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A propos de l’auteur - ekladata.comekladata.com/P2uTjBqZ1NhftW6AzrIoTrrTZOE/EBOOK_Laura_Lee_Guhr… · Afrique de l’Est Le chant, une mélopée monotone et primitive, le tira

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Aproposdel’auteur

LauraLeeGuhrke a travaillé sept ans dans la publicité, est devenue un traiteur à succès, puis adirigé une entreprise de construction avant de décider qu’il était plus amusant d’écrire des romans.Figurantrégulièrementdansleslistesdebest-sellersduNewYorkTimesetdeUSAToday,elleapubliéplusd’unevingtainederomanceshistoriques.Seslivresontreçudenombreusesnominations,etelles’estvudécerner leprix leplusprestigieuxpour lesauteursde romance :unRITAAward.Ellevitdans lenord-ouest des Etats-Unis avec son mari (ou, comme elle l’appelle, son héros à elle), deux chatsdespotiquesetungoldenretrieverquifaitleursquatrevolontés.

AlamémoiredeMichelLoosli15mars1949–10mars2013Reposeenpaix,monami

Prologue

Afriquedel’Est

Lechant,unemélopéemonotoneetprimitive,letiralentementdusommeil.Lapremièrechosequ’ilsentitfutladouleur;ilessayaderevenirenarrière,deretourneràl’oubli,maisilétaittroptard.

C’était la fautedecechantquicontinuait inlassablement.Plus il tentaitde l’ignorer,pluscelui-cisemblait s’immiscer en lui. Il voulut se couvrir les oreilles pour retrouver un peu de silence, maisimpossibledeleverlesmains.C’étaitsiétrange!

Unemigraine lui fendait le crâne. Sa peau le piquait, comme transpercée demilliers d’aiguilleschaufféesàblanc,alorsqu’ilsesentaitpourtanthabitéparunfroidprofondetdouloureux,commesisonsquelette avait été composé de glaçons. Quant à sa jambe, elle n’allait pas bien. La souffrance qu’iléprouvaitsemblaitcentréelà,danssacuissedroite,d’oùelleirradiaitdanstouteslesautrespartiesdesoncorps.

Il essaya d’ouvrir les yeux pour inspecter sa blessure,mais cette fois encore sesmuscles ne luiobéirentpas.Ilavaitl’espritcommeengourdi.Queluiarrivait-il?

Penser lui demandait beaucoup trop d’efforts et, lorsque le chant perdit de l’intensité pour setransformerenunlégermurmure,ilreplongealentementdanslesommeil.

Ilfuttraversépardesimagesetdessonssifurtifsqu’illuifutdifficiledesavoirs’ils’agissaitd’unrêve ou d’un souvenir : un brouillard rougeâtre, une douleur fulgurante, et l’écho sonore de coups defusilsrésonnantàtraverslesmontagnesduNgong.

Letableauchangea,etilvitunemincejeunefilleenrobedesoiebleue,auvisagetavelédetachesde rousseur, aux cheveux blond vénitien et aux yeux verts. Elle le dévisageait, mais il n’y avait riend’aguicheur dans son regard, pas lemoindre sourire engageant sur ses lèvres rosepâle.Elle se tenaitaussiimmobilequ’unestatue,etpourtantc’étaitlacréaturelaplusintensémentvivantequ’ileûtjamaisvue.

Ilretintsonsouffle:impossible,ellenepouvaitpasêtreici,danscesétenduessauvagesd’Afriquede l’Est.Elle se trouvait enAngleterre !Mais, soudain, l’image sebrouilla. Il eut beau essayerde laretenir,satêteluisemblaittroplourdeetsespenséesconfuses.

Unecompressefroideethumidefutappliquéesursonvisage,luieffleurantlefront,puislaboucheet le nez. Il secoua la tête dansungeste deviolente protestation : il avait horreur qu’on lui touche lafigure,celaluidonnaittoujoursl’impressiond’étouffer.

Joneslesavaitbien.Alorsquediablefaisait-il?Onfrôladenouveausonvisageaveclelingemouillé,qu’ilréussitcettefoisàécarter.Iltremblait,

parcourudefrissons.Ilavaitsifroid!Pourtant, il était enAfrique. Il n’avait jamais eu froid ici ! EnAngleterre, si. L’Angleterre était

froide, avec son humidité et son crachin perpétuels, ses façons distantes, son snobisme de caste, sestraditionsfigées.

Mais, alorsmêmeque ces pensées désagréables lui traversaient l’esprit, une autre surgit deplusloin.

Ilesttempsderentreràlamaison.Iltentaimmédiatementd’écartercetteidée:ilavaitencoredutravailàaccomplirici.Carilétait

bienenAfrique,non?Brusquementenvahiparuneterribleincertitude,ilouvritlesyeuxetrelevalatête.Aussitôt, tout semit à tourner autourde lui, et il serra lespaupièrespournepasvomir.Lorsqu’il lesrouvrit, il découvrit un contexte délicieusement familier— un toit et des parois de toile, son bureau

d’ébènetoutéraflé,despeauxempilées,sescartesrouléesentasséesdansunpanier,samalleencuirnoir—,desobjetsqui,depuisunedemi-décennie,constituaientsonchez-lui.Prenantuneprofondeinspiration,ilperçutlesrelentsdesueuretdesavane,etunevaguedesoulagementdéferlaenlui.Laraisonnel’avaitdoncpastoutàfaitabandonné.

DeuxNoirssetenaientdebout,àl’entréedesatente.Deuxautresétaientagenouillésdechaquecôtédesonlitdecamp,marmonnanttoujoursleurchantinfernal.

MaisaucunetracedeJones.Oùdiableétait-il?L’undeshommesprèsdeluipressaunemainsursapoitrinepourl’obligeràserecoucher.Tropfaiblepourrésister,ilselaissaretombersursacoucheetfermalesyeux.Lajeunefillereparutaussitôt.Sesyeuxverts, telsdes joyauxdepéridot,étaientplongésdans les

sienstandisquesachevelure,commeéclairéed’uneflammeincandescente,brillaitsousleslampesdelasalledebal.

Lasalledebal?Ilrêvaitbeletbien.Voilàdesannéesqu’iln’avaitpasmislespiedsdansunesalledebal.Et,pourtant,ilconnaissaitcettefille.Anouveausonvisages’estompa,remplacépardesdamiersdeprairiesdoréesetdechampsvertpâleencadrésdehaiesd’unvertplussombre.C’étaientlesterresdesMargravequis’étendaientàpertedevuedevantlui.Ilessayadeleurtournerledos,maisalorsilvitleWashet,au-delà,lamer.L’odeurdelasavanes’étaitévanouiepourlaisserplaceàcelledugazonvert,desreines-des-prés,desfeuxdetourbeetdel’oierôtie.

Ilesttempsderentreràlamaison.Cettepenséeluirevint,apportantavecelleunsentimentd’inéluctabilitéquil’emportasurlechant

résonnantàsesoreilles.Les pâturages, les haies, l’océan, les yeux de cette fille— toutes ces images se fondirent en un

brillant tapisvert émeraude,puispâlirent avantdedisparaître, commeaspiréesdansune fissurede laterre.

Soudain,ilnevitplusrien.Toutautourdelui,iln’yavaitquelabéanceduvide,etileutcemêmesursautdepeurquiluihérissaitparfoislanuquelorsqu’ilsetrouvaitdanslebush.Ledangerétaitlà,toutproche,illesavait.

Lechants’interrompitbrusquement.Des voix fusèrent au-dessus de lui en salves précipitées— des voix inquiètes, angoissées, qui

s’exprimaient en kikuyu.Mais bien qu’il parlât couramment la plupart des dialectes bantu, y compriscelui-ci,ilneparvenaitpasàcomprendrecequ’ellesdisaient.

Puis il sentit qu’on le soulevait de la couche. Le mouvement déclencha une nouvelle vague dedouleurdanssesosdéjààvif.Ilvoulutcrier,maisaucunsonnefranchitsagorgedesséchée.

Les hommes l’emportaient. La douleur était insoutenable, surtout dans sa cuisse, et il avaitl’impressionquesesosallaientsebriserd’un instantà l’autre.Aprèscequi luiparutuneéternité, ilss’arrêtèrentenfin.

L’herbe sèche crissa sous son corps tandis qu’on le déposait sur le sol. Puis il entendit quelquechoses’enfoncerdanslaterreavecunraclementmétallique.Quesepassait-il,aunomduciel?

S’obligeantàrouvrir lesyeux, ildécouvritau-dessusdeluiuncroissantde luneargenté,dont lescontoursembruméssediluaientdanslecielnocturne.Ilclignadespaupières,secoualatêteetcilladenouveau.Soudain,lalunedevintdistincte.

C’était la nouvelle lune africaine, posée à l’horizontale, entourée du velours noir et de tous lesdiamantsdufirmament—unspectaclequiluiétaitfamilier.

Lanuit,quand lesautresétaientendormiset le feudéjàbas, ilprenaitplacedansson fauteuildetoile,lesjambesétenduesdevantluietlesmusclesencoreendolorisparlesafaridujour,etbuvaitson

cafédusoir,lesyeuxplongésdanscesconstellations.EnAfriquedel’Est,detellesnuitsétaientmonnaiecourante.

IlétaitbeaucoupplusraredevoirunesibellevoûteétoiléeenAngleterre.Là-bas,dejourcommedenuit,lecielétaitgénéralementbrumeux,l’airhumideetfrais.Maisenété,partempsclair,l’Angleterreavait sesbonsmoments.Lecanotage, le croquet, lespique-niques sur lapelouseàHighclyffe.Lebonchampagne.Lesfraises.

L’eauluivintbrusquementàlabouche.Desfraises…Voilàuneéternitéqu’iln’enavaitpasmangé.Ilesttempsderentreràlamaison.Lajeunefillesurgitànouveaudevantlui,minceetrésolue,dotéedecettepeauclaire,translucideet

lumineusesouslesaupoudragedeséphélides.Avecsessourcilsauburnquidessinaientdesanglesaigusetsespommetteshautes,samâchoirecarréeetsonmentonpointu,sonvisagen’étaitpasdoux,nimêmebeau.Enrevancheilétaitfrappant,fascinant,legenredefigurequel’onn’oubliejamaisquandonl’avueneserait-cequ’unefois.

Ilnes’agissaitpasden’importequellefille,serappela-t-ilsoudain.C’étaitsonépouse.Edie.Soncœurseserra.Cetaccèsdesentimentalismeà l’égardd’une femmequ’ilconnaissaità

peineetd’unendroitqu’iln’avaitpasvudepuisdesannéesluiparutétrange.Maisplusétrangeencoreétaitcetteattirance,troppuissantepourêtreignorée.Ilcompritalorsqu’ilnepourraitpasrestericipluslongtemps.Ilétaittempsderentrerchezlui.

Autourdelui,lesvoixs’élevèrentdenouveau,maistropbaspourqu’ilensaisisselesens.Oubliantsesrêveries,iltournalatêteet,entrelesbrinsd’herbedelasavane,ilputdistinguerles

quatrehommesqu’ilavaitdéjàvusdanssatente—Jones,enrevanche,restaitintrouvable.Leshommesse tenaient à faibledistancede lui et,bienque leurpeau sombre les rendîtpresque invisiblesdans lapénombre,illesreconnut.C’étaientseshommes.Illesconnaissaitsibienque,mêmedanslenoir,leursmouvementslerenseignaientsurleuridentité.

Ilsétaientoccupésàcreuseravecdespellesanglaises.Encoreunechoseétrange,carlesKikuyusn’étaient guère habitués à se servir d’outils étrangers. Tandis qu’il les observait, la lumière se fitlentementdanssonesprit,ettoutpritsoudainsens.C’étaientseshommes,lesmeilleursdeseshommes,lesplusloyaux,etilsluiaccordaientunhonneurréservéd’ordinaireauxchefstribaux:ilsétaiententraindecreusersatombe.

Chapitre1

Ainsi que l’a judicieusement fait observer l’écrivainWilliamCongreve, le thé et le scandaleonttoujourseudesaffinitésnaturelles.Achaquesaison,lesmatronesdelasociétébritanniquemanifestaientleurspréférencessurlechoixdesscandalesqu’ilconvenaitdeserviravecunetassed’EarlGrey.

Pour des raisons évidentes, le prince de Galles restait l’éternel favori : d’après ces dames, cemembreéminentdelafamilleroyalesedevaitd’inspirerlescandale,surtoutquandilétaitaffubléd’unpèresiennuyeux.

OnpouvaittoujourscomptersurBertiepouralimenterquantitédesavoureuxpotins.LemarquisdeTrubridgeavaitégalementconstituéunesourcefiabledecommérages,jusqu’aujour

où, converti à la vie conjugale, il était devenu d’une constance décevante à cet égard. Son épouse,néanmoins,présentaitencorequelqueintérêtpourlesdamesdelahautesociétécar,mêmesilasurpriseinitialedesonmariageavecTrubridges’étaitémoussée,beaucoupcontinuaientà trouver fascinantquel’ex-ladyFeatherstoneépouseunefoisdeplusunviveur.Sonpremiermariageneluiavait-ildoncrienappris ? De plus, elle était fort heureuse avec Trubridge une année entière après leurs noces. Cetteaffirmationétaitgénéralementaccueillieparunreniflementincréduleetunoudeuxrécitsédifiantssurlescoureursdedot:toutejeunefillesenséedevaitleséviter.

Parvenue à ce stade, la discussion déviait inévitablement sur la duchesse deMargrave. Tout lemondesavaitqueleducl’avaitépouséepoursonargent.

Aprèstout,quelautremotifaurait-ilpuavoir?Certespassabeauté,soulignaientpromptementlesplusséduisantesdecesdames.Aveccettelongue

silhouettemince,cettechevelurerousseindisciplinée?Etcestachesderousseur,machère!Cen’était certainement pas nonplus sa position sociale qui avait attiré l’attentionduduc.Avant

d’arriverenAngleterre,EdieAnnJewelln’étaitqu’unepetiteMllePersonnedeNullepart.Songrand-pèreavaitfaitfortunedanslecommerceenvendantdelafarine,desharicotsetdubaconauxchercheursd’or affamés de la côte deBarbarie californienne et, bien que son père eût fait quadrupler le capitalfamilialpardesinvestissementsjudicieuxàWallStreet,celan’avaitguèreimpressionnélasociéténew-yorkaise. Puis, lorsqu’un scandale avait compromis la réputation de la jeune fille, toute chanced’intégrationsocialeavaitsembléperduepourelle.Mais ilavaitsuffid’unvoyageàLondresetd’uneunique saisonpatronnéepar ladyFeatherstonepour que la petiteMllePersonne, avec sesmillions dedollars,mettelegrappinsurleplusbeaupartidelaville—maisaussileplusendetté.

Lapresse,desdeuxcôtésdel’océan,enavaitfaitunmariaged’amour,etcelayavaitcertainementressemblé.Maismoinsd’unmoisaprès lesnoces, il futpubliquementdémontréque l’amour,s’ilavaitjamaisexisté,battaitdéjàdel’aile.Aprèsavoirépongélesmultiplesdettesdesafamilleavecladotde

sanouvelleépouse,leducdeMargraveétaitpartipourlesdésertsd’Afriqueetyétaitrestédepuis,sansmanifesterlamoindreintentionderentrer.

Seule et abandonnée, la duchesse s’était appliquée à gérer elle-même tous les domaines desMargrave.Certes,elleavaitdesrégisseurscompétentsetbeaucoupd’argent,mais toutdemême…Lesdamessecouaientlatêteavecdelourdssoupirs.Quelfardeaupourlesépaulesd’unesimplefemme!

D’ailleurs, était-il vraiment convenablepouruneduchessedediriger ses terres toute seule ?Lesladies de la bonne société débattaient de la question au-dessus d’opulents plats de tourteaux et desandwichsauconcombre.LesjeunesfillestentaientdedéfendreladuchesseenfaisantpesertoutlepoidsdelafautesurMargrave,soulignantquec’étaitluiquiétaitparti.Sileducavaitétéchezluiaulieudesillonner l’Afrique, sa femmen’auraitpasétéobligéedeprendreencharge ses responsabilités !Acestadede laconversation, lesdamesrappelaientsèchement l’existencedeCecil, le frèrecadetduduc :c’estluiquiauraitdûgérerlesaffairesdesMargraveenl’absenceduduc,etlefaitqu’onneluienlaissâtpasl’opportunité,alorsquec’étaitsondroit,nefaisaitqueprouveràquelpointladuchesseignoraitlesusages.Maisquepouvait-onattendred’autred’uneAméricaine?

«L’éducationfinittoujoursparressortir»,nemanquaitpasd’assenerl’unedecesdameslorsqueladiscussion en était là. Arpenter les domaines, bêcher les jardins, retirer des fontaines, démolir despavillons construits depuis plus d’un siècle… ce n’était pas une façon de se comporter pour uneduchesse. Et que dire de tous ces changements auxquels elle procédait dans l’espace domestique ?Lampesàgaz,sallesdebains,etDieusaitquoiencore—desinstallationsaussimodernesnepouvaientqueternirlabeautéd’unedemeure,altérersonharmonieetbouleverserlaroutinedomestique.Songezauxpauvres employés demaison, se disaient ces dames.Qu’est-ce qu’une chambrière allait bien pouvoirfairedesesjournéess’iln’yavaitplusdepotsdechambreànettoyer?

Etquepensaitlafamilledetoutça?Laduchessedouairièreaffectaitd’êtresatisfaite,évidemment,même si elle ne pouvait réellement approuver. D’un autre côté, lady Nadine affirmait à qui voulaitl’entendrequ’elleappréciaitleschangementsapportésauxrésidencesducales,maisc’étaitprévisibledesapart:lasœurdeMargraveétaitl’unedecesjeunesfillesaimablesetécerveléesquelesactionsdesautresnesemblaientjamaisaffecter.Cecil,enrevanche,devaitenéprouverdel’amertume.Pasétonnantqu’ilpasseleplusclairdesontempsenEcosse.

Certainsassuraientqueladuchesseadoraitexercerdespouvoirsquiétaientnormalementl’apanagedu sexe fort. D’autres ne voyaient pas comment c’eût été possible— quelle femme pourrait prendreplaisirauxpesantsetvulgairesdevoirsdévolusauxhommes?

Laseulechosesurlaquellecesdamess’accordaient,c’étaitqu’ilfallaitprendreladuchesseenpitiéetnonlajuger.«Pauvrepetite»,disaient-elles,leurévidentejubilationàpeinevoiléesousunsemblantdecompassion.UnmarienAfriquedel’Est,mêmepasd’enfantspourlaconsoler,etelleremplissantlevidedesesjournéesavecdesresponsabilitésmasculines.Oui,vraiment,pauvrepetite.

***

Laréactiondeladuchesse,chaquefoisqu’elleentendaitparlerdecesconversations,étaitd’enrire.Sicesfemmesavaientconnulavérité!

Sonmariageétaitparfait.C’étaitlegenred’unionquen’approuvaientnilesBritanniques,àcausedel’absenced’héritiers,nilesAméricains,carellen’étaitpasfondéesurl’amour.Etcen’étaitcertainementpas le mariage qu’elle aurait espéré du temps où elle était une jeune fille pleine d’illusions. MaisSaratogaavaitréussiàladépouillerdetoutromantisme.

Alasimplepenséedecetendroitetdecequis’yétaitpassé,Ediesesentaitunpeunauséeuse.ElledétournalatêtepourqueJoannanevoiepassonexpressiontandisqu’elleluttaitpourchasserlesouvenirdecejoursombrequiavaitchangésavie.

Elle se concentra sur le chaud soleil qui inondait le landau et inspira cet air frais d’Angleterre,s’efforçantd’effacerdesamémoirel’odeurmoisiedupavillond’étédeSaratogaet,sursonvisage, lesoufflechaudethaletantdeFrederickVanHausen.Elleprêtal’oreilleaufracasdesrouesdel’attelagepourneplusentendrelebruitdesespropressanglotsouleschuchotementsmoqueursdelasociéténew-yorkaisesurcettegourgandined’EdieJewell.

Commelephénixrenaissantdesescendres,elles’étaitcrééunenouvellevieàpartirdunaufragedel’ancienne, et celle-ci lui convenait parfaitement.Elle était une duchesse sans duc, unemaîtresse sansmaîtreet,auplusgrandétonnementdelasociété,elleaimaitqu’ilensoitainsi.Savieétaitconfortable,sécurisanteetaussiprévisiblequ’unemachinebienrégléedontellecontrôlaitchaquerouage.

Enfinpeut-êtrepastous,sedit-elleàregretenregardantlajeunepersonnedequinzeansassisefaceàelle.Commeelle-même,sasœurJoannan’étaitpasenclineàselaissercontrôler.

— Je ne vois toujours pas pourquoi je dois aller dans une école, répéta la jeune fille pour lacinquièmefoisdepuisquel’attelageavaitquittéHighclyffe,etpourlacentièmefoispeut-êtredepuisqueladécisionavaitétéprise.JenevoispaspourquoijenepourraispascontinueràvivreàlamaisonavecvousetétudieravecMmeSimmons,commejel’aitoujoursfait.

Detoutsoncœur,Edieauraitvouluquecefûtpossible.Sasœurn’étaitpasencoremontéedansletrainqu’elle luimanquaitdéjà.Maismontrercequ’elleressentaitne leurferaitdebiennià l’uneniàl’autre,ellelesavait.Aussifeignit-elleuneinébranlableimperméabilitéauxargumentsdeJoanna.

—JenepeuxpasfairesubiràcettechèreMmeSimmonsuneautreannéeiciavecvous,fit-elleavecunenjouementqu’elleétaitloinderessentir.Vouscauseriezsamort.

Joannadardasurelleunregardaccusateur.—Cen’est pas la vraie raison.C’est cette stupidehistoire de cigarettes.Si j’avais suquevous

m’enverriezauloinàcausedecela,jenel’auraisjamaisfait.—Oh!cen’estdoncpasvotreconsciencequivoustaraude?C’estcequevouspercevezcommeun

châtiment.Joannapritaussitôtuneexpressionchoquée.—Cen’estpasvrai,serécria-t-elle.Jeregrettevraiment,Edie.Vraiment.—Etvousfaitesbien,Joanna,intervintMmeSimmons,assiseàcôtédelajeunefille.Fumerestune

trèsvilainehabitude,indigned’unedame.Joanna ne réagit pas au commentaire, l’expérience lui ayant visiblement appris qu’il était futile

d’argumenteravec la terribleMmeSimmons.Ellecontinuaità fixerEdiedesesgrandsyeuxdebiche,toutscintillantsdelarmessoussoncanotierdepaille.

—Jen’arrivepasàcroirequevousmebannissiez.Edie savait parfaitement que cesmots n’étaient que puremanipulation, et pourtant elle sentit son

cœurseserrer.Danstouslesautresdomainesdesavie,elleétaitsûredesesdécisionsetdubien-fondédesesactes,etneselaissaitpasaisémentgouverner.MaisJoannaétaitsonpointfaible.

Mme Simmons, Dieumerci, possédait la détermination dont elle-même était dépourvue dès lorsqu’il s’agissait de Joanna. Mais, au cours de l’année passée, la jeune fille était devenue tropingouvernable, même pour cette brave dame. A de nombreuses reprises, celle-ci avait recommandéd’envoyerJoannadansuneécolequiapprofondiraitsonéducationartistiqueetluiinculqueraitlesbonnesmanières et, après l’incident des cigarettes, Edie avait fini par capituler, au grand dam de sa sœur.Pendant les quatre semaines qui s’étaient écoulées depuis, Joanna avait inlassablement tenté de faire

fléchirsarésolution.Heureusement,l’écolepourjeunesfillesdeWillowbankavaitbienvouluaccepterla sœur de la duchesse de Margrave pour le prochain trimestre. Si la campagne de Joanna s’étaitprolongée,Edieauraitsansdoutecédé.

Mais sa sœur avait besoin d’aller à l’école. Elle était parvenue à un âge où la discipline,l’acquisition d’un vernis raffiné et la stimulation deviennent indispensables à une jeune fille.Cela luipermettraitégalementdenouerdesamitiés.

Ediesavaittoutcela,maisellesavaitaussiquesasœurallaitterriblementluimanqueretredoutaitdéjàdeseretrouverseule.

D’unevoixtimideetcontrite,Joannainterrompitsespensées.—Edie?Laduchessesetournaverssajeunesœur.—Oui,machérie?—Sijevousprometsdeneplusjamaisrienfairedemal,pourrai-jerester?MmeSimmonsintervintavantqu’Edien’aiteuletempsderépondre.—Cela suffit, Joanna.Votre sœur a pris sa décision. J’ai été engagée ailleurs, et vous avez été

acceptée à Willowbank. Ce qui est très flatteur pour vous, du reste, car il s’agit d’une école trèsdistinguée.MmeCallowayacceptetrèspeudecandidates.

—AWillowbank, vous pourrez peindre et étudier les arts, ce que vous aimez par-dessus tout,compléta Edie d’une voix enjouée. Vous vous ferez des amies et apprendrez toutes sortes de chosesnouvelles.Cepetitcerveausifutéseraoccupédumatinausoir!

— Je ne saurai probablement jamais si c’est le soir ou le matin, bougonna Joanna. Là-bas, lesfenêtressontsiminusculesqu’onpeutàpeinevoirdehors.Toutyestsombreettriste,etl’hivervenu,ilvasansdouteyfaireunfroiddecanard.Beurk!

—C’estunchâteau,biensûr.Maisnecroyez-vouspasqueceseraplutôtamusantdevivredansunchâteau?

Joannaneparutpasimpressionnée.Elleesquissaunemoueetselaissaretombercontresonsiègeensoupirant.

—CeseracommedevivredanslaTourdeLondres.Uneprison.—Joanna!s’exclamaMmeSimmonsd’untondereproche.MaisJoanna,imperturbable,ouvrittoutgrandlesyeuxpourlesposersursonirréductiblevoisine.—Ehbienquoi?demanda-t-elleenfeignantl’innocence.LaTourétaitbienuneprison,non?MmeSimmonsrenifla.—Eneffet.Etsivouscontinuezàennuyervotresœur,ellepourraitbienvousenvoyerlà-basplutôt

qu’àWillowbank.—Etpourrai-jeyentrerenbateau,parlaPortedelareineAnne?s’enquitJoanna,quis’éclairaà

cetteidée.Cepourraitêtretrèsamusant.— Jusqu’à ce qu’on vous coupe la tête, intervint Edie. Si vous vous comportez à Willowbank

commevousl’avezfaitàlamaison,c’estcequeMmeCallowayseratentéedefaire,jelecrains.Joanna prit une expression boudeuse et, ne trouvant apparemment pas de repartie spirituelle, se

réfugiadanslesilence—occupéeàconcocter,Edien’endoutaitpas,unautreargumentpourdémontrerenquoilapensionétaitunemauvaiseidée.

Lajeunefilleappréhendaitdes’éloigner,etc’étaitbiencompréhensible.Joannan’avaitquehuitansquand leur mère était morte. Fort occupé à New York par ses affaires, leur père avait pensé que lameilleurechosepourtoutlemondeseraitdeconfierJoannaàEdiejusqu’àsonmariage,etlesdeuxsœurs

avaientrarementétéséparées.MaisEdiesavaitbienqu’ellenepourraitgarderJoannaéternellementavecelle,aussifortqu’ellelesouhaitât.

Depuissonsiège,elleobservalevisagedelajeunefilleavecdessentimentsmêlés.D’uncôté,ellese réjouissait à l’idée que les défauts physiques qui avaient tant gâté sa propre jeunesse ne seraientjamaisuntourmentpoursasœurbien-aimée.

Joanna avait un nez aquilin dénué de taches de rousseur, et des cheveux auburn sans lemoindrerefletcarotte.Sasilhouette,quoiquemince,étaitdéjàbienplusarrondiequelasienneneleseraitjamais.Ellen’étaitpasnonplusaussigrandequesonaînée,Dieumerci.

Maisbienqu’ellefûtheureusedevoirJoannas’épanouiretdevenircequ’elle-mêmen’avaitjamaisété,unebeauté,Edien’enétaitqueplusdécidéeàlagarderetlaprotéger,afindes’assurerquecequ’elleavaitsubiàSaratogan’arriveraitjamaisàsapetitesœur.

AWillowbank,Joannaseraitensécuritéetdûmentchaperonnée.Edieavaitbeaulesavoir,ellen’enéprouvaitpasmoins la tentationdésespéréedefairefairedemi-tourà l’attelageet, lorsque levéhiculeralentitsoudain,elleeutpresquel’impressionqueledestinl’avaitentendue.

—Holà!crialecocherentirantsecsurlesrênespourmettrel’attelageaupas.Edieseredressasursonsiège.—Qu’ya-t-il,Roberts?Pourquoiavez-vousralenti?—Ilyadesbrebisdevantnous,votregrâce.Etellessontnombreuses.—Desbrebis?S’agrippantdesesdoigtsgantésaureborddelaportière,Ediesesoulevaàdemietdécouvrit,dans

unmélangedeconsternationetdesoulagement,letroupeaudemoutonsquileurbarraitlaroute:guidéspardeuxhommesàchevaletungroupedechiens, ilsavançaientavecuneexaspérante lenteurdans lamêmedirectionquel’attelage.

—Celava-t-ilbeaucoupnousretarder?demanda-t-elleenselaissantretombersurlabanquette.Lejeunecocherlaregardapar-dessussonépaule.—Jelecrains,votregrâce.Aumoinsvingtminutes,jeprésume.Peut-êtremêmedavantage.Joannabonditdejoiesursonsiège.—Magnifique!Nousallonsmanquerletrain.Edieconsultalamontreépingléeaureversdesajaquettedesergebleueeteutlaconfirmationque

c’étaiteneffetplusqueprobable.Ellesepenchasurlecôtédulandauentendantlecoupouressayerdevoirdevantleschevaux,puisconsidéradenouveausoncocher.

— Ne pouvez-vous pas accélérer un peu ? suggéra-t-elle en désespoir de cause. Les brebiss’écarterontplutôtquedeselaisserpiétinerparleschevaux,non?

Robertsluijetauncoupd’œildubitatif.—Encorefaudrait-ilqu’ellesaientlaplacedebouger,votregrâce.Ellessontjolimentserréeset,

aveclamontagneàdroiteetlaclôtureàgauche,ellesn’ontnullepartoùalleràpartcontinuertoutdroitdansl’allée.

—Nousallonsdoncdevoiravanceràcerythmejusqu’àlaroutequitourneversClyffeton?Robertsconfirmad’unsignedetête.—Jelecrains.—Ah!s’exclamaJoanna,triomphante.Etiln’yaurapasd’autretrainavantdemain.Un jour de plus à subir les tentatives de dissuasion de sa sœur ? Edie se laissa retomber en

gémissantsurlesiègeencuir.Ellen’yrésisteraitpas.L’attelage continuait à avancer au pas. Mme Simmons observait un silence parfaitement digne,

Joanna souriait avec une exultation à peine dissimulée, et Edie essayait de se donner du courage afin

d’affronterpendantvingt-quatreheuresdeplusleseffortsdesasœurpouraffaiblirsarésolution.Il leurfallutunedemi-heureavantdepouvoir tournersur la routeen laissant le troupeauderrière

euxet,bienqueRobertseût rattrapéunepartiedu tempsperduen lançant l’attelageau trot, le trainenprovenance deNorwich approchait déjà de laminuscule gare deClyffeton en soufflant des nuages devapeur.

Robertsavaitàpeinearrêtélevéhiculequ’Ediesautaitdéjàdulandau.—Apportezlesbagages,Roberts,voulez-vous?cria-t-ellepar-dessussonépauletandisqu’ellese

ruaitdansl’escalieretouvraitlaportedelagare.Sansattendrelaréponse,elleseprécipitadanslepetitbâtimentvideetémergeadel’autrecôté,sur

le quai. Celui-ci était également désert, en dehors d’un homme adossé à un pilier dans une posenonchalante, son chapeau tiré très bas sur le front. Entouré d’un amas de bagages, il ne semblait pasvouloirmonterdansletrain,etEdiesupposadoncqu’ilvenaitdedébarqueretattendaitqu’onluitrouveunattelage.

Unétranger,songea-t-elletoutdesuite,etellepassadevantluisansluiaccorderunregardniunepenséedeplus.

—MonsieurWetherby?fit-ellealorsenreconnaissantlechefdegarequidescendaitdutrain.L’hommeseredressaaussitôtetluiprêtauneattentiondéférente.—Quepuis-jefairepourvous,votregrâce?—Masœuretsagouvernantedoiventprendrecetrain,maisnoussommesterriblementenretard.

Peut-êtrepourriez-vouspersuaderleconducteurdedifférerledépartd’uneminuteoudeuxafinqu’ellesaientletempsdemonter?

—Jevaisessayer,votregrâce,maisretarderuntrainpeutserévélerdangereux.Jevaisvoircequejepeuxfaire.

Le chef de gare s’inclina en soulevant son chapeau, puis se hâta de remonter dans le train pourtrouverleconducteur.

Ediejetauncoupd’œilpar-dessussonépaule,maislesautresnel’avaientpasencorerejointesurlequai.Nevoulantpaspenser audépart imminentde sa sœur, elle tâchade sedistraire enexaminantl’étrangeravecplusd’attention.

Carc’étaitbienunétranger,conclut-elle,mêmesiellenesavaitpasvraimentpourquoiilluidonnaitcette impression. Il était vêtu pour la campagne, dans des tweeds bien coupés typiquement anglais, etpourtantquelquechoseenluinefaisaitpasanglais.Peut-êtreétait-cesaposenégligente,oulafaçondontilavaittirésonfeutrebrunsursesyeux.Amoinsquecenefûtlacanneenacajouetivoirequ’iltenaitàlamain,lavaliseenpeaudecrocodileuséeàsespieds,oulesmallesnoirescloutéesdecuivreempiléesàcôté. Ou encore, tout simplement, la vapeur du train qui tourbillonnait autour de lui en l’enveloppantd’unebrume.Maisquelquechoseenluiévoquaitdeslieuxexotiquesbienéloignésdecesomnolentpetitcoind’Angleterre.

Clyffetonétaitunvillagepittoresque,situésurlacôtedeNorfolk,àl’extrémitéduWash.Ilavaiteuune importance stratégique à l’époque où les Vikings se livraient au pillage le long des côtesd’Angleterre, mais n’était guère plus aujourd’hui qu’un bourg côtier endormi. Même s’il pouvait setarguerdeposséderunsiègeducal,lelieun’enétaitpasmoinsdésuet,isoléetdésespérémentvieuxjeu.Ici,laprésenced’unétrangerseremarquaitcommelenezaumilieudelafigure.Dansmoinsd’uneheure,tout le village serait en effervescence à propos de cette nouvelle arrivée. Dans deux heures, sarespectabilité serait établie, son milieu social dévoilé, ses intentions connues. A l’heure du thé, lasoubretted’Edieseraitsansdouteenmesuredetoutluiracontersurlenouveauvenu.

—Vousl’avezempêchédepartir!

Avecuntonconsternéetaccusateur,Joannalatiradesesréflexions.Edieseretourna,oubliantdenouveaul’étranger.— Bien sûr, répondit-elle en s’efforçant de sourire à sa sœur. C’est merveilleux d’être une

duchesse.Onretardedestrainspourmoi!—Evidemment,marmonnaJoannad’unevoixdégoûtée.J’auraisdûm’endouter.MmeSimmonssehâtaversellesenfaisantsigneauxdeuxhommesquilasuivaient,lesbraschargés

debagages.—J’aitrouvéunporteurpouraiderRoberts.Etmontrantlesdeuxticketsdanssamaingantéedenoir:—Maisnousferionsmieuxdemonterpournepasfaireattendreletrainpluslongtemps.Joannalevalementonentâchantdeprendreunairindifférent.—Trèsbien.Jesupposequejedoisyaller,puisquevousêtestouteslesdeuxsidéterminées.Edieperçutlapeursouscettenonchalance.Maisiln’étaitpasquestiondecéder,mêmesicelalui

déchiraitlecœur.Bouleversée,ellesetournaverslagouvernante.—Veillezsurelle.Assurez-vousqu’elleestbieninstalléeetatoutcequ’illuifautavantde…Elles’interrompitpourprendreuneprofondeinspiration.—Avantdelaquitter.Lagouvernanteinclinalatête.—Biensûr,votregrâce.Allons,Joanna,venez.Lajeunefillegrimaça,décomposée,ettoutesabravades’effondra.—Edie,nem’obligezpasàpartir!MmeSimmonss’interposad’unevoixsévère:—Pasdeçamaintenant,Joanna.Vousêteslasœurd’uneduchesseetunejeunedamedelabonne

société.Comportez-vouscommetelle.MaisJoannanesemblaitpasenclineàsecomportercommeunedame.ElleentouraEdiedesesbras

ets’accrochadésespérémentàelle.—Nemerenvoyezpas!EdiefrottaledosdesasœurenessayantdecachersapropreémotiontandisqueJoannasanglotait

contresonépaule.—Chut,chut…Ilss’occuperontbiendevousàWillowbank.—Pasaussibienquevous!Edies’écartadoucementet,bienquecefûtl’unedeschoseslesplusdifficilesqu’elleaitjamaiseu

àfaire,sedégageadel’étreintedesasœur.—Soyezcourageusemaintenant,allez-ymachérie.NousnousreverronsàNoël.—Autantdirejamais!Essuyant son visage, Joanna se retourna furieusement pour suivre la gouvernante qui se dirigeait

versletrain.Elleymontasansunregardenarrière.Maisàpeinequelquessecondesplustard,elleouvritlapremièrefenêtreetpassalatêteàl’extérieur.

—Nepouvez-vouspasmerendrevisiteavantNoël?s’enquit-elleencroisantlesbrassurlavitre,tandisqueMmeSimmonsgagnaitleursplaces,unpeuplusloindanslewagon.

— Nous verrons. Je ne veux pas vous distraire pendant que vous vous installez. En attendant,écrivez-moipourtoutmeraconter.Avecquivousavezliéconnaissance,commentsontvosprofesseursetabsolumenttoutsurvosleçons.

—Vousmériteriez que je ne vous envoie pas une seule lettre,maugréa Joanna, le visage encorehumide de larmes. Je n’écrirai pas un mot et vous laisserai dans l’expectative toute l’année, à vous

demander ce que je peux bien faire. Ou plutôt non, corrigea-t-elle. J’ai une meilleure idée. Je mecomporteraitrèsmal,jefumeraiànouveaudescigarettes.Etjesèmeraitantdedésordrequejemeferaichasseretrenvoyeràlamaison.

—Et,moi,jecroyaisquevousvouliezunesaisonàLondrespourvosdix-huitans,rétorquaEdied’une voix tremblante, luttant elle-même pour ne pas céder aux larmes. Si vous êtes chassée deWillowbank, en fait de saison,vous serez exiléebienplus loinque leKent. Jevous enverrai dansuncouventenIrlande.

Joannas’essuyalevisage.— Une menace en l’air ! marmonna-t-elle. Nous ne sommes pas catholiques. D’ailleurs, vous

connaissant,jenesuispassûrequej’auraijamaisunesaison.Ceseraittropéprouvantpourvosnerfs.—Maissi,vousenaurezune,larassuraEdiequi,àlaperspectivededevoirchaperonnersasœur,

trouvasoudainl’idéeducouventbienplusattrayante.Sivousarrivezàvouscomporterconvenablement.Joannarenifla.—Jesavaisquevousétiezcapabledechantage.Unsiffletannonçaledépartimminent.Ediesaisitlamainqueluitendaitsasœuretluiimprimaunerapidepression.—Soyezunebonnefille,machérie,ets’ilvousplaît,pourunefoisdansvotrevie,faitesceque

l’onvousdit.NousnousverronsàNoël.Peut-êtremêmeavant.Elle savaitqu’elleauraitdû rester jusqu’audémarragedu train,maisellecraignaitdeneplus se

contrôlersielles’attardaituninstantdeplus.Aussisourit-elleunedernièrefoisenagitantgaiement lamainendirectiondeJoanna,puiselledéguerpitavantdesemettreàsanglotercommeunefillette.

Maissafuitetournacourt.Elletraversaitlequaiquandlavoixdel’étrangerl’arrêtanet.—Bonjour,Edie.Oubliantuninstantsasœurbien-aimée,ellepivotaversl’homme.Lesinconnusn’adressaientpasla

paroleauxduchesses,etEdieétaituneduchessedepuissuffisammentlongtempspours’étonnerquecelui-cil’eûtapostrophée.Maislorsqu’ilrepoussasonchapeauenarrièrepourrévélerdebeauxyeuxd’ungrispénétrant,sonétonnementsetransformaenstupéfaction.Cethomme-làneluiétaitnullementétranger.

C’étaitsonmari.Ellelaissaéchapperuncridesurprise.—Stuart?Onnedécelaitdanssavoixaucune tracedecette joiequiauraitdûprésiderauxretrouvaillesde

deuxépoux,maisStuartneparutpass’enapercevoir.Il se découvrit et inclina la tête dans ce qui ne ressemblait pas vraiment à un salut, car il resta

adosséaupiliersansprendrelapeinedeseredresser.CegestepresqueimpudentconfirmaàEdielaterriblevérité.Sonmariétaitici,àdeuxpasd’elleet

nonàdesmilliersdekilomètrescommecelaauraitdûêtrelecas.Lesbonnesmanièresauraientexigéunaccueilunpeumoinssuccinctquecesimplecri,maisaucun

motneluivint.Edienepouvaitquedévisagercethomme,qu’elleavaitépousécinqansplustôtetn’avaitjamaisrevudepuis.

L’Afrique, songea-t-elle aussitôt, devait être un continent très rude.Cela se devinait dans chaquedétail de sonapparence—sapeaubronzée, les légères rides autourde sesyeuxetde sabouche, lesrefletsd’ambreetd’ordanssacheveluresombre,brûléeparlesoleil.Celasevoyaitauxméplatsdesonvisageamaigrietauxligneslonguesetpuissantesdesoncorps,ainsiqu’àlacanneexotiquequ’iltenaitdanssamainetàsonregardperçant,attentif.

Pendantlesannéesqu’avaitdurésonabsence,Edies’étaitparfoisdemandécommentétaitl’Afrique.Aprésent,ellepouvaitdécelerdansl’hommequisetenaitdevantellebiendesaspectsdeceterritoire—son climat éprouvant, sa nature nomade, son esprit aventureux et sauvage et la dîme inexorable qu’ilprélevaitsurlessimpleshumains.

Disparu,lebeaujeunehommeinsouciantquiavaitépouséunefillequ’ilneconnaissaitmêmepas,etluiavaitlaisséenchargelagestiondetoussesdomainesavantdepartiravecunejoyeuselégèretépourune destination inconnue. Celui qui rentrait chez lui aujourd’hui était quelqu’un de complètementdifférent,sidifférentqu’Edieétaitpasséeàcôtédeluisanslereconnaître.

Jamaisellen’auraitcruquecinqannéespussentchangerunhommeàcepoint.Maisquefaisait-ilici?Ellejetauncoupd’œilverslesmallesdecuirnoirempiléessurlequai,puisverslessacsetvalisesposésàsespieds,etcetamoncellementdebagageslafrappasoudainaveclaforcedel’évidence.Posantdenouveaulesyeuxsurlui,ellelevitserrerleslèvres,etcetimperceptiblemouvement,mieuxquedesparoles,confirmasonterriblesoupçon.

Lechasseurestderetour, songea-t-elle, et saconsternationviraà l’effroi, tandisqu’elleprenaitconsciencequesavieparfaite,saviesansmari,risquaitbeletbiendes’écrouler.

Chapitre2

Seulunimbécileparticulièrementenclinàl’aveuglementauraitpupenserqu’Edieseréjouiraitdelerevoir,etStuartn’avaitjamaisétédeceux-là.Malgrécela,ilnes’attendaitpastoutàfaitàtrouvercetteexpressionhorrifiéesurlevisagedesafemme.

Ilauraitdû luiécrired’abord, luidonneraumoinsune indicationsurcequisepréparait. Ilavaitessayémais,pouruneraisoninconnue,l’informerdelasituationdansunelettres’étaitrévéléunetâcheimpossible.Chaquebrouillonqu’ilavaittentéderédigerétaitencoreplusempruntéetmaladroitqueleprécédent, jusqu’aumoment où il avait renoncé et s’était contenté de réserver son billet de retour—l’annonce d’un tel changement dans leur vie devait être faite en personne. Face à l’accueil des plusembarrassantsqu’elleluiréservaitencetinstant,cependant,ilregrettadenepasavoirtrouvéunmoyend’expliquertoutcelaparécrit.

Ilavait imaginébiendesversionsdeleursretrouvaillesdurantsonlongvoyagedepuisMombasa,maislarencontrerici,surlequaidelagaredeClyffeton,quelquesminutesseulementaprèsêtredescendudutrain,n’enfaisaitpaspartie.Etcelan’aidaitpasleschoses.

Sajambelefaisaitaffreusementsouffriraprèsletrajetdansl’espaceexigudutrain,luirappelant—commes’ilenavaitbesoin—qu’iln’étaitplustoutàfaitlefringantjeunehommequ’ilavaitétécinqansplustôt.Etmaintenant,faceàelle,ilsesentaitdémunietterriblementgauche.

Ellenel’avaitpasreconnu,illesavait,etelleseraitpasséedevantluisanss’arrêters’ilnel’avaitpas interpellée.Avait-il tant changé?Oucelaprouvait-il simplementàquelpoint ils seconnaissaientpeu?

Elleaussiavaitchangé,etpourtantill’auraitreconnuen’importeoù.Elleavaittoujourscevisagefascinantqui l’avait captivécinqansplus tôt, et avait envahiavec tantd’insistanceses rêves fiévreuxpendantcettedramatiquenuitenAfriqueoù ilavait faillimourir.Maisses traitsétaientàprésentplusdouxquedanssonsouvenir,moinsanguleuxetfarouchesqu’autrefois.C’étaientceuxd’unefemmeforte,nonplusceuxd’unegaminedésespérée.

Ils’obligeaàparler.—Celafaitlongtemps.Elleneréponditpas,lefixantsimplementdesesyeuxvertpâle,agrandisparlastupéfaction.—J’ai…Ils’arrêta,s’éclaircitlagorgeetrenouvelasatentative:—Jesuisderetouràlamaison.Ellesecoualatêteenungestededénipresqueimperceptible.Puis,sansautrepréavis,elles’élança

têtebaisséeetpritsesjambesàsoncoutelleunegazelleeffrayée.

Stuartlasuivitdesyeuxtandisqu’ellefranchissaitlaporteetdisparaissaitdanslagare.Iln’essayapasde la rattraper.Mêmes’il l’avaitvoulu, il enaurait été incapable. Ilporta lamainà sacuisseet,malgrél’épaisseurdesesvêtements,sentitlecreuxsurlecôtédesajambe,làoùlemuscleetlachairavaientétédéchiquetésparune lionnefurieuse.Comment ilavait survécu, il l’ignoraitencore,mais letempsoù ilpouvaitcourirappartenaitdésormaisaupassé.Marcherétaitdéjàassezdouloureux,mêmeaprèssixmois.

—Alorsc’estvous,Margrave?Tournantlatête,Stuartdécouvritlasœurd’Edieàquelquesmètresdelui,enveloppéed’unnuagede

vapeur,tandisqueletrainquittaitlagaresanselle—avecunegouvernantefurieuseàsonbord,supposa-t-il.

Ilhaussaunsourcil.—Vousn’étiezpascenséeêtrededans?Ellejetauncoupd’œilversletrain,puisànouveauversStuartavecunepetitemouetriomphante.—Ohlàlà!Stuartne lui renditpassonsourire. Iladmirait lahardiesseet l’audace,mais ilne jugeapasbon

d’encouragercestraitschezlapetitesœurd’Edie—d’autantqu’elleneparaissaitguèreenavoirbesoin.—EtlapauvreMmeSimmons?Lajeunefillesouritpluslargement,sansrepentirapparent.—EnrouteversleKentsansmoi,semble-t-il.—Etvosbagagesavecelle.Elleesquissaunegrimace.—Unemalleremplied’hideuxuniformesd’étudiante.Voilàunepertequejeneregretteraipas.Et

puis,ajouta-t-ellegaiement,puisquejesuislà,jepeuxvousaider.—M’aider?Il fronça les sourcils, déconcerté par cette proposition. Il se demandait bien quelle assistance

pourraitluioffriruneécolièredequinzeans.—M’aideràquoi?—AreconquérirEdie.Elleéclataderiredevantsasurprise.—C’estbienpourçaquevousêtesrevenu,non?

***

Cenepouvaitpasêtrelui.C’étaittoutbonnementimpossible.Ediesentaitsoncœurcognercontresescôtes.Elletraversalagareencourantetensortitavecune

seule idée en tête, s’éloigner le plus possible de Stuart. Parvenue sur les marches, elle chercha sonattelageduregardpuisémitunjurondefrustrationenconstatantquesoncochern’yétaitpasinstallé—évidemment,Robertslesavaitsuiviesàl’intérieuraveclesbagages.Elleallaitdoncdevoirl’attendre.

Oubienconduirelevéhiculeelle-mêmeCelaferaitcertainementjaseràClyffeton,surtoutavecleretour de son époux et la façon dont elle l’avait fui à la gare.Maismieux valait encore cela que deramenerStuartaveceuxàHighclyffe.Elleavaitbesoindetempspourrassemblersesespritsetassimilerl’impossible.Sonmariétaitrentré.

—Votregrâce?LavoixdeRobertsrésonnaderrièreelle,commeenréponseàsaprière.Elleseretourna.

—Ramenez-moitoutdesuiteàlamaison,s’ilvousplaît.Lecocherplissa le front,perplexe,et jetauncoupd’œilpar-dessussonépauleavantdereporter

sonattentionsurelle.—Nedevrions-nouspasattendrele…—Non.AttendreMargraveétaitbienladernièrechosequ’Ediesouhaitait.Sansunmotdeplus,elleavança

jusqu’àlavoiture,etRobertsluiemboîtalepas,luiabaissantlemarchepiedpourqu’ellepuissemonterdans le landau. Un moment plus tard, l’attelage s’ébranla. Tandis que Roberts faisait demi-tour endirectiondeHighclyffe,Edielançaunbrefregardverslagare:sonmarin’avaitpasessayédelasuivre.Elleselaissaallercontresonsiègeensoupirant.

C’était stupidede s’être enfuie ainsi,mais…Quediable !Ellen’avait pas suquoi faired’autre.Stuartétaitderetouretcelan’auraitjamaisdûarriver.Ilss’étaientmisd’accordlà-dessuslorsdumarchéqu’ilsavaientconclucinqansplustôt.Alorsquefaisait-ilici?

Enunéclair,ellerevitStuartentourédemallesetdecaissessurlequai,etdenouveauellefutsaisiedepanique.

Edieprituneprofonde inspirationpuissouffla lentementenessayantderéfléchir.Après tout,ellen’avait aucune idéede cequi l’avait ramené ici, à lamaison.Peut-être n’était-il revenuquepourdesvacances,pourrevoirsesvieuxamisetsafamille.

Non, pas sa famille, pensa-t-elle aussitôt. Ses proches parents se trouvaient tous à l’étranger et,d’ailleurs,lesliensfamiliauxnesignifiaientpasgrand-chosepourStuart.Desamis,oui…Ilétaitpeut-êtrerentrépourvoirsesamis.L’énormetasdebagagespouvaitcontenirdescadeaux—ivoire,peauxouDieu sait quoi d’autre qu’il avait rapportés des savanes africaines. Elle avait entendu parler de sesexpéditions, bien entendu,mais en dehors de cela, elle ne savait pas vraiment à quoi il occupait sontempsenAfriquedel’Est,carilsn’avaientjamaiscorrespondu.Celaaussifaisaitpartiedumarché.

Elletournalatêteversleschampsvertsetleshaiesquibordaientlaroute,maisenespritc’étaituneautrescènequis’offraitàelle—uneétincelantesalledeballondonienne,cinqansplustôt,etdesjeunesfillesévoluantsurlapistededanse,pareillesàdespétalesderoseflottantdanslabrise.

Etlesannéess’effacèrent.

***

Edieavaitdix-neuf ans, c’étaitbientôt la finde sapremière saisonàLondres.Elleobservait lesladies qui dansaient avec une admiration teintée d’envie.Adolescente, elle avait adoré la valsemais,mêmealors,ellen’avaitjamaisétéaussidouéequ’ellel’auraitvoulu.Impossibledeflottertelunpétalede rose quand vous êtes plus grande que votre cavalier— et mesurez déjà unmètre quatre-vingts àquatorzeans.Edie semblait toujoursdépasser sonpartenairedeplusieurs centimètres.Elle avait aussitendanceàmenerladanseplutôtqu’àselaisserconduire,cequisesoldaitgénéralementpardesorteilsécrasés,descollisionsembarrassantesetdescavaliersfrustrés.Et,mêmesielleavaitréussiàmaîtriserlavalse,celanel’auraitavancéeàrien,cardepuisSaratogaellesupportaitdifficilementqu’onlatouche.Nonpasquecelaeûtdésormaisbeaucoupd’importance,puisqueaucunhommenel’invitaitplusàdanser.DeLondresàNewYork,toussavaientàprésentqu’elleétaitunegirafe,etàchaquebalellepassaitleplusclairdesontempsaufonddelasalleàfairetapisserieavectouteslesautreslaissées-pour-compte.

Sonpèrel’avaitamenéeàLondresdansl’espoirqueleschosesyseraientdifférentespourelle.Lesriches jeunes filles américaines rejetées par l’élite de New York arrivaient souvent à trouver— ouacheter—uneplacedanslasociétélondonienne.IlavaitmêmelouélesservicesdeladyFeatherstone,la

plusefficacemarieused’Angleterre,pouraiderEdieàsefaireacceptersocialement.Mais,àlagrandedéconvenued’ArthurJewell,nil’énormedotnil’entregentdeladyFeatherstonen’avaientsuffiàdéciderlemoindrepair,aussi impécunieuxoudésespéréqu’ilpûtêtre,àépousersa filleaînéeà la réputationentachée.Biensûr,Edien’ignoraitpasque,avecsatignasseboucléeoscillantentrel’orbrunietlerougecarotte,sesnombreusestachesderousseur,sagrandetailleetsapoitrinepeuavantageuse,sonphysiquenejouaitpasensafaveur.EtmêmesilesAnglaissemblaienttrouverquelquecharmeaufranc-parleretàl’espritindépendantdesjeunesAméricaines,danslecasd’Ediecesdeuxqualitésneluiavaientpasétéd’ungrandsecours.L’undansl’autre,sonéchecsocialétaitpresqueaussitotalàLondresqu’àNewYork,mêmeavantquelesrumeurssursaréputationsalienefiltrentd’uncôtéàl’autredel’Atlantique.

C’étaittroisjoursavantle12août,datequiallaitmarquerlafinofficielledelasaisonetleretourd’Edie àNewYork.Bienque ladyFeatherstone leur eût suggéré de rester unpeuplus longtemps, lesaffaires de son père le rappelaient enAmérique.Et, étant donné l’insuccès qu’avait rencontré sa fillejusque-là,ilnevoyaitpasl’utilitédeprolongerleurséjour.

Pour Edie, quitter Londres était synonyme de désastre. Cela voulait dire revenir à l’atmosphèreétouffantedeMadisonAvenue,auterribleisolementàNewport,àlahonteoppressanteetauxhorribleschuchotementsderrièresondos.Maispireencore,rentreràlamaisonsignifiaitrevoirl’hommequiétaitlacausedetout.

FrederickVanHausenfaisaitpartiedesknickerbockers,lahautesociétélocalequelespatriarchesdeMacAllisterrecevaientlesyeuxfermésetqueladyAstorinvitaitavecempressementàsonbalannuel.La famille d’Edie n’avait jamais fait partie du cercle où évoluaient les Van Hausen, mais elle lerencontreraittoutdemême.Iln’habitaitqu’àquelquesimmeublesdechezellesurMadisonAvenue.SamaisonfamilialeàNewportétaitsituéeàmoinsd’unkilomètreetdemidelasienne.LeurspèresétaientmembresduYacht-ClubdeNewYork,et tousdeuxpossédaientdeschevauxdecoursequicouraientàSaratoga.Laseulepenséederevoircethommelarendaitmalade.Seretrouverfaceàlui,mêmedepuisunattelageouàtraverslavitred’unelibrairie,liredanssesyeuxcettesatisfactionméprisanteausouvenirduplaisirqu’il avait éprouvéà lui fairedumaletvoir lepetit sourirede triomphesur sonvisage luiseraientinsupportables.

EpouserunAnglais,ellelesavait,étaitalorsleseulmoyend’évitercequil’attendaitàNewYork.Enoutre, lemariage luioctroieraituncertaincontrôle sur saproprevie, cedont, aprèsSaratoga, elleavaitdésespérémentbesoin.Etpourtant, l’idéed’unetelleunionluiétaitaussi intolérablequecellederetourner à lamaison, car elledonnerait à sonépouxundroit légal sur soncorpschaque foisqu’il ledésirerait.

Edie avait serré sespoingsgantésdeblanc.Lamusiquemélodieused’unevalsedeStrauss et lebrouhahadesconversationsdans lasalledebals’étaientestompés tandisqu’ellecherchaitunefoisdepluscommentéchapperàcedilemme.Maisonnesortaitpasdel’enfer,c’étaitàcraindre.

Coupant court à lamorosité de ses réflexions, LeonieAtherton, près d’elle, avait pris la paroled’unevoixsurexcitée:

—Oh!voyez!LeducdeMargravevientd’arriver.Heureusede ladiversion,Edieavaitprisuneprofonde inspirationet suivi le regarddesonamie

versl’entréedelasalle.Endécouvrantlenouveauvenusurleseuil,elleavaiteulasurprisedeconstaterqu’ilexistaitdanslabonnesociétéaumoinsunhommeplusgrandqu’elle—deprèsdedixcentimètres,àpremièrevue.

LesouvenirdeFrederickencoreàl’esprit,elleavaitétudiél’inconnu,frappéeparladifférencequiexistaitentrelesdeuxhommes.Margraven’étaitpasunapollonauxcheveuxblondsetauvisaged’ange,arborantunetenuededandyetdesairsdeprivilégié.Non,cethomme-làpossédaitunefigureminceet

haléeetportaitsesvêtementsimpeccablementcoupésavecuneéléganceinsouciante,qu’appuyaientsesmanièresdésinvoltes.Sacravateblancheétaitdénouée,sacheveluresombreendésordre,etmêmes’ilétait duc, Edie l’avait soupçonné de s’en moquer complètement. Ayant été entourée toute sa vied’ambitieuxarrivistes, elle avait ressentiuncertainamusement àvoirunhommequi semblait fortpeus’inquiéterd’êtrebiennéounon.

—Ilestconsidérécommel’undesjeunesgenslesplusséduisantsdeLondres,chuchotaLeonieàcôtéd’elle.Etbeau,avecça.Mêmevous,Edie,aussidifficilequevoussoyez,vousdevezadmettrequ’ilestbeau.

Edie se méfiait peut-être des hommes à cause de Frederick, mais elle n’était pas aveugle pourautant.

—Oui,jeneleniepas,avait-elleconcédé,sionaimecegenresombreetaudacieux.—Etquin’aimeraitpas?avaitpoufféLeonie.Maisvousl’avezbiendépeint,c’estsûr.Ilavécu

deux ans en Afrique, avait-elle poursuivi avec l’air bien renseigné d’une jeune fille quotidiennementnourriede journauxà scandale. Il a chassédesbêtes—éléphants, lions, léopards, tout ça. Il amêmesauvélavied’unchef,jecrois.Amoinsquecenesoitundiplomatebritannique?Quoiqu’ilensoit,ilamarchédanslajungle,naviguésurlesrivières,enfinvécutoutessortesd’aventures.Onditquec’estunvraisauvage.

—Ilenal’air.—Oui,hein?OnprétendquelamoitiédesfillesdeLondresétaientamoureusesdelui,etqu’ila

laisséderrièreluiunsillagedecœursbriséslorsqu’ilestparti.Iladûrevenirquandsonpèreestmort,maisilbrûlederetournerenAfrique.Ilveutyresterpourtoujours.Pouvez-vousimaginer?Maisjedoutequ’illepuisse.

—Pourquoinon?—Ilestducàprésent,etjenecroispasqu’unducpuissevivreenAfrique.Lesducsdoiventgérer

leursdomaineset…ettoutuntasd’autreschoses.Leonies’étaittue,ayantapparemmentépuisésesconnaissancesrelativesauxdevoirsconcretsd’un

duc.—Nonpasqu’êtreducluiserveàgrand-chose,carilsetrouvedansunesituationdifficile.Ilades

quantitésdedettes.Toussesbienssonthypothéqués,etlesjournauxontannoncélasemainedernièrequeses créditeurs allaient exiger le remboursement de ses emprunts. Ils vont sûrement prendre tout cequin’estpaslégalementsubstitué.

—Jevois.Passeulementbeau,maispeurecommandable.—Paslui!C’estsongrand-pèrequiadilapidéaujeulaplusgrossepartiedel’argent,etcequele

grand-papan’apasperduauxcartes, lepère l’aengouffrédansdedésastreux investissements.Oh ! siseulementilm’invitaitàdanser!Onditqu’ildansedivinementbien.Biensûr, ilnepeutpas,carnousn’avonsjamaisétéprésentés,maisceseraitmagnifiquequ’ilregardedansmadirectionettombesouslecharmeaupointdemarcher toutdroitvers ladyFeatherstonepourexigeruneprésentation immédiate !Elle pourrait lui apprendre à quel point je suis riche, ajouta Leonie en riant. Il m’épouserait, et jerésoudraistoussesproblèmes!

Edies’étaitfigéeauxproposrieursdesonamie, lesyeuxrivéssur l’homme,grandetà labeauténonchalante,quisetenaitàquelquesmètresd’elles.Leonieriaitpeut-être,maispourEdiecen’étaitpasforcémentuneplaisanterie.N’était-cepasexactementcequ’elleavaitespérétrouver?

Pour la première fois depuis Saratoga, elle avait senti poindre un espoir. Se pouvait-il que cethommefûtsonsalut?CeducdeMargravepourrait-illuifournirlemoyendesortirdel’enfer?

Comme s’il avait senti qu’Edie l’examinait, il s’était tourné vers elle et, quand leurs regardss’étaientcroisés,elleavaitbrusquementdûreprendresarespiration.Ilavaitdebeauxyeux—desyeuxgrisclair,perçants,quisemblaientlascruterjusqu’aufonddel’âme.

Elleledévisageait,elleenétaitconsciente,etpourtantellen’arrivaitpasàsedétournerdelui.Masortiedel’enfer,avait-ellesongé,et l’airentreeuxavaitparuvibrer.Elleavait frissonné,puispivotélégèrementetfaitminedecontemplerlasalledebal.Mais,aprèsunmoment,ellen’avaitpurésisteretluiavaitjetéunautrecoupd’œil.Asagrandesurprise,ill’étudiaittoujours.

Il souriait un peu, la tête penchée, un petit pli interrogateur entre ses sourcils sombres. A quoipouvait-ilbienpenser?

Unmoyend’échapperàl’enfer.Elle était folle, vraiment. Folle de désespoir et de peur. Elle avait de nouveau regardé ailleurs,

essayantderejeterl’idéequiluitrottaitdanslatête.Le duc de Margrave était peut-être beau, ses pommettes anguleuses, la ligne de sa mâchoire

puissante et sesyeux superbes, à lapupille aussi aiguëque celled’un faucon,n’étaient pas ceuxd’unhomme à se laisser aisément diriger.Mais, s’il était voué à repartir enAfrique, c’était peut-être sansimportance.

Lorsqu’ilétaitpasséprèsd’elle,Ediel’avaitconsidérédiscrètementennotantl’aisanceetlagrâceathlétique de ses mouvements — une grâce qui ne s’acquérait pas en fréquentant les salles de balanglaises.

Ils’étaitalorsfondudanslafoule,etEdieavaitpriscongédesonamieenprétextantavoirbesoind’unverred’eau.

Elle avait observéMargrave tout en se frayant un chemin vers la table des rafraîchissements et,tandis qu’il s’arrêtait pour discuter avec un groupe de ses relations, elle avait failli émettre ungémissementdedéceptionlorsqu’ilavaitconduitlabelleetricheSusanBuckinghamdePhiladelphiesurlapistededanse.Edieavaitbeauavoircinqfoisplusd’argentqueSusan,physiquementellen’arrivaitpasàlachevilledesacompatriote.Lafolleidéequiluiétaitvenueàl’espritrisquaitfortd’êtrevouéeàl’échecavantmêmequ’ellen’aittentédelamettreàexécution.

Maiselles’étaitinquiétéevainement.Mêmes’ilsavaientmerveilleusementvalséensemble,silajeunefilleluiavaittenudesproposqui

l’avaientfaitsourire,voirerire,leducnes’étaitpasattardéensacompagnie.Unefoisladanseachevée,ill’avaitreconduiteàsaplaceets’étaitinclinédevantelleavantdes’éloigner.

L’espoird’Edieétaitremontéenflèche.Ilfallaitqu’elleletrouveseul,ellelesavait,maisellenevoyaitpascomment.Cefutalorsquela

providence,quinel’avaitguèrefavoriséecesdernierstemps,étaitenfinvenueàsonaide.Leducs’étaitarrêtéàl’autreboutdelatable,s’attardantprèsdesbouteillesdechampagneencore

bouchéesquirafraîchissaientsurunlitdeglacedansunénormeseaud’argent.Sans le quitter des yeux, Edie s’était approchée tandis qu’il tirait plusieurs bouteilles et les

examinaituneàuneavantde les remettredans lebaquet. Il avait finiparenchoisirune.Puis, au lieud’appelerunvaletdepiedpourl’ouvrir,ils’étaitemparéd’unverreet,labouteilleàlamain,étaitsortiparlaporte-fenêtreouvertesurlaterrasse.

Iln’avaitpassembléseglisserdehorspourunrendez-vous.Unrapidecoupd’œilverslasalledebalavaitapprisàEdiequeSusanavaitétéinvitéeparunautrecavalier.Evidemment,ileûttrèsbienpuallerrejoindrequelqu’und’autre,maisc’étaitpeuprobable,avait-elleestimé,puisqu’iln’avaitemportéqu’unseulverre.

Unechances’offraitàelle—sielleavaitlecrandelasaisir.Sadernièrechance,peut-être.

Mueparcettepensée,elles’étaitdirigéevers l’extrémitédela tableoùils’était tenu,avaitsaisiune flûte à son tour et, après s’être assurée que lady Featherstone n’était pas en vue et que personned’autrenel’observait,elleavaitsuivilespasdeMargrave.

Elle s’était déplacée aussi vitequ’elle l’avait pumais, le tempsqu’elle atteigne le labyrinthedeverdure,leducav,aitdéjàdisparudanslesprofondeursdudédale.

Edies’yétaitenfoncéeaprès luipourseretrouverquelques instantsplus tarddansuncul-de-sac.Surlapointedespieds,elles’étaithisséeautantqu’ellel’avaitpudansseschaussuresplatesmais,elleavaitbeauêtregrande,lahaieétaittrophautepourqu’ellepûtregarderpar-dessus,etelles’étaitlaisséeretomberavecunsoupirlas.

L’hommeavaitdûsedirigerverslecentredulabyrinthe.Elleavaiteffectuéplusieurstentativespourluiemboîterlepas,maistoutess’étaientsoldéesparun

échec.Elles’étaitbeletbienperdueet,cequiétaitfortdommage,ellel’avaitperdu,lui.—Etmaintenant,quefaire?avait-ellemarmonnéfaceaumurvertd’uneautreimpasse.Unevoixgraveetnonchalantes’étaittoutàcoupélevéederrièreelle.—Onmecherche?Soulagée, Edie avait pivoté pour découvrir sa proie à moins de deux mètres d’elle. Mais,

lorsqu’elleavaitplongédans sesextraordinairesyeuxgris, sonsoulagement s’étaitmûenpeur.Car laquestionqu’ellevenaitdeseposerrestaittoujourssansréponse.Etmaintenant,quefaire?

Chapitre3

—D’habitude, je n’apprécie guère d’être suivimais, dans ce cas précis, je veux bien faire uneexception.

Margraveluisourit,dévoilantàlalueurdelalunelablancheurrégulièredesesdents,etlaforcedel’évidencefrappasoudainEdie.

Cequ’ellevenaitdefaireétaitincroyablementstupide.Obnubilée par son objectif, elle n’avait pas compris jusque-là qu’elle s’était placée dans une

situationrisquée,oùl’histoirepouvaitfortbienserépéter.Maisilétaitunpeutardpourlesregrets.—Qu’est-cequivousfaitcroirequejevoussuivais?interrogea-t-elle,cherchantàrassemblerses

esprits.—Vousm’accusezdeprendremesrêvespourlaréalité?—Oudevousvanter.Iléclataderireet,àcet instant,Ediese renditcompteque les ragotsdesalonglanésparLeonie

disaient vrai. L’homme avait du charme.Même elle, d’habitude aussi imperméable au charme qu’auxbellesapparences,percevaitenluilaforcedecesdeuxqualités.

—C’est possible, concéda-t-il. Je pense plutôt du bien demoi-même.Mais, à présent que vousm’avezremisàmaplace,puis-jevousdonnerunpetitconseil?Al’avenir,quandvoussuivrezunhomme,jevoussuggèredefairemoinsdebruitsivousnevoulezpasqu’ilvousremarque.

Aupointoùelleenétait,elledécidaquel’audaceétaitsonmeilleuratout.Elleserapprochad’unpas.

—Etsijevoulaisquevousmeremarquiez?Ilarquasessourcilsbruns.—Etdirequejetrouvaiscebalennuyeux!Vousadmettezdoncquevousmesuiviez?—Oui. Jevousaivu, j’aiunpeuentenduparlerdevous,et j’aidécidéqu’il fallaitque jevous

parle.Ils’avançaverselle.—Auvudevotreconduiteeffrontée,puis-jeespérerquelquechosededélicieusementinconvenant

àprésent?Edie se raidit, réprimant un sursaut de panique.Tout ce qu’elle espérait, c’était de ne pas s’être

complètementfourvoyéedanssonaptitudeàjugerleshommes.—J’aiditquejevoulaisvousparler.—Etc’esttout?Voilàquiestbiendécevant.—Celadépenddelaconversation.

Ileutunrireamusé.— C’est juste, admit-il en s’arrêtant devant elle. Alors allons-y. Mais, je vous préviens, la

conversationdevraêtreéblouissante,sinonjemesentiraiprofondémentfrustré.Ilpritsonverreetlabouteilledechampagnedansunemêmemain,puissetournaversEdiepourlui

offrirsonbras.—Enroute?Elle hésita,mais un regard autour d’elle lui rappela qu’elle nepouvait s’échapper qu’enpassant

devantlui.Dureste,elledoutaitdepouvoirs’extrairedecedédalesanssonaide.Quandlevinesttiré,ilfautleboire,songea-t-elle.Posantlamain—trèslégèrement—sursonbras,elleselaissaguiderhorsducul-de-sac.

Ilseffectuèrentplusieurstoursetdétoursavantdedéboucherenfindansuneclairièrequisemblaitêtre le centre du labyrinthe. Une sorte de belvédère de style romain s’y dressait, dont les piliers decalcaireétaientcouronnésparundômebrillantauclairdelune.Toutautourdelastructurecirculaire,desmarchesconduisaientàdeuxbancsdepierreàlaformearrondie.

Margravelaguidaverslehautdesmarches.—Voilà.Ici,nouspouvonsparlerentouteintimité.Personnen’arrivejamaisàtrouverlecentrede

cetendroit.—Vousyêtesbienparvenu,vous.—J’espèrequecelamevautvotresincèreadmiration.Mais,sic’estlecas,elleestimméritée.J’ai

séjourné plusieurs fois ici, à Hanford House, quand j’étais gamin, et cela fait déjà longtemps que jeconnaislecœurdecedédale.Enoutre,jesuisunassezbonnavigateur,sijepeuxmepermettredemejeterdesfleurs.

—Oui, j’ai entendu parler de certaines de vos prouesses enAfrique. Les gens disent que vousvoulezretourneryvivre.

—C’estcequejedésireleplusaumonde.Ilposasonverreetsemitendevoird’ouvrirlabouteille.—Maisjenesuispassûrquecesoitpossible.—Pourquoi?—Disonsquej’aidesresponsabilitésici.—Vousvoulezdiredesdettes?—Quedequestions!Lebouchonsautaettombaàterre.—Jecommenceàcraindrequecenesoit laraisonpour laquellevousm’avezsuivi.Seriez-vous

unejournalistequiveutm’interviewersurmesexploits?Commecettefemme—comments’appelle-t-elledéjà?NellieBly?

—Jenesuispasjournaliste.—Hum,c’estcequevousdites.Maispuis-jevouscroire?—Vousn’avezqu’àmefaireconfiance.Elleluitenditsonverreendésignantlabouteille.Elleavaitdésespérémentbesoindeboire.—Versezdonc.—Aussiautoritairequ’effrontée.Quellecombinaisongrisante!Sivousêtesjournaliste,ajouta-t-il

enremplissantsonverre,jedoisvousprévenirqu’ilvousfaudrabeaucoupdepersuasionséductricepourmefairelâcherunseuldemesscandaleuxsecrets.

Elles’abstintdepréciserquesesmoyensdepersuasionn’étaientpasdugenreauquelilpensait.—Larumeurprétendquevousavezterriblementbesoind’argent,déclara-t-elle.

—Oh ! la rumeur…, répéta-t-il d’un ton léger. Toute personne sensée sait que ce n’est pas unerumeurmaisun fait.Néanmoins,poursuivit-ilen remplissant sonpropreverre, jenediscute jamaisdesujetsaussivulgairesqueceluide l’argentenbuvantduchampagne.Celanevapasbienensemble, jetrouve.

Elleavalaunegorgée.—Ilestpeut-êtrenécessairedeparlerd’argent.— Pourquoi ? s’enquit-il avec nonchalance en reposant la bouteille. Etes-vous en train de me

proposerdedevenirmamaîtresse?Ediesentitsoncœurpaniquécognerdanssapoitrine.Elleeutunrirenerveux.—Plutôtlecontraire,enfait.Apeinecesmotseurent-ilsfranchiseslèvresqu’ellesemorditlalangue.Même un homme aussi rompu que lui aux usages du monde ne pouvait accueillir une telle

déclaration sans broncher. Il cilla, puis lui lança un regard dubitatif comme s’il craignait d’avoirmalcompris.Lorsqu’ilparlaenfin,ilyavaitdanssavoixunenotededésinvoltureindiquantqu’iln’avaitpasprissesparolesausérieux.

—Monespoirmonteenflècheaufildenotreentretien.Jen’aijamaisétéungigolo.Combiencelarapporte-t-il?

Elleignoraitcequ’étaitungigolo,maisellesavaitparfaitementcequ’ilvoulaitdireet,mêmesilepayerpourqu’ildeviennesonamantn’étaitcertespascequ’elleavaitàl’esprit,ellen’enpipamot.

— J’ai entendu dire que vous alliez devoir rembourser vos emprunts, fit-elle sans se laisserdétourner du sujet essentiel. Si vous ne pouvez pas lever de fonds pour payer vos dettes, que va-t-ilarriveràvosdomaines?

—Ceseraterrible,jelecrains.Savoixétaitenjouée,mais sur sonvisagehâlé,audacieuxet séduisant,elledécelaunepointede

désespoir.—Toutcequin’estpassubstituéseravenduauxenchères.J’aidesquantitésdeparents,etilneleur

resteraplusque lesyeuxpourpleurerquand l’argentsera tari. Ilsn’ontaucunmoyendesubvenireux-mêmesà leursbesoins,voyez-vous, et je représente leur seule sourcede revenus.Si jevousdiscela,c’estparceque…hem…leprixdemesservicesrisqued’êtrefortélevé.Jenesuispascertainquevouspuissiezvouslepermettre.

—Vousseriezsurprisdetoutcequejepeuxmepermettre.Mais…Edies’arrêtaetprituneprofondeinspirationavantdesejeteràl’eau.—Maiscen’estpasunamantqu’ilmefaut.C’estunmari.—Ah…Ildégustaunegorgéedechampagne.— J’espérais que ce serait l’autre possibilité, ç’aurait été plus drôle. L’idée d’être unmari me

semblebeaucoupmoinsexcitante.—Sivousm’épousez,insista-t-elle,jepaieraitoutesvosdettes.Ill’étudia,latêtepenchée.—Vousêtesvraimentunefillepeuordinaire.Est-ceunehabitudechezvousdeproposerlemariage

aupremierétrangervenu?Ellerougit.—Biensûrquenon!Jen’avaisjamaisfaitçademavie.—Etmoi, jen’ai jamaisreçupareilledemande,alorsnoussommesàégalitésurcepoint.Dites-

moi,touslesAméricainssont-ilsaussidirectsquevousdanscedomaine?

—Jel’ignore.Toutcequejesais,c’estquejen’aipasletempsdetournerautourdupot.—Pourquoi?Il baissa les yeux, et Edie sentit sa gorge se nouer tandis qu’il l’enveloppait d’un long regard

songeur.—Vousêtesenceinte?Elles’empourpraàcettequestion,maiscen’étaitpaslemomentdecéderàdestimiditésdegamine.

Etcomptetenudescirconstances,saquestionétaitjustifiée.—Non,répondit-elleensurmontantsagêne.Jenesuispasenceinte.— Alors je ne peux m’empêcher de mettre votre santé mentale en question. Vous devez être

dérangéepourvouloirvousmarier.—Arrêtezdeplaisanter,voulez-vous?—Vousnepouvezpasvraimentmelereprocher.Cen’estpaslegenredechoseàquois’attendun

homme lorsqu’il assiste à unbal.Nonpas que jem’enplaigne, ajouta-t-il, carma soirée est sansnuldoutedevenueplusintéressantedepuisquevousêtesentréeenscène.Maisjedoisavouerquecelamelaisseunpeudécontenancé.

Ilréfléchituninstant,puisreprit:—Enadmettantquevousparliezsérieusement,êtes-vousenmesuredetenirparole?Ellefronçalessourcils.—Quevoulez-vousdire?—Combiend’argentpossédez-vous?Parceque,pourrésoudremesproblèmes,ilvousfaudraitêtre

extrêmement, obscènement riche,ma chérie.D’accord, vous êtes américaine et il semble que tous lesAméricainssoientrichesdenosjours,non?Jeconstateaussiquevousportezuneépoustouflanterobedesoie,quiasansdoutecoûtéplusquejenedépenseenunmois,etvousavezassezdebijouxsurvouspourfairesombrerunnavire.Malgrécela,jen’arrivepasàimaginerquevouspuissiezavoirlesmoyensdepayer les dettes demes aïeuxdépravés, prendremonduché en charge et nous faire vivre,moi etmeséternelsparasitesdeparents,jusqu’àlafindenosjours.

—Celadépenddumontantdontils’agit,répondit-elleenl’observanttandisqu’ilportaitsonverreàseslèvres.Autauxdechangeactuel,madots’élèveàenvironunmilliondelivres.

Ilfaillits’étouffer.—BonDieu!marmonna-t-ilaprèsuninstant,enfixantsurelleunregardincrédule.Jenesuispas

certainquemêmelareinepossèdeautantd’argent.—Jerecevraiaussiunrevenudecentmillelivresparanlorsquejeseraimariée.Jepensequetout

celadevraitsuffireàrésoudrelesdifficultésfinancièresdevotrefamille,non?—Eneffet.Ilémitunpetitrire,visiblementdéconcerté.—Mais,machèreenfant,vousêtesfolle.Ilfautvraimentl’êtrepourproposerunechosepareilleà

unparfaitétranger.Lemariageestquelquechosededéfinitif—jusqu’àcequelamortnoussépare,voussavez.Sivousaviezplustarddesregrets…

—Jen’enauraipas.Elleétaitconscientedutonduretrésoludesaproprevoix.—Dumomentquevouspensezvraimentcequevousditesetpartezréellementpourl’Afrique.Leducneputcachersasurprise.Detouteévidence,iln’étaitpashabituéàrencontreruntelmanque

d’intérêtpourluichezunefemme.Maisilchangeaaussitôtd’expressionetluisourit.—Pardieu,vousneménagezpaslasusceptibilitéd’unhomme,hein?Etqu’adviendra-t-ildemes

domaines?

—Jelesgéreraipourvous.Grâceauciel,iln’exprimaaucundecesdésagréablesdoutesmasculinssurlacapacitéd’unefemme

àaccomplircegenredetâche.— Pourquoi diable voudriez-vous vous charger d’un travail aussi ingrat ? Et risquer un

investissementaussihasardeux?Laterrenerapporteplusdenosjours.Vousallezengloutirtoutevotrefortuneetvotreavenirdansunpuitssansfonds,jevousassure.Vousvoulezvraimentfairecela?

Siellelevoulait?ElleauraitvendusonâmeaudiablesicelapouvaitluiéviterderentreràNewYork.Dumomentquelediableenquestionacceptaitdeconclurelemarchéselonsestermesàelle!Ellelevasonverreet,par-dessuslebord,croisaleregardincréduledel’hommequiluifaisaitface.Lesiennevacillapas.

—Oui,déclara-t-elle.—Pourquoi?Ellesirotaquelquesgorgéesdechampagne.—Cen’estpasvotreaffaire.Jevousoffreuneénormesommed’argent.Contentez-vousdecela.—L’argent,c’esttrèsbien,mais…Ils’interrompitetl’étudiad’unairsongeur.Edieseraidit ;c’étaitunexamenattentif,etellecraignitqu’ilnepoussel’interrogatoireplusloin

pourdécouvrirsesmotivations.Maislaquestionsuivanteladélivradecettepeur.— Etes-vous une fille intelligente ? Serez-vous capable de mener les choses ici d’une façon

efficace ? J’ai cinq propriétés de campagne à gérer, ainsi qu’un pavillon de chasse en Ecosse et unemaison àLondres, et tous nécessitent des réparations et un entretien incessants. Saurez-vous travailleravec lesrégisseurset les intendants?Donnerdesordresauxouvriers,diriger lesdomestiquesetvousoccuperdesfermes?Pourrez-vousprendretoutcelaenchargeaussibienquejeleferaismoi-même?

— Absolument, fit-elle avec une assurance totalement factice, car elle n’avait jamais eu laresponsabilitédequoiquecesoit.

Maisellevoulaityparvenir.Ellelevoulaittellementquecetteseuleidéeluitournaitlatête.Etreduchesseimpliquaituncertaindegrédeliberté,cequiétaitsynonymedesécurité.Sileducétaitauloin,celapouvaitmêmeêtreleparadis.

