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C}W'ITRE-III
LA CLlMl\T DU MAL
Nous devons essayer d'esquisser les limites conretes du monde
des romans de Greene et de Mauriac, avant de faire une analyse de leurs
themes. Dans le dernier c~pitre nous avona suivi l' evolution de la
sensibilite religieuse, qui forme un point commun entre les deux ecrivains,
en depit de leurs differences religieuaes, sociales et cul turelles. Les
cbapitrea suivants illustrent les traits pa.ralleles de leurs romans. Le
present cbapitre examine le cadre physique de la fiction dans toutes ses
manifesta tiona.
Mauriac constate qu'il est un "metaphysicien qui travaille dana
Ie concrete Grace 8. un certain don d'atmospbere, j'esS8\Ye de rendre
sensible, tangible, odorant, 1 'univers catbolique du mal.,,1 Dans oe
cbapitre, nous etudions la forme que prend "mal" chez Mauriac, non pas
dans un sens abstrait et metaphysique, ni dans son aspect moral et social, ma.:i.s
selon ce que le romancier appelle fIle concret", c I est-a.-dire:
Un examen des questi~s metapbysiques, spirituelles et religieuses
dans la vie quotidienne.
"Le concret" comma cadre physique ou se developpent les themes:
1 • Le Cadre Pgysiquea son oaractere oppressant
Le milieu social et physique des romans de Mauriac et de Greene,
aocable le lecteur par son aspect sombre. Marie...Beatrice Mesnet, dans son
1. FranCiois Mauriac, Journal II, p. 15.
-53-
.. livre Graham Greene and the Heart of the Matter, suggere, que "le contour
-de l'Afriquell2 est une image qui se repete chez Greene, pour representer
la misere du monde. Ce n'est pas la misere du .monde au seul sens physique
qu'on y evoque, mais la presence ou l'absence de D1eu dans la vie de
l'homme. Le choix delibere du cadre physique que font les deux auteurs .. , ~.,... I'
cree une real1te qU1 suggere des tenebres chez l'homme, et les rend plus
epaissea. Ce cadre aou11gne ausei les ombres qui hantent l' existence
humain.
Un cadre parfois oppreeeivement symbolique indique la cruaute
et la malice dans ce qui semble dee transactions quot1diennes, des
relations normales, la routine joumaliere.
Amsi, le cadre physique est intrinsique So l'effet total de la
fiction. L'etat moral eat suggere par le concret physique. Cela fait
ressortir une vision unique et persistante de la situation de l'homme.
Cette vision se developpe dans des themes religieux et mondains comme le
2. David Lodge utilise d'une mania-e interesea.nte cette cita.tion pour commanter la technique romanesque de Greene chez qui la narration qui conretise un theme abstrait s'etend aussi a son usage de la langue; liThe same kind of effect is to be observed in microcosm in his use of language (his employment of figures of speech) in which the abstract and the conorete are brought into arresting conjunction, of_ten enforced by alli terationt 'The music drifting landward', '€,Tief in the guts'; ahe felt responsibility move in her breasts; ca.ma.ra.derie, good nature, cheeriness fell like shutters before a plate~laas window' ( •••• ) As Richard Hoggart has observed, Greene sometimes reverses the normal figurative rela.tionship of abstract to concrete ( •••• ) Greene might say with ~~uriac, 'I am a metaphysician who works in the concrete.'" The Novelist at the Crossroads, p. 101.
-54-
montreront les cbapitres suivants. Pour le moment nous nous limitons a. l'a.nalyse du cadre physique des romans, pour montrer les liens entre ce
cadre et le theme.
Ce cadre semble avoir ses racines dans l' experience individuelle
de cbaque ecri vain,
La Province nous enseigne Ii conna.itre les hommes. On ne conna.it bien que ceux contre lesquels il faut se defendre. La. Province nous oblige de vivre au plus epais d'une buma.nite dont les traits Bont accusees; elle nous fournit des types.3
Aucun des personnages du Baiser au Lepreux n' est invent e; c' est leur destinee que j' invente. J e pourrais mettre un nom soue chaque Phlouyere; je lee ai tout connus dans la vieille maison de V ill an draut , sur la. place ( •••• ) A,insi exbumons-nous de notre enfance dee etres endormis et noua reinventons leur vie.4
Ma famille etait enracinee dans les profondeurs du plus vieux Bordea.ux ( •••• ) j'y suia trop m91e ( •••• ) le p~sage devient l' etre meme, sans detachement possible. Mon oeuvre temoigne que vivant a. Paris, je n'ai jama.is qUitte Bordeaux ou plutot que Bordeaux ne m'a jama.is quitte.5
Elle se confond avec nous, elle est nous-memes; nous la portons en nous, l'bistoire
6de Bordeaux est l'bistoire
de mon corps et de mon ame.
It is better to remain :ill ignormance of oneself and to forget easily. Let the unemployed continue to l~k around tbe pubs to Vauxhall Bridge Road and the kidnappers
3. Francsois Mauriac, La Province, p. 61.
4. Fran<;ois Mauria.c, Oeuvres Completes, Vol.I, p.iii.
5. Louis Desgraves, Bordeaux aux cours des siooles, Pret-ace de FranCSois Mauriac, p. 1.
6. FranQois Mauria.c, Bordeaux ou l' adolescence t Oeuvres Completes, Vol.IV, p. 155.
-55-
drive out of Heidelberg towards the frontier, safely and completely forgotten; we ought to leave the forgotten to the night. If one ~ they find their way into a book, it should be without our connivance and so disguised that we do not recognize them wben we see them again. All that we can easily recognize as our experience in a novel is mere reporting, it bae e. place, but not an important one. It provides an anecdote, it fills in gaps in the narrative. It my legitimately provide a. baCkground, and sometimes we.have to fall back on it when the imagination falters. Perhaps e. novelist has a greater ability to forget than other men - he has to forget or becom&1steri1e. What he forgets is the compost of the imagination.
De ces enonces, on peut deduire que chaque eOrivain a sa propre
methode pour reoreer 1 t expen.ence. Les romans de Mauriac incorporent la
vie provinciale telle qu'il l'a eprouvee, sans aucun cbangement, avec
toutes les maisons caverneuses, les immenses forets de pins, son obscurite
et la tristesse de sa propre experience enfantine. La region des Landes
est 1e cadre permanent de ces ecrits. Pour donner de la variete,l'auteur
evoque l' 801 ternance des saisons et 1e cbengement de residences pendant
les vacances. De temps en temps, quelques personnages se r6t'ugient a Paris.
