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18 Vendredi 15 avril 2011 E n 1976, Roy Ormond a mangé son dernier poisson. Et quand l’homme de 54 ans guide le visiteur à tra- vers son exploitation, dans la commune de Belle- vue Chopin, c’est avec infiniment de douceur qu’il parle des végétaux qui la peuplent. Il papillonne de massif en massif, égrainant les noms com- me si chaque plante était affublée d’une étiquette que seuls quelques initiés sauraient déchiffrer. « La plantain pour laver les yeux, la dent-de-lion pour la fièvre… Et voici le fruit miracle ! Vous le croquez et, ensuite, vous pouvez met- tre du citron sur votre langue sans que cela pique ! » Il caresse chaque plante pour en prendre l’odeur, de la raci- ne au sommet. Certaines sont endémiques des petites Antilles, d’autres de la Dominique, d’autres enfin ont été apportées par des amis depuis des pays plus lointains. Cascade d’odeurs, cascade de saveurs « A la Dominique, les gens sont comme partout, ils n’utili- sent plus les herbes médicinales, déplore Roy. Mais cela revient. » Il enchaîne : « Café Zepiant pour Parkinson. Avec les racines, on combat aussi la jaunisse. » Même la menthe et le basilic sont déclinés en autant de variétés déto- nantes. « Crunch them (croque-les) ! », suggère le petit ami de la fille de Roy, Dylan, tombé amoureux de la fille et de l’exploitation en même temps. Cascade d’odeurs, cascade de saveurs. Toute la famille Ormond est intégrée à cette terre qui submerge. Sur trois hectares, la moindre herbe se dresse fièrement et ne semble pas près de se laisser piétiner par la première chaussure. Une armée d’insectes bourdonnants, planquée dans les fourrés, pourrait même les défendre. Roy continue son exposé. « Les Caraïbes étaient habitués à utiliser la fleur de clerodendron pour soigner la migraine, juste en la reniflant ! Et cette lippia appartient à la famille des origans, la feuille a un goût de poivre. On me l’a amenée de la Martinique. Et ça brule comme le poivre, s’amuse-t-il. Zeb Chapentyé, que l’on appelle aussi fix all, répare tout ! » La présence des derniers Indiens Kalinagos encourage les Dominicais à respecter cet héritage végétal. Et cela convient bien à un certain état d’esprit très présent à la Dominique, au goût de rastafarisme, sans que les tenants s’en revendiquent forcément. Le bio, seulement le bio Insolite, un paon traverse le jardin, quelques minutes après avoir été trahi par sa criaille d’amour. Ils sont même plusieurs, rois démesurés au milieu des insectes invisibles. « On a des couples et trois petits, s’enthousiasme Roy. Un couple se vend cher, 1 000 dollars caribéens. Et lorsque la femelle a eu des petits, elle perd ses plumes. Un dollar US chacune. » De l’autre côté du chemin, ce sont les fruits et légumes qui s’é- panouissent. A l’entrée de cette nouvelle parcelle, une roquet- te généreuse et goûteuse tente de se faire oublier dans un rang de salades et de choux variés. Celle qui prend soin de la roquette et de ses congénères tra- vaille quelques pas plus loin : Cheryl Ormond, 54 ans, femme de Roy, très attachée à son « kitchen garden » (« jardin-cuisi- ne »).