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Critique économique n° 23 • Hiver 2009 113 Résumé A l’heure où le capitalisme semble sérieusement ébranlé par une crise financière qu’on pensait restreinte aux marchés immobiliers hypothécaires américains mais qui s’est très vite propagée à toute l’économie mondiale, le plaidoyer de John Maynard Keynes (1883-1946) et John Rogers Commons [1862-1945] pour un capitalisme régulé n’a jamais été autant d’actualité. Cet article sous la forme d’un portrait croisé se penche justement sur la vie, les engagements politiques et le parcours intellectuel de ces deux grands esprits réformistes du XX e siècle. Alors que rien dans leurs origines sociales ne les prédestinait à épouser un horizon commun, ces deux économistes à la forte influence politique voyaient l’économie avant tout comme un moyen pour ouvrir la voie vers un capitalisme raisonnable par le biais de l’action collective aussi bien au niveau national que sur le plan international. Mots-clés Keynes, Commons, action collective, capitalisme raisonnable. Classification JEL : B31, B52, E 12, N10, P11 Introduction L'art du portrait n'est pas aisé. Il est peut-être même le plus difficile à exécuter non parce qu'il doit se soumettre a priori au principe du réalisme qui voudrait qu'on reconnaisse par vraisemblance le modèle à travers sa représentation, mais parce qu'il doit sacrifier à une exigence plus grande qui voudrait qu'à travers le tableau transparaissent malgré tout quelques traits notamment psychologiques de la personnalité, pour ne pas dire de l'esprit, de celui qui est représenté. La question se complique un peu plus lorsqu'il s'agit d'autoportrait. Si le portrait engage un rapport triangulaire qui implique trois protagonistes – l'artiste, le modèle et l'observateur – dans l'autoportrait, il s'agit d'une seule et unique personne, le modèle et l'artiste ne faisant, en effet, qu'un. Le tiers contemplatif, exclu par définition, est privé par conséquent d'avis objectifs. Si dans le cas du portrait on peut effectivement, sur la base de ce que l'on sait ou de ce que l'on croit savoir Slim Thabet CRIISEA, Université de Picardie Jules Verne, France ([email protected]) A la recherche du capitalisme raisonnable Keynes sur la route de Madison

A la recherche du capitalisme raisonnableKeynes, Commons, action collective, capitalisme raisonnable. Classification JEL : B31, B52, E 12, N10, P11 Introduction L'art du portrait n'est

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Critique économique n° 23 • Hiver 2009 113

Résumé

A l’heure où le capitalisme semble sérieusement ébranlé par une crisefinancière qu’on pensait restreinte aux marchés immobiliers hypothécairesaméricains mais qui s’est très vite propagée à toute l’économie mondiale,le plaidoyer de John Maynard Keynes (1883-1946) et John Rogers Commons[1862-1945] pour un capitalisme régulé n’a jamais été autant d’actualité.Cet article sous la forme d’un portrait croisé se penche justement sur la vie,les engagements politiques et le parcours intellectuel de ces deux grandsesprits réformistes du XXe siècle. Alors que rien dans leurs origines socialesne les prédestinait à épouser un horizon commun, ces deux économistesà la forte influence politique voyaient l’économie avant tout comme unmoyen pour ouvrir la voie vers un capitalisme raisonnable par le biais del’action collective aussi bien au niveau national que sur le plan international.

Mots-clés

Keynes, Commons, action collective, capitalisme raisonnable.

Classification JEL : B31, B52, E 12, N10, P11

Introduction

L'art du portrait n'est pas aisé. Il est peut-être même le plus difficile àexécuter non parce qu'il doit se soumettre a priori au principe du réalismequi voudrait qu'on reconnaisse par vraisemblance le modèle à travers sareprésentation, mais parce qu'il doit sacrifier à une exigence plus grandequi voudrait qu'à travers le tableau transparaissent malgré tout quelquestraits notamment psychologiques de la personnalité, pour ne pas dire del'esprit, de celui qui est représenté. La question se complique un peu pluslorsqu'il s'agit d'autoportrait. Si le portrait engage un rapport triangulairequi implique trois protagonistes – l'artiste, le modèle et l'observateur – dansl'autoportrait, il s'agit d'une seule et unique personne, le modèle et l'artistene faisant, en effet, qu'un. Le tiers contemplatif, exclu par définition, estprivé par conséquent d'avis objectifs. Si dans le cas du portrait on peuteffectivement, sur la base de ce que l'on sait ou de ce que l'on croit savoir

Slim ThabetCRIISEA, Université dePicardie Jules Verne,France([email protected])

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du modèle et de l'artiste, ergoter ou spéculer à l'infini sur ce que celui-cia pu ou n'a pas pu percevoir dans l'âme du modèle, l'autoportrait est unrapport de miroir purement intime qui nous plonge dans l'univers insondabledu rapport à soi. Dans ce cas de figure, même la fameuse expression deRimbaud selon laquelle « je est un autre » n'est d'aucun recours.

Dans le cas des deux personnages en présence ici, on dispose certes denombreux portraits aussi bien au sens pictural que biographique du terme (1),mais aussi d'autoportraits : d'un côté, la figure plus ou moins précise queCommons dépeint de lui-même dans « Myself », de l'autre, celle de Keynes,plus floue, beaucoup plus impressionniste, faite de couches successives sefixant quelque peu dans certains textes notamment dans « My early beliefs ».Une différence fondamentale subsiste néanmoins ; alors qu'on ne connaîtde Commons que son autoportrait, Keynes, lui, est passé maître dans l'artdu portrait. Il fut connu en effet pour sa capacité, en particulier du pointde vue psychologique, à dresser des portraits parfois sympathiques, souventféroces, de certains sujets. Pour s'en convaincre, il suffit de relire les fameuses« Conséquences économiques de la paix » où il formule des points de vueaussi pénétrants que définitifs sur certains acteurs fondamentaux de laConférence de Paris. Par contre, lorsqu'il ressent une proximité même ambiguëavec le sujet de son portrait, il peut être le plus compréhensif et le plusmagnanime des êtres. C'est le cas par exemple de ses rapports avec CarlMelchior qu'il relate dans le Docteur Melchior, un ennemi vaincu (1921) (2).On peut en conséquence lui faire confiance pour sonder les âmes aussi biende ses ennemis que de ses amis. C'est ce qui explique que le portrait croiséauquel nous visons ici ait pour point de départ, au-delà des matériaux glanésdans les deux autoportraits, les propos tenus par Keynes, d'une part, dansune lettre à Commons et dans laquelle il dresse déjà, nous semble-t-il, lescontours de ce portait croisé, de l'autre, dans un passage de Suis-je libéral ?où il cite Commons à la troisième personne du singulier.

Dans sa lettre, Keynes s'adresse, en effet, à Commons dans les termessuivants : « Je suis tout à fait d’accord avec vos propositions pratiques…J’aimerais beaucoup avoir quelques conversations avec vous sur cela (laquestion de la monnaie et de la stabilisation, ndt) et d’autres sujets. […]Il me semble qu’il n’y a pas d’autre économiste avec lequel je me sente dansun tel authentique accord avec la façon de penser (lettre de Keynes à Commonsdatée du 29 avril 1927, c'est nous qui soulignons). » Alors que dans Suis-je libéral ? il écrit : « Un éminent économiste américain, le professeurCommons, qui a été l’un des premiers à identifier la nature de la transitionéconomique dont nous vivons les premières phases, distingue trois époques,trois ordres économiques, dans la troisième desquelles nous sommes en trainde nous engager (1925, IX, p. 303). » Or, on sait que sous la plume deKeynes, le qualificatif d'éminent n'a rien de fortuit. Il faut y entrevoir lamarque de la vision du groupe de Bloomsbury dans la mesure où LyttonStrachey avait consacré un essai aux « Eminents victoriens » (1980).

(1) En ce qui concerneCommons, outre Myself,les sources biographiquessont relativementabondantes. On pourraconsulter Pirou (1936),Harter (1962), Gruchy(1967), Mitchell (1969),et Ramstad (1992). PourKeynes, on a l’embarrasdu choix. Citons d’abordla somme monumentalede Skidelsky (1983,1992, 2000) et le travailnon moins intéressant deMoggrdige (1992). Labiographie « officielle »de Roy Harrod, au tonparfois un peu trophagiographique, estégalement une sourcesûre car elle émane d’unproche collaborateur deKeynes. Viennent ensuiteles travaux de Hession(1984), Mini (1984) ainsique Felix (1999). Unemention spéciale pourl’ouvrage de GillesDostaler, Keynes et sescombats (2005), trèsappréciable, donnantl'envie et le plaisir de seplonger dans la vie d'undes économistes les plusinfluents du XXe siècle.