—Jeferaitoutcequiseranécessaire.—GrandDieu!murmura-t-ilsanslaquitterdesyeux.Jecroisquevousenêtesbeletbiencapable.—Sivousm’épousez,j’utiliseraimadotpourpayervosdettesetcellesdevotrefamille.Avecce

quireste,ainsiquemesrevenusannuels, jerépareraietentretiendraivosdomainesetprendraisoindevos«parasites», commevous les appelez. Jevousoctroierai aussi ungénéreux revenu.Vouspouvezpartir pour l’Afrique le cœur léger et la conscience tranquille, et vivre la vie à laquelle vous aspirezvraiment.Jeneposequ’unecondition.

—Laquelle?—C’estquevousnereveniezjamais.Jamais.Ilhaussaunsourcil,surprisparletonfarouchedesavoix.—Jamais,c’estbienlong.—Jeneveuxpasdemariendehorsdusensstrictementlégalduterme.—Pourquejesoisvotremariausenslégal,ilfautquelemariagesoitconsommé.Voussavezce

quecelaveutdire,jeprésume?Ellesavait,oui.Elleouvraitdéjàlabouchepourrépliquer,maiselleavaitlagorgetellementnouée

qu’elleneputarticulerunmot.Bonsang,cen’étaitpaslemomentdes’effondrer.Elleavalaunelampéedechampagneeteutl’impressionquelesbullesluibrûlaientlegosier.

Savoixrésonnaenfin,sirauquedanslesilencedelanuit.—Oui,jesaiscequecelaveutdire,répondit-elle,s’extrayantàgrand-peinelesmotsdelabouche.

Maisjenevoispasenquoiceseraitnécessaire.Margraverestauninstantsansparler,étudiantsonvisageàlalueurdelalune.—Sicoucheravecmoivoussembleaussirépugnantquevotreattitudelesuggère, jecoupecourt

toutdesuite,déclara-t-ilenfin.Carsijenemesoucieguèred’êtreunépouxfidèle,jen’aipaslemoindredésird’êtreunmaricélibataire.Bonsoir.

Ilvoulutpasserdevantellepourregagnerlasalledebal,maisEdiel’agrippaparlamanche.—Non,attendez.Margraves’arrêta.—Cen’estpasdelarépugnance,assura-t-elleenlaissantretombersamain.Celan’arienàvoir

avecvous.C’estseulementque…Elle le dévisagea, incapable de lui expliquer. N’importe quelle fille aurait senti son pouls

s’accéléreràlavuedecethomme—n’importequellefilledontlecœurn’auraitpasdéjàétébrisé.Elle eut un pincement dans la poitrine et, l’espace d’un instant, se demanda où elle en serait à

présent si c’était lui qu’elle avait rencontré dans le pavillon d’été abandonné de Saratoga, et nonFrederickVanHausen.

Maiscen’étaitpasavecdessiqu’onrefaisaitlemonde.Ediechassadesonespritcesvainesconsidérations.—C’estunetransactiond’affaires,affirma-t-elle.Jeneveuxpasquevousvousfassiezdesidées

romantiquessurmoiousurcetteunion.Ilparutamusé.—Quelle suffisance,maparole !Et si notre nuit de noces se révélait si transcendante que vous

tombiezamoureusedemoi,hein?— Désolée de froisser votre vanité, mais cela n’arrivera pas. Ecoutez, poursuivit-elle sans lui

laisserletempsderépliquer,jevousoffretoutcequevoussouhaitezdelavie.Nelaissezpasvotrefiertémasculinesemettreentravers.S’ilestvraimentindispensabledeconsommerlemariage,ehbien,je…jeleferai.

—Vous n’êtes pas obligée de faire l’amour si c’est une torture, ma chère. La plupart des genstrouventquec’estundélice.

—Oh!jenem’attendspasàunetorture.Niàundélice.Jene…Elles’interrompit,refoulantlapeurquiluitordaitl’estomacetluinouaitlagorge.—Jen’attendsriendutout.—Jevois.Pourvous,jereprésenteunmoyendeparveniràvosfins,riend’autre.Expriméainsi,celasemblaitsifroid.Maiselleétaitfroide.Unanplustôt,onavaittuéenelletous

sesdésirsdefemme.—Sinousnousmarions,je…Elles’arrêtaletempsd’avaleruneautregorgéedechampagnepoursedonnerducœur.—Jecoucheraiavecvousunefoispourquetoutsoitconformeàlaloi,maisplusjamaisensuite.

Lorsquenousauronssatisfaitàladéfinitionlégaledumariage,vousserezlibredecoucheravecquivousvoudrez.Celameseraégal.

—Vousn’êtespaslapremièrefemmedansl’histoireàprétendrecela,observa-t-ild’untonamusé.Maisvouspourriezbienêtrelapremièreàlepenservraiment.

—Oh!maisjesuissincère.Ellesesentaitobligéed’êtreaussihonnêtequepossiblesurcepoint.

— Si vous acceptez ma proposition, je ne veux pas que vous le fassiez sous la fallacieuseimpressionquejevousdésire.Cen’estpaslecas.

—Jevois.Oserai-jevousdemanderpourquoi?Ilpritunegorgéedechampagneavantd’ajouter:—Vousêtespeut-êtrelesbienne?Iléclataderiredevantleregardperplexequ’ellefixaitsurlui.— Je vous demande si vous êtes plus attirée par les femmes que par les hommes, expliqua-t-il

gentiment.—GrandDieu,non!serécria-t-elle,choquée.Elle sentit une vive rougeur envahir son visage et maudit une fois de plus son teint pâle, qui

permettaitàtoutunchacundevoirsonembarras.—Pourquoimedemandez-vousunechosepareille?—Poursatisfairemonamour-propremasculin.Enunsens,c’estuneraisonplusacceptableque:

«Désolée,monvieux,c’estseulementquejenevoustrouvepasattirant.»Hélas,àprésentquejesaisquevousn’êtespasdecettesorte,jesuisd’autantplusvexé.Et…

Ilobservaunepauseetladévisageaenfaisanttournoyersonchampagne.—…d’autantplusintrigué.Elleesquissaunegrimace.—Nelesoyezpas.Jen’airiendemystérieux.—Cen’estpasmonavis.Ilavalasadernièregorgéeettenditlamainverslabouteillepourremplirsonverre.—Vousêtes,jepeuxvousledire,lafillelaplusfascinantequej’aiejamaisrencontrée.Vousavez

cetairdistantetcegenre«nemetouchezpas»quidonneenviedevousdésobéir.Unevaguedepeurdéferlaenelle,qu’ellecachaaveceffortsousunairdédaigneuxetamusé.—Etqu’espérez-vous?Quejetombedansvosbras?—Cequevousneferezpas,jeprésume?Ehbien,c’estdommage.Ilsetutpourremplirsonverre,puislaconsidéradelatêteauxpieds.—Carjesoupçonneunecertaineardeursousvotreapparencefroide,pragmatiqueetdétachée.—Pasdutout!Elle rejeta la tête en arrière, opposant une expression inflexible au regard interrogateur de

Margrave.—Sijamaisvousêtestentédemeprouverlecontrairelorsquenousseronsmariés,jevouscouperai

lesvivresenmoinsdetempsqu’iln’enfautpourledire.—Susceptible,hein?marmonna-t-ilenreposantlabouteille.Qu’est-cequivousarenduecomme

ça?Ungarçonvousabrisélecœuretvousavezjurédeneplusjamaisaimer?—Quelquechosecommeça.Ediedétournalesyeux,maissentitl’œilinquisiteurduducfixésurelleetsoupira.Mieuxvalaitlui

donnersapropreversiondesragotsquicouraientsurelle,avantqu’ilnelesapprenneparuneautrevoie.—Ils’appelleFrederickVanHausen.Je leconnaisdepuis toujours,maissafamilleet lamienne

n’évoluentpasdanslemêmecercle.J’aiétéassezstupide…Elles’interrompitetdéglutitavecpeine,cherchantunefaçonacceptabledeprésenterlesfaits.—J’aiétéassezstupidepourcroire…Elle s’arrêta de nouveau. Même dans une version très allégée, c’était presque insupportable à

exprimer.

— Nous nous sommes trouvés… ensemble, et cela s’est su, parvint-elle enfin à expliquer. Etmaintenant,maréputationàNewYorkestruinée.

—Jevois.Etilnevousapasépousée?Quelmufle!—Oh!oui!approuva-t-elleavecconviction.L’histoirecommenceàserépandreiciaussi.Jesuis

unemarchandiseavariée,ilestjustequevouslesachiez.—Alorsvotreregardesttombésurmoi,vousavezprocédéàunepetiteenquête,puisvousm’avez

suividehorspourmesuggérerde fairecequ’iln’apaseu lecouraged’accomplir, sauvantainsivotreréputation?Et,sijerefuse,dois-jem’attendreàvoirdéboulerunemamanoutragéeexigeantquej’agisseenhommed’honneur?

—Non.Mamèreestmorteilyadeuxans,etmonoffrenedépenddepersonne.Sivousrefusez,vousrefusez,etonn’enparleplus.

—DeveniruneduchesseseraitunedoucefaçondevousvengerdeceVanHausenpourvousavoirlaissée tomber, j’imagine.Mais être une duchesse est un travail sacrément difficile. Ce n’est pas unmétierdeprestigecommevousvousl’imaginez,vouslesAméricains.

— Je ne fais pas cela pour le prestige, ni même pour sauver ma réputation. Je veux pouvoircontrôleretdirigermaproprevie.Jeveuxl’indépendanceetl’autonomie.Jeveuxn’avoirdecomptesàrendreàpersonne.

—Mais,entantqu’épouse,vousdevrezmerendredescomptes,àmoi.—Non,car jegarderai lecontrôlede l’argent. Il faudramesignerunaccordàceteffetavant le

mariage.—Décidément,vousêtesintelligente.Qu’est-cequivousaamenéeàaccorderunetelleimportance

àl’indépendanceetàl’autonomie?—Celanevousconcernepas,etsivousmeposezencoredesquestions,jerenonceaumarché.—Trèsbien.Sijeveuxépargnerauxmembresdemafamilledejouerlesparasitesauprèsdeleurs

amispendanttoutlerestantdeleurmisérablevie,jesupposequejedoisrefoulermacuriosité.—Alorsvousacceptezmonoffre?—Ilfaudraitêtrefoupourlarefuser.Etendépitdevotrehéroïquerésolutiondecoucheravecmoi

pourêtreenrègleaveclaloi,ceneserapasnécessaire.Jepréfèrequandlesfemmesàquijefaisl’amoursontconsentantes.

Ellepoussaunsoupirdesoulagementquin’échappapasauduc.Illuijetaunregardironiqueenretour.— Votre aptitude à blesser ma vanité semble décidément sans limites. Malgré cela, l’honneur

m’obligeàvouspréciserquelanon-consommationnesuffitpasàentraînerl’annulationdumariagedanslaloianglaise.

—Vousm’avezaffirméquesi!—Pasexactement.Ilhaussalesépaules.—J’étaiscurieuxdevoirjusqu’oùvousiriezpourobtenircequevousdésirez.Aprésent,jesais.Elleneputs’empêcherdeluienvouloirl’espaced’uninstant.—Jen’aimepasqu’onmemente.—Ilvautmieuxvousy faire, sivousvoulezvousmarierdans l’aristocratie.Nousnousmentons

continuellementlesunsauxautres.Pourdesraisonsd’honneur,depolitesse,oumême—parfois—pourtrompersciemment.Maissurtout,nousnousmentonsànous-mêmes.Jecrainsquenousnesachionsnouscomporterautrement,ajouta-t-ild’untonlégèrementacerbe.

EdieavaitséjournéassezlongtempsenAngleterrepoursavoirqu’ilyavaitunepartdevraidanslesparolesdeMargrave,maisl’amertumedanssavoixlasurprit.Enfin,cen’étaitpassonaffaire.

— J’espère que vous dites la vérité, répondit-elle, car nous allons devoir feindre la tendressependantnosfiançaillesetnousmontrerconvaincants.Simonpèresoupçonneautrechose, ilnevoudrajamaisversermadot.

—Alorsnousallonsdevoirconvaincrevotrepèredelaprofondeurdenotreaffectionmutuelle?Elleignoralanuancedemoqueriedanssavoix.—Cen’estpasseulementPapaquenousdevronsconvaincre.—Quid’autre?—LadyFeatherstone.Ilhochalatête.—Lacomtessemarieuse.— C’est une marieuse, oui, mais elle n’arrange pas d’unions de convenance. Elle veut que ses

clientséprouventdessentiments l’unpour l’autre.Sielles’aperçoitquec’estunmariagepragmatique,elleconseilleraàPapaderefusersonaccord,etilsuivrasonconseil.Etnepensezpasqu’ilseraaisédelatromper.Elleestencoremoinscommodequemonpère,quilui-mêmen’estpasnédeladernièrepluie.Elleconnaîttoutlemondedanslasociétéaussiet,silebruitvientàcourirquenotreaffectionn’estpasauthentique,nousauronsdesérieuxproblèmes.

—Oh!jepeuxmemontrertrèstendre,assura-t-il.Ils’approchad’unpas,maisellel’arrêtaenposantunemainsursapoitrine.—Jevouscrois.Inutiledemefaireunedémonstrationquandnoussommesseuls.—Désolé,s’excusa-t-il.Maisilnebougeapasjusqu’àcequ’ellelerepousse.—Jerépètemonrôle,c’esttout.—N’enfaitespastropnonplus.Sinoussemblonstropfollementamoureux,ladyFeatherstonene

manquera pas de nous percer à jour. Ou elle pensera que nous sommes trop impétueux et exigera delonguesfiançailles.Vousallezdevoirjouerlerôled’unfiancédévoué,d’unfuturépouxresponsableetd’unamiaffectueux.Pouvez-vousfairecela?

—Pourquoipas?Illaissasonregardseperdreverslamaisonquisedressaitàquelquedistance.—Jouerunrôlen’ariendenouveaupourmoi.C’estcequej’aifaitlaplusgrandepartiedemavie.Edierepritbrusquementsarespiration,frappéeparl’impactdecesmots.—Jecomprendscequevousvoulezdire,chuchota-t-elle.Illaconsidéradenouveau.—Nousauronsdesfiançaillesjusteassezlonguespourconvaincretoutunchacunquenousdésirons

sincèrementnousmarier.Sixsemainesdevraientsuffire.Aprèslemariage,nouspasseronsdeuxmoisàHighclyffe, ma propriété ducale à Norfolk, pour vous aider à assurer votre position et vous montrercommentgérerleschoses.

—Et,ensuite,vouspartirezpourl’Afriqueetnereviendrezjamais?Ilneréponditpastoutdesuiteetlacontemplauninstant,songeur.—Vousabandonnerdéfinitivementmeconfèreunassezvilainrôle.—Etcelavousennuie?—Bizarrement,oui,répliqua-t-ilsèchement.Maiscen’estpascommesij’avaislechoix.Ilfaudra

quejemeconsoleensauvantmesterresdelaruineetenretournantdanslelieuquej’aime.—Alorsmarchéconclu?

Ellelevasonverreetilfitdemême.—Marchéconclu.Un échange de regards, le heurt des deux flûtes et une dernière gorgée de champagne scellèrent

l’accord.Enreposantsonverre,Ediesentitdéferlerenelleunevaguedesoulagementsipuissantequeses

genoux en tremblaient. Plus jamais elle n’aurait à revoir le visage insupportablement moqueur deFrederick.Ellenepouvaitpaseffacercejouraffreuxcommes’iln’avaitjamaiseulieu,maispeut-êtreparviendrait-elleenfinàlelaisserderrièreellepourseconstruireunenouvellevie.

Margraveémitunetouxdiscrète,interrompantsesréflexions.—Aprésentquenousallonsnousmarier,j’aiquelquechoseàvousdemander.Elletressaillit,aussitôtsurlequi-vive.—N’allezpasvousimaginerquecetarrangementvousdonneledroitd’envahirmavieprivéeen

meposantdesquestionsd’ordreintime.Ilpritunairdésolé.—Maiscettequestion-làestassezimportante.Impossibled’allerplusavantsivousn’yrépondez

pas.—Oh!trèsbien.Quevoulez-voussavoir?Ilsepenchaverselleenesquissantunlégersourire.—Commentdiablevousappelez-vous?

Chapitre4

L’attelagefithalteavecunesecousse.Brusquement tiréedupassé,Edies’aperçutqu’elleétaitarrivéeàHighclyffe.Margravenedevait

pasêtreloinderrière,supposa-t-elle.Jesuisderetouràlamaison.—Paspourlongtemps,marmonnaEdie.Robertsluijetaunregardinterrogateurtandisqu’ilouvraitlaportière,maisEdiesecoualatête.—Nefaitespasattention,murmura-t-elleendescendantdevoiture.Lecocherrefermalaporteetremontasursonsiège.Ediesedirigeaitvers lamaisonlorsqu’elleentendit levéhiculetournerdansl’alléeaulieudese

rendreverslesécuries.Ellepivotaalorsetagitalesbrasàl’intentiondeRoberts.Celui-citirasurlesrênesets’arrêtaprèsd’elle.—Votregrâce?—Roberts,quefaites-vousdonc?—Jeretourneàlagarecherchermonsieurleduc.—Vousn’enferezrien!Lesmotsavaientjailli,plusacerbesqu’ellenel’auraitvoulu,etRobertsladévisagea,stupéfaitet

penaud.—Jesuisdésolée,s’excusa-t-elleaussitôt.Jenevoulaispasêtredésagréableavecvous,mais…Ellesetut,cherchantenhâtecequ’ellepourraitbieninventer.—Sagrâceasansdoutelouéunevoiturepourleramenerdelagareetvousperdriezvotretempsen

retournantlà-bas.Mieuxvautconduirel’attelageauxécuries.Lecocherlaconsidérauninstantd’unairdubitatif.—Votregrâceenest-ellesûre?Commeellehochaitlatête,ilacquiesçad’unhaussementd’épaulesetentrepritdefairedemi-tour.—Ceserabond’avoirunmaîtreàHighclyffe,n’est-cepas,votregrâce?luilança-t-ilaupassage.—Cettemaisonn’apasdemaître,marmonna-t-elleenregardant levéhiculedescendre l’alléeen

directiondel’écurie.Seulementunemaîtresse.Margraveétaitpeut-êtrederetour,maisilneresteraitpaslongtemps.Ilsavaientconcluunmarché.

Elle assumait parfaitement sonpropre rôle et avait bien l’intentionde s’assurerqu’il s’en tiendrait ausien.

***

C’estbienpourçaquevousêtesrevenu,non?Restéesansréponse,laquestiondel’effrontéepetitesœurd’Ediesemblaittoujoursrésonnerdans

l’air,mêmeaprèsqu’unporteurleureuttrouvéunfiacreetqu’ilsfurentenroutepourHighclyffe.Non pas que Joanna eût abandonné le sujet. A peine l’attelage se fut-il ébranlé qu’elle y revint

aussitôt.—Commentallez-vousvousyprendre?demanda-t-ellecommelavoitures’engageaitsurlaroute.

Jeveuxdire,pourreconquérirEdie?Pourêtrehonnêteaveclui-même,iln’ensavaitrien.Commentpouvait-onreconquérirquelqu’unque

l’onn’avaitjamaisconquis?Cinqansplustôt,gagnerlecœurd’Edien’avaitpasfaitpartieduplan.Oh!ilavaitbiennourridespenséesfugitivessurcequiauraitpuadvenir,pendantcesnuitsoùil levait lesyeuxverslecielafricainconstelléd’étoiles,enrevivantcetinstantdanslasalledebaloùlavued’Ediel’avaitfigésurplace.Puislesparolesqu’elleavaitprononcéescesoir-làluirevenaient,etils’obligeaitàchassercesimagesquiletorturaientvainement.Danslebush,unhommepouvaitdevenirfouàforcedepenserainsiàunefemme.

Toutétaitdifférentàprésent,biensûr,mais seulementencequi leconcernait.PourEdie, il étaitclairquerienn’avaitchangé.Alagare,unseulregardsurlevisagedesafemmeavaitsuffiàleluifairecomprendre.Enl’étatactueldeschoses,ilavaitsansdouteplusdechancesdegagnerlesquartsdefinaleàWimbledonquelecœurd’Edie.Sitoutefoiselleenavaitun…Cedontiln’étaitpassûr.

Maispasquestionde fairepartdecesconsidérationsà la jeunesœurd’Edie,quisemblaitplutôtromantique.

—Vousparaissezbiencertainequejesuisicipourcela,observa-t-il.—Cen’estpas lecas? s’enquit Joannaavecunsoupçondedéception.Maisquelleautre raison

pourrait-ilyavoir?IldétournalesyeuxversceshectaresdeterresquiappartenaientauxMargravedepuisprèsdedeux

siècles.EnépousantEdie, ilavaitpréservé toutcelapour lagénérationsuivante.Or,sur lemoment, iln’avaitpassongéquelaprochainegénérationneseraitpasissuedelui.Etcelarevêtaitaujourd’huiuneimportance toute nouvelle. Pour un homme, les enfants représentaient une part de soi qui continuait àvivreaprèssoi.

Riendetelquedeseretrouveràl’articledelamortpourvousdonnersoifd’immortalité.Ilreportasonattentionsurlajeunefille.—Oh! j’aibienl’intentiondelaconquérir,croyez-moi.Jevoulaisseulementdirequec’estplus

compliquéquevousnepourriezlepenser.Ellehochalatêted’unaircompréhensif.—Vousêtesrestélongtempsabsentetvousallezavoirdupainsurlaplanche,c’estsûr.Alors…Elles’interrompitpours’installerplusconfortablementsursonsiège.—Quelleestvotrestratégie?Stuartneputs’empêcherderiredevantcettequestionsansdétour.—Savez-vousquoi?fit-ilenluijetantunregardsongeur.Vousmerappelezbeaucoupvotresœur.Joannaparutdubitative.—Edie?Laplupartdesgenstrouventquenousnenousressemblonspasdutout.—Peut-être pas quant à l’apparence,murmura-t-il, observant avec détachement la perfection du

visageovalesouslecanotierd’écolière.Joanna Jewell avait beau n’avoir que quinze ans, c’était déjà une beauté et, quand viendrait

l’époque de ses débuts dans le monde, il était à prévoir qu’elle briserait bien des cœurs. Edie ne

possédaitcertespas les traitsparfaitset le teintunidesasœur,néanmoinselleétaitdotéed’unattraitbienàelle—dontellen’avaitsansdoutejamaisétéconsciente.

—Jeneparlaispasdel’aspectextérieurmaisdel’impudence.—Oh!vousvoulezdireleculot?Joannasoupirasansdiscrétion.—Vousavezraison,etd’ailleurscen’estpas juste.Jemecréesouventdesproblèmesavecmon

impertinence,maisEdieneseprivepaspourdirecequ’elleveut.Et,sousprétextequ’elleestduchesse,personnenelatrouveculottée.

—Moi si, quand je l’ai rencontrée.Bien sûr, ellen’étaitpasmaduchesse à l’époque.Mais j’aipenséqu’ellenemanquaitpasdetoupet.

—Vraiment?Trèsintéressée,Joannasepenchaenavant.—Pourquoi?Quevousa-t-elledit?StuartrepensauninstantàcettesoiréedanslelabyrinthedeHanfordHouse.Iln’étaitpastrèssûr

quelestermesdecetteextraordinaireconversationfussenttrèsappropriéspourdesoreillesjuvéniles.—Ellenem’apastrouvéattirantdutout.Ileutunpetitrireàcetteévocation.—Etellen’apashésitéàmeledire.—Maisellevousaépousé.Commentavez-vousréussiàlafairechangerd’avis?Cequevousavez

faitalors,vouspouvezpeut-êtrelerefaire?—J’endoute.—Alorsquelestvotreplan?Ellesemblaitluienvouloirdenepasavoirtoutpréparéd’avance.—Asupposerquej’aieunplan,commevousdites,qu’est-cequivousfaitpenserquejevaism’en

ouvriràvous?Ellesecoualatêteenledévisageantcommes’ilétaitvraimentstupide.—Lefaitquejesoislaseuleenmesuredevousdiresicelavamarcheroupas,biensûr!Elleneva

pasvoustomberdanslesbrascommeça,voussavez.C’était l’abruptevérité, ildevait l’admettre.Ediene luiétait jamais tombéedans lesbras.Même

jadis.Lesouvenirdesonvisageéclairéparlalune,aussidouxetlumineuxquel’albâtre,letraversaenun

éclair,aussinetqu’il l’étaitencette fatalenuitàHanfordHouse—sineten faitque,endépitdesesmultipleseffortspendanttoutescesannéespournepaspenseràelle,ilavaitéchouéplussouventqu’iln’avaitréussi.C’étaitsonimageàellequis’étaitinfiltréedanssesrêvesavectantd’insistancedurantsondélire, et non les dangereux événements qui avaient failli le tuer. Même maintenant, il entendaitclairementsavoix,siintransigeanteetrésolue.

Quevousnereveniezjamais.Jamais.Ainsi qu’il le lui avait fait observer alors, jamais, c’était bien long. Les circonstances avaient

changéetlesprojetsavaientmaltourné.Lessiensentoutcas.Ilpivotasursonsiègeetgrimaçatandisqu’iltransféraitsonpoidssuruneseulehanchepourétendre

sajambe.LevoyageenmerdeMombasaàConstantinoplenes’étaitpasmalpassé,mêmesansJones.Ilressentitunélancementquin’avaitplusrienàvoiravecsablessureetécartadesonespritlesouvenirdesonvalet.Jonesétaitparti,ilnepouvaitrienyfaire.Ilseconcentrasurladouleurdesacuisse,bienplusfacileàsupporter.

Surlebateau,ilavaitpusemouvoirlibrement,maisilenavaitététoutautrementdanslestrainsetles attelages. Il avait senti lesmusclesde sa cuisse senouer avantmêmed’atteindreRome, et il étaitmaintenantsicontractéqu’ilavaitl’impressionquesajambedroitemesuraitaumoinsdeuxcentimètresdemoinsquelagauche.

—Qu’est-ilarrivéàvotrejambe?Stuartjetauncoupd’œilàlajeunefilleassiseenfacedelui.—Posez-voustoujoursdesquestionsaussiindiscrètes?Ellesourit.—Toutletemps.CelarendMmeSimmonsfolle.—Jen’endoutepas.Maispourvousrépondre,j’aiétéattaquéparunelionne.Joannaouvritdegrandsyeux.—C’estvrai?Commec’estexcitant!Avecunregarddésabusé,Stuartserencognasursabanquette,puisdénouasacravateetdéboutonna

soncol—chosequ’ilrêvaitdefairedepuisl’instantoùill’avaitpasséautourdesoncou.Riendetelqu’uncolraideetserrépourrappeleràunhommetoutcequin’allaitpasdanslacivilisation.

—Celan’avait riend’excitant,machèreenfant,assura-t-il tandisqu’ilglissait leboutondanssapocheetouvraitsoncol.J’aibienfaillimourir.

—Et,maintenant,vousdevezutiliserunecanne,observaJoanna.Elleplissalefrontetparutréfléchir.—Je pense quevous pourriez vous servir de cela, déclara-t-elle aubout d’un instant.Edie a le

cœurincroyablementtendre.Illuijetaunregarddubitatif.—Parlons-nousdelamêmefemme?—Ellefondracommedubeurresivousvousyprenezbien.Aussiagréablequecelarésonnâtàsesoreilles,StuartneparvenaitpasàsereprésenterEdieainsi.

Certes,ilneconnaissaitpresqueriendesafemme,maislaseuleidéed’Ediefondantcommedubeurreàquelqueproposquecefût,etsurtoutàproposdelui,neluisemblaitpaslemoinsdumondeprobable.

—Oh!elleessaied’êtredureetcoriace,poursuivitJoannacommeillafixaitavecperplexité.Maisellefaitsemblant.Ellepassesontempsàchercherunfoyerpourleschiotsetleschatonsperdusetelleestbouleverséequandunoiseaus’assommecontreunevitre.Elleapitiédetoutcequiestblessé.

—J’entredanscettecatégorie,jesuppose.Dois-jejouersursonempathie?—Ehbien,celanenousferaitpasdemalsielleéprouvaitdelacompassionpourvous.Etjepeux

vousenseignerd’autresfaçonsdel’émouvoir.Voyez-vous…Elles’interrompitpourluiadresserunsouriredébordantd’assurance.—Jepeuxfaired’Ediecequejeveux,quandjeveux.C’était sans doute vrai, car même si l’on relevait des similarités de caractère entre les sœurs

Jewell,ilexistaitaussiunedifférencedetaille:ilétaitclairqueJoannaétaitoutrageusementgâtée.—C’est trèsaimableàvous, répliqua-t-ilen lui rendantsonsourire.Etvous ferezcelaparpure

générosité,jesuppose?Elleluijetaleregarddel’innocenceblessée.—Jeveuxquemasœursoitheureuse.—Cela,jen’endoutepas.Maisallez-y,videzvotresac.Ellepouffa,sanslamoindretracederepentir.—Celanemedérangeraitpasd’échapperàlapension.

—Ah…Etqu’est-cequivousfaitpenserquejepourraispersuadervotresœurdechangerd’avislà-dessus?

LaréponsedeJoannafutsimple,directe,etbientropfutéepourémanerd’unesimpleécolière.— Dites-lui que vous voulez que je parte pour pouvoir rester seul avec elle. Elle me gardera

certainementici.StuartcommençaitàplaindreEdie.—Jemeréjouisquevoussoyezdemoncôté,murmura-t-il.—Alors?lepressa-t-ellecommeiln’ajoutaitrien.Marchéconclu?Ilritenserappelantcesmêmesmotssurleslèvresd’Edie,cinqansplustôt.—Vousmerappelezvraimentvotresœur.Ellesepenchaenavantetluitenditlamain.—Celaveut-ildireoui?Ilnevoyaitaucundésavantageàcetarrangement.Lajeunefilleconnaissaitbienmieuxsasœurqu’il

nelaconnaissaitlui-même.—Pourquoipas?fit-ilensepenchantàsontour.Commevousdites,j’aibesoindetoutel’aideque

jepourraitrouver.Tandisqu’ilssetapaientdanslamainpourscellerleuraccord,Margravesongeaqueconcluredes

marchésavecd’impertinentesAméricainessemblaitdécidémentsonlotdanslavie.Jusqu’ici,iln’avaitpaseuàs’enplaindre.Mais,àprésent,Edieetluiallaientdevoirnégocierles

règlesd’unmariaged’unetoutautrenature.Etenserappelantlevisagehorrifiédesonépouseàlagare,ilcompritqu’encequilaconcernaitcemarché-làn’allaitpasêtreaiséàconclure.

***

Stuartnesavaitpeut-êtrepasgrand-chosesurlafemmequ’ilavaitépousée,maisilétaitsûrd’unechose:lapatiencenefaisaitpaspartiedesesvertus.ApeineJoannaetluiétaient-ilsdescendusdufiacrestationnédansl’alléequeleslourdesportesdechênedelafaçades’ouvrirentbrusquement,pousséesparEdiequisortaitpourlesaccueillir,lemajordomeetlagouvernantesurlestalons.

Nonpasquelemot«accueillir»fûttrèsapproprié,àenjugerparl’expressiondeladuchesse.Soussessourcilsfroncés,elleavaitunregardassassin.

—Quediablefaites-vousici?demanda-t-elleensedirigeantversl’attelageàgrandspas.Stuartouvraitdéjàlabouchepourexpliquerl’évidence,lorsqu’ilcompritsoudainquecettequestion

nes’adressaitpasàlui.— Pourquoi n’êtes-vous pas en route pour le Kent, mademoiselle ? poursuivit Edie, qui passa

devantluiavantdes’arrêterfaceàJoanna.Lajeunefillehaussalesépaules.—J’aimanquéletrain.—Manqué ? répéta Edie. Au nom du ciel, comment pourriez-vous l’avoirmanqué ? Vous étiez

dedans!AinsiqueMmeSimmons.Oùest-elle,dureste?— Toujours dans le train pour le Kent, l’informa Joanna avec une satisfaction non dissimulée.

Impossibledel’attendre,ajouta-t-ellecommeEdiesoupiraitdefaçonconsternée.Moi-même,j’aiàpeineeuletempsdesauterdutrain,quis’ébranlaitdéjà.

—Oh ! mon Dieu, vous avez sauté d’un train en marche ? A quoi pensez-vous, Joanna ArleneJewell?Vousauriezpuvousblessergrièvement.

Elleexaminasasœur,sacolèrelaissantplaceàl’inquiétude.

—Vousallezbien?—Nevousinquiétezpas,Edie,jevaistrèsbien.Jenesuispastombéeensautant,nemesuispas

tordulachevilleniriendutout.Lasollicituded’Edies’évanouitaussivitequ’elleétaitnée.—Maisvousauriezpu!Pourquoi…Pourquoiavez-vousfaitcela?LajeunefilleagitaunemainendirectiondeStuart.—ParcequeMargraveestderetour,bienentendu!Quand jevousaientendue l’appelerparson

nom, j’ai toutde suite suque la situationallaitdevenir très intéressante. Jen’allais toutdemêmepasmanquercela!

—Vousnemanquerezriendutout,assuraEdie,carMargravenevapasresterlongtemps.Etvousnon plus, petite sœur, ajouta-t-elle avant que Stuart ou la jeune fille n’aient le temps de remettre sapremièreaffirmationencause.Ilyaunautretraindemain,etvousallezleprendre.

—Maisc’estmonbeau-frèreet jeveuxleconnaître,protestaJoanna.Jene l’ai rencontréqu’unefois,vouslesavezbien,etjem’ensouviensàpeine.D’ailleurs,ajouta-t-elleavecindignation,pourquoinem’avez-vouspasditqu’ilavaitétéblesséenAfrique?

—Blessé?Surprise,EdiesetournaversStuart,quisehâtadeprendrelaparole.EndépitdesproposdeJoanna

quiprétendaitquecelaserviraitsacause,iln’avaitpaslamoindreintentiondejouersurlacompassiond’Eddie.Pourrienaumondeiln’auraitvoulususciterdelapitié.

—Cen’estrien,affirma-t-ildansl’espoirdemettreunpointfinalausujet.Riendutout,insista-t-ilenjetantàJoannauncoupd’œilcomminatoire.

Ilauraitdûsedouterqueceseraitsanseffet.—Cen’estpasrien!s’écrialajeunefille.EtsetournantversEdie:—Ils’estfaitdévorerparunelionne.—GrandDieu,Stuart!s’exclamaEdie.—Jen’aipasétédévoré,seulementunpeumordu.Puis labêtea trouvéquejen’étaispasàson

goût.EdiepressaunemainsursaboucheetposalentementsonregardsurlajambedeStuart.—Alorsc’estpourçaquevousutilisezunecanneàprésent,murmura-t-elled’unevoixétouffée.Ellelaissaretombersamainetrelevalesyeux.—Oh!Stuart,fit-elle.Etilperçutdanssavoixetsursonvisagelapitiéqu’ilabhorraittant.—Jesuisdésolée.C’estvraimentaffreux.—Pas si affreux, corrigea-t-il d’un ton léger, ignorant le brusque coup de coude que Joanna lui

assenaitdansleflanc.Plusquestiondejouerautennis,biensûr,etmonterlesescaliersmeprendunpeuplusdetempsqu’autrefois,maisàpartcela…

Ils’interrompitpourhausserlesépaulesd’unairinsouciant.—Jevaistrèsbien.—Ilnevapasbiendutout,lecontraJoanna.Ilestboiteuxet…—Jenesuispasboiteux!protestaStuart.Cherchantdésespérémentunediversion,ilpromenaunregardalentouretaperçutlegrandgaillard

ennoirquisetenaitprèsdesmarchesduperron.Ilcontournasafemmeenconférantleplusdevigueurpossibleàsadémarche.

—Wellesley ! s’écria-t-il d’une voix chaleureuse en se dirigeant vers lui. Quel plaisir de vousrevoir.

—Votregrâce…Le majordome s’inclina. Lorsqu’il se redressa, il arborait une expression si placide que Stuart

remercialacoutumebritanniqueconsistantàavoirdesserviteursquisedistinguaientparleurflegme.—C’estunegrandejoiedevousvoirderetouràHighclyffe.—Merci,murmuraStuart.Il leva les yeux et constata que la façade en calcaire ne présentait plus ni fissures ni traces de

décrépitude.—Toutvabien,ici,ondirait?—Oui,vraiment.Trèsbien.Wellesleycoulauneœilladelégèrementdésapprobatricevers lecoldéfaitdesonmaîtreavantde

tournerlesyeuxversl’alléederrièrelui.—Est-cequeM.Jonesvoussuitdansunautreattelage?Sic’estlecas…—Non,coupaStuart.Maisundog-cartnevapastarderàarriveraveclerestedemesbagages.Il pivota pour saluer la gouvernante, une mince femme d’un certain âge, qui se tenait près du

majordome.—MmeGates.Jemeréjouisdevousvoirencoreici.Lafemmeluisouritlargement,éclairantsonvisageridé.—Oh!j’yseraitoujours,votregrâce.AussilongtempsquelebonDieulepermettra.—Jesuisheureuxdel’entendre.Avez-vousassezdeservantessousvosordrespourfairepréparer

monappartement,mêmesi jemesuismontré terriblement impolienn’écrivantpaspourannoncermonretour?

—Bien sûr,votregrâce. Jevaism’enoccuper toutde suite.EtpuisqueM. Jonesn’estpas avecvous…

Elles’interrompit,désignantd’ungestelejeunehommedégingandévêtud’unelivréequisetenaitàsagauche.

—Jesuissûrequ’Edwardpourraassurercettefonction.Entantquepremiervaletdepied,iladéjàservicommevaletdechambreàl’occasion.

Wellesleyintervint.— Sa grâce n’a nul besoin d’un valet de pied pour cela. Je m’en chargerai moi-même jusqu’à

l’arrivéedeM.Jones.—Jonesneviendrapas,soupiraStuartensepassantlamainsurlevisage.Aprèstout,ilsavaientledroitdesavoir.—M.Jonesestmort.—Quoi?Stuartneseretournapasenentendantlecridesurprised’Edie.— Vous n’aurez pas à jouer les valets, Wellesley. Merci pour votre sollicitude, mais je me

débrouilleraitoutseul.—Toutseul?L’exclamation étonnée des deux serviteurs trouva un écho derrière Stuart tandis qu’Edie se

rapprochaitdelui.—Maisvousallezcertainementavoirbesoind’aide,observa-t-elle,lefrontplisséparl’inquiétude.

Commentferez-voussansvalet?

—Jemesuishabituéàtoutfairemoi-même,etenfindecomptejepréfèrecela,dumoinspourlemoment.Wellesley,ajouta-t-il,voulez-vous…

Savoixsebrisa.Iltoussaavantdereprendre:—Voulez-vous informer les autres serviteurs au sujet de Jones ? Je sais que certains l’aimaient

beaucoup.—Biensûr,votregrâce.—Merci, fit Stuart avec reconnaissance.MadameGates, si vousvoulezbien faire préparermes

appartements et tirer de l’eau pour un bain, j’apprécierais infiniment. Je vais attendre dans labibliothèque.

Grâce à Dieu, cette pièce-là se situait au rez-de-chaussée. Il adressa un signe de tête à sesdomestiques,gravitlesmarchesenboitantetpénétradanslamaison,espérantquepersonnen’aborderaitpluslesujetdesesblessuresnidesonvalet.

L’attitude d’Edie semblait indiquer qu’elle possédait un cœur, ce dont il avait douté.Mais si lacompassionqu’elle éprouvait pour son état était un point positif dans le caractère de la jeune femme,Stuartn’avaitpaslamoindreintentiondes’enservirpourlapersuaderderendreleurmariageeffectif.Lejouroùilauraitbesoindelapitiéd’unefemme,iln’auraitplusqu’àsejeterd’unefalaiseavecsajambeestropiée.

Chapitre5

Stuart s’arrêta sur le seuil de la bibliothèque. Celle-ci était si différente de la pièce dont il sesouvenaitqu’ilsedemandauninstants’ilétaitbienaubonendroit.

Des étagères de livres garnissaient encore trois murs de la longue pièce rectangulaire, mais lequatrième,celuiquilongeaitlaterrassesud,avaitétéentièrementdébarrassédesesrayons.Aleurplace,setrouvaientdehautesportes-fenêtresdonnantsurlaterrasseetencadréespardesdraperiesdesoieverttendre.Onavaitôtéleslambrisdenoyeretpeintlesmursenjaunepâle.Lesboiseriesautrefoisdoréesétaientblanchesàprésentetlestissusd’ameublementenveloursuséremplacésparduchintzauxdélicatsmotifs verts et blancs. La pièce était désormais aérée et baignée de lumière, ce qui représentait uneaméliorationconsidérableparrapportauprécédentdécorétouffant.

Labibliothèquen’étaitpaslaseulechosequ’Edieavaittransforméedanslamaison.Stuartavaitdéjànotéquelafaçadenordavaitétérefaite,maisunpasdehorsluipermitdeconstater

que celle du sud avait reçu le même traitement. Les jardins d’agrément n’étaient plus une masseenchevêtréedebuisenvahissants,derosierséchevelésetdegazonétoufféparlesmauvaisesherbes.LespotagersitaliensintroduitsparletroisièmeducsouslerègnedelareineAnneavaientétérendusàleurcomplexesplendeurd’origine,avecleursrosesépanouiesdansunabandoncontrôléetleursbasseshaiesdebuissoigneusementtaillées.Jadisrouillées,latableetleschaisesenferforgédelaterrasseavaientété peintes en blanc, des géraniums en pots s’alignaient le long de la balustrade et, sous les pieds deStuart, les dalles fendues et craqueléesd’autrefois avaient disparu.Au loin, les bâtiments de la fermesemblaientpropreset leschampsbienentretenus.Iln’avait jamaisdoutéde lacapacitéd’EdieàgérerHighclyffeetsesautresdomaines,nonseulementparcequ’ilfaisaitconfianceàsonpropreinstinct,maisaussiparcequelesrapportsannuelsqu’ilrecevaitdesesintendantsetrégisseursleluiavaientconfirméd’annéeenannée.

Malgrécela,iltrouvaitrassurantdeconstaterparlui-mêmequetoutétaitenordre.Mais,àlavuedesterresimpeccablementsoignéesquis’étendaientdevantlui,ilsedemandasoudaincequ’ilpourraitbienfaireici.Edieavaitsibienprisleschosesenmain…Enquoipourrait-ilparticiper?

Ilesttempsderentreràlamaison.Le besoin lancinant qui s’était manifesté à lui en cette fatale nuit six mois plus tôt lui revint à

nouveau.Ilserappelaqu’ilauraitpupréférermourir,alors.Maisilavaitchoisidevivre,derentrerdanssonfoyeretd’accepterenfinlerôlepourlequelilétaitné.Dureste,ilavaittoujourssuqu’ilreviendraitunjour.Seulementilnes’attendaitpasàlefairedecettefaçon-là.Ils’étaitplutôtimaginéregagnantsonlogisenfanfare,avectousleshonneursdusàunvoyageuretexplorateurderenom.Iln’avaitcertespaspenséqu’ilrentreraitenclaudiquanttelunanimalblessé.

Néanmoins,ilétaiticietavaitdesresponsabilitésàassumer.SerabibocheravecEdiereprésentaitsontoutpremierobjectif,carsanscelariend’autren’auraitd’importance.Nonpasqu’ilsaientvraimenteuquoiquecesoitàraccommoder.Ilsn’étaientpasuncoupled’heureuxépouxqui,s’étantéloignésl’undel’autrepuisséparés,chercheraientmaintenantàseréconcilier.Non,ilsn’avaienttoujoursétéquedeuxétrangersqu’unmutuelbesoinavaitrapprochésetn’étaientjamaistombésamoureux.

Oudumoins,corrigea-t-ilintérieurement,Edienel’avaitjamaisété.Ilserappelalapremièrefoisqu’il l’avaitvuedanscette salledebalet cequ’il avait alors ressenti—commesi lamaindudestins’étaitemparéede lui, le forçantàs’immobiliseretà regarderde toussesyeux,carcequise trouvaitdevantluiméritaitsonattention.Ilauraitputomberfollementamoureuxsiellenel’avaitpasbrutalementramenésurterreavantmêmequ’ilneconnaissesonnom.Pff!

C’étaitunnouveaudébut,etunedeuxièmechance.Oh!latâchequil’attendaitneseraitpasaisée.Ilsavaitetavaittoujourssuqu’Ediepossédaitunecarapacequ’ilneseraitpasfaciledebriser.

—Vousavezchangé.Il se retourna et la découvrit qui l’observait à travers la porte-fenêtre, sur le seuil menant au

corridor.—Encinqans,ilmesemblequ’unhommechangeforcément.Ilrepritlechemindelabibliothèque,cequ’ilregrettaauboutdequelquespas.Lefaitqu’Ediele

suiveainsiduregard,tandisqu’iltraversaitlaterrasseetpénétraitàl’intérieur,lerendaitmalàl’aise.Lorsqu’il s’arrêta aumilieu de la pièce et s’aperçut qu’elle ne s’était pas avancée à sa rencontre, ilespéraqu’ilnedevaitpasyvoirunsymboledeleuravenir.

—Stuart?Ellehésitaavantdedéclarersimplement:—JesuisdésoléepourJones.Etaient-ceaussideslions?—Oui.Enquoitrouvez-vousquej’aichangé?poursuivit-ildansunbesoinurgentdedétournerla

conversation.Apartcequiestévident,bienentendu,ajouta-t-ilavecunrireforcé,enfaisantpassersonpoidssursabonnejambeetrelevantsacanne.

Elleréfléchituninstant.—Vousêtesbeaucoupplussérieuxquedansmonsouvenir.Moinsdésinvolteetnonchalant.—Oui,majeunesseinsouciantes’estenvolée,jecrois.Lajeunefemmeesquissauntrèslégersourire.—Maisvousdénoueztoujoursvotrecravateàlamoindreoccasion,àcequejevois.Ilsourit,souhaitantquecefûtledébutd’unrapprochement.—Cen’estpaslacravate,Edie,c’estlecol.L’unedeschosesquel’Afriquem’aapprises,c’està

quel point cesmaudits accessoires peuvent être inconfortables.Au fait, vous avez changé vous aussi,ajouta-t-il.

Elleparutsurprise.—Vraiment?Etenquoi?Il l’étudia un longmoment, pensif. C’était bien le visage dont il se souvenait, avec ses sourcils

auburn formantdes angles, sesyeuxvertmousse et son semisde tachesde rousseur. Il y retrouvait lamêmemâchoirecarréeettêtue,lementonpointé,laboucherosepâle,etsansdouteavait-elletoujourscesdentsblanchesetdroites,sensiblementenavant lorsqu’ellesouriait,bienqu’ellenefûtpasdugenreàsourire beaucoup s’il se rappelait bien.Elle n’avait jamais eu un très joli visage, dumoins selon lescritèresdelasociété,maisilétaitsirayonnantdeviequesonmanquedebeautéclassiquen’avaitpaslamoindreimportance.Alorsqu’est-cequiétaitsidifférentenelle?Iltentadecernerlachose.

—Vousn’êtesplusaussimincequejadis.Niaussifarouche.Aussidéterminée.Voussemblez…Jenesaispastropcommentl’exprimer,Edie.Vousêtesplusdouce,d’unecertainefaçon.

Ellechangeadepositionetdétournalesyeux,commesicettedescriptionlamettaitmalàl’aise.—Ehbien…euh…Elletoussota.—C’esttrèsbien.Le silence retombaentreeux,un silencequibannissait tout espoirdebons rapports immédiats et

soulignait un fait brutal. Bien que mariés, ils étaient deux étrangers seuls dans une pièce, cherchantdésespérément quelque chose à se dire. Non pas qu’ils n’eussent aucun sujet à aborder — bien aucontraire.Leur avenir en tant quemari et femme s’étendait devant eux, et s’il y avait une raisonpourlaquelle Stuart avait survécu, c’était pour se donner une autre chance avec Edie — une chance deconstruire avec elle un vrai mariage.Mais il ne pouvait guère lui parler de cela sans préambule. Ilpromenaunregardautourdelui,cherchantquelqueremarqueneutreàformuler.

—J’aimecequevousavezfaitdecettepièce,observa-t-ilenfin.Lesportes-fenêtresdonnantsurlaterrasse,c’estuneidéemagnifique.

—J’aifaitlamêmechosedanslasalledemusique,celledubillardetlasalledebal.Commetoutescespiècesflanquentlaterrasse,c’étaitunesimpleaméliorationàeffectuer.

— Ce sera appréciable d’avoir un peu plus d’air frais dans la salle de bal. Cette pièce étaitaffreusement chaude lorsqu’elle était pleine demonde,même avec toutes les fenêtres ouvertes.Et ici,dans la bibliothèque, la porte-fenêtre apporte beaucoup plus de lumière. On y voit assez pour lire àprésent.Avant,jem’ensouviens,ilfallaittoujourss’éclairer,mêmel’après-midi.Commec’eststupide,pensais-je souvent, de ne pas avoir de lumière adéquate dans une bibliothèque !Aprésent, il ne seranécessaired’allumerunelampequ’aprèslecrépuscule.

— Pas même, répondit Edie en montrant du doigt l’une des nombreuses appliques dorées quiornaientlesmurs.Ilyalongtempsquej’aifaitinstallerl’éclairageaugazdanstouteslespièces.

Ilsourit.—Commec’estaméricaindevotrepart!Unedécisiontrèssensée.Edieserenfrogna.—Votremèren’estpasdevotreavis.Elledétesteces lampes.Sadésapprobationestpalpableà

chacunedesesvisites.Illuijetaunregardcompatissant.—A-t-elleététrèsdésagréable?Edieagitaunemain.—Rienque jenepuissegérer.Votremère ressembleunpeuauchatde lamaison.Elleveutêtre

dorlotéeetnourrie,etelleatendanceàcrachoterdecolèrequandellenepeutpasfaireàsaguise.—Voilàunebonnedescriptiondel’ensembledemafamille.—Oui,assez.Savent-ilsquevousêtesici?—Maman etNadine sont au courant. Je suis passé parRome sur le chemin du retour pour leur

rendrevisite.Voussaviezqu’ellessetrouvaientàRome,n’est-cepas?Oui,biensûr,poursuivit-ilsanslui laisser le temps de répondre.Maman n’irait nulle part sans vous donner l’adresse où envoyer sapensiontrimestrielle.

Edienecontestapascetteaffirmationassezcynique.— Ont-elles l’intention de vous suivre ici en ce cas ? Faut-il que je fasse préparer d’autres

chambres?Stuartsecoualatête.

—EllesvontresterenItalietoutl’automne,ainsiqu’ellesl’avaientprojeté.Il sentit son cœur se serrer— un chagrin stupide de petit garçon qu’il écarta aussitôt. Il avait

acceptédepuislongtempsl’indifférenceetletotalmanqued’amourquirégnaientdanssafamille.—Nadine,continua-t-il,amislegrappinsurunprinceitalienet,siellerentraitàprésentilpourrait

luiéchapper.Ilyadespriorités,Edie.Despriorités.Ellehochalatête.ConnaissantdésormaislasœuretlamèredeStuart,ellecomprenait.—Biensûr.EtCecil?—Oh!j’aitoutletempsdel’informer.LapêcheàlamouchebatsonpleinenEcosseencemoment

etlesbattuescommencentlasemaineprochaine.Mêmesijeluiécrivaisaujourd’hui, jedoutequemonfrèrepuisses’arracheràStuartLodgepourvenirm’accueillir.

—Sivousvoulezabsolumentlevoirpendantquevousêtesici,jepourraisluicoupersapension,suggéra-t-elleavecunetouched’humour.

Stuartéclataderire,surpris.Plaisanterneressemblaitguèreàl’Ediedontilsesouvenait.—Voilàquileterrasseraitsur-le-champ,n’est-cepas?Non,iln’estpasnécessairedeluiinfliger

cegenredechocpourlemoment.Ellefronçasonnezmouchetéd’unairchagrin.—Audébut,quandvousm’avezditàquelpointilsétaientdesparasites,jenevousaipasvraiment

cru.—J’aifaitdemonmieuxpourvousenavertir.—C’estvrai.Maisjenel’aicomprisqu’aumomentoùilsm’ontétéprésentés.— Et pourtant, même après avoir fait leur rencontre, vous m’avez épousé. Je me suis souvent

demandépourquoi.—Nousconnaissonstousdeuxlesraisonsdenotremariage.—Oui,oui,biensûr.Vousêtesvenueversmoipourmeproposerunarrangementtrèsraisonnable,et

j’ai…Ils’interrompitetprituneprofondeinspiration.—J’ai sauté sur laproposition.Maisceque jeveuxdire,c’estque jemesuis souventdemandé

pourquoivousm’aviezchoisi,moi.Ellehaussalesépaulesenriant.—Oh!jedoutequevousayezassezpenséàmoipourvousdemandercela.—Détrompez-vous,Edie.Labonnehumeurd’Edies’évanouit sur-le-champ.Soudainnerveuse,elle s’humecta les lèvresdu

boutdelalangue.—Stuart,pourquoiêtes-vouslà?s’enquit-elleàvoixbasse.—Jecroisquevousconnaissezdéjàlaréponse.Ellepénétradanslabibliothèqueetvintlerejoindre.—Jesuppose…Elles’arrêtadevantluietobservaunepause.—Jesupposequecesontvosblessuresquivousontincitéàrentrer?—Enpartie,admitStuart.Oudumoins,corrigea-t-ilenlui-même,ellesluiavaientfournileprétexteidéal.Elleplissalefront,intriguéeparsaréponse.—Alorsvousêtesrevenupourconsulterundocteur?—J’aidéjàvudeuxdocteurs.UnàNairobietunautreàMombasa.—Jevoulaisdireundocteuranglais.

—Ilsétaientanglaistouslesdeux.Ellesecoualatête.—Jeparlaisd’unspécialiste,quelqu’undeplusexpérimentéqu’unmédecincolonialpoursoigner

desblessurestellesquelesvôtres.—Celan’ychangeraitpasgrand-chose.—Peut-êtrequesi.OntrouvedesdocteurstrèscalésdansHarleyStreet,insista-t-elle.Ilperçutunenotedésespéréedanssavoix.—L’und’euxpourrait vous proposer un traitement, quelque chosequi vous remettrait d’aplomb.

Ensuite…Elles’arrêtadenouveau.Cettefois,sonembarrasétaitsipalpablequeStuartgrimaça.—Continuez,lapressa-t-il.Ensuite?—Ensuitevouspourriezrepartir.Inutiledecacherlavérité,décida-t-il.—Jenerepartiraipas,Edie.Jesuisderetourpourdebon.Ellenemontrapaslamoindresurprisemaishochalatête.S’ilpritcelapourungested’acceptation,ilfutvitedétrompé.—Vousm’aviezpromisdenejamaisrevenir.Vousvousrappelez?Il s’abstint de préciser ce qu’il avait toujours su, à savoir qu’il ne tiendrait sans doute pas cette

promesse.—Lesconditionsdanslesquellesjemetrouveontchangé,ainsiquevousavezdûleremarquer.Je

nepeuxplusmenerlaviequej’avaisavant.Plusdechasse,plusdesafaris.Ils’interrompit—mêmesitoutcelaétaitvrai,cen’étaitpaspourcesraisonsqu’ilétaitrentréàla

maison.—Edie,j’aifaillimourir.Ellesemorditlalèvreetdétournalesyeux.—Jesuisdésolée,Stuart.Sincèrementdésolée.—Mais?Ellepivotadenouveauverslui,etilretrouvalajeunefillequ’ilavaitconnue,cellequinevoulait

pasdemariendehorsdunom.—Avez-vousl’intentionderomprenotremarché?Sileurmariagedevaitavoirlamoindrechancederéussir,ilfallaitqu’ellesachecequ’illuiétait

arrivé.—J’aivudeshommescreuserma tombe,Edie. Je lesai regardés faire. Je savaisque j’étaisen

traindemouriretjesuisincapablededécrirecela,sicen’estquecelachangeunhomme.Toutcequ’oncroyait important jusqu’alors perd son sens tout à coup. Cela oblige à voir sa vie sous un nouveléclairage,àreconsidérerseschoixetpeut-êtreàenfairedenouveaux…

—Etquelssontleschoixquevoussongezàreconsidérer?lecoupa-t-elle.—Jemesuisrenducomptequ’ilétaittempsderentrer,dem’occuperdemesterres,etdevous.—Jen’aipasbesoinqu’ons’occupedemoi.Ilvitsonexpressionsedurcir,maisilcontinua:—Jeveuxaccomplirmondevoirenversmesdomaines,mafamilleetmonmariage.Jeveuxêtreun

vraimari.Ilobservaunepauseavantd’ajouter:—Avecunevéritableépouse.

Apeineeut-ilprononcécesparolesqu’ellesecoualatête.—Non.Nousétionsconvenus…—Jesaiscedontnousétionsconvenus,maiscelafaitcinqansdecela.Leschosessontdifférentes

àprésent.—Paspourmoi.C’était un fait douloureusement évident, mais il l’ignora, son seul espoir d’un avenir avec elle

consistantàtrouverunmoyendesurmonterl’obstacle.—Maisellessontdifférentespourmoi,Edie.Jeneveuxpasseulementpoursuivredeschimères.Je

veuxm’inscrireetexisterdansquelquechosededurable.Elleécartaleslèvresmaisneditrien,ledévisageantsimplement.Ilprofitadecemomentpourachever:—Laprochaine foisque je regarderai lamorten face, jeveuxsavoirque j’aurai laisséquelque

chosederrièremoi,passeulementmesosetmescendres.Edie…Ilsetutetprituneprofondeinspiration.—Jeveuxdesenfants.Ellereculad’unpasenvacillant,commefrappée.—Vousm’avezdonnévotreparole!jeta-t-elle,suffoquée.Bonsang,vousm’avezpromis.Elleseretournaet,pourladeuxièmefoisenuneheure,s’éloignad’unpastroprapidepourqu’ilpût

lasuivre.—Nousn’allonspasnouséviterconstamment!luicria-t-il.—Jenevoispaspourquoi,lança-t-ellepar-dessussonépaule.Nousavonsmagnifiquementréussi

pendantcinqans.Surcesmots,elledisparutdanslecorridor.Stuart souffla lentement. Cela serait plus difficile qu’il ne l’avait pensé, songea-t-il en fixant le

couloirvide.Unevoixféminineàl’expressiondésabuséevintinterrompresesréflexions.—C’étaitbienladernièresottiseàfaire!IlpivotaetdécouvritJoanna,lessourcilsfroncés,dansl’embrasuredel’unedesportes-fenêtres.—Vraiment,Margrave,commentpourrai-jevousaidersivousnemedemandezpasconseil?—En plus d’être impertinente et de désobéir à votre sœur, je vois que vous n’éprouvez pas le

moindrescrupuleàécouterauxportes.—Ce n’est pasma faute si Edie et vous vous disputez toutes portes ouvertes. Et puis celame

concernesérieusement.—Si jevousretrouveentraind’épiermesconversationsprivéesavecvotresœur,ouquiquece

soit d’autre d’ailleurs, je vous traînerai moi-même à Willowbank, même si je dois pour cela vousattacheretvousbâillonner.Est-cecompris?

Lajeunefilleprituneexpressionboudeuse.—Oh ! très bien,maugréa-t-elle. Je ne vous écouterai plus.Mais à présent que lemal est fait,

ajouta-t-elleavecentrain,àquoipensiez-vousdonc,jevousledemande?Lesenfants,c’étaittrèsbien,pourquoipas.Edieaime lesbébés.Maisaccomplirvotredevoird’époux?Et toutesces sornettes survotrebesoindevousinscriredansquelquechosededurable?

Elleémitunsoupirdedérision.—Vouspensezquec’estçaquivalaséduire?Avec le recul, il admit que cela ressemblait bel et bien à des balivernes, même si s’entendre

prodiguerdesconseilssentimentauxparuneécolièrel’ennuyaitprofondément.

—Etenessayantdesuscitersacompassion,j’auraismieuxfait,selonvous?—Detoutefaçon,vousn’auriezpaspufairepire!Joanna tourna les talons avec une exclamation excédée et disparut, mais les dernières paroles

qu’ellegrommelaflottèrentjusqu’àluidepuisl’autreboutdelaterrasse:—Vulafaçondontvousvousyprenez,jen’échapperaipasàlapension!Pourlemoment,Stuartn’étaitpasenpositiondediscutercetteprédiction.Et,bienqu’ilnefûtpas

plusenclinqu’avantàjouersurlapitiéd’Edie,ilsavaitqueJoannaavaitmarquéunpoint.Toutcequ’ilavaitdéclaréàEdieétaitvrai,maisbeaucouptropmaladroitpourlarallieràsacause.Malheureusement,iln’avaitpaslamoindreidéedecequ’ilauraitpuluiraconter.Ilavaittoujoursétéplutôthabileàséduirelebeausexe,maissoncharme,ilenétaitbienconscient,n’avaitjamaisimpressionnéEdie.

Il savait qu’une histoire d’amour qui avait mal tourné lui avait brisé le cœur et avait ruiné saréputation. Ilsavaitaussiqu’ellene luiavaitpasproposé lemariagepardésirpour lui,mêmesicettedécouverteavaitportéunlégercoupàsonamour-propreàl’époque.

Jevousoffretoutcequevoussouhaitezdelavie.Nelaissezpasvotrefiertémasculinesemettreentravers…

Ehbien,ilavaitsuivisonconseil,etlasuiteavaitressembléàuncontedesMilleetUneNuits.Telungéniejaillid’unebouteille,Edieétaitapparueetavaitrésolutoussesproblèmes,l’avaitdéchargédesesfastidieuxdevoirsetluiavaitofferttoutcequ’ilavaittoujoursvoulu.Tout,saufelle-même.

Cettenuit-là,danslelabyrinthe,Stuartn’avaitpassongéàl’effetqueleurmarchéauraitsurlui.Etpendantcesfollesjournéesquiavaientprécédéleurmariage,entourédeparents,dechaperons,etd’unessaim de journalistes avides de retransmettre tous les détails des dernières noces transatlantiques, ilavait eu peu d’occasions d’y réfléchir. Au-delà de la piqûre d’amour-propre bien compréhensible, lemanque d’attirance qu’elle éprouvait à son égard était passé au second plan pour céder la place àd’autres considérations, comme celle d’assurer l’avenir de ses domaines. Or plus tard, lorsqu’ilss’étaientretrouvésseulsici,àHighclyffe,larépugnanced’Edieàcoucheravecluiavaitcommencéàletorturer,etpourdesraisonsquin’avaientplusrienàvoiraveclafierté.

Il s’étaitmis à la désirer, chaque jour davantage, et deux semaines après lemariage, lemarchéqu’ilsavaientconcluressemblaitdavantageaupactedeFaustaveclediable.

Incapabledesupporterpluslongtempsdenepaspouvoirlaposséder,ilétaitpartipourl’Afriqueunmoisplustôtqu’ilsnel’avaientconvenuensemble.Ilserappelaitmêmelejourexactoùilavaitatteintseslimites.

Ilsetournaverslaterrasseetserevitcinqansplustôt,lorsdecechaudaprès-mididejuilletoùlethéavaitétédisposépoureuxsurcettetableenferforgé.

Ils avaient visité le domaine, une longue balade à cheval pendant laquelle il lui avait montrécertainesdesterreslespluséloignéesdeHighclyffe.Aprèsuneabsenced’unejournéeentièreoùilsnes’étaient sustentés que de quelques sandwichs à la ferme, ils avaient décidé de prendre le thé sur laterrasseavantdemontersechanger.Lavoixd’Edie,trèsclaire,luirevintdupassé:

—Queldommagequecesterrainsausudnepuissentêtrerendusutilisablesd’unefaçonoud’uneautre,avait-elleobservéavecsonbonsensaméricain,entendantsonhaut-de-formeetsacravacheàunvaletdepied.

Elles’étaitassisesurlachaisequeStuartavaittiréepourelle.—Pourlaculture,lespâturages,ou…autrechose.Telsquels,cenesontguèrequedesmarais.—Unmarécage,avait-ilagrééenprenantplaceenfaced’elle.C’est lapenteduterrainquipose

problème,voyez-vous.—Nepeut-onpasyremédier?

—Nousavonsfaittoutcequenouspouvions.Tandis qu’elle servait le thé, il lui avait expliqué les travaux effectués, gradins, drains, et autres

tentativesvariéespourrésoudreleproblème.—Et,malgrécela,c’estencoremarécageux,avait-elleobservéenluitendantsatasse.—C’estexact.Ceseraità lordSeaforthdeprendred’autresmesures,mais ilneprocéderapasà

desaméliorationssursesterressiceladoitprofiteraussiauxmiennes.Ilmehait.—Ilvoushait?Maispourquoi?Stuartavaithaussélesépaules,avaléunegorgéedethépuiss’étaitappuyéaudossierdesachaise.— Haïr les Margrave est une tradition dans la famille Seaforth. En 1788, le troisième duc de

Margrave, qui avait désespérément besoin d’argent, s’est enfui à Gretna Green avec l’une des fillesSeaforth.LaversionSeaforthaffirmequ’elleaétékidnappée,etcelaacauséunénormescandale.Lesrelationsentrenosfamillessontrestéeshostilesdepuislors.

—Maisc’eststupide!—Sansdoute,maisc’estainsi.J’aiessayéplusieursfoisdecomblerlabrèchedutempsoùSeaforth

etmoiétionsàCambridge,maisSeaforthn’afaitaucuneffortdesoncôté.Laquerelleperduredonc—ainsiquelemarécage!

—Maiscemaraisestunnidàmoustiques.Sansparlerdesmaladies.Seaforthpossèdeprécisémentlà-basunpâturageremplidebrebis! Il risqueuneépidémiede typhoïde,decholéraouDieusaitquelautrefléau.

—Jesuisbiend’accord,maisquevoulez-vous?C’estainsi,jevousl’aidit.Elleavaitpousséuneexclamationd’impatience.—Etsij’achetaisceterraindesoncôtéquinesertàrien?Toutpourraitalorsêtreconvenablement

dénivelé.Ilavaitéclatéderire,etelles’étaitinterrompue,plissantlefrontpourluijeterunregardperplexe

par-dessussatasse.—«Etsijel’achetais»,dit-elleavectoutel’assurancedelaricheAméricaine…Elleavaitfroncédavantagelessourcils.—Vousvousmoquezdemoi?—Peut-êtreunpeu,avait-iladmisensouriant.Posantsatasse,ils’étaitpenchéversellepourajouter:—DenombreuxMargraveontoffertd’achetercesterres—dumoinsquandnotrefamilleétaiten

fonds.MaisaucunSeaforthnevoudrajamaisnouslesvendre.—Vouspourriezessayer.—Jel’aidéjàfait.Unesemaineavantnotremariage.Seafortharefusé.—C’estabsurde,pourl’amourduciel!Elles’étaittue,maisStuartavaitbienvuqu’ellecherchaitunesolution.—Etsiquelqu’und’autreachetaitceterrain?avait-elledemandéaprèsunmoment.—Seaford pourrait se laisser persuader de vendre,mais qui l’achèterait ? Investir dans la terre

représenteunmauvaisplacementdenosjours,surtoutpourunepetiteparcellecommecelle-ci.Enclavéeentredeuxdomaines,ellenepeutêtred’aucuneutilitéàpersonne.

—Hum…Jepensequ’onpourraitpersuaderMadison&Mooredel’acheter.Commeillaregardaitsanscomprendre,Edieavaitesquisséuntrèslégersourire.— Seaforth n’aura jamais besoin de savoir que la société Madison & Moore est l’une des

nombreusescompagniesdemonpère.Stuartavaitéclatéderire.

—Bon sang,mais cela pourraitmarcher ! Vousm’aviez assuré que vous n’étiez pas dépourvued’intelligence,Edie,maisvousnem’aviezpasditquevousétiezgéniale!

Elles’étaitesclafféeàsontourdevantcecomplimentoutrancier,legratifiantd’unsourireradieuxdepuis l’autrecôtéde la table,etsoudain ils’était figé.C’était lemêmesentimentdefascinationqu’ilavaitéprouvélorsqu’ill’avaitrencontrée,maislaraisonenétaitdifférente.Lepremiersoir,ilavaitétéhappéparl’impressiondedécouvrirunêtrequisortaitcomplètementdel’ordinaire.Oràprésent,c’étaitautre chose qui le clouait sur place. Telle une lumière éclairant la nuit, le sourire, le rire d’Ediel’illuminaiententièrement, faisantétincelerd’orsesyeuxvertsetébranlantcettearmuredequant-à-soiquil’enveloppaithabituellement.Etlajeunefillesansbeautédevenaittoutàcoupravissante.

Iln’avaitpuempêchersonpoulsdes’accélérerets’étaitsentisubmergédedésir.Jusque-là,ilavaitréussiàcontrôlersonattirance,àl’ignoreretlateniràdistance.Mais,cettefois,celaavaitétésipuissantet soudain qu’il lui avait été impossible de le réprimer. Incapable de se raisonner, il ne pouvait queregarderdésespérémentlafemmeassiseenfacedeluitandisqu’uneardeurdébridéeenvahissaitchaqueparcelledesoncorps.

C’estmafemme,avait-ilsongé.Etencetinstant,ileûtdonnén’importequoipourlavoirrireainsi,nueaumilieud’unamoncellementneigeuxdedrapsetdecouvertures.

—Quelbeausourirevousavez,avait-illâchémalgrélui.C’estunspectaclequejeneverraispasd’inconvénientàdécouvriràmecôtéschaquematinauréveil.

Le sourire en question s’était lentement évanoui et, en le regardant disparaître, Stuart s’étaitdemandésilecœurd’Ediebattaitaussifortquelesien,sisoncorpséprouvaitlamêmebrûlure,sisonespritabritaitlesmêmestorridespensées.

Souslechoc,maissansnulledureté,elleavaitouvertdegrandsyeux—desyeuxd’unvertsiclair,simagnifique.Elleavaitportélamainàsoncou,etunsoupçondecouleuravaitirriguésesjouespâles.

Ilavaitsualorsqu’elleressentaitlamêmechosequelui,aumoinsdansunecertainemesure.Ilavaittentéletoutpourletout.—Pourquoipas,Edie?Aprèstout,noussommesmariés.Elleavaitprisuneprofondeinspirationets’étaitraidie,etStuartavaitvuunmurs’éleverentreeux,

pareilàunebarrièrephysique.—Vousm’avezdonnévotreparole,avait-elleprononcéd’unevoixfroideetcinglante.Ettoutespoirdelavoiraccepterunepetiteséanced’amourentrelesdrapss’étaitévanouisur-le-

champ.Ilétaitpartilelendemainsansrevoirsonsourire.Quelquefois,enAfriquedel’Est,assislesoirà

l’extérieurdesatente,ilavaitrepenséàsonvisagedel’autrecôtédelatableàthé,unvisagequeledésiravaitadoucifurtivement,etils’étaitdemandécequ’auraitétésaviesil’urgencenel’avaitpaspousséàaccepterlemarchéqu’Edieluiavaitproposé,ets’ilavaitpuennégocierund’unautregenre.

***

Tandis qu’il fixait la table en fer forgé en se rappelant ce jour-là, il songea que la chance qu’iln’avait pas saisie alors se représentait aujourd’hui. Il avait changé pendant toutes ces années, et elleaussi.Aussidévastéequ’elleaitpuêtreàdix-huitans,sixans,c’étaitsûrementassezlongpourrépareruncœurbrisé.

Ilyavaitdelapassionchezsonépouse.Ill’avaitsentilanuitdeleurrencontre,etill’avaitvuaussice jour-làsur la terrasse.Debrefsaperçus,peut-être,mais ilensavaitassezsur les femmespourêtre

certainqu’ilnel’avaitpasimaginé.Illuifallaitseulementtrouvercommentenflammercettepassionafinqu’ellebrûlepourlui.

Le temps était son allié.Endépit de sa déclaration provocatrice,Edie ne pourrait pas l’éviter àchaque heure du jour pendant le reste de leur vie. Ils vivraient dans la même maison, mangeraientensemble,liraientdanslamêmebibliothèque,prendraientlethéàlamêmetableenferforgé.Petitàpetit,s’ilétaitpatient,ilobtiendraitsonattention,rompraitsarésistanceetallumeraitlefeuquicouvaitenelle.

C’étaitseulement,sedisait-il,unequestiondetemps.

***

—Ellea…quoi?StuartlevalesyeuxduplatderognonsetdebaconqueWellesleyvenaitdeluiservir.Laréponsedu

majordome,auprèsduquelils’étaitenquisd’Edie,étaitassezsurprenantepourqu’ilenoubliesonpetitdéjeuner.

—ElleestpartiepourLondres?—Oui,votregrâce.Elles’enestalléetôtcematin,parletraindehuitheurestrente.Stuartjetauncoupd’œilàlapenduleetconstataqueletrainétaitpartidepuisprèsd’uneheure.—A-t-elleditquelquechose?Donnéuneraisonàsondépart?Laissédesinstructionssurcequ’on

doitfaireavecsasœur?OùestJoanna,d’ailleurs?Etsagouvernante?—MmeladuchesseareçuhiersoiruncâbledeMmeSimmons,justeavantledîner.Ilsemblerait

que la gouvernante soit descendue du train àKing’s Lynn.Mais elle a fait transporter les affaires deMlle Jewell jusqu’àWillowbank et reviendra ici par le train de demain. De son côté, la duchesse apréféréqueMlleJewelll’accompagneàLondres,etellealaisséunelettrepourMmeSimmonsavecdeplusamplesinstructions.

—Jevois,murmuraStuart.La stratégie d’Edie consistait visiblement à l’éviter, et elle y avait parfaitement réussi jusqu’ici.

Elle avait dînédans sa chambre, où elle avait passé toute la soirée, et voilà quemaintenant elle étaitpartiepourlaville.Sielleavaitl’intentiondegérerleursrapportsenlefuyantsanscesse,construireunvraimariageavecellerisquaitdedevenirlaborieux.

— Sa grâce a-t-elle donné une raison à son départ ou précisé combien de temps elle resteraitabsente?

—Non,votregrâce.Elleasimplementditqu’elleavaitenviedefaireunséjourenville.Maisvoiciquipourraitvousaideràéluciderlaquestion.

Wellesleytiradelapochedesavesteunpapierpliéqu’iltenditàStuart.—DelapartdeMlleJewell.Enpartant,ellem’ademandédevousledonner.—Ah…Lalettren’étaitpasscelléemaissimplementpliéeentrois.Stuartenconclutqu’elleavaitdûêtre

écriteenhâte.Lesquelqueslignesqu’illutconfirmèrentsonintuition:

Nous partons pour Londres. Elle prétend qu’elle va rendre une visite d’affaires àM.Keating,cequiprendd’ordinairepeudetemps.Mais,cettefois,elleemmèneSnuffles,aussi cela risque-t-il de se prolonger.MmeSimmonsdoit nous rejoindre dans un jour oudeuxetm’emmenerdansleKent.Ilfautquevousveniezàmonsecours.Dèsquejesauraioùnouslogeons,jevousenverraiunmotàvotreclub.Pasletempsd’endireplus.Joanna.

Stuartsoupçonnaitquelgenred’affairesEdieentendaitdiscuteravecKeatinget,s’ilnesetrompaitpas,toutallaitdevenirbeaucouppluscompliqué.Ilrangealalettredanssapocheetsaisitsescouverts,maussade.

—Wellesley,quiestSnuffles?s’enquit-ilenseremettantàmanger.—Cedoitêtrelechiendesagrâce,monsieur.Stuartnesavaitmêmepasqu’Ediepossédaitunanimaldecompagnie.Encoreunedesnombreuses

chosesqu’ilignoraitsurlafemmequ’ilavaitépousée.—Quanda-t-elleadoptéunchien?—Oh!celadoitfaireenvironquatreans,votregrâce.Ellel’atrouvésurleborddelaroutesije

mesouviensbien.Ilétaitblessé.Unchiot,pasplusgrandqueça.—Ah,fitStuart.Joannaluiavaitassuréqu’Edieavaitunfaiblepourlescréaturesblessées,etvoilàquiconfirmait

l’assertion.—Unbâtard,j’imagine?—Oh!non,monsieur.C’était l’undesterriersdelaferme,maisM.Mulvaneyvoulait lenoyerà

causede sa vilaineblessure. Il pensait que cela ne ferait jamais unbon ratier.Mais sa grâce n’a pasvouluenentendreparleretadécidédelesoignerelle-même.

Stuartsourit.—Laduchessealecœurtendre,àcequ’onm’adit.—Oh!oui,monsieur.Mêmesiparfoisonnes’endoutepas.Lemoisdernier,elleaditsonfaità

Travissansprendredegants,puisellel’arenvoyésanslettrederecommandation.Stuartfronçalessourcils.Lenomneluidisaitrien.—Travis?Quiest-ce?—Lesecondsous-jardinier.Unnouveau,engagépeuaprèsvotredépart.Avecuncertainamusement,StuartnotaquepourWellesley,commepourlaplupartdesAnglais,cinq

ansd’anciennetévousfaisaientencoreconsidérercommeun«nouveau».—Qu’adoncfaitTravispourobligerladuchesseàlecongédier?demanda-t-ilaveccuriosité.Lemajordomebaissalavoixetpritunairentendu.—Lasecondesoubrette.Unpetitdifférend.MmeGatesétaitd’avisdelarenvoyeretelleaconsulté

laduchessedouairière,quisetrouvaiticiàcemoment-là.Ladouairièreétaitd’accord.Maisladuchesseaeuventdelachoseetellenel’apasentendudecetteoreille.

Wellesleysepenchadansuneattitudeconfidentielleetmurmura:—Elleaannuléladécisiondeladouairière.— J’aurais aimé voir la réaction deMaman, commenta Stuart, qui sourit avant de prendre une

bouchéed’œufs.Etensuite?—LaduchesseagardéEllenmaisarenvoyéTravis.Sagrâcenecomprendpas toujourscequ’il

convientdefaire,ajoutalemajordomeavecunregardd’excuse.Stuartréprimadifficilementunsourire.—Oui.LeschosessontdifférentesenAmérique,jesuppose.— J’imagine, opinaWellesley laconiquement. La duchesse douairière a essayé d’expliquer à la

duchessequecongédierleserviteurmâleengardantlafille,celanesefaisaitguèredansunemaisonnéeanglaise.

—Etqu’arépondusagrâce?Wellesleyeutunreniflementdigne.

—«C’estpeut-êtreunemaisonnéeanglaise,maiselleestdirigéeparuneAméricaine.»Voilàcequ’elleadit.

Stuartseretintdenouveaudesourire.—PauvreMaman!Celaadûluihérisserlesplumes,jeprésume.—Cen’estsansdoutepasàmoideledire,monsieur,maisladuchessedouairièreneresteplustrès

longtempslorsqu’ellevientenvisiteàHighclyffe.Laduchesse,commevousl’avezpeut-êtreconstaté,aunefaçonbienàelledefaireleschoses.

Lemajordomesemblas’éclairer.—Mais,maintenantquevousêtesàlamaison,jesuissûrquetoutvabientôtredevenirainsiqu’il

convient.— J’en doute, fit Stuart avec bonne humeur. Je n’ai jamais été très porté sur les convenances,

Wellesley.Vousdevriezlesavoirdepuisletemps.Leducachevasonpetitdéjeuneretposasescouverts.—Savez-vousàquelleheurepartleprochaintrainpourLondres?—Aonzeheurestrente,monsieur,lerenseignalemajordomesanshésiter.Maisjecrainsqu’ilne

soitpasdirect.VousdevrezchangeràCambridge.—Votreefficaciténecesserajamaisdem’étonner,observaStuart.Iltirasamontredesapochepours’enquérirdutempsdontildisposaitencore.—DitesàEdwarddemefaireunevalise,voulez-vous?Jevaisprendrecetrain.—Uneseulevalise?—Oui,jeneresteraipaslongtempsàLondres.Etsagrâcenonplus,assuraStuartenrempochantsa

montre.Repoussantsaserviette,ilseleva.—Passij’aimonmotàdireàcesujet.

Chapitre6

Consternée, Edie dévisageait le petit homme rondouillard et grisonnant assis de l’autre côté dugrandbureaudechêne.

—Ainsi,jen’aipasdemotifs?Absolumentaucun?Pasmême…Elles’interrompit,rougissante.—Pasmêmelanon-consommation?—Jecrainsquenon.Jeneconnaispasdecasoùunmariagelégalaitétédissouspourcetteraison.

Pasdanslessièclespassésentoutcas.Cette information n’aurait pas dû la surprendre. Stuart lui-même lui avait affirmé lamême chose

avantleurmariage.Maisenvenantici,d’unefaçonoud’uneautre,elleavaitespéréqu’ils’étaittrompé.—Vousditesqu’iln’existeaucuncas,maispourrait-ilyenavoirunquivousaitéchappé?—Certainsjugementséchappentàmaconnaissance,admitl’avocat.Jeseraisheureuxdeprocéderà

unerechercheplusapprofondiesivouslesouhaitez,bienquejenesoispastrèsoptimistesurleschancesdedécouvrirunejurisprudencequipuissevenirappuyeruneannulation.

—Jecomprends.Faites-letoutdemême.Et…Elles’arrêtaetdéglutitconvulsivement.—Etledivorce?M.Keatingsefrottalenezets’adossaàsonsiègeensoupirant.—Encoremoinsdechancesd’êtreaccordé,jelecrains.Enfaitdemotif,vouspourriezintenterun

procèspouradultère—pourvuquecesoitvrai,bienentendu,etquevouspuissiezfournirdesnoms,desdates,etc.Maissil’adultèreconstitueuneraisonsuffisantepourunhomme,iln’envapasdemêmepourunefemme.Pourdivorcerdesonmari,uneépousedoitavoirdeuxraisons.Ilvousfaudraitautrechoseenplusdel’adultère.

Edievitsaconsternationsetransformerendésespoir.—Ladésertion?Celapeut-ilêtreconsidérécommeunsecondmotif?—Maisleducestrevenu,ensortequ’iln’yapasdedésertion.Auxyeuxdelaloi,ilestsimplement

rentréd’unvoyageprolongéàl’étranger.Etpuisqu’ilsouhaiteuneréconciliation…M.Keatingsecoualatête.—Vousn’avezpaslamoindrechancesurcepoint,jelecrains.—Nepeut-onlepersuaderdedivorcer?—Votregrâce…Lesparolesdel’avocats’éteignirentdansunsoupir.Maiscommelajeunefemmenelequittaitpas

desyeux,ilfinitparreprendre:

— Si c’est son choix, oui, il peut intenter un procès. Mais là aussi les motifs feraient défaut.L’adultère,parexemple.

—Jenepeuxdoncrienfaire?murmuraEdie.Savoix,déjàassourdieparlesmurslambrissésdubureaudeM.Keating,luiparuttrèsfaible.—Riendutout?répéta-t-elle.L’avocatluijetaunregardaffligépar-dessussonbureau.—Jecomprendsquelaréapparitionduducdansvotrevieaprèssilongtempspuisseêtreunchoc,

maiscelapassera.Puisqu’ilveutseréconcilier,jevousconseilledelelaisserfaire.—Vousnecomprenezpas,s’efforça-t-ellederépondre,lapoitrineserréeparlacrainte.—Beaucoupdemariages sontdifficiles et souventmalheureux,mais ledivorcen’est jamaisune

solution satisfaisante. C’est une longue affaire, malpropre et déplaisante.Même si vous disposiez demotifssuffisants,ilvousfaudraitdesannéespourréussiràbriserlelien,etvosnomsàtousdeuxseraienttraînés dans la boue. Après cela, votre position dans la société se trouverait détruite, vous seriezdépouilléedevotretitre,etvotreréputationseraitruinée.

