A La Limite Auto Organisation en Grece

Embed Size (px)

DESCRIPTION

« Et je lui répond / Daisy le moment est / extrêmement lourd de conséquences / nous travaillions et nous nous débrouillions / avec des nouveaux billets de banque / et alors nous réalisions que / c'est nous qui fabriquons / les nouveaux billets de banque / alors nous les mangeons / alors nous les chions / et alors nous disons que / nous avons des tonnes de fric... »

Citation preview

  • LA LIMITE: AUTO-ORGANISATION EN GRCE Par Anna O'Lory, 27 Fvrier 2013

    http://www.metamute.org/editorial/articles/limit-self-organisation-greece

    Et je lui rpond / Daisy le moment est / extrmement lourd de consquences / nous travaillions et nous nous dbrouillions / avec des nouveaux billets de banque / et alors nous ralisions que / c'est nous qui fabriquons / les nouveaux billets de banque / alors nous les mangeons / alors nous les chions / et alors nous disons que / nous avons des tonnes de fric... , graffiti, Exarchia, Athnes, Paroles tirs de Lego de Lena Platonos, annes 80

    En Grce, une rsurgence d'auto-organisation dans des conditions de crise se dessine sur un rpertoire d'alternatives existantes. Anna O'Lory - membre du groupe et journal Blaumachen - dcrit les caractristiques centrales de ces initiatives et expose leurs limites intgrantes.

  • Le rcent film d'Anja Kirschner et de David Panos, Substance ultime, influenc par l'oeuvre d'Alfred Sohn-Rethel, fait le lien entre l'argent en tant qu'quivalent universel et les diffrentes formes de penses et d'organisation sociales : la quantification de l'activit par le biais d'un quivalent abstrait correspond l'abstraction dans la pense et la quantification scientifique. Pour nous, la consquence importante de cela est que non seulement l'exploitation, mais l'imposition de la comptabilit sur la vie sociale est elle-mme dnature. L'argent n'est pas critiqu parce qu'il ne correspond pas la valeur d'une manire assez prcise. Il est critiqu prcisment pour tre ce qu'il est : un quivalent universel qui mdiatise les changes et, en mme temps, une forme de valeur.

    En Grce, aujourd'hui, alors que l'tat se dsengage de la reproduction de la force de travail sous la forme du welfare (aides sociales inconditionnelles), en le remplaant par le workfare (allocations conditionnelles) et le maintien de l'ordre, tandis que les capitaux, petits et grands, sont forcs de se retirer de l'investissement et de la production et de jeter une grande partie de la population hors du contrat de travail vers le travail informel / prcaire et le chmage, il y a une rsurgence de l'auto-organisation de l'activit ainsi que de l'intrt porte sur elle, notamment de la part de l'tat. Cette activit d'auto-organisation est une rponse directe l'limination des sources antrieures de la reproduction (salaires, retraites, scurit sociale), se prsentant comme une ncessit. Non seulement cette auto-organisation est symptomatique de la crise, mais elle se rpand elle-mme au travers elle. Le but ici est d'exposer quelques rflexions sur ces activits, non pas du point de vue de savoir si ces activits sont bien ou mal, ou si les gens devraient faire autre chose, mais en termes de types de limites ou de contradictions auxquelles ils sont confronts. Argent, change de marchandises, valeur et travail abstrait seront d'une importance centrale dans le dbat.

    L'change des marchandises est prcisment ce qui constitue des initiatives d'conomie alternative pour les rseaux de devises alternatives ou banques de temps, dont le nombre augmente rapidement dans la crise. L'ide derrire ces rgimes est, d'une part, de crer de l'activit conomique o il y a en peu et, d'autre part, de crer des communauts et des relations de solidarit entre les habitants d'une rgion. Une monnaie locale, qu'elle soit bas sur le temps ou non, limite les options, et protge ses membres contre la concurrence extrieure. Il pourrait tre considr comme une forme de micro-protectionnisme. En outre, il s'efforce de former une communaut parmi ses membres. Ces deux aspects de ces initiatives sont troitement lis entre eux et leurs contradictions prfigurent les futures tensions au sein de cette interrelation.

    Relations d'change simple entre des membres signifie que nous parlons de la production domicile, en fonction de l'ensemble de l'conomie alentour, pntre par la crise. D'autre part, une communaut base sur l'change simple, la fois dans les modes de production passs et d'aujourd'hui, forme ncessairement des liens d'interdpendance autour de la proprit locale, plutt que des relations volontaires entre les individus. C'est une question ouverte de savoir si la recration de ces communauts interdpendantes aujourd'hui pourrait conduire galement la cration de communauts de lutte, qui ne reposerait pas sur la question de l'identit locale et de la proprit locale, entrant en conflit avec celles

  • qui lui sont extrieures.