(2) Keynes (p. 389-429).Comme le veut l’usage,nous citerons désormaisles ouvrages de cettecollection en faisantsuivre le nom de l’auteurdu numéro du volume enchiffres romains, puis desnuméros de page.

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Munis de ces éléments, certes relativement disparates, nous nous estimonsmalgré tout suffisamment armés pour donner quelques éclairagesrelativement nouveaux sur les itinéraires parallèles et le destin croisé desdeux grands économistes en se fixant comme objectif de montrer que, pourpeu que l'on veuille s'en donner la peine, on parviendra à retrouvercertainement le spectre de Keynes à Madison, chez Commons, et à apercevoirprobablement, même furtivement, l'ombre de Commons à Cambridge.

1. Une figure réformiste de jeunesse déterminante : la mère

Keynes et Commons ont vu le jour dans des milieux sociaux fortsdifférents. A priori, rien ne les disposait à épouser un horizon commun sil’on en croit leurs origines sociales différentes. Pourtant, les points qui lesrapprochent sont beaucoup plus nombreux que ceux qui les séparent. D’uncôté, John Maynard Keynes (1883-1946), rejeton de la bourgeoisie anglaise,est élevé dans la plus pure tradition britannique des écoles prestigieuses,de l’autre, John Rogers Commons (1862-1945), issu d’un milieu modeste,a connu très tôt des difficultés, notamment scolaires, et la nécessité deretrousser les manches.

Pourtant, une figure commune s’impose d’emblée dans le parcours desdeux personnages. En effet, on peut s’accorder sur le fait que, tant pourCommons que pour Keynes, la mère a joué un rôle beaucoup plus importantque celui du père dans leurs parcours et leurs orientations sociales etpolitiques. Commons est né à Hollansburg, dans l’Etat de l’Ohio, le13 octobre 1862, dans une famille de la classe moyenne. Son père exerçatoutes sortes d’activités au premier rang desquelles le métier d’imprimeur.Le regard de Commons vis-à-vis de son père est souvent plutôt dur. Il ledépeint comme un homme quelque peu dépassé par les évènements ; il enserait resté à l’âge du troc, si bien que l’économie monétaire et de créditlui demeurait étrangère, lui qui pourtant travaillait dans le commerce etl’artisanat.

Quant à sa mère, presbytérienne, il semble qu’elle ait eu beaucoup plusd'influence sur l’éducation de son fils. Elle fut professeur et diplôméed’Oberlin College. Elle envoya plus tard son fils dans cette même institutionpour parfaire son éducation qu’elle jugeait insuffisante. Mais son influencene s’arrête pas là. Militante de la première heure, elle joua un rôle nonnégligeable dans l’abolition de l’esclavage et la lutte contre l’alcoolisme.C’est assurément sa mère qui lui transmit la fibre “réformiste” et le poussaà s’impliquer dans la vie sociale, dans la mesure où la logique des presbytériensvoulait que l’obtention de la grâce divine fût tributaire de l’engagementdans l’accomplissement des bonnes actions. D’ailleurs, accompagnée de sonfils, elle participa à la création de l’Anti-Saloon League à Oberlin. L’organismeavait pour finalité de lutter contre les ravages de l’alcool, en particulier dansles milieux les plus modestes de la société. Mais la liste ne s’arrête pas là.

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(3) Keynes, John, NevilleKeynes (1884, 1891).

(4) Voir Hession (1985,p. 20-21) pour une listeplus exhaustive desactivités sociales deM. Florence Keynes.

Comme l'écrit L. G. Harter, Commons passa tout au long de sa vie « d’unmouvement de réforme à un autre » (1962, p. 37). De cet environnementfamilial stimulant, Commons garda l’esprit de tolérance transmis par sesparents qui l’habita jusqu’à la fin de sa vie. A cet esprit tolérant s’ajoute ladimension éthique présente dans ses premiers écrits – on pense ici à ladoctrine du christianisme social comme toile de fond de son ouvrage SocialReform and the Church – et qui culmine avec son concept de « capitalismeraisonnable » (Commons, 1934a, p. 891), traduisant sa volonté de proposerdes solutions démocratiques aux problèmes économiques et sociaux de sonépoque.

Le milieu dans lequel naquit Keynes est sensiblement différent, du moinssur le plan matériel. Sans être issu de l’aristocratie, Keynes vit le jour dansun milieu plutôt aisé où l’on avait peu à se soucier des questions financières.Son père, John Neville Keynes, fut professeur de logique et d’économiepolitique à Cambridge. Il est l’auteur deux traités de logique et deméthodologie de l’économie politique qui ont longtemps fait autorité (3).Florence Ada Brown, sa mère, était également une femme très engagée. Elleétait à l’avant-garde de l’action sociale et du combat féministe, luttant pourle droit de vote des femmes, et elle fut même l’une des premières d’entreelles à être élue maire de Cambridge (4). Là aussi, il semble bien que lamère ait joué un rôle capital dans la trajectoire de son fils et dans sonpenchant pour la voie de la réforme, si l’on en croit Hession (1984) et Harrod(1951). D’ailleurs, Keynes maintiendra jusqu’à sa mort une correspondanceainsi que d’étroites relations avec sa mère. Il y a quelques années de celaparaissait une biographie de Keynes très controversée, dans laquelle sonauteur, David Felix (1999), défendait une thèse pour le moins déroutante.En effet, celui-ci interprétait la vie et l’œuvre de John Maynard Keynes àl’aune des rapports présumés conflictuels qu’il entretenait avec son père,John Neville. Marqué par les humiliations infligées par ses maîtres d’Etonet son père durant sa jeunesse, Maynard se serait vengé en s'opposantindirectement à ce dernier. Ainsi, son Treatise on Probability serait une“révolte” dirigée contre le traité de méthodologie de son père. Cette thèseest certainement exagérée, mais elle a quand même le mérite de porterl’attention sur le rôle prépondérant de la mère dans la formation etl’orientation du fils.

La biographie de Roy Harrod, malgré son aspect plus réservé, est plusinstructive sur le sujet, notamment grâce à sa séduisante thèse sur les“présupposés de Harvey Road”, cet ensemble de valeurs qui orientèrent audépart la vision sociale de Keynes. “Harvey Road” est le nom de la rue oùse trouve la confortable demeure parentale où naquit et vécut Maynardjusqu’à l’âge adulte. Les présupposés sont ces valeurs que ses parents luiinculquèrent et qu’il conserva toute sa vie, en dépit de sa lutte contre levictorianisme : élitisme, réformisme social, sens du devoir et éthique dutravail et, enfin, souci du bien-être collectif.

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De ces courts développements, il ressort très clairement, pour l'un commepour l'autre, que la figure de la mère est incontournable pour comprendreleurs trajectoires respectives. Peut-on dire pour autant que les deux personnagesétaient à la recherche d’un père de substitution ? En effet, deux figuresprotectrices masculines incontournables s’imposent dans le parcours deséconomistes : Alfred Marshall pour Keynes et Richard Ely pour Commons.

2. Un projet de recherche collectif

Une première divergence apparaît dans le parcours scolaire et universitairedes deux individus. Autant Keynes a connu les plus prestigieuses écoles del’Angleterre en dépit, comme Commons, d’une santé fragile, collectionnantainsi les plus hautes distinctions en raison de sa supériorité intellectuellereconnue, autant Commons est passé par des moments plus délicats d’échecsscolaires, notamment en raison de ce qu’il appelait lui-même « l’irritationdu doute ». Les propos de Wesley C. Mitchell nous renseignent bien sur cetrait de caractère : « (Il) ne croyait pas les choses parce qu’il les trouvaitimprimées dans des livres. Il devait découvrir par sa propre investigation siune chose était vrai ou non (1969, p. 703). » Cette curiosité n’a pas manquéde lui créer des problèmes aussi bien durant ses années d’études que durantses premières expériences d’enseignement (Atkinson et Oleson, 1998).