—Ainsi,jeseraisanéantieparunhommenonpasune,maisdeuxfoisdansmavie,murmura-t-elleavecamertume.

—Jelecrains.—Etundivorceaméricain?—Vouspourriezl’obtenirdansplusieursdesétatsaméricains,maisvotreréputationn’enseraitpas

moinsentachée,etunteldivorceneseraitjamaisreconnucommevalabledansl’Empirebritannique.L’avocatlaregardaitaveccompassion;Ediedétournalesyeux.—Jevois.—N’ya-t-ilpasmoyend’arrangerleschosesentresagrâceetvous?Jeveuxdesenfants,entendit-elleànouveau.Ellecrispalesmainssursonréticule,sifortqu’elleeneutmalauxdoigts.—C’est impossible,monsieurKeating. Et si je le quitte ? Peut-ilme forcer à revenir ? Peut-il

m’obligerà…à…Elle se tut, incapable d’exprimer sa peur la plus profonde. Elle ne put que fixer désespérément

l’avocat,tandisquesonvisages’empourpraitetquelapaniquegrandissaitenelle.Heureusement,M.Keatingcompritlaquestionsansqu’elleeûtbesoindes’expliquerdavantage.—Légalement,c’estassezvague,jelecrains.Entantqu’époux,ilacertainementdesdroits.L’avocatémitunepetitetoux.—Desdroitsdenatureconjugale.Edieperçutcommeunbourdonnementdanssesoreilles.Aulieuducuirsoupledesondossier,elle

eutsoudainl’impressiondesentircontresondoslemurdepierresduresdupavillond’été.Elleentenditse déchirer la délicatemousseline de ses culottes et le sonde ses propres sanglots.L’odeur d’eaudeColognedeFredericketsonhaleineimprégnéedebourbonl’assaillirentégalementetungoûtdebileluimontaàlagorge.

Elleselevaenchancelant,etlapiècesemitàtourner.Sonréticuletombaausolavecunbruitsourdtandisqu’elleempoignaitleborddubureaupourgarderl’équilibre.

M.Keatingbonditsursespieds.—Votregrâce!Vousallezbien?Ilfitprécipitammentletourdubureaupourluivenirenaide,maisellesedégagealorsqu’ilvoulut

placerunemainsoussoncoude.

—Bien sûr, prétendit-elle en s’éloignant de l’espace étroit qui séparait sa chaise du bureau del’avocat.C’était justeunpetitvertige,poursuivit-elleenmarchantvers la fenêtre. Jevaisparfaitementbienmaintenant,maisj’aibesoindebougerunpeu.Celam’aideàréfléchir.Rasseyez-vous,jevousenprie.

M.Keatingramassaleréticuleetleposasurlebureau,puisretournaverssonsiègetandisqu’Ediedemeuraitdeboutprèsdelafenêtre.

C’étaitunechaudejournéed’août,etl’airdeLondresn’étaitpasdesplusagréables,maiscelaluiétaitégal,carlesodeursdelavilleétouffaientcellesdubourbonetdel’eaudeCologne.Elle resta làquelquesinstantsàrespirerlentement,profondément.

—Jenepeuxpasvivreavecmonmari,déclara-t-elleenfinensedétournantdelafenêtre.— L’unique solution est une séparation de corps. La liberté financière n’est pas un élément à

prendreencomptedansvotrecas,biensûr.Maisuneséparationlégalevouspermettraitdevivreàpartsansencourirlacensuredelasociété.

Denouveaumaîtressed’elle-mêmebienqu’encoreagitée,Ediemarchaversl’autreboutdelapièce,oùdeslivresdedroitetdescoffresàdocumentss’empilaientsurlesétagères.

—Devrons-nousfairevaliderlaséparationparuntribunal?—Non.Lesactesdeséparationprivéssonttoutàfaitcourants.—Combiendetempsvousfaudrait-ilpourenétablirun,monsieurKeating?—C’estunequestionde jours.Mais il existeplusieurs chosesquevousdevezgarder à l’esprit,

votregrâce.D’abord,uneséparationàl’amiableneseraitvalidequ’aussilongtempsquevousresteriezchaste. S’il vous arrivait de prendre un amant, le duc pourrait vous accuser d’adultère et invaliderl’accord.

—Ceneserapasunproblème.—Biensûr,biensûr,acquiesçaenhâtel’avocat.Mais,votregrâce,vousnemesurezpeut-êtrepas

lasolitudedesépousesséparées…—Monmariestrestéabsentpendantcinqans,coupa-t-elle.Jesaiscequ’entraîneuneséparation,

soyez-enassuré.M.Keatingouvrit labouche, commepour endiredavantageà ce sujet,maisquelquechosedans

l’expressiondelajeunefemmeluiconseilladenepasinsister.—Trèsbien.Maisilresteuneautredifficulté.—Dequois’agit-il?—Leducdoitêtreconsentant.Sanssonaccord,aucuneséparationn’estpossiblesansprocès.Ainsi

quenousl’avonsdéjàdit,pasuntribunalneseprononceraenvotrefaveursansmotifssuffisants.Ediesoupira.—Etcommentvais-jem’yprendrepourl’ameneràconsentir?Toutens’interrogeant,ellesongeaàlagravitéetàlarésolutionqu’elleavaitluessurlevisagede

Stuart et craignit dene jamaispouvoir le convaincre.Pourtant, elledevait essayer, car leducdésiraitquelquechosequ’elleétaitincapabledeluidonner.

—Rédigezcetactedeséparation,monsieurKeating,ordonna-t-elleenmarchantverslebureaupourreprendresonsac.Jelepersuaderaidelesigner,ajouta-t-elleavantdetournerlestalons.Jenesaispasdequellefaçon,maisjetrouveraiunmoyen.

Commentparvenait-elle à s’exprimer avec tantd’assurance ?Elle l’ignorait,maisDieumerci cen’étaitpas lerôledeM.Keatingdesouleverdesquestionsfutiles.Il inclinala tête,etEdiesedirigeaverslaported’unpasvif.Elleressentaitlebesoindebouger,demarcher,d’échapperàlanassequilui

semblaitseresserrerautourd’elle,maislavoixdeM.Keatingl’arrêtaavantqu’ellen’aiteuletempsdefranchirleseuil.

—Votregrâce?Elle s’immobilisa et jeta un regard par-dessus son épaule vers l’homme qui s’occupait de ses

affaireslégalesdepuissonengagementavecStuart.—Oui?—Etes-vouscertainequec’estvraimentcelaquevousdésirez?—Cequejeveux,c’estêtrelibre,monsieurKeating.Libredecontrôlermaproprevie.C’esttout

cequej’aitoujoursvoulu.Etc’estainsiquej’auraileplusdechancesd’yparvenir.Elles’enfutsurcesmotsetrefermalaportederrièreelle.

***

Ensortantdesbureauxdesonavocat,Ediene retournapas immédiatementà sonhôtel. Joannaetelle ne devaient y retrouver leur amie ladyTrubridge qu’une heure plus tard pour le thé, et elle s’enréjouissait.

Encetinstant,ellesesentaittelunoiseaueffrayésecognantcontrelesvitresd’unepièceclose.Elleavaitbeauessayerde trouverune issue,elleensemblait incapable. Il lui fallaitdu tempspour laisserpassercetaccèsdepanique.Dutempspourréfléchir.

TraversantTrafalgarSquare,elleremontal’AvenueNorthumberlandets’engageasurl’Embankmentqui longeait la rivière.C’était un chaud après-midi,mais ellemarchait d’un pas rapide, remarquant àpeinelatouffeurdel’air,lafraîcheurhumidemontantducoursd’eauetl’absencedebrise.

Elleavaitseulementconsciencedudésespoirquil’étreignait.Adesmilliersdekilomètresdeluietàsixansdedistance,l’ombredeFrederickVanHausenparaissaitencoreévolueràsescôtés.Ellehâtalepas,parcourantdeplusenplusvitel’Embankment,presqueencourant.Pourtantellesavaitbienqu’onnesèmepasainsisapeuretsessouvenirs.Elle,dumoins,n’yétaitjamaisparvenue.

En sueur et haletante, elle s’arrêta enfin près de l’aiguille de Cléopâtre. Elle sentait ses flancscomprimésdanssonétroitcorset.Celaluifaisaitsimalqu’ellenepouvaittoutsimplementcontinuersanssereposerunpeu.Jetantunregardalentour,ellerepéraunbancquisurplombaitlarivièreets’ylaissatomberensedemandantdésespérémentquoifaire.

Elle ne pouvait pas vivre avec Stuart, ni avec aucun homme. Le seul fait d’y penser lui étaitinsupportable.D’autresfemmesressentaientdudésir,aimaientl’idéedefairel’amouretvoulaientavoirdesenfants.Maiscesaspirations-làétaientmortesenelle,tuéesparl’actebrutald’unhommegrossieretbestial.Elleavaiteubeausefrotterensuiteàs’enécorcherlapeau,elleavaitétéincapabledelavercettesouillure.Et, bien que n’en ayant jamais parlé à personne, elle n’avait pu arrêter les commérages quiavaientaussitôtcirculé.Ellenesavait toujourspascomment la rumeuravaitdémarré ;onavaitdû lesvoirentrerdanslepavillon,ouensortir,àmoinsqueFredericknes’ensoitvanté—audiable!Quelleimportanceàprésent?Lemalétaitfaitetilétaitirréversible.

Elleavait cruqueFrederickvoulait être seul avecelleparcequ’il appréciaitvraiment lagrandefillegaucheauxcheveuxrouxetauxtachesderousseurquihabitaitdumauvaiscôtédeMadisonAvenue.Elleavaitétécomplètementstupide.

EdiecontemplaitlaTamise.Lesoleilréfractéparl’eauétaitterriblementéblouissant,etellecilla.Tout se brouilla alors devant elle — ce n’étaient pas les reflets lumineux mais des larmes qui luibrûlaientlesyeux.Furieuse,ellebattitdespaupièrespourlesrefouler.

Puisellesecoualatêteafind’écartertoutescesvainespensées.Inutilederessasserlepasséetdes’apitoyersursonsort,ilfallaitaffronterleprésentetélaborerunplanpourl’avenir.

SaraisonluidisaitqueStuartn’étaitpasFrederick.C’étaituntoutautregenred’homme,maisquelleimportance?Iln’enétaitpasmoinshommeetquiplusestsonmari,etvoilàqu’ildésiraitcequ’ellenepouvait lui donner de son plein gré. Il possédait un droit sur son corps, et lemoment viendrait où ill’exercerait,d’unefaçonoud’uneautre.Elledevaitempêchercela.

Siuneséparationlégaleétaitlaseulemanièredel’éviter,elleallaitdevoirtrouverunmoyendelaluifairesigner.Laquestionétaitdesavoircomment.

Lapremièrepossibilité,laplusfacile,consistaitàlemenacerdeluicouperlesvivres.C’étaitellequitenaitlescordonsdelabourse,etilcéderaitpeut-êtresiellelesserrait.Encasd’échec,ellepourraitaucontraireluioffrirdavantaged’argent,descentainesdemilliersdelivres—toutcequ’ellepossédait,sicelapouvaitleconvaincre.

Etsicesoptions-làéchouaient,ilneluiresteraitplusqu’àfuiràl’étranger.Sa poitrine se serra à la pensée d’abandonner Highclyffe, ainsi qu’Almsley, Dunlop, et tous les

autresdomainesducaux.Elleavaitréaménagécesmaisons,redessinéleursjardins,insufflélavieàleursvillagesetamélioréleursterres.L’idéedequittertoutcelaétaituncrève-cœur,maissiStuartrefusaitlaséparation,illuifaudraitbienpartir.

Enadmettantquesondépartsoit laseule issue,elle informeraitStuartqu’elleavait ledesseinderegagner New York pour y entamer une bataille judiciaire en vue du divorce. Mais ce serait pourl’envoyersurunefaussepiste,carellen’avaitpasplusl’intentiondevivreprèsdeFrederickVanHausenaujourd’huiquesixansplustôt.

Non,ellediraitàStuartqu’ellerentraitchezelle,àNewYork.Elleachèteraitlebillet,justepourrendre le mensonge convaincant. Alors elle prendrait Joanna avec elle et s’enfuirait ailleurs — enFrance, en Amérique du Sud, en Egypte, peut-être même à Shanghai—, peu importait où. Son pèren’apprécieraitpas,maisilnedonneraitpassescoordonnéesàStuartsielleluidemandaitden’enrienfaire.

Elle nepouvait pas se cacher de sonmari pour toujours, elle le savait.Mais peut-être, lorsqu’ilcomprendrait que son refus de vivre avec lui était définitif, abandonnerait-il cette folle idée et lalaisserait-ilpartir.D’ailleurs,sielleluicoupaitsonrevenu,combiendetempspourrait-illarechercherdeparlemonde?

Ceprojet luiredonnacourage,et lesentimentdecontrôlersavie luirevintpeuàpeu.Bannissanttoutenouvelletentationd’apitoiementsurelle-même,elleseleva.Oui,elleallaitrestermaîtressedesapropreexistence.Ellene seraitpasunevictime,nidescirconstancesnidudestin, et certainementpasd’unhomme.Plusjamais.

***

Parvenuedevantl’hôtel,Ediesedirigeaverslesbureauxdel’agenceCook’s,àquelquesimmeublesduSavoy.On luiappritque leprochainpaquebotpourNewYorkpartaitdeLiverpoolonze joursplustard;elleyréservadeuxcabinesdeluxe,payal’acompteetdemandaquelesbilletsluisoientenvoyésauSavoy.

Il était presque quatre heures et demie lorsqu’elle rentra à l’hôtel. Elle s’arrêta dans le luxueuxsalondethépours’enquérirdeladyTrubridgepuis,commeonluiapprenaitquelamarquisen’étaitpasarrivée,ellemontadanssonappartementpourserafraîchiretallerchercherJoanna.

Ellepénétradanssasuiteetytrouvasasœur,déjàhabilléepourlethé.

Joannabonditdesachaiseetjetalelivrequ’elleétaitentraindelire.—Enfin!Jecommençaisàm’inquiéter.Oùétiez-vous?—JedevaisvoirM.Keating,jevousl’aidit.—Pendanttroisheures?Lesaffairesdudomainenevousprennentjamaisaussilongtemps.Ediedétournalesyeux.Elles’étaitmontréevaguesurlesraisonsdeleurvoyageàLondresetson

entrevue avec Keating. Elle savait qu’elle allait devoir informer Joanna de la situation et de leurprobabledépartpourunedestinationencoreinconnue,maisinutiled’aborderlesujetmaintenant,pasaumomentdedescendrepourlethé.Etpuisellen’avaitpasabandonnétoutespoirdeconvaincreStuartderenonceràsesintentions.

—Ehbien,jesuisalléemepromeneràpied.C’estunebellejournée.Joannaladévisageacommesielleavaitenpartieperdul’esprit.—ALondres,enpleinété?Maisçapue!Indiscutablement.—Onn’utilisepaslemot«puer»,machérie,corrigeaEdie.S’ilfautabsolumentquevousfassiez

allusionauxodeurs,ditesplutôt«c’estmalodorant».C’estplusconvenabledanslabouched’unedame.Jevaismechanger,puisnousironsprendrelethé.

Laduchessequittalesalon,maisnetrouvasacaméristenidanssachambrenidansledressingoulasalledebains.

—OùestReeves?s’enquit-elleenpassantlatêteparlaporteentrebâilléedusalon.Joanna,quiavaitreprissalecture,levalesyeux.—Elleest alléepromenerSnufflesquienavaitbienbesoin ; il tournait en rond. Ilsnevontpas

tarderàrentrer.—Danscecas,vousallezdevoirm’aider.Nousn’avonspasletempsdel’attendreounousserons

enretardpourlethé.Joannasuivitsasœurdanssachambreetl’aidaàôtersoncostumedesergevertetoutfroisséetses

sous-vêtements humides. Le Savoy, qui n’était ouvert que depuis quelques semaines, représentait lesommetdelamodernité,etlasalledebainsdeleursuiteétaitpourvued’eaucourantechaudeetfroide,cequipermitàEdiede se rafraîchir après sacoursepaniquée le longde l’EmbankmentVictoria.Dixminutesluisuffirentpourendosserdessous-vêtementsfraisetseglisserdansunecrissanterobedesoielavande.

Joannaattachaitledernierboutondanssondosquandellesentendirentfrapperàlaportedelasuite.—Cedoit êtreReeves,dit la jeune fille. Jepariequ’elleaoublié saclé.Elle fait toujourscela

quandnoussommesàl’hôtel.Elleallaouvriràlafemmedechambre.Apercevant quelques minutes plus tard dans la psyché sa sœur revenir sans la soubrette, Edie,

surprise,arrêtadefairebouffersesmanchesgigot.—OùsontReevesetSnuffles?Al’expressionétrangedesasœuretauxpapiersqu’elletenaitàlamain,Ediecompritquecen’était

pasReevesquiavaitfrappéàlaporte.Etellemauditl’agenceCook’spoursonefficacité.—Pourquoiallons-nousàNewYork?questionnaJoannaenmontrantlaliasse.Cesontdesbillets

debateau.Edieprituneprofondeinspiration.—Nousironspeut-être,oupas.Celadépend.—Celadépenddequoi?—C’estcompliqué,machérie.

—Vousvoulezlequitter,c’estça?Lajeunefilleétaitmanifestementconsternée,cequiétaitplutôtsurprenantsil’onsongeaitquepartir

luiferaitéchapperàlapension.—Vousprenezlafuite,ajouta-t-elle.—Nousnepartironspeut-êtrepas,luirappelaEdie.Et,mêmesinouslefaisions,jen’appellerais

pascelas’enfuir.—Etcommentappelleriez-vousça?Onfrappaàlaporte,cequidispensaEdied’uneréponse.—Cettefois,c’estsûrementReeves,déclara-t-elle.Frôlantsasœuraupassage,ellesedirigeaverslaported’entrée.MaisJoanna,biensûr,nepouvait

paslaissertomberlesujet.—Si,celas’appelles’enfuir,insista-t-elleensuivantEdieausalon.Etcelanerésoudrarien.—Voilàunbelargumentde lapartd’une fillequia sautéd’un trainpournepasallerà l’école,

objectaEdieentendantlamainverslapoignée.Vousdevriezêtred’accordavecmoi,ajouta-t-ellepar-dessus son épaule tout en ouvrant la porte. S’enfuir relève parfois d’une stratégie parfaitementacceptable.

Elle se retourna vers le seuil, prête à taquiner Reeves pour avoir oublié sa clé, mais les motsmoururent sur ses lèvres. La personne qui se tenait debout dans le corridor n’était pas Reeves maisl’hommequ’elleessayaitprécisémentd’éviter,celuiquiavaitincarnéautrefoissonsalutmaisquivenaitdesetransformereninstrumentdelavengeancedivine.

—Vous!s’écria-t-elle.Quefaites-vouslà?—C’estmoiquevousfuyez,Edie?Etcommeellepoussaitungémissementexcédé,ilreprit:—Quoi?Pensiez-vousréellementqu’ilvoussuffiraitdefileràLondrespourvousdébarrasserde

moi?—Non,biensûr,admit-elleensoupirant.J’auraisdûacheterdesbilletspourl’Afrique.

Chapitre7

Stuartnefutpaslemoinsdumondesurprisparl’accueilfroiddesafemme,maispasquestiondeselaisserabattre.Posséderunecuirasserisquaitfortdeserévélerutiledanslesjoursàvenir,illesentait.

—Bonjour,chérie,fit-ilenluisouriant.Iln’espéraitcertespasobtenirunsourireenretourmais,enlavoyantfroncerlessourcils,ilneput

s’empêcherderepenseravecnostalgieàcefameuxjoursurlaterrasse.—Vousêtesunvraipotdecolle.Commentavez-vousfaitpourmeretrouver?—Wellesley,biensûr.C’estl’undesnombreuxdevoirsd’unmajordomeanglaisqued’informerson

maîtresurlesquestionsdomestiques.Etantmonépouse,vousêtesbeletbienunequestiondomestique.—WellesleynepouvaitpassavoirquejeséjournaisauSavoy!—Non,c’estvrai.Mais,mêmeàcetteépoquedel’année,Londresestrempliedegensquiadorent

lespotins.Disonsquec’estmonchevalquimel’adit.—Votrecheval?Monœil,marmonnaEdieensetournantversJoanna.Laquelleécarquillaaussitôtlesyeux,avecuneexpressioninnocentequeStuartsoupçonnaêtrebien

connued’Edie.—Ditesplutôtunepetitesœurquisemêledetout!Comprenantquelaruseavaitfaitlongfeu,Joannarenonçaàfeindre.—J’aipenséqueStuartdevait savoiroùnousétionsaucasoù…aucasoù il arriveraitquelque

chose.EtsivousétiezrenverséeparunomnibusouDieusaitquoi?Celapourraitarriver,ajouta-t-ellecommeEdielaraillait.

— Parmi toutes les sœurs impossibles, exaspérantes et importunes de la terre, il a fallu que leSeigneurmegratifiedevous!maugréaEdie.

—EtPapaestàNewYork,continuaimperturbablementJoannaenposantlespapiersdeleurvoyagesurunetablevoisine.

Stuartavisalaliasseetcrutbienreconnaîtredesbilletsdepaquebot.— Si quelque chose vous arrivait, je serais toute seule à Londres, sans personne vers qui me

tourner.—Votre souci pourma possible disparitionme touche beaucoup, commenta sèchement Edie. Je

devraisvousôterlapeaududerrière!—Voyons,Edie,fitStuart,quisesentaitcontraintdevolerausecoursdesonalliée.Nesoyezpassi

dureavecJoanna.Elleaseulementessayédejouerlesréconciliatrices.C’étaitinoffensif.Edie lui jeta un regard furieux par-dessus son épaule mais, avant qu’elle ait eu le temps de

répliquer,Stuartseretourna,attiréparunbruitléger.

Lacaméristed’Ediesetenaitdanslecorridor;elleagrippaitunelaisseauboutdelaquelles’agitaitunepetitebouledepoilsbrunsoccupéeàflairerlachaussureduvisiteur.

—Reeves…Stuartsaluad’unsignedetêtel’austèrefemmedechambrevêtuedenoir,puisregardaàsespieds.—EtvoiciSnuffles,jeprésume.Lenorwich-terrierlevalesyeuxenentendantsonnom,posasonderrièresurletapisducouloiret

aboyaenguised’acquiescement.—Hello,vieux!Stuart se pencha et tendit la main vers Snuffles, qui renifla et agita la queue d’un mouvement

approbateur.MaisEdienesemblaitpasenclineàleslaisserfaireplusampleconnaissance.—Vousvoicienfin,Reeves!Elles’inclinapoursaisirlebrasdeladomestique,maisStuartneluilaissapasletempsdel’attirer

àl’intérieur.—Reeves,voulez-vousescorterMlleJewelljusqu’ausalondethé?JecroisqueladyTrubridgel’y

attend, ajouta-t-il en ignorant le grognement protestataire d’Edie. Puis vous irez promener Snuffles, jevousprie.

—Ilvientjustedesortir,objectaEdie.Iln’apasbesoind’uneautrepromenade.Stuartseretournaetsoutintavecrésolutionleregardirritédesafemme.—Allez, Reeves, ordonna-t-il sans quitter Edie des yeux. Je voudraism’entretenir seul avec la

duchesse.Lafemmedechambreparuthésiter,maisellesavaitquelesordresd’unducl’emportaientsurceux

d’uneduchesse.—Bien,votregrâce.Joanna luiemboîta lepas,s’arrêtantunesecondedevantStuartpour lui lancerunregardanxieux,

lequelluiréponditparunclind’œil.Elleduttrouvercesignerassurant,cartouteinquiétudes’effaçadesonvisage,etellesuivitReevesdanslecorridor.

StuartattenditquelachambrièreetlajeunefilleaientdisparuaudétourducouloirpourreportersonattentionsurEdie.

Lesbrascroisés, sa femme le foudroyaitdu regard, apparemment sans lamoindre intentionde lelaisserentrer.

—Ainsi,Joannaestvotreespionne?Voilàquiexpliquequevousayezsuoùmetrouver.Commentavez-vousréussiàlamettredevotrecôté?

—Croyez-leounon,Joannam’aimebien.Edieerenifla,peuimpressionnée.—Jesupposequevousluiavezpromisdeluiéviterl’écolesiellevousaidait?Stuartn’avaitaucuneintentiondetrahirsonalliée.—Necomptezpassurmoipourmelivreràdesracontars.Iljetauncoupd’œilpar-dessusl’épauled’Edieetémitunsifflementadmiratif.—Cetendroitestbienàlahauteurdesaréputation.MêmeàNairobi,toutlemondeenparlaiten

affirmant que c’était le sommet du luxe.Tapis d’Aubusson, cheminées enmarbre rose, chandeliers decristal…Cesvases sur lemanteaude la cheminée sont sansdoute d’authentiquesMing, aussi je vousdéconseille deme les jeter à la tête,même si vous pouvez vous permettre cette dépense. Le lieu estsuperbementchic,n’est-cepas?

Commeellenepipaitmot,ilmontrad’ungestelapiècederrièreelle.

—Peut-êtrepourriez-vousm’inviteràentrer?Vousnedésirezsûrementpasdiscuteravecmoidanslecorridordel’hôtel.

—Jeneveuxpasdiscuteravecvousdutout.—Edie,ilyadeschosesdontnousdevonsparler.Bienquevotrestratégiesembleconsisteràme

fuir,celanemarcherapastoujours.Et,sicen’estpasuneraisonsuffisantepourvous,rappelez-vousqueplusvousopposezderésistanceàmes tentativesderéconciliation,plusvousdiminuezvoschancesdegagner la moindre bataille légale contre moi par la suite. Les tribunaux détestent les épousesintransigeantes.

Elleserenfrogna.—J’espèrequemonintransigeance,commevousl’appelez,vousferacomprendrelafutilitédevos

efforts.Ilavançauneépauledansl’embrasure.—Etqu’avez-vousgagnéaveccettetactique?Ellesoupira,puis,aprèsuninstant,ouvritlaporteengrandpourlelaisserentrer.—Vousavezcinqminutes,fit-elleentournantlestalons.Ensuite,jedoisrejoindreladyTrubridge

pourlethé.Jeneveuxpaslafaireattendredavantageàcausedevous.—Cinqminutes?Parfait,s’exclama-t-ild’untonenjouéenlasuivantàl’intérieur.Assezlongtemps

pourprendreunverre.Elleseretournapourluifaireface.—Peut-être.Maisc’estsansimportance,puisquejen’aipasl’intentiondevousenoffrirun.—C’estd’autantplusdommage.Sivotreaprès-midiicienvilleaétéaussiagréablequeceluique

je viens de passer dans la chaleur étouffante d’un train, nous pourrions tous deux nous offrir un petitwhiskyàprésent.

—Jen’aimepaslewhisky,fitEdie.Jepréfèrelethé.Etjetantunregardostensibleverslapenduledelacheminée:—Ilvousrestequatreminutestrente.—Nevousinquiétezdoncpas,Edie.Vousavezplusdetempsquevousnelepensez.Jevousl’ai

dit, j’airencontréladyTrubridgedanslesalon.Jeluiaiexpliquéqu’ilfallaitquejevousparleetquevousseriezdoncenretard.Elleaparfaitementcompris.

—Vousavezfait…quoi?Qu’est-cequivousdonneledroitdevousmontreraussidespotique?—Ehbien…Ils’arrêtapourluijeterunregardd’excuse.—Nous sommesmariés. En tant qu’époux, j’ai le droit de faire preuve d’autorité.A propos de

Joanna,ajouta-t-ilenignorantl’exclamationoutréed’Edie,pourquoivoulez-vousl’emmeneravecvoussivousprenezlafuite?N’est-ellepascenséeallerenpension?

—Vousalleztenterdemepersuaderden’enrienfaire,jesuppose,enavançantquelquesottisebienbritanniqueselonlaquellelesfillesn’ontpasbesoind’alleràl’écolecariln’estpasbondeleurdonnertropd’éducation?

Ellelevaunemain,lapaumetournéeverslui.—Sic’estlecas,n’enfaitesrien.J’aidéjàeudroitàcesermondelapartdevotremère.C’étaitlà,décidaStuart,l’occasionparfaitederemplirsapromesseenverssajeunebelle-sœur.—Endépitdecequepeutpensermamère,jetrouvequec’estuneexcellenteidéed’envoyerJoanna

enpension.Jecroisqu’uneéducationpousséeesttoutàfaitindiquéepourlesfilles.Etpuisl’absencedeJoannanousfourniramaintesoccasionsd’êtreseulsensemble.

Ellefitentendreunéclatderire.

—Vousetmoinepasseronsjamaisdetempsseulsensemble.—Biensûrquesi.Noussommesmariés.—Arrêtezdedirecela!—C’estabsurdedenepasvouloir regarder lavéritéen face. Jevous l’aidit ilyacinqans, le

mariagen’estpasquelquechosequ’onpeutdissoudreaisément.JesuissûrqueKeatingvousl’arépétéaujourd’hui.

—Commentsavez-vousque j’ai rencontréKeating?EncoreJoanna, jesuppose.C’estdoncpourcelaquevous êtes ici ?Pourdécouvrir cequem’a conseillémonavocat et ceque j’ai l’intention defaire?JesuissûrequeKeatingnevousariendit.Etjenedirairiennonplus.

—Jen’aipasbesoinqu’onmeledise,jepeuxledeviner.Keatingvousainforméequ’iln’existaitaucunmotifpourl’annulationetpasassezdegriefspourledivorce.Jem’aventureraiàajouterqu’ilvousasansdoutefortementdéconseilléd’entamerl’uneoul’autredecesprocédures,étantdonnélesfaibleschancesdesuccèsetlacertitudeduscandale.

Elleremua,visiblementmalàl’aise,luiconfirmantainsiqu’ilavaitvujuste.—J’ail’intentiond’obteniruneséparationlégale,déclara-t-elle.—Là,j’aivraimentbesoind’unverre.Passantenboitillantdevantelle,ilsedirigeaverslebar,posasacanneetseservitunegénéreuse

rationd’alcooldelacarafe.Revigoréparunegorgéed’unexcellentwhisky,ilseretourna,leverreàlamain.

—Vousêtessérieuse?Vousvoulezentameruneactionlégale?—Passivousvousentenezauxtermesdenotreaccord.—Jevous l’aidéjàdit, lavieque jemenaisenAfriqueest terminéepourmoi.Jeneveuxpasy

retourner.—Vousn’avezpasbesoinderetournerenAfriquesivousnelesouhaitezpas.Vouspouvezvivreoù

vousvoulez,dumomentquecen’estpasavecmoi.Jevouspourvoiraitoujoursd’unrevenu.Etmêmejele doublerai.Bon sang, je suis prête à le tripler, ajouta-t-elle en se frottant le front. Pourvu que vouspartiez!

—L’argentnem’intéressepas.—Ilvousintéressaitautrefois.Ellerelevalatête,uneexpressiondedéfidanslesyeux.—Vouspourriezvousensoucierdenouveausijevouscoupaislesvivres.—Non,Edie,parcequ’encequimeconcernel’argentn’estpaslaquestion.D’ailleurs,j’aiplacé

touslesrevenusquevousm’avezdéjàversésetj’aieulamainheureuse,sijepeuxmepermettrededirecelademoi-même.J’airéussiàinvestirdanslesminesd’orlesplusrentablesd’Afriquedel’Est,ainsiquedanslesminesdediamant,lesgisementsdeschisteetlescheminsdefer.Toutcelamerapportedegénéreuxdividendes.Jen’aipasbesoindevotreargent.

Lajeunefemmerelâchaimperceptiblementlesépaules.Detouteévidence,elleavaitespéréquelamenacefinancièresuffiraitàledissuader.

Elleserepritpresqueaussitôt.— Ces dividendes sont-ils suffisants pour entretenir votre famille ? Et Highclyffe et les autres

domaines?Jecesseraiaussidelesfinancer,Stuart.Tous.—Vousferiezcela?Vousabandonneriezvraimenttoutcela?Voustourneriezledosàtoutceque

vous avez construit ici ?Vous cesseriez de soutenir les villages et de fournir un emploi à ceux qui yvivent?Vousdétruiriezvraimenttoutdansleurvie?

Ilsutqu’ilavaitmarquéunpoint,carellegrimaça.

—Jenesuispasdugenreàtoutdétruire!s’exclama-t-elle.C’estvousquidétruisez!—Non.Jeveuxm’assurerquetousvoseffortsn’ontpasétévains.Necomprenez-vouspas?Ellecroisa lesbras,serrant les lèvressansrépondre.Non,ellenecomprenaitpasdutout,c’était

clair.Onlisaitlerefusdanschaquetraitdesonvisage,danssapose,danslaraideurdesoncorps,dansladistancequilaséparaitdelui.

Ilssetenaientàquelquesmètresàpeinel’undel’autre,etpourtantlegouffreentreeuxsemblaitplusgrandquelesmilliersdekilomètresentrel’Angleterreetl’Afriquedel’Est.

Stuartvidasonverredewhisky,puissaisitsacanneets’avançaversEdie.C’étaitdouloureuxaprèsles heures qu’il avait passées recroquevillé dans le train,mais il savait que, s’ils voulaient avoir lamoindrechancedesortirdecettesituation,c’étaitàluidefairelepremierpas.

—Edie, fit-ilens’approchantd’elle.Cequevousavezréaliséavec lesdomainesestadmirable,maisvousavezfaittoutcelapourquoi?Jesuisentraindevousoffrir—denousoffrir—lachancedebâtirquelquechosedeplusimportantencorequetoutcequevousavezdéjàaccompli.

—Etc’est?Ils’arrêtadevantelle.—Unefamilleàlaquelletoutléguer.AquoisertHighclyffeoulesautresterresquenouspossédons

sinousnepouvonslestransmettreànosenfants?—Jenepeuxpasvousdonnercequevousdésirez!s’écriaEdie.Savoixtremblaenprononçantlederniermot,etelledétournalesyeux.—Jenepeuxpas.—Vousnepouvezpasounevoulezpas?—Quelledifférence?Elle le contourna pour se diriger vers le bar. Apparemment, elle jugeait elle aussi que la

conversationrequéraitunremontant.—M.Keatingaffirmequ’uneséparationlégaleestpossible,ajouta-t-elleenseversantunverrede

whisky.Ellel’avalad’untrait,reposabrusquementleverreetsetournaversStuart.—J’ail’intentiondemebattrepourl’obtenir.—Vousn’avezpaslamoindrechancesansmonconsentement.—Jen’enauraipasbesoinsijedisposedemotifssuffisants.—Vousnelespossédezpas.—Vraiment?Etl’adultère?Vousprétendrezpeut-êtrequevousêtesrestéchastependantcescinq

dernièresannées?—C’estsans importance,marmonna-t-il, tropheureuxd’esquivercesujetdélicat.Uneséparation

légaleestsemblableàundivorce,etunefemmedoitinvoquerdeuxraisonspouravoirlamoindrechanced’obteniruneséparationsansl’accorddesonmari.Quelestvotresecondmotif?

—Etladésertion?Ilsesentitobligédepointerl’évidence.—Maisjesuislà,prêtàmeréconcilieretàdevenirunvéritableépoux.—Sanslamoindreconsidérationpourcequejedésire,moi!—Ce n’est pas vrai,mais quand bienmême ce le serait, c’est sans importance.Aucun tribunal

n’accepteraladésertioncommemotifdeséparationàmoinsquejequittelepays,quevousmesuppliiezdereveniretquejerefuse.Cecasdefigureneseproduirapas.

Ils’avançaànouveauverselle.

—Etmêmesivousréussissiezàobteniruneséparationsansmonagrément,pensezauprixquevousdevriezpayer.Vousgarderezvotretitre,maisvousperdreztoutlereste.L’accèsàHighclyffeainsiqu’àtouslesautresdomaines,biensûr,etvotrepositionsociale.Unconflitlégalavecmoivouscondamneraàêtresnobéeparbeaucoupdevosrelations.EtJoanna?

Ils’arrêtadevantelle.—Etes-vousprêteàdétruireseschancesdanslasociétéenm’imposantuneséparation?Ediesentit ses lèvres trembleret sesyeuxs’embuer.Ellenepouvaitcacherqu’ilavait touchéun

pointsensible.—MonDieu,jesuispriseaupiège,chuchota-t-elle,leregardfixésurlui.Prisedansunfiletque

j’aimoi-mêmetissé.—Est-ceunsivilainfilet,Edie?l’interrogea-t-ilavecdouceur.Iltenditlamainpourcaressersonvisage.—D’êtremariéeavecmoi?Ellesursautaàcecontactetsedégagea.—Vousnecomprenezpasdutout.—Non.Pourquoivousdébattez-vousavectantdevirulence?Est-ce…Ilhésita,maisilfallaitquecesoitdit.—Est-ceàcausedececi?demanda-t-ilendésignantsacuisseblesséeetsacanne.Jenesuisplus

l’hommequej’étaisquandnousnoussommesrencontrés,jesais.Mais…—Cen’estpasvotrejambe!s’écria-t-elle.Nesoyezpasstupide.Celan’aabsolumentrienàvoir

avecvotrepersonne.Ill’avaitdéjàsoupçonné,maisiln’enressentitpasmoinsunimmensesoulagement.—Alorsqu’est-cedonc?Edieréprimaseslarmesetserralesmâchoires.—Laissezdonc,Stuart.—Sûrementpas, fit-il enposant sa canne.Quelle est lavéritable raisonquivouspousse àvous

opposeraussifarouchementàunvraimariageentrenous?Elledétournalesyeux.Lementontremblant,elleécartaleslèvresmaisneréponditpas.Stuartavançalatêteavecunlégersourirepourluifaireface.—Jenesuispasunsimauvaisgars,voussavez.Jesuisintelligent,jesaisteniruneconversation,je

suisbienélevéetfacileàvivre.Certainesfemmesm’ontmêmetrouvétoutàfaitcharmantetpasvilainàregarder.

—Vraiment?—Cedoitêtreaussivotreavis.Aprèstout,unseulcoupd’œilvousasuffipourmesuivredansle

labyrintheetmeproposerouvertementlemariage.—Jenevousaipaschoisipourvoscharmes,qui sont sansdoute remarquables,maisparceque

vousconveniezàmesprojets.C’esttout.—Vousnem’avezpastrouvéattirant?insista-t-il.Etsepenchantverselle:—Mêmepasuntoutpetitpeu?—Vousauriezpumesurerunmètrecinquante,avoirduventreet lesdentsgâtées, j’auraisquand

mêmesautésurl’occasion.—Alorspourquoinel’avez-vouspasfait?Ellefronçalessourcils,interloquée.—Quevoulez-vousdire?

—VousveniezdepasserunesaisonentièreàLondresetladyFeatherstonevousavaitprésentéeàtouslesaristocratesdelaville,dontbeaucoupsetrouvaientautantauxaboisquemoi.

—Ilsn’allaientpastouspartirpourunautrecontinent!—Non,maisjesuissûrquenombred’entreeuxseseraientvolontierslaissépersuaderdelefaire,

enéchangedel’argentquevousoffriez.Pourtant,vousavezadmisvous-mêmequevousn’aviezfaitcetteoffreàaucunautre.

—Jel’auraisfaitsij’yavaissongéplustôt!Maisc’estenvousvoyantquej’aieul’idée.—Précisément!Ellepoussauneexclamationexcédée.—Etvouspensezquel’idéem’estvenueparcequevousétiezsacrémentséduisant?Stuarthochalatête.D’accord,iln’avaitpaseubeaucoupdecompagniefémininedepuiscinqans,

maispasaupointd’enoubliertoutcequ’ilavaitpuapprendresurlesfemmesaucoursdesavie.Edienel’avaitpeut-êtrepasdésiré,maisellenel’avaitpastrouvérépugnantnonplus,bonsang.

—Si j’avaismesuré—commentdites-vous?—unmètrecinquante,eu lesdentsgâtéesetde labedaine,jenecroispasquelapropositionquevousm’avezsoumisevousseraitvenueàl’esprit.

Misantsursonexpériencedesfemmes,ilcroisalesdoigtsenpenséeavantdepoursuivre:—Jepensequevousvousêtessentieaumoinsunpeuattiréeparmoilorsquevousm’avezvu.Ce

dontjesuissacrémentsûrentoutcas,c’estquej’aiétéattiréparvous.—Sûrementpas!—Sifait.Dèsl’instantoùj’aiposélesyeuxsurvous,jemesuisditquevousétiezlafillelaplus

fascinantequej’aiejamaisvue.Jevousl’aimêmedéclaré,simessouvenirssontbons.—Oui,maisvousnelepensiezpasvraiment.—Biensûrquesi,jelepensais.Iléclataderiredevantsasurprise.—Pourl’amourduciel,croyez-vousquejevousauraisépouséesanscela?—Noussavonstousdeuxquevousm’avezépouséepourl’argent!— Votre argent, aussi tentant et bienvenu qu’il ait pu être, ma douce, ne m’aurait jamais mené

jusqu’àl’autel.Avantmesquinzeans,jeconnaissaisdéjàlasituationfinancièredemafamille,ets’iln’yavaiteuquel’argentpourmepousseraumariage,j’auraisconvolébienavantdevousrencontrer.Non,jevous ai épousée pour la bonne raison que, bien qu’ayant connu quantité de femmes, je n’en ai jamaisrencontréuneseulecommevous,quim’inspireunteldésirdelaposséderalorsmêmequevousfaisiezuntelétalagedevotreabsencededésirpourmoi.Celam’aintriguéetattiré,enpartie—pardonnez-moisij’ail’airdemevanter—parcequec’étaitnouveaupourmoi.Jen’avaispasl’habitude.Mais,quandlanouveautés’estémoussée,mafascinationn’apasfaiblipourautant.

Uneexpressionquiressemblaitàdelapaniqueaffleurasurlevisaged’Edie.—Pourtant,malgrécettefascination,vousêtespartiunmoisàpeineplustard,alorsquenousétions

convenusd’enpasserdeuxensemble.— Vous n’arrêtiez pas de parler de mon départ. A la fin du premier mois, vous me poussiez

quasimentverslaporte.Unhommenepeutpassupporterlongtempscegenredesituation.Vousdésirantcommejevousdésirais,jeseraisdevenufousij’étaisrestédavantage.Et,àl’époque,jen’étaispasprêtà abandonner l’Afrique et à rester définitivement en Angleterre. Je ne l’étais pas, certes. Mais cesderniersjoursàHighclyffe,ilyacinqans,ontétéunesacréeépreuvepourmoi.

—Je…Ellefitunepauseets’humectaleslèvres.—Jenesavaispas.

—Oui,cen’estpaslegenredechosequ’unhommeadmetaisément.Nousaimonscroirequenoussommesirrésistibles.Cequimeramèneàcepointconcret:noussommesmariés,jesuisdésormaisàlamaison,etvousnem’aveztoujourspasditpourquoivousêtessiopposéeàunvraimariageentrenous.Etneprétendezpasquec’estàcausedecegarsquevousavezconnu ilyadesannées,car je refusedecroirequevousenpinciezencorepourlui.

—Enpincer?répéta-t-elle.L’espaced’uninstant,ellelefixaavecuneexpressionindéchiffrable.Puisellesecoualatêtecomme

siellesortaitd’unerêverie.—Oh!maisvousvoustrompez.J’enpinceencorepourlui.Ses paroles étaient si peu convaincantes quemême un enfant ne l’aurait pas crue. Stuart sourit,

soulagédesavoirqu’aumoinsiln’avaitplusàluttercontrelefantômed’unautre.—Vousavezencorelecœurbrisé,hein?—Dévasté.Ellereculad’unpasetgrimaçaenheurtantdesreinsleborddubarderrièreelle,ébranlantverreset

carafes.—Anéanti.Je…Jen’aimeraiplusjamaispersonne.—Jamais?Ilraccourcitunenouvellefoisladistanceentreeux.—Jevousl’aidéjàdit:jamais,c’esttrèslong.Ellerelevalementon.—Pasassezlongpourquejeveuilledevous.—Non?Ilétudiasonvisageet,étrangement,cequ’ilylutlerenditplusoptimiste.Ilyavaitduressentiment

surlafigured’Edie,etunsoupçondepeur,maisilyvitaussiquelquechosed’autre:ledéfi.Prouvez-moiquej’aitort,semblait-elledire.Avec,peut-être,lelégerespoirqu’ilyparviendrait.

—Oh!oh!murmura-t-il.Voilàquiestfait,vousmejetezlegant.—Quevoulez-vousdire?—Aucunhommedignedecenomnepeutignorerunetelledéclaration.Ilsoutintsonregard.—Jecroisquejepeuxvousameneràmedésirer.Elleétrécitlespaupières.—Beaucoupd’hommescroientqu’ilspeuventamener les femmesà lesdésirer.Certainsutilisent

desmoyenspeuhonorablespouryparvenir.—Etvouspensezquejesuiscettesorted’homme?—Jenesaispas.—Vous le savez parfaitement, bon sang ! Edie, nous avons vécu ensemble unmois après notre

mariage,etpasuneseulefoisjenemesuisconduitdefaçondéshonorante.Plusd’unhommeàmaplaceauraitchoisid’exercersesdroitsconjugauxaprèslesnoces,promessesoupas.Maisjenel’aipasfait,n’est-cepas?

Elleneréponditpas,maisStuartn’avaitpasl’intentionderenoncer.—L’ai-jefait?—Non,admit-elleenfin.—Jemesuiscomportéenparfaitgentleman.Etcommejevousl’aidit,cen’étaitpasfacile.Surtout

cedernieraprès-midi, sur la terrasse. J’avaisenviedevous faire l’amouraumilieudessandwichsauconcombre!

Elleleregardaitfixement,etilpensaqu’elleavaitpeut-êtreoubliécejour.Puisilvitunerougeurenvahirsesjouespâlesetilcompritqu’ellesavaitparfaitementàquoiilfaisaitallusion.Sonespoirs’enaccrutd’autant.

—Vous vous en souvenez, n’est-ce pas ?murmura-t-il en se penchant plus près. Je vous ai faitsourireetvousaiditalorsquej’aimeraisbienvoircesourire-làenmeréveillantlematin…

—J’ignoredequoivousparlez,l’interrompit-elle.C’étaitunmensonge,illesavait,etilneputs’empêcherdericaner.—Voussavezexactementdequoijeparle.Jecroisquel’idéedevousréveillerprèsdemoinevous

déplaisaitpas.—Ahbon?Sijem’ensouviensbien,jevousaifaittairepromptement.—Doncvousvousrappelez?—Assezpoursavoirquejen’aipasappréciélemoinsdumondevotresuggestion,affirma-t-elle.Maislarougeurs’intensifiaitsursesjouesalorsmêmequ’elleprononçaitcesmots,etellen’arrivait

plusàsoutenirsonregard.—Sottises.Vous le vouliez. Seulement vous n’étiez pas prête à l’admettre devantmoi. Peut-être

mêmedevantvous-même.—Vousavez l’imagination fertile, commenta-t-elle, lesyeux fixés sur soncoldechemise.Avez-

vousjamaissongéàdevenirécrivain?Parcequevousêtesdouépourinventerdeshistoires.—Sont-cedeshistoires?Ousuis-jesimplemententrainderappelerdesfaitsinopportuns?—Leseulfaitinopportunenl’occurrence,c’estquevousrefusiezd’acceptercequejeressens.Ellelevalesyeuxverslui.— Je ne veux pas de vous. Je ne voulais pas à l’époque, je ne veux pas aujourd’hui, et je ne

changeraipasd’avisplustard.Ilhaussalesépaules.— Si ce que vous dites est vrai, vous ne devriez pas redouter que l’onmette votre décision à

l’épreuve.Jepenseque,malgrécequevousprétendez,vousressentezbeletbienunecertaineattirancepourmoi.Etjepeuxleprouver.

—Etcommentavez-vousl’intentiond’yparvenir?Ilréfléchit,baissantuninstantlesyeuxsurlaboucherosepâledesoninterlocutrice.—Jecroisqu’unbaiserseraitunebonnepreuve.Pasvous?Leregardd’Edies’étrécit.—Essayez dem’embrasser,Margrave, et une bonnegifle viendra effacer ce sourire suffisant de

votrevisage!—Non,non,Edie,vousvousméprenez.Jepensequejepeuxvouspersuaderdem’embrasser.Cettedéclarationlafitrire—etcerire,éclatantetjoyeux,semblaitmalheureusementsincère.—Etcombiendetempscroyez-vousqu’ilvousfaudrapouraccomplircemiracle?s’enquit-elle.Ilétudialaquestion.Unan?Ellen’accepteraitjamais.Nimêmesixmois.—Unmois?—Dixjours,répliqua-t-elleabruptement.Vousavezdixjours.—Dixjours?Endépitdecettecapitulationinattendue,ilsesentaitenclinàprotestercontrelabrièvetédudélai.—Vraiment,Edie,cen’estpastrèschic.—Dixjoursàpartirdedemain,c’estletempsquirestejusqu’audépartdeLiverpoolduprochain

paquebot,etj’ail’intentiond’êtreàsonbord.J’aidéjàréservélatraversée.—NewYork?

Il jetauncoupd’œilvers lespapiersqueJoannaavait jetéssur la table,constatantà regretqu’ils’agissait bel et bien de billets de bateau. Dans tous les scénarios qu’il avait imaginés sur lescirconstances de leur réconciliation, il n’avait jamais envisagé qu’elle puisse vouloir retourner enAmériqueplutôtqued’essayerdeconstruireunevieaveclui.

—EtJoanna?Avez-vousdoncchangéd’avissurlanécessitéd’uneéducationsupérieurepourlesfilles?

—JesaisquelesAnglaiscroientlesAméricainsterriblementpeucivilisés,maisnousavonsaussidesécolesdel’autrecôtédel’Atlantique.

—Alorslasolution,pourvous,c’estlafuite?Est-ceainsiquevousaffronteztouteslescrisesquisurviennentdansvotrevie?

Edieseraidit,montrantainsiquelecoupavaitporté,maisrefusadeselaisserinfluencer.—Dixjours.C’estàprendreouàlaisser.—Jeprends,carjesuiscertaind’avoirraison.—Vraiment?Ellel’étudia,songeuseetvisiblementsurlequi-vive.—Assezsûrpourparier?—Parier?Vousvoulezdiredel’argent?—Non,pasd’argent.—Quoid’autrealors?Ellen’hésitapasuninstant.—Sijegagne,vousaccepterezuneséparationdecorpslégaleetpermanente.Illadévisagea,consterné.—Uneséparationlégale,celasignifiequejenepourraijamaisavoird’enfantslégitimes.—Ceneseraitpaspirepourvousqu’àprésentpuisquejen’aiaucuneintentiondevousendonner.

Etjeparspourl’Amérique.Sauf…Elles’interrompit,plissantlespaupières.—Sauf si, endépit de cequevous affirmez survotre caractèrehonorable, vous avez l’intention

d’employerlaforcepourm’enempêcher?—Jolicoup,fit-ilenluilançantuneœilladeironique.Vousjouezauxéchecs,aussi?—Effectivement,etjesuisplutôtbonne.—Jevouscrois.—Pourménagermasœuretnousépargnerlescandale,ainsiquepourtoutsimplifieraumaximum,

votreconsentementàuneséparationlégalediscrèteseraitlameilleuresolution.—C’estbienlachoselaplusaffreusequej’aiejamaisentendue,marmonnaStuart.Cela signifiait qu’il ne pourrait pas vivre avec elle et, sans aucune sorte d’intimité pour la

rapprocherdelui,seschancesdelaconquérirsetrouveraientpratiquementréduitesàzéro.Ilsavaitque,sanssacoopération,Edien’obtiendraitjamaisdeséparationlégale.Ilouvraitdéjàlabouchepourrefuserlaproposition,puisils’arrêtapourenévaluertouslesaspects.

S’iln’acceptaitpascepari,ellefileraitenAmérique,iln’endoutaitpas.Ilauraitfortàfairepourlatraînerdenouveauàlamaisonunefoisqu’elleseraitlà-bas,mêmeaveclaloidesoncôté.Et,quandbienmêmeilréussiraitàlaramenerdeforce,ilnegagneraitriend’autrequesoninimitié.

Cepari,aucontraire,pouvaitluifournirexactementl’occasiondontilavaitbesoin,s’ilparvenaitàle faire tourneràsonavantage. Il savaitqu’ilprenaitunrisqueénormeenacceptantmais,bonsang, iln’avaitjamaisétéhommeàagiravecprudence.Endixjours,ilpouvaitsûrementobtenirunbaiser.

—Trèsbien,déclara-t-il.Sivousvoulezqu’onparie,jesuispartant.Maisàcertainesconditions.

Elleflairalepiègeetluijetauncoupd’œilméfiant.—Lesquelles?—VousallezreveniravecmoiàHighclyffeetpasserlesdixprochainsjoursenmacompagnie.Et,

ajouta-t-il avantqu’ellen’ait eu le tempsd’émettred’objections,pendant tout ce temps,nousdîneronschaquesoiràlamêmetableetpasseronsaumoinsquatreautresheuresparjourensemble.Pendantdeuxdecesheures,nousferonscequ’ilvousplaît,etpendantlesdeuxautres…

Ils’arrêtaetcoulaverselleunregardpleind’espoir.—…nousferonscequejeveux.—Aucunedecesclausesn’inclutdemefairedesavancesoudepartagermonlit,j’espère.—Surlepremierpoint,jerefusedepromettre.Rejetezmesavancessivouslesouhaitez,maisjeme

réserveledroitdelesfaire.Illevalesyeuxsursonvisage.—Quantausecondpoint,jen’iraidansvotrelitquesivousm’yinvitez,Edie.Elleserralamâchoire.—Celan’arriverapas.—Lescirconstancesnejouentpasenmafaveur,c’estvrai,maisjevisd’espoir.Elleréfléchituninstant,puisacquiesça.—C’estd’accord.Cenesontquedixjours,aprèstout.Ellevouluts’éloigner,pensantquelaconversationétaitclose,maisilluibarralepassage.—Vousn’oubliezpasquelquechose?Nousdevonsconvenirdecequiarriverasijegagne.—Cen’estpasvraimentnécessaire,puisquevousallezperdre.—Unparidoitêtreenvisagédesdeuxcôtés.Sijegagne,querecevrai-je?—Que…Elles’interrompitetdéglutitconvulsivement.—Quedésirez-vous?Iljouasadernièrecarte.—Sijegagne,vousaccepterezdevivreavecmoidefaçonpermanente.Pasdedéménagement,de

fuiteàNewYorkouailleurs,pasdetentativesdedivorceoud’annulation,pasdeséparation.—Vivreavecvouspourlerestantdenosvies?Jenepeuxfaireunetellepromesse.LetonhorrifiédesavoixrappelaàStuartque,s’ilinsistaittrop,ellepouvaitfairemachinearrière

et s’enfuir à New York à la première occasion, mais tant pis. S’ils devaient jouer ce jeu, il avaitl’intentiondenepaslejouerpourrien.

—Cen’estpasnégociable,Edie.—C’estimpossible.—C’est vous qui avez placé l’enjeu à cette hauteur.Alors qu’est-ce qui ne va pas ? ajouta-t-il

commeellesecouaitlatête.Vouscraignezdemetrouverirrésistible?Ellepritunairdedérisionquicoupacourtàlasupposition.—Pasdedanger.Ilécartalesbras.—Alorsoùestleproblème?Infléchissantlecou,ellesemorditlalèvre.—Oh! trèsbien, lança-t-elleenfin.Jecrainsquecenesoit laseulefaçondemedébarrasserde

voussansuneépuisantebataillejuridique.Nouscommenceronsdemainmatin.Aonzeheures.—C’esttroptardpourlepetitdéjeunerettroptôtpourlerepasdemidi.Vousavezdoncautrechose

entête,jeprésume?

— Retrouvez-moi à la gare Victoria, quai 9, et apportez vos affaires. Le voyage de retour àClyffetonseranotrepremièresortie.

—Entrain?Ilgémit.—Edie,commevousêtespeuromantique!—C’estvousqui insistezpourpassercesdix joursàHighclyffe, lui rappela-t-elle.Alors il faut

bienquenousprenionsletrainàunmomentouunautre.Etvousvenezdestipulerquej’avaismonmotàdiredanslechoixdenosactivités.

—Maisdansletrain,nousneseronsjamaisseuls.—Précisément.—C’estdoncainsiquevousavezl’intentiondejouerlejeu,enmetenantàdistancechaqueseconde

quenouspasseronsensemble?EtvoustraînerezJoannapartoutoùnousironsenguisedechaperon,jesuppose?

Ellene réponditpas,mais lesmotsétaient inutiles.Lepetit sourirequ’ellearboraitconfirmait lasupposition.

—Faitescommevousvoulezetgardezvossecrets,murmura-t-il.Maissielles’obstinaitàutiliserJoannacommeunrempart,ilallaitdevoircontournerl’obstacle,il

lesavait.—Jevaisacheter lesbilletsetvousretrouveraisur lequaidemainà11heures,dit-il.Maismes

projetspournousdeuxserontbienplusagréablesqued’étouffantsvoyagesentrain,jevouslepromets.Unelueurindéfinissablebrilladanslesyeuxd’Edie—del’inquiétude,peut-êtremêmedelapeur

—,puisdisparutavantqu’ilpuisseladéchiffrer.—Profitezdecejeuàvotregré,Stuart,maisj’aidéjàdemandéàM.Keatingdepréparerunaccord

deséparationet,dansdixjours,vouslesignerez.—Seulementsivousnem’avezpasembrasséentre-temps,rétorqua-t-ild’untonenjoué.Et,puisque

nousensommesauxprédictions,permettez-moidevousfairepartager lamienne.Quandcetaccorddeséparationarrivera,vous apprécierez tellementmacompagniequevousnevoudrezpasmequitter.Enfait…

Ils’interrompitpoursepencherunpeuplusverselle.—J’ail’intentiondevousfairedésirerbienplusquedesbaisersavantlafindecesdixjours.—Désirer?répéta-t-elle,incrédule.Vouspensezquejevaisvousdésirer?—Jel’espère,Edie,répondit-ilentoutesincérité.Parceque,si jen’yparvienspas, jenemérite

pasdevousavoir.Ils’arrêta,unlégersourireauxlèvres.—Biensûr,vouspouvezsuccomberetm’embrassertoutdesuite,afinquenouspuissionspasserà

deschosesencoreplusdélectables.Jem’arrangeraipourqueçaenvaillelapeine,jevouslepromets.—Etêtreprivéedetoutecetteglorieuseattenteoùjemeconsumeraidedésirpourvous?Jamaisde

lavie!Posantlapaumesursontorse,ellelerepoussaavecunrictusquiôtaàStuarttoutebribed’espoir.Elleavaittouteslesraisonsd’êtreconfiante,sedit-ilenlasuivantdesyeuxtandisqu’ellemarchait

verslaporte.Parcequ’encetinstantprécisl’éventualitéd’Ediel’embrassantdesonpleingrésemblaitaussipeuprobablequ’unetempêtedeneigeauSahara.

Chapitre8

Edie n’aurait pu imaginer meilleur accord que celui qu’elle venait de conclure. Le sombre etmenaçantnuagequiplanaitau-dessusd’elledepuis leretourdesonmaricommençaàsedissiperpourlaisser place au soulagement. Pour regagner sa liberté, elle n’avait rien d’autre à faire que de ne pasembrasserStuartpendantlesdixjoursàvenir.Commeellen’avaitpaslamoindreenviedeluiaccorderunbaiser,oùétaitladifficulté?

Apeinecettepenséeluieut-elletraversél’espritquelesmotsdeStuartluirevinrentenmémoire.Jecroisquejepeuxvousameneràmedésirer.Elle passa du soulagement à une soudaine impression de malaise qu’elle tenta d’écarter. Stuart

n’emploieraitpas la forceavecelle.Ainsiqu’il le lui avait rappelé, il n’enavait jamais faitusageetassuraitqu’iln’enuseraitpasdavantagemaintenant.Bienentendu,onnepouvaitjamaisêtreabsolumentsûreavecleshommes,maislaraisondesonmalaisen’étaitpaslà.

Pendantdeuxdecesheures,nous feronscequ’ilvousplaît,etpendant lesdeuxautres…nousferonscequejeveux.

Detouteévidence,sonplanconsistaitàlaséduire.Etalors?Ellenesavaitpasaujustecommentilcomptaits’yprendre,maisonneséduisaitunefemmequesielleétaitconsentante,etincontestablementellenel’étaitpas.Elleétaitimmuniséecontretoutcela.

Elle aurait dû être rassurée par cette pensée, et pourtant son malaise s’accrut. Si elle étaitimmunisée,pourquoiavait-ellebesoindeselerappeler?

La pendule sonna, et elle écarta cette petite pensée déplacée. Il était cinq heures et elle étaitsupposée descendre prendre le thé. Les cinq minutes que Stuart lui avait demandées s’étaienttransforméesendemi-heure,etelleétaitencoreentraindetergiverserici.Empoignantsonréticule,ellequittalasuitepourrejoindreladyTrubridgeetJoanna.

En arrivant au salon, elle avait eu le temps de repousser tout sentiment d’inquiétude— Stuartpourraittentertoutcequ’ilvoudraitpourlaséduire,ilperdraitsontemps.

Elles’arrêtasurleseuiletbalayalapièceduregard,cherchantentrelescolonnesdemarbreetlespalmiersenpot.Maislasalleétaitvasteettouteslestablesoccupées,sibienqu’elleneputtrouversasœuretsonamieparmicettefoule.

—Votregrâce?Elletournalatêteetdécouvritlemaîtred’hôtelàcôtéd’elle.—JechercheladyTrubridgeetmasœur.L’hommes’inclina.

—Biensûr.LadyTrubridgevousattend,etjecroisqueMlleJewellestavecelle.Sivousvoulezbienmesuivre.

Il lui fit traverser la pièce bondée jusqu’à une superbe terrasse donnant sur les jardins del’Embankmentetlarivière,oùsasœuretsonamieétaientinstalléesprèsdelabalustrade.

Lavoyantapprocher,BelindaTrubridgemurmuraquelquechoseàJoanna,ettoutesdeuxselevèrentpourl’accueillirtandisquelemaîtred’hôtels’écartaitenannonçant:

—Sagrâce,laduchessedeMargrave.—Edie,machérie.Belindacontournalatablepourluiserrerlesmains.—Quelplaisirdevousvoir,celafaituneéternité.—C’estunplaisirpourmoiaussi,réponditEdieendéposantunbaiseraffectueuxsurlajouedeson

amie.Veuillezexcusermonretard.Belindadésignasajeunecompagne.—Nesoyezpasdésolée.J’avaisJoannapourmetenircompagnie.Edielançaunregardméfiantàsasœur.—Ellevousaparlédemonvisiteurinattendu,jesuppose.—Unpeu,admitBelinda.Maisjel’avaisvuavantqueJoannanedescende.Ilvenaitdefinirsonthé

ets’estarrêtéprèsdematableensortant.Quandilasuquejevousattendais,ilaeul’amabilitédemeprévenirquevousseriezenretard.

—Oui,soupiraEdie.Combiendefoisdevrait-elles’attendreàcequ’ilinterfèreainsidanssaviesocialependantlesdix

joursàvenir?—C’estcequ’ilm’adit.—C’étaitunevraiesurprisedelevoir,jedoisl’admettre,ajoutaBelinda.Jesavaisqu’ilavaitété

blessé,biensûr,mais…Ediefixasonamieavecétonnement.—Vouslesaviez?Belinda,pourquoinemel’avez-vouspasdit?—IlaécritàNicholasetàunoudeuxautresdesesamisproches,maisilnevoulaitpasdonner

matièreàdescomméragesetleurademandéderestermuetslà-dessus.Nicholasm’enabienparlé,maisil m’a fait promettre de n’en rien dire à personne. J’ai pensé que Margrave vous avait écritpersonnellementpourvouseninformer.

—Ehbien,iln’enarienfait.Quandjel’aivu,cela…Ellesetutetsefrottalefront.—Celam’afaitunchoc.—J’imagine,murmuraBelinda.ElleétudiaEdiedesonregardintuitif.—Maisques’est-ilpasséenhaut?intervintJoannaavecsonimpatiencehabituelle.Avez-vousfait

lapaixtouslesdeux?—Joanna,vraiment!lagrondaBelinda.Nem’avez-vouspaspromisilyadixminutesdenepas

poserdequestionssanstactàvotresœur?—Autantdemanderausoleildesecoucheràl’est,déclaraEdie.Belindapouffa, etEdie fut frappéepar le rayonnementqui sedégageait de sapersonne.Avec sa

chevelurenoireetsesyeuxbleus,Belindaavaittoujoursétéd’unebeautéremarquable,maisellesemblaitparticulièrementdélicieuseaujourd’hui.

—Dieu,commevoussemblezenforme,observaEdie,heureusedepouvoirchangerdesujet.Quelestvotresecret?Unenouvellecrèmepourlevisage?

Belindaritdeplusbelle.—Non,pasunecrème.C’esttoutautrechose,maiscelapeutattendre.Asseyons-nous.JoannaetBelindareprirentleurssiègestandisqu’Ediecontournaitsasœurpours’installerenface

desonamie.—Ehbien?insista-t-elleenôtantsesgantssansquitterBelindadesyeux.Dites-moicequivous

rendsiradieuseencemoment?Belindarougit.—J’attendsunbébé.—Unbébé?JoannaetEdies’étaientexclaméesenmêmetemps,cequifitrireBelinda.—Voussembleztrèssurprises.Maiscelafaitunanquejesuismariéeaprèstout.—Je trouvecelamagnifique,dit Joanna.Cela faitpresquedemoiune tatie. J’adoreraisêtreune

tatie,ajouta-t-elleavecunsoupirdésolé.Edieluiassenauncoupdepiedsouslatable.—Unbébé,Belinda?Vraiment?—Vousavezremarquéquej’étaisrayonnante,réponditsonamieenluiversantunetassedethé.Je

pensaisquevousenauriezdevinélaraisonavantmêmedevousasseoir.—Ehbien,non,fitEdie.Mon…Ellerit,déconcertée.—Unbébé.Mesfélicitations.Est-cequeTrubridgeestaucourant?—Oui.Ilestravi,bienentendu.Toutlemondel’est.Belinda tendit sa tassede thé àEdiepuis sepenchavers elle avecune lueurdemalicedans les

yeux.—JecroisquemêmeLandsdownevapeut-êtrebiens’enréjouir,ajouta-t-elleenfaisantréférenceà

sonterriblebeau-père,leducdeLandsdowne,quis’étaitviolemmentopposéaumariagedesonfils.Belinda,mêmesielleavaitétémariéeenpremièresnocesaucomtedeFeatherstoneetavaitmené

uneviedeveuveconvenableavantsonremariageavecTrubridge,étaitencoreaméricaineetLandsdownedétestaitlesAméricains.

Laconsolation,avaitplaisantéEdie,c’étaitquelaplupartdesAméricainsleluirendaientbien,ellecomprise.

—Vraiment?fitcettedernière.EllelançaunregardsceptiqueàBelindapar-dessusleborddesatasse.—Seréjouira-t-ilaussisic’estunefille?—Sans doute pas, admitBelinda en riant.Mais, autant que je déteste cet homme, je ne peux le

blâmerdedésirerungarçon.Touslesaristocratesdésirentcela.—Certes.Ediepritunegorgéedethé,etsatasseheurtaunpeulasoucoupelorsqu’ellelareposa.—C’estledésirdetouslesgentlemen.Belinda,toujoursprompteàsaisirlesnuances,luijetauncoupd’œilsoucieux,maiselleavaittrop

detactpourposerlamoindrequestionenprésencedeJoanna.Edies’enréjouit,carsapropresituationconjugaleétaitbienladernièrechosedontelleauraitvoulu

discuter, surtout avec Belinda. Son amie était une marieuse professionnelle et, même si elle savaitdésormaisquel’uniond’EdieetdeMargraven’étaitpaslemariaged’amourqu’elleavaitcrud’aborden

l’appuyantauprèsdupèred’Edie,Belindaétaittropromantiquepouraccepteravecfacilitélanotiondeséparation.

—Jen’arrivepasàcroirequenousnoustrouvionstoutesdeuxenvilleenmêmetemps,déclara-t-elle,diplomate.

Ediesautasurcenouveausujetdeconversation.—Moinonplus!LorsquejesuispasséeunpeuplustôtàBerkeleyStreet, j’étaissûrequevotre

majordomemediraitquevousétiezpartiepourleKent.— Je suis désolée de ne pas avoir été là aumoment de votre visite. En fait, j’étais en train de

déjeunericiavecunclient.Iln’yapasquinzejoursqueleSavoyestouvert,maisc’estdéjàunlieudeprédilectionpournosamisaméricains.Heureusement,vousavezreçumoninvitationpourlethéetvousavezpul’accepter,aussitoutest-ilbienquifinitbien.

— Vous avez encore des clients ? s’enquit Edie, assez surprise. Trubridge vous a permis decontinuervotreagencematrimoniale?

CefutautourdeBelindades’étonner.—Pourquoinel’aurait-ilpaspermis?Ediehaussalesépaules.—Oh!jenesaispas.Leshommesnelaissentgénéralementpasleurfemmegérerunnégoce,si?— Il sait bien qu’il ne pourrait pas m’en empêcher, fit Belinda en riant. Et il ne peut guère

désapprouver.Commeilestlui-mêmedanslecommerce,ceseraithypocrite.Peudemarisseseraientpréoccupésd’hypocrisieen l’occurrence,maisEdies’abstintde le faire

remarquer.Au lieu de quoi elle esquissa un sourire poli, sirota un peu de thé et prit un gâteau sur leplateau.

—Bienquemariée, je viens donc àLondres assez souvent, repritBelinda,même en août.Votrearrivéeenvilleapourtantétéunevéritablesurprise.

Pas tout à fait, compte tenu circonstances, songea Edie. Mais, bien entendu, elle ne pouvaitexpliquercequil’avaitamenéeici.

—Vraiment?Ediemorditdanssongâteau.—Biensûr!VousarracheràHighclyffeenétéestaussidifficilequededétacherunemouledeson

rocher.Sabouchéepritsoudainungoûtdesciure.Edieavalauneautregorgéedethé,maiscelan’ychangea

rien, la terrible réalité n’en demeurait pas moins là : quoi qu’il se passe avec Stuart, ses jours àHighclyffeétaientcomptés.Bientôt,ceneseraitplussonfoyer.Ellel’avaitsudèsl’instantoùelleavaitvu sonmari sur le quai,mais jusqu’à présent elle n’avait pasmesuré combien ce serait terrible.Ellen’avaitpassongéàcequ’elleressentiraitendisantadieuauseulendroitoùelleavaitvécuensesentantchezelle.

Vousabandonneriezvraimenttoutcela?Voustourneriezledosàtoutcequevousavezconstruitici?

LesparolesdeStuartrésonnèrentàsonoreille,etsonmoralcommençaàsombrer.Elleallaitdevoirabandonner Highclyffe, car Stuart ne la laisserait jamais continuer à le gérer à présent qu’il était deretour.Pourquoil’aurait-ilfait?Highclyffeétaitsonfoyeràlui,nonpluslesien.

Plus de pique-niques dans leWash. Plus de pêche aux palourdes avec Joanna sur la plage, plusd’exploration des cuvettes de marée ni de baignades au large des rochers. Plus de cueillette deschâtaignes en automne ni de projets pour les nouvelles plantations de printemps pendant les hivers

pluvieux. Plus de travail au sein des œuvres de bienfaisance du village, tâche qu’elle avait toujourstrouvéesigratifiante.Plusdebutàsavie.

La voix de Belinda la tira de ces réflexions moroses. Edie tressaillit ; sa sœur et son amie ladévisageaientavecinquiétude.

Joannaposaunemainsursonbras.—Edie?Qu’est-cequinevapas?—Rien,machérie,affirma-t-elleenseforçantàsourire.Jenedoispasavoirassezmangéàmidi.

Lethéetlegâteausucrémetournentunpeulatête.Joannaparutsesatisfairedel’explicationcarelleretirasamain,l’airrasséréné.—Vousn’avezpasassezmangéaudéjeuner,c’estunfait.—Prenezdoncunsandwich,suggéraBelinda.Edieobéit,maislesproposdesonmarin’encontinuèrentpasmoinsàagirenelle.J’avaisenviedevousfairel’amouraumilieudessandwichsauconcombre.Audiabletoutcela!songea-t-elleenmordantdanssonsandwich.Ellenevoulaitpasqu’onluifasse

l’amour.EtsiquitterHighclyffeétaitleprixàpayerpourévitercela,ehbien,ellelepaierait.Ilexistaitd’autrespaysoùvivre,d’autresmaisonsquipourraientdevenirsonfoyer.Ellepouvaitse

rendrepartoutoùelleledésiraitdanslemonde.Mais,lorsqu’elles’interrogeaitsurlelieuoùelleiraitaprès ces dix jours, elle ne pouvait contenir ses craintes. Retrouverait-elle jamais un seul endroit surterreoùellesesentedenouveauchezelle?

***

Enmatièredefemmes,Stuartn’étaitpaslegenred’hommeàseprojeterdansl’avenir.Leslettresromantiques et soigneusement rédigées, les bouquets de fleurs choisis en fonctionde leur significationappropriée, ce n’était pas son style. Ni les longs marivaudages, les regards qui s’attardent, lespromenadesdûmentchaperonnées,lesmainsfurtivementpressées.Pourlui,conquérirunefemmen’avaitjamaisrelevéd’unecampagnemûrementréfléchienid’unepartied’échecs.

Maisdurantletrajetencab,entreleSavoyetsonclub,ileutquelquesraisonsdesedemandersiunpeudestratégieanticipativeconcernantEdieneseraitpaslabienvenue.

Certes,ilavaitimproviséenluidemandantdevenirpasserlesdixprochainsjoursàHighclyffe,cequiétaitcertainementpréférableaufaitdecouriraprèselle icioulà.AHighclyffe, ils trouveraientdel’intimitéetdessouvenirscommunsàpartager—dumoinsquelques-uns.Maisilnedisposaitquededixjoursetilsavaitqu’illuifaudraitenutiliseraumieuxchaqueminute.Avraidire,tandisqu’ilregardaitparlafenêtreduvéhiculeenréfléchissantàcequ’allaitêtresatactiquependantcesjoursprécieux,ilsesentaitplutôtdémuni.

Ildutconstateravecchagrinquesessuccèsauprèsdubeausexel’avaientrenduaussisuffisantqu’unjeunehomme.Jusqu’àcequ’unefilledéterminéeauregardvertetfroid,etaucœurplusglacéencore,neviennemettre àmal l’opinion plutôt flatteuse qu’il se faisait de lui-même et de son charme.Non, sonexpériencedelagentféminineneluiavaitjamaisétéd’ungrandsecoursavecEdie,etildoutaitqu’ellepuissesuffireàprésentpourlaconquérir.S’ilvoulaitlaséduire,illuifaudraitutiliserautrechosequelesmanœuvressuperficiellesdontilavaituséaveclesfemmesdanssaprimejeunesse.

Lecabdelouages’immobilisadansunesecousse.Sortantdesesréflexions,Stuarts’avisaqu’ilsetrouvaitdevantleWhite’sets’extirpaduvéhicule

en grimaçant.Après tout ce temps passé dans des fiacres et des trains, il avait affreusementmal à la

jambeet regrettadenepasavoirmarchéentre leSavoyet leWhite’s.Bah,unsecondwhisky-soda leremettraitd’aplomb.

Après avoir payé le cocher, il pénétra dans le bar du club, où il commanda une boisson, puisaccrocha sa canne aubras d’un confortable fauteuil de cuir. Posant la jambedroite sur un tabouret, ils’installaalorsdanssonsiègepoursirotersonwhiskyetréfléchiràcequil’attendait.

Il jetaunregardalentouretsedemandacequesespairsaristocratespenseraientdesondilemme.Peud’entreeuxlecomprendraient,songea-t-il.Certainsluidemanderaientpourquoiiln’entraitpastoutbonnement dans la chambre de sa femme afin de lui rappeler son devoir conjugal et, ignorant lesobjections de celle-ci, ne mettait pas en route l’héritier convoité. D’autres lui conseilleraient de setrouverunemaîtresseetdelaisserleduchéreveniràsonfrère.Danssonesprit,lepremiercasdefiguren’avaitjamaisétéuneéventualité,etlesecondn’étaitpasd’actualité.

Lasituation,certes,netournaitpascommeill’avaitenvisagépendantsonvoyagederetour.Toutcequ’il avait projeté autour d’un vraimariage avec Edie était fondé sur l’idée qu’elle avait dû oublierl’autrehomme,àprésent.Maisbienquelasuppositionsefûtrévéléepertinente,celan’avaitrienchangédutout.Ilnes’étaitpasmontréconvaincantavecEdie,ilnel’avaitjamaisétéetpeut-êtreneleserait-iljamais.

Apeinecettepenséel’eut-elletraverséqu’illarepoussadenouveau.Imaginerunéchecneserviraità rien, et il s’y refusait. Il préféra se concentrer sur la tâchequi l’attendait, la seule dont il devait sepréoccuperpour lemoment. Il avaitdix jourspourpersuaderEdiede l’embrasser.S’ilyparvenait, ilauraittoutletempsvoulupourdûmentlaconquérir.

Dix jourspourunbaiser.Combiencepari luiaurait semblé facileavantde la rencontrer !Mais,avecEdie,cejeuressemblaitdavantageàl’ascensiondumontKilimandjaro.Ellen’étaitpasdugenreàaccepter lescompliments,àse laissergriserpar tropdechampagnepuisporterà l’étage—cedont ildevait lui être reconnaissant, le tempsoù ilpouvaitporterune femme jusqu’à sachambreétant révolupourlui.Unsoupçondechampagneneferaitpasdemal,biensûr,et l’amèneraitpeut-êtreàbaisserunpeusagarde,maisceneseraitpassuffisant.Ilfallaitqu’ilallumesondésir,maiscomment?

—Stuart?IlsetournaetdécouvritlemarquisdeTrubridge,accompagnéd’unautregentilhommequ’iln’avait

jamaisvujusqu’ici.Reposantsonverre,iltenditlamainverssacanne.—Nevouslevezpas,intimaNicholasenvoyantStuartseredresser.C’esttrèsbienainsi.Stuartignoral’injonction.—Nick,salua-t-ilenôtantsajambedutabouret.Saisissantsacanne,ilselevapourserrerlamaindesonami.—Bonsang,celafaitcombiendetemps,monvieux?—Aumoinsdeuxans,réponditNicholasenempoignantchaleureusementlamaindesonami.Duverredewhiskyqu’iltenait,lemarquisdésignal’hommebrunetdégingandéàsescôtés.—Connaissez-vousleDrEdmundCahill?—Jen’aipasceplaisir.—Alorspuis-jevousleprésenter?Docteur,voiciStuartJamesKendrick,ducdeMargrave.C’est

undemesvieuxamisdepuisEaton.—EtdepuisvosjoyeusesescapadesàParis,dontj’aientenduparler,intervintledocteuravecun

sourire.—Est-cemaréputationquimeprécèdeoulavôtre?demandaStuartàNicholas.—Lavôtre,répliqualemarquissanshésiter.Jenefaispluslafête,cetemps-làestrévolupourmoi.Stuartsoulevasacanne.

—Pourmoiaussi,jelecrains.Joignez-vousdoncàmoi,ajouta-t-ilaussitôt,devançantl’habituellepauseembarrasséequiprécédaittoujoursunequestionausujetdesajambeblessée.

Lesdeuxautresrapprochèrentdesfauteuilsdusien.Ignorant lesprotestationsdesescompagnons,Stuartrepoussasontabouretetinsistapourqu’onplaceunetableaucentredugroupe.

— J’ai lu dans les journaux le récit de certaines de vos aventures africaines, commença Cahilllorsqu’ils furent installés et qu’on leur eut apporté des boissons.Unvéritable exploit d’avoir naviguédanscettezonedel’estduCongo.

—Sanscompterladécouverted’unenouvelleespècedepapillon,ajoutaNicholas.Jevousenvieraitoujourspourtouteslesrecherchesquevousavezeffectuées.

—Laplupartdesgensnes’intéressentqu’auxexploitsdechasse,luiréponditStuart,désabusé.Ilsveulententendreparlerd’éléphantsetdelions,pasdepapillons.

—Vouscomptezparmilesespritsscientifiquesdenotretemps,commentaCahill.Nouscomprenonsl’importancedelaviedesinsectesdansl’ordrenaturel.D’unautrecôté,ajouta-t-ilensouriantsoussonépaissemoustachebrune,leslionssemblentindéniablementbeaucoupplusexcitants.

—Et dangereux d’après ce que j’ai entendu,murmuraNicholas. Désolé pour votre jambe,monvieux,ajouta-t-ilensavourantunpeudewhisky.

Stuart se renfrogna à cesmots. Cela ne ressemblait guère à Nicholas de soulever ainsi un sujetembarrassant.

— Comme je vous l’ai écrit, ce n’était pas vraiment une surprise. Les safaris et l’explorationpeuvent être risqués, et je neme suis jamais aventuré dans le bush sansm’attendre plus oumoins àquelquechosedecegenre.J’aieuplutôtdelachance.

IlsongeaàJonesetavalauneautregorgée,quiluibrûlalagorge.—Aumoins,jenesuispasmort.—Oui,oui, approuvaNick, levant sonverreavantdeboireà son tour.Maisvotre jambe?Elle

vousfaitencoremal?—Unpeuraide,maisjemedébrouille.— Une blessure musculaire ? s’enquit Cahill d’une voix si neutre que Stuart devint aussitôt

suspicieux.—Pardonnezsacuriosité, intervintNicholas.C’estprofessionnel.LeDrCahillauncabinetdans

HarleyStreet,etlesmusclesléséssontsaspécialité.—Vraiment ?marmonnaStuart en fusillant sonvieil ami du regard.Quelle coïncidencede vous

rencontrertouslesdeuxicicetaprès-midi!—Pasvraimentunecoïncidence,admitNicholasavecunsourireenignorantleregardaccusateur

deStuart.J’aientendudirequevousétiezenvilleetquevousséjourniezauclub,etj’aiimmédiatementenvoyéunmessageàCahillpourluidemanderd’abandonnersesautrespatientslerestedel’après-midietdemerejoindre.Nousavonstraînéiciprèsd’unedemi-heureenattendantvotreretour.

— Je vous manquais tant que cela, Nick ? Je voudrais pouvoir en dire autant, mais les amisénervantsquiprétendentsavoircequiestlemeilleurpourmoinememanquentjamais.

