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A PROPOS DE L’AUTEUR - ekladata.comekladata.com/9b8GADJ7pqmcn1jOP2PK4ShCtxg/Trois_cow... · mars et les chiffres semblaient prometteurs. ... sans prendre la peine de lui dire un

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APROPOSDEL’AUTEUR

AuteurdenombreusesfoispriméedansleNewYorkTimesetdansUSAToday,JenniferRyanaimeécrire des romances à suspense ainsi que des romances contemporaines se déroulant dans de petitesvilles.Quandellenedonnepasvieauxnombreuxpersonnagesfictifsprésentsdanssonimagination,elleprofitedesontempslibrepourseplongerdansunemultitudedelivres.

1

NewYork

Troisjourssansnouvellesdesasœur.Pasunappel.Pasmêmeuntexto.Ellafixasontéléphonemobiled’unœilinquiet,priantpourqu’ilsonne.Nerveusement,elletapota

l’écranduboutdesdoigtsetréprimasonenvied’appelerLelapourlacentièmefoiscematin.LecaféétaitbondédeNew-Yorkaisprenantunpetitdéjeunersurlepouceavantd’allertravailler.

Indifférente au bruit, Ella sirota une gorgée de son expresso, tout en feuilletant le rapport sur lesprévisionsdecroissancede lanouvelle lignedeproduits cosmétiques.Le lancementétaitprévudébutmarsetleschiffressemblaientprometteurs.

Ellesursautaquandsontéléphonesemitàvibrersurlatable.—Enfin!murmura-t-elleavecunsouriresoulagéenvoyants’afficherlenomdesasœuràl’écran.Elledécrocha.—Oùes-tuallée?tonnalavoixd’onclePhillipàl’autreboutdufil.Surprise,ellesefigea.Pourquoil’appelait-ilavecleportabledeLela?Etpourquoicettequestion?Ellel’avaitcroiséla

veilleausoirdansleurappartementnew-yorkais.Commeelleouvraitlabouchepourrépondre,ilhurlapresque:—Répondsquandjeteposeunequestion!Jeterappellequec’estmoiquidirige.—Erreur,mononcle.Vousnedirigezriendutout.C’estEllaetmoiquidétenonslasignaturepour

toute décision concernantWolf Enterprises et notre patrimoine.Vous êtes là uniquement en qualité detuteur,pourveilleràcequenousrespectionslesclausesdutestament.

Cettefois,c’étaitlavoixdesasœur,réalisaElla,éberluée.—Vousn’avez jamaiseuaucunpouvoir, repritLela.Maisvousêtesprêt auxpiresabominations

pourvousl’approprier,n’est-cepas?Ellan’avaitjamaisentendusasœurparlerainsiàleuroncle.Avectantd’insolenceetdemépris.Et

qu’entendait-ellepar«piresabominations»?Etpourquoiavait-ellecomposésonnumérodeportablesansprendrelapeinedeluidireunseulmot?

—Lela,c’estmoi.Quesepasse-t-il?Pas de réponse. Seule la voix d’oncle Phillip retentit de nouveau. Une voix d’une douceur

menaçante,àprésent.—Tunesaispascequeturacontes,chérie.Jenelerépéteraipasdeuxfois.Soisgentilleetdis-moi

oùtuesallée.

—Jesuisalléefouillerdanslepassé.Etj’aidécouvertcequevousavezfait.J’aidécouvertvotrevilainpetitsecret.

Quelsecret?Ella sentit son estomac se nouer. La sensation de malaise éprouvée ces trois derniers jours

s’intensifia. Sans perdre une seconde, elle se leva, fourra le rapport qu’elle lisait dans son sac, réglal’additionetseprécipitaverslasortie,letéléphonecolléàl’oreille.

L’appartementn’étaitqu’àdeuxminutesdesoncaféfavorioùelleprenaitsonpetitdéjeunertouslesmardismatin,jourdecongédesdomestiques.Ellesemitàcourirlelongdutrottoir.

—Vousnevousentirerezpascommeça,repritlavoixdesasœur.Unevoixtremblantederage.OrilenfallaitbeaucouppourexaspérerLela.Qu’avaitdoncbienpu

faireleuroncle?—Tun’asaucunepreuve,répliquacedernieravectoujourscettemêmedouceurterrifiante.Ellasentitl’angoisselasubmerger.Lapreuvedequoi?Ilne s’agissait pasd’une simpledispute àproposde l’entreprise.Bousculant lespiétons sans se

soucierdeleursprotestations,ellesefrayauncheminjusqu’àl’entréedel’immeuble.—Justementsi,affirmaLela.J’ailapreuve.— Tu bluffes, répliqua oncle Phillip avec un petit rire méprisant mais où perçait une note

d’inquiétude.Ella entra en trombe dans le hall d’entrée sous le regard médusé du concierge et se rua vers

l’ascenseur.—Oùestcettepreuve?Montre-la-moi.Elleappuyafrénétiquementsurleboutond’appeldel’ascenseur.Vite…Vite!Lesportess’ouvrirent.Elleseprécipitaàl’intérieurenpriantpournepasperdreleréseau.—Jenesuispasidioteaupointdel’avoirapportéeicipourquevouspuissiezlafairedisparaître,

mononcle.Croyez-moiounon,vousserezderrièrelesbarreauxavantlafindelajournée.—Ettoi,dansunetombe.Ella sentit son sang se figer dans ses veines. Ce ton menaçant, glacé. Ce n’était pas celui de

l’hommequ’elleconnaissait.Elleentenditunclaquement,puislecriétranglédesasœur.Impossible.OnclePhillipneseseraitjamaispermisdegiflerLela.Pourtant…—Qu’as-tutrouvé?lançacedernierd’untonvibrantderage.—Tout,réponditLela.Maisdequoiparlait-elle?—Situmemens…—Lâchez-moi!C’esttroptard.Jevousenprie,empêchez-lede…—Inutiledelesupplier,rétorquaonclePhillip.Ilyavaitquelqu’und’autreaveceux?Tétanisée,letéléphonecolléeàl’oreille,Ellaavaitl’impressiondevivreuncauchemar.—Ilne lèverapas lepetitdoigtpour t’aider, espèced’idiote, reprit leuroncle. Il travaillepour

moi.Tout lemondetravaillepourmoi.Tuesalléefouiner làoùilnefallaitpas.Çavatecoûtercher.Trèscher.

Denouveauleclaquementsecd’unegifleetlecrideLela.—C’esttadernièrechance,rugitonclePhillip.Dis-moioùsetrouvecettefichuepreuveetpeut-être

memontrerai-jemagnanime.Jeferaiensortequetunesouffrespas.Sinon,jeprendraitoutmontemps.—Vous ne vous…en… tirerez…pas…comme…ça, hoquetaLela.La vérité éclatera au grand

jour.Lesloupspeuventhurler,jen’aipaspeur.Allezaudiable!

Quelque chose dans la façon de s’exprimer de sa sœur frappa Ella, mais là, tout de suite, soncerveaun’arrivaitpasàtraiterl’information.

«Jet’ensupplie,Lela,sorsdelà.»Le cœur battant à tout rompre, elle tapa du plat de lamain contre les portes de l’ascenseur qui

s’ouvrirentbrusquement.—Dernièrechance,laissatomberonclePhillipd’unevoixmenaçante.Oùl’as-tucachée?Ella sentit le sol se dérober sous elle. Elle courut jusqu’à la porte d’entrée, l’ouvrit et faillit

trébuchersurlavaliseetlesacàmaindeLelaabandonnésaumilieuduhallavecsonmanteau.Elleéteignitsontéléphoneetsetournaversl’endroitd’oùprovenaientlesvoix.—Jenevouslediraipas!réponditLela.Ellatraversalesalonetcourutverslesportesouvertesdelabibliothèque.Ellesefigea,leregard

rivésurlebrasdesononcleetlerevolverdanssamain,dirigésurlapoitrinedesasœur.Lerubisrougesangduboutondemanchettequiavaitappartenuàleurpèreétincelaitdanslalumière

matinaleinondantlapièce.—Dis-le-moi!hurlasononcle.—Jamais!—Danscecas,tunem’esplusd’aucuneutilité.Uncoupdefeuclaqua.Ellaeutlasensationquesestympansexplosaient.Ellevitsasœurreculersousl’impact,osciller,le

sangs’étendresursarobedesoiecrème,teluncoquelicot.Ellelavits’écroulerlentementsurlesol.Underniersoubresautagitasesjambes.Puisplusrien.

Horrifiée,ellesefigeaàquelquesmètresduseuildelabibliothèque.—Merde,c’estn’importequoi!s’exclamaunevoixd’hommeàl’intérieurdelapièce.L’inspecteurRobbins.Quefaisait-ilici?Pourquoin’était-ilpasintervenu?L’instinct de survie l’emportant sur la sidération, Ella se retira derrière l’une des portes pour

échapper au regard des deux hommes. Elle ne comprenait plus rien. Son oncle venait de tuer Lela.D’assassinersaproprenièce.Non,cen’étaitpaspossible…Elleregardaparlafenteentrelaporteetlechambranle.

OnclePhillipétaitàprésentpenchésurLela,l’indexposésursoncou.—Elleestmorte,dit-il.Sij’avaiseuletemps,jel’auraisfaitparler.—Ditesplutôt:sivousn’aviezpasperduvotresang-froid,intervintRobbinsd’untonrageur.Ella ferma brièvement les yeux. Elle sentit son cœur enfler comme s’il était sur le point d’être

arraché de sa poitrine. Sa sœur jumelle, sa moitié était… morte. Un vide immense l’engloutit. Ellecouvrit sa bouche des deux mains pour retenir le cri de souffrance qui montait en elle. Ses yeuxs’emplirentdelarmesetlevisagedeLelas’ynoya.

Oncle Phillip se redressa, tira sur ses poignets de chemise et passa la main dans ses cheveuxgrisonnants.Puisilsetournaverslaporte.Ellaretintsonsouffle,lesangbourdonnantàsesoreilles,lecœurbattant.

—Cette idioten’apas su s’arrêter, reprit-il en tirant unmouchoir de sapochepour essuyer sonvisageensueur,dépourvuderidesgrâceauxinjectionsrépétéesdeBotox.

—Vousavezdelachancequ’ellem’aitappelé,persuadéequ’entantqueflicj’étaisforcémentdesoncôté.

—Ellevousaditcequ’elleavaittrouvé?—Non.Ellem’aseulementdemandédepasserlavoiricidetouteurgence.Ellesemblaitcertaine

decequ’elleavaitdécouvertsurvous.Sielleenaparléàquiquecesoit,vousêtesfichu.—Voustomberezavecmoi,Robbins.N’oubliezpasnotreaccord.

Ellavitl’inspecteurs’approcherdesononcleetbaisserlesyeuxsurLela.—Etmaintenant,qu’est-cequ’onfait,aveccecorpssurlesbras?Tremblantedepeuretdedouleur,Ellaréprimaunhaut-le-cœur.—Laissez-moiréfléchir.—Ilnousfautàtoutprixtrouvercettepreuve,grommelaRobbins.Nousdevonsdécouvrirceque

votrenièceafaitcesderniersjours.Oùelleestallée.Quielleavu.Elleaforcémentcachécettemauditepreuvequelquepart.Ilsuffitdesavoiroùetdelarécupérer.

—Plusfacileàdirequ’àfaire.C’étaitunefilleintelligente.—Pasassez futéecependantpourpenserque jepuisseêtredans lecoup,observaRobbinsavec

cynisme en heurtant le corps de Lela du bout de sonmocassin italien. Bon sang, où a-t-elle bien puplanquercettesatanéepreuve?Vouscroyezqu’elleenaparléàsasœur?

—Celam’étonnerait.Pasplustardqu’hiersoir,Ellam’ademandésijesavaisoùétaitsasœur.JesuisquasicertainqueLelaaagiseule.

—Quasicertain,çanesuffitpas,maugréaRobbins.Sivousaviezunpeumieuxbrouillélespistes,nousn’enserionspaslà.

Ellasentaitlatêteluitourner.Soncerveaunetraitaitpluslesinformations.Elledevaitprévenirlapolice, leurdemanderd’arrêter lesmeurtriersdesasœur.Mais l’inspecteurRobbinsétait là…C’étaitlui,lereprésentantdelaloi…Pourtant…

Il y eut un silence et, l’espace de quelques secondes, elle fut certaine qu’ils entendaient sarespirationhachée.Ellesursautaquandsononclerepritlaparole.

—Voilàlescénario,Robbins,dit-ild’untonétrangementcalme.NotrestudieuseetréservéeLelaaobtenusonmasterendroitettravaillecommecadrechezWolfEnterprisespoursatisfaireauxclausesdutestament et mériter sa place dans la multinationale créée par son défunt père. Malheureusement, sajumellenesefatiguepasautant.Ellesecontentedetravaillerauserviceducourrieretd’effectuerdespetits boulots pour l’entreprise. Alors,même si les conditions sont remplies pour qu’elles héritent etprennent très prochainement la direction de Wolf Enterprises, le jour de leur vingt-cinquièmeanniversaire,c’estlapauvreLelaquisecoltinetoutleboulotetportelepoidsdesresponsabilitéssursesépaules. Forcément, elle finit par en avoirmarre. Elle se dispute avec sa sœur, icimême, dans cettepièce.Commeàsonhabitude,Ellaafaitlafêtetoutelanuit.Elleabuetn’aplustoutesatête.Ladisputes’envenime.Toutlemondeicisaitquejegardeunrevolverdansletiroirdecebureau.Ellaleprendettiresursasœur.Affolée,elleacependantlaprésenced’espritdemaquillersoncrimeenuncambriolagequiamaltourné.

— Quel horrible drame ! s’exclama Robbins dans un ricanement. Les héritières Wolf étaientpromisesàunsibelavenir.

—Occupez-vousdelamiseenscèneducambriolage.PuisallezchercherEllaetemmenez-ladansunhôtel.Pasunbouge,maispasunhôteldeluxenonplus.Elleestcenséesecacher.Faitesensortequelachambresoitcelled’unefillequiboitetquisedrogue.Folledechagrinetderemords,ellefinitparsesuicider.Personnenes’enétonnera.Usezdevotreinfluenceauprèsdevoscontactschezlesflicsetàlamorgue,pourfaireensortequetoutl’accusedumeurtredesasœur.

—Toutcecidépasselargementlecadredenotreaccord,observaRobbins.—Vousnem’êtespasindispensable,inspecteur.J’aid’autrescontactsaussibienplacésquevous,

prêtsàfairelenécessairesansciller,dumomentquejepaie.Alors?—C’estbon,jem’enoccupe.—Jeveuxquetouteslespiècesàconviction,touslesrapportsdepoliceetlesarticlesdepresse

viennentcorroborerlescénarioquejeviensdevousindiquer.L’espritcommeanesthésiéparladouleur,Ellavitsononcles’agenouillerprèsducorpsdeLelaet

seservirdesonmouchoirpourluiôtersesbouclesd’oreillesendiamantsetl’émeraudesertiedesaphirs

qu’elleportaitàsondoigt.Labaguedefiançaillesdeleurmère…Ildégrafaégalementlependentifenformedecœur.

Ellaportaitlemême.Instinctivement,ellecrispalesdoigtssurlesien.Puisiltenditlesbijouxàl’inspecteur,sauflependentifqu’ilglissadanssapoche.—Quecomptez-vousenfaire?demandaRobbins.—Çameregarde.Contentez-vousdefairevotreboulot.Celuipourlequeljevouspaieunefortune.Ellavitsononclesetournerverslebureaupouryprendreunepoignéedemouchoirsenpapieravec

lesquelsilessuyalacrossedurevolver,avantdel’yenvelopperetdeletendreàl’inspecteur.—Mettez-ledanslachambred’hôtelaumilieudesbouteillesvidesetdeladrogue.Faitesensorte

quelerapportmentionnelesempreintesd’Elladessus.Vousavezjusqu’àdemainmatinpourlaretrouveretlaliquider,avantquelesdomestiquesdécouvrentlecorpsdesasœur.

Glacée d’horreur, Ella n’arrivait toujours pas à croire ce qu’elle entendait, ne voulait pas lecroire…Maissoninstinctluihurlaitdesesauver.Vite.

ElleregardaLelaensuppliantlecieldetoutesonâmepourqu’elleouvrelesyeuxetquetoutcecinesoitqu’unmauvaisrêve.Maissasœurnebougeapas.

Alors, elle inspira profondément, luttant pour garder le contrôle de ses nerfs. Elle s’écartasilencieusement de la porte en longeant lemur pour rester hors de vue, puis se précipita vers le halld’entrée.

—Nomd’unchien,c’estquoiça?entendit-elletonnerRobbins.Merde!Elleaappelésasœur.Seigneur!Ilsavaienttrouvéletéléphone!Paniquée,ellejetauncoupd’œilverslaported’entréelaisséegrandeouverte.«S’ilstedécouvrent,tuesmorte.Ressaisis-toi.TudoisvivrepourvengerLela…»Sansperdreuneseconde,ellegagnalehall, récupéra lavalise, lesacàmainet lemanteaudesa

sœur. Doucement, elle referma la porte d’entrée derrière elle et courut jusqu’à l’ascenseur. Elle s’yengouffra.Adosséeàlaparoi,ellefermalesyeuxpourréprimerseslarmes,ravalerlecriderageetdeterreur qui enflait dans sa gorge. Lorsque les portes s’ouvrirent, elle s’obligea à ralentir en passantdevantleconcierge.

—Laissez-moivousaider,mademoiselleWolf.Machinalement,elleenfilasesbrasdanslesmanchesdumanteaupréférédesasœur—lesien,elle

l’avaitoubliéaucafédanssondépartprécipité.LeparfumdeLelal’enveloppa.Ellerefoulaseslarmes.Leconciergehélauntaxi.Ellejetasesaffairessurlabanquettearrièreets’yglissa, leregardrivésurl’entréedel’immeuble,persuadéequel’inspecteurRobbinsallaitsurgird’unesecondeàl’autre.

—Jevousdéposeoù?Laquestionduchauffeurlapritdecourt.Lechagrinetlapeurluibrouillaientl’esprit.Ellenesavait

plusoùaller,versquisetourner,àquifaireconfiance.Ellenepouvaitprendrelerisqued’allerchezunami.Ceseraitlemettreendanger.Detouteévidence,l’inspecteurRobbinsnereculeraitdevantrienpourlaretrouver.

Sonregardtombasurl’étiquetteaccrochéeàlapoignéedelavalise.BZN.Elleneconnaissaitpasce code d’aéroport. Les doigts tremblants, elle ouvrit le sac à main de Lela posé sur ses genoux. Ilcontenaitunbilletd’avion.AéroportBozeman,dansleMontana.

«OhLela,pourquoies-turetournéelà-bas?»Ellesn’avaientpasremislespiedsdansleranchfamilialdepuisdixlonguesannées,depuisqueleur

pères’étaittuédansunaccidentd’avion.— Je vous dépose où ? répéta le chauffeur de taxi en lui jetant un coup d’œil perplexe dans le

rétroviseur.—Al’aéroportdeLaGuardia,réussit-elleàrépondred’unevoixétranglée.

Puis elle serra les poings et ferma les yeux. Quand elle les rouvrit, son chagrin se mêlait à unsentimentdehaineetdedétermination.

Elleallaitsuivrelespasdesasœur,découvriroùelleétaitalléeetquielleavaitvu.Elletrouveraitla preuve pour laquelle Lela avait perdu la vie. Et quand elle l’aurait, leur oncle n’aurait plus qu’àimplorerDieudeluivenirenaide.

2

ThreePeaksRanch,Montana

Deuxbusesdécrivaientdescerclesparesseuxdanslecielcouvertdenuagesquienveloppaientlessommetsmontagneux.

Cinqcentsmètresplusbas,dansl’enceinteducorral,GabeBowden testait le comportementducheval. Il le faisaitpivoter surplace,dansun senspuisdans

l’autre,enchaînaitlespassagesdutrotaugalop,avantdel’arrêterbrusquement.L’animalsecomportaitàmerveille, gardant une allure fluide et disciplinée. Son frère, Blake, l’avait parfaitement dressé. Cecheval seraitd’uneaideprécieuse surWolfRanchpourcanaliser le troupeaudebovinsdont l’arrivéeétaitprévuedanssixsemaines.

Gabebouillaitd’impatiencedeprendrepossessiondesonnouveauranch.Ilavaittravaillédurpouracquérircetendroitquiétaittoutcedontilavaitrêvé.Unespaceimmenseavecsesprés,sescollines,sesruisseauxserpentantàtraversunocéand’herbegrasseetdefleurssauvagesàpertedevue.Uneterrequiluipermettraitdefairevivreunefamille.Uneterrequ’ilpourraitlégueràsesenfants.

Aconditiondetrouveruneépouse,biensûr.Cequin’étaitpasgagné.AprèssesdéboiresavecStacy—quil’avaitplaquélejourdumariageparcequel’existencequ’illuioffraitn’étaitpascequ’elle

attendait—,ilétaitabsolumenthorsdequestiond’épousern’importequellefemme.Illuifallaitdénicherl’oiseau rare. Celle qui aspirerait à lamême vie que lui, une vie simple et authentique d’éleveur debétail.

Ils’arrêtadevantBlakeetmitpiedàterre.—Tuasfaitdubeauboulot,dit-ilenpassantlamainsurleflancducheval.Oùl’as-tudéniché?—ChezRoss.Gabeesquissaunegrimace.—Cegars-làpossèdedeschevauxmagnifiques,maisjen’aimepaslafaçondontilfaittournerson

ranch.—Moinonplus,mais tum’asdemandéde te trouverune excellentemonture. Je nepouvais pas

trouver mieux que Sully. Il est gentil, attentif, dur à la tâche, et il apprend vite. Il te conviendraparfaitement.

—Sully?Tuluiasdéjàdonnéunnom.— J’ai passé ces cinq dernières semaines à le dresser. Je ne pouvais pas l’appeler « cheval »,

répliqua Blake avec un grand sourire, en flattant l’encolure de Sully qui allongea le cou pourmieuxs’offriràsescaresses.

Pasdedoute,sonfrèresavaits’yprendreavecleschevaux,songeaGabe,amusé.—Tuteplaisici?demanda-t-il.—J’adore.Blake dressait des chevaux pour le bétail, mais il commençait aussi à se faire un nom comme

entraîneurdepur-sang.—Tun’aspasenviedet’installeràtoncompte?—Non,jemesensbienici.J’aitrouvéexactementcequejevoulaisetmêmeplus.Jenepouvais

rêvermieux.—Contentdetesavoirheureux,monfrère.—Et toi?Tudoisêtre impatientde t’installeràWolfRanch.J’aidumalà t’imaginerdanscette

immensedemeure.—C’estsurtoutlesécuriesetlespâturagesquim’intéressent.—Peut-être,maislamaisonestimpressionnante.Blaken’avaitpas tort.Sansdouteexercerait-elleuneffetattractifsuruneéventuellecandidateau

mariage.—Tuasprisletempsdelavidercommetel’ademandél’ancienpropriétaire?poursuivitBlake.—Justement, il s’estpasséun trucbizarre. Jusqu’àprésent, j’ainégociéuniquementavecPhillip

Wolf,maishiermatin,quand je suispasséau ranch, jemesuis retrouvénezànezavecsanièce,LelaWolf.

—Dequoia-t-ellel’air?D’unerichehéritièrepourriegâtée?—Commentveux-tuquejelesache?Jeneluiaiparléquequelquesminutes.Nousnoussommes

croisésdanslacour.Detouteévidence,elleétaitsurprisedemevoiretavoulusavoircequejefaisaislà.Quandjeluiaiditquesononclem’avaitdemandédemettrelecontenudelamaisonaugarde-meuble,elles’estprécipitéeverssavoitureenmecriantdenetoucheràrien,avantdefilercommesielleavaitlediableauxtrousses.

—Alorstun’aspasvidélamaison?—Si.Lescamionsdedéménagementsontarrivésunquartd’heureaprès.Blakefronçalessourcils.—Pourquoit’a-t-elleditdenetoucheràrien?—Ellen’apasprécisé.—Tul’asprévenuequec’étaittoilepropriétaire,maintenant?—Jeneleseraiquedanssixsemaines.Pourl’instant,l’argentestsousséquestre.—Oui,maistuluiasexpliqué?—Ellenem’enapaslaisséletemps.—Etrange,murmuraBlake.—Quoiqu’ilensoit,j’aisuivilesinstructionsdePhillipWolf.Detoutefaçon,ilyaplusdedixans

quepersonnenes’estinquiétéducontenudecettebaraque.Etjesuisprêtàparierqu’ilvaresterstockédelonguesannéesdanslegarde-meuble.Cesgens-làonttellementdefricqu’ilsoublienttoutcequ’ilsnevoientpas.

Gabefitroulersesépaulespoursoulagerladouleurauniveaudescervicales.—Toujourstesproblèmesdedos,fitremarquerBlake.—Malheureusementoui.Jesuistropvieuxpourmonterdeschevauxsauvages.JelaisseçaàDane.—Tuaspourtantgagnéledernierchampionnatderodéo.—C’était justehistoiredebattreunedernièrefoisnotrepetitfrèretropsûrdelui.Etleprixm’a

permisd’acheterunebonnepartiedubétail.—Quandletroupeaudoit-ilarriver?

—Danssixsemaines,lejouroùjem’installe.Ceseradifficilelapremièreannée.J’aimistoutcequej’avaisdanscetteaffaire.

—Tuasbienfait,approuvaBlakeenluiassenantuneclaquesurl’épaule.Viens,onvamonterSullydanslaremorqueettuvasvitereprendrelaroute.Lamétéoaprévudelaneigeenfindejournée.

IlouvritleportailducorraletGabeconduisitlechevaldirectementauvanatteléàsonpick-up.IlôtalaselleetlatenditàBlake,quiallalarangeràl’écuried’oùilrevintavecunebrosse.GabeétrillaSully,tandisquesonfrèreplaçaitunerationd’avoinedanslaremorqueenprévisiondutrajet.

En levoyant faire,Gabeesquissaunsourirenostalgiqueausouvenirde l’époqueoù il travaillaitavecsesfrèressurleranchdeleursparents.Maintenantqu’ilsétaienttousdispersés

—Calebs’étaitinstallédansleColoradoavecsajeuneépouse,Summer,Danecouraitlesrodéosaux quatre coins des Etats-Unis, et Blake avait choisi de dresser des chevaux ici, dans le nord duMontana—,ilétaitrarequ’ilspuissentseretrouvertousensemble.Sesfrèresluimanquaient.Blakeavaitpeut-êtreraisonquandildisaitavoirdumalàl’imaginerseuldansl’immensemaisondesWolf.

Ilsongeaitsouvent,cestemps-ci,àfonderunefamille.Ilrêvaitd’unerelationsérieuse,pasd’uneaventureoud’uneamourette. Ilavaitenviedeseposer,d’avoirunevienormale,commecellequesesparents avaient partagée et queCaleb avait désormais trouvée avec Summer. La vie qu’il s’imaginaitavoiravecStacyavantquetouts’écroule…

—Aquoipenses-tu?LaquestiondeBlakel’arrachaàsesréflexions.—JesongeaisàCalebetSummer,répondit-il,sanspréciserqu’ilpensaitaussiàsonéchecavec

Stacy.—Voilàuncouplequifaitplaisiràvoir.Jen’aijamaisvudeuxpersonnesaussiheureusesd’être

ensemble.—Moinonplus.Notretourviendrapeut-êtreunjour.—J’espèrebien.Gabeposasurluiunregardsurpris.D’ordinaire,quandilsdiscutaientdesfemmes,c’étaitpourse

taquinerousevanterd’unenouvelleconquête.Ilsneparlaientjamaisdesemarier.Blakeétait-ilentraindechanger?

UnefoisSullyinstallédanslevan,Gabesetournaverssonfrèreetsortitsonportefeuille.—Qu’est-cequejetedoispourlanourritureetledressage?—Riendutout.C’estcadeau.—Iln’enestpasquestion.—C’estuncadeaupourtacrémaillère,décrétaBlake,catégorique.J’aihâtedevenirtevoirdans

tesnouveauxquartiers.—J’auraiprobablementbesoind’aide,àl’arrivéedubétail.—Tupeuxcomptersurmoi.Passeuncoupdefiletjem’arrangeraipourêtrelà.Gabeleremerciaetlegratifiad’unerapideétreintevirile.Ilauraitaiméresterencoreunpeuavec

lui,l’inviteràprendreunebièreetmangerunmorceau,maislanuittombaittôtàcetteépoquedel’année.Dansuneheure,ilferaitsombreetlaneigeétaitannoncée.

Ilgrimpadanslepick-upetmitlechauffageàfond.Blakesepenchaparlavitre.—Dis-moi,elleestjolie?—Qui?—LelaWolf.Prisdecourt,Gabefronçalessourcilsausouvenirduvisageenformedecœur,desbouclesd’or

roux contrastant avec la pâleur ivoire de la peau, de la bouche aux lèvres pleines et douces et desimmensesyeuxvertslumineux…

—Trèsjolie,oui.Unebeautéincroyable,pourtoutdire.Merveilleuse.Inoubliable.Fragile…maisilavaitperçuune

volontéd’acierquandelleluiavaitordonnédenetoucheràriendanslamaison.—Ellereviendrapeut-être,observaBlakeavecunsourirejusqu’auxoreilles,indiquantqu’ilavait

ludanssespensées.Gabehaussalesépaulesensecouantlatêteetmitlecontact,abandonnantderrièreluisonfrèredans

unnuagedepoussière,maispasl’imagedecettefemmesibelledanssonmanteaubleu,dontiln’étaitpasprèsd’oublierlevisage.

Iln’avaitpasatteintl’autoroutequelespremiersfloconssemirentàtomber,leforçantàralentir.Lajournéeavaitétélongue.Fatigué,ilpassalamainsursesjouesenréfléchissantàtoutcequ’illuirestaitàfaire,une fois rentréchez lui. InstallerSullydans leboxqu’il luiavaitpréparéà l’écurie.Ouvrirunebriquedesoupeenguisededînertardifetsepréparerungrandboldecafé.Lancerunelessive.Remettredel’ordredanslachambred’amis,aucasoùDanepasserait.

Sontéléphonesonna.Ilconsultalenumérod’appel.Justement,enparlantduloup.Ilconnectalekitmainslibresetdécrocha.

—Quoideneuf,Dane?—Jesuispassévoir ton troupeaudeblackangus. Jepeux tedirequecesontdesbêtesde toute

beauté.—Normal,vuleprixquejelesaipayées!répliquaGabeenriant.—Peut-être,maisunefoisqu’ellesserontlabelliséesbio,tuvasfaireuncarton.—J’espèrebien,mêmesiçarisquedeprendreunpeudetempspourobtenirlelabeletcommencer

àdégagerdesbénéfices.—Entoutcas,j’aiconfirméladatedelivraisonetvérifiélesdossiersdetraçabilitédechacunedes

bêtes.Toutestenordre.— Merci, Dane. Tu m’épargnes un saut dans le Nevada. Et de ton côté, tu en es où, dans le

championnat?—JesuisendeuxièmepositionderrièreKurtCollins.—Tuvasl’avoir.Gabenedoutaitpasunesecondequesonfrèregagneraitlechampionnatderodéohautlamain.La

sommed’argentaccompagnantletrophéel’aideraitàs’installeràsontour.—Sûr,renchéritDane.Fautquejetelaisse,vieuxfrère.—Unrencardamoureux?—Bienvu!Tudevraisenfaireautant.Tupassestropdetempsavecteschevaux.—Ilsposentmoinsdeproblèmesquelesfemmes.—Peut-être,maisjepréfèreleparfumdesfemmes!Gabeéclataderire.—J’aid’autrespriorités,encemoment.—Çan’empêchepasdes’amuser.—Tu t’amuses pour deux, p’tit frère.Voiremême pour lamoitié de la populationmasculine du

Montana.CefutautourdeDaned’éclaterderire.—Jenetelefaispasdire!—Alors,coursvitet’amuser.—Autrefois,onsortaits’amuserensemble.Çanetemanquepas?—Pasdutout.AprèssaruptureavecStacy, ilavait laissé tomber l’élevageetquitté le ranchpour lecircuitdes

rodéos, s’étourdissant de compétition et de conquêtes féminines, jusqu’à ce fameuxmatin où il s’était

réveilléavecunefilleàcôtédeluidontilneconnaissaitmêmepaslenom.Ilavaitsoudainréaliséquetoutcequ’ilcherchait,c’étaitàcomblerlevideenlui.Unvidequisecreusaitaufildesconquêtes.Parcequetoutcequ’ellesattendaientdelui,c’étaitdusexe.Iln’avaitriend’autreàleuroffrir.Alorsilétaitrentré chez lui, déterminé à construire quelque chose dont il serait fier, quelque chose qu’une femmeauraitpeut-êtreenviedepartager.

—Cequimemanque,cesontlesmomentspassésensemble,Dane.Paslafêteetlesfilles.Toutça,jetelelaisse.Jet’attendspourl’arrivéedutroupeau.

—J’yserai.Gaberaccrochaensouriant.Sisavieamoureuseétaitaupointmort,cesdernierstemps,ilpouvait

aumoinscomptersur l’amourqui l’unissaitàses frères.Et iln’avaitpasmentiàDane : la fêteet lesfillesnel’intéressaientplus.

Cestroisdernièresannées,ilavaittravailléd’arrache-piedpourpouvoirsepayerleranchdontilrêvaitetacheterdubétail.S’amuser,c’étaitquelquechosequ’ilnesavaitplusfaire,depuisqu’ilvivaitseulchezlui.Ilneserendaitquetrèsrarementenvillepouracheterdesproduitsdepremièrenécessité.Quantauxfemmes,ilyavaitbienquelquesnouvellestêtesquiavaientemménagédanslecoin,maispourlaplupart,illesavaitvuesgrandiretaucunenel’attirait.

Ilrêvaitdequelqu’undedifférent.Quelqu’undeneuf.Quelqu’unquilesurprendrait.Desyeuxcouleurdelaprairieauprintemps,ceuxquimonopolisaientsespenséesdepuisqu’ilavait

vuLelaWolf…

3

Durantletrajetjusqu’àl’aéroport,Ellatentadeseressaisiretderéfléchiràcequ’elledevaitfaire.Ellefouilladanslesacàmaindesasœuràlarecherched’indicessupplémentaires,maistoutcequ’ilcontenait c’était un portefeuille, des clés, un bâton de rouge à lèvres, un paquet de chewing-gum, uncontratdelocationdevoitureàl’aéroportdeBozeman,ainsiqu’undessindupendentifqu’ellesportaienttouteslesdeux.

Sous une arche de pierres, Lela avait représenté avec un réel talent les minuscules roses quiformaientlecœurencerclantleursinitiales,L.W.etE.W.

Ellepressa ledessincontresoncœuret ferma lesyeux, résistantà l’enviedese laisser sombrerdanslevideimmensequis’ouvraitenelle.Ellenereverraitplusjamaissasœur…

Réprimant ses larmes, elle remit de l’ordre dans le sac et le referma soigneusement.C’est alorsqu’ellesentitsoussesdoigtsquelquechosederigide,unesortedecarterectangulaire.Fébrilement,elleexamina ladoubluredusac.Elleavait été soigneusementdécousuesuruncôté,puis referméeà l’aided’unscotchdoubleface.

Intriguée,ellesortitdelacachetteundocumentqu’elleconnaissaitbien:lefauxpermisdeconduirequ’unamiartisteluiavaitconfectionnéquandelleavaitdix-huitans,afinqu’ellepuissesortirincognitosousunnomautrequeceluid’EllaWolf.

SiLelaleluiavaitchipé,c’étaitcertainementpourvoyagersousunfauxnometnelaisseraucunetrace.

Pourquoitantdemystère?Qu’avait-elledoncdécouvertdesiterriblesurleuroncle?Une brusque bouffée de haine la submergea, une vague sombre plus forte que le chagrin. Elle

vengeraitlemeurtredesasœur.D’unefaçonoud’uneautre,sononclepaierait!Leslarmesroulèrentsursesjoues.CemonstreavaitassassinéLela.Ilavaitdétruittoutcequ’elles

s’étaientpromisdefaireensembleàl’aubedecenouveauchapitredeleurexistence.Dirigerl’entreprise.Explorer le monde. Trouver l’homme de leur vie. Se marier. Avoir des enfants. Devenir des petitesvieillesauxcheveuxblancs,partageantleurssouvenirsautourd’unetassedethé.

Elleessuyaseslarmesdureversdelamain.Dans six semaines, elle aurait vingt-cinq ans, et si son oncle réussissait à lui faire endosser le

meurtre de Lela et à se débarrasser d’elle, il hériterait de l’entreprise et de tous les biens que leursparentsavaientlaissés.

Pasquestionde le laisser s’en tirer ainsi !Elledevait réfléchir. Il lui fallaitd’abordéchapperàl’inspecteurRobbins.

—Nousysommes,annonçalechauffeurdetaxi.Quellecompagnieaérienne?Ellevérifialasouchedubilletd’aviondesasœur.

—United.Letaxis’arrêtadevantleterminal.Cettefois,ellen’hésitapas.Safureuretsadéterminationétaient

désormaisaussivivesquesonchagrin.Elleallaitterminercequesasœuravaitcommencé.Elleutilisasonfauxpermisdeconduirepouracheterunbilletd’avionpourBozeman,et réglaen

liquideaveccequ’ilyavaitdanssonportefeuilleetceluidesasœur.Avantdesedirigerverslasalled’embarquement, elle prit le temps de retirer six cents dollars au guichet automatique, de quoi tenirquelquesjourssansavoiràutilisersacartebancaire.L’inspecteurRobbinsnepourraitremontersatraceau-delàdel’aéroport.

Sonvolpartaitdansdeuxheures.Entenantcomptedudécalagehoraire,elleatterriraitàBozemanenmilieud’après-midi,cequiluilaisseraitjusteletempsd’arriverauranchavantlanuitpourycherchercequ’avaitdécouvertLela.

L’attentedans la salled’embarquementparutdureruneéternité.Elle s’attendait àvoir apparaîtrel’inspecteurRobbinsàtoutinstant.Etlesimagesdelascèneatrocequis’étaitdérouléesoussesyeux,lesimagesducorpssansviedesasœurtournaientenboucledanssonesprit…Lesquestionssebousculaientdanssatête.Pourquoines’était-ellepasmontrée?Sielleétaitentréedanslabibliothèque,Lelaseraitpeut-êtreencoreenvie.Pourquoin’avait-ellepasimmédiatementappelélapolice?

Quand vint le moment de passer la sécurité, elle suivit le mouvement en mode automatique,enchaînant les gestes sans avoir conscience de les accomplir, ignorant les regards en coin. Sous lesassauts de sa mémoire et de son imagination, sa détresse et son chagrin étaient tels qu’ils devaientcertainementse liresursonvisage.Maiselleétait incapabledeplaquersurses lèvresunsemblantdesourire qui pourrait faire croire qu’elle allait bien. Parce qu’elle n’irait plus jamais bien. Lela étaitmorte.C’étaitcommesiunepartvitaled’elle-mêmeavaitdisparu.Illuiétaitpénibledepenseretencorepluspéniblederespirer.

Ellemontadans l’avion, sepelotonnadans son fauteuil, tourna la têtevers lehublot et laissadenouveaucoulerseslarmes.

Sixheuresplustard,ellesortitsurletarmacsousleregardemplidecompassiondel’équipageetsuivit lesautrespassagersjusqu’àlazonederécupérationdesbagagesoùl’attendaitlavalisedeLela.Puisellehélauntaxi.

—Oùallez-vous,mademoiselle?demandalevieilhommeenluijetantuncoupd’œilinquietdanslerétroviseur.

Elleentrevitalorssonreflet.Sesyeuxrougisparlespleurs,lemascaraquiavaitcoulé.Elleprituneinspirationtremblante.

—Chezmoi.Enfant,ellepassaittoutessesvacancesauranch,sonendroitpréféré.Ellel’adorait.Asesyeux,les

montagnesétaientderassurantesmuraillesprotégeanttoutcequ’ellechérissait,laprairieétaitsonterrainde jeux et lamaison en bois avec ses grandes baies vitrées lui paraissait cent fois plus belle que leluxueuxappartementnew-yorkaisdesesparents.

—Quelleadresse?—Oh!Excusez-moi.42WolfRoad.Quandsonpèreavaitacheté lapropriété, ilavait faitconstruireune routequ’ilavaitbaptiséede

leurnomdefamille.Le42étaitsonnumérofétiche.—Cen’estpastoutprèsetlamétéoannonceunetempêtedeneige,observalechauffeurenentrant

l’adressesursonGPS.Jepeuxvousconduirejusqu’àCrystalCreek.Apartirdelà,ilfaudravoustrouverun4x4pourcirculersurlespetitesroutesdecampagne.

Elleacquiesçad’unhochementdetêterésigné.Puis,serenversantcontreledossierdelabanquette,elleessayadefairelevideenelle,d’oublieruninstantsonchagrinetsapeurpourréfléchir.

—Jevousdéposeoù,mademoiselle?

Perdue dans ses pensées, elle ne s’était pas aperçue qu’ils étaient arrivés à Crystal Creek. Ilpleuvait—oubienétait-cedelaneige—,etleventsoufflaitenrafales.Ellerepérauncafé,prèsd’unmotel.S’iln’yavaitpersonnepourl’emmenerjusqu’auranchdèscesoir,ellepourraittoujoursprendreunrepaschaudetunechambrepourlanuit.

—Devantlecafé,s’ilvousplaît.—Trèsbien.Elleréglalacourseetrassemblasesbagages.—Jevaisvousaider,mademoiselle,proposaaussitôtlechauffeurenouvrantsaportière.—Inutile.N’allezpasvousmouiller.Jepeuxmedébrouiller.Levieilhommeluiadressaunsourirereconnaissant.Heureusement,ils’étaitgaréendoublefile,faceàl’entréeducafé.Maismêmesuruneaussicourte

distance, le temps de traverser le trottoir, elle était trempée.Un frisson glacé la parcourut lorsqu’ellepoussa laporte.Unedouzainede têtes se tournèrentverselleet lebrouhahadesvoixs’éteignit tandisqu’ellejetaitunregardcirculairesurlasalle.

Elles’installaàunetable,prèsducomptoir.Unefemmeplantureuse,à l’impressionnante tignasserousse,s’approcha.

—Qu’est-cequeceserapourlademoiselle?—Uncafé,s’ilvousplaît.—Siçavoustente,ilyaduveloutédelégumesaucheddar,etlepainsorttoutjustedufour.—Volontiers.Merci.Lafemmeladévisageasoudainavecsollicitude.—Çava,monchou?—Non,pastrèsbien,non,murmuraElla.Laserveuse,unedénomméeBevd’aprèsl’étiquettesursablouse,n’insistapas.Elleluiapportaune

tassedecafé.—Jevousapportelasuitedansdeuxminutes.Commencezdoncparvousréchauffer.Ella entoura la tasse de ses mains glacées. Mais rien désormais ne pourrait la réchauffer. Elle

n’avaitpasfroidàcausedelatempératureextérieure.Non,cequilaglaçaitétaitenelle.Bevrevintavecunboldesoupefumanteetuneassiettedepetitspainschaudsaccompagnésd’un

morceaudebeurre.L’estomacnouéparl’angoisseetlechagrin,Ellaseforçaàprendreunecuilleréedesoupeetbeurra

unpetitpain.Elleaccomplissaitcesgestesmachinalement,dansunesorted’étatsecond,l’espritcommeanesthésié.

Quandelle eut terminé, elle regarda autourd’elle en sedemandant cequ’elle allait fairepour lanuit.

—Encoreunpeudecafé?luiproposaBev.—Nonmerci.Jedoispartir,maisaveclaneige,jenesuispassûredepouvoirtrouveruntaxiqui

acceptedem’emmenerjusquechezmoi.—Voushabitezoù?—WolfRoad.Bevtournalatêteversunhommequiréglaitsaconsommationàlacaisse.—Hé,Travis!Turentrescheztoi?—Oui.Pourquoi?—TupourraisdéposercettedemoisellesurWolfRoad?—Mafoi,cen’estpastoutàfaitsurmonchemin,maisjepeuxfaireunpetitdétoursiçapeutrendre

serviceàunejoliedame.

Ellajetauncoupd’œilanxieuxàBev.Ellen’étaitpascertainequecesoitunebonneidéedemonterdanslavoitured’unparfaitinconnu.Quiplusest,auxcheveuxsales,auvisagemangéparunebarbedequatrejours,etaujeandéchiré.

Bevluitapotal’épaule.—Nevousenfaitespas.Ilesttotalementinoffensifaveclesfemmes.—Allons,Bev,ricanaledénomméTravis.Jetefaislacourdepuisdesannées.—Etçan’ajamaismarchéavecmoi,niavecaucuneautre.Quelques clients éclatèrent de rire et renchérirent sur le désert qu’était la vie amoureuse dudit

Travis.Celui-cisecontentadehausserlesépaules.—Faites-moiconfiance,repritBev.Ilnevousmordrapas.Etsivousnepartezpasmaintenant,qui

saitcombiendetempsvousrisquezd’êtrebloquéeiciparlaneige.Ellatournalatêteverslafenêtre.Ilneigeaitàprésentàgrosflocons.Lelaauraitadoré…Ellesavaient tantaiméleshiversdansle

Montana.Toutesdeuxpassaientdesheuresavecleursjouets,devantlabaievitréedusalon,àregarderlaneigetomber.Sasœuradoraitjouerauxdameschinoises…

Ce souvenir lui broya le cœur, mais elle refoula ses larmes. Elle pleurerait plus tard. Dansl’immédiat,illuifallaitàtoutprixserendreauranch.

—Jevousdédommageraipourledétour,proposa-t-elleàTravis.—Inutile.C’estunplaisirpourmoideconduireunejoliefillelàoùçaluichante.—Merci.C’estgentil.Ellerassemblasesaffaires,réglasonrepasetsuivitsonchauffeurdanslefroidglacial.Lanuitétaittombéeetlaneigerecouvraitdéjàlavilled’unvoileblanc.Lorsqu’ellegrimpadansla

camionnette, l’odeur de sueur, de bière rance et de tabac froid lui donna la nausée. Elle s’empressad’ouvrirlafenêtrepourlaisserentrerunpeud’airfrais.

Travisseglissaderrièrelevolantetluidécochaunsourirelubriquetoutàfaitdéplaisant.Peut-êtreferait-ellemieuxdechercherquelqu’und’autrepourl’emmenerauranch?Non.Ellevoulaityêtreleplusrapidementpossible.Etlaserveuseluiavaitcertifiéqu’ellen’avaitrienàcraindre.

Assise le dos bien droit, la valise et son sac à ses pieds, elle prit une grande inspiration quandTravissortitduparkingets’engageasurlarouteprincipale.Endépitduchauffageàfond,lefroidétaittelqu’elledutreleversavitre.Ellepassalesdoigtsdanssescheveuxhumides.Travisdétournalesyeuxdelaroutepourlareluquerdespiedsàlatête.

—Qu’est-cequivousamènedanslecoin?Vousn’êtespasd’ici,çasevoit.D’oùvenez-vous?Si le faireparlerpouvait l’empêcherde lorgner ses seinsau lieude regarder la route, alors elle

voulaitbienfairelacausette.—JeviensdeNewYork.—Jel’auraisparié.Commentavait-ildeviné?Acausedesesbottesendaim.Desonpantalonenlainagetropfin.Oude

sonmanteauplusadaptépoursortirdînerenvillequepouraffronterunetempêtedeneige.— Qu’est-ce que vous allez faire à Wolf Ranch ? Personne n’y a remis les pieds depuis la

disparitiondeStuartWolfdansunaccidentd’avion.J’aientendudirequ’ilétaitàvendre.C’estpourçaquevousêtesici?

Elledéglutitpéniblement.Lechagrincauséparladisparitiondesesparentsétaittoujoursaussivif.Aujourd’huis’yajoutaitlafintragiquedeLelaetdesrêvesd’avenirqu’ellesavaientbâtisensemble.

—Oui,réussit-elleàrépondre.C’estlacompagniequim’envoiefaireunétatdeslieux.—Ilsenvisagentdoncdevendre?« Pas question de vendreWolf Ranch ! » eut-elle envie de crier.Cet endroit contenait tous ses

souvenirs.LesjoursheureuxavecLelaetleursparents.C’étaitletempsdesvacances,quandleurpèrene

travaillaitpasautantetqueleurmèren’avaitpasàseplierauxmondanitésdeleurvienew-yorkaise.Auranch,ilsformaientunevraiefamille.Unefamilletoutesimple.