La vie a Paris n t est pas bien rendue, parce que' Mauriac garde
toujours 180 province dans son ame. I1 n'a pas assimile 180 vie parisienne.
ainsi, Paris reste un symbole, peu vraisemblable, du pecbe, du vice, de , ~a, ~
la tentation, depeints dans des envirotpents tenebreuses et sinistres.
Parfois, 180 ville symbolise 180 liberte, bors de la prison de 180 vie
provinciale. Ainsi, J san Pelouyere et Therese Desqueyroux songent toue
7. Graham Greene, A Sort of Life, pp.181-182.
-56-
les deux aux delices de Paris. Pourtant, quand i1s y arrivent finalement,
ils ne trouvent rien que desastre, isolement et desespoir. Paris n'acquiert
jamais la persormali te inoubliable que Mauriac a creee dans son esquisse
de la prov:ince.
La province ne peut pas se separer de la structure des textes
mais contribue au contraire a. creer un effet total. Dans tous les romans, ,
les personnages Bent enfermes dans la province et oet emprisonnement
BUggere le piEtge de l'existance. Il est impossible de concevoir qu'un
persormage de Mauriac habite une ville industrielle ou dans les environs
d'lDle usine. Nous les trouvons dans des maisons infiniment isolees, maisons
qui sont decrepits, meme vermoulues, "dont les portes-fenetres [ne sont J pas meme detendues par des volets pleins."S Mauriac oonfesse avoir utilise
sa. memoire pour ces descriptions. En partant de ses grandparents, il ~crit:
IIlls ont ete vivants, unis par cette tendresse, dans la triste maison dent le plus jeune de leurs petits-fils a ose se servir pour y loger les persormages de Genitrix. [Ma grandmereJ s'elevait dans oe quartier perdu de Jouanhaut que j'ai decr1t, , .. 9 dans Therese Desqueyroux, sous le nom d'.Argelouse."
A,inei, les souvenirs de la vie enfantine creent des contours
b " dt ", d'" t"br t'l" , l.ell e erml.nes, avec es regl.ons ane euees e ec al.rees. Tandis que
la vie a. Paris est decrite en termes generaux de cafes, de ca.thedrales, de
chambres froides et 1s01ees, de bouts de cigares et de rues bondees, la
vie provinoiale est depeinte en details. La vie oppressive, statique et
S. Fran90is Mauriac, Gen~trix, p. 109.
9. Fran90is Mauriac, Commencements d'une vie, pp.16-17.
-:5,7-
rigide de la bourgeoisie terrienne se conretise dans l'aridita du paysage,
la masse noire de la foret, le gemssement des pins dans le lOintain,
le ululement d'un bibou, le souffle impitoyable de l'express dans un monde
endormi et inaccessible a l'amour. Mathilde <t.azenave et Therese Desqueyroux
n'ont aima personne. Elles n'ont pas ete aimaes non plus, et souffrent
toutes les deux du plus profond desespo±r. Therese est prisoniere dans une
region tenebreuse, une obscurite spirituelle qui serEflete dans le p~aage
desert et sans abri. L'aridite spirituelle est suggeree par le fait que
le cadre est tres isole.
"Argelouse est reelement une extr~te' de la terre; un de ces lieux aU-dela desquels il est impossible d'avancer ( •••• ) et jusqu'a l'Ocean il n'y a plus rien que quatre-vingts kilometres de marecages, de lagunes, de pins gre!es, de landes ou a la fin de l'hiver les brebis ont la couleur de la cendre •. Les meilleurea familles de Saint-Clair sont issues de ce quartier perdu.10
r,l.expression tlla couleur de la cendre", constitue une image
evocatrice representant avec une intensite reele, la stagnation de la vie
de Tberese, son mariage sans amour, 1e fardeau de la famille, une routine
sans vie. Nous sentons la sympatblte totale que l'ecrivain a, sans doute,
pour Therese:
"Elle existe ( •••• ) Elle vit ( •••• ) plus qu'aucune autre de mes heromes: non certes moi-meme, sinon au sens ou F1aubert disai t $ 'Madame :Sovery, 0' est moi '- a. mes antipodes sur plu s d' un point, mais faite pourtant de tout ce qu' en moi-meme j'ai dU surmonter ou contourner, ou ignorer.u11
On peut trouver ici 1a source du portrait puissant de Therese et d'Argelouse.
Fr rn...' .. 10. an~ois Mauriac, .... uerese DesgueyrouX, p. 29 •.
11. Fran~ois Maur1ac, Oeuvres COmpletes, Preface, Vol.II, p. iv.
-58-
La lutte interieure de Therese, Jean Pelouyere, Louis 1 lava.re ,
et le docteur Courreges prend des formes variees et doit etre interpretee
a des niveaux differents. , I I
Ces niveaux ou themes sont suggeres par lee
lignee pby siquee de 11 env ironnement. Le premier ni veau concerne le cercle
familial ~ see contra1ntes, son bypocrisie, ses rites, et sa routine. Ce , , A niveau s'elargit et inclut l'autre cercle social compose de pretres, de docteurs,
d'avocats, de cUiemieres et de vieilles bonnes. Ce groupe et le p~sage
de chenee, . f , ,
de pins et de landes rep.etent l' experience ls. plus prof on de de
Mauriac. 11 avoue avoir r8agi contre ce monde renferme; et 11 ecriva~
retrouve ce monde dane sa fiction de la meme maniere qu' on retrouve
l' enfance de Dickens dans ces romans. Les traumatismes de 11 enfanceo 'J
constituent les themes les plus importants de ses ecrits, comme le
confirment les citations suivantes:
L 'avarice, l' orgueil, la haine, l' amour ( •••• ) contenue par les barrages.de la r~igion, par les hierarchies sociales, la passion s'accumule dans les coeurs.12
L'espece de rancoeur que la vie de famille avait accumulee en mo1 ( •••• ) cette rancoeur qui devait se delivrer dans Therese Desqueyroux ( •••• ) La solitude et l'incommunicabilite des etres que les liens de s~ et le coup de des du mariage reunissent sous un meme toit.1' ,
L'horreur de la Province tient dans l'assurance ou nous sommes de n'y trouver personne qui parle notre langue, mais en revanche de n'y passer; une seule seconde, inaper~us ( •••• ) Un provincial ~ •••• ) porte sur lUi, si l' on peut dire, tout e sa parent e, s es relations, la cb iffre de sa dot, et ses esperances. Tout le monde le voit, le connait, l' epie; mais il est seul.14