— Cahill a fait des merveilles pour mon épaule après que Pongo m’eut tiré dessus, poursuivitNicholas,imperméableauxinsultes.Cethommeestextraordinaire.

Cahill s’agita dans son fauteuil, l’air un peu embarrassé par le compliment du marquis et soninterférenceclairementmalvenuedanslesproblèmesmédicauxdesonami.

—Vousmeflattez,milord,murmura-t-il.MaisNicholasbalayalagênedudocteuraussiaisémentquel’irritationdeStuart.

—LefaitestqueMargravesouffre,Cahill.Biensûr,iln’endirarien,ajouta-t-il,passantoutreauxénergiquesdénégationsdeStuart.Pouvez-vousfairequelquechosepourlui?

—Non,déclaraStuartavantquelemédecinn’aiteuletempsderépondre.J’aidéjàconsultédeuxdocteurs.Lacicatriceesttrèsétendue,jedoisapprendreàvivreavecladouleur,unpointc’esttout.

Cahilltoussadiscrètement.—Cen’estpasobligatoirementvrai.Ilexistedestechniquesthérapeutiquesquipeuventsoulagerla

souffranceetaccroîtrevotremobilité.—Quelles techniques ?Me fairemacérer dans des eauxminérales ?L’undemesmédecinsm’a

recommandé cela et, bienque j’aie essayé les eauxd’Evian sur le chemindu retour, cela n’a pas faitgrand-chose,exceptéallégerladouleurpendantquelquesheures.

Illevasonverre.—S’iln’yaquecelapourmesoulager,jepréfèremarinerdanslewhisky.—Boiren’estpasunesolution,objectaNicholas.Stuartsirotauneautregorgéeetensavouralaréconfortantebrûlure.—J’aibienpenséàlacocaïneetaulaudanum.Maislewhiskyameilleurgoût.—Pourl’amourduciel,monvieux,sivoussouffrez,deveniralcooliquen’estpasunesolution.Il

fautfaireautrechose.Stuartprituneautregorgéeetgrimaça.—Jenesuispasalcoolique.Dumoinspasencore.Etmêmesijel’étais,cen’estpasvotreaffaire.—J’enfaismonaffaire,nomdenom!—Messieurs,s’ilvousplaît,intervintCahill.Voulez-vouslaisserunvraimédecinplacerunmot?

Lesbainsd’eauminéralepeuventaidermais,ainsiquesagrâcel’adéjàconstaté,cen’estpasleremèdeadéquat.Quantàlacocaïneetaulaudanum,jesaisquebeaucoupdedocteursenprescriventlibéralementmais,pourmoi,lesrisquesd’addictionqu’ilscomportentenfontdesoptionsindésirables.Et,bienquejen’aieriencontreunbonwhisky,jepeuxpeut-êtresuggéreruntraitementplusefficace.

—Parexemple?questionnaNicholasenignorantlegrognementexaspérédeStuart.—Celadépend, fitCahillense tournantversStuart.Avez-vous l’impressionque lamarchevous

procuredusoulagement,votregrâce?—Oui,admitStuartàcontrecœur.Marchermefaitdubien.— Alors des exercices pour étirer les muscles et des élongations pourraient apporter une

améliorationsignificative,surtoutsionlesassocieàdesmassagesetdesbainsd’eauminéralechauds.Maisilfaudraquejeprocèdeàunexamencompletavantderecommanderuntraitementspécifique.

Stuartsemontraenfinintéressé.—Jecroisquevouspouvezpeut-êtrem’aideraprèstout,docteur,admit-ilenseredressantdansson

fauteuil. J’aimerais bien que vousm’examiniez,mais je n’ai pas beaucoup de temps. Je dois repartirdemainpourleNorfolk,etilfaudraitquelaconsultationaitlieucesoirmême.Serait-cepossible?

—Biensûr.Nouspouvonsnousrendreàmoncabinetdèsquenousenauronsterminéici.—Parfait.Stuarts’adossaàsonsiège.Ilsentaitsonoptimismeremonter,maisunéventueltraitementpoursa

jamben’avaitrienàyvoir.

Chapitre9

Ce soir-là, après s’être habillée pour le dîner, Edie s’assit avec Joanna et essaya de lui fairecomprendrel’importancedeladiscrétion.

MaissasœurnevoyaitpasenquoiinformerStuartdulieuoùellesséjournaientàLondresrelevaitdel’indiscrétion.

—C’estvotremari,non?objecta-t-elled’unairprofondémentsurpris.Lesmarisetleursfemmesnesont-ilspascenséssavoiroùsetrouveleurconjoint?Etsiquelquechosearrivait,hein?

—Stuartetmoinesommespas…nousnesommespascomme lesautresmariset femmes.Nousvivonsséparés,commevouslesavez.

—Maisilestàlamaisonàprésentetilsouhaitefaireamendehonorable.Joannabaissalesyeux,tiraillantlacourtepointedulitd’Ediesurlequelellesétaientassises.—Ilestincroyablementgentil.Etbeaugarçonaussi.Vousnel’appréciezpas?—Machérie,soupiraEdie,cen’estpassisimple.—Luivousaimeencore,c’estévident.Vousaussivousdeviezl’aimerquandvousl’avezépousé.

Nepouvez-vousessayerdel’aimerànouveau?—Pasdelafaçondontvousl’entendez.Cet aveu lui laissa un goût amer. Elle songea à la jeune fille romantique qu’elle avait été avant

Saratogaet,ainsiqu’elle l’avait faitcefameuxsoirdans le labyrintheavecStuart,ellesedemandacequ’auraitétésaviesanscemauvaiscoupdusort.

—Quandj’étaisplusjeunepeut-être,avant…Elles’interrompitenserappelantdequielleparlait.—Avantquoi?AvantqueFrederickVanHausenn’entreenscène?—Voussavezcela?Maisvousn’aviezquehuitans!Joannaparutsurprise.—Biensûrque je lesais !JemesouviensquePapacriaitdans toute lamaisonqueVanHausen

allaitdevoirvousépouserparcequ’ilavaitdétruitvotreréputation.Siseulementiln’avaitdétruitquecela,songeaEdie.Ellesetournaverssacoiffeuseetscrutason

reflet dans lemiroir. Soudain, une vague de nostalgie comme elle n’en avait pas ressenti depuis desannéesdéferlaenelle—lanostalgiedetoutcequeFrederickluiavaitvolé.

—C’estàcelaquevousfaitesallusion,Edie?Jemesouviens,PapadisaitquenousallionsdevoirallerenAngleterrepourvoustrouverunmaricarvotrehonneurétaitsali.Oh!

Edieseraiditenentendantcettesoudaineexclamation.EllevitbrillerunelueurdecompréhensiondanslesyeuxdeJoanna.

—Est-cepourcelaquevousavezépouséStuart?Poursauvervotreréputation?Ediesedétendit.—Oui,enpartie.Cen’étaitpasparamour,ajouta-t-elle.Bienqu’ellelûtunsoupçondedéceptionsurlevisagedeJoanna,elleseréjouitd’avoirétélaseule

àsouffrirdesahonteetdesadisgrâce.Aumoins,elleavaitcetteconsolation.—Toutlemondenesemariepasparamour,machérie,expliqua-t-elleavecdouceur.—Jesais.—Et l’amournegarantitpasnonplus le succèsd’unmariage.Certainesunionsmarchentbienet

d’autresnon.Lanôtre…n’apasmarché.—Maisvouspourriezessayer,non?Lepouvait-elle?Edie tentade refouler le sentimentdepaniquequi l’envahissait toujoursàcette

pensée et soupesa la question aussi objectivement que possible. Mais, songeant à ce que celaimpliquerait,ellesecoualatête.

—Non,jenepensepas.C’esttroptardpourça.—Maisjenecomprendspasdutout!explosaJoanna.Troptard?Vousparlezcommesivousétiez

vieillealorsquevousnel’êtespas.Vousn’avezquevingt-quatreans!—Cen’estpasunequestiond’âge.C’étaitunequestiondepeur,dehonte,desouffrance.Edielesavaitet,mêmesielledétestaitsentir

cesémotions-làtapiesenelle,ellelesavaitacceptéesdepuislongtemps.Aumoins,tellequ’étaitsavieàprésent,ellesdemeuraientcachées,embusquéesdansl’ombremaissupportables.SiellevivaitunevraierelationmaritaleavecStuart, ilvoudraitetpeut-êtremêmeexigeraitd’avoiraccèsà soncorpschaquefoisqu’illedésirerait,etellenepourraitpasyconsentir.

— Je suis satisfaite dema vie telle qu’elle est et je ne veux pas la changer. Je suis heureuse etj’espère…

Elleobservaunepauseetpritlamaindesasœur.—J’aibesoindesavoirque,quoiqu’iladvienne,vousappuierezmesdécisionsetlesrespecterez.

S’ilvousplaît,dites-moique,quoiqu’ilarrive,vousserezdemoncôté.—Vousêtesmasœur!déclaraJoannaavecconviction.Biensûrquejesuisdevotrecôté!

***

Lelendemainmatin,pourtant,mêmecetteaffirmationdevaitêtreremiseenquestion.LorsqueReevesetlesdeuxjeunesfemmesarrivèrentàlagareVictoria,Stuartlesattendaitdéjàsur

lequai.Lavuedesahautesilhouettedeboutdanslesvolutesdevapeurs’élevantdutrainrappelaàEdielemomentoù,deuxjoursplustôt,ellel’avaitdécouvertàlagaredeClyffeton.

Avec sa peau bronzée et son bâton de marche sculpté, il avait encore cette allure exotique deshommesenprovenancedepaysétrangers.Cettefoiscependant,iln’étaitpasentouréd’unamoncellementde coffres et de valises en crocodilemais n’avait à ses pieds qu’un énorme panier à pique-nique—lequel,àencroireleslettresimpriméessurl’osier,étaitdeconfectionaussibritanniquequelepuddingauxprunesetlareineVictoria.

JoannaavaitremarquéelleaussilesinitialesF&Mtracéesàl’encresurlecôté.—FortnumetMason?s’écria-t-elle,ravie.Oh!Edie,regardez.FortnumetMason!—Oui,Joanna,jevois,réponditEdie.Ettournantlesyeuxverssonmari:—Tentativedecorruption,Stuart?

Ilôtasonchapeauets’inclina.—Bonjour,mesdames.Nommez-leainsisivousvoulez.Moi,j’appellecelaundéjeuner.Etsepenchantpourtapoterlechien:—Hello,monvieux!Mais Snuffles, occupé à justifier son nom par une avide inspection du panier à pique-nique, ne

réponditàlasalutationdeStuartqueparunvagueremuementdesontronçondequeue.Lorsqu’ilfourrasonnezsouslecouverclepouressayerdelesoulever,leducsepenchaversleterrieretlesaisitparlemilieuducorps.

—Non,fit-ilfermement.Cen’estpaspourtoi.—Jevaisleprendre,votregrâce,intervintReevesens’avançantpourjoindrelegesteàlaparole.

Jeferaismieuxdemonterdansletrainetdel’installerdanssacaisse.—Vousallezavoirbesoindevotrebillet.Calant sa canne sous son bras, Stuart fouilla dans la poche de poitrine de sa veste en tweed à

chevronsgris.Ilentiraquatreticketsettenditlebilletdedeuxièmeclasseàlafemmedechambre.—Onvousapporteravotredéjeuner,j’aiarrangécela.—Merci,votregrâce.SurquoiReeves,cetteefficaceetimperturbablecaméristeaumaintiendegrenadier,legratifiad’un

discretsourire.Edieeutdumalàencroiresesyeux.—Qu’avez-vousfaitàmafemmedechambre?chuchota-t-elled’untonfarouche,lorsqueReevesse

futéloignée.— Edie ! murmura-t-il avec un air de reproche. En tant que gentleman, je ne puis décemment

répondreàunequestionaussiinconvenante.Ilremitsonchapeau,ôtaunbrindepeluchedesavesteet,tirantsacannedesoussonbras,porta

sonattentionverslajeunefillequi,àl’instardeSnuffles,tentaitdejeteruncoupd’œildanslapanière.—Joanna,onneregardepas!Elleseredressaaussitôt.—Maisj’adoreFortnumetMason!C’estmonmagasinfavoriàLondres.Celuid’Edieaussi.—Vraiment?Unlégersourireauxlèvres,ilcoulaunregardversEdie.—Magnifique!Cesourirereflétaitbeaucouptropd’assuranceaugrédelajeunefemme.—Voussemblezbiencontentdevouscematin,remarqua-t-elle.—Celavousennuie-t-il?Ilsouritpluslargement.—Vouscommencezdéjààvousinquiéter,hein?—Jenesuispas inquiète, je suisamusée, rectifia-t-elleavecdignité.Vouscroyezvraimentvous

gagnermesbonnesgrâcesaveccepanieràpique-nique?—Non,répondit-ilsanshésiter.Aussin’est-cepaspourvous.C’estpourJoanna.Lajeunefillepoussauncridejoie.—Pourmoi?Oh!commec’estgentil!Edie,ironique,rencontraleregardpétillantdeStuart.—Jen’arrivepasàycroire.Voussoudoyezmasœurpourfaired’ellevotrecomplice!—Quevoulez-vous,jesuissansvergogne,commenta-t-ilenluilançantuncoupd’œilfaussement

contrit.

—Ilfautvraimentquevoussoyezdésespérépouravoirrecoursàunepareilletactique,fit-elleavecplusd’assurancedanslavoixqu’ellen’enressentaitréellement.MaisJoannaestencoremasœur.Vousnepouvezpasachetersaloyauté.

—Ya-t-ildeschocolatslà-dedans?s’enquitJoanna.Ellesepenchaitdenouveau,maisStuartrefermalecouvercleduboutdesacanneavantqu’ellene

découvrelaréponseàsaquestion.— On ne regarde pas, j’ai dit. Il vous faudra attendre le déjeuner pour découvrir ce qui est à

l’intérieur.IlinterrompitlesprotestationsdeJoannaenluitendantlestroisautresbillets.—Soyezunamour,luidit-il,occupez-vousdecelapourmoi,voulez-vous?Etcommeelleobtempérait,ilsaisitl’ansedupanierpourlesoulever.—Etsinousmontions?Sansattendrelaréponse,iltournalestalonsetsedirigeaversletrain,Joannaàsoncôté.Edieleuremboîtalepas,observantStuarttandisqu’iltraversaitlequai.Bienqu’ilmaniâtlelourd

panieravecunerelativeaisance,elleneputqueremarquerlaraideurdesajambelorsqu’ilmarchaitetsedemandasielledevaitappelerunporteur.Lorsqu’ils’écartaàl’entréeduwagondespremièresclassespourcéderlepassageauxdeuxfemmes,Edielaissasasœurgravirlesmarchesets’arrêtaprèsdeStuartendésignantlepanier.

—Jedevraispeut-êtreleporter…—Non,merci.Jepeuxmedébrouiller.—Sivousnevoulezpasquejeleprenne,vousdevriezleconfieràunporteur.—Jen’aijamaisététrèsdouépourfairecequejedevraisfaire.Letonétaitléger,maisl’évidentefermetéquisous-tendaitsavoixconvainquitEdiequ’ilauraitété

inutiledediscuter.Ellegrimpadansletrain,suivitsasœurentrelesrangéesdefauteuilsàhautsdossiersquibordaientlavoiture,etneputs’empêcherdelanceruncoupd’œilversStuartpar-dessussonépaule.Ilparvint àgravir lesmarches en tenant lepanier et en s’appuyant lourdement sur sa cannede l’autremain, mais elle devina combien c’était douloureux pour lui. Remarquant la grimace qui altérait sonvisage,elleregrettadenepasavoirinsistéausujetduporteur,mêmesic’eûtétévain.

Joannalahéladel’autreboutduwagon.—Edie?Maislajeunefemmeneseretournapas,lesyeuxtoujoursrivéssurl’hommequis’avançaitàprésent

verselledansl’allée.—Etes-voustoujoursaussiabsurdemententêté?demanda-t-ellecommeils’arrêtaitpourluifaire

face.Ilsourit.—Jelecrains.Vousêtessûrequevousnevoulezpascédertoutdesuite?Vousneleregretterez

pas,jevouslepromets.—Edie!appeladenouveauJoannaavecimpatience.Cessezdelambineretvenezvoir!Plusqu’heureusedel’interruption,EdieprituneprofondeinspirationetfuitleregardgrisdeStuart.

Elletrouvasasœurunpeuplusloin,levisageéclairéparunlargesourire.—GrandDieu,Joanna,vousressemblezauchatduCheshire.Qu’est-cequivousréjouitainsi?—Voyezdoncsurvotresiège.D’ungeste emphatique, la jeune fille tendit lebrasvers ladroite, etEdie s’avançapour jeterun

coupd’œilpar-dessusledossierdesonfauteuil.Là,danstoutesagloire,étaitposéunautrepanieràpique-niqueFortnumetMason.

—Celui-ciestàvous,murmuraStuartderrièreelle.Un petit cri de surprise et de plaisir lui échappa, qu’elle tut aussitôt en pinçant les lèvres dans

l’espoirqu’ilnel’aitpasentendu.Ilcomptaitpeut-êtregagnercepari,maiselleaussidesoncôté,etellenevoulaitpasluifournirlemoindrepetitencouragement.Lorsqu’ellesetournaverslui,ellelutpourtantdanssesyeuxqu’ilétaittroptard.

Ilsouriait,plissantlecoindespaupières.—Jesuisraviquevousaimiezmoncadeau.Ilcontienttoutcequevousaimez.Dupainfraisetdu

beurreirlandais,desolives,dufoiegras,dusaumonfumé,descerises…Ilyamêmeuneboîtedevosfameuxharicotsàlatomateaméricains,bienquelaraisonpourlaquellevouslesapprécieztantresteuneénigmepourmonpalaisbritannique.

—Commentsavez-vousquecesontmesproduitsfavorischezFortnumetMason?Toutenposantlaquestion,Edieétaitsûredeconnaîtredéjàlaréponse.—Joanna,vraiment!s’exclama-t-elleaveclesentimentd’êtremomentanémentdépassée.N’est-ce

pashiersoirquenousavonsdiscutédel’importancedeladiscrétion?—Maisjeneluiairiendit!pouffaJoannaenprenantplacesurlesiègevoisin,ledostournéàla

locomotive.Pascettefois,jevouslejure.Celadit,jel’auraisfaits’ilmel’avaitdemandé.EtsepenchantpourregarderStuart:—Elleaimeaussilechampagne.Ils’inclinaverselleàsontour.—Merci,monchou.Mais,ça,jelesavaisdéjà.Voilàpourquoi,ajouta-t-ilenreportantsonattention

surEdie,leconducteurauneexcellentebouteilledeLaurent-Perrierquirafraîchitencemomentsurunlitdeglace.

—Vousavezaussipenséauchampagne?—Biensûr!Queboired’autreavecunpanierFortnumetMason?Lavraiequestion,c’est…Il s’interrompit une fraction de seconde et, lorsqu’il reprit la parole, sa voix n’était plus qu’un

murmureadresséàEdie.—Commentallez-vousmeremercier?Edie éprouva une étrange et vertigineuse sensation au creux de l’estomac, un peu comme dans

l’ascenseurélectriqueduSavoy.—Avecunsimplemerci?proposa-t-elle.—C’estsibanal.Ellevoyaitbienoùilvoulaitenvenir.—Jesupposequevouspréféreriezunbaiser?chuchota-t-elleenretour.Il se pencha plus près, et elle plongea dans ses yeux, dont les profondeurs gris argent

s’assombrirent.Ellerougitsansraison,avantmêmed’avoirentendusaréponse:—Oui,etcomment!Ediesentitunpicotementenvahirsesdoigts.—Pourquoipasici,toutdesuite?poursuivit-ilàvoixassezbassepourn’êtreentenduqued’elle.

Celachoqueraittouslespassagersdepremièreclassedansleurpudibonderiebritannique.Songezcommeceseraitamusant.

—Vousvousfaitesunedrôled’idéedel’amusement,ironisa-t-elleens’efforçantdegarderuntonaussirailleurquepossible.

Mais,àsongranddam,savoixneproduisitqu’unchuchotementétranglé.Stuartbaissalescilsetposalesyeuxsursabouche.

—Vousditescelaparcequevousnem’avezpasencoreembrassé.Lachaleurqu’elleressentaitauboutdesdoigtssepropageainstantanémentdanstoutsoncorps.Sa

peau s’empourpra, sa bouche devint sèche et ses membres inexplicablement languides. C’était unesensationsiinattendue,sidifférentedetoutcequ’elleavaitjamaiséprouvéqu’ellenesutplusquefaire.

Elleauraitvoulubouger,maiselles’ensentait incapable.Il luiauraitfalludétournerleregarddecesprunellesgriscendréetdelapromessequ’ellelisaitdansleursprofondeurssombres,maiselleneputyparvenirnonplus.

C’était justeunpanieràpique-nique,duchampagneetunbrindeflirt,commepouvait le faireunhommeenclinàlaséductionet,pasplustardquelaveille,elles’étaitditquecegenredestratégienemarcheraitpasavecelle.Lapenséequ’elleétaitpeut-êtredéjàen trainde flancher la fit sortirdesonbrouillard.

—Nousdevrionsnousasseoir,fit-ellesèchement.Lesgenscommencentànousdévisageret,malgrévostentativesflagrantesdeflirteravecmoi,jen’aiaucuneintentiondemedonnerenspectacle.

Ilsoupiraetsecoualatête.—Vraiment,Edie,oùestvotregoûtde l’aventure?Ceseracommevousvoudrez.Mais, sinous

devonsnousasseoir,vousallezd’aborddevoirvouspousserunpeu.Ellecompritcequ’ilvoulaitdireenlevoyantsouleverlepanieretreculadequelquespaspourlui

dégagerlepassage.Ilallaposerlepique-niquedeJoannasurlatabletteprèsdelavitreoùsetenaitlajeunefille,puis

ôtaceluid’Ediedesonsiègepourleplacersursatableafinqu’ellepuisses’asseoir.Enfinils’installadans le fauteuil en face du sien.Apeine eut-il déposé son chapeau et sa canne sous son siège que lesifflementdudépartretentit.

—Oùestvotrerepasàvous?s’enquitEdieenélevantunpeulavoixpoursefaireentendrepar-dessuslehalètementdelalocomotiveàvapeur.

Ilritens’adossantàsonsiège.—Aussiféruque jesoisdeFortnum, j’aipenséque troispaniers,ceseraitpeut-êtreunpeutrop

copieux.J’espéraischiperdanslevôtre.—Jen’aipasencoreregardécequ’ilyavaitàl’intérieur.Ellerenifla.—Jenesuispassûredevouloirpartager.—Vousmelaisseriezmourirdefaim?—Vousnemourrezpas.Ilyaunwagon-restaurant.OubienJoannapartageraavecvous.Vousêtes

devenusonmeilleurami,semble-t-il.IlsepenchaversEdie.—Jalouse?chuchota-t-il.Vousavezpeurd’êtresupplantée?—Non!rétorqua-t-elleavectropdevéhémence.Si,enfait,elleétaitunpeujalouse.C’étaitterrible!Ilparutliredanssespensées.— Ne craignez rien, vous êtes encore sa préférée. Je ne viens qu’en deuxième position, loin

derrière.—Troisième,l’informa-t-elleavecplaisir.Papavousprécèdedebeaucoup.—D’accord.Ainsi,vousnevoulezpaspartagervotredéjeuneravecmoi?Allons,Edie!Moiqui

vousaiapportélechampagneettoutlereste…—Vousêtescomplètementridicule,répliqua-t-elle.Maissavoixétaitloind’êtreaussisévèrequ’ellel’auraitvoulu.

—Onnemesoudoiepascommemasœur!— Mais c’est un excellent cru, le même que celui que nous avons bu ce fameux soir dans le

labyrinthe.Ellejetauncoupd’œilversJoanna,puissepenchaversStuart.—Baissezlavoix!Vousvousrappelezdonclamarqueduchampagnequenousavonsbu?—Jemesouviensdetouslesdétailsdecettesoirée,fit-ilenparlantplusbaspourluicomplaire.

Commentenserait-ilautrement?Elleachangémavie.Ladernièrefoisquenousavonsbuduchampagneensemble,ils’estpassédeschosesmerveilleuses.J’espèrequel’histoirevaserépéter.

—Vousvoulezdireque,sij’enbois,vouspartirez?Ellesourit,doucereuse.—Allezchercherlabouteille.—Vousêtesbiendécidéeàmeteniràdistance,hein?Latêteinclinée,ilétudiasonvisage.—J’adoreraissavoirpourquoi.—Non,vousn’aimeriezpascela,assura-t-elleavecconviction.Endépitduchampagne,jenesuis

passûrequevousjouiezfrancjeu,poursuivit-elleenhâteavantqu’ilnelaquestionnedavantage.Vousmettezmasœurdevotrecôté.Deuxcontreune!Oùestvotrefair-playbritannique?

—J’ai l’intentiond’employer toutes les armesdemonarsenal.Et, pour sadéfense, cen’est pasJoannaquim’aparlédevotreprédilectionpourFortnumetMason.

—Alorscommentavez-voussu?—Reeves,biensûr.Jeluiaiaussiachetéunpanier.Vousvoyez,ajouta-t-ilcommeellegrommelait,

cen’estpasdeuxcontreunemaistrois.Vousserezmêmeencoreplusécraséeparlenombrequandnousseronsàlamaison.J’auraiaussitouslesautresserviteursavecmoi.Bientôt,nousseronstousliguésdansunevasteconspirationpourvousobligeràm’embrasser.

Révoltée,elleseredressasursonsiège.—Vousnepouvezpasfaireça!cria-t-elle.Vousn’avezpasledroit!—Qu’est-cequ’ilnepeutpasfaire?intervintJoanna,depuisl’autrecôtéducouloir.Ediecompritqu’elleavaithaussélavoix.—Cen’estrien,machérie.EtsepenchantànouveauversStuart:—Vousn’aveztoutdemêmepasl’intentiondeparlerauxserviteursdenotrepari?—Jevousaiprévenuequej’useraisdetouteslesarmesàmadisposition.— Les serviteurs sont sous ma responsabilité depuis cinq ans, observa-t-elle en reprenant ses

esprits.Vouscroyezquevouspouvezgagnerleurloyautéenquelquesjours?— Je n’ai pas à la gagner, je l’ai de naissance. Je suis le duc.En outre, ajouta-t-il en se calant

contresonsiègeavecunsourire,Cecilestunnigaudetunincapablequ’onnepeutarracheràsachèreEcosse,ettouslesdomestiqueslesavent.L’espoird’avoirunautrehéritierpourleduchéinciteratousleshabitantsdeHighclyffeàcommettrelesactionslesplushonteusespournousapparier.Vousn’avezaucunechance.

Edie se laissa retomber dans son fauteuil, trop horrifiée pour répondre.Les dix jours à venir seprofilèrentsoudaincommelespluslongsqu’illuiseraitdonnédevivre.

***

IlsarrivèrentàHighclyffejusteavantl’heureduthé.

Ediemontasur-le-champdanssachambreencraignantquecenefûtbientôtsonseulrefuge.Maismêmel’intimitéhabituellementaccordéedanssonboudoiràunefemmemariéeneluifutpasoctroyée.

ElleavaitàpeinerevêtuunpeignoirrosepâleetrenvoyéReeves—aprèsluiavoirdispenséunenouvelleleçonsurladiscrétionàl’égarddesonépoux—,avantdes’étendresursonlitpourunesieste,qu’onfrappaàsaporte.

—Puis-jeentrer?LavoixdeStuart,bienqu’étoufféeparlelourdpanneaudebois,étaitreconnaissableentretoutes.Et,avantqu’Edien’aiteuletempsdeluiopposerunrefusvéhément,leducentrouvritlaporte.—Etes-voushabillée?demanda-t-ilparl’entrebâillement.Ediesautadulitenunclind’œil.—Non,jenesuispashabillée,prétendit-elleenespérantl’empêcherd’entrer.Etvousn’avezpasle

droitdevousintroduiredansmachambre.—Jenem’introduisnullepart,jesuisdanslecorridor.Etpuisquevousn’êtespashabillée,jene

regardepas.Enparfaitgentleman,jegardelesyeuxfixéssurletapis.Latêteinclinée,ilsemblaitvraimentobserverlesol.Ediecédaavecunsoupir.—Pour l’amourdu ciel, vousn’avezpasbesoinde scruter le tapis.Et je ne suis pasnue, alors

cessezd’imaginercetteéventualité.—J’imaginetoujourscetteéventualité-là,déclara-t-il.IlouvritlaporteengrandetseredressapourregarderEdie.—EnAfrique,jem’asseyaislanuitdevantmatenteetj’imaginaistrèssouventcela.—Sûrementpas!IlavaitdoncpenséàellequandilétaitenAfrique?Aellenue?Lajeunefemmes’empourpraet

sentitsoncœurfaireunelégèreembardéequin’avaitrienàvoiravecl’embarras.—Si,Edie.Ilpénétradanslapièceetsetournapourrefermerlaportederrièrelui.—Laissezouvert,luiordonna-t-elle.C’étaitunpasdetropdanssonintimité.Ilhaussainsensiblementlessourcilsdevantletonacerbedesavoix,maisnecherchapasàdiscuter.—Sivousvoulez,acquiesça-t-ilenrouvrantlaporte.Jepensaisseulementquelecorridorn’était

pasunendroitappropriépourévoquermesrêvescharnelsàvotresujetpendantmonséjourdanslebush.Dureste,poursuivit-ilenrencontrantsesyeuxà l’autreboutdelachambre, jen’aiaucuneintentiondecessercetteactivitéparticulièreàprésentquejesuisderetour.

Edierougitdavantage.Ellesesentaitvulnérableetexposée,commevraimentnue.Sedrapantplusétroitementdans lespansde soie rosepâle, elle sedétourna,prisedubesoin soudainet désespérédefairequelquechose.Ellemarchajusqu’àsacoiffeuse,s’assitetsemità tripoter lesflacons,commesichoisirunecrèmeàappliquersursesmainsétaitsoudaindevenulachoselaplusimportanteaumonde.

— Je vous demanderais bien quelles pensées vous venaient à mon sujet pendant mon absence,continua-t-iltandisqu’elleouvraitunpot.Maisjesuisàpeuprèscertainquevousn’avezjamaispenséàmoi.

—C’estfaux!Lesmotsavaient jailli toutseuls,etelleauraitvoululesravaler.Elles’efforçadeprendreunton

désinvolte.—C’eût été impossible, fit-elle, levant les yeux vers le reflet de Stuart dans lemiroir. Tout le

mondeparlaitsanscessedevous.VotrenavigationauCongos’étalaitdanstouslesjournaux.Danstouslesmagazinesscientifiques,ilétaitquestiondecepapillonquevousavezdécouvert.

Ilappuyasonépaulecontrelechambranledelaporteetobservalevisaged’Ediedanslaglace.Voyantlafaçondontilsouriait,elleregrettad’autantplusden’avoirpastenusalangue.—Ainsidonc,vouslisezlesmagazinesscientifiques?Edie préleva une noisette de crème du flacon et commença à la frotter dans sesmains avec une

vigueurtoutàfaitsuperflue.—Vousvouliezquelquechose?s’enquit-elle,impatientedechangerdesujet.—Enfait,oui.Jevenaisvousdemandersivousaimeriezprendrelethéavecmoisurlaterrasse,

prèsdelabibliothèque.Ediesefigeaenserappelantuncertainthéqu’ilsavaientprissurlaterrasse,autrefois.Lesmotsque

Stuartavaitdéclarésalorsluirevinrentàl’esprit.Pourquoipas,Edie?Aprèstout,noussommesmariés.Elleluilançauneœilladedanslemiroir.—Prendrelethéensemble?répéta-t-elleens’efforçantdeparaîtrefroideetindifférente.Celafait-

ilpartiedevosdeuxheuresd’aujourd’hui?—Jen’aipasl’intentiondel’exiger,sic’estcequevousvoulezdire.Simplement,j’aipenséquece

seraitunebonneoccasionpournousdemieuxfaireconnaissance.Deplus,ajouta-t-ildoucement,j’aidedélicieuxsouvenirsdecetteterrasse.

Elle lut de la tendresse sur son visage. C’était douloureux, car cela ne lui rappelait que pluscruellementcequ’elleauraitpuconnaîtresil’épisodedeSaratogan’étaitjamaisarrivé.

—Jenecroispasqueprendrelethésurlaterrasseavecvoussoitunebonneidée,déclara-t-elleaprèsuninstant.

—Cen’estquelethé,Edie.Joannaetsagouvernanteserontlàaussi.Ilsouritdoucement.—Vous voyez ?Mon désir de vous faire l’amour aumilieu des sandwichs au concombre va se

trouverànouveaufrustré.Seigneur!Siellenepouvaitmêmepass’asseoirprèsde luipourquelquechosed’aussi innocent

queprendrelethé,lesdixjoursàvenirrisquaientfortdedevenirinsupportables.—Oui,biensûr,vousavezraison,acquiesça-t-elleenhâte.Donnez-moiquelquesinstantsetjevous

rejoins.Ilhochalatêteetsortit.Edie se tourna vers lemiroir et nota avec chagrin la rougeur de son visage.La pensée qu’il eût

imaginésoncorpsnulatroublait,ladéconcertaitetl’effrayait,maisc’étaitlàunepeurinhabituelle.Ellesedemandaitenréalitécequ’ilpenseraits’illavoyaitvraimentainsietcraignaitqu’ilnefûtdéçu—unecrainteridicule,vraiment.Nonseulementparcequ’iln’auraitjamaisl’occasiondelavoirnue,maisaussiparcequ’ellesemoquaitbiendecequ’ilpensaitd’elle.

Edie reposabrusquementsabrosseàcheveux,se levaet tira la sonnettepourqueReevesviennel’aideràsechanger.Quantàluifairel’amouraumilieudessandwichs,ilpouvaityrêvertoutsonsoûl.MêmesanslaprésencedeJoannaetdeMmeSimmons,iln’auraitpaslamoindrechanced’yparvenir.

Chapitre10

LorsqueStuartsortitsurlaterrasse,Joannas’ytrouvaitdéjà.Asoncôté,ilreconnutlamêmepetitedame grisonnante à l’air indomptable qu’il avait aperçue sur le quai de la gare de Clyffeton — lagouvernantedeJoanna.Cequeconfirmalajeunefilleenlaluiprésentant.

—C’estunplaisirdevousrencontrerenfin,madameSimmons.JevoisquevousêtesrevenuedevotrevoyagemanquédansleKent.Ilmefautvousprésentermesexcuses,carjecrainsd’êtrelacausedecedépartsansvotreélève.

UnelueurpétilladansleregardbleudélavédeMmeSimmons.Endépitdesabouchefermeetdel’inébranlable aura de convenances qui se dégageait de sa personne, c’était là le signe qu’elle nemanquaitpasd’humouretconnaissaitbienlecôtétêtedemuledeJoanna.

— C’est aussi un plaisir de faire votre connaissance, votre grâce, et les excuses ne sont pasnécessaires,jevousassure.

Elle montra la table, où le couvert du thé avait été dressé sur une nappe d’une blancheuréblouissante.

—Puis-jevousverserunetassedethé?—Oui,merci,j’aimeraisbeaucoup.—Avez-vousvuEdie?s’enquitJoanna.Va-t-ellesejoindreànous?—Elleseralàdansuninstant.Pasdesucre,madameSimmons,ajouta-t-ilenvoyantlagouvernante

saisirlapince.Etpasdelaitnidecitronnonplus.J’aimemonthénature.—Pasmêmeunmorceaudesucre?s’étonnaJoanna.—Jemesuishabituéà leboirenaturequand j’étais enAfrique, expliqua-t-il.Nousnepouvions

guèretransporterlelait,lesucreetlescitronsdanslebush.Avraidire,jebuvaissurtoutducafé,carilétaitplusfaciledes’enprocurer.

Lagouvernanteposalatassedansunesoucoupeetlaluitenditpar-dessuslatable.—JoannaetmoiavonsludesarticlessurvotreexpéditionauCongo.N’est-cepas,Joanna?—Oui,nousavonsdévorélesjournaux,confirmalajeunefilleenétalantdelacrèmesurunscone.

Celasemblaitterriblementexaltant.Stuartpritunsandwichsurleplateau.—Plusdésastreuxqu’exaltant,jelecrains.Ilestétonnantquenousayonspuacheverl’expédition,

cartouts’estmisentravers.Nousavonsperduunchargementdeprovisions,ycomprislesmédicaments,la poudre et les cartouches, tousmes hommes ont étémis hors de combat par la fièvre pendant troissemaines,etnousavonsétéattaquésdeuxfoispardesmaraudeurs.Commesicelanesuffisaitpas,nousavions des cartographes français et anglais. C’était censé être une expédition coopérative, mais la

solidaritéabrilléparsonabsence,carilrégnaitentreeuxunerivalitéfarouche.Entantqueguide,j’étaissupposémaintenirlapaix.

—Ontrouve,semble-t-il,lemêmegenrederivalitéenmatièredereligion,intervintMmeSimmons.Notrepasteur,M.Ponsonby, est très engagédans le travailmissionnaire, ainsiquevous le savez sansdoute.Ilafaitallusionunefoisauxdifficultésqu’éprouventlesmissionnairesanglicansàopérerdanslesterritoiresfrançais,carlesautoritéscatholiquesetlesguidessemontrenttrèspeucoopératifs.

Stuarts’agitasursachaiseetneputs’empêcherdefroncerlessourcilsenentendantprononcerlenom du pasteur. Ponsonby était un moulin à paroles gonflé de suffisance qui ne connaissait rien àl’Afriqueniàsonpeuple.Heureusement,MmeSimmonsétaitoccupéeàseverserunedeuxièmetassedethé.Lorsqu’ellerelevalesyeux,ilavaitréussiàdissimulersonaversionpourlepasteur.

—Oui,M.Ponsonbys’occupebeaucoupdesœuvresmissionnaires,déclara-t-il,tâchantdenepastrahir sa véritable opinion par souci de politesse.Mais leCongo est un peu sauvage,même pour deshommes…

Iltoussa.—Pourdeshommesd’église.— Ce qui, d’après lui, accroît encore votre mérite. Il assure que l’expédition cartographique a

fournidescartesetdesinformationsquisesontrévéléesinestimablespourletravaildesmissionnaires.— Je suis ravi de l’entendre,marmonna Stuart en insufflant à sa voix l’enthousiasme approprié.

Mais, après ce voyage, j’ai décidé de conduire les expéditions suivantes exclusivement dans lesterritoiressousinfluencebritannique.C’étaitbienplusfacileàorganiser,etj’aitrouvél’Afriquedel’EstbeaucoupplusagréablequeleCongo.

—Nousavonsadmirélepapillonquevousavezdécouvert,luiditJoanna.IlestexposéauBritishMuseum.Nousl’avonsvul’andernier.

— Je ne savais pas qu’ils l’avaient exposé. La dernière fois que j’en ai entendu parler, ils nefaisaientquel’envisager.

Iljetauncoupd’œilàMmeSimmons.—Jesuisheureuxd’apprendrequevousemmenezvotreélèvedansdesendroitscommeleBritish

Museum. La gouvernante dema sœur pensait que l’apprentissage du français et l’art de la révérencesuffisaientpourunefille.

—Jenesuispasd’accordaveccegenred’éducationtrèslimitée,c’estexact,ditMmeSimmons.Maiscen’estpasàmoiquerevientleméritedecettesortie-là.C’estsagrâcequiaemmenéJoannavoirlepapillon.

Stuart aperçut une forme blanche du coin de l’œil. Levant les yeux, il vit Edie debout dansl’embrasuredelaporte-fenêtreouvertesurlabibliothèque.

—Vraiment?Celamefaitplaisir.Elles’étaitchangée,revêtantunerobedelinonetdedentelle,dontleblanclumineuxluidonnaitun

charmeradieuxtandisqu’elles’avançaitverslesoleildelaterrasse.L’image d’elle nue entre des draps blancs traversa Stuart, et il en eut aussitôt la bouche sèche,

exactementcommeladernièrefoisqu’ilsavaientprislethéensemble.—Enfait,cen’estpascela,rectifia-t-elleenmarchantverseux.Jel’aiamenéevoirlespeintures.Il

y avait une exposition deMonet, et Joanna adore l’art. Il s’est trouvé que le papillon était exposé aumêmeendroit.

—Maisvousvouliezaussilevoir,corrigeaJoannaavecuneespièglerieévidente.Vousmel’avezdit.

Ediedemeura impassible, sansmêmeune rougeur sur sonvisagequi auraitpu laisserdeviner cequ’ellepensait.

—Ahbon?Jenem’ensouvienspas.Stuartseleva.Enlaregardanttraverserlaterrasse,ilcrutdiscernerleslignessouplesetmincesde

soncorpssouslesplisfluidesdel’étoffeetfutsaisid’uneboufféededésir.Iltentadel’endiguerensepersuadantquecequ’ilvoyaitétaitunpureffetdesonimagination.Maiscelaneluifutpasd’ungrandsecours,etilfutsoulagélorsqu’elles’assitenfin,carilputl’imiteretlaisserlatablecacheraumoinsenpartiecequ’ilressentait.

Mais il ne put dissimuler l’expression de son visage, apparemment, car elle interrompit le gestequ’ellefaisaitverslathéièrepourluijeteruncoupd’œil.

—Quelquechosenevapas?Ilrepoussalesimagesd’Edienueparmilesdrapsetinventahâtivementuneexcuse.—Jesuistrèssurpris,Edie.Vousêtesdoncalléevoirmonpapillon?Elleinclinaalorslatêtepourseverserduthé,etsonchapeau,unecapelinedepailleàlargesbords

ornéederubansblancs,voilasonexpression.—Joannaetmoidésirionstoutesdeuxlevoir.Toutlemondeenparlaitàl’époque.— Il était ravissant, intervint Joanna.D’un bleu éclatant avec des points jaunes. J’en ai fait une

aquarelle.—Vraiment,monchou?J’aimeraisvoircela.Joannas’interrompit,sonsconeàmi-chemindesabouche.—C’estvrai?Rejetantsaserviette,ellelaissatomberlesconedanssonassietteetseleva.—Ediel’afaitencadreretl’amisdanslesalon.Venez,jevaisvouslemontrer.—Voyons, Joanna ! protesta Edie sans hausser les yeux, affectant une extrême fascination pour

l’assortimentdegâteauxdisposéssurleplateau.Laissez-led’abordboiresonthé.—J’irailevoiraprèsledîner,monchou,promitStuart.Etdeseréinstallersursachaisepourjouirdelavuequis’offraitàlui.Cechapeau,queldommage, songea-t-il enexaminant sonépouse. Il comprenaitqu’elle enait eu

besoinpourprotégersapeauclaire,maisilauraitaimévoirbrillersescheveuxdanslesoleil,commecetaprès-midi-là,cinqansplustôt.Sansdoutevalait-ilmieuxqu’ellelegarde,pourtant,carcettedistractionsupplémentairenel’auraitguèreaidéàtenirsondésirenbride.

Etilétaitimportantqu’ilyparvienne.C’étaitEdiequidevaitl’embrasseretnonlecontraire,hélas.GrâceàlaconsultationduDrCahill,ilpossédaitàprésentunestratégiequiluipermettraitpeut-êtrederéussir,maissamiseenœuvrerequéraituncertaincontrôleetdel’autodiscipline.Cequineseraitpasfaciles’ildevaits’exciteràlaseulevued’Edietraversantuneterrasse.

Or,ilavaitunautreproblèmeàrésoudre.Ildisposaitàsongrédelacompagnied’Ediedeuxheuresparjour,maisilnepouvaitl’obligeràacceptercequ’ilavaitentête.Obtenirsacoopérationvolontaireallaitêtreunpeudélicat,carellerisquaitfortdepercevoirtoutdesuitesesvéritablesintentions.

Lorsqu’elleachevasadeuxièmetassedethé,Stuartavaitréussiàjugulersondésir,assezdumoinspourqu’ilnesoitpastropperceptibleaumomentoùilselèverait.Enlavoyantreposersatasseetécartersaserviette,ilintervintsansluilaisserletempsdequittersachaise.

—Désirerez-vousencoreduthé,Edie?—Jenecroispas.Pourquoi?—Parceque,sivousavezfini,nouspourrionsemmenerlechienfaireunepromenade.Celanelui

ferapasdemalaprèsavoirétéenfermédesheuresdanscetrain,vousnecroyezpas?

—Snufflesadorerasepromener,j’ensuissûre.Joannaetvouspourriezpeut-être…—Joannan’apasfinisonthé,coupaStuartavantquelajeunefillepuisseouvrirlabouche.Non,

Edie,jecrainsquecenesoitànousdenousencharger.Ilavalaladernièrebouchéedesonsandwich,saisitsacanneetseleva.—Venez.Vouspouvezpasserlesdeuxheuresquiviennentàmemontrerlesaménagementsquevous

avezfaitsenmonabsencedanslesjardins.Ellecompritsesintentionsdèsqu’ileutmentionnéladurée.Hochantlatête,elleseleva,bienqu’un

peuàcontrecœur,tandisqu’ilcontournaitsachaisepourdécrocherlalaissedecuirattachéeaudossier.—Viens,monvieux,dit-il auchiencomme ils sedirigeaientvers l’escaliermenantà lapelouse

sud. Je refuse de t’appeler Snuffles. Pourquoi ta maîtresse a jugé bon de gratifier un superbe terriercommetoid’unnomaussiridicule?Celam’échappe.

—Jenesuispasàblâmer,protestaEdieentournantdansl’alléegravillonnéequicoupaitlapelousejusqu’auxjardins.C’estJoannaquil’abaptisé.

— Et vous lui avez permis de donner ce nom à un norwich-terrier qui possède un impeccablepedigreecentenaire?Edie,vraiment!

— Eh bien, elle n’avait que onze ans à l’époque et elle venait de perdre son chat. Dans cescirconstances,jemesentaisincapabledeluidirenon.Jel’aigâtée,jesais,ajouta-t-elleavecunsoupir.

—Eleverunenfantn’estjamaisfacile,j’imagine,surtoutquevoussemblezavoirassumélatâchetouteseule.Maisvotrepère?

—JepréfèreavoirJoannaprèsdemoi,etmonpèretrouvecommodedemesatisfairesurcepoint.Cen’estpasunsentimentrarechezunveuf.Eleverunefilleauraitempiétésurlaviequ’ilmène,voyez-vous.

Stuartvoyait fortbien,mêmedavantagequ’elle lepensaitsansdoute.L’impressionque lui faisaitsonbeau-pèreavaittoujoursétécelled’unhommequiaimaitàarrangersavieenfonctiondecequiluiconvenait.

Lesparolesdelajeunefemmevinrentconfirmercesentiment:—Papanousrendvisitetouslesans,s’assurequetoutvabienpournous,puisretournejoyeusement

àsamaîtresseetàsesaffaires.Iladorelaviequ’ilmène—boireàl’OakRoom,jouerauxcartesàlaMaisonàlaportedebronze,faireduyachtàNewport…toutcelaluiplaît.

—Ilpossèdeaussideschevauxdecourse,jecrois?—Oui.QuelquechosedanscetteréponsebrèveetsèchealertaStuart.Illuijetaunregardencoinmaisne

remarquariendeparticulierdanssonprofil.Ellesemblaitaussiimperturbablequedecoutume,etilenconclutqu’ils’étaitfaitdesidées.

— Et cela vous est égal ? questionna-t-il, curieux. C’est une lourde responsabilité d’avoirentièrementlachargedeJoanna,etcen’estpasvraimentàvousd’assumercela.

— Je n’aimerais pas qu’il en soit autrement. J’adore Joanna et j’aime l’avoir avec moi, nonseulementparcequec’estmasœur,maisparcequ’elleestdebonnecompagnie.Et…

Elles’interrompit,ralentissantlepasavantdes’arrêter.Stuarts’immobilisaàcôtéd’ellesurlesentier.—Et?—Jedétestel’idéedelaconfieràquiquecesoitd’autre,répondit-ellelentement.Jeveuxveiller

moi-mêmesurelleàchaqueinstant.Jeveuxêtresûrequ’elleestheureuse,choyéeetensécurité.—Biensûr.Jeressentiraislamêmechoseàvotreplace.Mêmesijenesuispascertainqu’expédier

masœuràl’écolem’auraitfendulecœuràcepoint,corrigea-t-ilenriant.MaisNadineestNadine,bien

sûr.J’auraisdûl’envoyerauloinfinirsonéducationbienavantsesquinzeans,carellemerendaitfou.Masœurestuneravissanteetgentilletêtedelinotte,ainsiquevousavezdûvousenrendrecompte.

Ediepouffaàsontour.—Unejeunesœurintelligenten’estpasnécessairementuncadeau,voussavez.Joannaestbeaucoup

tropfutée.—Oui,j’airemarqué.C’estpourquoivousnedevriezpastroptarderàl’envoyeràl’école.Elleluijetaunregardméfiant.—Pourquoidites-vouscela?Vouscraignezquejel’utilisecommechaperon?—Non,Edie.Jediscelaparcequejepensesincèrementquel’écoleseraitunebonnechosepour

elle.EtWillowbankestuneexcellenteinstitution,àlafoispourlapédagogieetpourlesarts.Ceseraitstimulantpourelleetlaprépareraitaussiàfairesonentréedanslemonde.Aprèstout,c’estpourcetteraisonqu’onappellecelaune«écoledebonnesmanières».

—Jesais,et jenetemporisepas.Non,vraiment, insista-t-elleenréponseauregardsceptiquedeStuart.

Ellerepritdoucementlamarche.—C’est seulement qu’elle n’ira pas àWillowbankmaintenant, puisque nous devons partir pour

NewYork.Il ne discuta pas sur ce point et tira sur la laisse. Le chien, qui s’étaitmis à creuser parmi les

alchémillesbordantlechemin,revintverslui,etleducemboîtalepasàEdie.—Allonsautempleromain,proposa-t-il.Ildésignadumentonunsentierdallépresquerecouvertdeserpoletetceintdetouffesdefenouilet

detigesdemolène.—Ilm’estunpeuplusfaciledemarchersurdesdallesquesurcegravier.—Biensûr.Vousauriezdûledireplustôt,legronda-t-elletandisqu’ilss’engageaientsurlasente.

Etes-voussûrquevousvoulezpassercesdeuxheuresàmarcher?—Aumoinsunepartie.Saufsi…Il s’arrêta et jeta un coup d’œil vers son profil, charmé par les jolies éphélides dorées qui

parsemaientsonnezetsa joue.Desonregardexpert, ilapprécia la lumineusequalitédesapeauet laformedélicatedesonoreillesouslechapeauàlargesbords.

—Marchersemblait lameilleurechoseàfairemais,sivousavezunesuggestionplustentante, jevousécoute.

Un rose très doux colora les pommettes de la jeune femme, et il aima cela aussi. Sa tendance àrougirétaitl’unedesrareschosesquiluipermîtdesupputercequ’ellepensait,etencetinstantilavaitbesoindetouslesindicesqu’ilpouvaitglaner.

—Jevoulaisseulementdirequejenedésiraispasvousvoirsouffrir,fit-ellesèchement.Etj’aieul’impressionquemarchervousétaitpénible.

—C’estvrai,maismajambevamieuxensuite.Etpuisj’aimemarcheravecvous,ajouta-t-il.Vousnemepressezpas,etjevousensuisreconnaissant.Merci.

—Iln’yapasdequoimeremercier.N’importequienferaitsûrementautant.—Non,vousvous trompez.Laplupartdesgensont tendanceàaller tropvite,puis ils s’arrêtent

pourm’attendre,etcelamegêneterriblement.Aussijemarcheseuld’habitude.Mais,vous,vousnemepressezpasninemontrezlamoindreimpatience,etcelameplaît.

IlsdébouchèrentdanslejardinRomain.Conçusurlemodèled’unecourdePompéi,ilpossédaitunefontaine centrale, bordée sur trois côtés par une bande de gazon et un épais rideau d’arbres et debuissons. Sur le quatrième côté se dressait le temple enmarbre construit par l’arrière-grand-père de

Stuart, une vaste structure en calcaire ornée sur le devant de colonnes demarbre et coiffée d’un toitd’ardoise.Souslefrontonétaitdisposéunbancenferforgéd’oùl’onavaitvuesurlafontaine.

Stuartdécidaquec’étaitlemomentoujamaisd’aborderlesujetpourlequelilavaitamenéEdieici.—Malgrétout,jeneverraispasd’inconvénientàm’asseoirunpeu,ajouta-t-ilendésignantlebanc.

J’aitoujoursaimécettepartiedujardin.C’estl’undemesendroitsfavoris.J’avaisl’habitudedevenirylire.

—Vraiment?—Voussemblezsurprise.—Jelesuis,carmoiaussij’aimelireici.Jesaisqu’onl’appellelejardinRomain,maismoijele

nomme le jardin Secret, parce qu’il est caché dans ce coin isolé. C’est tranquille ici, paisible. Et jetrouvelebruitdelafontaineapaisant.

—Jeressenslamêmechose.Nousavonsdoncquelquechoseencommun.Ilsourit.—Unebonnechosequandonestmarietfemme,vousnecroyezpas?Elle ne répondit pas, mais en tant qu’optimiste il se dit que c’était bon signe. Ils gravirent les

marches de calcaire, et Stuart attacha la laisse du chien autour de l’un des pieds du banc. Snufflescommença aussitôt à fourrager parmi les alchémilles et les épiaires jaunes qui bordaient lesmarches,pendantquesonmaîtreétalaitsonmouchoirsurlesiègepourEdie.

Ilss’assirent,etStuartgrimaçaens’appuyantcontreledossierornementé.—Sinousdevonsvenir lire ici ensemble,nousdevrions investirdansunsiègeplusconfortable.

Celui-ciestunpeudurpouryrestertroplongtemps.—C’estvrai.Celanem’étaitpasvenuàl’idée,carjem’étendstoujourssurlapelousequandjelis.Elledésignauneétendued’herbeàl’ombred’unchênenoueux.—Précisémentlà.—Jefaisaislamêmechose.Il déposa sa canne et étendit sa jambe devant lui, heureux de constater que la marche l’avait

détendue.—Mais,àprésent,m’allongersurlesolseraitunpeudifficile.—Votrejambevamieuxqu’audébutdenotrepromenade,j’espère?—Oui,merci.Ilsetutuninstantavantd’ajouter:—Aufait,j’aiconsultéundocteurhieràLondres.—Ahbon?Voussembliezyêtrefarouchementopposéquandjevousl’aisuggéré.Illuijetaunregardrésigné.—C’estl’œuvredelordTrubridge.PendantquevouspreniezlethéavecladyBelinda,sonmarime

traînaitàHarleyStreet.—Etledocteurvousa-t-ilprescrituntraitement?—Oui.Ilsetournaverselle.—Mais,poursuivresesprescriptions,votreaidemeserautile.—Monaide?— Le docteur me recommande des marches quotidiennes, suivies d’exercices pour étirer les

muscles de ma jambe, et enfin d’un massage avec un liniment spécial. Pour cela, j’aurai besoind’assistance.

Elleécarquillalesyeuxenprenantconsciencedecequ’illuidemandait.

—Vousvoulezqueje…massevotrejambe?Autonqu’elleavaitpris,onauraitpucroirequ’ilétaitquestiondesauterduhautd’unefalaise.—Oui.Et les étirements sont plus efficaces si on lespratique avec l’aided’une autrepersonne.

Aussiaurai-jebesoindevotreaidepourcelaaussi.Ellesecoualatêteavantmêmequ’ilaitfinideparler.—Non,jenepeuxpas.Jeneveuxpas.Vousnepouvezpasattendredemoique…—Si, je lepeuxet je le fais, interrompit-il. Je souffre,Edie. Je croyaisqu’onnepouvait rieny

faire,maisleDrCahillm’aconvaincuducontraire.Seulementsontraitementm’obligeàrequérirvotreaide.

—Jenevoispaspourquoiceladevraitêtremoi.Sûrement,unvalet…—Jeneveuxpasdenouveauvalet.—Oui,j’avaiscruledeviner.Savoixs’adoucitunpeu.—Mais,Stuart,ilfaudrabienquevousremplaciezJonesàunmomentouunautre.—Je lesais.Et je leferaisansdoute,mais jenesuispasprêt,Edie.Pasencore.Et,mêmesi je

l’étais,celan’ychangeraitrien.Pourcela,c’estvotreaideàvousquejeveux,àvousseule.Elledétournalesyeux,croisantetdécroisantlesdoigts.—Silebutestd’atténuervotredouleur,peuimportequivousassiste.Jenevoispasenquoic’est

important.—C’estimportantpourmoi.Iltenditlamainetsaisituneboucledecheveuxd’Ediequ’ilenroulaàsondoigt,telleuneflammede

soie léchantsapeaubronzée. Il la remitenplaceetentendit la jeunefemmereprendrebrusquementsarespirationlorsqu’illuieffleuralelobedel’oreille.

—Aussiombrageusequ’unegazelle,murmura-t-il.Etenserrantlajouedelajeunefemmedanssapaume,iltournasonvisageverslui.Elleseraidit.—Jene…S’interrompant,ellebaissalesyeux.—S’ilvousplaît,nemetouchezpas.Endépitdecetteinjonction,ellenereculaninedétournalatête,etilenprofitapourfaireglisser

sonpoucesurladouceurveloutéedesabouche.Leslèvresd’Edietremblèrent,maislajeunefemmedemeuraimmobilesouscettelégèrecaresse.—Pourquoipas?Est-cevraimentsiterriblequandjevoustouche?Il s’envoulutà l’instantmêmeoù ilposa laquestion.Quepourrait-ilbien faire si elle répondait

oui?—Cen’estpas…Ellesetut,maissanss’écarterdavantage.—Cen’estpasopportun.Là,c’étaittoutdifférent,etStuartenfutsoulagé.— Pas opportun ? Je sais que nous sommes presque des étrangers l’un pour l’autre, mais nous

sommesmariés.Pourquoitantderéticence?Tandisqu’ilprononçaitcesmots,uneexplicationpossibleluivintàl’espritetillaissaretombersa

main,surpris.—Edie,êtes-vousencorevierge?Lajeunefemmes’empourpra.

—Voilàunequestiontoutàfaitinconvenante!s’écria-t-elleensautantsursespieds.Vousn’avezpasledroitdemedemanderunechosepareille!

Stuartselevaàsontour.—Etantvotremari,jepensequej’ailedroit.Dansdescirconstancesordinaires,biensûr,unépoux

n’auraitjamaisàposercettequestionàsafemme,dumoinspasaprèsleurnuitdenoces.Maisnousnesommespasdansdescirconstancesordinaires,etilestimportantpourmoidelesavoir.Avez-vousdéjàfaitl’amour?

Elledétournalesyeux,unemainpresséesursonfront,etémitunbreféclatderire,commesielleneparvenaitpasàcroireàcetteconversation.

—Non,répondit-elled’unevoixétranglée,levisagecramoisi.Jen’aijamaisfaitl’amour.Elleledévisagea,surladéfensive.—Celasatisfait-ilvotrecuriosité?Ilprituneprofondeinspiration,puissoufflalentement.Cetterévélationéclairaitd’unautrejource

qu’illuidemandaitdefaire.Ilavaittoujourspenséqu’EdieetceVanHausenavaientétéamants,maisilétait clair que cela avait été une supposition erronée de sa part. En la circonstance, n’importe quelincident,qu’ilfûtbanalouinnocent,pouvaitavoirnoircilaréputationd’unedemoiselle.

Celaexpliquaitsaréticence.Chezbeaucoupdejeunesfemmes,lamodestieconfinaitàlapruderie.Depuis leur naissance, on leur martelait que c’était là une vertu. L’appréhension virginale était fortrépandue,surtoutsiunejeunefillen’avaitpasbeaucoupdesoupirantsetsiellen’avaitpasdemèrepourluiexpliquerlesréalitésdelavie.

—Merci,Edie,fit-ilaprèsuninstant.Mercidem’avoirditlavérité.Elletransféralepoidsdesoncorpsd’unpiedsurl’autre,malàl’aise.—Oui.Ehbien,maintenantquevoussavez,vousvoyezcertainementpourquoicequevousattendez

demoiestimpossible.—Jenevoisriendetel.Amesyeux,celarendcequej’attendsdevousencoreplusnécessaire.—Vousn’êtespassérieux!Jen’aiaucuneintentionde…de…vousmasserouvousétireroujene

saisquoi.Jeneleferaipas.—Etes-vousentraindemedirequevousrevenezsurnotrepari?Sic’estlecas,vousferiezmieux

de déchirer tout de suite cet accord de séparation à l’amiable, parce que vous n’avez pas lamoindrechance d’obtenir ma signature d’ici neuf jours, àmoins que vous ne vous conformiez aux termes surlesquelsnousnousétionsmisd’accord.

—Jenevouspermettraipasdemefairedesavances!—Jevousavaisprévenuequejenem’enpriveraispas.Maisilnes’agitpasd’avancesici,carje

nevoustoucheraipas.C’estvousquimetoucherez.—Jenevoispasladifférence.— La différence, c’est que vous aurez le contrôle absolu de la situation. Je pensais que vous

aimeriezcela,ajouta-t-ilcommeellesecouaitlatêtedansungestederefus.Vousêtessiautoritaire…Elleparutprendreombragedecequalificatifetsehérissa.—L’accusationestpiquantevenantdevous.C’estvousquidonnezlesordres,semble-t-il!—Seulementdeuxheuresparjour.—Vousfaitescelaparcequevouscroyezquecelam’amèneraàvousdésirer.—Jesuisaussitransparentqu’unverre,apparemment.—Celanemarcherapas,Stuart.Lanuancedésespéréequ’ilperçutdanssavoixluifitespérerqu’ellementait.Ellebaissalatêteetfixalesol.

—Non,celanemarcherapas.Maisilrefusaitd’envisagercetteéventualité.—Jesouffre,Edie,et j’ensuis las.Jeneveuxpasboireà l’excèsnimedroguerau laudanumet

j’aimeraisbienêtrecapabledemarcherunpeusansavoiràtraînermajambecommesielleétaitenbois.Jedoutaisqu’onpuisseyfairequoiquecesoit,maisleDrCahillm’aassuréquecetraitementréduiraitsignificativementladouleuretaccroîtraitmamobilitésijem’ysoumettaisquotidiennement.Etcommejepeuxdisposerdedeuxheuresparjourdevotretemps,voilàcommentj’entendsl’utiliser.

—Pourl’amourduciel,cria-t-elle,c’estabsolumentridicule,absurde,inutile…Elles’arrêta,clairementàcourtd’adjectifs.Puisellesoupiraenfin,excédée.—Oh ! trèsbien…,marmonna-t-elle en sedétournantpourdétacher la laissedeSnuffles.Faites

commevousvoudrez.—Alorsvousacceptez?Laquestion lui avait échappé.Surprispar cette capitulation inattendue, il enoubliait qu’il ne lui

avaitpaslaissélechoix.—Merci.Elleseredressaetletoisadesesyeuxvertsetfroids.—Ceseraitstupidedevouscontrer.Noussavonstousdeuxque,sijerefuse,jeperdraipardéfaut,

cequin’estpasdansmesintentions.Enoutre,sivotrejambecicatriseconvenablement,vousdéciderezpeut-être de repartir en Afrique, et je pourrai vivre ici à Highclyffe sans vous, comme je l’ai faitjusqu’ici.

Etsecouantlalaisse:—Viens,Snuffles,ordonna-t-elleavantdetournerlestalonspourregagnerlamaison.—Nouscommenceronsdemainaprèslethé,luicria-t-ilcommeelles’éloignait.Etn’oubliezpasde

mefairesavoircequevousaimeriezquenousfassionsdurantvosdeuxheuresàvous.—Oh!jenemanquepasd’idées,lança-t-ellepar-dessussonépaule.Faites-moiconfiance.Endépitdelavéhémencedecettemenace,Stuartsesentitsoulagémalgrélui.Aumoins,Edieavait

acceptésonplan.Sielleavaitcontinuéàlecontrecarrer,iln’auraitsuquoiessayerd’autre.Quantàcequ’elleluiconcoctait,toutcequ’illuirestaitàespérer,c’étaitqu’elleneleprendraitpaspourcibleavecunpistolet.

Edieétaitunerousse,aprèstout.

Chapitre11

Lui tirer dessus n’était pas du tout ce qu’elle avait à l’esprit, Stuart le découvrit l’après-midisuivant.Maislafaçondontellecomptaitemployerleurmomentensembleétaitpresqueaussiterrible.

—Jenesauraisvousdirecombiennous,gensd’église,apprécionsvosefforts,votregrâce,répétaM.Ponsonbypourlacinquièmefoispeut-êtredepuisqu’EdieetStuartétaientarrivésaupresbytèrepourprendrelethé.

LepasteuradressaàStuartunsourirebéatifique.—Vousnousavezremarquablementpréparélavoie.S’ilavaitsuàquelpointceseraitremarquable,Stuartauraittoutbonnementrenoncéàl’expédition.

Maisiln’enditrienetsecontentasagementd’enfournerunebouchéedegâteauaucumin.— Vos cartes nous ont permis d’apporter la parole de Dieu jusque dans les jungles les plus

profondesd’Afrique,l’informalepasteur.Lesâmesdebiendespauvresbébésnoirsontétésauvéesparle baptême depuis que nosmissionnaires ont pénétré à l’intérieur du continent, tout cela grâce à vosefforts.

Stuarts’efforçadesourirepoliment.—Je suis ravi de l’entendre, assura-t-il en se retenant d’observer quedesmédicaments et de la

nourritureauraientétéplusutilesauxnatifsquedesimmersionsdansleCongo.—Ettantdeprécieuxtravailestencours!Permettez-moidetoutvousraconter.—Non,non,vraiment,cen’estpasnécessaire,protesta-t-ilenhâte.—Oh!maisj’insiste.Vousdevezsavoirtoutcequevotreexploration,sicourageuseetaudacieuse,

afaitpournotreœuvremissionnaire.MêmeSaMajestélareineaététrèsimpressionnée.C’estunedemescousines,voussavez,etelletientnotretravail—etlevôtre,biensûr—entrèshauteestime.

StuartcrutentendreEdie,assiseàcôtédeluisurlesofa,émettreunsonétouffé.Et le pasteur de se lancer dans une longue et pompeuse dissertation sur les églises qu’on avait

bâties,lescaissesdevêtementsenvoyéesparbateau—descolsdursetdescorsets,sansaucundoute—etlenombred’âmesperduesqu’onavaitsauvées,tandisqueStuartavalaitbouchéesurbouchéedegâteauenjetantdesregardsfurtifsverslapendule.

Après plus d’une heure de cet incessant monologue, pourtant, il ne put s’empêcher de placerquelquesmots.

—Vousavezpuconvoyerdelanourrituredanscertainsdeceslieuxdurantlafamine,jesuppose?Lepasteurcilla.—Delanourriture?—Ehbien,oui.

Stuartarboraunsouriredésolépouravoirinterrompuleflotdesexploitsmissionnaires.—Lanourritureestassezimportante.Ilsnepeuventpasmangerleséglisesetlesvêtements,voyez-

vous,ajouta-t-ilavecunefeintejovialité.—Lanourritureducorpsest importante,biensûr,concédaPonsonby,quis’adossaàsonsiègeet

croisalesmainssursonventreprotubérant.Maisc’estlanourrituredel’espritquicompteavanttout.—Toutàfait.Stuartpassaundoigtàl’intérieurdesoncolenjetantunnouveauregarddésespéréversl’horloge,

maiscommeilrestaitencoreplusdetrenteminutessurletempsimpartiàEdie,ilsesentitobligédefairedévierlaconversationversunsujetunpeumoinsnauséeux.

—J’espèrequevoustrouvezquenousavonsbienremplinosdevoirsicipendantmonabsence?—Oui,biensûr.Oh!toutàfait!LepasteuradressaàEdieunhochementdetêtebienveillant.— Sa grâce s’est montrée très généreuse envers la paroisse. Très. Ventes de charité, fêtes,

donations, souscriptions… Si je puis me permettre, sa grâce a tendance à accorder un peu tropd’importanceànotrepetithameau—nonpasquejecritique,votregrâce,ajouta-t-ilenesquissantversEdieungested’excusedesamainpotelée.Maisjesouhaiterais,fit-ilenreportantsonattentionsurStuart,queladuchessepossèdecettevisiondeschosespluslarge,plusuniverselle,quenouspossédonsvousetmoi,votregrâce.

Stuartsautasurcespropos,ravid’ytrouverl’occasiond’unepetitevengeance.—Jecrainsqueladuchessen’aitunregardféminin,moncherpasteur,fit-ilavecgravité.C’est-à-

direunpeuétroitetlimité.Edies’étouffaavecsonthé,cequeStuartappréciafortenlacirconstance.—Oui,oui,réponditlepasteur.Nousautreshommespossédonsuneplusgrandefacultédeprendre

lemondeenconsidération.Lesdamessontplusenclinesàs’occuperdeschosesmineuresdelavie.—Exactement,s’empressaderenchérirStuart.Maisnousdevons tolérerdusexefaible lespetits

caprices,n’est-cepas?Cetteremarqueluivalutuncoupdecoudebienplacédanslescôtesmais,fortheureusement,incita

EdieàabrégerlesuppliceduthéchezPonsonby.—Pardonnez-nous,maisnousdevonsvraimentyaller,annonçalajeunefemmeenreposantsatasse.

Celafaitseulementdeuxjoursqueleducestàlamaison,ajouta-t-elleenselevant,etnousavonstantdevisitesàfaire.

Stuartrepritsacanneetfutsursespiedsavantquelepasteurnepuisseprotester.Ilétaitbientropsoulagéparleurdépartimminentdupresbytèrepours’inquiéterdesautresvisitesaffreusesqu’Edieavaitprévues.

—Oui,renchéritleducd’untonferme.Beaucoupdevisites.—Biensûr,biensûr…Lepasteur,quipassaitvisiblementbeaucoupdetempsàmangerdessandwichstoutenpontifiantsur

l’étatspiritueldumonde,eutdumalàs’extirperdesonfauteuilmaisfinitparlesreconduire.— Vous verrai-je au service le plus matinal, dimanche, ou au second ? s’enquit-il en les

raccompagnantjusqu’auvestibule,tandisquesaservanteenouvraitlaporte.Nil’unnil’autre,voulutrépondreStuart.MaisEdieluicoupalaparole.—Lepremier,bienentendu,fit-elleensouriant.Leducesttrèsimpatientd’assisterauxservices.—Bien sûr, bien sûr.Alors nous vous attendrons pour celui du début de lamatinée.Et j’espère

pouvoirvousentretenirendétaildenosœuvresmissionnairesdenombreusesfoisàl’avenir,votregrâce.

Stuart ne réussit à cacher son manque d’enthousiasme que le temps de franchir le portail dupresbytère.

— Il peut toujours les attendre, ces conversations, déclara-t-il à Edie comme ils reprenaient lechemindelamaison.Plutôtêtretorturéavecuninstrumentenusagesousl’Inquisitionmédiévalequedediscutersurl’Afriqueaveccethomme.

Ediesetournaversleducenécarquillantlesyeuxd’unairquisevoulaitsurpris.Maisc’étaitbienunsourirequijouaitauxcoinsdesabouche.

— Mais, Stuart, ne brûlez-vous pas d’en entendre davantage sur les âmes des pauvres bébésafricains?

—Desbébésquin’ontpasbesoindenourriture,apparemment,grogna-t-ilentirantsursacravate.J’avaisoubliéàquelpointcethommeétaitstupide.Quelpompeuximbécile,vraiment!

Ediesemitàrire.—Oui, n’est-ce pas ?Oh ! vous auriez dû voir votre tête quand il vous a remercié pour votre

explorationquiluiapermisd’étendresonœuvremissionnaire.C’étaitindescriptible!—Jesuisheureuxd’apprendrequevousvousêtessibiendivertieàmesdépens,marmonnaStuart.Et ilsedemandaavecdépitsielleavait l’intentionde l’obligeràprendrequotidiennement le thé

aveclepasteur.Ilpivotaverselle,etsamauvaisehumeurs’évanouitsur-le-champ.Edieleregardait,illuminéed’un

largeetdélicieuxsouriredontlavueluicoupalesouffle.—D’unautrecôté,sivousdevezsourireainsichaquefoisquevousvouspayezmatête,jecroisque

jepourrailesupporteravecplaisir.Elle détourna aussitôt les yeux, et son expression amusée disparut. Mais le petit geste semi-

inconscientdesamainqu’elleportaàsoncouappritàStuartqu’elleétaitplussensibleaucomplimentqu’ellenel’auraitvoulu.

—Alorsvousneverrezpasd’inconvénientàcequenousfassionsuneautrevisitesurlecheminduretour?Nousn’avonspasencorerencontréM.Smithers,lenouveauvicaire.

—Edie,non!gémitStuart.D’abordlepasteuretmaintenantlevicaire?Ellemontraunealléeétroitequipartaitd’unembranchement.—Soncottageestjustelà.—Maisc’estlamaisondugarde-chasse.—Non.J’aifaitconstruireunnouveaupavillonpourlegarde-chasseilyaquelquesannées,plus

prèsdubois.Celui-ci,étantsiprèsdel’égliseetdupresbytère,convientbeaucoupmieuxauvicaire.Elles’interrompit,hésitante.—Peut-êtrecelavouscontrarie-t-il?—Maisnon,jetrouvequec’estunebonneidée.Vousavezbienfait.Il l’observa et eut l’impressionque sesparoles lui plaisaient.Lorsqu’elle s’engageadans l’allée

menantaucottage,ilrestapourtantsurlaroute.Luifaireplaisir,d’accord,maispasjusque-là.Elles’arrêtaquelquespasplusloin.—Vousnevenezpas?—Jenerendraipasvisiteauvicaire.Lepasteur,celasuffitpourlajournée.D’ailleurs,ajouta-t-il

commeelles’apprêtaitàargumenter,nousn’avonspasletemps.Ellejetauncoupd’œilàlamontreépingléeaureversdesoncostumedemarche.—Maisilmerestevingtminutes.—Cequin’estguèresuffisantpourunevisite.Vouspourrezdéduirecesvingtminutesdemontemps

àmoi, proposa-t-il, prêt à tout pour éviter une autre conversation avec unmembre de la communauté

religieuse.—Oh!trèsbien,fit-elleavecunsouriremielleux.Sivoustenezàêtreaussitatillonsurletemps…—JeleseraisivousinsistezpourmefairerencontrerdesgensaussiterriblesquecePonsonby.—Cen’estpasgrave,de toute façon.Vous ferez laconnaissancedunouveauvicairequandnous

assisteronsàl’officedusoir.—L’officedusoir?Illaregarda,biendécidéàremettrelespendulesàl’heure.—Jeseraipeut-êtreobligéd’allerauservicedudimanche,mais jen’assisteraicertainementpas

auxprièresdusoirenplus,surtoutaveccetidiotdePonsonby.Non,Edie.C’estallertroploin!—Maisj’assistetoujoursàl’officedusoir.Nousréunissonsensuitelecomitépourlesventesde

charité.Vousdevriezyveniraussi,c’estlemoyenidéalpourvousdereprendrecontactaveclasociétélocale.GrandDieu, commevous semblez inflexible ! ajouta-t-elle en le voyant secouer la tête.Alorsvouspréférezabandonnertoutdesuiteetsignernotreaccorddeséparation?

Illuijetaunregardoblique.—Vousêtessérieuse?—Biensûr,assura-t-elleenreprenantlamarche.M.Ponsonbypourraensuitetoutvousracontersur

leseffortsdesmissionnairesenAmériqueduSud.Apeineavait-elleprononcécesmotsqu’elles’esclaffadenouveau.—Aprèstout,vousautreshommes,vousvousintéressezbienplusquelesfemmesauvastemonde.—Levastemonde,monœil,grognaStuarten luiemboîtant lepas.De toutesavie,ce typen’est

jamaisalléplusloinquelesfalaisesdeDouvres.Jenemesouvenaispasquec’étaituntelimbécile.Etsiennuyeux.Commentai-jepuoubliercesaffreuxsermonsdudimanchequejedevaisendurerquandj’étaisicipourlesvacances?

—Ilssonttrophorriblespourêtredécrits,agréa-t-elle.Lamoitiédelacongrégations’endort.—Rienn’obligeàcequ’ilensoitainsi.Jesuisleduc,aprèstout.Jepeuxlerenvoyerettrouverun

nouveaupasteur.— Je doute que vous puissiez le faire. C’est un cousin de la reine, vous savez, ajouta-t-elle en

prenantletonhautaindePonsonby.Stuartémituneexclamationmoqueuse.—Laparenté est si lointaine qu’onpeut difficilement la prendre en compte. Je suis plus proche

parentqueluideSaMajesté.—Ilyacependantdeschosesquinesefontpas,etrenvoyerlepasteurenestune.Vousallezdevoir

lesupporter,jecrainsqu’iln’ensoitainsi.Stuartsourit.—Vousavezdoncapprisqu’ilestparfoisvaindeluttercontrelestraditions?—Oui,absolument.Luttersanscessecontredessièclesd’habitudesestbientropépuisant.Ilricana.—Wellesleym’alaisséentendrequevousaviezeuquelquesdifférends,touslesdeux.—Oui,nousavonseunosproblèmes,soupira-t-elle.Ilvousatoutraconté,jeprésume?—Oh!non. Ilest tropdistinguépoursemontrer indiscret.Mais iladéclaréquevousaviezune

façon—commenta-t-iltroussécela?—unefaçontrèsaméricainedefaireleschoses.Edieparutamusée.—Quelleultimeinsulte!Maisnousnousentendonstrèsbienàprésent, luietmoi.Noussommes

parvenusàunesortedecompromis.Jeluidiscequejedésire,ilm’informedelafaçondontonprocédaitautrefois,jeleremerciebeaucoupetlepriedefairedésormaiscommejel’entends.

Stuartéclataderire.—Alorsc’estl’idéequevousvousfaitesd’uncompromis?—Ehbien,oui,admit-elleenriantaveclui.Jesuisladuchesse,aprèstout.Celadit,cen’estpas

facile.Dirigerungranddomainecommecelui-ciestuntravailépuisant.—Oui, c’est fatigant, acquiesça-t-il en lui jetantun regarddecôté.C’estpourquoi il vautmieux

avoirunpartenaire.—Alorsjecrainsquevousnesoyeztoujoursépuiséàl’avenir.CetterépliqueacerbeamusaStuart.—Vousêtessi têtue,Edie.Maisbon, je l’ai toujourssu.Allons,dites-moiquelssontvosprojets

pourdemain.— J’ai pensé que nous pourrions parcourir les livres de comptes avec M. Robson. C’est

indispensable,ajouta-t-elleenl’entendantgrogner.— Nous pouvons le rencontrer si vous insistez, mais je n’irais pas jusqu’à dire que c’est

indispensable.—Ilfautquevousvousprépariezàreprendreleschosesenmain…,fitEdie.Aprèsmondépart.Yavait-ilunbrindemalicedanscesderniersmots?Ill’espérait.—Jerefused’envisagerlapossibilitéquevousmequittiez.Jepréfèredebeaucoupimaginerque

nousgéreronsleschosesensemble,entantquemarietfemme.—Etc’estmoiquevoustraitezdetêtedemule?Ilgrimaça.—Jecroisqu’enl’occurrencenousnousvalons,Edie.Doncuneréunionaveclerégisseur,c’estce

quevousdésirezpourdemain?Vraiment?—Vousavezbienditquejepouvaischoisir.—Vouspourriezaumoinschoisirdeschosesamusantes,grommela-t-il.—Vousnevousêtespasamuséaujourd’hui?s’indigna-elle.Quellehonte!Elledétourna la tête,maisStuarteut le tempsd’apercevoir lesourireespièglequi retroussaitses

lèvres.—Moi,jemesuisbienamusée.

***

Leplaisirqu’Edieavait retirédecette journéeserévélanéanmoinsfugace.Depuis laveille,elles’obligeait à nepas repenser à leur conversationdans le jardin et à ce queStuart attendait d’elle.Enapprochantdelamaison,pourtant,elleneputs’empêcherd’ysongeravecuneappréhensioncroissante.

Elle essaya bien de se dire qu’il n’y avait pasmatière à s’inquiéter.Le duc semblait croire quel’aidequ’elleluiapporteraitdanssesexercicesl’inciteraitd’unefaçonoud’uneautreàledésirer.Celaaurait pumarcher, elle le supposait, si elle avait été une femme normale, avec les aspirations d’unefemmenormale.Maiscen’étaitpaslecas.Etceneseraientpasdesexercicesetquelquesmassagesquiychangeraientquoiquecesoit.

Elleallaitdevoirlemasser.Letoucher.Sonmalaise s’accrut. Elle tenta vainement de le refouler en se rappelant lesmots de Stuart : il

l’avaitassuréequ’ellecontrôleraitleschoses.Maisellesavaitavecquellerapiditéetquelleaisanceonpouvaitôteràunefemmetoutcontrôlesurlasituation.

Stuart n’était pas Frederick, se raisonna-t-elle ; il ne lui ressemblait en rien. Et pourtant, cetteconsidérationnelarassuraitpas.Silacraintepouvaitêtrejuguléeparlaraison,Edieauraitétédélivrée

delapeurdepuislongtemps.L’appréhensionluiserraitlapoitrinelorsqu’ilsatteignirentlamaison.Parvenue avec Stuart dans la bibliothèque,Edie ne put endurer le suspense plus longtemps.Elle

s’immobilisaetsetournaverslui.—Trèsbien,allons-y.Montrez-moicequevousvoulezquejefasse.Sabrusqueriesemblaledécontenancerunpeu.—Jenepeuxguèrevousfaireunedémonstrationici.Ildésignad’ungestelesportes-fenêtres,grandesouvertesparcetétouffantaprès-midid’été.—Nousn’avonsaucuneintimitéici.Oh!monDieu!Ilvoulaitdel’intimité.Elleouvritlabouche,maisaucunsonnesortitdesagorgedesséchée.Ellefinitpartousser.—Jenevoispaspourquoinousaurionsbesoind’intimité,parvint-elleàarticuler.—Parcequejepréfèrenepasdévoilermesfaiblessesdansunlieuoùn’importequipeutentreret

lesvoir,enparticulierlesdomestiques.Edie se mordit la lèvre. Elle savait ce que c’était que de vouloir cacher sa vulnérabilité et ne

pouvaitl’enblâmer.—Jevois.—Jesuisheureuxquevouscompreniez.Alorspréférez-vousmachambreoulavôtre?Choquée,Edieréprimatoutepropensionàl’empathie.—Jen’iraicertainementpasdansvotrechambre!—Trèsbien.Ceseralavôtreencecas.Jevousyretrouvedansunquartd’heure.Ignorantsonbredouillisdeprotestation,ilsedirigeaverslaporteducorridor.—Mettezdesvêtementsconfortables,ajouta-t-ilpar-dessussonépaule.Ellen’esquissapasungestepourlesuivreetluijetaunregardfulminanttandisqu’ils’éloignait.—Plusvitecesdixjoursserontpassés,mieuxcelavaudra,marmonna-t-elle.Ils’arrêtasurleseuiletseretournapourluiadresserunsourireprovocateur.—Jesuisbiend’accord.Plustôtvousm’embrasserez,plusvitenouspourronspasseràdeschoses

encoreplusdivertissantes.«Divertissantes»n’étaitpas le termequ’Edieauraitutilisé. Ilétaitbienquestionde torturepour

elle.Elle attendit plusieurs minutes afin d’être sûre de ne pas rencontrer Stuart dans l’escalier, puis

montadanssachambreetenfilaunerobed’intérieurensoiebleue,avecuncolmontantetunpeignoirdedentelle écrue. Peut-être allait-elle devoir l’aider à s’étirer et faire ses exercices, mais une robed’intérieuretuncorsetdesserréseraientbienassezconfortablesàsongré.

