pas... »Je ne sais pas si c'est mon sourire ou la bouteille qui le fait trembler.Je plante la seringue sans ménagement dans la bouteille et aspire une petitequantité du liquide. Il regarde ma manipulation avec un regard inquiet. Jerepose la bouteille et m'installe confortablement à côté de lui.« Bien... Alors, tu peux faire le dur, ça ne me dérange pas. Je pense qu'aumoins un de tes deux collègues parlera quand ils auront vu dans quel étatsera ton corps après l'injection. »Je finis ma phrase en faisant sortir du liquide de la seringue, puis jel'approche au niveau de son bras. Il se tortille violemment et me supplied'arrêter.« Cinq, finit-il par lâcher.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 203

Page 207: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Quoi, cinq ? - On est cinq équipes de cinq hommes... mais seulement quand le niveauen bas est fermé.- Personne ne garde le complexe quand les sous sols sont ouverts ?- Si. Mais c'est autre chose.- Explique-toi ! J'ai la main qui fatigue.- Ils... Ils ont leurs propres « gardes » et il nous est interdit d'entrer dans lelabo quand ils sont là.- Pourquoi ? »- Ils nous tueraient.- Eux ou leurs « gardes » ?- Leurs gardes.- À quoi servent les AK-47 ?- À nous défendre.- De qui ? Des indiens ?- Non, de leurs « gardes », au cas où ils seraient trop excités par le sang.Regardez le mur à gauche de la porte, vous verrez. »Je me dirige vers la porte et je vois un impact de ce qui me semble un coupd'épaule.La paroi du mur en acier semble n'avoir pas offert une grande résistance. Jepasse la main dessus.« Ils l'ont électrifié.- Qui ça « ils » ?- Les geôliers. »Je dois retrouver Tintin et Emma Peel avant le lever du jour. Tout à coup,la radio du CP se met en marche.« Boris, j'ai fini ma ronde. Je rentre dans cinq minutes, après avoir fait untour du côté des prisonniers. Je me demande si on peut toucher un peu lafille avant qu'ils l'emmènent. Ah ! Ah ! Qu'est ce que t'en penses ?- Qui est Boris ?- Celui que tu as tué. »Merde.Je lui tends le talkie-walkie.« Sois convainquant...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 204

Page 208: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Will ? Laisse tomber, je ne pense pas qu'ils seraient contents de trouverde ta semence sur elle !- Fais chier ! J'aurais pu lui offrir du bon temps... Une dernière volonté...comme une cigarette. Un peu comme les deux gamines qu'ils ont capturéesla semaine dernière. Sacré tournante, hein ? »Ce type m'écœure.« Ramène plutôt tes fesses ici !- Ok, Chef ! J'arrive dans deux minutes.- Terminé. »Je repose le talkie-walkie sur la table.« On va attendre Casanova et puis après je disparaîtrai. »Je prends leurs trois pistolets, deux pistolets anesthésiants et l'essentiel dela trousse de secours, que je fourre dans un sac. J'épaule le AK-47. Jecherche un habit à ma taille dans les placards et je me change.Je vérifie le tout dans une glace. Parfait ! Je prends l'ensemble du trousseaude clés, ainsi que les différentes cartes. Je glisse mon trench-coat dans monsac.Hey ! Mon fusil ! Merde où ont-ils bien pu le mettre ?« J'avais un fusil avant d'être fait prisonnier. D'après toi, il est où ? »- Aucune idée... Le directeur aime bien garder des trophées, alors... »La porte s'ouvre et « Will » entre. Un coup de crosse d'AK-47 lui souhaitela bienvenue.Son nez craque. Je l'attrape par les cheveux et le tire pour l'amener avec lesautres. Il est en pleurs et ne comprend pas ce qui se passe.« Salut Will ! On va jouer à un jeu... Tu cries, je te tue. Tu te débats, je tetue. Tu te laisses faire et je t'assomme seulement. Fais un hochement de latête pour voir si t'as compris. »Le type hoche de la tête.« Bon... Bonne nuit, Will. »Je l'assomme d'un coup de pied.« Et moi ?- Toi ? Tu m'as bien aidé. »Je ramasse le pistolet de Will et le fourre dans le sac.« J'ai pris presque toutes les munitions des fusils, des pistolets. Ils vousreste deux pistolets anesthésiants. Je vais fermer la porte à clé.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 205

Page 209: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Je dois peut-être te dire merci ? » me jette-t-il.« Non, mais par contre je peux laisser la porte ouverte si tu préfères. »Je regarde ma montre, et j'ajoute :« C'est comme tu veux... »Le type me bafouille un « Non, merci. »J'aperçois Viktorka dans le moniteur trois. Elle est déguisée, mais jereconnais ses yeux. Elle semble attendre quelques chose. Il est urgent queje la retrouve, si je veux que ce soit en un seul morceau.« Le moniteur trois surveille quelle salle ?- La E215. Mais cet étage nous est interdit.- Qui la garde alors ? »Le type sourit.« Devinez ? »Merde. Je file vers l'ascenseur le plus proche d'après le plan. Dans ma hâte,j'oublie de fermer la porte à clé. J'arrive à l'ascenseur. Mon cœur bat lachamade. Je porte beaucoup de choses dans mon sac. Je dois être fatigué...« Es-tu sûr que c'est ça ? »Je n'en peux plus de la voir... Pourquoi ici ?« Je dois me racheter... Si je les sauve...- Tu auras l'impression de m'avoir sauvée ?- Oui.- Ah ! Ah ! Ah ! Tu es pathétique Léo... Je te reconnais bien. »

*****J'étais seule.Seule dans un endroit inconnu empli de gens qui veulent me tuer. Il fautfiler d'ici.Je me mis à courir, rebroussant chemin, pour m'éloigner le plus possible dulieu de la fusillade. Après avoir passé la porte de la salle où nous avions étéenfermés, je trouvai une autre pièce dont la porte n'était pas fermée à clef.Une petite salle de manip. J'y entrai, après m'être assurée qu'il n'y avaitpersonne.Bon. Et maintenant ?C'était la panique. Je ne savais ni par où commencer, ni comment fairepour y voir plus clair. Une fois la décision de rester prise, la peur revenaitau galop. L'ampleur de la tâche était terrifiante. J'étais en train de me

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 206

Page 210: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

laisser submerger, de nouveau.Respire. La peur appelle la peur. Ne laisse pas ton imagination voyager.Je me souvenais des paroles de mon ancien camarade. Les larmesrevinrent.Pas maintenant ! Respire. La peur, c'est comme tout, ça se gère. Et le seulmoyen de la faire disparaître, c'est...J'inspirai à fond.Bon, voyons où je me trouve.C'était une petite pièce avec une sorbonne, et des alignements de produitsdivers étiquetés, ainsi que de la verrerie et un poste de microscopieélectronique.Ils ont les moyens...J'examinai les flacons. Il y avait un peu de tout. Je pris une blouse à lapatère.Comme ça, j'éveillerai peut-être un peu moins l'attention.Dans les grandes poches de la blouse, je glissai plusieurs petits flacons.Éther. Acide butyrique. Chloroforme. Une paire de gants en latex. Jefourrai aussi quelques fioles dans mon sac. Quand je l'avais récupéré, cesidiots n'avaient pas encore retiré les documents que j'avais récupérés.Ensuite, je me coiffai de façon à dissimuler ma longue natte dans le col dema blouse, et complétai le tout d'une charlotte trouvée dans une boîte àcoté des gants. Une paire de lunettes de protection et je jetai un coup d'œilà mon reflet dans le verre de la hotte. C'était parfait.Et maintenant ?Je n'avais pas beaucoup de temps. Il fallait trouver la salle E215. Ce devaitêtre une pièce suffisamment vaste et équipée, probablement un genre desalle d'opération, destinée à la préparation des « sujets ».Il n'y avait pas de plan. Pas même un plan d'évacuation en cas d'incendie.Pas moyen de me repérer dans ce labyrinthe. Je me décidai à me glisser àl'extérieur de la pièce.Qu'est ce que je cherche ? La pièce de Marietta. Pourquoi ? Pour luidonner... Flûte, il me faut quelque chose.Je saisis un carton contenant un appareil à bain marie couplé d'unthermomètre et d'un pH mètre. Pas trop lourd.Le tout pour le tout. Je ne peux pas rester là indéfiniment...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 207

Page 211: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je me faufilai dans le couloir, et avançai ensuite en faisant attention auxcaméras de surveillance. Quoi qu'il en soit, je savais que je ne les verraispas toutes, et qu'il ne fallait pas trop compter passer comme un courantd'air.Une fois au bout du couloir, je me trouvai nez à nez avec un ascenseur,mais pas le même que celui qui nous avait conduit jusqu'ici, j'en était sûre.Voyons, si je ne me trompe pas, la lettre correspond à l'étage.Quand l'ascenseur arriva, j'appuyai sur la lettre E. Il descendit lentement,dans un vrombissement sourd accompagné de grincements de chariot malgraissé. La porte s'ouvrit sur un couloir blanc d'hôpital. Une odeur d'étheret de désinfectant baignait les lieux. Je m'engageai et regardai les numérosdes portes. E1, E2...Merde, s'il y a des centaines de pièces, je n'ai pas fini...Au bout du couloir blanc, arrivée à la salle E14, je passai une portecoupe-feu et pénétrai dans un couloir vert.Toujours cette écœurante odeur...Cette fois, la numérotation commença à E121, et alla décroissante. Maiscette section verte avait plusieurs embranchements, et je ne savais lequelprendre. Je risquais de me perdre. Je voyais bien que la numérotation despièces devait servir de repérage, mais comment savoir s'il n'y avait pasplusieurs autres sections ?En tout cas, il n'y a personne, c'est déjà ça... Ça doit être comme ensurface : tous en vacances... Ou alors ils ne travaillent pas la nuit.Je marchai pendant encore quelques minutes, accompagnée du seul bruitde mes pas. J'essayai désespérément d'avoir l'air décontractée, au cas où jeme ferais surprendre, mais la paume de mes mains devenait moite deseconde en seconde. Je me remémorais le temps où, étudiante, j'entraiseffrontément dans les bureaux pour demander mon chemin, ou l'endroit oùje pouvais trouver le professeur Untel.Là, j'étais heureuse qu'il n'y ait pas assez de monde dans les couloirs pourse rendre compte de mon passage. J'atteignis une porte s'ouvrant sur descouloirs jaunes. Première salle : E301.Et merde !!Je rebroussai chemin. Je ne devais pas être loin. Malgré tout, il fallait queje me dépêche, Laurent pouvait être sacrifié d'un instant à l'autre. Et puis le

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 208

Page 212: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

paquet que je portais d'un bras commençait à se faire lourd.Et quand j'y serai ?Je tâtai les flacons dans mes poches pour me donner du courage. Un planbien mince...Ah enfin une autre couleur.Bleu cette fois. Pourtant, je n'entrai pas. Dans le couloir en face, séparé dumien par de grosses portes en partie vitrées, deux gardes, en uniformepourpre cette fois, approchaient.Je reculai doucement. Je sentais les battements de mon cœur dans mapoitrine. J'essayai une porte à droite. Fermée. À gauche, fermée. Je reculaiencore. Pas de chance, le couloir était rectiligne sur au moins trente mètres.Les gardes allaient passer la porte coupe-feu d'un instant à l'autre. J'étaisparalysée.Tant pis. Perdue pour perdue...Je me remis à marcher en avant, d'un pas décidé. Le genre de démarchepressée de la personne qui est attendue et qui a des choses importantes àfaire.Je dois livrer ce carton à Marietta. C'est de la plus haute importance.Toute l'expérience va rater si elle n'a pas ce carton à temps...Ils ouvrirent la porte... la franchirent... J'avançai toujours... Ils passèrent,sans m'accorder un regard. J'eus du mal à croire à ma chance. J'entrai àmon tour dans la section bleue. E218.Bingo !E217, E216...« Eh, vous ! »Gasp !Je me retournai. Une femme blonde, en uniforme rouge également, sedirigeait vers moi. Je ne me souvenais pas l'avoir déjà vue. De toutesfaçons, je n'avais jamais vu personne en rouge avant cet étage.Allez, inspire à fond.« Oui ? répondis-je, d'un ton le plus rêche possible.- Qu'est ce que vous faites ici ?On dirait qu'elle ne m'a pas identifiée, sinon, elle ne me poserait pas cettequestion.- Je dois porter ceci à Marietta, c'est urgent. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 209

Page 213: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

La garde resta pensive une poignée de secondes, puis finalement me fit unsigne de tête : « Vous savez que la zone va être sécurisée dans une dizainede minutes... Il n'y aura que la section bleue qui sera libre. Il faudra quevous sortiez par la porte du nord.- Je suis au courant. Excusez moi, mais Marietta m'attend. »Je tournai les talons et me dirigeai vers la salle E215. La porte étaitouverte. Je devais entrer d'un pas ferme, si je ne voulais pas attirerl'attention de la femme à l'extérieur. D'un autre coté, s'ils étaient plusieurs àl'intérieur, j'étais cuite.J'entrai. Je me retrouvai dans une toute petite antichambre, large dequelques mètres, mais étroite. Une grande vitre donnait sur la pièceproprement dite, bien plus grande, à laquelle on accédait par une petiteporte latérale. Elle comportait tout l'équipement d'une salle de chirurgiehabituelle. Au milieu, sur une sorte de fauteuil, Laurent était allongé, torsenu, le buste couvert d'électrodes. Il en avait aussi sur la tête, que les« médecins » lui avaient en partie rasée pour l'occasion. Il avait le teintencore plus pâle que d'habitude, presque cireux, ce qui faisait encoreressortir davantage encore son œil au beurre noir.Il était entouré de cinq personnes, toutes en blouses. L'un d'entre eux étaitle directeur, je le reconnaissais malgré son masque de papier. Il se tenaitdans un coin, l'air ravi. Il ne fallait pas attendre. Je posai le carton sur lesol, enlevai la charlotte qui bruissait à mes oreilles et les lunettes deprotection, puis je sortis le revolver de ma poche, examinai la salle uneultime fois pour être sûre qu'il n'y avait pas de gardes et...« Les mains en l'air tout le monde !! »Dans l'encadrement de la petite porte, je braquai mon arme sur eux. Je leurfis signe de se regrouper. Le directeur écarquilla des yeux furibonds maisobtempéra quand il entendit le cran de sécurité sauter.Merci, Chat Noir.« Vous avez tort de faire ça... commença le directeur.- Ta gueule, connard ! Détachez-le ! »Personne ne bougea. Ils attendaient des renforts, c'était évident. Je jetai uncoup d'œil par dessus mon épaule. Personne.« On se dépêche !! »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 210

Page 214: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

J'abaissai l'arme vers le sol et appuyai sur la détente. Le coup ébranla toutela structure. Peut-être juste mes os, en fait, mais comme c'était la premièrefois que je tirais avec autre chose qu'une carabine à plombs, commentsavoir ?Je la relevai immédiatement vers eux.« Dépêchez vous !! vous êtes sourds ? La prochaine est pour vous ! »Un homme et une femme se mirent à ôter les électrodes de Laurent. Il avaitle regard vague, perdu dans le vide.« Je m'occuperai de vous personnellement... » dit le directeur, maîtrisant sacolère avec difficulté. Il saisit Laurent par les épaules et le releva. Il tenaità peine sur ses jambes.Ils l'ont shooté !Ensuite, il le guida tant bien que mal jusqu'à moi. Les autres s'étaientregroupés le long du mur du fond. Ils me faisaient penser à des condamnésau poteau d'exécution.« Si jamais... » commençai-je. Je n'eus pas le temps de finir la phrase, carle directeur projeta Laurent sur moi. Il s'écroula, m'entraînant dans sachute. Je serrai convulsivement la main, et un second coup partit.Ils me tombèrent tous dessus en quelques secondes. Un chapelet de juronsm'échappa. Dans la confusion de la mêlée, j'eus juste le temps de prendreun des flacons de ma poche. Deux paires de bras me relevèrent et metinrent fermement. C'étaient un homme et une femme. J'essayai de medébattre, mais il n'y avait rien à faire. Fut un temps, j'aurais pu espérer melibérer sans trop de problèmes, car ces gens n'étaient pas des gardes etignoraient tout de la force qu'est capable de déployer une personne acculée,mais malheureusement...« Jasmine !! Jasmine !! » glapit le directeur.La femme blonde que j'avais croisée fit irruption dans la pièce, arme aupoing. Le directeur s'approcha de moi, m'attrapa par les cheveux et me tirala tête en arrière.« Vous ne trouvez pas que vous nous avez causé assez de problèmescomme ça, mademoiselle ? Nous ne demandons qu'à travail lertranquillement ! »Il avait une haleine mentholée mais postillonnait comme le capitaineHaddock.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 211

Page 215: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

En s'approchant, il avait obligé la femme qui me tenait la main à relâcherun instant son étreinte. Je me dégageai le bras avec violence, et balançai leflacon au mur.Il se brisa et une horrible odeur se répandit, prenant tout le monde à lagorge. C'était insupportable. Je me débattis pour me libérer, ce que jeréussis sans mal. Laurent sortit de sa torpeur en toussant. Il était impossiblede respirer dans les vapeurs de l'acide butyrique, et tout le monde se ruavers la porte, chacun poussant les autres. J'essayai de profiter de laconfusion pour entraîner Laurent, mais alors que nous passions la petiteporte du couloir, deux autres gardes firent irruption et nous mirent en joue.De toutes façons, toussant à en cracher nos poumons, nous n'aurions pualler bien loin.L'odeur était véritablement épouvantable. Un poing s'abattit sur moi, et lemonde se mit à tourner. Plus question de fuir cette fois. J'avais la nausée, lecœur au bord des lèvres. Une poigne de fer me releva. Des gardes enuniforme rouge sortaient de partout. Laurent était repris aussi. Les sons meparvenaient comme assourdis, je n'y voyais plus clair. De très loin,j'entendis la voix du directeur : « On évacue cette section !- Mais, Philippe, le matériel n'est pas du tout adéquat...- Tant pis, mais il faut que la commande soit prête à être emballée dansdouze heures, alors au trot ! Vous, occupez-vous du nettoyage de lapièce. »La voix résonna plus fort.« Et vous, emmenez-moi ces fouille-merde ! Ventilation de la zone ! »Je n'entendis pas le reste, car quelqu'un m'entraîna. Je ne voyais pas sonvisage, mais il avait un uniforme rouge. Ils étaient peut-être même deux...Peu m'importait.J'étais en route vers la mort.