Dieu,commecesmomentsd’autrefoisluimanquaient…—Non.LeranchresteralapropriétédesWolf,affirma-t-elle.—C’estbiencequejepensais.Vousn’avezriend’autreàvoir,danslecoin?La question était bizarre.A sa connaissance, lesWolf ne possédaient pas d’autres biens dans la

région.—Non,jen’aiqueleranchàvoir.Pourquoi?—Commeça.Histoiredecauser.Lespneusdelacamionnettedérapèrentsurlaneige.Ellaréprimauncriets’agrippaautableaude

bordenespérantqueTravisn’allaitpaslesenvoyerdansleravin.OnclePhillipseraittropheureuxdes’ensortiràsiboncompte.Unfrissondehainelasecoua.Elleallait ledétruire.Il laprenaitpourunefêtarde,uneécerveléequipassaitsavieàs’amuser.Tantmieux!Ilnesavaitpasàquiilavaitaffaire.

—Ras-le-boldecefroid,maugréaTravis.Dèsquelesoleilsecouche,lestempératureschutent.—J’auraisdûprendreunmanteaupluschaud,fit-elleremarquerauprixd’unefforthéroïquepour

dissimulersonagacement.Décidément, le pauvre gars n’avait rien pour plaire. Courtaud, le visage ingrat. Sa bedaine

imposante,mouléedansunT-shirttroppetit,débordaitpar-dessuslaceinturedupantalon.Pourcouronnerletout,iln’avaitpasl’aird’avoirinventélapoudreetilauraiteubesoind’unebonnedouche.Certes,laserveuseavaitassuréqu’ilétaitinoffensif,maislafaçonqu’ilavaitdelaregarderluidonnaitlachairdepoule.

—Onestencoreloinduranch?demanda-t-elle.— Une vingtaine de kilomètres. Ne vous inquiétez pas. Nous y arriverons. J’ai l’habitude de

conduirepartouslestemps.—Oh!Jenem’inquiètepas.C’estjustequej’aihâted’êtreauchaud.—Sivousavezfroid,rapprochez-vousdonc,chérie.Jesauraivousréchauffer,proposaTravisen

tournantverselleunregardconcupiscent.Vousêtestoutemouillée,hein?Elledétestalesous-entendudesaremarque.Toutcommelavilainelueurdanssonregard.—Lameilleure façonde se réchaufferparun tempspareil, c’estd’utiliser la chaleurde l’autre,

poursuivit-il.Commeellecherchaitquoi lui répondre, ilposa lamain sur sa cuisse.Geste totalement déplacé.

Effrayée,ellerepoussasamain.—Arrêtez.Travisréponditparungloussement.—Allons,chérie.Rapproche-toi.TuasbienunpetitquelquechoseàoffriràcebonvieuxTravis.—Ecoutez,toutcequejevousdemande,c’estdem’emmenerauranch.—Jepourraist’emmenerauseptièmeciel.Aprèslesépreuvesqu’ellevenaitdevivre,elleperditsonsang-froid.Lapeurfitplaceàlacolère.—C’estquoi,cette façonde traiter les femmes?s’exclama-t-elled’unevoixvibrantedecolère.

Vousvouscroyezoù?—Cequejecrois,chérie,c’estquetun’asquedeuxoptions.Etreauchauddansmesbras.Oute

gelerdehorssouslaneige,ricanaTravisententantdenouveaudeluisaisirlacuisse.Ellefrappad’uncoupsecsursesdoigts.Ilretirasamainavecungrognement,jetauncoupd’œil

danssesrétroviseursets’arrêtaaubeaumilieudelaroutedéserte.—Jenesaispassituasremarqué,maisnoussommesseuls,ici.Alors,cessedefairetabêcheuseet

soisunegentillefille.

—Jeveuxbienvouspayerpourquevousm’emmeniez jusqu’au ranch,mais jenecoucheraipasavecvous,compris?

—Justeunepetitegâteriepourledétour.Elle eut un frissonde dégoût quand il posa denouveau lamain sur sa cuisse.Mais cette fois, il

enfonçasesdoigtsdanssachairetsepenchaversellepourl’embrasser.Ellereculaet tentade lerepousser.Lapeurreprit lepassur lacolère.Soncœursemitàcogner

contresescôtes.—Travis,arrêtez!Vousnesavezpascequevousfaites.Vousnemeconnaissezmêmepas.—Jesaisseulementquetueslegenredefilledontj’aitrèsenvie.—Ehbienmoi,jen’aipasenviedevous,espècedebrute!Lâchez-moi!EllesedébattitensentantlesmainsdeTravisremonterlelongdesescuisses.Follederageetde

terreur,ellesecontorsionnapourluiéchapper,réussitàreleverlesjambesetdonnauncoupdepiedquiatteignitsacible:l’entrejambedesonagresseur.Cederniersepliaendeuxavecuncridedouleur.

Elleenprofitapourse redresser.Elle regardadehors.L’endroitétaitdésert.Pasunevoiture.Pasunelumièreenvue.Rienqu’uneimmensitévide,disparaissantrapidementsouslaneige.

Affalé sur son siège, Travis se balançait d’avant en arrière en se tenant le bas-ventre, le visagecramoisiderage.

—Salegarce!Tum’asfaitunmaldechien.Ellenes’attendaitpasàcequ’ilbougeaussivite,mais ilse jetasurelle,ouvrit laportièreet la

poussadehorsavantqu’elleaitpus’agripperàquoiquecesoit.Elleatterritdurementsurlahancheetpoussa un cri de douleur quand Travis voulut refermer la portière sur son pied resté coincé dans lalanièredesonsac.Fouderageetdefrustration,iljetalesacdehorsetclaqualaportière.

Lacamionnettefituneembardéeets’éloigna,l’abandonnantaumilieudenullepart.Laneigetombaitenabondanceetleventétaitglacial.Claquantdesdents,elleregardaautourd’elle.

Sipersonneneluivenaitenaide,elleseraitmortedefroidd’icipeu.Ellesongeaautéléphoneportabledanssapoche.Impossibledes’enservir,toutefois.L’inspecteur

Robbinslarepéreraitaussitôt.Detoutefaçon,iln’yavaitprobablementpasderéseau.LemieuxétaitderetourneràCrystalCreek

enespérantcroiserunvéhicule.Rassemblantsoncourage,elleserelevaetboitillaendirectiondelaville,traînantderrièreelleson

sacaccrochéàsacheville,qu’ellen’avaitnilecouragenilaforced’enlever.Ellen’avaitpasfaitcentmètresqu’elleavaitdéjà lespiedsgelés.Lefroidprenait rapidementpossessiondesoncorps.Elle lesentaitmonterdanssesbras,danssesjambes,s’insinuersournoisementdanssoncœur.Ellelesentaitserefermerautourdesatête,commeuncasqueduretrigide.

Elles’arrêtapourrelever lecoldesonmanteau.SiseulementTravisavait jeté lavalisedeLela,elleauraitaumoinspuenfilerdesvêtementssecs.Elleavaitbeaunepasêtreunespécialistedelasurvieenpleinenature,ellesavaitquefroidplushumiditéconduisaientinévitablementàuneissuefatale.

Illuifallaitunmiracle.Ellerepritsamarcheenrythmantchaquepasd’uneprière.—Faitesquequelqu’unpasse,s’ilvousplaît.Faitesquequelqu’unpasse.Mais à chaque pas supplémentaire, ses forces l’abandonnaient. Mettre un pied devant l’autre

réclamaituneffortsurhumain.Auboutdequelquesmètresàpeine,ellen’avaitqu’uneenvie:s’asseoiretsereposer.C’estalorsqu’elleaperçutdespharesauloin,aumilieudestourbillonsdeneige.

L’espoirenfladanssapoitrinecommelevéhiculearrivaitàsahauteur.Elleagitalesbraspourattirerl’attentionduchauffeur.Lavoiturepassasansralentir.OhSeigneur!Ilnel’avaitpasvue!

—Arrêtez-vous.Jevousenprie…Soncriseperditdanslanuit.

4

Gabechassal’imagedelabelleetrichejeunefemmeinaccessiblequ’ilneverraitsansdouteplusjamaiset seconcentrasur la route.Les floconsdansaientdevant lepare-brise,balayéspar lesessuie-glaces.Commeil tendait lamainvers lesacdechipsposésur lesiègepassager,quelquechosesur lebas-côtétraversabrièvementlechamplumineuxdesphares.Unesortedetasbleu.

Surpris,ilécrasalapédaledefrein.Lepick-updérapasuruneplaqueetglissasurquelquesmètresavantdes’immobiliser.

—Merde!Qu’est-cequec’était?Agacé, ilmitseswarningsetdescenditdevoiture.Ilrelevalecoldesaveste,enfonçalesmains

danssespochesets’avançaàpasprudentssurlachausséeglissantejusqu’àlaremorqueoùSullypiaffait.Il promena son regard le longde la route, à la recherchede lamystérieuse formeentraperçue. Il

remonta le bas-côté, scrutant la nuit noire à travers les tourbillons de neige qui brouillaient sa vue.Soudain,ils’arrêtaetscrutalesténèbres.Ilyavaitbienquelquechosequidisparaissaitrapidementsousles flocons, à une dizaine demètres.Une rafale de vent le propulsa vers l’avant.C’est alors que soncerveauenregistracequ’ilvoyait.Ilyavaitquelqu’unlà-bas,étendulelongdelaroute.

Sans réfléchir davantage, il courut et tombaàgenouxà côtédu corps recroquevillé sur le sol. Ilposaunregardincrédulesurlemanteaubleuetjura.

—LelaWolf,murmura-t-il.Lafemmedontlesyeuxhantaientchacunedesespensées.Ellegémitlorsqu’illafitbasculerpourl’allongersurledosetdégagersonvisagedelaneige.Ses

longscilsourlésdegivrepapillotèrentetleregardvertsefixasurlui.Cen’étaitpastoutàfaitlemêmequedanssonsouvenir.

—Lela?Quefaites-vousici?Ilvitdeslarmesemplirsesyeuxpuisruisselersursestempes.—Etes-vousblessée?Pouvez-vousvousrelever?Sansattendresaréponse,ilfitcourirsesmainssursesbrasetsesjambes.Elletremblaitdetoutson

corps.Ilpritsonvisageentresesmains,l’obligeantàseconcentrersurlui.—Lela,est-cequeçava?Ellesemitàsangloterdeplusbelle.Déconcerté, il la dévisagea. Ses lèvres étaient bleues. S’il n’agissait pas rapidement, elle allait

mourirdefroid.Glissant lesmainssous les jambeset lesépaulesde la jeunefemme, il lasoulevaetseredressa.

Ellelesurpritenpassantlesbrasautourdesoncoupourseblottircontresontorse.Ilfitdeuxpasavantdes’apercevoirquequelquechosecognaitcontresonmollet.Ilbaissalesyeuxsurlesacdontlalanière

était enroulée autour de la cheville de la jeune femme. Il le détacherait plus tard. Il s’empressa derejoindrelepick-up.

Cenefutpasaiséd’ouvrirlaportière,maisilyparvintsansavoiràlâchersaprotégée.Ilgrimpasur lemarchepied et l’allongea sur la banquette arrière. Puis il lui retira ses bottes et ses chaussettesdétrempées,etlibérasachevilledusacquiatterritlourdementsurleplancher.

Lajeunefemmeavaitrefermélesyeuxetnebougeaitplus.Inquiet,Gabefrottasespiedsbleuisparlefroidpouractiverlacirculation.Lepantalonhumidecollaitàsesjambesglacées.Sanshésiter,illeluiretira.Sonregardglissasurleslonguesjambesfines,merveilleusementgalbées,jusqu’àlapetiteculotteendentellenoirequifaisaitparaîtrelapeauencorepluspâle.Ungoûtamerluimontadanslagorgequandildécouvrit l’énormehématomequimarbrait lahanchede la jeune femme.Délicatement, ilpressa sesdoigtscontrelachairmeurtrie,puissurlehautdesacuissepourvérifierqu’iln’yavaitriendecassé.Ellegeignitenessayantd’échapperàsamain,maisn’ouvritpaslesyeux.

Unesacréechancequ’ill’aitvue.Unquartd’heuredeplusetelleétaitmorte.—Que faisiez-vous donc sur cette route, en pleine nuit, au beaumilieu d’une tempête de neige,

Lela?demanda-t-ildoucement.Iln’obtintpasderéponse.Tantpis.Lesexplicationsattendraient.Pourl’heure,ilétaiturgentdelaréchaufferetdelaconduire

chezunmédecin.Avecdesgestesaussidouxquepossible,illuiôtasonmanteau.Aprèsquoi,ilsortitd’unvieuxsac

devoyagequ’ilgardait sous labanquette,deuxchemisesen flanelle,un jogging,ainsiqu’unevesteengroslainagegris.

Seuleunefilledelavillepouvaits’aventurerdehorsparunfroidpareil,simplementvêtue,soussonmanteau,d’unchemisieretd’unpetitpullencachemire,élégantcertes,maisbeaucouptropfin.Aufait,commentavait-ellebienpuatterrir ici,enrasecampagne,sansvoiture?Peut-être l’avait-elleenvoyéedanslefosséunpeuplusloin.Quelleidéed’essayerderegagnerlavilleàpied,enpleinblizzard!

Gabeposalavesteenlainesurlapoitrinedelajeunefemmeetlaresserraétroitementautourdesesépaulesetdesesbras.Puisilbataillapourluienfilerlepantalondejogging.Tâchebienplusdifficileetnettementmoinsamusantequededéshabillerunefemmeconscienteetdésireusedeparticiper.Ilyparvintcependant. Ce faisant, il constata que la cheville gauche était enflée et que la lanière du sac l’avaitblessée. Il ne pouvait pas faire grand-chose pour lemoment. Comme il remontait le pantalon sur leshanchesdelajeunefemme,celle-cirepritbrusquementconscienceetsedébattitpourluiéchapper.

—Laissez-moitranquille!gémit-elleenessayantdelerepousseràcoupsdepied.Pourl’immobiliseretl’empêcherdeseblesserdavantage,iln’eutd’autrechoixquedes’allonger

surelleetdeluiemprisonnerlesmains.Ilrapprochasonvisagedusien.—Lela,c’estmoi,GabeBowden.Nousnoussommescroisésauranch,hiermatin.Elleécarquillalesyeuxetcessadelutter.—Jeviensdevoustrouverévanouiesurleborddelaroute.J’essaiedevousréchauffer.—Fr…fr…froid.—Jesais.Jevaisvousemmenerchezlemédecin.—Non!—Vousêtesblessée.—Jevaisbien.Savoixn’étaitplusqu’unmurmure.—Pasdutout.Vousêtesenhypothermie.Commentavez-vousatterriici?—Ilm’alaissée.—Qui?Ellefermalesyeux,etsatêteroulasurlecôté.

Gaberésistaà l’enviede lasecouerpour la réveilleretconnaître lenomdusalopardqui l’avaitabandonnéesurlarouteparcetemps.Elleauraitpumourir,bonsang!

Ilajustadenouveau lavesteautourdesépaulesde la jeunefemme,enveloppasespiedsdans leschemisesenflanelle,puiscouruts’asseoirauvolantetprit ladirectiondeCrystalCreek. Ilyavaituncabinetmédicaljusteàl’entréedelaville.

Ettandisqu’ilscrutaitlaroute,levisagedeLelaWolfflottaitdevantluicommeuneimagegravéedanssamémoire.

LorsqueapparutlepanneauindiquantCrystalCreek,ilpoussaunsoupirdesoulagement.Huitcentsmètresplusloin,ilfreinaprudemmentpourtourneràgauche.Unecroixrougesignalaitl’entréeducabinetmédical.

Ilsegarasurleparkingdésert.Danslaremorque,Sullys’étaitremisàpiaffer,maisilallaitdevoirpatienter encore un peu avant de découvrir ses nouveaux quartiers. Dans l’immédiat, la jeune femmeétenduesurlabanquettearrièreavaitbesoindesoinsmédicaux.

Gabesetournaverselleetlasecouadoucementparl’épaulepourlaréveiller.Lorsqu’elleouvritlesyeuxetlevitpenchésurelle,elleseredressad’unbondetsecolladosàla

portièredansuneattitudedéfensive.Illevalesmains.—Ducalme.Cen’estquemoi,GabeBowden.Noussommesarrivésaucabinetmédical.—Jeneveuxpasyaller.Laissez-moipartir.Baissant les yeux sur la veste et le jogging, elle fronça les sourcils, visiblement surprise par sa

tenue.—Jenevousretienspas,maisvousverrezunmédecinavantdepartir,déclara-t-ilavecunepointe

d’impatience.—Impossible.—Vousn’avezpaslechoix.Surce,ildescenditdevoitureetouvritlaportièrearrière.Lesmainssurlesgenoux,têtebasse,LelaWolfétaitl’imagemêmedudésespoir.— Si j’entre dans ce cabinet, s’ils prennent mon nom et ma carte de crédit pour régler les

honoraires,ilmetrouvera,murmura-t-elle.—Qui?—Jevousenprie.Ilfautquejeparted’ici.Gabehésita.Son instinct lui dictait de tout fairepour laprotéger contreun éventuelpoursuivant,

maisilluifallaitd’abords’assurerqu’elleallaitbien.Elleavaitreprisdescouleurs,maisilnepouvaitoublier sa hancheméchammentmeurtrie.Et si elle souffrait d’unehémorragie interne ?Dans l’état defaiblesseoùellesetrouvait,ellen’étaitpasenmesurededécider.Aussiprit-illeschosesenmain.

Illasoulevadanssesbras.—S’ilvousplaît,posez-moi.Jedoispartir.—Vousn’ireznullepartpiedsnus.Leschemisesdont il luiavaitenveloppé lespiedsavaientglisséquandelle s’était réveillée.Ses

petitspiedsdépassaientàpeinedupantalondejoggingtroplongpourelle,cequiauraitpufairesourireGabesiellen’avaitpasgrimacédedouleuràchaquesecousse.

Quandilentradanslehallducabinetmédical,elleserebelladenouveau.—Posez-moiparterre.Pourtouteréponse,ilresserralesbrassurelle.Ellepoussaunpetitcrietlaissaretombersatêtesur

sonépaule.Maisellen’avaittoujourspascapitulé.—S’ilvousplaît,sortez-moid’ici.

—Aucasoùvousl’auriezoublié,jem’appelleGabe.GabeBowden.Legarsquevousavezcroisé,hiermatin,àl’entréedeWolfRanch.J’habiteàcôtéetlemoinsquejepuissefaireenbonvoisin,c’estdem’assurerquevousallezbien.

—Jevaisbien.Jeveuxjusterentrerchezmoi.—Laissezlemédecinvousexamineretjevousyconduirai.—Promis?Acestade,illuiauraitpromisn’importequoipourqu’elleacceptedevoirunmédecin.Ilhochala

tête.—Salut,Gabe.Quinousamènes-tu?demandaTina,laréceptionniste.SentantLelaWolfseraidirdanssesbras,ils’abstintdedonnersonnom.—Jel’aitrouvéeévanouiesurleborddelaroute.Elleaungroshématomesurunehancheetdes

engeluresauxpieds.—Riend’autre?—J’aimalàlacheville,avouaLelaWolfduboutdeslèvres.Tinaluitenditunformulaire.—Jevouslaisseleremplir.N’oubliezpasdepréciserlescoordonnéesdevotreassurancemaladie.

Gabe,tupeuxl’emmenerensalle3.Ilyauneblousesurlatabled’examen,mademoiselle.Déshabillez-vousetenfilez-la,lesattachessurledevant.JevaischercherleDrBell.

—Jeneleconnaispas,intervintGabe.Ilestbien?— C’est une femme. Jeune et bardée de diplômes. Quatre années d’internat en chirurgie

orthopédique à l’hôpital de Bozeman. Si ton frère, Dane, continue à faire le fou dans les rodéos, ilpourraitbienavoirbesoindesesservices.

Gabe acquiesça d’un hochement de tête. Tina avait raison. Se faire éjecter du dos d’un chevalsauvageoud’untaureaulaissaitdescicatrices.Lui-mêmeengardaitdesséquellesdouloureuses.

IlportaLelaWolfensalle3etl’installasurlatabled’examen.—Vousavezbesoindemonaide?demanda-t-illeplusnaturellementdumonde,enluitendantla

blouse.—Non.—Danscecas,jesors.Jereviensdansuneminute.

***

Ellanedoutaitpasqu’ilseraitderetourdansuneminute.CeGabeBowdensemblaittêtu.Aussisehâta-t-elledesedéshabilleravantd’enfiler lablouseengrimaçant.Soncorpsétaitendoloriet lefroidavaitpompétoutesonénergie.

UncoupfutfrappéàlaporteetGabel’entrouvrit.Lesyeuxrivéssurlechambranle,ildemanda:—Vousêtesdécente?Elleneputs’empêcherd’appréciersontact,safaçondedétournerlesyeuxenattendantsonfeuvert.—Apeine.Dumoinsétait-ellecouverte.Ilentradanslapièceetrefermalaportederrièrelui.Ils’approchaetlafixadanslesyeux,tandis

qu’ilsepenchaitpourluiretirersonbasdejogging.S’appuyantdesdeuxmainssurlatable,ellesoulevalesfessespourluifaciliterlatâche.Pasuneseulefoisilnebaissalesyeuxsursescuissesnues,mêmepaslorsqu’iltirasurlespansdelablousepourlescouvrir.

Lorsqu’il eut terminé, il tendit lamainvers sonvisageet repoussaunemèchedecheveuxqui luitombaitsurlefront.Elleretintsonsouffle.Ilsétaientsiprochesqu’ellepouvaitdistinguerlespaillettesdoréesdanssesyeuxbruns.Bizarrement,ellen’avaitaucuneenviedereculer.Aucontraire…

—Commentvoussentez-vous?murmura-t-il.—Raideetcourbatue,maisjevaisbien.Gabehaussaun sourcil indiquant clairementqu’ilne la croyaitpas. Il recula lentementd’unpas,

avantdedétourner lesyeuxetd’aller s’asseoir surunechaisedansuncoinde la salle,manifestementdécidéàattendrelemédecinavecelle.

Ellesemorditlalèvreets’efforçaderéfléchir.Elledevaitàtoutprixtrouverunmoyendesortird’icietdeserendreauranchpourcomprendrecequesasœurétaitalléefairelà-bas.

—Vousn’êtespasobligéderester,dit-elle.Sivousm’apportezmonsacetmesvêtements, jemedébrouillerai.

Gabeladévisagea,l’œilsoudainsarcastique.—Ondiraitquevoustenezvraimentàvousdébarrasserdemoi.J’aieulamêmeimpression,hier,

quandnousnoussommesrencontrésdevantvotrepalais.— Il ne s’agit pas d’un palais,mais d’unemaison de famille, répliqua-t-elle, piquée au vif par

l’ironie contenue dans ce dernier mot, tout en se gardant bien de rectifier la méprise concernant sonidentité.

— Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, ici, nous n’avons pas l’habitude des demeuresgigantesques et des voitures de luxe, mademoiselle Wolf. Nous circulons à bord de pick-up et nousvivonsdansdesmaisonsdetaillenormale.

—Lamienneestdetaillenormale.—Oui,pourune familledequinzepersonnes.Seulementcinqcentsmètrescarrés.Sixchambres,

autantdesallesdebains,unappartementau-dessusdugarageetuncottagepour lesamis.Desécuriespouvantaccueillirunequarantainedechevaux,desbois,unlacpourpêcherlatruite,troiscoursd’eau.Troismillecinqcentshectaresdepâturagesetdesmilliersd’hectaresdeterrequevousn’avezsûrementjamaisfoulés.

Parce qu’elle n’avait pas eu le courage d’y retourner depuis la disparition de ses parents. Parcequ’ellen’avaitpaseu lecouragede revoircetendroitqui lui rappelait toutcequ’elleavaitperdu.Latendresse.Lesrires.Lesouvenirdesjoursheureux.C’étaittropdouloureux.Etmaintenant,yrevenirsanssasœur…

—Commentsefait-ilquevoussachieztoutcela,monsieurBowden?Laportes’ouvrit,ledispensantderépondre.Unefemmeenblouseblanches’avança,undossieràlamain.Surprisedevoirunmédecinpresque

aussijeunequ’elle,Ellasedétenditsousleregardchaleureux.—Bonsoir.JesuisleDrBell.Ilparaîtquevousavezétéabandonnéesurlarouteenpleinetempête.—Eneffet.—Pourriez-vouspréciser?—Jel’aitrouvéeétenduesurlebas-côtéàunetrentainedekilomètresd’ici,intervintGabe.Jene

sais pas depuis combien de temps elle était là, mais elle a des engelures aux pieds. Sa hanche estmeurtrie, ainsi que sa cheville. En revanche, côté tête, apparemment tout va bien, même si elle m’asembléunpeuincohérenteaudébut.Sansdouteàcausedufroid.

LeDrBellposasamainsurcelled’Ellaavecunsourirerassurant.—Commentvousêtes-vousretrouvéeseulesurcetteroute?—Vousm’avezditqu’ilvousalaissée,intervintdenouveauGabe.Qui?—UnhommenomméTravis, réponditElla.C’estBev, laserveuseducafé,qui luiademandéde

m’emmener, parce que le ranch était sur sa route. Ensuite, tout ce que je sais, c’est qu’il voulait…voyons,commenta-t-ildit…?«Unepetitegâteriepourledétour.»

—Jepariequevousluiavezditd’allersefairevoiretquecelaneluiapasplu,marmonnaGabe,leregardsoudainorageux.

— Jeme suis défendue, confirma Ella. Alors il m’a jetée dehors.Ma valise est restée dans sacamionnette.

—Lesalaud!grondaGabe.L’intonationdanssavoix, lacontractiondesmusclesdesesavant-bras lorsqu’ilserra lespoings,

eurentundrôled’effetsurElla.Uneondedechaleurlatraversa,et,l’espaced’uninstant,ellesesentitapaisée.

—Désolé,docteur,s’excusaGabe.Maiscegenredecomportementmemethorsdemoi.Lemédecinluiadressaunsourirequ’illuirendit.Etlàencore,Ellaéprouvaunesensationbizarre.

Unepointede…jalousie.Absurde.Mêmes’illuiavaitsauvélavie,elleneconnaissaitpascethomme.Relevantlesyeux,elles’aperçutqueGabel’observait.Elledétournaimmédiatementlatête.—Commençonsparledébut,déclaralemédecin.Votrenom?Ella déglutit. Jusqu’à présent, elle n’avait pas corrigéGabe concernant son identité.D’une part,

parcequ’elleétaitépuisée.Etpuissurtout,parcequecelaluirappelaittouteslesfoisoùelless’étaientamuséesavecLelaàsefairepasserl’unepourl’autreetàtrompertoutlemonde.

Commeellenerépondaitpastoutdesuite,Gabelefitàsaplace.—Elles’appelleLelaWolf.Leursregardssecroisèrent.Ellevoulutouvrirlabouchepourcorriger,maisladouleurcauséepar

lamort de sa sœur lui noua lagorge.Elle essayade se ressaisir et denepaspenserqueplus jamaispersonnenelaconfondraitavecLela.

—Merci,mais j’aimeraisquecesoitellequi réponde,cettefois,dit leDrBellavecunsourire.Celafaitpartiedel’examenmédical.Votretêtea-t-ellecognélesol,mademoiselleWolf?

— Pas du tout, s’empressa de répondre Ella. Le froidm’a épuisée, mais j’ai les idées claires.Franchement,jevaisbien.Apartlahancheetlacheville.

—Tantmieux.LeDrBellsetournaversGabe.—Pourriez-vousnouslaisserseulesquelquesinstants?Jevaisl’examiner.—Sicelanevousennuiepas, jepréfère rester,décrétaGabe, inflexible, en regardantElladroit

danslesyeux.— Vous avez déjà perdu assez de temps comme ça avec moi, répliqua-t-elle avec une pointe

d’exaspération.Vousn’êtespasobligéderester.—Jen’irainullepart tantque lemédecinnem’aurapasassuréquevousallezbien.Nevousen

faitespaspourmoi,j’aitoutmontemps.Ellatentaunautreangled’attaque.—J’aimeraisavoirunpeud’intimité.—Jevousaidéjàvueàmoitiénue,ripostaGabeaussisec.Croyez-moi,pourlemoment,toutcequi

m’intéresse,c’estvotresanté.«Pour lemoment » ?Comme si, plus tard, ce pourrait être une autre histoire.Elle l’observaun

instantetnesutquerépondre.Cethommel’intriguait.Elleavaitenviequ’ilreste.Elleavaitenviequ’ilparte.EtmonDieu, quelle idiote, elle avait enviequ’il la prenne ànouveaudans sesbras.Elle avaitenviedeseblottircontrelui,danssachaleur…

—Sivousêtesd’accordpourqu’ilreste,jevaisvousexaminer,conclutleDrBell.EllasoutintencorequelquessecondesleregarddeGabe,avantd’écarterlepandelablousepour

montrersahanchemeurtrie.—QuandTravism’apousséehorsdesacamionnette,jesuistombéesurlecôté,expliqua-t-elle.Et

commej’avaislepiedprisdanslalanièredemonsac,ilaclaquélaportièresurmacheville.—Quelfumier!marmonnaGabeensecouantlatête,l’airécœuré.—Etendez-voussurlecôté,Lela.

Ellafitcequeluidemandaitlemédecin,etravalauncriquandcelle-cipalpasahanche.—Bien.Maintenant,Lela,tournez-voussurledos.Chaquefoisqu’elleentendaitlenomdesasœur,elleavaitl’impressionqu’unemainluibroyaitle

cœur…ElleadressaunsourirereconnaissantauDrBell,lorsquecelle-cirabattitlespansdelablousesur

sapoitrine.Sonsoutien-gorgeendentelledévoilaitsesseinsplusqu’ilnelesdissimulait.Aprèsluiavoirpalpél’abdomen,leDrBellexaminasespiedsetsesmains.—Quelques engelures sans gravité, conclut-elle. En ce qui concerne la cheville, vous avez une

belleentorse.Jevaisvousposeruneattellepourl’immobiliser,letempsquel’inflammationserésorbe.Etjevaisvousdonnerdesantalgiques.L’undansl’autre,vousavezeudelachance.Riendecassé,maisl’hématomesurlahancherisquedevousfairesouffrirquelquessemaines.

—Bonsang!Heureusementqu’ilneigeaitetquejeroulaisdoucement!s’exclamasoudainGabeenprenantsatêteentrelesmains.Sinon,jenevousauraispasvueet jevousauraislaisséelà-bas,surleborddelaroute…

Ella comprenait ce qu’il ressentait. Elle-même n’avait réalisé la gravité de ce qu’elle venait devivre,l’assassinatsoussesyeuxdesasœur,qu’unefoisdansletaxiquil’emmenaitàl’aéroport,quandl’adrénalineétaitbrusquementretombée.

—Gabe,dit-elledoucement.Jevaisbien.LeDrBells’éloignapourfouillerdanslestiroirsd’unplacardd’oùellesortituneattelle.—Vousmettrezdelaglacesurvotrehancheetvotrechevilledeuxfoisparjour,dit-elleenfixant

l’attelle.Sicelanevapasmieuxlasemaineprochaine,revenezmevoir.Ilfaudrasansdouteunebonnequinzainedejoursavantquelachevillesoitcomplètementguérie.Rhabillez-vous,jevaisvouschercheruneboîted’antalgiques.

Quandilsfurentseuls,Gabeselevaet,sansunmot,ladébarrassadelablouseavantdeluienfilersonpullavecdesgestestrèsdoux.Ellerepoussalescheveuxdesonvisage,sansprendrelapeinedelesarranger.Aupointoùelleenétait,ellenedevaitplusressembleràgrand-chose.LecontactdesdoigtsdeGabesursahanchelafitfrissonner.Maiscen’étaitpasdedouleur…

—Vousavezmal,dit-il.Jesuisdésoléquecefumiervousaitfaitça.Priseaudépourvuparsasincérité,elleposalamainsursonépaule.—Çavas’arranger.Mercipourvotreaide.Ilpritlejoggingetsepenchapourleluienfiler.Ellelutleslettresinscriteslelongdelajambe.TexasA&MUniversity.Unedesplusgrandesuniversitésaméricainesspécialiséeenagronomieetenmécanique—C’estlevôtre?—Ehoui,mademoiselleWolf,mêmelesgarsdelacampagnefontdesétudes,rétorqua-t-ild’unton

sec.—Jen’aipasdit…Peuimporte.Mercidemel’avoirprêté,conclut-elle,nesachantcequiluiavait

valucetterépliqueagressive.Illadévisageafixement.—Bizarre…Ilyaquelquechosededifférentdansvotreregard.Elleretintsonsouffle.LesgensdistinguaientrarementcettesubtiledifférenceentreLelaetelle.A

premièrevue, elles se ressemblaient commedeuxgouttesd’eau.Mais en regardant attentivement leursyeux,onremarquaitlespaillettesdoréesdanslessiensetlespaillettesvertfoncédansceuxdeLela.Laseulefaçondelesdifférencier.

CombiendetempsGabeBowdenavait-ilpasséavecsasœur?Elleledétailla.Descheveuxdejais,unvisageséduisant,lessourcilsarqués,desyeuxsombresbordésdelongscils,lespommetteshautes,la

bouchesensuelle.Desépauleslarges.Uncorpslongilignetoutenmuscles.PasvraimentlestyledeLela,quiétaitdavantageattiréeparlesjolisgarçonsintellos,àl’humourdécalé.

Elle,ellepréféraitleshommesténébreux,grandsetrobustes.Maiscen’étaitpasfaciledetrouverlegenrecow-boy,dansunevillecommeNewYork.Sansdoute laraisonpour laquelleellefréquentaitsipeu d’hommes. Et sans doute aussi la raison pour laquelle en cet instant même, malgré les épreuvesqu’ellevenaitdevivre,ceGabeBowdenl’attiraittant…

LeDrBellrevintavecuneboîted’antalgiques.— Prenez-en deux ce soir, avant de vous coucher. A partir de demain, un toutes les six heures

pendantcinqjours.S’ilvousenfautplus,revenezmevoir.Ellalaremerciad’unsourire.—VoyezTinaàl’accueilpourlesformalitésadministratives,ajoutaleDrBell.Ellaattenditqu’elleaitquittélapiècepoursetournerversGabe.—Ecoutez,jepréfèreréglerleshonorairesenespèces.Pourriez-vousallercherchermonsacdans

lavoiture.—Pourquoin’utilisez-vouspasvotrecartedecrédit?Quivousrechercheetpourquoi?Priseaudépourvu,elletressaillit.Elleouvritlabouchepourtoutavouer,maisriennevint.—C’estcompliqué,murmura-t-elleenfin.Gabefronçalessourcils.—Jevois.End’autrestermes,cenesontpasmesoignons.Trèsbien.Pouvez-vousmarcher?—Jecrois,oui.Elle se laissa glisser de la table d’examen en ayant soin de prendre appui sur son pied valide.

Prudemment,ellefitunpremierpas.Malgrél’attelle,sachevillerestaitdouloureuse.Gabe lui tendit lamain.Ellehésitauneseconde,puis lasaisit.Calquantsonpassur lesien, il la

soutintjusqu’àlaréception.—Vousavezremplileformulairedel’assurancemaladie?demandaTina.Terrifiée à l’idée de donner le moindre indice susceptible de dévoiler sa présence ici, elle

s’agrippainstinctivementaubrasdeGabe.Ilbaissalesyeuxsursamain,puislesrelevasurTina.—Elle n’a pas d’assurance.C’estmoi qui vais régler les honoraires, déclara-t-il en sortant son

portefeuille.—J’aidel’argentdansmonsac,murmuraEllaenlevoyanttendresacartedecrédit.Il lui lançauncoupd’œil lui signifiantclairementdese taire.Etc’estcequ’elle fit, tandisqu’il

signaitlereçudepaiement.Puisillaconduisitjusqu’àlasortieducabinetmédical.Lorsqu’ilsfurentarrivéslà,ellen’eutpasle

tempsdeprotesterqu’illasoulevaitdenouveaudanssesbras.Elleleregarda.Illuisourit,toutenpoussantlaported’uncoupd’épaule.—Jenepeuxtoutdemêmepasvouslaissermarcherpiedsnusdanslaneigejusqu’àlavoiture.On

estgalants,dansleMontana.Le froid sur sonvisage fit àElla l’effetd’unegifle.Elle remua sesorteilsglacés et laissaGabe

l’installer sur le siège passager. Il referma la portière, puis disparut de son champ de vision dans lerétroviseur.Elleentenditunchevalpiafferdanslaremorque.

Gaberevintplusieursminutesaprèsets’installaderrièrelevolant.Aumomentdemettrelecontact,sonregardtombasurlaliassedebilletsqu’elleavaitposéesurletableaudebordpourledédommagerdesfraismédicauxetdudérangementoccasionné.

—Vousvousbaladeztoujoursavecautantd’argentsurvous?—Pasvraiment.

Elletentaunsourirequin’atteignitpasseslèvres.—Votrecheval,çava?—Ilestdemauvaispoil. Il retrouverasabonnehumeurdèsque je l’aurai installébienauchaud

danssonbox.—Jesuisdésoléedevousavoirretardé.Vousauriezpumelaisserici.Il fitdémarrer lemoteur.Maisau lieud’enclencher lavitesse, il tournadenouveauverselleson

regardpénétrantetladévisageaunelongueminute.—Jenecroispaspouvoirvouslaisseroùquecesoit.

5

Assissurlecanapédusalon,PhillipWolfregardaitfixementl’épaisrubandescotchjauneposéentraversdesportesdelabibliothèque.

Nulbesoind’êtredanslapiècepourrevoirlascène.L’imagedesanièceétenduemortesurlesolétaità jamaisgravéedanssoncerveau.Lesanget lecorpsavaientdisparu,mais il lesvoyait toujoursaussiclairement.

Lavaguedepeuretderagequi l’avaitsubmergéendécouvrant le téléphonedeLelaprèsdesoncorps revint à l’assaut. L’appel avait duré onzeminutes. Ella avait tout entendu.Mais que savait-elleexactement ?Etait-elle au courant de l’existencede cette soi-disant preuve avancéepar sa sœur ?Oùavait-elledoncdisparu,bonsang?L’absencederéponsesàtoutescesquestionslerendaitfou.

Nomd’unchien!Lelaavaittoutfichuenl’air.Etmaintenant,illuifallaitréparerlesdégâts.Etc’étaitcequ’ilallaitfaire.Aconditionquesonplan

fonctionnecommeprévuetqu’Ellasoitretrouvéemorted’uneoverdose.Jusqu’àprésent,lamiseenscèneassuréeparRobbinsavaitparfaitementfonctionné.Mary,lafidèle

gouvernantedelafamille,avaitdécouvertlecorpsdeLelatôtcematinetappeléle911.Lapoliceavaitaussitôtdébarqué.Robbins,chargédel’enquête,feraitnaturellementensortequelespiècesàconvictionetlesrapportsdesdifférentsservicescorrespondentauscénarioélaboré.

Phillip avait lui aussi joué à la perfection son rôle d’oncle éploré lorsqu’il était arrivé àl’appartement.Terrassépar lechagrinet l’incrédulitédevantune tellehorreur, il avait juré sesgrandsdieuxqueceluiquiavaitassassinésanièceadoréepaierait.

Quand Robbins l’avait questionné sur un éventuel mobile devant ses collègues de la brigadecriminelleettoutlepersonneldemaisonréuni,ilavaitfaitallusionauprochainanniversairedesjumellesetàleurhéritage.IlavaitinsistésurletravailacharnédeLelapourgagnersaplacedanslacompagnie,pendant que sa sœur jumelle se contentait du strictminimumpour remplir les conditions du testamentpaternel.

Ilavaitaussitrèsbienjouélacomédiequandilavaitétéappeléaupetitmatinpouralleridentifierlecorpsdesanièce,alorsqu’ilsortaitdesbrasdesamaîtressechezqui ilavaitpassé lanuit.L’alibiparfait.Bientôt,toutaccuseraitElla.

MaryfitentrerRobbinsets’éclipsa.Phillip attendit que cedernier ait tiré une chaise tout près du canapépour poser à voixbasse la

questionquiletaraudait:—Oùest-elle?—Jenesaispasencore.Maishier,elles’estserviedesacartebancairepourretirerdel’argentau

guichetautomatiquedel’aéroportdeLaGuardia.

—Hier?Aquelleheure?—Auxalentoursde11heures.—Justeaprèsl’appeltéléphoniquedesasœur.—Exact.—Vousavezlocalisésontéléphone?—Ellel’aéteint.—Oùa-t-ellebienpualler?—Aucuneidée.Detouteévidence,elleapayésonbilletd’avionenliquide.—Vérifieztouslesvols.Trouvez-la!—J’ytravaille.Maisjusqu’àprésent,sonnomn’apparaîtsuraucunelistedepassagers.—Vouspensezqu’elleapuseservird’unefausseidentité?— Probable. Elle a certainement présenté de faux papiers pour acheter son billet et passer les

contrôles de sécurité. J’essaie de me procurer les images de vidéosurveillance des portesd’embarquement.Ilsuffitdelarepérerpourconnaîtreladestinationdesonvol.Maissiçasetrouve,elleatoutaussibienpumonterdanslejetprivéd’undonJuandepassagepleinauxas.Etàl’heurequ’ilest,elleseprélasseàmoitiénuesuruneplagedesablefin.

La lueurdedésirdans le regardde l’inspecteurn’échappapasàPhillip,quin’en futpas surprispourautant.Sesniècesavaienthéritédelabeautédeleurmère.

—Ellasedouteprobablementdequelquechose,marmonna-t-il,agacé.Autrement,ellen’auraitpasquittéNewYork,hiermatin,sousunnomd’emprunt.

—Vouscroyezqu’ellesaitcequesasœuradécouvert?—Bonsang,Robbins!Réfléchissezuneseconde!Ellen’apasdécidédesauterdansunavionsans

raison.Savez-vousoùLelaestallée?—Pasencore.Jecontinuedevérifiersesrelevésdecartebancaire.Maispourl’instant,lapriorité,

c’estElla.—En effet. Et si vous n’êtes pas fichu de la retrouver rapidement, jem’adresserai à quelqu’un

d’autre.—Jelatrouverai.— Dépêchez-vous. Ma nièce ne reste jamais anonyme très longtemps. Quelqu’un finira par la

reconnaître.—Nouspourrionspeut-êtreprofiterdesacélébrité.Aulieudecacherlesdétailsdel’affaireàla

presse,nouspourrions la fairepasserpourun témoinclé.Quelqu’unnous renseignera sûrement sur salocalisationetilmesuffirad’allerlacherchersousprétextedel’interroger.

—Silesmédiassefonttroppressants,nousn’auronspasd’autresolution,maugréaPhillip.Saufquelescénariodel’overdosetomberaitàl’eau,ragea-t-ilintérieurement.—Débrouillez-vous commevousvoulez,Robbins,mais trouvez-la.Bougez-vous, nomdeDieu !

Toutdesuite!L’inspecteurs’empressad’obéir.Restéseul,Phillipentourasonverredebourbondesdeuxmains.Sesphalangesblanchirenttandis

qu’ils’imaginaitresserrerl’étreintedesesdoigtsautourducoudélicatdesanièce.Cettemauditefilleétaitimprévisible.Ellenefaisaitjamaiscequel’onattendaitd’elle.

6

Ellaseréveillal’espritdésorienté,lecorpsdouloureuxetlecœurbrisé.Deslarmesruisselèrentsursesjouesjusqu’àseslèvres.Chacuneavaitlegoûtduchagrinetdelarage.

Oncle Phillip avait assassiné Lela. Pourquoi ? Quel secret avait-elle donc découvert ? De quois’agissait-il?Delacompagnie?D’argent?

Sanssasœur,plusrienn’avaitdesens.Toutenétantidentiques,ellesétaientleparfaitcomplémentl’unedel’autre.Lelaavaithéritédel’ingéniositédeleurpère,cettecapacitéàprévoirlesévolutionsdumarchéetàconcrétiseruneidée.Elle,elleétaitpluspragmatique.Pourfairetourneruneentrepriseavecefficacité, il était indispensable d’en connaître tous les rouages. Elle avait donc commencé par lecourrier, avantde travaillerdanschacundes services.Dubasde l’échelle jusqu’au sommet.Bien sûr,elleassistaitauxcomitésdedirectionetécoutaitlesdiscourspompeuxdescadresdelacompagniesurlaproductivité et la rentabilité. Mais pas un seul de ces idiots n’aurait su dire comment le courrieratterrissaitsurleurbureauetencoremoinscommentfonctionnaitleserviceinformatique.Lesdirecteurscommerciauxavaienttousdebellesidéesetdegrandsprojets,maisilsétaientsouventenconflitdirectaveclesdélaisderéalisationdesproduitsetdeleurcommercialisation.

AvecLela, elles avaient réfléchi à lameilleure façon de faire prospérer la compagnie en alliantleurscompétences.Ellesavaientpassédesnuitsentièresàendiscuter.Aimaginercombienleursparentsseraientfiers.

Etmaintenant…Ellefermalesyeuxetinspiraprofondémentpourrefoulerlesanglotquienflaitdanssapoitrine.Les

larmesneramèneraientpasLelaàlavie,pasplusqu’ellesnevengeraientsamort.Elledevaitàtoutprixnepascéderaudésespoiretseressaisirpourenvoyerleuroncledevantlajustice.

—Lève-toietagis!Elles’assitauborddu lit, le tempsderassemblersesforces.Ellecontemplaun instant leT-shirt

LedZeppelinqu’elleportait.Pasvraimentlestyleauquelelleétaithabituée,maiselleappréciaitleprêt.Lentement,elleselevaenfaisantpeserlepoidsdesoncorpssursajambevalide.Sachevilleétait

douloureuse,mais c’était supportable.Sonpantalon et son chemisier étaient posés surune chaise.Sesbottes endaimgisaient sur le sol, abîméespar laneige.Elle allait devoir s’en acheterunepaireplusadaptéeàlamétéodupays.Oùétaitsonmanteau?Gabel’avaitsansdoutesuspenduquelquepartpourlefairesécher.

Gabe…Ellenesavaitcommentleremercier.Lanuitdernière,aprèsl’avoirsauvéed’unemortcertaine,il

l’avaitemmenéechezlui,soucieuxdenepaslalaisserseule.Ellen’avaitpasprotesté.Pendantletrajet,elleavaitregardél’obscuritédéfilersoussesyeuxensongeantàLela,lecœurlourd,lapeurtapiedans

unrecoindesonesprit.Elleavaitbeauêtreimpatiented’allerauranchenquêtersurcequesasœuravaitbienpudécouvrirlà-bas,ellenesesentaitpaslecouragederesterseule.ElleneconnaissaitpasGabeBowden,mais ilavait l’aird’unhommehonnêteet responsable. Ilavait insistépour l’installerdans lachambred’amis.Ilavaitprisletempsdechangerlesdrapsdulitdanslequelsonfrèredormaitparfois,puisilluiavaitprêtéleT-shirtetlebasdepyjamaqu’elleportait.

Elle sepenchapour retrousser l’ourletdupantalonetnepas seprendre lespiedsdedans.Aprèsquoi,elleouvritlaportedelachambreetclopinajusqu’àlasalledebainsauboutducouloir.

Elleréprimaungémissementencontemplantsonrefletdanslemiroirau-dessusdulavabo.Lamasseindisciplinéede ses cheveux emmêlés, son teint blême et ses yeux rougis par les pleurs. Ellemit lesmainsencoupesouslerobinetd’eaufroideets’aspergealevisageàplusieursreprisespourdissipersatorpeuretinstaurerunsemblantd’ordredanssespensées.

Puiselleseredressa,prêteàaffronterlajournée.

***

Gabe avait terminé de nourrir les chevaux. Lela n’était toujours pas sortie de sa chambre. Sansdouteavait-ellefinipars’endormir.Quandill’avaitentenduepleurer,cettenuit,ilavaitététentéd’allerlaconsoler.Maisiln’enavaitrienfait,depeurdel’effrayerenfaisantirruptiondanslachambre,surtoutaprèscequecefumierdeTravisluiavaitfaitsubir.

Ilselaissatombersurlecanapéetallumalachaînenationaled’informations.LegénériquedeCNNapparut,aussitôtsuivid’unephotooccupanttoutl’écranquilelaissasansvoix.

— La riche héritière, LelaWolf, a été retrouvée morte ce matin, dans son appartement new-yorkais.