Reevesavaitàpeineachevédelaboutonnerdansledoslorsqu’onfrappaàlaporte.Edieprituneprofondeinspirationavantd’adresserunsignedetêteàsafemmedechambre.Mais,

lorsquecelle-cieutouvertlaporteetqu’EdievitStuartsurleseuil,ellefaillitordonneràReevesdelarefermersur-le-champ.

Ilavaitrevêtuunpantalonlâcheenflanellegrise,unechemiseenlinunieetunevested’intérieurnoire.Lachemisenepossédaitnicolnibouton, ilneportaitpasdegiletet savesten’étaitmêmepascorrectementfermée.

LevoirainsipartiellementdévêturenditEdieplusnerveuseencore.Ellenesavaitpassielleallaitpouvoirfairecela.Ilavaitpromisqu’ilnesemontreraitpasentreprenantmais,mêmes’iltenaitparole,la

seulepenséedeseretrouveravecluidansuncontexteaussiintime,deletoucheretde…delemasser,luisemblaitimpossible.

Sonappréhensions’accrutencorelorsqu’ilpénétradanslachambreet,ouvrantlaporteengrand,ditàlasoubrette:

—Vouspouvezdescendreprendrelethé,Reeves.Nousn’auronspasbesoindevousavantaumoinsuneheure.

Edieregardasachambrièresortiretrefermerlaportederrièreelle,etlelégercliquetisduloquetluiparutaussiassourdissantqu’uncoupdefeu.Danslesilencequisuivit,ellen’entenditplusquesaproprerespirationoppresséeet,quandleducl’enveloppad’unlongregard,elledutluttercontrel’impulsiondeseprécipiterdansledressingetdes’yenfermeràclé.

L’airdanslapiècesemblaitétouffantendépitdesfenêtresouvertes,etlespremiersmotsdeStuartnefirentrienpourallégerl’atmosphère.

—Vousportezuncorset?Ellerougitsur-le-champ,etilsoupira.—Edie,jevousavaisditdemettredesvêtementsconfortables.—C’estceque j’ai fait !assura-t-elleenagrippantunepoignéedesoieetdedentelle.C’estune

robed’après-midi.—Mêmesousunerobed’après-midi, jenevoispascommentuncorsetpourraitêtreconfortable.

Maisc’estvousquivoyez,biensûr.Otantd’uncoupdepiedsespantoufles,ilsedirigeaverselle,aupieddulit,toutenfouillantdansla

pochedesaveste.Ilensortitunemontreetunepetitefioleverte.—Tenez,prenezceci.—Jecomprendsl’utilitéduliniment,dit-elleensaisissantlesdeuxobjets.Maislamontre?—Jevaisvousexpliquerdansuninstant.Ildénouasaceintureetfitglissersavestedesesépaules.—Quefaites-vous?s’écria-t-elle.Maislaréponsesautaitauxyeux.—Vousnepouvezpasvousdéshabillerdansmachambre!Ils’arrêta,visiblementsurprisparlavéhémencedesaréaction.—Jenefaisqu’ôtermaveste.Jen’auraiguèredelibertédemouvementsijelagarde,expliqua-t-il

en achevant de retirer le vêtement, qu’il suspendit au bois de lit.Mais je ne voulais pas choquer lesserviteurs.SiWellesleym’avaitvudéambulerdanslescouloirsenchemiseetpantalon,ilenseraittombéàlarenverse.Sansparlerdesservantes.

Edieseressaisit.Cen’étaitpaslemomentdejouerlesjeunesfilleseffarouchées.—Bon,maisn’enlevezriend’autre,marmonna-t-elleense tournantpourposer le linimentsursa

coiffeuse.Quedois-jefaire?—Jevaisvousmontrer.Ilenserralecôtédesajambedroitedanssamain.—Quand la lionne abondi, ellem’a attrapé ici et ici, dit-il en effleurantduboutdesdoigts les

endroitsoùs’étaientenfoncéslescrocsdel’animal,surledevantetl’arrièredesacuisse.Lablessureadéchiréletendondujarretetlesquadriceps.

—Aïe,grimaçaEdie.Ladouleuradûêtreterrible.—Ellen’apasdurélongtemps,dumoinssurlemoment.Laplaiesaignaitterriblement,etjemesuis

évanouiquelquesminutesaprès,carj’avaisperdutropdesang.Parchance…Ils’arrêtabrusquementetcrispalepoing.

Edies’inquiétaenlevoyantfroncerlessourcils.—Stuart,Vousallezbien?—Veuillezm’excuser.Ilportalamaindevantsaboucheettoussa.—C’estseulementqu’ilm’estplusdifficiled’enparlerquejenel’auraiscru.Ilsedétenditetbaissalamain.—Parchance,nousavionsmisleslionsendérouteavantcela,etmeshommesontréussiàarrêter

l’hémorragie.Mais,cettenuit-là,l’infectionetlafièvresesontinstallées.—Vousm’avezditquevousaviezfaillimourir.Ainsi,c’estl’infectionquivousapresquecoûtéla

vieetpaslablessureelle-même?—Oui.Pendanttroisjours,jesuisrestéentrelavieetlamort.Latroisièmenuit,j’étaissimalque

meshommesontcommencé lespréparatifspourm’enterrer. Jesentaismavies’enaller. Jesavaisquej’étaisentraindemouriretjenem’expliquetoujourspascommentjenesuispasmort.C’estjusteque…j’airefusé.Purentêtementdemapart,jesuppose.Lafièvreafiniparcéderet,quandj’aiétéassezfortpourêtredéplacé,meshommesm’ontramenéàNairobi.Jepensaisque j’allaisbienmais,à l’hôpital,j’aicontractéunenouvelleinfection.Bizarre,carjen’avaisjamaisrienattrapéavant.Jen’aimêmepaseulamalaria,etenAfriquec’estplutôtrare.

—Detouteévidence,quandvousdécidezd’êtremalade,vouslefaitespourdebon.—J’ail’impression,fit-ilavecunpetitrire.Et,bienquecelui-ciparûtunpeuforcé,Ediefutraviedel’entendre.—Maislafièvreesttombéedenouveauetjem’ensuistrèsbientiré.—Dieumerci,vousn’avezpasdéveloppélagangrène.Nilarageou…Ellesetut,pressantunemainsursapoitrineàl’idéedetoutescesaffreusespossibilités.—Seigneur,Stuart…—Ledocteuracraint lesdeux,maisheureusement riende toutcelane s’estdéclaré. J’avais les

musclesabîmésnéanmoins.Jesuisrestéalitétroissemaineset,mêmequandj’aiétésurpied,ilafalluencoredeuxmoisavantquejepuisseutilisermajambe.Pendantcetemps,l’atrophies’étaitinstalléeetj’étaisaussivacillantqu’unpoulainquivientdenaître.Jemesuis remis lentement,mais lesmédecinsm’ontditquejenepourraissansdouteplusjamaismarchernormalement.

Ediehochalatête,luttantpournemontreraucunsignedepitié.Ellesavaitqu’ildétesteraitcela.—EtleDrCahillestd’accordavecleurdiagnostic?—Pas entièrement, non. Il ne sait pas sima jambe se remettra complètement, toutefois il pense

qu’unprogrammedemarcheetd’exercicesd’étirementdesmusclesaccroîtramamobilité,assoupliralacicatriceetsoulageraladouleur.Maisjedevraim’astreindreàcettedisciplinequotidiennement,toutemavie.

—Jevois.Ediel’observauninstantensilence.C’étaitlemêmesombreetbeauvisagequ’elleavaitvuaubal

deHanfordHouse,etpourtantilétaitdifférent.Ilavaitperdusonairtéméraire.—Stuart,qu’est-ilarrivéàJones?Ildéglutitetdétournalesyeux.—Jepréfèrenepasenparler,Edie,sicelanevousennuiepas.Ellehochalatête.Siquelqu’unensavaitlongsurledésirdenepasabordercertainssujets,c’était

bienelle.—Très bien, acquiesça-t-elle, se forçant à introduire une note de brusquerie dans sa voix. Que

voulez-vousquejefasse?

—Restezjustelàuninstant.Seservantduboisdelit,ilsebaissajusqu’àsetrouversurlesolenpositionallongée,devantelle.Cela lui faisaitmal,elle levoyaitàsonvisage,etelleneputs’empêcherderepenserà l’homme

qu’elleavaitrencontréjadis,unhommequisefrayaitsonchemindansunesalledebalbondéeaveclagrâcesoupled’unléopard.

Ildoitdétestercela,songea-t-elle.Aprèslaviequ’ilaconnue…—Passez-moilamontre.Ellesortitdesesréflexionsetobéit,s’interdisanttoutenostalgiepourl’hommequ’ilavaitété.Au

moins,ilétaitvivant.—LeDrCahillm’aconseillédeuxétirementspourcommencer.Jedoisexécuterchacund’euxtrois

fois.—Maisàquoisertlamontre?—Ilme fautmaintenir l’étirementpendant trente secondes,puisaugmentergraduellement jusqu’à

uneminuteentière.Illevasajambeblesséeàlaperpendiculaire.—Approchez-vous,Edie, et passezvotrebras autourdema jambe.Plusprès, ajouta-t-il comme

ellefaisaitunpasenavant.Vousdevezvousplacercontrel’arrièredemacuisse.Edie obéit. Elle se sentait terriblement maladroite. D’une part elle n’avait jamais joué les

infirmièresdesavie,etd’autrepartellenesentaitquetroplajambedeStuartpresséecontresesseins.—Bien.Maintenant,nousallonsétirerletendon.Placezvotremainlibresouslaplantedupiedet

poussezlentementmesorteilsversmapoitrine.Jevousdiraiquandarrêter.Elle commença à s’exécuter, mais dès les premières secondes Stuart reprit brusquement sa

respiration,etelledutrelâchersaprise,effrayée.—Vousai-jefaitmal?—Non.Cela tire,mais cen’est pasdouloureux.Recommencez, et cette fois nevous arrêtezpas

avant que je vous le dise. Là, ajouta-t-il, comme elle obtempérait.Maintenant, ne lâchez pas pendanttrentesecondes.Etgardezvotrebrasserréautourdemajambepourbloquerlegenou.

Edien’auraitjamaiscruquetrentemalheureusessecondespussentsembleraussilongues.Lapièceétaitchaude,iln’yavaitpasunsouffled’air,etleurpositionétaitscandaleusementfamilière.EllesentaitlachaleurducorpsdeStuarttoutlelongdusien,sontalonsoussesseins,sacuissetenduesursonventreetsahanchecontresonpied.C’étaitbienau-delàdetoutcequ’elleavaitjamaisconnu.Al’exceptiondeFrederick,ellenesavaitriendeshommesnideleurintimité.

—Trèsbien,dit-ilenfin.Et le son de sa voix, Dieu merci, chassa la pensée de Frederick de son esprit. Soulagée, Edie

soupiraenlaissantretombersesbras.Stuartagitaunpeulajambepuishochalatête.—Refaites-leetallezunpeuplusloincettefois.Le second étirement fut plus aisé pour elle. L’intimité de la pose n’était plus tout à fait aussi

choquante,etsonappréhensiondécrut.Ce fut plus difficile pour lui, cependant. Elle s’en aperçut à sa respiration, plus profonde, plus

forcéequ’avant.—Voulez-vousquejelâche?Ilsecoualatête.Enfin,pourletroisièmeétirement,illuipréconisad’allerplusloinencore.—Vousenêtescertain?Jeneveuxpasvousfairemal.

—Non,non.Jesais jusqu’oùjepeuxpoussermoncorps,faites-moiconfiance.Mêmesicelafaitmal,celan’aaucuneimportance.

Ilparcourutlevisaged’Edie,etcelle-ciperçutlefeuquianimaitsonregardetlegrisdefuméequiassombrissaitsesprunelles.

—Pasaveclavuequej’aisouslesyeux.Edieremuaunpeu,maiscemouvementnefitquelarendreplusintensémentconscientedelajambe

deStuartpresséecontresoncorps,aussis’immobilisa-t-elleendétournantlatête.Elleavaitpeur,toutàcoup,orc’étaitunecraintecomplètementdifférentedecellequ’elleressentaitd’habitude.

—Pastrèsréceptiveàmesflagrantestentativesdeflirt,àcequejevois.Commeellenerépondaitpas,ildéplaçalégèrementsajambecontreelle,etellelalâcha.—Oh!trèsbien.Puisquevousnevoulezpasentrerdanslejeu,jesupposequejeferaismieuxde

vousmontrerl’exercicesuivant.—Ceseraitsansdoutemieux.Jeneflirtepas,moi.Ellen’ajoutapasqu’ellenepossédaitpaslemoindretalentpourcela.Illesavaitsansdoutedéjà.Stuartselaissaroulersurleventre.—Agenouillez-vousderrièremoi,fit-ilentournantlatêtesurlecôté.Etpliantsajambeblessée:—Vous allez étirer lemuscledudevantdemacuisse, ajouta-t-il en tenant samontredevant son

visage.Vousallezdoncplacervotremainautourdemontibiaetpoussermontalonversmonpostérieur.Elleobéitàsesinstructionsenseréjouissantqu’ilnepûtvoirsonvisage—elleétaitaffreusement

rouge.—Commecela?—Oui,maisplusfort.Utilisezvotrepoids.Posezvotreavant-brasgauchesurmondosetappuyez

votre épaule contre le dessus de mon pied. Bien. A présent, penchez-vous. Davantage. Un peu plusencore.Ssst…,siffla-t-illorsqu’elleatteignitlepointdetension.Restezainsi.

Cetexerciceétaitplus intimeencoreque leprécédent.Bienqu’à traversuncorset et troisautrescouchesdetissu,Ediesentaitparfaitement lapointedesonmamelontouchant lafessedeStuart, tandisquelecôtédesonautreseinsepressaitcontresonmollet.Jamaistrentesecondesneluisemblèrentaussiinterminables.

Lorsqu’il signala enfin que le temps était écoulé, elle fut si soulagée qu’elle ne put retenir unprofondsoupir.

Stuartl’entendit.—Çava,Edie?—Biensûr,affirma-t-elleaussitôt.Elle avait dit cela dans un souffle qu’elle trouva peu convaincant, mais Stuart ne le lui fit pas

remarquer.—Bien.Recommencez.Elles’exécutaet,commeelledutappuyerencoreplusfortcettefois,lestrentesecondesparurenten

durer cent. Partout, le corps brûlant de Stuart touchait le sien. Lentement, tandis que les secondess’écoulaientencliquetant,Edieprenaitconsciencedechosesnouvelles:lerythmelentetprofonddesarespiration, lemuscledurdesonmollet soussesdoigts, l’odeurdesantalqui s’exhalaitde lui—sonsavon,peut-être?Inexplicablement,ellesentitnaîtreunfrémissementdanssonproprecorps.

Latroisièmefois,ellefutsubmergéeparautrechoseencore,commeunelourdeetétrangetensionjamaiséprouvéeauparavant.Celasedéployaitenelle,telleunevaguelenteetchaudequienflaitàchaquesecondeetparaissaitpresque…tentante.

Pourquoipas,Edie?Ellefermalesyeux,lecorpsdeStuartsesoulevantets’abaissantsoussesdoigtsàchacunedeses

respirations.Toutleresteluisemblaitlointain.—Celafaittrentesecondes.Stuartlatiradel’étrangebrumeoùellesemouvait.Elleselaissaretombersurlesgenoux,etcefutseulementlorsqu’ilsefutretournéetassisqu’elle

s’aperçutquesaproprerespirationétaitaussirapideetlaborieusequecelledeStuart.Lapièceétaitchaude,étouffante;Edienepouvaitcontrôlerlemartèlementdesoncœur.Stuartluisourit,etelleenfutbouleversée.—Jecroisquej’aimecelui-ci,fit-ildoucement.Elleluttapourreprendresonsouffle,sanscomprendrepourquoiellehaletaitainsi.—Pourquelleraisonfaites-vouscela?chuchota-t-elle.Ill’étudiauninstant,latêteinclinée.—J’ail’impressionquenousneparlonsplusdemajambe,là?—Je comprendspourquoi vousvoulez…cequevousvoulez, poursuivitEdiemalgré elle.Mais

pourquoiavecmoi?Ilredressalebusteetserapprochad’elle.—Nousenavonsdéjàparlé.Noussommesmariés,Edie.Ellesesentitcurieusementdéçueparcetteréponseetn’encompritpaslacause.Qu’attendait-elle

donc?—Vouspourriezaisémentobteniruneannulationsivousenfaisiezlarequête.Aprèstout,jerefuse

devouslaisserexercervotre…votre…Ellesentitsoudainsagorgedevenirterriblementsèche,maiselles’obligeaàpoursuivre.—Vosdroitsconjugaux.Onpourraitvousaccorderuneannulationpourcela.—Jem’enmoquebien!Illuijetaunlongregard.—Jeneveuxpasd’annulation,Edie.—Etsionvousl’accordait,continua-t-elle,ignorantsesparoles,vouspourriezvousremarier.—J’aimebienlafemmequej’ai,merci.Illuieffleuralajouesidoucementqu’ellenetrouvapaslavolontédereculer.Vousnem’aimeriezpas,songea-t-elleenfermantlespaupières.Passivoussaviez.—Vouspourrieztrouverquelqu’unquivousconviennebienmieuxquemoi.Savoixseteintadedésespoir.—Unefemmebeaucoupplusjolie…Ill’interrompitd’uneexclamationrailleuse.—Plusjolie?Vouspensezquevousn’êtespasjolie?Elledéglutitavecpeineetrouvritlesyeux.—Nouslesavonstouslesdeux.IlladévisageapendantcequisemblauneéternitéàEdie.—Jenesaisriendetel,dit-ilenfin.Elledétestaitcela,elledétestaitceregarddirect,appréciateur,elledétestaitencoreplusdesesentir

ainsiexposéeetvulnérable.—Quiest-cequimentàprésent?murmura-t-elleendétournantlesyeux.—Nousnoussouvenonstousdeuxdecetaprès-midilointainsurlaterrasse.Illuienserralajoue,ramenantsonregardverslui.

—Etsijenepeuxsavoiraveccertitudepourquoic’estancrédansvotremémoire,jevaisvousdirepourquoic’estincrustédanslamienne.J’aiditquelquechosecetaprès-midi-làquivousafaitsourireetc’étaitlapremièrefois—lapremière,vraiment—quevousmesouriiez.

—Etalors?Laquestionavaitjaillidansunâpreetdurchuchotement,pareilàlapeurquiluiserraitleventre.A

peinepouvait-ellesupporterlalégère,latendrecaressedeStuart,etpourtant…pourtantelleétaitlibrederepoussersamainsiellelevoulait.Relève-toi,pensa-t-elle.Etva-t’en.Maisellenebougeapasetserrasespoingscontresesflancs.

—Oùvoulez-vousenvenir?—Aadmettrequevousavezraison.—Aquelsujet?Ellebaissalesyeux,essayantdenerienressentir.—Quandvousditesquevousn’êtespasjolie,fit-ild’untonsongeur.Sesdoigtslafrôlaienttelleuneplume,explorantsespommettes,sestempes,lecontourdesesjoues

avecuneinfiniedouceur.—Parceque,lorsquevousavezsouricejour-là,jen’aipaspensédutoutquevousétiezjolie.Ilobservaunepause,interrompantsacaresse.—J’aitrouvéquevousétiezbelle.Quelquechosesebrisaenelleàcesmots.Elleravalaunsanglot.—Jenepeuxpasvousdonnercequevousvoulez,Stuart.Vousdevriez trouverquelqu’unqui le

pourra.—Maisvous,Edie?Quedésirez-vous?Dupouceilluieffleuraleslèvres,etellesefitviolencepourextrairelesmotsdesabouche.—Cequejedésire,ilsemblequecelan’aitpasd’importance.—Maissi,c’estimportant.L’impalpablecaresseatteignaitlalimitedusupportable.—Vousnevoulezpasd’enfants?Lapeurd’Edies’intensifia,douloureuse,commes’ilavaitappuyésuruneblessuredesoncorps.—Non,prétendit-elle.—Maispourquoi?Cessantdetouchersabouche,ilsepenchaplusprèsetelletentadesedétourner,maisStuartglissa

lamaindanssescheveuxetlaretint.—Oh!nefaitespasça!Elle se rejeta en arrière dans un mouvement brusque et son peignoir se prit dans le bouton de

manchettedeStuart,quiendéchiraladentelledélicate.Cesonachevadelatirerdesalangueur.—Jenepeuxpasfairecela.Elle recula sur les genoux en essayant de se relevermais, Dieu sait comment, ses jupes étaient

restéesprisessouslahanchedeStuart.—Laissez-moi!cria-t-elle,lapaniquechassantenelletoutcequ’illuirestaitderaison.Ettirantdésespérémentsursesjupes:—Laissez-moi,laissez-moi!Il souleva ses hanches pour la libérer. Le temps qu’elle parvienne à se dégager des couches de

dentelle,demousselineetdesoiepourbondirsursespieds,Stuarts’étaitaussirelevéens’aidantduboisdelit.

—Edie,attendez!

Illuiagrippalepoignetaumomentoùelletournaitlestalonsetnelalâchapaslorsqu’elletentadesedégager.Aucontraire,ilresserrasonétreinte,etellesefigeatandisquel’effroietlahontedéferlaientenelle,mêlésàunterriblesentimentd’inéluctabilité.Pourquoicourir?Aquoibon?

Elle baissa les yeux vers la dentelle déchirée de son peignoir. C’était un petit accroc, quelquescentimètresauplus,etpourtantelle sesentaitnue,commemarquéedusceaude l’infamie.D’unemaintremblante,ellerefermasurellelespansdesarobedechambre.

—GrandDieu…LavoixdeStuart sembla luiparvenirde très loin.Bienque sonchuchotement rauque fût àpeine

perceptible par-dessus le battement intempestif de ses oreilles, ce fut assez pour lui apprendre que lavérités’étaitfaitjourenlui.

Illâchasonpoignetcommes’ilvenaitdesebrûler.—MonDieu,biensûr.Commej’aiétéobtus!Ilesquissaungestepourluitoucherlevisage.Elle tressaillit. Il laissa retombersamain,maiselle fut saisied’unepeurquigonfla lentementen

elleetqu’elles’efforçadecontenir,ainsiqu’ellel’avaitdéjàfaittantdefoispournepasselaisseraller.Respirer lui demandait un tel effort qu’elle en eut la poitrine douloureuse. L’odeur de l’eau de

Cologneemplissaitsesnarinesetluisoulevaitl’estomac.Elleétaitsubmergéeparlahonte,unsentimentaussicorrosifquelegrossiersavondontelleavait

usésixansplustôtpourselaverdel’outrage.—Edie,regardez-moi.Elle secoua la tête, mais elle savait bien que, à moins de s’échapper aumilieu de la nuit pour

s’enfuirauloin,ilfaudraitbienqu’elleleregardeànouveauunjour.Mêmesielledisparaissaitàl’autreboutdelaterre,celaneserviraitàrien.Jamaisellenepourraitfuircequ’illuiétaitarrivé.

Elle rassemblaalorssoncourageet se forçaà lever lesyeux.Envoyant levisagedeStuart,ellesentitpourtanttoutsonsang-froidl’abandonneretsedétournapourcourirverslaporte—nonsousl’effetdelapeur,maisparcequecetteexpressionscandaliséequ’ellevenaitdeliresurlestraitsdesonmariétaitplusqu’ellenepouvaitsupporter.

Chapitre12

Stuart avait ressenti bien des émotions puissantes dans sa vie. Il avait expérimenté les émoisstupidesdupremieramouretlessombresabîmesduchagrin.Ilavaitétéfrappéparlabeautéàcouperlesouffle d’un coucher de soleil africain et subjugué par le rayonnement d’une jeune fille au visageconstellédetachesderousseur.Ilavaitconnuledésir,lafaim,lajoieetledésespoir.

Etaussilafureur,croyait-il.Jusqu’àmaintenant.Deboutaumilieudelachambred’Edie,ilcompritquetouteslescolèresqu’ilavaitpuressentirpar

le passé n’avaient jamais rien été d’autre que desmoments d’irritation insignifiante. La fureur, c’étaitautrechose.C’étaitcela:lesangbouillantdanslesveinestelleunelave,latêtesurlepointd’éclater,lanuitquiluivoilaitlesyeux,brouillanttoutevisionsaufcelledelamaintremblanted’Edieresserrantsesvêtementsautourd’elle.

Cetteminusculeactionavait suffipourque lavérité fondesur luicommeunéclair, le figeant surplace tandis qu’Edie s’enfuyait en courant. Même maintenant, il était incapable de la suivre. Il neparvenaitniàbougerniàpenser,pasaveccetteragefollequibrûlaitenlui.

Là,danscetteravissantechambreanglaisetouteensoieetvelourslavande,ilsesentaitsoudainplussauvage,plusprimitifquetouteslesbêtesqu’ilavaitpucroiserdanslebushafricain.

Ilvoulaittuerlefilsdechiennequiluiavaitfaitcela.Ilvoulaitlepourchasser,letraquer,lejeteràterreetlemettreenpièces.Ilvoulaitaffronterlepèred’Edieetluidemanderpourquoidiableiln’avaitrienfaitpour lavenger. Ilvoulaitse fustiger lui-mêmepournepasavoirdiscerné lavéritéplus tôt. Ilvoulaits’enivrer,sebattre,donnerdescoupsdepoingdansunmur—fairen’importequoisauflaseulechosequ’ilavaitàfaire,illesavait.

Stuartprituneprofondeinspirationetsefrottalevisage,tâchantdecontrôlerlasubiteviolencequis’étaitemparéedelui.Pourl’instant,lacolèreneserviraitàrien.

Il saisit sacanne,enfila seschaussureset retournadanssachambreoù il s’habillapour ledîner,revêtantunechemiseauplastronamidonné,ungiletblanc,unpantalonnoiretunevestenoirehabillée.Cesgestesl’aidèrent,d’unecertainefaçon.Ennouantcorrectementsacravate,puissesmanchettesetsoncol,enenfonçantsapochetteblanche,ilparvintàrefoulercettecolèresauvagequibouillonnaitenluietretrouval’hommeciviliséqu’ilétait.

Alors,seulement,ilsemitenquêtedesafemme.IllatrouvadanslejardinRomain—lejardinSecretcommeellel’appelait.Ediese tenaitsur lebancoù ilss’étaientassis laveille.Lorsqu’elle levitsurgirentre leshautes

touffesdefenouiletdemolène,ellebonditsursespieds.—Quevoulez-vous?

Il s’arrêta pour l’observer depuis l’autre côté de la cour. Comment s’y prendre pour ne pas luicauser davantage de peine ou envenimer les choses ? Il était venu ici pour la réconforter, maissoupçonnaitàprésentquesesconsolationsneseraientpaslesbienvenues.

Ilrespiraàfond.—Iln’apasfaitquevousbriserlecœur,n’est-cepas?Edieesquissaunegrimacequiluidéformalestraits,etilenressentitunevivedouleur.—Il…Stuartsetut,puiss’efforçadeprononcer:—Ilvousaviolée.Ellen’émitaucunson,neversapasunelarme.Immobile,ellesecontentadeleregarder.Saréponse

sepassaitdemots,sadouleursemblantflotterentreeuxdansl’airétouffantdel’été.Stuart se sentit bientôt aux prises avec cette puissante fureur qu’il avait vu grandir en lui tout à

l’heure.Depuisledébut,ilavaitperçulasouffranced’Edie,seulementiln’enavaitpasvulavéritablecause.Ou peut-être n’avait-il pas voulu la voir ? Il ne s’agissait pas d’un cœur brisé ou de craintesvirginales,cen’étaitpasaussisimple.Mais ilconnaissait lavéritédésormaiset,aussi terriblequ’ellefût, il n’y avait pas de retour en arrière possible.Alors qu’était-il censé fairemaintenant ?Bon sang,commentunhommedevait-ilréagirdansunesituationpareille?

—J’aienviedeletuer,Edie,déclara-t-ilensuivantsapremièreimpulsion.J’aienviedeprendrelepremierbateaupourNewYork,detrouvercebâtardetdeletuer.

—Vousnelepouvezpas,fit-elled’untonmorne.J’apprécielegeste,maisc’estimpossible.Ici,unducpourraitpeut-êtres’entireraprèsunmeurtre,maisàNewYorkvousseriezpendu.Croyez-vousquejen’aiepaspenséàletuer?Quejen’enaiepasimaginétouslesmoyenspossibles?Pendantuntemps,jen’aivécuquepourça.Etpuis…etpuisondépassecela.IlfallaitpenseràJoanna,voyez-vous.Etàsonavenir.

—Jesaisquejenepeuxpasl’assassiner.Maisilyad’autresmoyens.—Lesquels?Unduelpourdéfendremonhonneur?Elleémitunrirequilefittressaillir.—J’avaisrendez-vousaveclui.Jamaisjen’auraisimaginé…Ellesetutetsecoualatête.—C’estsansimportance.Ensuite,nousavonsétévus,ilarefusédem’épouser,etauxyeuxdela

sociétéjesuisdevenueunedévergondée,unepetitetraînéequiavaitessayédeprendreaupiègeunvraigentilhommepoursefaireépouseretquiavaitéchoué.Iln’yaplusd’honneuràdéfendre,surtoutaprèssixans.

—Unduelesttentant,jel’avoue,maiscen’estpasàçaquejepensais.Ellesecoualatête.—Ilestriche,puissant.Quasimentintouchable.Aucun homme n’était intouchable selon Stuart, mais il s’abstint de le dire. Il prit une profonde

inspirationenserappelantcequiétaitimportantdansl’immédiat,etunefoisdeplusrefoulasarage.Ilauraitletempspourcelaunautrejour.

—Jen’imaginemêmepascequevousavezpuendureretjenem’attendspasàcequevousm’enparliez,mais…

Laréponseclaquasèchement.—Parfait.—Maissijamaisvousvoulezlefaire…—Non.Partezàprésent.

Elleétaitcommeunanimalblessé,songea-t-ilenlaregardant.Lapeuretlasouffranceselisaientdanschacundesestraits,danslaraideurdesasilhouetteetdanssesyeuxméfiants.Ellevoulaitêtreseulepourpansersesblessureset,bienqu’ilenfûtainsidepuisledébut,ilnepouvaitlalaissercommeça.

Plus que jamais, elle lui rappelait une gazelle, et il comprit quelle était la seule façon del’approcher. Lentement, avec des précautions infinies, il effectua un pas, puis s’arrêta en la voyantrassemblerlesplisdesajupe.Ilrisquaunautrepas,etellejetauncoupd’œilautourd’elle,commesiellecherchaituneissuepours’enfuir.Maislesbuissonstouffusquilacernaientdetouscôtésdurentladécourager.Lorsqu’ilavançaencore,ellelevalementonetletoisa.

—J’aimeraisvraimentêtreseule,sicelanevousdérangepas.—Celame dérange, répondit-il en contournant la fontaine à pas lents etmesurés. D’aprèsmon

estimation,j’aiencoredroitàvingtminutesdevotretempsaujourd’hui.—Vousn’êtespassérieux.Elleledévisagea,visiblementinterloquée.—Vousn’espérezpascontinueravecçaàprésent!—Biensûrquesi.Il la vit pâlir,mais il n’aurait su fairemachine arrière. Il était hors de question de la laisser se

débrouillerseuleaveccela—Edieétaitsafemme.—Rienn’achangé.Paspourmoi.Etilmerestehuitjours.Amoinsquevousn’ayezl’intentionde

revenirsurvotreparole?Ellefitpasserlepoidsdesoncorpsd’unejambesurl’autreenjetantunnouveauregardalentour.—Vouspouvez,biensûr,ajouta-t-ilencommençantàgravirlesmarches.Maiscelavousobligerait

àfuirloindemoi.Ils’arrêtafaceàelle.Lecrépusculeapprochait,cemomentdelajournéeoùlescouleurssemblaient

plusintensesetlesexhalaisonspluspénétrantes.Ildistinguaitlespaillettesd’ordanslesprunellesvertesd’Edie et les reflets cuivrés dans ses cheveux blond-roux ; il sentait les parfums du jardin comme ilressentaitlapeurd’Edie.

—Etvousenfuirneserviraitpasàgrand-chose,vousnecroyezpas?—Vousn’ensavezrien,fit-elleentresesdents.Riendutout!—Maisjeconnaislapeur.Jel’aiaffrontéeplusd’unefois.C’estcequ’ilfautfaireaveclapeur,du

reste.L’affronteretlavaincre,parcequevousnepouvezjamaiscourirassezloinouassezvitepourluiéchapper.

Ellelaissaéchapperunsanglot,qu’elleréprimaaussitôtensemordantlalèvre.—Et je connais aussi la douleur, continua-t-il. Je sais ce que c’est que d’être blessé.Mais les

blessuresguérissent,Edie.Elleslaissentpeut-êtredescicatricesmais,sivouspersistezassezlongtemps,mêmelesblessureslesplusprofondesguérissent.

Elleredressalatêteenouvrantdesyeuxbrillants.—C’estcequevouspensez,hein?Unenotededérisionvibraitdanssavoix.—Vouscroyezquevouspouvezmeguérir?—J’espéraisplutôtquenouspourrionsnousguérirl’unl’autre.— Vous n’avez pas besoin de moi pour guérir vos blessures. Nous savons tous deux que vous

pourriezembaucherunvaletpourvousaider,ouvousfairesoignerparlemédecinlocal.Enréalité,vousn’avezpasdutoutbesoindemoi.

—Non?

CefutautourdeStuartdedétournerlesyeux.Tandisqu’ilfixaitlaplaqueenferforgéaccrochéeaumurderrièreelle,lanuitoùilavaitfaillimourirluirevintàl’esprit.

—C’estlàquevousvoustrompez,Edie.J’aibesoindevous,bienplusquevousnelepensez.—Jenevoispaspourquoi.—C’estsansimportance,dumoinspourlemoment.Ils’efforçadelaregarderdenouveau.—J’étaisvenuicipourvousréconforteretnonl’inverse.Edietournalatêteverslafontaineetsefitlointaine.—C’estgentilàvous.Maisj’aidépassélestadeoùl’onabesoinderéconfort.Ilnotal’expressionneutre,impassibledesonvisage.—Vouscroyez?Vraiment?Elles’agita.—Nousdevrionsrentrer.C’estpresquel’heuredudîner.—Pasencore,fit-ilcommeelles’apprêtaitàlecontourner.Ilyaunechosequejeveuxvousdire.Illevalamaingauchepourluienserrerlevisage.Elles’écarta,évitantsontoucher.Ilreculad’unpasetluioffritalorssamainouverte.Edielavitmaisnefitpasungestepourlasaisir.—Vousn’êtespasobligéedeprendremamain,Edie.Vousn’êtespasobligéedem’embrassernide

coucheravecmoinidefairequoiquecesoitquevousn’ayezpasenviedefaire.Jenevousdemandequ’uneseulechose.

Ellegardaitlesyeuxfixéssursapaume.—Laquelle?s’enquit-elledansunchuchotement.—Donnez-moiunechance.Ilavançaunpeulatêtepourpouvoirlaregarderbienenface.—Donnez-nousunechance.J’enaibesoin,etjepensequevousaussi.Ilattenditsaréponsependantcequiluiparutuneéternité.—Demainmatin,nousconsulteronsleslivresdecomptesavecM.Robson.Dixheures.Ellepassadevantluimaiss’arrêtaavantdedescendrelesmarches.—Quantaureste, lança-t-ellepar-dessussonépaulesans leregarder, j’essaierai,Stuart.Pendant

leshuitjoursquiviennent,j’essaierai.C’esttoutcequejepeuxvouspromettre.Iln’yavaitplusqu’àespérerquehuit jourssuffiraientpourracheterunevieentière.Mais,encet

instant,Stuartn’étaitguèreoptimiste.

***

Edieneseserait jamaisattendueàéprouveruntelsoulagement.Siparhasardelleavaitenvisagél’affreuse perspective de voir Stuart découvrir son secret, elle aurait pensé en être plus bouleverséeencorequ’ellenel’étaitdéjà.Maisêtresoulagéequ’illesache?Non,enaucuncasellen’auraitpréditcela.

Etpourtant,depuisqu’il l’avaitcompris,c’étaitcommesiunénormepoids l’avaitquittée.Cefutseulementalorsqu’elleserenditcomptequelfardeaupouvait représenterunsecretquandonleportaitseule.

Maiscelanerendaitpasleschosesplusfaciles.Endépitdesonsoulagement,ellesesentaitencoreplusvulnérable,plusnuequ’avant,àtelpointqu’ellesemontramaladroiteetembarrasséependanttoutle

dîner.JoannalasauvanéanmoinseninterrogeantStuartsurl’Afrique,etillesrégalaaucoursdurepasde

descriptionsd’animauxexotiquesetdepaysagesàcouperlesouffle,ainsiquederécitssurlaviedanslebush.JoannaetMmeSimmonsécoutaientavecuneattentionravie,etsiend’autrescirconstancesEdieauraitégalementpuselaisserfasciner,cesoirelleétait troppréoccupéepourprêtergrandeattentionàdeshistoiresderhinocérosetd’éléphants.

Qu’ilveuillemaintenirleurparilastupéfiait.Ilconnaissaitlavéritéàprésent.Nevoyait-ilpasquecequ’ildésiraitétaitsansespoir?

Toutefois,alorsmêmequ’elleseposaitlaquestion,ellesesentaitnerveuseetpeusûred’elle:était-cevraimentsansespoir?

Levantlesyeuxdesondessert,elleexaminaleducpar-dessuslatable.Lasalleàmangerétait laseulepiècedelamaisonàêtreencoreéclairéepardesbougies;àleurdoucelueur,desrefletsdusoleilafricaindemeuraientencorevisiblesdanslescheveuxchâtainfoncédeStuartetsursapeaubronzée.Et,tandis qu’il contait à Joanna l’histoire d’un élégant comte italien qu’il avait emmené en safari, desexpressions faisaient plisser ses paupières et les contours de sa bouche de façon charmante. Il étaitmagnifiquementséduisantdanssavestedesoirée.Maisqu’ilfûtbelhomme,Ediel’avaittoujourssu.

Sij’avaismesuréunmètrecinquante,eulesdentsgâtéesetdelabedaine,jenecroispasquelapropositionquevousm’avezsoumisevousseraitvenueàl’esprit.Jepensequevousvousêtessentieaumoinsunpeuattiréeparmoi lorsquevousm’avezvu.Cedont jesuissacrémentsûren toutcas,c’estquej’aiétéattiréparvous.

Lesmotsqu’ilavaitprononcésdanssachambreauSavoyrésonnaientdenouveauenelle,etpourlapremièrefoisellesedemandas’ilsnerecelaientpasunepartdevérité.Aurait-elleeul’idéedel’épousers’iln’avaitpasétéaussiincroyablementattirant?

Ildutsentirqu’ellel’observait,carilsetournaverselle.Lorsqu’elle plongea dans ses beaux yeux gris, elle ressentit le même étrange frisson qui s’était

emparéd’ellelapremièrefoisqu’ill’avaitcontemplée.Al’époque,ellecherchaitdésespérémentunmoyendenepasretourneràNewYork.EtpuisStuart

l’avaitregardéeaveccefroncementdesourcilsintriguéetcelégersouriresurleslèvres,etelles’étaitsentieattiréecommeparunaimant.Préoccupéepartouteslesautresémotionsquitourbillonnaientenellece soir-là, elle n’avait pas admis cette attraction et n’en avaitmême pas été consciente— elle avaittoujours cru qu’il s’agissait là d’une chance inespérée, rien d’autre. En étudiant maintenant Stuart àl’autreboutdelatable,elles’aperçutqu’ilavaitvujuste.Tapiesoussesautressentiments,mêléeàlacrainteetàlapanique,ilyavaitbeletbieneudel’attirance.

Et,commelajeunefillequ’elleavaitétéautrefois,ellel’examinaensedemandantcequ’auraitétésaviesielleavaitrencontréStuartavantSaratoga,lorsqu’elleétaitencoreinnocenteetpure.Entière.

Lapièceluiparuttoutàcoupsuffocante.Elledétournalesyeuxetreposasafourchette.—Excusez-moi,dit-elleen se levant.Sivousn’yvoyezpasd’inconvénient, jevais regagnerma

chambre.J’aiunpeumalàlatête.Laconversationcessa,etStuartquittaaussitôtsachaise.—Voulez-vousquej’envoiechercherenhautdelapoudreBeechum?Jedoisenavoir.—Non,celavaaller.Jevaisjustemecoucher.Bonsoiràtous.Ediequittalasalleàmangeretmontaàl’étage.Maissachambren’étaitplusvraimentunrefuge,maintenantqueStuartyétaitvenu.Elles’appuya

contrelaportecloseetposalesyeuxausol,làoùilavaiteffleurésonvisageenluidisantqu’elleétaitbellelorsqu’ellesouriait,àl’endroitoùilavaitdécouvertsonsecretetsahonte.

Rienn’achangé,Edie.Paspourmoi.Commentétait-cepossible?Commentpouvait-ilencorevouloird’elle?Carillavoulaitvraiment.

Illavoulaitparcequ’ilpensaitqu’elleétaitunefemmenormale,aveclesdésirsd’unefemmenormale.EllelevalamainettouchasajoueainsiqueStuartl’avaitfait,etpendantuninstantellesedemanda

siellepourraitredevenircellequ’ellen’étaitplus.Puisellepensaàcequiviendraitensuite,àl’intrusiondesoncorpsàluidanslesien,etl’espoirfonditcommeneigeausoleil.

IlyavaiteuSaratogaetc’étaitsansretour.

***

IlsretrouvèrentM.Robsonlelendemainmatin,commeprévu.DupointdevuedeStuart,c’étaituneréunion parfaitement inutile, son régisseur lui ayant fait parvenir à son club de Nairobi des rapportstrimestrielssurlespropriétésducalespendanttouteladuréedesonabsence.Maisils’abstintd’enfairepartàEdiecar,aprèsletumultedelaveille,elleavaitsansdoutebesoinquequelqu’unjouelestampons,etlesecetméthodiqueEcossaisRobsonétaitparfaitpourcerôle.

Lorsqu’elle pria l’administrateur d’informer le duc sur l’état actuel des domaines, Stuart ignoral’expressionlégèrementperplexedeRobsonetl’encouragead’unhochementdetête.Etquandcederniersemit endevoir d’énumérer les diverses rénovations effectuées dans les propriétés ducales, il écoutaavecattentiontoutcequ’ilsavaitdéjà.

Edieattenditquelesdeuxheuresfussentécouléespourmettreuntermeàlaréunion.Elleprétextaalorsundéjeuneraveclesautresmembresducomitépourlesventesdecharité,suividevisitesurgentesàdesdamesducomté,etquittaStuartauplusvite.

Sans doute ressentait-elle le besoin demettre de la distance entre eux, supputa le duc. Pour êtrehonnêteaveclui-même,ilenavaitbesoinluiaussi.

Ilavait toujourssuqu’Edien’étaitpascommelesautresfemmes.Enrevenantd’Afrique,ilsavaitqu’ellen’accueilleraitpasbienl’idéed’unvraimariageentreeux.Et,lorsqu’ilsavaientengagécepari,iln’ignoraitpasqu’obtenird’elleunbaiserneseraitpaschosefacile.Ilavaitégalementcruconnaîtrelesraisonsquisecachaientderrièretoutcela,maisserendaitcompteàprésentqu’iln’yavaitrienvu.

Lavérité, lorsqu’elleavait surgi, l’avait laisséstupéfaitet furieux.Aprésent, lechoc initialétaitpassé,et ilavait refoulésarage jusqu’au tréfondsde lui-même.Ilétaitmaintenantconfrontéàquelquechosedebienplusdifficile,quelquechosequesonexpériencedesfemmes,vastemaisjamaisvraimentapprofondie,neluiavaitpasenseigné.

IlallaitdevoirfairerenaîtrechezEdieledésirqu’unautrehommeavaittué,susciterleplaisirchezune ladyqui, en fait d’amour physique, n’avait jamais expérimenté que la brutalité.Et il dut s’avouerqu’ilsesentaitcomplètementdémuni.C’étaitsansdoutelapremièrefoisdetoutesavied’adultequ’ilnesavaitabsolumentpascomments’yprendrepourséduireunefemme.

C’étaiteffrayant…Etsi,quoiqu’ilfasseoutentedefaire,cen’étaitpassuffisant?Toutefemmeméritaitdeconnaître

lesplaisirsdel’amour—lasatisfactionphysique,maisaussilatendresse,l’intimité,lajoiedelachoseenelle-même,etc’étaitlerôled’unhommedelesluidispenser.S’iléchouait,Edieneconnaîtraitpeut-êtrejamaisriendetoutcela.

Toutenluiserebellaitcontrecettepensée.Elleétaitsafemme.Elleméritaitcesplaisirs,pardieu,etc’étaitàluidelesluidonner.Maiscomment?

Iln’avaitpourlemomentqu’àobtenirunbaisermaisilsavaitque,s’ilinsistaittropouallaittropvite,elleprendrait la fuite,etaudiable leurpari.S’ilgagnait, rienne luigarantissaitnonplusqu’elle

honorerait ensuite son engagement. Pourrait-il l’en blâmer ? Et même si elle demeurait à ses côtés,saurait-illarendreheureuse?L’agressionqu’elleavaitvécuesedressaitentreeuxcommeunmur.Ets’iln’arrivaitpasàypercerunebrèche?Sielledécrétaitunjourqu’elleétait incapablederespecterleuraccordetlequittait?

Stuartécartaceshypothèses.Ildevaitgagnerunbaiser,c’étaitsonseulbutpourlemoment.Quantaureste,ilseraittempsdes’ensoucierlorsqu’ilauraitfranchilapremièreétape.

Chapitre13

Edie s’était peut-être imaginé que quitter Highclyffe l’espace d’un après-midi lui permettraitd’échapperàStuart—elles’étaitgrandementtrompée.

Lesdamesducomté sedéclarèrent raviesdu retourduducet s’étendirent sur lebonheurqu’elledevaitéprouver,enl’assurantqu’ellen’auraitplusàsepréoccuperd’assumersondevoiràprésentquesonmariétaitàlamaison.Et,biensûr,ilyauraitbientôtunpetithéritierdanslanurserie.

Sesentantcernéedetoutesparts,Ediefinitparrenonceràsesvisitesetrentraàlamaison,oùelletrouvavital de sepasserde thépour fairedu tri dans lespiècesde rangement sous les combles avecMmeGates.

Maisellenepouvaitconstammentéviterd’êtreseuleavecStuart.A cinq heures, une servante vint l’informer que sa grâce avait fini son thé et l’attendait sur la

terrassepourleurpromenadedusoir.Edierejoignitleducavecappréhension,lequelnefitheureusementaucuneallusionauxmortifiants

événementsdelaveille.Tandisqu’ilsarpentaientlesjardinsavecSnuffles,ellemaintintlaconversationsurunterrainneutreetsûr:lebeautemps,lesnouvellesduvillageetl’étatdesplates-bandes,etStuartparutsecontenterdecessujetsbanals.

Elleregagnaensuitesachambrepoursechangeretrevêtitlemêmegenrederobelâchequelejourprécédent,maiscette fois encoreellegarda soncorset.Stuart avaitpeut-être raison lorsqu’il affirmaitqu’elleseraitplusàl’aisesanscesous-vêtementpourl’aideràs’étirer.Maisplusilyavaitdebarrièresentreeux,mieuxcelavalait.

Nonpasquecelafîtlamoindredifférencepourtant,carlorsqu’ilfrappaàsaportequelquesminutesplustard,elleallaluiouvriravecnervosité.

La vue de Stuart dans sa veste d’intérieur lui rappela l’intimité de la veille et les douloureusesrévélationsquienavaientdécoulé;quandilrefermalaportederrièrelui,lebruitduloquetlafitreculerjusqu’àl’autreboutdelapièce.Ilentrepritalorsd’ôterseschaussuresetsaveste,surquoiEdies’affairaà remettre en ordre les flacons sur sa coiffeuse—ce qui ne fit qu’empirer les choses, car elle avisaparmi les autres la fiolevertequi contenait le liniment.Commentparviendrait-elle à se sentir assez àl’aiseensacompagniepourleluiappliquer?Ellen’arrivaitmêmepasàl’imaginer.

Lorsque Stuart lui demanda si elle était prête à commencer, Edie se leva et le rejoignit sans leregarderenface.

Cequ’ilremarquasur-le-champ.—Edie,nesoyezpasnerveuse.—Jenesuispasnerveuse.

Ellegrimaçaenprononçantcesmots,tantellesesavaitpeuconvaincante.—C’estvrai,admit-elle.Jesuisnerveuse.—Moiaussi,sicelapeutvousaider.Ils’allongeasurledosettenditsajambeversleplafond.—Aprèstout,ajouta-t-il,commeellepassaitunbrasautourdesacuisse,c’estvousquiaveztout

pouvoirencetinstant.Etantdonnéqu’ellen’aurait jamais choiside se retrouverdans cette position, la jambedeStuart

chaudementpresséecontresoncorps,ellen’avaitpasl’impressiondedétenirlemoindrepouvoir.—Commentcela?Ilécartalargementlesbras.—Jesuisàvotremerci.Sijemeconduismal,vouspouvezmelefairepayer.Ellenevoyaitpascomment—ilssavaienttousdeuxqu’ilpouvaitabuserd’elleàn’importequel

moment s’il le souhaitait. Mais elle ne poussa pas le sujet plus loin, et ils accomplirent tous lesétirements sans ajouter un mot. L’intimité de cette coopération n’en était pas moins puissante que laveille,bienaucontraire,etellesesentitextrêmementsoulagéelorsqu’ilseurentterminé.

Elleserelevaets’écartaunpeu.—Celacommence-t-ilàfairedel’effet?Lamarcheetlesétirements?—Jecrois.Ilremuasajambepourenjugerpuisselevapourfairepeserunepartiedesonpoidssursacuisse

blessée.—Oui,jecroisvraiment,ajouta-t-ilauboutd’unmoment.C’estunpeudouloureux,maisj’espère

quelelinimentquem’adonnéCahillpourram’aider.Oùl’avez-vousrangé?Edie se figea, et le sentiment de mortification qu’elle avait ressenti le jour d’avant déferla de

nouveauenelle,décuplé.—Jenepeuxpas,Stuart,laissa-t-elleéchapperenfrottantsesmainssurlescôtésdesarobe.Cette

partie-làdelatâche,jenepeuxpas.Ilneparutpassurprisethochalatête.—Vousn’êtespasobligée,Edie,sivousnelevoulezpas.Cettepaisibleacceptationdesonrefuslapoussaàs’expliquerdenouveau.—Jedésirevousaider,commença-t-elleenallantchercherlafiolesursacoiffeuse.Vraiment.Mais

vous…maintenantvousdevezcomprendrequ’ilyadeschosesquejesuisincapabledesupporter.Tenez,fit-elleenluitendantl’objet.

Illuipritlabouteilledesmains.—Edie…— Je sais que vous voudriez que je le fasse, ajouta-t-elle, les joues empourprées. Et je sais

pourquoi,évidemment.Jeveuxdirequejenesuispasunegamineinnocente.Pourquelqueétrangeraison,cettedéclarationlefitsourire.—Maisc’estallerunpeutroploin,Stuart.C’esttrop…trop…Elledétournalesyeux,s’efforçantd’articulerlederniermot.—Intime.—Edie,arrêtez.Ilenfonçalafioledanssapoche,s’approchad’unpasetposalesmainssursesbras.—Vousn’avezpasàvousjustifierdequoiquecesoitdevantmoi.Et,bienqu’ellesefûtécartée,ilpenchalatêtepourlaregarderenface:—Voilàquimefournitl’occasionquej’attendais,enfindecompte.

—L’occasion?répéta-t-elled’unevoixfaible.—Oui. Il y a quelque chose que je dois vous dire, je le sens, mais je ne savais pas comment

aborderlachose.Etcequivientdesepassernefaitquesouligneràquelpointc’estnécessaire.Avantquejenevouslaissevouschangerpourledîner,nepouvons-nouspasnousasseoiretparleruninstant?

Edieauraitpréférémettreuntermeàcetintermède,maiselleacquiesçanéanmoins.D’ungeste,elledésignalesdeuxfauteuilsdeveloursprunequiflanquaientlacheminéeetallas’installerdansl’und’eux.

Stuart ne prit pas l’autre. Marchant jusqu’à la coiffeuse, il en tira le tabouret capitonné placédessousetvintledisposerjustedevantEdie.

Songenoueffleuralesientandisqu’ils’asseyaitenfaced’elle,maisileûtétéabsurdedeprotesterpuisqu’ilss’étaienttrouvéstellementplusprochesl’undel’autrequelquesminutesplustôt.

Acettepensée, lapiècesemblasoudainplusétouffanteàEdie.Siseulementlesfenêtresouverteslaissaiententrerunpeudebrise!Ellesetournaunpeusurlecôtéetcroisasagementlesmainsdanssongiron.

—Dequois’agit-il?—Chaque foisque lesgensse fontdesconfidences, ils sesentent toujoursunpeugênésensuite,

assuraStuart.Ilétenditsajambedroitelelongdufauteuild’Edie,posasacanneetsepenchaenavant,lesbras

croiséssursongenougauche.—S’ilvousplaît,nepensezpasquejechercheàvousrendrelatâcheplusdifficileniàvouscauser

davantaged’embarrasoudepeine,maisilyaunechosequejedoisaborder,aprèscequim’aétérévéléhier.

Ellejetauncoupd’œilquasidésespéréverslaporte.—Jepréféreraisquevousn’enfassiezrien.—J’ensuissûr.Etjeneleferaispassijenesentaisquec’estabsolumentindispensable.Maisc’est

sacrémentdifficile…Ilsetutpendantunlongmoment,pressantunpoingsursabouche,lesyeuxfixésauloin.Edieattendit, lesdoigtsdeplusenpluscrispéessursesgenoux,priantpourqu’il luidiseauplus

vitecequ’ilavaitàdire,quellequ’ensoitlateneur.Illaissaenfinretombersamainetposadenouveausonregardsurelle.—Edie,j’ail’impressionquevousétieztotalementinnocentequandcelavousestarrivé,quevous

n’aviezpaslamoindreexpérienceenlamatière.Est-cequejemetrompe?Oh!Seigneur!Edies’agrippaauxbrasdesonfauteuil.—Pourquoimedemandez-vouscela?chuchota-t-elled’untonâpreendétournantlevisage.—Parceque,s’ilenestainsi,ilyaquelquechosequevousnepouvezpassavoir,quelquechose

que vous devez apprendre. Chez tous les animaux, y compris les humains, il existe des règles. Qu’ils’agissed’unehardedelions,d’unecoloniedesingesoud’uncouplehumain,l’unedesrègleslesplusbasiquesdetoutesociétéestquelafemelleatoujoursledroitderefuserlesavancesdumâle.

Edies’agitasursonsiège,simalàl’aisequ’ellepouvaitàpeinerespirer.—S’ilvousplaît,jeneveuxabsolumentpasenparler.— Je sais, et je suis désolé de vous causer de la peine, mais il est important de clarifier

complètementcela.S’ilvousplaît,Edie,regardez-moi.Elle s’efforçad’obtempérer.Stuart étaitgrave, et la tendressequ’elle lutdans sesyeux faillit lui

faireperdretoussesmoyens.Mais,aussidifficilequecefût,ellesoutintsonregard.—Jesupposequevousnecroyezpasencetterègle,poursuivit-il.Certainshommespassentoutre,

detouteévidence.

Ilgrimaçaàcesmotsets’arrêtaletempsderespireràfond.—Maisjeveuxquevoussachiezqu’entrenous,Edie,elleestinviolable.—C’estfacileàdirepourunhomme,Stuart,observa-t-elled’unevoixentrecoupée.—Jem’en rendscompte, fit-il doucement.Maisnous savons tous deuxquemon intention est de

vousséduireet,endépitdecequej’aiapprishier,celan’apaschangé.C’estjouerfrancjeuquedevousprévenirquejevousferaidesavances.Jepourraisprendrevotremain,parexemple.

Penché en avant, il joignit le geste à la parole— lentement, en lui laissant tout le temps de lerepoussersiellelepréférait.

Edienebougeapaslorsqu’illuisoulevalamain,sanslaserrertropfort.—Vouspouvezlaretirersivouspréférez.Delapulpedupouce,ilfrôlasesphalanges.—Levoulez-vous?La caresse était aussi légère que celle d’uneplume, et pourtant elle lui arrachait des frissons—

d’appréhension,etd’autrechoseaussi.—Vousnefaitesquetenirmamain,fit-elleremarquerd’untonqu’elletâchaderendreindifférent.

C’estplutôtinoffensif,semble-t-il.—C’estvrai,maisjepourraislaretourner.Cequ’ilfitlentement,eneffleurantsapaume.Chatouillée,EdietressaillitetStuarts’arrêta.Ellesavaitcequ’ilattendait—qu’ellechoisisses’il

devaitcontinuerounon.Ellenebougeapas.—Jepourrais…Il observa une pause puis, enveloppant samain dans la sienne, la souleva et rencontra les yeux

d’Edietandisqu’ilpressaitsamaincontresajoueàlui.—Jepourraisl’embrasser.Iltournalatête,leregardtoujoursplongédanslesien,etdéposaunbaiserdanssapaume.Elle le ressentit dans tout son corps ; c’était une sensation qui n’avait rien à voir avec la peur.

Poussantunpetitcridesurprise,elleretiravivementsamain.Mêmealors,ellesentaitencorelachaleurdeseslèvrescontresapaume.Résistantàl’impulsionde

cachersesmainsderrièreelle,Edies’efforçadeparler.—Jesupposeque…Elles’interrompit,essayantd’introduireunenoteacerbedanssavoix.—Jesupposequevousêtesincapablederésisteràlatentationdefairecegenred’avances?Laquestionjaillitdansunmurmurehaletant,bienloind’êtreaussimordantequ’ellel’avaitsouhaité.—Jecrainsquenon,répondit-il.Ilavaitparléd’unevoixgrave,maisunsourirejouaitauxcoinsdeseslèvres.—J’étaissûrequevousrépondriezcela.—L’enjeuestdetaille,Edie,etsijejouecejeu,c’estpourgagner.Etcessantdesourire:—Maissi je faisou tentede fairequoiquecesoitquevousn’aimiezpas,ounesouhaitiezpas,

vousn’avezpasàjustifiervotreobjection.Toutcequevousavezàfaire,c’estdirenon.C’enétaittroppourelle!Elleserralespoings,prêteàcraquer.—Maisj’aiditnon!cria-t-elle.Jeluiaiditnon.Jel’airépétéetrépété.Stuart serra les lèvres et, l’espace d’un instant, elle lut de la souffrance sur son visage. De la

souffrance,etaussidelacolère—contrecequ’elleavaitsubi,comprit-elle.—Jenedoutepasquevousl’ayezfait.Maisjenesuispaslui.

Iltenditlamain,luieffleurantlajouepourchasserunemèchedesescheveux.—Edie,essayezdetoujoursvousrappelercela.Jenesuispaslui.Surcesmots,ildétournalesyeuxetjetaunregardversl’horlogeposéesurlacheminée.—J’aidépassémontempsd’unquartd’heure,àcequejevois.Ilrepoussaletabouretetrepritsacanne.—Vouspourrezmefaireune retenuedemainpourcompenser,ajouta-t-ild’un ton léger.Mêmesi

j’espèrequevousn’enferezrien,carjesuissûrquevousavezpournousdesprojetstrèsexcitants.Ediepritunelongueinspirationpourretrouversoncalmeetseleva.Elleluiétaitreconnaissantede

cettetaquineriedésinvolte,quil’aidaitàserecomposeruneattitude.—Oh!oui!Desprojetstrèsexcitants.—Quelquespartiesdewhistaveclesvieillesfillesducomté?supputa-t-ilenselevantàsontour.

Oupeut-êtrel’officedusoir?—Nil’unnil’autre.Dumoinspasdemain.Nousironsfairedescoursesauvillage.Joannaetmoi

devonsrendrevisiteàMlleMay.Ilgémit.—Lamodiste?Vousplaisantez,j’espère?—C’estmasortie,c’estmoiquichoisis.Vousavezvous-mêmeédictécesrègles,rappelez-vous.—Ilyadeslimites,Edie,grogna-t-il.Lepasteur,M.Robson,etmaintenantMlleMay?—Nousnousarrêteronspeut-êtreaussichezledrapier.—Depireenpire!Maisvostentativesflagrantesdem’ennuyeràmortnemarcherontpascar,quoi

que nous fassions, je ne vous trouve jamais ennuyeuse. J’apprécie votre compagnie, même si c’estseulementpourrendrevisiteàlamodisteetaudrapier.Toutefois,ajouta-t-ilensedirigeantverslaporte,jepourraisbienvousdéroberunbaisersurlechemin,pouranimerunpeuleschoses.

Edieressentituneembardéedanssapoitrineàl’évocationdecettepossibilité,puiss’aperçutavechorreurqu’ellepercevaitenelleuntrèslégermaisbienréelfrémissementd’anticipation.Laseulepenséequ’elle puisse espérer être embrassée par Stuart lui parut si surprenante et si folle qu’il avait déjàtraversélapièceetouvertlaportelorsqu’elletrouvaenfinuneréponseappropriée.

—Mêmesivousm’embrassiez,fit-elleenrassemblantsadignité,celanecompteraitpas.—Exact.Ils’arrêtasurleseuiletluisouritpar-dessussonépaule.—Amoinsquevousn’accueilliezlebaiseravecempressement.—Celanonplusnecompteraitpas.Ilsecontentaderire,puisfranchitlaporteetlarefermaderrièrelui.

***

Lelendemainaprès-midi,ilsserendirentchezMlleMay,maisEdienefitendureràStuartquevingtminutesdeshopping.Elleachetalepaquetdeplumesdontelleavaitbesoin,puisilsprirentcongé.

Joanna demanda ensuite l’autorisation d’aller voir lematériel de peinture et de dessin au grandmagasinFraser,cequ’EdieacceptaenchargeantMmeSimmonsdel’accompagner.

—Ainsi, Joanna aime jouer les artistes peintres ? s’enquit Stuart, tandis que la jeune fille et sagouvernantedisparaissaientdanslaboutique.

—Elleadorecela.Etelleest trèsdouée,mêmepour lapeintureà l’huile.Chaque foisquenousallonsàLondres,elleveutvisiterlesmuséeset lesgaleriesd’art.L’Expositionroyalea lieuautourdesonanniversaire,aussijel’yemmènechaqueannée.Elleaunepassionpourlapeinture.

—Vraiment?Songeur,ilplissalefrontenfixantlavitrinedeFraser.—Voilàquiestbonàsavoir,murmura-t-il.—Pourquoidonc?IlreportasonattentionsurEdie.—Oh!pourNoël.Etsonanniversaire.Etdésignantlaportedumagasin:—Vousnevoulezpasentrer?—Non,non.J’aiuneautreboutiqueàvisiter.NousreprendronsJoannaauretour.—ChezWhitcombs?demanda-t-ilcommeilsremontaientlaGrand-Rue.C’estlàquenousallons,

jesuppose?Ellerit.—Ledrapier?Oh!non,jenevaispasvousfairesubircela.Vousavezdéjàététrèschicenvenant

chezMlleMay.—C’estunechancepournousdeuxalors.Puisquevousm’épargnezlacontemplationdesboutonset

desépingles,jevaiscesserdemijoterdesplansdevengeance.—Parcequevousenfaisiez?—Certes,maisn’espérezpasquejevousdiselesquels.J’ail’intentiondelesgarderenréserveau

casoùvousdécideriezdemetraîneràl’unedesréunionsdevotrecomitédebienfaisance.Elleserenfrognaenrepensantàsesvisitesde laveilleetauplaisirque le retourdeStuartavait

suscitéchezlesdamesducomté.—Jene ferais jamaiscela.Avecvous,nousne ferions rienquivaille.Les femmesseraientbien

tropoccupéesàpapillonnerautourdevouspouraccomplirlemoindretravail.—Celavousrendrait-iljalouse?—Non.Jesuislaseulefemmeducomitéendessousdesoixanteans.—Oui,maissicen’étaitpaslecas?insinua-t-ilavecunregardmalicieux.Siellesétaienttoutes

jeunesetbelles,hein?L’élancementdejalousiefutsiviolentetinattenduqu’Ediefaillittrébuchersurletrottoir.Illuiparut

soudainindispensabledefeindreleplusgrandintérêtpourlaconfiserieHavershamprèsdelaquelleilspassaient.Elle s’arrêta et s’inclina vers sa vitrine en plaçant lesmains de chaque côté de son visagecommepourscruterl’intérieur.Ellecraignaitbienquesessentimentsnesoientécritssursafigure,etilluifallaitàtoutprixcachersonexpression.

Ilsepenchaverssonoreillepourluichuchotersousleborddesacapeline:—Rienàrépondresurcepoint,hein?—Cen’estpaslapeine,murmura-t-elle,entâchantdeprendreuntonaussicompasséetindifférent

quepossible.Jevousaiditquandnousnoussommesmariés…Elles’arrêtaetdéglutitavantd’achever:—Quevouspourriezcoucheravectouteslesfemmesquevousvouliezetquecelameseraitégal.—Edie,allons, fit-ild’unevoix légèrementgrondeuse.Donnez-moi justeunpetitencouragement,

voulez-vous?Etdepousserlenezcontresonoreille,là,enpleineGrand-Rue.—Justeunminuscule.Dites-moiquel’idéed’uneautrefemmevousrenduntoutpetitpeujalouse.Elleavaitlevisagebrûlant,empourpré,etelleauraitvouluappuyersajouecontrelavitre.—Peut-être,chuchota-t-elle,admettantenfinlaconsternantevérité.Untoutpetitpeu.Ilrit,d’unrirelégerquirésonnatoutprèsdesonoreille.Puisils’écarta,apparemmentsatisfait.

—Désirez-vousquelquechosechezHaversham?—Hum… Je ne sais pas. Je réfléchis, prétendit-elle, essayant de se concentrer sur l’étalage de

rangéesdepetitsfoursetdebiscuitspourlethéetnonsurlefaitqu’ellesentaitencorelefrôlementdeslèvresdeStuartcontresonoreille,bienqu’ilsetîntmaintenantàunpasd’elle.

—Desbonbons,peut-être?Al’entendre,celasemblaitterriblementmal!—Desbonbons,oui, fit-elle en s’écartantde lavitrine. Je croisque jevais entrer. Ils enont au

chocolat,àcequejevois,etJoannaadoreceux-là.—Alors jevaisvous laisserquelquesminutes. Il fautque j’aille aubureaudu télégraphe. Jene

seraipaslong.—Vousvoulezenvoyeruntélégramme?—Plusieurs,enfait.Ilnes’expliquapasdavantage.—Sivousvoulezbienm’excuser…Elle le regardadésigner l’autrecôtéde la rueetopinade la tête.Après tout, ilne luidevaitpas

d’explicationssursacorrespondance.—Biensûr.Elleseréjouitdecetteséparation.Lorsqu’ilrepassalachercher,sesjouesétaientmoinschaudes,et

elleavaitretrouvésoncalme.Ilremarquaqu’elleavaitlesmainsvides.—Pasdechocolats?s’enquit-ilcommeellelerejoignaitsurletrottoir.—Pasaujourd’hui,répondit-elleenremontantdenouveaulaGrand-Rue.Jemelesferailivrer.—Alorsoùirons-nousensuite?questionna-t-ilenluiemboîtantlepas.Oupeut-êtrepréférez-vous

fairedurerlesuspense?—Nousysommesdéjà.Elles’arrêtadeuxboutiquesplusloinetdésignauneportepeinteenbleu.—Jeveuxvisiterlemagasind’antiquitésdeBell.—Antiquités,monœil.Iln’yarienchezBellquidated’avantlerègnedeGeorgesII.Edieneputs’empêcherdepouffer,etStuarts’immobilisa,lamainsurlapoignée.—Qu’ya-t-ildesiamusant?—Stuart,n’importequelobjetdatantdurègnedeGeorgesIIestplusancienquemonpays!Ilsouritàsontour.—C’estvrai,fit-ilenouvrantlaporte.A l’intérieur,Edie se dirigeavers les bijoux, dans l’espoir de trouver unebrocheouuneboucle

assortieauchapeauqu’elleétaitentrainderefaire.Apeinesepencha-t-ellesurl’unedesvitrinesqueStuartl’appeladepuisl’autrecôtédelapièce.

—Edie,venezvoirceci.Elle jeta un coup d’œil dans sa direction,mais ce qu’il regardait lui était caché par un cabinet

orientaldelaquerouge.Ellecontournaalors lemeublepour lerejoindre:cequiretenaitsonattentionétaitunegrandeboîteàmusiqueennoyer,avecunplaquageenloupedenoyer,despoignéesenlaitonetdesincrustationsdenacresurledessus.

Disposéesurunetableassortie,c’étaitvraimentunebellepièce.M.Bell,toujourspromptàrepérerunclientintéressé,seprécipitaverseux.—C’est une boîte àmusique Paillard, votre grâce.Unmécanisme suisse, bien entendu, avec un

orgueàvingtclésettroiscylindres.

—Etantdonnéleniveaudesophistication,elledoitêtredefabricationtrèsrécente.—Oh!oui,c’esttoutnouveau.ElleappartenaitàMmeMullins,dePriorLodge.Ellesel’étaitfait

livrerdeZurichl’annéedernière,maiselleestdécédéepeudetempsaprès.Safillevità l’étrangeretn’enveutpas,aussiseshommesdeloim’ont-ilsdemandédelavendrepourelle.

Stuartlevalesyeux,uninstantdistrait.—MmeMullinsestmorte?Jesuisdésolé.—Oui,oui.Maiselleavaitquatre-vingt-dixans,voussavez.—C’estvrai.Etpassantlesmainssurlecouvercle:—Puis-je?—Biensûr.Tandisqu’ilouvraitlaboîte,M.Bellluimontraunepetitepoignéesurlecôté.—Ilfauttournercecipourmettrelamusiqueenroute.Permettez-moidevousmontrer.Iljoignitlegesteàlaparole,etunevalsesemitaussitôtàégrenersamélodie.EdievitStuartsouriredoucement.—Strauss,murmura-t-il.DommagequecesoitSangviennois.JepréfèreVoixduprintemps.Illuijetaunregard,etEdieserappelasoudainlasalledebaldeHanfordHouse—lesbeauxyeux

grisdeStuartfixéssurelletandisquerésonnaientVoixduprintempsdeStrauss,etladestinéel’attirantversluitelunaimant.

—Vousvoussouvenezdonc,murmura-t-elle.M.Belltoussota.—IlyauncylindrepourVoixduprintemps,dit-ilenouvrantletiroirdelatable.Voici.MaislesyeuxtoujoursfixéssurEdie,StuartagitalamainendirectiondeM.Bellquis’éclipsaavec

tact.—Jen’airienoubliédecesoir-là,Edie.—Moinonplus.Ellerougitaussitôt,maisneputdétournersonregardetesquissaunsourire.—Votrecravateétaitdénouée.Ilsouritàsontour.—Ahbon?Celanemesurprendpas.Maisj’aidûchoquertoutlemondedanslasalledebalenme

montrantdanscettetenuelégère.Sonsourires’évanouit.—Voussavez,lorsquejevousaivuecesoir-là,j’aivouluvousinviteràdanser,maisjenevous

connaissaispas,niceuxquise tenaientprèsdevous,et j’aipenséqu’iln’étaitguèreutiledemefaireprésenterpuisquejedevaispartirquelquesjoursplustard.Maisàprésentjeregrettedenepasl’avoirfait,Edie.Pardieu,j’auraisdûvousprendredansmesbrassur-le-champetvousentraînersurlapiste,etaudiablelesconvenances.

Ilbaissalesyeuxverssacanne.—Sij’avaissuquejenedanseraisplusjamais…J’auraisaiméquemadernièredansesoitavec

vous.Ediesentitsoncœurseserrer.EllepercevaitlapeinedeStuartetsouffraitaveclui.Ellel’observa

uninstantavantdemurmurer:—Ce sentiment romantiqueme touche, mais vous l’auriez regretté tout de suite. Je ne sais pas

danser.—Sottises.Touteslesfillessaventdanser.

—Pasmoi.Jesuiscatastrophique,parcequejesuissigrandequecelaembarrassemescavaliers.Etpuis,ajouta-t-elleavecunemouecontrite,jeveuxtoujoursmener.

Ilsemitàrire,etàlagrandejoied’Ediesonsoudainaccèsdemélancolieparutsedissiper.—Cela,jeveuxbienlecroire.—Chaquefoisquej’aidansé,lerésultats’estrévélédouloureusementembarrassantpourlepauvre

hommeconcerné—orteilsécrasés,chevillestordues,amour-propreblessé.—Encecas,c’estsafaute.Aucunbondanseurnelaissesapartenairemener.Ils’arrêta,baissantlescils.—Dumoinssurunepistededanse.Ilrelevalespaupières,etellesentituneondedechaleurparcourirsoncorpstandisqu’ilposaitsur

ellesonregardenflammé.Lorsqu’ilplongeadenouveaudanssesyeux,elleeut l’impressiondefondredevantlui.

S’il s’en aperçut, il n’enmontra rien et se détournapour abaisser doucement le couvercle sur laboîte.

Elleenfutsurprise.—Vousnevoulezdoncpasl’acheter?—Non.Ilnelaregardapasetlançaens’éloignant:—Ilyadesoccasionsquinereviennentpasdeuxfois.

Chapitre14

Unefoisrentrés,ilsprirentlethésurlaterrasse,puisStuartexprimaledésirdevisitercertainsdescottages,etilspartirentpourleurpromenadedusoiraccompagnésdeSnuffles.

Surlecheminduretour,ilspassèrentdevantlaroseraie.Stuartralentit lepasnonloind’unrosiergrimpantd’unbleulavandeprofondquiportaitquelques

fleurstardives.—Quellesjoliesroses,commenta-t-ilens’arrêtant.Ediefithalteprèsdelui,surprise,etl’enveloppad’unregarddubitatiftandisqu’ilenserraitl’une

desfleursdanssamainpourenrespirerleparfum.Iljetauncoupd’œilàEdieetéclataderireenapercevantsonexpression.—Avous voir, on dirait que je viens juste de dire que le ciel a une ravissante nuance de vert,

remarqua-t-ilenrelâchantlarose.—Jenepensaispasquevousétiezlegenred’hommeàvousintéresserbeaucoupauxroses.—Non?Maisvousnemeconnaissezpasencoreassezbienpourenjuger,vousnecroyezpas?Au

fait,comments’appellecetterose?—Jeneluiaipasencoredonnédenom.—C’estvousquil’avaitgreffée?s’étonna-t-il.Laquestionavaitétéformuléesuruntonsiinnocentqu’Edieconçutaussitôtdessoupçons.—C’estmoi,eneffet.Ellel’étudia,lespaupièresétrécies.—J’ailanetteimpressionquevouslesaviezdéjà.Ilsourit.—Vousêtes tropfutéepourmoi.D’accord, jereconnais lavérité.Hier,aprèsnotreréunionavec

Robson,j’aieuunelongueconversationavecBlake.—Ahbon?Stuartsouritpluslargement.—Oui.Nevousavais-jepasprévenuequej’auraisbientôtlesserviteursdemoncôté?Blake,vous

serezdésoléedel’apprendre,m’atoutracontésurvotrepassionpourlaculturedesrosesetm’amontréavecempressementvotredernièrecréation.Peut-êtrequ’unjourprochainvousmemontrerezlesautresrosesquevousavezgreffées?

Ellereniflaavechauteuretdétournalesyeux.—Commesivousvoussouciiezdemesroses!

—Biensûrquesi.Celam’intéresseparcequec’estquelquechosequivouspassionne,etjeveuxensavoirplussurcequevousaimez.

—Laplupartdeschosesquej’aimevousennuieraient,jelecrains.—Vraiment?Qu’est-cequivousfaitdirecela?—Grefferdesroses!Commentcelapourrait-ilvousintéresser?—Jenesaispas.Maiscen’estpasimpossible.Ellesecoualatête,incrédule.—Vousavezsillonnél’Afrique,vudeséléphants,desrhinocéros,deslions…Elles’arrêtanet,serappelantsablessure.—Aprèstoutcela,laculturedesrosesdoitsemblerdérisoireàunhommetelquevous.—Unhommetelquemoi…,répéta-t-il.Ilsetut,observantSnufflesquifourrageaitentredeuxbuisdelahaie.—Vousvoulezsansdoutedirel’hommequej’étais,ajouta-t-ilaprèsunmoment.Edie,frappéeparcetteremarque,sesouvintdeleurconversationdanslemagasindeM.Bell.—Jesuisdésolée.Jenevoulaispasvousrappelerdessouvenirsdouloureux.Ilhaussalesépaulescommesic’étaitsansimportance.—Pourquoiéviterd’enparler?Jenesuisplusl’hommequej’étais,ilseraitinutiledelenier.Etje

neveuxpasseulementdireàcausedecela,nuança-t-ilenmontrantsajambe.J’étaislegenredegarsquine tientpasenplace,c’estvrai,et jemesuis lancédans lessafarisavecenthousiasme.J’aimaisàmedemandercequ’ilpouvaitbienyavoirdel’autrecôtédelamontagne,etj’adoraisledécouvrir.Maisceque je n’avais pas compris avant d’avoir cet accident, c’est que si on désire toujours aller dans denouveauxendroits,onnes’arrêtejamaisassezlongtempspourvoirvraimentlabeautéquinousentoure.

Iljetaunregardcirculairesurlejardin.—Highclyffe,parexemple.Toutemavie, j’aiconsidéréce lieucommeallantdesoi,mais jene

savaispascombienjel’aimais.Aprésent,jel’appréciebienplusquequandj’ensuisparti.Edieréfléchit.—Jesupposequelorsqu’onaétéconfrontéàlamort,fit-elleenfin,celachangevotreapprochedes

chosesàtoutpointdevue.—Oui,aussi.Maisilyauneraisonencoreplussimpleàcela.Mablessurem’aralenti.Nepouvant

pluscouriroù je levoulaisà lamoindreoccasion, j’aiétéobligéd’imprimeràmavieunrythmepluslent.

—Celaadûêtretrèsdurpourvous.—Audébut,oui.C’étaitinfernal.Pourtant,auboutd’unmoment,j’aicommencéàvoirdeschoses

quejenem’étaisjamaisdonnélapeinederemarquer.Avant,ilfallaitvraimentquequelquechosesoitfrappantpourquej’yprêteattention.

Ilobservaunepause.—C’estpourquoijevousairemarquée.—Cen’estpasbiendifficileàremarquer,unefilled’unmètrequatre-vingts!répliqua-t-elleense

forçantàl’autodérision.Etceladevientencoreplusdifficile,lorsqu’ellevouspoursuitdansleparcpourvousdemanderenmariage.

Ilsecoualatête.—Non,non.Cen’estpasdutoutcequejeveuxdire.Ilserapprochad’elle,assezprèspourquelejabotbouffantdesarobed’après-midiluieffleurela

poitrine.

—Pourcommencer,vousn’êtespasplusgrandequemoi,murmura-t-ilenposantledoigtsoussonmentonpourhaussersonvisage.D’accord?

Ediese figeasouscet infime toucher,maisellen’eutpas la forcedereculer.Nidedétourner lesyeux,tandisquelesprunellesgrisesdeStuartviraientàdesnuancesplussombres.

—Ensuite,dois-jevousdirepourquoijevousairemarquée?Vousmeregardiezdetousvosyeux,poursuivit-il sans attendre la réponse, et votre regard était si intense, si farouche, sans que je puisseimaginerpourquoi.

Elles’obligeaàarticulerquelquesmots.—Commec’étaitimpolidemapart!—C’étaitfascinant.J’avaisl’impressiond’avoirétéatteintparuneflèche.Ileutunpetitrire.—LaflèchedeCupidon,peut-être.Ellefronçalessourcils,incertaine.—Essayez-vousdem’amadouer?Illadévisagead’unœildirect,déconcertant,sibienqu’ellefutincapablededétournerlesyeux.—Non,Edie.J’ai tendanceà faireunpeudecharme, je lesais.J’ai toujoursétéainsi.Mais,en

l’occurrence,jesuissérieux.Lapremièrefoisquejevousaivue,j’aiétéconfrontéàquelquechosedontjen’avaisjamaisfaitl’expérience.Vousneressembliezàaucunedesjeunesfillesquej’avaisrencontréesauparavant.Lafaçondontvousmeregardiezn’avaitriendeprovoquant,maisn’étaitpasindifférentenonplus.Jeneparvenaispasàladéfinir.Etjenesuispascertaind’yréussir,mêmemaintenant.

Elle n’avait pas l’intention de l’aider sur ce point. Pas question d’admettre que sa premièrerencontreavecluis’étaitrévéléetoutaussibouleversantepourelle.Oh!paslaflèchedeCupidon,maislamêmefascination.

—Entoutcas,reprit-il,j’aiaimél’Afriqueparcequ’elleséduisaitl’hommequej’étaisalors.C’estun continent où tout est immense— les animaux, les plaines à perte de vue, les couchers de soleilmagnifiques, comme si le ciel était en feu.Mais je ne suis plus cet homme-là. A présent, j’appréciedavantageleschosessimples,commeunepromenadedansunjardinouunejolierose.

Illaissatombersacannesurl’herbeetcueillitl’unedesrosesenlacéesaupilier.Puis,ignorantlesprotestationsdelajeunefemme,ildénoualacapelined’Edieetlaluiôta.

—Tenezceci,intima-t-ilenluitendantlechapeau.Ils’assuraquelacourtetigenerecelaitpasd’épinesetsepenchasurEdiepourlaluiglisserdans

lescheveux,derrièrel’oreille.—Là,murmura-t-ilenadmirantsontravail.Voilàunevuequiraviraitn’importequelhomme.—Vousavezdûdirecelaàtouteslesfemmesquevousavezséduites.—C’estplusqu’unetentativedeséduction.C’estunecourenbonneetdueforme.—Jen’auraispasfaitladifférence,fit-elleavecunpetitrireenbaissantlesyeuxsursonchapeau.