*****La porte s'ouvre et mes narines sont assaillies par une odeur d'éther et dedésinfectant.Beurk ! Je m'avance prudemment quand un reflet m'attire près du mur. Jem'y dirige.Dans l'acier, profondément incrusté, je vois une trace de griffe.Ils ont des gros chats, par ici... Va y avoir de la concurrence.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 212

Page 216: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je me dirige vers la salle E215. Enfin, plus facile à dire qu'à faire...Le couloir est blanc, et l'éther me donne la désagréable sensation d'êtredans une sorte de morgue. Je sors mon plan de ma poche intérieur.Voyons... Je promène mon index au milieu du plan. Si ça c'est le couloir, jesuis... Voilà ! E215. Mais c'est super loin de l'ascenseur ! Je n'avais pasprévu ça.Monsieur AK-47 et moi, on improvisera.Je passe une première porte coupe-feu et j'arrive à un couloir vert.Ok ! Avec le plan ça va être fastoche.« Hey ! Vous là-bas ! »Je me retourne et, après avoir rangé le plan dans une de mes poches, ditinnocemment :« Oui ? - Qu'est ce que vous faites ici ? Vous n'êtes pas autorisé à venir ! - Je me suis perdu... Je cherchais les toilettes. - Pff ! Vous êtes vraiment des nuls ! Je ne comprends pas comment on peutvous laisser surveiller le complexe en haut !- On ne brille pas toujours mais... »Le garde est habillé en pourpre : l'image des gardes royaux dans « StarWars » me saute aux yeux.« Mais quoi ? »Il sort un bâton court métallique et appuie sur un bouton situé à sa base. Lebâton s'irradie d'un arc bleu électrique.« Ho la, p'tit gars ! Doucement avec ce machin-là !- Tu mérites une correction. »Il essaye de me frapper avec son bâton. Je l'arrête en le bloquant avec monavant-bras gauche. J'enchaîne avec un direct droit dans son ventre mais ille retient avec la paume de sa main droite.« Je suis surpris, je pensais que vous étiez tous des nuls ! » raille-t-il.Moi aussi.Apparemment ces types sont beaucoup mieux entraînés que ceux d'enhaut... mais j'ai pas de temps à perdre.Le type fait des petits pas sur place en s'échauffant. Il sourit comme ungamin qui a trouvé un camarade de jeu.« T'as peur de moi ? Allez viens.. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 213

Page 217: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je me redresse.« Bon... »Je sors un glock et le pointe sur lui.Il s'arrête de danser et son sourire disparaît.« Qu'est ce que tu fous ?... »Je lui réponds : « Mon boulot ! » et je l'abats d'une balle entre les deuxyeux. Sa casquette vole en l'air pendant qu'il tombe par terre.La déflagration résonne dans tout le couloir. Je me dépêche de traîner letype dans une salle. Je laisse aussi mon AK-47 en me promettant derevenir le chercherJe mets ses vêtements et devinez quoi ? Ils sont trop petits !En tirant bien sur les manches... NNNNggh !!Voilà, c'est un peu mieux. Je reprends ma route. Bizarre, aucunmouvement dans ma direction. Personne n'a entendu le tir ? Peut-être quele couloir est insonorisé ?Non, j'entends un autre coup de feu, plus loin dans le corridor de droite.Je cours dans la direction du bruit. Je rejoins un garde qui se dirigeait aussidans cette direction. En me voyant, il s'arrête.« Tu as passé ton uniforme dans une machine à laver à 70°C ?- Ça va, ça va !- Qu'est ce que tu fous avec ce sac à dos ?- J'ai tué un intrus, t'as pas entendu le coup de feu dans le couloir vert ?- Désolé, il y a une porte coupe-feu et on était en train de donner à mangeraux bestioles... »Un troisième coup de feu ponctue sa phrase.« C'est Tombstone là-bas ?- Allons-y ! »Au moment où nous arrivons, un violent relent d'odeur de beurre rancenous assaille.Yiiiks, ça pue !Je vois deux formes arriver vers nous. Je dégaine instinctivement et mon« équipier », surpris par la rapidité de mon action, fait de même.Ce sont Viktorka et Laurent qui arrivent. Enfin Laurent, torse nu, est traînépar Viktorka.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 214

Page 218: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

D'autres gardes les rattrapent, dont une blonde - qui tient plus de la Barbieque de Ripley. La blonde frappe Viktorka, l'assommant à moitié. Je serreles dents. Ils ont tous les yeux rouges et n'arrêtent pas de tousser. Ledirecteur arrive et rentre dans ma ligne de mire. J'hésite. Viktorka etLaurent étant dans leurs griffes, je ne peux pas risquer de faire desdommages collatéraux.« Vous deux, nous lance le directeur, ne restez pas plantés là ! Prenez moices deux prisonniers ! »Mon collègue acquiesce, il range sont pistolet et se dirige vers eux. Jel'accompagne en faisant bien attention à enfoncer ma casquette aumaximum et à regarder mes bottes.Le directeur donne différents ordres puis se tourne vers nous :« Emmenez moi ces fouille-merde salle E412. Et que tout le monde fermeles portes coupe-feu ! Ventilation de la zone au maximum ! »Je ne me fais pas prier pour « emmener les fouille-merde ». Trois autresgardes m'accompagnent, encadrant Vik et Laurent avec moi.Nous nous dirigeons vers la salle E412. Mon p'tit matou, il est temps defaire travailler ta matière grise. Comme je me situe en arrière gauche justederrière Barbie-garde, les neutraliser ne devrait pas poser de problèmes.Mon Dieu ! Ce déhanchement ! En regardant plus précisément je suis sûrque je peux voir si elle porte une culotte ou un string... Concentre-toi !J'attends d'être suffisamment loin du directeur et de ses sbires. Lorsquenous arrivons près de l'intersection qui mène à l'ascenseur, je sorsdiscrètement le bâton court métallique et j'appuie sur le manche.Le bâton grésille... Je frappe violemment le postérieur de la bimbo, quihurle avant de s'écrouler. Les deux autres gardes sont surpris, l'un lâcheLaurent qui est tout de suite retenu par Viktorka.Je dégaine et tire, tuant net l'homme situé à côté de moi. Je tire sur ledeuxième garde qui s'écroule en retenant son épaule ensanglantée.Je lui lance « Désolé, partner ! C'était moi, l'intrus. »Puis, tout en levant ma casquette, je m'adresse à Viktorka :« Je m'absente cinq minutes et vous vous refaites capturer. »Viktorka avait des larmes aux yeux. Peut-être à cause de l'acide butyrique.Je la prends par les épaules.« Ça va aller... Votre Sylvestre préféré est là. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 215

Page 219: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

*****L'injection avait répandu une onde noire dans mon esprit. Les gens avaientdisparu.Je m'enfonçais, je ne pouvais plus respirer... J'avais beau essayer de medépêtrer, c'était comme si j'avais été engoncé dans des draps, j'avais du malà bouger.Soudain, l'asphyxie ! Je me mis à tousser à en cracher mes poumons, etcela chassa l'image du lac, noir et immobile. Toute la gorge, le nez, labouche, les yeux me brûlaient, et il régnait une odeur épouvantable. Jem'écrasai sur le sol - je ne m'étais même pas aperçu que je m'étais levé, ouqu'on m'avait tiré - et on me releva. Je chancelai, l'effet de l'anesthésiquediminuant. Impossible de faire cesser les quintes de toux, mais tout lemonde autour avait l 'air dans le même état. Je ne voyais que trèsindistinctement la salle dans laquelle j'étais. L'anesthésiant et l'horribleodeur n'aidaient pas. Dans la mêlée, je distinguai Viktorka.« Vous, ici ? » voulus-je dire. Mais mes cordes vocales ne m'obéirent pas.Je ne comprenais pas ce qu'elle disait, de sa bouche sortaient des ballons defootball. Soudain, son dernier mot grandit et devint énorme. J'essayai decourir, plongé dans un remake des aventuriers de l'arche perdue. Exit laboule en pierre, mais on applaudit le ballon de foot ! Exit aussi le profd'archéologie intrépide et bonjour au reporter gaffeur. Je courus et tombai,enfin j'en eus l'impression, car on me rattrapa. Viktorka me parlait mais jene comprenais toujours rien. À mes pieds, des milliers de serpents. Ilsavaient tous la tête de Laureen et me sifflaient :« C'est pas comme ça que vous allez rendre votre article à l'heure,Asmuldet !!! »Je sentis comme une étreinte sur mon bras droit et l'entraîneur de Bertrandle jeune prodige me dit :« Ne les écoutez pas ! C'est moi qui l'ai découvert !! »Soudain l'étreinte disparut et un chat s'approcha de moi. Il retira sa fourrureet me le posa sur les épaules. Quelle douceur, quelle chaleur... puis ilm'aida à me relever. Je ne pensais pas que les chats avaient des caleçons àrayures bleues sous leur pelage.« Si je m'en sors, j'écrirai un article dessus. » songeai-je

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 216

Page 220: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je titubai jusqu'au mur, et essayai de stabiliser le monde dansant devantmes yeux en me prenant la tête entre les mains.Vision de gâteaux, coulis de framboise etc. Quelqu'un s'approcha de moi etla voix sucrée de Viktorka chuchota « Vous allez bien ? » à mes oreilles.Chat Noir était là aussi. Je souris bêtement. Étions nous mort ? C'étaitmoins terrible que ce que je pensais. Pourquoi les gens en font-ils tout undrame ?Ils m'entraînèrent, me forcèrent à courir dans les couloirs, et le sangcommença à battre mes tempes. La douleur de mes contusions etecchymoses diverses se réveilla, et je me fis à l'idée que, peut-être, nousn'étions pas encore morts. C'était presque dommage, car nous allionsencore pouvoir souffrir.

*****Je retire la veste que je portais et la mets sur Laurent, qui est bleu de froid.« Filons ! »Nous remontons le couloir vert. Je m'arrête à l'endroit où j'avais mis monAK-47.« Pause pipi ! Attendez moi ici ! »Je sors un pistolet anesthésiant de mon sac. Je le tends à Viktorka. Je suislà pour faire le sale boulot, pas besoin qu'elle se salisse les mains en tuant.

*****Un pistolet anesthésiant à seringues hypodermiques...Chat Noir disparut dans la petite pièce. Le couloir était désert. Je m'adossaiau mur, et me passai la main dans les cheveux. J'avais mal à la tête, à causedu coup que j'avais reçu, mais au moins elle ne tournait plus. Combien detemps s'écoulerait avant qu'ils se rendent compte de notre fuite ? Il faudraitque je remercie Chat Noir.Dire que cet immense complexe a été construit au nez et à la barbe de toutle monde... Qui peut avoir assez de pouvoir pour faire ça ? Comment lesgens qui travaillent ici font-ils pour ne pas se faire remarquer ? Il doit yavoir des tas de complices parmi mes collègues.J'imaginai des entrées secrètes derrière des bibliothèques... Je songeai àAlfred. Faisait-il aussi partie de ce complot ? Et Véro ? Et Lucas ? Tousces gens que je côtoyais depuis six mois ?Que disait ma grand-mère déjà ?

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 217

Page 221: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

On croit connaître les gens...*****

Je rentre dans la pièce et je ne vois pas de trace du cadavre que j'avaislaissé. Ni de mon fusil.En fait... Si ! Le fusil est en deux parties. Il a été cassé en deux... Broyé estun terme plus exact.J'entends grogner dans le coin droit de la pièce. La lumière est éteinte.Deux yeux verts me regardent, brillant d'une étrange lueur.La silhouette émerge de la zone d'ombre. Ça se déplace sur deux pattesavec les bras ballants. La forme est humanoïde.On dirait un homme. Il est habillé avec un genre de combinaison noire auxreflets métalliques. Il a des sortes de griffes aux extrémités des mains,sûrement des lames de rasoir. Un rasoir pour éléphant vu la taille. Le plustroublant est qu'il grogne comme un chien enragé.« Ho là ! Petit ! Calme toi... » dis-je, en sortant discrètement le glock dema poche.Il ne répond pas.« C'est toi qui a bouffé mon fusil ? »Je l'entends pousser une sorte de grognement amusé.« Et ça te fait marrer ! »Il avance d'un pas. Cette fois pas de doute, c'est un homme. Ou du moinsce qu'il en reste. Ses dents sont en métal. Et elles sont pointues. Trèspointues...« Ok ! Je n'ai pas d'os sur moi mais je vais t'en chercher. D'accord ? Nebouge pas de là. »Avec un rugissement, il se précipite sur moi « toutes griffes dehors ».J'esquive son coup de justesse, mais il m'égratigne légèrement l'arête dunez.« Ok ! Là, t'es mort ! »Après son attaque, il s'était réceptionné à quatre pattes. Il se relève pourattaquer de nouveau.Je tire deux fois dans l'abdomen. Il recule un peu à cause de l'impact puisavance de nouveau.Quel con je suis ! Sa combinaison doit être renforcée par des plaques enmétal !

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 218

Page 222: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il saute de nouveau, je fais une roulade sous lui et me retrouve devant laporte de sortie.Le temps qu'il se retourne, je vois une sorte de petit réservoir grefféderrière sa nuque.Il se jette sur moi. Je prends le temps de viser et lui tire une balle en pleinetête. Il a quand même le temps de couper la visière de ma casquette endeux. Il s'écroule sur moi me faisant traverser la porte et j'arrive aux piedsde Viktorka et de Laurent. Je projette le corps dans la salle avec mes piedset me relève d'un bond.J'arrive près du corps. Je donne un coup de pied dedans pour vérifier qu'ilest bien mort. Je sens un peu de sang couler le long de mon nez. Je l'essuieavec ce qui reste de la casquette puis je la jette sur le sol.Viktorka se trouve derrière moi, muette.

*****C'est le cauchemar d'un fou, songeai-je en voyant ce qu'avait abattu ChatNoir.C'était une forme indéniablement humanoïde, recouverte d'une sorte decombinaison noire, renforcée de plaques métalliques. La tête avait à moitiéexplosé sous l'impact des balles dans le front, mais on voyait nettementque le visage n'était pas humain. La créature avait des crocs énormes,également métalliques. Ses mains étaient pourvues de longues griffesrecourbées, dont l'extrémité était aussi recouverte de métal.Mais quelle horreur !! On dirait un puzzle !!J'eus du mal à retenir un haut-le-cœur alors que je me penchais pourl'examiner plus en détail. À l'arrière de la tête, on pouvait voir un curieuxappareillage à moitié arraché par l'impact. Impossible de savoir ce quec'était mais ça devait être important. Des sortes de sondes casséessemblaient s'enfoncer dans le crâne. Peut-être était-ce destiné à exercer uncontrôle chimique sur le comportement de la créature ? Une ragepermanente... Qui sait ?Quelqu'un gémit sur ma gauche. Je relevai la tête juste à temps pour voirLaurent, qui avait réussi à se prendre suffisamment en main pour entrer àson tour dans la pièce et s'approcher de nous. Ses yeux se révulsèrent et iltomba en arrière.

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 219

Page 223: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je me sentais de mieux en mieux réveillé, c'est à dire de plus en plus mal.Chat Noir était debout, le visage ensanglanté - j'eus la nausée en songeant àce que signifiaient mes visions de gâteau à la framboise - et une massenoire était recroquevillée à ses pieds. Viktorka la regardait attentivement.Je me penchai à mon tour. Pendant plusieurs secondes, je ne trouvai ni lehaut ni le bas, et ne pus identifier la nature de la chose. Je ne vis pas quec'était humain du premier coup. Normal, dans un sens, il lui manquait lamoitié de la tête. Quand cette vérité heurta mon cerveau, il décida que c'enétait assez pour la journée.Black out.

*****« Un des gardes m'avait parlé d'autres veilleurs... Si je m'attendais à ça ! »dis-je.De la pointe de mon pistolet je soulève le réservoir qui est accroché par destuyaux dans l'arrière du crâne, peut-être jusqu'à l'hypothalamus. Ma balleayant arraché toute la partie arrière, il n'est pas évident d'en être sûr.Derrière moi, j'entends quelque chose tomber. C'est notre journaliste quis'est évanoui. Je regarde Viktorka et lui fait un clin d'œil en disant : « On lelaisse là ? Il fera un appât convenable... »A son regard, cette fille n'a pas d'humour.Elle se baisse vers lui. J'en profite pour aller chercher un peu d'eau. Jetrouve un évier dans le coin d'où provenait la créature, je trébuche sur lebras à moitié dévoré du garde que j'avais caché.« Beuuurk ! - Qu'est ce qui se passe ? me répond Viktorka en écho.- Rien ! Je déteste les chiens de garde, c'est tout. »Je donne discrètement un coup de pied dans le bras pour qu'il disparaissesous l'évier, puis je prends un torchon et fais couler un peu d'eau dessus.Je reviens vers Laurent puis lui passe le torchon humide sur le front. Ilémerge. Il est terrorisé.Je lui prends le visage entre mes deux mains et le force à me regarder.« Écoute moi ! Tout va bien se passer, on va s'en sortir ! Ok ? »Il hoche positivement la tête. Son regard glisse de nouveau vers la créature.Il pâlit.« Tu n'as jamais vu une tenue SM ? »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 220

Page 224: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il sourit. Puis regarde de nouveau notre agresseur et fait une grimace dedégoût. Il manque de retourner dans les pommes. Je le secoue.« Ooooh ! Reste avec nous ! Sinon on te laisse ici ! »J'ai toujours été bon en psychologie.Je l'aide à se relever.« Bon, les enfants, il est temps de sortir d'ici. On va prendre l'ascenseur leplus proche, et on va remonter. La seule...- On ne peut pas retourner à l'ascenseur du couloir blanc sans passer par lescouloirs bleus, réplique Viktorka d'un ton tranchant.- Ce ne sont pas des couleurs qui vont nous arrêter, j'ai une carte ducomplexe. Je disais donc que la seule chose que je veux faire, c'est repasserpar la salle de contrôle. Il reste encore des armes et il faut les récupérer.Des questions ? Non, bien. »

*****Laurent réussit finalement à se lever, avec l'aide de Chat Noir, mais avec lamême vivacité qu'un gars à qui on vient de prélever un demi-litre de sang.Il affiche le visage d'un noyé à qui on vient d'annoncer la mort de sagrand-mère, tout en lui demandant où il a rangé la boîte à clous.Chat Noir nous exposa son nouveau plan.Nous étions dans une sorte de salle de stockage, qui contenait des balancesde précision, des dizaines de grosses bouteilles de plastique remplies deproduits divers, un évier, une bonbonne d'eau distillée... J'avais du mal àréfléchir, mais je voulais quand même faire quelque chose avant de partir.J'ouvris un placard. Il était rempli de verrerie. Je pris plusieurs petits erlensen verre et des bouchons.Sans faire attention aux sarcasmes d'un Chat Noir impatient, j'entrepris deremplir plusieurs tubes de produits divers. Éther, acide propionique, acidechlorhydrique, j'en passe et des meilleurs. Le tout ne me prit pas plus dequelques minutes. Le temps au journaliste de se réveiller totalement. Jemis les petites fioles dans mes poches, et une grosse dans mon sac.Vraiment une bonne chose de l'avoir récupéré.Chat Noir ressemblait à une bouilloire sur le point d'exploser. Chacun sontour.

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 221

Page 225: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

J'examine le plan une seconde, et voilà que Viktorka commence à fairel'inventaire du matériel de laboratoire. Il me semble que nous sommespressés. Quand à Laurent, il oscille sur place mais reprend des couleurs. Enfait il est en train d'imiter les couleurs des couloirs, bleu, blanc... Jem'approche de Viktorka et lui dit le plus simplement du monde, avec unsourire crispé :« On peut savoir ce que vous faites ?- Je reforme mes munitions.- Super ! Tous les couloirs vont recommencer à puer ! Vous devriez enprofiter pour faire le ménage aussi. »Elle continue sa petite sauce.« Je sais quoi vous offrir à Noël, une boîte de « la petite laborantine enherbe. »Allo ?« Surtout prenez votre temps, j'expliquerai aux machins qui nouspoursuivent que le jeu est sur pause ! »Je me redirige vers Laurent et m'adresse à lui :

*****« Elle se focalise et après elle oublie le monde extérieur. Ça va mieux ? »- Oui.- Ça va mieux ou tu es d'accord avec moi ? »C'était une réflexion un peu trop intense. Il me fallut une poignée desecondes pour réfléchir.« Les deux. »Je souris. Chat Noir aussi.