12. Fran~ois Mauriac, La Province, p. 17.
13. Fran~ois Mauriac, Oeuvres Completes, Pretace, Vol.II, p. ii. '\..
14. Fran~ois ~uriac, La Province, p. 8.
-59-
Au college, dans la famille, je faisais partie dtun tout, je n'existaia qu'en fonction d'un groupe ( •••• ) Et de mame, en famille, mes freres et moi appartenions a. cette collectivite denommee 'les gar~onst comme on aUt dit tles canards. ' 15
Les etats mentaux, spirituels et emotionnels des personnagea pris
dans des situations parei1les, constituent les themes des romans de
Mauriac.16 En decrivant le p8\Ysage en detail, il'suggere les etats de
conscience et il analyse la psyche. Therese, par exemple, ensevelie, dans
1e silence d'4rgelouse, se sent plongee dans un tunnel sans issue,
,,( •••• ) 1e silence d' Argelouse 1 Les gens qui ne connaisaent pas cette lande perdue ne savant pas oe qu'est le silence: il cerne la maison, comme solidifie dans cette masse epaisse de forat ou rien ne vit, hors parfois une ohouette ululante (nous croyons entendre, dans la nuit, le sanglot que nous retenions) .,,11
Les arbres font une armee hostile qui guettent Therese, victime
malheureuse des ciroonstances. L'isolement physique de son environnement
sert a accentuer sa solitude, sentimentale et spirituelle. La stagnation
des ma.r,~cages, l'insensibilite des gens et de la famille symbolisent le
desespoir de la jeune femme. Sa vie avec Bernard et avec des rites
15. Fran~ois Mauriac, Commencements dlune vie, pp.81-88. 16. La Province raconte des details oppreasanta de la vie provinciale. e
La famille et sa tradition constituent un enorme facteur de contrain\'B: "La· Province nourrit encore la Famille ~ •••• } la famille sly accroit sur place, s'y deploie dans l'immobilite, comme un grand arbre.(p.22) "La Province est pbarisienne" (p.11). "Non seulement la Province seule sait encore bien ha°ir, mais ce n'est plus que chez elle qU'W'le haine suivit e. l'homme qui la nourrit et se tranamet a. ses enfants. De mame qu'elle garde le seoret, dans ses vastes cuisines, d'exquises recettes, c'est dans la silence, dans la penombre de ses logis aux persiennes entrebaillees que se montent et son mises au point les vengeances savantes et a. retardement. (PP.20-21).
11. Fran~ois Mauriao, Therese Desgupoux, p. 96.
-60-
quotidians semble une prison:
"C' e'tai t ld. le tragique; qu' il n 'y eut pas une raison de rupture; l' evenement etait impossible a. p;revoir qui aurait empeche les choses d'aller leur train jusqu'a. la mort. La mesentente suppose un terrain de rencontre ou se heurter; maia ~hereae ne rencontrait Bema.rd, et moins enc~re sea beaux-parent s; leurs pa.rolea ne l' attei8naient guere; l'idee ne lui venait pas qu'il fut neceseaire d'y~epondre. avaient-ila seulement un vocabulaire commun? Ils donnaient aux mots essentiels un sens different. ,,18
Une telle incommunicabilite se trouve aussi dana l'isolement de
Louia l'avare qui sent la conversation se terminer brusquement quand il
a'approche du cercle de la famille. Les membrea de la famille Courreges
vivent presses les una contre les autres~ Ils ont a 1a fois le gout de ne
pas secanfier et celui de surprendre les secrets du voisin. Le docteur
Courreges vit dans le desert de 1 'amour , avec une epouse amere qui l'e.gace
incessamment. Et il se tourne vers une autre femme, Maria Cross, qui le
tire hors de cet univers familial sans amour.
Let mot-cle est "humain" puisque le premier 80uci de Mauriac
est de montrer le besoin d'human1te et d'amour. Les chapitres suivanta
developperont ce point.
L'aridite des landes, la froideur de la famille, le vide dans
les relations individuelles font ressortir le theme de l'humanisme.19 Jean
18. FranQois Mauriac, ~herese Deequyroux, p. 107.
Il n'y a qu'un seul exemple d'amout profond et d'une devotion desinteressee. C'est l'amour de tante Clara pour ~herese.
-61-
Pelouyere mesure d'un seul regard le desert de sa vie.20 Rabourgri, il
etai t si petit que fIla basse glace du trumeau refleta sa pauvre mine ses
joues creuses, un nez long, pointu, rouge et comma use, ( •••• ) une grimace 21 qui decouvrit ses gencives, des dents mauva.ises." 5i laid qu'll inspire
la peur. Le passage entre deux murs aveugles de jardin lui etait cher
parce qu'aucun oeil ne sly embusquait et qu'il pouvait sly livrer librement
a see meditations solitaires. "Pauvre figure de landais chafouin, de
'landousquet' comme au coll~e ~n le designait, triste corps en qui -\Q..
l'adolescence n'avait su accomplir son habituel miracl~' tregarde le petit-
fils de Cadette, bien-aime des f11les. 11 est honteux d'etre le maitre de
ce "triomphant et juvenile dieu potager."
Son corps chetif se reflete dans la vieille maison, ou. des papiers.
moisis dec~uvrent le salpetre des murs, oullil se ret'ugie dans 'un salon de
compagnie' anssi frais qu'une cave.,,22
.\insi l'iaolement de lt1ndividu se concretise dans le cadre
physique des romans, l'ambiance sterile du carcle de famille, les salles
glaciales et 1mmenses, le son effrayant du vent dans les pins, le paysage
avide et les ombres epectrales de la nu1t provinciale.
L'ieolement de 1 'individu est BUggere aussi par les references
a l'aspect materiel de le. vie. Ces aspects accentuent 1 'absence d'bumanisme
20. FranQo is Mauriac, Desert de 1 t amour, p. 50.
21. ~., p. 48.
22. ~., pp. 51-52 passim.
-62-
et de conscience. 'Mauriac s'adresse a. Therese, "jeune femme hagarde
qu'irritaient les soins de ses vieilles parentes, d'un epoux nalfa 'Mais . 23
qU'a-t-elle donc? disaient-ils. Pourtant nous la comblons de tout'."
