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  • A la mmoire de Francis Pagnon

    fvrier 2015 par Les Amis de Nmsis

    Notre intention tait initialement de complter larticle consacr par un tiers Francis Pagnon sur lencyclopdie Wikipdia. Cet article avait manifestement t rdig par une personne ayant lu et apprci En voquant Wagner, mais qui ne connaissait pas la vie de son auteur.

    Comme Wikipdia, de faon gnrale, naccepte pas dinformations de premire main, non confirmes par des sources institutionnelles ou acadmiques, et a donc refus notre contribution, et comme aussi nous ne voulons pas laisser pour autant condamner loubli les donnes biographiques dont nous disposons, voici donc publi sur notre site le projet initialement destin Wikipdia, qui reprend par ailleurs les lments qui y figuraient dj (notamment un rsum et une apprciation dEn voquant Wagner qui nous paraissent trs pertinents).

    Francis Pagnon

    Francis Pagnon, du fait dtre proche de la critique situationniste, naurait jamais accept dtre dsign comme musicologue, philosophe ou une quelconque autre forme de spcialiste. On peut dire de lui quil fut un marginal, un autodidacte, un rvolutionnaire franais dont lattention tait concentre sur les luttes sociales de son temps.

    Biographie

    Francis Pagnon est n dans le territoire de Belfort dans une famille ouvrire, pauvre et violente. Ayant tt rompu avec elle, il ne renia jamais, pour autant, son origine sociale. Cest en autodidacte quil acquit une vaste culture (il fut polyglotte, fru de philosophie, musicien) mais ne concevait pas dautre usage de cette culture que critique et rvolutionnaire. Evitant toute forme dintgration sociale, il seffora toute sa vie damener ses relations partager cette orientation et neut pour horizon que celui dun renversement de lordre capitaliste (comme en tmoigne la Lettre de Francis Pagnon, 09.09.1988 adresse Jean-Pierre Baudet depuis le village thalandais proche de la frontire birmane o Pagnon vcut pendant quelques temps).

    Sur le plan musical, et en dpit dune scolarit vite interrompue, Pagnon se forma en harmonie et en analyse musicale (avec Narcs Bonnet, qui lui reconnut en rel talent dans ce domaine). Il apprit pendant quatre ans jouer du piano, composa des chansons, mais sa passion prdominante portait sur luvre de Richard Wagner. Pagnon considrait quon trouvait, en particulier dans la Ttralogie, lhritage du pass rvolutionnaire de Wagner, qui fut proche de Bakounine, et nacceptait pas le rejet dont Wagner fait lobjet en raison de lantismitisme et du pangermanisme dont on laccusait sous prtexte que les nazis staient empars de sa musique.

    Pagnon vcut de faon prcaire Londres (o il stait enfui avant davoir atteint sa majorit, et do il fut expuls aprs lexpiration de son visa) et, plus tard en Allemagne, Cologne. En France, il vcut Tours et dans le dix-huitime arrondissement parisien.

    Refusant toute activit professionnelle pouvant tre considre comme bourgeoise, Pagnon mena une vie totalement dsargente, ne travaillant que dans des conditions misrables.

    Depuis son jeune ge, il souffrait dune paralysie du nerf auditif qui ne cessa de sintensifier et de le condamner une surdit en constante augmentation, de plus en plus pnible pour un musicien.

    Le seul livre publi de son vivant, En voquant Wagner, fut ralis en 1981 avec le soutien bienveillant de lditeur Grard Lebovici, lui-mme musicien. Cette constellation heureuse ne se reproduisit pas, puisquen 1984, dj trs diminu, Pagnon proposa au mme diteur un manuscrit impossible publier en ltat et qui fut refus sur linstigation de Guy Debord.

    Francis Pagnon tait trs conscient de sopposer, avec son livre sur Wagner, au musicologue critique le plus rput, Theodor W. Adorno, et il ne manquait pas de relever que contrairement celui-ci, Richard Wagner lui paraissait plus subversif que Mahler, Schnberg et Berg, quil aimait pourtant beaucoup. En revanche, cette fois linstar dAdorno, Pagnon dtestait le jazz.

    Dans le conflit opposant en 1987 Jean-Franois Martos, Jean-Pierre Baudet et (clandestinement) Guy Debord lEncyclopdie des Nuisances, Pagnon prit position avec passion en faveur des premiers.