Chose assez surprenante pour être signalée, Commons et Keynes n’ontjamais soutenu de thèse en économie, handicap insurmontable pourquiconque souhaiterait faire carrière dans l’Université aujourd’hui. Ce quin’empêcha pas les deux économistes de devenir des enseignants de renommée,polyvalents et partisans d’un enseignement non académique.

Pour le premier, la plupart de ses diplômes universitaires difficilementacquis n’avaient jamais pour principal contenu l’étude de l’économie maisl’histoire et la sociologie. Il en va de même pour Keynes, qui s’était très tôtspécialisé dans l’étude des mathématiques et de l’histoire. Il n’étudia l’économiequ’à titre secondaire en vue de la préparation d’un concours d’entrée à laHaute fonction publique britannique. Son “initiation” académique, si l’onpeut exprimer les choses de cette manière, se résuma à huit petites semainestout juste, sous l’égide d’Alfred Marshall (Dostaler, 2002). Déçu par sa notedans cette épreuve, on lui prête ce commentaire amer, dirigé contre sesexaminateurs : « J’en savais plus en économie que mes correcteurs ! »

Influencé et même fasciné comme les membres de son entourage parla philosophie naissante de son maître, George Edward Moore, sa thèseportait sur les fondements logiques des probabilités. Il y développera unebonne part de sa vision et bon nombre des thèmes qui feront l’originalitéde son économie comme l’incertitude, l’importance du temps et la nécessitéde l’action.

Sa seconde place au concours lui ouvrit les portes du Bureau des affairesindiennes (Indian Office) à Londres, qu’il ne tarda pas à quitter parce qu’il

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s’y ennuyait (5). Son vœu le plus cher était de rentrer à Cambridge poury enseigner. Son retour s’avéra plus difficile qu’il ne le pensait. Sa thèse ouplus exactement sa dissertation de fellowship fut critiquée par un des membresdu jury pour l’accession au statut de fellow, Alfred North Whitehead, eton lui conseilla de revoir sa copie, ce à quoi il s’attela pour ne la publiersous sa version finale qu’en 1921. Entre temps, il parvint à obtenir le gradede fellowship. Ainsi débuta sa carrière d’enseignant.

Commons connut les mêmes mésaventures au sein du milieuuniversitaire. Mal à l’aise dans un système où on exalte la mémoire audétriment de la curiosité et de l’intuition, il ne dut son salut qu’à labienveillance de ses professeurs qui virent en lui des qualités certainesd’intelligence. C’est ainsi qu’il obtint une bourse qui lui permit de poursuivreses études à l’université John Hopkins car y enseignait celui qui deviendrason maître, Richard Ely, un des prestigieux membres de la nouvelle écoleaméricaine (6) composée de jeunes économistes ayant fait leurs classes enAllemagne au sein des séminaires de l’Ecole historique allemande. Dès lors,Ely restera un personnage important dans la carrière de Commons.

Commons entama par la suite une carrière d’enseignant. Il était restésur une première expérience douloureuse d’instituteur dans un village oùson incapacité à reproduire une expérience décrite dans un manuel lui fitperdre la face vis-à-vis de ses élèves. Ses expériences en tant professeur àl’université ne sont guère plus convaincantes. Il débuta cette nouvelle carrièreà l’université Wesleyan (1890-91) – remplaçant un certain Woodrow Wilson,futur président des Etats-Unis et cible de Keynes dans les Conséquenceséconomiques de la paix – puis successivement à Oberlin (1891-1892), àBloomington (1892-1895) et à Syracuse [1895-1899]. A chaque fois, sonparcours se solde par un cuisant échec, non en raison de ses qualitésd’enseignant, indiscutables, mais en raison de son incapacité à se fondredans le si particulier moule universitaire américain. A ce titre, son passageà Bloomington est riche d’enseignement. Désirant obtenir une augmentationde son traitement, Commons écrit au président de l’université et lui annonceque l’université de Syracuse souhaite s’attacher ses services en luiproposant des conditions salariales plus intéressantes. Commons espéraitpoursuivre sa carrière à Bloomingtion avec des conditions de travail plusavantageuses. Mais ce dernier se vit opposer une fin de non-recevoir, leprésident lui enjoignant d’accepter sur le champ l’offre de Syracuse. Ils’exécuta immédiatement la mort dans l’âme. De cette douloureuseexpérience Commons retiendra le rôle et l’importance du pouvoir demarchandage et de la psychologie de la négociation à l’œuvre dans lestransactions. Jamais plus il ne se hasardera à négocier un relèvement detraitement. Son passage à Syracuse n’est guère plus convaincant et c’est parla petite porte qu’il finira par quitter le milieu universitaire pour le monde“pratique”. Commence alors pour lui une traversée du désert qui va durercinq longues années.

(5) On rapporte que sapremière réalisation futde superviserl’exportation d’untaureau avec pedigree versBombay (sic) ! Ce qui estsûr, c’est que Keynesconsacra la plupart de sontemps à la rédaction deson futur Treatise onProbability comme enatteste cet extrait d’unelettre datée du13 décembre 1910adressée à Marshall :« J’ai consacré tout cetemps à mon traité sur lesprobabilités à l’exclusionde tout le reste et suisheureux de dire que la finsemble se profiler. Cela aoccupé tout mon tempslibre des quatre dernièresannées, et je ne serai pasmécontent d’être ànouveau libre pourd’autres choses (cité dansHarrod, 1951, p. 133). »

(6) Parmi lesquels oncompte les noms de JohnBates Clark, HenryCarter Adams, RichardEly, Edmund James,Simon Patten, EdwinSeligman…

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Pour Keynes également, l’entrée à l’université ne fut pas de tout repos.Il dut revoir sa dissertation avant d’accéder au grade de fellowship.L’intervention de Marshall, figure tutélaire de Cambridge, joua probablementun rôle important dans l’intégration de Keynes au corps professoral de King’sCollege. Marshall qui rêvait de faire de Keynes un économiste s’en réjouitaussitôt : « Je suis véritablement enchanté que vous vous joigniez à notreéquipe d’économistes. Je pense qu’elle constitue un groupe soudé,brillant, d’hommes sérieux, porteurs des plus hautes promesses pour l’avenir(cité dans Keynes, XV, p. 14). »

Dès lors, Maynard demeura fidèle à Cambridge jusqu’à sa mort, endeviendra un pilier et y imposera une tradition de pensée dissidente faceà la London School of Economics de Robbins et Hayek. Il reçut par ailleursde prestigieuses distinctions de l’université de Columbia, là où Mitchellexerçait, et de la Sorbonne qui lui décernèrent toutes deux un Doctora HonorisCausa. Keynes n’était pas un enseignant au sens classique du terme. D'ailleurs,la vie de Keynes se déroula davantage dans les bureaux du Trésor, dans lessalles de rédaction, aux tables de négociation et dans les commissions quedans les amphithéâtres. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, iln’officiait plus que quelques heures par an et prenait toujours le soin d’exposeret de débattre de ses idées nouvelles devant ses étudiants à partir des épreuvesde ses livres. Quelques-uns des éléments qui composèrent ses cours noussont parvenus à travers les notes de plusieurs de ses étudiants, notammentThomas Rymes (1986, 1989). Ils ont ainsi eu le privilège d’assister à l’éclosionde la révolution keynésienne et au passage crucial entre le Treatise on Moneyet la Théorie générale. Jusqu’en 1932, Keynes donnait chaque automne uncours intitulé « La théorie pure de la monnaie », en référence au premiervolume du Treatise publié deux ans auparavant. Le 13 octobre 1932, ildéclarait à son assistance : « Messieurs, il y a un sens au changement dansl’intitulé de ces cours – de « La théorie pure de la monnaie » à « La théoriemonétaire de la production » (rapporté par Tarshis, cité dans Skidelsky, 1992,p. 460) (7). »

Avec ce changement d’intitulé et de contenu, la voie qui mène vers laThéorie générale était ainsi tracée. Par cette déclaration, Keynes marquaitla rupture définitive avec la théorie classique et faisait de la monnaie la pierreangulaire de son édifice.