—Quoi?s’exclama-t-il,lesoufflecoupé.—Lesenquêteursviennentdequitterleslieux.Desourcesûre,onsaitquelecorpsdelajeune

femmeaétédécouvertparuneemployéedemaison,vers6heurescematin.LelaWolfauraitététuéed’uneballeenpleincœur.Pourl’instant,lapolicen’apasdonnédeprécisionsetonnesaittoujourspas si EllaWolf, la sœur jumelle de la victime, se trouvait sur les lieux aumoment dumeurtre. Ilsembleraitcependantqu’elleaitdisparu.Figureconnuedelavienocturne,EllaWolfasouventfaitlaunedes tabloïdsetpas seulementpour son sensde lamode.LaviedesWolf estune successiondetragédies.Quelquesmoisaprès ladisparitiondeStuartWolfdansunaccidentd’avion, sonépouse,Rosalind, se suicidait, laissantderrièreelledes jumellesdequatorzeans,destinéesàhériterd’unefortunedeprèsdecinqcentsmillionsdedollars,lejourdeleurvingt-cinquièmeanniversaire.Nulnesaitsicethéritageestàl’originedumeurtredeLelaWolf,maisdesrumeurscirculentcommequoi…

Gabe en avait assez entendu. Il se leva d’un bond pour aller parler à Ella, mais elle se tenaitderrièrelui,leregardrivésurl’écrandetélévision.

Ils’approchaetlasaisitdurementparlesépaules.—Vousm’avezmenti!Vousn’êtespasLela.—Jen’aijamaisditquejel’étais.—Maisvousmel’avezlaissécroire.Pourquoi?Parcequevousavezassassinévotresœur?—Jenel’aipastuée!s’écriaEllad’unevoixvibrante.Plaquantlesmainscontresontorse,ellelerepoussaets’écartadequelquespas,toutsoncorpssur

ladéfensive,depuissonmentonrelevéjusqu’àsespoingsserrés.Etlalueurdedéfidanssesyeuxviraàla ragepure,quandapparutà l’écran ledirecteurde lacommunicationdeWolfEnterprises, sortantdel’immeubleencompagnied’uninspecteur.

—M.Wolfest effondré,annonça le responsable à la fouledes journalistes qui lui tendaient desmicros.Ilneferaaucunedéclaration.S’ilvousplaît,respectezsonchagrin.L’inspecteurRobbinsici

présent,chargédel’enquête,vouscommuniqueradesrenseignementsentempsutile.Merci.Ella faillit défaillir sous la violence de la haine et de la douleur qui étreignaient son cœur à la

pensée de sa sœur étendue à lamorgue sur une table en acier, pendant que cette ordure d’inspecteur,complicedesonassassinat,sepavanaitdevantlapresse,l’airaffligé.

L’imagerevintsurlajournalistedeCNN,postéedevantl’entréedel’immeuble.—Voici tout ce que nous savons pour le moment. LelaWolf a été retrouvée ce matin, à son

domicile,tuéed’uneballeenpleincœur.Sononcle,PhillipWolf,n’afaitaucunedéclarationetlesortdesasœur,EllaWolf,resteunmystère.

Desphotosd’Ellasesuccédèrentàl’écran,lamontrantavecdesamis,surunyacht,lorsd’undéfilédemodeouàlasortied’uneboîtedenuit.

Gabeneregardaitpluslatélévision.Illadévisageait.—Avez-voustirésurvotresœur?demanda-t-ilcalmement,sanslaquitterdesyeux.Commeellenerépondaitpas,ilhurla:—Répondez!—Jevousaidéjàrépondu!répliquaEllasurlemêmeton.Jesuisdésoléedenepasavoirrectifié

quandvousm’avezprisepourLela.Désormais,pluspersonnenenousconfondra.Elleestmorte!Savoixsebrisasurcesmots,etsesyeuxsebrouillèrentdelarmes.Elledevaitàtoutprixcesserde

pleurerpourpouvoiragiretvengerlemeurtredesasœur.—Jedoisallerauranch,décréta-t-ellefermement.EtsansattendredesavoirsiGabeallaitl’yemmener,elleretournadanslachambred’amis,referma

laportederrièreelleets’yadossa,latêteentresesmains.—Ella,expliquez-moicequisepasse,bonsang?Ellefermalesyeux,lagorgenouéeparlechagrin.—Ilfautquej’ailleauranch.Soitvousm’yemmenez,soitj’yvaisparmespropresmoyens.—Vousn’avezpasréponduàmaquestion,insista-t-il.Silence.Gabe frappa du plat de lamain sur lemur, résistant à l’envie d’enfoncer cette fichue porte pour

savoirsiouiounon,Ellaavaittirésursasœur.Pourl’instant,illuidonnaitlebénéficedudoute,carlechagrinqu’ilavait ludanssesyeuxétaitbienréel.Ilespéraitseulementqueceslarmes,etcellesqu’ill’avaitentendueverserlanuitdernière,n’étaientpasdeslarmesdeculpabilité.

De retour au salon, il éteignit la télévision en songeant aux photos d’EllaWolf sur CNN et auxcommentairesdela journalisteàsonsujet.Ellaavaitmanifestementlaréputationd’unefillequiaimaitbrûlerlachandelleparlesdeuxbouts,boire,sedrogueretfairelafêtejusqu’àpointd’heure.Saufquel’image ne collait pas du tout avec celle de la femme dans sa chambre d’amis. La femme qu’il avaitsauvée avait l’air réservée, réfléchie et mentalement solide, compte tenu de ce qu’elle avait endurédepuishier.Pasdutoutlegenreécervelée,noceuseinvétérée,croqueused’hommes.

Etrange…Desquestionspleinlatête,ilattenditqu’ellesortedelachambre.Sadécisionétaitprise.Mêmes’il

nesavaitpaspourquoielledevaitàtoutprixallerauranch,ill’yconduirait.Simplementparcequecelasemblaitterriblementimportantpourelle.

—Jesuisprête.Ilseretournaetladévisagea.—Ella,êtes-voussûred’êtreenétatd’allerlà-bas?Neleprenezpasmal,maisvousavezunemine

atroce.Prenezdoncletempsdevousreposeraumoinscematin.Asseyons-nousetdiscutons.—Jen’aipasletempsdediscuter.JedoisalleràWolfRanch.—Pourquoi?Quelestlerapportaveclemeurtredevotresœur?—Jenesaispasencore.Là-bas,jetrouveraipeut-êtrelaréponse.

Nesachantplustropquoipenser,Gabefuttentéd’insister,maisseravisa.—D’accord.Jevousyemmène.Sans perdre une seconde, Ella boitilla jusqu’à la porte d’entrée. Ses bottes à talons ne lui

facilitaient pas la tâche, nota Gabe qui ne put s’empêcher de remarquer également la façon dont lepantalonnoirmoulaitseshanchesetsescuissesfuselées.Laveille,lorsqu’ill’avaitdéshabillée,ils’étaitsurtoutpréoccupéde la réchaufferetdevérifierqu’ellen’avait riendecassé.Maisdans lanuit,alorsqu’il sombrait dans le sommeil, il avait rêvé de ces jambes et de cet échantillon de dentelle noiredissimulantsescharmes.Etdanssonrêve,lajeunefemmen’étaitpasblessée.Ohnon.Elles’enroulaitautourdesoncorps,telleuneliane…

«Çasuffit,Bowden ! Il s’agitde taprotégée,pasd’un fantasmedevenu réalité.Alors, ressaisis-toi.»

LorsqueEllaouvritlaporte,lamorsuredufroidlafitreculer.—Attendezunesecondequejevousapportevotremanteau.Ilrefermalaporteetallachercherlemanteaudanslabuanderie.—Jel’aifaitsécherdevantlachaudière,pendantquejelavaisvotrepantalonetvotrepull.Ellabaissalesyeuxsursonpantalon,puislesrelevasurlui.—Oùestmonpull?—Disonsque…jevousendoisunneuf.Iln’avaitpasvérifiél’étiquette,sibienqu’àsasortiedulave-linge,lepullavaitrétrécid’aumoins

quatretailles.— Il n’a pas apprécié le programme de lavage, précisa-t-il comme elle le regardait sans

comprendre.Jen’aipasl’habitudedunettoyageàsec.Ellaesquissaunsemblantdesourire.—Cen’estpasgrave.—Jesupposequec’estunvêtementdeprix.—Eneffet,maiscen’estqu’unpull.Rienencomparaisondecequevousavezfaitpourmoi.—Peut-être,maisjevousdoistoutdemêmeunpull.—Toutcequejeveux,c’estallerchezmoi.—D’accord.Ensuitenousauronsunepetitediscussion.Ill’aidaàenfilerlemanteauetluiouvritlaporte.Elles’arrêtadans lacourpourobserver leschevauxdans lepré,blottis lesunscontre lesautres

pour se protéger du froid. Le soleil nimbait de lumière les bouffées d’air qu’ils soufflaient par lesnaseaux.

—Nous adorionsvenir ici fairedu cheval,murmura-t-elle.ANewYork, j’ai continué àmonter,maisLelaaarrêté.Ça lui rappelait trop lesmomentsheureuxpassés iciavecnosparents.Quandnousétionsauranch,ilsnousconsacraienttoutleurtemps.

Gabesentitsoncœurseserrer.—Quis’estoccupédevousaprèsleurdisparition?—OnclePhillipestnotretuteur,maisenréaliténousnousoccupionsl’unedel’autre.Noussommes

devraiesjumelles.Lelaestmondouble.Etjesuissondouble.—Al’imagedevosprénoms.Lesmêmeslettresdansunordredifférent.J’imaginequevousétiez

trèsproches.Ellahochalatête.—C’étaitmameilleureamie.Mamoitié.Quandjelaregardais,jevoyaistoutcequej’étais,plusce

quin’appartenaitqu’àelle,maisquejepouvaisêtre,moiaussi,puisquenousétionsidentiques.Elletournaledosauxchevaux,ouvritlaportièredupick-upets’assit,leregardrivédroitdevant

elle,sondélicatvisagefigédansunetristesseindicible.

Bouleversépar laprofondeur et l’intensitéde cequ’il venait d’entendre,Gabecomprit quecettefemmen’auraitjamaispufairelemoindremalàsasœur.

Pendant quelques secondes, il contempla les chevaux en songeant à ses frères, à tous les bonsmomentspassésensemblequandilsétaientenfantsetencoreaujourd’hui.

Puisilgrimpaderrièrelevolantetmitlecontact.Maisaulieud’enclencherlavitessepourpartir,ilposa samain surcelled’Ellaet la serradoucementpour lui fairecomprendrequ’il étaitde toutcœuravecelleetqu’ilcomprenait,aumoinsenpartie,cequ’elleéprouvait.

Le soupir qu’elle laissa échapper résonna en lui. Et contre toute attente, elle retourna sa main,enlaçasesdoigtsauxsiensets’yaccrocha.

7

Ellaregardaitfixementàtraverslepare-briselademeureenboisquesonpèreavaitfaitbâtirsurmesurepoursonépousebien-aimée.Sesparentsenavaientfaituneretraitefamiliale,pasunepropriétéluxueusedestinéeàéblouirleursrelationsoulespartenairesenaffaires.

Rienn’avaitchangé,sicen’estquelesarbresparaissaientplusgrands.Acetteépoquedel’année,iln’yavaitpasdefleurs,maisauprintempslejardinseparaitdescouleurspréféréesdesamère.

—Ella?Vousvoulezentrer?La main de Gabe dans la sienne la rassurait d’une façon à laquelle elle préférait ne pas trop

réfléchir.Pasmaintenant,alorsquel’émotionétaitsivive…Elleserevoyaitjoueravecsasœuraumilieudesparterresfleurisdebleuetsetd’astersblancs.Elle

serappelaitlespique-niquesimprovisésavecleursparentsdanslepré,unpeuplushaut,aumilieudesboutons-d’or. Ils étalaientunecouverture à l’ombreduchêne, leurmère riaitdesplaisanteriesde leurpère,Lelacouraitderrièrelespapillons.Ilsétaientsiheureux.Ilsformaientunefamille.

Elle aurait tant voulu retenir le souvenir de ces instants de bonheur intense. Ne pas se laissersubmergerparlacruelleréalité.

Deslarmesluibrouillèrentlavue.Désormais, elle était seule face à son oncle qui voulait sa mort sans qu’elle sache pourquoi.

Cependant,soninstinctluisoufflaitquelaréponsesetrouvaitdanscettemaison.Dansungesteimpulsif,pourremercierGabedesonsoutienetdesacompréhension,ellelevaleurs

mainsjointesetposaunbaisersursesdoigts.Ellelutlasurprisedanssonregardbrun.Elleylutledésiraussi.Illatrouvaitséduisante.Comme

tantd’autreshommesavant lui.Maisvoilàdéjàquelque tempsqu’elleavaitdécidédenepluscraquerpour leshommesqui la regardaientainsi, justeparcequ’elleavaitbesoind’attention.A l’approchedesonvingt-cinquièmeanniversaireetdesresponsabilitésaccompagnantcetournantdesonexistence,elleavaitradicalementrévisésesprioritésetsesobjectifs.ElleavaittravaillédurpoursemettreauniveaudeLela,pourdevenirunepartenaireàlahauteur,cellequeméritaitsasœur.

Désormais,elleallaitdevoirsedébrouillerseule.Ellenepouvaits’appuyersurpersonned’autrequesurelle-même.IlluifallaitêtreforteenmémoiredeLela…

Rassemblant son courage, elle descendit de voiture. Lentement, elle gravit l’escalier du perroncouvertdeneige,inséralaclédanslaserrureetentradanssonpassé,lecœurbattant.

Elles’immobilisaaumilieuduhall.Stupéfaite.Lamaisonétaitvide.Meubles,tableaux,tapis,bibelots,toutavaitdisparu.Commeelleseretournait

pourtaperlecodedel’alarme,Gabeladevança.

Ellesentitsescheveuxsehérissersursanuque.—Commentsefait-ilquevousconnaissiezcecode?—Quand j’ai croisévotre sœur ici, avant-hier, ellenem’apas laissé le tempsde lui expliquer.

J’avaisrendez-vousaveclesdéménageurspourviderlamaison.—Commentça,viderlamaison?Oùont-ilsemportélesaffaires?—Dansungarde-meubleàCrystalCreek.Ellefitunpasverslui,furieusequ’ilneluiaitriendit.Quesavait-ild’autre?Etait-ilpossiblequ’il

soitluiaussiàlasoldedesononcle?Elleglissauncoupd’œilverslaporte,s’attendantàvoirdeshommesjaillird’uneberlinesombre

pourlarameneràNewYork.Lesoufflecoupéparlapeur,ellesentitsoncœurs’emballer.—Voustravaillezpourmononcle?—Non.—C’estluiquivousaenvoyémechercher?Ellesedétestapourletremblementdanssavoix.—Puis-jevousrappelerquejevousaitrouvéesurlarouteàmoitiémortedefroid?réponditGabe,

l’airsurpris.Votreoncle,jeleconnaisàpeine.—Maisvousleconnaissez.—Jeluiaiparléautéléphone.—Aquelsujet?—Aproposdelaventedeceranch.—Parcequevoustravaillezdansl’immobilier?Celane collait pasvraiment avec l’imagequ’il donnait,mais elle n’osait plus trop se fier à son

jugement.—Pasdutout.J’aiachetéWolfRanch.—Quoi?Vousl’avez…acheté?—Oui,c’estmoi,lepropriétaire.Enfin,non,pasencore.—C’est-à-dire?—Laventeseraconclueseulementle20mars.Elleavaitl’impressiond’encaisserdescoups,telunboxeuracculécontrelescordes.—Quiasignél’actedevente?demanda-t-elle,abasourdie.—PhillipWolf.Pourquoi?—Lesalaud!Combien?—Pourlamaisonetlesterres?Ellesentitenflerenelleuntorrentderévolte.—Oui!Combien?—Unmillionetdemi.Lamoitiéenapportpersonnel,l’autremoitiéàcrédit.Elleéclataderire.Unrireemplid’amertumequirésonnalugubrementdanslapiècevide.Follede

rage,elles’écria:—Jesuisicichezmoi!Cettemaisonn’estpasàvendre!Pasplusquelesterresquil’entourent!Sidéré,Gabeladévisagea.—Vousplaisantez,là.L’actedeventeestsigné.Jeseraipropriétaireduranchdanssixsemaines.—Certainementpas!répliqua-t-elle,horsd’elle.Gabefranchitladistancequilesséparaitetbaissalesyeuxsurelle,detellesortequ’ellefutobligée

deleverlatêtepoursoutenirsonregard.Ilsn’étaientplusqu’àquelquescentimètresl’undel’autre.Ellesentitsachaleurl’envelopper,maiscelanecalmapassacolèrepourautant.

—L’argentestsousséquestrechezlenotaire,articula-t-illentement,posément,enplantantlesyeuxdanslessiens.Quandilseradébloqué,le20mars,cettepropriétém’appartiendra.

—Non.Ilfaudraitquejesoismorte,pourcela.Apeineeut-elleprononcécesmotsqu’ellesentitlesolsedérobersoussespieds.Etait-ilpossible

quesononcleaitplanifiéladisparitiondeLela?Et…lasienne?Elle se força à respirer lentement, profondément, pour faire refluer la peur et la colère qui lui

tordaientlesentrailles.—Quandmononclea-t-ilmisleranchenvente?—Ilnel’apasvraimentmisenvente.Jepossèdequelquesarpentsdeprairieadjacentsauxvôtres.

Noussommesvoisins.Ilyadeuxmois,j’aicontactévotreonclepoursavoirs’ilmeseraitpossibledelouerunepartiedevos terresafind’yéleverdubétail.Aprèsdiscussion, ilm’ademandé si je seraisintéresséparl’achatduranch.

Ils’interrompitetplongeasonregarddanslesien.—Jenecomprendspas…Avant-hier, jecroisevotresœuricimêmeetellesefaitassassiner.Le

lendemain, je vous découvre àmoitiémorte de froid sur le bord d’une route en pleine campagne. Etmaintenant,vousmeditesquec’estvouslapropriétairedeceranch,maisquevousnesaviezpasqu’ilétaitàvendre.

—Iln’estpasàvendre.—Saufsivousêtesmorte,avez-vousdit.Qu’est-cequetoutcelasignifie?—Je…jenesaispas.Jecroyaistrouvericil’explicationdumeurtredemasœur,maisiln’yaplus

rien…Toutadisparu.—Rienn’adisparu.Toutestdansungarde-meuble.Dites-moicequevouscherchezetjevousle

retrouverai.—Commentça?— J’ai fait l’inventaire de tout ce que contenait cettemaison et j’ai supervisé l’emballage et le

transportjusqu’augarde-meuble.Toutestnumérotéetlescartonssontétiquetés.Sivousmeditescequevouscherchez,jepeuxvouslesortir.

—D’accord,murmura-t-elle en jetant un regard circulaire autour d’elle. Il y avait une sculptureaccrochéeaumur,là-bas.Unesortedepuzzleréaliséavecdesrouagesd’horlogerie.C’estuneœuvredemonpère.J’aimeraislarécupérer.

—Pasdeproblème.Jevoistrèsbiendequoiils’agit.—J’aimeraisaussirécupérerletableauquiétaitau-dessusdecettecheminée.—Iln’yavaitpasdetableau.—Si.Deuxpetitesfillesenrobeblanchequicourent,lescheveuxauvent,aumilieud’unchampde

marguerites.—Vousetvotresœur,j’imagine.—Oui.C’estmamèrequil’apeint.Gabehaussaunsourcilperplexe.—Ella,iln’yavaitaucuntableausurlesmurs.Seulementdesphotosdefamille.—Impossible.IlyavaitunRembrandtdanslebureaudemonpère,unManetdanslachambrede

mesparents,etunedizainedepaysagespeintsparAlbertBierstadtunpeupartoutdanslamaison.Gabelaissaéchapperunsifflementincrédule.—Cesœuvresvalentaujourd’huiplusieursdizainesdemilliersdedollars,non?—Ditesplutôtdesmillions.Ellesontdisparu,c’estça?—Çam’enatoutl’air.Entoutcas,cen’estpasmoiquilesaiprises.—Jen’aipasditquec’étaitvous.—Vouscroyezquec’estpourçaquevotresœurestvenueici,l’autrejour?Pourlestableaux?—Je…jenesaispas.

Lela avait-elle découvert que leur oncle vendait leur patrimoine en toute illégalité, sans leursignature?Enavait-ilfaitautantavecleurmaisondecampagnedansl’EtatdeNewYork?Cettemaisonoù leurmèreavaitpréféré sedonner lamortplutôtquede resterprèsde ses filles. Ily avait aussi lamaisondeSanFrancisco,oùcecheronclePhillipaimaittantpassersesvacances…loindesesnièces.

Etdirequ’ellesluifaisaientconfiance!Parchance,ellesavaientapprisdeleurpèreunerègleessentielle:nejamaisdonnerprocurationà

quiquecesoitpourgérer leurargent.Payerdesexpertspourse faireconseilleret régler les factures,mais signer soi-même les chèques. Ce qui expliquait peut-être pourquoi leur oncle avait volé lestableaux.Pouravoirducash.Sansdoutelesavait-ilrevendusaumarchénoiràdesmarchandsd’artpeuscrupuleux.Etait-celàtoutcequ’ilcachait?Oubienn’était-cequelapartieémergéedel’iceberg?

—Ella,cettehistoiredeventequinepeutêtreconclue,saufsivousdisparaissez.Dequois’agit-ilaujuste?

—Jedétesteparlerdemamort.—Normal. Seulement, j’ai besoin de savoir. J’ai investi tout ce que j’avais dans l’achat de ce

ranch.—Iln’estpasàvendre.—Jel’aiachetéetj’aipayépourcesterresetcettemaison.L’argentestsuruncomptebloqué.— Vous êtes sûr ? demanda-t-elle, soudain désolée à l’idée que son oncle ait pu escroquer un

hommeaussifoncièrementbon.Gabe fronça les sourcils et sortit son téléphone portable de sa poche. Comme il s’apprêtait à

composerunnuméro,elleposalamainsursonbras.— Si l’argent n’est pas là, dites-leur que vous vous chargerez de régler le problème

personnellement.Dites-leurquevousêtesencontactavecPhillipWolfetquevoustraiterezdirectementaveclui.Ilnefautpasquemononclesedoutedequoiquecesoit.Jevousrembourserai.

—Sil’argentn’estplussurlecomptebloqué,jesuispropriétairedecetendroitetvotreonclepeutallersefairevoirdèsaujourd’hui.

—Vousn’êtespaspropriétairedeceranch,Gabe.Parcequemononclenepeutpaslevendresansmasignature.

—C’estpourtantbienlui,votretuteuretl’administrateurdevosbiens.C’estcequ’ilm’adit.—Mesparentsl’onteneffetdésignécommetuteur,maispascommeadministrateurdupatrimoine

familial.Cesontdeuxavocatsquis’enoccupentetchaquetransactionrequiertmasignatureoucelledeLela.Sansnotresignature,rienn’estlégal.OnclePhillipn’aaucunpouvoir,nisurlacompagnie,nisurceranchoutouteautrepropriété,nisurLela,nisurmoi.

—Saufsivousdisparaissezàvotretour,conclutGabe,médusé.—Exact.Etmaintenant,passezvotrecoupdefil.Ilnefallutpasplusd’uneminuteàGabepourdécouvrirquelecomptesousséquestreavaitétévidé

etclôturélelendemainduversementdesesseptcentcinquantemilledollars.Ilfermalesyeux,serralepoingsursontéléphoneetlepressacontresonfront,ententantdegarder

soncalmeetderéfléchir.—Cesalopardm’aarnaqué!—Eneffet,confirmaElla.Maisjevaisarrangerça.—Jeneveuxpasquevousarrangiezça.Jeveuxl’étripermoi-même.—Vouslepourrez,maislaissez-moid’abordjeteruncoupd’œilsurlespapiersqu’ilasignés.—Ilssontchezmoi.L’agenceimmobilièrem’avaitassuréquetoutétaitenordreetquelesavocats

delafamilleWolfavaientremplilesdocumentsnécessaires.Commentont-ilsfait,s’illeurfallaitvotresignature?

—Aucune idée.Mon oncle les a probablement soudoyés. Il les aura payés avec une partie del’argentducompteséquestre.

—Bonsang,j’aivérifiéquemonnomfiguraitbiensurlenouvelactedepropriétéduranch,maisjen’ai pas vérifié les nomsde ceuxqui avaient signé la vente. Pourquoi l’aurais-je fait, d’ailleurs ?Leranchestaunomd’unesociétéfiduciaire.NivotrenomniceluideLelan’étaientmentionnés.

—C’estvrai.Jen’yavaispaspensé.—Vousêtessûrequecetteventeestcaduque?J’aipourtantversél’argent.—Allons,Gabe.Vous savez très bien qu’elle est caduque.Mais je comprends votre frustration,

d’autantquevousavezcrufaireunebonneaffaire.Parcequevoussavezcommemoiquecettepropriéténevautpasunmillionetdemidedollars,maisledouble,aubasmot.

—Si je comprendsbien, votre oncle n’a jamais eu l’intentiondemevendre ce ranch. Il voulaitseulementm’escroquerdeseptcentcinquantemilledollars.

—Passûr.—Qu’est-cequivousfaitdireça?— La date à laquelle il voulait que la vente soit conclue chez le notaire. Le jour de mon

anniversaire.—Le20mars?—Oui.Cejour-là,j’auraivingt-cinqansetj’hériteraidetoutcequemesparentsm’ontlégué.Sans

condition.Jeprendrailadirectiondelacompagnieetlecontrôledetouslesbiens.—Saufsivousdisparaissezd’icilàetquevotreoncleresteseulhéritier.Auquelcas,iltoucherait

lejackpot.Etperdreunoudeuxmillionssurlaventeduranch,le20mars,neseraitrienauregarddelafortunecolossaledontilhériterait.

Ellahochalatête.—Sivousm’aviezlaisséemourir,hiersoir,vousauriezsansdouterésolusonproblèmeetlevôtre

parlamêmeoccasion.

8

L’idéequePhillipWolfpuissevouloirtuerEllarendaitGabemalade.CesalaudavaitassassinésanièceethabilementutilisélesmédiaspourdésignerEllacommeprincipalesuspecte.

Ilnelaconnaissaitpasvraiment,maisilsedevaitdelaprotégercontrecethommesansscrupules.Aprèstoutcequ’elleavaitenduré,ilneselepardonneraitpas,s’illuiarrivaitquoiquecesoit.

Ilyavaitaussileproblèmefinancier.Bonsang,ilavaitinvestitoutcequ’ilpossédaitdansl’achatduranchetdubétail!Toussesprojetstombaientàl’eau.Commentallait-ilrembourserl’empruntqu’ilavait contracté ? Et où allait-il faire paître les quatre cents têtes de bétail supplémentaires, censéesdébarquerdanssixsemainessursonminusculeboutdeprairie?Il luifallait lesterresdeWolfRanch.Autrement,ilneluiresteraitplusqu’àrevendreletroupeauetàdigérerlaperte.

Tout cet argent… Il déglutit, une sensation de brûlure dans la gorge, comme si son estomac luienvoyaitunegicléed’acide.Lestress.Ledépit.Lafrustration.Lacolère.

Chaque foisqu’il était sur lepointde réaliser son rêve, celui-civolait enéclats.Seule l’échelleavaitchangé.Ilyacinqans,ilavaitachetéunpetitranchpourprouveràsafiancéequ’ilétaitàmêmedesubvenirauxbesoinsdeleurcoupleetdesenfantsqu’ilsauraient.Ils’étaitimaginéquec’étaitledébutdeleurnouvellevieàdeux,alorsqu’enréalitéc’étaitlafin.Cruelledéception.Ilavaitcependantréussiàremonterlapenteetilavaittravaillécommeunforcenépouracheterplusgrand.Ilavaitinvestijusqu’àson dernier kopeck dans l’achat deWolf Ranch. Résultat, il se retrouvait lesmains vides. Pire, il sepourraitqu’ilsoitobligédevendrelepeudeterresqu’ilpossédaitaujourd’hui.

—Pourriez-vousm’emmenerrécupérermavalisechezl’abrutiquim’aabandonnéesurlaroute?Arrachéàsestristesréflexions,ilrecentrasonattentionsurlafemmefaceàluiquiavaitbesoinde

sonaide.—Quecomptez-vous faireensuite? J’imaginequevousallez rentreràNewYork,accuservotre

oncledemeurtreetdevold’œuvresd’art.—Pastoutdesuite.Jen’aiaucunepreuvecontreluietiladesrelationshautplacées.Vousavezvu

les journaux télévisés.Tout lemonde est prêt àm’accuser dumeurtre dema sœur.Ladisparitiondestableaux me donne cependant un point de départ. Il faut que je mette la main sur les documents lesconcernantpourprouverlevol.Monpèreconservaitcertainementlescertificatsd’authenticitédanssespapiers.

—C’estpeut-êtrecequevotresœurcherchait.Elleestpartieenlaissantdesdossierséparpillésunpeupartoutdanslebureaudevotrepère.

—Ellenevousarienditàproposdelaventeduranch?—Vusoncomportement,jenepensepasqu’elleétaitaucourant.Elleétaitvisiblementpresséede

quitterleslieux.

—Elleavaitpeut-êtredécouvertquelquechosed’encoreplusgrave,murmuraElla.— Plus grave que le vol de tableaux et une vente de propriété illégale ? ne put-il s’empêcher

d’ironiser.Ellefronçalessourcils.—Possible…Ellesedétournaetressortitdelamaisonenboitillant.Gabelasuivit.Ilnelalâcheraitpasd’une

semelle.Arrivéeaubasduperron,ellebattitdespaupièrespourrefoulerseslarmesetfermalesyeux.Sans

douterevoyait-ellelesjoursheureuxqu’elleavaitpassésiciavecsesparentsetsasœur,songea-t-il,lecœurserrépartoutecettetristessequ’ilpercevaitenelle.

Il s’arrêta en la voyant lever vers le ciel son beau visage blême, ruisselant de larmes. Les brasballantlelongducorps,elleétaitl’imagemêmeduchagrinetdelasolitude.

Alors,sansréfléchir,pousséparcetinexplicablebesoindelaprotéger,ils’approcha,l’enveloppadesesbrasetlaserracontrelui,lajoueposéesursescheveux,jusqu’àcequeseslarmessetarissent.

Illasentitinspirerprofondémentpourseressaisir.Commeelletentaitdes’écarter,ilresserrasonétreinte.Ellelevalesyeuxsurlui.Lamêmenuancedevertqueceuxdesasœur,maisavecunesubtiledifférence,nota-t-ildenouveau.LelaWolfétait séduisante,maischezElla ilyavaitquelquechosedeplusquiletroublait.

Ilauraitvoululavoirsourire.Voirlajoieserefléterdanssesyeux,lesfaireétinceleretchasserlesombresqui lesobscurcissaient. Il sedemandacequipourrait la faire rire. Il aurait aiméentendre sonrire.

—Jesuisdésolépourvotresœuret…pourtout,murmura-t-il.—Etmoi,jesuisdésoléequemononclevousaitescroqué,balbutia-t-elled’unevoixenrouéepar

leslarmes.Ilpaierapoursescrimes.Jevouslepromets.C’était la seule chose qui le retenait de sauter dans un aviondirectionNewYorkpour aller lui-

mêmeétriperPhillipWolf.IlallaitaiderEllaàrécupérersonhéritageetàenvoyersononclederrièrelesbarreauxpourlerestantdesesjours.

Il contempla les terres qui s’étendaient à perte de vue jusqu’aux contreforts desmontagnes. Cesterresquiauraientpuêtreàlui…

—Cetendroitesttoutcedontvousrêviez,murmuraElla,formulantsespensées.Puis,setournantverslamaison,elleajouta:— Il neme reste ici que des souvenirs. Tous ceux que je chérissais sont morts. Cette demeure

appartientàmonpassé.Elleestdésormaisaussividequemoncœur.Emu,Gabeluicaressaledos.S’abandonnantuninstantcontrelui,elleposalajouecontresontorse

avecunsoupir.—Qu’allez-vousfaire,maintenant?demanda-t-il.Elles’écartaetilnecherchapasàlaretenir.Parcequ’iln’avaitpasledroitdegardercequinelui

appartenaitpas.Ceranch.Cettemaison.Cettefemme.Le père d’Ella avait choisi un endroitmagnifique pour y bâtir une retraite familiale à l’abri du

mondeextérieur.Ilavaitcrééunempire,maissaplusbelleréussitesetenaitlà,soussesyeux.Unejeunefemme,mélangededésespoiretdecourage.EtGabenedoutaitpasuninstantqu’elleferaitpayerPhillipWolfpoursescrimes.

— Je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre, mais mon oncle terminera ses jours enprison.

—Commentpuis-jevousaider?—Cettehistoireneconcernequemoi.Jemedébrouilleraiseule.

—Pasquestion,mademoiselleWolf.J’aimoiaussides intérêtsàprotégerdanscetteaffaire.Parailleurs,vousn’aveznivoiturenivêtementsderechange.

Cettedernièreremarqueluivalutunpâlesourire,maisunsouriretoutdemême.—C’estvrai.Danscecas,vousallezdevoirmesupporterencoreunpetitboutdetemps.—Aumoins jusqu’àcequenousayons lapreuvedontvousavezbesoinpour faire tombervotre

oncle.Illuiouvritlaportièredupick-upetl’aidaàgrimpersurlemarchepied,puisàs’asseoir.Unefois

installée, elle le gratifia d’un de ses sourires insaisissables. Il se demanda si c’était une façon dedissimulerletroublequ’elleéprouvaitensaprésence,troublequ’iltentaitluiaussidecacher.Parcequeladernièrechosedontilavaitbesoin,c’étaitbiendecraquerpourunefemmed’unautremondequelesien.Unefemmequipleuraitlamortdesasœur.UnefemmequineresteraitpasdansleMontana.

— Allons rendre une petite visite à Travis, histoire de récupérer votre valise, déclara-t-il ens’installantderrièrelevolant.

—Jenesaispourquoi,maiscelaressembledavantageàunemenacequ’àunevisitedecourtoisie.—Vousnemeconnaissezpas.—Maisjesensquejevaisvousapprécier.Illaissaéchapperunpetitrire.Parcequelesentimentétaitréciproque.Il hésitait cependant à se rapprocher davantage d’elle. Il ne savait s’il pouvait réellement faire

confianceàunmembredelafamilleWolf.Aufinal,mêmes’ilrécupéraitsesseptcentcinquantemilledollars, ilauraitperducequ’ilavaitdésiréplusque toutaumonde:unechancedevivrecommeil lesouhaitait, sur cette terre qu’il avait rêvéposséder un jour. Il avait tout organisédans sa tête.Commequoi,mêmelesplanslesmieuxpréparés…

9

IlsroulèrentensilencejusquechezTravis.Pourtenirlechagrinàdistance,Ellaseconcentraitsurlepaysage.L’ombreobliquedesmontagnes

surlaprairieenneigée,lesarbrespétrifiésparlegivre.Elleadoraitcesgrandsespaces,toutautantquelecontactdelamaindeGabetenantlasienne.Ilsavaientdenouveauenlacéleursdoigts.Celas’étaitfaitnaturellement.Elles’était rapprochéede luiquandsespenséesavaientdérivéverssasœur,et ilavaitposésamainsurlasienne.

L’odeurlatiradesacontemplation.Uneodeurputridedepurinetdeviandeavariée.—OhmonDieu!s’exclama-t-elleavecunegrimacededégoût.—Etencore,cen’estrien.—Vousplaisantez?—Pasdu tout.Attendezquenousayonspassé levirage.Vousn’encroirezpasvotrenez.Nivos

yeux.—Commentleséleveurspeuvent-ilssupporterpareillepuanteur?—Toutlemondenegèrepassonranchdelamêmefaçon.QuandGabepritlevirage,ellecomprit.Les vaches s’agglutinaient dans des enclos où elles avaient à peine la place de bouger et

pataugeaient dans la boue et leurs déjections. Il n’y avait pas demangeoires. Le foin et les céréalesétaientrépandusàmêmelesol,souslessabotsdesanimauxquilespiétinaientetlessouillaient.

—C’est…c’est indigne, bredouilla-t-elle, ne trouvant pas d’autresmots pour décrire ce qu’elleressentait.

—Jenevouslefaispasdire.D’autantqueTravispossèdesuffisammentd’espacepourfairepaîtrelebétaildanslesprés.Maisilesttropparesseuxpoursortircesmalheureusesbêtesettropméfiantpouravoirdupersonnel.Detoutefaçon,personneneveuttravailleraveclui.Audécèsdesonpère,ilyadeuxans,laplupartdescow-boysquitravaillaientlàdepuisdesannéessontpartis.Etcetendroitestdevenuundépotoir.

—Quellehorreur!Oh!Regardezlà-bas!Ilyaunevachemortedansl’enclos.—Cen’estpas lepire.Ne tournezpas la tête.L’undesveauxdans l’enclosquenousvenonsde

passeraétépiétiné.Ellevoulutvoir,maisGabeluipritlementonetdétournasonvisagedelafenêtre.—Savoir,c’estdéjàsuffisammentpénible.Inutilederegarder.—C’esthorrible,pourcespauvresbêtes,murmura-t-elle.—Jesais.D’autantquecesontdesvachesdepremièrequalité.Desblackangus.Ellesvalentune

fortune.Malheureusement,Travisestuncrétinquilestraitecommesiellesnevalaientrien.

—Delamêmefaçonqu’iltraitelesfemmes,marmonna-t-elle.Ilvaleregretter.—Sûr,confirmaGabeensegarantderrièrelacamionnettehorsd’âgedupropriétairedeslieux.IlsvenaientàpeinededescendredevoiturequeTravissortitdelagrange,unfusilàlamainpointé

sureux.—Non,maisçavapas,Bowden!cria-t-il.Qu’est-cequiteprenddel’amenerici?Ilfittroispetitspasmenaçantsdansleurdirection.Aussitôt,Gabes’interposaentreluietElla.—Baissetapétoire.Turisquesdeteblesser.— Je pourrais aussi te trouer la peau pour intrusion sur une propriété privée, riposta Travis. Je

répète,pourquoias-tuamenécettegarceici?GabesetournaversEllaetmurmurapar-dessussonépaule:—Ilnesaitpasquivousêtes?—Non.Etpersonnenedoitlesavoir.Simononcleapprendquejesuisici,ilenverrasessbiresme

chercher.—Quelbor…bazar!—Bienrésumé.Gabefronçalessourcilsetrefitfaceàleurhôtequin’avaitpasbaissésonfusil.—Travis,toutcequejeveux,c’estsavalise.Tumeladonnesetontelaissetranquille.—Débarrassez-moileplancher!Cachée derrièreGabe, Ella ne voyait pas bien Travis. En revanche, elle voyait parfaitement les

malheureuses bêtes dans l’enclos tout proche. Leurs robes noires couvertes de saletés, leurs corpsefflanqués. Elles étaient sales et probablement affamées.Mais quelque chose l’intriguait…Lâchant lamaindeGabe,elleclopinajusqu’àlabarrière.

Gabelarattrapaparlebras.—Hé,qu’est-cequevousfaites?—Jeveuxjustevérifierquelquechose.—Pasunpasdeplusoujetire!hurlaTravisenpointantsonarmesurElla.—Sij’étaistoi,jeneferaispasça,déclaraGabed’unevoixsoudainglaciale.Travishésitaunesecondeavantd’abaisserlecanondesonfusilavecunreniflementdédaigneux.Ellasehissapar-dessuslabarrièredel’enclospourexaminerlesvachesdeplusprès.—Bonsang,qu’est-cequevouscherchez?lançaGabe.Descendezdelàavantdevousfairemal.Oubliant sachevilleblessée,elle sautaà terreetpoussaunpetitcridedouleur.Gabe la rattrapa

avantqu’ellenetrébuche.Etourdie,ellesentitsesbrasserefermersurelle,etquandellelevalesyeuxsurlui,l’intensitéqu’ellelutdanssonregardbrunnefitqu’accroîtresonétourdissement.ElledéglutitetrecentrasonattentionsurTravis.

—Sortezdechezmoi!beuglacelui-ci.—Taisez-vous,riposta-t-ellesèchement.Se dressant sur la pointe de son pied valide, elle s’appuya sur les épaules de Gabe pour lui

chuchoteràl’oreille:—CesvachesportentlamarquedeWolfRanch.—Jesais.Votrefamilleatoujoursconfiél’élevagedesonbétailauxDorsche.LepèredeTravis

étaitunexcellentéleveur.Grâceàlui,votrefamilleafaitdegrosbénéfices.Maisdepuisqu’ilestmort,c’estuneautrehistoire.

—Jecomprendsmieux,murmura-t-elle.Commeelle s’écartait,Gabe la retintun instant contre lui.Leurs regards s’enchaînèrent, et ils se

dévisagèrentuninstant,conscientsdecetétrangecourantsensuelquicirculaitentreeux.—Qu’est-cequevousfoutez?beugladenouveauTravisenpiétinantd’impatience.Qu’est-ceque

vousmevoulez?

Ellapivotasurelle-mêmeet,lespoingssurleshanches,fusillaTravisduregard.—J’aimeraisquevousutilisiezvotrerésidudecervellepourfaireautrechosequevousgratterle

ventre.Danssondos,GabelaissafuserunéclatderirequifitrugirTravisderage.—Non,maispourquielleseprendcelle-là?Continuecommeçaetjet’étrangle.—Vousn’êtespasleseulàrêverdemevoirmorte,faiteslaqueue,marmonna-t-elle.Et,nullementimpressionnée,ellerejoignitTravisetluiarrachalefusildesmains.—Donnez-moi ça avant de blesser quelqu’un, ordonna-t-elle.Un gamin de quatre ans a plus de

jugeotequevous.—Hé!Rends-le-moi!D’unemain experte, elle éjecta les cartouches vides de la chambre, referma la culasse, retourna

l’armeentresesmainsetassenauncoupdecrossedansl’entrejambedeTravis.Celui-citombaàgenouxavecuncridedouleur,lesmainscrispéessursonbas-ventre.—Vous n’aviezmême pas pensé à le recharger, lui fit-elle remarquer en reculant avec un petit

soupirméprisant.—Donnez-moiça,intervintGabeenluiprenantlefusil.Oùavez-vousapprisàmanipulerlesarmes

àfeu?—Surleranch,avecmonpère.IlpossédaitunemagnifiqueWinchester.—Eneffet.Ellefaitpartiedel’inventaire.—Ilesttoujoursutilepourunefilledesavoirsedéfendre.Surtoutdanslesgrandesvilles,précisa-

t-ellesansquitterTravisdesyeux.ANewYork,denombreusessallesdesportproposentdescoursd’artsmartiauxetd’autodéfense.Engénéral,leshommessautentsurl’occasion,tropheureuxdepouvoirroulerausolavecunefemme.Malheureusementpoureux,ilsneserelèventpastoujoursintacts.

Elleplissalesyeuxetprécisaavecunpetitsourire:—Certainsm’appellent«Casse-Couilles».Gabesouritetluidonnaunepetitetapeamicalesurl’épaule.—Vouscachezbienvotrejeu,dit-il.—Vousn’avezencorerienvu.—Danscecas,jesuisimpatientdevoirlereste.L’insinuationétaitclaire.End’autrescirconstances,ellen’auraitpasétécontrelefaitd’étudierde

plusprèsleséduisantcow-boyqu’étaitGabeBowden.Elleappréciaitsagentillesseetlafaçondontilsavaitdésamorcerunesituation.Etpourneriengâcher,ilétaitterriblementsexy,avecseslargesépauleset ses biceps bien dessinés.Elle y penserait plus tard.Dans l’immédiat, ce n’était pas d’actualité.Lapriorité,c’étaitdemettreTravisaupas.Etelleavaitsapetiteidée.

—Ecoutez-moibien,Travis.Commejevous l’aidithier, je travaillepourWolfEnterprises.Cesbêtes appartiennent à la compagnie.Alorsvous allez les sortir de ces enclos et les emmenerdans lespâturages.Vousallez lesnourrircorrectement,changer lapailleetenlevercescarcassessur-le-champ.C’esttoutpourlemoment.Auboulot!

Traviss’étaitrelevéetavaitl’airplusnerveuxquefurieux,àprésent.Normal.Comptetenudel’étatlamentabledubétaildontilavaitlacharge,onpouvaitcomprendrequ’iln’aitpasenviequ’unepersonnetravaillantpourlecomptedesWolfvienneymettrelenez.Deplus,ilpréféreraitcertainementpassersavenuesoussilence,depeurd’attirerl’attentiondesespatronssurcequisepassaitici.Doncellen’avaitpasàcraindrequesononcleapprennequ’elleétaitici.

—Vousn’avezpasledroitdemedonnerdesordres,protesta-t-il.—Faitescequejevousdisouvousvousenmordrezlesdoigts.Compris?—Bonsang,maisquiêtes-vous?

—Lafemmequevousavezabandonnéesuruneroute,enpleinetempêtedeneige,aumilieudenullepart.Laplusgrosseerreurdevotremisérableviedebonàrien.

—Jevaisappelerlacompagnieetvousfairevirer,lamenaçaTravis.—C’estça,appelezdoncJimHarrison.—Commentsavez-vousque…—J’ensaisbeaucoupplusquevous. Ilnefaut jamaissous-estimer lesfemmes.C’estprendrede

grosrisques.Surce,elles’avançaverslacamionnette.—Hé,qu’est-cequevous fabriquez? lançaTravisen trépignantcommeungamincapricieuxqui

n’obtientpascequ’ilveut.—Jerécupèremavalise,répondit-elle,trèscalme.Jepariequ’elleestlàoùjel’aiposéehiersoir.

Vousêtestellementparesseuxquevousn’avezmêmepasprislapeinedelasortir.Eneffet,lavaliseétaitrestéeaupieddusiègepassager.Maiscommeellelasortait,Travisserua

soudainsurelleetlafitpivoterbrutalement.Sentantsachevillecédersouselle,ellepoussauncridedouleurets’affalacontrelaportière.Vifcommel’éclair,GabeattrapaTravisparlecoldesavesteetluicollaundirectdudroitquile

propulsatroismètresplusloin.—Bowden,qu’est-cequetufous?hurlaTravis,affalédanslaboue.C’estpastesoignons!Gabeletoisad’unregardombrageux.—Si,çal’est.Depuisquetul’asjetéesurlaroute,triplebuse!Tul’asabandonnéedansleblizzard

ensachantpertinemmentquetusignaissonarrêtdemort.Qu’est-cequinetournepasrondcheztoi?—Ellel’avaitcherché!—Pourquoi?Parcequ’ellenetetrouvaitpasàsongoût?Personnellement,jelacomprends.—Ehbien,situlaveux,jetelalaisse!rétorquaTravisenseredressantlourdement.Jen’aipas

enviedemebattrepourcettegarce.Ellen’envautpaslapeine.—Cen’estpasàtoidedécidersitumelalaissesoupas,abruti.Ellenet’appartientpas.Celadit,

merciquandmême.Sur ce, Gabe souleva Ella dans ses bras et la porta jusqu’au pick-up dans lequel il l’installa

d’autorité.—Etnebougezpasdelà,ordonna-t-il.Ilallachercherlavalise,laposasurlabanquettearrièreetgrimpaderrièrelevolant.Maisavantde

refermerlaportière,ilsetournaversTravis.—Unconseil,mongars.N’aggravepastoncas.Faiscequelademoisellet’ademandé.Occupe-toi

correctementdubétail.Sinon,c’estmoiquireviendraim’occuperdetoi.Puis ilmit lecontactetdémarrasur leschapeauxderoues,abandonnantTravisdansunnuagede

poussière.—Commentconnaissiez-vouslenomdesoncontactausiègedelacompagnie?demanda-t-il.—JimHarrisonestlechefdesopérationspourlarégionOuest.Jemesuisditqu’àcetitre,ildevait

superviserl’activitéd’élevage.JevaisexaminerceladeplusprèsetjeveilleraiàcequeTravisrécoltecequ’ilmérite.

Gabehochalatête.—WolfEnterprisesn’estpastrèsconnupoursesactivitésd’élevage.Ellaétiralajambepoursoulagersachevilledouloureuseetréprimaunegrimacededouleur.—C’est vrai.Monpère s’intéressait surtout à la productiondemachines agricoles. Il adorait la

mécanique. Toutefois, il tenait à diversifier les activités de la compagnie pour assurer son avenir.Récemment,avecLela,nousavonscrééunenouvellelignedeproduitscosmétiques.

— Je ne connais rien aux produits de beauté. En revanche, je connais bien vosmoissonneuses-batteusesetvosmotoculteurs.

—Vouspossédezunedenosmachines?—J’aimeraisbien.Maismonpetittracteurestlargementsuffisantpourlasurfacequejepossède.