De mame fa<i0n la chamaillerie des parents de Louis pour beri ter ~es millions
le rend isola et malbeureux. Il vit l' enfer quotidien, et il ecrit a. son
epouse Isa, qu'il ne croit pas a. son enfer eternal. Pourtant, il sait ce
que o'est d'etre un damne sur la terre, damne de vivre dans un monde
denue d' alIk)ur. 24
A.inai les moeurs et la structure soc18les servent a. Mauriac de
lIk)yens pour enoncer les valeurs individuelles. L'homme se voit piege dans
un provinciaJ.isme etroit, une inhumanite froide, un materiaJ.isme grossier,
accentues par des fenetres closes, les landes balf\Y'ees par le vent. Voila.
le cadre ou Mauriac raconte les bistoires pleines de baine et de vengeance,
d'hypocrisie et de pharisalsme, de faiblesse de la chair et de courage
de l'esprit.
2. Le cadre physique: sa douceur
On doit considerer aussi l'autre visage de la nature. Dans son
aspect doux, la nature represente la paix et l'abri pour une Sme torturee.
La representation du foyer et de la famille ne presente pas le mame visage
23. FranQois Mauriac, Therese Desque,yroux, pp. 5-6.
24. FranQois Maur18c, Le noeud de viperes.
-63-
froid sauf dans quelques relations individuelles rares.25 La famille et
le role de la mere qui se ea.crifie s:01l.t idealiaes dana Le M,ystere Frontenac.
Peut-etre Mauriac voulait-il plaire a. ses critiques bien-pensants. Cela
sonne faux et tombe dans une certaine sensiblerie ou la reali te ne reason
pas comme elle le fait dans le cycle de Therese.
~uoique la famille ne change pas son visage froid, la nature le
fai t. L'obscurite et les tenebres qui entourent chaque personnage -
"aussi loin qu'il s'etend le regard trouve encore les noires colonnes de
ia foret,,26_ deviennent plus douces, protectrices et bienveillantes. Les
arbres qui guettaient Therese, comme des soldats obscurs donnent, par
contre, de la force a No8mie pelouyere. ~uand elle se sent tentee par le
jeune docteur, elle court a travers les brandes, jusqu'8o ce qu'epuisee,
les eouliers lourds de sable, elle embrasse "un cherie rabougri sous la bure
de ses feuilles mortes mais toutes fremiseantes d'un souffle de £e.tl.1I27 ,
Jean Pelouyere, laid et solitaire, eprouve un sentiment de paix quand il
se promene 180 ou "les arbres indulgents ~e renfermen~ sur ses solitaires . .
colloques ... 28
25. L'amour de Louis pour sa fille morte Marie, pour son neveu Luc qui est tue dans la guerre, et pour Marinette, sa belle-soeur, qui meurt aussi, sont de rares exemples d'amour. Cet amour a une vie tres courte. L'ecrivain veut, peut-etre, suggerer l'impossibilite d1un amour frais et innocent dans une ambiance de faussete.
26. Fran~ois Mauriac, La Prov ince, p. 57.
27 • Fra.n~ois Mauriac, Le Baiser au lepreux, p. 104.
28. Ibid., p. 49.
-64-
La nature que suggere souvent et approfondit l' angoisse et 1e
desespoir, refl~te ici 1a joie; l' abandon, l' espoir de 1& jeunesse et
l'innocence. ainsi, Therese et .Anne trouvent un bonheur chaste en depit , . ' de 1a chaleur et des moucbes quand elles restent muettes et a l'a1se apres
avoir marcbe lontempsa "Les pieds nus des jeunes filles devenaient
insensibles dans l'eau glaciale [dU ruisseauJ , puis, So peine secs, etaient
de nouveau brGlants ( •••• ) Rien a. se dire, aucune parole s les minutes
fuyaient de ces 10ngues bal tes innocentls sans que les jeunes filles
songea.ssent a. bouger. 4insi leur semblait-il qu'un seul geste aurait fait
fuir leur informe et cbaste bonheur.n29
Le souvenir du bonheur avant que la steril~te du mariage ne se
fasse sentir se rev81e en descriptions de couleurs vives et des fleurs
acloses : "Elle ( •••• ) ressuscite les premieres semines vecues dans la
maison fraiche et sombre de ses beau-parents. Du cote de la grand-place les
volets en sont toujours clos; mais, a. gaucbe, une grille livre aux regards
le jardin embrase d'beliotropes, de geraniums, de petunias.,,30
La rencontre avec Jean !zevedo est un moment d'accomplissement,
resplendissant des conversa.tions entre deux esprits. Le transport de
Therese est souligne par un cha.Il8ement de saisons: "C' etait 1 t epoque ou
la fraicheur de 1a nui t demeure toute 1a ma. tinee, et des la collation,
aussi chaud qu' a.i tete le solei1, un peu de brume a.nno~llce de loin le
crepuscule. Les premieres palombes passaient.,,31
29. Franc;ois Mauriac, Therese Des51ueyrOUX, p. 36.
30. Ibid., p. 63.
31. Ibid., p. 81.
-65-
Lee palombes suggerent la liberte et la delivrance qui sont
eprouvees par Therese dans aes conversations avec Jean Azevedo. Celui-ci
lui parle de son individualite, du besoin d'une experience vitale' qui eat
impossible dans les contraintes de la province, de tlvivre dangereusement
au sens profond.,,32 C 'atai t le premier homme qu' elle ait rencontre
pour qui comptait, plus que tout, la vie de l'esprit. Il faisait partie
d'une elite nombreuse, "ceux qui existent",3} et en l'ecoutant parler,
Therese est eblouie.
Cette ambivalence dans la representation de la nature evoque les
·terreura et aussi les joies de la vie, et souligne la dualita prof on de de
Mauriac lui~eme. Il a decri t courageusement les contraintes de son enfance
quand il s'enfuit du foyer, de l'ecole et de l'eglise pour trouver la paix
dans la nature:
1I,A la campagne enfin, je me retrouv8;is moi-merne ( •••• ) Assis sur un tronc de pin, au milieu d' une 1an de, dans l' etourdissement du solei1 et des cigales, ivre a la 1ettre d'etre seu1~
Le parium suave des landes et des pins excitaient une reponse voluptueuee chez 1e jeune gar<S0n ai reprime par la severite de son foyer janaeniste et l'eco1e Marianistes "les Marianistes, bienqu'ils ne fussent pas terribles, me terroriserent entre rna Cinquieme et nonieme annee. ,"}4
Ces terreurs qui creent 1e sens du pecha, 1 'holTeur de 1a chair, , " , des sorupules tree severe, e'evanouiesent au milieu des ruieeeaux, de
Ibid., p. 88.