Jen’aijamaisconnunil’unenil’autre.Ilneréponditpasmais, lorsqu’ellehaussa lespaupières, la façondont il l’observait luicoupa le

souffle.—Vousméritezlesdeux,Edie.Etvouslesaurez,jevouslepromets.

***

C’étaitbeletbondeparlerdecouràEdie,maisquandilseretrouvadanssachambreavecelle,lesbrasdelajeunefemmeautourdesacuisse,Stuartneputs’empêcherdepenserquelaséductionauraitété

beaucoupplusàsongoût.Lorsdelapremièreséanced’étirements,ladouleuravaitétéassezvivepourquesondésirensoit

refréné,etlarévélationquiavaitsuiviassezchoquantepourl’écarter.Même s’il savait à présent quel drame lui était arrivé, ce n’était pas suffisant pour juguler

l’excitationquis’éveillaitenluilorsqu’elleletouchait.Souviens-toidecequ’elleaétéobligéedesubirauxmainsd’unautrehomme,necessait-ildeserappeleràlui-même.Maissonimaginationmasculinesemontraitobstinémentrétiveàdesconsidérationsaussihonorables.

Laveille,ilavaiteuunelueurd’espoirenluiembrassantlamain,etuneautreunpeuplustôtcejourmême, lorsqu’elle avait admis que l’imaginer avec une autre femme la rendait jalouse.Deux preuvesqu’elle ne lui était pas aussi indifférente qu’elle pouvait le sembler. Quoi qu’il en fût, il lui fallaitprocéderavecEdiebeaucouppluslentementqu’ill’auraitsouhaité.Enrêvantdeluiôtersesvêtementsoud’embrassersajoliepeau,ilnefaisaitquesetorturerlui-même,cartoutescesprivautésétaientsansdouteencoreloindeseréaliser.Maiscettepenséenel’aidaitguèrenonplus,etilneputqu’enconclurequ’ilaimaitsefairesouffrir.

Aumilieududeuxièmeexercice,tandisquelepoidsducorpsd’Ediederrièreluilepoussaitverslesol, il imagina combien ce serait délicieux s’il parvenait à inverser cette position, puis comprit qu’ildevaitcessersouspeinededevenirfou.

Edie,elle,nenourrissaitcertainementpaslefantasmedeluiôtersesvêtementsetdel’embrasser,etc’étaitbienlàlecœurduproblème.Ilnesavaittoutsimplementquefaire.Commentunhommepouvait-ils’yprendrepourséduireunefemmedanscescirconstances?Commentl’ameneràdésirercequineluiavaitcauséquedelasouffrance?

—Vousvoilàbiensilencieux,observa-t-elleenserasseyant.—Voustrouvez?Ilétenditsajambe,laremuaunpeuafind’ensoulagerlemuscleraide,puislapliadenouveaupour

qu’Ediepuissecommencerl’étirementdesesquadriceps.Ilsaisitalorssamontre.—Allez-y.Elles’inclina,pressantl’avant-brascontresondos,lamainautourdesonmolletetlesseinscontre

son…Bonsang,ilfallaitvraimentqu’ilarrêtedepenseràceschoses!—Quelquechosenevapas?s’enquit-elle.Vousaveztrèsmalaujourd’hui?—Pasexactement.Ilcillaenessayantdeseconcentrersursamontre,maischaquesecondequis’égrenaitluisemblait

dureruneheure.—C’estseulementquejenesuispasd’humeuràconverser,prétendit-il.Cetteréponsemoroseluidonnasoudainuneidée.Lorsqu’illuiavaitembrassélapaumelaveille,ilsavaitqu’Edieyavaitprisplaisir.Maisellelui

avaitarrachésamaintoutdesuite, tropsubmergéepar lacraintepour laisserceplaisirsepoursuivre.Lesmots,eux,étaientbienmoinsmenaçantsetpouvaientserévélertoutaussiséducteurs.Paslaflatterienilescomplimentsfleuris,non.Quelquechosed’entièrementdifférent.

—Trentesecondes,luidit-il.Ettandisqu’elleserasseyait,ilreposasamontreetsetournasurledos.—Jeneparlepasbeaucoupparcequeleschosesauxquelles jepenseencemomentnesontsans

doutepasdecellesdontjepuissediscuteravecvous.Ilobservaunepauseenpromenantsonregardsurelle,etvitEdiesetendretandisqu’elleappuyait

sesmainssurlesol,prêteàs’enfuirtelleunegazelle.

—Par exemple,murmura-t-il, je suis en train demedire que j’aime beaucoup quand vous voushabillezenblanc.

Ellelaissaéchapperunpetitoh!desurprise,peut-êtremêléd’unsoupçondesoulagement.Dansungesteàdemiinconscient,elleportasamainverslecolmontantdesarobed’après-midi,lamêmequ’elleportaitquelquesjoursplustôtsurlaterrasse.

—D’aprèslescouturières,c’estunecouleurquimeconvient.Ellesprétendentquecelaflattemonteintetmescheveux.

—Oui,jelepense.Maiscen’estpastoutàfaitpourcelaquejel’aime.Il se redressa, et Edie se raidit aussitôt en faisant un geste pour se lever. Mais il s’inclina

simplementenarrièrepours’accouder,etellesedétenditànouveau,retombantsurlestalons.Ilattenditquelacuriositél’emporteenelle.—C’estparcequeleblancestvotrecouleurpréférée?—Non,pasvraiment.Macouleurfavoritea toujoursété lebleu.Mais,àprésent, j’aimeaussi le

blanc.Depuisquenousnoussommesassisensemblesurlaterrasse,ilyacinqans.Elletressaillit,etStuartsepritàespérer.—Vousaimezrappelercejour.—C’est un demesmeilleurs souvenirs.Vous portiez du blanc, et j’ai aimé cela parce que cela

suscitaitdesimagesenmoi.Desimagesdevous,nuedansmonlit,danslablancheurdesdraps.Edies’empourpraetcrispasamainsursoncol,lepoucesurlecaméebleuquiornaitsagorge.—Vousnedevriezpasdiredeschosescommeça,chuchota-t-elle.C’estinconvenant.—Maisc’estfranc.—Celamegêne.—Oui,jesais.Ils’assit,sansfaireungestepourlatoucher.—Malheureusement,jecrainsquecelanesuffisepasàm’endissuader.Car,lorsquejedisça,j’ai

l’espoirquecelavousexcite.Etjeveuxquevoussoyezexcitée.Lesjouesd’Ediedevinrentplusvermeillesencore,etilyvitlesignequecelapourraitmarcher.Ses

lèvresrosepâles’entrouvrirent,maisiln’ensortitpasunmot,etStuartprofitadesonsilence.—Jevousimaginaisentrecesdrapsblancs,avecvoscheveuxd’orrouxrépandussurvosépaules

etcemerveilleuxsourire survotrevisage, et j’enai eu le soufflecoupé.Alors j’ai regardéces jolieséphélidesdorées…

Ils’arrêtapourluieffleurerlenezetlajoued’unecaressesidouce,silégère…—Nevousmoquezpasdemestachesderousseur!s’étrangla-t-elleenrepoussantsamain.—Jenememoquepas.Jelesaicontempléesenmedemandantsivousenaviezpartout,etcombien

detempsilmefaudraitpourlesembrassertoutes.J’yaisouventrepenséquandj’étaisauloin.Ellesefigea,maissarespirations’étaitaccéléréeetilsutqu’ilavaitenfinmarquéunpoint.Peut-

êtrecelainciterait-illagazelleàs’approcher,suffisammentpourêtrecapturée.—Etl’autrejour,quandvousêtessortiesurlaterrassedanscetterobe,poursuivit-ilenpassantsa

main sur les flots de linon étalés autour d’elle sur le tapis, le soleil brillait derrière vous, et j’ai cruentrevoirlescontoursdevotrecorpssousl’étoffe.Oh!justeuneesquisse—lacourbedevotrehancheetvoslonguesjambes,silongues.Maisc’étaitplusqu’iln’enfallaitpourfairetravaillermonimagination.

Ils’interrompit,unpeuhaletantlui-mêmeenrevivantcetinstant,etrencontrasonregard.—C’estpourcelaquej’aimequandvousêtesvêtuedeblanc.—Oh!monDieu…Elledétournalesyeux,unemainpresséesursagorge.

—Etjeportaistroisjupons!Il voyait bien qu’elle était excitée par ce qu’il venait de dire,mais elle était aussi terriblement

embarrassée,etildécidadenepasinsister.Ladansedelaséductioncomportaittoujoursdesmouvementsenavantetdesretraits.

—Ehbien,nous,leshommes,avonsl’imaginationfertile,plaisanta-t-il.Pourquoicroyez-vousquenousaimonsregarderlesdamesjouerautennis?

Elleétouffaunrire.—Oh!Seigneur,silesfemmesdécouvraientcesecretmasculin,jecrainsqu’aucuned’entreelles

neveuilleplusporterdeblancàl’extérieurdechezelle.—N’yrenoncezpas,Edie,outoutelagentmasculinem’envoudrait.Celanem’affecteraitenrien,

bienentendu,cardansmoncaslemalestdéjàfait.Cesimagesdevoslonguesetravissantesjambessontimpriméesenmoi,etjenepeuxpluslesoublierdésormais.

Ilregardal’horlogesurcesmots.—Ah,mes deux heures sont terminées. Nous ferionsmieux de nous changer ou nous serons en

retardpourledîneretWellesleyenserafâché.IlselevaenempoignantleboisdelitettenditlamainàEdie.Lorsqu’ellefutdebout,ilgardasa

maindans la sienne juste assez longtempspour y déposer un rapidebaiser.Mais il la relâcha tout desuite,décidantdenepaspousserlachancetroploin.L’anticipationfaisaitpartiedujeu.Et,ainsiqu’illeluiavaitditlaveille,iljouaitpourgagner.

Chapitre15

QuandEdie, JoannaetMmeSimmons résidaientseulesàHyghcliffe, ledînerétaithabituellementtrèssimpleetcomposédecinqplats toutauplus, sauf lorsqueEdie recevaitdes invités.Mais,depuisl’arrivée de Stuart, Mme Bigelow et Wellesley l’avaient vivement incitée à adopter des menus plusélaborés.Préoccupéepard’autressoucisconcernantleretourdesonépoux,Edien’avaitpaseuletempsdesepenchersurlaquestion.

Aussicesoir-là,lacuisinièreetlemajordomesemblaient-ilsavoirdécidédeprendreleschosesenmain.

Canapés,soupe,poisson,côtelettesd’agneauetchampignonscuitsaufourapparurenttouràtouret,lorsque le majordome apporta un rôti de bœuf et des pommes dauphines, Edie se sentit obligée des’enquérirplusavantdusujet.

—GrandDieu,MmeBigelow est bien ambitieuse ce soir,Wellesley. Combien de plats a-t-ellepréparés?

—Dix,votregrâce.—Dix?Pourquatrepersonnes?— Mme Bigelow a pensé — et moi aussi, votre grâce — que le retour de monsieur le duc

nécessitaitunrôti,unepiècedegibier,unsecondplatdelégumes,undessertplusélaboré,desfruitsetdufromagedecaractèreenplusdelachèrehabituelle.

—Jevois.Ellejetauncoupd’œilàsonmari,quisecontentadeluisourire.— Loin de moi la pensée de remettre en question les besoins d’un duc en fait de nourriture,

murmura-t-elle.MaisdèsqueWellesleyfutsortipourallerchercheruneautrebouteilledevin,elletournalesyeux

versStuart.—Est-cevousquiavezcommandétoutcela?—Etusurpévosfonctions,duchesse?Jamais.Maisjenem’enplainspas.Unrepasdedixplats,ce

n’estpasàdédaigner lorsqu’ons’estnourripendantcinqansdeboîtesdeconserveetdenourritureensachet.

—Ehbien,j’espèrequeMmeBigelowsaurafairebonusagedesrestes.Dixplats,jevousdemandeunpeu!

—Jenecroispasquenousayonsjamaiseuunmenudedixplats,intervintJoanna,impressionnée.Paspournoustoutesseules.Commec’estbien!

Endépitde sonenthousiasme, Joannabâillait abondammentquand ledessert arriva, conséquenceprobabled’unexcèsdenourriture,etEdiedécidaquec’étaitassez.Apeinelesassiettesàdesserteurent-ellesétédébarrasséesqu’elleseleva.

—Passonsàcôté.NousallonslaisserStuartàsonportoetàsoncigare.Les trois autres se levèrent aussi, mais Stuart refusa d’observer la coutume masculine du porto

d’après-dînerdanslasalleàmanger.—Non,Edie.Leretouràlasociétécivilisée,c’esttrèsbien.Maisjevaisvoussuivreetprendre

monportoausalon.Jenefumepaset jen’aipaslemoindredésirderesterassisiciàboiretoutseul,isolédansmadignitéducale.Wellesley,ditesàMmeBigelowdefaireporterlesfruitsausalonainsiqueleporto,voulez-vous?

SiEdieavaitdonnéàWellesleydesinstructionsaussipeuorthodoxes,ilauraitpourlemoinsarquéun sourcil et pris un air désapprobateur. Mais comme c’était Stuart, il se contenta de s’incliner enmurmurant:

—Trèsbien,votregrâce.Puisilquittalapièce,levaletdepieddanssonsillage.Ediepoussaunsoupirexcédé.— Vraiment, cet homme est impossible, marmonna-t-elle à l’adresse de Stuart tandis qu’ils

gagnaientlesalon.Ilnediscutejamaiscequevousdites.—Biensûrquenon,Edie.Jesuisleduc.Ilvintàl’espritd’Edieque,si jamaiselleperdait latêteetdécidaitdevivredéfinitivementavec

sonmari,l’attitudedeWellesleyrisqueraitfortdeprendreuntourexaspérant.—Etjesuisladuchesse.MaiscelasemblelaisserWellesleydemarbre.Stuartpartitàrire.—Vousarriveztoujoursàvosfinsaveclui,semble-t-il.—Maisc’esttoujoursunetellebataille!—C’estseulementparcequevousêtesaméricaine.Wellesleyestsnobaudernierdegré,hélas.—SinousétionsauxEtats-Unis,ilyalongtempsquejel’auraiscongédié.—MaisnousnesommespasauxEtats-Unisetvousnepouvezpasfairecela.Wellesleyfaitpartie

deHighclyffeautantquelesmurs.—Cequisemblevousfairegrandplaisir,commenta-t-elleenremarquantsonexpressionravie.—Un peu comme le pasteur, ma chérie, répliqua-t-il avec un sourire malicieux. Ainsi vont les

choses.Ils’arrêtasurleseuildusalonpoursetournerversJoannaetMmeSimmons.—Unepartiedewhist,mesdames?Puisquenoussommesquatre…Joannasecoualatêteenbâillantdenouveauàsedécrocherlamâchoire.—Jesuisaffreusementfatiguée.Jecroisquejevaisallertoutbonnementmecoucher.Bonnenuità

tous.— Je pense que je vais vous accompagner, Joanna, déclaraMmeSimmons en s’inclinant devant

Stuart.Bonnenuit,votregrâce.—Vous n’êtes pas obligée demonter juste pour faire comme Joanna, intervint Edie, consternée.

Restez, jevousenprie. Jesuissûrequesagrâcen’yverrapasd’inconvénient.A trois,nouspourronsjoueraupiquet.

MaisMmeSimmonsnemontranuldésirdeseconderceplan.—Merci,mais j’aides lettresàécrireetc’estunexcellentmomentpour le faire. Jesuis trèsen

retarddansmacorrespondanceetjecrainsquemafamillenesesentenégligée.Sicelanevousdérange

pas?Avecunsourireforcé,Edierésistaàl’impulsiondésespéréederappelerqu’ilyavaitdequoiécrire

icimême,ausalon.—Non,biensûr.Bonnenuit.—Bonnenuit,votregrâce.Le départ de sa sœur et de la gouvernante laissaEdie fortmal à l’aise, en partie à cause de la

torrideconfessiondontl’avaitgratifiéeStuartunpeuplustôtdanssachambre.Mêmemaintenant,leseulfaitd’yrepenserlafaisaitrougir.

—Jevaispeut-êtremonteraussi.Ilestonzeheures.—Pourquoinerestez-vouspasquelquesinstantsiciavecmoi?Nouspouvonsbavarder,oulire.Etmontrantlatabledejeunonloindelà:—Oujoueràquelquechose.—Celadépenddugenredejeuquevousavezàl’esprit,rétorqua-t-ellesèchement.Est-cevousqui

vousêtesarrangépourqueJoannaetMmeSimmonsseretirentennouslaissantseuls?— Non, sur mon honneur. Si vous préférez vous coucher, je n’insisterai pas. Mais j’aimerais

beaucoupquevousrestiez.Elleprituneprofondeinspiration.—Avez-vousl’intentiondemefairedesavances?—J’aimeraisbien,admit-ilavecunsouriretaquin.Maisseulementsivousmefaitesdesouvertures.—Jen’enferairien.—Alorsvousn’avezaucuneraisondevousinquiéter,n’est-cepas?Ilsedirigeaverslatabledejeuetouvrituntiroir.—Cartes?proposa-t-ilenprenantunpaquet.Backgammon?Echecs?Edieréfléchit.Queljeuluioffriraitleplusdechancesdegagner?—Echecs.LagrimacedeStuartluiparutrassurante.—Trèsbien,acquiesça-t-ilenrangeantlejeudecartes.Maisvousm’avezdéjàditquevousjouiez

trèsbien, aussi je risque fortdenepasêtreunadversaire àvotrehauteur. Jene jouepas souvent auxéchecs.

—Tantmieuxpourmoi,répondit-elleens’installantsurlachaisequ’illuiavançait.Ilallas’asseoirsurlesiègeopposé,etilsouvrirentlestiroirspourensortirlespiècesd’ivoireet

lesplacersurl’échiquier.MaislorsqueEdievoulutdisposerlesblancsdevantelle,ill’arrêta.—Non,non,nousdevonstirerausort.Ilpritunpiondechaquecouleuretlescachadanssondos.—Engénéral,ungentlemanlaissecommencerladame,luirappela-t-elle.—Engénéral, répliqua-t-il en lui tendant ses poings fermés.Mais, àmon avis, vous n’avez pas

besoindecegenredefaveur.—Non,convint-elleenpointantdudoigtl’unedesesmains.Lorsqu’ilouvritlepoing,elleneputs’empêcherdesourireendécouvrantunpionblanc.—Maisc’esttoutdemêmeagréabledel’obtenir.—Hmm…Joannam’avaitprévenuquevousétiezunejoueuseimpitoyable,dit-ilendisposantles

pièces.Elleassurequevousnel’avezjamaislaisséegagner,mêmequandelleétaitpetite.—Jenevouslaisseraipasgagnernonplussousprétextequevousêtesunhomme,avertit-elleen

avançantsareine.

—J’espèrebien,rétorqua-t-il,déplaçantunepièceàsontour.Parcequej’ail’intentionderéclamerunbaiserquandjegagnerai.Cependant,étantunhommed’honneur, jenepourrai l’exigerquesi je l’aidûmentgagné.

Surpriseparcesparolesetparl’intensitéaveclaquelleillesavaitchuchotées,Edielevalesyeuxet,auregarddeStuartposésursabouche,putconstaterqu’illepensaitvraiment.Elleeutl’impressionque ses lèvres brûlaient et fut parcourued’un long frémissement.Elle chercha alors quelque chosedespirituelàrépliquer,maisenvain.

Dieumerci,Wellesleychoisitcemomentpourentrerdans lapièceavecunplateau, luiépargnantainsilanécessitéderépondre.

—Votreporto,votregrâce,annonçalemajordome.Etlesfruits.—Parfait,approuvaStuart.Posezcelasurcettetable,maisrapprochez-la,voulez-vous?Etversez-

nousduportoàtouslesdeux.Amoinsqueladuchessenepréfèreautrechose?—Non,leportoseraparfait.Merci,Wellesley.Lemajordomeremplitdeuxverres,bienqu’ilbrûlâtsansdoutedefaireobserverqueleportoétait

réservéauxhommes,tandisquelesdamesétaientsupposéesboiredumadèreoudusherry.—Aurez-vousbesoind’autrechose,votregrâce?—Non,merci,Wellesley, répondit Stuart en reportant son attention sur l’échiquier.Vous pouvez

disposer.Nousvoussonneronssinousavonsbesoindequoiquecesoit.Wellesleys’inclina.—Bien,votregrâce.—Etfermezlaportederrièrevous,luiintimaStuart,commeilatteignaitleseuil.—Etait-cenécessaire?demandaEdieenentendantlebruitduloquet.—J’aipenséqu’ilseraitmieuxd’avoirunpeud’intimité.Elleavançasoncavalier.—Ditesplutôtquevousespérezqu’unpeud’intimitéseranécessaire.Illuisouritsanslamoindretracedecontrition.—Ehbien,oui,aussi.Maisvousauriezpurefuser.C’étaitindéniable,s’avoua-t-elleavectristesse.Elleinventaenhâteuneraisonàcetacquiescement

muet.—Jenesaispascequevousêtescapablededireoudefaire.Vouspourriezmereprendrelamain

ou…Dieusaitquoi.Ilvautdoncmieuxquelesdomestiquesnesoientpaslà.Ilspourraientêtregênéspardetellesdémonstrations.

—Oh!jevois.C’estpourlesserviteursquevousvousinquiétez.Ildéplaçaunautrepion.—Jesuisravidesavoirquejepeuxvousfairesubirlesderniersoutragesenprivésanscraintede

vousgêner.—Biensûrquenon!serécria-t-elle.Elleaperçuttroptardlesourirequijouaitsurseslèvresetpoussaunsoupirexcédé.—Cen’étaitpascequejevoulaisdire,etvouslesaveztrèsbien.Cessezdevousmoquerdemoi.—Mais,Edie,c’est important. Jenesaispas lesquellesdemesavancessont susceptiblesd’être

bienaccueilliesourepoussées.Alorsjetâteleterrainchaquefoisquej’enail’occasion.—Jenevoispaspourquoi,puisquejelesrepousseraitoutes.—Est-cebiencertain?Jesaisquevousn’êtespasindifférenteàmapersonne,sinonvousauriez

ordonnéàWellesleydelaisserlaporteouverte.Etvousavezadmiscematinmêmequel’idéed’uneautrefemmevousrendaitjalouse.

Oh!Seigneur,pourquoifallait-ilqu’illuirappellecela?Ellebaissalesyeuxversl’échiquier,lecorpsdenouveaubrûlant.Ilétaittroptardpourrattraperl’humiliantaveu,maiselleneputs’empêcherdelecorriger.

—J’aidituntoutpetitpeujalouse.—Autempspourmoi.—Dureste,celamesembleunepreuvebienmince.—Peut-être,maisjen’aipasoubliécequis’estpasséentrenoussurlaterrasseilyacinqans,etje

saiscequevousavezressenti,parcequejel’ailusurvotrevisage.—Vousavezl’imaginationfertile.Stuartsouritpluslargement.—Ehbien,oui.Etjecroisavoirdécelélamêmeréactioncetaprès-midi.Elles’agita, lecorpsdeplusenplus fiévreuxausouvenirde laconversationà laquelle il faisait

allusion.—Maisjen’aipasbesoindusecoursdemonimaginationpoursavoirquandunefemmeestsensible

àmescharmesounon,poursuivit-il.Elle aurait voulu ne luimontrer que de l’indifférence, car peut-être aurait-il fini par abandonner

toutetentativedelaconquérir.Maisilsemblaitqu’elleensoitincapable.Iltraversaitsesdéfenses,alorsqu’iln’yétaitpasparvenucinqansplus tôt,etellenecomprenaitpasvraimentpourquoi.Ellevoulaitresterfroide,carilconviendraitpeut-êtreainsiqueseséparerétait laseulechoseàfaire,maisilétaitbiendifficiled’êtrefroidequandilévoquaitlesfantasmesquisurgissaientenluilorsqu’elleportaitunerobeblanche.

—Vousensavezbeaucouptropsurlesfemmes,sivousvoulezmonavis.—C’estjuste.J’étaisvraimentunhommeàfemmesdansmesjeunesannées.Elles’abstintdeluiconfierquesonamieLeonieluiavaitfaitlalistedetouslescœursqu’ilavait

briséslorsqu’ilétaitpartipourl’Afriquelapremièrefois,etqu’ellen’avaiteuaucunmalàlacroire.Desyeux gris pétillants d’humour, un visage mince aux traits réguliers, un sourire éblouissant, un corpspuissant,unespritpromptet,par-dessustout,cetteinstinctiveconnaissancedecequiplaisaitauxfemmes— tout cela avait dû les faire tomber en pâmoison les unes après les autres, dans ses jeunes années,commeildisait.

Ediereportasonattentionsurl’échiquierettentadeseconcentrersurlapartie.—Malheureusement,celanem’apasserviavecvous,carvousmeremettezimpitoyablementàma

placeàchaqueoccasion.Sansrépondre,elleavançauncavalieretluipritsonfou.—Voilàquiprouvecequejeviensdedire,murmura-t-il.Maisjepeuxmemontrerimpitoyablemoi

aussi,ajouta-t-ilendéplaçantsatourdefaçonàrenverserlefoud’Edie.—Echec!Ediepoussauneexclamationvexéetandisqu’ilôtaitsonfoudel’échiquier.—Vousprétendiezquevousnejouiezpasbien!—J’aiseulementditquejenejouaispassouvent.Elleserenfrogna.—Puisquevousêtessifortàcejeu,pourquoitentez-vousàtoutprixdedistrairemonattention?—Parcequec’estunestratégiedebaseauxéchecs.Ilposasoncoudesurlatable,lementondanssamain.—Sérieusement, ce n’est pas pour gagner une partie d’échecs que j’essaie de vous distraire. Je

veuxensavoirdavantagesurvous.

Edieneréponditrien,etsonsilencearrachaàStuartunlourdsoupir.—Vraiment,Edie,vousêtesd’uneprudenceexaspérante.Jeneveuxpasmecontenterd’êtreassis

làetdejouerauxéchecsavecvous.Jeveuxsavoircequivousintéresse,cequevousaimezetcequivousfaitrire.Jeveux…

Ilsetutetattenditqu’ellelèveenfinlesyeux,emportéeparlacuriosité.—Edie,jeveuxsavoircequivousplaît.Plongeant son regard dans le sien, la jeune femme sentit une faible réponse frémir en son for

intérieur.Lentement,ilsepenchaverselleetrecouvritsamaindelasienne.—Etsijevousdisaiscequej’aimeetquevousmedisiezsivousaimezaussi?LamaindeStuartétaitchaudesursesdoigts.Edierepensaàlaveille,lorsqu’illuiavaitembrassé

la paume, et à cet après-midimême, quand il avait brossé ce portrait d’elle en blanc, et elle eut denouveaul’impressiondefondre,unesensationquiluiétaitdevenuefamilièrecesderniersjours.Puiselleserappelacequ’ildésiraitvraimentetcequiétaitenjeu,etelleétouffacefrémissement.

—Jepensequej’aidéjàuneidéedecequevousaimez,fit-elled’untonsecenretirantsamain.—Etqu’est-cedonc?Il attendit, lesyeux fixés sur elle, ses sourcilsbrunsarquésd’unair interrogateur, commes’ilne

savaitpascequ’ellevoulaitdirealorsqu’ilslesavaienttousdeux.S’attendait-ilàcequ’elleévoqueàhautevoixledésirmasculin?

Rougissante,elleesquivasonregard.—Nousnedevrionspasparlerdeceschoses.—Pourquoipas?Unmariagedignedecenomsedoitd’êtrehonnête.Alorspourquoitournerautour

dupot?Parlezfranchement.Qu’est-cequej’aimerais,àvotreavis?Le souvenir du pavillon deSaratoga fusa dans samémoiremais, au lieu de le repousser comme

d’habitude,elles’enservitcettefoiscommed’unbouclier.—Vousaimeriezforniqueravecmoi,fit-elled’unevoixdure.Ilyeutuninstantdesilence,puisStuartluiréponditd’untontoutaussidur:— Chaque fois que vous parlez de lui, regardez-moi. Regardez-moi dans les yeux. Ainsi, vous

commencerezàvoirladifférence.Elleseredressasursachaise, tournantlatêtepourrencontrersonregardbienenface.Ellevit la

colèreétincelerdanslesprofondeursargentéesdesesprunelles.—Vousprétendezdoncquejemetrompe?—Oui,vousvoustrompez.Complètement.Jeneveuxpasforniqueravecvous.Jeveuxvousfaire

l’amour.Ilsetut,etlacolèredanssesyeuxs’estompapoursetransformerenquelquechosedechaleureux.—Ilyaunmondeentrelesdeux,Edie,etc’estlàleproblèmeauqueljesuisconfronté.Comment

vousfairecomprendrecettedifférence?Elleledévisagea,désemparée.—Jenesaispas,Stuart.—Jesaisquevousavezpeur.Jesaisquevousavezsouffert.Ilpressasonpoingsursabouche,luttantpourréprimersonémotion.—J’effaceraistoutcelasijelepouvais,reprit-ilauboutd’unmomentenlaissantretombersamain.

Maisjenelepeuxpas.Toutcequejepuisfaire,c’estessayerdevousfairedécouvrirl’autrecôtédeschoses,leurbon,justeetbeaucôté.Voilàcequejeveux.

Ediesentitfrémirunespoirenelle,unefaibleétincellejaillissantd’unefroideobscurité.Saisissantsonverre,elleavalaunelonguegorgéedeporto.

—Vousvoulezquelquechosequejenepeuxpasvousdonner.—Jenelecroispas,maisjecomprendsquevouspuissiezpenserautrement.Etcommeellenerépondaitpas:—Ilestvraique jedésirevousembrasseretvous toucheretvousfaire l’amour.Biensûrque je

veuxtoutcela!Jeveuxvousdonnerduplaisir.Jesaisquevousnecroyezpasqu’ilpuisseyavoirduplaisirdansl’acteamoureux,maispourtantilexiste,Edie.Unplaisirdoux,trèsdoux.Jeveuxquevousviviezcelaavecmoi.Jeledésireplusquen’importequoiaumonde.

Savoix,basseetsonore,éveillaitenelledessensationsdontelleignoraitjusqu’alorsl’existence.Deslanguesdefeusinuèrentdanssonventre,etellecrispalesdoigtsautourdupionqu’elletenaitàlamainenespérantéteindrecetteflamme.

— Vous voilà bien torride, aujourd’hui. D’abord cette évocation de moi vêtue de blanc, etmaintenantceci.Auriez-vousl’intentiondemefairel’amouravecdesmots?

—Jusqu’àcequejepuissevousfairel’amouravecmoncorps,oui.Ai-jeunautrechoix?Décidément,ilsemblaitdouéd’untalentcertainpourposerdesquestionsauxquellesellenesavait

pasrépondre.—Cequinousramèneànotrepointdedépart,ajouta-t-ilavecenjouement.Asavoirmesgoûts,les

vôtres,etlarecherched’unterraincommunentrenous.Ilpritunepêchedanslecompotierdisposéprèsd’euxsurlatableàthéets’emparaducouteauà

fruits.—Parexemple,j’aimelespêches.Etvous?C’était là une interrogation bien innocente, et pourtant Edie éprouvait une étrange réticence à y

répondre,carellesentaitqueStuartjouaitlàunjeudontelleneconnaissaitpaslesrègles.—J’adorelespêches,jepensequevouslesavezdéjà,dit-elleenluijetantunregardironique.Vous

avezdûparleravecMmeBigelowàlacuisine,oubienvousavezdemandéàReevesouàJoanna.C’estpourquoiWellesleynousaapportédespêchescesoiraulieudeframboisesoudemûres.

Ilsourit.—Jevousavaisprévenuequejelesimpliqueraisdansmesplansinfâmes.Maiscelanechangerien

aufaitquemoiaussij’adorelespêches.Accoudéàlatabledejeu,ilenfonçalalamedanslachairdufruit.—Envoulez-vousunmorceau?End’autres circonstances, ellen’auraitpas soupçonné lemoindre sous-entendudanscesparoles,

maisl’expressionmalicieusedeStuartlamitsursesgardes.Pourtant,ellesesentaitcurieuseégalement—etcefutlacuriositéquil’emporta.

—D’accord,dit-elleentendantlamain.Stuart fit alorspasser le couteaudans samaingaucheavec le restedu fruit, etde samaindroite

portaleboutdepêcheàlabouched’Edie.Ellebaissalesyeux,puislesrelevaversStuart.—Jenesuispasuneenfant,inutiledemedonnerlabecquée.Ellevoulutluiprendrelemorceaudefruit,maisilretirasamain.—Maiscelameferaitplaisirdevousfairemanger.—Ceseraitstupide.—Vousn’aimeriezpas?—Pourquoiaimerais-je?

Ils’esclaffa,sansqu’elleaitlamoindreidéedecequilefaisaitrireainsi.—Ilyatantdechosesquevousnesavezpas,Edie.J’espèreavoirtoutelaviepourvousapprendre

àapprécierleschosesérotiques.Ellenesefatiguapasàpréciserqu’ellen’avaitpaslamoindreintentiondeluioffrirtouteuneviede

divertissementsérotiquesoudequoiquecesoitd’autre.Discuteravecluisurcesujetauraitétéunepertedetemps.Aussisecontenta-t-ellederenifleravecdédain.

—C’estunmorceaudefruit.Jenevoispascequ’ilyad’érotiquelà-dedans.—Iln’yaqu’unmoyendelesavoir,déclara-t-ilenluitendantdenouveaulequartierdepêche.Elleentrouvritalorslabouche.Lachairglissaentreseslèvres,humideetsucrée.Ellelasavoura

tandisqu’ilcoupaitunautremorceau.Mais,cettefois,illeluioffritsursoncouteau.—Attention,luirecommanda-t-ilcommeelletendaitlamainverslalame.Elle suivit le conseil et saisit précautionneusement la pulpe de pêche, mais les mots suivants

l’arrêtèrentnetaumomentoùellelaportaitàsabouche.—Vousnevoulezpaspartager?Elles’interrompit,latrancheàmi-chemindeseslèvres.Leursyeuxse rencontrèrent, et soudainellecomprit cequ’ildésirait.Elleeneut l’estomacnoué,

torduparunspasmenerveux.Lentement,avecuneconscienceaiguëdesesgestes,elletenditlefruitverslabouchedeStuart.

Illepicoraauboutdesesdoigts,puisavançauneautreportiondepêcheverselle.Samains’attardacettefoiscontreleslèvresd’Edie.

La jeune femme eut l’impression que son cœur s’arrêtait, avant de faire une embardée lorsqu’ilretirasesdoigts.

Ill’observait,unsourireauxlèvres,etellesesentitobligéededirequelquechose,n’importequoi.—Celamerappelleunpeuquandj’étaispetiteetquej’aiapprisàpatinersurlaglace.Stuartfronçalessourcilsaveccetairamuséetinterrogateurqu’ilavaiteuaubaldeHanfordHouse.—Jenesuispassûrdesaisirlessimilitudes,fit-ilencoupantunautrequartier.Illeluitendit,etEdielefitglisserdelalame.—J’éprouveexactementlamêmesensation.—Oh!laquelle?—Jemesensnerveuse,avoua-t-elle.Excitée.Elles’arrêta,cherchantd’autresadjectifs.—Heureuse,chuchota-t-elle.LemotfitplaisiràStuart,quiplissalesyeuxdansunlégersourire.—Bien.— Et, ajouta-t-elle en approchant le fruit des lèvres de Stuart, j’ai l’impression que je vais

certainementtomberetquecelavafairemal.—Jenevouslaisseraipastomber,promit-il.Ilpritlequartierdepêchedanssabouche,attirantenmêmetempslesdoigtsd’Edie,dontilsuçales

extrémités.Leplaisirdéferlaenelle,pareilàunevaguesombreetchaude.C’étaittrop.Choquée,ellepoussauncripuiss’écartad’unesecousseetse leva,chancelante,enrenversantsa

chaisedumêmecoup.Stuartbonditaussitôtsursespieds,reposantlecouteauetlapêche.—Edie…

—Ilesttard,coupa-t-elledanssahâted’enfiniraveccepetitjeu.Commeellesemaudissaitd’avoirvoulusavoircequ’ilyavaitd’érotiquedansunfruit!—Voilàmagazellequis’enfuitànouveau,murmura-t-ilencontournantlatable.Edie,dites-moice

quinevapas.—Rien,prétendit-elle,luttantpourretrouversoncalmealorsquetoussessensétaientenémoi.—Voustremblez.—Vraiment?Ellesedétourna,mortifiée,pourprendresaserviette.—Jenevoulaispasvouseffrayernivousoffenser.—Vousn’avezfaitnil’unl’autre,assura-t-elle.Sa panique ne lui venait pas de luimais de ce qu’il lui faisait ressentir.C’était fou, terrifiant et

insensé.Jamaisellen’avaitéprouvéunetellechoseauparavant.—Désoléedemecomportercommeun lapineffrayé.C’estseulementque jenesuispas…Jene

suispashabituéeàêtre…touchéeouàavoirlamain…euh…embrassée.Etcequ’ilavaitfaitn’étaitpasprécisémentunbaisemain.—Jen’aimepasqu’onmetouche.—Jevousaipourtanttouchéehier, luirappela-t-ildoucement.Jevousaiembrassélamain,vous

voussouvenez?Commentaurait-ellepuoublier?Cebaiserétaittoujoursimprimédanssapaumeteluntisonardent.

Sansleregarder,elle trempauncoindesaserviettedanslerince-doigtsetessuyales tracesdejusdepêchedesonmentonetdesesdoigts,craignantqu’ilneluisoitpasaussifaciled’effacerlesouvenirdesontoucher.

—Celam’asurprise,voilàtout.Jenem’attendaispasà…—Aquoi,Edie?lapressa-t-ilcommeellesetaisait.Vousnevousattendiezpasàêtreexcitéepar

cescaresses?Empourpréeetgênée,ellefitpasserlepoidsdesoncorpsd’unpiedsurl’autre,sesdoigtscrispés

surl’étoffe.—Non,avoua-t-elle.Mais,vous,jepariequevouslesaviez.—Iln’yariendemalàressentirdudésir,Edie.Etait-cedonccelaqu’elleavaitéprouvé?Elles’abstintdeposerlaquestionetreposasaserviette.—Jesuisdésolée,maisnousdevronsfinirlapartieunautrejour.Jevaismecoucher.—Biensûr,acquiesçaStuart,quitenditlamainverssacanne.Jemonteavecvous.—Non,jevousenprie,nevousdérangezpas.—Celanemedérangenullement,affirma-t-ilensedirigeantverslaporteavecelle.Cen’estpas

commesinouslogionsdansdesailesopposéesdelamaison.Noschambressontcontiguës.Etvousavezraison,ilsefaittard.Ilvautmieuxalleraulit.

Ils s’arrêtèrentdevant laporte closemais, aumomentde l’ouvrir,Stuart, lamain sur lapoignée,observaunepause.

—Enparlantd’heure,jevouspariequelevaletdeservices’estendormi.Onregarde?Lentement, il poussa le battant et jeta un coup d’œil par l’entrebâillement, puis adressa un

hochementdetêteàEdie.— C’est bien cela. Vraiment, duchesse, un tel laxisme au sein de la domesticité est tout à fait

choquant,chuchota-t-ilenfeignantladésapprobation.Wellesleyseraitdanstoussesétatss’ilsavait.Ce côté mutin de Stuart, c’était quelque chose qu’elle commençait à découvrir. Lorsqu’elle se

sentait embarrassée ou mal à l’aise, il se mettait souvent à plaisanter ou à la taquiner. C’était une

techniqueefficace,elledevaitl’admettre,carellesentitdiminuersonappréhension.—AlorsneleditespasàWellesley,souffla-t-elle.Cepauvregarçonestsansdouteexténué.Ilest

plusdeminuit.—CancanerauprèsdeWellesley?Jamais!Iladéjàunebientrophauteopiniondelui-même.Mais

nousnepouvonspasnonplusnouscontenterdepasserdevantcegarçonsurlapointedespiedsetlaisserlesservantesletrouverainsidemainmatin.

Ilfermalaportesurcesmotsetlarouvritenprenantsoindefairebeaucoupdebruit.Levaletbonditinstantanémentdesachaiseetclignadesyeuxd’unairendormitoutens’efforçantde

nepaslemontrer.—Vosgrâces…Edie serra les lèvrespournepas sourire, craignant deplonger le garçondans l’embarras.Aussi

franchit-elleleseuilsansluijeterunregard.—Nous allons nous coucher, Jimmy, dit Stuart en suivant sa femmevers l’escalier.Eteignez les

lumièresici,voulez-vous?—Oui,votregrâce.—Vouscommencezàconnaître lenomdesdomestiques,àceque jevois,commentaEdie tandis

qu’ilsgravissaientlesmarches.Jesupposequemêmelesvaletsdepiedetlesservantesdescuisinessontdevotrecôtéàprésent.

—Sally,lafilledecuisine,m’asuggéréderendrevisiteàMmeGillicuddy.—Lasorcièreduvillage?Pourquoidonc?—Unphiltred’amour,biensûr.Pourvousattendrirlecœuràmonégard.—Charmant,grogna-t-elle.Ilsdoiventtouspenserquevousêteslepauvremarirejetéetquejesuis

l’impardonnableépouse?— Non. Je crois qu’ils pensent que j’ai du mal à vous conquérir parce que je suis resté trop

longtempsabsent.Edie se dit qu’il enjolivait sans doute un peu, mais elle laissa tomber le sujet comme ils

s’engageaientdanslecorridormenantàleurschambres.Parvenuedevantsaporte,ellesetournapourluisouhaiterbonnenuit,maisStuartpritlaparoleavantelle.

—Alors,quelsprojetsexcitantsavez-vousconçuspourdemain?—Jemeréjouisquevousenparliez.J’aimeraisemmenerJoannapique-niquerauWash.Elleaime

peindrelà-basetn’enaurasansdouteplusl’occasionavant…Elles’interrompit,essayantd’ignorerlepetitélancementdetristessequiluipinçasoudainlecœur.—Avantnotredépart,acheva-t-elle.—Edie,mêmesivousdevezpartir—cequejen’acceptepasunseulinstantdureste—,Joannaet

vous serez toujours les bienvenues ici. Joanna peut encore aller àWillowbank. C’est une excellenteécole.Vouspourriez…

Ils’arrêtaetprituneprofondeinspiration.—VouspourriezvivreàLondresetl’amenericipourlesvacances.Ellesentitlepincements’intensifier.—Jenepensepasquecesoitunebonneidée,Stuart.Ceseraitdurpourelle,etdouloureuxpour

moi.—Vraiment?Alorspourquoipartir?—Cettesoiréeestassezparlantesurcepoint,non?— Non. Tout ce qu’elle prouve, c’est que vous êtes une femme vibrante, capable de passions

profondesendépitdecequivousestarrivé.Vousêtesaussimafemme,vouslesereztoujours,etmême

une séparation légale ne défera pas cela.Quoi qu’il advienne entre nous, vous serez libre de venir àHighclyffeetd’enrepartirquandilvousplaira.C’estvotrefoyer.Etautantquecelameconcerne,ceseratoujourslevôtre.

Elleneluiditpasàquelpointilluiseraitdifficilederevenirdanscelieuqu’elleaimaitquandellen’enferaitpluspartie.

—AllerauWashprendtouteunejournée,fit-elleenhâte,impatientedechangerdesujet.Aussinepourrons-nousfairenotrepromenadehabituellealentour,jelecrains.Maisnouspourronstoutdemêmefairevosexercicesaprèsledîner.Celavousconvient-il?

—Celadépend.Suis-jeinvitéaupique-nique?—Biensûr.Jepensaisquemesdeuxheuresenferaientpartie.—Oui,maiscesdeuxheuressontobligatoires.Cequejeveuxsavoir,c’estsivousdésirezqueje

vienne.Celavousferait-ilplaisir?Ellehaussalesépaulesd’ungestequisevoulaitdésinvolte.—Cepourraitêtreagréable.Joannavousaimebien.Etvousaveztrèsbongoûtencequiconcerne

lesprovisionsdepique-nique.—Alorsj’acceptevotreinvitation.Puisquevousfaitesautantconfianceàmestalentsenmatièrede

pique-nique,j’élaborerailemenuavecMmeBigelow.Illuisouritetlevalamaingauchecommepourlatoucher,puislalaissaretomber.Edieprituneprofondeinspiration.—Trèsbien.Ademainalors.Nouspartironsàneufheures.—Non,nedisparaissezpas.Restezencoreunpetitmoment.Etcommeellehésitait:—Jegardemesmainsdansmondos,promis.Posantsacanne,ilcroisaeffectivementlesmainsderrièrelui,cequinefitquerapprochersontorse

d’Edie.— Puisque nous avons parlé ce soir de ce que nous aimions, il y a encore une chose que

j’apprécieraisavantquenousnenousséparions.Edieneputempêcherlapuissanteembardéedesoncœurdanssapoitrine.Elleserralapoignéeà

s’enfairemalauxdoigts,maisn’ouvritpaslaporte.—Etdequois’agit-il?—J’aimeraisvousembrasserpourvoussouhaiterbonnenuit.Son pouls s’accéléra de nouveau, encore plus douloureusement cette fois, la visualisation de cet

acteajoutantàsacrainteetàtoutcequ’elleavaitéprouvécejour-là.—Nousn’avonspasfininotrepartied’échecs.Vousnepouvezpasréclamerdebaiserpourcela.Ileutunrireléger.—Peut-êtrepas.Maisj’aimeraisquandmêmevousembrasser.Ilobservaunepauseavantd’ajouterdoucement:—C’estd’accord?—N…Lerefusavaitjaillidefaçonmachinale,maiselles’arrêtaaubeaumilieu,serepritsansréfléchiret

rectifiasaréponse.—Jenesaispas.—Voulez-vousquenousledécouvrions?Ilinclinalatêteverselleavecuneinfinielenteur,luilaissantainsitoutletempsdesedétournerou

derefuser.

Ellenebougeapas,elleneditpasnonmaischuchotasimplement:—Sic’estvousquim’embrassez,celanecomptepas.—Jesais,fit-il.Etilpressaseslèvressurlessiennes.Ediesefigeaàcecontact.Adosséeàlaporte,ellesentitlenœuddelapeurseresserrer,brûlant,

danssapoitrine.Lesyeuxécarquillés,elleleregardaitdetoutprès,fascinéeparl’éventailépaisdesescilsbrunsabaisséssursapeaubronzée.Puisl’odeurdesasavonnetteausantalluiparvint.

Stuart,songea-t-elle,etlenœuddouloureuxserelâchaunpeu.Lâchantlapoignéedelaporte,Edielaissaretombersamain,etlapaniquerefluaenellepourlaisserplaceàd’autressensations.

C’étaitunbaiserétrangementléger.Pasdeviolencenid’exigence,justeunechaudecaressecontreseslèvres.

Ellefermalesyeux,etsesautressensprirentaussitôtlerelais.Seulesleursbouchessetouchaient,maisellepouvaitsentirlachaleurducorpsdeStuart,presquecommes’ilétaitpressécontrelesien.Souslesantal,elledétectad’autresparfums—deseffluvespluscharnels,plusprofonds,quin’appartenaientqu’à lui. Elle entendit le froissement de sa robe de soie tandis qu’elle bougeait contre la porte et lemartèlementdesonproprecœur.

LalanguedeStuarttouchalaligneferméedeseslèvres.Aussitôt,Edielevalesmainsentreeuxdansunréflexeinstinctif,appuyantlespaumessursontorse

pourlerepousser.Ils’arrêtanetets’écartaunpeu.Lesatinépaisdesongiletluisemblaitdouxsoussesmains.Ellepercevaitdessouslarespiration

quigonflaitetabaissaitsapoitrine,etlaforcedesesmusclesdurs.— Je voudrais vous embrasser encore, Edie, chuchota-t-il en effleurant ses lèvres des siennes.

Aimeriez-vouscela?Elleétaitindécise,priseentredesforcesaussipuissantesl’unequel’autre,etdemeuralà,hésitante,

pendantcequiluisemblauneéternité.Stuartattendait,immobile,sonsoufflechaudluicaressantlevisage.Ellenesavaitpassielleaimeraitcela,ellesavaitseulementqu’ellenevoulaitpasenavoirpeur.

Elleacquiesçad’unbrefmouvementdetête.Ilsouritcontresabouche,penchalatêteetseremitàl’embrasser.Elle sentit leplaisir sepropagerdans tous sesmembres, telleuneondedechaleur.La languede

Stuarttouchadenouveauseslèvres,etellecompritsoudaincequ’ilvoulait.Elleluiouvritsabouche.Ilavait une riche saveur de pêche et de porto, et lorsque sa langue trouva la sienne, elle entendit ungémissement monter de sa propre gorge, un gémissement qui n’avait rien d’une protestation et neressemblaitàaucunsonqu’elleaitjamaisproduit.

Stuartremuaenréponseetserapprochal’espaced’uninstant.Maisilreculadèsqu’illasentitseraidir,saisissantsalèvreinférieureentrelessiennes.Doucement,ilsemitàlasucertelunmorceaudesucrecandi,éveillantenellelesouvenirdecequ’elleavaitéprouvélorsqu’illuiavaitléchéleboutdesdoigts et faisant naître des sensations dans tout son corps— le long de ses jambes, de son dos, à lasurfacedesonventre.

Emportéepar ses sens, ellegémitdenouveauet secambravers lui.Maiselle frôlaalorsde seshancheslaprotubéranceduredesonérection,etdansunbrusquesursautrepritconsciencedelaréalité.Elleluiarrachasaboucheensecouantviolemmentlatêtepuislerepoussaetseplaquacontrelaporte.

—Arrêtez,haleta-t-elle.Oh!arrêtez!

Ils’écartasur-le-champetseredressa,lesoufflecourt,brûlant.Maiselleaussirespiraittropvite.Lesondeleursrespirationsmêléesrésonnaitdanslecorridorsilencieux.LesyeuxdeStuartsemblaientembrumés dans la pénombre et, lorsqu’ils plongèrent dans les siens, elle lut son désir dans leursprofondeursgrises.

Lessensenémoi,ellesoutintsonregard.Seslèvrespicotaient.Latêteluitournait,etellesesentaitterrifiée,heureuseetmisérableàlafois,incapabledereprendresonsouffle.

—Bonnenuit,Edie.Ilsepenchaversellepourdéposerunbaisersursonfrontet tournalestalons.Puis,saisissantsa

canne,ilremontalecouloirpourregagnersesappartements.Elleneseretournapaspourlevoirpartir.Lesdoigtspresséssursaboucheet lesyeuxclos,elle

écoutaitlebruitdesespasetdesacannetandisqu’ils’éloignait.Elleentenditsaportes’ouvrir,maisletempsqu’elletourneenfinlatêteilavaitdéjàdisparu.

Laporteserefermaderrièreluiavecunlégercliquetis.Edierestalàuninstantavantdegagnersachambre,lamainsurleslèvres,sedemandantsitousles

baisersétaientcensésdéclenchercegenredesensations.

Chapitre16

SionavaitdemandéàStuartdedonner lenomdetoutes lesfillesqu’ilavaitembrasséesdanssavie, ilauraitpuoffriruncompteapproximatif,mais ilyenavait tellementque l’exactituded’une telleliste aurait été sujette à caution. Si on l’avait prié de fournir des détails sur n’importe lequel de cesbaisers,illesauraittousdécritsdelamêmefaçon:uncharmantpréludeàdeschosesencoremeilleures.

OrembrasserEdie,c’étaitquelquechosedontilsesouviendraittoutlerestedesavie,illesavait.Le premier frôlement de ses lèvres, si chaste en apparence, avait fait jaillir en lui une excitationimmédiate.C’étaitunbaiseraffreusementfrustrant—lesmainsdansledos!—etpourtantsiérotiquequ’illuiavaitdonnélevertige.Ilenvintàcraindreque,sansl’accompagnementdesbaisersd’Edieetdesadoucesaveur,lespêchesetleporton’aientplusjamaislemêmegoût.

Il savait qu’il n’avait pas embrassé une vierge au sens propre du terme,mais c’était son proprebaiser qui avait éveillé la sensualité d’Edie pour la première fois, il le savait aussi. Elle qui n’avaitexpérimenté jusqu’ici que le côté sordide de l’amour en venait maintenant à découvrir son côtémerveilleux,etcelagrâceàlui.Telavaitétésonobjectifdepuisledébut,etc’étaitdevenuuneobsessiondepuislemomentoùilavaitapprisquelleviolenceonavaitexercéesurelle.Mais,àprésentquecebutétaitatteint, ilsesentaitpresqueintimidé,commelapremièrefoisqu’ilavaitcontempléuncoucherdesoleilenAfriqueouvucourirunegazelleàtraverslaplaine.

Couchédanssonlit,lesyeuxauplafond,ilseremémoraitàchaquerespirationl’odeurdelapeaud’Edieetdesescheveux.Chaquefoisqu’ils’humectaitleslèvres,ilretrouvaitlasaveurdespêchesetduporto. Quand il fermait les paupières, il revoyait son visage, ses lèvres légèrement gonflées par sesbaisersetsesyeuxécarquillésdesurprise.Chacunedecesimagess’emparaitdesonespritpournepluslelâcher.Etsoudainilsut.C’étaitcelaqueledestinavaittentédeluidirecinqansplustôt.

Ilnes’étaitattenduàriendetel.IlétaitrentréenAngleterreenpensantsimplementconstruireunevieaveclafemmequ’ilavaitépousée,etdurantlevoyagederetourilavaitnourril’espoirqueceseraitune union heureuse, avec de tendres intermèdes d’amour physique et la naissance des enfants qui endécouleraientprobablement.Maisiln’avaitpaslaissésesattentesallerplusloin.Oh!ilétaitfollementattiréparelledepuis ledébut, iln’avait aucundouteàce sujet,or iln’avaitpas laissécetteattirances’approfondiretétaitrestéauloinpendantunedemi-décenniesanssavoirvraimentcequ’ilavaitmanqué.Désormais,ilsavait,etc’étaitsibouleversantqu’iln’enfermapasl’œildelanuit.

Aumatin, chaque détail exquis de ce baiser s’était imprimé dans samémoire, son corps brûlaitdouloureusementdedésirinsatisfait,etilcommençaitàcraindrequesoncœuraussinesoitendanger.

Il ne savait pas vraiment si les jours suivants allaient le conduire aux portes du paradis ou del’enfer,maisilavaitl’impressionqu’ilpourraitbienconnaîtrelesdeux,auboutducompte.

***

Ils allèrent auWash ce jour-là, ainsi qu’Edie l’avait projeté, et Stuart se réjouit que Joanna etMmeSimmonslesaccompagnent,carilavaitsacrémentbesoindeleurprésencepourcalmersesardeurs.

Unebelleironie!Asonretourd’Afrique,EdieetluiavaienttousdeuxprésuméqueJoannaferaitrempartentreeux.MaisStuartsavaitbienqu’unseulbaisernesuffiraitpasàfairetomberEdiedanssesbras.Etmêmesielledevaitvraimentsejeteràsoncoudanslessixprochainsjours,sondésirpourellerisquaitdedemeurerinsatisfaitbienpluslongtempsquecela.Ilsavaitdoncqu’ilallaitavoirbesoindetout son sang-froid. Rien de tel que la présence d’une fille de quinze ans et de sa gouvernante pourrappelerunhommeàl’ordre!

Ilsdisposèrentdescouverturesetunparasolsuruneagréableétendued’herbelelongdelafalaisequisurplombaitlacôte,etStuartenfutraviégalement:setrouverainsiaugrandairn’offraitpasassezd’intimité pour voler des baisers.Bienqu’onnepût les voir de la plage en contrebas, lesmonticulesherbusautourd’euxnelesprotégeaientaucunementdesregardsdequiconquedescendraitverslaplagedepuisleschampsoulevillage.C’étaientlàdesterresappartenantauxMargrave,maisleslocauxétaientautorisésàyvenirpêcher,sebaigneroufairedubateauàleurgré,etsiStuartsemoquaitbienquelesgens le voient embrasser sa femme, il se doutait bien qu’Edie ne se détendrait jamais assez pour luidonnerl’occasiond’essayer.

Pourtant, s’il avait cru pouvoir passer toute une journée avec elle sans mettre sa résolution àl’épreuve,ils’étaittrompé.Apeineavaient-ilsfinidedéjeunerqueJoanna,quiavaitpasséleplusclairdelamatinéeàpeindre,voulututilisersonaprès-midiautrement.

—J’aimeraisdescendresurlerivagechercherdescoquillages.Onpeutyaller?—Pouvons-nousyaller?corrigèrentàl’unissonEdieetMmeSimmons,cequiarrachaàlajeune

filleunsoupirrésigné.—D’accord.Pouvons-nousyaller?CommeEdieacquiesçaitd’unhochementdetête,Joannaselevad’unbondetsetournaversStuart.—Vousvenezaussi,n’est-cepas?Maisilsecoualatête.—Jecrainsquenon,monchou.Marchersurlesablerisqued’êtreunpeutropdifficilepourmoi.—Oh ! désolée ! fit-elle avec un sourire d’excuse. J’avais oublié.Alors si vous ne pouvez pas

venir,ilfautabsolumentqu’Edierestepourvoustenircompagnie.Stuart faillit souriredevant leclind’œildeconspiratricequ’elle luiadressa,or iln’étaitpassûr

d’appréciercecoupdepouced’entremetteuse.Aprèstout, ils’efforçaitderésisterà la tentation.MaisEdieallaitsûrementsuivresasœuretiln’yavaitsansdoutepaslieudes’inquiéter.

Safemme,pourtant,lesurprit.— Vous avez raison, Joanna, je vais rester ici avec Stuart. Madame Simmons, voulez-vous

accompagnermasœur?EtprenezSnufflesavecvous,ajouta-t-elle.—Biensûr,acceptalagouvernante.Stuart posa son verre de vin sur le plateau à côté de lui et tendit lamain àMmeSimmons pour

l’aider à se lever. Il attendit ensuite qu’élève et gouvernante aient descendu la pente avec le chien etdisparu derrière l’un des tertres sablonneux qui bordaient la côte pour s’allonger de nouveau sur lacouverture,enfacedesafemme.

Appuyésurlesavant-bras,ilpromenaostensiblementunregardalentour.—Ehbien,nousvoilàseuls.

***

Ediepritunegorgéedevin,puisjetauncoupd’œil,par-dessousleborddesonchapeaudepaille,versEdwardquise tenaitunpeuplus loin,gantédeblanc,puisversRobertsquiseprélassaitprèsdulandau.

—Maisnon,nousnesommespasseuls,objecta-t-elle.CefutalorsqueStuartdonna lapreuvedesonabsence totaledevolontédès lorsqu’il s’agissait

d’Edie.—Edward?appela-t-il,sansquitterlajeunefemmedesyeux.Levaletdepieds’avançaaussitôt.—Votregrâce?—PourquoiRobertsetvousn’iriez-vouspasfaireunepetitepromenade?suggéra-t-il.Ilneputseretenirdesourireenvoyantunsoupçonderosemonterauxjouesd’Edie.— Prenez une heure— non, deux— et profitez donc un peu de la campagne. C’est une belle

journée,etvousn’avezpassouventl’occasiondedisposerdevotreaprès-midi.—Oui,votregrâce.Merci,votregrâce.Edies’agita,l’airunpeumalàl’aise,tandisquelevaletdepiedetlecocherdescendaientversla

plage,bientôthorsdevue.— Vous n’aviez pas besoin de les renvoyer. En restant avec vous, je n’avais aucune intention

particulière.Jepensaissimplementquenouspourrionsbavarderunpeu,c’esttout.—Ehbien,disonsquejesuisungarsplutôtoptimiste.Ilserapprochadequelquescentimètres,sajambegauchefrôlantcelled’Edie.Cemouvementreleva

larobevertpâledelajeunefemmeet,bienquecelanerévélâtriend’autreauregarddeStuartqu’unboutdechaussureenplus,ilimaginasesjolieschevillesmincessouslecuirbeigedessouliers.

—J’espèredavantagequ’uneconversation,avoua-t-il.Ellebaissalesyeuxverssonverre.—Vousprésumezbeaucoup.—J’aiditquej’espéraisdavantage,Edie,corrigea-t-ilavecdouceur.Maisjeneprésumepasqueje

l’obtiendrai.—Pourtant,vousêtestrèssûrdevousdèslorsqu’ilestquestiondefemmes.Stuartneputs’empêcherderire.Elleclignadespaupières,visiblementdécontenancée.—Qu’ya-t-ildesiamusant?—Jenesuisjamaissûrdemoiavecvous,avoua-t-il.Oh!jefaissemblant,oui.Unhommeason

amour-propre,après tout.Mais,avecvous, jen’ai jamaisétésûrdemoi,pasaprès lafaçondontvousm’avezréduitànéantàHanfordHouseenmedéclarantquevousnemetrouviezpaslemoinsdumondeattirant.Voilà,ajouta-t-ild’unairmoroseentendantlamainverssonverre.Voussentez-vousmieuxaprèscetaveu?

—Non,pasvraiment.Carmêmesijevouscroyais,cequin’estpaslecas,vousaurieztoujoursuneavance considérable surmoi.Moi, je n’ai aucune expérience des hommes.Ou dumoins, ajouta-t-elleavecunegrimace,pasdebonneexpérience.

Stuartdéglutitnerveusementàcerappel,maisellerepritavantqu’iln’aiteuletempsderépliquer.—Jen’avaispasl’intentiondesoulevercesujet.Etsoupirant:—Cequejeveuxdire,c’estquejenemesensjamaissurunpiedd’égalitéavecvous.

—Parcequenousnelesommespas.Ils’assitetreposasonverre,puisécartalesbras.—Jesuiscomplètementàvotremerci.— Eh bien, voilà précisément ce que j’entendais par là. Vous trouvez toujours des choses si

charmeusesàdire!—Jenelesdisquelorsqu’ellessontvraies,Edie.Elledétournalesyeux.—C’estabsurde.Jenevoispasenquoivousseriezàmamerci.Ilauraitétéheureuxdeleluiexpliquerendétail,maisellerepritlaparoleavantqu’iln’enaiteule

temps.—Stuart,puis-jevousposerunequestion?Lasoudaineintensitédesavoixlesurprit.—Biensûr,affirma-t-il.Qu’allait-ellebienpouvoirluidemander?AvecEdie,toutétaitpossible.—Avez-vous…Elles’interrompitetavalaunegorgéedevin.—Avez-vouseubeaucoupdefemmespendantvotreséjourenAfrique?CepetitzestedejalousiequisemanifestaitpourlasecondefoisfitsourireStuart.Ainsiqu’illelui

avaitditlaveille,sielleétaitjalouse,c’étaitqu’ellen’étaitpasindifférente,etcelachangeaittout.Elleperçutaussitôtlaraisondecesourire,etdétournadenouveaulesyeuxensecouantlatête.—Aucuneimportance,fit-elle.Celanemeregardepas.—Maissi,celavousregarde.Vousêtesmonépouse.—Oui,maisnousavionsunaccordàproposdesautresfemmes.Elleprituneautregorgéedevin,puisreposasonverreetsemitàbrossersajupepourenôterles

grainsdesable.—Aussin’ai-jepasvraimentledroitdevousinterrogeràcesujet.Il observa un instant le visage penché de la jeune femme, et son amusement disparut lorsqu’il

réfléchitàsaquestionetàcequ’ilallaitdevoirluiapprendre.—Vousavezledroitdemedemandertoutcequevousvoulez,quandvousvoulez,surquelquesujet

quecesoit,etjevousrépondraitoujours.Vousn’aimerezpeut-êtrepaslaréponse,maiselleexprimeratoujourslavérité.Sivousdésirezvraimentquejerépondeàcettequestion,jeleferai.

Ilattenditet,aprèsquelquesinstants,lacuriositépoussaEdieàreleverlesyeuxverslui.—Enavez-vouseu?chuchota-t-elle.—Non,Edie,jen’aipaseudefemmesenAfrique.Cequineveutpasdirequejesoisrestéchaste,

ajouta-t-ilaussitôt,pourêtrebienclair.J’aiconnudesfemmes,oui,maispasenAfrique.Toutsimplementparceque…

Ilsetut,sesentantsoudainterriblementmaladroit.Maisilluiavaitpromislavérité.—Lasyphilisestmonnaiecourante,là-bas.Jenevoulaispasl’attraper.Lajeunefemmerougit.—Oh…— Ilm’était généralement plus facile d’éviter toute compagnie féminine.Mais quand les choses

devenaientpressantes,j’allaisàParis.—Ainsi,vousaviezunemaîtresseàParis?Elle esquissaunpetit haussementd’épaules, comme si celan’avait pasd’importance, alors qu’il

savaitfortbienlecontraire.

—Non,Edie.Niamoureuse,nimaîtresse, riendecegenre.Seulementdescourtisanes,etaucuned’entreellesnesignifiaitquoiquecesoitpourmoi.C’étaitseulementunbesoinbasiqueàsatisfaire,unsoulagementpurementphysique.

Ils’arrêta,grimaçant.Cetteconversationdevenaitplusépineused’instanteninstant.Ediesemorditlalèvreetdemeurasilencieusequelquessecondes.Iln’avaitpaslamoindreidéede

cequ’ellepensait.—C’étaitunbienlongtrajetpourrendrevisiteàunecourtisane,commenta-t-elleenfin.Ilprituneprofondeinspiration.—Quandunhommerecherchecegenredechose,Parisestlemeilleurendroitoùaller.Ilestplus

faciled’ytrouverdescondomsetdesfemmesqui…Ils’arrêtadenouveau,etcettefoiscefutsontourdedétournerlesyeux.—Oh!zut,marmonna-t-ilense frottant levisageets’efforçantderire.Cen’estpas legenrede

discussionqu’unhommedoitsouventavoiravecsafemme.—Jecroisbienquenon.Mieuxvalaitfairedévierlaconversationsurdesplaisirsparisiensplusfacilesàévoquer,décida-t-

il.—Maisiln’yavaitpasquelesfemmes,àParis.J’avaisaussidesamislà-bas.Trubridgeyvivait

alors. IlpartageaitunemaisonavecJackFeatherstone.Tousdeuxétaientdegrandsamisàmoidepuisl’époqued’Eaton.Nousfaisionslafête,jouions,buvions.Et,oui,nouscourionsaussilesjupons.

Ilobservaunepauseavantd’ajouter:—Vousnelecroirezpeut-êtrepas,maischaquefoisquejemetrouvaisàParis,jesongeaisàvenir

jusqu’ici.Maisjen’envoyaispasl’utilité.Pasdanslescirconstancesd’alors.—Non,approuva-t-elle.Iln’yauraiteuaucuneraison.Etmercidevousêtremontréfrancavecmoi

ausujetdesautresfemmes.Jesuisbienconscientequec’estunsujetdifficile.Stuartsesentitobligédedétendrel’atmosphère.—Etmaintenant,bienentendu,vousallezmedemandercequec’estqu’uncondom,etjevaisme

retrouverdansmespetitssouliers!Ellebalayalasuppositiond’unreversdemain.—GrandDieu,non.Jesaisdéjàcequec’est.—Ahbon?Ilenrestastupéfait.— Bon sang, Edie, vous ne saviez même pas ce qu’était une lesbienne jusqu’à ce que je vous

l’apprenne.Commentdiablesauriez-vouscequ’estuncondom?—Jesuisunefemmemariée,Stuart.Etlesfemmesmariéesbavardententreelles.—Jevois.—Mesamiesm’enontparlédepuisuneéternité.Uneoudeuxontmêmesuggéréquejepourraisen

avoirbesoinetontoffertdem’enprocurer.Etantdonnéquevousétiezloin,ettoutcela,ellesdevaientpenserquej’avaispeut-êtreenviedecompagniemasculine.

—Vraiment?fitStuart,quicommençaitàsehérisser.Etquisontcesamies?Jenesuispascertainquevousdevriez les fréquenter,Edie, vraiment.Et avaient-ellesdeshommesprécis envuepourvoustenircompagnie?

Ilpercevaitlanoted’irritationdanssaproprevoix.Ediel’entenditaussietenfitimmédiatementlaremarque.—Aprésent,c’estvousquiêtesjaloux.—Paslemoinsdumonde,nia-t-ilaussitôt.

—Oh!si!Ellerit,légèrementsurprise.—Vousl’êtesbeletbien.—Oh!trèsbien.Unpeu.Ehbien,ajouta-t-ilcommeelles’esclaffaitencore,vousvoilàsatisfaite?

Vengée?Vousavezl’impressionquenoussommesdavantageàégalité?—Oui,avoua-t-elleaveccesourireradieuxqu’ilaimaittant.J’enail’impression.—Bon.Maintenantquej’airéponduàvosquestions,ilyaquelquechosequejevoudraissavoir.Il se rapprochad’elle sur la couverture, etEdieperdit son sourire.Mais cela envalait la peine,

jugea-t-il, lorsqu’ilfutassezprèspourquesongenouluifrôlâtlahanche.Soncorpssemitàbrûlerdedésir.

—Jevoudraissavoirsivosamiesvousontparlédeschosesvraiment importantes.Parexemple,combienl’amourpeut-êtredélectablequandilestfaitconvenablement.

Edies’empourpradenouveau.Ellebaissalesyeux,apparemmenttroptimideencoreàcesujetpoursoutenirsonregard.Contretouteattente,pourtant,elleréponditàsaquestion.

—Alafaçondontellesenparlaient,jepensequ’ellestrouvaientcelaagréable.—Agréable?répéta-t-ild’untonincrédule.C’esttoutcequ’ellesontdit?—Laplupartd’entreellessemblaienttrouverquec’étaitunechosetrèsplaisante.—Unpeucommeunebouillotte,enfait,marmonna-t-il.Ellenesemblapasremarquerlanotedesarcasmedanssavoix.— Certaines disaient que c’étaient de sacrés moments de plaisir. Je ne voyais pas comment il

pouvaityavoirduplaisirlà-dedans,maisjen’enaijamaisriendit.—Etmaintenant?Depuishiersoir,pensez-vousquevouspourriezcommenceràcomprendreleur

pointdevue?—Hiersoir?répéta-t-elledansunmurmure.Elletentaitclairementdefairecellequinecomprenaitpas,maiselleneleregardaittoujourspaset

semblaitprendreungrandintérêtàchasserunbrind’herbedesajupe.—Ils’estpasséquelquechosehiersoir?—Etvousprétendezquevousneflirtezpas?Edie,vousêtesentraindeflirteravecmoi,là.Ilplialegenou,qu’ilfrottaavecintentioncontresajupe,savourantledésirquis’éveillaitenluiet

jouantaveclefeu.—Dites-moiencorecequevosamiesvousontracontésurl’amour,carjerefusedecroirequ’elles

n’aientpasemployéd’autresmotsqu’«agréable»ou«plaisant».Ilsepenchajusqu’àeffleurerdesonfrontlelargeborddesacapeline.—Vousont-ellesditcombienc’étaitdivind’êtreembrasséeetcaressée?Seulelamoitiéduvisaged’Edieétaitvisibleetilnepouvaitdoncliredanssesyeux,maisilvitses

lèvres s’entrouvrir avec un léger tremblement et c’était un encouragement suffisant. Il continua à lataquinertoutensetorturantlui-même.

—Vousont-ellesditquevouspouviezconduireunhommeàl’extaseouaudésespoir?Quevouspouviezletransformerenmendiantouenroi?

Etpassantlatêtesoussonchapeaupourlaregarderbienenface:—Vouspouvezfairetoutcelademoi,Edie,sivouslevoulez.C’estpourquoijesuisàvotremerci.Ill’entenditretenirsarespiration.Sursonvisageselisaittoutesaméfiancehabituelle,maisaussi

quelquechosequ’ilneluiavaitjamaisvuauparavant.Peut-êtrecommençait-elleàprendreconsciencedesonproprepouvoir.

—Voilà,fit-ilenbasculantdélicatementau-dessusd’elle,sesdoigtsenfoncésdansl’herbeauborddelacouvertureetsonpoignetluieffleurantlahanche.Apartirdemaintenant,vouspourrezfairedemoicequevousvoudrez,jelecrains.

Ledésirqu’ilavaittentédetenirenlisièretoutelajournéeprenaitledessusenluiàprésent,denseetbrûlant,mais ilnesesouciaitplusde le réprimer. Il fallaitqu’il l’embrasseànouveau. Ici.Toutdesuite.Ils’inclinaverselle.

—Edie!IlstournèrentlatêteenentendantJoanna,qu’ilsvirentsurgirsurletertred’herbeetdesableleplus

proche.Elletenaitdanslesmainsunénormemorceaudeboisflottétoutnoueux.—Regardezcequej’aitrouvé!Est-cequecen’estpasmagnifique?Stuartserassitengémissant.—L’école,Edie,chuchota-t-il.Ilfautenvoyercettefilleàl’école!

***

Lesoleil secouchait lorsqu’ils remballèrent lesaffairesdupique-niqueet reprirentenvoiture lechemindeHighclyffe.Joannaparlapourtroispendanttoutletrajet,etcefutunebénédictionpourEdie,quin’étaitpasd’humeuràentreteniruneconversationbanale.Toutessortesd’émotionstourbillonnaientenelle,déroutantesetcontradictoires.

D’abord lapeur,biensûr.Celle-cine laquittait jamais,etEdieavaitapprisàvivreavecdepuislongtemps. Mais d’autres sentiments se bousculaient encore et luttaient pour s’exprimer librement.L’excitationetledésir,lalangueuretl’espoir.L’angoisseetl’incertitude.Lapeuràcôtésemblaitpresqueconfortable,telleunepairedechaussureslongtempsportéeouungantparfaitementajusté—lapeur,aumoins,luiétaitfamilière.

EllesentaitqueStuart l’observait,coulantdetempsàautredebrefsregardsverssonprofil,maisDieumerci,ilneluiposapasdequestionssursonhumeursongeuse.Enfait,ilneluiparlapasdutout,excepté pour lui demander poliment si elle était confortablement installée ou eût préféré être assise àl’avant de la voiture plutôt que sur la banquette du fond. En dehors de cela, il bavarda surtout avecJoanna,lataquinantausujetdesonénormemorceaudeboisquioccupaitpresquetoutleplancherdelavoiture, et la complimentant sans mesure sur les deux paysages de la côte qu’elle avait brossés àl’aquarellecematin-là.

Il faisait presque nuit lorsqu’ils arrivèrent à lamaison.On emmena Snuffles prendre un bain, etchacunmonta dans sa chambre afin de se changer pour le dîner.Mais, si Edie s’était imaginé que sachambreseraitunesortedehavre,elles’étaittrompée.Tandisque,deboutdevantlalonguepsyché,elleregardaitReeveslacersoncorset,lesparolesprononcéesparStuartluirevinrentàl’esprit.

Vouspouveztransformerunhommeenmendiantouenroi.Ellenevoyaitpascomment.Elleétudiasonrefletdanslaglace,maisellen’avaitpasunvisageà

ameuterlesfoulesourenverserdesroyaumes,ellelesavait.Toutcequ’ellepouvaitenconclure,c’étaitqueStuart la flattaitpour l’amadouer,ouqu’ilétaitaveugle.Carceque lui renvoyait lemiroir,c’étaitl’imageunefemmequelconque,avecunetignasseblond-rouxetbouclée,unmentontêtuetunefigurepâlecribléedetachesderousseur.

Je les ai contemplées en me demandant si vous en aviez partout et combien de temps il mefaudraitpourlesembrassertoutes.

Elleportalamainàsaclavicule,effleurantduboutdesdoigtslespetitsgrainsdorés.

Celaprendraitbeaucoupdetemps,Stuart,etdesquantitésdebaisers.Acettesimpleévocation…unechaleurserépanditdanstoutsoncorps.Soncorps,c’étaituntoutautreproblème.Ellesoupira,et ledésirrefluaenelle,balayéparlafroideréalité.Danslafemmedumiroir,elle

revoyait la jeune fille qui dominait tous ses cavaliers de sa haute taille, se faisait impitoyablementtaquineràproposdesestachesdesonetdesesdentsenavant,etdontlapoitrineétaitcertainementl’unedesmoinsimpressionnantesdeNewYork.

…lacourbedevotrehancheetvoslonguesjambes,silongues…Peut-être avait-elle en effet d’assez jolies jambes, convint-elle, songeuse.Mais ce n’était guère

suffisantpourconduireunhommeàl’extaseouaudésespoir.Qu’est-cequeStuartpouvaitbienvoirenellequ’ellenevoyaitpas?

Ellen’étaitpassûredesouhaiterlesavoir.Elles’étaitsensiblementposélamêmequestionaprèsSaratoga.Qu’yavait-ildoncenellequiavait

putransformercegentlemandeFrederickVanHausenenanimal?Qu’est-cequil’avaitpousséàlajetersurunevieilletableenbois,àfendresesculottesendeux,àsecouchersurellesilourdementqu’ellenepouvaitplusrespirer,età…

EllerepritsibrusquementsarespirationqueReevess’arrêtadelalacer.—Tropserré,votregrâce?Edieeutunsourireforcé.—Peut-êtreunpeu,mentit-elle.—Désolée,votregrâce,s’excusalafemmedechambre.C’estseulementqu’unerobedusoirdoit

êtreunpeuplusserrée.Elle acheva son laçage au niveau des reins, noua les lacets, puis aidaEdie à enfiler son cache-

corsetetsonjupon,avantderetirerdulitlarobed’après-midiensoierosepâlequ’elleavaitpréparéeunpeuplustôt.

—Alors jevaischercherune robedusoir,déclara-t-elle.Sivousenêtes sûre?ajouta-t-elleens’arrêtant,laroberosesurlebras.Vousneportezpassouventderobedesoiréeàlamaison.

—Cesoir,jepréfère.Edieneprécisapassesraisons.Laduchessen’avaitpasàexpliquerquoiquecesoit,jamais.Sauf

peut-êtreauduc.Reeveshochalatêted’unairsatisfait.—Laquelledois-jeapporter?Celleensoiebleuroiestsibelle…Oupeut-êtrelavertNil?Oula

violette?Ediesecoualatête.—Non.Apportez-moilabrune.—Oh!non,votregrâce,non!gémitReeves.Paslabrune!Edieseretourna,surprise.Reeves, avec son inébranlable sens des convenances, n’avait jamais eu l’impertinence de la

contredireuneseulefois.—Reeves,qu’est-cequivousprend?Lachambrièrerougitaussitôt,levisagecontrit.—Jevousdemandepardon,votregrâce.C’estseulementquelarobebruneest…Ellesetut,poussaunsoupiretdéglutit.—Unpeuaustère.Unerobedematrone.

Ediehochalatête.Unerobeaustèredefemmed’uncertainâge,c’étaitexactementcequ’illuifallaitpoursesentirplusensécurité.

—Certainslaqualifieraientmêmedepeuflatteuse.—Nepréféreriez-vouspasquelquechosedeplusjoli?Lableuroivasibienavecvoscheveux.Et

elleestunpeuplusdécolletée.Ediefitlamoueenseregardant.—Commesicelachangeaitquelquechosepourmoi!Reevesjetauncoupd’œilversl’horloge.—Nouspourrionsajouterunpeudegarnissage.Nousavonstoutletemps.Edies’adressaaurefletdesachambrièredanslemiroir:—Etpourquoivoudriez-vousquenousfassionscela?s’enquit-elled’untonsoudainacerbe.—Ehbien…Reeveshésita.—C’estseulementqueleducestàlamaisondésormais.Etjesuissûrequ’ilapprécieraitd’avoir

unspectacleséduisantenfacedeluiàtableaprèsêtrerestésilongtempsdanslabrousse.Et…et…Observantlevisaged’Ediedanslapsyché,ellesoupiraetfinitparabandonner.—Trèsbien,jevaischercherlabrune.Reevesdisparutdansledressing,etEdiereportasonattentionsurlemiroir.—Ungarnissage,vraiment,marmonna-t-elleentresesdents,toutenlissantsoncache-corsetsurses

petitsseins.Jen’aipasportédegarnissagedepuisl’âgededix-huitans!Lajeunefilled’avantSaratogaavaitvolontiersportédesrembourragessoussesvêtementsetdivers

artificespourembellirsonbuste.Elleavaitaussifrottédujusdecerisesursesjouespâlesetsabouche,et osé rêver qu’un certain gentilhomme de l’autre bout deMadisonAvenue pourrait tomber amoureuxd’elle. Puis Saratoga était arrivé, tuant tous ses rêves juvéniles et ses idées romantiques, éteignant sapassionavantmêmequ’ellen’aiteulachancedeladécouvrir.

N’était-ilpastroptardàprésent?Ediesemorditlalèvre,leregardfixésursonreflet,maisc’étaitàStuartqu’ellepensait,àsesyeux

ladéfiantdedécouvrirlafélicitéd’êtreembrasséeetcaressée.Quevoulait-elle?Unesemaineplustôt,illuiauraitétéfacilederépondreàcettequestion.Elleauraitditqu’ellene

voulaitrienqu’ellen’eûtdéjàetquesavieétaitparfaite.Ellenes’étaitjamaisaventuréeàsedemanders’illuimanquaitquelquechose.

ElleentendaitencorelavoixdeStuartaffirmantqu’elleétaitunefemmepassionnée.Etait-cevrai?Sansaucundoute,ellesesentaitenébullitiondepuissonretour.Silapassion,c’étaitdesetrouver

dansunétatconstantd’incertitude,desesentirtorturéeentrepeuretexcitation,alorsStuartavaitraison.Sic’étaitd’avoirl’espritendérouteetd’êtrepartagéeentrel’exaltationetlapureterreur,alorsoui,elleétaitpassionnée.SiStuartpouvaitcréerun telchaosenelleenmoinsd’unesemaine,qu’enserait-ilsielleluiaccordaittouteunevie?

Ellerevitsonvisage,plusgraveàprésentquelorsqu’ellel’avaitaperçupourlapremièrefoisdanslasalledebal,unpeuplusâgé,unpeuplusmeurtrietsoucieux,peut-être,maisencoresi terriblementséduisant,avecsesyeuxgrisauxrefletsd’argent.Unhommequi, il l’avait reconnu lui-même,avaiteubeaucoupde femmes, savait enquoi lespêchespouvaient être érotiques et quelsmotsprononcerpouraffoler le cœurd’une fille sansbeauté.Combiend’autres cœurs féminins avait-il fait battre comme lesien?Sansdoutetroppourqu’onpuisselescompter.

D’accord, ils étaient mariés, mais qu’est-ce que cela voulait dire ? Un homme tel que Stuartpouvait-ilvraiments’attacheràunefemmecommeelle?Pouvait-ilréellementladésirer,l’aimer,luiêtrefidèle?

Oh ! Seigneur ! songea-t-elle avec dégoût. Voilà qu’elle nourrissait plus d’espoirs romantiquesqu’unejeunefillededix-huitans.

Etait-ce donc cela qu’elle voulait ? Ressentir les choses comme autrefois ? Redevenir la filled’avantSaratoga?Effacercequis’étaitpassécommesicelan’avaitjamaisexisté?Etait-ceseulementpossible?