Commons était également un enseignant atypique, partisan d’uneméthode socratique, faite de discussions interactives où l’enseignant faitpart de ses doutes et invite ses auditeurs à être acteurs plutôt que spectateurs.Il associait ses étudiants à ses recherches et à ses publications et parvint àconstituer autour de lui un vaste groupe de chercheurs et d’enseignants qu’ilfaisait vivre au rythme de réunions hebdomadaires et de travaux collectifs.Aussi, c’est à un de ses étudiants, Francis Bird, qu’il doit la définition duconcept de “valeur raisonnable” si crucial dans son schéma théorique. Plongédans la rédaction de son projet de loi sur l’indemnisation des accidentés

(7) Pour Lorie Tarshis, unétudiant de Keynestémoin de la scène,« c’était la sonnerie declairon annonçantl’ouverture de larévolution keynésienne »(« Interview » de TarshisL. dans Colander D. andLandreth H, 1996,p. 55).

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du travail, Commons butait sur la définition précise permettant d'identifierle caractère raisonnable et non forcément rationnel de ce qui fait l'objetde l'indemnisation. Après avoir consulté de multiples recueils de décisionsde justice et de nombreux annuaires de jurisprudence, Bird proposa uneformulation du raisonnable basée sur l’idée du plus haut degré de progrèsdéjà atteint.

Commons posa finalement ses valises à Madison pour enseigner àl’université du Wisconsin. Sans l’intervention de son maître Richard Ely,il n’aurait probablement jamais retrouvé un poste à l’université. D’ailleurs,dans Myself, il compare son retour à l’université comme une secondenaissance, reconnaissant par là même la dette immense contractée auprèsde son mentor. Mais, comme on l'a déjà souligné précédemment, Commonsn’était pas pour autant un chercheur isolé. Il en profita pour poursuivrel’œuvre du maître et fonda par là même la Wisconsin School ofInstitutionalism. Il réunit autour de lui une équipe de jeunes chercheursqu’il forma et qu’il associa activement à ses travaux. Les ouvrages écrits encollaboration avec ses étudiants sont l'illustration de la dimension collectivede son œuvre. Il suffit pour s’en convaincre de consulter la volumineuseencyclopédie History of Labour in the United States qui n’aurait sans doutejamais vu le jour sans l’assistance de ses étudiants. Commons devenait ainsiun enseignant apprécié de ses élèves, et sa réputation dépassait même lesfrontières de l’Etat du Wisconsin. L’économiste italien Carlo Pagni, un desétudiants qui avaient activement participé aux séminaires de l’universitédu Wisconsin en 1932, alla même jusqu’à écrire : « Commons est sans doutel’économiste actuel qui a exercé le plus d’influence aux Etats-Unis, et iln’y a pas d’université américaine qui n’ait comme professeur quelqu’un deses élèves (Pagni, 1935, cité par Pirou, 1939, p. 144). » Commons réunissaitégalement en dehors de l’université un cercle d’amis composé d’hommespolitiques, de fonctionnaires, d’économistes et d’étudiants, qui serencontrait jusqu’à très tard dans la nuit du vendredi. C’est ainsi qu’on lesappelait les « Friday Niters », Niters étant un dérivé argotique du mot night.C’est d’ailleurs à ses amis qu’il dédia son autobiographie Myself, tant cesderniers avaient compté pour lui.

Là encore, il est permis de faire un parallèle édifiant avec Keynes. Déjà,comme le notait Joan Robinson, on peut considérer que la Théorie généralen’aurait jamais vu le jour sans la présence aux côtés de son auteur d’un groupede jeunes disciples tout acquis à sa cause. En effet, on ne le répètera jamaisassez, Keynes était un homme bien entouré. De l’avis de l’auteur, son Treatiseon Money n’était pas une réussite, ce dernier ayant trop souvent changéd’orientation pendant sa rédaction, ce qui expliquerait son manque decohésion. Les critiques ne tardèrent pas à pointer du doigt les failles del’ouvrage, en particulier celles émanant d’Hayek, qui eurent le don d’irriterl’économiste de Cambridge. Piqué au vif, sa réponse fut cinglante, Keynesarguant qu’il fallait envoyer au plus vite l’auteur de Price and Production

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à l’asile ! Rien n’y fit. Keynes ne parvint pas à “museler” Hayek. Et pourla seconde fois (8), il chargea Sraffa de répondre à l’économiste autrichien.Son ami ne tarda pas à s’y exécuter et de fort belle manière de surcroît (9).Insatisfait par son Traité, Keynes se remit au travail, mais cette fois avecl’aide des jeunes économistes qui l’entouraient. C’était le Circus qui se mettaitau service du maître de Cambridge (10). Le groupe commença à se réunirdès les premiers mois de 1931, juste après la sortie du Treatise, pour discuterde l’ouvrage et en sonder les faiblesses. Il était composé de ses plus prochesami(e)s et disciples. Il comptait parmi ses membres Austin et Joan Robinson,James Meade, Piero Sraffa et aussi et surtout Richard Kahn, fidèle parmiles fidèles. C’est lui qui servit de messager entre le groupe et Keynes, celui-ci n’assistant pas aux réunions du groupe. Ce rôle lui valut le surnom d’angeGabriel. Son influence ne se limite pas à un rôle de transmetteur. Tout aulong de la préparation de la Théorie générale, Richard Kahn assiste Keynesen relisant et corrigeant les épreuves du livre. Il est même à l’origine d’undes concepts clés de l’édifice keynésien, car c’est lui qui fournit à Keynesla formalisation du précieux concept du multiplicateur qui permet dequantifier les effets de la hausse de l'investissement (et au-delà d'une relancebudgétaire) sur le revenu et l'emploi (Kahn, 1931). Cet apport crucial faitdire à Schumpeter qu’on pourrait considérer Kahn comme le co-auteur dela Théorie générale (1954, p. 1172). Ce jugement peut paraître excessif, maisil traduit la dimension collective de l’œuvre de Keynes. Joan Robinsonabonde dans le même sens en présentant l’opus magnum de Keynes commeune œuvre collective, produit d’une transformation théorique dont la Théoriegénérale ne représenterait qu’une étape parmi d’autres :

« Mais par théorie générale je ne désigne pas le livre célèbre de cet auteur.Certes cet ouvrage est très important, mais il n’est ni complet ni définitif.Il constituait, lors de sa parution, une sorte de compte-rendu provisoiresur un mouvement d’idées en cours de développement. (…) Ce que j’entendspar l’expression de théorie générale est plutôt une méthode d’analyse. C’estun corps vivant d’idées qui se développe et qui produit des résultats trèsdifférents suivant qu’il est appliqué à des circonstances différentes par telleou telle personne. (1948, p. 185). »

Au-delà du Circus, Keynes prenait le soin de réunir ses “monday nighters”dans son Club d'économie politique, composé de ses meilleurs étudiants triéssur le volet, de ses collègues et d'invités extérieurs afin de discuter de multiplessujets et de ses idées notamment, où elles étaient mises à rude épreuve.

Toutefois, l’entourage de Keynes ne se réduisait pas à ses collègueséconomistes. Outre le fait qu’il était un professeur reconnu et apprécié,Keynes était aussi un personnage public intervenant dans tous les médiaet à tous les niveaux du pouvoir. Il côtoyait les hommes politiquesbritanniques les plus influents de son époque tel Churchill, Asquith ou encoreLloyd George. Il comptait aussi parmi ses plus proches ami(e)s les artistes,les écrivains et les intellectuels britanniques les plus importants de l'époque.

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(8) Keynes avait sollicitéune première fois PieroSraffa pour rédiger unecritique “dévastatrice” dela théorie de la valeur deMarshall. On remarqueraau passage que Keynesbien que sceptique quantà la théorie de la valeurde son maître ne l’a pasattaqué de front mais achargé un de ses amis dele faire à sa place… Pourl’article en question, voirSraffa (1926).

(9) Sraffa P. (1932),« Dr Hayek on Moneyand Capital », EconomicJournal, vol. 42, p. 42-53.Trad. fr. de Maurisson,P. et Leonard, J. (1984),« La théorie duDr. Hayek à propos de lamonnaie et du capital »,Cahiers d'économiepolitique, n° 9, automne,p. 5-17. L’article de Sraffaa donné lieu à de vifséchanges avec Hayekpubliés dans le numérosuivant de l’EconomicJournal.

(10) Sur le Circus, voirKeynes (XIII, p. 337-343).