    Sur ces micro-marchs, nous avons dj un quivalent gnral qui mesure la valeur d'change, que ce soit de l'argent alternatif ou du temps, ainsi que de la production pour le march, ce qui signifie que le travail-marchandise est dj galis au travers de l'change, donc l'abstrait par le concret, qualits spcifiques. Les banques du temps, cependant, motiv par une notion d'galit, utilisent le temps de travail concret en tant que mesure de la richesse, en ignorant les variations de la productivit, de l'intensit et de la complexit du travail. La coexistence de ces variations, cependant, devront tre ngocies pour que ce principe d'galit soit valide. Une prquation de travaux diffrents sur le march a besoin de sa forme adquate. Cette ngociation peut conduire soit ce que la monnaie-temps devienne de l'argent rel, c'est dire qu'elle n'est pas dpendante du temps de travail concret, soit une ncessit d'un contrle strict et constant sur les qualits et types de travaux changs qui pourraient empcher l'expansion du micro-march. La banque du temps ne peut pas se dvelopper sans l'introduction de la forme argent, et il ne peut pas viter d'introduire de l'argent sans se rtracter. S'il ne se dveloppe pas, sa diffrence par rapport l'conomie gnrale tendrait disparatre.

    Le point de vue pour lequel les conomies alternatives sont quelque chose de plus que des tentatives de survie dans la crise et qui cherche des moments de rsistance dans ce qu'elles sont et non pas dans leur dpassement de soi, considre l'argent en tant que domination pure, ou comme un simple symbole, en lieu et place de ce dont il s'agit : un quivalent abstrait, une fonction, le mdia minimal pour l'change. L'change des marchandises ncessite de l'argent, elle n'est pas domine par celui-ci. L'change, le travail abstrait, la division du travail, sont autant de conditions pralables la production de valeur, en d'autres termes, le capitalisme. Ce ne sont pas d' authentiques relations qui se trouvent tre appropries par les capitalistes. Les rapports sociaux capitalistes ne sont pas moins capitalistes lorsque l'argent est remplac par autre chose. Et l'abolition de l'argent en tant que mdiateur des rapports de production ne peut pas avoir lieu sans l'abolition de toutes les autres mdiations qui soutiennent et sont soutenus par l'argent, par l'ensemble de la socit et pas seulement au niveau local.

    Les projets sociaux qui promulguent les dons gratuits doivent faire face de telles limites dans leur tentative de fournir des services sociaux desquels l'tat s'est retir. Ces projets sont la fois un symptme de, et tout aussi essentiel pour, la survie dans la crise. Elles vont des cuisines qui distribuent la nourriture aux sans-abri, des changes de vtements, des piceries sociales (magasins vendant des produits moindre cot qui ont t donns), les crches et les leons gratuites pour les enfants, organises autant par des groupes politiques que de faon plus spontane. La sant en est un bon exemple, car il y a quelques centres mdicaux auto-organiss dans les villes travers le pays. Ces centres sont grs par des professionnels de la sant qui offrent leurs services gratuitement, et tout l'espace, le matriel et les mdicaments sont donns. Ils font partie de la lutte des travailleurs de la sant et du combat pour les soins de sant universels et gratuits, tentant en pratique sa dmarchandisation. Leur contradiction, cependant, devient particulirement vidente lorsque l'exigence d'autonomie (avec l'autogestion comme ligne

  • d'horizon) apparat galement dans ces projets. Les centres de sant solidaires cotent chers, et le temps viendra o les dons des camarades ne seront pas suffisants. Ensuite, le problme de l'autonomie est clair : soit accepter le financement venant d'organisations, d'ONG ou de l'tat, ou bien il sera impossible de continuer. Pendant qu'est dmantel le service publique de sant, le fait de refuser l'aide de ces organismes pour un mouvement revendiquant son autonomie semblera faire preuve d' insensibilit face une demande accrue de la part d'une population exclue des soins publiques et donc par rapport un besoin croissant de moyens.

    Image: Et je lui ai rpondu / Daisy le moment est / extrmement coteux / nous avons travaill et fait faire / avec de nouveaux billets / puis nous avons ralis que / c'est nous qui faisons / les nouveaux billets / puis on les mange / nous leur merde / et alors nous disons que / nous avons shitloads de l'argent ... , Graffiti, Exarchia, Athnes. Paroles tires de Lego par Lena Platonos, 1980