Consternée, elle appuya ses mains sur ses joues empourprées. Où était passée la duchessedébordante d’assurance qui dirigeait cinq maisonnées à elle seule, élevait sa jeune sœur, gérait unedouzaine d’œuvres charitables de grande envergure et offrait quelques-uns des goûters les pluspopulairesdelasaisonlondonienne?Elleavaitcruêtredevenueunefemmeindépendanteetsûred’elle,maisellecomprenaitàprésentquetoutcequ’elleavaitfait,c’étaits’enfermerdansuncoconsécurisantoùriennepouvaitvenirremettresonassuranceencause,ébranlersaconfianceenelleoumenacersonindépendance.

Pasd’hommepourlarestreindre,larabaisser,laforcer.Certes.Maispasd’hommenonpluspourl’embrasseravecunetendresseàluienfaireperdrelaraison.Ediepressasesdoigtssurseslèvres.Ellen’avaitpasbesoindedéciderencoresiellevoulaitou

non passer sa vie avec lui. Dumoment qu’elle ne l’embrassait pas, il lui restait cinq jours avant deprendre sa décision.En attendant, peut-être que tout ce qu’elle avait à faire, c’était… jouir duplaisird’êtreunefemme.EtlaisserStuartsechargerdesbaisers.

Elleseretournacommelachambrièresortaitdudressing.—J’aichangéd’avis.Apportez-moilableue.Reeves—cette femmeentredeux âges auvisage impassible,modèlede la parfaite soubrette de

grandedame—sautadejoieetsouritcommeunegamine.—Puis-jeaussirelevervoscheveuxavecdespinces?Celaôteralesfrisettesduesàl’humiditéde

l’airmarin.—Oh!entendu,réponditEdiecommelacaméristedisparaissaitànouveaudansledressing.Mais

pasderembourragedansmoncorsage,jevousprie!Reportantsonattentionsurlemiroir,ellechassaquelquesbouclesdesonfront.—Inutiledepousserleschosesaussiloin…

Chapitre17

Lorsque Edie descendit, Stuart se trouvait seul dans le salon. Sirotant un verre de sherry, ilexaminait lesaquarellesqueJoannaavaitpeintescematin-làetquiavaientétédisposéessurunetableprèsdupiano.

Illevalesyeuxquandelleentraetlagratifiaimmédiatementd’unsourirelumineux.—Commevousêtesjoliedanscetterobe!Elles’arrêtaprèsdelaporteetbaissalatête,soudainintimidée.—C’estl’œuvredeReeves,expliqua-t-elle,enjouantaveclajupebleuechatoyante.Ellesemble

penserqu’unducquirevientdelabrousseafricainemérited’avoirunefemmejolimentvêtueenfacedeluiàtable.

Iléclataderire.—Jel’approuvechaudement.Nousdevrionsluiaccorderuneaugmentation.Frappéed’unepenséesoudaine,Edierelevalesyeux.—Cen’estpasvousquil’yauriezincitée,parhasard?— Incitée à quoi ? A vous faire endosser une jolie robe avec un décolleté délicieusement

plongeant?Ilsourit.—Non,maispardieu,jeleregrette.Oupeut-êtrepas,ajouta-t-ilenlaregardanttraverserlapièce

pourlerejoindre.Jecrainsquecedécolleténeserévèlebeaucouptropdistrayantpourmoi.—Sij’avaislaisséfaireReeves,jepourraispeut-êtrevouscroire,répondit-elleens’arrêtantprès

delui.Ellem’asuggérédel’étofferavecungarnissage.Ilavalaunegorgéedesherryavantdeladévisager.—Pourquoidonc?—Pourvousséduire,biensûr.Illaregardadespiedsàlatête—Vousn’avezpasbesoindegarnissagepourcela,Edie.—Detoutefaçon,j’airefusé.Désignantlatabled’ungeste,elledétournalaconversationversdessujetsplussûrs.—VousadmirezlestableauxdeJoanna,àcequejevois.— Si vous voulez me séduire, Edie, murmura-t-il, je peux vous suggérer des moyens bien plus

efficacesquelerembourragedevotrecorsage.Un fourmillement d’excitation la parcourut, remontant de ses jambes vers son dos et sa nuque.

C’était une sensation grisante. Elle frémit, non pas de peur mais avec cette étrange impression de

picotementsaucreuxdel’estomac.Ellecherchadésespérémentquelquechoseàdire.—Jenevoudraispasêtreaguicheuseetvous…vousfairemarcher.Ilsourit.—Cela,c’estmonproblème,paslevôtre.Cetteréponselalaissadubitative.—Ilyadeshommesquineseraientpasd’accord.LesouriredeStarts’évanouit.—Alorscesontdemisérableschiens,pasdeshommes.Elleplongeadanssesyeuxetylutuneinfinietendresse.Unbrusquesanglotdebonheurluigonflala

poitrine,qu’elleréprimaaussitôt.C’estabsurde,sedit-ellefarouchement.Avoirenviedepleurerenunmomentpareil!

—Oui,parvint-elleàarticuler.Stuartpritunelongueinspirationetluimontrasonverre.—Jeboisdusherry.Envoulez-vous?Elleaccueillitavecempressementlechangementdesujetetl’idéed’uneboisson,carelleavaitfort

besoindesdeux.—Oui,merci.Tandisqu’illaservait,Ediereportasonattentionsurlespeintures.—Votresœurabeaucoupdetalent,déclara-t-ilenluiapportantlesherry.Ediepritleverreettenditlamainverslemur.—Vousavezvusareprésentationdevotrepapillon,jesuppose?—Oui,biensûr.Jecroisqu’ellem’amontré toutessesœuvresàprésent.Jesuiscurieuxdevoir

commentellevapeindrecemorceaudeboisflottéquenousavonstraînéjusqu’àlamaisonaujourd’hui.—Ceseraremarquable.Jeparleensœurtrèsfièred’elle,bienentendu.—Non.Vousparlezencritiqued’artavertie.Ilsrirenttousdeux,puisrestèrentuntempsàadmirerlesaquarelles.—Willowbankestuneexcellenteécolepourlesarts,Edie,repritStuartauboutd’unmoment.C’est

sansdoutepourcelaquevousl’aviezchoisie,non?Elledevraityaller.Edieexaminal’unedespeintures,notantlescontoursexquisdusableetdel’herbe,etunmorceaude

cielobliqueoùserévélaitlatoucheuniquedeJoanna.—Elleneveutpasyaller.—Maiselleenabesoin,vouslesavezaussibienquemoi.Vousétiezprêteàl’yenvoyer,etvousne

l’avezpasfaitàcausedemoi.Ediesoupira.—Non,vousn’étiezqu’unprétexte.Lavérité,c’estque jen’aipasvoulu l’envoyerau loin. J’ai

beaucouptropremislachoseàplustard,jelesais,maisnousn’avonsjamaisétéséparées,saufpendantcemoisaprèsnotremariage,quandPapal’aemmenéeàParis.Etjedétestel’idéedeneplusl’avoirsouslesyeux.Siquoiquecesoitluiarrivait…

—Elleseraconstammentchaperonnée,Edie.—Jesais,jesais.Etvousavezraison.Lejouroùvousêtesrentréd’Afrique,j’avaisenfintrouvéle

couragedel’envoyerlà-bas,maisensuite,lorsqu’elleasautédutrainpourrentreràlamaison,ç’aétéuntelsoulagementderepousserlachoseànouveauetdepouvoirlagarderunpeupluslongtempsavecmoi!

—Ellevavousmanquerterriblement,c’estsûr.Maislesvacancesscolairessontfaitespourcela.Tandisqu’ilparlait,Ediepritconscienceque,sielleétaittantréticenteàl’idéed’envoyerJoanna

auloin,cen’étaitpasseulementparcequesasœurallaitluimanquerouqu’elletenaitàveillersurelle.

C’était aussi laperspectivede rester seule ici àHighclyffequi lui avait rendu ladécision sidifficile.L’absencedeJoannalarenverraitàsapropresolitude.Lasolituded’unefemmeindépendantequigéraitdesœuvrescharitablesetaménageaitdes jardinspours’occupermais savaitque,àmoinsde recevoirsanscessedesinvités,elledevraitmangersesrepasensolitairedanslasalleàmangerducaleetpique-niquerauWashtouteseule.

Toutétaitdifférentmaintenant,biensûr.Mêmesanstenircomptedecequis’étaitpassédepuiscinqjours,ellenevivraitjamaisseuleàHighclyffe.Peut-êtrevivrait-elleseuleailleurs,maispasici.

—Jenesaispassijesouhaitequ’elleailleàWillowbank.Je…moi-mêmejenesaispasoùjevaisvivre,etj’aimeraisêtreprèsd’elle.Tantqueleschosesnesontpasrégléesentrenous,jenepensepasquejelaconfieraiàuneécoleenparticulier.

Stuartrestamuetquelquesinstants,puishochalatêteettoussota.—Oui,biensûr.Néanmoins,WillowbanksetrouvedansleKentetilestfaciled’yallerdepuis…

depuisLondres.Etaussidepuisl’Europe,si…sivouschoisissezdevousyétablir.Ilparlaitlentementetavecdespausesfréquentes,commes’ilavaitdumalàarticulersesmots.Etdétournantlesyeux:—Bien sûr, si vousdeviez retourner àNewYork, ce serait différent, poursuivit-il àvoixbasse.

C’estsiloin…Elle allait lui manquer, songea-t-elle. Bien entendu, il voulait avoir une véritable épouse et des

enfants,maisl’idéequ’ilpûtdésirersacompagnieetqu’elleluimanqueraitsielles’enallaitlafrappasoudain.Celaneluiétaitjamaisvenuàl’esprit.

—Jen’aijamaiseul’intentionderetourneràNewYork,laissa-t-elleéchapper.C’étaitseulementpourvouslancersurunefaussepiste,aucasoùj’auraisdécidédem’enfuir.

—Quoi?Illadévisagea,visiblementstupéfait.—Unblufftoutàfaitconvaincant.Vousavezachetélesbillets,sijemesouviensbien.Ellehaussalesépaules.—Unbluffdoitêtreconvaincant.Etjepouvaismelepermettre.—Vousêtes la femme laplus surprenanteque jeconnaisse,Edie.Chaque foisque je croisvous

cerner,vousmedéconcertezànouveau.— J’étais paniquée. Je ne connaissais pas vos intentions, ni si vous alliezme…me forcer, me

traîneràlamaison,ou…C’étaitelleàprésentquisemblaitavoirdumalàs’exprimer.Ellerespiraàfond.—Mais je ne serais jamais retournée àNewYork. Jamais Je nepourrais pas.Ce serait le… le

revoir,lui,revoircesourirenarquoissursafigure.EllesetutenvoyantStuartserrerleslèvres.—Ilpaiera,Edie.Jevouslepromets,ilpaiera.Elleesquissaunsourire.—Commejevousl’aidit,c’est trèschevaleresqueàvousdevouloirmevenger,maisc’estsans

importanceàprésent.Lemalestfait,c’estfini.—Vraiment?Ilyauraitpeut-être…Ils’interrompitbrusquementetsecoualatête.—Non,rien.Commentavons-nousdérivéverscetaffreuxsujetdeconversation?Nousparlionsde

Joannaetdesonart.Ilprituneprofondeinspiration.

—Ainsiquejevousledisais,Willowbankesttrèsbiensituée,etc’estexactementl’écolequ’illuifaut pour ses talents. Si vous n’avez pas l’intention de retourner à New York, c’est le meilleurétablissementpossiblepourelle,dumoinsenAngleterre.Et,quoiqu’ilarriveentrenous,iln’yaaucuneraisonpourquevousnerestiezpasenAngleterre.Vousn’avezpasbesoindefuirenFranceouenItaliepourm’échapper.

—Jelesaisàprésent.EtjepréféreraisdemeurerenAngleterre.C’estmonpaysdésormais.QuantàJoanna…

Ellesetutetrespiraprofondément.—Vousavezraison,biensûr.Je…Jevaisleluiannonceraprèsledîner.ElletournaitdéjàlestalonsquandStuartl’arrêta.—Attendez.Plutôtquedeluiordonnerdepartir,neserait-ilpasmieuxqu’elleenaitenvie?Ilsourit.—Ainsi,ellenesauterapasdutrainàladernièreminute,nerefuserapasdevousécrire,nefumera

pasdecigarettesetnecréerapasdeproblèmesjustepoursefairerenvoyer.Ediesemitàrire.—C’estvrai,vousavezentendunotreconversationàcesujetsurlequaidelagare.J’avaisoublié.—Vousêtesd’accord?—Biensûr,maiselleestfarouchementopposéeàl’idéedepartir.Commentarriveràlapersuader?—Laissez-moifaire.Jevaiscommencermacampagnependantledîner.

***

Si Edie avait eu des doutes sur la capacité de Stuart à faire changer Joanna d’avis au sujet del’école,àlafindurepasilss’étaientenvolés.Lesfemmes,elleauraitdûlesavoiràprésent,n’étaientqueciremolleentresesmains.

Toutd’abord,ilévoquapourMmeSimmonslevoyagequ’ilavaiteffectuéenItalieàl’âgedevingtetunans.MmeSimmons,grandeamoureusedesarts,étaitaussialléeenItalie,etdurantlerepas,quinecomportaitpasmoinsdesixplats,tousdeuxdiscutèrentdesexquisespeinturesdelachapelleSixtineauVatican, des canauxpittoresques deVenise, duPonteVecchio et du palaisPitti à Florence, puis de labeauté fabuleuse de la campagne toscane. Joanna écoutait avec une avide curiosité et leur posait denombreusesquestions,maiscommeWillowbanksetrouvaitdansleKentetnonenItalie,Edienefitaucunrapprochemententrel’écoleetlevoyageitaliendeStuart.

Jusqu’audessert.—Oh!j’adoreraisallerenItalie!s’écriaJoannaens’adossantàsachaiseavecunsoupirrêveur.Stuartsetournaverselle,surpris.—Vraiment?Jenel’auraisjamaispensé,Joanna.Elleledévisageacommes’ilétaitl’hommeleplusdésespérémentobtusdumonde.—Vousplaisantez?C’estunrêve,pourmoi.Pensezauxpaysagesquejepourraispeindrelà-bas!

Commentavez-vousjamaispuimaginerquejen’aimeraispasallerenItalie?Stuartplissalefront.—ParcequevousnevoulezpasalleràWillowbank,bienentendu.C’estpourquoij’aisupposéque

l’Italienevousintéressaitpasnonplus.Joannanefutpaslaseuleàluijeterunregardétonné.MmeSimmonssemblaitégalementperplexeet

Edie,bienqu’elleconnûtsesintentions,étaittoutaussidéconcertée.—Qu’est-cequeWillowbankaàvoiravecl’Italie?s’enquitJoanna.

—C’estsansimportance,puisquevousn’yallezpas,réponditStuart.Ils’interrompitpoursavourerunegorgéedevin.—MmeCallowayal’intentiond’emmenerungroupedesesplustalentueusesélèvesdedeuxième

annéeenItaliecetautomne.—Quoi?fitJoanna,interloquée.Ellen’étaitpaslaseule.—Jen’étaispasaucourant,intervintEdie,quitournalesyeuxversMmeSimmons.Etvous?—Moinonplus,assuralagouvernante.IlestvraiqueMmeCallowayestuneferventeadmiratrice

desgrandsmaîtres,ettouteslesjeunesfillesàWillowbankétudientleurstechniques,maisj’ignoraistoutdecettehistoired’Italie.

—Apparemment,celafaisaitplusieursannéesqu’ellerêvaitdecevoyage,précisaStuart.Maiselleavait besoin d’un mécène. En apprenant que j’étais de retour, elle m’a écrit pour me demander sij’accepteraisde jouerce rôle.Elle semblepenserqu’unducdonneraituncertaincachetà l’affaireet,commeJoannaétaitsupposéeallerdanssonécole,elles’estditquejepourraism’intéresserauprojet.Bienentendu,jeseraistrèsheureuxdefinancerleurvoyage.

— Mais vous ne pouvez pas faire ça ! s’écria Joanna, dont la fourchette heurta bruyammentl’assiette.VousnepouvezpasoffrirunvoyageenItalieàd’autresfillesetpasàmoi!

—Joanna!larepritEdie.Ilestinutiledeheurterl’argenterieetdevousmontrerimpertinente.— Laissez, Edie, s’interposa Stuart. Je peux comprendre qu’elle soit bouleversée à l’idée que

d’autresfillesfassentcevoyageàsaplace.EtsetournantversJoanna:— Je suis désolé, mon chou, mais je ne vois aucune raison d’ôter à d’autres jeunes filles

talentueuses la chance de peindre la campagne toscane et d’étudier lesœuvres deMichel-Ange, sousprétextequevousnevoulezpasallerdanscetteécole.

Ilavalauneautregorgéedevinpuisportaàsaboucheunecuilleréedetarteauxmyrtillesetàlacrème.

—Mais…mais…mais,bégayaJoanna.Ediesesentitpresquenavréepourelle:c’étaitlapremièrefoisdepuissapetiteenfancequeJoanna

semblait siprèsde fondreen larmes.Elledégusta sondessert enobservant sa sœurducoinde l’œil.Quand elle la vit se mordre la lèvre, ainsi qu’elle le faisait chaque fois qu’elle devait prendre unedécisiondifficile,ellecompritqueJoannahésitaitetnefutpasétonnéedelavoirenfinsetournerverselle.

—Edie,est-iltroptardpourquej’ailleàWillowbank?Edie jetaun regardàStuart,qui s’adossaà sachaiseet lui adressaunclind’œilpar-dessus son

verre.—Non.Non,biensûr,cen’estpastroptard.

***

Les lys étaient en fleurs. Edie le devina au parfum capiteux lui parvenant des portes-fenêtresouvertes,tandisqu’aprèsledînerilsempruntaientlecouloirmenantàlasalledemusique.ElleregrettapresquequeleurjournéeauWashl’aitprivéedesaquotidiennepromenadedusoiravecStuart,carlesjardinssentaientdélicieusementbon.

Stuartparutliredanssespensées.—Superbenuit,commenta-t-il.Idéalepourunepromenade.

Elleluiadressaunsourirepar-dessusl’épaule.—Oui.Dommagequecenesoitpaslapleinelune.Mais,enpénétrantdanslasalledemusique,Ediecompritqu’ilsn’enauraientnulbesoin.Par les

portes-fenêtres,elleaperçutdesdouzainesdelanternesàlaflammevacillantealignéessurlaterrasseetformant une ligne sinueuse dans les jardins en contrebas. Elle s’arrêta après avoir franchi le seuil etpoussauncridesurprise.

—Stuart!Ils’avançaderrièreelle.—Quiabesoindelalune?murmura-t-il.Avantdepartircematin,j’aitoutarrangéavecWellesley.

Vousaimez?—Sij’aime?Ellerit,ravie,enluilançantunnouveaucoupd’œil.—C’estmagnifique!Ilnesouritpasenretour,maisc’étaitinutile:ellesavaitqu’elleluiavaitfaitplaisiretlelutdans

sesyeux.—Qu’est-cequiestmagnifique?questionnaJoannaquilesrejoignait.Etpourquoibloquez-vousle

passage,touslesdeux?Edieentradanslapièce,laissantMmeSimmonsetJoannadécouvriràleurtourl’œuvredeStuart,

puissedirigeaverslaterrasseaveclui.—Oooh…fitJoannaenlessuivantdehors.C’estmagique,vousnetrouvezpas?Celasemblesortir

toutdroitd’uncontedefées.—Oh!oui!pouffaEdie.EtregardantStuart:—Nouspouvonsfairenotrepromenadeenfindecompte.Ildésignal’escalierdepierre.—Onyva,Edie?Etladouceurdesavoix,ainsiquel’expressiondesonregardluicoupèrentlesouffle.—Oui.Allons-y.—Puis-jeveniravecvous?demandaJoanna.—Non!Lesdeuxréponsesavaientfuséenmêmetemps,etEdiedevinaqu’ilsavaienteulamêmepenséeen

refusantlarequêtedeJoanna.Laissantlajeunefillelessuivredesyeuxd’unairpenaud,ilss’engagèrentdansl’alléeéclairéeparleslanternes.

—NousavonsoubliéSnuffles,remarquaStuartcommeilspénétraientdanslaroseraie.Ildoitêtreencorequelquepartenbas.

—Ilpeutbienmanquersapromenadepourunefois,lerassuraEdie.Etregardantautourd’elle:—Joannaaraison.Leslanternesrendenttoutvraimentmagique.— Pauvre fille ! fit Stuart en riant. Avez-vous vu sa figure quand nous lui avons dit qu’elle ne

pouvaitpasveniravecnous?Ellesemblaitsidéconfite…—Cequiaprécédéétaitpire,quandelleaapprisqu’ellen’iraitpasenItalieparcequ’ellen’était

pasélèveàWillowbank.Vraiment,Stuart,MmeCallowayemmenantsesélèvesenItalie!ajouta-t-elleens’efforçantvainementdeprendreuntonsévère.Etnevenezpasmedirequ’ellevousaécrit,carjen’encroispasunmot.

Ilsouritencoin.

—Non,ellenem’apasécrit.Maisn’allezpasmetrahir!—Non,biensûr.Maisqueferez-vousausujetdel’Italie?—C’estévident,non?Ilfautqu’ellesyaillent.—Ettoutcelapourpersuadermasœurd’alleràl’école!Vousêtessiextravagant!—Maisvousaimezça,Edie.Admettez-le.—Oui,jecrois.Peut-êtreparcequejen’aijamaisrienfaitd’extravagantmoi-même!IlsarrivèrentdanslejardinSecret,etEdietrouvaunenouvelleraisondel’accuserd’extravagance:

deslanternesavaientétédisposéestoutautourdelafontaine,prêtantunéclatmagiqueàlastatuedestroissœursenmarbreblancetàl’eauquijaillissaitau-dessusd’elles.

— Vous voyez ? C’est précisément ce que je veux dire, ajouta-t-elle en riant. Vous avez dûrecommanderàWellesleydefaireplacerleslumièresdefaçonàilluminerparfaitementlafontaine.

—Eneffet.Ils’arrêtaprèsdelavasqueet,lorsqueEdies’immobilisaàsoncôté,ilsetournaverselleettendit

lamainversunplidesajupe,dontilfroissalasoiechatoyanteentresesdoigts.—J’aimecetterobe.Ouplutôt,jevousaimevêtueainsi.—Vraiment?—Oui.Avez-vousmisdubleuparcequec’estmacouleurpréférée?Ditesoui,lapria-t-ilavecun

petitsourireenlavoyanthésiter.Jetez-moiunemiette!Ellerit.—Ehbien,oui,admit-elle.LesouriredeStuartdisparut.Lâchantl’étoffe,illevalamainversledécolletéprofonddesarobe,

puiss’immobilisa,lesdoigtsàunmillimètredesapeaudénudée,etlaregardadanslesyeux.—Jedésiretellementvoustoucher…Sijelefais,toutirabien?Elleréfléchituninstant,puishochalatête.—Oui.Duboutdel’index,ileffleuralecôtédesoncou.Ediepritunebrusqueinspirationetsoufflalentementtandisqueledoigtglissaitlelongdesagorge.

Elle s’efforça de rester parfaitement immobile,maisStuart n’avait pas encore atteint sa clavicule quedéjàsoncœurbattaitlachamade.

Ledoigtvintsenicherlà,danslepetitcreux,etsemitàtracerdescercles,encoreetencore.—Je…Ellesetut,oublianttoutàfaitcequ’elleavaiteul’intentiondedire,carladoucecaressealanguie

répandait une onde chaude dans tout son corps et lui dérobait toute présence d’esprit. Elle sentit sesgenouxfaiblir,etseréjouitdeconstaterquelebraslibredeStuartluiencerclaitlataille.Aumoins,illamaintenaitdebout.

—Jevaisvousembrasser,murmura-t-il.Ilneluidemandapassitoutiraitbien,iln’attenditpasderéponse,ilsecontentad’agirencapturant

seslèvresentrelessiennesdansunvoluptueuxbaiser.Tendre,certes,maisplusprofond,plusentiercettefois,avecquelquechosedenouveau—uneurgencequilapritparsurprise.

Maisellenel’arrêtapaset,lorsqu’ilresserrasonbrasautourd’ellepourl’attirerplusprès,elleselaissa aller sans résistance. Il la sentit s’abandonner, et elle comprit que cela l’excitait, car soncorpstressaillitcontrelesien.

Ellelevalamainpourluienlacerlanuque,enfonçantlesdoigtsdanssescheveux.Salangue,chaudeetconsentante,rencontracelledeStuartet,pendantunbrefetlumineuxmoment,cefutmagnifique.

Stuartlaissaéchapperunsonétouffé,etsanslemoindreavertissementluiempoignalesbraspourl’écarterdelui,puislaissaretombersesmains.

Lesoufflecourt,ilsseregardèrent.—Jenevousaipasdemandédecesser,haleta-t-elle,luttantpourreprendrelecontrôledesessens.

Pourquoifaites-vousça?—Pourmonpropresalut,expliqua-t-ilentredeuxrespirationsentrecoupées.Ilsefrottalevisage.—Uninstantdeplus,etcelaauraitétéunetorturepourmoid’arrêter.Ilsetutetlaregardadanslesyeux.—Mais,mêmealors,jel’auraisfait,Edie,jevousendonnemaparole.Ellehochalatête.—Jevouscrois,Stuart.—Nousferionsmieuxderentrer,dit-ilensepenchantpourramassersacanne.Edien’avaitmêmepasremarquéàquelmomentill’avaitlaisséetombersurlesol.Aucund’euxneparlasurlecheminduretour.Edie en était incapable, trop abasourdie, trop bouleversée par le baiser de Stuart et, sa propre

réactionpourengageruneconversation.Sansdouteressentait-illamêmechose,pensa-t-elle.EllesavaitaussiqueStuartétaitdansunétatd’intenseexcitation,elle l’avait sentiquand ilavait

pressé son corps contre le sien. Ce n’était pas qu’elle en éprouvât de la peur.Mais elle ne pouvaits’empêcher de se demander ce qui arriverait quand ils se retrouveraient dans sa chambre et qu’ellel’aiderait à étirer sa jambe. L’embrasserait-il de nouveau ? s’interrogea-t-elle, affolée. Commentpourrait-ilnepasl’embrasserencore?Essaierait-ilmêmedeluifairel’amour?Etcommentréagirait-elledanscecas?

Ilsparvinrentdevant lesappartementsd’Edie,maisStuartne lasuivitpasquandelleenouvrit laporteetenfranchitleseuil.Surprise,elleseretourna.

—Stuart?—Jepensequeceseraitmieuxderenoncerauxexercicescesoir.Ellesesentitunpeusoulagée,etéprouvaenmêmetempsunpetitélancementdedéceptionàvoir

leursoiréeseterminerdemanièreaussiabrupte.Elletâchadenelaissertransparaîtreaucunedecesdeuxémotionssursonvisage.

—Vousêtessûr?—Oui.Ilesttard,etjedoispartirtrèstôtdemainmatin.—Partir?répéta-t-elle,désemparée.—Jecompteprendrelepremiertrain,quiquittelagaredetrèsbonneheure.Ellesecoualatête,stupéfaite.—Maisoùallez-vous?Ilparutsurprisparsaquestion.—DansleKent,biensûr.Aprésentquej’airéussiàconvaincreJoannad’alleràWillowbank,il

fautquejemedépêchedelaprécéderpourvoirMmeCalloway.D’unefaçonoud’uneautre, ilfaudraque je persuade cette brave dame, que je n’ai jamais rencontrée de ma vie, d’emmener un grouped’écolièresenItalieànosfraisetdefairecroireàtouteslesélèvesquec’étaitsonidée.

Edielevalamainàsagorge,àl’endroitoùill’avaittouchéetoutàl’heure,eteutlacertitudequ’iln’aurait aucunmal à circonvenirMmeCalloway.Même la redoutable et pragmatique directrice d’uneécoledefillesneseraitpasimperméableàsoncharme.Elle,entoutcas,nel’étaitpas.

—Jesuissûrequevoustrouverezunmoyendelaconvaincre,fit-elled’unevoixfaible.

—Jel’espère.Sinon,jevaisvraimentavoirunproblèmeavecJoanna.—Quandreviendrez-vous?— Après-demain, j’espère. Je m’arrêterai à Londres à l’aller. Je veux voir le Dr Cahill et lui

demandercommentvamajambe.J’aiégalementuneautreaffaireàrégler.Aussipasserai-jecettenuit-lààmonclubetjepartiraipourleKenttrèstôtlelendemainafind’avoiruneentrevueavecMmeCalloway.Jeseraideretouricipourl’heureduthé,jepense.

—Voussouhaitezdoncquej’attendevotreretourpourenvoyerJoannaàl’école?—Oui.J’aimeraisluidireaurevoiravantqu’ellenes’enaille,sicelanevousfaitrien.—Non,biensûr.Elles’éclaircitlagorge.—Ehbien,bonnenuitalors.Avecunpetitsourire,ilsepenchaverselle,lespaupièresbaissées.Ellesavaitcequecelavoulait

dire,etcettefoiselleaccomplitlamoitiéduchemin.Al’instantoùseslèvrestouchèrentlessiennes,touteslessensationsgrisantesqu’ilavaitéveillées

enelleunpeuplus tôtdans le jardin lasubmergèrentànouveau,maiselleeutàpeine le tempsde lesgoûterquedéjàils’écartaitd’elle.

—Bonnenuit,Edie.Lorsqu’elle releva enfin les paupières, il tournait déjà les talons. Elle résista à l’impulsion de

tendrelamainverslui,maisn’enrestapasmoinssurleseuildesachambre,abasourdie,àleregarders’éloignerdanslecorridorensedemandantsoudainsiellen’étaitpasentraindeperdreleurpari.

Carsiquelqu’unluiavaitpréditunesemaineplustôtqu’elleresteraitlààréprimersonexcitation,dépitéeparcequesonmarin’étaitpasentrédanssachambre,frustréeparcequesonbaiserdusoiravaitétébeaucouptropcourt,etaffreusementabattueparcequ’ilallait la laisserpendantdeux joursentiers,elleauraittraitésoninterlocuteurdefou.

***

Stuart savait que, parfois, une retraite stratégique s’imposait dans le jeu amoureux. En général,c’étaitunactedélibérépouraccroîtreledésirdel’autre.Danssoncas,c’étaitplutôtafinderétablirunedistancequiluipermettraitderecouvrersonsang-froid.

Il gaspillait ainsi deuxde ses précieuxdix jours,mais il n’avait pas le choix. Il avait besoindes’éloigner un certain temps— il avait failli perdre la tête dans le jardin, sans parler de cetteminutedevantlaported’Edie,grandeouvertesursachambre.Ilnepouvaitplusprendrelerisquedetentationspareillesavecelle.

SetrouverdanslejardinavecEdie,sabouchecontrelasienne,entrouverteetconsentante,avaitétésidoux!Etelles’étaitlaisséattirerdanssesbrassansrésistance.MaisStuartavaitsud’instinctqu’ellen’étaitpasencoreprête.Paspourcequ’ilattendait.

Ilseconsumaitdedésir,etc’enétaitdouloureux.Laveille,ilauraitvoulureleverlajupedecetteluisanterobebleueetcoucherlafemmequilaportaitdansl’herbe,là,danslejardin.Larepousseravaitétéundéchirementpourlui.

Ensuite, quand elle lui avait ouvert la porte de sa chambre, il avait eu l’impression que cetteinvitation leconviait toutdroit enenfer.Sentir sesmains sur lui, aupointoù il enétait, aurait étéunetorture,etpeut-êtremêmeladamnation,cariln’étaitpastrèssûrdecequ’ilauraitfaitensuite.

Non,résisteravaitétéplussage,bienquecefûtlachoselaplusdifficilequ’ileûtjamaisfaite.Ilavait saisi leprétexteduvoyagedans leKentet àLondres.Ainsiqu’il l’avaitdit àEdie, il avaitune

affaire à régler là-bas, une affaire qui l’aiderait à se souvenir de ses priorités, et ses besoins n’enfaisaientpaspartie.Dans l’état où se trouvait soncorps, il lui fallait accomplirquelquechosed’utilepours’occuperl’esprit.

Commeilavaitprislepremiertrain,ilarrivaàLondresenmilieudematinée.Iltrouvaàsonclub,ainsiqu’ils’yattendait,deslettresdeTrubridge,deFeatherstoneetdesesautresamislesplusproches,levicomteSomertonetlecomteHayward.

IlsavaientreçulestélégrammesqueStuartleuravaitenvoyéslejouroùilavaitfaitlesboutiquesavecEdiedansHighStreet,etétaientd’accordpouruneréunionenvilleafindefêtersonretour.Touslesquatrepromettaientd’êtrelà,ilnerestaitplusqu’àpréciserlejour.

Unecinquièmelettreluiétaitégalementdestinée,enréponseàunautredesestélégrammes.C’étaitune lettre que Stuart n’espérait pas encore recevoir, et il se dit que Pinkerton’s n’avait pas volé saréputationdemeilleureagencededétectivesaumonde:ceux-làdevaientêtrediablementefficaces.

Ilenvoyasur-le-champunmessagerenvillepourleurdemanderunrendez-vous,puismontaprendreunbain,seraseretfairerepasserlecostumequ’ilavaitapportéaveclui.Convenablementvêtupourlaville,ildescenditenfindanslasalleàmangerpourledéjeuneretattenditlaréponseàsarequête.

Ellearrivaverstreizeheurestrenteet,àquatorzeheures,uncabdelouageledéposaitdevantlesbureaux londoniens de Pinkerton’s. Il fut aussitôt introduit dans le cabinet luxueusement meublé deM.DuncanAshe,détectiveenchefdel’agence.

—Votregrâce…Ashe,ungrandgarssensiblementdumêmeâgequelui,auxcheveuxbrun-rouxetàl’agréablevisage

imberbe,luidésignaleconfortablefauteuildecuirdisposédevantsonbureau.—Asseyez-vous,jevousenprie.—Merci, fit Stuart en lui obéissant. Et merci également deme consacrer du temps aujourd’hui

même.Vousdevezêtretrèsoccupé.—Jevousenprie.Noussommestrèshonorésdevousavoirpourclient,votregrâce,etheureuxde

pouvoirvousaideràn’importequelmoment.Stuartsourit.Lestatutdeducavaitindéniablementsesprivilèges.— Vous affirmez dans votre lettre que vous possédez certains des renseignements que j’avais

demandés?—Oui.Unepartie.Commecelafaitseulementdeuxjours, toutcequiprovientdenosbureauxde

NewYorkadûêtreenvoyépartélégramme.Asheobservaunepause.—Ladépensepourcetéchangevaêtreassezélevée,jelecrains.Stuartbalayacedétaildureversdelamain.—C’estsansimportance.L’argentn’estpasunproblème.— C’est ce que je me suis cru autorisé à penser, étant donné l’urgence exprimée dans votre

télégramme.J’aicomplétécequenousafourninotreagencedeNewYorkparlesinformationsquenousavonspucollecterdanslesarchivesdesjournaux,iciàLondres.Desfeuillesàscandale,pourlaplupart,àlafoisanglaisesetaméricaines.Cen’estpasbeaucoup,jevousl’aidit,maisj’espèreobtenirpourvousun dossier complet dès la semaine prochaine. En attendant, j’ai pensé que vous souhaiteriez peut-êtreentendrecequenousavonsglanéjusqu’ici?

—Jesuistoutouïe.Asheouvritledossierposédevantlui.— Frederick Van Hausen. Né à New York, trente et un an, unique fils — et enfant unique—

d’AlbertetLydiaVanHausen.EduquéàHarvard,oùilaétéimpliquédansunscandale,quelquechose

d’illégal,maisiln’apasétépoursuivi.Sonpèreaétouffél’affaire,apparemment.Jen’aipaslesdétails,maisjepourraisansdoutelesobtenirsivousledésirez.

—J’aimeraisbien.Rassembleztoutcequevouspouvez.Maisjevousenprie.— Il est célibataire. L’an dernier, il a été brièvement fiancé àMlle SusanAvermore, également

issue d’une éminente famille new-yorkaise,mais lemariage ne s’est pas fait. Certains prétendent quec’estparcequ’ilespéraitqueMlleAvermoreapporteraitendotunerenteverséeparsonpère,maislepèredelajeunefilleauraitpurementetsimplementrefusé.Nousn’avonspaseuletempsdelevérifier.SesparentshabitentdansMadisonAvenue,maisilnevitplusaveceux.IlasonproprelogementtoutprèsdeCentralParketpossèdeaussiunemaisond’étéàNewport.VanHausenestunsportifaccompli,iljoueautennisetaugolf,pratiqueleyachting,possèdedeschevauxdecourse…

—Deschevaux?Stuartfronçalessourcilsenserappelantlabrèveetsècheréponsed’Edie,l’autrejour,àproposdes

chevauxdecoursedesonpère.—Votregrâce?Ilsecoualatête.—Rien,continuezjevousprie.—LafamilleVanHausenestl’unedesplusrichesetdesplusanciennesfamillesd’Amérique.Des

knickerbockers,votregrâce,sivousconnaissezceterme…—Oui,murmura-t-il.Donc,ceVanHausenseprendpourunaristocrate,jesuppose?—Ainsiquelefonttouslesknickerbockers.Etc’estainsiquelesautresAméricainslesconsidèrent

aussi.Unpeucommedeshommesdemaclassesociale, icienAngleterre, regardentunhommetelquevous.Nonpasqu’unknickerbockersoitcomparableàunduc,bienentendu,précisaledétectiveenhâte.

Stuartlerassurad’unsourire.—Jeneleprendspasmal.Continuez.Ashetournaunepage.—Lepèrepossèdeunecompagniedebateauxetréussittrèsbien,ilestvraimentprospère.Iladoté

sonfilsd’unénormecapital lorsquecelui-ciaatteint l’âgeadulte,mais lesAméricainssontégalementcenséschoisiruneprofessionetgagnerleurvie.Surcepoint,lapressionsocialeestconsidérable.

—Ah…Iladûregimber,jeprésume?Commentcelas’est-ilpassépourlui?—Pastrèsbien.Ilatentélebarreauetaéchoué.Alorsils’esttournéverslesaffairesetaspéculé

avecsonargent,dontilaperduunegrandepartie.Lescourses,parexemple,luiontcoûtécher.Ilaunpenchantpourlesinvestissementsrisquésquipromettentd’importantsprofits.

Stuartréfléchit.—C’est doncun joueur.Et unhommeoutrancier.Avidede se faireuneplacedans lemonde, et

promptement.Unhommequisesouciedecequelesautrespensentdelui.—Oui,ilsemblebien.C’étaitunbonprésage.Leregard lointain,Stuarts’adossaàsonsiège,undoigt repliésurses lèvres. Ilnevoyaitplus le

détective,niletableaudelaTamiseaccrochéaumurdevantlui.Enesprit,ilétaitàNewYork,essayantdecernerlapersonnalitédeceluiqu’ilavaitl’intentiondedétruire.

—C’est le genre d’hommequi désire le pouvoir. Il n’en a pas,mais il pense qu’il y a droit denaissance. Ilest incapabledegagnercequ’il souhaite,alors ilveutobtenircequ’iln’apasgagné.Legenred’individuqui,lorsqu’ildésirequelquechose,trouvenormaldes’enemparer.

—Peut-être,fitAshe.Pourl’instant,jenepeuxpasdire.—Maismoijepeux.

Stuartrencontralesyeuxdesoninterlocuteurpar-dessuslebureau.—Jepeux,répéta-t-il.Ilméditauninstant.—Pasd’autresscandales,Ashe?Rienquiimpliquedesfemmes?Ledétectivehésita,jouantavecuncrayonsursatable.—Autresquevotreépouse,vousvoulezdire?—Vouspouvezincluremafemme.Etvousn’avezpasbesoindeménagermessentimentsàcesujet.—Sivouscherchezdesinformationssursonancienamoureuxenpensantqueleurliaisondurepeut-

être toujours et que cela pourrait vous fournir unmotif de divorce, je ne peux pas vous aider. ChezPinkerton, nous ne faisons pas ce genre de chose. Nous avons certaines limites éthiques que nous nefranchissonsjamais.

—Jepeuxvousassurerquejen’aipaslamoindreintentiondedivorcer.Etjesaisdéjàlavéritésurle…l’incidentavecVanHausenquiaruinélaréputationdemafemme.Maisjeveuxconnaîtreaussileson-dit,pourdesraisonsquimesontpropres.Vousn’enfreignezdoncpasvotrecodemoral.

Ashehochalatête,satisfait.—Exceptéladuchesse,nousn’avonsencorerienausujetd’autresfemmes.L’incidentquiconcerne

MlleEdithAnnJewell,ainsiqu’ellesenommaitalors,s’estpasséàSaratoga.—SaratogaSprings,NewYork?—Oui.Onyfaitcourirdeschevaux.C’étaitilyasixans,pendantleweek-enddeTraversStakes.

LeTravers,c’estunpeucommenotrederbyd’Epsom.—Jesais.Poursuivez.—Votrebeau-père etVanHausenavaient tousdeuxdes chevauxqui couraientpour leprix cette

année-là.LescomméragesprétendentqueMlleJewella«coincé»VanHausendansunpavillond’étéabandonnénonloinduchampdecourses.Onlesavusypénétrertousdeux,d’abordlui,puiselleunpeuplustard.Ilenestressortiunquartd’heureaprèssonarrivéeàelle.

Stuartsefrottalevisage.Unquart d’heure ?Seulement ?Pardieu, cet individu avait dû lui sauter littéralement dessus dès

qu’elleavaitfranchilaporte.Oh!ildétruiraitcethomme!Illeréduiraitànéant…—Continuez.—Elleareparuunpeuplustard.Ses…Ashes’arrêta.—Allez-y,répétaStuartd’unevoixdure.—Sesvêtementsétaienttoutfroissés,sonchapeaudetravers,desortequ’onasupposé…Savoixmourut,etiltoussadiscrètement.—Aussitôt,lebruits’estrépandupartout,biensûr,etc’estdevenuunénormescandale.Lepèrede

lajeunefilleademandéréparation,maisVanHausenarefusétoutnetdel’épouser.C’étaituneparvenue,ellenefaisaitpaspartiedesaclasse.Ilaarguéqu’ilétaitinnocentetqu’ellevoulaitlecompromettreenl’acculantaumariageafindes’éleverdanslasociété.C’estsaversionàluiqu’onacrue.Mais,biensûr,celan’aplusd’importanceàprésent.

Stuartseredressasursachaise.—Seulementparcequ’ellem’aépousé.Ainsi,quesavons-nous?Nousavonslàunhommecupide,

tropgâté,avidedepouvoir,unbrinjoueur.Etungoujat,detouteévidence.—Voilàquisembleunrésumépertinent,étantdonnécequenousconnaissons.Stuartsourit,satisfaitdesnombreusesoptionsquepouvaitluioffriruntelprofil.Maisilavaitsuà

l’avancequecespossibilitésexistaient:unhommecapabledeviolerunefemmenepouvaitquefournir

desarmesàsesennemiset,mêmesiVanHausenl’ignoraitpeut-êtreencore,Stuartétaitirrémédiablementsonennemi.

—Excellenttravail,Ashe.Jesuisimpressionné.—Merci,votregrâce.—Maisilmefautbeaucoup,beaucoupplus.Nousnousreverronslorsquevousaurezledossierque

vousêtesentraind’élaborer,cependantjesuiscertainquemêmecelanesuffirapas.Jeveuxtoutsavoirsurcethomme,sursesparents,sesamis,sesassociés,sesmaîtresses,tout.Continuezàcreuserjusqu’àcequevousayezexplorésaviedefondencomble,desanaissanceàmaintenant.

Ilseleva,imitéparsoninterlocuteur.—Employezautantd’hommesqu’ilvousenfaudra.N’épargnezpasladépense.Jeveuxconnaître

touslesdétailsquevouspourrezdécouvrir,ycomprisl’étoffedesessous-vêtementsetcequ’ilmangeaupetitdéjeuner.

—Bien,votregrâce.Sur ces mots, Stuart quitta l’agence pour regagner son club et ne s’arrêta en chemin que pour

expédieruntélégramme,aupèred’Ediecettefois.DeretourauWhite’s,ilserendittoutdroitjusqu’aubaretcommandaunverre.Ilenavaitbesoin.

Chapitre18

Stuartrentraàlamaisondeuxjoursplustardversl’heureduthé,ainsiqu’ill’avaitpromisàEdie.Bienqu’engagéedansunepartiedecroquetavecJoanna,ellenecessaitdesurveillerlamaisonen

espérantenvoirsortirleducdèssonarrivéepourlessaluer.C’estcequ’ilfit,etelleeutuneimmenseboufféedejoiequandellelevitenfintraverserlapelouse

pourlarejoindre.Snufflesl’aperçutenmêmetempsets’élançapourl’accueillir.Edie se fit violence pour ne pas l’imiter et s’efforça de ne pas accélérer le pas. Lorsqu’ils se

rencontrèrentaumilieudugazon,ellecrispalesdoigtsautourdesonmailletenluttantcontrel’impulsiondelejeterauloinpourenlacerStuartetl’embrasser.

—Vousvoilàdoncderetour.Cessantdecaresserleterrier,ilseredressaetsouritàEdie.—Jevousaimanqué?Follement,songea-t-elle.Maisellesecontentadehausserlesépaules.—Unpeu.—Seulementunpeu?Ilsecoualatêteetsoupira.—InsensibleEdie!Maisvousportezdublancaujourd’hui,aussijenepeuxpasmeplaindre.Ellelevaunemainverssoncolmontant.—Seulementmonchemisier,sesentit-elleobligéedepréciser.Majupen’estpasblanche.Ilbaissalesyeux.—Queldommage!Comme toujours lorsqu’il lui tenait de tels propos, elle sentit son cœur faire une embardée et

s’emparad’unsujetplusneutre.—Ilfaittrèschaud.—Oui,eneffet.Uneremarqueparfaitementordinaire,etpourtant,lafaçondontillaprononçadéclenchaenelleune

sensationdechaleurquin’avaitrienàvoiraveclebeautemps.—Stuart!LejoyeuxsalutdeJoannalasauva.Celle-ci avait traversé lapelouseencourantet s’arrêtaprèsde sa sœur,haletante.La jeune fille

n’éprouvaitenrienladouloureusetimiditéqu’EdieressentaitenprésencedeStuart.

—Vousêtesrevenu!—Hello,monchou!Illuisourittoutenjetantuncoupd’œilàEdie.—J’espèrequejevousaimanqué?Joannaluisouritàsontour.—Celadépend.Savez-vousjoueraucroquet?—Biensûr.—Maisyjouez-vousbien?—Autrefois,oui.Maisjen’aipasjouédepuisdesannées.—Detoutefaçon,vousdevezêtremeilleurquemoi,alorsilfautquevousveniezm’aider.Ediem’a

déjàbattuetroisfois,etjesuissurlepointdeperdreànouveauparcequej’aiuntirrisquéàfaireetjenepensepasquejevaisyarriver.Vouspouvezlefaireàmaplace.

—Sûrementpas!protestaEdie.Ceseraittricher.—Edie,Edie,lagrondaStuartenriant.Vousêtessiimpitoyableaujeu!—Oh !oui, intervint Joannaavantque sa sœurpuisse répondre. Jene saispaspourquoi je joue

avecelle.Etelleestexcellente.S’ilvousplaît,Stuart,aidez-moi!—Volontiers,maisceserapouruneautrefois.Jemontemechangerpendantquevousachevezvotre

partie. Puis je prendrai le thé sur la terrasse. Je suis resté tout l’après-midi dans un train étouffant etbondé.

—Ensuite,vousjouerez?—Pasaujourd’hui.Aprèslethé,jesouhaitepasserunpeudetempsavecvotresœur.Iljetauncoupd’œilàEdieavantdepréciser:—Seuls.—Oh!trèsbien,lâchaJoanna.C’étaitl’occasionidéaledegagner,pourunefois,grommela-t-elle

entournantlestalons.Etvoilàqueçatombeàl’eau.Jen’arriveraijamaisàlabattre!— Vraiment, Edie, chuchota Stuart tandis que Joanna s’éloignait pour effectuer son tir. Quatre

partiesàlasuite?Soyezchicetlaissez-laengagnerune.Ellevitsonsourireenjôleuretcéda.—Oh!trèsbien.Vousdevezêtreentraindem’amollir,ajouta-t-elled’untonaccusateur.—Bonsang,j’espèrebien!Avançantlatêtesouslacapelined’Edie,ilplantaunfurtifbaisersurseslèvres.—Ah,oui,jel’espèrebien!

***

Aprèslethé,ilssortirentpourleurpromenadehabituelle.Cependant,aulieud’arpenterlesjardins,Stuart exprima cette fois le désir d’aller voir la ferme, aussi traversèrent-ils la pelouse avant des’engagerdanslesentier.

Edieneputs’empêcherderemarquerqu’ilmarchaitd’unpaspluslentaujourd’hui.—Votrejambevousfait-ellesouffrir?—Unpeu,admit-il.Onesttellementàl’étroitdanslestrains,c’estdifficile.Etjenevousavaispas

pourfairemesétirementscesdeuxderniersjours.—Nouspouvonslesfaireavantledîner.—Trèsvolontiers,agréa-t-ilaussitôt.Denouveau,elleressentituneabsurdeboufféedejoie.

—Commentcelas’est-ilpasséàLondres?Vousavezvuledocteur?—Oui.Ilseréjouitquejesembleallermieuxetm’adonnédesexercicessupplémentairesàajouter

àmesséances.J’aivuaussiMmeCalloway,etl’idéedefaireunvoyageenItaliel’annéeprochainelaravit.

Edies’assombritunpeuausouvenirduprochaindépartdeJoanna.—Ellememanqueraaussi,Edie,murmuraStuartenréponseàsonbrusquesilence.Ellehochalatêtemaisnesesentitpasmieuxpourautant.—Jesais,Stuart.Ils’immobilisasoudain.—Regardezdoncoùnoussommes!Edies’arrêtaetjetaunœilalentour.—Nousarrivonsauxpoulaillers.—Exactement,réponditStuartens’emparantdesamain.Venez!ElleritenselaissantentraîneravecSnuffles.—Vousvoulezvoirlespoulets?Lechienvaadorerça.Illaconsidéracommesielleétaitdécidémentobtuse.—Paslespoulets,chérie.Lesplumes.—Lesplumes?Maispourquoidonc?Ils’abstintd’expliqueretlaguidalelongdespoulaillers.Lechienaboyaetgrogna,effrayantlespoulesquidisparurentdanslesabrisenvoletant.— Nous faisons peur à la volaille, observa Edie. S’il n’y a pas d’œufs demain, je dirai à

MmeBigelowquec’estvotrefaute.Stuart ne se laissa pas dissuader pour autant. Il tourna au coin des poulaillers endirectionde la

remiseauxplumes,quisetrouvaitenvirondixmètresplusloin.Là,ilpritlalaissedeSnufflesdesmainsd’Edieetl’attachasolidementàunpiquetdeclôture.Puisilouvritlaportedubâtiment,poussaEdieàl’intérieuretrefermaderrièreeux.

Lajeunefemmeclignadespaupières.Bienquelaremisecomportâtdesfenêtres,l’intérieursemblaitplongédanslapénombreaprèsleradieuxsoleildudehors,etilluifallutplusieursminutespourquesesyeuxs’yhabituent.

—Ehbien,quefaisons-nouslà?demanda-t-elleenconsidérantlescompartimentsdeboisoùl’onstockaitlesplumesaprèslesavoirnettoyéesetséchées.

Il ne répondit pas. Jetant sa cannedans l’undes casiers, il se retourna, appuya lesmains sur leslattesdeboisderrièreluietsesoulevapourseperchersurlerebord.PuisilsouritàEdie.

—Vousmeregardezcommesij’avaisperdul’esprit.—Ehbien…,commença-t-elle.Stuartsouritpluslargement.—Allons,nemeditespasquevousn’enavezjamaiseuenvie!Ellefronçalessourcils,interloquée.—Enviedequoi?Sansluirépondre,ilserenversaenarrièreetselaissachoirtoutdroitdanslesplumes.Edieéclataderiretandisquedeminusculesduvetsvoletaientversleplafond,puisvintsepencher

pourobserverlevisagehilaredeStuart.—C’estpourcelaquevousavezvouluvenirici?—Biensûr!Mesamisetmoivenionssouvent jouer ici.Celafaisaitsansdoutegrogner levieux

Trevesquenoussalissionsainsisesplumes,maisilnenousl’ajamaisdit.

Ilsemitàriredevantl’airdubitatifd’Edie.—Jevoisquevousn’avezpasgrandiàlacampagne.— Non. J’ai été élevée dans une immense maison au milieu de Manhattan, avec toutes les

commoditésdelaviemoderne.Nosmatelasetoreillersprovenaientd’unmagasin.—Alorsvousn’avezjamaisjouédanslesplumes?Ehbien,vousavezétéprivéedel’unedesplus

grandesjoiesdel’enfancequejeconnaisse.Ellelançauncoupd’œilverslesparoisenboisdeprèsd’unmètredehaut.—Vousarriverezàsortir?—Bonsang,jen’yaimêmepaspensé!Ets’esclaffant:—Bah,jem’eninquiéteraiplustard.Ilselaissaglisserenarrière,defaçonàseretrouverentièrementdanslecompartiment.—Ehbien,venez!Qu’attendez-vous?Edieôtasonchapeauetlejetaàterre,puisellesetourna,plaçasespaumessurlerebordet,après

s’êtreassuréequeStuartnesetrouvaitpassursatrajectoire,selaissatomberàsontour.Riantauxéclats,elleatterritprèsdeluidansunnuageblanc.

—Amusant,hein?Elleacquiesça,lesyeuxlevésversleplafondenboisquiconstituaitlesoldugrenierau-dessus.—Alorsonnevouspermettaitpasdevenirjouerici?—Seigneur,non.Cesplumes sontdestinéesauxoreillers etmatelasde lamaison, etnonau jeu.

Monpèrem’auraitdonnédescoupsdecravaches’ilavaitsu.—Decravache?Elletournalatêtepourleregarder.—Maisc’estaffreux!Votrepèredevaitêtreuntyran.—Oui,plutôt.Mais…Ils’interrompit,haussantlesépaules.—Ils’inquiétaitsipeudenousquec’étaitsansimportance.Nousnelevoyionspresquejamais.Ediefutunpeusurpriseparsontondésinvolte.EllesongeaàlamèredeStuart,froideethautaine,et

nesutquerépondre.—C’estunehonte,commenta-t-elleenfin.Mesparentsétaienttrèsattentionnésenversmasœuret

moi,dumoinsjusqu’àlamortdemamère.Cetévénementachangémonpère,jepense.Sansmamère,ilnesavaitquefaireavecdeuxfillessurlesbrasetsesentaitunpeuperdu.

Stuartrouladecôtéetpassalamaindanssescheveuxcourtspourenôterlesboutsdeduvet.Puisils’appuyasurlecoude,lajouedanssamainetleregardfixésurEdie.

—Ainsi,vousavezdûêtreàlafoisunesœuretunemèrepourJoanna?—Exactement. J’avais dix-sept ansquandmamère est décédée. Joannan’en avait quehuit. J’ai

sentiqu’ilmefallaitprendrelerelais.—Jecomprends.Nadineetmoiavonsexactementlamêmedifférenced’âge.Lorsquemonpèreest

mort,masœuravaitdéjàseizeans.Maissielleavaitétéencoreunefillette,j’auraisétéunpèrepourelleen même temps qu’un frère. Je regrette presque que cela n’ait pas été le cas. Peut-être aurais-je pul’empêcherdedeveniraussifrivole.

—J’endoute.Jedétestecritiquervotrefamille,Stuart,maisvotresœurn’estpasunelumière.—Non,hein?admit-ilenriant.Ediesepelotonnaunpeuplus,appréciantl’agréablecontactdesplumessouselle.—Ainsi,vosamisetvousveniezjouerici?Quefaisiez-vousdonc?

—Oh!desbataillesdeplumes,biensûr!N’avez-vousjamaisfaitdebataillesdepolochonsavecvoscamarades?

—Si,maisnousn’avonsjamaiseudeplumesvoletantlibrementcommeici.—Alorscelanecomptepas.—Pourquoidonc?serécria-t-elle,unpeuindignée.—Vraiment,Edie,sivousnefrappezpasvotreadversaireassezfortpourdéchirerletissuetfaire

volerlesplumespartout,cen’estpasunvraicombatd’oreillers.Elleleregardasouleverunepoignéededuvet.—Non,Stuart!Maisilneluijetapaslesplumes,etenchoisitunepetiteparmitouteslesautrespourlaluipasser

souslementon.Ediesecoualatêteenriant.—Vousêteschatouilleuse!lança-t-il,beaucouptropraviparcettedécouverte.—Non,cen’estpasvrai.Maistoutenniant,elleriaitdeplusenplus,plissantlespaupièresetgigotanttandisquelaplumelui

effleuraitlajoue.—Edie,j’ignoraisceladevous,lataquina-t-il.Nousvoilàunpeuplusàégalité.EllesentitlamaindeStuarts’incurverautourdesataille.—Non!cria-t-elle,toujourshilare.Nemechatouillezpas!Ils’enabstintet,sansraison,s’immobilisa.Lorsqu’ellerouvritlesyeux,Stuartlacontemplait,levisagegraveetlesprunellesassombries.Elledéglutitconvulsivement.—Aquoipensez-vous?chuchota-t-elle.Elleconnaissaitdéjàlaréponse.— Je pense que nous ne sommes pas entre des draps,murmura-t-il en ôtant doucement un duvet

blancdesescheveux.Maisceladevraitallerquandmême.Ilsepenchasurelleetl’embrassa.C’étaitdavantageunbaisercommel’autresoir,danslejardin,quelesdouxau-revoiràlaportede

sachambre.Habituéauxbaisersàprésent,lecorpsd’Edieréagitpresquesur-le-champetsedétendit,àl’aiseet

accueillant.Stuartexplorasabouche,caressasalanguedelasiennepuisseretira, lacajolantpourl’inciterà

répondreavecsonpropredésir. Ilobservaunepause,maiselleeut tout juste le tempsdeprendreuneinspirationavantqu’ilnerecommenceàl’embrasser.

Lebaisers’approfondit,etlachaleurenelles’intensifia,brûlante,logéedanssapoitrineetsonbas-ventre,entresescuisses.Ellegémitcontresabouche.

Denouveau, il interrompit leur baiser, et elle sentit qu’il s’écartait unpeu.Au lieu de le laissers’éloigner, cette fois, elle le saisit par le gilet pour le garder près d’elle.Elle nevoulait pasque cesbaisers-làs’arrêtent,pasencore.

—Edie?Ellesavaitcequ’illuidemandaitetouvritlesyeux.—Vousm’avezbienditquec’étaitdivind’êtreembrasséeetcaressée,n’est-cepas?chuchota-t-

elle.Voilàl’occasiondemeleprouver.Ilesquissaunsourire,baissant lesyeuxverssamainquireposaitsur la tailled’Edie.D’ungeste

lent,illafitremonterverssapoitrine.Ediepritunebrusqueinspiration,etils’immobilisaaussitôtavant

del’interrogerduregard.Ellefitouidelatête.LapaumedeStuartsemblaitlabrûleràtraverslescouchesdetissuqu’elleportait,etpourtantelle

frissonnait.Lesyeuxtoujoursplongésdanslessiens,ilpalpasonseinmenudanslecarcanraideducorset,et

Edieréagitaussitôt.Remuantsurlelit,elleplialajambe,puislaredressa,lebustecambrépourrapprochersapoitrine

deslèvresdeStuart.Ellesesentaitétrangementagitée,commesichaquepartiedesoncorpséprouvaitlebesoindebouger.

Stuart,pourtant,nes’attardapasetglissalamainjusqu’aucoldesonchemisier.Tâtonnantparmilesvolants,iltrouvaunboutonetentrepritdel’ouvrir.Lentement,ildéboutonnatoutlecorsage.

Lorsqu’il atteignit sa taille, Edie frémit en silence, observant sa main qui repoussait la patted’étoffe,unemainsibrunecontrelechemisierblancetlerosepâleducorset,sipuissammentmasculinesur lasoieet lesdentelles.Puis ilécartasamain,etelle le regardapencher la têtepourembrasser lanaissancedesapoitrine,justeau-dessusducache-corset.

Elleouvritlabouche,suffoquée,etsecambradavantageverslui,fouillantdanssacheveluresombretandisqu’ilfaisaitpleuvoirlesbaiserssursapoitrine,lecreuxdesaclaviculeetsonépaulenue.

Puis,lorsquelalanguedeStuartrevintsavourerlasienne,Edieinspiraprofondémentetimprégnatoussessensdesonodeurdesantal.Denouveau,ilarronditsapaumeautourdesonsein,etelleneputempêchersoncorpsdes’offriràlacaresse.Cela,oui,ellevoulaitbien,encoreetencore.

Par-dessus le bord du corset, il plongea samain brûlante sous les couches de sous-vêtements etpalpasapeaunue,l’enfonçantassezloinsousl’étroitbustierpoureffleurersonmamelon.

Unesensationaiguësepropageadans tout lecorpsd’Edie.C’était trop,etellepoussauncri, leshanchesagitéesd’unesecousse.

Stuarts’écartaetretirasamain.Illuiembrassaleslèvres,lesjouesetl’oreille,puisfitglissersesdoigtslelongdelajupe,qu’ilcommençaàremonterlentement.

Elleeutunaccèsdepanique.—Stuart?Ilsefigeaaussitôt.—Voulez-vousquej’arrête?Ilrespiraitvite,lesoufflehaché.Puis,trèsdoucement,illuitaquinal’oreille…Elledéglutit et repoussa sapeur.C’étaitStuart, se rappela-t-elle.Stuart.Aussi longtempsqu’elle

pourraitlevoir,toutiraitbien.Enleregardantdanslesyeux,ellesesouviendraitdeladifférence.—Non,nevousarrêtezpas,parvint-elleàchuchoter.Mais regardez-moi.Regardez-moiquand…

quandvousmetouchez.Ilrelevalatêtetandisquesamainsefrayaituncheminsouslesépaisseursdesjupons.Mêmesiellepouvaittoujoursvoirsonvisageetplongerdanssesbeauxyeuxgris,ellesecrispa,la

poitrinecompriméeparlapeur,etserralesjambeslorsqu’illesluitoucha.Stuarts’interrompit.Ellehésitaitentrel’effroietledésir,etdevantcetimpossibledilemmelecouragecommençaàla

quitter.—Prononcezmonnom,luiintima-t-il.—Stuart.Ses jambes se rouvrirent légèrement tandis qu’ellemurmurait ainsi, et il passa lamain entre ses

genoux.

—Stuart…C’étaitundouxgémissementcettefois,quilefitsourire,etellesedétenditunpeuplus.Illuicaressal’intérieurdelacuisse,lescalsdesamainaccrochantlamousselinedélicatecommeil

laglissaittoujoursplushaut.Parvenuausommetdesesjambes,iltrouval’ouverturedesesculottes.Duboutdesdoigts,ileffleuralapartielaplusintimedesoncorps,etellecriadenouveau.

—Stuart!Puis la crainte se transforma en quelque chose de différent, quelque chose qui la fit haleter. Ce

n’était plus du tout de la peur, mais bien du plaisir. Il fit bouger son doigt en traçant de minusculescercles,unetaquinerieexquisequilafitfrissonneretgémir.

C’étaitcelaqu’ilvoulaitdirelorsqu’ilparlaitdeplaisirdivin,songea-t-elle.Oui,c’étaitcela.Ilapprofonditlacaresse,glissantsondoigtdanslesreplisdesaféminitéetsefrayantuncheminà

l’intérieurd’elle.Le souvenir de ce qu’elle avait subi jadis lui arracha une exclamation d’effroi. Elle rouvrit les

paupièresetsesoulevasurlescoudes,craignantladouleuretsepréparantd’instinctàlacombattre.Maisiln’yeneutaucune.

ElleregardalevisagedeStuart,siprèsdusien.Ilavaitlesyeuxclosàprésent,maisellepouvaitencorevoirsonexpressiontandisqu’illacaressait.

Achaquemouvementdesondoigt,sachairrépondaitentressaillant,chacunedesesrespirationssetransformait en halètement. Le plaisir tourna en fringale, puis en besoin primitif ; ilmontait dans soncorps,l’envahissanttoutentièreavecunmouvementderoulisdeplusenplusprofond,denseetpuissant.Puis,sanslemoindreavertissement,ilexplosasoudainenelle,faisantjaillirunegerbedesensationssidélicieusesqu’elleexhalalenomdeStuartdansunsanglot.

Ill’embrassaavecpassion,étouffantsoncriavecsabouchetandisquesesdoigtscontinuaientleurcaresse,etchacundeleursgestesprestesetdélectablesrenouvelait leplaisir, jusqu’aumomentoùellesentit revenir la sublime jouissance. Elle s’était trompée tout à l’heure, songea-t-elle en retombant,pantelante,surlacouchedeplumes.C’étaitcelaquiétaitdivin.Ellefermadenouveaulesyeux.

—Stuart.Cesoupir,c’étaittoutcequ’elleétaitcapablededire.Iln’existaitpasd’autresmots.LecœurdeStuartcognaitsifortqu’ill’entenditàpeineprononcersonnom,maisilsavaitquece

chuchotement-làreviendraitdanssesrêvesjusqu’àlafindesesjours.Etplusrienneseraitpareilpourluidésormais.

—Jesais,machérie,susurra-t-ilenluiredonnantunbaiser.Jesais.Ilauraitvoulu lerefaireencore, la transporter jusqu’auxsommetsde l’extaseet laregarder jouir,

entendreencorecedouxsoupirchuchoté,maissamaîtrisedelui-mêmel’abandonnaitdéfinitivement,soncorpsbrûlaitetlebesoinmontaitenlui,incontrôlable.

Illadésiraittellementqu’iltremblaitendéboutonnantsabraguette.Ilmurmuralenomd’Ediesanscesserdel’embrasser,toutenfaisantdescendresonpantalonautourdesesgenoux.

Maisilsavaitqu’ilnepouvaitpaslaprendreainsi.Faisantroulerlajeunefemmesurlecôtépourlaregarderbienenface,ilrapprochaseshanchesd’Edie,etelleretintsonsoufflequandleboutdesonsexelafrôla.

—Toutvabiensepasser,promit-il.Celanevousferapasmal.IlsecalaentresesjambesetvitEdieécarquillerlesyeux,apeurée.Elleentrouvritseslèvrestremblantes,lesnarinesretrousséesparlacrainte.—Ditesmonnom!—Stuart.

Ilpoussaplusavantetlapénétra.—Oh!Dieu…,gémit-ilenfermantlesyeux,toutsoncorpsfrémissantdeplaisir.Il savait qu’il aurait dû lui demander si elle voulait qu’il arrête, mais il n’en fit rien. Tous les

instinctsprimitifsqu’ilavaittantcontenusjaillissaientàprésentdutréfondsdelui.Glissantsamainsouslesreinsd’Ediepourlasoulever,ils’introduisitunpeuplusloinenelle.

Le souffle court, elle reprit sa respiration, et il pria ardemment pour qu’elle ne lui dise pas decesser. Il patienta, tendu, mais elle ne dit mot et frétilla des hanches comme pour l’attirer plusprofondémentdanssoncorps.

Stuarteneutlesoufflecoupé.—Oh!Edie…Cefuttoutcequ’ilparvintàarticuler.Dèslors,ilneputtoutsimplementplusattendre.Ilfitrouler

Ediesurledos,basculantavecelleetlapressantcontreluitoutensemantdesbaiserssursonvisage,sescheveux, sa joue, partout où il le pouvait.Malgré le sang qui bruissait dans ses oreilles, il l’entenditprononcersonnom.

Maiselleneluidemandapasd’arrêter.D’uncoupdereins,ils’enfonçaenelle.Ellepoussauncri,auquelilfitécho.Ilssetrouvaientaussi

prochesquedeuxpersonnespeuventl’être,etpourtantill’auraitvoulueplusprèsencore.Resserrantlesbrasautourd’elle,ilenfouitsonvisagedanssoncouetsemitàalleretvenirenelle,deplusenplusfort,deplusenplusvite,chaquepressionl’emportanttoujoursplushaut.Lajouissancedéferlaenluitelleunevaguedepuressensations,sipuissantequ’elleinondadevoluptéchaqueparcelledesoncorps.C’étaitsisuaveetdélicieuxqu’ilessayaderetenircesinstants,puisilsecouchaenfinsurelle,haletantcontresoncou.

—Edie.Le nom parut résonner dans le silence de l’après-midi d’été. Stuart fronça les sourcils, avec le

sentimentaiguetsoudainquequelquechosen’allaitpasdutout.Uneémotionqu’iln’avaitpaséprouvéedepuissixmoislefitfrissonner.Lapeurauventre,illevala

têtepourregarderEdie,etcequ’ildécouvritconfirmasespirescraintes:elleavaitlesyeuxfermésetlevisagepincé, touthumidedepleurs. Ilvitune larmefiltrerentresespaupièresclosesetglisser sursajoue,etcelaluidéchiralecœur.

—C’estfini?chuchota-t-ellesansouvrirlesyeux.Cettequestionlelacéra,etileutvraimentl’impressiond’êtreunmonstre.—Edie,murmura-t-ilendéposantunbaisersursalarme.Ellesursauta,pastrèsfort,maisassezpourlefairetressaillirluiaussi.Lesmainssursesépaules,

ellelepoussaitpourledéloger.Ilnebougeapas.—Edie,ouvrezlesyeux,regardez-moi!Elleobéit,maisilyavaitsursonvisagestriédelarmesuneexpressionvideencoreplusdéchirante

quesespleurs.Elleleregardaitenfaceetnesemblaitpaslevoir.—S’ilvousplaît,ôtez-vousdemoi,chuchota-t-elleenlerepoussantdenouveau.Jevousenprie…

Jenepeuxpasrespirer.Ildéceladelapaniquedanssavoix.Nesachantquefaire,maladededésarroi,ilselaissaroulersur

le dos, les yeux levés vers le plafond de bois. A peine un court instant plus tôt, ils riaient encoreensemble.Etmaintenant…Oh!Dieu!Ilsepassalesmainssurlevisage,craignantquetoutnefûtperdu.

Avait-elledit«non»sansqu’ill’entende?Avait-ellecrié«stop»quandilavaitimaginéqu’elleprononçaitsonnom?

Ilreboutonnasonpantalon.Laculpabilitél’accablait,là,surcelitdeplumes.Ill’avaitfaitpleureretilauraitvoulus’arracherlecœur.

Plongédans lesaffresde l’angoisse, il ferma lesyeux, écoutant lebruissementdesétoffes tandisqu’elle ajustait son corsage et rabaissait ses jupes. Puis elle s’éloigna en rampant vers le bord ducompartiment,etilsutqu’ilnepouvaitpasenresterlà.

—Edie,attendez,fit-ilens’asseyant.Nepartezpas.Sadétresseduttransparaîtredanssavoix,carelles’immobilisaprèsdelacloison.—Cen’estpasvotrefaute,Stuart,fit-ellepar-dessussonépaule,maissansleregarder.Cen’estpas

votrefaute.Je…Ellesetutetinspirafébrilement.—Jenevousaipasditd’arrêter.Cen’étaitguèreuneconsolation,pasquandilvoyaitencoredeslarmesbrillersursajoue.Elleseretournapourescalader lerebordet,gênéeparses jupes,se laissaglisserde l’autrecôté

avecdesgestesmaladroits.Puiselleramassasonchapeau.MaisStuartn’attenditpasqu’elles’enaille.—Edie.Jevousenprie,regardez-moi.Ellecarralesépaulescommepouraffronterunedifficulté,levalevisageetsetournaverslui.—Jevaisbien,Stuart.Jevaistrèsbien.Cefutlalégèreréserve,lesubtilchangementdetondanslasecondeassertionquileblessaleplus,

lui transperçant littéralement le cœur.Et il ne put que rester là, impuissant, tandis que la femmequ’ildésiraitplusquetout,plusquesaproprevie,luitournaitledosets’éloignait.

Chapitre19

Stuarts’attardasurlelitdeplumesunbonmomentaprèsledépartd’Edie.Siseulementilavaitpurevenirenarrièreettoutrecommencerautrement!Maisc’étaitimpossible.

Ilsortitducompartimentenescaladantlacloison,brossasesvêtementsetquittalaremise.Bien entendu, Edie avait disparu depuis longtemps avec Snuffles, aussi Stuart rentra-t-il seul. Il

marchalentement,nonàcausedesajambemaisaussidesonappréhension,delaculpabilitéquipesaitsurluietdesoncœurmeurtri.

Arrivédanslamaison,ils’arrêtaenbasdel’escalieretlevalesyeuxverslesrampesdeferforgéetlesmarchesdemarbrequimenaientàl’étage.Ilsavaitqu’illuifallaitlesgravirpourallervoirEdieetlui parler. Il devait affronter cela, discuter et parlementer, bien qu’il ne sût pas vraiment ce qui enrésulterait. Il fallait qu’il la tienne dans ses bras,même s’il doutait qu’elle le laisse faire, et qu’il laréconforte,mêmes’ilnesavaitpascomment.Encet instant,naviguersur leCongooufaire faceàunelionnerugissanteluiauraitparubeaucoupmoinsintimidant.S’illafaisaitpleurerànouveau,c’enseraittroppourlui.

—Votregrâce?Il se retourna, presque soulagé d’avoir un prétexte pour retarder, ne fût-ce que brièvement, le

momentdemonter.Lepremiervaletdepiedsetenaitdevantlui.—Oui,Edward?Qu’ya-t-il?—Ilestarrivécecipourvous.Levaletluitenditunplateauoùétaitposéeunefeuilledepapierpliée.—Untélégramme.Stuart leprit et ledéplia, tandisque levaletdepied s’écartait et attendait, aucasoù sonmaître

auraitbesoinderédigeruneréponse.Unbravegarçon,cetEdward,songeadistraitementStuartavantdelirelemessage.

PRET A AIDER STOP AI PLUSIEURS IDEES STOP LETTRE SUIT AVEC PLUS DEDETAILS STOP ENVERRAI FUTURECORRESPONDANCEAUWHITE’S COMMEVOUSLEDEMANDEZSTOPRAVIQUEVOUSAYEZEULEBONSENSDEREVENIRAUPRESDEMAFILLESTOPARTHURJEWELL

Stuartobservaletélégramme,unpeusoulagéd’avoirunalliédeplus,maispasassezpourdissipersonappréhensionàl’idéedeparleràEdie.Ilétaitrentréàlamaisonauprèsdelafilled’Arthur,certes,

maisiln’étaitguèredouépourlarendreheureuse,semblait-il.Enfonçantletélégrammedanssapoche,ilsetournaverslevaletdepied.

—Edward?Leserviteurs’avança.—Oui,votregrâce?Latêteinclinée,Stuartexaminalegarçon.Edward était un peu plus jeune que luimais bien plus soigné. Il avait les cheveux parfaitement

peignés,salivréeétaitremarquablementajustée,seschaussuresciréesluisaientetlenœuddesacravateétaitimpeccable.

—Edward…Brown,n’est-cepas?—Brownley,votregrâce.—Brownley,biensûr.Pardonnez-moi.Ils’interrompit,réfléchitencoreuninstant,puispritsadécision.—Celavousplairait-ildedevenirvaletdechambre,monsieurBrownley?L’hommeluilançaunregardsurpris.—Votregrâce?—Jesupposequec’estvousquiempesezmeschemiseset repassezmescostumesdepuisque je

suisderetour?Etcommelevaletdepiedacquiesçait:—Jeprésumequevousavezdéjàexercélesfonctionsdevaletlorsquel’occasions’enprésentait?— Oui, votre grâce. Quand des messieurs séjournent à Highclyffe sans leur valet, j’ai parfois

l’honneurdelesservir.—Parfait.Jevouspréviens,jenesuispasfacile.Jedétestelesfaux-cols,dénoueconstammentmes

cravatesetdesserremescolsdechemise,etmajambemecausedesennuissansfin.Jen’ai jamaiseuqu’unseulvalet,etilestmort.

—M.Jones,oui,votregrâce.Unexcellenthomme,àcequej’aientendudire.—Oui,vraiment.Stuartmarquaunepause.—Amonservice,vousvoyagerez.ALondrespendantlasaison,etenItalieouenFrancequandma

femmeetmoiprendronsdesvacances,notamment.Maisjenevousretiendraijamaislongtempsloindel’Angleterre.Aimeriez-vouscetemploi?

—Oui,votregrâce.Merci.—Alors c’est entendu. Pour commencer, vous pourriez dresser la liste des vêtements qu’il me

faudrait,carjesuissûrquemagarde-robeestdésespérémentdémodée.EtinformezWellesleyqu’ildevratrouverunautrevaletdepied.Vouspouvezdisposeràprésent.

Leserviteurs’inclinaavantderegagnerlasalledesdomestiques.Etmaintenant, songeaStuart,plusquestionde rester làà repousser l’inévitable. Il se tourna et

gravitl’escalier.Parvenudevantlaportedesafemme,ilfrappa.—Edie?Puis-jeentrer?Iln’yeutpasderéponse.Ilattenditunmoment,puislevalamainpourfrapperdenouveau.Laportes’ouvritaumêmeinstant,etReevesapparutsurleseuil.Ellejetauncoupd’œilpar-dessus

sonépauleetseglissadanslecorridorenrefermantderrièreelle.—Est-elle…,commençaStuart.Ilinspiraàfond.

—Commentva-t-elle?—Plutôtbien.Reevesdut lire sur sonvisagecequ’il ressentait,car sonattitudehabituellement raideetpolicée

s’adoucit.—Çavaaller,votregrâce.Elleestunpeubouleversée,c’esttout.—Puis-jelavoir?Lafemmedechambrehésita.—Jevousdemandepardon,monsieur,maisjenepensepasqueceseraitopportun.Elle…elleest

entraindeprendreunbain,voyez-vous.Legenredechosequ’auraitfaitn’importequiaprèsl’amour.Avecuneautrefemme,celan’aurait

riensignifié.MaisEdie…Ilavaitl’impressionqu’ellenelavaitpasseulementlestracesdeleursébatsmaisqu’elleeffaçaitaussilesouvenir.Del’autrehomme,oudelui-même?

Ilrecula,s’appuyantcontrelemurenfacedelaporte.—Vousn’avezrienàvousreprocher.Lavoixdelachambrièreexprimaitlacompréhension.—Cequiluiestarrivén’estpasvotrefaute.Illadévisagea,surpris.—Voussavezdonc?Ellen’eutpasbesoindeluidemandercequ’ilentendaitparlà.—Oui.—Est-ce…Est-ceellequivousl’adit?Reevesluilançaunregardcompatissant.—Je suis sa femmede chambredepuis qu’elle a relevépour la première fois ses cheveux. J’ai

toujourssu.Elleobservaunepause.—Ellevousadoncraconté,votregrâce?Ondécelaitunenotedesurprisedanssavoix.Stuartsecoualatête.—Je…j’aideviné.Maiselleaconfirmé.Ileutungested’impuissance.—Quepuis-jefaire?—Donnez-luidutemps,monsieur.Elleestperturbée,maisellefiniraparallermieux.Elleajuste

besoinderesterunpeuseule,etellesurmonteracela.—Yparviendra-t-elle?Celaluisemblaitsipeuprobable.—Yparviendra-t-elle?répéta-t-ilendétournantlesyeux.—Cela fait à peine plus d’une semaine que vous êtes à lamaison. Elle a seulement besoin de

respirerunpeu,sijepuisdire.—Biensûr.Ilréfléchituninstant.—JevaisretourneràLondres.J’aiuneaffaireàtraiterlà-basquimeprendraunesemaineenviron.

Sera-cesuffisant?Reevessouritlégèrement.—Jepense.Maisnerestezpasabsentpendantcinqanscettefois-ci!Ils’efforçadeluisourireàsontour.

—J’auraidelachancesijeréussisàrestercinqjoursloind’elle.Lafemmedechambrehochalatête,visiblementsatisfaite.—Bien.Parcequ’elleabesoindevous.Elles’arrêta,hésitante,commesiellevoulaitajouterautrechose.Puis,sedécidant:—Elleatoujourseubesoindevous.Etrangement,cesparolesnesurprirentpasStuart.L’imagedelajeunefilledanslasalledebalde

HanfordHouseluirevintàl’esprit.—Je l’aisentidepuis ledébut, fit-il lentement.Jepenseque jen’étaispasprêtàassumer lefait

qu’onaitbesoindemoi.Jusqu’àmaintenant.Ilinspiraprofondémentets’écartadumur.—Jeseraiàmonclub.Prenezsoind’elle,Reeves,jusqu’àmonretour.—Oui,votregrâce.C’estcequej’aitoujoursfait.Ilpivotapourrejoindresaproprechambre,maissefigeaaussitôt.—Et,Reeves…Lafemmedechambres’immobilisa,lamainsurlapoignéedelaporte.—Oui,votregrâce?Ilpenchalatête,lesyeuxfixésausol.Lesdixjoursseraientachevésavantsonretour.Edienelui

avaitpasdonnédebaiser.C’étaitluiquil’avaitembrassée,etelleavaitàjustetitresoulignéquecelanecomptaitpas.Lamaindroitecrispéesursacanne, ilpressasonautrepoingsursabouche, luttantpourparveniràexprimercequ’ilavaitàdire.Puisillaissaretombersonbraset,regardantlachambrièrepar-dessussonépaule,ajoutaenfin:

—Nelalaissezpasmequitter.Quoiquecelavousobligeàfaire,nelalaissezpass’enfuiretmequitter.C’estunordre.

Unordre impossible à exécuter, il le savait.SiEdievoulait lequitter, sa femmedechambren’ypourraitpasgrand-chose.Maisilenétaitréduitauxsolutionsdésespérées.

—Sielleveuts’enaller,jeferaidemonmieuxpourlaconvaincreden’enrienfaire,votregrâce.Mais…

Reevessetutuninstant.—Maisjenecroispasqu’elles’enfuira.—J’espèrequenon,Reeves.Moiaussi,voyez-vous,j’aibesoind’elle.Ils’éloigna,sachantqu’illuifallaitenresterlà,dumoinspourlemoment.

***

Ilétait tout justedixheurescesoir-làquandStuartet sonvaletdechambrearrivèrentenvilleets’installèrentauWhite’s.

Lelendemainmatin,Stuartenvoyaunenouvellesériedelettresàsesamisafindeleurproposerdese retrouver pour une soirée auWhite’s cinq jours plus tard, jugeant que d’ici là Pinkerton lui auraitpréparéundossiertoutàfaitcompletsurVanHausen.