Ibid., p. 89. -Franctoie Mauriao, Commencements d'une vie, pp. 89, 45.
-66-
1 'odeur de 1a fumee dans 1e bois, de 1a sensation de brins d'herbe sous
1e pied nu.
Mauriac avoue son amour pour 1e cote sensuel des rites , 1e
parium de l' encene et des f1eurs, les choeurs et 1'orgue retentiseante
q.u"i axci tent eOIl imagination, une imagination reprimee par l' austeri te de
1a religion provincia1e. Ses ecrits montrent una 1utte contre see deux
elements tres profonds de sa nature.
Oette analyse a tente de montrer la relation existant entre
Ie cadre dee romans de l'ecrivain et sa vie et son temperament. Nous avone
souligne les themes des romans qui emergent du cadre physique et noue avens
montre que ce cadre acoentue la valeur thematique de la fiction.
Une analyse semblable des romans de Greene revEue. de grandee
differencee. En revanche, il y a aussi un point commun tres essentie1. La
position de Greene vis..a.-vie de la relation entre l' experience individuelle
et l'expression artistique est totalement opposee a. celIe de Mauriac.
Nous avens deja. montre que Mauriac rappelle souvent sa dette envers la
province. 11 declare l' importance de cette experience provinciale dans la
formation de sa sensibilite et de sa creation artistique. La province ne
se separe ni de son oeuvre ni de sa personne. Greene, par contre, a besom
d'oublier Ie passe. Oe qu'il oublie devient "the compost of the imagination.,,35
L'experience individuel1e de Mauriac se trouve recreee dans les evenements,
35. Graham Greene, A Sort of Life, pp. 181-182.
-67-
lea personnages, et le cadre physique des romans, tandis que Greene '
utilise cette experience seulement en dernier recours. Ce n'est jamais
le motif central I "It may legitimately provide a background, and
sometimes we have to fall back on it wben the 1mag1na.tion falters. 1I36
Si Mauriac ne peut pas oublier son enfance et si la memoire devient son
inspiration principale, Greene a besom d'oublier le passe ou 11 deviant
sterile.37
Nous avons deja. examine les limites etroites, geographiques et
sociologiquee, du oadre utilise par Mauriao. Celui de Greene est immense
et s'etend de Haiti au Vietnam, de l'Angleterre a. l'4frique de l'Oueet et
au Mexique. See pereonna.ges appartiennent a. des niv~aux sooio-economiques
varies, des plus hauts echelons du gouvernement aux classes las plus basses
et mama hors la loi. n se trouve a. lIaise dans sea pays adoptifs, at
montre un don remarquable pour creer l'ambiance et les nuances sociales et
politiques. La fiction fait le pont entre les barrieres sociales,
economiquee at politiquee, et c'est la qualite qui donne a son oeuvre la
variate que nous ne pouvone pas trouver chez Mauriac. Pourtan t, quoique
les personnages de Greene n'aient pas une communaute geographique et sociala,
ils partagent 1 I experience de gens victimes de l'injustice.
Le cadre physique a un visage voile d'un nuage de tristesse et
de menace.38 Dans leur livre The Art of Graham Greene t Kenneth Allott et
36 • .!ill., pp. 181-182.
37. ~., pp. 181-182.
38. L'importance du cadre physique de Graham Greene est notee par Raymond Chapman dans Forms of Extremity in the Modem Novel, p. 82.
-68-
Miriam Farris attribuent ce fait a. son temperament marbide. Ils examinent
ce qu' ils appellent la umorbidi te" du cadre physique et des themes de
Greene et ils citent ce que dit Eliot sur 13audelaire:
II [His] morbidity. of temperament cannot, of cour se, be ignored ( •••• ) We should be misguided if we treated it as an unfortunate ailment or attempted to detach the sound from the unsound in his work. Without the morbidi ty none of his work would be possible or significant. "39
Pour faire son point ils raisonnent tout en soulignant la vision
pessimiste de Greene,
"some oonsiderable artists have influenced their fellows precisely by squinting rather than looking at reality." "This pessimistic view of life is, in the long run, simply an adult view ( •••• ) It is the intensity of the feelings amounting to nausea aroused in Greene by this outlook [optimistic healthy-mindedness] that gives it importance in relation to the novels. It is as if he had been born with an abnormally thin skin, so that the anomalies and paradoxes of existence oontinually irritate his attention."40
Nous voulons montrer que l' emploi du mot "morbidi te" dans. ce
contexte eat injuste. Oe terme eat reducteur et simplificateur par rapport
e. la personnalite de Greene. Au lieu de Itmorbidite/'on devrait dire la
IIsensibilite" - faculte qud:. suggere 1a conscience des r6aJ.ites de la vie.
Les romans de Greene revelent non pas une susceptibili te anormale mais
une evaluation realiste des situations humaines. Il avoue son desir profond:
39. Allott and·Farris, The ~rt of Graham Greene, pp. 12-11.
40. Ibid., pp. 12, 11.
-69-
lito evoke ~tby:for people outside the border of public sympathy .,,41
Cette citation met en valeur sa. conscience de 11 injustice des systemes -
qu'ils soient economiques, sociaux, religieux ou po1itiques.
Cette conscience remonte a son enfance:
IIIf a sinister atmosphere l~ in D\Y mind around the Crooked Billet, a sense of immediate danger was conveyed by the canal - the menace of insulting words from strange brutal canal workers and blackened faces like miners , with their GYPf!3 wives and ragged children at the sight of middle class children carefully dressed and shepherded. 1I 42
C I etai t un enfant de clasee bourgeoise; son pEn-e etai t directeur de
l' ecole de Berkbamsted. 11 conf esse avoir une sympa thie illicite pour ..
ses compagnons appartenant a d'autres classes soc:i.a.les. Une telle
conscience qui embrasse le proletariat ne peut pas etre le produit dl un
temperament morbide mais plutot dlune sensibilite tres grande a la realite
sociale, qu'il rend concretement a travers le cadre physique de sa fiction.
Ses critiques Allott et Farris se representent Greene comme "squinting at
reality". Nous voulons montrer que ses romans revelent non pas le
"strabisma" mais une reponse sensible et directe a la vie.