Évidemment, tout est bio. « Quand tu mets du poison sur le sol, ça tue tous les organismes. Après deux ans, il n’y a plus rien car tout est mort », explique Roy en mettant de côté « la salade pour ce soir ». Cheryl marche pieds nus dans le jardin. La crainte des ser- pents, c’est pour les autres. « Mon frère les attrape et les jette. De toute façon, la Dominique ne renferme pas de serpent à morsure mortelle. » Au milieu des fruits et légumes, un motoculteur est la seule machine ayant pénétré le lieu. La fille de Roy et de Cheryl a 21 ans et est en train de suivre un stage pour être guide. Elle s’occupe aussi de la pépinière familiale, racontent fièrement ses parents. En toute harmonie. « Harmony garden » est un lieu sans contradiction où la famille Ormond, ses innombrables plantes, ses animaux immangeables et ses touristes d’un jour vivent sur une terre aimée et foisonnante. Comme son nom l’indique Lorsque la marée est basse, le temps plutôt clément et les vagues petites, elles sortent de chez elles avec leurs sacs blancs. Les deux pieds dans l’eau, elles tâtent le sol, testent les replis et ramassent une algue foncée et cotonneuse. Theresa George et Noris Ben- jamin habitent à Calibishie, au nord de l’île. « On fait ce travail depuis qu’on est très jeunes, racontent-elles, en chœur. On va ensuite porter nos sacs à Roseau. » A l’usine Benjo, les algues seront séchées et deviendront blanches. Elles seront ensuite bouillies pour servir de base à une boisson épaisse et « éner- gétique », le « seamoss », du nom de l’algue, ou « crème de la mer ». Epicé avec de la cannelle et de la muscade, voire mélangé avec du lait de soja ou de vache, le seamoss est vendu en supermarché. Suite de notre série sur l’île voisine. Au programme des prochaines semai- nes : les pêcheurs, les tortues et les Kalinagos. Pour ceux qui ont raté la première par- tie, séance de rattra- page sur www.fran- ceantilles.fr Les glaneuses de la mer Caraïbe HARMONY GARDEN Se savonner d’herbes et de soufre On en mangerait ! Les savons de l’en- treprise Coalpot soap, à Geneva, sont comme autant de petits bouquets gar- nis d’herbes et de plantes fraiches et variées, mises en harmonie par la fon- datrice, Avril James. « A chaque cycle de production de 9 jours, nous en fabriquons 15 000 », explique l’entrepreneuse, aidée à ses débuts, il y a huit ans, par un program- me gouvernemental pour les jeunes. Sur la vingtaine de savons, celui à la glycéridia, une plante traditionnelle- ment utilisée pour les bains des bébés, ou encore celui au soufre, témoin de l’ardente activité des sous-sols domi- nicais, font partie des produits vedet- tes. Et dans chaque petite boîte en papier recyclé et imprimée d’encre à base de soja se cachent un brin d’héritage ancestral et un zeste de développe- ment durable. « Je mets au point tou- tes les recettes, sans conservateurs chimiques, sans parfum artificiel. Ma mère était agricultrice et m’a transmis ce qu’elle sait, confie Avril. Nous fai- sons pousser certains produits com- me l’aloé, le basilic, le cactus, la glyce- ridia. Le reste, nous demandons aux fermiers alentours de planter pour nous, dans la mesure du possible. » A chaque client et chaque peau, un produit spécifique, un conseil person- nalisé. Coalpot Soap fabrique aussi des crè- mes, des huiles, des sels de bain, des bougies, de quoi absorber l’esprit de la Dominique par tous les pores ! Est-il si simple d’être une femme chef d’entreprise à la Dominique ? « Non, ce fut très difficile au début. Même main- tenant, les femmes chefs d’entreprise ont du mal à faire valoir leur voix dans les différentes instances. » Avril va lancer un nouveau sham- pooing, à base d’hibiscus. « On n’a tend plus que les étiquettes, confirme-t-elle. Chaque année, nous grandissons un petit peu ! » www.coalpot-soaps.com CINQ JOURS À LA DOMINIQUE (II) Community tourism Les herbes médicinales de Roy Ormond, les savons d’Avril James ou la mangrove de l’Indian River : quel point commun ? A la Dominique, aucun lieu ne semble inaccessible au touriste. Et l’île s’ouvrira d’autant plus que le touriste sera ouvert. Le « community tourism » est un concept à la mode et les pays qui l’ont adopté sont divers : des îles de la Caraïbe comme la Jamaïque ou Belize, mais aussi le Brésil, l’Éthiopie ou les États-Unis. Objectif : mettre le tourisme entre les mains des populations, par « communauté » d’espace ou d’intérêt. Roy Ormond fait partie de la communauté « Bellevue Chopin organic farmers group ». Ces fermiers d’un même village ont monté leur propre circuit touristique, sur un ou trois jours, permettant aux touristes de visiter les fermes biologiques et de profiter de leurs produits. Ils ont été encouragés en cela par le ministère du Tourisme, via un projet européen. « Nous sommes aussi situés au début du segment 3 du Waitukubuli national trail*, explique Roy. Les gens peuvent venir ici, manger et dormir après avoir parcouru les segments 1 et 2 par exemple. » L’Indian River est un joyau de la « Portsmouth community tourism association ». Quant à Coal pot Soap, le petit atelier fait partie de quelques tours organisés. « Un jour, un touriste m’a demandé de l’emmener voir la pêche, se souvient Moïse, guide et organisateur expérimenté et francophone, j’ai appelé un ami pour lui faire faire un tour un après-midi. En fait, ce n’était pas du tout ce que le touriste voulait. Lui, il désirait partir le matin à 4 heures avec le pêcheur, partager un repas et un verre de rhum. Il l’a fait. Il a été malade la moitié du trajet, ensuite il a un peu trop bu, sa femme s’inquiétait, mais qu’est-ce qu’il était heureux ! C’est cela que les gens cherchent. Vivre avec les Dominicais une vie de Dominicais.il ne faut pas élaborer trop de choses spéciales pour les touristes ! Ils veulent au contraire vivre quelque chose de différent de ce à quoi ils sont habitués. » *Mais qu’est-ce que le segment 3 et qu’est-ce que le WNT ? Pour connaitre la réponse à cette insoutenable énigme, allez regarder dans la première partie de notre dossier, parue vendredi 8 avril, sur www.franceantilles.fr. Pour plus de renseignements sur le community tourism : http://communitytourism.dm. Enfin, le portail du tourisme : www.authentique-dominique.com Dossier réalisé par Cécile Everard, photos Raphaël de Bengy INDIAN RIVER Roy attrape les deux rames massives et les plonge dans l’eau sombre. Le moteur du bateau est réservé à la pêche. Les touristes, eux, viennent remonter la rivière sur un mile (environ 1,6 km). Cette mangrove ne ressemble pas vraiment à celle de la Martinique, avec ses bwa mang immenses, ses cocotiers et ses berges finalement peu marécageuses. Peu de touristes aujourd’hui. Pas de bateau de croisière en vue. « La Dominique possède 365 rivières », amorce Roy Robert George. Vous êtes sûr ? « Euh, c’est ce qu’on dit », répond Roy. A force d’écumer la rivière dans un sens puis dans l’autre. Roy est imbattable sur les différentes espèces d’arbres et d’oiseaux, les hérons, les fougères, les pavlonia. Il ponctue toutes ses phrases d’un final et grave « you know what I’m saying ? (vous comprenez ce que je dis ?) ». L’Indian River fait partie des « produits touristiques » les plus connus. Une trentaine de bateaux font le va et bien. Les guides ont même installé une petite cabane au plus profond de la mangrove pour accueillir les touristes. Beaucoup d’entre eux se débrouillent pour arrondir le produit touristique avec quelques à-côtés, plaisants pour le touriste, rentables pour le guide. Et Roy, depuis très longtemps, fait du « community tourism » sans le savoir. « Quand ils ont un peu de temps. J’invite les gens à venir chez moi, boire un jus local, manger un poisson, des fruits locaux. C’est notre culture ! »