*****Je sors mon trench-coat de mon sac et je retire la chemise que j'avaisempruntée au garde.Viktorka nous rejoint, je l'accueille d'un soupir de lassitude. Enfin, on peuty aller.Je me place dans l'ouverture de la porte et je jette un œil. Rien à l'horizon.Je commence à m'engager lorsque j'entends le bruit de griffes sur les paroisdu couloir. Je recule et me cogne contre mes deux compères.« Désolé, c'est l'heure de pointe ! »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 222

Page 226: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je sors mon pistolet et retourne dans le couloir. La bestiole est très près.J'évite un coup de patte et place le canon sur ce qui lui sert de front. Je tire.Le cadavre va s'étaler dans le couloir, en se recroquevillant dans un dernierspasme.« Ils ne sont pas si coriaces, ils tombent comme des... »La lumière s'éteint.« ... mouches. »

*****Je me figeai, et la main de Laurent s'agrippa à mon bras. La voix dudirecteur, sortie de partout et nulle part, résonna.« Vous m'aurez ennuyé jusqu'au bout, n'est ce pas ? Je sais que vous êtesquelque part dans le complexe, sûrement encore au niveau E. Vous alleztrès probablement vous y promener dans cinq ou six estomacs différentsdans quelques minutes. Mais ne vous inquiétez pas, avec vous trois, ilrestera encore suffisamment de matériel à récupérer pour pouvoir remplirnotre commande. À bientôt. »On n'y voyait rien du tout. Je retournai à tâtons vers la petite salle que nousvenions de quitter, toujours avec le journaliste accroché à mon brasgauche, et tournai l'interrupteur, mais rien ne se produisit. Soudain, unepetite lumière s'alluma à quelques mètres, balaya un peu et se pointa versnous.

*****« Et voilà ! On coupe la lumière et y en a qui en profitent pour sebécoter. »Devant le mutisme des intéressés, je décide de reprendre mon sérieux.« Avec un peu de chance, il y aura des lampes de poche dans cette pièce. »Je rentre dans la pièce que nous venions de quitter, et je me dirige vers lespetits placards sous l'évier.« Surtout, ne faites pas de bruit. »Je trouve des piles, qui, bien sûr, ne conviennent pas. Je place malampe-torche sur le canon du pistolet puis je la scotche à l'aide duchatterton présent dans la mallette de secours. Avec les loupiotes que mesdeux compères ont dénichées, ça devrait aller.Nous devons économiser les déplacements, je déplie le plan. C'est marrantcomme un endroit devient différent quand il est dans l'obscurité.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 223

Page 227: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Vous ne croyez pas que vous seriez plus à l'aise si nous prenions leplan ? Vous me faites penser à un homme-orchestre. »Cette remarque provient bien sûr de cette sympathique Viktorka. Elle tendla main pour que je lui passe le plan. Je réfléchis un instant. Lequel desdeux est le plus susceptible de toucher une créature ? Une saltimbanque ouun scribouillard ? Je souris de ma pensée et tend la carte à Laurent.« Vous avez raison. Laurent, pouvez vous tenir ça ? »

*****Encore un connard qui pense que les femmes ne savent pas lire les cartesroutières...Quel plaisir peut-il avoir à me diminuer ainsi ?« La confiance règne, dis-je- Ne croyez pas ça. Mais vue l'adresse de Tintin, fit-il en désignantLaurent, je préfère assurer mes arrières... Et que ce soit vous qui teniez lepistolet anesthésiant. Sortez-le, vous risquez d'en avoir besoin. »J'obtempérai. Je ne savais pas si j'allais réussir à me servir de l'arme, maisau moins, j'avais quelque chose à faire.Nous avançâmes en silence, concentrés sur le moindre bruit suspect.Laurent, juste derrière Chat Noir, donnait les indications directionnelles àvoix basse. Je fermai la marche, arme levée. La frustration de l'inactiontombée, je me sentais ridicule. Je n'avais jamais tiré ailleurs que dans leschamps de foire, et je me demandai ce qui se passerait si une des créaturesinfernales que nous avions croisées refaisait son apparition. À chaqueembranchement, Chat Noir levait son arme, et faisait brusquementirruption dans le corridor suivant, comme dans les films. J'admirais sonaisance un peu théâtrale, mais je ne pouvais oublier que, justement, s'ilétait aussi agile, c'est que le meurtre était sa vie quotidienne.

*****Laurent a semble-t-il récupéré toute ses facultés. C'est avec une certaineaisance qu'il nous dirige à travers l'étage. J'avoue culpabiliser un peu del'avoir pris pour un benêt. Mon pistolet n'arrête pas de balayer lescorridors. À chaque intersection, j'écoute, à l'affût du moindre bruitsuspect. J'inspire, puis j'émerge d'un coup afin d'avoir le meilleur anglepour tirer. Avec mon trench-coat, c'est du plus bel effet... Mais bon il n'y apas de lumière et les seules groupies qui pourraient assister à ce spectacleveulent nous bouffer.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 224

Page 228: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Le directeur semble économiser ses atouts. Pas beaucoup de coupesfranches...Enfin une porte coupe-feu, je commençais à douter des capacités de...Urkkk ! Cette odeur ! Je recule d'un coup, la porte se referme.« Viktorka, vous avez lâché un de vos produits ?- Non. »Je fusille Laurent du regard et éclaire le couloir derrière la vitre. Couloirbleu. Ce n'est pas vrai... On s'est mordu la queue. Je me retourne versTryphon et lui braque la lumière dans les yeux, tout en avançant.« Franchement, je ne vois pas quel organe correct ils auraient pu récupérersur toi. »Il ne répond pas.« Donne moi cette carte. »J'examine la carte. Je suis servi, entre Tournesol et la fée du logis. J'ycrois pas, le plan est à l'envers.« Tu vois l'échelle de la carte ? Elle doit être en bas à droite. »Je vais tâcher d'être explicite...« On est ici, je pointe du doigt l'endroit où l'on est. Trompe toi encore unefois, et je t'aère le cerveau. »Je dois évacuer ma tension. Après tout, un chat, c'est nyctalope. L'obscuritéa toujours été mon alliée. Je dois me concentrer. Écouter. Un bruit. Jem'arrête. Combien ? Douze paires de pieds. Le couloir est trop large, ilspeuvent attaquer à deux de front. Il y a aussi des bruits de bottes...Peut-être les gardiens de ces créatures ? On doit trouver un autre endroit.Je me retourne vers Laurent :« Il faut faire demi-tour ! C'est ta spécialité il me semble ? »

*****Je ne pensai même pas à répliquer, j'obéis, mortifié par mon erreur. Bienm'en pris. Des bruits bizarres venaient dans notre direction. Viktorkam'emboîta le pas, et nous suivîmes Chat Noir. Nous courûmes dans le sensopposé, avant de bifurquer un peu au hasard dans plusieurs couloirs, poursemer nos poursuivants, si bien qu'il me fut difficile de me repérer.Soudain, après le passage d'une porte coupe-feu signalée sur la carte, jenous situai de nouveau. Sur le plan, on voyait plusieurs grandes pièces enenfilade qui semblaient conduire à un ascenseur.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 225

Page 229: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Par ici ! » criai-je.Chat Noir me jeta un coup d'œil sans équivoque. Si je les perdais encoreune fois, il m'assommerai. Au moins...Mais j'avais correctement interprété le symbole sur la carte, semblait-il. Laporte voulue s'ouvrit.

*****Bingo, on entre. Je ferme la porte à l'aide d'un tabouret puis je recule. Jeplaque mon oreille sur le sol.J'entends les pas se rapprocher, nous dépasser puis s'éloigner... trop facile.Laurent me sort de ma réflexion.« Si on continue tout droit dans ces salles, sans repasser par le couloir, ondevrait déboucher directement sur un ascenseur. »« Attends, je vérifie... »Je regarde la carte. Effectivement il a raison.« Ok. On y va. »

*****Chat Noir leva son arme et avança doucement, suivit de Laurent. Jefermais la marche. Nous traversâmes plusieurs pièces en enfilade sansrencontrer d'obstacle autre que l'odeur ambiante, âcre, imprégnant l'air, uncurieux mélange d'éther et de sueur. Nous n'avions pas assez de lumièrepour bien voir où nous passions, mais les pièces ressemblaient à des sallesde manip. Je n'osais pas trop regarder sur les cotés, de peur de me laisserdistraire, ou de ralentir mes compagnons. Les ombres étaient peuplées decauchemars qu'il valait mieux laisser dormir. J'aurais pu vouloir toutexplorer, malgré l'angoisse, justement pour m'en délivrer, mais le tempsnous était trop précieux. Je serrai les dents en essayant de tenir la bridecourte à mon imagination. L'odeur était de plus en plus forte.

*****Je recharge, afin d'être prêt à toute éventualité. Je m'avance prudemment.D'habitude j'aime l'imprévu et je m'y adapte, mais là j'aimerais bien quemon plan « sauvetage » se déroule sans accrocs et surtout comme je ledésire.Je balaye la pièce avec ma lampe. Elle est très grande. Je branche mafréquence d'écoute sur le mode « oreilles panoramiques ».

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 226

Page 230: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Soudain je vois deux yeux rouges luire dans mon faisceau de lampe. Je tiretrois fois entre les deux.La chose s'effondre en hurlant, je commence à apprécier ce cri. J'éponge lasueur de mon front avec ma manche.Je donne un coup de pied dans le corps inerte de la créature en passant, çane sert à rien mais ça soulage. Une drôle d'odeur émane de cette pièce. Unedizaine de structures métalliques se trouvent de chaque côté. Des cages.Beaucoup de cages.Et merde, ce n'est pas une salle de labo. C'est un chenil !

*****Quand Chat Noir tira, je crus que mon cœur allait se décrocher. La bête -mais n'était ce pas humain ? - hurla de douleur au premier coup. C'était unevoix indéniablement humaine, la voix d'un homme à qui on vientd'apprendre la mort de son fils, la voix d'un homme dont la vie s'arrête.Une voix qui me hérissa tous les poils du dos. Le deuxième coup le fittaire.Chat Noir s'essuya le front de la manche. Laurent frissonna. Le corps étaiten travers de la porte. Chat Noir lui fila un coup rituel pour vérifier qu'ilétait bien mort. À moins que son cerveau n'ait été qu'un accessoire pour lacréature, vu ce qu'il en restait, elle ne pouvait être que morte. Le premiercoup l'avait atteinte à l'épaule. Le sang gluant s'était étalé en flaque et nousdûmes l'enjamber pour passer.

*****Tout s'était passé tellement vite que je n'avais pas eu le temps decomprendre, et un corps s'étalait dans le passage. Je pensai que nospoursuivants nous avaient pris à revers, mais quand Chat Noir braqua salampe sur le corps, le mettant en joue pour s'assurer que la vie l'avait bienquitté, je vis que c'était encore un des « tenue SM ».Je dus faire appel à tout mon sang-froid pour enjamber le corps sans vomir.En réalité, je crois que de toutes façons je n'avais plus rien à vomir. Jefermai les yeux au moment de passer le pied au dessus.Au même instant, Chat Noir jura et tira encore. Il rugit : « Putain,Asmuldet, tu nous as jetés dans la gueule du loup et c'est au senspropre !! »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 227

Page 231: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je ne savais pas quoi faire. Je me tournai vers Viktorka. Elle balayait lapièce de sa lampe. Je décidai d'en faire autant. Je braquai ma torche sur lecoté droit. Deux yeux rougeoyèrent. Un visage à moitié humain medévisageait. Il avait une mâchoire proéminente, et des crocs en métalempêchaient sa bouche de se fermer complètement. Il était bardé de cuir,les pièces de métal formant une armure protégeant les parties sensibles deson corps. Il se jeta sur moi. Je fis un roulé boulé involontaire, heurtaiquelque chose, et me retrouvai étalé par terre. Je me mis à quatre patte,cherchai ma lampe en tâtonnant, et un coup de griffe sur le coté du cou merenversa. Un peu sonné, je me roulai en boule. Je posai ma main sur moncou et appuyai fortement comme pour faire partir la douleur. Je songeaique si ma jugulaire était atteinte... Non, si ma jugulaire avait été atteinte, jeserais déjà mort. Le sang coula dans ma main et je me recroquevillaidavantage encore.

*****Je tire sur une des créatures qui est en train de sortir de sa cage.Je n'arrête pas de tirer et de recharger en esquivant des coups de griffes.J'attrape une bestiole par le cou et lui tire une balle dans la tête. Je suiséclaboussé par du sang chaud. Quelle délicieuse odeur !« Reprends toi ! » me dit une voix venant de nulle part.Je me jette sur une des créatures et lui brise la nuque. Deux autres, quiallaient se précipiter sur moi, s'arrêtent net. Elles hésitent. Je vois de lacrainte se mêler à l'agressivité dans leurs regards.Un cri, mais pas celui d'une des créatures. C'est Viktorka. Pourquoi ce nomme dit-il quelque chose ?« Reprends-toi ! »Chloé ? Où suis-je ? Je regarde mes mains. Elles sont couvertes de sang.« Ils ont besoin de ton aide ! »

*****Malgré les allers retours spasmodiques que je faisais effectuer à ma lampe,je ne voyais rien, hormis des sortes de grandes cages, pleines de chiffons,largement ouvertes. Derrière moi, Laurent cria. Je me retournai : il avaitété projeté vers la gauche, en avant de plusieurs mètres, et se tenait prostré.Je courus vers lui : il avait le visage ensanglanté. Une marque de griffecourait le long de son cou.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 228

Page 232: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Encore un bruit de galopade et un coup de feu. Chat Noir jura de nouveau.J'entraînai Laurent derrière une porte grillagée, peut-être dans une cage.Une créature surgit à ce moment là et donna un violent coup de poing dansla grille. La lampe m'échappa. Deux coups de feu retentirent et la « chose »s'écroula. Quelque part, un cri résonnait toujours à mes oreilles. Il me fallutquelques dixièmes de secondes pour me rendre compte que c'était moi quicriait.

*****Ce fut un chaos indescriptible pendant plusieurs secondes, car la créaturemorte bloquait l'entrée de notre refuge de fortune. Les mains sur les cotésde la tête, les yeux fermés, Viktorka criait encore. Elle arrêta brusquement,émit quelques sanglots, puis se mit sur le dos et donna une violente ruadedans la porte, l'ouvrant d'un seul coup. Chat Noir tira encore le corps denotre assaillant en arrière et nous éclaira.« Vous allez bien ? »J'avais toujours la main plaquée sur le cou. Chat Noir me saisit le poignetet écarta ma main. Il avait son chiffon humide et s'en servit pour nettoyerle sang qui me coulait dans le col.« Ne bougez pas. Ce n'est pas très profond. »De toutes façons, je le connaissais assez pour ne pas avoir envie de bouger.« Ça va aller. Vous êtes un grand garçon. Vous vous en sortirez. »Une claque sur l'épaule et il me mit debout. Ce type avait une forceterrible.Je me redressai. Il y avait des cages partout. Je frissonnai à l'idée de laquantité de chiens qu'ils devaient garder. S'ils étaient à nos trousses...C'est à ce moment là que la vérité m'a frappé. Ils étaient à nos trousses. Cen'étaient pas des chiens. C'étaient les gars en « tenue SM ». Je meremémorai les paroles du directeur :« Nous arrivons à greffer des mains, des bras, des jambes... même desorganes d'animaux spéciaux... Nous finançons nos recherches grâce à lavente de ce service... »Ces créatures étaient leur création. Leurs cobayes. Leurs gardes. Qui saits'ils ne les vendaient pas comme « gardes spéciaux » pour arrondir leursfins de mois ?

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 229

Page 233: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je les aide à sortir de la cage et soigne Laurent - toujours utile d'avoir deschiffons propres pour retirer des empreintes - tout en repensant à ce quim'est arrivé. Une absence temporaire ou une rage Berserk. J'espère quec'est la première solution... Ça fait longtemps que ça ne m'était pas arrivé.Je vérifie la pièce avec la lampe.« On dirait un chenil... C'est l'endroit où ils gardent ces monstres. »Je ramasse une des créatures par la nuque et je la tend à mes compagnonsd'infortune en disant : « Personne ne veut adopter ? »Mon humour ne semble pas les toucher. Je regarde de plus près l'ouverturedes portes des cages. Elle est automatique. Ils ne doivent pas êtretotalement maître de leurs bestioles.« Ouvertures à distance. Ils doivent évacuer avant de les lâcher. On feraitmieux de déguerpir d'ici au plus vite. »Nos pas résonnent dans la salle. Je fais attention au moindre bruit suspectmais je n'entends plus rien. Il semble que nous ayons affronté toutes cellesqui étaient restées dans leurs tanières. Je suis impressionné par lesquantités de cages présentes. Je regarde de gauche à droite et je ne vois queça !D'après le plan, l'ascenseur doit se trouver au bout. Je serais bien tentéd'utiliser les portes qui apparaissent de-ci de-là, mais... Ce sont les portesde sortie des ces choses. Fort à parier que l'on risque de tomber surd'autres...Je commence à douter du plan mais, arrivé au bout de la dernière salle, jevois apparaître la double porte de l'ascenseur.Une dernière vérification puis on rentre dedans. Il ne va pas jusqu'à lasurface comme celui par lequel nous sommes entrés. J'appuie sur le boutonA, qui correspond au dernier étage.« Direction les munitions ET la sortie. » dis-je, d'un ton à remonter lemoral des troupes de Vercingétorix à Alésia.Un flot lumineux nous enveloppe lorsque la porte de l'ascenseur s'ouvre.Un gigantesque couloir vide et lumineux s'offre à nous.J'escorte Viktorka et Asmuldet jusqu'à l'ascenseur de sortie puis jeretourne, seul, au bureau du directeur.Je ne peux pas laisser le fusil de Chloé entre leurs mains ! Chloé...Pourquoi te vois-je partout en ce moment ?... Je perds les pédales ?

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 230

Page 234: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Concentrons nous. J'ai deux innocents à charge.« Nous allons passer par le PC comme prévu, parce que je n'ai quasimentplus de munitions. »

*****La montée s'effectua sans accrocs, et la porte s'ouvrit sur un couloir vide etéclairé. Je clignai des yeux. Il me fallut plusieurs secondes pouraccommoder la lumière. Chat Noir nous guida. Il avait l'air tendu. Pour mapart, j'avais du mal à croire que nous soyons si près de la surface, si près dumonde « normal », du laboratoire que je connaissais bien, avec monbureau, mon ordi, mes dossiers, ma routine. Enfin, nous échappions àl'angoisse glauque du contrebas.