    En dpit de ces problmes largement reconnus, ce que les participants considrent comme un espoir dans leurs tentatives, est la construction d'une subjectivit de solidarit qu'ils relient directement l'auto-organisation des travailleurs. La limite, ici, pourtant, n'est pas dans le sujet, mais dans la possibilit de la pratique elle-mme. Le sens de leur action ne dpend pas de l'acte lui-mme, et ce n'est pas une affaire de subjectivit, mais tout dpend du contexte. Les dons dsintresss, directs, quoique ncessaires, ne peuvent pas faire en sorte que les soins de sant soient systmatiquement mdiatiss par l'argent. Pendant ce temps, la coexistence de travailleurs de la sant non rmunrs aux cts de cliniques prives et d'un service de la sant publique en diminution signifie l'exploitation de ces travailleurs un niveau social gnral. Peut-tre que par ailleurs, dans une situation plus gnrale de rupture englobant l'ensemble de la socit, dans un conflit global contre la classe capitaliste et l'tat, o les mdiations de l'argent et de l'change seraient remis en question, ces organisations pourraient acqurir une signification diffrente ou dynamique . L encore, de nouvelles limites pourraient merger - par exemple la question des relations de pouvoir entre le mdecin et le patient et la division du travail, qui prsupposent toutes deux des rapports sociaux capitalistes.

    Cependant, la gnralisation et la convergence de ces ruptures n'est pas la mme chose que la propagation des espaces autonomes, ou la multiplication et l'largissement de ce qu'on appelle souvent les communs . La raison en est que la forme d'organisation autonome est toujours une communaut dont les membres ont des intrts communs et une proprit commune. La proprit n'est pas abolie, mais l'appartenance se fait plutt par rapport une communaut. Ce qu'il y a l'intrieur est toujours dfini par son environnement et ses frontires. D'une part, une communaut autonome fait face tous les risques de localisme, mme de nationalisme, de l'autre, ses dlimitations contre le capitalisme sont loin d'tre infaillibles. Le capitalisme n'est non seulement pas activement opposs ou en rupture par rapport aux communauts de partage, mais il est une condition de l'existence de ces communauts autonomes, qui sont invitablement tributaires de la production capitaliste de marchandises et d'change pour leur survie (sauf

  • dans le cas de communes primitivistes). Le partage n'a aucune signification intrinsque indpendamment de ce qui est partag et sous quelles conditions cela est partag. Il pourrait se soustraire l'argent un niveau individuel, mais il n'est pas intrinsquement contre lui - il peut galement tre le dnouement d'un courant de sympathie ou le principe de la production capitaliste.

    Ces contradictions de la communaut et la proprit sont plus vidents dans des projets visant librer l'espace public, notamment Athnes. Si un parc occup plant avec amour, destin tre un havre d'activit de solidarit collective au milieu de la jungle urbaine, est tout autant un espace public que n'importe quel autre dans la ville, il sera invitablement un lieu o se concentreront les mmes contradictions sociales. Il s'ensuit qu'il y a peu d'options pour maintenir ce que les organisateurs d'un tel parc voient comme tant son intgrit, au-del de surveiller cet espace restreint. En effet, certains de ceux qui veulent dfendre ces espaces en surveillent l'accs pour les cams et les dealers de drogues - en gnral des immigrs - et les affrontements de rue entre ceux qui dfendent ces espaces et ceux qui cherchent en abuser ne sont pas rare.

    Le discours d'autonomie qui sous-tend bon nombre de ces initiatives considre l'auto-gestion de la production que son but ultime. Alors que les tentatives d'autogestion ne sont pas couramment si nombreuses, elles sont de nouveau en augmentation, - et de faon importante - comme un symptme de la crise et des efforts pour viter le chmage. Ces projets sont, encore une fois, plus dpendants des vicissitudes du march que des dcisions de leurs membres. Pour rester comptitifs, les travailleurs travaillent trs souvent et volontairement plus longtemps et plus dur, parfois sans tre pays, se considrant la fois comme travailleurs et propritaires de l'entreprise, tandis que, quand il y a surplus, ils le rinvestissent dans de nouvelles entreprises autogres. La relation entre le travail et le capital est toujours l, sans tre personnalis au travers du capitaliste et du travailleur, mais existant toujours au sein du mme sujet. Ainsi, malgr le fait que ces entreprises ne sont pas diriges subjectivement par la motivation l'accumulation, elles continuent de fonctionner comme des entreprises capitalistes et sont obliges de faire face la question de l'auto-exploitation.

    Le point de vue d'une telle pratique, la raison qui font que ses participants la voient comme un projet politique, tout en prenant soin bien souvent de reconnatre ses imperfections , c'est qu'il pointe vers un idal de socit de travailleurs-producteurs autonomes et auto-organiss, o les marchandises et surplus sont rpartis quitablement et o la planification collective prend la place de la concurrence capitaliste. Ce point de vue, le point de vue de l'autonomie, suppose que la dfinition de la classe ouvrire n'est pas en relation avec le capital, mais est inhrente elle-mme, que la socit des travailleurs peut exister sans la reproduction des rapports sociaux capitalistes, ou que la poursuite de la production de la valeur, de la comptabilit, de l'astreinte une galisation abstraite de la quantification des activits, n'a rien voir avec le capitalisme. Il formalise essentiellement ce que nous sommes dans notre socit actuelle comme la base pour une nouvelle socit, qui doit tre labore en tant que libration de ce que nous sommes - la libration du travailleur en tant que travailleur.