On doit lier la perception dee differences socio-economiques a une autre experience de l' enfance. Celle-ci se reflete aussi dans le
cadre physique des romans. Le foyer et l' ecole apportaient, tous deux,
41. J.W. Lambert, liThe Private World of Graham Greene", The Sund& Times, 5.;.1918.
42. Grabam Greene, 4 Sort of Life, p. 1;.
-70-
une conscience de tendresse et de cruaute, de securite et de peur, de bien
et de mals
uTwo countries just here lay side by side ( •••• ) If you pushed open a green baize door in a passage by II\Y father's study, you entered another passage deceptively similar, but none the lese you were on alien ground. There would bea slight smell of iodine from the matron's room, of damp towels from the changing rooms of ink everywhere. Shut the door behind you again and the world smelt differentl.y: books and fruit and eau-de-cologne. One was an inhabit811t of both countries ( •••• ) How can life on the border be other than restless? You are pulled by different ties of hate and love' ( •••• ) In the land of skyscrapers, of stone stairs and cracked bell s ringing early, one was aware of fem- and hate, a kind of lawlessness - appalling cruelties could be practised without a second thought; one met for the first time characters, adult and adolescent, who bore about them the genuine quality of evil ( •••• ) Hell lay about them in their infancy.u43 ,
Cet extrait revele des impressions d I enfanc e ineffaqable. Une
comparaison interessante se presente ici. Mauriac et Greene, tous deux,
se rendent compte qu'on ne peut pas separer 1e bien du mal: Tous deux
reetent l'un a cote de l'autre, ils sont oomplementaires. La seule
structure qui contient 1e foyer et l'eco1e, oontient aussi 1e bien et le
mal, et cree une dichotomie interieure;
IIOne escaped surreptitiously far an hour at a time: unknown to frontier guards, one stood on the wrong side of the border looking back - one should have been listening to Mendelssohn, but instead one heard the rabbit restlessly oropping near the croquet hoops. It was an hour of release -and also an hour of prayer. lI44
43. Graham Greene, The Lawless Roads, pp. 13-14.
44. Ibid., pp. 13-14.
-11-
. De mame que 180 pratique religieuse encbantait Mauriac par sea
ri tes mais le rebutai t par son austen. te, son experience de 180 nature
presente une ambivalence qui reflete l~etat de ses dispositions interieuress
ilLes deux gar<tons dresses l'un contre l'autre, ce Bob Lage.ve et le pieux
fils Gornac 80nt ege-lement tires de rna propre substance et incarnent rna
profonde contradiction.n45
Le lien entre les perceptions de l' enfance et le cadre physique
de le. fiction peut s' etablir a. travers les termes utilises par Greene dans
les extraits que nous avons deja cites. Sa conscience de l'inquietUde, de
1e. peur, de 180 haine et du desordre s'exprime dana 1'evocation du c1imat
et de 1'environnement. La trame tbematique de 180 fiction est complexe.
Des codes sociaux, economiques, poli tiques et religieux sont examines,
parfois simul tanement. Les contours physiques de 180 fiction sont puissants
et correspondent a. l' exploration des valeurs.
Certains critiques veulant montrer 180 mesquiner1e et 1e cote
minable-physique et spirituel - du cadre greenien. Cet aspect n'amoindrit
pas le merite artistique des romans: misere d~ cadre physique eat 1e. pour
suggerer 180 ma1adie morale et 180 mort. La narration vivement particularis~ ~
cree un univers de deeastre, d'ordure, qui est sale, immonde, cruel - et
qui exhibe 1 'atmosphere de notre epoque: " (its) olimate for meanness,
malice, eno bbery .,,46
45. FranQois Mauriac, Oeuvres Completes, Vol. I, p. iv.
46. Graham Greene, Tbe Heart of tbe Matter, p. 28.
-72-
Ainsi les concepts abstrai ts du bien et du mal trouvent leur ... . concrete representation dans l' homologieL des relations ordinaires quotidiennes,
et d'un environnement banal. Ces eI.ements sont choisis avec soin, et
leurs details mi.na.bles sont organises de fa~on a. evoquer le theme du mal
social at du mal metaphysique. L'enier de la vie est present dans les
elements concrets de la chaleur et de la poussiere, des mouches tse-tse
et de la malaria, des nuits pluvieuses et des marecages. Oe ne sont pas
les produits d'une i~ation morbide, maie au contraire l' expression de
l' engagement intense de Greene pour la cau se de l' homme, et de sa remise
en questwn des valeurs individuelles attaqueea pa.r un mal d'ortgine . bumaine. Simultanement, ce cadre physique met en valeur lea verites
metaphys1ques.
Le cadre exterieur fait d'immondioes de d~adation et de
violence, d'un oiel impitoyable, et des regards ~ts des vautours', .. # .. d'une atmosphere de desolation, d'une atmosphere de terreur et de
ooncupiscenoe, devient plus poignant enoore par le fait que les
persoIUlBges sont sans foyer. Greene et Mauriao traitent le tbeme du
foyer et de la maiaon de f~on differente. Les ma.1sons provinciales en
Franoe oonstituent une institution en elles-memes eternelle, bien-
organisee, methodique, r8glee par une tradition rigida, sans auoun
ohangement, ineIuotable. La maison represente ainsi 1 'isolement physique
de l'bomme. Elle protege pbysiquement en meme temps qu'elle detruit
epirituellement.
-73-
En revanche, 1es personnages de Greene vivent dans des maisons
dont 1e caractere predominant est leur impermanence et leur manque total
de tradition. Pour raisons professionne11es, Scobie, 1e Commissaire
de Police, Ml. Pineda, l'ambassadeur, et Fowler, 1e jouma1iste, changent
de residence aussi souvent que de travail. L'incertitude a. Londres
pendant 1a guerre baigne le foyer de Sarah; ce1ui de Martha ref1ete un
etat d'equi1ibre incertain, le pare Rivas rejette son foyer et son heritage
bourgeois; ~erry parei11ement, tente d'echapper a. son succeset aux
va1eurs materiel1es de sa. societe. D'autres n'ont aucune racine.L'hotelier
BrOYffi, par exemp1e, dont les affaires sont detruites par 1e.. regne de terreur
en Hait~, ret'lechit a. son alienation totale,
"There are those who belong by their birth inextricably to a country, who even wben th~ leave feel the tie. And there are those who belong to a province, a county, a village, but I could feel no link at all with the hWldred or so square kilometres around the gardens and boulevards of Monte Carlo, a city of transients ( •••• ) transcience was II\Y pigmentation, II\Y roots would never go deep enough anywhere to make me a. 'home or make me secure with love.n47
Le docteur P1a.rr, un autre solitaire, n'a pas de famille, sauf
une mere a. qui U rend visite rarement. Vivant en exil, son metier de
medecin donne un sens a sa vie. En dBpit de ce1a,son existence sans aucune
tradition '": ni liens, ressemb1e a une mort spirituelle - i1 est arrive
au bout de 1ui-mame. I1 est jaloux de son pare qui est mort dans des
1uttes po1i tiques: nIt seemed to him that he was already his father's
age, tha.t he had spent as long in prison as his fa.ther had, and that it
47. Graham Greene, The Comedians, PP. 242-243.
-14-
. 48 was his father who bad escaped.