*****Je n'avais aucune idée de ce qu'était un « PC », mais les couloirs du hautétaient éclairés, et ça, c'était déjà quelque chose. Un peu comme revenirdans le monde des vivants. Il fallut avancer en catimini sur les pas de ChatNoir, jusqu'à la salle dite du « PC ».Chat Noir entra dans la pièce : « Merde !! »

*****Une fois au PC, je vais prendre un des AK-47 que j'ai laissés et un pistolet.Je regarde les caméras et je fais une pause, toujours aussi brutale.« Y a quelque chose qui cloche.- Quoi ? me répond Viktorka.- Regardez. »Je lui montre les caméras : « Elles ont cessé d'osciller- Ce qui veut dire ?- Qu'on les a arrêtées, volontairement ou non. Dépêchons-nous. »Je déteste avoir raison. J'ouvre la porte, toujours avec mon arme au poing.J'y ai mis les trois dernières balles qui me restaient. Après, ce sera lecouteau. Je souris malgré moi à cette idée. J'entre et me maudis de n'avoirpas fermé la porte à clé. « Merde ! »

*****Laurent et moi échangeâmes un coup d'œil avant d'entrer de concerve, ànotre tour.Je ne compris pas immédiatement la raison de l'émoi de Chat Noir, puisj'avançai, et je les vis. Derrière un bureau criblé de balle, étaient étalés des

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 231

Page 235: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

corps déchiquetés. J'étais incapable de dire combien. Ils étaient dans un telétat qu'on ne pouvait deviner ou commençait l'un et ou s'achevait l'autre, etune odeur écœurante s'en dégageait. Mes jambes ne me portaient plus. Jeme tournai et m'appuyai sur une autre table, en demi-cercle, où étaientposés des moniteurs de contrôle.Chat Noir semblait atterré. Il se passa la main sur le visage, ce qui y laissaune traînée rougeâtre supplémentaire, puis franchit une petite porte menantà une autre pièce, dans laquelle on pouvait voir des placards.Je tremblais. L'illusion de la tranquillité s'était volatilisée. Je commençai àressentir les effets de l'épuisement, à cause de la tension morale. Jeregardai ma montre. Deux heures du matin. Je frissonnai en songeant queje ne reverrai peut-être jamais la lumière du jour. Je n'avais qu'un désir :partir d'ici au plus vite.

*****Je contournai Viktorka et suivis son regard. Appuyés contre le mur, ilsétaient cachés par la table portant les écrans de contrôle. Encore descadavres, mutilés comme s'ils avaient été déchiquetés par une bêtesauvage. On voyait à peine leurs uniformes.C'est l'œuvre des monstres que nous avons vus en bas.Je ne compris pas d'abord pourquoi ils s'en étaient pris à des gardes, leursalliés. Puis je vis les liens derrière leur dos : Chat Noir avait dû lesattacher, lors de son premier passage. Tout l'étage avait l'air vide : lescréatures devaient être tellement dangereuses qu'ils évacuaient les lieuxavant de les lâcher, et ceux-ci n'avaient pas pu prendre la poudred'escampette.Je frémis à l'idée de ce qui serait arrivé si nous n'avions pas été armés. Jem'assis sur une chaise. Chat Noir se dirigea vers la pièce attenante

*****Ils n'ont même pas pu se défendre... Je peux me consoler en pensant qu'ilsétaient dans l'autre camp mais au fond de moi je sais que je les aicondamnés. Tuer quelqu'un qui a une arme ne me dérange pas, surtout s'ill'utilise contre moi. Mais là... Ces pauvres bougres n'avaient rien demandé,même si, bien sûr, ils connaissaient les risques. Je passe ma main sur monvisage. Qu'est ce qui m'arrive ? Je deviens sentimental ? Je vais devoirchanger de métier bientôt?

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 232

Page 236: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Quelle pensée ridicule. Je me dirige vers la salle de repos en me frayant unchemin entre les bras et les jambes déchiquetés. Les moniteurs desurveillance crépitent. Des coups de griffes ont fait disjoncter l'ensemble.Ces bestioles n'aiment peut-être pas la télé. Après avoir réussi à ne pasglisser sur le sang étalé par terre, j'atteins les placards. J'avais oublié unechose, le comité d'accueil. Une bestiole est en train de ronger la tête deWill. Elle me regarde en continuant de mastiquer le nez qu'elle vientd'arracher.« Tu peux garder ton chewing-gum » lui dis-je.Elle hurle. Peut-être pour appeler des renforts ? L'éthologie, ce n'est pasmon fort, la dentelle non plus... Je la fais taire de deux balles dans la tête.J'entends à ce moment des griffes racler par terre. Je fais une roulade avantpour l'éviter et je tire.Pourquoi, quand il ne reste qu'une balle dans le chargeur, rate-t-on toujoursla cible ? Dans un film je l'aurais eue. En fait, dans un film, je n'auraismême pas eu besoin de me soucier des balles...Elle me saute dessus. Je la réceptionne avec un coup de pied transversalqui l'envoie valdinguer dans les placards. Je recule d'un bond dans la pièceprincipale.Je sors mon couteau. Celle-ci va payer. Elle va souffrir pour le casse-dallequ'elle et ses copines ont fait avec les gardes.

*****Un choc. Un cri. Des coups de feu. Un chapelet de juron et d'autres chocs.Chat Noir fit un bond en arrière, revenant dans la pièce principale. Dansl'encadrement de la porte se tenait une des créatures monstrueuses.« Putain, c'est une vraie nurserie ici !! » cria-t-il en sortant un couteau.Avec un rictus mauvais, il ajouta : « C'est l'heure du biberon. »Ce type est dingue.S'il mourait, c'en était fait de nous ! Je levai le pistolet à seringuehypodermique, que je tenais toujours, et appuyai sur la gâchette. Lapremière fléchette alla se ficher dans le chambranle.Merde ! Pourvu qu'il y en ait d'autres !!Je tirai de nouveau. Cette fois, la créature fut touchée à l'épaule. Chat Noir,qui n'avait rien vu, se jeta en avant à ce moment là. La troisième fléchettevint se planter dans son sac à dos.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 233

Page 237: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

La créature s'effondra quasiment dans ses bras.*****

Je lui tranche la gorge pour égaliser les scores.Dans le chambranle de la porte, en face de moi, je vois une fléchette.« Merci, mais vous m'avez raté, dis-je à Viktorka avec un petit sourire.- Pas tout à fait... » répond-elle en désignant mon sac à dos.Une chance que j'ai un sac large. Je retire la fléchette et la laisse tomberpar terre« Vous faites un sacré duo, avec Laurent. Si je ne vous connaissais pas, jepenserais que vous avez été achetés par le labo. »Elle hausse les épaules. Je retourne aux armoires, la laissant contempler labestiole.

*****Cette créature avait un air qui m'était familier. Je la regardai attentivement.Un je-ne-sais quoi dans la forme de la face, les yeux, le nez, attirait monattention. Soudain, je réalisai que je connaissais ce visage, du moins sapartie supérieure, car la mâchoire avait été remodelée pour loger degrandes dents d'acier pointues. C'était un technicien, célibataire endurci,qui avait eu un accident trois mois auparavant. Je le connaissais car ilm'avait appris un certain nombre de techniques. Il devait quitter le labo caril avait trouvé une place ailleurs, mais il avait été fauché par une voiture.On nous avait dit qu'il était mort. Je n'en revenais pas. Ils utilisaient leurspropres employés, et peut-être même tuaient, pour obtenir leurs cobayes !!Chat Noir retourna vers les armoires, en faisant très attention et enregardant partout, et récupéra un fusil dans celle du bas. Il l'examina,toujours accroupi. Il devait se sentir observé car soudain il leva les yeuxvers moi.« Vous allez bien ? »Je fis « Oui » de la tête.« Bon, alors on y va. Accrochez vous, vous y êtes presque. »Sa phrase résonna curieusement. Je n'avais pas l 'habitude qu'ilm'encourage. Je le regardai de travers, mais il ne fit pas attention, occupé àrecharger son fusil. Ensuite, il se leva et sortit dans le couloir. Nousn'avions qu'à prier qu'il n'y ai pas un trop grand comité d'accueil d'ici à lasortie.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 234

Page 238: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

*****Je dois absolument les faire sortir d'ici. Mon fusil chargé, je mets le restedes balles dans mon sac. J'ouvre la porte précautionneusement.« Je pense qu'ils ont évacué tout le complexe. Mais on risque d'avoir desproblèmes près des portes. On va prendre le petit ascenseur qui est prèsd'ici. »

*****Viktorka passa devant moi. Son tir de fléchettes m'avait impressionné.J'aurais aimé prendre les choses avec autant de sang-froid, car pour mapart, je me sentais vraiment merdeux et inutile.Nous étions proches de la sortie. Je songeai à l'article que j'écrirais si nousnous en sortions vivants. Si...« Mais on risque d'avoir des problèmes près des portes. On va prendre lepetit ascenseur qui est près d'ici. » lança Chat Noir en consultant la carte.C'était un plan simple en apparence. Trop simple. Il ne tolérait pasl'imprévu.La porte de l'ascenseur refusa de s'ouvrir devant nous.

*****« Et merde ! Ils veulent vraiment nous piéger. Mais ils ne savent pas qu'ona un plan, et que les sorties de secours y sont indiquées. En avant ! »Je me félicite d'avoir récupéré ce plan. Je vais m'offrir une belle figurine endédommagement moral de cette aventure. Nous repartons. J'espère que lefusil de Chloé est encore chez le directeur.« C'est ici ! »Je m'arrête et désigne une porte verte.« Fermée, naturellement. Heureusement que j'ai mon passe partout.- Un rossignol ? demande naïvement Laurent- Nope ! Un AK-47. »Je lui fais un clin d'œil avant de tirer dans la porte, au niveau de la poignée.Je donne ensuite un coup de pied dedans pour l'ouvrir. J'arrose la pièceavec le fusil, à l'aveuglette, pas la peine de prendre des risques. Un bruitd'os cassé justifie ma manœuvre. Un type était là, habillé tout en rouge,comme ceux du niveau E, armé d'un fusil à fléchettes hypodermiques, quej'éloigne d'un coup de pied.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 235

Page 239: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

L'ascenseur de secours était bien ici. Je fonce sans faire attention au gardequi se tortille dans son sang. Je cherche à appuyer sur le bouton d'ouverturemais je n'en trouve pas. Il y a juste un clavier numérique. Merde ! Cettemanie de mettre des codes partout... Je retourne voir le garde.Je le soulève avec force et le plaque contre le mur. Le type crie. Tantmieux, je suis las de cette comédie. Le fusil anesthésiant doit sûrement leurservir à ramener des proies vivantes pour leurs monstruosités. J'entendsViktorka hurler de colère.Je l'ignore. On joue dans la cour des grands et elle n'est pas de taille. Jem'adresse au garde ensanglanté.« Tu vois, il y a au moins une personne qui s'intéresse à ton sort. Manquede bol, ce n'est pas celle qui est armée. Donc le jeu est simple : tu medonnes le code, ou je te tue. »J'arme le pistolet. Le type ne moufte pas. J'espérais qu'il allait le faire.« Tu penses que je plaisante ? »

*****Chat Noir parlait clairement, en articulant soigneusement, la voixdépourvue de toute émotion.La scène n'était pas seulement terrifiante par le sang et la douleur du garde.Elle l'était aussi par l'indifférence de Chat Noir. Comment pouvait-on êtreà ce point dénué d'empathie ? Même les personnes que j'avais les plushaïes ou méprisées, je ne les aurais pas traitées de la sorte. Je me suisrappelé ce que m'avait dit Jérôme à propos des tueurs à gages,définitivement je ne pourrais pas être un... Jérôme, où diable peux-tu être ?Plus tard, j'ai compris que Chat Noir pouvait refouler ses sentiments auplus profond de son esprit et n'être plus qu'un homme d'action, froid, prêt àtout, vraiment à tout, pour parvenir à ses fins. Il voulait survivre, et il avaitbesoin du code. Rien d'autre n'avait d'importance à ses yeux.« Je ne peux rien vous dire...Ils me tueraient ou me transformeraient en cestrucs, crachota le garde.- Ok ! »Chat Noir lui tira dans le genou. Viktorka émit un cri hystérique.Le garde aurait pleuré comme un enfant s'il n'avait pas eu le poumonperforé. Il ne lui restait que quelques secondes à vivre.

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 236

Page 240: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Le garde hurlait, le visage en larme. C'était un spectacle insupportable, quime rendait malade. Je criai : « Mais arrêtez !! »Chat Noir se tourna vers moi alors que le garde, crispé et blême, agrippaitsa jambe en geignant.« Vous êtes un monstre, dis-je- Monsieur le Monstre ! » répliqua Chat Noir.Il avait un sourire véritablement effrayant.Laurent posa sa main sur mon épaule et chuchota : « Si nous voulons sortird'ici vivants, on n'a pas d'autre choix.- Mais c'est de la torture !! »Ma voix était trop aiguë, trop frêle. J'étais épuisée, aussi bien mentalementque physiquement, et le spectacle de l'homme pleurant et criant de douleurme rendait folle. Je me mis à sangloter.

*****« Je... je vais vous dire ce putain de code, gémit le garde. C'est 1807. Maistuez moi, je ne veux pas devenir comme eux.- Comme tu veux. »Je relâche le garde qui s'écroule par terre. Je braque mon arme sur lui.J'appuie sur la détente mais Viktorka se jette sur moi et le coup finit dansle mur.« Mais vous êtes folle ?- Vous n'avez pas le droit de le tuer ! Vous vous prenez pour qui ? Le jugeet le bourreau en un seul homme ? »

*****Quand je compris qu'il venait d'obtenir le code, je me jetai sur Chat Noir :le coup ne toucha que le mur. Il hurla. Je hurlai en réponse. Je défoulaitoute ma tension sur lui, tout mon dégoût de lui et de ses méthodes. Je neme tus qu'à bout de souffle. Le silence m'emplit les oreilles.

*****Je craque ! Il est temps que chacun retourne chez soi. Je ne lui en veux pasde vouloir préserver la vie, mais là c'est déplacé. Je m'avance vers elle,furieux.« Vous savez, d'habitude, je ne frappe jamais les femmes. »

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 237

Page 241: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

C'en était trop pour moi. Je comprenais les motifs de Chat Noir, mais iln'avait pas le droit de s'en prendre à Viktorka. Je m'interposai.Le monde, dans son injustice resplendissante, tournoya dans un feud'artifice multicolore.

*****Irruption de Tintin. Qui débute une phrase.« Attendez...- Toi, tu tombes bien ! »Je ponctue ma phrase par un coup de poing dans son visage.Le garde meurt avec un râle mêlé de gargouillis.

*****« Vous voyez, dis Chat Noir, le garde est mort. Vous m'accusez d'êtreinhumain, mais moi, au moins, j'allais abréger ses souffrances. »Comme c'est facile ! C'est toi qui es à l'origine de ces souffrances !Chat Noir reprit :« D'après vous, pourquoi portait-il un fusil anesthésiant ? Pour ne pastuer ? Je ne crois pas... Je dirais plutôt pour apporter des proies vivantes àces bestioles. »

*****Trop, c'est trop.Je sors deux pistolets anesthésiants de mon sac, et les balance sur le sol.Je tape le code sur le pavé numérique de l'ascenseur, qui s'ouvre.« Voilà, c'est ici que nos chemins se séparent. Vous savez ce qu'il vousreste à faire.- Vous ne venez pas avec nous ? »Elle n'est vraiment pas faite pour ce monde. Mon but était de les amener ensécurité. C'est fait. Je préfère en rester là.« Je n'ai pas de compte à vous rendre. »Je m'en vais sans attendre une quelconque réponse.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 7 238

Page 242: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

CHAPITRE 8

Quand le monde redevint le même vieux monde de souffrance auquelj'étais habitué, Chat Noir retournait vers le couloir éclairé. Je compris qu'ilnous abandonnait. Le garde gisait inanimé, définitivement. La porte del'ascenseur était ouverte.La sortie... Alors que je n'avais toujours pas retrouvé Jérôme ? J'étaisvraiment le bon à rien dans cette histoire.Viktorka m'attendait avec un impatience presque palpable.

*****J'entrai dans l'ascenseur. Qu'il aille se faire foutre.Laurent hésita.« Alors, vous venez ! ?- Je... Je ne sais pas si je dois...- Vous voulez le rattraper ? »Il regarda dans la direction qu'avait prise Chat Noir en partant. Je medemandais si la porte de l'ascenseur n'allait pas se refermer. Je ne voyais debouton « maintenir les portes ouvertes » nulle part.« Je ne sais toujours pas ce que mon ami est devenu... » dit Laurent.Il me fallut plusieurs secondes pour comprendre à qui il faisait allusion.« Vous voulez y retourner ? »Je n'en croyais pas mes oreilles.« Chat Noir y est retourné, lui...- Chat Noir est un psychopathe ! Il se prend pour un héros !- Mais... Il a fait demi-tour pour nous plusieurs fois. Rien ne l'y obligeait. »C'était vrai. Je soupirai.« Il y a autre chose. »Laurent leva les yeux vers moi.« Je n'ai pas pu avoir de preuves de ce qui se passe ici. Je suis sûr que ChatNoir est retourné au bureau du directeur. Mon appareil photo doit y êtreégalement. Et j'arriverai peut-être à lui arracher la vérité à propos deJérôme avant que Chat Noir ne le tue. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 239

Page 243: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je donnai un coup de paume rageur dans la paroi de l'ascenseur.« Ok. Mais s'il n'y est pas, si on ne trouve rien au bureau du dirlo, ou si onentend une patrouille, on revient ici et on met les voiles. Preuves ou paspreuves. »Laurent hocha la tête. Il avait compris le message.

*****Quand je lui dis que je ne voulais pas partir, elle devint écarlate.J'optai alors pour un compromis. Aller jusqu'au bureau du directeur, et là,me dis-je, j'aviserai.Elle réfléchit, puis accepta. Ses sentiments à l'égard de Chat Noirn'étaient-ils que de haine ?Nous prîmes l'ascenseur, pour descendre d'un étage. Direction, le bureaudu directeur.

*****« Tu fuis ? »Tais-toi, Chloé.« Tu fuis la vie, je t'ai connu plus combattant. - Ça suffit ! Tu es morte ! Je ne veux plus t'entendre ! » crié-je avantd'essuyer des larmes qui commencent à noyer mes yeux.Je suis seul et c'est préférable. Il n' y aura plus de dommages collatéraux.« Halte ! »Je souris.« Suivez nous sans faire d'histoire »Ils étaient deux. Ma seule réponse fut le rugissement de mon AK-47, quiexplosa leurs têtes en un feu d'artifice de cervelle et de sang.Je me précipite vers le premier escalier qui descend. Une créature vient àma rencontre.Sa cervelle repeint l'escalier. J'arrive à l'étage en dessous.L'étage B. Je dois trouver le bureau du directeur.Un garde rouge avec une bestiole en laisse.Il a juste le temps de la lâcher avant que je le descende d'une balle dans latête.La créature s'élance vers moi. J'esquive son coup de griffe. Je lui tire dansla main.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 240

Page 244: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Elle hurle et essaye de m'atteindre avec son autre griffe. Je tire et luiexplose l'autre main. Je finis mon mouvement en arrachant les tubes quisont fixées à la base de son cou.Un liquide gicle, mêlé de sang. La créature s'écroule et s'immobilise aprèsquelques convulsions.J'entends des bruits de pas venant derrière moi. Je me retourne.Un garde rouge court vers moi et tire une flèche anesthésiante. Elle seplante juste à ma droite. Pas de chance. Je l'abats avec ce qui me reste deballes. Je me débarrasse de mon fusil, inutile désormais.Je reprends ma route. Je reconnais les lieux sans trop de peine. Au bout dequelques dizaines de secondes, je suis devant la porte de ce fumier.J'espère qu'il est dedans. Je l'ouvre avec mon pistolet, ma dernière arme àfeu. La salle est dans la pénombre, j'allume et je vois mon fusil et lamallette, posée à côté, bien en évidence. Le tout sur le bureau en chênemassif. Ça m'a l'air d'être une belle invitation, pour un idiot. Personne dansla pièce. Seul trône l'imposant fauteuil en cuir tourné dos à la sortie.Si je n'avais pas à économiser mes balles, je tirerais bien dedans.Je m'avance prudemment vers le fusil et la mallette. Je l'ouvre. Elle estpleine de billets. Tiens, tiens... L'appareil photo d'Asmuldet. Il est dans unsale état. Je récupère la bobine et la mets dans la poche de montrench-coat.Je range mon pistolet et me saisis du fusil. Au même moment, un « click »de chien qui s'arme me fait dresser les oreilles, le fauteuil en cuir tourne etChien Fou apparaît tous crocs sortis : son sourire, et surtout son calibre 22.« Je savais que tu viendrais.- J'aurais dû tirer dans le fauteuil.- Il était blindé ! »Je ris. Il enchaîne :« Tu te rappelles du final de « Pour une poignée de dollars » ?- Tu veux savoir si un fusil est plus rapide qu'un pistolet ?- Oui.- Clint avait un revolver. Et j'ai un fusil sniper.- J'irai pisser sur ta tombe.- Ça te changera des réverbères ! »

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 241

Page 245: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

La porte s'ouvrit sur un couloir désert aux lumières éteintes, mais uncorridor semblait éclairé un peu plus loin. Nous avançâmes prudemment,Laurent me devançant de quelques pas. Un coup de feu retentit. Nous nousmîmes à courir dans cette direction, avant de nous arrêter au niveau d'uneporte coupe-feu, ouverte sur la zone éclairée, au pied de laquelle gisait unautre garde rouge, un impact de balle en plein front. Une des créaturesinfernales était étalée à quelques pas de là, comme un pantin désarticulé.Des éclats de voix parvinrent à nos oreilles, mais il n'y avait personne envue. Nous avançâmes prudemment. Un autre garde, en noir celui-ci, gisaitmort un peu plus loin. Les cris venaient d'une porte ouverte sur la gauche.J'étais sûre qu'il s'agissait de celle du bureau du directeur. Laurent agrippamon bras. Nous avions vu juste.Nos pistolets anesthésiants levés, nous atteignîmes la porte. Je jetai uncoup d'œil à l'intérieur.Chat Noir et l'autre fou étaient encore partis dans un duel verbal plein detestostérone. Soudain, Chien Fou leva son arme, et je ne pus retenir unpetit cri de surprise. Son regard croisa le mien.