Enattendant,Stuartdevaitbiens’occuper.TraînantEdwarddanssonsillage,ilrenditvisiteàdiverstailleurs, bottiers et chemisiers. Responsable du linge de Stuart depuis son retour, son nouveau valetconnaissaitassezl’étatactueldesapenderiepoursavoircedontilavaitbesoin.Ilétaitégalementdotéd’ungoûtexcellentenmatièred’habillementetavaitunjugementsûrconcernantlesétoffes.Cen’étaitpasJones,bienentendu,maisilferaitl’affaire.

StuartsedéplaçaaussiàParkLanepourinspecterMargraveHouse,maislatâcheserévélainutile.Bienqueferméepourlemoment,avectoussesmeublesenveloppésdehousses,sarésidencelondonienneétaitimpeccableetparfaitementenordre,ainsiqu’ilputleconstater.Cen’étaitpaslapremièrefoisqu’ilpouvaitapprécierl’excellentefaçondontEdieavaitgérésesdomainesensonabsence.Enparcourantlespièces,ilpriapournejamaisdevoiryhabitersanselle.

IlassistaàuneréuniondelaSociétégéographiquedeLondres,aucoursdelaquelle lesmembresprésents se levèrent spontanément pour le gratifier d’une ovation en l’honneur de ses explorations auCongo,cequ’iltrouvaaffreusementembarrassant.

IlvisitaleBritishMuseumetyvitsonpapillon.Lorsqu’ilseprésentaauconservateurenchargedesexpositions scientifiques du musée, Stuart fut amusé par son air impressionné : cet homme semblaitpenserqu’ilavaitfaitquelquechosed’important.Encomparaisondecequ’illuirestaitàaccomplirpourredresserleschosesavecEdie,unenouvelleespècedepapillon,celasemblaitbieninsignifiant.

Ledixièmejourdeleurparis’écoula,etilsedemandacequ’elleavaitl’intentiondefaire.Avait-ilcommisuneerreurens’éloignantsansavoirutiliséchaqueminuteduprécieuxtempsqu’illuirestait?Iltentadeseconvaincrequedeuxjoursnecomptaientguèreetquec’étaitunparistupidedetoutefaçon.Iltâchadesepersuaderque,mêmesiellenel’avaitpasembrassé,mêmes’ill’avaitpousséetroploinettropvite,elleresteraitaveclui.Dumoinsvoulait-illecroire.

Ilessayaitdenepastroppenseràelle,maisl’effortétaitparfaitementvain.ToutluirappelaitEdie:prendrelethéauSavoy,croiserdansHydeParkunefilleauxcheveuxblond-roux…Etpuisilvoyaitdublancpartout.Lepire,c’étaitquandilétaitaulit.Lesdrapsimmaculés,lesoreillersdeplumes…Ilsesouvenaitdelapremièrefoisqu’ill’avaitembrasséeetdel’insomniequis’enétaitsuivie,àrevivrecebaiserencoreetencore.

Ilauraitvoululuiécrire,luidemandersielleavaitbesoindequoiquecesoit,maisbienentenduiln’enfit rien.Si le tempset ladistancepouvaient l’aiderànepas laperdre, ildevait les luidonner. Ilespérait qu’elle lui écrirait, pour lui demander de rentrer à lamaison,mais il avait beau vérifier seslettresdeuxfoisparjour,iln’envitaucunequiportâtlacouronnedeladuchessedeMargrave.

Néanmoins,cellesqu’il reçut leréconfortèrentunpeu.Sesamisconfirmaient leurrendez-vousdevendredi soir au club.Pinkerton l’informait qu’il possédait undossier.EtArthur Jewell lui envoya lerésumédétaillédesdiversesfaçonsdontFrederickVanHausenpouvaitserévélervulnérable.Sonbeau-père pensait qu’il leur faudrait élaborer un plan ensemble, lorsqu’il viendrait enAngleterre pour sonhabituellevisitedeNoël.Stuartluiréponditfavorablement,enespérantqu’Edieseraittoujoursauprèsdeluiàlafindel’année.

Il réserva une salle àmanger privée auWhite’s pour la soirée de vendredi.Quand ses amis l’yrejoignirentenfin,unebouteilledesingle-malt trônaitsur la table, lemenududînerétaitcommandé,ettouteslesinformationsqu’ilpossédaitsurVanHausensetrouvaientdansunemalletteprèsdesachaise.

LemarquisdeTrubridgefutlepremieràfairesonapparition.—Commentvavotrejambe?s’enquit-il,toutenacceptantlaboissonqueluiproposaitsonami.IlpritlesiègeenfacedeStuart,àlatablerondedudîner.—Vousaviezraison,admitStuart.VotreDrCahillestunas.Nickeutunsourireravi.—Jevousl’avaisbiendit.Aufait,Denysarrive.NoussommesrevenusduKentensemble.Ilesten

traindepayerlefiacre.Denys,vicomteSomerton,entrajusteàcetinstant.Maisàpeineeut-ilsaluéStuartd’unepoignéede

mainetd’unetapedansledosetacceptéunverrequelaportes’ouvritdenouveau,livrantpassageaucomtedeHayward.

—Pongo!s’exclamèrentenchœurlestroishommes,cequiarrachaunegrimaceaucomte.LordHayward, fils dumarquis deWetherford, avait été baptisé James,mais depuis son enfance,

pour une raison qu’aucun d’eux ne se rappelait, ses plus proches amis l’appelaient Pongo. C’était unsurnomqu’ildétestait.

—Appelez-moiparmonnom,abrutis,ouaudiablecetteréunionetvoustous!IlexaminaStuartdespiedsàlatête.—Commentvavotrejambe,monvieux?—C’estça,grognaNick.Demandez-luidesnouvellesdesajambe,maissurtoutpasdemonépaule.D’ungeste,Jamesbalayal’allusionàlavieilleblessuredeNicktoutens’asseyantprèsdelui.—Bon,jevousaitirédessus.Etalors?—Pendantque je lui sauvais lavie !précisaNick,enpointant sonverredewhiskyversDenys.

Vousvouliezletuer,jemesuisinterposéd’unbond,etc’estmoiquiaipriscettemauditeballe.L’actionlaplusstupidequej’aiejamaisaccomplie!

—J’ignoraiscettehistoire,Nick,intervintStuart.Vousavezfaittellementdechosesstupides.—Etilleméritait,ajoutaDenysenprenantplacedel’autrecôtédeNick,prèsdeStuart.Nevous

sentezpascoupable,Pongo.Jamessourit.—Oh!maisjeneressensriendetel.Maisjemerappelleparfaitementvousavoirprispourcible,

Somerton.Vousaviezdécampéavecmamaîtresse.— Elle s’est jetée à ma tête sans la moindre vergogne, se justifia Denys. Je n’ai pas pu l’en

empêcher.—J’étaislà,intervintStuart,etcen’estpasainsiqueleschosessesontpassées.Enfait,c’étaitmoi

qu’ellepoursuivaitet…Cette déclaration fut immédiatement étouffée par une série de vigoureux quolibets et un débat

s’ensuivit sur le sujet, lequel fut interrompu sans avoir été résolupar l’arrivéedudernier invité, lordFeatherstone.

—Excusez-moid’êtreenretard,messieurs,ditJackenrefermantlaportederrièrelui.—Pardonnez-nous sinousn’ensommespas surpris, rétorquaDenyspar-dessus sonépaule.Vous

êtestoujoursenretard.—Lâchez-moiunpeu,voulez-vous?JerentretoutjustedeParis,aprèstout.Ilyavingtminutesà

peinequejesuisdescendudutraindeDouvres.Jackcontournalatable,tandisqueStuartselevaitpourl’accueillir.—Alors,vousvousêtesfaitdéchiqueterparunlion,hein?Prêtàtoutpourrigolerunpeu!—Oui,sacrebleu.Unverre?—Biensûr.Vousnepenseztoutdemêmepasquejesuisvenuicipourvous!JacksaisitlewhiskyqueStuartvenaitdeluiservir,puistiralachaisevideàsadroiteets’yassit.— Eh bien, messieurs, à présent que nous avons tous salué le retour du pourfendeur de lions,

qu’allons-nousfairecesoir?D’aborddîner,jeprésume?Puisjouerauxcartes?Ensuite,s’encanaillerunpeudanslesbarsd’EastEnd,peut-être?Ouferons-nouslatournéedesmusic-hallslondoniens,pourytrouverlesplusjoliesdanseusesetlesenlever?

—Rien de tout cela pourmoi, réponditNicholas avec un geste de protestation. Je suis unmaricomblé.

Ilpritsonverreetlelevaavantd’ajouter:—Avecunbébéenroute!Lanouvellefutaccueilliepardechaleureusesfélicitations,accompagnéesd’untoast.

Jackremplitdenouveausonverreetfitpasserlabouteille.—Nickn’estpeut-êtrepasdanslecoup,maisvousautres?DevantleregardinterrogateurdeJack,Stuartsecoualatête.—Mafemmeetmoinoussommesréconciliés,affirma-t-il.Ilneluirestaitplusqu’àespérerquecesoitvrai.Ilyeutunmomentdesilence,tandisquetoussesamisledévisageaient,incertains.CefutJackqui

posalaquestionqu’ilsavaienttousàl’esprit.—Etvousenêtesheureux?—Jelesuis,oui.Quantàsavoirs’ilseraitcapableounonderendreEdieheureuse,c’étaitunautreproblème.—Etjemeréjouiségalementd’êtrerentréàlamaison.—Alorsc’estparfait.Jacklevasonverre.—Auchasseurderetourdesmontagnes!Lesverress’entrechoquèrentetfurentdûmentvidés,puislabouteillecirculadenouveau.— Alors, reprit Jack, que sommes-nous censés faire, nous autres ? Les maris heureux sont

d’ennuyeusecompagnie.Etjetantuncoupd’œilàJamesetDenys:—Nemeditespasquel’undevousdeuxs’estlaisséprendreaupiège?Denyslevasonverre.—Pasmoi.Jesuisencoreuninsouciantcélibataire!—Moiaussi,ajoutaJames.—Ah,voilàquimerassure.Toutàl’heure,nouspourronslaissercesdeux-là…IldésignaStuartetNicholas.—Etnousironsnousamuserunpeu,d’accord?—Vouspourreztouslestroiscourir leslupanars, taverneset tripotsdeLondresautantqu’ilvous

plairauneautre fois,déclaraStuart.Maispascesoir. Jenevousaipas tous réunis icipourquevousalliezfaire la fêteenville.Dureste,Londresenaoûtestmortellementennuyeuse,aussinemanquerez-vouspasgrand-chose.

Jacklegratifiad’unsourireeffronté.—Alorspourquoi sommes-nous ici, à part pour admirervos cicatrices, tout apprendre survotre

accident et nous montrer dûment impressionnés par la façon courageuse dont vous avez combattu leslions?

Stuartseresservitunwhisky.—Jen’aipasl’intentiondeparlerdecela.—Allonsdonc!fitJack,incrédule.Vousavezlàuneoccasionuniquedefaireunpeulevantardet

vousnevoulezpasenparler?Pourquoidonc?Etjetantuncoupd’œilsouslatable:—Leslionsnevousontrienmangéd’important,j’espère?Stuartavalaunegorgéedewhiskyetlâchalanouvelle:—Jonesestmort.—Quoi?chuchotaJack,tandisquelesautressetaisaient,stupéfaits.Lentement,ilseredressasursachaise.—Votrevaletestmort?Ques’est-ilpassé?Cesontaussileslions?—Oui.

Jacksoupiraenpassantunemaindanssescheveuxnoirs.—Bonsang!Etmoiquiplaisantais…Désolé,Stuart.Lesautresajoutèrentdesproposdumêmegenre,maisStuartneputsupporterleurscondoléanceset

lesbalayad’ungeste.—Parlonsd’autrechose,voulez-vous?Etsansleurlaisserletempsdechoisirunsujet,ildétournalaconversationverscequiluitenaità

cœur.—Messieurs,mêmesijemeréjouisdevousvoirtous,cen’estpaspouruneréunionamicalequeje

vousaiconvoquésici.Ilobservaunepause,s’assurantd’avoirtouteleurattentionavantdepoursuivre.—Ilyaquelquechosedontjeveuxdiscuteravecvous,etjevoudraislefaireavantquelabouteille

nefasseencoreletourdelatable,carils’agitd’uneaffairetrèssérieuse.Aussitôt,onreposalesverresetécartalewhisky.StuartfouilladanssamalletteetensortitledossiersurVanHausen.Ilseleva,déposalaliassede

papiersaumilieudelatable,puisregardatouràtourlesvisagestournésverslui.—Jeveuxruinerunhomme,déclara-t-ilenfin.Jeveuxl’humilieretledétruire.Complètement,sur

touslesplansetsanspitié.Ilyeutunnouveausilence,etcefutJackquilerompit.—Bonsang,ricana-t-ilenselaissantcontreledossierdesachaiseetsouriantàStuart.Enfaitde

plaisanterie,c’esttoutàfaitmongenre,ondirait.Denyss’éclaircitlagorge.—Ilvasansdirequel’hommeenquestionlemérite,maispouvez-vousnousdirepourquoi?—L’essentiel,oui,maispaslesdétails.Etjevousassurequec’estlàuneaffaired’honneur.Etde

justice.Jamess’adossaàsonsiège,lesyeuxfixéssurStuart.—Lestribunauxnepeuventriencontrelui,jeprésume?—Non.Ilestaméricain,unknickerbocker,avecunpèretrèsricheettrèspuissant.—Pfft!fitJack,balayantcesbagatellesavecdédain.—Messieurs,repritStuartenappuyantlapaumedesesmainssurlatable,leregardbaisséversla

liassedepapiers, j’agirais seulencetteaffaire si je lepouvais,maisc’est impossible. J’aibesoindevotreaide.

Illevalesyeuxpourexaminerlesvisagesdesesplusprochesamis—sesamisd’enfance.—Noussommestousdesanciensd’Eaton.Lesquatrehommeshochèrentlatêtepoursignifierqu’ilscomprenaient.Cettefois,cefutNicholas

quiparlalepremier:—Iln’yarienàajouter.Quedevons-nousfaire?

Chapitre20

—Vousêtessûre?Joanna se détourna de la portière du train pour interroger Edie du regard. Sous son canotier de

paille,ellesemblaitlégèrementinquièteetlasuppliaitdesesravissantsyeuxbruns.—JedevraisattendreleretourdeStuart.—Non,luirépétaEdiepourladixièmefoispeut-être.LetrimestrecommencelundiàWillowbank.

Celavouslaisseseulementdeuxjourspourvousinstaller.EtjenesaispasexactementcombiendetempsStuartresteraabsent.

—Une semaine, d’aprèsReeves, vousme l’avez dit vous-même.Or cela fait dix jours qu’il estparti.Jesuissûrequ’ilvarevenirbientôt,peut-êtremêmeaujourd’hui.Jedevraisl’attendre.Jen’aipaseul’occasiondeluidireaurevoiravantsondépart.

Letrainsiffla,annonçantsondépartimminent,etEdiesaisitsasœurparlesépaules.—JesuiscertainequeStuartcomprendrapourquoivousneluiavezpasfaitvosadieux.Aprésent,

ilfautmonterdanslewagon,machérie.Vousnousreverreztouslesdeuxdanstroissemaines.—Commentpuis-jeenêtresûre?Vouspouveztrèsbienlequitter.C’estcequevousavezditquand

ilestrevenuàlamaison.Edie repensa à ce qu’elle éprouvait lorsqu’elle avait affirmé cela et constata avec un certain

amusementcombienunequinzainedejourspouvaientchangerquelqu’un.—Jenelequitteraipas.—Vouslepromettez?—Oui,jelepromets.Elleplantadeuxbaiserssurlesjouesdesasœuretvoulutlafairepivoterversletrain.Maiscomme

Joannarésistaitencore,Ediesoupiraetsecampadevantelle,lesmainssurleshanches.—JoannaArleneJewell,ai-jejamaisenfreintunepromessequejevousavaisfaite?Joannahaussalesépaules,regardaautourd’elleetremualespieds.—Non,admit-elleenfin.—Ah,vousvoyez!Vousaurezvotrepremier jourdesortiedans troissemaines,etStuartetmoi

viendronstouslesdeuxvousvoirlà-bas.—VousemmènerezaussiSnuffles?—Oui,c’estpromis.Joannasemblaitencoredubitative.— Comment allez-vous faire, toute seule ? Vous n’aurez personne pour vous tenir compagnie

jusqu’auretourdeStuart.

—Jemedébrouillerai,assuraEdie.Ellevitlavapeurs’éleveretcettefois,Dieumerci,Joannanerésistapaslorsqu’ellelapoussavers

letrain.Ensehissantdanslewagon,toutefois,lajeunefillecrutbond’ajouterpar-dessussonépaule:—Vousêtessûre?Lamaisonesttellementgrande!—J’ensuissûre,machérie.Montezàprésent.MmeSimmonsvousattend.Joannapénétraenfindans lecompartiment.Mais,comme ladernière fois, elleouvrit lapremière

fenêtrequ’elleputtrouverafindecontinueràparler:—Jevaisàl’écolepuisqu’illefautmais,sivousquittezStuartpourvousenfuir,jeluidiraioùvous

êtes. Je n’ai pas pour habitude de rapporter, et je suis de votre côté. Je vous l’ai dit et c’est vrai,honnêtement.Mais,avantsondépart,jeluiaipromisque,sivousquittiezlamaison,jeluidiraisoùvousêtesallée.

—Quoi?Quandcelas’est-ilpassé?—Audîner,pendantquevousmangiezdansvotrechambre.Ilm’ainforméequ’ilallaits’absenter

quelquetemps.Ediesautasurcetterévélation.—Oh!Vousavezdonceul’occasiondeluidireaurevoir.—Aucuneimportance,fitJoanna,agitantavecimpatiencesamaingantéedeblanc.Ilm’aprécisé

qu’ilretournaitàLondreset,quandjeluiaidemandépourquoi,iladitquec’étaitpourdesaffaires.Maisilaajoutéquevousvousétiezquerellés,quevoussembliezmalheureuseetquejenedevaispasvousenparler ni poser de questions,mais essayer de vous réconforter et de veiller sur vous. Il voulait aussirevenir avantmon départ pour l’école,mais il n’était pas sûr de le pouvoir, et c’est là qu’ilm’a faitpromettredeluidireoùvoustrouver,sivousveniezàvousenfuir.Ilaaffirméqu’ilnevouslaisseraitpaslequittersousprétextequ’ilavaitcommisuneactionstupide.

—Iladitcela?gémitEdie.Voilàquiconfirmaitbiencequ’elleavaitredoutédepuisledépartdeStuart…—Oui,alors…Lesifflementdudépartretentitdenouveau,letrains’ébranlaetJoannadutsecramponnerauchâssis

pourgardersonéquilibre.—Alors ne vous avisez pas de prendre la fuite, Edie, continua-t-elle en passant la tête par la

fenêtre.Sinonjeluidiraioùvousêtes.Etsemettantàpleurer:—Jevousjurequejeleferai!Edieétaitprêteàfondreenlarmeselleaussi,maiselleseretint,pourJoanna.— Je n’irai nulle part ! cria-t-elle, dans l’espoir que sa sœur l’entendraitmalgré le bruit de la

chaudière.ElleattenditqueJoannaaitquittélafenêtreavantdelaissercoulerseslarmes,puisrestasurlequai

jusqu’aumomentoùletrainfutcomplètementhorsdevue.AvecJoanna,onnepouvaitjamaissavoir.

***

—Non,jeveuxqueleportraitdeStuartsoitplacéàladroitedumien,Henry,dit-elleauvaletdepiedperchésurl’échelle.Adroite,répéta-t-elle.

Acôtéd’elle,danslagaleriedesportraits,Wellesleytoussota.—Laduchessedouairièreatoujourseuleportraitduducàlagauchedusien,votregrâce.

Etvoilà,celarecommence,songeaEdie.Pourquoifallait-ilquechangerquelquestableauxdeplacesoitunebataille?

—Jesuissûrequelehuitièmeducdevaitêtremagnifiqueàsagauche.Maisjeveuxqueleportraitduneuvièmesoitàladroitedumien.

Wellesleysoupira,aveclarésignationd’unmajordomeanglaisobligédetraiteravecuneduchesseaméricainequineconnaissaitrienauxconvenances.

—Oui,votregrâce.C’estseulementqu’àHighclyffenousn’avonspasl’habituded’avoirleportraitduducàdroite.

—Effectivement,déclara-t-elle,dutonàlafoisenjouéetfermequ’elleemployaittoujoursdanscescirconstances.Mais…

—Votregrâce!Surprise,EdieseretournaetvitReevesentrerencourantdanslalonguegalerierestéeouverte.—Ilestrevenu,annonçalacamériste,haletante.Leducestrevenu.Ilvouscherchaitets’estrendu

tout droit dans votre chambre. Je lui ai suggéré de vous y attendre pendant que je partais à votrerecherche.

Edietraversalagalerieenaccélérantlepasmalgréelle,sibienqu’ellegalopaitpresquelorsqu’ellerejoignitladomestique.

—Dansmachambre?Reeveshochalatête.Edies’apprêtaitàsortirentrombequandelles’arrêtabrusquement.—Wellesley,etlecadeaudesagrâce?Lemajordomeluijetauncoupd’œilimpassible.—J’aisuiviexactementvosinstructions,votregrâce.Ediehochalatêteenpivotantverslaporte.—Cela,j’ycroiraiquandjel’auraivu,murmura-t-elleenquittantlapièce.Etfaisanthaltesurleseuilpourfaireungestedanssadirection:—Adroite,Wellesley,rappela-t-elle.Ens’éloignant,elleentenditlelourdsoupirdumajordomerésonnerdanslagalerie.Elleremontale

couloir au pas de course jusqu’à l’escalier, gravit lesmarches deux à deux et tournadans le corridormenant aux chambres familiales. Avant d’atteindre la sienne cependant, elle prit un temps pour sepréparer.

Ilétaitimportantqu’ellenecommettepasd’erreur,c’étaitellequiavaittoutgâchéladernièrefoisqu’ilss’étaienttrouvésensemble.Ellefutsoudainprisedepanique,maiscen’étaitpaslapeuràlaquelleelleétaithabituée—cen’étaitpasdelacrainte,maisuneterriblenervosité.

Elle resta dans le couloir pendant plusieursminutes à respirer profondément pour recouvrer sonsang-froid.Ilfallaitqu’ellegardesoncalmeets’expliqueentièrement;ilfallaitsurtoutqu’elleretienneseslarmes,souspeinedenepasparveniràs’exprimer.

Elleparcourutlesderniersmètresquilaséparaientdesachambreetypénétra.Deboutprèsdesonbureau,Stuartregardaitparlafenêtre.—Vousvoilàrevenu.Reevesavaitditunesemaine,maiscelafaitpluslongtemps…Elle s’arrêta net. Il ne s’était pas retourné tandis qu’elle parlait, et quelque chose dans sa roide

immobilitéluiarrachaunfrissond’inquiétude.—Stuart?Iltapotalasurfacedubureau.—Keetingvousaenvoyél’accorddeséparation,àcequejevois.

Ediejetauncoupd’œilversl’écritoire,oùledocuments’étalait,bienenvue.Seigneur,elleavaitcomplètementoubliécela!

—Oui,c’estarrivéparlaposteenvotreabsence.Mais…Ilbougealégèrementlatête,laissantvoirsonprofil.—Pardonnez-moid’avoirfaitirruptiondansvotreintimité.Jesuismontévousvoiràmonarrivée,

etReevesm’asuggéréd’attendreicipendantqu’elleallaitvouschercher.Jenevoulaispasfouiner.J’aiseulement marché jusqu’à la fenêtre, et le courrier était là. Je n’avais pas l’intention de lire votrecorrespondance.

—Non,biensûr.Jen’aimêmepas…—Voulez-vousquejelesigne,Edie?Il se tournaverselle, ledosà la fenêtre.Lavive lumièrequi l’éclairaitpar-derrière rendait son

expressiondifficileàlire.—Parcequejeleferaisic’estcequevousvoulez.Lesdixjoursdontnousétionsconvenussont

passés, ajouta-t-il avant qu’elle ne puisse répondre. Et je sais qu’essayer de vous retenir de force neferaitquevouscauserencoreplusdepeine.Jepréféreraismourirplutôtqued’agirainsi.

—MaisStuart,jeneveuxpas…—Vousvousrappelezquandvousm’avezdemandécequiétaitarrivéàJonesetquej’airefuséde

vousleraconter?Ilestpeut-êtretempsdevousledireàprésent.Elleplissa le front, interloquée,non seulementpar le changementde sujetmais aussipar sonair

sombreetletimbrelointaindesavoix.—Trèsbien,fit-elleavecunpetitfrisson.— Nous devions amener un troupeau depuis la gare de Nairobi jusqu’à une ferme au sud des

montagnesduNgongetc’étaitunetâcheardue,commença-t-ilaprèsuninstant.Entermesdedistance,cen’estpassiloin,maiscelareprésenteunvoyagedetroisjours.Iln’estpasfacilededéplacercinqcentstêtesdebétailà traversunecontréepeupléede lions.C’étaitnotredeuxièmenuitdehors.Leshommesavaientallumélesfeuxcommeàl’ordinaire,jelesaivérifiésmoi-même,selonmonhabitude.Maisl’und’eux aumoins a dû s’éteindre.Comment savoir pourquoi ?C’est cela, l’Afrique.Uneminute tout vabien,etlasuivante…

Ils’interrompitetpenchalatête.—Lasuivante,votrevaletestmortetvousregardezdeshommescreuservotretombe.—Ques’est-ilpassé?—Deslionsontattaquéletroupeau.L’und’euxs’enestprisàJonesetl’atué.Illevalesyeuxsanslaregarder.—J’aitoutvu.J’aivulalionnebondir,j’aivuJonestomber,maisj’avaisusémescartouchesetje

n’avaispasletempsderechargermonfusil.Jemesuisservidemonfouetpourlaforceràlâcherprise,mais…

Savoixsebrisa.Edienesupportaitplusdenepouvoirleregarderdanslesyeuxettraversalapièce.—Mais?insista-t-elleens’approchantdelui.—Maisilétaittroptard.Ilétaitdéjàmort.Ilétaitmonserviteurdepuismesseizeans,Edie.Ilme

suivaitpartoutoùj’allais.Il…Savoixdéfaillit,etilsetutdenouveau.Edie s’arrêtadevant lui.Ellecompatissait sincèrement, car elle savait cequec’étaitquede s’en

vouloiràsoi-même.

—Cen’étaitpasvotrefaute.C’est legenredechosequipourraitarriveràn’importequidanslebush,j’ensuissûre.

—Vousm’avezunjourtraitéde«charmeur»,murmura-t-il,passantunefoisdeplusàuntoutautresujet.Jevaisvousdirepourquoijepeuxparaîtreainsi.Jen’avaispasdixansquandj’aicomprisquejeneseraisjamaisaiméparmaproprefamille.Alorsj’aivouluêtreaimépartouslesautres.Avingtans,iln’yavaitpasuneseulefilledésirablequejenesoiscapabledeconquérir,pasunseulhommeavecquijenepuissemelierd’amitiéniunseuljeuquejenesachejouer,pasunproblèmequejenetrouvelemoyenderésoudre.J’aitoujourseuunechanceinsolente,etcelaafaitdemoiunsacrévaniteux.Preneznotrehistoire,parexemple.Quandjevousairencontrée,mafamilleétaitàsec,noscréditeurssurlepointdetoutprendre,etvoilàquevousapparaissezetmejeteztoutvotreargent.Unpurcoupdechance.

Ilpritunairrailleur.—Faut-ils’étonnerqueCecilnepuissepasmesentir?—Cecilestidiot.Ileutunpetitrire.—Oui,assez.Puissonsouriredisparut.—C’estmoiquiaipersuadéJonesdem’accompagnerenAfrique.Ilnevoulaitpasvenir,maisje

l’aiconvaincu.Toujoursmonfameuxcharme.Etcommej’étaislegenredegarspourqui«non»n’estpasuneréponse,jesuisparvenuàmesfins.

—Vousnedevezpasvousenblâmer,Stuart.Ilnefautpas.Jonesadoraitl’Afrique.IlécrivaitauxautresserviteursetparfoisReevesmerapportaitsespropos.Peut-êtrenevoulait-ilpasyalleraudépart,maisilavéculà-baslesmeilleuresannéesdesavie,àvotreservice.

—Jesais,maisc’estseulementque…Deslarmesbrillèrentdanssesyeux,maisillesessuyafarouchementdupouce.—Ilmemanque.Elleavançalamainpourtouchersajoueetsescheveux.—Biensûrqu’ilvousmanque.Ils’appuyacontrelebureau,lespaumessurlerebord.—Savez-vouspourquoij’aivoulupartirenAfrique,lapremièrefois?Commejevousl’aidit,je

nemeprenaispaspourrien.Mêmeuncontinentn’étaitpasdetailleàmevaincre,bonsang.IlétenditsajambeobliquementdevantEdie,leregardfixésursacuisse.—J’aiéchappéàlamalaria,àlafièvrebilieuse,àladysenterieetauxmorsuresdeserpentmais,à

lafin,l’Afriqueatoutdemêmeréussiàmeremettreàmaplace.Edienesutquerépondreàcela.—Jesuisdésolée,Stuart.Sisincèrementdésolée.PourJones,pourvotrejambe,pour…—MoijesuisdésolépourJones,Edie,maispaspourmajambe.Jeboiteraipeut-êtrejusqu’àlafin

demavie,maisjeneledéplorepaslemoinsdumondeetjevaisvousdirepourquoi.Ils’écartadubureauetsedressadevantelle.— Si cela ne m’était pas arrivé, je n’aurais peut-être fini par rentrer à la maison que dans un

cercueil,etjen’auraispaspusavoirquelameilleurechosequej’aieuedansmavieétaitici.C’estvraiquejen’aijamaisrencontrédefemmequejen’aiesuconquérir,maisjen’enaijamaisrencontrénonplusquicomptevraimentpourmoi.Jusqu’àcequejevousconnaisse.

Edie émit un son étouffé, redoutant de semettre à pleurer—et adieu son sang-froid conquis dehautelutte!

—Stuart…

—Lesoirdenotrepremièrerencontre,dèsquejevousaivue, j’aieul’impressionqueledestinm’obligeait àm’arrêter et àvousprêter attention, commes’ilmedisait : «Regarde, regardevraimentcettefille,parcequ’elleestimportantepourtoi.Ellevachangertavie.»Plustard,quandvousm’avezsuividanslelabyrinthe,j’aipenséquej’avaisressenticelaàcausedel’argent,maisc’étaitfaux.Vousm’avezdemandéunefoiscequejepouvaisbienattendredevous.Cequejeveux,Edie,c’estsavoirquemavien’apasétéuntotalgaspillage.Quetoutcequejeprenaiscommeundûaenréalitéunsensplusprofond. Que je peux faire le bien autour demoi et non pas prendre seulement du bon temps.Mais,surtout,j’aimeraissavoirqu’ilexisteunepersonnedanslemondequiabesoindemoietdontlavieestmeilleureparcequej’enfaispartie.Etjeveuxquecettepersonne,cesoitvous,Edie.Parcequejevousaime.

Edie fut transportée de joie — de bonheur, de soulagement, et d’une douce, d’une poignantetendresse.

—Stuart…—Jesignerail’accorddeséparation,sic’estcequevoussouhaitez.Maisjevousdemandedene

pasabandonnerencequinousconcerne,Edie.Etjememoquequecelaprennedixjoursdeplusoumêmedixansoutoutlerestedemavie,maisjevousprometsqu’avantmamortjevousdémontreraiquevousserez toujours en sécurité avecmoi.Même quand je vous désire à ne pas en fermer l’œil de la nuit,j’attendraiquevousvouliezdemoi.Jelepromets.

Edieattenditpuis,voyantqu’iln’ajoutaitrien,parlaenfin:—Est-cetout?UnelueurdedéfiscintilladanslesbeauxyeuxgrisdeStuart.—Oui.—Trèsbien.EnserrantalorslevisagedeStuartdanssesmains,ellesesoulevasurlapointedespiedsetposa

seslèvressurlessiennes.—Voicimaréponse.Ilplissa le frontetsecoua la tête, luisignifiantainsiqu’ellevenaitde luicouper laparole.Mais

lorsqu’ilouvritlabouche,ellerefusadelelaissermonologuerunesecondedeplus.—Jereste,déclara-t-elleenhâtepourledevancer.Jenevaispaspartir,jamais.Etsivousm’aviez

laisséplacerunmot,jevousl’auraisditàl’instantmêmeoùj’aifranchicetteporte.—Maiscela?Ilsetournapourprendreledocumentsurlebureau.Edieleluiarrachadesmains.—Keatingmel’aenvoyéparcequejeleluiavaisdemandélorsquejesuisalléelevoiràLondres,

maisjenel’aimêmepasluetilesthorsdequestionquejelesigne.Surcesmots,elledéchiralemauditdocumentetenjetalesmorceauxenl’air.Stuart déglutit, le regard plongé dans celui d’Edie tandis que les bouts de papier retombaient en

flottantautourd’eux.— Etes-vous sûre que vous voulez rester ?Même après ce qui s’est passé dans la remise aux

plumes?—Cen’étaitpasvotrefaute.J’aieuunaccèsdepanique.Celam’arrive.Celam’arriverasansdoute

encore.Ediesavaitqu’elledevaitabordercesujet,etc’étaitàcelaqu’ellesepréparaitdepuisledépartde

Stuart.

Elle respira profondément, pressa ses mains l’une contre l’autre et les porta à sa bouche, dansl’espoirquelesmotsqu’ellecherchaitdésespérémentdepuisdesjoursensortiraientenfin.

—Rappelez-vousquandnousavonsjouéauxéchecs.Vousm’avezditque,si jeparlaisdelui, jedevaisvousregarderdanslesyeuxetqu’alorsjeverraisladifférence.

—Jem’ensouviens.Aveclerecul,jemerendscomptequejenepouvaisguèreespérerquevousperceviezladifférenceentre luietmoi.Mais,àcemoment-là, j’étaisfurieuxquevouspuissiezpenserquejeluiressemblaisenquoiquecesoit.

—Jesaisquevousétiezencolère.Maisvousavezeuraisondedirecela,carensuite,chaquefoisque nous nous sommes retrouvés seuls ensemble et que je vous ai regardé dans les yeux, jeme suisrappelé cequevous aviezdit et celam’a aidée ànepas avoir peur.Cet après-midi dans la remise àplumes,toutétait…

Savoixsebrisa,etelleduts’arrêterunesecondeavantdepoursuivre:—C’étaitmerveilleux,Stuart,toutétaitmerveilleux…jusqu’àcequejenepuisseplusvoirvotre

visage.Quandvous…quandvousvousêtesallongésurmoi,cela…celam’arappelélafoisprécédente,aveclui.Parcequejenepouvaisplusvousvoir.

Stuarteutuneexpressiondouloureuse,etEdieeneutlecœurserré.Elledétestaitluifairedumal,mais il fallait que ce soit dit, afin qu’il comprenne. Ensuite, ils n’auraient plus jamais besoin d’enreparler.

—Ilm’apousséesurunetable,aremontémajupeetdéchirémaculotte.Elleparlaitvite,s’extirpantlesmotsdelabouche.—Je luiaiditd’arrêter. Ilne l’apas fait. Il s’estcouchésurmoiet…et ila fait lachose.Cela

s’étaitpassésivite,j’étaissouslechoc.Jen’arrêtaispasdeluidiredecessermais…Ellesecoualatête,unemainposéesursajoue.— Sa figure était enfouie dans mon cou, aussi ne pouvais-je pas le voir, et il ne m’a jamais

regardée,jusqu’aumomentoùils’estrelevé.Là,quandilaenfinposélesyeuxsurmoi,ilaricanéenmedisantqu’ilfaudraitquenousrecommencionsundecesjours.Iln’amêmepasbaissémajupeavantdes’enaller.

Elle vit Stuart presser son poing sur sa bouche, un geste qu’il n’accomplissait que lorsqu’iléprouvaituneémotionintenseettentaitdelaréprimer.Encetinstantilavaitmal,malpourelle,ellelesavait,etellesehâtad’ajouter:

—Riendetoutcelan’aplusd’importanceàprésent.C’estseulementque…—C’estimportant,Edie,assura-t-ilenbaissantsonpoing.Pardieu,c’estimportant.Ilpaiera.—Ceque jevoulaisdire,c’estque lorsquenousétionsdans la remiseauxplumes,vousetmoi,

quand vous… quand vous vous êtes positionné sur moi, j’ai commencé à m’affoler, mais je pouvaisencorevoirvotrevisage,alors…alorstoutallaitbien.Maisensuite,vousavezenfouivotrevisagedansmoncou.

Elles’arrêta,cillantdésespérémentpourrefoulerseslarmes.—Jenepouvaisplusvous regarder. Jenepouvaisplusvoirvosyeux. Jenepouvaisplus…me

rappelerladifférence.—Jecomprends.Ilprituneprofondeinspirationethochalatête.—Oui,jecomprends.—J’aiessayédevousdirecelatoutdesuite,devousdirecequim’arrivaitetpourquoijepleurais,

maisjen’aipaspu,Stuart,jen’aitoutsimplementpaspu.

Un sanglot jaillit du tréfonds d’elle-même, et le sang-froid qui la tenait depuis tant d’annéess’évanouit.Lenœudenelle,cenœudduretserrédepeur,decolèreetdehontesedéfitbrusquementetellesemitàpleurer.

—Jen’avaisjamaisracontéçaàpersonne.StuartrefermaaussitôtsesbrassurEdieetlatintserréecontreluitandisqu’elleversaitdeslarmes

—lesmêmeslarmesqu’elleavaitessayéderéprimerpendantsixansetquiavaientjaillicetaprès-midi-làdanslaremiseauxplumes.

Cespleurslefaisaientsouffrir,luiaussi,Edielesavaitbien.Maisellenepouvaitpluslesretenir.Ilscoulaient,mouillantlachemiseblanchedeStuartetsongiletenpiquécependantqu’illuicaressaitlescheveuxetchuchotaitsonnom,encoreettoujours.Etlasensationdenœudduretserréenellefinitparlentementdisparaître.

Enfin,ellerelevalatêteets’écartadelui,acceptantlemouchoirqueluitendaitStuart.—Jem’étaisjurédenepaspleurer,dit-elleensetamponnantlevisage.Jesaisqu’àLondresvous

avezdûvousreprochercequis’estpasséentrenous,maisj’avaisbesoindetempspour…pourretrouvermoncalme.Jesavaisqu’ilmefallaitm’expliquer,maisjenevoulaispaspleurerpournepasvousrendreleschosesplusdifficiles.Jenevoulaispasquevousvoussentiezencoreplusmal…

Stuartenserralevisaged’Edieentresesmains.—Nevous inquiétezpaspourmoi, intima-t-il farouchement. Jamais.Si vous avezbesoindeme

reparlerdecelaoude lui, faites-le.Je lesupporterai.Sivousdésirezêtreseule,dites-le-moi.Pleureztoutes les larmesdevotre corps chaque fois quevous le voudrez,martelez-moide coupsdepoing enmaudissant sonnom, jetezdesassiettescontre lemurou lancez-lesmoià la tête.Mais,quoiquevousfassiez,nevouspréoccupezpasdesavoirsicelamefaitmalounon.Vouscomprenez?Etsicequis’estpassédanslaremisedevaitsereproduire,sivousêtesencoreprisedepaniquependantquenousfaisonsl’amour, empoignez-moi par les cheveux, tirez ma tête en arrière et criez : « Stuart, le diable vousemporte,regardez-moi!»

Cediscoursétaitsiabsurdeetsavéhémencesi touchantequ’Edieneputs’empêcherdeglousser,laissantéchapperunsonmoitiériremoitiésanglot.

—J’essaierai,promis.—Ya-t-ilautrechoseencorequivouseffraieouvousrappellecethomme?Chaquefoisquevous

pensezàquelquechosedecegenre,ilfautmeledire.Elleréfléchituninstant.—Neportezjamaisd’eaudeCologne.Jamais.Ilfitlagrimace.—Jen’enmetsjamais,vousn’avezpasàvousinquiéter.—Dieumerci.Elles’essuyadenouveaulevisage.—Seigneur!Dixjoursentierspourmecalmer,etcelan’aserviàrienenfindecompte!—Maisqueressentez-vous,machérie?Illuicaressalajoue,effleurantsestachesderousseur.—Oui,queressentez-vous?Elleprituntemps.— Je suis soulagée, dit-elle enfin en pressant une main sur sa poitrine. Oui, c’est un tel

soulagement…Stuartapprécialaréponse,carilplissalecoindesyeuxenunsoupçondesourire.—Bien.

—Maisjedoisêtreàfairepeuretc’estbiendommage,carj’avaispréparéunesurprisepourvotreretour.

—Unesurprise?—Oui,etilmetardedevousl’offrir.Alorsallezmaintenant,etlaissez-moiarrangermonvisage.Elleplialemouchoiretleposasursonbureau.—Changeons-noustousdeuxpourledîner,voulez-vous?Puisjevousdemandedem’attendreau

pieddel’escalier.—Maisquellesortedesurprise?—Jenevouslediraipas.Etlepoussantverslaporte:—Soyezpatient.Uneheureplus tard, aprèsquelques compresses froidesde feuillesde thépréparéesparReeves,

Ediesemblaitànouveaupresquereposée.Ellen’avaitpluslesyeuxrougesnilespaupièresgonflées,etavaitappliquésursapeauunsoupçondepoudre.Lacéedansunerobedusoirensoiebleue,sescheveuxbouclés relevés en un joli chignon laissant quelques frisons encadrer son visage, Edie songea qu’ellepouvaitmêmeêtreagréableàregarder.

Etonnée,ellesecontempladanslapsyché.—Reeves,vousfaitesdesmiracles.Merci.Lachambrièrerencontrasesyeuxdanslemiroiretluisourit.—Lemiracle,c’estquevousm’ayezlaissémettreunpeudepoudresurvosjouesetunsoupçonde

rougesurvoslèvres.—Maispasderembourragedansmoncorsage.Jen’enaipasbesoin.Ellesetut,lissantlasoiedesarobe.—C’estcequel’onm’adit.Reevesarrangealadentellesursonépaule.—C’estbondevousvoirheureuse,votregrâce.—Oui,jesuisheureuse,confirmaEdie.Etenprononçantcesparoles,ellecompritàquelpointc’étaitvrai.—Personnen’auraitpus’endouterilyauneheure,ajouta-t-elleensouriant.J’avoue,Reeves,qu’il

meplaîtbiend’êtrelespectacleséduisantqu’iladevantlesyeuxàtable.Ausouvenirdeleurconversationàcesujet,lafemmedechambresourit.—C’estunhommebon,votregrâce.—Oui.Unhommetrèsbon.Enparlantdelui,jeferaismieuxdelerejoindre,oujen’auraipasle

tempsdeluioffrirsoncadeauavantledîner.Ediesedétournadumiroiretfitquelquespasavantdes’arrêterprèsdelaporte.—Et,Reeves…—Oui,votregrâce?—Prenezvotresoirée.EtgardezSnufflesdansvotrechambrecettenuit.EllesortitsurcesmotsetdescenditretrouverStuart,quil’attendaitaupieddel’escalier.Envoyant

sonexpressionquandilladécouvritdanssaravissanterobebleue,Edieseréjouitdutournantquevenaitdeprendresavie.

—Jevousaiachetéquelquechoseenvotreabsence,dit-ellelorsqu’ellearrivaenbasdesmarches.Jemouraisd’impatiencedevouslemontrer.

Ets’emparantdesamain:—Venezavecmoi.

Ellel’entraînadanslecorridoretpassadevantlabibliothèquesansralentirlepas.Stuartneditrien,maislorsqu’ilseurentdépassélasalledemusiqueetcelledebillard,ilsutqu’il

nerestaitplusqu’unedestinationpossible.—Lasalledebal?Pourquoiici,Edie?—Vousallezvoir,dit-elleenenpoussantlesdeuxbattants.Venez.Il la suivit dans la scintillante salle de bal ducale blanc et or,mais à peine en eut-il franchi les

portesqu’ils’immobilisa,étonné,lesyeuxfixéssurlefameuxcadeau.—LaboîteàmusiquedeMmeMullins?Vousl’avezachetée?—Oui.Maintenant,restezlà.Elle se dirigea vers l’instrument, disposé contre le mur sur sa table assortie, et en actionna la

poignée.Uninstantplustard,lesaccentsdesVoixduprintempsdeStraussflottaientdanslapièce.Edie se tourna vers Stuart. Elle s’arrêta à la même distance de lui que lors de leur première

rencontreàHanfordHouse,etsentitsarespirationsebloquerquand,latêtepenchéeetunlégersourireauxlèvres,illuijetalemêmeregardinterrogateurqu’alors.

—Lessecondeschancesexistent,Stuart.Etc’enestune.Ellesetut,enattente.—Jesuisici.L’orchestrejoueduStrauss.Venezdanseravecmoi.—Ici?Maintenant?Uneombred’anxiététraversasonvisage.—Edie,jenepeuxplusdanser,jevousl’aidéjàdit.—Vousnepouvezplusvalser,jelesais.Maiscommej’enseraismoi-mêmeincapable,maviefût-

elleenjeu,c’estsansimportance.Vousn’avezpasbesoindemefairetournoyerdanslapièce,maisvouspouvezvousbalancerenmesuretoutenmetenantdansvosbras,non?

Ilouvrit labouche,puis lareferma.Lesyeuxbrillants, ilcillauneoudeuxfois,et il lui fallutuninstantavantdepouvoirparler.

—Jecroisquejepeuxfairecela,acquiesça-t-ilenfin.Ils’avançaverselle.Iln’étaitplusl’hommeathlétiqueàladémarchefélinequ’elleavaitvudansla

salledebaldeHanfordHouse,maisunanimalblessé.Sonmari,sonamant.Sonmeilleurami.Ils’arrêtadevantelleetluitenditlamain.—Meferez-vousl’honneurdem’accordercettedanse?—Volontiers,murmura-t-elle,avecunegravitéégaleàlasienne.Ensemble,ilsmarchèrentverslecentredelasalle.Stuartpritlamaindroited’Edieetluienlaçalataille,tandisqu’elleplaçaitsamainlibresurson

épauleetrefaisaitlesgestesqueluiavaientenseignéssesprécédentesexpériencesdecavalière.Maisendehorsdecela,soncavalierétaitplusgrandqu’elle,ilnelapoussaitpasnin’essayaitde

contrôlersesmouvements.C’étaitlui,etnonelle,quisemouvaitlentement,maladroitement,entâchantdenepasluimarchersurlespieds.C’étaitdifficilepourlui,ellelesavait,etdouloureux—physiquement,maisaussi,sansdoute,émotionnellement.Aussis’arrêta-t-elleaprèsquelquespas,carc’étaitassezpourillustrercequ’elleavaitvoululuisignifier.

—Celademanderaunpeud’entraînement,jepense.— Oui, murmura-t-il, les paupières toujours baissées vers leurs pieds et l’air terriblement

embarrassé.—Maiscelanefaitrien,Stuart,parcequenousavonstoutelaviepourapprendre.N’est-cepas?Illevaversellecebeauregardgrisquisemblaitvoirjusqu’aufonddesonâmeetluitransperçaitle

cœur.

—Oui,nousavonstoutelavie.—Jevousaime,dit-elleavantdel’embrassersurleslèvres.Jecroisquejevousaiaimédepuisle

premierinstant.Maisj’avaistroppeurpourm’enrendrecompte.—Ilenestdemêmepourmoi,jecrois.Ellegardalesyeuxouvertspourobserverlessienstandisqu’ilabaissaitsesépaiscilsnoirs.Puis

ellefermalespaupièresàsontouretrespiraleparfumdusavonausantalquiimprégnaitsapeau.AlorsleslèvresdeStuarttouchèrentlessiennesetellesavouralegoûtdesabouche.

Stuart.Monamour.Ellese rapprocha,et lorsqu’elle lesentitcontreelle,duretdressé,ellesedélectadecelaaussi.

Ellel’aimait,elleaimaitl’hommequ’ilétaitettoutcequecelasignifiait.—Stuart?fit-elleens’écartantenfin.Illevaunemainpourluicaresserlescheveux.—Oui?—Aproposdeceshistoiresd’amourphysique…Ilsuspenditsongeste.—Oui?Ellesemorditlalèvreenréfléchissantàlameilleurefaçondes’exprimer.—Puisquenousparlionsdepratique, je voulais vous avertir que l’amour, pourmoi, cela risque

d’êtreunpeucommeladanse…oulepatinagesurglace.Ileutunpetitrireetsonsouffleluieffleuralevisage.—Ilmefaudradelapratique,Stuart.Beaucoupdepratique.—C’estcequevousdésirez?Elleplongeadanscetendreregardembruméqu’elleaimaittant.—Oui.Ellesetutquelquessecondes.—Stuart?—Oui,Edie.—Jevoudraism’entraînermaintenant.Stuartchangead’expression,etEdieluttantdebonheursursonbeauvisagequ’ellesentitsoncœur

chavirer.—Sivousêtessûre…—Oui,jelesuis.Lesdoigtsencoreentrelacésauxsiens,ellesetournaverslaporte.—Décidéeàmenerdenouveauladanse,hein?s’enquit-ilcommeelleletiraitàtraverslapièce.—Aussisouventquepossible,rétorqua-t-elle,cequiamusaStuart.Ilrepritsacanneenquittantlasalledebal,puisilsgravirentl’escalierjusqu’àlachambred’Edie.Lorsqu’ilsfurentàl’intérieur,elletournalaclédanslaserrure.—J’aidonnésasoiréeàReeves.Lajeunefemmeavaitlavoixtremblante,maiselleleregardaitdanslesyeux.—Jecomptesurvouspourmedélacer.Vousavezassezd’expériencepourcela,n’est-cepas?Ilsecoualatêteenrianttandisqu’elles’approchaitdelui.—Encetinstant,jesouhaiteraispresqueêtrepuceau.—Pourquoicela?s’enquit-elle,surprise.—J’aiétésifierdemoiautrefoispouravoirconnutantdefemmes…Sifutilementfier.Aprésent,

j’enaipresquehonte,caraucunedecesfemmesn’ajamaisétépourmoicequevousêtesaujourd’hui.

Illevalesyeux.—Jevousaime,Edie.Jevousaimedetoutemonâme.Ellefutsubmergéeparunejoiesidoucequ’ellerestaquelquesinstantssanspouvoirparler.—Mais,sivousétiezpuceau,nousn’enserionssansdoutepasoùnousensommes,objecta-t-elle

enfin. J’ai juste besoin que vous soyez l’homme que vous êtes, Stuart. J’ai besoin qu’onme rappellechaquejourquejesuisunefemmejolieetpassionnée,avecdestachesderousseurdoréesetdebellesjambes.J’aibesoinquevousmetouchiezetmecaressiez,etquevousfassiezdecelaunenchantement.J’aibesoinquevousmefassiezl’amouretmedonniezceplaisirsidoux,sidoux…

Iléclataderireànouveau,desiboncœurcettefoisqu’elleenfutunpeupiquée.—Qu’ya-t-ildesidrôle?—Quiesttorrideàprésent?lataquina-t-il.Maisilretrouvapresqueaussitôtsonsérieux.—Jepeuxfairetoutcela,promit-ilenposantlesmainssursesépaules.Tournez-vous.Elleobtempéra,etilcommençaàdéboutonnerlehautdesarobe.C’étaitunelongueopération,car

lesboutonsétaientrecouvertsd’étoffeetilluifallutplusieursminutespouratteindresataille.Enfin,ilfitglisser sa robede ses épaules, puisde seshanches.Levêtement tomba sur le sol enunamasde soiebleue,qu’ilrepoussadupiedlorsqueEdiel’eutenjambé.Illuiretiraensuitesoncache-corset,qu’illançaauloinavantdes’attaquerauxlacetsdesoncorset.

Ses gestes étaient assurés, malgré la complexité des vêtements, et Edie se demanda combiend’autresfemmesilavaitdéjàdéshabillées.Mais,ainsiqu’elleleluiavaitdit,elleneluienvoulaitpaspoursesexpériencespassées.Mêmesilessemainesécouléesavaientrévéléenelleunepropensionàlajalousie, àprésentqu’il ladévêtait ellene ressentait plusquedudésir—undésirqui s’intensifiait àchaquevêtement si adroitementôté.Et lorsqu’ellen’eutplus sur elleque sesderniers sous-vêtements,elleétaitsiexcitéequ’ellepouvaitàpeinerespirer.

Illafitpivoterets’agenouilladevantellepourluiôtersessouliersdesoirée.Puisilfitremontersespaumeschaudeslelongdesesmollets,etenenfonçantlesmainsdanssonpantalonpourdéfairelesjarretièresquiretenaientsesbas,illuichatouillal’arrièredesgenoux,cequilafitgigotervivement.

Riant sous cape, il dénoua les rubans de ses jarretières et fit descendre ses bas le long de sesjambes.

—Machèrepetitechatouilleuse!Heureusementquej’aidesatoutsenréservepournégocieravecvous.

—Mais…Ellesetut,s’efforçantdenepaspousserdepetitscristandisqu’ilglissaitsesmainsplushautpour

caresserl’arrièredesescuisses.—Maisquelseral’enjeu?—Hmm…Ilexistetantdepossibilités.Ilréfléchituninstant,laissantsesdoigtsalleretvenirdoucementsursapeaunue,justeendessous

desesfesses.C’était une sensation si exquise qu’elle sentit ses genoux se dérober sous elle. Reprenant sa

respiration,elledutsetenirauxépaulesdeStuartpournepass’effondrersurleparquet.Ilsuspenditsongeste.—Aimez-vouscela?—Oui,souffla-t-elle.Retirantlesmainsdesonpantalon,ildégrafalevêtementauniveaudelatailleetlefitglissersur

seshanches.

—Etceci?demanda-t-ilenenfouissantlatêtesoussachemisepourembrassersonventrenu.Ellepoussauncri,lesmainscrispéessursesépaules.—Oh!Stuart,gémit-elledoucement,ondulantcontresabouchetandisqu’illéchaitsonnombrildu

boutdelalangue.Oooh…C’esttrop!Emergeantdedessousl’étoffe,ilsereleva.—Unjour,fit-ilenpenchantlatêteverselle,jevousmontreraicombienleschatouillespeuventêtre

agréables.Ils’emparadeseslèvresavantqu’ellen’aiteuletempsdenier.Lebaiserfutl’undeceux,profonds

et ardents, qu’Edie appréciait tant à présent. Mais, lorsque Stuart saisit l’ourlet de sa chemise etcommença à la tirer vers le haut pour la lui ôter, elle fut prise d’un soudain accès de timidité. Laperspectivedeluidévoilerl’unedespartieslesplusdécevantesdesoncorpsfitvacillersonardeuretelleluiretirasabouche.

—Attendez!Ilsefigea.—Qu’ya-t-il?Ellenevoulaitpass’expliquer.Ellesouhaitaitretrouverledésirdetoutàl’heure.Posantlesmains

surleslargesépaulesdeStuart,elleentrepritdeluiôtersavestenoire.—C’estàmontourdevousdéshabiller,non?Celalefitsourire.—Onmènedenouveauladanse,jevois.—Oui,confirma-t-elleenledébarrassantduvêtement.J’aimedirigerleschoses.Stuartsouritpluslargement.—Jenedétestepascela…tantquevousnem’obligezpasàprendrelethéaveclepasteur.Ellepouffaenserappelantcettejournée.—Jeneleferaiplus,promit-elleentirantsurlesextrémitésdesacravatedesoieblanche.Jevous

aimebeaucouptropdésormaispourvousfairesubircegenredetorture.—Grâceauciel,marmonna-t-iltandisqu’elles’attaquaitàsonboutondecol.Commeelletâtonnaitunpeu,illuimontracommentledéfaire,ainsiquesesboutonsdemanchettes.

Il enleva lui-même ses chaussures et, pendant qu’elle allait déposer ses boutons et agrafes sur sacoiffeuse,ilsedépouilladesachemise,qu’iljetadansunfauteuil.Edieseretournapourluifairefacejusteaumomentoùildéroulaitsonmaillotdecorps,etlavuedesontorsedénudéluicoupalesouffle.

Sapeaunue,hâléeparlesoleild’Afrique,luisaitteldubronze.Sapoitrinemuscléeetsculpturalerévélait tantdeforcequelajeunefemmesentitsoncœurcognercontresescôtes.Maiscemartèlementn’étaitpasprovoquéparlapeur.Cequ’elleressentait,enpromenantsonregarddesdisquesbrunsdesesmamelonsaucreuxdesonnombril,n’étaitautrequedudésir.

Elle toucha sapoitrine, appréciant sans crainte lapuissancede soncorps et, lorsqu’elleporta lamainàsaceinture,lasensationdesonmembredursoussesdoigtsn’éveillapasdepeurenelle,maisunefaimcroissanteetunbesoind’assouvissement.

Maisill’arrêtaavantqu’ellenefassedescendresonpantalonsurseshanches.—Amontour.Ilsaisitdenouveauleborddesachemise,maisellerésistaencoreunefois.—Qu’ya-t-il,Edie?—Rien.C’estseulementque…Lesjouesenfeu,elledétournalesyeux.Pourtantellesavaitqu’ilétaitabsurdedesesentirgênéeà

présent.

—Jesuisunpeutimide,jecrois.—Encore?Maispourquoi?Commeellenerépondaitpas,ill’embrassa.—Dites-moi.—Messeinssonttroppetits,avoua-t-elleenfin.Illaissaéchapperuneexclamationincrédule.—Quoi?Jen’encroispasunmot.Montrez-les-moi.—Ilssontsipetitsqu’onnelesvoitpas,marmonna-t-elle,tandisqu’ilrelevaitsachemise.Même

moi,jenelesvoispas!Ilsemitàrire,etlagêned’Edienefitquecroître.Maiselletenditlesmainsversleplafond,etil

putpassersachemisepar-dessussatête.Laissantchoirlevêtementsurlesol, il lasaisitalorsparlespoignetsetluiécartalesbrasavantqu’elleaitletempsdesecouvrirlapoitrine.

Edieserralespaupières,etledésirrefluaenelle,remplacéparunterriblesentimentd’impuissance.Elleeutl’impressionqu’uneéternités’écoulaitavantqueStuartneseremetteàparler.

—Edie,jecrainsquevousn’ayezunproblèmedevue,dit-ilenfin.Ellerouvritlesyeuxetrencontrasonregard.—Jevoisparfaitementvosseins,machérie.Etlâchantsespoignets:—Voulez-vousquejevouslesdécrive?Ilsouritsitendrementqu’ellecraignitdeseremettreàpleurer.—Puisquevousnelesvoyezpasvous-même,semble-t-il,jecroisquecelas’impose.Illevalesmainspourlesluieffleurer.—Ilssontpetits,eneffet,etronds,etparfaitementgalbés.Duboutdesdoigts,ilfrôlalescontoursdesesseins.—Ilssontaussitrèsjolis,d’unblanccrémeux,parsemésdetachesd’or,avecderavissantstétons

roses.Edieregardaitsonvisagetandisqu’ilcaressaitsesseinsenluidécrivantlafaçondontillesvoyait,

etunsentimentnouveauetmerveilleuxs’emparad’elle.Jamais,jusqu’àcetinstant,ellenes’étaitsentievraiment belle, et la joie afflua en elle, lumineuse et puissante, gonflant sa poitrine d’un bonheurindicible.

—Vosseinssontparfaits,Edie.Ilpétritdoucementsesmamelonsentresesdoigts,etellesentitunevaguedechaleursepropager

danssoncorps.—Séduisantsetparfaits,etjebrûledelesembrasseretdelessuceretdejoueraveceuxpendant

desheures.Ilsemblaithésitertoutàcoup,Edieleperçutdanssavoix.—Mais je crains que cene soit pas pour cette fois. Je ne sais pas combiende temps encore je

pourraiteniravantdeperdrecomplètementlecontrôle.Interrompantsacaresse,ilpritEdieparlamainetlaconduisitverslelit,oùillafits’étendre.Ilcommençaitàdéboutonnersonpantalon,quandellel’arrêta.—Attendez,intima-t-elleenseredressant.Cela,c’estmoiquisuiscenséelefaire.—Vraiment?Etcommeilcontinuaitsatâche,elleluisaisitlespoignets.—Oui.Ellesentitsarésistanceetenfutsurprise.

— C’est à mon tour de vous demander ce qui ne va pas. Vous n’aimeriez pas que je vousdéshabille?

—J’adoreraiscela,mais…Ilsetut,faisantpassersonpoidsd’unpiedsurl’autre.—Jevoudraisd’abordvousprévenir…Ils’éclaircitlagorgeavantdereprendre:— C’est juste que ma jambe n’est pas très belle à voir. Ne soyez pas choquée quand vous la

découvrirez.Edie sut alors que, s’il lui arrivait encore d’être timide avec lui à l’avenir, elle n’aurait qu’à se

rappelercemoment,carellenel’avaitjamaisautantaiméqu’encetinstant.—Moi,jevousaimontré,chuchota-t-elle.N’est-cepas?—Trèsbien,acquiesça-t-ilenlalaissanttirersursonpantalon.Maisneditespasquejenevous

avaispasprévenue.Edie baissa les yeux. Il était en pleine érection, mais la vue de son sexe ne lui inspira qu’une

tendresseprofondeetpassionnée.Puissonregarddescenditverslescicatricesquis’entrecroisaientsursacuissedroite,etenavisantcesmarquesblanches,ellesongeaàtoutelasouffrancequ’ilavaitenduréeeteneutmalpourlui.

Elletenditlamainet,délicatement,fitglissersesdoigtssurlesentaillesdesajambe.Ellesentitunfrémissementleparcouriràcettelégèrecaresse.

—Jevousaime,dit-elle.Elle l’entendit soupirer de soulagement, et pressa ses lèvres sur l’une des cicatrices aux bords

irréguliers.—Jevousaime.Il gémit en réponse et, plongeant lamain dans les cheveux d’Edie, lui tira doucement la tête en

arrière.—Bonsang,Edie,nefaitespasça.Jenesuisdéjàpassûrdepouvoirtenirlongtemps.—Etpourquoidevriez-voustenir?Elleselaissaretombersurlelitenl’entraînantavecelle.Ils’allongeaprèsd’ellesurleflanc,en

appuisuruncoude.—Parcequej’aideschosesimportantesàfaire,répondit-ilentendantlamainverssapoitrinepour

laluieffleurer.Puisils’aventuraplusbas,sursonbuste,sonventre,etplusbasencore.Quandilatteignitl’endroitsecretentresescuisses,illevalespaupièrespourrencontrersonregard

tandisqu’il glissait undoigt en elle.Lesyeuxdans les siens, il la caressadansun incessant et tendremouvement de va-et-vient, jusqu’au moment où chaque souffle qu’elle exhalait ne fut plus qu’unhalètementetoùelleondulafrénétiquementcontreluienchuchotantsonprénomdansunsanglot.Puisellejouit, la tête en arrière, criant sonnomencore et encorependantque leplaisir déferlait en ellevagueaprèsvague,avantdes’effondrercontrelesoreillers,pantelante.

Ilsepenchasurellepourembrassersabouche.—Jeveuxêtreenvous,dit-ilsanscesserdelacaresser.Levoulez-vousaussi?Ellehochalatête.—Oui.Oh!oui!—Alorsvenezsurmoi.Ilguidasesgesteslorsqu’elleécartalescuissesau-dessusdeshanchesdeStuartpourintroduireson

sexerigidedanssoncorps.

Elle le sentait à présent en elle, si brûlant.Le chevaucher avait quelque chosed’exaltant, et ellegémit,penchéeverslui.

Il émit un son rauque en haussant les hanches pour la presser de continuer.Comprenant ce qu’ilvoulait,ellecommençaàbouger,sesoulevantets’abaissantau-dessusdelui.

—Oui, Edie, l’encouragea-t-il en soulevant les reins vers elle encore et encore.Oh ! oui, c’estcela!

Ellesemouvaitenrythmeaveclui,lesyeuxfixéssurlui,savourantcetoutnouveaupouvoirdeluidonner du plaisir. Lorsqu’il vint enfin, elle se glorifia de sa jouissance, et quand ce fut fini et qu’ils’enfonça en elle d’une dernière poussée vigoureuse, elle le suivit jusqu’à ce sommet-là avant debasculerdansl’orgasme.Alors,tandisqu’elles’étendaitcontreluidanslablancheurdesdraps,lenomdeStuartjaillitsurseslèvrestelundouxsoupircontenanttoutcequ’elleressentait,toutsonamourpourlui.

—Aprésent,c’estdit,murmura-t-il lorsqu’ilsfurentallongéscôteàcôte, lesdoigtsentrelacésetlesyeuxauplafond.Jenemèneraiplusjamaisladanse.

—Biensûrquesi.Etselaissantroulersurlecôtépourleregarderenface,ellesourit:—Detempsentemps!

Epilogue

Highclyffe,onzemoisplustard

—Pourquoifaut-ilquevouspillieztoujoursmonassiette?grondaEdiecommeStuartpiochaitunmorceaudebaconsursonplateau.

—ParcequejesuistoujoursdansvotrelitquandReevesvousapportevotrepetitdéjeuner,voilàpourquoi!

Ilsouritsanslemoindrerepentir,etenfournalatranchedebacondanssabouche.Edierenifla.—Vouspourriezvousfairemonterunplateauséparé,ilvoussuffitdedemander,observa-t-elleen

s’emparant du Daily Sketch, dont un exemplaire avait été placé près de son assiette comme àl’accoutumée.

—Jepourrais,maisc’estbienplusamusantcommeça,affirmaStuart.Il se pencha pour l’embrasser,mais Edie ne lui en assena pasmoins une tape sur lamain pour

empêcherunnouveauvoldebacon.—Ilvadoncfalloirquejemefassemonterunplateau,soupira-t-iltandisqu’elleouvraitlejournal.

Puisquevousêtessiradine!IltenditlamainpoursonnerReevesmaiss’arrêtaàmi-parcoursenentendantEdie.—Oh!monDieu!—Qu’ya-t-il?demandaStuart,surpris.Edielevalesyeuxdesonjournaletposasurluiunregardstupéfait.—FrederickVanHausenestmort.Stuarthaussaunsourcil.C’étaitlàunesuiteàlaquelleilnes’attendaitpas.—C’estvrai?Hochantlatête,ellereportasonattentionsurlejournal.—Ils’esttiréuncoupdepistoletilyaquatrejours.—Ils’estsuicidé?Stuartréfléchit.Biensûr,ilsavaitquelavéritéallaitbientôtêtredivulguée.Lederniertélégramme

deJackenvoyédepuisNewYorkavaitétélaconiquemaisclair:

POISSONPRISSTOPREVELATIONPUBLIQUEIMMINENTE

MaisStuartn’avaitpasenvisagéun instantqueVanHausenpûtsesuicider.L’humiliation,oui.Laruine,d’accord.Laprison,trèsprobablement.Maislesuicide?Non,iln’avaitpasdutoutimaginécela.

—Ilaétéimpliquédansunesorted’escroquerieconcernantdesplacements,précisaEdieaprèsunmoment.

—Vraiment?fitStuartenessayantd’adopteruntonsurpris.Plutôtchoquant!—Oui.Ilavaitpersuadésesamisetsesassociés,ainsiquecertainsinvestisseursanglais,demettre

del’argentdansunecompagniequ’ilvenaitdefonder,poursuivit-elle, lenezdanssonjournal.Mais ils’estavéréquec’étaituneescroqueriedesapart.Lescandaleétaitsurlepointd’éclateretdeleruiner.Ilauraitdûallerenprison.

Stuartsourit.—Ainsi,ils’esttuéplutôtqued’affrontercela.

—Detouteévidence.Ilavaitentenduparlerdecertainesminesd’oretavaitcrééunesociétépourleurexploitation,maisils’esttrouvéenfindecomptequelesminesnecontenaientpasd’or.Onpensequ’illesavaitdepuisledébut,mais…

Ellesetutbrusquementetposasursonmariunregardavisé.—LesminesétaientsituéesenAfriqueduSud!Stuart,avez-vousquelquechoseàvoiraveccette

histoire?—Ehbien…Ilpritletempsderéfléchiràsaréponse.—Disonsquej’aidisposélespions,ouplutôtlespersonnesqu’ilfallaitpourlemenertoutdroitoù

jevoulaisqu’ilaille,voyez-vous?Ellesecoualatête,visiblementperplexe.—Quevoulez-vousdire?Quellespersonnes?— Mes amis. Lord Trubridge, lord Featherstone, lord Somerton et lord Hayward sont les

investisseurs anglais qu’il a escroqués. Votre père nous a été d’une aide inestimable pour ce quiconcernaitNewYork.

—Monpère?VousavezentraînéPapalà-dedans?—Biensûr.IlnesaitpascequeVanHausenvousafait.Maisquandjeluiaidemandé,ilyaonze

mois,s’ilvoulaitsevengerdel’ignobleindividuquiavaitdétruitvotreréputation,ilaacceptéavecjoie.—Vousavezarrangécelailyaprèsd’unan?—C’estalorsquej’aicommencé,oui.Ilafallucetemps-làpourquetouteslespiècessemettenten

place.Etrencontrantsonregardpar-dessuslejournaldéployé:—Jevousavaisbienditqu’ilpaieraitpourcequ’ilvousafait.C’estlecas,maintenant.Plusqueje

nel’avaisespéré.Elle baissa le quotidien, dévisageant Stuart comme si elle n’arrivait pas tout à fait à intégrer la

réalité.—JemedemandesiPapasaitqueFrederickestmort…—Commeilestentraindenaviguersursonyachtducôtédesîlesgrecquesavecsamaîtresse,j’en

doutebeaucoup.—Maisilvousaaidéàfairecela?—Ilasautésurl’occasion.Ilyavaitlongtempsqu’ilvoulaitfairequelquechosedecegenre.En

fait,toutleplanconcernantlesinvestissementsétaitsonidéeàlui,carilsavaitqueVanHausenétaitdelagrained’escroc.Maisilnepouvaitmettreenœuvreuntelstratagèmetoutseul,carbienqu’ilaitunefilleduchesse,ilnepossédaitpasassezd’influencedanslasociétédesknickerbockerspourmenertoutcelaàbien.C’est làquesont intervenusmesamisanglais titrés,quisesontdoncrendusàNewYork.LadyAstoretsasociétébéaientd’admirationpoureux.J’aiouïdirequeJacklaflattaitoutrageusement.

—Cequ’elleadûapprécier,jen’endoutepas.Cettefemmeadoreêtreencensée.—ElleadoncprésentémesamisàVanHausen,ainsiqu’àbeaucoupd’autresdesescontacts.Vous

connaissezlasuite.—MaisFrederickadûserenseignersurvosamis.Commentn’a-t-ilriensoupçonnéendécouvrant

qu’ilsvousconnaissaient?—Ilsétaientcensésêtrebrouillésavecmoi.Noncontentd’avoirépousépoursonargentunefemme

quin’étaitpasdemonrang,j’étaisrentréd’Afriqueetvoulaisavoirdesenfantsavecelle!VanHausenacrutouscescomméragessanssourcilleretnes’estpassouciédecreuserdavantage.Etquandilaentendu

direparmesprétendusex-amisquej’avaisdécouvertdesminesd’orenAfriqueetqu’ilssouhaitaientmedamerlepion,VanHausens’estempressédecréerlacompagnie.

Stuartobservaunepauseavantdepoursuivre:—Jepenseque,pourlui,l’idéedeprendrel’avantagesurmoiajoutaitàl’attraitdelachose.—Pourquoi?Parcequecelaravivaitsonplaisird’écraserunepetiteparvenuecommemoi?—Quelquechosedecegenre,fit-ilavecdouceur.—Alorsvousl’avezruiné.—Nousluiavonsdonnéunechanced’échapperaupiège.Unrapportd’ingénieurdévoilaitqueles

mines ne contenaient pas d’or. S’il avait eu un grain de bon sens, Van Hausen se serait retiré enl’apprenant. Ilaurait renduleurargentauxinvestisseursetpassésonchemin.Mais ils’estobstinéetagardél’argent,qu’ilainvestiailleurs—surdediscretsconseilssoufflésparmesamisauxsiens,bienentendu—,puisilatoutperdu.Ilacommisunefraudeetc’estalorsquenousl’avonsprissurlefait.

Edieréfléchit.—Maisvousnepouviezpassavoirqu’ilpréféreraitsetuerplutôtqued’allerenprison?Stuartsecoualatête.—Non,bienquecenesoitpassurprenantenfindecompte.C’étaitunlâche.C’étaitaussiuntype

cupide,égoïsteetinsignifiant,quivoulaitdevenirimportant.Ilcroyaitavoirdesdroitssurcequineluiappartenaitpas.L’argent,lesuccès.

Etregardantsonépousedanslesyeux:—Lesfemmes.Elleacquiesçad’unhochementdetête,songeuse.—Etvosamisontfaittoutcelapourvous?—Oui.Jeneleuraipasracontécequ’ilvousétaitvraimentarrivé.Iln’ajoutapasquesesamisavaientcertainementdevinécettepartie-làdel’histoire.—Ilsn’avaientpasbesoind’enconnaîtrelesdétailspourêtreàmescôtés.Ilssavaientquevotre

réputationavaitétéruinéeetvotrehonneurtraînédanslaboue.Noussommestousdesanciensd’Eaton.L’honneursignifiebeaucouppournous.

—Maiscequim’estarrivés’estpasséunanavantquevousnem’épousiez,etilsvousonttoutdemêmeaidéàmevenger?

Stuartsourit.—Cesontdesacrésbonsamis.—Pensez-vousqueFredericksesoitrenducomptequec’étaitvousl’instigateurdetoutcela?—J’endoute,maisc’estsansimportance.Edieparutsurprise.—N’auriez-vouspaspréféréqu’ilsachequec’étaitvous,àlafin?Ilhaussalesépaules.—Pourquoi?Ilmesuffisaitdeluifairemordrelapoussière.Elleémitunsonétouffé,entrerireetsanglot.—Etvousavezfaittoutcelapourmoi.Oh!Stuart!—Machérie…Ilretiraleplateauqu’elleavaitsurlesgenouxetluiouvritlesbras.Ellelâchalejournaletseprécipitaverslui,levisageenfouicontresapoitrine.Ilsentaitsoncorpstremblersousl’effetdelanouvelle.—Jen’arrivepascomplètementàycroire,murmura-t-elle.Ilestmort.Ilestmort.—Oui.

Illuicaressaledosetdéposaunbaiserdanssescheveux.—Tout va bien, Edie.C’est fini. Il ne peut plus vous faire demal, ni à vous ni à aucune autre

femme.Plusjamais.Ellerelevalatête,frappéeparcesmots.—Ilyenaeud’autres?Etcommeilnerépondaitpas:—Dites-moi!—Ilyenadeuxpourlesquellesjesuiscertain.Danslesdeuxcas,celas’estpasséavantvous,dans

des circonstances semblables.Mais sonpère est parvenu à étouffer l’affaire, car les filles étaient desdomestiques.Illesapayéesetrenvoyées.Mais…

Stuarthésita.Iln’avaitpasenviedeluiracontercela,maisilluiavaitpromisdetoujoursluidirelavéritélorsqu’ellelademanderait.

—Maisilestpeuprobablequ’unhommetelqueluis’arrête,expliqua-t-ilaussidélicatementquepossible.

—Jen’aijamaispenséqu’ilpouvaityenavoird’autres.J’aitoujourseulaconvictionquec’étaitmoi,quelquechosequej’avaisfait,quelquechosedansmonattitudequi…avaitdéclenchélachoseenlui.Lefaitquejemesoismontréeaguicheuseou…ouquej’aieacceptéunrendez-vous.J’avaisdûluidonnerunespoir,oul’encourager,ou…

—Non,machérie,l’interrompitStuart.Sesactionsn’avaientrienàvoiravecvotrecomportement.Rienn’étaitvotrefaute.

—Maisilyaeusansdouted’autresfemmesàquiilafaitdumalaprèsmoi?Oh!non,non,gémit-elled’unairconsterné.J’auraisdûlesavoir.J’auraisdûfairequelquechose.

—Non,Edie,non…,protestaStuart.Enserrantsonvisagedanssesmains,ilessuyaseslarmesavecsespouces.— J’aurais dû dévoiler à la face dumonde ce qu’il m’avait fait, afin que les autres femmes le

sachentetseméfientdelui.—Etqu’est-cequivous faitpenserqu’onvousaurait crue?Etantdonné sapositionet lavôtre,

vousaurait-onécoutée?Non.Vousnepouviezoffriraucunepreuve.Sivousaviezclaméqu’ilvousavaitforcée,vousauriezdûaffronterencoreplusdeblâmeetd’humiliation.Pourlasociété,ceschoses-làsonttoujourslafautedelafemme,surtoutqu’ils’estarrangépourquevousarriviezaupavillonaprèslui.Jesuissûrqu’ilavaitconvenudecelaavecvousdélibérément.

Ellehochalatête.—Oui,c’étaitsonidée.Ensuite,ilaprétenduquej’avaisessayédeleprendreaupiège.—Ehbien,vousvoyez?Sivousaviez racontéà tout lemondecequi s’étaitvraimentpassé, la

société vous aurait davantage condamnée pour votre indiscrétion que lui pour son acte.Quant à vousvengerdelafaçondontjel’aifait,vousn’auriezpuréunirungrouped’investisseurspourfairetomberVanHausen.Mêmevotrepèren’auraitpaseul’influencenécessairepouryarrivertoutseul.

—Mais…Ilpressaunpoucesurseslèvres.—Ecoutez-moi,Edie.Vousnedevezpasvousaccablerdereproches.Vousavezjugéavecraison

quevousnepouviezrienfairesinonletuer.Maissivousvousétiezfaitprendre,vousauriezétépendueouenvoyéeenprison.IlvousfallaitpenseraussiàJoanna.Etmêmesivousn’aviezpasétéprise,auriez-vouspuvivreavecunmeurtresurlaconscience?

Ilsecoualatête.

—Non,c’étaitàmoidevousvenger.Jel’aisudèsl’instantoùj’aiappriscequ’ilvousavaitfait.J’auraisvoulupouvoirtouteffaceretfairequecelan’aitjamaisété,mais…

—Touteffacer?Cen’estpascequejedésire,Stuart,interrompit-elleens’asseyant.Ilplissalefront.—Biensûrquesi!—Maisnon, jene regrettepasquece soit arrivé.En fait, ajouta-t-elle enpesant sesmots, si je

pouvaisrevenirenarrièreetchangerlesévénements,jeneleferaispas.—Quoi?Il ladévisagea,éberlué.Voilàunanqu’ilsvivaientensemble,et ilarrivaitencoreàEdiedetenir

desproposquilesidéraient.—Vousn’êtespassérieuse?—Mais si. Aussi terrible que cela ait été, si ce n’était pas arrivé, je ne serais pas venue en

Angleterreetjenevousauraisjamaisrencontré.Ilsecoualatête.—Peut-être.Maistoutdemême…—Rappelez-vouscequevousm’avezditicimêmedanscettechambre—quecelavousétaitégal

deboitertoutlerestedevotrevieparceque,sicettelionnenevousavaitpasdéchiquetélacuisse,vousneseriezpeut-êtrejamaisrentréàlamaison?

Ellesouritenluicaressantlevisage.—Ehbien,jeressenslamêmechose.Mêmedupireilpeutsortirdubien.Mêmecequiestsordide

oudouloureuxpeutmeneràquelquechosedebeau.Stuart sentit sa poitrine se serrer à la vuede cette beauté qu’il avait là, sous les yeux, et que le

destinluiavaitfaitlagrâcedeluimontrer.—Dieu,commejevousaime!—Moiaussijevousaime.Ellel’embrassa,puisselaissaretombersurlesoreillers.—Cecidit,jen’iraipasjusqu’àdirequelamortdeFrederickVanHausennemefaitpasplaisir.—Jesuisbiend’accord,répondit-il.Ilsecarracontreelleetfermalesyeux.Aussitôt,l’imagedeVanHausenintroduisantlecanond’un

pistoletdanssaboucheluivintàl’espritetillasavoura—justeuninstant.C’étaitterminé,enfin.Ilétaittempsd’oublier.

—Stuart?Edieposalamainsursapoitrinenue,etilrouvritlesyeux.—Aquoipensez-vous?Ilregardaalorssafemme,danssachemisedenuitblancheaumilieudesdrapsetdesoreillersde

plumes,avecsachevelured’orrouxincandescentedanslalumièrematinale.—Jepenseàtoutcedontj’ailieudemeréjouir.Jemeréjouisd’êtrealléaubaldeHanfordHouse.

Jemeréjouisquevousm’ayezsuividehorspourmedemanderenmariage.Jemeréjouismoinsquevousayezréduitmonamour-propreànéant,mais…

—Oh!vousenaviezbesoin,interrompit-elle.Vousétiezsiterriblementinfatuédevous-même!Illuisaisitlamainetpressaunbaiserdanssapaume,heureuxdelasentirtremblerenréponse.—Jemeréjouisquevousaimiezquejevousembrasselamain.Jemeréjouisquevousayezfait

avecmoicetabsurdeparidesdixjoursetm’ayezdonnéainsiunechancedevousconquérir.—Celafaitbienplusdedixjoursàprésent,observa-t-elle.

Et repoussant lesdrapsquicouvraient lebasdesoncorps,elle remontasachemisedenuitet seplaçaàcalifourchonsurStuart.

—Celafaittroiscenttrentejoursetdespoussières.—Oui,etvousessayezencoredemenerladanse,àcequejevois.Ilsepenchaenavantpourl’embrasser,maisellel’arrêta.—Celavousplairait-il?demanda-t-elle.Demenerladanse,jeveuxdire?—Celadépend,répondit-ilcommeiljouaitavecl’undesboutonsdenacredelachemised’Edie.

Aimeriez-vouscela?—Oui,Stuart.Jecroisqueoui.IlsouritenfaisantglisserlesboutonshorsdeleursboutonnièresetsaisitEdiepourlacouchersurle

dos.Ilécartaalorslesdeuxpansdesachemisedenuitpuis,lentement,sepositionnasurelle.—Tantquevousvousrappelezladifférence,machérie…—Jen’aipasbesoindemelarappeler,Stuart.Ellefermalesyeuxensouriant,ettournalatêtepourqu’ilpuisseluiembrasserlecou.—Jelesaisdansmoncœur.

***

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TITREORIGINAL:HOWTOLOSEADUKEINTENDAYS

Traductionfrançaise:Marie-FranceBalazs-Knopp

HARLEQUIN®

estunemarquedéposéeparleGroupeHarlequin

VICTORIA®

estunemarquedéposéeparHarlequin

©2014,LauraLeeGuhrke.

©2016,Harlequin.

Levisueldecouvertureestreproduitavecl’autorisationde:

Femme:©ARCANGEL/REKHAGARTON

Réalisationgraphiquecouverture:C.ESCARBELT(Harlequin)

Tousdroitsréservés.

Publiéavecl’aimableautorisationdeHarperCollinsPublishers,LLC,NewYork,U.S.A

ISBN978-2-2803-6280-1

Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.

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