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Ils formaient ensemble le Bloomsbury Group, du nom du quartier de Londresoù se trouvait la maison dans laquelle ils se réunissaient, au 46 GordonSquare (11). Ce groupe à la réputation controversée, qui comptait parmises membres Virginia Woolf, James et Lytton Strachey, Duncan Grant ettant d’autres, était à l’avant-garde du combat social contre l’hypocrisie del’esprit puritain victorien et pour l’avènement d’une société nouvelle oùla liberté individuelle ne serait pas sacrifiée sur l’autel du calculbenthamien. Ils étaient eux aussi progressistes (Guesnerie, 2006) et avaientnoué des contacts étroits avec leurs homologues américains (Roazen, 2001).Le mouvement progressiste auquel ils appartenaient avait pour ambitionde promouvoir une société juste et un capitalisme raisonnable, semblableà celui prôné par Commons et les progressistes américains. Un tel projetne pouvait passer que par de profondes réformes politiques.

3. Une vision politique identique

De l’université, nous voilà passé à la scène politique. S’il fallait retenirne serait-ce qu’un seul et unique domaine dans lequel les visions de Keyneset de Commons se rejoindraient pour ne faire qu’un, la vision politique seraitincontestablement le thème majeur. Keynes et Commons accordent le primatau politique sur l’économique, au service du social. De même sur l’échiquierpolitique, les deux auteurs se réclamaient du nouveau libéralisme (12). Lespropos de John Dewey, dont la philosophie pragmatiste fait partie intégrantede ce mouvement critique du libéralisme classique et de la doctrine du laisser-faire, illustre parfaitement l’idéologie du nouveau libéralisme :

« Si les premiers libéraux avaient mis en avant le fait que leurinterprétation particulière de la liberté dépendait du contexte historique,ils ne l’auraient certainement pas transformée en une doctrine applicableen tout temps et en tout lieu. Ils auraient alors certainement reconnu quela liberté dépend des conditions sociales à chaque période du temps. […]De même, ils auraient alors compris que la liberté individuelle qu’ilsproclament nécessite le contrôle social des forces économiques dans l’intérêtde la grande masse des individus (Dewey, 1935, p. 34). »

Ce mouvement de reconstruction du libéralisme politique s’estd’ailleurs produit des deux côtés de l’Atlantique, comme le note Dewey.Dans ce même passage (1935, p. 23-24), Dewey insiste sur le nom duphilosophe anglais Thomas Hill Green. Ce dernier, en compagnie de LeonardHobhouse et de John Hobson, a été un des fers de lance de lareconstruction du libéralisme radical qui prendra le nom de nouveaulibéralisme en Angleterre. Il se trouve justement que Thomas Hill Greena exercé une influence sur Commons et Keynes, si bien que Skidelsky présenteKeynes comme « le dernier des grands libéraux anglais » (1992, p. xv). Quantà Commons, il rapporte dans son Institutional Economics qu’il fut dénomméle « Dernier Mohican du libéralisme » (1934a, p. 901).

(11) C’est de cette adresseque fut envoyée la lettre àCommons que nouscitions.

(12) Parmi les mesuresque Keynes assignait auNouveau libéralisme, sonprogramme comportaitun volet eugéniste, dontil s’est toutefoisprogressivement éloigné.Il se trouve queCommons étaitégalement partisan d’unerationalisation de lapopulation et qu’il aégalement adhéré aumouvement eugéniste.Sur ce dernier point, voirCot (1989).

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Traditionnellement, l’institutionnalisme historique américain estconsidéré comme un courant de pensée radicale, proche du marxisme,proposant des réformes en profondeur du capitalisme allant même jusqu’àla remise en cause de l’économie de marché. Une telle assertion estpartiellement vraie, du moins en ce qui concerne la tradition de pensée initiéepar Veblen et ses successeurs. Elle l’est moins pour Commons. Ce dernierest d’ailleurs considéré comme le moins radical des institutionnalistes pouravoir porté l’éclairage beaucoup plus sur la nécessité de concilier les intérêtsindividuels en s’appuyant notamment sur le droit et l’éthique. Enconséquence, son interventionnisme est moins brutal qu’il n’y paraît.Commons, à la différence de Veblen, n’a jamais prôné un changement radicaldes rapports de propriété. Il privilégiait au contraire des solutions internesau cadre capitaliste – « je souhaitais réguler le système et non le détruire »(Commons, 1934b, p. 118) – par l’extension notamment des pouvoirs del’Etat. Témoin au premier rang de la crise du capitalisme et de la montéedes extrémismes, de tous les institutionnalistes ce penchant pour leréformisme le rapproche le plus de Keynes.

On retrouve chez les deux auteurs une position commune hostile à toutchangement violent visant à renverser l’ordre social. Commons et Keynesrejetaient aussi bien le collectivisme russe que le fascisme ou le nazisme,sans toutefois les placer sur le même plan. Ces systèmes ont la fâcheusetendance selon eux à sacrifier la liberté individuelle au profit du contrôlecollectif par trop contraignant. L’Institutional Economics de Commons aboutità une réflexion sur l’avenir du capitalisme où l’auteur exprime ses craintesde voir les théoriciens de la Managerial School dominer, car cette dernière,à laquelle il rattache des penseurs très éloignés les uns des autres commeOthmar Spann ou Karl Marx, est fondée uniquement sur les transactionsde direction et de répartition au détriment des transactions demarchandage (13). La problématique commune avec celle de Keynes estdonc bien la réconciliation de l’action collective, des transactions demarchandage et de la liberté politique.

Marqués par la grave crise qui a secoué le système capitaliste à la findes années vingt, Commons et Keynes convergent pour désigner tous deuxle chômage de masse comme le principal fléau du capitalisme, qui risqued’en créer sa propre perte :

« Le défaut le plus grave dont le capitalisme doit se corriger en premierlieu c’est son insouciance à assurer aux travailleurs la sécurité dans leur emploi[…]. Il constitue une menace non seulement pour le capitalisme lui-même,mais pour la nation et pour la civilisation (Commons, 1921, p. 77). » « Ilnous faut une nouvelle équité qui protège l’emploi tout comme l’ancienneéquité protégeait les affaires (1924, p. 307). » « Le vice marquant ducapitalisme, c’est le chômage (Commons et alii, 1925, p. 152). » EtCommons de poursuivre, comme en écho, dans son Institutional Economicspublié au plus profond de la Grande dépression : « Le problème le plus

(13) Pour Commons, latransaction est l’unitééconomique de base. Il endistingue trois catégories,selon leur objet et le statutéconomique et juridiquedes acteurs : les bargainingtransactions (transactionsmarchandes), managerialtransactions (transactionsproductives) et lesrationing transactions(transactions distributives)(Commons, 1931). Pourune présentation détaillée,voir Bazzoli (2000).

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sérieux de la civilisation capitaliste est le chômage (1934a, p. 804). » Aussi,le plus prioritaire de tous les objectifs de stabilisation « est celui du maintiendu plein emploi de façon durable » (ibid., p. 804). Quant à Keynes, lepassage-référence qu’on n'omettra pas de citer figure au début du chapitrequi clôt sa Théorie générale : « Les deux vices marquants du mondeéconomique où nous vivons sont le premier que le plein emploi n'y est pasassuré, le second que la répartition de la richesse et du revenu y est arbitraireet manque d'équité (Keynes, VII, p. 372). »

Pour Keynes comme pour Commons, le principal lien social dans lessociétés modernes est constitué par l’emploi. Dès lors, un individu sansemploi stable et rémunéré dignement est un individu exclu et désocialisé,sans accès à la monnaie. La généralisation de ce fléau à l’ensemble de lasociété peut provoquer le désordre et la destruction de la cohésion sociale.C’est à l’institution en charge justement de la cohésion sociale que revientla tâche de remédier au chômage. Dans leur assaut contre le laisser-faire(Atkinson et Oleson, 1998), Keynes et Commons rejettent toute réponsesacrificielle au problème du chômage de masse et assigne à l’Etat et auxinstitutions conçues comme médiations entre les groupes sociaux (Keynes,IX, p. 288 ; Commons, 1934a, p. 847-901) la charge de remédier à ce malsocial. Les réponses de Commons sont du même ordre que celles de Keynes.En effet, par des politiques budgétaire et monétaire appropriées, l’Etat doitrelancer l’activité économique par la création d’un pouvoir d’achat en usantnotamment de la politique des grands travaux (Commons, 1934a, p. 589-90), de l’emploi (Commons et alii, 1925), à laquelle est associée une politiquemonétaire active menée de concert avec la Banque centrale.