Cen’estpasWolfRanch,conclut-il,unenotedetristessedanslavoix.Elleluiglissauncoupd’œilgêné.—Jesuisdésolée,Gabe.J’arrangeraicela.Ilglissadenouveausamaindanslasiennedecettefaçonétrangementnaturelleentreeux.—Vousn’yêtespourrien,Ella.J’auraisdûmeméfier,voilàtout.L’affaireétaittropbellepourêtre

vraie.—J’étaisentraindemedirelamêmechosesurvous.—Commentça?—Quevousêtestropbeaupourêtrevrai.Elleadoraitlafossettequisecreusaitàlacommissuredeseslèvreslorsqu’ilsouriait,lespetites

ridesaucoindesesyeux.Ilavaitcertainementunsuccèsfouauprèsdesfemmes.Ellesdevaient toutescraquer.Pourtantiln’usaitpasdesescharmes.Illuisuffisaitd’êtrelui,toutsimplement.

—Jesuisloind’êtreparfait,rectifia-t-ilavecunpetitrire.Demandezàmesfrères.Aussitôt,ellesentitlechagrinenflerdanssapoitrineensongeantàsasœur.Acequ’elleauraitditsi

elleavaitsuqu’ellecirculaitencemomentdanslepick-upd’unquasi-inconnuaprèsavoirdésarméuncrétin.

—Combiendefrèresavez-vous?—Trois.—Aucunesœur?—Non.Quedesgarçons.—Lelaetmoi,nousrêvionsd’avoirunfrère,murmura-t-elleenappuyantlatêtecontrelavitre,le

regardperdusurlaroutequidéfilait.Gabepressadoucementsamain.Ellebattitdespaupièrespourrefoulerseslarmesets’accrochaàlamaindesoncompagnon.

***

Ils étaient arrivés. Ella contempla la demeure en bois toute simple qui les attendait au bout duchemin.Lesbardeauxcouleurivoire,lapetiteterrassecouverte.Blottieaumilieudel’épaissecouchedeneige,lamaisonsemblaitsortietoutdroitd’uncontedefées,douilletteetaccueillante.

—Commentsefait-ilquejemeretrouveànouveauiciavecvous?demanda-t-elle.—Parce qu’il n’est pas prudent de vous laisser seule dans leMontana.La preuve, enmoins de

vingt-quatre heures, vous avez réussi à mettre en rogne le premier crétin venu, qui a fini par vousabandonnersuruneroutedéserteoùvousavezfaillimourird’hypothermieenpleinblizzard.Aprèsquoi,vous trouvez lemoyende lui arracher son fusil desmains au risque de vous faire tirer dessus.Enfin,mêmesivousnel’avouerezpas,resteravecmoiestmoinsdangereuxquedevousretrouverseulefaceàvotreoncle.

—Vusouscetangle,jecomprends,reconnut-elleendissimulantunsourire.—Vousm’avezvraimentfaitpeurquandvousavezprislefusildesmainsdeTravis,précisaGabe,

l’airsoudainsérieux.—Iln’avaitpasledoigtsurladétente.Cen’estqu’unfanfaronquibluffe.—Peut-être.Maislaprochainefoisquequelqu’unpointeunearmesurvous,faites-moiplaisir,ne

vousprécipitezpasdessuspourlaluiarracher.

—Qu’aurais-jedûfaire?Resterplantéelà,àattendrequ’ilmetirecommeunlapin?—Restezàl’écartdesgarsquisontarmés,c’esttout,luiordonnaGabed’untonsec.—C’estpossible,dansleMontana?demanda-t-elleenjetantuncoupd’œilfaussementdubitatifà

lapairedefusilsposéssurlerâtelierderrièreeux.Gabesourit.—Vousêtesunepetitefutée,vous.—Premièredelaclassedepuislamaternelle.— Vous, tête de classe ? Alors là, ça m’étonnerait. Vous étiez certainement une pro de l’école

buissonnière,plusprompteàfairelabamboulaqu’àétudier.LaremarquedeGabeluifit l’effetd’unegifle.Pouruneraisonqu’elle ignorait,ellevoulaitqu’il

voieenelleautrechoseque la femme inventéede toutespiècespar lesmédias.Piquéeauvif, elle lefoudroyaduregard.

—Jevois.Monsieur a vudesphotosdemoi enboîte denuit et croitme connaître ? Jene suisqu’unefillequipenseàfairelafête.Uneenfantpourriegâtéequiboitetquisedrogue.Sansrêve.Sansidéal.Unerichehéritièreégocentriquequinefaitriendesavie,sicen’estdépenserlafortunefamiliale.Pasvrai?C’estcettefemme-làquevousavezvuesurl’écrandetélévision,cematin.Lafemmequelemondeentiercroitconnaître.

—Hé,neleprenezpascommeça…Blessée,submergéeparl’excèsd’émotionsetlafatigue,ellelaissaexplosersacolère.—Ehbien,laissez-moivousdirequelquechose,GabeBowden.Vousnemeconnaissezpas!Vous

ne connaissez rien de moi, hormis quelques secondes capturées par des paparazzis en quête desensationnel,parmilesdizainesdemilliardsdesecondesdonttoutlemondesefiche!Vouscroyezquejesuisvenueicipourmepayerdubontempsetm’envoyerenl’air?

Sansluilaisserletempsderépondre,ellesepenchaversluietl’embrassa.Froidement,délibérément,elleapprofonditsonbaiser.Ellenes’attendaitprobablementpasàcequececourantquicirculaitentreeuxetqu’ilss’étaient

efforcéstousdeuxd’ignorerjusqu’àcettesecondesetransformebrusquementenundésirbrut,siviolentqu’elleeutenvied’allerplusloin,des’approcherplusprèsdufeu.

Gabes’arrachaàseslèvresetlapritparlesépaulespourlarepousser,sanslalâcher.— Je meurs d’envie de vous embrasser, Ella. Mais certainement pas de cette façon. Ne

m’embrassezplusjamaiscommeça,justepardéfi.Cen’estpasdignedevous.Frustrée,humiliée,elleserralespoingsetdéversasacolèreplutôtquedeselaissersombrerdansle

chagrin.—Commentpouvez-voussavoircequiestdignedemoioupas?Vousnemeconnaissezpas!Ce

n’estpasvousquiavezvuvotresœurmourirsousvosyeuxsansrienfairepourlasauver.Cen’estpasvousqui vous êtes enfui en l’abandonnant dansunemarede sang, pendant quevotre oncle complotaitvotremort avec un flic véreux.Alors ne faites pas comme si vous saviez. Personne ne peut savoir !Personne!

Ellenevoulaitpaspleurer.Maisl’énormitédecequ’elleavaitvécularattrapaenbloc.Lamortdesasœur.Latrahisondesononcle.Celledel’inspecteurRobbins.

Leslarmesjaillirent,dévalèrentsursesjoues.Gabe la dévisagea, sous le choc de ce qu’elle venait de lui apprendre. Son visage fragile et

diaphane,sesyeuxrougisparlechagrin,leremordsetlacolère.Seigneur,cettefemmeétaitdescendueenenfer…

—Vousnem’aviezpasditquevousavezassistéàl’assassinatdevotresœur,murmura-t-il.S’efforçantdecontenirseslarmes,elledétournalatête.Illuipritlementonetl’obligeaàleregarder.

—Bon sang, votre oncle sait-il que vous l’avez vu tirer sur votre sœur ? Tout à l’heure, vousm’avezdemandésic’étaitluiquim’envoyaitvouschercher.Ilsaitoùvousêtes?

—Non,répondit-elleenessayantdesedégager.J’aipayémonbilletd’avionen liquideet jemesuisserviedefauxpapiersd’identité.

Soulagéau-delàdetoutemesure,Gabelaserradanssesbras.SiPhillipWolfnesavaitpasoùétaitsanièce,illeurrestaitencoreunpeudetempsdevanteuxpourtrouverlapreuvequipermettraitdefaireéclaterlavérité.

10

Gaberegrettapresquel’étreinteprotectricequ’ilvenaitd’offriràElla.Elles’accrochaàlui,enfouitsonvisagedanslecreuxdesonépauleetlaissalibrecoursàsonchagrin,secouéedesanglotssiviolentsquetoutsoncorpsentremblait.

Qu’ellecraqueétaitinévitable.Maisilnesavaitquefairefaceàunefemmeenpleurs.Iln’avaitquedesfrères.Sil’und’euxcraquait,illuitaperaitdansledos,luidiraitquetoutiraitbientôtmieux,puisill’emmèneraitprendreunverreouplus,pouroublier.

Là,c’étaitdifférent.Ellaétait traumatisée,effrayée,et surtout,physiquementépuisée. Il lui fallaitd’abordsereposerpourpouvoirseressaisir.

Il attendit qu’elle se soit calmée pour la relâcher et sortir du pick-up. Comme elle ouvrait saportièreets’apprêtaitàposerlepiedsurlemarchepied,ilseprécipitaetlasoulevadanssesbraspourtraverserl’alléeverglacéejusqu’àlaported’entrée.

—Jepeuxmarcher,protesta-t-ellefaiblement.Pourquoimeportez-vous?—Parcequec’estleseulmoyenquimevientàl’espritpourposermesmainssurvous,plaisanta-t-

il.Cequin’étaitpastoutàfaitfaux…Elleabandonnalatêtesursonépauleavecunsourirepleindelarmes.Ilpoussalaported’entréeetlarefermad’uncoupdetalon.Puisils’avançaverslecanapéets’y

assit,Ellasurlesgenoux.Sarespirationétaitsaccadée,maisellenepleuraitplus.Ilsrestèrentainsidelonguesminutessansparler.Gagnée par le sommeil, Ella avait fermé les yeux et respirait calmement, à présent. Elle était

détendue,illesentait.Songeur, ilparcourut lapièceduregard.Lemobilierétaitspartiate,mais lescouleurschaudesdu

parquetet lagrandebaievitréedonnaient luminositéetgaietéausalon.Ilavait faitdecettemaisonunendroitagréable,certainqueStacys’yplairait.Ladéceptionavaitétéd’autantpluscruelle.Alorsilavaitviséplushaut.IlavaittravaillédurpouracquérirWolfRanchetsesmilliersd’arpentsquiappartenaientàEllaWolf,lafemmeblottiedanssesbras.

IlvoulaitWolfRanch,maiscequ’ildésiraitencoreplus,c’étaitcettefemme.Cependant…Tropbelle.Tropriche.Tropélégante.Tropcitadine.Pasfaitepourungarsdelacambroussecomme

lui.Celanepouvaitpasmarcherdanslemonderéel.Pourtant,ilnepouvaits’empêcherderêver.Il admirait soncourageet sadétermination.Celadit,mêmes’il avait apprécié la façondont elle

avaitremisTravisàsaplace,iln’avaitpasdutoutaimésongesteimpulsifpourledésarmer.Satéméritépourraitluijouerdevilainstours.Ilallaitdevoirlasurveillercommelelaitsurlefeu.

Detoutefaçon,elleneresteraitpasbienlongtempsdanslesparages.Dèsqu’elleauraitdécouvertlapreuvequ’elleétaitvenuechercher,elleretourneraitàsonexistence.Elleavaitunemultinationaleàfairetourner,unedynastiefamilialeàreprésenter.Ilétaitinimaginablequ’unetellefillepuissechoisirdevenirs’enterrer dansun ranch aumilieudenulle part.Et après tout ce qu’elle venait de subir, elle n’auraitcertainementqu’uneenvie:oublierleMontana.

Avecunsoupir,ilbaissalesyeuxsurcettefemmeinaccessibletoujourspelotonnéecontrelui.Ilnepouvait rester assis là toute la journée,mêmesi c’était exactement cequ’il avait enviede faire. Il luifallaitnourrirleschevaux,allerenvilleacheterquelquesprovisionsetserendreaugarde-meublepourrécupérer lesdocumentsdontEllaavaitbesoin.Plusvite il l’aideraità tirercetteaffaireauclair,plusviteellerentreraitchezelle.Etplusvitesaprésencecesseraitdeletorturer.

Illafitglisserdesesgenouxsurlecanapé.Ilplaçauncoussinderrièresatête,luiôtasesbottesetallongeases jambes.Puis ilsepenchaetposaunbaisersursonfront. Il fermalesyeux,réprimantuneenviefolledes’allongerprèsd’elleetdelaserrerànouveaudanssesbras.

Commeils’écartait,elletenditlamainettirasurlajambedesonjean.Ils’agenouillaprèsd’elle.—Quoi?—Jem’excuse,murmura-t-elle.—Vousn’avezpasàvousexcuser.Simplement,évitezd’arracherlesfusilsdesmainsdupremier

abrutivenu.—Non,cen’estpasça.Jem’excusepourcequevousafaitmononcle.Ilsuivitduboutdesdoigtslatraced’unelarmesursajouesatinée.—Nevousinquiétezpas,Ella.Jem’enremettrai.—Jevousprometsd’arrangerleschoses.—Reposez-vous.Jedoisallerm’occuperdeschevaux.—J’aimeraisbienlesvoir.—Plustard.Vousavezbesoindesommeil.Lespaupièreslourdes,ellefermalesyeux,vaincueparlafatigueetlesémotions.Gabeserelevaetrestauninstantàcontemplersonvisageàprésentdétendu,l’ombredesescilssur

sesjoues,seslèvresroseslégèremententrouvertes.Elleparaissaitsijeuneetsifragile.Endépitdetoutcequipesaitsursesépaules,elles’inquiétaitpourluiettenaitàréparerlestortscausésparsononcle.Mais que pouvait-elle faire ? Que se passerait-il s’il ne récupérait pas ses sept cent cinquantemilledollars?Ilpréféraitnepasypenser.Parcequ’ilserait toutsimplementruiné. Iln’auraitmêmepasdequoisepayerunavocatpourpoursuivrePhillipWolfenjustice!

Il traversa lacourendirectionde l’écurie.Lefroidétaitglacialet laneigecrissaitsoussespas.Dèsquelestempératuresremonteraient,ceseraitunchampdeboue.Maisl’hivern’étaitpasterminé.Ils’arrêtauninstantpourobserverlesépaisnuagesgrisquis’amoncelaientdansleciel,poussésparunfortventdunordannonciateurdenouvelleschutesdeneige.Il feraitpeut-êtremieuxd’écouter lesbulletinsmétéo,aulieudeselaisserdistraireparunebeautéauxyeuxverts.

Ilsourit.Quelledrôledefille…Toutlecontrairedelarichehéritièrefrivoleetégocentrique.Sonindignationetsatristesseàlavue

del’étatlamentabledubétailchezTravisn’étaientpasfeintes.Etmêmesisonadorablepetitnezs’étaitplissésous l’effetde lapuanteurdégagéepar lepurinet lescarcassesenputréfaction,ellen’avaitpaspousséleshautscrisenlesuppliantdefairedemi-tour.Non,elles’étaitinquiétéedecespauvresbêtesaulieudesesoucierdesonodoratoudesesbottesencuirhorsdeprix.

Ils’avançadans lapetiteécuriesurpeuplée.Depuis lasignatureducompromis, ilavaitdoublé lenombredeseschevaux.Ilpensaitqueceneseraitqu’unequestiondesemainespourlesinstallerdansles

vastesécuriesdeWolfRanch.Aprésent,ilallaitdevoirleurconstruireunabritemporaire.Ilétaithorsdequestiondeleslaissergrelotterdehors,souslaneige.

Tout en réfléchissant à la façon dont il allait devoir s’organiser, il répandit le foin dans lesmangeoires et remplit les seaux d’eau. Dès qu’il aurait terminé de s’occuper des chevaux, il irait seravitaillerenvilleavantquelesprochaineschutesdeneigenerendentlesroutesimpraticables.NulnepouvaitprédirecombiendetempsilallaitresterbloquéauranchavecElla.

L’idéeétaitplaisante,d’ailleurs…Ils’obligeaàpenseràautrechoseet travaillaplusd’uneheureànettoyerlesboxetàétriller les

chevaux.Quandileutterminé,ilpiqualafourchedansletasdefoinets’avançalentementdansl’alléecentrale entre les box, s’imprégnant de l’odeur des chevaux, du remue-ménage qu’ils provoquaient ens’ébrouant,ducrissementdesgrainsdeblésousleursdents.Iladoraitvivreaumilieudeschevaux.MaissicettemauditeaffaireavecPhillipWolftournaitmal,illesperdrait.

Ils’arrêta,posalespoingssurleshanches,leregardrivéausol,etsongeaàlafemmeendormiesursoncanapé.Ilallait lasortirde là.Pasquestiondebaisser lesbras.IlprotégeraitEllaWolfet toutcequ’ilavaitbâtiàlasueurdesonfront.

11

QuandEllaseréveillaensursaut,lanuitétaittombée.Momentanément désorientée, elle parcourut la pièce du regard et s’attarda sur les photos de la

familleBowdenquitrônaientsurlemanteaudelacheminée.Dès qu’elle songeait à Gabe, une douce chaleur l’enveloppait. Elle le connaissait à peine et

pourtant,ellesesentaitensécuritéaveclui.Ildégageaituneforcephysiqueautantquemorale.D’unseulcoupdepoing,ilavaitenvoyéTravisautapis.Maisquandelleavaitcraquésouslepoidsduchagrin,ilavaitdéployédestrésorsdedouceurpourlaconsoler.Quelquechoseenelleluisoufflaitquecethomme-làétaitdignedeconfiance.Etqu’ilsesoitfaitmanipulerparsononcleétaitintolérable.Elleavaitlulacolère et le désarroi dans ses yeux lorsqu’il avait réalisé l’ampleur de la supercherie. Il s’était faitescroquerd’uneénormesommed’argent.Unesommed’argentqui représentait sansdoutepour luidesannéesdetravailetd’économies.Iln’avaitsansdoutejamaisreçudecadeaudequiquecesoit.Sicen’est d’oncle Phillip qui avait feint de lui apporter Wolf Ranch sur un plateau d’argent à un prixridiculementbas.

Cequisoulevaitunequestionimportante.Pourquelleraisonsononcleavait-ildécidédevendrelapropriété au-dessous de sa valeur ? Pourquoi la vendait-il maintenant ? Pour dissimuler le vol desœuvresd’art?Celan’avaitaucunsens.S’ilavaitprévud’éliminersesnièces—cequisemblaitdeplusen plus évident —, quel besoin avait-il de vendre Wolf Ranch pour dissimuler un vol dont lesconséquencesfinancièresétaientsommetouterelativementmineures?LafortunedesWolfétaittelle,quelavaleurdecestableauxnereprésentaitguèrequ’unegoutted’eaudansl’océan.Etlatoilepeinteparsamèrepossédaituniquementunevaleursentimentale.

Sielleréussissaitàdécouvrirpourquoisononcleavaittantbesoind’argent,lespiècesdupuzzlesemettraientpeut-êtreenplace.

Elle se redressa sur le canapé. Elle ne savait pas où était passéGabe,mais sans lui, lamaisonsemblaitsoudainglacialeetangoissante.Elleclopinajusqu’àlachambred’amisetouvritlavalisedesasœurd’oùellesortitdessous-vêtementsderechange,ainsiqu’unepairedeleggingsnoirsetlepull-overcouleurlavandequeLelaadoraitporter.Non…Qu’elleavaitadoréporter…

Leslarmesauxyeux,elleenfouitsonvisagedanslelainageetrespiraleparfumdesasœur.Jamaiselle n’avait éprouvéun tel sentiment demanque, l’impressiond’être amputéed’unepart vitale d’elle-même.

La valise ne contenait qu’une tenue de rechange et aucun vêtement chaud pour l’extérieur.Visiblement,Lela avait prévude ne pas s’éterniser ici et de rentrer très vite àNewYorkdès qu’elleauraittrouvécequ’elleétaitvenuechercher.Maispourquoineluiavait-elleriendit?Pourquoiavait-elleagiseule?

Lecœurlourd,elleentrepritdefouillerchaquecompartimentdelavaliseàlarecherched’unindicequelconque.Envain.Iln’yavaitrien.

Elle passa dans la salle de bains, verrouilla la porte, posa ses vêtements sur le couvercle de lacuvette des W-C et entra dans la douche. Elle augmenta le débit d’eau chaude jusqu’à la limite dusupportableetlaissaruisselerl’eaubrûlantesursatête,safigureetsoncorps.

Quandellesortitdelacabine,lapetitepièceétaitembuéedevapeur.Elleprituneserviettepropresurunepilerangéesouslelavaboetsesécha.Elletrouvaégalementunebrosseàdentsneuve.LavuedeshumblesaffairesdetoilettedeGabeàcôtédumiroirlatoucha.

Elle aurait été incapable de dire ce qui l’attirait chez cet homme. Sa force, sa délicatesse, sonregardàlafoisdouxetinquisiteur,sesmainsauxdoigtslongsetagiles.Ellesentitsonventresecrisper,etimaginasoudaincesdoigtsglissantsursataille,puisplusbas,entresescuisses…

—Arrête!Furieuse contre ce désir totalement inapproprié, elle enfila les vêtements de sa sœur et lava ses

sous-vêtements de la veille avec du savon, avant de les suspendre sur le porte-serviettes en essayantd’empiéter lemoinspossiblesur l’espacedeGabe.Puisellealla récupérer sonsacposéàcôtéde laported’entrée.

ElledevaitseconcentrerexclusivementsurlarecherchedecettepreuvedontavaitparléLela.Elles’installasurlecanapéetsortitsonordinateurportable.Maisaumomentdelemettreenmarche,elleseravisa,decrainted’êtrerepéréeparsonaccèsInternetoul’ouverturedesesmails.

Frustrée,elleprituncalepinpourétablirlalistedetoutcequ’elleavaitàfaire.OrganiserlesfunéraillesdeLela.Elletenaitàcequesasœursoitinhuméeauranch,auprèsdeleurs

parents.Trouver les preuves contre oncle Phillip.Demander de l’aide auprès de quelqu’un de confiance

pourl’arrêter.Leprocureurdel’Etat?LeFBI?Elleregardalebureaudel’autrecôtédelapiècesurlequelétaitposéunordinateur.SansInternet,

impossibledefairequoiquecesoit.Ellehésitaitcependantàutiliserl’ordinateursansl’autorisationdeGabe.D’unautre côté, ellenepouvait rester assise là, àne rien faire.Le tempsétait compté.Chaqueminuteécouléejouaitenfaveurdesononcle.

Alors,sansplushésiter,elleallas’asseoirdevantl’ordinateur.Iln’yavaitpasdemotdepasse.Destableauxfinanciersapparurentaussitôtàl’écran.

Elle n’avait pas l’intention de fouiner dans les affaires privées de Gabe, mais les plans de cedernierpourWolfRanch—achatdebétail,programmed’élevage,coûtsd’exploitation,affectationdesterres,prévisionsdetrésorerieàcinqans—s’affichaientlà,soussesyeux.C’étaitunprojetd’envergure.Leprojetd’unhommeàl’espritaffûtéetméthodique.

Impressionnée,elleexaminad’unpeuplusprèslesmontagesfinanciers.Sesétudesuniversitairesetson passage à travers les différents services de Wolf Enterprises lui avaient donné quelquesconnaissancesenmatièredegestiond’entreprise.SuffisammentpoursavoirquesilesprévisionsdeGabeétaientcorrectes—etiln’yavaitaucuneraisond’endouterauvudesdocumentsàl’écran—,ilauraitrapidementrentabilisésoninvestissementetgagnélargementdequoisubvenirauxbesoinsd’unefamillenombreuse.

Elle regarda lesphotos sur lacheminée.De touteévidence, la famille, c’était importantpour lui.C’était legenred’hommequi ferait certainementunpèremerveilleux.L’espacedequelques secondes,ellel’imaginatenantdanssesbrasprotecteursunbébéauxcheveuxnoirsetauxgrandsyeuxbruns.

EllesecoualatêteetcliquasurlesiteInternetdespompesfunèbresdeCrystalCreek.

***

Desmainsseposèrentsursesépaules.Gabe.Ellene l’avaitpasentenduarriver.Renversant la têteenarrière,elle leva lesyeuxsur lui.Leurs

regardss’enchaînèrent.Uneminutes’écoula,quiluisembladureruneheure.PuisGabesepenchapourprendrelasourisd’ordinateur.Aprèsplusd’unedemi-heurepasséeàregarder lesphotosdescercueilsproposéssur lesite,elle

n’avaittoujourspastrouvélecouragedesedécider.Gabe cliqua sur un cercueil tapissé de satin blanc, au couvercle orné d’une guirlande de roses

gravéedanslebois.—Celui-ci,dit-ilsimplementeneffleurantduboutdesdoigtslependentifqu’elleportait.Ellenotalaréférencesursoncalepinainsiquelescoordonnéestéléphoniquesdespompesfunèbres.—Vousnepouvezpasleurtéléphoner,décrétaGabe.Ellenes’offusquapasdesontonpéremptoire,conscientequ’ilessayaitseulementdelaprotéger.Et,

desurcroît,ilavaitraison.Moinsilyauraitdepersonnesaucourantdesaprésenceici,pluselleseraitensécurité.Toutaumoinstantqu’ellenesauraitpascommentaffrontersononcle.

—AlorsjevaisappelerMary,notregouvernanteàNewYork,etluidemanderdepasserelle-mêmelacommande,dit-elle.

— Et qu’arrivera-t-il si la ligne téléphonique a été placée sur écoute ou si votre gouvernantes’empressed’allerdireàvotreoncleoùvousêtes?

—Mononclenes’attendcertainementpasàcequej’appelleàl’appartement.Detoutefaçon,lesemployésdemaisonrépondentsurunelignetéléphoniquedifférente.EtMarynedirarien.Elletravaillepourmoi,paspourmononcle.

—C’estbeaucouptroprisqué.Ellaplongeasonregarddanslesien.—Jedoislefaire,Gabe.Pourmasœur.Ilglissalesmainsdanslespochesarrièredesonjeanetlagratifiad’unhochementdetêtesignifiant

qu’iln’étaitpasd’accord,maisqu’ilcapitulait.—Vousaveztoujoursaussimauvaisemine,observa-t-ilsanssourire.—Mercipourlecompliment.Voussavezparlerauxfemmes,vous!— Raison pour laquelle elles font la queue devant chez moi, répliqua-t-il avec une moue

d’autodérisionquifitaussitôtdisparaîtrelatensionentreeux.— Oh. Je n’y avais pas pensé, mais je ne voudrais pas que ma présence ici vous cause des

problèmesavecvotrepetiteamie.Elle avait noté qu’il ne portait pas d’alliance, et la décoration minimaliste de la maison était

visiblementcelled’uncélibataire.Celadit,unhommeaussiséduisantavaitcertainementunefemmedanssavie.Voiremêmeplusieurs.

—Mafiancée…Ellesentitsoncœurraterunbattement,maisseressaisittrèsvite.—Seigneur!Jevousaiembrassé.Jen’auraispasdû.Jevouspriedem’excuser.—Inutile.Ellem’aquittéilyatroisansetn’apaspasséuneseulenuitdanscettemaison.Elle esquissa un rapide sourire.Elle n’était plus très à l’aise, ni très sûre de vouloir poursuivre

cetteconversation.Malgrétout,elledemandad’unevoixdouce:—Comments’appelait-elle?—Stacy.Gabeplissalesyeuxetpoursuivit:—Nousnoussommesconnusàl’université.Noussommessortisensemblependanttroisans.Jel’ai

demandéeenmariagedèslapremièreannéedenotrerencontreetelleaaccepté.Nousavonsterminénosétudes,j’aiachetécetendroitetjel’aifaitveniricipourl’épouseretcommencernotrevieàdeuxsurce

lopindeterre.J’airefusédel’écouterquandelleacommencéàseplaindredel’éloignementdelaville,de ladifficultéde trouverunboulot etde se fairedesamis.Moiaussi, j’étaisnerveuxde lancermonaffaire.Maisj’imaginaisqu’unefoisinstallée,elletrouveraitsesmarques,quenousaurionsdesenfantsetqu’elleseraitheureuse.

—Maiscetendroitn’étaitpascequ’elleespérait?—Disonsquec’étaitunefilleassezexigeante.ElleavaitétéélevéedansunegrandevilleduTexas,

au sein d’une famille aisée. En théorie, les projets dont nous avions parlé lui plaisaient. Elle juraitqu’elle m’aimait, que leMontana était un beau pays et qu’elle n’avait rien contre le fait de devenirl’époused’unéleveur.

Gabedétournalatêteetrepritd’unevoixteintéed’amertume:—Maisquandjel’aiamenéeicipourl’épouser,ellearéaliséquecettevien’étaitpaspourelle.

Une maison minuscule au milieu de nulle part, loin des centres commerciaux, des cinémas et desrestaurants,pasdequois’amuser.Cen’étaitpasvraimentcequ’elles’étaitimaginé.

Ilsetutetbaissalesyeuxsurleboutdeseschaussures.—Ques’est-ilpassé?demandadoucementElla.Gabehaussalesépaules.—Stacyaattendule jourdesnocespourrompre.Ellem’aplaquédevant l’autel.Et jesuisresté

commeunidiot,seul,faceàcettemaisonetàcetteviedontellenevoulaitpas.Ellaavaitremarquélabellearcheenbois,plusbasdanslepré,aubordd’unpetitruisseau,sous

deuxchênesmajestueux.Unendroitmagnifique.L’endroitrêvépours’uniràl’êtreaimé.Ellerestasilencieuse, imaginant lasouffranceet l’humiliationdeGabe,sacertitudeden’êtrepas

assezbien,pasassezriche,pourfonderunefamilleaveclafemmequ’ilaimait.—Aprèsça,jesuispartibourlinguersurlecircuitdesrodéospourgagnerdequoiacheterunranch

plusgrand.CommeWolfRanch,compléta-t-ellementalement.Etilavaittoutnaturellementsautésurl’occasion

del’acheterquandsononcleluiavaitfaitmiroiterunepropositiontropbellepourêtrevraie.Sansdouteparce qu’il avait besoin de cette immense demeure et de ses centaines d’arpents de prairie pour seprouverqu’ilétaitàlahauteur.

— J’ai passé trois ans à monter des chevaux sauvages et à tomber toutes les femmes sur monpassage.

Brutal,maisdirect.Elleappréciasafranchise.Detoutefaçon,elleauraitpariéqu’unsimplesouriredeGabesuffisaitàfairecraquern’importequellefemmeetàlamettredanssonlit.

Cette seule évocation éveilla subitement en elle une pointe de jalousie totalement injustifiée.Imaginercethommequ’elleconnaissaitàpeinedanslesbrasd’uneautrefemmesuffisaitàdéclencherenelleunflotd’émotionsqu’ellepréféraitnepasanalyser.

—VousavezréussiàoublierStacy?neput-elles’empêcherdedemander.Gabecroisadenouveausonregard.—Ilyadeuxans,elleavoulurenoueravecmoi.Elledisaitqu’elleregrettaitdem’avoirquittéet

qu’elleferaittoutpourqueçamarcheentrenous.—Vousavezdûêtrecontentdelavoirrevenir.—Pas autant que je l’imaginais. Ellem’a pourtant dit tout ce que je rêvais d’entendre,mais je

n’éprouvaisplusrien.Jem’étaistrompéencroyantqu’elleaspiraitàlamêmeviequemoi.Etjen’avaisrécoltéquecequejeméritais.Meretrouverseuldevantl’autel,àattendreunefemmequin’existaitquedansmonimagination.Unefemmequej’avaisseulementcruaimer.

— Je suppose que vous gagniez pas mal d’argent sur le circuit du rodéo, fit-elle remarquer enmontrant les trophéessur lacheminée.Stacyapeut-êtrepenséquevouspourriezenfin luioffrir laviedontellerêvait.

—Possible.Maisjenecroyaisplusensonsourire.Vousvoyezcequejeveuxdire?—Toutàfait.Jeconnaisbiencesourire.—Çanem’étonnepas.J’imaginequ’uncertainnombredeshommesquivoussourientneveulent

qu’uneseulechose.—Deux.L’argentetlesexe.—Combiendefoisavez-vousétédemandéeenmariage?—Jamais.Commevous,jememéfiedessourires.—Lesphotosdanslapressevousmontrentpourtantrarementseule.— Les partenaires pour s’amuser sont une chose. Un partenaire pour la vie en est une autre.

L’amour,c’estdangereux.Ilnouspousseparfoisàmentirpournepasfairedepeineàl’autre,etlorsquelavéritéfinitparsortir,c’estencoreplusdouloureux.

—C’estcequis’estpasséavecStacy,reconnutGabeenhochantlatête.—L’amourestaussisourced’immensechagrinetdedestruction,murmura-t-elle,lesyeuxsoudain

brillantsdelarmescontenues.Certainespersonnessontprêtesàtoutpourrejoindrel’êtreaiméqu’ellesontperdu.

—Commevotremère?—Oui.Elle aimait tellementmonpèrequ’elle ne supportait pasdevivre sans lui.Lesvœuxde

mariagedisent«jusqu’àcequelamortvoussépare».Mamanafranchilepas,elleachoisiderejoindrepapadanslamort.Elles’estpendue.

—J’imaginequ’ilsformaientuncoupleidéal.—Mesparentsétaientfaitsl’unpourl’autre.—Vousnerêvezpasderencontrerl’âmesœur,vousaussi?Ellehaussalesépaules.—Dansmasituation,c’estcompliqué.Mesparentssesontconnusalorsqu’ilsn’avaientpasunsou

enpoche.Ilsonttoutconstruitensemble.Moi,c’estdifférent.Elledésignalesphotossurlemanteaudelacheminéeetreprit:—Foyer.Famille.Jen’aiplusriendetoutcela.Ilnemeresteplusqu’unonclequiveutmamort.

Ceuxquej’aimaisonttousdisparuetjenepeuxpasretournerchezmoi,danscetappartementoùmasœuraétéassassinée…

Lesmotssecoincèrentdanssagorge.Ellesetut.Gageeffleurasajoued’unecaresselégère.—Noustrouveronslapreuvedontvousavezbesoinpourenvoyervotreonclederrièrelesbarreaux

etvouspourrezrentrerchezvous,Ella.Elle lui sourit.Maisbizarrement, ellen’avait envied’allernullepart.Malgré toutes lesmenaces

planantsursatête,ellesesentaitensécuritéici.Danscettemaison.Aveccethomme.Cetteimpressiondeforcetranquillequiémanaitdeluilarassurait,etlavieparaissaittellementplussimple.

—J’espèrequecelanevousennuiepasquej’empruntevotreordinateur,reprit-elle.—Faites.Toutcequ’ilyalà-dedansnevautplusrien.—Vosprévisionsetvosplansd’exploitationsontbienpensés.—Ilsneseréaliserontpas.Dumoinspascommeprévu.Jevaisdevoirréfléchiràcequejepeux

faireaveclesmoyenslimitésdontjedispose.Surce,ils’éloignadequelquespas,visiblementdésireuxdeclorecesujet.—J’aiuncadeaupourvous,dit-il.Surprise,elleouvritlaboucheetlareferma.—Cen’estpasgrand-chose.—Merci.—Attendezdevoirsiçavousplaîtpourmeremercier.

—Gabe.Ilrevintverselleets’accroupit,unemainsurl’accoudoirdufauteuil,l’autresurlebureau.—Mercipourm’avoirsauvélavie,Gabe.Mercipourm’avoiraccueillieici.Sansvous,jenesais

pascequejeseraisdevenue.Vousêtesunhommeformidablequineméritaitriendetoutça.Asonregard,ellesutqu’ilavaitcomprisqu’elleparlaitdumalqueluiavaientfaitonclePhillip,

maisaussiStacy.Ils restèrent un instant silencieux, savourant cette sensation d’intimité que seuls leurs regards

trahissaient.—Vousallezvousensortir,Ella.Cesquelquesmotsréveillèrentl’espoirenelle.EtquandGabeposalamainsursacuisse,ellene

l’interpréta pas comme un geste déplacé,mais comme un signe destiné à lui rappeler qu’elle était ensécurité.

—Vous êtes une femme sacrément courageuse. Je sais que vous ferez tout pour que votre sœurobtiennejustice.

—Etquevousobteniezaussijustice,ajouta-t-elle.Mononclevousaescroqué.—Cessezdevousinquiéterpourmoi.—Jenepeuxpas,murmura-t-elledansunsouffle.Leregardsoudainbrûlant,Gabeladévisagea,puissepenchaverselle.Oupeut-êtreétait-ceelle.

Attirésl’unparl’autre…leursvisagess’immobilisèrentàquelquescentimètres.Croyantqu’ilallaitl’embrasser,elleretintsarespiration.MaisGabepritsonvisageentresesmains

etpressasonfrontcontrelesienuninstant.Puis,résistantàlatentation,ilseredressasanslalâcherdesyeux.Ilyavaitdanssonregardlemêmedésirbrut,dénuéd’artifices,aussiardentqueceluiqu’elleposaitsurlui.Iln’ycédapas.Ellenonplus.

—Jevaischercherlesaffairesdanslavoiture,dit-ild’unevoixrauque.Avantdesortir,ilseretourna.—Savez-vouscuisiner?—Jesaisfairelivrerunrepas.Ilsourit.—Çanem’étonnepasvenantd’uneNew-Yorkaise.Jevaism’occuperdeschevaux.Ensuite,jevous

prépareraidequoimanger.Vousdevezmourirdefaim.—Pasvraiment.—Ilfautquevousavaliezquelquechose.Surtoutsivousprenezdesantalgiques.Ellebalayaladernièreremarqued’unhaussementd’épaules.—Quoi?Vousnelesprenezpas?s’étonnaGabe.—Non.Çam’endort.J’ail’impressionquemoncerveaufonctionneauralentietjedétesteça.Inclinantlatêtesurlecôté,illadévisagead’unœilsongeur.—Décidément,vousêtestoutlecontrairedecequejepensais.—Vousmepreniezpourunerichehéritièresanscervelle,centréesursonnombril?—C’estbiencequevousvoulezfairecroireauxgens,non?—Pardon?Jenecomprendspas.Ilesquissaunpetitsourireentendu.—Vousm’aveztrèsbiencompris,Ella.Unerafaledeventglacéchargédeneiges’engouffradanslamaisonlorsqu’ilsortit.Ellerestauninstantsansbouger.Alorscommeça,Gabeavaitdécidéquecequ’il avait entendudirepar lesmédias laconcernant

n’étaitpeut-êtrepastoutàfaitvrai.Laplupartdesgenss’entenaientàcequ’ilsvoyaient.SeulsLelaetquelquesamissavaientcequ’ilenétaitréellementdeshistoiresabsurdesrapportéesparlapresse.

Elledécrochaletéléphonesurlebureauetcomposalenumérodelaligneréservéeaupersonneldesonappartementnew-yorkais.

—Mary,c’estElla.MaryétaitauservicedelafamilleWolfdepuisdesannées.Elleconnaissaitlesjumellesmieuxque

personne.C’étaitellequilesavaitélevées.—OhmonDieu!Chérie!Ilestarrivéquelquechosed’affreux.Quelqu’unt’adit?—Oui,Mary.Jesais.—Jenepeuxpascroirequ’onaittuémapetiteLela.Oùes-tu,monange?Toutlemondetecherche.

Rentreviteàlamaison.—Jenepeuxpas.Pasencore.Jet’enprie,nedissurtoutpasàonclePhillipquej’aiappelé.—Maisildemandeaprèstoitouteslescinqminutes.—S’ilteplaît,Mary.C’estimportant.Promets-le-moi.Elleentenditlessanglotsétouffésdelavieillefemmequiavaitétébienplusqu’unenounou.—Mary,j’aimeraisquetufassesquelquechosepourLela.—Toutcequetuveux,chérie.—JeveuxquesoncorpssoittransféréàCrystalCreekpourêtreenterréauprèsdenosparents.Dis

àonclePhillipquetutechargesd’organiserlesfunérailles.—Mais,chérie…Nousleferonsensemble.Jet’enprie,rentre.—C’estimpossiblepourlemoment,Mary.S’ilteplaît,fais-moiconfiance.Tuasdequoiécrire?Elle lui donna le numéro de téléphone des pompes funèbres deCrystalCreek et la référence du

cercueilchoisiavecl’aidedeGabe.—Dansmapenderie,tutrouverasunehousseàvêtements,poursuivit-elle.Dedans,ilyalarobede

dentelleblanchedemaman.Cellequ’elleportaitpoursalunedemielavecpapa.Lelaadoraitcetterobe.PrendsaussisesescarpinsLouboutinàtalonsaiguillesqu’elleaimaittant.

— Je sais, murmuraMary dans un sanglot. Ce sont ceux qu’elle portait pour la remise de sondiplôme.

Ellaessuyaleslarmesquiruisselaientàprésentsursesjoues.—J’auraisvouluêtrelàpourt’aider,Mary.Maisjenepeuxpasrentrer.—Jenecomprendspascequisepasse,chérie.Touscesmensongesquelesjournalistesracontent

surtoi.C’esthorrible.—Oùestmononcle?—Ils’estenfermédanslabibliothèqueavecl’inspecteurRobbins.Gabe revint, un sacdeprovisionsdans chaquemain. Il secoua la têtepour faire tomber laneige

accrochéeàsescheveux,avantdepasserdanslacuisinedesadémarchesoupleetassurée.Ilposalesprovisions sur la table et retourna dans l’entrée ôter sa parka, qu’il accrocha au perroquet près de laporte.Aprèsquoi, il se tournaverselle, l’air interrogateur, sedemandantvisiblementpourquoielle leregardaitsiintensément.

Parcequec’étaitplusfortqu’elle.Parcequ’ellenepouvaitdétacherlesyeuxdecethomme.—Vousavezbesoindemoi?demanda-t-il.Un«oui»surleboutdelalangue,ellesecouacependantlatête.Gabedutpercevoirsonindécision,carilhésitaunesecondeavantderegagnerlacuisine.—Mary,jet’ensupplie,repritEllaàvoixbasse.Faiscequejet’aiditeteffacecenumérodela

listed’appels.Jeneveuxpasquemononclesacheoùmejoindre.— Je ferai ce que tu demandes, chérie. Mais les gens ne cessent d’appeler pour avoir de tes

nouvellesetsavoiroùetquandserainhuméeLela.Jenesaisquoirépondre…—Net’inquiètepas.Jevaisrédigeruncommuniquédepresse.Lesfunéraillesaurontlieudansla

plusstricteintimitéfamiliale.Unservicecommémoratifseraorganiséplustard.

—Mais,Ella…—Jet’enprie,Mary.Bientôt,tucomprendras.Laseulechosequejepeuxtedire,c’estquetune

doissurtoutpasfaireconfianceàonclePhillip.—D’accord,chérie.Tupeuxcomptersurmoi.—Jel’aitoujourssu.Ella raccrocha et ferma les yeux pour refouler ses larmes, refouler sa colère de ne pas pouvoir

veillerlecorpsdesasœur,denepaspouvoirêtreauprèsd’elle…Quandellelesrouvrit,Gabeavaitposédevantelleunsacetuneboîteàchaussures.—Qu’est-cequec’est?demanda-t-elle.—Voscadeaux.—Gabe,ilnefallaitpas…—Si.Ouvrez-les.Ellesoulevalecouvercledelaboîteàchaussuresetdécouvritunepairedebottesnoiresfourrées,à

semellesépaisses.Idéalespouraffronterlefroidetpataugerdanslaneige.— Vous devriez pouvoir les enfiler même avec l’attelle, expliqua Gabe. Et si vous les lacez

jusqu’enhaut,votrechevilleseramaintenue,letempsqu’elleguérisse.Mieuxencore,ellessontétanches.Evidemment,ellesnesontpasaussiélégantesquevos…

—Ellessontsuperbes.—Ditesplutôtqu’ellessontmettablesdumomentquec’estpoursortirdanslaneige.—Pasdutout.Jelestrouvevraimenttrèschouettes.Gabehaussaunsourcilsceptique,puisdésignalesac.—Etça,jevousledois.Intriguée,elleouvritlesacetrestabouchebéeendécouvrantlesdeuxpull-overs.L’unenlainage

bleuturquoise,l’autreenmohaird’unbeaurougeframboise.—J’espère que j’ai pris la bonne taille. Je ne connais pas vos goûts,mais jeme suis dit qu’ils

devraientvousaller.Gabeosaitàpeinelaregarder,tantilétaitnerveuxetinquietqueseschoixenmatièredemodene

luiplaisentpas.Touchéepartantdegentillesse,elleneputcontenirsonémotion.Leslarmesétincelèrentdansses

yeux.Etlaspontanéitéprenantlepassurlabienséance,elleposaseslèvressurcellesdeGabe.Ce fut un baiser rapide, différent du précédent. Cette fois, ce n’était pas un baiser dicté par la

colère.Cettefois,ellesentitl’ondedechaleurparcourirsoncorps.Toutenelleaspiraitàsenoyerdansunautrebaiser,unbaiserplusprofond.MaisaprèslafaçondontGabeavaitréagiàleurprécédentbaiser,elles’arrêta,s’efforçantd’ignorerlecourantquicrépitaitentreeux.

—Merci,Gabe.Ilssontparfaits,dit-elleenprenantlepullframboisepourleposercontreelle.Pleinementconscientedesaprésencetoutprèsd’elle,ellelevalesyeuxsurlui.L’intensitédansson

regardsombrelafithésiter.—Je…jenesaiscommentvousremercier,bredouilla-t-elle.—Vousn’avezpasàmeremercier.J’aibousillévotrepull.Elleposalamainsursonavant-brasnu.Lachaleurdesapeausoussesdoigtslafittressaillir.—Vousn’étiezpasobligédeleremplacer.—Çamefaisaitplaisir,assura-t-ild’unevoixdouce.Ilbaissalesyeuxsursamainposéesursonbras.Ellelaretira,soudaingênée.Danssonregard,elle

avaitluqu’ildésiraitdavantagequecesimplecontact.Ilsedétournalepremieretallaouvrirl’undescartonsqu’ilavaitdéposésprèsdelaported’entrée

pendantqu’elletéléphonait.Ilensortitunmanteauenépaislainagerouge.—C’étaitdanslesaffairesdevotremère.Jemesuisditqu’ilpourraitvousêtreutile.

Ellepritlemanteauqu’illuitendaitetlepressacontresapoitrine,lecœurbattantunpeuplusvite.Ellerevoyaitsamèreleporter…Ellelarevoyaitrireauxéclatslorsd’unebatailledeboulesdeneige…

—Lerougeétaitsacouleurpréférée,murmura-t-elle.Merci,Gabe.Mercipourtout.—Etmaintenant, jevaispréparer ledîner.Si jenevousnourrispas, jevaisdevoiréchanger les

pullscontrelatailleendessous.Etcommevousn’êtesdéjàpasbienépaisse,iln’yauraplusgrand-choseàvoir.

Ellelâchaunpetitrirenerveux.—Ah,jecomprendsmieuxpourquoivousm’offrezcespullsàcolenV.Parcequevousnetrouviez

riend’intéressantàregarderchezmoi,plaisanta-t-elleenbaissantostensiblementlesyeuxsursesseins,avantdelesreleversurGabe.

Illadévisagea,puislentementlaissadériversonregardplusbas…—Ella,toutenvousestplaisantàregarder.Etl’intensitédanssesyeuxpromettaitbienplusquelasimplecaressed’unregard.

12

Gabefitrevenirlescôtesdeporcaveclesoignonsdanslapoêle,toutenobservantElladucoindel’œil.

Ilsentaitencorelachaleurdesesdoigtssursonbras.Lebaiserl’avaitsurpris.Paslebaiserensoi,maisl’intensitédudésirqu’ilavaitdéclenchéenlui.Ilavaitdûfaireappelàtoutesavolontépournepascéderàlatentationdel’embrassercommeunfou.Cettefemmeavaitungoûtdeframboise

—sonfruitpréféré.Unjour,ilavaitoffertàStacyunepairedebouclesd’oreillesenorpoursonanniversaire.C’étaitun

beaucadeau,maisilnesesouvenaitpasavoirressenti lamoitiéduplaisiréprouvéenvoyantlesyeuxd’Ellas’éclairerlorsqu’elleavaitdécouvertlesbottesetlespulls.Cen’étaitpourtantpasgrand-chose.Justedequoiseprotégerdufroid.Maisonauraitditqu’ilvenaitdeluioffrirundiamant.Cequin’auraitsans doute pas été une première.Bien des hommes avaient dû lui en offrir. Elle reconnaissait qu’elleaimaitsortiravecdesamispours’amuser,riendesérieux.Etàenjugerparlesphotosetlesarticlesdepresse,ellenedevaitpaspasserbeaucoupdenuitsseuledanssonlit.D’unautrecôté,lafaçonpresquetimidedontellel’avaitembrasséetavaitposélamainsursonbras…Iln’yavaitriendecalculéoudeséducteurdanscegeste.Simplementunemarqued’affectionsincère.

Ilrepensaàleurdisputeunpeuplustôtdanslajournée,etaubaiserrageurqu’elleluiavaitdonné…Drôledefaçondelepunirpoursaremarqueidiote.