A l’usine Benjo, les algues Suite de notre série À LA ... · Il papillonne de massif en massif, égrainant les noms com- ... quelques initiés sauraient ... nis d’herbes et

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Page 1: A l’usine Benjo, les algues Suite de notre série À LA ... · Il papillonne de massif en massif, égrainant les noms com- ... quelques initiés sauraient ... nis d’herbes et

18Vendredi 15 avril 2011

En 1976, Roy Ormond a mangé son dernier poisson.Et quand l’homme de 54 ans guide le visiteur à tra-vers son exploitation, dans la commune de Belle-vue Chopin, c’est avec infiniment de douceur qu’il

parle des végétaux qui la peuplent.Il papillonne de massif en massif, égrainant les noms com-me si chaque plante était affublée d’une étiquette que seulsquelques initiés sauraient déchiffrer. « La plantain pourlaver les yeux, la dent-de-lion pour la fièvre… Et voici lefruit miracle ! Vous le croquez et, ensuite, vous pouvez met-tre du citron sur votre langue sans que cela pique ! »Il caresse chaque plante pour en prendre l’odeur, de la raci-ne au sommet. Certaines sont endémiques des petitesAntilles, d’autres de la Dominique, d’autres enfin ont étéapportées par des amis depuis des pays plus lointains.

Cascade d’odeurs, cascade de saveurs« A la Dominique, les gens sont comme partout, ils n’utili-sent plus les herbes médicinales, déplore Roy. Mais celarevient. » Il enchaîne : « Café Zepiant pour Parkinson.Avec les racines, on combat aussi la jaunisse. » Même lamenthe et le basilic sont déclinés en autant de variétés déto-nantes. « Crunch them (croque-les) ! », suggère le petit amide la fille de Roy, Dylan, tombé amoureux de la fille et del’exploitation en même temps. Cascade d’odeurs, cascade de saveurs. Toute la familleOrmond est intégrée à cette terre qui submerge. Sur troishectares, la moindre herbe se dresse fièrement et ne semblepas près de se laisser piétiner par la première chaussure.

Une armée d’insectes bourdonnants, planquée dans lesfourrés, pourrait même les défendre.Roy continue son exposé. « Les Caraïbes étaient habitués à

utiliser la fleur de clerodendron pour soigner la migraine,juste en la reniflant ! Et cette lippia appartient à la familledes origans, la feuille a un goût de poivre. On me l’a amenéede la Martinique. Et ça brule comme le poivre, s’amuse-t-il.Zeb Chapentyé, que l’on appelle aussi fix all, répare tout ! »La présence des derniers Indiens Kalinagos encourage lesDominicais à respecter cet héritage végétal. Et celaconvient bien à un certain état d’esprit très présent à laDominique, au goût de rastafarisme, sans que les tenantss’en revendiquent forcément.

Le bio, seulement le bioInsolite, un paon traverse le jardin, quelques minutes aprèsavoir été trahi par sa criaille d’amour. Ils sont même plusieurs,rois démesurés au milieu des insectes invisibles. « On a descouples et trois petits, s’enthousiasme Roy. Un couple se vendcher, 1 000 dollars caribéens. Et lorsque la femelle a eu despetits, elle perd ses plumes. Un dollar US chacune. »De l’autre côté du chemin, ce sont les fruits et légumes qui s’é-panouissent. A l’entrée de cette nouvelle parcelle, une roquet-te généreuse et goûteuse tente de se faire oublier dans un rangde salades et de choux variés.Celle qui prend soin de la roquette et de ses congénères tra-vaille quelques pas plus loin : Cheryl Ormond, 54 ans, femmede Roy, très attachée à son « kitchen garden » (« jardin-cuisi-ne »).Évidemment, tout est bio. « Quand tu mets du poisonsur le sol, ça tue tous les organismes. Après deux ans, il n’y aplus rien car tout est mort », explique Roy en mettant de côté« la salade pour ce soir ».Cheryl marche pieds nus dans le jardin. La crainte des ser-pents, c’est pour les autres. « Mon frère les attrape et les jette.De toute façon, la Dominique ne renferme pas de serpent àmorsure mortelle. »Au milieu des fruits et légumes, un motoculteur est la seulemachine ayant pénétré le lieu.La fille de Roy et de Cheryl a 21 ans et est en train de suivreun stage pour être guide. Elle s’occupe aussi de la pépinièrefamiliale, racontent fièrement ses parents. En toute harmonie.