*****Chien Fou dégaine son pistolet mais il est dérangé par un bruit derrièremoi, ce qui me donne le temps d'armer la culasse et de plonger pour tirer.En espérant qu'il y ait toujours une balle dans la chambre. Je lui égratignele bras gauche et lui m'effleure le bras droit de son tir. Je me jette sur lui,lève la crosse du fusil et l'abats violemment sur sa joue gauche. L'impact leprojette en arrière et sa main attrape une lampe au passage, qu'il m'envoiedans la figure. Je me protège, ce qui lui permet de sauter au dessus dubureau. Il me donne un coup de poing dans l'abdomen. La douleur remontele long de ma colonne vertébrale et me fait lâcher mon arme. Je crache dusang, puis je lui donne un coup de poing qu'il évite sans trop de mal. Il mefait une balayette et je chois par terre comme un ivrogne.Il me bloque les deux bras par terre, avec ses deux genoux, et commence àm'étrangler.« Tu vas crever ici !!! »Des gouttes de son sang, provenant du coup de crosse du fusil, tombent surmon visage.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 242

Page 246: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Le visage de Chien Fou commence à devenir flou. À sa place, je voisChloé. Je souris.« Je vais bientôt te rejoindre, Chloé... »Ses lèvres s'animent, mais aucun son ne sort de sa bouche. Je lis :« Il faudrait que je sois morte. »Mon sourire disparaît et la tête de Chien Fou réapparaît. Soudain, derrièrelui, un vase surgit et s'abat violemment sur son crâne. C'est Viktorka, quivient de me sauver la vie.Je crache mes poumons par terre, histoire de faire le tri.Je m'aide du bureau pour me relever. Je les regarde avec un air mauvais.Un jour, peut-être, on m'écoutera.« Qu'est ce que vous faites ici ? J'aurais pu me débrouiller tout seul. - Si vous voulez, on le ranime, et on vient chercher votre cadavre en piècesdétachées tout à l'heure.- Si je ne vous connaissais pas, je penserais que c'est de l'humour. »Je ramasse mon fusil, mon seul souvenir de Chloé. J'ouvre la chambre. Ilme reste des balles dans la poche de mon trench- coat, ça devrait aller.Je m'approche de Chien Fou. Je pourrais l'abattre maintenant, ici. Vengerla mort d'une famille qu'il a massacrée... Mais je ne suis pas un assassin.Quand je le tuerai, il devra être armé... Ou au moins conscient... Enattendant, je prends son pistolet. Je préfère vraiment les calibres 22. J'ouvremon sac à dos et je me dirige vers la mallette. Je la vide dans mon sac. Jene suis pas vénal, mais le plaisir de prendre la prime à ces enfoirés - etsurtout à Chien Fou - justifie cet acte... De plus je pense qu'une fois sortied'ici, Viktorka aura besoin d'argent, quand elle sera sans emploi. Je laregarde, puis je dis :« Bon, allons-y. Direction les ascenseurs, cette fois pour de bon. »Une fois dehors, je tends l'oreille. Des gardes. Ils ne sont pas plus d'unedizaine. Une broutille.

*****La retraite était coupée. Nous prîmes nos jambes à nos cous. La paniquedonne des ailes, mais rarement de bons réflexes. Pourtant, juste après uncoude, je pris le temps de me retourner pour balancer sur le sol le grosflacon d'acide propionique que j'avais dans mon sac depuis la dernièrehalte, avant que la lumière ne s'éteigne. Ce n'est pas tout à fait la même

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 243

Page 247: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

odeur que l'acide butyrique, mais ça vous prend bien à la gorge aussi.Encore une poignée de secondes de gagnées pour filer dans le labyrinthe.

*****Pas le temps de sortir la carte. On fonce dans les couloirs, leurs coudesnous évitent de nous faire plomber.Alors que je pensais que nous étions dans un corridor sans fin, celui-cidébouche dans une grande salle. Elle est remplie de cuves en contre-bas.C'est la grande salle dans laquelle j'ai retrouvé Laurent la première fois,mais maintenant nous sommes beaucoup plus haut. Il fait très sombre.Une sorte de grand échafaudage métallique, avec des échelles conduisantaux étages en dessous, court le long des murs, faisant le tour de la pièce. Ily a un palier avant d'atteindre le sol. Il faut descendre. Une idée me vient...La fête foraine. Je hurle :« Descendez, je vous couvre !! »Laurent ne se fait pas prier et commence à descendre par l'une des échelles,mais Viktorka se lance dans une imitation d'une sculpture de Rodin. Ellereste paralysée en haut de l'échelle puis s'agrippe au chambranle, lesarticulations de ses phalanges blanchies par l'effort.« Vous attendez quoi, une invitation ?- C'est trop haut !- Plaignez vous à l'architecte ! »Les gardes ouvrent le feu. J'en dégomme deux. Puis je tourne la tête pourvoir où en est Viktorka.

*****Laurent passa en premier. Des échelles permettaient de descendre jusqu'ausol, et des passerelles circulaires donnaient l'accès à tous les livres exposéssur les murs, je m'en souvenais. Mais quand je regardai à mon tour vers lebas, un incontrôlable vertige me saisit.Je me cramponnai au chambranle, maudissant l'univers. Je ne pouvais pasbouger ! Le monde dansait une gigue impossible et même la menace demort ne pouvait me faire rouvrir les yeux.Chat Noir, face à nos agresseurs, reculait pas à pas, comme s'il voulait mepousser vers le vide. Je ne lâchai pas prise.Soudain, une balle me frôla, touchant de justesse le battant de la porte. Deséclats de plâtre volèrent dans tous les sens. Je ne réfléchis plus. En

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 244

Page 248: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

contrebas, je captai un reflet, indiquant une structure métallique servant àsoutenir les éclairages et les câbles d'alimentation des cuves. L'éclairagedes ampoules de contrôle des cuves suffisait à distinguer l'armature. Jebondis, visant l'une des tiges de métal, et chutai de plusieurs mètres, brasen avant. Je l'attrapai comme un trapèze, ou une barre fixe. Elle fléchitsous mon poids mais ne se rompit pas. Exultation des émotions retrouvées.Avant de laisser le temps à l'influx nerveux de transmettre un message dedouleur de mes bras à ma tête, je saisis un câble proche et me laissai glisserjusqu'au sol.Je posai les pieds par terre avant d'avoir compris ce qui m'était arrivé. Enen prenant conscience, un haut-le-cœur me secoua et je tombai à genoux.Plusieurs coups de feu retentirent.

*****Je cherche Viktorka du regard.Plus personne. Elle a dû descendre.Une balle se fiche devant mes pieds et me sort de ma torpeur.Je continue de tirer avec le calibre 22 de Chien Fou. J'ai l'impression d'êtredans un mauvais jeu vidéo, où les ennemis n'arrêtent pas de se pointer,avec en plus les munitions qui s'épuisent. Où est le cheat-code desmunitions illimitées? Je regarde où en est notre reporter en herbe. Il vientd'atteindre le palier.« Magne toi, Asmuldet ! »Il accélère sa descente.Par contre, pas de trace de Viktorka. Où est-elle passée ? Elle n'est pastombée quand même !Nos assaillants accélèrent la cadence. Je range le 22 et je dégaine le glockdes gardes.

*****Je rampai derrière une cuve, affolée. De là, je regardai la descente de mescompagnons, impuissante, craignant que l'un d'eux, touché d'une balle,fasse une chute mortelle. Je balayai la pièce du regard, à la recherche d'unmoyen de les aider, quand une diode jaune se mit à clignoter, éclairant unedes bestioles de cauchemar. Elle venait d'entrer par une des nombreusesportes de la pièce et commençait à se frayer un chemin dans leur direction.Comme j'étais dans l'ombre, elle ne m'avait pas vue.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 245

Page 249: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

J'avais toujours le pistolet anesthésiant dans mon sac. Je l'ouvris, le plussilencieusement possible, le souffle court. Il fallait faire vite avant qu'ellene soit hors de portée, ou en dehors de tout éclairage, même succinct. Jerécupérai l'arme au milieu des paperasseries de ma sacoche. Elle était vide,mais j'avais aussi quelques fléchettes. Il me fallut quelques secondesencore pour comprendre comment on les insérait, et enfin je fus prête àtirer. Je pris mon temps, car je savais que si je la ratais, la monstruositéviendrait sûrement s'occuper de mon cas trop vite pour que j'aie le tempsde tirer à nouveau.Un seul essai. On y va.Je la touchai à la cuisse. Elle s'effondra en quelques instants. Je repris monattente, surveillant impuissante la descente des autres, éclairés par desveilleuses le long de l'échelle.

*****J'enjambe la rambarde à mon tour, atterrissant sur le pallier entre les deuxétages. Je surprends Laurent en atterrissant à côté de lui. Je recommence àtirer sur les premiers qui se penchent sur la balustrade, jusqu'à ce qu'ilsn'osent plus passer la tête.Le calme avant la tempête. Je descends les marches quatre à quatre et sauteles dernières, tout en cherchant un endroit où me poster. J'évite unebestiole inconsciente au passage, visiblement touchée par Viktorka - ce quim'indique qu'elle a dû arriver ici en un seul morceau. Je m'abrite derrièreune table de manipulation en faisant une roulade avant. Ça me rappellemes cours de physique - la table bien sûr, pas la roulade.J'épaule mon fusil à lunette. Je règle la focale. Plus de bruit à partir demaintenant. Les gardes, huit au total, descendent prudemment l'échelle. Jecommence mon jeu de massacre.

*****Laurent et Chat Noir sautèrent au sol, et coururent se mettre à l'abri. Aprèsquelques dizaines de secondes, les gardes commencèrent à descendre à leurtour. Ils ne tiraient plus, pensant sans doute que nous avions pris la poudred'escampette. Quand le premier de la file parvint au sol, Chat Noir fit feu.Le sang et la cervelle de l'homme giclèrent sur plus d'un mètre autour delui. Ensuite, Chat Noir tua méthodiquement tous les gardes qui avaiententamé la descente, belle brochette de cibles sans défense. Quelques uns

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 246

Page 250: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

tentèrent de riposter, mais que pouvaient-ils, exposés comme ils l'étaient,face à un tireur d'élite embusqué ?Cela tournait au jeu de massacre. La pièce s'emplit d'une abominable odeurde sang et de tripes, une odeur de mort. Des balles avaient égalementperforé certaines cuves, qui se vidaient de leur contenu, ajoutant encoreune note sordide au tableau.Si j'avais eu quelque chose dans l'estomac, il se serait vidé sur le champ.

*****Norman a raison d'utiliser des explosifs. J'en ai marre de voir des visagesdans mon viseur. J'appuie, la première tête éclate, puis la seconde.L'impact de chaque balle emmène une partie différente de la tête selon letir. Il faut varier les plaisirs. J'étais moins doué avec les carabines à plombdans ma jeunesse.Je me demande si je vais gagner un gros nounours bleu, ou une créature enlatex ?Je les vois essayer de remonter sur l'échelle, complètement paniqués. Ilsvident leurs chargeurs au hasard. Mes deux compagnons ayant trouvérefuge, je ne m'inquiète pas pour eux. Je m'amuse à tirer le dernier pourvoir l'avant dernier remonter puis tuer celui qui est juste après. Au bout decinq minutes, ils sont tous morts, par terre, entassés les uns sur les autres.Je ressens un vide à l'estomac. Une sensation qui m'était inconnuejusqu'alors.

*****Chat Noir était embusqué, et j'avais réussi à ramper derrière une caisse.Je repérai Viktorka derrière une autre cuve. Comment était-elle arrivée là ?Mystère.Il fallait que je me dirige vers la sortie.Il faisait très sombre. Je dû slalomer entre les cuves à grand-peine, englissant sur le liquide visqueux répandu au sol.Soudain, je croisai son regard. La vie l'avait quitté depuis longtemps, carses yeux bruns étaient voilés, mais il n'y avait pas de doute. C'était bien lui.Ses pommettes saillantes, son nez un peu aquilin...Je m'approchai et posai la main sur la cuve.« Jérôme. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 247

Page 251: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Un arc électrique jaillit de ma droite et l'éclaira. Sa poitrine était ouverte, etseuls des tubes rouges sortaient de là où aurait dû se trouver son cœur.Je me détournai, avant de risquer de tourner de l'œil.

*****Ils sont bien tous morts, rien ne bouge. Je me lève. Je ne suis pas fier maisil faut survivre. C'est sans enthousiasme que je crie pour rassembler mestroupes :« Il est temps de partir ! »Lorsque je me retourne, j'ai juste le temps d'apercevoir la sortie avant derecevoir un direct droit sur la joue, qui m'envoie valdinguer par-dessusmon abri.« Tu pensais pas t'en tirer comme ça ?Après m'être relevé, je dis :« Chien Fou... Je vais commencer par croire que tu veux sortir avec moi. »

*****« Je te jure qu'ils paieront. » songeai-je à l'intention de l'esprit de Jérôme,sans la moindre idée de la façon dont je pourrais tenir ma promesse. Je medirigeai vers Viktorka, quand je vis un grand bidon portant l'étiquette« produit inflammable ». Je le débouchai et en versai un peu partout.Courts circuits... Encore des arcs électriques... Je balançai le tout et courusvers Viktorka.

*****Une volée de jurons, une série de coups. Un homme seul était parvenujusqu'à nous. Je courus vers Chat Noir, m'arrêtant juste le temps d'identifierun bruit de pas sur ma gauche. « Laurent ? »Il ne répondit pas immédiatement, mais se cogna dans une table.Pas de doute, c'est lui.« C'est moi. »Chat Noir se battait avec son adversaire derrière une cuve. De temps entemps, des paroles fusaient, sans que je puisse en comprendre le sens.Impossible de dire qui avait le dessus. Je levai le pistolet anesthésiant et lechargeai de la dernière fléchette, mais il faisait trop sombre pour distinguerquoi que ce soit. Soudain, l'un d'eux émergea en trébuchant, et une lumièrebleue éclaira son visage. Chien Fou.

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 248

Page 252: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Je vais te buter, après je m'occuperai de tes copains. »Il s'est rapproché de moi pour me dire ça. J'en profite pour lui balayer lacheville droite avec un coup de pied et le faire tomber, puis je me jette surlui. Il m'évite et se relève avec un saut de nuque.Je me redresse. Nous sortons chacun un couteau.« Je vais te saigner... »Qu'est ce que vous voulez répondre à ça ?Il s'élance sur moi, j'esquive son coup. Je lui donne un coup de couteautransversal, il l'évite et me fait une balayette. Je saute pour éviter son coupet lui assène un coup de couteau. Il le pare avec le sien.On reprend de la distance et, tels deux animaux ennemis, nouscommençons à décrire un cercle, tout en s'observant l'un l'autre.« Tu sais, Chat Noir... C'est avec ce couteau que j'ai égorgé le gaminpendant qu'elle le tenait. »Je serre les dents. Il veut me déconcentrer. Ça ne marchera pas...« Tu aurais vu son expression... cette peur de mourir ! Je me demande s'iln'a pas pensé à toi, que tu ferais irruption dans la pièce comme les héros decomics.- TA GUEULE !!!! »Je me rue sur lui. Il sourit et me cueille avec un coup de genou dansl'estomac puis un violent coup de poing dans la joue. Finalement, ça amarché, dommage pour mon fan-club.Mon couteau m'échappe et se plante deux mètres plus loin. Il me plaquepar terre avec son pied.« Tu es mort ! »

*****Un violent éclair traversa la pièce.J'étais prête à tirer, certaine que Chat Noir était au sol et Chien Fou audessus de lui - bien qu'il fasse trop sombre pour me permettre de les voirdistinctement - quand le monstre que j'avais shooté, étendu à moins d'unmètre, bondit à son tour. Il heurta Chien Fou et roula avec lui un peu plusloin, éclairé par la lueur bleue d'un arc électrique, puis jaune de l'incendiequi commençait à prendre. Les lumières donnaient un air surréaliste à lascène. Des fumées âcres commençaient à envahir la pièce.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 249

Page 253: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Chat Noir se releva en toussant. Je reculai vers la porte, en faisant attentionà ne pas poser le pied dans une flaque, entraînant Laurent. Chat Noir cria :« Il faut se casser d'ici ! » en courant vers nous puis il nous dépassa etobliqua vers la porte. Les cris de la créature aux prises avec Chien Fousemblaient résonner dans toute la pièce.

*****Je crie : « Il faut se casser d'ici ! » à Viktorka et à Laurent.Tout en me précipitant vers la porte, je récupère mon fusil et son pistolet,puis mon sac qui m'attendait derrière la table.La créature entaille le visage de Chien Fou avec ses griffes. Il hurle encore.Malgré les éclairs et les explosions dans la salle - sûrement dus à unesurtension - je peux entendre les griffes de la créature déchirer lesvêtements de Chien Fou. J'épaule mon arme.Viktorka et Laurent arrivent à mon niveau.

*****Chien Fou poussa soudain un hurlement déchirant. La lueur des flammeséclairait la pièce de lumières rouges et orangées, de temps en tempsrompues par un éclair bleuté, et, dans cette ambiance lumineuse étrange, leregard de Chat Noir me terrifia. Ses yeux, violets dans cet éclairage,luisaient de haine. Il avait épaulé son fusil en direction de Chien Fou.Laurent continuait à courir.« Ouvrez la porte ! Je vous couvre ! » lança Chat Noir d'une voix blasée.