Chaque minute passée avec elle lui ouvrait les yeux sur la femme qu’elle était. Et plus il ladécouvrait,plusilmouraitd’envie…demieuxlaconnaître.

Iln’avaitjamaisrencontréquelqu’und’aussicompliquéetattachantàlafois.Ilsesentaitàl’aiseavecelle.IlluiavaitparlédeStacy,alorsqu’ilnelefaisaitjamais.Pasmêmeavecsesfrères.

Elleaussiavaitbaissésagarde.Ellecommençaitàluifaireconfiance.Etilsallaientavoirtoutletempsd’apprendreàseconnaîtredans lesprochains jours,car ledernierbulletinmétéoannonçaitunegrossetempêtedeneige.L’EtatduMontanaétaitenalertemaximale.

Iléminçalestomatesetciselalebasilic.Pendantcetemps,EllasurfaitsurleNet,àlarecherchederenseignementsconcernantl’inspecteurRobbinsetsescontactsauministèredel’Intérieur.

Illavitsoudainpresserlesmainssursestempesavecunegrimace.Sansunmot,ilouvritleplacardau-dessusde l’évieretprit laboîted’ibuprofènequ’ilgardaitàportéedemainpoursoulagersondosquand,aprèsunerudejournéedetravail,ladouleurl’empêchaitdefermerl’œil.

Illuitenditunverred’eauetdeuxcachets.—Prenezçapourcalmervotremigraine.—Merci,murmura-t-elleenavalant lescomprimésavecunegrandegorgéed’eau.J’avaissurtout

trèssoif.

Illaissaéchapperunpetitsoupiragacé.—Soyonsclairs,Ella.Sivousavezsoif,ilyadequoiboire.Etsivousavezfaim,prenezcequi

voustentedansleréfrigérateuroulesplacards.Maispourl’amourduciel,servez-vous!—Gabe,pourquoivousmettez-vousencolèrecontremoi?—Jenesuispasencolèrecontrevous.C’estàmoiquej’enveux.Vousn’avezrienmangénibude

toutelajournée.Commentpeut-onsurvivresanscafé?Ellehochalatête.—C’estpeut-êtrecequiexpliquemamigraine.Manquedecaféine.Aussitôt,ilouvritleréfrigérateurd’oùilsortitunCoca.—Buvezça.C’estbourrédecaféine.—Merci.—Etarrêtezdemeremercier.Sivousavezenviedequoiquecesoit,inutilededemander.Servez-

vous.«Etsic’estdemoiquevousavezenvie,surtoutnevousgênezpas»,faillit-ilajouter.Iln’avaitjamaistantdésiréunefemme.—Merci,neputs’empêcherderépéterElla.Jevousaidéjàempruntéunebrosseàdents.—Çanenourritpas,répliqua-t-ilenretournantverslapoêleoùmijotaitlaviande.Ilyincorporalestomatesetlebasilic.Elles’approchapourleregarderfaire.—Vousêtesboncuisinier.—Attendezd’avoirgoûté.—Sic’estaussidélicieuxqueçasentbon,jevaisadorer.—Sérieusement,Ella.Vousnesavezpascuisiner?Ellehaussalesépaules.— Je serais bien incapable de réussir un plat même si ma vie en dépendait. C’estMary, notre

gouvernante,quis’enesttoujoursoccupée.Ellecuisinedivinementbien.Etjemangetrèssouventdehors.Gabeluiauraitbiendemandéavecqui.Lesimagesdelajeunefemmeàlasortiedeboîtesdenuit

lui traversèrent l’esprit en une suite de flashs. Mais il se souvint de ce qu’elle lui avait dit : il neconnaissaitabsolumentriend’elle.Alors,ils’abstintetsecontentadedemander:

—J’imaginequecenesontpaslesrestaurantsgastronomiquesquimanquent,dansunevillecommeNewYork.Quelestvotrepréféré?

—Çavapeut-êtrevoussurprendre,maisj’adoreallerchezMama.C’estunpetitbistrotitalienquinepayepasdemine,maislesfettucined’Alfredosontàtomber!

Sonenthousiasmelefitsourire.—Et endehors des restaurants, quels sont les endroits qui vous plaisent plus particulièrement à

NewYork?—Broadway,répondit-ellesanshésiter.Mesparentsnousemmenaienttrèssouventvoirdespièces

de théâtre.Maman était obligée d’y traîner papa,mais je crois que secrètement il aimait ça. J’y vaistoujoursavecLela.Unesortedetradition.NousneratonsjamaislespectacledeNoëldeRadioCityaveclesRocketteset…

Lesmots se coincèrent brusquement dans sa gorge. Elle venait de parler de sa sœur au présent.CommesiLelaétaitencorelà.

—Allezdoncvousasseoir,luisuggéra-t-ild’unevoixcalmeetrassurante.Ledînerestprêt.Ilss’installèrentfaceàfaceetcommencèrentàmangerensilence.—D’aprèslesinfosdecematin,votresœuraobtenuunMBAdel’universitédeColumbia,reprit-il

auboutd’unmoment.Etvous?Vousavezfaitdesétudes?

—J’aidécrochémonMBAlemoisdernier,ensuivantlescoursd’économieenlignedel’universitédel’Indiana.

—Sérieux?L’universitédel’Indiana?—Vousnedevriezpas snober l’universitéde l’Indiana,monsieurTexasA&M,plaisanta-t-elle.

Leurprogrammed’enseignementàdistanceesttrèsréputé.—Maispourquoiavoirchoisidesuivredescoursàdistance?J’imaginequevousavezeulemême

parcoursscolairequevotresœur.—Exact.SaufqueLelaestentréeàl’universitéàdix-huitans,aussitôtaprèslelycée.Tandisque

moi,j’avaisenviedem’amuserunpeuavantd’attaquerlesétudessupérieures.Etc’estcequej’aifait,maispasdelafaçondontlapresseenparle.J’aisurtoutprisletempsdevoyager,dedécouvrirdespays,d’autrescultures.Pourautant, jen’ai jamaisoubliéquenousformionsuneéquipe,avecLela,etquejedevaisàmesparentsd’êtreàlahauteur.Alors,j’aireprislesétudesetj’airattrapéletempsperdu.Pourtoucher notre héritage le jour de nos vingt-cinq ans, nous devions chacune avoir un MBA ou avoirtravaillécinqansàpleintempspourWolfEnterprises.

—Sijecomprendsbien,votresœurachoisilavoieuniversitaireclassiqueentravaillantàtempspartielpourlacompagnie.Etvous,vousaveztravailléàpleintempspourlacompagnietoutensuivantdescoursàdistance.

—Exactement.Lelanaviguaitdanslesbureauxdeladirection.Pourmapart,jesuispasséepartouslesservices,depuislecourrier jusqu’auxunitésdeproduction.Jamaisplusdetroismois.J’aiainsipuétudier toutes les facettesde la compagnie, dubasde l’échelle jusqu’au sommet.Lela etmoi sortionsdîner ensemble une fois par semaine pour discuter de ce que nous observions dans la conduite desaffairesetdecequ’ilfaudraitamélioreroumodifier,puisnousremontionsl’informationàladirection.Iln’étaitpasquestionpournousdesupplanterlesresponsablesnommésparmonpère,maisnoustenionsàparticiperactivementàlaviedel’entreprise.

—Ilmesemblequec’estlemeilleurmoyend’apprendrelemétier.— En effet. On ne peut pas passer directement des bancs de l’université à la direction d’une

multinationale sans en connaître les activités et lemode de fonctionnement. Le simple fait d’avoir undiplômenegarantitpasquel’onpuissefairetourneruneentreprise.Notrepèreatravaillédurpourbâtirunempire industrielàpartirderien.Nous luidevionsdeprendre lerelaisetde lefairecorrectement.Nousledevionsàtouteslespersonnesquionttravaillépourluietaprèsluipourmaintenirl’entrepriseàflot.Toutcequenouspossédons,c’estgrâceàeux.

Ellesourit,songeuse.— Evidemment, les gens sont sceptiques quand je débarque dans un nouveau service. Ils n’ont

d’autre choixquedem’accepter,mais une fois qu’ils s’aperçoivent que jem’intéresse sérieusement àleurtravail,ilscoopèrentvolontiers.

—Vousleurexpliquezpourquoivouscirculezdanslesdifférentsbureaux?—Pasvraiment.Engénéral,ilsonttendanceàcroirequejesuisunedilettantequipapillonned’un

serviceà l’autre.Ouque jesuisuneparesseusequisecontenteduminimumsyndicalpour remplir lesconditionsdesonhéritage.

—Ilsdoiventviteréaliserleurerreurdejugement,non?Ellehésita,puishaussalesépaules.—Jenesaispas.Entoutcas,mononcle,lui,n’atoujourspasréalisé.Ilmeconsidèrecommeune

bonneàrienetnes’encachepas.—Est-ilcensépartir,unefoisquevousaurezprislescommandesdeWolfEnterprises?—Non.Rienn’estcenséchangerpourlui,nilesalairefaramineuxqu’iltouchechaquemois,nisa

positionauseindelacompagnie.C’esttoutel’équipedubureauexécutifquidécide.Personnenedisposedespleinspouvoirs sur l’entreprise.Alors simononclea tuéLelapourunehistoiredepouvoir, c’est

absurde.Etsic’estunequestiond’argent,c’est toutaussiabsurde.Encasdeproblèmefinancier,nousl’aurionsaidésanshésiter.Ilacertainementtiréplusieursmillionsdedollarsdelaventedestableauxetilvousaescroquéd’uneénormesommed’argent.Pourquoi?Combienluifaut-il?Jenecomprendspas.

Gabenecomprenaitpas,luinonplus.Ilréorientalesujetsurl’aspectcommercial.—L’entrepriseest-ellepublique?—Non.Nousdétenons70%descapitaux.—Commentsefait-ilqu’ellesoitaussidiversifiée?Restauration,élevage,équipementsindustriels

etmaintenantcosmétiques.—Simonpèreavaitvécu,ilauraitcertainementétenduencoredavantagesesactivités.Ils’estlancé

dans la restauration,quelques années seulement après sesdébuts.Vous savez, cesmachines à caféquiproduisent des expressos ? Elles sortent pour la plupart des usines Wolf. Nous fabriquons del’électroménagerettoutessortesd’articlesdecuisine.

—Etdirequevousnesavezpascuisiner!s’exclama-t-ilenriant.—Jesaismeservird’unecafetièreetd’unouvre-boîte,répliqua-t-elle,feignantd’êtrevexée.—Etpourcequiestdestrucsdemaquillage,vousenêtesoù?Laquestionluivalutunsourireamusé.—Nousvenons justede lancer les trucsdemaquillage, commevous dites.Ce n’est que l’hiver

dernier que l’idée a vu le jour, quand j’ai découvert par hasard une petite boutique au fin fond duVermont. Je cherchaisunbaumepour les lèvres et je suis tombée surdeux sœursqui fabriquaientdesproduitsnaturelsdansleurcuisine.

—EtcommeellesvousrappelaientletandemquevousformiezavecLela,vousleuravezproposéunpartenariat,c’estça?

— En effet. Elles avaient le concept et nous les moyens financiers. Nous avons commencé parcommercialiser lesproduits surunpetitnombrede secteurs.Dès le lancement, lesventesontexplosé.J’aireçuleschiffresilyatroisjoursetjevoulaislesmontreràLela…

Lavoixd’Ellafaiblit,leslarmesbrouillèrentsavue.Gabeimaginasanspeinecequ’elleressentait.Sasœuretelleavaientdûpasserdesjoursetdesjoursàmonterleurprojet.Etjustecommeilétaitsurlepointdeseréaliser,Lelaavaitétélâchementassassinée,lalaissantseuleavecleurrêve.

Ilyeutunsilence.—Apparemment, la cosmétique, c’est votre rayon, repritGabe d’une voix douce.Les photos de

pressevousmontrentsouventauxFashionWeeksdeParisetNewYork.Ellehaussalesépaules.—Danslemondequejefréquente,difficiledenepass’intéresseràtoutcequitourneautourdela

mode.Enfait,cettelignedecosmétiquesétaitavanttoutl’occasionpourmasœuretpourmoideprouverànotreonclequenousétionsdignesdedirigerWolfEnterprises.Ilétaitdifficileàsatisfaire.Quoiquenousfassions,cen’étaitjamaisassezbien.

—C’estpourcelaquevousavezdécidédedécrocherunMBA?Pourluimontrerquevousn’étiezpasunebonneàrien?

Ellehochalatêteavecunpetitrireemplid’amertume.—Jevoulaisqu’ilsoitfierdemoi.Gabeposasamainsurlasienne.Puis,pourl’empêcherdes’enfoncerdanslechagrin,ilchangeade

sujet.—Voussavezconduireunemoissonneuse-batteuse?Unelueurdefiertééclairaaussitôtleregarddelajeunefemme.—Biensûr!J’aipassédeuxmoisàl’usine,enIndiana.Jetravaillaissurlachaînedeproductionet

jefaisaislesessaisdeconduite.—Finalement,vouspourriezfaireunebonneagricultrice.

—J’aiditquejefaisaislesessaisdeconduite.Cequisignifiequejesaiscommentfonctionnentcesengins.Maisjen’aijamaisditquej’avaistroquémesLouboutincontredesbottesencaoutchouc.

—Citadine!—Cow-boy!—Hé,vouspossédezprèsd’unmillierdevaches.C’estbeaucoupplusquemoi.—Jenelesavaispas,précisa-t-elle.Cequiestd’autantplussurprenantquej’aitravaillédansle

département qui s’occupe des activités agricoles. Si ce bétail appartient bien à Wolf Enterprises,commentsefait-ilquejen’aiejamaisluaucunrapportàcesujet?

—Celafaitpeut-êtrepartiedecequevotresœuravaitdécouvertenplusduvoldetableaux.Votreoncletiraitpeut-êtredesrevenuscomplémentairesdubétailqu’ilnedéclaraitpas.

—Possible.Vousaveztrouvélespapiersdemonpère?demanda-t-elleenpointantlementonverslescartonsempilésprèsdelaported’entrée.

—Oui,toutestlà.Jelesaiemballésmoi-mêmeetjenemesouvienspasavoirvuquoiquecesoitconcernantdestableauxdemaîtreoudubétail.Ils’agitessentiellementdefactures.

—J’yjetteraitoutdemêmeuncoupd’œil,aucasoùquelquechosevousauraitéchappé.—Cequiest fortpossibledans lamesureoù jenecherchais riendeprécis.Votreonclem’avait

seulement demandé de tout mettre au garde-meuble. Il ne semblait pas avoir envie de s’en occuperpersonnellement.

—Normal.Sadevise,c’estdelaisserlesautrestravailleràsaplace.Ilenverraquelqu’unplustardvérifierlecontenuduboxdestockage.

—Desbox.Ilyenacinq.— Oh. D’accord. J’oubliais que la maison était si grande. Je n’y suis pas revenue depuis la

disparitiondemonpère.Leregardd’Ellasevoilabrusquement.—Aquoipensez-vous?demanda-t-il,inquiet.—Sil’inspecteurRobbinsaacceptédecouvrirlecrimedemononcle,ilapucouvrirautrechose,

non?—Peut-êtrelaventeillégaledestableaux.Jesupposequ’ilestplusfaciledetrouverdesacheteurs

àNewYorkqu’ici.—J’aicherchésurInternetsiRobbinsavaitenquêtésurdesaffairesayantunrapportquelconque

aveclemondedel’art.Résultatnégatif.Pourautant,onnepeutexclurecettepossibilité.—Commençonsparledébut,Ella.Dites-moitrèsexactementcequiestarrivéàvotresœur.Il avait besoin de savoir et elle, elle avait certainement besoin d’en parler, même s’il détestait

devoirl’obligeràrevivrecesinstantsatroces.Ellehésitauninstant,puisluiracontatout,d’unevoixétoufféeparl’angoisseetlechagrin,leregard

dilatéparl’horreurdesimagesimpriméessursarétine.—Mononclesetenaitaumilieudelabibliothèque…masœurétendueàsespieds…Ilaordonnéà

l’inspecteurRobbinsd’allermechercheretdem’emmenerdansunechambred’hôtelpourymettreenscèneunemortparoverdose.

—Saufquevousnetouchezpasàladrogueetquetousceuxquivousconnaissentn’yauraientpascru.

Elleouvritdegrandsyeux,visiblementsurprisedesaremarque.—En effet, ils n’y auraient pas cru.Car, contrairement aux apparences et aux racontars, je n’ai

jamaistouchéàladrogue.Tousmesamislesavent.Gabetenditlebraseteffleurasajoueduboutdesdoigts.—Votresœurétaitquelqu’undebien,Ella.Aussiforteetcourageusequevous.

L’espaced’uninstant,ellesoutintsonregard,puisdétournalatête.Danssesyeux,lechagrinavaitcédélaplaceàlaculpabilité.

—Jenesuisnifortenicourageuse,murmura-t-elle.Jemecachechezvousetjen’aitoujoursrienfaitpourenvoyermononclelàoùildevraitêtre.DevantlajusticepourrépondreducrimedeLela.

—Vousavezdéjàdécouvertlevoldestableauxetletraficdebétail.Ilyaaussilaventeillégaleduranch.Nousrassembleronslespreuvesdontvousavezbesoin.

—Nous?Ilhochalatête.—Jen’aipaspourhabitudedeme faireescroquer sans réagir.Et…jeneveuxpasvous laisser

partir.Lesmotsavaientjaillimalgrélui.Soudaingêné,ils’empressadepréciser:—Pastantquejenevoussauraipasensécurité.Lesilenceentreeuxs’étira.Unsilencequin’avaitriendedésagréable.—Robbinsetmononcle…,murmuraElla.IlsparlaientdumeurtredeLelacommesicen’étaitrien.

Froidement.Sansémotion.—Ilsontparlétoutaussifroidementdevouséliminer.Vousêtessûrequ’ilsnesaventpasoùvous

trouver?—Jenepeuxêtrecertaineàcentpourcent,maisj’aiéteintmontéléphoneportable,j’aipayémon

billetd’avionenespècesetjen’aiplusutilisémacartebancairedepuisquej’aiquittéNewYork.J’aiappeléMaryavecvotrelignefixeetjeluiaiditd’effacerlenuméroappelant.

—Oui,maisvousavezdemandéquelecorpsdevotresœursoittransféréàCrystalCreek.—Où est le problème ?Mes parents sont enterrés sur le ranch. Il semble normal que Lela soit

inhuméeàleurscôtés.—Vousaveztoutdemêmeprisungrosrisque,Ella.Votreonclepourraitsedouterdequelquechose

etenvoyerquelqu’unici.Ella ne répondit pas, et en dépit de son inquiétude, il n’insista pas. Ce qui était fait était fait.

Simplement, il allait devoir se montrer extrêmement vigilant. Les hommes de main de Phillip Wolfpouvaientdébarqueràtoutmoment.Etapparemment,cen’étaientpasdesenfantsdechœur.

—Commentallez-vousprouverquec’estvotreoncle,lemeurtrierdevotresœur?—Difficile,maispasimpossible.IlaarrachéunpendentifducoudeLela.Unpendentifquejetiens

àrécupéreretquileperdra.—Ils’enestpeut-êtredéjàdébarrassé.— Je ne pense pas. A la façon dont il l’a regardé et mis dans sa poche… Je ne sais comment

l’expliquer…C’étaitbizarre,maisilsemblaitconvoitercebijou.—Votreonclem’atoutl’aird’unpsychopathe.Dequellefaçonsecomportait-ilavecvous?— Distant. Indifférent. Nous vivions sous le même toit, mais nous ne nous connaissions pas

vraiment.Ils’apercevaitdemonexistenceuniquementquandj’apparaissaisdanslesjournauxàscandale.—J’imaginequ’iln’appréciaitguèrel’imagepubliquequevousdonniez.Elleopinaavecunegrimacepleined’amertume.— Il a toujours cru tout ce que les journalistes écrivaient surmoi. Sans parler des paparazzis à

l’affûtdumoindredemesgestes.—C’estpeut-êtrecequivavoussauverlavie.—Commentça?—Comptetenudelacouverturemédiatiquequientourelemeurtredevotresœur,votreonclen’a

d’autrechoixqued’affronterlesquestionsdelapressevousconcernant.Plusvousresterezabsentedelascènepublique,plusceseracompliquépourluidevouséliminer.J’aiécoutélesinformationsàlaradio.Vosamiscommencentàsemanifesteretàs’interroger.Ilsessaientprobablementdevouscontacter.

Ellehochalatêteavecunsoupir.—Jesais.Mamessageriedoitêtresaturée,toutcommecelledemontéléphoneportable.Maisjene

peux lesconsulter souspeinedeme faire repérer.Toutes leschaînes téléviséesdiffusentmaphoto.Etavecl’inspecteurRobbinsàlatêtedel’enquête,lapoliceestàlabottedemononcle.S’ilsmetrouvent,jesubirailemêmesortqueLela.

— Je comprends mieux votre méfiance à mon égard quand nous nous sommes rencontrés. Vouscraigniezquejenesoisdemècheavecvotreoncle.

—Vousvousêtesdoutéquejen’étaispasLela,avantmêmedevoirlesactualitéstéléviséesdecematin,n’est-cepas?

D’ungestenaturel,ilpritsamaindanslasienneavecunsourire.—Cesontdepetitsdétailsquim’ontd’abordmislapuceàl’oreille.Votreréactionàchaquefois

quejevousappelaisLela.Vousnevoussouveniezpasm’avoirrencontré.Alors,jevousaiobservéedeplus près. Votre regard n’est pas tout à fait lemême que celui de votre sœur. Votre parfum aussi estdifférent.

Ellelaissaéchapperunpetitrire.—Vousnousavezsenties?—Ehoui !Le jouroù j’ai rencontrévotre sœur, levent soufflaitet j’ai trèsnettementperçuson

parfum.—Ilvousaplu?—Oui.Maislevôtreestplus…envoûtant.—Seriez-vousentraindeflirteravecmoi,GabeBowden?Lui-même en était le premier surpris, parce que cette femmen’était pas du tout son style.Belle,

intelligenteetsexyendiable,certes,maiscitadinejusqu’auboutdesongles.Absolumentpasfaitepourvivreàlacampagneaumilieudeschevauxetdubétail.Pourtant,c’étaitplusfortqueluietilnepouvaitserésoudreàlâchersamain.

—J’essaie,maisjemanqueunpeudepratique.—Doncvousaviezdevinéquejen’étaispasLela.Ils’empressad’embrayersurcesujet.Ilsparleraientdechosesintimesplustard.—Disonsplutôtquej’avaisdesérieuxdoutesetquejetrouvaisvotrecomportementbizarre.J’ai

comprisquandj’aivulesinformationscematin.Jesuissincèrementdésolé,Ella.Pourlapertedevotresœuret toutcequevousendurezàcausedevotreoncle. Jevaisvousaiderà lemettrehorsd’étatdenuire.Ilserapuni.Jevouslepromets.

Elleplongeadanssonbeauregardbrun.Unregardfrancetsincère.Leregardd’unhommehonnêtesurquionpouvaitcompter.

—Merci,Gabe.Maisriennevousobligeà…— J’ai promis de vous aider.Mon père a l’habitude de dire qu’un homme qui ne tient pas ses

promessesn’estpasunhomme.—Ilmeplaît,votrepère.—Jel’aimebienaussi.—Vosparentshabitentlarégion?—Ilspossèdentunranchàunecentainedekilomètresd’ici.Maispapacommenceàsefairevieux.

Il songe à prendre sa retraite.Nous essayons de persuaderDane,mon plus jeune frère, de prendre larelève. Blake travaille comme dresseur de chevaux dans un haras un peu plus au nord. Sa renomméecommenceàs’étendrebienau-delàduMontana.QuantàCaleb,ils’estmariélemoisdernier.IlvitsurleranchfamilialdesonépousedansleColorado.

—QuefaitDaneencemoment?

—Ladernièrefoisquejel’aieuautéléphone,c’est-à-direhier,ilétaitdansleNevadaentraindejeterunœilsur lacentainede têtesdebétailque j’aiachetéesetque jevaisdevoirrevendre trèsvitepournepastropyperdre.

Ellabaissalesyeuxsurleursdoigtsentrelacés.—Jesuisdésolée,Gabe.Jevousprometsd’arrangerça.Ilvoulaitlacroire.Ilnepouvaitenêtreautrement…parcequeceseraitaccepterl’idéequePhillip

Wolfpuisses’entirer.Qu’ilpuisseréussiràéliminerElla.Etça,c’étaittoutsimplementinconcevable.—Sinouspassionsàunenotepluspositive ?proposa-t-il. J’aiprisun fondant auchocolat à la

pâtisserie.—Oh!Vousavezdécouvertmafaiblesse!—Attention,jepourraism’enservir,plaisanta-t-il.—Jedonneraismafortunepourduchocolat.—Ehbienmoi,jeneveuxpasdevotrefortune.—Quevoulez-vous?—Mieuxvousconnaître.Etilsemblequejevaisenavoirl’occasion.Iltournalatêteverslafenêtre.Ellasuivitsonregard.Laneigetombaitàgrosfloconsdensesetparesseux.—Deforteschutessontattenduespourlestroisprochainsjours,précisa-t-il.—Vousêtessérieux?—Jeneplaisantejamaisaveclaneige.

13

Maintenantquelapoliceavaitlibérélascènedecrime,PhillipWolfétaitassisàsonbureaudanslabibliothèque,lesdoigtscrispéssurunverredebourbon.

—Mary,j’aiapprisquevousaviezportédesvêtementsetunepairedechaussuresàlamorgue.—C’estexact,monsieur.—Quivousademandédeprendreunetelleinitiative?—Personne,monsieur.Jeveillesurlesjumellesdepuisleurnaissance,j’aipenséquec’étaitmon

rôle.Vousêtessioccupéque jen’aipasosévousdérangeravecça.Etpuissurtout, j’avaisbesoindefairequelquechosepourmapetiteLela,conclut-elledansunsanglot.

Nullementému,Phillipladévisagead’unœildur.—VousavezégalementdemandéletransfertducorpsàCrystalCreek.Pourquoi?—M.etMmeWolfsontenterréslà-bas,surleranch.IlestnormalqueLelareposeàleurscôtéset

que ce soient lespompes funèbresdeCrystalCreekqui se chargent de conserver le corps tant que lajusticen’apasdélivrélepermisd’inhumer.

L’explicationtenaitlaroute,maiscettevieillebiqueluicachaitquelquechose.—VousavezparléavecElla?—Non,monsieur.Ellementait.C’étaitévident.—Vousluiêtestrèsdévouée.—C’estmontravail,monsieur.—Etcetravail,vousvoulezleconserver,jeprésume.Demêmequelapensionquivousseraversée

quandvousprendrezvotreretraite.Unepensionquevousperdrez,sivousêteslicenciée.Lecarillondelaported’entréeretentit,évitantàMaryderépondreàlamenacenonvoilée.Phillipladévisagead’unœilinquisiteur.—Jeneveuxvoirpersonneendehorsdel’inspecteurRobbins,déclara-t-il.Etréfléchissezàcequi

pourraitvousarriversijamaisl’envievousprenaitdemementir.Maryredressalatêteetsoutintvaillammentsonregard.—Jenesaispasoùsetrouvevotrenièce.Illaregardasortir.ElleavaitcertainementparléavecElla,maisillacroyaitquandelledisaitnepassavoiroùellese

cachait.Cequisoulevaitunequestionessentielle.PourquoiEllasecachait-elle,quandilluiauraitsuffidesemontrerpourl’accuserdumeurtredesasœur?Ilavaitfaitensortequelespreuvesseretournentcontreelle,maiselleauraitpuéveillerlessoupçonsàsonencontre.

Ilnevoyaitqu’uneseuleraison:Ellaavaitl’intentiondelechâtierelle-même.Etilferaitbiendesetenirsursesgardes.Ildevaitàtoutprixlaretrouveretluiapprendrecequ’ilencoûtait,des’opposeràsononcle.

L’inspecteur Robbins donna un petit coup sec contre la porte restée ouverte, qu’il prit soin derefermerensuitederrièrelui.Phillipleregardatraverserlapièceets’asseoirfaceàlui,del’autrecôtédu bureau.Agacé, il le vit jeter un coup d’œil désapprobateur sur le verre de bourbon dans samain.D’ordinaire,ilnebuvaitjamaissitôtdanslajournée,maisilenavaitbesoinpourcalmersanervosité.

—VousavezdécouvertoùétaitalléeLela?lança-t-ilsèchement.—Non.Commesasœur,ellearetirédel’argentliquidedansundistributeurautomatiquedeNew

Yorketn’apluslaisséaucunetraceavecsacartebancaire.Robbinspassaunemainnerveusedanssescheveux.—Jecontinuedevisionnerlesenregistrementsdescamérasdesurveillancedel’aéroport,maisily

adesheuresetdesheuresdevidéos.Pendantcetemps,messupérieurssouhaitentvoirl’enquêteavancerrapidement et me pressent d’amener Ella pour un interrogatoire. J’ai fait en sorte qu’on trouve sesempreintessurlerevolveretjepourraiprésenterlespiècesàconvictiondèsquenousseronsprêts.Lapresseparledéjàdumobile.Mais jemedemande si onne ferait pasmieuxd’abandonner le scénarioinitialpourrecentrerl’attentionailleurs.

—Impossible.Onnepeutplusfairemarchearrière.Convoquezunenouvelleconférencedepressepourannoncerquej’offreunerécompenseàtoutepersonnequinouspermettradelocaliserElla.Quandvousluiaurezmislamaindessus,tuez-la.Vousdirezqu’ellearésistéetquevousn’avezeud’autrechoixquedel’abattre.

—JevaismeretrouverdanslecollimateurdesAffairesinternes,protestaRobbins.—J’arrangeraiça.Jeconnaisquelqu’unauministèredel’Intérieur.—Peut-être,maisjerisquemacarrière,surcecoup-là.—Alors,faitesvotreboulot.Trouvez-laetqu’onenfinisse.—Cen’estpasfacilequandlafilleenquestionestrichecommeCrésusetqu’ellealesmoyensde

sedéplacern’importeoù.—Jusqu’oùpeut-ellealler,siellen’apasaccèsàsoncomptebancaire?—Avecdesamisaussifortunésqueceuxqu’ellecôtoie,ellepeuttrèsbiens’êtresauvéeàl’autre

boutdumonde.—Danscecas,vérifiezauprèsdesesamis.— C’est fait. Elle n’a contacté aucun d’entre eux, dernièrement. Ils sont tous très inquiets. Ils

pensent que celui qui a assassiné sa sœur pourrait l’avoir enlevée. Certains journalistes commencentmêmeàévoquercettepossibilité.

—Raisondepluspourlaretrouveravantquetoutecetteaffairenenousexploseàlafigure.—Siçasetermineainsi,necomptezpassurmoipourcouvrirvosarrières,marmonnaRobbins.—Etvous,necomptezpassurmoipourvous tirerdupétrin, ripostaPhillip froidement.Jeserai

sortiduterritoireetjemènerailabellevieàl’autreboutdumonde,pendantquevousmoisirezenprison.Robbinsluijetaunregardnoir,selevaetquittalapiècesansunmot.Phillip termina son verre de bourbon d’un trait. Il fit pivoter son fauteuil face à l’immense baie

vitréedonnantsurCentralParketcontemplalavueenessayantdenepaspenseràcequipourraitarriversiElladécouvraitsespetitssecrets.

14

LesangsurlapoitrinedeLela,sesgrandsyeuxsansviefixéssurelle,lasuppliantdefairequelquechose…

Ella se réveilla en sursaut, tirée de son cauchemar par unemain sur son bras. Submergée par lapanique, elle saisit la main importune et se redressa brusquement, toutes griffes dehors, prête à sedéfendre.

—Chut.C’estmoi,Gabe.Ducalme.Vousêtesensécurité.Elle le fixaun instant sans levoir, le cœurbattant, et se laissa retomber sur la chaise, le souffle

court,toujoursagrippéeàsonpoignet.Desamainlibre,Gabeposaunetassedecafésurlatabledevantelleetpoussadecôtélapilede

documentsqu’elleavaitpassélanuitàéplucher.—Çava?demanda-t-ilenluieffleurantlajoueduboutdesdoigts.Ellefermalesyeuxuninstant,savourantlachaleurrassurantedontill’enveloppait.—Jen’aitoujoursrientrouvé,murmura-t-elle.—S’illefaut,nousouvrironschaquecartonentreposéaugarde-meuble.—Jenepensepasquelapreuvesoitdanscescartons.—OùLelaaurait-ellepulacacher?—Si je lesavais, jeneseraispas là !s’emportasoudainElla,épuiséeet frustréepar lesheures

passéesàexaminerlespapiersdesonpère,ravivantlessouvenirs…Elles’envoulutaussitôtetabandonnasatêtecontrelebrasdeGabe.—Excusez-moi.—Cen’estpasgrave.Vousn’avezpasfermél’œildelanuit.—Maiscen’estpasuneraisonpourm’énervercontrevous.Vousêtessigentil.—Ouais,bon…maissivouspouviezmerendremamain,ceseraitmieux.Jesuisgentil,maisjene

suispasdebois.Elle baissa les yeux sur lamain deGabe posée sur sa poitrine, le poignet emprisonné entre ses

doigtscrispés.Laprisedeconsciencedececontactsi intimesuscitaunfrissonquipritnaissanceà lapointedesesseinsetéveillaenelledeséchosendesendroitsqu’elleauraitpréféréignorer.

Affreusementgênée,ellerougit,desserrasonétreintesurlepoignetdeGabeetlerelâcha.Incapablede le regarder, elle sentit sesdoigts longset souples remonter le longdesoncoupour

prendresonmentonetl’obligeràredresserlatête.Puisilsepenchaetposaunbaisersursonfront.Surprise par la tendresse de son geste, elle osa le regarder. Le temps s’arrêta. Les secondes

s’étirèrent.Puis, lentement,presqueenhésitant,Gabebaissa lesyeux sur sabouche.Peut-êtreallait-ill’embrasser…Ledernierbaiserqu’elleluiavaitdonnéavaitétérapide,maistroublant.C’étaitunbaiser

pourleremercier,riendeplus.Pourtant,mêmedanssonétatdeconfusionetdetristesse,elleavaitperçucecourantuniqueetirrésistiblequicirculaitentreeux.Uncourantquilespoussaitl’unversl’autre.

Illuicaressalajoue.—Allezdoncvouscoucher.Ilfautvousreposer.Machinalement,ellejetauncoupd’œilsursamontre.—Bonsang!7heures!C’estl’heuredujournaltélévisé.Jeveuxsavoiroùenestl’enquête.Ellebonditdesachaisepourprendrelatélécommandedelatélévision,maissachevilleserappela

aussitôtàsonbonsouveniretluifitperdrel’équilibre.—Holà,passivite!s’exclamaGabeenlarattrapantinextremis.Une bourrasque fit trembler les vitres. Ella glissa un regard inquiet vers la fenêtre. Il neigeait

toujours.—Vouscroyezquel’antennesatellitefonctionne?s’enquit-elle.—Elledevrait.Lecielestmoinschargé.Elle voulut faire un pas, mais Gabe maintint son bras autour d’elle. Incapable de résister, elle

s’appuyauninstantcontrelui.—Ducalme,dit-ildoucement.Etait-ceunavertissementàproposde sacheville,de la relationnaissanteentreeux,oupour lui-

même?Ellen’auraitsuledire.Etellenevoulaitpaslesavoir.Elleétaitbien,danssesbras.Elleavaitbesoindesesentirprotégée.Aimée…Lelaétaitpartie.Ellen’avaitpluspersonne.Personne,exceptécethommesolideetattentionnéquifaisaittoutpourl’aider.

Ellepivotaentresesbraspourluifaireface.Puis,sedressantsurlapointedespieds,ellenoualesbrasautourdesanuqueetleserracontreelle.Lasensationdechaleuretdesécurités’amplifia.

—Merci,Gabe.Mercipourtout.Vousêtestellementdifférent…Jen’aijamaisrencontréd’hommescommevous.

Ce qui expliquait sans doute qu’elle soit autant attirée par lui. Un homme bon et simple qui neprenaitrienpouracquis.Unhommesincèrequidisaitcequ’ilpensait.Unhommequiprotégeaitcequ’ilaimaitetlesprincipesauxquelsilcroyait.Toutcequ’ilfaisaitpourelle,illefaisaitsansarrière-pensée.Uniquementpourl’aider.Oui,vraiment,elleneconnaissaitpasbeaucoupd’hommescommelui.

Elles’écartalégèrementpourleregarder,etdanssesyeux,ellelutl’expressiond’undésirbrûlant,fort et sincère. Incapablede résister, elle posa ses lèvres contre les siennes et les entrouvrit lorsqu’ilcaressasabouchedesalangue,unecaressedoucequicontenaitunedemandeinexprimée.Parcequelesmotsétaientinutiles.Ettoutenelleluisoufflaitquec’étaiticiqu’ellevoulaitêtre,danslesbrasdecethomme.Saplaceétaitici.Maintenant.Pourtoujours.

Ellen’aurait jamaiscruqu’unechosepareillepuisseluiarriver.Ellenefaisait jamaispleinementconfiance aux personnes qui gravitaient autour d’elle. Son statut de riche héritière offrait, certes, denombreuxavantages,maisattiraitaussilesprofiteursetparasitesentoutgenre.Desgensquiprenaient,prenaient,sansjamaisrienoffrirenretour.

Gabeapprofonditleurbaiseretellefonditsoussabouche,s’abandonnantàsongoût,àlaforcedontill’enveloppait,etausentimentquecethommenedésiraitqu’uneseulechose:elle.

Unterrainterriblementdangereux.Samèreavaitaimésonpèrejusqu’àenmourir.D’ordinaire,Ellaveillaitscrupuleusementàgardersesdistancesavecleshommesetnes’autorisaitjamaisàressentirplusqu’un simpledésir charnel, les rares foisoùelle rencontraitquelqu’unqui l’attirait suffisammentpouravoirenviedesortiraveclui.

AvecGabe, c’était différent. C’était bien plus qu’un simple désir physique. C’était le besoin desentirsesmainssurelle,sesbrasl’envelopper,sontorsecontresajoue,lachaleurdesoncorps.Sesbrasétaientunrefuge.Danssesbras,sonchagrins’apaisait,sacolèrefaiblissaitetsafrustrationdisparaissait.

Toutcequicomptait,c’étaitelleetGabe, là,maintenant.Senoyerdanscebaiseret lesémotionsqu’iléveillait.Selaisserabsorberparlui…Pareux…

Gabesedégageadoucement,luiarrachantunsoupirdeprotestation.—Laissez-moivousregarder,dit-ilenprenantsonvisageentresesmains.Vousêtessibelle.Ce compliment, elle l’avait entendu dans la bouche de beaucoup d’hommes, accompagné d’un

sourireetd’unbaiserdistrait.Maisjamaiscesmotsn’avaientétéprononcésaveclasincéritécontenuedanscettedéclarationtoutesimple.

Emue,ellelefixa,leslarmesauxyeux.—Toutvas’arranger,Ella.Ellelecroyait.Parcequ’ellen’étaitplusseule.Gabe s’écarta d’Ella et la dévisagea. Elle avait l’air si fatiguée, si pâle, qu’il aurait voulu

l’embrasserjusqu’àcequelesangrevienneàsesjoues.D’ungestetendre,ilsuivitdudoigtlalignedesessourcilsetcalaunemèchefollederrièresonoreillecommeellelefaisaitsouventdefaçonmachinale.Iltrouvaitcegesteincroyablementsexychezelle.Toutl’attiraitchezcettefemme,mêmedepetitsrienscommecettefaçonqu’elleavaitdesemordillerlalèvreinférieurequandelleréfléchissait.Oula façondont elle fronçait les sourcils quand quelque chose lui déplaisait. Ces détails le faisaient sourireintérieurementetluidonnaientl’impétueuseenviedemieuxlaconnaîtreetdelarendreheureuse.Parcequ’ilnesupportaitpasdelavoirtriste.Lepireavaitétédel’entendrepleurer,lanuitdernière.Ils’étaitsentitellementimpuissant.Ilauraitvoulupouvoirluiramenersasœur,châtiersononcleetlagarderensécuritéprèsdelui.Pourtoujours.

IlavaitcruêtreamoureuxdeStacy,maiscequ’iléprouvaitpourEllaétaitcentfoisplusfort.Ilexistaitunmotpourexprimercetteémotion,cesentimentsipuissantqu’illuinouaitlagorge.Un

motqu’iln’osaitprononcer.Parcequ’ilétaitconscientdes’aventurerenterraindangereux.Laraisonluiconseillaitdegardersesdistances.MaischaqueinstantpasséavecEllavalaitlapeined’êtrevécu.Alorsilpréféraitlaissercourir,mêmes’ilétaitcertaindefinirlecœurenmiettes.Unefoisdeplus.Saufquecettefois,ceseraitirrémédiable.Soncœurnes’enremettraitpas.

—Allumezlatélévision,sivousnevoulezpasraterlesinformations,dit-ilsoudain.—Oh…D’accord.Elles’écartaàcontrecœur.L’espaced’uneseconde,sonvisagetrahitsontroubleintérieur,maiselle

seressaisittrèsviteetladéterminationselutdenouveaudanssesyeux.C’était une battante, une race pour laquelle Gabe avait le plus grand respect. Ella Wolf ne se

laisseraitpasdécourager.Ellenebaisseraitpaslesbras.Ellelutterait,tantqu’ellen’auraitpasvengésasœur. Iln’endoutaitpasuneseconde.Etcelaendisaitplus longsurcette femmeque lescentainesdephotosd’ellequicirculaientdans lapresse,prisesà lasortied’uneboîtedenuitousuruneplagedesCaraïbes.Ellaétait jeune, ilétaitnormalqu’elleveuille s’amuser.Quin’enauraitpas faitautant,à saplace?

Lui-mêmen’avait-ilpaspassédeuxlonguesannéesàcourirlesrodéosdevilleenville,às’envoyerenl’airavecdesinconnuesauhasarddesrencontresetàécumerlesbarsavecsescompagnonsderoute?

Cespenséesenamenantd’autres,ilsedemandabrusquements’iln’étaitpastropvieuxpourElla.Sixansdeplus.Etpourquoidiables’amouracherait-elled’uncow-boyvivantaumilieudenullepart?Elle avait beau être différente de Stacy, le problème restait le même. Le seul endroit qui puisses’apparenter à un night-club dans le coin, c’était un piano-bar àCrystal Creek, bondé de péquenaudscarburantàlabière.Adesannées-lumièredessoiréesmondainesdelajet-setetdesdiscothèquesàlamodequ’Ellaavaitl’habitudedefréquenter.Celadit,ilsavaientquelquespointscommuns.Commelui,elleaimaitmanifestementleschevauxetlesgrandsespaces.ElleluiavaitaussiditaimerlamusiquedeLedZeppelinlorsqu’illuiavaitprêtésonT-shirtpourlanuit.Peut-êtreallaient-ilssedécouvrird’autres

points communs ? A condition qu’elle reste suffisamment longtemps ici. Ce qui était peu probable,songea-t-il.

—Pourquoifaites-vouscettetête?demandaElla,deboutprèsducanapé,enleregardantd’unœilinquiet.Quelquechosenevapas?

—Non…Pasdutout.Peuconvaincueparsontonhésitant,ellefronçalessourcils.Ilforçaunsouriresurseslèvres.—Excusez-moi.Toutvabien.Jeréfléchissaisjuste.Quellessontlesnouvelles,aujourd’hui?—CarambolagemonstresuruneautorouteduNewHampshire.Huitmorts.—D’autresbonnesnouvelles?—LeNASDAQagagnéneufpoints.—Génial!Jevaisappelermoncomptableetluidiredevendre.Oh!Maissuis-jebête!Jen’aini

comptableniportefeuilled’actions.Ellehaussaunsourcilinterrogateur.—Qu’est-cequinevapas,Gabe?—Rien.Jenesupportepasderesterentrequatremurs.J’aibesoindeprendrel’air.L’hivern’est

pasmasaisonpréférée.Toutecetteneigem’obligeàresterenfermédanslamaison,alorsquejepréfèrevivreàl’airlibre.

—Danscecas,pourquoinepaschangerderégion?—C’estchezmoiici.J’aimeleMontana.Sans doute amusée par la contraction, Ella esquissa un sourire qui s’effaça aussitôt en voyant

apparaîtresurl’écrandetélévisionlevisagedesononcle.—PhillipWolfoffreunerécompensedecentmilledollarspourtoutrenseignementconcernantsa

nièce,déclara le présentateur. Appelée à témoigner dans le cadre de l’enquête sur lemeurtre de sasœurjumelle,EllaWolfadisparudepuistroisjours,cequisoulèvedenombreusesinterrogations.Oùest-elleetpourquoin’a-t-elletoujourspasfaitdedéclarationàproposdecettenouvelletragédiequifrappesafamille?Onsaitdesourcesûrequelesjumellesdevaienthériterlejourdeleursvingt-cinqansdel’immensepatrimoinelaisséparleurpèresouscertainesconditions.Ilsembleraitquelapolicedisposedepreuvesindiquantquelesrelationsentrelesdeuxsœursétaienttendues.LelaWolfauraitreprochéàsajumelledenepasrespecterlesclausesdutestamentpaternel.RappelonsqueLelaavaitbrillammentobtenuunMBAàl’universitédeColumbia,pendantque,desoncôté,sasœurbrillaitsurla scène internationalede lamodeetde la jet-set.Si vousavez lamoindre informationconcernantEllaWolf,appelezcenuméro.

Elleéteignitlatélévisionettournaversluiunregarddésespéré.—Maintenantquemononcleamismatêteàprix,jenepeuxplussortirsanscourirlerisqued’être

reconnue.Commentvais-jefairepourdécouvrircettefichuepreuve,sitoutlepaysestàmarecherche?—Cen’estpeut-êtrepasunesimauvaisechose,essaya-t-ildelarassurer,malgrél’inquiétudequi

luinouaitl’estomac.Certaines personnes seraient prêtes à tuer père etmère pourmettre lamain sur une telle somme

d’argent.DespersonnescommeTravis…Ilvoulutgardersesréflexionspourlui,maisEllaavaitdéjàdeuxlongueursd’avance.—Siçasetrouve,cetteorduredeTravisestdéjàentraindecontacterlacompagniepourprévenir

quejesuisici.Unelueurdepaniquetraversasonregard,etelleserralespoings.—Mononclevadépêcherunearméed’hommesdansleMontanapour fouiller tout lepaysetme

retrouver.EtquandilsauraqueLelaestpasséeauranch,ilvarécupérerlecontenudugarde-meubleets’arrangerpourfairedisparaîtretoutepreuvesusceptibledeluiportertort.

—Non,Ella,toutn’estpasperdu.Primo,Travisn’estpaslegenredegarsàregarderlesjournauxtélévisés ou à ouvrir un quotidien. Secundo, à moins d’espérer encore dénicher quelque chosed’intéressantdanslespapiersdevotrepère,àmonavis,cequevouscherchezn’étaitpasdanslamaison.

—Ilyaforcémentquelquechose,insistaEllaensetordantnerveusementlesmains.Lelaestrestéedeux jours ici.Qu’a-t-elle fait ?Qui a-t-elle vu ?Qu’a-t-elle découvert ?Nous ne le saurons jamais,conclut-elle,découragée.Mononclemeretrouveraavantquejepuisserépondreàuneseuledecestroisquestions.Ilatoutprévu.

—Attendezuneseconde!Sonplanestloind’êtreparfait.Ilavaitprévudevousfairedisparaîtreensimulantuneoverdose,maissivousvousprésentezàlapoliceetquevousl’accusezd’avoirassassinévotresœur,ilyaurauneenquêteetsonscénariotomberaàl’eau.

— Je n’ai aucune preuve ! C’est sa parole contre la mienne. Il a soudoyé un inspecteur pourfalsifierlespiècesàconviction.Combiend’autresresponsablespaie-t-ilpourcouvrirsoncrimeetmelefaireendosser?

—Dans ce cas, il faut nous en tenir au plan initial.Découvrir cette preuve dont parlait Lela etl’apporterauxautorités.Undétailvousacertainementéchappé.Vousconnaissiezvotresœurmieuxquequiconque.Vouspartagiez lemêmeADN.Vous raisonniezde lamême façon.Qu’adoncbienpu fairevotreoncleetcommentl’a-t-elledécouvert?Paroùaurait-ellecommencé?

—Certainementpasparleranch,réponditaussitôtElla.Sielleestvenueici,c’estforcémentparcequequelquechosel’yapoussée.

—D’accord.Alors,qu’est-cequecelapeutbienêtre?—Jenesaispas.—Réfléchissez.Quelque chose que votre oncle a dit ou fait a piqué la curiosité de votre sœur.