Mais cette adhésion au nouveau libéralisme, qui les place plutôt au centrede l’échiquier politique, n’empêche pas les deux auteurs d’avoir le cœurqui penche souvent à gauche, du côté des socialistes. On sait par exempleque Sidney et Beatrice Webb étaient très appréciés de Commons. Au débutdes années 1900, J.R. Commons entreprit la lecture d’Industrial Democracy(1897). Fasciné par l’ouvrage, il y puisa son autre concept crucial de workingrules (Commons, 1934b, p. 71). En effet, à la façon des époux Webb,Commons place les règles au centre de son analyse afin de montrer que lapratique ouvrière et l’action collective peuvent déboucher sur la productionde normes à même de peser sur les activités de travail et de stabiliser lesconflits d’intérêts (Lallement, 2005). D’une tout autre manière, Keynesétait également très proche du couple anglais, et leurs chemins se croiserontà de nombreuses reprises. Sidney Webb avait approché Keynes pour qu’ilsoit candidat sous l’étiquette travailliste à une élection partielle :

« J’ose espérer que vous n’écartez pas cette idée. Si vous vous décidezfinalement d’aller de l’avant, des gens de Cambridge feront circuler uneformule de candidature pour vous, et nous sommes certains qu’elle serasignée par de très nombreux jeunes hommes. Evidemment, nous ne nousattendons pas à ce que vous soyez élu ! Mais vous obtiendrez une minorité

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respectable et cela améliorerait beaucoup l’ambiance (S. Webb cité dansKeynes, 1918, XVI, p. 266). »

Cette proximité avec le socialisme ne s’arrête pas là. La sympathie deCommons pour le milieu ouvrier et les syndicats ne manqua pas de lui attirerdes ennuis et lui valut même la réputation d’« homme le plus dangereuxdu Wisconsin » ! (Commons, 1934b, p. 170). C’est ce qui explique en grandepartie ses échecs successifs dans le système universitaire. Dans toutes lesuniversités où il a exercé, il s’est souvent vu reprocher sa trop grande affinitéavec le milieu ouvrier et ses tendances socialistes. A son arrivée à Syracuseoù il allait occuper la chaire de sociologie, il alla même jusqu’à dévoiler auprésident de l’université son penchant socialiste (Pirou, 1939, p. 137). Mallui en prit ! A la première occasion, ce dernier supprima la chaire queCommons occupait, le laissant sans emploi. Commons passa alors cinqannées hors de l’université où il devint collaborateur dans plusieurs grandesenquêtes sur le milieu ouvrier et sur l’immigration avant de réintégrerl’université, précisément à Madison, dans l’Etat progressiste du Wisconsin.

Quant à Keynes, la fin des années 20 fut pour lui l'occasion de serapprocher d'Ernest Bevin, un syndicaliste de renom, secrétaire général duTransport and General Workers Union et futur ministre du Travail. Leurrencontre date de la commission Macmillan où ils formaient, avec ReginaldMacKenna, le trio progressiste farouchement opposé à l'explicationtraditionnelle du chômage par les salaires trop élevés ; explication défenduepar la coalition orthodoxe réunie autour du Trésor et des grands banquierset industriels, faisant front derrière les deux économistes Gregory Clay etLionel Robbins. Prenant le contre-pied de l'analyse classique du marchédu travail, Keynes déclare à cette époque que la détermination des « salaires[est] fonction des forces historiques et sociales, pas de lois naturelles » (XXV,p. 7). Séduit par ces propos, Bevin alla même jusqu'à déclarer que Keynesest « un économiste plein de compassion envers la classe ouvrière » (Skidelsky,1992, p. 345) ! Dire de Keynes qu’il était l’ami de la classe ouvrière estnéanmoins quelque peu exagéré. Ses propos sur « le prolétariat grossier »sont là pour nous le rappeler. Mais une chose est sûre au moins, il a consacréla plus grande partie de sa théorie à trouver les moyens de résorber le chômageet à combattre la déflation salariale prônée par les conservateurs. Les premièresphrases des notes finales sur la philosophie sociale de sa Théorie généralesont sans appel.

La voie qui mène vers son opus magnum est jalonnée de violentes attaquescontre les politiques d’austérité menées contre la classe ouvrière. Son combatcontre le chômage est sans doute le plus important qu’il ait eu à mener, etbon nombre de ses autres combats en découlent. Lorsqu’en 1925l’Angleterre décide de retourner à l’étalon-or, il fustige alors cette décisionet publie dans la foulée un brûlot dirigé contre son Premier ministre. Letitre est sans équivoque : les Conséquences économiques de M. Churchill. Laréférence à sa dénonciation du diktat de Versailles six ans auparavant est

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peut-être dure, mais elle a le mérite de faire réfléchir. Dans ce pamphlet,Keynes prend fait et cause pour la classe ouvrière qui va supporter seuleles coûts de cet ajustement. Seule une baisse systématique des salairesmonétaires des ouvriers des industries exportatrices permettra de restaurerla compétitivité de l’Angleterre sérieusement affectée par la hausse du coursde la livre. Par la suite, Keynes se déclarera en sympathie avec les TradeUnion Congress dans la grève générale consécutive à celle des mineurs quiparalysa le pays à la suite de la décision du Premier ministre : « Mais moncœur, contrairement à mon jugement, est du côté des travailleurs. On nepeut m’inciter à percevoir les T.U.C. comme des forces délibérées de lacommunauté, qui doivent être écrasées avant qu’ont ait discuté avec elles(Keynes, 1926, XIX, p. 532). »

Keynes prit le parti des travailleurs dans la grève générale qui secoua lepays. Il rejeta toute méthode violente, qu’elle émane des syndicats ou dugouvernement, pour briser le piquet de grève. Dans un court article « TheNeed of Peace by Negociation » du 19 mai 1926 à paraître à l’origine dansl’organe éditorial du mouvement progressiste américain le New Republic,Keynes prônait la négociation pour sortir de l’impasse (14). Cette position“pacifiste”, favorable à la conciliation des intérêts des groupes sociaux etau compromis social, n’est pas sans rappeler celle adoptée par Commonslorsqu’il œuvrait en tant que conseiller auprès des syndicats et dans lescommissions industrielles.

Au cours de son intermède professionnel, loin de l’université, Commonsmultiplia les contacts dans le milieu ouvrier et syndical. Il se lia d’amitiéavec un célèbre syndicaliste, Samuel Gompers, lui aussi progressiste(Hofstadter, 1963) dont il resta très proche jusqu’à la fin de sa vie.

A son arrivée à Madison, dont l’université était réputée pour abriter enson sein des enseignants aux opinions subversives, Commons s’entoura d’unejeune équipe et fonda par la même occasion la Wisconsin school ofInstitutionalism, dont l’objet était de réfléchir sur ce que nous appelonsaujourd’hui l’économie du travail, d’un point de vue institutionnaliste. Onremarque, en outre, que la majorité des chercheurs qui ont appartenu à cegroupe étaient d’origine populaire et avaient eu fréquemment uneexpérience du travail manuel, comme Commons, qui fut ouvriertypographe dans sa jeunesse.

Bien que solidement installé à l’université du Wisconsin, son séjour àMadison ne fut pas un long fleuve tranquille. Un jour, Commons pritl’initiative d’inviter à ses cours l’anarchiste Emma Goldman ainsi que WilliamFoster, militant des International Workers of the World, qui tentad’introduire dans l’American Federation of Labor des idées révolutionnaireset devint en 1921 l’animateur d’un groupe communiste (Morel, 1975). Cetteinitiative ne fut pas du goût de tous, car ses collègues durent prendre sadéfense devant le Conseil des régents de l’université, ces derniers n’ayantvisiblement pas apprécié son initiative.

(14) Cette positionfavorable à la négociationtranscende la vie deKeynes de ses débuts entant que représentant duTrésor à la Conférence deParis en 1919 jusqu’auxnégociations finales deBretton Woods sur lesystème monétaire etfinancier international en1944. On peut même laconsidérer comme faisantpartie prenante de savison qui mène vers lecapitalisme raisonnable.Il suffit pour s’enconvaincre de se reporterà un texte référence en lamatière : le DocteurMelchior, un ennemivaincu (Keynes, X,p. 389-432). Lu devant laBloomsbury MemoirClub en 1921 et publiéde manière posthume en1949, ce texte fourmillede référence auxtransactions, aucompromis et à lapsychologie de lanégociation. La proximitéavec Commons est unenouvelle fois surprenante.