*****Je règle mon viseur sur Chien Fou puis je reviens sur la créature. J'hésite.Chien Fou ou la créature ?Je souris puis je tire.La tête de la créature explose.« Chat noir ! Je te maudis ! Tu m'entends ? » hurle-t-il.Chien Fou est ruisselant de sang et cherche son couteau à tâtons.« Écoute moi bien Chien Fou ! Chaque seconde, chaque minute de ta vie,dorénavant tu me les dois ! Et je peux t'assurer que toute la profession seraau courant, sale corniaud ! »Chien Fou hurle. Je rejoins Viktorka et Laurent, dehors.« Personne ne veut adopter un chien ? » dis-je à Viktorka en souriant.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 250

Page 254: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Nous empruntons le couloir afin de rejoindre l'escalier qui nous permettrade rejoindre la surface, car vu l'incendie qui galope, il vaut mieux éviter lesascenseurs. J'en ai ma claque de ces couloirs, de ces bestioles, de ChienFou.Je jette un œil par-dessus mon épaule, mes deux compères me suivent.Tant mieux. J'ai été un peu dur avec eux. Voire même très dur avecLaurent. Je tâcherai de m'excuser quand tout sera fini. Heureusement queViktorka avait un pistolet anesthésiant. Lui reste-t-il des fléchettes ? Nousarrivons à l'escalier que j'avais repéré sur la carte.

*****Nous courûmes sur plusieurs dizaines de mètres de couloirs, sans nousarrêter. Mes poumons étaient en feu, et j'avais mal partout, aux épaules,aux bras et aux pieds à cause du mauvais atterrissage. Mais ce n'était pas lemême genre de douleur que celle que je ressentais d'habitude au bras. Je necomprenais toujours pas comment j'avais pu sauter de la balustrade, maisquelque chose en moi avait changé. En courant, je pliai et dépliai le brasplusieurs fois : il fonctionnait normalement.Chat Noir s'arrêta brutalement. Laurent s'adossa au mur pour reprendre sonsouffle. Nous étions arrivés à un escalier. Chat Noir me demanda : « Ilvous reste combien de fléchettes ? »Je regardai dans ma poche. Il n'y en avait plus. Ne restait que la dernière,dans le pistolet anesthésiant. Il me tendit un pistolet. Un vrai. Je ne bougeaipas.C'était une chose d'endormir quelqu'un, c'en était une autre de le tuer pourde bon. D'un autre coté, nous avions toujours été en état de légitimedéfense, jusqu'à présent.

*****Ça ne m'étonne pas qu'elle ne prenne pas l'arme que je lui tends. Jecommence à gravir les marches et lui dis :« Cette arme ne va pas vous mordre. Mais maintenant, si on se fait denouveau attaquer, vous pouvez toujours leur cracher à la figure. »Elle le prend et me remercie d'un hochement de tête. Nous montons lesmarches de plus en plus vite quand tout à coup un bruit sourd fait résonnerla cage d'escalier.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 251

Page 255: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je m'arrête. Je connais ce genre de bruit. Viktorka prend la parole et dittout haut ce que le monde pense tout bas :« Quelque chose a dû exploser. Il ne faut pas traîner ! »

*****Deux paliers et nous arrivons dans le couloir de l'escalier A. Impossibled'aller plus loin avec cet escalier, il va falloir terminer avec l'ascenseur.Chouette encore un autre couloir.Il n'y a plus que la lumière des feux naissants qui éclairent le couloir. Nousdevons nous dépêcher avant de finir en chiche-kebab ! Heureusement lecouloir semble un peu moins grand... Ou alors... On court encore plus vite.Je me promets de m'inscrire au prochain marathon Paris-Versailles. Je tapele code sur le pavé de l 'ascenseur. Rien ne se passe. Et Merde !Complètement foutu! Je regarde à côté de l'ascenseur. Une autre porte àcode, mais cette fois celle d'un d'escalier. Sauvés ! Je retape le code, enpriant que ce soit le même, la porte s'ouvre. Il y a un dieu pour les tueurs àgages !

*****Nous ne pouvions plus courir, et grimpâmes les dernières marches sur lesrotules. Plusieurs fois, des chocs sourds ébranlèrent les murs. La dernièreporte, blindée également, s'ouvrit sur le laboratoire que je connaissais,mais dans une section de la cave.Trouver la direction de la sortie ne fut pas compliqué, mais il fallut encoresillonner des couloirs avant d'atteindre le monde extérieur. Au moins, je lesconnaissais, ce n'était plus un terrain inconnu. D'ailleurs, je ne pensais pasêtre un jour si heureuse de les revoir. Cependant, l'incendie s'était propagéaux étages supérieurs, et à certains endroits le feu était vif, et la fumée âcrenous compliquait la tâche.Nous courûmes de plus belle, jusqu'à ce qu'une poutre enflammée nouscoupe brutalement la route. Instinctivement, je pris la tête : « Suivez moi,c'est par là ! »Il faisait une chaleur infernale, mais l'adrénaline nous soutenait encoreassez pour parcourir les derniers mètres.Soudain, la main de Laurent se posa sur mon épaule : « Attendez, ChatNoir ne suit plus !! »

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 252

Page 256: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je compte sur Viktorka pour me reprendre au cas où je me tromperais dedirection. Après tout, c'est son lieu de travail. Je me demande s'ilss'apercevraient que je me dirige uniquement à l'aide de mon flair. Je ne suispas un chien mais j'ai l'intuition féline. Soudain une poutre enflammées'abat sur moi. Je fais un roulé boulé pour l'éviter. Le choc de la poutre surle sol crée un important nuage de cendre et de poussière. Je toussote. Jecherche les autres, lorsque, soudain, je vois Chloé émerger du nuage.Instinctivement je braque mon fusil sur elle.« Tu n'es pas vraie ! »Je tremble. Les yeux me piquent. Elle avance ses mains et les pose dechaque côté de mon visage. Son contact est si chaud.« Chut ! »J'abaisse mon arme.« Écoute moi, Chat Noir, j'ai... »

*****« Quoi ? ? »Je me retournai. Effectivement, il était planté au beau milieu du couloirenfumé, sa silhouette se découpant devant un rideau de flammes, il étaitcomme frappé de stupeur. Je fis quelques pas dans sa direction. « ChatNoir !! Venez !! »Il ne répondit pas, ne bougea même pas.« Hey !! »La voix de Laurent.Je me tournai de nouveau. Le directeur avait surgi d'une porte en face. Ilportait plusieurs grosses sacoches, et cherchait vraisemblablement aussi lasortie. Quand il nous vit, ses yeux menacèrent de sortir de leurs orbites.« Encore vous !! Vous m'avez ruiné !! Vous avez détruit l'œuvre de mavie !! »Il pointa son arme et tira. Laurent tressaillit, porta la main à son épaule ettomba à genoux. Le directeur pointa de nouveau son arme vers lui. Unvague de peur et de haine me submergea. Je levai l'arme que Chat Noirm'avait donnée, retirai le cran de sécurité et tirai. La balle le toucha entravers de la gorge. Il s'effondra, avec un affreux bruit de gorge. Je restaiimmobile, le pistolet encore fumant à la main, incapable de réaliser ce quej'avais fait. Chat Noir arriva en courant, me bouscula et se précipita sur

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 253

Page 257: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Laurent qui avait basculé au sol.J'avais tué un homme !! Il s'était écroulé dans une mare de sang par mafaute ! Un seul coup et une vie supprimée !

*****Un coup de feu me sort de ma transe. C'est Laurent. Le directeur vient delui tirer une balle dans l'épaule droite. Je me précipite en épaulant monfusil mais Viktorka réagit plus vite et tire, tuant net le directeur.Je dépasse Viktorka, qui semble encore partie pour illustrer la nouvellegalerie de statues du musée Grévin, et j'arrive au niveau de Laurent. Je sorsun autre mouchoir de ma poche et presse sa blessure pour éviter que lesang ne coule trop. Ensuite à l'aide de mon pouce, je presse un des pointsvitaux situés à la base de son cou pour ralentir l'hémorragie. Pourquoin'ai-je pas gardé ma trousse de secours ? J'ai besoin d'aide, je me tournevers la statue « Viktorka » et je crie :« Réveillez vous ! Venez m'aider ... »Pas de réponse.« Viktorka !!! »Si elle était un robot, je verrais deux lumière rouges s'allumer dans sesyeux. Elle secoue la tête comme pour chasser une mauvaise pensée puiss'avance vers moi.

*****« ...ez ou quoi ? Viktorka !!! »Chat Noir m'appelait. Il était accroupi près de Laurent. Laurent !Pourvu qu'il ne soit pas mort !!Je m'agenouillai à son coté. Chat Noir s'adressa à moi. Il paraissaitétonnamment calme. « Aidez moi à le relever. Le plus important c'est degarder le pansement sur la plaie. Faites-le pendant que j'essaye d'arrêterl'hémorragie. »Je fis ce qu'il disait, et lui même appuya fortement à la base du cou deLaurent, qui paraissait sur le point de perdre connaissance, très pâle.« Vous êtes sûr que vous savez ce que vous faites ? »Chat Noir me répondit d'un clin d'œil. « Vous oubliez que j'ai étémédecin ? »

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 254

Page 258: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Laurent commence à se laisser emporter par la fatigue et la douleur de lablessure. Je lui donne une petite claque.« Hey la ! Reste avec nous, hein ? Sinon, je te ranime en... »

*****Je n'entendais plus. Je ne voyais que le plafond enfumé qui allait metomber dessus. J'avais du mal à respirer.Quelqu'un me souleva la tête, provoquant un nouveau pic de douleur. Levisage de Chat Noir.« ... te faisant sentir mes chaussettes. »Du reste, je ne me souviens pas.

*****Laurent sourit faiblement. Chat Noir le releva, en gardant sa main appuyéesur son épaule, et m'indiqua comment placer mon bras sous lui pour lesoutenir. Nous quittâmes les lieux par une porte de service.Enfin.L'air frais. Les étoiles. Les réverbères.Il fallait conduire Laurent à l'hôpital.

*****Enfin, nous quittons cet endroit maudit.Plus de couloirs mais juste une grande rue. En face, un parking où mavoiture attend sagement. Avant de déguster une tequila, il faut qu'on sauveLaurent.« J'ai garé ma voiture sur le parking en face. Venez. »Nous traversons la rue. J'ouvre le coffre pendant que Viktorka continue àpresser le point vital.Je sors ma mallette de secours et range mon fusil, ainsi que le pistolet quej'avais confié à Viktorka. Je sors mon flacon de morphine puis pique lebouchon à l'aide d'une seringue. Je lui fais une piqûre. Ensuite je sors unbandage qui permettra de contenir l'hémorragie.

*****Chat Noir fit une injection à Laurent. Ensuite, je montai la première àl'arrière, pour l'aider à installer Laurent, la tête sur mes genoux. Ensuite,Chat Noir lui fit un pansement plus soigné avec la trousse à pharmaciequ'il sortit du coffre de la voiture, prit le volant et démarra.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 255

Page 259: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Les flammes commençaient à sortir des fenêtres du bâtiment. C'en était finides expériences monstrueuses, des soldats à griffes d'acier, des cuves desouffrance. Mais c'était aussi le bâtiment officiel qui s'effondrait, descentaines de dossiers médicaux qui partaient en fumée. Et ce pauvre Alfredne retrouverait demain que des cendres de ses précieux dossiers. Desdizaines de preuves qui ne pourraient jamais être utilisées. La ruine d'uneautre vie.

*****Je mets le sac à dos derrière puis démarre en trombe vers mon hôpital.Concentré sur ma conduite, je ne suis pas très loquace. D'un autre côté,Viktorka est fatiguée et puis je pense qu'elle doit encore m'en vouloir. Jene la blâme pas. Je jette un œil dans le rétroviseur central. Elle regarde lelaboratoire, son gagne pain, partir en fumée. Malgré ses traits tirés à causede à la fatigue, elle resplendit à la lumière des flammes. Elle possède cecharme des déesses antiques. Ce visage fin qui n'a pas besoin des artificesdu maquillage pour briller. Sa chevelure brune retombant sur ses épaulesme fait penser au Styx déchaîné.Je croise mon regard dans le rétro et je vois mon superbe bleu à la joue. Àune époque, je n'aurais mangé que de la bouillie. Laurent semble ne plussouffrir. Mais le temps presse car à cette distance, même si la balle estressortie, elle a dû faire des dégâts dans les tissus. Nous arrivons à l'hôpitalau bout d'une vingtaine de minutes. À cinq heures du matin, ça roule bien àParis. Je m'arrête devant l'entrée des urgences avec un crissement de pneus.

*****« Je vous dépose là. Amenez-le aux urgences.- Et vous ?- Ne vous inquiétez pas, je connais cet établissement, il sera entre debonnes mains. Et prenez aussi le sac à dos à vos pieds. Une dernièrechose : ne me mentionnez pas. Je n'aime pas trop la publicité. »J'étais trop fatiguée pour parlementer. J'obtempérai. Juste avant de fermerla porte, je lui dis : « Et pour vous tenir au courant? »Je pensais qu'il me rirait au nez, mais il réfléchit une seconde avant derépondre : « Vous pourrez laisser un mot au patron du « Chat Bleu ».Filez! »

*****

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 256

Page 260: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Elle sort avec le sac. Je surveille qu'elle arrive bien à la porte, puis je fais letour de l'hôpital et je me gare dans le parking. Le gardien, qui mereconnaît, me fait une remarque sur mon ecchymose. Je lui réponds :« Soyez toujours poli avec les dames. »Il rigole et m'ouvre la barrière. Je me gare et fonce vers l'ascenseur. Quelleétrange sensation lorsque je presse le bouton. J'ai l'angoisse de voir unecréature surgir d'un bond lorsque la porte va s'ouvrir. La porte s'ouvre.J'entends un grincement. Je me plaque contre le mur et instinctivement jemets ma main à ma poche intérieure. C'est une aide soignante qui arriveavec son chariot de linges propres.« Vous allez bien Docteur Mc Kinney ?- Oui ! »Je m'aperçois que je me suis littéralement scotché au mur de l'ascenseur. Jeme sens obligé d'embrayer sur :« Je craignais de prendre trop de place. »Elle lève un sourcil puis rentre dans l'ascenseur. J'en sors et lui souhaiteune bonne journée.J'entends qu'on annonce l'arrivée de Laurent aux urgences dans la salle desmédecins. Je file au vestiaire pour me changer et me rendre propre etprésentable, comme Superman dans une cabine téléphonique - la cape enmoins - et je mets mon masque de chirurgie sur mon visage. Monhématome dépasse du masque.J'arrive dans le bloc opératoire quand ils installent Laurent sur la table.« Mc Kinney ! Vous tombez bien ! Vous êtes plus spécialisé que moi dansles blessures par balle, il me semble ?- Je m'en charge !- Merci, je vais pouvoir continuer l'accouchement. »

*****Cela me fit une drôle d'impression d'entrer dans une salle d'attente empliede monde, des gens malades ou blessés, mais appartenant au monde« normal ». Une infirmière arriva en voyant le sang sur l'épaule de Laurent.« Il a reçu une balle. » dis-jeAussitôt, plusieurs mains me l'enlevèrent et je me retrouvai les brasballants. Un infirmier me désigna la salle d'attente. Je m'assis avec lesautres.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 257

Page 261: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

J'étais ivre de fatigue, j'avais du mal à réaliser que notre calvaire était fini,que l'avenir qui m'avait été retiré quelques heures auparavant m'avaitfinalement été rendu, un avenir qui m'aurait laissée indifférente la veillemais qui à présent me semblait un cadeau précieux.Quand on me demanda qui j'étais par rapport à Laurent, je ne répondis quele strict minimum, et déclarai vouloir attendre jusqu'à ce que les médecinsen aient fini avec lui.J'attendis plusieurs heures, n'osant m'endormir malgré l'épuisement, carquelque part en moi, je craignais encore de voir surgir des gardes. Jefouillai dans mes poches. Je n'avais même pas la monnaie pour m'acheterun café. Chienne de vie.

*****L'opération se passe bien. Laurent est résistant, après tout ce qu'il a subi.Au bout de deux heures, tous les dégâts de la balle sont raccommodés. Laballe, comme je le pensais, l'avait traversé. Ce n'est pas étonnant, vue ladistance. Il a eu de la chance, avec un calibre 45 ou un calibre 9 mm, ilaurait eu l'épaule arrachée.J'accompagne l'infirmière qui va annoncer la bonne marche de l'opération àViktorka. Au moment de pénétrer dans la salle d'attente, j'ai pourtant unehésitation. Je dois garder à l'esprit ce qu'elle pense de moi : un tueur. Je nelui en veux pas. J'ai aussi une couverture à préserver. Je fais demi-tour.Viktorka n'appartient pas à mon monde et c'est préférable, pour elle, qu'elleoublie tout.Après l'opération, je rentre chez moi. Je pense qu'après avoir passé une nuitcomme celle-ci, je n'aurais pas été toujours aussi efficace au blocopératoire. Je n'ai pas signé le relevé d'heures. Peu m'importe.Arrivé à la maison, je m'écroule dans mon lit. Mon GSM se met à sonner,je tente de l'atteindre du bout des doigts. Peine perdue. Les distancess'allongent quand vous êtes fatigué.Je verrai ça demain, pour l'heure allons voir comment se porte Morphée.