Aviez-vousperçuunchangementchezelle,cesdernierstemps?—Non.Elle travaillait commed’habitude.Ensuite, elle adisparupendant trois jours. J’aipensé

qu’elleavaitpeut-êtrerencontréunhommequiluiplaisaitetqu’elles’étaitéchappéepourunweek-endenamoureux.

—Ellenevousenauraitpasparlé?—Si,maisj’aipenséquecettefoisc’étaitsérieuxetqu’ellepréféraitnerienmedireavantd’être

absolumentsûre.J’aipenséqu’ellepréféraitgarderlesecretunpetitmomentpourelletouteseule.Elladétournalatêteuninstant,avantdereprendred’unevoixétranglée:—Nousétionsdevéritablesjumellesetnouspartagionstout.Nousvivionslesmêmesexpériences,

lesmêmesvies,sibienquejamaisriennenousétaitvraimentpersonnel.Alorsjemesuisditque,cettefois,Lelaavaittrouvéquelqu’unquin’étaitqu’àelle.Quelqu’unavecquipartagersavie…sansmoi.

Ellebattitdespaupièrespourrefoulerleslarmesquimenaçaient.Envain.Unelarmejaillitetroulasursajoue.

—Mais tout ça, c’est fini…Lela ne semariera pas et je n’aurai jamais de neveux et nièces àcajoler.Nousétionscenséesgrandirensemble,avancerensemble…Jenesaispascommentvivresansmamoitié.Dixfoisparjour,j’ouvrelabouchepourluidirequelquechoseetjeréalisequ’ellen’estpluslà.

Elleneputretenirseslarmespluslongtempsetsemitàpleurer.Lecœurserré,Gabes’approchaetlapritdanssesbras.Agrippéeàsachemise,ellepressalajoue

contresontorse.—Sanselle,jenesaispascommentêtretoutsimplementmoi,quandçaatoujourséténousdeux,

souffla-t-elle.Bouleverséparsadouleur,Gabeposaleslèvressursescheveuxetlaberçadoucement,conscient

quelesmotsétaientimpuissantsàapaiseruntelchagrin.Riennipersonnenepourraitjamaisluiramenersasœur.

Elles’arrachabrusquementàsesbrasets’écarta,levisageruisselantdelarmes.—Jel’ailaisséeseuleaffronternotreoncle.Jen’airienfaitpourlasauver.Rien!—Vousêtesenvie,Ella.C’estcequ’elleauraitvoulu.—Maisj’étaislà!J’auraisdûmemontrer.J’auraisdûlaprotégeretempêchermononclede…—Comment?Qu’auriez-vousfait?Vousvousseriezavancéedanslapièce,votreonclevousaurait

tuéestouteslesdeuxetilauraitainsipusimulerlecrimefratricidedoubléd’unsuicide?Cessezdevousflagelleretessayezplutôtdepensercommevotresœur.

Il avait haussé le ton,mais il fallait qu’elle se ressaisisse et qu’elle se concentre sur ce qu’ellepouvaitfairemaintenant,passurcequ’ellen’auraitpuéviter,detoutefaçon.

—Vous connaissiez Lelamieux que personne, reprit-il d’une voix radoucie. Alors dites-moi cequ’elleauraitfaitsielleavaitdécouvertuntrucloucheausujetdevotreoncle.

Ellaprituneinspirationoppresséeetessuyasesyeuxdureversdelamain.—Lelaest…était…trèsméticuleuseetorganisée.Elleprenaitdesnotes,elleclassaitlespapiers,

créaitdesfichiers.Elleremarquaittoutdesuitequandquelquechosen’étaitpasàsaplaceounecollaitpas.

— Dans ce cas, elle a peut-être découvert la fraude sur le bétail dans les dossiers de WolfEnterprisesetc’estcequil’aconduitejusqu’ici.

Ellefronçalessourcils.—Possible.Maiscelan’expliquepassaréaction.—Quevoulez-vousdire?— Lela était folle de rage contre mon oncle. Même s’il a détourné de l’argent provenant de

l’élevage, lasommeestmineureau regardduchiffred’affairesde lacompagnie.Lelaneseseraitpasmisedansuntelétat.

—Etsicen’étaitquelesommetdel’iceberg?Imaginonsquecettepetitefraudeaitattirél’attentiondevotresœursuruneescroquerieautrementplusgrave.

Ellahochalatête,songeuse.—Peut-être…,murmura-t-elle.Oui…Celaexpliqueraitsacolèreet tout lereste…Lacomplicité

del’inspecteurRobbins,lemeurtre…Gabeladévisagead’unairpensif.—Résumons.Votresœurdécouvrel’escroquerieconcernantlebétailetcommenceàmettresonnez

dans les dossiers de la compagnie pour voir jusqu’où va la trahison de votre oncle. Qu’a-t-il faitd’autre?

Ellaredressalementon.—Jenesaispasencore.Maisjetrouverai.

15

Ella n’avait pas perdu son temps lors de son passage au département informatique de WolfEnterprises.Elles’étaitliéed’amitiéavecChris,unemployéextrêmementdouéauxcompétencessous-exploitées. Elle l’avait aussitôt signalé à sa sœur, qui s’était chargée de lui obtenir une promotion.Depuis, un système informatique hyper-sécurisé permettait d’accéder à l’intégralité des données desdiversservicesdel’entreprise.

EllepritletéléphoneportableprépayéqueGabeétaitalléchercherenvillelematinmême,profitantd’uneaccalmiedelamétéo,etenvoyauntextoàChrissurlenuméroprivéutiliséparsafamilleetsesamispourlecontacterlorsqu’ilsplantaientleursordinateurs.Chrisprétendaitquesamèrelecontactaitplussouventpourpouvoirouvrirsessitesculinairespréférésquepourprendredesesnouvelles.

Ella:J’aibesoindetonaide.Chris:Quesepasse-t-il?ImpossiblequetuaiestuéLela.Ella:Quelqu’undetrèsprochel’aassassinée.Aide-moiàleprouver.

Elleretintsonsouffle,priantpourqu’illacroieetacceptedel’aider.

Chris:Qu’est-cequ’iltefaut?Ella:UnaccèsNONIDENTIFIABLEauxbasesdedonnéesdeWolfEnterprises.

Ellesemitàserongernerveusementl’ongledupouce.Gabeposasamainsurlasiennepourl’enempêcher.Lessecondess’écoulaient.Toujourspasdemessage.

—Pourquoinerépond-ilpas?s’impatientaGabe.—Jeviensdeluidemanderdecommettreundélit.—Commentça,undélit?Lesdonnéesdevotreentreprisevousappartiennent.—S’ilm’aideetquejesuisreconnuecoupabledumeurtredemasœur,ilpourraitêtreaccuséde

complicitéetavoirdegrosennuis.

Chris:Jet’envoielelienpouraccéderausystème.Connecte-toiaucompteadministrateurenutilisantlemotdepassequejet’aidonné.

Gabefronçalessourcils.—Voussavezdequoiilparle?—Oui.

Ella:Merci,Chris.Chris:Lelanousmanque.J’espèrequetuvastrouvercedonttuasbesoin.

DèsquelelienURLs’affichasursontéléphone,elleletapasurl’ordinateurdeGabe.—J’ysuis.—Commençonsparlesdonnéesrelativesaubétailetvoyonsoùcelanousmène,luiconseillaGabe.—D’accord.Maisjevaisd’abordjeteruncoupd’œilsurl’agendadeLela.Il lui fallut une vingtaine de minutes pour découvrir la seule chose qui clochait dans le monde

électroniqueultra-organisédesasœur.Vendredi–14h30–Mécanicien–27ElkRoad,CrystalCreek,Montana.Pasdenom.Ellefitcourirsesdoigtssurleclavierunedizainedeminutesdansl’espoird’obtenir

desrenseignementssupplémentairesconcernantl’adresse.—Alors?demandaGabe.Avecquiavait-ellerendez-vous?—Jenesaispas.L’adresseestaunomdeTomWright,maisilexistetroisautresadressesàcenom.—Cedoitêtreunbienenlocation.—Exact.Ilnenousresteplusqu’àallersurplace.Gabeluimontralafenêtre.—Jetezdoncuncoupd’œildehors.Après la brève accalmie du matin, la tempête de neige avait redoublé d’intensité. Le paysage

disparaissait à présent sous un linceul blanc s’épaississant deminute enminute, et d’énormes nuagesnoirss’amoncelaientàl’horizon,nelaissantprésageraucuneamélioration.

Acetinstant,laradiodiffusaunnouveaubulletind’alertemétéopourleMontana.— D’ici une heure, nous n’aurons probablement plus d’électricité ni de réception satellite, lui

expliquaGabe.AlorssivousvoulezconsulterlesfichiersdeWolfEnterprises,vousferiezbiendevousdépêcher.Nousrisquonsd’êtreisolésdurestedumondependantquelquesjours.

—Non!Savoixavaitgrimpéd’unton.—Ilfautallerlà-bas,maintenant,ajouta-t-elle,pluscalme.—Cen’estpasprudent.— Gabe, insista-t-elle, le suppliant du regard pour lui faire comprendre le besoin d’agir

immédiatementquilatenaillait.Maisilneselaissapasfléchir.—Ella,dèsquelarouteserapraticable,jevousprometsd’alleràcetteadresse.—Vousmelejurez?—Jetienstoujoursmespromesses.Frustréemaisrésignée,elleseplongeadanslesfichiersdelacompagnie.Auboutdedeuxheures,elleavaitdécouvertqu’iln’existaitpasdecontratd’élevageenbonneet

dueformeentreWolfEnterprisesetTravisDorsche,quedel’argentétaitcependantverséàcedernier,maisqu’iln’yavaitaucuneentréedebénéfices.Cequi signifiaitque les revenusgénéréspar lebétailatterrissaientsuruncompteextérieuràlacompagnie.Sansdoutedirectementsurceluidesononcle.

EnexaminantlesdonnéesconcernantJimHarrison,leresponsabledelabrancheagricolesurl’ouestdes Etats-Unis, elle s’était aussi aperçue qu’il avait obtenu une augmentation de salaire conséquente,accompagnéed’uneprimeexceptionnelle,l’annéeprécédente.Jimavaitsansdoutevolontairementpassésoussilencel’absencederevenustirésdel’élevage,orchestrantainsiledétournementdefondsopéréparonclePhillip.

Cela dit, son cher oncle n’avait pas commencé à frauder avec l’élevage. Gabe avait raison. Satraîtriseremontaitàbienplusloin.Deuxansavantladisparitiondesesparents,réalisa-t-elle,consternée,enétudiantlescolonnesdechiffresquidéfilaientsoussesyeux.

—Pourquoi ce soupir ?demandaGabe,depuis le canapéoù il était assis,unbrasnégligemmentpassésurledossier.

Endépitdesonattitudedécontractée,Ellalesentaittenduetaussifrustréqu’elledenepouvoirselancer immédiatement sur la seule piste susceptible de leur donner une chance de mettre fin auxagissementsdesononcle.

—Mononclenes’estpascontentédedétournerlesbénéficestirésdel’élevage.Ilfraudaitdansledos demon père bien avant sa disparition.Ce ne sont pas de grosses sommes,mais il a détourné del’argent dans toutes les activités, notamment dans la filiale restauration où les bilans comptables sontsystématiquementdéséquilibrés.

—Commentsefait-ilqueleservicefinanciern’aitpasnotécesincohérences?— Probablement parce que mon oncle a soudoyé le comptable. Ce dernier touche un très gros

salaire,ainsiqu’uneprimeannuelle.ToutcommeJimHarrison,quis’occupedelafilièreélevage.—VouscroyezqueLelaavaitdécouvertlafraude?—Non.D’aprèsl’historiquedesesrecherches,ellen’apaseuaccèsàcesfichiers.—Vousêtessûre?— Oui. Tout ce que nous savons avec certitude, c’est qu’elle avait ce rendez-vous avec un

mécanicien,àCrystalCreek.Ilmetardedesavoirpourquoi.—Jesuisaussicurieuxquevousdelesavoir.Lesétatsfinanciersdelasociétéontforcémentfait

l’objetd’auditscomptables.Vousavezaccèsauxrapports?—Jevaisessayer.—Dépêchez-vous.Levents’estencorerenforcé.Nousn’auronsbientôtplusderéseau.Avecunnouveausoupir,elleseremitautravail.Lapistedesrapportsd’audit—leurabsence,en

l’occurrence—laconduisitjusqu’auxfichiersdupersonnelquiluiapprirentquelecontrôleurdegestionétaitdécédéavantd’avoirpuvérifierlescomptes.Ellecherchaquil’avaitremplacéetpoussauncri.

—Qu’est-cequ’ilya?demandaGabe.—Deuxcontrôleursdegestionchargésdesauditscomptablessontmortspeude tempsaprèsque

mononcleacommencéàvolerlacompagnie.Vousnetrouvezpasçabizarre?—Drôledecoïncidence,eneffet.Commentsont-ilsmorts?Elle tapa le nom du premier dans le moteur de recherche et parcourut les différents liens qui

s’affichaientàl’écran.L’und’euxattirasonattention.Ils’agissaitd’unarticledepresse.Ellel’ouvrit.Commes’ilavaitperçusastupéfactionetsonhorreur,Gabeselevaducanapéets’approcha.—Dequois’agit-il?—M.Trahantravaillaitpourmonpère.Ilestmortdansunaccident.Savoitureaquittélarouteen

pleine nuit. Aucun témoin. J’aimeraisme tromper, mais je ne serais pas surprise quemon oncle soitderrièrecetaccident.Ohnon!

LaconnexionInternetvenaitdes’interrompre.—C’estfini.Leréseauesthorsservice,annonçaGabe.Elleéteignitl’ordinateuravecunsoupirfrustréetserenversacontreledossierdelachaise.Gabeposalesmainssursesépaulesauxmusclesnouésparlatension.—Jecroisquevousavezraison,dit-il.—Aquelpropos?—Aproposdevotreoncle.S’ilaputirersanshésitationsurvotresœur,c’estqu’iln’enestpasà

soncoupd’essai.Iladéjàtué.Cecontrôleurdegestionestprobablementl’unedesesvictimes.Elletressaillitetlaquestionquilatourmentaitdepuislamortdesasœurjaillitsurseslèvres.—OhSeigneur!Combiendepersonnesa-t-ilbienpuassassiner?

16

Lalueurdelalampeàhuileéclairait levisaged’Ella.Gabeétudiait lalumièreet lesombresquisculptaientsestraitsdélicats,toutenessayantdecomprendrecequi,chezcettefemme,éveillaitenluiundésiraussiviolent.Ilsvenaientdepassercescinqderniersjourscloîtrésdanslamaison,tandisqueleblizzardfaisaitrageautourd’eux,lesisolantdurestedumonde.Leventdunordsoufflaitavecunetelleviolencequ’ilétaitrisquédes’aventurerdehors,mêmepourallerjusqu’àl’écurienourrirleschevaux.

DistraireElladesonchagrinétaitdevenutoutàlafoissonpasse-tempsfavorietsontourment.Ilmouraitd’enviedeserapprocherd’elle,toutengardantsesdistances,conscientquecequicrépitaitentreeux, aussi brûlant que les flammes dans la cheminée, ne durerait pas longtemps. Une fois son oncledémasqué,Ellasortiraitdesavie.Parcequ’ilétaittoutsimplementinconcevablequ’ellepuissequitterNewYorkpourvenirvivreà lacampagne.C’étaitunecitadinedans l’âme.Et ilétaitbienplacépoursavoir que si l’on demandait à l’être aimé d’aller à l’encontre de ce qu’il était réellement, c’était lenaufrageassuré.

Ellajetadeuxpiècessurlatablebasseentreeux.—Jerelance.Cinquantecents.Dosàlacheminée,elleétaitassiseàmêmelesol,lesjambesrepliéessouslatable.Commeilse

redressait pour jouer à son tour, leurs genoux se heurtèrent.Aussitôt, les pupilles d’Ella se dilatèrentcommeàchaquefoisqu’ilssetouchaientaccidentellement.

Danslamesuredupossible,ilessayaitd’éviterlescontacts—l’attiranceentreeuxétaitcommeuntrou noir les aspirant.Mais quelquefois, il la touchait pour la sortir de sa solitude, une solitude quil’éloignaitde luietde la réalité.Coincéeentrequatremurs,sansrienàfairequedepenseràsasœurdisparue,elleserenfermaitparfois,l’humeuraussisombrequelecielchargédenuages.Iln’aimaitpaslavoirainsi,assiseseule,repliéesurelle-même,sonbeauregardvertempreintdedouleur.

Il jetauncoupd’œil sur sescartes.Ellepossédait sansdoutemieuxqu’unepairede six,mais ilrelança.

—Pourvoir,dit-il.Elledécouvritsamain.—Brelandereines!—Tuasencoregagné,déclara-t-ilenjetantsescartes.—Jevaisfinirparcroirequetufaisexprèsdeperdre,justepourmefaireplaisir.Elle retourna lescartesqu’il avaitposées facecontre tableet, lentement, releva lesyeuxsur lui,

remontantlelongdesontorse,s’attardantuninstantsursaboucheavantdeplongerdanssesyeux.Auprixd’unefforthéroïque,ilseretintpournepassepencherverselleetl’embrassercommeun

fou.Immobile,ilsecontentadesavourerl’intensitédumoment.Tousdeuxétaientconscientsdudésirde

l’autre.Toutefois,nil’unnil’autren’étaitprêtàfairelepremierpas.Pasencore.Combiendetempstiendrait-il?S’ilcédait,serait-ilcapabledes’enremettre?Non.Alors,mieux

valaits’abstenir.—Oualors,c’estquetun’asvraimentpasdechanceauxcartes,conclut-elleavecunsourireamusé.—Jedevraist’emmeneràLasVegaspourrenflouermesrécentespertesfinancières.—Quandtuveux.Jesuispartante.—Sicen’étaitpassirisquédesortir,jet’yemmèneraissur-le-champ.Elletournalatêteverslesfenêtresobstruéesparunmurdeneige.—J’ail’impressiondevivredansuncocon,dit-elle,soudainpensive.Bienauchaud.Al’abri.Etje

nepeuxm’empêcherdepenseràcequiva sepasserquandcette tempête sera terminée,quand j’auraitrouvé lapreuveetque jepourrai refairesurface.Cequiestarrivém’a totalementchangée.Jenesuispluslamême,jenesuisplusElla,lasœurjumelledeLela.Jesuismoi.Saufquecettepersonneprivéedesamoitiém’estinconnue.

Gabetendit lebraset luiprit lamain.Avecsonpouce, ilcaressasesdoigts.Instantanément,Ellasentitlachaleurdesapeaucontrelasienneremonterlelongdesonbraspourenveloppersoncœur.

Parfois, une simple caresse avait plus de sens, plus de prix que les mots. Parfois, une simpleprésencesuffisait.Parfois, toutcedontonavaitbesoin,c’étaitd’unamiquivousvoyait tellequevousétiezetquivousétait suffisammentattachépourêtresimplement là,avecvous,quand iln’yavaitplusrienàdire.

Cesderniersjours,Gabeétaitdevenucetami.Cetteâmesœur.Enpeudetemps,ilsavaientétabliunerelationnaturelle.C’étaitcommes’ilsseconnaissaientdepuistoujours,commes’ilsétaientcapablesdeliredansl’âmedel’autre.

Il se levaet la tirapar lamainpour l’aiderà se relever.Puis il sepenchaetéteignit la lampeàhuile. Le feu dans la cheminée s’était réduit à quelques braises qui ne diffusaient plus qu’une faiblelumière dans l’âtre. Sans autre éclairage,Ella était totalement dépendante deGabepour circuler dansl’obscurité à travers la maison. Il s’arrêta devant la porte de sa chambre. Et comme les trois soirsprécédents,lecourantquicirculaitentreeuxsemitàgrésiller.

Ilsse tenaientàquelquescentimètres l’undel’autre,maindanslamain.Ni l’unni l’autren’osaitrespirer.Ilssefixaientdansl’obscurité,tenaillésparledésir,lebesoindel’autre.Maisaucundesdeuxnebougeait.

Gabe sepenchavers elle.Sabouchen’était plus qu’àun souffle de ses lèvres… Il s’arrêta, sonregard cherchant le sien dans cette obscurité qui pourrait dissimuler leurs secrets, si seulement ilsacceptaientdecéderaudésirquilesconsumait.Puisilouvritlaportederrièreelle,luilâchalamainetreculad’unpas.Il laregardaencorel’espaced’unbattementdecœur,avantde tourner les talonspourgagnersachambreàl’autreboutducouloir.

Ellaseglissadanslelitfroidetvide.Ellemouraitd’envied’allerversGabe.Ellemouraitd’envied’être près de lui. Mais ce n’était pas raisonnable. Ni pour lui ni pour elle. Elle craignait que sonattirancepourcethommenesoituniquementmotivéeparsonbesoind’êtrerassurée.Ceseraitunefoliedesejeterdanssesbrasensachantquec’étaitlapeuretlechagrin,etriend’autre,quiavaientstimulésondésir.

Cependant,l’idéedenejamaispasserunenuitdanssesbras,denejamaissavoircequeceseraitdefairel’amouravecGabeluiserraitlecœur.Quandtoutseraitterminé,aurait-ellelecouragederetourneràNewYorksanssavoir?

Non.Parcequecequ’elleéprouvaitpourGabe,c’étaitbienplusqu’unsimpledésirphysique.Elleavait

enviedefairemillechosesaveclui!Parcourirlaprairieàcheval,l’aideràpréparerundîner,luiparler

deslivresqu’elleaimait,luifairedécouvrirsesendroitspréférésàNewYork!Ettantd’autreschosesencore.

Oui,cethommevalaitlapeinedeprendrelerisque.

17

Phillipdécrochadèslapremièresonnerie.—Dites-moiquevousl’aveztrouvée,Robbins!lança-t-ild’untonsec.— Nous avons reçu beaucoup d’appels, mais ça n’a rien donné. Quant aux images de

vidéosurveillancedel’aéroport,impossibledetouteslesvisionneràmoinsd’ypasserdessemaines.Jesuis donc allé au siège de la compagnie pour consulter l’ordinateur de Lela. J’ai découvert dans sonagendaunrendez-vousdansleMontana.

Phillipeutsoudainl’atrocesensationquelesmursdelabibliothèqueserefermaientsurlui.—Quoi?Sisanièceétaitalléeauranch,elleavaitcertainementconstatéladisparitiondestableaux,etpeut-

êtremêmedécouvert lafraudesur lebétail.Enrevanche,ellenepouvaitsoupçonner lereste.Amoinsqu’ellen’aitaussiapprislaventeduranch…Ill’avaitcédépourunprixbienau-dessousdesavaleur.Parcequ’ilavaitbesoindecash.Pourcontinueràverser lespots-de-vindestinésàcouvrirsespetitesaffairesetentretenirsontraindevie.Samaîtresseluicoûtaitunefortune,maisilnepouvaits’enpasser.Ilavaitenfintrouvéquelqu’unquicomprenaitsesbesoins.

— Elle avait rendez-vous avec unmécanicien, précisa Robbins. Il n’y a pas de nom. Juste uneadresse.

Phillipcrutuninstantavoirmalentendu.Puissonvisageseconvulsasousl’effetdelafureur.Lelaavaittoutdécouvert.Etilyavaitdeforteschancespourqu’elleaitmissasœuraucourant.Ilabattitunpoingrageursurlebureau.—EnvoyezimmédiatementdeshommesàWolfRanch!ordonna-t-il.Ellaestlà-bas.Ettrouvez-moi

aussicemauditmécanicien.Ilfautleséliminertouslesdeux.—Jem’enoccupe.C’estcommesic’étaitfait.

18

Gabe se gara devant l’entrée délabrée du mobil-home, au 27 Elk Road, Crystal Creek. Leronronnementd’unmoteurattirasonattention.

Unpeuplusbas,surlaroute,lefacteurfaisaitsatournée.Ilseprécipitapourl’intercepter.—Bonjour!lançalefacteuravecunsourire,endescendantdesacamionnette,unpaquetdelettresà

lamain.—Salut.Vouspouvezmedirequihabiteici?Lesouriredufacteurs’effaçaetsonregarddérivaverslemobil-homebeige.—LevieuxJarrodFinney.Unebientristefinpourcepauvrehomme.—Ques’est-ilpassé?—Ils’estsuicidé,ilyadeçabientôtdeuxsemaines.Jen’avaisjamaisriendevudepareil.—C’estvousquil’aveztrouvé?Lefacteurfronçalessourcilsetdétournalatête,leregardfixéauloin.—Lecourriers’entassaitdanssaboîteauxlettres,alorsjesuisalléjeteruncoupd’œilàtravers

les fenêtres. Il s’était pendu. C’était horrible. Sans doute a-t-il craqué à cause de toutes ces facturesd’honorairesmédicauxquis’empilaient.Jenesaispasdequoiilsouffrait,maisc’étaitprobablementtroplourd à supporter. D’autant que le malheureux vivait seul depuis la mort de sa femme. Une drôled’histoire,làaussi…Elleaétéretrouvéemortedansunechambred’hôtelmiteuseprèsdel’aéroportdeBozeman,abattued’uneballeenpleinetête.

Gabetressaillit.—Quandest-cearrivé?—Oh!Ilyalongtemps.Çadoitbienfaireunedizained’années.—QuelétaitlemétierdeM.Finney?—Pourautantquejesache,ilnetravaillaitplus,maisjesaisqu’ilbossaitcommemécaniciensur

l’aéroport,quandsafemmeaétéassassinée.L’hommen’étaitdoncpasmécanicienauto,maismécanicienenaéronautique,conclutGabequine

croyaitguèreauxcoïncidences.Dix ans plus tôt, l’avion de StuartWolf s’était écrasé. L’épouse de Finney avait été froidement

abattued’uneballeenpleinetête,prèsdel’aéroport.EtFinneylui-même,l’hommeavecquiLelaWolfavaiteurendez-vous,venaitdesesuicider.

C’étaitcommesilespiècesdupuzzlecommençaientàsemettreenplace.—Mercipourlerenseignement.Illaissalefacteurreprendresatournéeetregagnasonpick-upgarédevantlemobil-home.Commeil

jetait un dernier coup d’œil sur celui-ci, des éclats de bois sur le chambranle de la porte d’entrée

attirèrentbrusquementsonattention.Laporteavaitétéforcée.Peut-êtreparlespoliciersquandlesuicidedeM. Finney leur avait été signalé. Ou peut-être pas.Il s’avança. Les marches en bois grincèrent enployantsoussonpoids.Ils’approchadelafenêtrepoussiéreuseetmitsesmainsenvisièrepourregarderà travers la vitre sale. La cuisine était sens dessus dessous. Il y avait des papiers éparpillés un peupartout,surlatableetausol.Lesplacardsavaientétéouvertsetleurcontenujetéparterre.Lestiroirs,videseuxaussi,pendaienttristementsurleurscharnières.Lesalonavaitsubilemêmesort.Lachambrenedevaitpasêtreenmeilleurétat.Ilnes’agissaitpaslàd’unemaisonmalentretenue.Cen’étaitpasnonplusletravaildelapolice.Non,c’étaitletravaildeshommesdemaindePhillipWolf.Ilsétaientvenusicichercherquelquechose.

L’estomacnoué,Gabeétouffaunjuron.Ellaétaitendanger.Ildévalal’escalieretsautadanssonpick-up.Lecœurbattant,ilmitlecontactetfitdemi-toursur

leschapeauxderoues.Quelquesmètresplusloin,uneCadillacEscaladenoiresurgitd’unerueadjacenteets’engageasur

laroutederrièrelui.Iljetauncoupd’œilanxieuxdanssonrétroviseur.Levéhiculeétaittroploinpourpouvoirliresa

plaque,maisbeaucouptropprèspoursatranquillitéd’esprit.Ilappuyasurl’accélérateur,mettantdeladistanceentreluietceuxqu’ilsupposaitêtreleshommesdePhillipWolf.IlfitunimmensedétourparlespetitesroutesdecampagnepoursemerlaCadillacetnerepritladirectionduranchqu’unefoiscertainqu’iln’yavaitpluspersonnederrièrelui.

***

Assisedevant lebureau,Ella regardaitpar la fenêtre.Mêmesi leciel s’étaitunpeudégagé, sonhumeurétaittoujoursaussiagitéequelamétéodesderniersjours.

Gabearrivadanssondos,apportantl’odeurdesgrandsespacesetdelaneige.Il avait été son phare dans ce monde de ténèbres qui l’avait engloutie. Il l’avait obligée à

communiquer, à sortir de son isolement, de son chagrin. Il l’avait secouée, amusée, rassurée.Et vivreauprèsdeceséduisantcow-boynela laissaitpas indifférente.Ellerêvaitdeglissersesdoigtsdanslamasseépaissedesescheveuxnoirsetdes’yagripperjusqu’àcequeleurscorpsfusionnentpourassouvircedésirquis’intensifiaitchaquejourdavantage,brûlant,lancinant.

Pourquoifallait-ilquecethommesoitsibeau?Elle songea à la bouche deGabe, si proche de la sienne la nuit dernière. A la façon dont il la

regardait.Ellemouraitd’enviedel’embrasser,maintenant.Justepourleplaisirdesentirànouveauseslèvresfermespresséescontrelessiennes.

Incapablederésisteràcequeluiréclamaitsoncœur,elleselevapourenlacerGabe.—Çava?demanda-t-elle.—Super.Mais le ton ne collait pas avec la façon presque brutale dont il la serra contre lui en laissant

échapperunsoupirdesoulagement.—Gabe,tumecachesquelquechose.Qu’est-ilarrivé?Ilhésita.—Leshommesdetononcleontfaillimepiéger.—Quoi?Acontrecœur,elles’arrachaàlaprotectiondesesbras.—Ils…ilst’ontvu?bredouilla-t-elle,lagorgeserréeparl’angoisse.—J’aiprisdescheminsdétournéspourrentrer.Personnenem’asuivi.

—Tuessûr?—Oui.Jenepermettraipasqu’ilt’arrivequoiquecesoit.—Tuastrouvéquelquechose?demanda-t-elle,toujoursunpeuvexéequ’ilaitrefusédel’emmener

suivrel’uniquepistelaisséeparsasœurdansleMontana.—L’adresseque tum’asdonnéeestcelled’uncertainJarrodFinney.Lefacteurm’aapprisqu’il

travaillaitcommemécanicienaéronautiqueetquesafemmeavaitétéretrouvéemortedansunechambred’hôtelàproximitédel’aéroport,ilyaunedizained’années.

Ellasentitsoncœurcognerdanssapoitrinetandisquel’incrédulitécédaitlaplaceaudoute,puisàl’horreur.

—Lamortdemonpère…n’étaitdoncpasunaccident.Est-ilpossiblequemononcle…Elleneput achever.Cesderniers jours, l’idée s’était peuàpeu frayéunchemindans sonesprit.

Maisellel’avaitrepoussée.—TuaspuparleràFinney?demanda-t-elle.—Malheureusementnon.Ils’estsuicidé.Etsijenemetrompepas,ils’estsuicidélejourmêmedu

rendez-vousavectasœur.—Iln’estdoncpluslàpourtémoigner.Découragée,ellese laissaretombersur lachaiseetposalescoudessur la table, la têteentreses

mains.Elleavaitenviedehurler.C’étaitcommesiunéclatdeverre tranchant fouillait les recoins lesplusfragilesdesoncœur.

—Mon oncle est unmonstre. J’ai découvert d’autres disparitionsmystérieuses. Je suis certainequ’illesaorchestrées.Etjenepeuxrienprouver.

—Dequellesdisparitionsparles-tu?— Il y a d’abord eu celle deM. Trahan, le contrôleur de gestion chargé de vérifier les bilans

comptablesdel’entreprise.Noussavonsqu’ilestmortdansunaccidentdevoitureinexpliqué,l’annéeoùmon père est décédé. L’audit des finances n’a jamais été réalisé cette année-là, ni la suivante. Lesmembresducomitédirectorial s’en sont sansdouteaperçuset ledirecteuradministratif ademandéunnouvelauditdescomptes.Maiscettefoisencore,lecontrôleurdésigné,uncertainM.Reiser…

ElletenditàGabeunarticlequ’elleavaitimprimé.—…estdécédé.—Queluiest-ilarrivé?—Tuélorsd’uneagressiondanslarue.—C’estpasvrai!—A lamêmeépoque, ledirecteur administratifqui avaitdemandé l’audit a été arrêté soi-disant

pourcomplicitédansunefilièredecall-girlsdeluxe.Lapoliceauraitétéalertéeparunappelanonyme.—Jecroisdevinerquiétaitl’informateur,marmonnaGabe.Ellehochalatête.— J’étais au lycée. Je me souviens très bien du scandale. Mon oncle a renvoyé le directeur

administratif pour le remplacer par un de ses amis. Un ami de longue date, comme par hasard. Enconsultantlesfichiers,j’aiaussidécouvertquelapersonnechargéedevérifierl’étatdescompteschaqueannée,defaçonindépendante,apparaîtdanslesystèmedepayeenqualitédecontractuel.Ellereçoituneindemnitémensuelleimportantepoursesservices.Leproblème,c’estqu’ellenetravaillequ’unmoisparancheznous.

Gabepassaunemainnerveusedanssescheveux.—Bonsang,Ella!Deuxemployésdelacompagnie,peut-être lafemmedumécanicien,Lela, ton

père…Tousassassinéspartononcle.—Jesais.Maisjen’aiaucunepreuve.Justeledétournementdefondsetmessoupçons.—Qu’enest-ildelamortdetamère?demandaGabed’unevoixdouce.

Ellaseraiditetdétournalesyeux.—Là,c’estdifférent.Mesparentss’adoraient.Ilsétaientcommelesdeuxpiècesd’unmêmepuzzle.

Inséparables.Simamans’estpenduedanslesécuriesdeleurpropriétédeNewYork,c’estparcequ’ellenesupportaitpasl’absencedepapa.Ellevivaitpourlui.Paspournous,conclut-elled’unevoixbrisée.

—Jesuisdésolé,murmuraGabe.Elleredressalatête.Ellenevoulaitpasdesapitiéetsehâtadechangerdesujet.— J’ai déniché deux ou trois autres pistes, mais il faudrait téléphoner et aller sur place pour

éclaircircetissudemensongesetd’escroqueries.—Lelaprétendaitavoirlapreuvedescrimesdetononcle,observaGabe.Jepariequec’estFinney

quilaluiadonnéeavantdesesuicider.Bourreléderemords,illuiaprobablementavouéavoirparticipéàuncomplotcontretonpère.Ilfauttrouvercettepreuve.J’aiautrechoseàtemontrer.

Ilouvritl’enveloppequ’ilavaitposéesurlatableenarrivant,etensortitundocument.—AvantdemerendrechezFinney,jesuispasséautribunaletj’aidemandéaugreffierdemesortir

touslesdocumentsaunomdetonpèreconcernantWolfRanch.Ilétalalespapiersdevantelle.—Ils’avèrequelapropriétéestbienplusétendue,dit-il.Danslesfaits,tonpèread’abordacheté

dixmillehectaressurlesquelsilabâtileranch.Iltiraunseconddocumentdel’enveloppe.— Deux ans plus tard, quand les prix du terrain se sont effondrés, il a acheté deux fois plus

d’hectares.Ensuite,lesprixsontremontés.Aujourd’hui,WolfRanchvautunefortune.—Combien?—Prèsdedix-septmillions.Ellehochalatêteavecunpetitsouriretriste.—Monpèreétaitdouépourlesaffaires.Onnepeutpasendireautantdemononcle,quivendce

quineluiappartientpasbienau-dessousdesavaleurets’imagineavoirfaitunebonneaffaireparcequ’ilabesoindecash.Mercid’avoirfaitcesrecherches,Gabe.

— J’ai pensé qu’il fallait que tu saches.D’après ces papiers, si la vente deWolfRanch s’étaitconclue,tononclevousauraitfaitperdredesmillions.

—Entreça,lestableauxetlebétail,ilnes’agitplusd’unepetitefuitedanslepatrimoinefamilial,maisd’unevéritablehémorragie.

—Eneffet.Etcommeilyadéjàbeaucoupd’élémentscontretononcle,j’aicontactéquelqu’unquejeconnaisauFBI.

—Quoi?Maistu…—Ecoute-moi.LafemmedemonfrèreCalebaunfrèrequitravailleauFBI.SambosseenVirginie.

Ilaacceptédenousaiderdèsquetuserasprêteàaffrontertononcle.Ilsetientànotredisposition.Entre-temps, il va ouvrir une enquête sur l’inspecteur Robbins et sur ton oncle. Il s’agit d’une enquêtepréliminaire,maisaveccequetuasdécouvert,ilyadéjàdequoiporterplainte.

—Sanspreuves?—Nouslestrouverons.—OnpeutfaireconfianceàSam?—Absolument.—Tuessûr?—Ella,jenerisqueraispastavie,sijen’étaispascertaindel’intégritédeSam.Viens.Habille-toi,

noussortons.—Maisjenepeuxallernullepart.Quelqu’unpourraitmereconnaître.—Onnevapasloin.—Jeferaismieuxdecontinuermesrecherches.

—Ceneserapaslongetl’ordinateurnevapass’envoler.—Gabe…—Ella, tuasbesoindeprendre l’air.Viens t’occuperdeschevauxavecmoi.Ça techangera les

idées.La proposition était tentante.Voilà des jours qu’elle n’avait pasmis le nez dehors. Et elle avait

besoind’avoirlesidéesclaires.Ellefitminederéfléchir,puisrelevalesyeuxsurGabe.Illuisourit.—Ceregardmeditquetuenmeursd’envie.Allez,filet’habillerpluschaudement.

19

Gabe attendait dans la cuisine qu’Ella ait terminé de s’habiller pour sortir. Il s’inquiétaitsincèrementdelavoirdépérir.Descernesnoirsombraientsesbeauxyeuxverts,elledormaitàpeineetquandelleréussissaitàsombrerdanslesommeil,lescauchemarslafaisaientpleurerethurlerdeterreur.Danscesmoments-là,ilmouraitd’enviedeseprécipiterdanssachambre,del’enlaceretdeluifairetoutoublier.Ilcommenceraitparpresserseslèvrescontrelessiennes,salanguetrouverait lechemindesabouchepourlagoûter,lataquiner…

Lebaiserqu’ilsavaientéchangétournaitenboucledanssatête.Lafraîcheurdeseslèvres,songoûtde framboise…Dieuqu’il la désirait !Heureusement que le ciel s’était dégagé, parceque s’il devaitpasserunejournéedeplusseulavecelleentrecesquatremurs,sanspossibilitédes’échapper,iln’étaitpascertaindepouvoirrésisterencoretrèslongtempsàl’enviedel’embrassercommeundément,delasouleverdeterreetdelaporterdanssonlit.

Ellaavaitbesoindetempsetilavaitbesoindesavoirs’ilseraitcapabledelalaisserpartirunefoisqu’il aurait couché avec elle. Parce qu’il était inimaginable qu’elle reste ici, quand tant de chosesl’attendaient àNewYork.Sesamis.Unemultinationaleà faire tourner.Uneexistencede luxequ’ilnepouvaitluioffrir.Etilyavaitencoretantd’autresraisonsdenepascoucheravecelle.Tropjeune.Tropriche.Elleneressemblaitàaucuneautrefemme.

Et c’était justement ça qui l’attirait. EllaWolf était unique. Il l’admirait pour son courage et sadétermination. Il l’admirait pour sa perspicacité, ses compétences en informatique et en gestiond’entreprise.Sononcle l’avait sous-estimée.S’il l’avait laisséeprendre les rênesdeWolfEnterprisesavecsasœur,commeprévu,ilauraitrécoltélesfruitsdeleurstalentsréunis.Aulieudeça,Ellaallaitdevoirréparerlestortscausésparcepsychopatheetassurerseulel’avenirdelacompagnie.Unetâchemonumentale,maisilnedoutaitpasunesecondedesacapacitéàreleverledéfi.Pourl’instant,elleétaitprisonnièredesonchagrin.Tantqu’ellen’auraitpasfait ledeuildesasœuretdeleursrêvesd’avenirpartagés,elleresteraitdanscetétatdépressifquil’écrasaitetluivolaitcetteauradelumièreetdegaietéqu’ilpercevaitenelle,dèsqu’elleoubliaittoutleresteetn’étaitqu’aveclui.

—Gabe.Jesuisprête.Enrevanche,luinel’étaitpas…Iln’étaitpasprêtàrecevoirlechocdelavoirporterl’undespullsqu’illuiavaitofferts.C’était

étrange de la voir porter quelque chose qu’il avait choisi spécialement pour elle après bien deshésitations.Ilavaitpasséuntempsfoudanslaboutiqueàtergiversersurlemodèleetlateinte.

L’autre jour,elleavaitchoisi lepull rougeframboisequimettaitenvaleur lesrefletsdorésdesachevelure.Aujourd’hui,elleportaitleturquoise.Etiladoraitlafaçondontcetteteintefaisaitressortirlevertdesesyeux.

Comme il se contentait de la regarder sans unmot, elle lissa le pull sur ses hanches d’unemainnerveuse.

—Ilmeva?—Alaperfection.Tuestrèsbelle.Lepullsoulignaitsesépaulesfinesetsapoitrinehaute.Gabes’imaginaglissantlesmainsdessous

pour caresser sa peau satinée et prendre ses seins dans ses paumes, tout en l’embrassant longuement,profondément…Iln’avaitjamaisconnuundésird’unetelleintensité.

—J’adorelateinte,murmuraEllad’unevoixtimide.Etlalaineesttrèsdouce.Comme tout chez elle, songeaGabe. Ses cheveux. Sa peau. Son parfum. Ses yeux quand elle le

regardaitsanss’enrendrecompte.Seslèvresquandill’embrassait.—Allons-y.Peut-êtreavait-ilparléd’untonunpeutropbrusque.—Gabe…Qu’est-cequinevapas?—Rien.J’aisimplementbesoindesortirdecettemaison.Ilavaitsurtoutbesoindemettreunpeudedistanceentreeux,maisilnepouvaits’yrésoudre.Tout

enluis’yrefusait.IlpritEllaparlamainetl’entraînadanslehalld’entrée.Ill’aidaàenfilersonmanteauetjetaun

coupd’œilsurlesbottesqu’elleavaitauxpieds.—Lapointureestbonne?Parcequel’onpeuttoujoursleséchanger.—Ellessontparfaites.Avecça,jesuissûred’avoirlespiedsausec.—Ettachevilleestmaintenue.Surce,ilrepritsamainetlaconduisitdehorsenprenantsoinderalentirlepaspourlecalquersur

lesien.—Tahanchetefaittoujourssouffrir?—Beaucoupmoins.L’hématomeserésorbe,répondit-elleenmarchantavecprécautionsurlaneige.L’esprit traversé par l’image de sa peau crémeuse,Gabe sentitmonter en lui une sensation sans

équivoque.—Super.Jesuiscontentquetuaillesmieux.—Normal,vucommenttut’occupesdemoi.Tut’arrangesmêmepourm’organiserunepauseavant

quejenejettel’ordinateurparlafenêtre.—Disonsquejem’inquiètepourtatensionartérielle.—Tudevraisplutôtt’inquiéterquejeneprennepasundetesfusilspourallerabattremononcle.—Jem’enchargeraipourtoi.Ilsplaisantaient,maiscetteorduren’enméritaitpasmoins.Ils’effaçapourlaisserentrerElladansl’écurie.Elles’immobilisasibrusquementqu’ilfaillit lui

rentrerdedans.—Qu’est-cequ’ilya?—Regarde!Ilsnoussaluent.Unedizainedechevauxpassaienteneffetleurtêtepar-dessuslesportesdeleurboxenpoussantde

petitshennissementspourlesaccueillir.GabebaissalesyeuxsurElla,etlajoiequ’illutsursonvisagelebouleversa.—C’estlapremièrefoisquejetevoissourirevraiment,murmura-t-il.Lecœursoudainléger,ilposaunbaisersursatempeetlapoussadevantlui.—Valeurdirebonjour.Ilss’ennuient.Jelessortiraiunpeuplustarddanslepaddock.Elleneselefitpasdiredeuxfois.Elles’approchadupremierchevalpourluiflatterl’encolure,se

laissacâlinerlajoueparlesecondetcontinuadedistribuerdescaressesenremontantl’allée.

Gabeavaitpréparéunpleinpanierdepommes.Cinqboxplusloin,ilrejoignitEllaenadmirationdevantunejumentpalomino.

—Elles’appelleWinnie,dit-il.Cen’étaitencorequ’unepoulichequandjel’aiachetée,ilyadeuxans.

Winnie allongea le cou pour venir frotter sonmuseau contre sa nuque, avant de plonger vers lepanierpourchaparderunepomme.

—Elleadoreça,précisa-t-ilenessayantdesauverlerestedesfruitssousleregardamuséd’Ella.—Tunepeuxpassavoiràquelpointmeschevauxmemanquent.—Combienenas-tu?—Deux.Unnoiretunblanc.BentleyetMercedes.—Bonsang,mêmeteschevauxportentdesnomsdevoituresdeluxe!Elleéclataderire.—Jetefaismarcher.J’étaiscertainedetaréaction.Ilss’appellentBelleetAngel.—Jenesavaispasquej’étaissiprévisible,marmonna-t-il,feignantd’êtrevexé.Illaregardaprendrelatêtedelajumententresesmainsetposersajouesurlechanfrein.— J’adore les chevaux.Mais ces derniers temps, je n’ai pas passé beaucoup de temps avec les

miens.—C’estdommage.Ilsterendentmanifestementheureuse.Elleconfirmad’unhochementdetête.—Dèsqueçanevapasouquej’aibesoindem’isolerpourréfléchir,jevaisàlacampagne.Là-

bas, jemonteàchevaldesheuresdurant.Etquand jenemontepas, jepassemon tempsàpomponnerBelleetAngel.Çamedétendetmeremetlesidéesauclair.

Gabeluitenditunebrosseàétrilleretouvritlaportedubox.—Çatombebien!Winnieadoreêtrecajolée.Occupe-toid’elle.Pendantcetemps, jevaissortir

sespetitscamarades.Ellaentraaussitôtdansleboxetsemitàbrosserlepelagedorédelajoliejument.Commeils’éloignait,ellel’appela.—Oui?—Merci,Gabe.C’estexactementcedontj’avaisbesoin.Il revint vers elle, prit sonvisage entre sesmains et le levavers lui.Lentement, délicatement, il

posaunbaisersursonfront.Ilauraitpréférél’embrasserd’uneautrefaçon,maislà,toutdesuite,cedontelleavaitbesoinc’était

dedouceuretderéconfort.—Derien,mademoiselleWolf.Ilcontemplasestraitsdélicatséclairésparsonlumineuxregardvert.—Ilvamefalloirunebonnedemi-heurepoursortirleschevaux.Winnieesttoutàtoi.Heureuseau-delàdesmots,Ellasedressasurlapointedespieds,noualesbrasautourdesoncouet

leserracontreelle.Ilsecontintpournepass’emparerdesabouche.Ils’écartaàregretetcommençaàs’occuperdes

chevauxtoutenglissantdescoupsd’œilfréquentssurElla,quienfaisaitautantavecluidèsqu’ilpassaitàproximité.Cequ’ilnepouvaitignorer.

Cequ’ilneputignorernonplus,cefutlasuccessiond’émotionsquipassèrentsurlevisagedelajeunefemme,tandisqu’ellepansaitWinnie.Sajoieinitialeavaitpeuàpeucédélaplaceàuneimmensetristesse.Aunmoment,ellecraqua.Illavitposersajouesurl’encoluredelajumentetpleurer.Maisilpoursuivitsatâche,lalaissantdonnerlibrecoursàsessouvenirsetàsadétresse.

Une fois calmée, elle alla poser la brosse à étriller sur la table et retourna versWinnie pour laserrerdanssesbras.

Gabesourit. Ilsavaitexactementcequ’elleressentait.Cebesoinparfoisdes’appuyersurunêtrequinedisaitrienetneportaitaucunjugementsurvous.

Il hésita.Devait-il s’avancer et lui changer à nouveau les idées, ou fallait-il la laisser retourneréplucherdesfichiersinformatiques.

Il s’approcha et posa lesmains sur ses épaules etmassa sesmuscles noués par la tension et lafatigue.

—Merci,Gabe,murmura-t-elle.—Derien.Elle le surpritune foisdeplusen faisantvolte-facepour l’embrasser.Unesimplecaressedeses

lèvres sur les siennes.Bien trop brève.Mais l’intensité dans ses yeux reflétait lemême désir qui luitordaitlestripesdelaserrerplusfortcontreluietdedévorersabouche.