« Harmony garden » est un lieu sans contradiction où la familleOrmond, ses innombrables plantes, ses animaux immangeables et ses touristes d’un jour vivent sur une terre aimée et foisonnante.

Comme son nom l’indique

Lorsque la marée est basse, letemps plutôt clément et lesvagues petites, elles sortent dechez elles avec leurs sacsblancs. Les deux pieds dansl’eau, elles tâtent le sol, testentles replis et ramassent unealgue foncée et cotonneuse.Theresa George et Noris Ben-jamin habitent à Calibishie, aunord de l’île. « On fait ce travaildepuis qu’on est très jeunes,racontent-elles, en chœur. Onva ensuite porter nos sacs à

Roseau.»A l’usine Benjo, les alguesseront séchées et deviendrontblanches. Elles seront ensuitebouillies pour servir de base àune boisson épaisse et « éner-gétique », le « seamoss », dunom de l’algue, ou « crème dela mer».Epicé avec de la cannelle et dela muscade, voire mélangéavec du lait de soja ou de vache,le seamoss est vendu ensupermarché.

Suite de notre sériesur l’île voisine. Auprogramme desprochaines semai-nes : les pêcheurs,les tortues et lesKalinagos. Pour ceux qui ontraté la première par-tie, séance de rattra-page sur www.fran-ceantilles.fr

Les glaneuses de la mer

CaraïbeHARMONY GARDEN

Se savonner d’herbes et de soufreOn en mangerait ! Les savons de l’en-treprise Coalpot soap, à Geneva, sontcomme autant de petits bouquets gar-nis d’herbes et de plantes fraiches etvariées, mises en harmonie par la fon-datrice, Avril James.« A chaque cycle de production de 9jours, nous en fabriquons 15 000 »,explique l’entrepreneuse, aidée à sesdébuts, il y a huit ans, par un program-me gouvernemental pour les jeunes.

Sur la vingtaine de savons, celui à laglycéridia, une plante traditionnelle-ment utilisée pour les bains des bébés,ou encore celui au soufre, témoin del’ardente activité des sous-sols domi-nicais, font partie des produits vedet-tes.Et dans chaque petite boîte en papierrecyclé et imprimée d’encre à base desoja se cachent un brin d’héritageancestral et un zeste de développe-

ment durable. « Je mets au point tou-tes les recettes, sans conservateurschimiques, sans parfum artificiel. Mamère était agricultrice et m’a transmisce qu’elle sait, confie Avril. Nous fai-sons pousser certains produits com-me l’aloé, le basilic, le cactus, la glyce-ridia. Le reste, nous demandons auxfermiers alentours de planter pournous, dans la mesure du possible.»A chaque client et chaque peau, unproduit spécifique, un conseil person-nalisé.Coalpot Soap fabrique aussi des crè-mes, des huiles, des sels de bain, desbougies, de quoi absorber l’esprit de laDominique par tous les pores!Est-il si simple d’être une femme chefd’entreprise à la Dominique? «Non, cefut très difficile au début. Même main-tenant, les femmes chefs d’entrepriseont du mal à faire valoir leur voix dansles différentes instances.»Avril va lancer un nouveau sham-pooing, à base d’hibiscus. «On n’a tendplus que les étiquettes, confirme-t-elle.Chaque année, nous grandissons unpetit peu!»➥www.coalpot-soaps.com

CINQ JOURS À LA DOMINIQUE (II)