*****Le soleil se levait juste quand une infirmière vint me voir pour m'annoncerque l'opération s'était bien passée. Elle devait avoir une quarantained'années, et me conseilla de rentrer chez moi pour me reposer. De toutesfaçons, les visites ne seraient pas autorisées avant l'après midi. Je la

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 258

Page 262: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

remerciai et sortis.Il faisait un temps magnifique, un vrai temps de juillet. La villecommençait à s'animer et un bus passa devant moi. Je posai le sac de ChatNoir sur mon épaule et commençai à marcher vers l'arrêt du bus. Soudain,je réalisai que je n'avais pas encore regardé ce qu'il y avait dedans. Je leposai au sol et l'ouvris. Il contenait plusieurs liasses de billets. L'argent dumeurtre de Laurent !!Je montai dans le premier bus de ma ligne habituelle. Je n'avais plus detickets. Quand le chauffeur me demanda ce que je voulais, je luidemandai : « Vous avez la monnaie sur cent euros ? »Une fois chez moi, je pris une douche, puis me laissai tomber sur le lit, etmon réveil sonna, indiquant deux heures de l'après midi.Je rangeai le sac de Chat Noir dans un placard, à côté des documents volésau labo clandestin, qui étaient restés dans le mien tout ce temps, avant deretourner à l 'hôpital. Je ne savais pas encore ce que je ferais desdocuments. Le plus urgent était de savoir comment allait Laurent. J'achetaile journal au passage. Les gros titres étaient tous les mêmes, y comprisdans les éditions nationales : « Un incendie a ravagé le complexe Anatech /Pharmatech cette nuit. Des millions de données et de résultats d'analysesont perdus. »Une fois à l'hôpital, on m'autorisa à voir Laurent, qui s'était réveillé. Ilavait une mine affreuse, le teint encore plus pâle que d'habitude, les cotésde la tête rasés, à la différente de sa barbe naissante, mais il ouvrit les yeuxet sourit à mon arrivée. J'avais apporté un bouquet de fleurs jaunes pourégayer sa chambre.« Alors, comment se sent notre grand reporter ? »

*****Je me suis réveillé dans une chambre d'hôpital.Une chambre blanche. J'étais seul, le bip incessant des appareils pour toutecompagnie. Je venais de faire un cauchemar où je marchais dans un couloirenfumé, avec des hommes me tirant dessus.Ou alors, c'étaient mes souvenirs. Tout était un peu confus. J'avais soif.Une infirmière entra, me demanda comment je me sentais. Quellequestion. Je ne m'étais jamais senti aussi bien. Ils m'avaient donné descalmants, des anti-douleurs, qui enveloppaient mon esprit dans un cocon

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 259

Page 263: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

d'où je pouvais enfin me reposer, abrité des douleurs qui m'avaient si bienaccompagné dernièrement. Pourtant, mes pensées, une fois les brumes dusommeil dissipées, étaient claires.« C'est le docteur Mc Kinney qui s'est occupé de vous. Il a très bien réussi.Vous ne devriez garder aucune séquelle, vous savez. Interdit de jouer aubadminton avant quelques mois, quand même... »Elle était gentille, avec ses nattes brunes de petite fille, sa blouse blanche,et son sourire de lèvres rouges et pulpeuses.« On vous a administré de la morphine. Si vous vous sentez mal, ou sivous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à appeler. »Elle sortit.Le téléphone sonna. Ma mère.Le soleil passa la tête par la fenêtre. Je fermai les yeux.Je somnolais quand elle est entrée.Elle avait un gros bouquet tout jaune qu'elle posa sur la table. Elle portaitun pantalon corsaire noir, un chemisier blanc, et un pendentif en argent enforme de chat. Ses cheveux bruns, nattés, lui arrivaient au bas du dos. Ellesourit.« Alors, comment se sent notre grand reporter ? »

*****« Pas mal , f i t - i l d 'une voix rauque et faible . Compte tenu descirconstances... Je suppose que le troisième larron a dû mettre les voiles.- En effet... Mais il nous a laissé un petit souvenir. La modique somme quidevait lui revenir pour votre... enfin... pour votre...- Mon meurtre. Il vous l'a laissé ? Il n'est peut-être pas si mauvais que ça,alors... Après tout, vous êtes au chômage maintenant.- C'est vrai.- Qu'est ce que vous allez faire ?- Peut-être me recycler. Je ne sais pas si j'ai encore envie de travailler dansun laboratoire... C'était un job alimentaire, et l'atmosphère ne meconviendrait plus. Les services de sécurité sont trop... envahissants. »Il rit.« Aie... Je vous comprends. Moi non plus, je n'ai plus très envie deretourner m'occuper de la rubrique des sports après avoir vécu ça. »Je soupirai.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 260

Page 264: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Le directeur est mort, n'est ce pas ? demanda Laurent.- Oui... Je... Je lui ai tiré dessus. »De le dire à voix haute, ma gorge se noua. Je reconnaissais avoir tué unhomme.« Vous m'avez sauvé la vie. »Je levai la tête et croisai le regard de Laurent.« Je crois que nous nous sommes mutuellement sauvé la vie à plusieursreprises...- Je n'ai pas été très utile, de ce point de vue là. Mais j'avais l'impressionque vous vous sentiez coupable d'avoir tiré. Sans vous, je ne serais pas là.- Et sans Chat Noir, nous ne serions là ni l'un, ni l'autre. »Un ange passa.« En tout cas, nous avons réussi. Nous avons démantelé leur organisation,nous les avons détruits. Ils ne tueront plus personne. Je trouve que nousavons fait fort, à nous trois. »Il rit, et fit une grimace de douleur.Une étrange idée me traversa l'esprit. Je n'avais plus envie de travaillerdans un laboratoire, c'était clair. J'avais aussi dans l'idée que tous comptesfaits, nous avions « fait fort ». Nous nous étions complétés et nous avionsréussi à nous en sortir. Il existait sans doute des tas de situations où de telstalents pouvaient être exploités.Je me levai pour aller mettre les fleurs dans le petit vase blanc posé sur latable.Quelque chose en moi avait changé cette nuit. Quelque chose que j'avaiscru perdu à jamais venait de m'être rendu. Une partie de moi. De celle quej'étais avant.Mon bras ne me faisait plus souffrir depuis ce matin, à part des courbatureslégitimes, mais très différentes de mes douleurs habituelles. Et il pouvaitde nouveau me servir, supporter mon poids.Il était peut-être temps de reprendre le dessus. De faire de vrais choix. Dechanger de vie. Encore une fois... Mais peut-être pour trouver, cette fois,enfin, quelque chose qui me convienne ?Je m'assis dans le fauteuil au pied du lit.« J'ai apporté une boîte de chocolats. Dès que vous aurez le droit demanger, vous pourrez en prendre. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 261

Page 265: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Je posai la petite boîte enrubannée sur la table, à coté des fleurs.« Merci. »Il sourit de nouveau faiblement.« Vous m'excuserez si je ne suis pas très vif, mais ils me donnent de lamorphine contre la douleur.- Je ne suis pas franchement au top moi-même. Il y a des gens qui vontvenir vous voir ?- Ma mère est en route. J'ai insisté pour qu'elle prenne le train, parce quequand je l'ai eue au téléphone elle était toute retournée. Vous savezcomment sont les mères. »Il regarda par la fenêtre.« J'ai bien cru ne jamais revoir le ciel. Je n'ai jamais eu peur comme ça. Jecrois qu'il est temps que je fasse quelque chose de ma vie. Il faut que jepostule dans des journaux un peu plus ambitieux que la « Gazette », si jeveux vraiment faire de l'investigation...- Vous n'avez pas eu votre compte d'action pour la vie, hier ?- J'ai eu mon compte d'emprisonnement, de drogues étranges et de tueurspsychopathes. J'ai eu peur, mais je ne vais pas vivre dans la peur pourautant... »Il resta sans rien dire quelques secondes, les yeux dans le vague. C'étaitcurieux de voir ce petit gars, là, dans son lit d'hôpital, qui venait detraverser des épreuves traumatisantes, maladroit, pas costaud pour un sou,parler calmement de retourner dans le feu de l'action dès qu'il serait rétabli.Je lui adressai mes excuses mentales pour l'avoir mal jugé à notre premièrerencontre. Il continua :« En fait, j'aimerais bien être indépendant, pouvoir enquêter librement sansavoir à me plier aux desiderata d'un journal, faire attention à sa ligneéditoriale... Il faudrait que je me mette à mon compte pour ça... »Il soupira. J'enchaînai :« Il faudrait que vous soyez détective. Monter une agence...- C'est une idée... Une sorte d'agence spécialisée dans les affaires loucheset secrètes... Ça me plaît. Mais il faut des fonds, de solides connaissancesjuridiques... que sais-je encore. Je n'ai rien de tout ça.- Pour les fonds ça peut s'arranger. Il y a le pactole du Minet de minuit. »Tournant la tête avec effort, il me regarda dans les yeux.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 262

Page 266: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Mais c'est à vous qu'il a donné cet argent...- Bah, vous n'étiez pas réellement en mesure de porter quoi que ce soit. Etpuis, cela me dérangerait de l'utiliser à mes seules fins. »En réalité, elle me plaît, cette idée. C'est peut-être le genre d'activité que jerecherche...« Vous êtes sérieuse ? Vous voulez dire que vous seriez prête à vousreconvertir en une sorte de détective privé, et à travailler avec moi ?- ...- Vous n'avez pas eu votre compte d'action pour la vie, hier ? »Oh si !! J'ai eu plus que mon compte. Mais tu l'as dit toi même, mon gars :au point ou on en est, on s'enferme ou on continue. L'engrenage m'a prisequand j'avais dix ans. Le seul remède à une grosse frayeur, c'est deretourner lui faire face.Je souris.« Je suis sérieuse. C'est la première perspective excitante que je pourraisenvisager depuis bien longtemps. »Laurent soupira.« En réalité, pour être parfaitement équitables, il faudrait demander à ChatNoir lui même de s'associer avec nous. »À ce moment là, quelqu'un frappa à la porte, et une petite femmerondelette, aux cheveux de feu, fit irruption dans la pièce et se précipita auchevet de Laurent.« Mon garçon ! Mon garçon, j'ai eu si peur !! Mais qu'est ce qui t'estarrivé ? »Je me levai discrètement, pris ma veste et passai derrière elle en faisant unpetit signe de la main à Laurent.Je descendis les marches de l'hôpital curieusement alerte. Cette idéed'agence de détectives me plaisait, c'était sûr. Pourtant, ce ne serait passimple d'utiliser l'argent de Chat Noir pour se lancer, puis de débuter dansle métier. Laurent avait raison, Chat Noir nous serait bien utile. En plus,cet argent était le sien, il l'avait récupéré au nez et à la barbe de nosennemis et tous ceux qui pouvaient le lui réclamer étaient partis en fumée.

*****Ma mère entra à ce moment, coupant court à la conversation.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 263

Page 267: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

« Mon garçon ! Mon garçon, j'ai eu si peur !! Mais qu'est ce qui t'estarrivé ? »Elle ne prêta aucune attention à Viktorka, qui sortit comme un courantd'air.Cette discussion m'avait donné du baume au cœur. Finalement, cetteaventure, si elle n'avait pas mis un terme à ma vie, pourrait peut-êtremarquer un tournant profond dans mon existence, en me donnant unnouvel avenir.

*****Je me réveille 6 heures plus tard. La bouche pâteuse. Je suis encore habilléet j'ai froid. Je prends une douche chaude. Le pansement sur ma cuisse acollé. Je fais une grimace de douleur en le retirant. Après la douche, j'iraivoir le prof. J'espère qu'il ne voudra pas me remettre son kit d'évasion. Dumoins pas tout de suite. La douche me fait un bien fou.Je grille deux toasts. J'écoute mes messages. Douze. Dont dix du prof.Il me dit de faire attention à des monstres avec des griffes d'acier, encostume complet gris, et que son rêve se précise. Dommage qu'il ne mel'ait pas dit plus tôt...J'engloutis mes deux tranches de pain grillé que j'ai au préalable beurréeset « confiturées » à l'abricot. Je file chez le prof, qui m'écrase deux côtes enme serrant contre lui.« Tu es vivant !!! - Naon ! Je suis un revenant qui vient te botter les fesses ! Ton truc pours'évader m'a fait horriblement mal.- Ah bon ? Tu es douillet, c'est tout ! »Mon amitié pour lui m'empêche de l'étrangler. Mais c'est tout juste.« J'ai eu TES NOMBREUX messages... Mais trop tard. Comment as-tu pule savoir pour les trucs avec des griffes ? Tes rêves ?- Oui, dit-il d'un air grave. Je vais te faire une prise de sang.- Pourquoi ? T'es vampire maintenant ?- Ne dis pas d'imbécillité ! Tu étais dans un labo, non ? Tout a explosé,non ? Donc tu peux sans le vouloir avoir été contaminé par un truc.- Comment sais-tu que...- Anatech a explosé ? Tu devrais t'occuper de ta vie sociale. »

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 264

Page 268: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Il me jette un journal sur la table, dont un la une titre : « Un incendie aravagé le complexe Anatech / Pharmatech cette nuit. Des millions dedonnées et de résultats d'analyse sont perdus. »« Tiens, lis ! Si tu sais lire, bien sûr. - Okaaayy ! J'ai passé une nuit formidable avec Chloé qui m'apparaissaitdans tous les couloirs. Donc mollo sur les plaisanteries.- Chloé ?- Oui...- Ils t'ont peut-être drogué ? »Le prof part comme un tourbillon chercher une seringue et un autrepansement pour ma cuisse. Je m'installe dans son siège de dentiste. Il faitla prise de sang. J'installe le pansement neuf sur ma plaie.« Je t'appelle si je trouve quelque chose. Prends soin de toi.- Tu me mets dehors ?- Non, mais j'ai un épisode des « feux de l'amour » de retard, si tu veux tupeux le regarder avec moi.- À plus tard au téléphone ! » dis-je pour esquiver la proposition.Je le quitte et je vais à l'hôpital. Je me renseigne sur la santé de Laurent.Tout est normal. On me prévient que la fille qui l'avait amené est revenuele voir. Je souris et glisse un : « Tant mieux ! »L'infirmière est surprise. En cherchant mes clés de vestiaire dans montrench-coat, mes doigts tombent sur la pellicule photographique deLaurent. Je retourne chez moi pour développer les photos.Je fais tout moi-même. Il vaut mieux être équipé car quand vous filez votreproie, vous n'allez pas porter vos photos au « Photoservice » du coin.Les photos sont nettes. Je les laisse sécher puis je les mets dans une grandeenveloppe. Je recherche son adresse dans le dossier de Polames. Je l'écrisdessus et expédie le tout, sans oublier au préalable de lui ajouter un petitmot doux sur les conséquences de la publication de telles photos.Polames... je devrais lui rendre un dernier petit service, s'il est encorevivant. Mon portable sonne, c'est Norman.« T'as pas les moustaches trop grillées, j'espère ? »Je lui raconte l'histoire de mon duel avec Chien Fou. Il explose de rire. Undrame pour un artificier.« Ah ! Ah ! Hé ben... Il devrait être calmé pour un bout de temps.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 265

Page 269: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Je suis fatigué de ce métier.- Allons, tu es juste dans une mauvaise passe. On en traverse tous.- Tous ? Ta fiancée s'est fait tuer ? Sa meilleure amie te croit le principalresponsable de sa disparition et veut te tuer ? Un psychopathe a décidéqu'il ferait tout pour te pourrir la vie ? Tu vois, pour moi, la mauvaisepasse dure depuis longtemps... »- Il faut y réfléchir... Je suis en mission. Quand j'aurai fini, je viendrai tevoir. Ne fais pas de bêtise en attendant.- Toi non plus. »Je raccroche sans lui parler de mes visions de Chloé. Après tout, le prof apeut-être raison. C'était un labo, j'ai peut-être été drogué à mon insu ? Jevais aller voir Henry.J'enfile mon trench-coat. J'arrive une demi-heure après. Le salon de thé estbondé mais ma place est toujours libre. Henry me voit et fait la grimace àla vue de l'ecchymose sur mon visage.« Mauvaise journée ?- Boh ! Quelques cafards, un psychopathe... la routine.- Je te sers comme d'habitude ?- S'il te plaît. Je vais prendre un sandwich au jambon aussi. »Je m'installe au fond de la salle. C'était là qu'on avait l'habitude de s'asseoiravec Chloé.Henry laisse toujours le mot « réservé » dessus.D'ici, je peux scruter l'ensemble des clients. L'ombre de la poutre apparentemasque la moitié haute de mon visage.Un couple est en train de choisir une maison, sur leur droite une personneâgée avec sa petite fille savoure une part de fondant au chocolat. En faced'eux, un cadre tape frénétiquement sur son portable posé sur la table.Deux étudiantes refont le monde autour d'un thé et de petits gâteaux enterrasse.Henry m'apporte mon sandwich et ma tequila. Il s'assoit à côté de moi.« Les affaires marchent on dirait.- J'n'ai pas à me plaindre. Les salons de thé reviennent à la mode.- Ça ne m'étonne pas, c'est tellement plus calme que tous ces fast-foods.- J'ai une nouvelle cuisinière, je te la présenterai. Elle est très gentille etelle cuisine bien. Tu veux goûter son fondant au chocolat ?

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 266

Page 270: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Tu trouves les mots qui réconfortent, toi ! »Il se lève. Je reçois un SMS du prof.« Tout va bien. Rien dans ton sang. Passe quand tu veux. »Alors ces visions de Chloé ? Le stress sûrement.Henry revient avec le gâteau. Effectivement il est délicieux. En quittant lesalon une heure plus tard, j'en ai encore le goût dans la bouche.Je décide d'aller à pied au cimetière. J'achète deux fleurs, une tulipe et unlys noir.Le cimetière vient de fermer. Que m'importe. J'escalade le mur, ce ne sontpas des horaires de bureaucratie qui vont m'empêcher de la voir.Je pourrais retrouver sa tombe les yeux fermés. Troisième allée à gauche,l'avant dernière tombe.Je tombe à genoux devant elle. Une tombe avec un cercueil vide. Je déposeles deux fleurs.« Tu me manques tellement... »Je me relève.« Où es tu ? »Le vent se lève et fait claquer le bas de mon trench-coat.Un scintillement provenant du cyprès derrière la quatrième rangée attiremon attention.Un pendentif y est accroché à une branche basse. C'est son pendentif. Je lelui avais offert lors de nos fiançailles. Il avait été fait par un joaillier deMilan, en Italie. Il est unique. J'ouvre le pendentif, il n'y a pas de photo àl'intérieur.Comment son pendentif est-il arrivé là ?Je n'aime pas ça. Je resserre ma main sur le bijou avant de l'enfourner dansma poche.J'inspecte rapidement le cimetière et ne trouve rien.Des tombes, le pendentif de ma femme disparue, j'ai l'impression d'êtredans un scénario de jeux de rôles.Le meneur de jeu est dur avec moi pour les indices. Je ressors du cimetièreet j'appelle le prof.« J'ai besoin de trouver d'urgence un monsieur Polames. Je pense qu'ilhabite Paris.- Je t'envoie ça par SMS.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 267

Page 271: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Merci. »Cinq minutes plus tard, j'ai l'adresse. Je retourne à la voiture et vérifie moncoffre. Je prends ma sacoche et j'y vais à pied. Ce n'est pas loin du ChatBleu, ce qui explique pourquoi il pouvait m'attendre longtemps au salon età n'importe quelle heure. J'aurais dû le filer la première fois.J'attends que quelqu'un entre dans l'immeuble. Une vieille dame avec sonchien, parfait.Je me précipite et empêche la porte de se refermer.« Je peux vous aider ?- Merci, je viens voir un ami.- Qui ?- Polames.- Le monsieur du troisième. Il est si gentil... Vous le trouverez au troisièmeétage, deuxième porte à gauche. »Je la remercie. Je monte en prenant l'ascenseur.Économisons nos forces.Arrivé à l'étage, je vois une personne dans un complet noir attendre dos àla porte.Il faut croire que Polames a peur d'une petite visite...Je me lance dans un rôle de composition qui ferait pâlir De Niro dejalousie. En fait, j'imite mon maître ivre. Je titube et chancelle puisfinalement me raccroche in-extremis au garde.Il essaye de se débarrasser de moi.« Dégage, poivrot.- Beuuuhhh !!!! chu'is pas saoooouuuuuullllllll !!!!!- Lâche moi !! »Je sors mon couteau de l'étui situé dans le bas de mon dos et je le luienfonce dans le poumon gauche tout en lui mettant une main sur la bouche.Ses yeux terrifiés rencontrent mon regard. Je ressors le poignard d'un gesteet termine mon arc de cercle en l'égorgeant.Il tombe dans un râle en aspergeant les murs du couloir. Je dois aller vitemaintenant. J'ouvre la porte d'un coup de pied. Deux hommes sont présentsdans la pièce. Le premier se retourne à mon arrivé, il a un pistolet avec unsilencieux encore fumant. Je lui lance le couteau dans les côtes avant qu'ilait le temps de tirer.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 268

Page 272: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

L'autre, qui était penché sur un corps, se retourne. Il a un cutterensanglanté dans la main droite.Je cours vers lui et pare son coup de cutter. Je lui assène un direct auplexus, lui coupant la respiration.Il tombe à genoux, j'en profite pour lui briser la nuque, en passant derrièrelui.Je regarde le corps par terre. C'est Polames. Il a les deux genoux explosés.On lui a tirés des balles de calibre 22 à bout portant. Des entaillesprofondes ont été faites dans ses joues et son œil gauche a été arraché. Ilest en train d'agoniser dans son sang.Je me penche vers lui.« Chat... Chat... Noir ?- Apparemment des personnes ont eu la même idée que moi...- Je... j'aurais... dû partir... mais... je... me disais qu'ils seraient...indulgents.- Qui « ils » ? dis-je en fronçant les sourcils.- Le groupuscule... Ysh'tar...- Ysh'tar ?- Vous... vous... auriez dû tuer... le journaliste...- Ils vont se venger...- Pas sur vous trois, le labo est détruit mais déjà ils doivent déjà enreconstruire un autre... ailleurs... »Il meurt. L'œil qui lui reste roule vers le haut de son orbite et lâche unedernière larme. J‘étais venu pour le tuer, mais étrangement je regrette den'avoir pu le sauver.Je quitte les lieux en faisant bien attention à ne pas laisser d'empreintes,puis je reprends mon chemin vers la voiture. J'entends déjà les sirènes depolice.Je rentre chez moi.Après avoir avalé une bière, je m'écroule sur le canapé. Je regardepensivement le pendentif. Je le fais osciller lentement devant mes yeux. Letéléphone sonne.C'est Norman.« Je viens te voir dans une semaine, j'ai bientôt fini mon contrat.- ...