Ilsecontentacependantdelaissersesmainslàoùellesétaient,poséessurleshanchesd’Ella.Parcequecesderniersjoursilavaitapprisàlaconnaître.Etl’inclinaisondesatêteetlalignedesaboucheindiquaientqu’elleavaitquelquechosed’importantàluidire.

—Tuasbienfaitdem’obligeràfaireunepause.—Ilfautsavoirprendreunpeuderecul.—Maisletempspresse,Gabe.J’ail’impressionderaterunélémentfondamental.CommesiLela

medisaitquelquechosequejen’entendspas.—Sortonsmarcherunpeu.Illalâchaets’écartad’unpas.Ilavaitbesoindemettredeladistanceentreeuxavantdecommettre

unebêtise.Commelacoucherdanslesbottesdefoin,ladéshabilleretluifairel’amour,icimême,dansl’écurie.

—C’estquoi,ceregard?demanda-t-elle.—Quelregard?—Celui-ci.Quandtusecoueslatêteetquetumeregardescommesij’étaisunebestiolebizarre.—Maistuesbizarre!Tuescequetues,etenmêmetemps,tunel’espas.—Vusouscetangle,c’estsûr,jesuisbizarre.Maisencore?—Tuesunecitadine.—Eneffet,jevisàNewYork.Maisj’aiaussivécudansbiend’autresendroits,ycomprisdansle

Montana.—Oui.C’estjustementça.—Quoi,ça?—Tuesàl’aisen’importeoù.Taplaceestautanticiqu’àNewYork.Jetevoisaussibiensortiren

discothèque et écumer les boutiques de Manhattan qu’étriller les chevaux et vivre avec un cow-boycommemoi, surun ranch.Tues ceque lesmédiasmontrentde toi,mais tu es aussiune femmequ’ilsn’imaginentmêmepas.

—Ettoi,tun’espasunsimplecow-boy,GabeBowden.Tuélèvesdubétailetdeschevaux,maistupossèdes un diplôme universitaire et tes tableaux prévisionnels feraient pâlir la plupart des chefs deprojetsdeWolfEnterprises.Statistiques, finances,gestiondes stocks.Biendesdirigeantsd’entreprisen’ontpastescompétences.Enmêmetemps,tuescapabledefairetournerunranch,det’occuperdubétailetdeschevaux.Cen’estpastantleprofitquit’intéressequeletravaillui-même,aucontactdelanatureetdesanimaux,n’est-cepas?

Ilhochalatêtesansunmot.—Situsavaiscommejet’envie,reprit-elled’unevoixteintéed’amertume.Jet’envieencoreplus

quandjevoistesphotosdefamilleunpeupartoutdanslamaison,quandjet’entendsparlerdetesfrères.Ellefermabrièvementlesyeux.

—Jemedemandecequisepasseraunefoisquej’auraienvoyémononclederrièrelesbarreaux.Toutcequej’avaisprévuavecLela,c’estfini.Pourquoijefaistoutça?Pourvengermasœur,biensûr.Maisquandmononcleaurapayé,qu’est-cequejevaisfaire?

—Tudirigeraslacompagnie.TuretrouverastesamisàNewYork.Tuvivrastavie.—Mais si je ne veuxplus de cette vie ?Cette vie, je l’imaginaisavec Lela. Sans elle, cela ne

m’intéressepas.Jevaistravaillerpourqui?Pourquoi?Pourlasatisfactiondepoursuivrel’œuvredemonpèreetétendreencorel’empireWolf?Pourgagnerplusd’argent?Qu’est-cequejevaisenfaire?Acheterdestasdetrucsdontjen’aipasbesoinetdontjen’aiaucuneenvie?

—Ella, pour l’instant, tu ne sais plus trop où tu en es. C’est normal.Mais dès que tu en aurasterminéavectononcle,tureprendraslecoursdetavie.

—C’estça.Lecoursdemavie…Savoixsebrisa,sonregardsefitvague,etGabeperçuttoutlepoidsdesasolitude.Ilnesavaitquoidire,parcequ’elleavait raison.ElleretourneraitàNewYorkpourdirigerseule

unemultinationalecrééeparsonpère.D’unautrecôté,ellefiniraitparsurmontersonchagrin,sesamisl’entoureraientetelleentrouveraitcertainementunparmieuxavecquipartagersavie.

Laboufféede jalousiequi l’étreignit lestupéfia. Iln’avait jamaisétédugenrepossessifavec lesfemmes—sansdoutelaraisonpourlaquelleilleslaissaitpartirsifacilement.Cettefois,avecElla,ceneseraitpasaussisimple.Enfait,ilavaitdeplusenplusdemalàseprojeterdansunavenirsanselle.Etsadétresseletouchaitplusquetouslessignauxd’alarmequirésonnaientdanssatête.

Alors il l’attiracontre luiet l’enveloppadesesbras.Peu importait la suite.Dans l’immédiat,cequ’ilfallait,c’étaitlaréconforter.

—Tun’espasseule,Ella.Jesuislà.Etjeleseraiaussilongtempsquetuvoudrasdemoi.Elle releva la tête, son regard étincelant d’un désir aussi violent que le sien. Un désir sans

équivoqueauqueliltentacependantderésister.Pourelle.Pourlui.—Dis-moidetelaissertranquille,souffla-t-il.Dis-moiquetupréfèresêtreseule.—Non.Jeneveuxpasêtreseule.Jeveuxêtreavectoi.Il faillit lui demander pour combien de temps, mais se ravisa. Parce qu’il était évident qu’elle

partiraittôtoutardpourretourneràcetteexistencedontellecroyaitneplusvouloir,maisverslaquelleelleretourneraitparcequec’étaitcellequ’elleavaittoujoursconnue.

Malheureusement,ilsuffisaitqu’elleseblottissedanssesbraspourquesoncorpss’enflamme.Leslèvresd’Ellas’entrouvrirentsurunsoupir.Alors,n’ytenantplus,ilécrasasabouchecontrelasienneetlaissalibrecoursàsondésir,cettefois.Leurslanguessegoûtèrent,senouèrent.Ilglissasesmainssousle pull-over d’Ella, remonta le long de son dos, savourant le satin de sa peau et son gémissement deplaisir.Pressantseshanchescontrelessiennes,ils’arrachaàseslèvrespourfairecourirsaboucheplusbas,sursagorgeetposerunbaiserdanslecreuxdélicatdesoncou.

—Tuessibelle.Ellerenversalatêteenarrière.Ils’emparadenouveaudeseslèvres.—Surtout,net’arrêtepas,murmura-t-ellecontresabouche.—Jenefaisquecommencer.Etpourleluiprouver,ill’embrassadenouveauavecavidité,profondément,fiévreusement.Ellas’abandonna.Plusrienn’existaitquelefaitd’êtredanslesbrasdeGabe,quelachaleurdesa

bouche,lasaveurdesalangue.C’étaitcommesiseulscomptaientcetinstantetcebaiserquidonnaitunsensà savie.Plus rienn’existaithormiscethomme.Prèsde lui, elle avait l’impressionque tout iraitbien. Elle ne ressentait plus ni crainte ni doute. Et quand il l’embrassait, le lien entre eux était aussiintensequeceluiquil’avaitunieàsasœur.Différent,maisaussiprofond.

Ellesentitsondosheurterlaparoidubox.Gabeposalesmainssursesfessesetlesserra,toutenpoussantseshanchescontresonventre,allumantdesétincellesdanstoutsoncorps.Asontour,elleglissa

lesmainssoussachemise,enfonçasesdoigtsdanslesmusclesdesondos,sedélectantdeleurpuissance.Elleenavaitrêvétantdefois…

Les mains de Gabe remontèrent sur ses hanches, lui arrachant un cri lorsqu’elles effleurèrentl’hématomeencoredouloureux.

—Pardon,chuchota-t-ilcontresabouche.Doucement,ilfitcourirsesdoigtsencercleslangoureuxsursoncorpsmeurtri.Ellasentaitlesangbattreàsestempes.Souslacaressesensuelle,ledésirmontaitaucreuxdeses

reins,violent, irrépressible.Fébrile, impatiente,elle sedressasur lapointedespiedspourprendre levisagedeGabeentresesmainsetl’embrasseràsontour,avidement.

LesoufflechauddeWinniesursanuquelafitsursauter.Tendant lecou, la jumentvintcollersonmuseaucontresajoue.Elleéclataderire.

Gabeladévisagea,l’airsoudainconsterné.—Ella,nousnepouvonspasfairel’amourici.—Avecunpeumoinsdevêtements,jesuissûrequenouspourrionsnousdébrouiller.—Bonsang,noussommesaumilieud’uneécurieettufrissonnes!—C’esttoiquimefaisceteffet.Ellesepressacontreluietfitcourirseslèvreslelongdesoncou,toutenlaissantsamains’égarer

verssonventrepoureffleurerlapreuvedesondésirpourelle.Illaissaéchapperunpetitbruitdegorgeétranglé.—C’estabsurde,maisjetedésirecommeunfou,reconnut-ildansunsouffle.—Alorsemmène-moiauchauddanstonlit.Gabeplongeadanssonregard,commepourscruter le fonddesonâme.Puis il l’enlevadansses

bras puissants, ouvrit la porte de l’écurie d’un coup de botte et traversa la cour enneigée jusqu’à lamaison.Là,ils’arrêtaquelquessecondesdanslehall,letempsdes’emparerànouveaudeseslèvres.Etc’estencoreenl’embrassantqu’ill’emmenadanssachambrepourselaissertombersursonlit.

Ellenoualesjambesautourdesatailleetfrottasonbassincontrelesien,déclenchantdesondesdeplaisiraucreuxdesesreins.

—Tropdevêtements,murmura-t-ellelorsqu’illibéraseslèvres.Sansunmot,ilseredressaetluiôtasesvêtementsàpetitsgestesefficacesetrapides.Iljetaletout

surlesoletlaregarda.—Tuesbelle.Lentement, ils’inclinaverselleetbaissalesyeuxsursesseins rondset fermes,auxpointesd’un

rosesombre.Ilenpritunedanssabouche.Ellesecambraetenfonçasesdoigtsdanssescheveuxpourleretenirlà,toutcontreelle.

Doucement, ilsedégageaetfitglissersaboucheentresesseins, jusqu’àsonventre.Puis,sanslaquitterdesyeux,ilsedébarrassadesachemiseetdesesbottes.

Se penchant de nouveau sur elle, il planta sesmains de chaque côté de sa tête et la contempla,prenanttoutsontemps.

Soussonregardsombreetbrûlant,elleavaitl’impressiondeseconsumer.Elles’enroulaautourdeGabe,maiscettefoisencore,ilnecédapasàlatentationdes’enfoncerenelleetrepritsonexploration.Ilpromena ses lèvres sur ses épaules, ses bras, son ventre, embrassa le bleu sur sa hanche, contenantvisiblementsondésir.

Soussesbaisers,ellesedétendait,sefaisaittoutedouceetabandonnée.Emerveillée,elleobservaitcethommeluifairel’amour.Elleneressentaitplusnichagrinnidouleur.Seulementduplaisir.Unplaisirnouveaupour elle.Quelques instantsplus tôt, dans l’écurie,Gabe s’étaitmontré avide et impatient.Aprésent,iln’étaitplusquecalmeetdouceur.Sesmains,seslèvresétaientpartoutàlafois.Caressantes,tendres,rassurantes.Elleselaissadériver,envoûtée.

Gaben’enpouvaitplus.Ilmouraitd’enviedelaposséder,maisquelquechosedanslafaçonqu’elleavaitdeleregarder,desoupireretdes’offriràluientouteconfianceluiordonnaitdenerienprécipiter.Ilsavaienttoutletemps.Mêmesiaufonddelui,ilsavaitquecetempsétaitcompté,ilvoulaitapprendretoutesceschosesquiarrachaientàcettefemmequil’ensorcelaitdepetitssoupirsdeplaisir.

Ilglissalesmainssoussesfessesetlessoulevalégèrement.Puisilposasaboucheentresesjambesetlagoûtaduboutdelalangue.Ellehoquetaetseraidit.

—Gabe…Illevalesyeuxverselle.Elleleregardait,lesyeuxembrumésdejouissance.Commeils’écartait

pourôtersonjean,elleseredressapourl’embrasseràsontour,semantdesbaiserssursoncou,sursontorse,tandisquesamains’égaraitplusbaspourserefermersursonsexeetlecaresserlentement.

Incapablederésisteràcettedoucetorture,Gaberepoussalamaind’Ella.Illafitbasculersurledospourlacouvrirdesoncorps,etleurslanguessemêlèrentdenouveautandisqu’ilsortaitunpréservatifdutiroirdelatabledechevet.Puisilseplaçaentresescuissesetglissaauplusprofonddesachaird’unmouvementdouxetferme,toutsoncorpspressécontrelesien.Etlesbeauxyeuxvertsd’Ellas’abîmèrentdanslessiens.

—Oh!Gabe…Ilesquissaunlentmouvementd’avantenarrière,lesmainssousseshanches,lasoulevantjusqu’à

repérerl’angleprécisquifaisaitéclaterleplaisirsursonvisage,cherchantàs’harmoniseravecelle,selaissantguiderparsesmurmuresetsesgémissements.Pour lui fairecomprendrecequ’ilsemblaitêtreincapabledepenseroud’exprimerclairementdevivevoix.Enrevanche,soncorps,lui,savaitcequ’ilvoulaitdireàElla.

Etelleluirépondaitdelamêmefaçon,ensedonnanttoutentière,sansretenue,lepoussanttoujoursplusloin,exigeantdavantage.Etsoudain,leplaisirfutsiviolentquetousdeuxn’eurentpluslaforcequedefermerlespaupièresetdesuccomberàl’intensitédel’orgasme.

Ils restèrent enlacés, à bout de forces, hors d’haleine.Gabe enfouit son visage dans les cheveuxd’Ellaetrespirasonparfum.Puisilposalamainsursoncœur,baisasabouchealanguieetlacontemplajusqu’àcequ’elleouvrelesyeux.Desyeuxemplisdelarmes.

—Qu’ya-t-il,chérie?—Jemesenscoupabled’êtreheureuse.Illuicaressalajoue.—Tun’aspasàtesentircoupable.Tasœurt’adorait.Elleauraitvouluquetusoisheureuse.—Maisjesuisvenueicipourtrouvercettemauditepreuve,paspourcoucheravectoi.Ils’écarta.Ilavaitsoudainladésagréableimpressionquecequ’ilsvenaientdepartagern’étaitpour

ellequ’unesimplepartiede jambesen l’airqui l’avaitdistraitedesonvéritableobjectif. Il s’assitauborddulit,lesdoigtscrispéssurlematelas,leregardrivésursespieds.

Ilvoulutselever,maisEllaleretint.Elleenroulalesbrasautourdesontorse,lementonposésursonépaule,lesseinspresséscontresondos.Chaude.Douce.L’enveloppantdesonparfum.

—Attends.Neparspas,murmura-t-elle.Excuse-moi,jemesuismalexprimée.Cequejevoulaisdire,c’estqu’avectoi,moncœursegonfledebonheur,maisenmêmetemps,jeressenstoujourscevideimmenseenmoi.Tousceuxquej’aimaisontdisparu.J’airegardémononcleassassinermasœur,jel’aientendudirequ’ilvoulaitmamortetjesaisqu’iladéjàtué.Quesepassera-t-ils’ilmetrouveici?Jenesupporteraispasqu’ilt’arrivequoiquecesoitàcausedemoi.

C’étaitdoncça.—Ilnem’arriverarien,Ella.Etjenepermettraipasqu’ilt’arrivequoiquecesoit.Parcequejene

peuximaginermaviesanstoi.—Alorstucomprendscequej’éprouvepourtoi.J’aipeurquecelanenousapportequedumalheur.Autrementditquesononcleneseservedeluipourlafairesouffrir,conclut-il.

—Tumeconnais.Jesuissolideetjesuislà,prèsdetoi.—Pourcombiendetemps?Illarenversasurlelitetlacouvritdesoncorps.—Tantquetuvoudrasdemoi.—Jeteveux,murmura-t-elle,leregardplongédanslesien.Cen’étaitpasexactementcequ’ilauraitvouluentendre—ilsouhaitaittellementplus.Maisils’en

contenteraitpourl’instant.

20

—Nomd’unchien !Ellecirculedans l’Intranetde lacompagnie, s’introduitdans les fichiers,etvousn’êtespasfichudelarepérer?s’écriaPhillipWolf.

Ilavaitoublié lenomdu typeresponsableduservice informatique,mais il sesouvenait trèsbienquec’étaientsesniècesquil’avaientpromuàceposte.

—MonsieurWolf, je peux vous assurer que la police et notre équipe ont passé tout le systèmeinformatiqueaucrible,maisilestimpossibledelalocaliser.Elleutilisedesserveursdumondeentieretdissimulesoigneusementsonidentité.

—Commentest-cepossible?—Ilfautcroirequ’elleestdouée,àmoinsqu’ellen’aitembauchéquelqu’unpourl’aider.Cen’est

pascompliqué,quandonsaitcommentfaire.Phillipavait ladésagréable impressionquecethommeluicachaitquelquechose.Peut-êtremême

avait-ilaidéEllaàpénétrerleurIntranet.Bonsang,maisquemijotait-elle?Iln’enavaitaucuneidéeetcelalerendaitfou.—A-t-elleouvertlemailcontenantleprogrammedetraquequelapolicevousadonné?—Non.—Pourquoi?Vousl’avezbiendissimulésousformed’unfichierordinaire?—Eneffet,maistantqu’ellen’ouvrepaslefichierouqu’ellenecliquepassurlelien,jenepeux

rienfaire.—Donc,ellesaitqu’ils’agitd’unpiège.Le responsable du service informatique ne releva pas la question implicite, confirmant ses

soupçons.—Voustravailleztoujoursavecleshommesdelapolicejudiciaire?demanda-t-il.—L’inspecteurRobbinsademandéàvérifiertousnossystèmesinformatiques,maisnotreservice

juridiqueabloqué l’opération.Amoinsd’unmandat, jenepeux luicommuniquerque les informationsconcernantlecomptemaild’Ellaetsesfichiers,c’esttout.

—Non,cen’estpastout.Vousdevezluidonneraccèsàtoutcequipermettradelaretrouver.—Désolé,monsieur,mais le service juridique refuse.Nous sommes une entreprise privée.Nos

fichierscontiennentdesdonnéesconfidentiellesquinedoiventsurtoutpasêtredivulguéesauprèsdenosconcurrents.Parconséquent,àmoinsd’unmandatenbonneetdueforme,jenepeuxpasdonnerdavantaged’informations.

—J’exigequevouscommuniquiezàl’inspecteurRobbinstoutcequevoussavezdesinteractionsd’Ellaaveclacompagnie!

—Non,monsieur. J’obéis auxordresdu service juridique.Sivotrenièce a fait quoiquece soitd’illégal et que les fichiers en contiennent la preuve, vous ne voudriez tout de même pas queWolfEnterprisess’exposeàdespoursuitesjudiciaires?

Phillipfronçalessourcils.S’agissait-il d’une menace le visant directement ? Plus cette histoire durait, plus il devenait

paranoïaque.Ilfinissaitpars’imaginerquelemondeentierseliguaitcontreluietquelecouperetpouvaittomberàtoutinstantpourl’envoyerdevantlajustice.

—Débrouillez-vouspourlalocaliserauplusvite.—Jefaisdemonmieux,monsieur.Faisait-ildesonmieuxpourlaretrouveroupourlaprotéger?

21

Elladormait,nichéecontre lui,dans lecreuxde sonbras. Il sentait son souffle sur sapeau.Elleavaitcalésajambedroitepar-dessuslasienneetposésamainsursontorse,au-dessusducœur.

Ilrestaitimmobilepournepaslaréveiller.Maiscommecelaluiarrivaitsouventdèsqu’ellefermaitlesyeux,elleeutuncauchemar.Ilsentitsoncorpssetendrebrusquement,sarespirations’accélérer.Uncriétranglé luiéchappa tandisquesamainsecrispait surson torse,puisellesemitàmarmonnerdesparolesincompréhensibles.Ilparvintàsaisirlemot«grotte».

Commeelles’agitait,illapritdanssesbras.—Chérie,réveille-toi.C’estuncauchemar.Elleouvritbrusquementlesyeuxettentadelerepousser,avantderéaliserquec’étaitlui,etnonson

oncle,quitentaitdelaretenir.Elle tremblait encore dans ses bras, quand quelqu’un frappa à la porte d’entrée. Tous deux se

figèrent.Apeurée,Ellaremontalesgenouxcontresapoitrine.—Restelà,luiordonna-t-ilenselevant.Quoiqu’ilarrive,nesorspasdecettechambre.Jevais

voirquic’est.Laported’entréeclaqua,cequilerassura.Cedevaitêtrel’undesesfrères.Ilbondithorsdulit,

ramassasonjean,sachemiseetsesbottes,ets’habillaenquatrièmevitesse.Surleseuildelachambre,ilse retourna vers Ella. Assise toute droite aumilieu du lit, pâle comme un linge, ses yeux verts plusimmensesencorequed’habitude,ellesemblaitsifragilequ’ilsentitsoncœurseserrer.

—Gabe!appelaBlake.—Uneseconde!J’arrive.Comprenantqu’ilnes’agissaitpasd’uninconnu,Ellase laissaretombersur lesoreillersavecun

soupirsoulagé.Gabeluisourit.—Jereviensvite.Jen’enaipasterminéavectoi,ajouta-t-ilavecunclind’œilcanailleavantde

refermerlaportederrièrelui.Ilnesavaitpascequiamenaitsonfrère,mais ilallaitdevoirs’endébarrasserrapidement.Parce

qu’ilredoutaitl’intrusiondumondeextérieurdanslabulledebonheurqu’ilvenaittoutjustededécouvriravecElla.Unebulledebonheurdontilpressentaitlafragilité.

—Tuasvuça?Blakejetaunjournaletdeuxtabloïdssurlatabledelacuisineavantdel’observerd’unœilintrigué.—Ondiraitquetusorsdulit,tescheveuxsonttoutébouriffés.Tudormais?—Non.

Gaben’avaitaucuneenviedeluiexpliquerquelafemmedanssonlitavaittendanceàagrippersescheveuxquandilsfaisaientl’amour.Ilpassalesdoigtsdanssatignassepouryremettreunpeud’ordre,puiss’approchapourjeteruncoupd’œilsurlesrevues.Desphotosd’Ellafaisaientlaune.Ellaensoiréeavecdesamis,enbikinisuruneplageoulepontond’unyacht.Aucuneneretintsonattentionmaintenantqu’ilconnaissaitchaquemillimètredesoncorpsdedéesse.Enrevanche, ilsepenchasur laphotoquifaisait la une duquotidien national : un groupede jeunes gens tirés à quatre épingles qui sortaient ducommissariat.Lalégendeprécisait :«Desamisd’EllaWolfetMichelHenry,sonpetitami,onttenuàtémoignerdesoninnocenceauprèsdesautoritéspolicièresets’inquiètentdesadisparition.»

Gabeseretintpournepasdéchirerlaphotodecethommequidisaitêtrelepetitamid’Ella.L’idéequecetypeaitpulacaresser,l’embrasseretluifairel’amourlerendaitmalade.

Blakedésignalauneduquotidien.—Tusavais?LelaWolfestmortejusteaprèsquetul’ascroiséeauranch.—Jesais.—J’aivuJoël,qui travailleauxpompes funèbresdeCrystalCreek. Ilm’aconfiéquesoncorps

venait d’y être rapatrié. Que se passa-t-il, Gabe ? Tu croises LelaWolf, elle te demande de ne pastoucheràsamaison,ellesefaitassassiner,toutlemondepensequec’estsasœurlameurtrière,ettumeprévienspartextoquelaventeduranchestannulée.C’estquoi,cebordel?Tupeuxm’expliquer?

Gabequittalacuisineetserenditdanslesalon.Sonfrèreluiemboîtalepas.—J’aisignéuncontratavecPhillipWolfstipulantqu’ilmevendaitleranch,répondit-il.Lamaison

et les terres. J’ai transféré lamoitié dumontant de l’acquisition, soit lamodique sommede sept centcinquantemilledollars,suruncompteséquestre.Laventeétaitcenséeêtreconcluele20mars.

—C’estquoileproblème?—Leproblèmec’estquecen’estpasPhillipWolf, lepropriétaire. Ilnepeutdoncpassigner la

vente,saufsisesnièces,LelaetElla,nesontplusdecemonde.Orc’estexactementcequ’ilaplanifié,afinquelaventeduranchpuisseavoirlieule20mars.Jourdeleurvingt-cinquièmeanniversaireetdateàlaquelleellesétaientsupposéesprendrelescommandesdeleurhéritageetdelacompagnie.

—C’estuneblague?Tucroisquec’estluiquiafroidementabattusanièce?Pourtant,toutsembleindiquerquec’estEllaquiatirésursasœur.

—PhillipWolfestlemeurtrier.Jelesais.—Quellemerde!Sijecomprendsbien,sasignaturesurlecontratdeventenevautrien.Gabeconfirmad’unhochementdetêteavantdepréciseravecunegrimaceamère:—Pourcouronnerletout,lesseptcentcinquantemilledollarsontétésortisducompteséquestre.—Qu’est-cequeturacontes?—L’argentadisparu.—L’argentadisparu,répétaBlake,stupéfait.Tuasappelél’agentimmobilier?Unavocat?—Pasencore.Jem’enoccupe.—Tut’enoccupes,répétaBlake,telunperroquet.Qu’est-cequetuvasfaire?Etlebétailquetu

viensd’acheter?Etleschevaux?Iln’yapasassezd’espacepoureux,ici.—Jevaisyréfléchir.—Bonsang,cesalauds’estroyalementfoutudetoi!Blakeposalespoingssurseshanches,secoualatête,unplisoucieuxentrelessourcils.—Tun’asplusdequoirembourserlecrédit,Gabe.Ilvatefalloirvendrelebétailetleschevauxà

perte.Turisquesmêmedeperdreceranch.—Jesais.—Etçaneterendpasfoufurieux?Moi,jecrèved’envied’allerétranglercesalopard.Pastoi?—Non,parcequejesaisqueçavas’arranger.

DerrièreBlake,GabeaperçutElla.Appuyéeauchambranledelaporte,lesbrascroisés,elleportaitun joli chemisier appartenant à sa sœur et elle avait pris le tempsde se recoifferpour rencontrer sonfrère.Gabeenfuttouché.

IlallaluiprendrelamainetsetournaversBlakequiclignadesyeux,sidéré.—JeteprésenteEllaWolf.Ella,voicimonfrèreBlake.—Enchantée,dit-ellepolimentsousleregardincréduledecedernier.Vousfroncezlessourcilsde

lamêmefaçonqueGabequandvousêtesencolère.Blakeleregarda,deplusenplussurpris.—Gabe,tuessurlepointdetoutperdreàcausedesWolfettulacachesici?—Oui.Jenepermettraipasqu’illuiarrivequoiquecesoit.—Non,maistusaisquiestcettefille?Ellaseraidit.Ellebaissalesyeuxsurlejournalposésurlatable,lepritdanssesmainsetlutàvoix

haute:—«Figure incontournablede la jet-set internationale,EllaWolfmèneuneviede contede fées.

Héritièred’unempireindustriel,safortuneluiouvrelesportesdescercleslesplushuppésdeNewYorketdeL.A.Fandemode,ellecourtlesdéfilésetlesboutiquesdeluxeàtraverslemonde.Elleaimefairelafête.Sesamisdisentd’ellequ’elleestsympaetamusante.Seloneux,elleseraitbienincapabledefairedumalàunemoucheetencoreplusde tirersursasœur.»Sionencroitcetarticle, jenesuisqu’uneBarbie sans cervelle. Nulle part n’est mentionné le fait que j’ai décroché un MBA en gestion desentreprisesetdroitdesaffaires.Evidemment,cen’estpastrèscroustillant,commeinfo.Jesignalequelamoitiédesphotosdecetarticleontétéprises lorsd’ungaladecharitéet certainementpasà la sortied’uneboîtedenuit.Quantàcellesoùl’onmevoitfairedushopping,ellesontétéprisesdansmapropreboutiquedecosmétiques.

EllerelevalesyeuxsurGabe,l’implorantsilencieusementdecomprendreladichotomieentresaviepubliqueétaléedanslapresseetlaviequ’ellemenaitréellement.«Tunemeconnaispas»,disaitsonregard.

Mais elle se trompait. Il savait que ce qui intéressait les médias et leurs lecteurs, c’étaient lesfrasques, les drames et l’aura de luxe entourant la riche héritière deWolf Enterprises, pas la femmequ’elleétaitvraiment.

—Jeteconnais,répondit-ilsimplement.Puis, luiprenant le journaldesmains, ildésigna la légendesous laphotode l’hommequipassait

poursonpetitami.—C’estfaux,n’est-cepas?Iln’avaitpasvraimentbesoindedemander.Ilsavaitqu’Ellan’auraitpastrompéunpetitami,pas

plus qu’elle ne se serait jetée dans ses bras pour apaiser son chagrin.Mais il avait besoin de le luientendredire.

Ellelutlalégendeetsourit.—Michel?Ilestgayetsortavecmoncoiffeur,Mario.Ilcachelavéritépournepasêtredéshérité

parsonpère,unvieuxbarbonautoritaire,bourrédepréjugés.Nousfaisonssemblantdesortirensembleetc’est aussi pratique pour moi que pour lui. C’est un homme formidable, mais sa famille se souciedavantagedesapparencesetdel’argentquedesonbonheur.

—Sijecomprendsbien,toutcequel’onditdevousestfaux,intervintBlaked’untonsuspicieux.Avouezquec’estdifficiledefairelapartdeschoses.

—Posez-moidesquestionsetjevousrépondraifranchement.—Ehbienpourcommencer,allez-vouslaisservotreoncleruinermonfrère?—Non.JeferaiensortequeGaberécupèrel’argentquiluiaétévoléetplusencore.

—Plusencore?Ella,queveux-tudire?Jeveuxseulementrécupérermesseptcentcinquantemilledollars.

Enréalité,ilauraitsurtoutvoulularécupérer,elle…—Tumefaisconfiance?luidemanda-t-elled’unevoixdouce.—Oui.—Et tu la crois ? s’indignaBlake.Cen’estpasparcequevouscouchezensemblequ’elle tedit

forcémentlavérité.Gabelefoudroyaduregard.—Nedisplusjamaisça,laissa-t-iltomberd’untonsec.Tunelaconnaispas.Moi,si.IlfroissalejournaldanssonpoingetlebranditsouslenezdeBlake.—Cen’estpaselle,ceramassisderagots.Dumoinspasdelafaçondontilsenparlent.Elleest

venuejusqu’icichercherlapreuvequesononcleestunsalauddelapireespèce.Elleauraitpupayerunearméed’avocatsàprixd’orpourlefaireàsaplace,maiselleachoisides’enoccuperelle-mêmepoursasœur,poursesparentsetpourl’héritagequ’ilsluiontlaisséetqu’elleessaiedeprotéger.Ellefuitunhommequiveutsamort.Alors,tais-toi,assieds-toietprendsletempsdefaireconnaissanceavecelle,sinon,file.Jeneteretienspas.

Nullement impressionnéparsa tiradeenflammée,Blakeesquissaunpetit sourireentenduet sortitsontéléphoneportabledesapoche.Ilcomposaunnuméro.

—Allô,m’man?Toutvabien.Gabearencontréquelqu’un.Oui,laventeduranchestannulée,maisçapourraits’arranger.Enmieux,semble-t-il.

Blakejetauncoupd’œilàEllaquihochalatête,cequinemanquapasd’inquiéterGabe.—Quecomptes-tufaire?luidemanda-t-ilàvoixbasse.Aplusieursreprisesdéjà,elleluiavaitassuréqu’elleallaitarrangerleschoses,maissanspréciser

dequellefaçon.—Tuverras.Quelquescoupsdefilettouts’arrangera,répondit-elleavecunpetitsourire.—Oui,jevaisrestericiencoreuneheureoudeux,histoiredefaireconnaissanceavecsacopine,

conclutBlake,avantde tendre le téléphoneàsonfrère, levisagebarréd’unsourireangélique.Mamanveutteparler.

Ravalantunsoupirexaspéré,Gabepritletéléphoneetrepoussasonfrèred’uncoupdecoudedansl’estomac.Uncoupdecoudequimanifestait toutà la foissonamour fraternelet sondroitd’aîné.Soncadetleluipaierait.

—Salut,m’man.Alorscommeça,tuaseumonmessageettuasenvoyéBlakemesurveiller.—Celan’avaitpasl’aird’allerfort,mongarçon.Ettuasbeauêtreungrandgaillard,jem’inquiète

pourtoi.Queveux-tu,jesuistamère.—Net’enfaispas.Laventeduranchestannulée,maisjevaiscertainementrécupérerlasommeque

j’aidéjàversée.Etpourcequiestdubétail,jevaisessayerdelerevendresanstropyperdre.Ella,quis’étaitassisedevantl’ordinateur,relevalatêteetlasecouadedroiteàgauche.—Amoinsqu’ilyaituneautrepossibilité,précisaGabe,avecunregardinterrogateuràl’adresse

d’Ellaquiluifitsignequeoui.—Comments’appelletonamie?demandasamère.—Ella.—Oùl’as-turencontrée?—Jel’aitrouvéesurleborddelarouteetj’aidécidédelagarder.Blake, qui avait été chercher une bière dans le frigo et la portait à ses lèvres, s’étrangla sur la

premièregorgée,arrachantunéclatderireàElla.—Jesuissûrqu’elleteplaira,précisaGabe.—Tuvasnouslaprésenter?

—J’espère,réponditGabe,conscientqu’ils’avançaitdangereusement,parcequelaseulefillequ’ilaitjamaisprésentéeàsesparents,c’étaitStacy,dèsqu’elleavaitacceptédel’épouser.

Ilaurait sansdoutemieuxfaitdeprendre le tempsde réfléchir,mais il avait enviede suivre soninstinctetdefaireconfianceàcetteattirancequilesunissait,Ellaetlui.

—J’imaginequ’elleestravissante?—Elleesttrèsbelle.Maisquandonleluidit,elledétournelesyeux.Commepourconfirmer,Ellaesquivasonregard,puisrevintsurluiquandilajouta:—C’estunefillebien,quicroitàl’importancedefairecequiestjuste,mêmesic’estdifficileou

dangereux.Elleestaussitrèsintelligente.Elleesttitulaired’unMBAetdirigesapropreentreprise.Ellevalancerunegammedeproduitscosmétiquesàbasedeplantes.

Ellaneputs’empêcherderougirsousleséloges,tandisqueGabepoursuivait:—Ellesaitaussifairelecafé,conduireunemoissonneuse-batteuseetmêmeparlerauxchevaux.—Etsait-elletefairesourire?luidemandasamèreenriant.Ensaqualitéd’aîné,Gabeavaittoujoursétéleplussérieuxdesquatrefrères.Toujourslàpourles

aider aux tâches de la ferme et surveiller ses frères. Bien sûr, en grandissant, ces derniers s’étaientassagisetavaientassuméleurpartdetravail,maisGabeavaitprisl’habitudedefairepasserletravailetledevoirfamilialavanttoutlereste.

—Ellemefaitsourireàchaquefoisquejepenseàelleouquejelaregarde,m’man.—C’estbien.Pourquoineviendriez-vouspasdînerensemble?Gabesourit.Samèreavaitparléd’unevoixprudente,sachantqu’ilétaitd’ordinairetrèssecretsur

sesfréquentationsféminines.Maiscettefois…—Ella,mamanaimeraitnousavoiràdîner.Tuesd’accord?Elleouvritdegrandsyeuxetfixalesdocumentsquis’empilaientsurlatable.Ilretintsonsouffleenpriantpourqu’elleaccepte.—Avecplaisir.—Elleestd’accord,m’man.Maisceneserapaspourtoutdesuite.Ellavaprobablementdevoir

retourneràNewYorktrèsbientôt,carelleadesaffairesurgentesàrégler.Jetepréviendrai.—Tun’essaieraispasdetedéfiler,GabeBowden?—Pasdutout.J’aihâtedetelaprésenter.D’icilà,tun’aurasqu’àbombarderBlakedequestions.

Maintenantqu’ill’avue,ilnepeutplusendétacherlesyeux.—Quoi ? protesta l’intéressé en détournant rapidement la tête. J’essaie juste de comprendre ce

qu’ellepeutbientrouveràungarscommetoi.Ilyaforcémentquelquechosequinetournepasrondchezelle.

Ellalaissaéchapperunnouveléclatderire.—Jeterappelleplustard,m’man.Disbonjouràpapa.Ilraccrochaetrenditletéléphoneàsonfrèreenluiassenantuncoupsurlecrâne.—Hé!Qu’est-cequejet’aifait?—Tuesvenum’espionner.—Fallaitbienquequelqu’unviennevoircommenttuallais.Toutlemondes’inquiètedepuisqu’on

aapprisqueceprojetpourlequeltuastravaillésidurvenaitdepartirenfumée.—Onnepourraitpaschangerdesujet?marmonnaGabe.C’estdéjàsuffisammentpéniblecomme

çaderéfléchiràcequejevaisfaire.—Neprévoisrienpourl’instant,intervintElla.J’aiuneidée.—Laquelle?—Tuverras.—Cen’estpasuneréponse.—Jesais,maisj’ytravaille.

EllesetournaversBlake.—Puis-jeutiliservotretéléphone?Illeluitendit.Elleleremerciad’unsourireetcomposaunnuméro.— Allô, Cheryl. C’est Ella. Oui, j’ai emprunté le téléphone d’un ami. Merci. Elle me manque

tellement,oui…Sesyeuxs’embuèrent,unelarmeroulasurlajoue.—Jesaisquetoutlemondemecherche,maisj’aimeraisquecetappelresteconfidentiel.Oui,ily

auraunservicefunèbreàsamémoiredèsquejerentrerai.Etjepeuxt’assurerqueceluiquil’alâchementassassinéeserabientôtsouslesverrous.

Ellerepoussasescheveuxenarrièred’unemaintremblanteetprituneprofondeinspiration,luttantpourseressaisir.

—Ecoute,Cheryl.J’aimeraisquetupréparesunpaniercadeauquetuenverrasdansleMontana.Tuymettras un exemplaire de tous nos produits cosmétiques.Ajoutes-y aussi un ballotin de chocolats etenvoie le tout àMmeBowden. Je repasse le téléphone àmon ami. Il te donnera l’adresse exacte.Abientôt,Cheryl.Net’inquiètepas,jerentrebientôt.

EllerenditletéléphoneàBlakequiprécisal’adressedesesparents.—C’estgentil,observaGabe,touchéparl’attention.Mamanseraravie.—Cen’estrien,réponditEllaendétournantlesyeux.Vousavezl’airtrèsprochesdevotremère,

touslesdeux.—Onn’apaslechoix,plaisantaBlake.Sionnel’appellepas,ellesemetenpétardetenvoiepapa

ànostrousses!—Vousavezdelachance.Sivoussaviezcommejevousenvie…,murmura-t-elle.Comprenantcequ’elleressentait,Gabes’approcha.Duboutdesdoigts,ileffleurasajoue.Elleprit

samainet la retintcontre sapoitrineoùsoncœurcognait fort.Ellen’étaitpasaussicalmequ’elleenavaitl’air,nota-t-il.

—Bon,ilestbientôtl’heurededîner,décrétaBlake,laminegourmande.Ella,dites-moiquevousêtesuncordon-bleu!

—La seule chose qu’elle sache faire en cuisine, c’est passer les commandes, réponditGabe ensouriantàElla.Ledînerreposesurtoietmoi,monvieux.Viens,onvas’enoccuper.

Ettoutenpréparantlerepas,ilracontatoutel’histoireàsonfrère.CommentPhillipWolfavaittuésanièceetmisaupointunscénariomachiavéliquepoursedébarrasserd’Ella.

Pendantcetemps,celle-cipoursuivaitsesrecherchessurInternet,remontantlespistessusceptiblesdelaconduireàlapreuvequ’ellecherchaitpourdémasquersononcle.

Uneheureplustard,quandilss’assirentpourdîner,ellemitdecôtésonpassé,l’avenir,sesdoutesetsesangoissespourprofiterdel’instant.

—Vousmontezàcheval?demandaBlakequilaregardaitàprésentd’untoutautreœil.—Dèsquejepeux.Jepossèdedeuxchevauxàlacampagne.—Dis-luicommenttulesasbaptisés,intervintGabeavecunclind’œilcomplice.—CristaletJimmyChoo.Despur-sangarabes.Ilsvousplairaient.—Quoi?Vousleuravezdonnédesnomsdemarquesdechampagneetdechaussures?Lesriches

ontvraimentdedrôlesd’idées.EllaéclataderireetGabefaillits’étranglerfaceàlamineincréduledesonfrère.—Ilss’appellentAngeletBelle,rectifia-t-il.—C’estmalin,marmonnaBlake.Vouscomptezlesamenericietvivresurvotreranch?Il venait de poser la question qui taraudait Gabe. Le regard d’Ella chercha le sien, et ils se

dévisagèrentdelonguessecondes.—Peut-être,répondit-elledoucement.

EllesetournadenouveauversBlake.—Si je ne suis pasmorte d’ici àmon anniversaire et si nous réussissons à envoyermon oncle

derrièrelesbarreaux,ilfaudrabienquejefassequelquechosedeWolfRanchetdubétail.Gabebaissalesyeuxsursonassiette,sabonnehumeursoudainenvolée.Manifestement,Ellan’avaitpasdécidédecequ’elleallaitfaire.Etmêmes’ilrêvaitqu’ellepuisse

restericiaveclui,ilétaitparfaitementconscientquelaplaced’unetellefemmen’étaitpasdansunranchperduaufinfondduMontana.Pasplusqueluinepourraittrouversaplacedansunegrandeville.Maispeuimportaitcequiarriverait.L’essentielétaitdevivrelemomentprésent.

Blake continuait de bombarder Ella de questions sur sa vie new-yorkaise et sur les célébritésqu’elleavaitcôtoyéeslorsdeladernièrecérémoniedesOscarsàLosAngeles.

Gabe l’écouta avec attention. Elle menait une existence bien différente de celle décrite dans lapresse, mais ancrée malgré tout sur des amitiés solides. En regardant les photos de plus près, ons’apercevaitvitequelespersonnesgravitantautourd’elleétaientpresquetoujourslesmêmes.Enfindecompte,dansleMontana,vousretrouviezvosamisautourd’ungigantesquebarbecueenpleinair,tandisqu’àNewYork,voussortiezdîneraurestaurant.Etaulieud’unesoiréedansantedanslagrangeduvoisinoulesaloonducoin,vousalliezendiscothèque,conclutGabeenlacontemplantavecunsourirepensif.Aprèstout,ellen’étaitpeut-êtrepassidifférentedelui.

—Qu’est-cequitefaitsourire?s’enquit-elle.Ellepritlabièrequ’ils’étaitservieetportalegoulotàseslèvres.Illuienavaitproposéune,mais

elleavaitrefusé.—Tuvolesmabière.—Oh!excuse-moi.C’estçaquitefaitsourire?Parcequejeboistabière?—Eneffet.Tuasl’airaussiheureusedemangerdupouletenbuvantdelabièreavecdeuxcow-

boysquededégusterduhomardaccompagnéd’unebouteilledevinàcinqcentsdollarsavec tesamismilliardaires.

— Le poulet est délicieux et votre compagnie plus encore, répliqua-t-elle avec un clin d’œil àl’adressedeBlake.

Ce dernier était définitivement conquis, nota Gabe, amusé. N’importe quel homme à sa placel’aurait été, d’ailleurs.Ella ne flirtait pas.Ce n’était pas son style,mais sa gentillesse, son ouvertured’espritetsafranchiseluigagnaientl’adorationdeceuxquiavaientlachancedelacôtoyer.

Aumomentdepartir,Blakepritlamaindelajeunefemme.—J’espèrequenousnousreverronsbientôt.—Merci,Blake.Raviedet’avoirrencontré.J’aiadorétoutescesanecdotesquetum’asracontées

surGabequandilétaitpetit.—J’enaid’autresencoreplusmarrantesquileferontrougir.—J’aihâtedelesentendre!—Doucement!intervintGabe.J’aimonmotàdire,là-dessus.Sonfrèresetournaverslui.—Ellen’estpaslafemmequej’imaginaispourtoi,maiselleestparfaite.Gabecomprenaittoutàfaitcequevoulaitdiresonfrère.Ellan’étaitcertespaslegenred’épousequiresteraitaufoyerpour luicuisinerdespetitsplatset

éleverleursenfants,sesatisfaisantdevivreàlacampagneaumilieudeschevauxetdesvaches.Ellenecorrespondait en rien auportrait-robotde l’épouse idéalequ’il croyait vouloir avant de la rencontrer.Maiselleétaitlafemmeidéalepourlui.

Enrevanche,iln’étaitpascertaind’êtrel’hommeidéalpourelle.

22

Gabe s’empara de sa bouche et recueillit son cri tandis qu’il la tirait d’un cauchemar pour lapropulserdirectementdansunrêvesefaisantréalité.Illacouvritdesoncorpsduretchaud,pressaseshanchesentresescuisses,sonsexecontresonintimité,maissanslapénétrer,usantdesaboucheetdesesmainspourl’arracheràsaterreur,àsonchagrin.

—Gabe…chéri,jesuisréveillée.—Tantmieux.C’estplusamusantàdeux.Ellapouffa,maissonriresetransformatrèsviteenunsoupirdepurplaisirquandlabouchedeson

compagnondescenditlelongdesoncou,sursagorge,pours’emparerd’unseinetenéprouverlafermetéduboutdesdents.Lesyeuxfermés,elleplongealesdoigtsdanssescheveuxets’abandonna,savourantchaquecaresse,chaquebaiserqu’ilsemaitsursoncorps.Ellesedétenditetfitglissersesmainssursesépaules,lelongdesondosmusclé.

—Partoutoùjetecaresse,c’estdur.—C’esttoiquimefaisceteffet,chérie.Elleadoraitl’intonationdanssavoixquandillataquinaitainsi.Etpar-dessustout,elleadoraitla

façondontiljouaitdesoncorpscommed’uneharpe,lafaisantvibrer,frissonner,gémir,comprenantcedontelleavaitbesoinsansqu’ilsoitbesoindemots.

Laveille,aprèsledépartdeBlake,ilavaitdevinécombienellesouffraitdel’absencedesasœur,combien lui manquait cette complicité qu’elles avaient connue autrefois, la même qu’elle l’avait vupartager avec son frère pendant la soirée. Alors il avait laissé la vaisselle dans l’évier et l’avaitemmenéedanssonlit,oùill’avaitaiméeavecdouceur,enluimurmurantdesmotstendresquil’avaientfaitfondre.Elleavaitpleuré.Pasdeslarmesdechagrinpoursasœurettoutcequ’elleavaitperdu,maisdes larmes de joie. Parce que cet homme éveillait en elle une émotion profonde, une émotion qu’ellen’avaitjamaisconnueavecaucunautrehomme.Ettoutenréfléchissantaumoyendedémasquersononcle,de reprendre les rênes de l’entreprise familiale, de s’occuper de Wolf Ranch et du bétail, elleréfléchissaitaussiaumoyendenepasperdreGabe.

Etait-ilpossibledetoutavoir?—Arrêtedepenser,murmura-t-ilcontreseslèvres.Elleouvritlesyeuxetplongeadansleregardmordorépenchésurelle.—Viens,chuchota-t-elle.Fais-moil’amour.Tendant lesmains, elle attira sa bouche sur la sienne et referma les jambes sur lui. Doucement,

délicatement, ilentraenelleet,presséde toutsonlongcontresoncorps, ilsemitàbouger lentement,créantunedélicieusefrictionquiattisal’incendieentreeux.

Ellenoualesbrasautourdesondosets’agrippaàlui,tandisqueseshanchesondulaientcontrelessiennes,asserviesàsonrythme.

D’unemain,Gabe souleva sa jambe droite pour l’enrouler autour de sa taille et s’enfoncer plusprofondémentenelle,detoutesapuissance,detoutesonâme,désireuxdel’emmenerplushautàchaquecoupdereins.Lesseinspresséscontresontorse,ellesentaitlesbattementsfrénétiquesdeleurscœurs,comme s’ils battaient en elle.Et les ondesdeplaisir sepropageaient dans son corps, deplus enplusfortes,l’amenantaubordduprécipice.

Tenducommeunarc,illamaintintàcepointultimedelajouissance,l’obligeantàengoûtertouteslesvaguesdélicieuses.Puisilcouvritsonvisagedebaisersetlarejoignitdansl’extaseenmurmurantsonnom.