CommunitytourismLes herbes médicinales de Roy Ormond, lessavons d’Avril James ou la mangrove de l’IndianRiver : quel point commun ? A la Dominique,aucun lieu ne semble inaccessible au touriste.Et l’île s’ouvrira d’autant plus que le touristesera ouvert. Le « community tourism » est un concept à la mode et les pays qui l’ontadopté sont divers : des îles de la Caraïbecomme la Jamaïque ou Belize, mais aussi le Brésil,l’Éthiopie ou les États-Unis.Objectif : mettre le tourisme entre les mainsdes populations, par « communauté » d’espaceou d’intérêt. Roy Ormond fait partie de la communauté« Bellevue Chopin organic farmers group ».Ces fermiers d’un même village ont monté leurpropre circuit touristique, sur un ou trois jours,permettant aux touristes de visiter les fermesbiologiques et de profiter de leurs produits. Ils ont été encouragés en cela par le ministèredu Tourisme, via un projet européen.« Nous sommes aussi situés au début du segment 3 du Waitukubuli national trail*,explique Roy. Les gens peuvent venir ici,manger et dormir après avoir parcouru les segments 1 et 2 par exemple. »L’Indian River est un joyau de la « Portsmouthcommunity tourism association ». Quant à Coalpot Soap, le petit atelier fait partie de quelquestours organisés. « Un jour, un touriste m’a demandé del’emmener voir la pêche, se souvient Moïse,guide et organisateur expérimenté etfrancophone, j’ai appelé un ami pour lui fairefaire un tour un après-midi. En fait, ce n’étaitpas du tout ce que le touriste voulait. Lui, il désirait partir le matin à 4 heures avec le pêcheur, partager un repas et un verre de rhum. Il l’a fait. Il a été malade la moitié du trajet, ensuite il a un peu trop bu, sa femmes’inquiétait, mais qu’est-ce qu’il était heureux !C’est cela que les gens cherchent. Vivre avec les Dominicais une vie de Dominicais.il ne fautpas élaborer trop de choses spéciales pour les touristes ! Ils veulent au contraire vivrequelque chose de différent de ce à quoi ils sonthabitués. »➥*Mais qu’est-ce que le segment 3 et qu’est-ce que le WNT? Pour connaitre la réponseà cette insoutenable énigme, allez regarder dans la première partie de notre dossier,parue vendredi 8 avril, sur www.franceantilles.fr. Pour plus de renseignements sur le community tourism: http://communitytourism.dm.Enfin, le portail du tourisme: www.authentique-dominique.com

Dossier réalisé par Cécile Everard, photos Raphaël de Bengy ■

INDIAN RIVERRoy attrape les deux rames massives et les plongedans l’eau sombre. Le moteur du bateau estréservé à la pêche. Les touristes, eux, viennentremonter la rivière sur un mile (environ 1,6 km).Cette mangrove ne ressemble pas vraiment à cellede la Martinique, avec ses bwa mang immenses,ses cocotiers et ses berges finalement peumarécageuses. Peu de touristes aujourd’hui. Pasde bateau de croisière en vue.« La Dominique possède 365 rivières », amorceRoy Robert George. Vous êtes sûr ? « Euh, c’est cequ’on dit », répond Roy. A force d’écumer larivière dans un sens puis dans l’autre. Roy estimbattable sur les différentes espèces d’arbres etd’oiseaux, les hérons, les fougères, les pavlonia.Il ponctue toutes ses phrases d’un final et grave« you know what I’m saying ? (vous comprenezce que je dis ?) ».L’Indian River fait partie des « produitstouristiques » les plus connus. Une trentaine debateaux font le va et bien. Les guides ont mêmeinstallé une petite cabane au plus profond de lamangrove pour accueillir les touristes. Beaucoupd’entre eux se débrouillent pour arrondir leproduit touristique avec quelques à-côtés,plaisants pour le touriste, rentables pour le guide.Et Roy, depuis très longtemps, fait du« community tourism » sans le savoir. « Quand ilsont un peu de temps. J’invite les gens à venir chezmoi, boire un jus local, manger un poisson, desfruits locaux. C’est notre culture ! »