Clest l'injustice sociale qui rend dlautres personnages sans
gite. Un exemple remarquable de cette eapece de rea-lite se trouve dans
le cadre socio..economique de Brighton Rock. Pinkie et Rose tentent
d'echapper a leur foyer, ce quartier laid de Paradise Piece "with its
flapping gutters, and glassless windows, an iron bedstead rusting in a
front garden, the smashed and wasted ground in front where houses had been
pulled down for IOOdel flats which had never gone UPe,,49 Pareillement,
M. Prewitt, avocat d'une probite douteuse, habite une maison "shaken by
shunting enginesJ the soot settled continuously on the glass and
brassplate ( •••• ) there was nothing ~here to keep out sounde,,50
.{\ un cadre laid correspondent des personnages laids - les femmes
avec des visages' durs et amer;, des pares brutaux, des enfants victimes
innocentes de ces situations, la pSle mere d'Andrew, qui aimait les fleurs,
et qui a ete detruite par le paree Celui est "unwieldy (e ••• ) clumsy,
bearded, but with a quick, c~ing brain and small eyes.,,51 Il n'y a pas
de beautel! pas d'amour, pas de chaleur, et pas de confiance.
La commissaire de police Scobie se fait un foyer de son bureau,
un lieu tres aust~e, sa creation et son refuge: "1\ table two kitchen
48. Graham Greene, The Honorary Consul, p. 312.
49. Graham Greene, Brighton Rock, p. 118.
50. ~., pp. 211, 219.
51. Graham Greene, The Man Within, p. 14.
-75-
chairs, a cupboard, some rusty handcuffs hanging on a nail like an old
hat, a fUing cabinet; to a stranger it would have appeared a bare
uncomfortable room but to Scobie it was home.,,52 Mais i1 ne peut pas
plus echapper a. sa femme qu ' aux menottes accrochees au mur de son bureau.
Le danger que constituent ses vi sites clandestines a Yusef dont
"1 'affection" est insidieuse, est suggere par la description de la maison
de celui-cis "hideous mauve silk cushions, the threads showing where the
damp was rotting the coverss the tangerine curtains ( •••• ) they had an
eternal air like the furnishing of Hell.,,53 Enfin voici M. Tench, isole
dans l'abandon du Mexique pendant la revolution. Le pretre fugitif ne
se rapelle pas avoir jamais eu de foyer. "Un foyer" c' etait "a phrase one
used to mean four walls behind which one slept. There had never been a
home ( •••• ) Home l~ like a picture postcard on a pile of other
postcards I shuffle the pack and you had Nottingham, a Metroland birthplace,
an interlude in Southend.,,54
Le theme de l'isolement, de la fragilite de l'individu dans
une situation brutale, hostile et mauvaise est suggeree par les procedes
que noua avona examines ci-dessua. Le cadre sert de contrepoint aux
themes principaIq. La vie apparait comme "an unpredictable ambush.,,55
52. Graham Greene, The Heart of the Matter, pp. 6-7.
53. ~., p. 115.
54. Graham Greene, The Power and the GlOry, p. 1.
55. Graham Greene, The Human Factor, p. 61.
-16-
Maurice Castle qui aime son epouse et se trouve assez heureux chez lui,
sent 9.utu faut "se conformer" afin dteviter des soupQons qui peuvent
detruire son foyer. Sa vie professionnelle envabit la paix de sa vie
familiale et neceesi te des cachotteries et des subterfuges; IIchilling
long silences. He envied men who Vlere free to come bome and talk the
gossip of an ordinary office.1I56
L' allusion So 1 t experience des "frontieres" de scm enfance
introduit un autre theme important. " . Les frontieres suggerent des pays,
qui a. leur tour suggerent une appartenance. Ce procede ingenieux permet a. Itauteur d'explorer les divisions de l'esprit en meme temps qutil presente
les frontieres et les limites du cadre pbysique. Enfant, la routine ,
quotidienne de Greene Ie. faisai t passer de la chaleur du foyer a
l'isolement de Itecolet
"a savage country of strange custon:e and inexplicable cruelties ( •••• ) a country in Whicb I was a foreigner and a suspect, quite literally a hunted creature, lmown to have dubious associates. Was TI13 fatber not the headmaster? I was like the son of a. quisling in a country under occupation ( •••• ) I was surrounded by the forces of the resistance, and yet I couldn t t join them without betraying TI13 father, and Il\Y brother.51
Cette prise de conSCience, tout au commencement de sa vie, de
le. nature et de l'ineluctabilite de la trahison aide Itauteur So faire
passer de nombreux messages. On verra dans les cbapitres suivants que
56. ~., p. 61.
51 ~ Graham Greene, 1\ Sort of Life, p. 12.
-77-
les categories de valeurs sont juxtaposees pour montrer le caractere equivoque
des choix. Le selll. chou univoque serai t celui qui affirme la preeminence
de l'homme. Pour Greene, l'homme est tiraille entre deux va1eurs. La
frontiere concrete est souvent representee comme une frontiere politique
qui doit etre traversee, comme le font Jones, Brown, Castle et le pretre
de whisky. Tous tentent de s' evader. La securite physique est souvent
un moyen de representer la liberta intellectuelle, et parfois, la paix
suivant une croissance spirituelle. Amsi, Wormold qui n'a aucune valeur
politique et devient agent secret pour des raisons mercenaires,(pas par
amour de l' argen t, ma.i.s amour d' un etre humin), se trouve a. 1a frontiere
de son code personnel, quand il decide de tuer l' homme qui menace sa
propre seourite et celle de ceux qu'il aime. n attend, en penaant a.. son
action future, pendant que sa fille et la femme qu'il aime bavardent,
~souciantee, l' autre cote du mur:
"He stood on the frontier of violenoe, a strange land he had never visited before; he had his passport in his hand. 'Profession: SpY'. 'Characteristic features: Friendlessness'. 'Purpose of Visit: Murder'. No visa was required. His papers were in order. ~d on this side of the border he heard the voices talking in the language he mew." 58