    Pagnon tait lexemple mme de lcorch vif, ne sachant moduler son empathie pour son entourage. Aprs une longue priode passe dans un village du nord de la Thalande (rgion de Chiang Ma), du par son impuissance devant la misre locale comme devant lvolution de la socit en France, ne se sentant plus chez lui nulle part et tombant dans un alcoolisme avanc, Francis Pagnon sest donn la mort par pendaison le 11 janvier 1990 1

  • En voquant Wagner

    Francis Pagnon est lauteur dune importante tude sur Richard Wagner et lhistoire de la musique intitule En voquant Wagner : La musique comme mensonge et comme vrit publie aux ditions Champ libre en dcembre 1981. Cet essai montre le mouvement vivant de lhistoire luvre dans la musique, et plus spcifiquement dans celle de Wagner. Francis Pagnon entreprend une critique politique de la musique de masse comme idologie totalitaire . Pour lauteur, lvolution musicale a t liquide et asservie aux ncessits de lorganisation sociale rtrograde. La musique de masse moderne, par son retour ltat pr-individuel, satisfait le besoin danantissement et nest que la soumission hallucinatoire la violence inflige par une socit dont le maintien nest possible que par la coercition tendue tous les aspects de la vie 2.

    Le livre prsente une perspective historique des contradictions de la musique dans la socit de classes contemporaine. Le sous-titre de louvrage, La musique comme mensonge et comme vrit, fait rfrence au mensonge quest la musique de masse et la vrit rvolutionnaire quexprime la grande musique, considre par lauteur comme la seule musique vritable, notamment celle de Monteverdi, Bach, Mozart, Beethoven, Debussy et, bien sr, Wagner.

    Pour lauteur, la musique wagnrienne condamne la socit capitaliste o lhistoire est rendue impossible par une production asservie au cycle perptuel de la valeur dchange. Le combat contre cette vacuit marchande se dveloppe au-del de la musique, qui devient mensongre lorsquelle nie la ncessit de ce combat en posant un idal esthtique o se compensent les horreurs du monde.

    Dans son essence ultime, la musique de Wagner refuse ce rle mensonger : elle affronte sans rserves son ennemi, cest--dire, la tradition musicale aline dun tat de fait social qui nexiste que par lcrasement et la souffrance irrationnelle du sujet. La haine de Wagner vis--vis de la socit bourgeoise et de sa culture est passe dans la composition. Cest une musique de la destruction : elle rvle le chaos sur lequel sest rige la barbarie civilise et appelle lanantissement dun monde abhorr.

    La musique wagnrienne brise le cercle de la non-vie par la violence de la vie potentielle quelle exige de voir passer lacte. Tout ce qui fait sa grandeur incite au dpassement de la musique, sa ralisation. Au moment o la socit marchande scroule, lart rvle son contenu critique, qui avait toujours t en soi sa vrit, rendue claire dsormais par le mouvement de lhistoire. Cest le privilge de cette poque crpusculaire davoir divulgu lnigme de lart ancien. La musique de Wagner peut enfin montrer ce quelle voulait, ce quoi elle sest ddie.

    Rception du livre

    Guy Debord avait mis un avis favorable sur En voquant Wagner dans une lettre adresse le 25 juin 1980 lditeur Grard Lebovici 3.

    Bibliographie

    Francis Pagnon, En voquant Wagner : La musique comme mensonge et comme vrit, ditions Champ libre, 1981. (ISBN 2-85184-130-0)

    En 1984, un manuscrit fut refus par les Editions Champ libre sur linstigation de Guy Debord 4.

    Un certain nombre de manuscrits laisss par Francis Pagnon, non publis, comprennent des traductions dauteurs de thtre allemands (Die Albigenser, de Nikolaus Lenau ; Hinkemann, dErnst Toller), une tude intitule Lenau et le refus de la rconciliation, et des tudes sur la Mtaphysique dAristote.

    Rfrences

    1. Lettre de Jean-Franois Martos Guy Debord annonant le dcs de Francis Pagnon : Tu sais peut-tre que Francis Pagnon sest pendu le 11 janvier : dun naturel dj sombre, il ressentait plus que tout autre la noirceur de cette vie. A lexception de quelques courts moments de rmission o il stait senti mieux (cheminots, lycens, et plus rcemment la Roumanie ; je tenvoie sa dernire photo, devant lAmbassade) il suivait, depuis quelques annes, une pente inexorable. Lactuelle priode de reflux, et son corollaire disolement renforc, ont eu raison de lui. Traduction en amricain : notbored.org, 19 fvrier 1990.

    2. En voquant Wagner, page 42. 3. Guy Debord, Correspondance, volume 6, page 59, Fayard 4. Guy Debord, Correspondance, volume 6, pages 285-286, Fayard