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 269

Page 273: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

- Je vois que tu vas mieux.- Imagine que ce que tu penses être ta vie, je veux dire le monde réel, n'estqu'un rêve.- Toi, tu as regardé « Matrix »...- Non, je veux dire un rêve... de quelqu'un d'autre.- Et ?- Quand tu t'endors, en fait c'est l'autre qui se réveille.- Tu es saoul ?- Non.- Qui voudrait rêver d'une vie comme la tienne ? »Je souris et lui dit« Un Chat Noir ? »

*****Je projetais de me rendre au « Chat Bleu » - qui, renseignements pris, étaitun salon de thé - quelques jours plus tard, quand Laurent irait mieux.Disons, quand il aurait fini la deuxième boîte de chocolats. Cela nouslaisserait le temps de discuter de notre petit projet suffisamment longtempspour voir s'il était bien réalisable, et de déterminer si nous voulions nousrisquer à revoir Chat Noir. Mes sentiments à l'égard de cet homme étaientmitigés. J'étais passée de l'observation amusée à la haine pure, puis j'avaisfini par revenir à une sorte de mélange de liens affectifs, tissés par lepartage de moments forts dans une certaine complicité et de profondsdésaccords. Pourtant, il fallait tout de même reconnaître ses compétencesremarquables et sa personnalité.Il était probable que nous lui fassions part de notre idée, et que nous luiproposions, sous certaines conditions, de se joindre à nous. Peu probable,en revanche, était son acceptation de la chose...Quand je me couchai ce soir là, je fis le bilan de ces dernières heures.J'avais failli mourir. Je n'avais plus de boulot. Les seules choses auxquellesje m'étais intéressée réellement ces derniers mois, les enquêtes d'Alfred,étaient parties en fumée. Mais j'avais récupéré mon bras. Et, pour lapremière fois depuis des mois, j'avais envie de vivre.

*****Je sortis de l'hôpital au bout d'une dizaine de jours. Le docteur Mc Kinney,que je ne vis jamais, avait réellement fait du très bon boulot. Je porterais

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 270

Page 274: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

mon bras en écharpe pendant encore dix jours puis je pourrais commencerla rééducation. J'avais déjà pris mes rendez-vous avec le kiné.Les journaux avaient largement couvert l'incendie d'Anatech, maispersonne n'avait mentionné les niveaux souterrains. Les pots de vinsavaient dû circuler allègrement.Un jour, à l'hôpital, j'avais trouvé une enveloppe sur mon lit. Elle contenaitles photos que j'avais prises au labo, développées. Un petit mot, signé« C.N. » me mettait toutefois en garde contre l'utilisation de telsdocuments. Je n'avais pas encore décidé si j'écrirais ou non un articlerelatant nos découvertes. Je pense que les gens ont le droit de savoir, et quemoi, en tant que journaliste, j'ai le devoir d'informer. M'enfin, j'ai aussi unevie, une seule, et je ne tiens pas à ce que ma tête soit remise à prix, dumoins pas tout de suite.Quand je rentrai chez moi, conduit par Anna, je trouvai ma mère dans monappartement. Elle était restée pour nourrir mon chat. Elle me serra si fortdans ses bras qu'elle manqua de me démettre l'épaule. Elle resta toute lasemaine, me préparant à manger, re-faisant mon lit derrière moi, faisantmon ménage, changeant mes affaires de place... Au bout de cinq jours, jen'y tins plus, et même si mon arrêt maladie était d'encore dix jours, jetéléphonai au journal pour les informer de mon retour.J'y retournai un mercredi matin, et arrivai vers huit heures, commed'habitude. Je croisai Cathy dans l'escalier :« Tiens, un revenant ! Alors mon grand, qu'est ce qui t'es arrivé ?- Une mauvaise chute. »Je n'avais pas trouvé de meilleure explication. Elle sembla s'en contenter.Une fois arrivé à l'étage du journal, je vis que rien n'avait changé. Linem'accueillit d'un grand sourire et le patron était invisible dans son bureau.Laureen m'accosta :« Tiens, qui voilà ! Tu t'es enfin décidé à revenir bosser ?- Merci, je vais bien...- On a pris un remplaçant pour faire ton job pendant que t'étais pas là, mongars. T'es pas irremplaçable, fais nous encore le coup de disparaître àl'improviste et tu verras ce qui va se passer ! »Elle triait des anciens numéros tout en disant ça, sans même me regarder.Je voyais un sourire se dessiner sur son visage à chaque mot qu'elle

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 271

Page 275: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

prononçait.« Personne n'est irremplaçable, Laureen. Surtout pas les grandes gueulespour qui manager une équipe consiste à écraser le petit personnel pourexprimer les frustrations de leur vie pathétique. »Elle leva les yeux de sa pile de journaux, elle avait perdu son sourire. Moi,j'en avais gagné un.Je tournai les talons et tandis que j'entendais Laureen vociférer des« Asmuldet !! Vous avez intérêt à rendre votre article à l'heure ! » ou des« J'en parlerai au directeur !!! », je m'assis sur ma chaise. Je mis mes deuxpieds sur mon bureau. Je regardai par la fenêtre et pour la première foisdepuis longtemps je vis que le ciel était bleu. C'est à ce moment là que machaise dérapa sur le plancher...

FIN

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

CHAPITRE 8 272

Page 276: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Remerciements

Nous tenons à remercier toutes les personnes qui ont participé àl'amélioration de cet ouvrage, grâce à leurs remarques pertinentes, et nousont encouragé à le poursuivre. Nous adressons notamment des penséesparticulières à nos parents, ainsi qu'à Jacqueline, Annie et Roger, pourleurs corrections patientes et leurs conseils avisés, à Mamie, Brigitte,Anita, Hachim, Sylvain, Sophie, Alexia, Ludivine, Tamara et Véronique,pour leurs avis constructifs, à Aurélie Johanet pour l'illustration decouverture, et enfin à l'équipe d'ILV.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

Remerciements 273

Page 277: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Quelques idées de lecture

Au fil des pages suivantes, vous pourrez découvrir quelques-uns des trèsnombreux auteurs amateurs présents sur le site In Libro Veritas.http://www.inlibroveritas.net/CATHYLEEN« Arsenic et vieilles dentelles » ? « Agatha Christie » ? « Tatie Danielle » ?« Ma Dalton » ? Oubliez toutes ces inquiétantes références.

« Avant de mourir je voudrais réaliser un rêve. Donner en lecture des petitstextes écrits dans le passé, dans le présent et peut-être dans le futur...Mestextes sont d'une grande simplicité, j'en suis consciente! Valent ils la peined'être lus ? Le cas échéant je m'éclipserai sur la pointe des pieds... . »

Cathyleen est une charmante grand-mère qui écrit pour ses petits enfants,voire les générations suivantes. Et pour nous. Cathyleen s'essaie àdifférents styles, différents sujets et conserve sa fraîcheur. L'exemplemême que l'écriture n'est pas réservée à quelques uns et aurait des vertuscuratives . Car son expérience et sa douceur de vivre parviennent par sesmots jusqu'au lecteur qui se laisse aller au rythme de ses vers, sur la pointedes pieds...

Ses œuvres conseillées à ceux qui voudraient la découvrir« Le bouquet » « Mille bras » « Chère famille » ou « Sucre d'orge ».http://www.inlibroveritas.net/auteur1755.htmlClaude COLSON , sur ILV monilet

« ......espoir, souhaits, elle trouvait la nuance ténue. Elle était énorme. Ilvoulait certes communier avec elle sous les deux espèces, de la chair et del'esprit, mais n'entendait plus renoncer au second aux seules fins d'assouvirla première.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

Quelques idées de lecture 274

Page 278: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

Les amis de Florence la disaient inclassable. Bruno se familiarisait avec sanature extraordinairement complexe. Sachant que rien ne supplanteraitjamais chez elle sa première passion, une passion contrariée pour lamusique, il s'efforçait seulement de lui apporter le plus qu'il pouvait, afinde lui faciliter l'existence. Il se sentait fort, prêt à la protéger, au besoincontre elle-même, le gardien du Temple. Elle s'extasia à ces dires, n'ayantjamais encore connu la passion dans la liberté... »Saisons d'une Passion Novembre 2002

Homme, la cinquantaine bien avancée. Professeur de mon métier, unefascination pour la littérature a fini par me faire prendre la plume. Mesgenres de prédilection : le fragment, l'aphorisme, le poème en vers libres,le texte court, le journal.

Mes thèmes favoris : l'humain, l'amour dans sa forme exacerbée qu'est lapassion. Avec toujours la recherche de la beauté, comme adéquation entrele fond et la forme.Février 2007

Mes écrits sur ILV : http://www.inlibroveritas.net/auteur1578.html

Mon site http://claude-colson.monsite.orange.frDEMOTIER

« Je voulais devenir chanteur. Beaucoup d'entendants m'ont aimablement,mais formellement, informé que ma voix était vilaine. Mon rêve était casséavant d'avoir existé, mais pas autant que les oreilles de ceux m'ayantentendu chanter. J'ai noirci des pages pour tenter de compenser. Desmalentendants m'ont cruellement, mais péremptoirement, obligé àconstater que j'étais également un écrivailleur sans style, sans idée, sansenvie. Ce n'est rien, je vais m'essayer à la peinture, puis au crochet.Ensuite, j'aviserai. »Erreur inconnue ! Appuyez sur échappement ou redémarrez la machine.

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

Quelques idées de lecture 275

Page 279: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

http://www.inlibroveritas.net/forum/profil435.htmlFredleborgne" Fredleborgne est né en 1999 comme adresse de messagerie. Parti au boutdu monde en 2002, Fredleborgne revient sur c-alice comme pseudo en2004 puis s'établit chez odebi.org. Il devient un site en août 2006 pour sonpremier opus de «La guerre des majors»."

fredleborgne a maintenant édité 2 livres chez ILV-EDITION, "La Guerrecontre les Majors" et "Quelques Nouvelles du Net".

Le premier est une fresque de 1996 à 2016. Démarrant comme unfeuilleton pamphlétaire, les personnages n'intervenant que plus tard, celivre raconte ... allez plutôt vous en faire une idée en ligne, ce livre esttéléchargeable gratuitement.

Le second regroupe plusieurs nouvelles qui ne seraient pas sans le Net,nouvel élément dans notre culture. Mais l'homme reste fondamentalementle même et ce nouvel espace est déjà menacé ... Il symbolise pourtant ledernier espace de liberté de notre terre.

Toujours téléchargeable gratuitement.

Enfin, sur In Libro Veritas, un nouveau livre en gestation : « Cycle Bêta »Cette fois, il s'agit d'un roman de S.F. Un « space opera » essayant d'êtreréaliste, ou au moins vraisemblable.

Fredleborgne compte prouver que la création libre peut s'affranchir descircuits habituels, d'abord parce qu'elle peut avoir du succès et de la qualitésans que pour autant l'aspect pécuniaire soit primordial.

La liberté, c'est aussi ne pas dépendre de certaines réalités trivialesChristian MARTINJ'écris depuis que je sais écrire, j'ai toujours trouvé cela super. Hélas, mesinstits, puis mes profs ont vite essayé de m'en dissuader. En effet, unedysorthographie rebelle et tenace, agrémentait ma prose d'originalités

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

Quelques idées de lecture 276

Page 280: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

grammaticales qui n'étaient pas du goût du Bled.Rien ne put me décourager, pourtant, pas même la longue liste de zéros quigrevait ma moyenne générale. Pire! À l'adolescence je m'imaginais devantles caméras de TF1 ou A2 ou... En fait peu importe, Grand lauréat du prixGoncourt. Rassurez-vous, en vieillissant j'ai remis mon stylo à sa place etrenoncé à cette carrière prestigieuse, pour me consacrer à la médecine et larédaction d'ordonnances ou de certificats illisibles.Puis le temps passe, on voit grandir ses enfants, s'éteindre de longuemaladie sa moitié aimée, puis soi-même bardé de perfusions, et l'on seprend à penser à la mort et à ce que l'on va laisser. Des photos jaunies, dessuper-huit délavés, des bandes magnétiques usées, où l'on se reconnaît là àla plage, là sur le hamac, à rire ou sourire bêtement.Alors je me suis remis à l'écriture. Et là, ho! Miracle de la technologie, lescorrecteurs orthographiques ont fleuri et mon écriture aussi. Enfin libéréedu complexe infamant de ce putain de s à la fin d'un pluriel, des et, aient,cod, et autres erreurs qui font que le texte le plus pertinent, rempli defautes d'orthographe, ne peut être que l'œuvre d'un âne.J'ai écrit un recueil de nouvelles intitulé Déluge, puis un roman :« l'empreinte de Marcion » (censuré pour l'instant), dans une maisond'édition que je ne recommande à personne.Enfin en septembre j'ai découvert ILV et alors là le bonheur pour moiécrivain et je l'espère pour vous lecteurs .Bonne lecture et à votre santéhttp://www.inlibroveritas.net/auteur1981.html

Denis NERINCXDisciple d'Épicure s'il en est, Denis Nerincx est, avant tout, un grand

amateur de la vie, gastronome et fin cuisinier à ses heures. C'est pourquoi,il se plaît à décrire des situations inattendues, où se mêlent adroitement lechaud et le froid, le suave et l'amer, toutes ces épices et condiments quimettent en exergue la réalité, parfois acerbe, de notre vécu mais aussi la

douceur irréelle de nos rêves. C'est par un style et un ton très directs qu'ilvous met en présence de certains dilemmes et interdits. De son regard

cynique sur les vicissitudes de la vie sont nés ses autres textes. Souventdéroutants, ils vous feront saliver comme le feraient des bonbons acidulés.

Au gré de ses foisonnantes passions, il vous emmène dans son monde,

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

Quelques idées de lecture 277

Page 281: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

situé aux confins du vôtre, où le réel frôle le rêve que d'aucuns réalisentparfois.

http://www.inlibroveritas.net/auteur1044.html http://www.ilv-experience.net/auteur/denis-nerincx.html

http://www.dnerincx.beSes ouvrages sont édités par InLibroVeritas-experience.

LA LICORNE DE FIELPremier volet de la quadrilogie de la licorne

ISBN : 978-2-35209-001-4169 pages au format 140x225mm LA PROPHÉTIE DU REGRET

Réservé à un public adulte et avertiISBN : 978-2-35209-024-3

RomaneRomane

Romane est née en 1955.Nan, ça va pas. Romane naquit en 1955.Pfffffff En 1955, naquit Romane.....Pompeux... En 1955 est née Romane.Lourd ! lourd !!! 1955 ; l'année où Romane naquit.Ça fait carrément bourge... Merde quoi. 1955 ; naissance de Romane.Pourquoi pas un résumé de livre d'Histoire pour les terminales, pendantque j'y suis !! 1955 ; Romane !Mouais... je tombe dans la promo supermarket...Banderole and Co. 1955 : Romane et la vie.Argh ! j'me la pète grave. ! Romane* * *

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

Quelques idées de lecture 278

Page 282: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

1955On va croire que je l'ai écrit en 55, mon bouquin là, non ?Spa possible, bordel ! J'suis vraiment obligée de pondre une bio ?Coupez ! On va faire sobre :Romane.« Bonjour je suis Romane alors je m'appelle Romane, c'est pour ça quemon pseudo c'est Romane. »Patricia Romanet-FauconRomane - "Les petits mots"Est-ce une femme qui rêve ou un rêve de femme ? Je l'imagine accoudéeau bastingage d'un bateau en partance vers nulle part.

Vers quelle destination pourrait-il l'emporter ? Que quitterait-elle ?

Où irait-elle ? Elle est déjà arrivée. Son port, c'est elle.

Mais elle ne le sait pas.

Le livre se compose de trois parties elles-mêmes façonnées de styles variés(prose poétique, théâtre, humour...) :

- « Les petits mots »- « Rimes océanes »- « Noir. Musique. Lumière. En scène! »

290 pages - Livres KA - ISBN 978-2-9528059-3-39 Euros.

Contact & commande : [email protected]

http://v2.inlibroveritas.net/auteur2270.htmlUne ère de liberté

Premier tome d'une prolifique − espérons le − collection de livres libres :Gauche d'Auteurs. "Une ère de liberté" inaugure une nouvelle vision de

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

Quelques idées de lecture 279

Page 283: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

l'édition. Il s'agit purement et simplement de mettre en avant des auteursqui, plutôt que de publier exclusivement leur(s) texte(s), ont préféré vousles offrir en les licenciant sous copyleft.

Le copyleft, littéralement gauche d'auteur en anglais, est la possibilitédonnée par l'auteur d'un travail soumis au droit d'auteur (œuvre d'art, texte,programme informatique, etc) à l'utilisateur de copier, utiliser, étudier etdistribuer son œuvre avec la restriction que celui−ci devra laisser l'œuvresous les mêmes conditions d'utilisation, y compris dans les versionsmodifiées ou étendues. (Source : Wikipédia)

Ainsi, tous les auteurs qui auront fait le choix de publier leur(s) œuvre(s)sur InLibroVeritas en copyleft (CC−by, CC−by−sa, Licence Art Libre,GNU/GPL, GFDL) auront peut-être le plaisir de voir leur(s) écrit(s)publié(s) dans un futur tome de la collection Gauche d'Auteurs.

Les auteurs, les œuvres :L'authentique du P3, Agnès AndersenErreur inconnue ! Appuyer sur échappement ou redémarrer la machine,DémotierLa mélodie de la dent du chat, FrihDPetite histoire d'un bout de papier, FreDChimères, Didier Gazoufer Cadavres exquis à la neige,G@rpL'arbre du partage

7 histoires pour rester libre...

Format papier : 15.00 œ TTCFormat PDF : Gratuit, Télécharger gratuitementLicence : MultiplesISBN : 978-2-35209-039-7Catégorie : Romans / Nouvelles355 pages au format 120x185mm (Papier 80g)

La Patte de Velours I : Jeux de Mains

Quelques idées de lecture 280

Page 284: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]
Page 285: 7537-AQUILEGIA NOX ET LEO SIGRANN-La Patte de Velours i Jeux de Mains-[InLibroVeritas.net]

PDF version Ebook ILV 1.4 (avril 2010)