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On ne trouve pas d’évènements équivalents dans la vie de Keynes, sitant est qu’il faille en chercher. Néanmoins, Keynes a toujoursvolontairement brouillé les pistes dans son attitude politique pour mieuxse rapprocher du parti travailliste. Ainsi lui est-il arrivé successivement dese réjouir de la révolution russe – « Les nouvelles de Russie m’ont grandementréjoui et excité » écrit-il à sa mère – d’écrire que le socialisme est la seulevoie de l’avenir (IX, p. 290 ; XXI, p. 34, 492) et de se déclarer à gauchedu parti travailliste – « je suis sûr que je suis moins conservateur dans mesopinions que l’électeur travailliste moyen » (IX, p. 309) – pour lequel il avoté pour la première fois en 1936 (Dostaler, 2002). Son opinion à l'égardde Lénine était, en effet, assez surprenante, il semblait même fasciné parle personnage. Paraphrasant le poète américain Walt Whitman, ildéclarait : « La république de mon imagination se situe à l’extrême gauchede l’espace céleste (ibid., p. 309). » Tout au long de sa vie, Keynes n’aurade cesse d’appeler à une entente entre libéraux et travaillistes contre lesconservateurs.

Enfin, il est intéressant de préciser que les deux auteurs avaient une visioncommune du rôle de l’économiste comme conseiller du Prince. Nul besoind’en refaire la démonstration pour Keynes, sa réputation dans le domaineétant déjà faite. Ce qui est moins connu par contre, c’est la participationactive de Commons aux réformes économiques et sociales entreprises aucôté du sénateur progressiste de l’Etat du Wisconsin, Robert la Folette, dontil fut par ailleurs le plus proche conseiller et l’ami, à travers la rédactionde lois pionnières en matière d’Etat-Providence (Da Costa, 2006), commecelle sur l’indemnisation du chômage mise en œuvre en 1931. Ce fut l’uniqueexemple régional dont disposera le New Deal de F. D. Roosevelt lorsqu’ils’agira d’étendre ce genre de mesure à l’ensemble du territoire américain.L’Histoire des origines intellectuelles du New Deal reste à faire, et nul douteque la place de Commons dans cette histoire y est fondamentale(Colander et Landreth, 1996).

Comme il le disait dans ses mémoires, Commons envisageait le rôle del’économiste comme celui de conseiller du Prince (Commons, 1934b,p. 88). En effet, il incarne la figure même de l’intellectuel engagé, soucieuxde « faire progresser la recherche et servir la cité » (Rongière, 1982, p. 111).Il n’est donc pas étonnant que Commons, comme Keynes, ait fréquentéde près les hommes d’Etat afin de distiller ses conseils et proposer ses réformesdans le sens du capitalisme raisonnable. Emboîtant le pas de Keynes,Commons usa également de la lettre ouverte au président afin d’infléchirl’action de Roosevelt qui venait d’être élu et qu'il rencontra (Barber, 2001).

Mais cette partie serait incomplète si on ne précisait pas que la penséedes deux auteurs ne se limitait pas au cadre de l’Etat-Nation. Conscients qu’uneréponse globale aux troubles récurrents du capitalisme devait nécessairementdépasser les frontières nationales, Keynes et Commons ont tenté chacun àleur façon et de manière tout à fait compatible d’ébaucher, pour l’un

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(Commons), et de proposer, pour l’autre (Keynes), des solutions"internationales" capables de concilier les intérêts des nations. Il est clair quecet élément est insuffisamment développé chez Commons. On sait par contrequ’il voyait dans une institution internationale comme la Banque desrèglements internationaux (BRI) l’archétype de ce que devait être une actioncollective dans le sens du capitalisme raisonnable [Baslé, 1993] (15). D’autrespassages de ses écrits laissent entrevoir sa prise de conscience de la nécessitéd’une action concertée au niveau international, particulièrement dans ledomaine monétaire (16) et celui du travail (McIntyre et Ramstad, 2002).

Pour Keynes, si la Théorie générale fut pour lui l’occasion de rationaliserles politiques économiques nationales dans un contexte de repli sur soi desnations consécutif à la crise des années 30, la dernière partie de sa vie, de 1941jusqu’à sa mort, témoigne d’un investissement intensif dans l’élaborationd’une véritable architecture multilatérale du système monétaire et financierinternational (17) défendu ardemment mais en vain lors des négociationsde Bretton Woods. Ces efforts colossaux d’un économiste courageux à lasanté chancelante expliquent probablement sa mort prématurée [Dostaler,2005, p. 401].

4. Deux chercheurs pragmatiques combinant théorie etpratique

Autre particularité commune aux deux personnages, leurs expériencespersonnelles ont participé à la formation de leurs idées au point qu’il estimpossible de les comprendre sans référence à ces expériences. Cette posturerelève typiquement de l’orientation pragmatiste de leurs esprits.

Les présupposés éthiques qui guidèrent Commons, tout comme Keynes,l’ont conduit à s’intéresser avant tout aux problèmes de l’homme commun(Parsons, 1985, p. 757) plutôt qu’aux grandes constructions théoriquesabstraites et à toujours garder ses distances vis-à-vis de la « science dufauteuil » pour reprendre l’expression de Martin Bronfenbrenner (1985)au sujet des institutionnalistes.

Dans Myself, Commons qualifie la démarche qu’il a adoptée tout au longde sa recherche et de ses activités de « pragmatisme en action » (1934b,p. 160). Cette attitude renvoie au fait qu’au cours de ses activités de recherche,d’enseignement et de « civil servant », jamais déconnectées les unes des autres,Commons a toujours articulé pensée et action, théorie et faits, rejetant parlà même le cloisonnement et l’abstraction propres à la théorie dominante.Ce pragmatisme en action est marqué du sceau de la « double réforme »comme le dit si bien Laure Bazzoli (2000, p. 45), à savoir un réformismethéorique tiré des expériences pratiques et un réformisme social et politiqueéclairé par la théorie. De ses recherches, de ses enseignements et de sesparticipations multiples à la vie sociale en tant que citoyen, Commons atiré les éléments pour élaborer une économique institutionnaliste en phase

(15) Pour une analyseapprofondie de la BRI entant qu’institution dansune perspectivecommonsienne, se référerà l’article de Bouhaili etMoumni [2006].

(16) Par exempleCommons [1934a,p. 605-606 ; 1950, 246-260].

(17) Une autre dimensionfondamentale de lapensée internationale deKeynes est passéecurieusement soussilence. Il s’agit de sonplaidoyer appuyé pourune organisationinternationale ducommerce “adossé” auxautres institutionsinternationales [Keynes,XXV, p. 169].

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avec la réalité et au service de la société. Par conséquent, plus que chez biendes auteurs, la compréhension de son œuvre est nécessairement liée à sonexpérience, conformément à la vision pragmatiste qu’il s’est très tôt donnée.Il le dit lui-même de fort belle manière dans l’introduction de son magmunopus : « Mon point de vue s’appuie sur ma participation à des activitéscollectives de laquelle je dérive une théorie du rôle joué par l’action collectivedans le contrôle de l’action individuelle (Commons, 1934a, p. xxx). »

Si la postérité du projet commonsien ne s’est pas manifestée notammentpar la fondation d’un courant de pensée se réclamant du maître, à ladifférence d’un Keynes ou d’un Veblen, il a su insuffler son esprit de réformeà l’université du Wisconsin, université pionnière dont l’Etat fut un véritablelaboratoire de la démocratie aux Etats-Unis, et former toute unegénération d’économistes qui deviendront les architectes du New Deal. AAllan Gruchy qui lui reprochait un jour d’avoir été incapable de formerdes continuateurs à son travail intellectuel, Commons répliqua : « Je penseque mon défaut est de diriger mes étudiants vers les affaires publiques – voussavez j’en ai une quantité dans le New Deal à Washington – mais ils ontleurs propres idées – pas les miennes. J’ai, en fait, beaucoup d’ennuis avecmon “école”, ils sont glorieusement indépendants (cité par Gruchy, 1967,p. 240, n. 32) (18). »