Cette analyse, de caractere general montre la fonction centrale
du cadre physique chez Greene et Mauriac. Nous avons decrit les lignes
de force selon lesquellea s'ordonnent leurs cadres respectifs. Les
personnages et leurs situations s' opposent en tout. Rien de commun,
58. Graham Greene, Our Man in Havana, p. 184.
-76-
apparemment, entre les proprietes prov:inciales de France, separees par
d'immenses mur impenetrables, et 1 t odeur "of the zoo of sawdust, excrement
and ammonia. II 59 Mais tous deux ont ltode~ du mal humin, de l'injustice
et du manque de liberte. Les personnages de Mauriac sont physiquement
i801es, des kilometres infinis de landes et des forets immenses creent un
cliuat de desolation. Cette ambiapce, chez Greene, s' exprime par la
sterilite des foules de la ville, la laideur et les luttes politiques, les
differences economiques. On doit noter ici que la province de Ma.uriac ne
s'ouvre jamais a des questions larges et plus importantes, concernant la , . vie politique, sociale et econom1que.
close sur elle-mame.
silencieuse, dess'chante, La vie provinciale est etroiteLet
Nous trouvons un point commun entre les deux ecrivains dans
certains themes qui forment une espece de leitmotif dans leur creations.
Le theme prinCipal, est, sans doute, celui de la condition individuelle de
1 'homme, pris au piege dans quelques situations. Dans le cadre physique
de Mauriac, ce piege prend la forme de limitations imposees par la famille
et la vie provinciale, appuyees sur une tradition rigide. La fiction de
Greene donne une dimension plus dramatique a ce pi~e en lui donnant pour ·de la societe contemporaine, condition
cadre la depression economique, la repression politique et les conditions L qui tuent la personnali te de l' individu.
Ainsi, le cadre physique devient un symbole. Bien qu'on ne
puisse l'appeler le "objective correlative" de T.S. Eliot, nos ecrivains
59. Graham Greene, The Heart of the Matter, p. 16.
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utilisent oe cadre pour montrer, avec une intensite presque poetique,
1e "rift in the lute", 1e rythme discordant dans cbaque variation sur 1e
theme de l'individu. Des institutions sociales te11es 1a famil1e et 1e . ~ .
mariage, l'e4rience de l'enfance et de 1a maternite, constituent un code \
dont 1a signification et 1a valeur detruisent l' etre en soi. 4insi des
images de 1a vie en co11ectivite s'opposent aux images d'une vie indiv1due11e
et subjective. Chez Therese, par exemp1e, ces images prennent 1a forme de
raves enivrants de Paris, de conversations intel1ectuel1es, de la compagnie
des 1ivres, du gout de 1a 1iberte (s1 contestable soit l'objet de cette
aspiration) a autant de moyens d'echapper a 1a oollect1v1te de 1a vie
provinoiale. Le cadre physique s'organise toujours pour souligner 1e
theme.
Les romans de Greene s nous decouvrent une organisation semb1ab1e
mais presentant plus de variate que chez Mauriac. ~elques romans refletent
les contraintes de 1a vie fami1iale - (Pinkie et Rose veulent tou's deux
echapper aux souvenirs apres de l' enfance, chacun de sa propre maniere).
Greene presente les contrBintes des institutions religieuses, 8Oc1&les et
po1itiques, de f~on plus nette.
Le cadre physique de£init d'autres themes aussi. La recherche
de l'in'dividu PO\.U' sa propre verite se reveJ.e comme un mouvement du niveau
sentimental au niveau spirituel. Ce theme est central aux textes que nous
etudierons. Greene avoue que ce theme 1 'a toujours preoccupe dans la
citation suivante de Newman qui sert d' epigraphe a. The Lawless Roads.
en temoigne~
-80-
lithe greatness and the littleness of man, his far-reaching aims, his short duration, the curtain hung over his futurity, the disappointments of life, the defeat of good, the success of evil, physical pain, mental anguish, the prevalence and intensity of sin the pervading idolatries ( •••• ) - all this is a vision to dizzy and appal; and inflicts upon the mind the sense of a profound II\Ystery which is absolut ely beyond human solution."
# 60 Mauriac avoue, lui aussi, son affinite avec Newman. Il note
que sa fiction inclut des questions pareilles, questions qui incorporent
des valeurs religieux:
liLa vie religieuse ne bride pas, elle eatisfait, au oontra.ire l'exigence poetique, non comme un conte de fees qui serait vrai, !Dais comme une via;on coherente de l'~tre, tout en laiseant assez d'incertitude, aseez de II\Ystere et d'ombre pour entretenir cette inquietude sans laquelle l'art n'existerai pas, si, comme je Ie crois, toute oeuvre est une tentative de reponse au 'que sommes-nous? d lOU venons...noue? ou allons...noua? (GalJ8Uin) .,,61
Noue avone euivi dana Ie chapitre II l'evolution de Is.
sensibilite religieuse dee deux auteurs. Cette senaibilite se revele
dans leur exploration des idees abstraites comme Ie mal, le bien, le
pecha,et la redemption a travers un cadre physique, ayant lui.:meme des
prolongements psychologiques et dra.ma.tiques t qui conretise ces idees.
Ce cadre, a.insi, depasse les bornes physiques et porte en lui les etats
d'ama et de oonscience dee personnages.
60. liMa sensibili te religieuee s'accorde a la sienne." (de Newman), FranQoi a Mauriac, M9moires Interieures, p. 138.
61. Ibid., p. 25.
-81-
liLa vie est un champ de bataille. La gaite superficielle des cafes, les jeux abstraits des intellectuels, Ie tribunal avec ses murs carreles comme des toilettes, lee odeurs des cuisines tandaises, les immensi tee aridee et lee vallees riantes : toue ces eIements ont pour fonction structurale '" ,,, de creer 1 'atmosphere, et de souligner lee differents themes en leur eervant de ·contrepoint. Le cadre physique fait . ressortir 1 'ambiguite metaphysique; et la tension exterieure proj ette tour a. tour lumiere et ombre sur le theme de la vie dans un desert ·d'8JlX)ur." .