  • Nous ne pouvons pas considrer l'autogestion dans un vide historique. Aujourd'hui, l'auto-organisation n'est pas un triomphe, mais un dernier recours, considr comme une solution face au chmage. Les organisations de base, aujourd'hui, qu'il s'agisse de d'organisations sur la base de l'identit ouvrire, ou sur celle de la dmocratie ou de l'autonomie, ou des trois, font face la limite impose par le statut du rapport de classe. Elles ne peuvent tre une partie de l'unit de la classe, en raison de la segmentation de la classe qui est encore aggrave par la prcarit et le chmage dans la crise et la restructuration conomique. Nous voyons que la capacit mme du proltariat trouver dans son rapport au capital la base pour se constituer comme classe autonome au sein d'un mouvement ouvrier puissant a pratiquement disparu. C'est prcisment pour cela que l'autogestion est aujourd'hui un dernier recours, plutt qu'un projet rvolutionnaire. L'autonomie et l'auto-organisation ont reprsent un moment historique de l'histoire de la lutte des classes et non pas des modalits formelles d'action. Leur dclin n'est pas le recul de la lutte des classes, mais le dclin d'une tape historique de cette lutte des classes. Aujourd'hui, la lutte n'est pas mene sur la base de l'unit de la classe, mais la contradiction entre les classes se joue elle-mme au sein des luttes sociales.

    La bataille contre l'auto-organisation elle-mme peut merger au sein de batailles au nom d'une meilleure auto-organisation, et trouver ainsi ses propres limites, se contredire. La bataille par rapport l'tat ou la cooptation d'entreprise et la lgalisation, la dfense par des lments plus combatifs par rapport aux squats devenant des coopratives sociales , et la rbellion par rapport au contrle gestionnaire dans les coopratives, se rsument toutes la contradiction entre, d'une part, la subjectivit et l'inter-individualit prsents comme les moments les plus positifs de l'auto-organisation, et d'autre part, la sparation du travail comme une activit distincte : la production de valeur, la division entre la production et la reproduction, et l'autonomisation des conditions de production en tant qu'conomie. Dans ces batailles, si jamais elles devaient se gnraliser, la perspective de la rvolution pourrait commencer s'loigner d'une affirmation de la classe et se diriger vers une auto-reconnaissance en tant que catgorie du mode de production capitaliste. Et c'est une dynamique de rupture et non de prennit et de croissance de la sphre d'auto-organisation. Il prfigure l'auto-dpassement du sujet qui trouvait auparavant dans sa situation la capacit s'auto-organiser.

    Cette rupture et sa gnralisation, cependant, ne se fait pas sans organisation, sans une confrontation ds le dpart contre la classe capitaliste et l'tat sur une plus grande chelle. Elle prend la forme de l'organisation lorsque les proltaires prennent en charge diverses tches ncessaires au dveloppement de leur lutte : blocage des routes, mise sac de postes de police, blocage de l'approvisionnement des forces de l'ordre, saisie des produits essentiels ... et ainsi de suite. La question ici n'est pas celle de la spontanit par rapport l'organisation, mais de l'expropriation par rapport l'appropriation et la gestion de ce qui existe dans la construction d'une nouvelle conomie. Organisation peut tre autre chose que la formalisation d'un sujet prcdent, de ce que les proltaires sont dans la socit actuelle, comme base pour une nouvelle socit et une nouvelle conomie. Et une telle organisation mergerait non pas d'une dcision volontaire, mais par les ncessits de la lutte contre la classe adverse, travers lesquelles la situation des

  • proltaires peut devenir quelque chose non pas organiser, dfendre et librer, mais quelque chose abolir.

    Anna O'Lory est membre de Blaumachen, http://www.blaumachen.gr , un groupe communiste fonde principalement Thessalonique, en Grce, qui produit un journal du mme nom et qui contribue la SIC - Journal International pour la Communisation - http://sic.communisation.net/en/start

    Infos Ce texte a t crit avec des contributions d'autres membres de Blaumachen et prsent lors de la manifestation L'argent dans l'tat de crise : l'exemple de la Grce , un dbat organis dans le cadre de la clture de l'exposition La Substance Ultime, par Anja Kirschner et David Panos, chez Neue Berliner Kunstverein 27 Janvier 2013

    la limite: AUTO-ORGANISATION EN GRCE