Laissons à ce sujet la parole à Kenneth Boulding, dont le témoignageà propos de Commons est très évocateur. Voici ce qu’il déclara à son sujet,lors d'un congrès de l’American Economic Association, en 1956 : « John R.Commons est un personnage unique, très différent de Veblen ou de Mitchell.Si on cherche un équivalent britannique, on le trouve immédiatement dansles Webb – peut-être plus en Sidney Webb – si seulement Commons avaiteu Béatrice ! Tout comme les Webb on écrit l’histoire future del’Angleterre, Commons à travers ses étudiants à été à l’origine intellectuelledu New Deal, de la législation du travail, de la sécurité sociale, de tout lemouvement dans ce pays vers l’Etat-Providence. L’Histoire de l’influenceintellectuelle de Commons n’a pas encore été écrite. Il n’attire pas l’intérêtpersonnel de Veblen ni même de Mitchell, mais on trouve ses étudiantspartout, à la fois dans les universités et dans le gouvernement. Il a été lepremier “brain truster” – opérant, il est vrai, la plupart du temps seulementauprès du gouvernement de l’Etat du Wisconsin mais établissant un modèlede grande importance pour la prochaine génération. Il a eu la capacitéincroyable d’inspirer une génération entière d’étudiants, dont bien peucomprenaient 10 % de ce qu’il voulait dire. Son écriture théorique est obscureet maladroite… (Boulding, 1957, p. 7). »

La vie de Keynes fut tout aussi passionnante et mouvementée. Hommed’action et de terrain autant que théoricien, il fut tour à tour ousimultanément professeur, intendant universitaire, directeur de revue, hautfonctionnaire, expert auprès de commissions, conseiller d’hommes d’Etat,militant politique, négociateur international, homme d’affaires, journaliste,

(18) Ce témoignage du“maître” lui-même vientnuancer l’assertion deChasse (1991, p. 444 et448), reprise mot pourmot par Maucourant(1994, p. 457 ; 2001,p. 260), selon laquelleCommons seraitbeaucoup plus mû par unidéal démocratique, à ladifférence de Keynes,dont l’idéal serait a prioriplus technocratique. Enfait ni l’un ni l’autre nesont partisans d’un idéaltechnocratique, mais ilsont tous deux développéune conception del’homme d’Etat porteurd’un idéal politique auservice d'une certaineidée de l’intérêt collectif.

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spéculateur, fermier, collectionneur de livres rares et d’œuvres d'art,administrateur de théâtre… (Dostaler, 2002). La liste est longue tant lavie de Keynes fut riche en expériences. De toutes ses activités, Keynes atoujours su tirer les leçons qui lui permirent de faire avancer sa théorie encohérence avec « le monde dans lequel nous vivons réellement » (Keynes,VII, p. 259). De son expérience en tant que spéculateur et conseiller dugouvernement, Bradley Bateman (1996) nous dit que Keynes a intégrél’incertitude au cœur de ses travaux. Aussi, de Versailles à Bretton Woods,en passant par le Trésor et la Banque d’Angleterre, il a acquis une conscienceaiguë du rôle et du fonctionnement des institutions qu’il a su mettre à profitdans son projet théorique visant à la réforme du capitalisme par le biaisde l’action collective.

Ainsi, conformément à sa vision incertaine du monde et à saconception réaliste du savoir (Lawson, 2003), Keynes a su articuler sesactivités académiques, privées et publiques en insistant sur le lienfondamental entre théorie et pratique (Gruchy, 1948 ; Foster, 1991). PourKeynes comme pour Commons, il y a donc d’abord une vision politique,fondée sur une éthique pragmatiste à laquelle est subordonnée l’analyseéconomique. Cette vision est éclairée par un horizon, celui d’uncapitalisme régulé par l’action collective, dont nous voyons qu’il est trèsproche chez les deux auteurs, sinon identique.

Enfin, un dernier point commun mérite d’être souligné. Il s’agit du tristesort réservé à leurs pensées. Sitôt la Théorie générale publiée, en 1936,l’économie orthodoxe travaillait à en expurger les éléments les plus radicauxet novateurs afin de mieux « récupérer » et neutraliser la pensée de Keynes.Ce projet, que Joan Robinson qualifiera de « keynésianisme bâtard », initiépar John R. Hicks puis popularisé par Paul A. Samuelson sous le nom de« synthèse néoclassique » domina le paysage économique et politique jusqu’aumilieu des années 70 et s’incarne aujourd’hui parfaitement dans la « nouvelleéconomie keynésienne » de Stanley Fisher et Gregory Mankiw, celui-là mêmequi déclarait que « la Théorie générale est un livre dépassé » (Mankiw, 1992,p. 560). De la même manière, l’institutionnalisme historique américain engénéral et la pensée de Commons plus particulièrement, après avoir été vidésde leur contenu, servirent de “caution intellectuelle” à la théorie orthodoxedes coûts des transactions que Ronald Coase, en 1937, préparait déjà duvivant de Commons et qui vaut à Oliver Williamson, chef de file de la« nouvelle économie institutionnaliste », d’être l’un des auteurs – si ce n’estl’auteur – les plus cités en économie actuellement.

Cette domination nette et sans partage des nouveaux keynésiens et desnéo-institutionnalistes ne doit rien au hasard. Elle vise à marginaliser lapensée des deux auteurs que l’establishment a toujours rejetée au nom d’uneprétendue obscurité de leur pensée. Harris rapporte ainsi « qu’unéconomiste élevé dans la tradition de Knight ou Marshall trouvera sans aucundoute l’écriture de Commons déroutante, sa formulation des problèmes

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perverse, sa doctrine obscure, contenant trop peu d’éléments pouvant êtreassimilés au corpus néoclassique »… (1951, p. 61). Samuelson, quant àlui, dit de la Théorie générale qu’il s’agit d’« un livre mal écrit, mal organisé ;tous ceux qui ont acheté le livre en se fondant sur la réputation de l'auteurse sont fait voler leur argent. Le livre ne peut pas être utilisé comme manuel.Il est prétentieux, polémique, agressif. (...) Il est rempli de truismes et deconfusions [si bien que] le système keynésien n'apparaît pas distinctement,comme si son auteur était à peine conscient de son existence et de sespropriétés (cité par Gérard Marie Henry, 1997, p. 83) (19). »

Pourtant, à l’heure où le capitalisme financier semble dépassé par salogique boursière de rentabilité à court terme effrénée, les gouvernementsredécouvrent les vertus de l’action collective tant au niveau national quesur le plan international que Keynes et Commons recommandaient pourcombattre la Grande dépression des années 30. C’est là un premier pas versla réhabilitation de leur pensée. En attendant peut-être la mise en placede véritables institutions internationales démocratiques et multilatéralescapables de réguler la mondialisation que ces deux visionnaires appelaientdéjà de leurs vœux de leur vivant.

Conclusion : Keynes et Commons, ici et maintenant !

Les éléments avancés plus haut montrent, a priori, que tout dans lesitinéraires de Keynes et de Commons était destiné à séparer ces deux fortespersonnalités : origine sociale, l'un étant d'un milieu relativementmodeste, l'autre d’un milieu plutôt aisé ; contexte culturel assez différent,aristocratique anglais, d'un côté, plutôt populaire du fin fond des Etats-Unis, de l'autre, etc. Et pourtant, ce qui les réunit est infiniment plusimportant que ce qui les sépare : attitude critique à l'égard du corpusnéoclassique, pragmatisme et réalisme dans l'appréhension des problèmeséconomiques fondamentaux et en particulier du chômage de masse, accordprofond sur les modalités de les résoudre par l'action collective régie parles institutions, en général, et par l'Etat, en particulier (McCracken, 1961).C'est ce qui explique à la fois le fait que certains aient considéré Keynescomme un économiste beaucoup plus américain qu'on ne l'aurait pensé,et la complémentarité évidente des éléments fondamentaux des penséesrespectives de nos deux auteurs.

In fine, à défaut d’avoir pu prouver l’existence d’une rencontre réelleentre les deux personnages, nous espérons, à travers ce portrait croisé, l'avoirrendu plus que vraisemblable et montré que si Keynes et Commonsappartiennent bien à l’histoire de notre discipline, leur plaidoyer communpour un capitalisme raisonnable ne les exclut nullement de son actualité,tout au contraire !

(19) Tout en prenant lesoin de préciser un peuplus loin : « Bref, il s’agitde l’œuvre d’un génie(Henry, ibid.). »

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