***

Ellaouvritlesyeux.LepoidsdeGabesursoncorpsluifaisaitl’effetd’unrefugelaprotégeantdurestedumonde.Un

endroitoùellepouvaitsereposeretsesentirensécurité,àl’écartdesturbulencesquiagitaientsavie.Justement.N’était-ellepastoutsimplemententraindefuiretdesecacherdanslesbrasdecethomme?Non.Cequ’elleressentaitpourGabeallaitbienau-delàdesespeursetdesonchagrin.

Comme il effleurait son cou d’un baiser empreint de tendresse, elle frémit, bouleversée parl’intensitédesonémotion.Aumilieudetoutecettefolie,elleétaittombéeamoureusedecethomme.Aumilieudesonchagrins’étaitalluméeunelueurd’espoirquilamaintenaitdebout,quilapoussaitànepasabandonnerlalutteenl’autorisantàcroirequ’unefoissatâcheterminée,elleneseraitpasseule.

Sesoulevantsurlesavant-bras,Gabeladévisagea,lesourireauxlèvres.—Bonjour,chérie.Etirantlesbrasau-dessusdesatête,elleresserral’étreintedesesjambessurleshanchesdeGabe

pourleretenirenelle.—Bonjour,toi.—Continuecommeçaetnousnequitteronsjamaiscelit.Elleposalesmainssursesépaulesetlesfitglisserlelongdesesbras.—C’estunepromesse?demanda-t-elleavecunregarddélicieusementcoquin.Gabesepenchapourl’embrasseretluifairesavoircombieniladoreraitresteraulitavecelle.Puis

ilseredressa.—J’aifaim.Leschevauxetlebétailaussi.Tuveuxvenirm’aideràlesnourrir?—Oui…Biensûr,répondit-elled’unevoixsoudainhésitante.Gabeseretiraets’accoudasurlecôtépourlaregarder.—Qu’est-cequ’ilya?Posantunemainsursajoue,illaforçaàtournerlatêteverslui.—J’aimeraisquetum’emmènesvoirmasœur,cematin.—C’esttropdangereux,Ella.Ilyaunegrosserécompensepourceluiquitedénoncera.Quelqu’un

pourraittereconnaîtreetprévenirlapolice.Sansparlerdessbiresdetononclequisurveillentpeut-êtrel’endroit,enespérantquetutemontreras.

— Gabe, je t’en prie, je serai prudente. J’ai besoin de la voir. Et je pourrais peut-être enfincomprendrelemessagequ’elleaessayédemefairepasser.

—Commentça?—Nous avions ce lien si particulier aux jumeaux.Un regard suffisait pour savoir ceque l’autre

pensait.Ilm’arrivaitderentrer tardàlamaisonetdela trouverentraindem’attendreausalon,parcequ’ellepressentaitquej’avaisbesoindeluiparler.Etc’étaitréciproque.Quandmononclel’aagressée,

jesuiscertainequ’elleaessayédemedirequelquechose.Simplement,jen’arrivepasàmettreledoigtdessus.J’ail’impressiondefaireunblocage.

—Cen’estpasétonnant,chérie.Tuasvumourirtasœur.C’estdéjàtraumatisantensoi,maisvoirtononcleluitirerdessus,c’estquelquechosed’inconcevable.Dansunefamille,onestcenséseprotéger.

—Chez toi,Gabe.Chezmoi,mononcle n’a jamais été qu’un étranger vivant sous lemême toit,utilisantlesaffairesdemonpère,ets’intéressantàsesniècesuniquementpourlesapparences.Etpendanttoutcetemps,ilnousvolait.

—Tucroisqu’ilavaitprévudetuerLela?—Peut-être,mais certainementpasdecette façon. Il lui a tirédessus sous le coupde la colère,

parcequ’ellerefusaitdeluidireoùétaitlapreuvedesespetitstrafics.—C’estprobablementauranchqu’ellel’acachée.Maisoù?—Jenesaispas.Pourtant,tuasvidélamaisonettun’asrienvudeparticulier.—Jen’aipastouchéauxdépendances.Cequenouscherchonsestpeut-êtrecachédansl’undeces

bâtiments.Ellefronçalessourcils.—Nousadorions jouerdans lagrange…,murmura-t-elle.C’estpeut-être là-bas.Papanousavait

aussiconstruitunecabanedansunarbre.Jenesuispascertainederetrouverl’endroit,maisçavautlapeined’alleryjeteruncoupd’œil.

—Lamétéoannonceunréchauffementdanslesprochainsjours.— Tu veux dire que nous allons dépasser les quatre degrés ! s’exclama-t-elle, feignant le

ravissement.Gabesecoualatêteenriant.—Ah,cesfillesdelavillequinerêventquedesoleiletdecocotiers!—LelaetmoiavionsjustementprévudepartirunesemaineàBoraBorapournosvingt-cinqans.

Plagesdesableblanc,eauxcristallines…Savoixs’éteignit.Unelarmeroulasursajoue.Gabel’essuyaavecsonpouce.—Jedétestetevoirpleurer.Alors,nemedemandepasdet’emmenervoirtasœur.—Riennet’obligeàm’accompagner.Prête-moijustetonpick-up.—J’aiditquejenevoulaispast’yemmenerparcequejenesupportepasdetevoirpleurer,chérie.

Pourautant,jenetelaisseraipasaffrontercetteépreuvetouteseule.Elle roulacontre luiet il l’enveloppadesesbras.Sécurité.Chaleur.Protection. Il luioffrait son

soutiensansattendrequoiquecesoitenretour.C’étaittoutlecontrairedecequ’elleavaitconnujusqu’àprésent.Ellenecomptaitplustousceuxquiavaienttentéd’entrerdanssoncercled’amisdansl’espoird’utilisersonnompourpouvoirgravirl’échellesociale.Ilyavaitlongtempsqu’elleavaitcomprisleurpetitjeu.Aucunhommeneluiavaitprocuréautantd’attentionetdetendressedésintéresséesqueGabe.

«Jet’aime»,chuchotaitsoncœur,maisellenepouvaitpasl’exprimer.Pasencore.Pasquandsonexistenceétaitprisedansuntelmaelströmquel’avenirétaitincertain.Illuifallaittrouverunmoyendenepasleperdre.

Gabeluidonnaunepetiteclaquesurlesfesses.—Debout,paresseuse!Nousavonsmillechosesàfaire.—Gabe…—Oui,chérie.—J’aimeraispouvoirrestericiavectoi.Pourtoujours.Ilposasonfrontcontrelesien.—Tupeuxsituveux.Puis il effleura ses lèvres d’un autre de ces baisers si doux, si tendres, dont elle était devenue

dépendante,avantderoulerhorsdulitpourgagnerlasalledebainssousleregardémerveilléd’Ella.

Seigneur,l’hommeétaitaussibeaudedosquedeface!Ramenantlesdrapssursapoitrine,ellebalayadesyeuxlapiècetoutesimpleauxmursblancs,le

mobilier aux lignes épurées, les trophées de rodéo sur la commode.De toute évidence,Gabe était uncavalierémérite.Ellesongeaauxcicatricessursoncorps.Elleavaitremarquéqu’ilportaitparfoistoutsonpoids sur la jambedroite.Surtout en finde journéeou après être resté longtempsdehors, dans lefroid.Ils’étaitprobablementblesséenmontantdeschevauxsauvagespourgagnerl’argentnécessaireàl’acquisitiondeWolfRanch.Sonrêve.

Unsouriresongeurs’épanouitsursonvisage.Oui,ceseraitmerveilleuxdevivreiciavecGabe.Etpeut-êtreneserait-ilpascontrequelquesmètrescarrés supplémentaires,accompagnésd’une touchededécorationféminine.

—Qu’est-cequitefaitsourire,chérie?L’objetdesespenséessortaitdelasalledebains,uneserviettenouéeautourdesreins,lescheveux

encorehumides.—Jecomplotais.Ettevoirnumefaittoujourssourire.Ildénoualaservietteetécartalesbras.—Regardedonc,chérie,siçatefaitsourireainsi.Elleéclataderireetroulahorsdulitpoursejeterdanssesbras.Ellesepressacontrelui.—Tuestoutmouillé.—Donne-moideuxminutesettuleserasautantquemoi,lataquina-t-ilenposantlesmainssurses

fesses.Ellefitdemêmeavecunsouriremutin.—Tuasdetrèsjoliesfesses,cow-boy.—Ettoileplusjolisourirequej’aiejamaisvuetdemagnifiquesyeuxverts.—Jecroyaisquec’étaientmesseinsquit’intéressaient.Gabebaissalesyeuxsursesseinspresséscontresontorse.—Oh!Ilsm’intéressent,maisj’aimeaussibeaucouptesjambes.—Ya-t-ilquelquechosequetun’aimespaschezmoi?—Tononcle.Jeledétestevraiment.—Sentimentpartagé.Jevaisprendreunedouchependantquetuprépareslecafé.—J’espéraisquetul’auraisfaitpendantquejemedouchais,commetoutefemmeaufoyer,répliqua-

t-il,feignantd’êtrecontrarié.—Excuse-moi,chéri.JesuistrophabituéeàcequeMaryfassetoutesceschosespourmoi.Jesuis

unerichehéritièrequinesaitrienfairedesesdixdoigts,nel’oublionspas.Surce,elleluidonnaunepetiteclaquesurl’épauleetentradanslasalledebainsensouriant.—Nepourrait-onpas la fairevenir ici, taMary,pournouspréparer lecaféetnousmitonnerde

bonspetitsplats?lançaGabe.Alors,justeparcuriosité,histoiredevoircequ’ildirait,ellerépondit:—Jevaisfairelenécessaire.Ilnerelevapas.Sansdoutecroyait-ilqu’elleplaisantait,mais ilapprendraitvitequ’ellen’avaitpas l’habitudede

lancerdesparolesenl’air.

23

GabetenditsonbonnetdeskiàElla,troiskilomètresavantd’arriverenville.—Enfileça.Jenevoudraispasquel’ontereconnaisse.Elleenfilalebonnetsursatêtejusqu’auxoreillesavecunegrimace.Gabeluiglissauncoupd’œil.Ilsefichaitéperdumentdesonlook,dumomentqu’ellerestaithors

de portée des griffes de son oncle. Avec un inspecteur dans la poche et tous ceux qui avaientprobablementaidéPhillipWolfàcouvrirlemeurtredesanièce,iln’étaitpasquestiondefaireconfianceàquiquecesoit.

—J’aiappeléM.Henighan,ledirecteurdespompesfunèbres.Jeleconnaisdepuistoujours.C’estunhonnêtehomme. Ilnousattend. Ilm’apromisquenousserionsseuls.A l’exceptiond’un journalistelocal,personnen’estvenul’interrogeràproposdutransfertducorpsdeLela.Cequineveutpasdirequetononclen’apasenvoyéquelqu’unsurveillerl’entréedespompesfunèbres,enespérantquetumontrerasleboutdetonnez.

Elletournalatêteverslavitre,lesmainscrispéesentresesgenoux.—Jesaisquec’estprendreungrosrisquequed’allervoirmasœur,maisillefaut.—Jecomprends,chérie.Sic’étaitl’undemesfrères,j’enferaisautant.Ilspassèrentdevant lespremiersbâtimentsdeCrystalCreeket s’engagèrentdansWebsterStreet.

Quatrecentsmètresplusloin,unepancartesignalantlespompesfunèbresleurindiqualecheminjusqu’auparkingsituéderrièrelebâtiment.

Gabepritlaprécautiondesegarerenmarchearrièreaucasoùilleurfaudraitrapidementquitterleslieux.PuisilsetournaversElla.

—Quoiqu’ilarrive,tunemequittespasd’unesemelle,ordonna-t-il.—Net’inquiètepas.Jeseraiprudente.Commeelles’apprêtaitàouvrirsaportière,illaretint.—Attends.Ilbalayaleparkingduregard.Deuxvoituresseulementystationnaient.CellesdeM.Henighanetde

sonemployé,JoëlSnell.Gabejetaégalementuncoupd’œilsurlesvéhiculesgarésdanslarue.AucuneCadillacEscaladenoireenvue.

IlsortitlepremierdevoitureetfitsigneàElladedescendredesoncôtédefaçonàladissimuler.Puisill’escortarapidementjusqu’àlaportedeservice.Celle-cin’étaitpasferméeàclé,commeconvenuautéléphoneavecM.Henighan.

Ilspénétrèrentdansuncouloiroùs’ouvraientplusieursportes.Endépitdesmurscouleurcrème,desboiseriesclairesetducalmeambiant,censésmettrelesgensàl’aiseetrendrel’endroitsolennel,Gabe

sentit son estomac se nouer. Le parfum lourd des fleurs fraîchement coupées lui donnait presque lanausée.

—MonsieurHenighan!appela-t-il.Unhommed’unesoixantained’années,grandetmaigre,encostumebleumarine,débouchaaubout

ducouloirets’avançaverseux.—Gabe.Contentdetevoir,mongarçon.Çava?—Bien.Mercipourvotreaide.—Derien.Tamèreetmoi,çaremonteàunboutdetemps.Gabe,quin’avait aucuneenviedeparlerdesamoursde lycéede samère, sehâtadechangerde

sujet.—JevousprésenteEllaWolf.—Mescondoléances,mademoiselleWolf.Suivez-moi,s’ilvousplaît.—Sommes-nousseuls?demandaGabe.—Oui,biensûr.Pourplusdesécurité,j’aienvoyéJoëlfaireunepause.Ilestpartiprendreuncafé.En dépit de sa méfiance, Gabe voulait croire que M. Henighan ne les vendrait pas pour la

récompense offerte par PhillipWolf. Certes, il s’agissait d’une grosse somme d’argent pour laquellecertainsvendraientpèreetmère,maisdanslecoin,oncroyaitenlaparoledonnée,tantqu’iln’étaitpasprouvéqu’ellenevalaitrien.Or,jusqu’àprésent,M.Henighann’avaitdonnéàGabeaucuneraisondenepasluifaireconfiance.

—Puis-jelavoir?demandaEllad’unevoixtremblante.Elleavaitsoudainl’airsiperdue,sifragile,queGabel’enveloppadesonbrasetlaserracontrelui.—Venez, ditM. Henighan. Je vais d’abord vousmontrer les fleurs et je vous abandonnerai un

instant,letempsdetoutpréparerpourquevouspuissiezvoirvotresœur.Illesprécédadansunepièceoùs’accumulaientd’énormescouronnesdefleurs.Ilyenavaitpartout,

dusolauplafond.MaryavaitprobablementdirigétouslesenvoisdefleursàCrystalCreek.—C’est magnifique, murmura Ella, émue par cesmarques d’affection et d’amitié, d’autant plus

touchantesqu’aucunservicefunèbren’avaitencoreétéprogrammé.—J’airassemblélescartesdecondoléances.Jevouslesremettraiquandvouspartirez.Jereviens

vouschercherdansquelquesminutes.Surce,illeslaissaseuls.Le cœur serré,Gabe regardaElla circuler entre les fleurs et se pencher sur unbouquet de roses

blanchespourrespirerleurparfum.—Jen’aipasencorevingt-cinqans,maisj’aidéjàenterrémesparents.Etmaintenant,masœur…

Çafaittropmaldepenserque…quejenelareverraiplus.Lavieesttellementinjuste.—C’estvrai,chérie,lavieestparfoisterriblementinjuste.Maistuesforteettusurmonterascette

épreuve.—Parcequetueslà.—Aussilongtempsquetuveuxdemoi.Elleneditrien.Leslarmesluiserraientlagorge.Elledétournabrièvementlesyeuxsurlecercueil

destinéàsasœur.Sileschosestournaientmal,ilsepourraitqu’ellerejoignelessiensdanslatombe.Gabecompritaussitôtlemessage.Ellevitsonvisagesedécomposer.—Ducalme,Gabe.Toutvabien.—S’ilt’arrivequoiquecesoit,qu’est-cequejefais?—TucommuniquesàSamtouslesrenseignementsdontnousdisposons.LeFBIpourraainsilancer

desperquisitionsetpeut-êtrerésoudrel’affaire.—Jevoulaisdire…

Gabesetutenentendantlaportes’ouvrir.Ilpivotasurlui-même,aussitôtsurladéfensive.Maiscen’étaitqueM.Henighan.

—Prête,mademoiselleWolf?GabeeutdenouveaulecœurserréenvoyantEllahocherlatête,blanchecommeunlinge,lesmains

crispéessursonsac.Ilauraitvoulul’entraînerhorsd’ici,luiépargnerlasouffrancedevoirlecorpssansviedesasœur.Ilauraitvouluacheversaphrase,luidirequ’iln’imaginaitpasl’avenirsanselle.Aulieudequoi,illapritparlamainetsuivitM.Henighan.

Ilspénétrèrentdanslasalleoùétaientconservéslescorps.Untiroirréfrigéréétait tiré.Lelaétaitallongéelà,sousundrapblanc.Seulesatêteétaitvisible.

Gabe sentit la main d’Ella agripper la sienne, ses ongles s’enfoncer dans sa chair.Muette, ellesemblaitincapabledeproférerunseulmot,aussilefit-ilpourelle.

—Merci,monsieurHenighan.Pouvez-vousnouslaisserseulsquelquesinstants.—Prenezvotretemps.Apropos,mademoiselleWolf,leDrFortneralaissécelapourvous.Illuitendituneenveloppe.—Ilvousfaitdiredenepashésiteràl’appelersivousavezdesquestions.Ellanefitpasungestepoursaisirl’enveloppe.Ellesemblaitcommepétrifiée,leregardrivésurle

corpssansviedesasœur.Gabepritl’enveloppe,curieuxdesavoircequ’ellepouvaitbiencontenir.—Jevouslaisse,déclaraM.Henighan.Sivousavezbesoindequoiquecesoit,appelez-moi.Je

suisdanslebureaudel’autrecôtéducouloir.Gabeleregardarefermerdoucementlaportederrièrelui.Puisilrestaauxcôtésd’Ella,immobile,

attendantqu’elletrouvelecouragedes’avancerverssasœur.S’illefallait,ilattendraittoutelajournée.—Jeneveuxpasmesouvenird’elleainsi,murmuraElla.J’aipeurdenegarderquel’imagedeson

corpssansvie.—Tune l’oublieras jamais,chérie. Il tesuffitderegarderdansunmiroirpourvoir tasœur telle

qu’elleétait.—Maisjevaisvieilliretmestraitsvontchanger.—Tulaverrasalorstellequ’elleauraitétésiellen’étaitpaspartiesijeune.Etellecontinuerade

vivreàtraverstoi.Tuvivraspourvousdeux,parcequec’estcequ’elleauraitvoulu.—Pourquoimedis-tuça?—Parcequejesaisquetutesenscoupabled’êtreencoredecemonde,mêmesitunepouvaisrien

fairepourlasauver.Situétaisentréedanscettepièce,tononclevousauraittuéestouteslesdeux.Lelat’aappeléepourquetupuissesprendrelerelaiss’illuiarrivaitmalheur.Elleétaitcertainedepouvoircomptersurtoipourachevercequ’elleavaitcommencé.Etelleavaitraison.Ilsuffitdevoirlenombred’heures que tu viens de passer sur l’ordinateur à décortiquer des centaines de fichiers. Il te restecependantunetâcheàaccomplir.Laplusdure,sansdoute.Direadieuàtasœur.Maintenant.

Ellaportalamainaupendentifenformedecœuraccrochéàsoncou,commeellelefaisaittoujoursquandellepensaitàLela.Gabeavaitraison.Ilfallaitqu’elleluidiseadieu.

A contrecœur, elle lâcha samain, s’avança vers la rangée de casiers réfrigérés et s’assit sur letabouretinstallépourelleparM.Henighan.Lentement,lesyeuxrivésausol,elleretiralebonnetdesatêteetsecouasescheveux.Puis,elleôtalemanteaudesamèreetlelaissatomberderrièreelle.

Gabes’adossaàlaporte,sentinelleveillantàcequenulnevienneperturbercemomentprécieuxentretous.

—Prendstontemps,chérie.Jesuislà.Ella le regardaetcompritquecesmotsallaientbienau-delàdumomentprésent.Gabe lui faisait

savoirqu’ilattendraitaussi le tempsdontelleauraitbesoinpourdéciderounonde resteravec lui.Ajamais.

Aufonddesoncœur,elleavaitdéjàdécidé.Elleprituneinspirationsaccadéeetposalesyeuxsurlebeauvisagedesasœur.Calme.Serein.Et

tenditlamainpourluicaresserlajoueduboutdesdoigts.—Sœurette,cen’étaitpascequenousavionsimaginé,dit-elledoucement.Nousavionsprévude

vieillirensemble.Jedevaisêtretademoiselled’honneuretlatantepréféréedetesenfants.Jelesauraischéris,etmaintenant…

Savoixsebrisa,maiselleréussitànepaspleurer.Elleattenditunpeuavantdetourner lesyeuxversGabe,etdansleregardintensequilacontemplaitfixement,ellelutsespensées.Ellechériraitsespropresenfants.Leursenfants…Rêverd’unaveniraveccethommeétaittellementplusdoux,tellementplusfacilequededireadieuàsasœur.

ElleprituneprofondeinspirationetrevintàLela.Lelaavaittoujoursétélaplussageetlapluspragmatiquedesdeux.Pourquoineluiavait-ellerien

dit?Qu’avait-elledoncdécouvert?Pourquoil’avait-elleappeléesursonportable?Pourluifairepasserquelmessage?

Pressant lesmainssursespaupières,elle rassemblasoncouragepoursesouvenirdecequiétaitarrivé ce matin-là. Elle avait l’intuition d’avoir vu ou entendu quelque chose d’important, mais ellen’arrivaitpasàmettreledoigtdessus.

Elle essaya de ramener les souvenirs à la surface. Alors, comme dans un film en accéléré serembobinant,desimagesl’assaillirent.LasemaineprécédantlamortdeLela,ellesdéjeunaientaubureauetdiscutaientdespromotionsoffertespourlelancementdeleurgammedeproduitscosmétiques.Plusloindansletemps,verslesplagesbéniesdel’enfance.Lesdînersd’anniversaire,lessoiréespyjamadeleuradolescence,lesdiscussionsàproposdesgarçons.Toujoursensemble,partageantlesbonsetlesmauvaismoments.Lessuccèsetleséchecs.Chaquejourdeleurexistence.

Le séjour en Europe à l’occasion de leur dix-huitième anniversaire. Première expérience de lalibertéloindel’autoritarismedeleuroncle.EllesavaientvisitélaFrance, l’Italieet l’Espagne.Par lasuite,chaqueannéeellesallaientexplorerunnouvelendroitdelaplanète.Lelaavaitadorél’Australie.

D’autressouvenirsencoreluirevenaientdansledésordre,enunesuitedeflashs.AvecLela,petitesfilles,setenantparlamainpourleurpremierjourd’école.Acheval,lesbrasdeLelaenserrantsataille.Toutesdeuxengoncéesdansdesvêtementsde ski, apprenantàdévaler lespistesderrièreunmoniteur.Lela l’aidant à rédiger un devoir de littérature. Ella l’aidant à son tour à résoudre une équationmathématique.Sasœurdétestaitlesmaths.«Pourquoimélangerdeschiffresetdeslettres?»râlait-ellesystématiquement.

Le rire de Lela était contagieux. Son sourire tout autant. C’était une artiste. Elle adorait lire etdessiner.Ledessin.

Ellarouvritlesyeuxetsortitdesapochedepantalonledernierdessindesasœur.—Lesprofesseursluireprochaientdegribouillerpartoutdanssescahiersetsesdevoirs,maisils

luimettaientdebonnesnotespoursacréativité.Souriantàtraversseslarmes,elletenditledessinàGabequis’approchapourleregarder.—C’estlagrottedonttuparlesdanstescauchemars?demanda-t-ilendésignantl’archeenpierres

quisurmontaitlemédaillon.—Commentça?—Danstescauchemars,tuparlesd’unegrotte.Lagrotte.«Lesloupspeuventhurler»…Brusquement,ellecomprit.Soncœurs’accéléra.—Jemesouviens!—Dequoi?

—Ce que nous cherchons est dans le garage !Quand nous étions petites, nous adorions aller yretrouverpapa.L’endroitnousamusaitcarilyavaitdel’écho.

—Normal,chérie.Onpeutyrangersixlimousines.—Nosvoixetnospasseréverbéraientcontrelesoletlesmursenciment.Commedansunegrotte!

Etnousnousamusionsàhurlercommedesloups.Ellefronçalessourcils.—Gabe,dis-moi…L’établiaveclestiroirsestparti?—Personnen’apulebouger.Ilestsolidementboulonnéausol.—Unjour,papanousaditqu’ilallaitnousmontrerquelquechose.Ilnousafaitjurerdenejamais

enparler.L’établi permet d’accéder à un codequi fait pivoter unepartie dumur.Derrière, il y a unechambresecrète.

—Tuplaisantes!Ellesecoualatête.—Pasdutout.Monpèreadoraitfabriquercegenredesystème.JesuiscertainequeLelayacaché

lapreuvequenouscherchons.Gabes’accroupitdevantelle.—Nousdevonsallerlà-bassanstarder.Maisd’abord,tudoisdireadieuàtasœur.Ellefermalesyeuxetposasonfrontcontrelesien.—Jenesuispasprête,gémit-elle.—Illefaut,chérie.Nousreviendronsplustardpourlaramenerauranchetl’enterrerauprèsdetes

parents.Gabeeffleuraseslèvresd’unbaiseretrepritsonposte,prèsdelaporte.Elleposalamainsurlatêtedesasœur.—Ilestsuper,n’est-cepas?L’idéeque c’était finalementLelaqui l’avait envoyéedans leMontana, versGabe, et que, d’une

certainefaçon,c’étaitellequiluiavaitpermisderencontrerl’hommedesavie,lafitsouriremalgrésonchagrin.

—Merci,Lela,pouravoirétémamoitié,monamie,monsoutien,etm’avoiraiméesifort.Jevaisterminercequetuavaiscommencéetvivrepournousdeux.Jet’aime.

Ellesepenchaetembrassasasœurunedernièrefois.Puiselleseleva,chancelantsouslepoidsduchagrin.EtquandGabeluiouvritlesbras,elles’yprécipita,levisageruisselantdelarmessilencieuses.

Alors,tendrement,ill’enlaçaenluimurmurantdesmotstendres.Enluimurmurantsonamour.

24

BlottiecontreGabe,Ellaregardaitdéfileràtraverslepare-briselarouteverglacéeserpentantdansl’ombredelaforêt.

—Qu’ya-t-ildansl’enveloppequeM.Henighant’adonnée?demanda-t-il.—Lerapportd’autopsieduDrFortner,lemeilleurmédecinlégistedupays.—C’esttoiquiasdemandécetteautopsie?—Oui. Je voulais un rapport d’autopsie indépendant de celui du servicemédico-légal de New

York.JevoulaisqueleDrFortnerprécisel’heureexactedudécèsetsurtoutl’angledetir.Etantbienpluspetitequemononcle, lesdonnéesbalistiquesdevraientm’innocenter.Danslamesureoùjenesaispasquellessontlespreuvesfabriquéesparl’inspecteurRobbins,j’aipréférécouvrirmesarrières.

—Tuasbienfait.Ellaesquissaunpâlesourire.—J’ailesentimentquetoutvas’arranger,murmura-t-elle.Jenepeuxpasl’expliquer,maisjesens

laprésencedeLelaprèsdemoi.Ellem’afaitveniricipourretrouverlapreuve,maispasseulement…Peut-êtrem’a-t-ellefaitveniraussipourtoi.

— Peu importe ce qui t’a amenée jusqu’ici. J’ai peur que quelque chose ou quelqu’un ne noussépare.J’aipeurdeteperdre.

Ilattendit la réactiond’Ella, inquiet.L’aveu le rendaitvulnérablecommeilne l’avait jamaisété,maisiln’avaitd’autrechoixquedeluiouvrirsoncœur.S’ilneleluidisaitpasmaintenant, iln’auraitpeut-êtrepasdesecondechance.Etc’étaitcelaquil’effrayaitplusquetout.Laperdre,parcequ’ilneluiavaitpasditàquelpointildésiraitqu’ellereste.Ici.Aveclui.Pourtoujours.

Ilrisquaunrapidecoupd’œilverselle.Elleregardaittoujoursdevantellemaisposalamainsurlasienne, entrelaçant leursdoigts.Et c’est l’esprit soudainplus sereinqu’il s’engagea sur lapetite routeconduisantàWolfRanch.

Centmètresplusloin,ilécrasabrusquementlapédaledefrein.Lepick-upfituneembardéeetfaillitpercuterunecongèresurlebas-côté,avantdes’immobiliseraumilieudelaroute.

Ellaseredressabrusquementsursonsiège.—Quesepasse-t-il?Pourquoit’arrêtes-tu?—Regarde le sol. Il y a des traces de pneus récentes sur la neige.Or, personne d’autre que toi

n’habiteauboutdecetteroute.Elleblêmit.Ilsentitsamaintremblersurlasienne,maiscommeilmanœuvraitpourfairedemi-tour,

ellel’arrêta.—Pasquestion.Onyva.—Leshommesdetononclesontpeut-êtrelà-basàt’attendre.

—Sanscettepreuve,toutestfichu,Gabe.Ilnouslafautmaintenant!—Danscecas,appelonsleshérifetdemandons-luidenousretrouverauranch.Ellesecoualatête.—Nousnepouvonsfaireconfianceàpersonne.Jet’enprie,Gabe.Ellesoutintsonregard,l’implorantdesesgrandsyeuxverts.Ilréprimaunsoupir.Pourelle,ilferait

n’importequoi.Maispasn’importecomment.—D’accord.Toutefois,commejenetienspasàmefairetirercommeunlapinparceuxquinous

attendentpeut-êtrelà-bas,nousallonsretournerchezmoiprendreleschevauxetrejoindreWolfRanchenpassantparlesbois.

Unedemi-heureplustard,SullyetWinnieétaitsellés,prêtsàpartir.Ellaflattal’encoluredeWinnie.Sanshésiter,ellemitlepieddansl’étrieretsautaenselle.Gabe

posalamainsursacuisse.Ilauraitvoululaprendredanssesbras,lafairedescendredecettejumentetcourirl’enfermeràdoubletourchezlui,làoùelleseraitensécurité.

Mais il était trop tard pour reculer. Il fallait prendre PhillipWolf de vitesse et tout tenter pourrécupérercettemauditepreuve.Alors,ilsejuradeprotégerElla,quitteàylaisserlavie.

***

Ella regardait fixement lamaison qui se dressait de l’autre côté du champde neige, sur la crêtedominantlevallonboiséparlequelilsétaientarrivéssanssefairevoir.ElleattendaitqueGabeluifassesignedevenir.Elleavaitpromisderesteràcouvert,pendantqu’ilpartaitenéclaireurvérifiersilavoieétaitlibre.Maissonangoisseétaittellequ’elleétaitsurlepointdequitterl’abridesarbrespourallerlerejoindre.

L’estomacnouépar lapeur,elle levitpousser samonturedans lacour.Là, il s’arrêtaet regardaautourdelui.Puis,lentement,ilfitletourdelamaisonetdesdépendancesenexaminantlesol,avantdes’arrêterderrièrelagrangeetdemettrepiedàterre.

Elleattenditqu’ilsifflepours’avancerjusqu’àlui.Elleeutàpeineletempsdetirersurlesrênesqu’ill’avaitdéjàsaisieparlataillepourl’enleverdelaselleetlafaireglisseràterre.Ellelevalesyeuxsursonvisageinquiet.

—Leshommesdetononclesontvenusici,dit-il.Deuxgros4x4,d’aprèslestracesdepneus.—Ilssontentrésdanslamaison?—Oui.Ilssontpassésparlegarage.Laporteaétéfracturée.Sil’alarmes’estdéclenchée,lestypes

du poste de sécurité ont sans doute prévenu ton oncle qui les aura rassurés. Il est au courant, pour lachambreforte?

—Non,murmura-t-elle.Ilsattachèrentleschevaux,contournèrentlagrangeenlongeantlemuretdébouchèrentsurlacourà

l’arrièredel’immensemaison.Gabelapritparlamain.—Turestesprèsdemoi,ordonna-t-il.Siquelqu’unvient,onretourneauxchevauxetonfileparles

bois.—D’accord.Ils traversèrent lacouraupasdecourse jusqu’à laportedeservice.Gabeglissa lesclésdans la

serrureetouvrit.Commeelles’avançaitpourpénétrerdanslamaison,illaretintparlataille.—Jepasseenpremieraucasoùnousneserionspasseuls,luichuchota-t-ilàl’oreille.Apasdeloup,ilsremontèrentuncouloirquidébouchaitsurlesalon.Toutétaitcalmeetsilencieux

autour d’eux. Pas un bruit. Il n’y avait personne d’autre qu’eux dans la maison. Seulement le vide

immense.Lefroidglacial.L’absencedesêtresaimés.Lechagrin.Gabesetournaverselle.—Çava?demanda-t-ilàvoixbasse,visiblementinquiet.Elleparcourutduregardlesmursnus,lesfenêtresdépourvuesderideaux,l’âtreobscur,ets’arrêta

surlevisagedeGabe.Sesyeuxbrunsemplisdesollicitudeetdepatience.Soncœursemitàbattreplusvite,plus fort.Ellenepouvaitdésormais imaginer lavie sans lui, réalisa-t-elle, étonnéede la facilitéaveclaquelleelleacceptaitcesimplefait.Oui,saplaceétaitauprèsdecethomme.Malgréladouleur,sonamourpourGabegrandissaitàchaqueminutepasséeprèsdelui.Malgrélatristesse,sonamourpourluis’épanouissaitcommeunefleurausoleil.

Eprouvait-illesmêmessentiments?Sansdoute.Sinon,pourquoil’aiderait-ilainsi?Elleluisourit.—Çava.Ils traversèrent la cuisine jusqu’àunepetiteporte s’ouvrantdirectement sur le garage, situédans

l’aileouestdelamaison.Cettefoisencore,Gabepassadevant.Elle s’avançaà son tourdans l’immenseespaceetmarcha jusqu’aucentre. Incapablede résister,

elles’éclaircitlagorgeet,commeautrefoisavecLela,ellerejetalatêteenarrièreenhurlantcommeunloup.

Gabesecoualatêteavecunsourireencoinquifitpétillersesyeux.—Tudoisassurerl’ambiance,dansunefête,luifit-ilremarquer.—Tuasvulesphotos,jesuisleboute-en-traindeservice.—Jediraisplutôtquetuesl’élémentrassembleur.Ellehaussaunsourcilinterrogateur.—Commentça?—Quandonregardedeprèslesphotosprisesparlesjournalistes,surlaplupart,ontevoitavec

desamiscélébrantunanniversaireouunévénementspécial.Maisilnes’agitjamaisd’unévénementteconcernantdirectement.Enfait,tuorganisesdessoiréespourlesautres.Parcequetusaiscequec’estden’avoirpersonnequilefassepourtoi.Sij’aibiencompris,depuisledécèsdevosparents,Lelaettoiavez toujours fêtévos anniversaires autourd’undîner àdeux.Pourvosdix-huit ans, vous êtespartiesensembleenEurope.Etpourvosvingt-cinqans,vousaviezprévud’alleràBoraBora.

Ellebaissalesyeux.—C’estvrai.Maintenant,iln’yaplusquemoietunimmensegâchis.Etrienàcélébrer.—Regarde-moi,chérie,murmuraGabeencherchantsonregard.Promets-moiquequandtoutecette

histoire sera terminée, tu feras une fête à tout casser. Ne laisse pas ton oncle détruire la femmechaleureuse,drôleet attentionnéeavec sesamisque j’aivue surcesphotos.Mêmesi j’aimeen toi lafemmesérieuse,courageuseetcombative,jeveuxconnaîtrel’autreaussi.

Emue,ellerelevalesyeuxsurlui.Ilétaitsincère,ellelelisaitdanssonregard.—D’accord.Jet’emmèneraidansl’undemesendroitspréférésdeNewYorkoùnousferonslafête

ensemble.—Marchéconclu!Et c’est soutenue par son sourire, la chaleur de samain dans la sienne, qu’elle s’avança vers la

chambresecrètequi,espérait-elle,détenaitlespreuvesquimettraientfinàsoncalvaire.

25

Deboutdevantl’établi,Ellaexaminaitlestiroirs.Ellepassal’indexsurlesnumérosmétalliques.—Tutesouviens?Jet’aiditquemonpèreaimaitbienbricoler.Lentement,elleouvrit le tiroirnuméro4.Lebruitduglissementsur lesrailsmétalliquesfutsuivi

d’un cliquetis. Ce fut ensuite au tour du tiroir numéro 2. 42, le nombre porte-bonheur de son père.Nouveaucliquetis.

— Papa adorait les casse-tête, murmura-t-elle, concentrée sur sa tâche. Il passait des heures àessayerde lesrésoudre.Çal’aidaitàréfléchir,àvoir leschosessousunautreangleetàélaborerdesstratégies.

Le tiroirportant lechiffre8étaitgrippépar la rouille.Elledut forcerdessuspour l’ouvrir, et lebruitd’unleviers’enclenchantrésonnadanslesilence.Elleterminaparletiroirnuméro12.Cettefois,unpanneaudeboisperforésurlecôtédel’établicoulissa,dévoilantunlocalsombre.

S’avançantsurleseuildelachambreforte,ellescrutal’intérieur.Ilyavaitlàdespapiersetdesdossierssoigneusementempiléssurdesrayonnages.Ilyavaitaussi

desécrinsportantlessiglesdegrandsbijoutiers—Tiffany,Bulgari,Cartier—etdesboîtescontenantdiversarticles.

Ellesebaissapourpénétrerdansl’espaceexiguquinemesuraitguèreplusd’unmètrecinquantesurunmètrecinquante.

—Attentiontatête,dit-elleàGabequisepenchaitpourregarderàl’intérieur.Il y avait une lampe torche accrochée aumur près de l’entrée. Elle s’en empara et l’alluma. Le

faisceau illumina la pièceminuscule.A ses pieds, elle découvrit un carton sur lequel se trouvait unefeuilledepapierblanc,pliéeenquatre.Lecœurbattant,elleladéplia.

Ellereconnutaussitôtl’écritureélégante.C’étaitcelledesasœur.Sesyeuxs’emplirentdelarmes.—«MondoudouElla, lut-elled’unevoixétranglée.Si tues ici, c’estque jene suisplusdece

monde. Tu vas devoir terminer ce que j’ai commencé. Les preuves sont là.Oncle Phillip a assassinépapa.Jetefaisconfiancepourfairecequ’ilfaut.Làoùj’aiéchoué,turéussiras,j’ensuiscertaine.Turéaliserastoutcedontnousavonsrêvéensemble.Maiscettefois,sœurette,tun’auraspasàpartager.»

Elleétouffaunsanglot.—Elleadessinéunsmiley,dit-elled’unevoixétrangléeen tournant la feuillepour lamontrerà

Gabe.—Ellet’appelaitson«doudouElla»?—Oui.Quandnousétionspetites,nousvoulionsdormirdanslemêmelit.Mesparentsontfinipar

renoncer à nous séparer. Chaque soir, ils venaient nous border et nous souhaiter bonne nuit. Mamans’assurait que j’avais bienmon lapin préféré et proposait systématiquement une peluche àLela qui la

repoussaitendisant:«JedorsavecmondoudouElla.»Elleseserraitcontremoi,enfouissaitsonvisagedansmescheveuxets’endormait…

Unsanglotsecouatoutsoncorps.Lesdoigtscrispéssurlederniermessagedesasœur,ellebaissalatêteetlaissalibrecoursàseslarmes.

Gabepritsonvisageentresesmains.—C’estunmerveilleuxsouvenir,chérie.Tasœurt’adorait.—Jelesaimaistellement…etilssonttouspartis,hoqueta-t-elle.Incapable de reprendre son souffle entre deux sanglots, elle eut à peine conscience que Gabe

l’attiraitdanssesbras.Elleenfouitsonvisagedanssonépaule,s’accrochaàluicommeuneenfantetselaissasubmergerparladouleur.Ellepleuralongtemps.Ellepleuralamortdesesparents,lamortdesasœur,lafindesesrêves.Etpendantcetemps,Gabemurmuraitdesparolesréconfortantesàvoixbasse.

Peu à peu, ses sanglots s’espacèrent, se calmèrent,mais ils restèrent encore de longuesminutesenlacés,sansbouger.

—Lelatedit-elleautrechose,danssalettre?demandaGabeauboutd’unmoment.Elladéfroissalafeuilleetlutlesdernièreslignes:—«J’aifoientoncourage,Ella.Continueàvivre,poursuistonchemin.Trouvequelqu’unavecqui

partagertavie.Illefaut.Tuledois.Jeseraitoujourslàprèsdetoi,entoi.Jet’aime.Lela.»Ellerestaimmobile.Devantelle,soussesyeux,ellevoyaitLelacommesiellevivaitencore.Elle

voyaitl’éclatdesesyeux,entendaitrésonnersonrire…—C’étaitunefilleformidable,ditGabed’unevoixenrouéeparl’émotion.—Oui,murmura-t-elle.Puis, rassemblant son courage, elle s’arracha à ses bras et se mit à examiner le contenu de la

chambreforte.—C’estjoli,observaGabeendésignantlesdeuxrosessurunetigequeLelaavaitdessinéessous

sonnom.C’estlemêmemotifqueletatouagequetuportessurl’épaule.—LorsdenotreséjourenFrance,nousavionsdécidédenousfairetatouercedessin.Jesuispassée

lapremière.EtquandLelaavuàquelpointl’opérationétaitdouloureuse,elles’estdéfilée,expliqua-t-elleenouvrantlecartonqueluiavaitlaissésasœur.

Elleneputs’empêcherdesourireenvoyantlecontenuimpeccablementrangé.—Lelaétaitunevéritablemaniaquedel’organisation.— Et toi, tu ne l’es pas, peut-être ? répliqua Gabe d’un tonmoqueur. Tu as réagencé toute ma

vaisselledanslesplacardsdecuisine,rangémacollectiondeDVDparordrealphabétique,réaménagélasalledebainset,commesicelanesuffisaitpas,tuasclassétousmesfichiersinformatiquespardossiers.

—Cequipermetdes’yretrouverplusfacilementquandoncherchequelquechose.—Cequifaitsurtoutdetoiuneobsédéedurangement.—Jet’airetrouvélefilmdeJasonStathamquetuavaisperdu,non?—Exact.Merci,chérie.—Derien.Etmaintenant,voyonscequ’avaitdécouvertLela.—Nousferionsmieuxd’emportercecartonchezmoietdesortird’ici.—Non.Ilestplusensécuritédanscettechambreforte.Lelaaeuraisondelelaisserici.Ellese

doutaitquenotreoncleferaittoutpourlerécupérer.Maiscequejenecomprendspas,c’estpourquoiellen’apastoutdesuiteprévenulesautorités.Pourquoia-t-ellechoisid’affronteronclePhillip,alorsqu’ellesavaitdequoiilétaitcapable?

—Sansdouteparcequec’étaitunefonceusecommetoi.Sanssesoucierdudanger,elleacouruvoirvotreonclepourluibalanceràlafigurequ’ellesavaittoutetqu’elleallaitluifairepayerlemeurtredevotrepère.

—Etçaluiacoûtélavie…

—Raisonpourlaquellenousn’allonspasprocéderdelamêmefaçon,conclutGabeenfeuilletantunesériedetableauxcomptables.Jecroisquetonpèreavaitdécouvertcequemanigançaittononcle.Cesont des états financiers de la société. Il y a des annotations un peu partout, soulignant des dépensesexcessivesetl’absencederecettes.

Elleparcourutuneautresériededocuments.—J’aiplusoumoinslamêmechose.Gabefouilladanslecartond’oùilsortitunCDauquelétaitépingléunticketdecaisse.—Dequois’agit-il?demanda-t-elle,intriguée.—Unenotedebar-restaurantpourdeuxconsommations,datéedujouroùtasœuravaitrendez-vous

avecFinney,lemécanicien.Au fonddu carton, il y avait également unmini-enregistreur vocal numérique, accompagnéd’une

enveloppe.Gabemitl’appareilenmarche.—Qu’est-ilarrivéàvotreépouse?Ellasentitlesols’ouvrirsoussespieds.C’étaitlavoixdeLela…—PhillipWolfl’aassassinée.Ill’aenlevéecheznous.J’étaisauboulot,entraind’effectuerdes

vérificationsdecontrôlesurl’aviondevotrepère.—Ilyavaitunproblème?— Non, mademoiselle. L’appareil était comme neuf. J’étais chargé de son entretien et des

vérificationsd’usageavantchaquevol.—C’estdoncvousquiavezeffectuélavisitedecontrôle,lejourdel’accident?—C’estmoi.J’aitoutvérifié.Maisunhommem’attendaitàlasortieduhangar.Ilm’atenduune

photodeMarjorie,assisesurunechaise,bâillonnée,lejournaldumatinplaquécontresapoitrine.EllasaisitlamaindeGabeetlaserrafort.—Quevousademandécethomme?—Desaboterlajaugeàessencepourqu’elleafficheunréservoirpleinalorsquecelui-ciétait

quasimentàsec,quandvotrepèreadécollé.Ilm’aaussidemandédefaireensortequelaboîtenoirenedonneaucunindicesurlacausedel’accident.

Lavoixdel’hommesebrisa,trahissantunesouffranceextrême.—Jevoulaissauvermafemme,maisjen’aipaspu.Ilsl’onttuée.—Commentavez-vousfaitpourfalsifierl’enregistrementdelaboîtenoire?—Jenel’aipasfalsifié,j’aiéchangélaboîteetlajaugeàessencequandl’avionaétérapatrié,

dèslelendemaindel’accident.—Comment?Ildevaityavoirdesenquêteursdel’aviationcivileetdespoliciers.—Ilsétaientpartout,eneffet.Maislegarsenchargedel’enquête,uncertainEardly…c’étaitle

mêmequim’avaitordonnéde tuervotrepère. Il s’estarrangépouréloigner sesgarsde l’avion, letempsquejeremplacelaboîtenoireetlajaugeàessencedéfectueuse.Quandleboulotaététerminé,jel’aisuppliédemedireoùétaitmafemme.Ilm’aditquecen’étaitpasdesonressort.Ilm’atenduuneenveloppecontenantcinqmilledollarsetm’arenvoyéenracontantàsescollèguesqu’ilm’avaitinterrogéetquejepouvaispartir.J’espéraisqu’ilsavaientrelâchéMarjorieetquej’allaislatrouveràlamaison.Aumomentdequitterlehangar,despizzasontétélivréesauxenquêteurspourledîner.Çaasuffiàdétournerleurattentionetj’enaiprofitépoursubtiliserlespreuvesdusabotage.

Ellaregardalaboîteorangeetlajaugeaufondducarton.Elleétaitlà,cettefameusepreuve.CellepourlaquelleLelaavaitététuée.

—Deuxjoursplustard,lapoliceadécouvertlecorpsdemafemme.Lesflicsontconcluàuneaventureextraconjugalequiavaitmal tourné.Alors j’ai filéenemportant lespreuves, le tempsquel’affairesoitclassée.Lestypesquim’avaientforcéàsaboterl’aviondevotrepèreavaienteucequ’ils

voulaientetleresponsabledel’enquêteétaitdanslecoup.Sijememanifestais,ilmemettraittoutsurledos.Jenemevoyaispasresterenfermédansunecellulelerestantdemesjours,àdevenirfoudechagrin.Comprenez-moi,cequej’aifait…jel’aifaitpoursauverMarjorie.Voilàdixansquejevisaveccecrimeatrocesurlaconscience.Leremordsmedévore.Etmaintenant,lecancermetueàpetitfeu.Ilsavaientmafemme…

Lavoixsebrisadenouveaudansunsanglot.Lecœurd’Ellaseserra,maiscethommeavaittuésonpère.Ets’ilavaiteulecouragedeparlerau

lieudefuir,sasœurseraitsansdouteencoreenvie.—Sijevousaicontactée,mademoiselle,c’estpourquevousmontriezcespreuvesàlajustice.Je

veuxquevotreonclepaiepouravoirassassinémafemme.—Etvous?Vousavezassassinémonpère.—Je lepaiechaquejourqueDieufait.Lamaladiem’emporterad’icipeu.Jeneseraibientôt

plusdecemonde.Ellaserralepoing.Sesongless’enfoncèrentdanssachair.Tantdeviesdétruites…—Commentsavez-vousquemononcleestleresponsable?—Laboîtenoireetlajaugenesontpaslesseulespreuvesdontjedispose.J’aigardélaphotode

Marjorie. Je la regarde chaque jour, pour ne pas oublier.Chaque jour, jem’oblige à regarder sonvisageetjeluidemandedemepardonner.L’autresoir,épuiséparlachimio,jemesuisallongé.J’aiprislaphotoetjel’aivu…Jen’avaisjamaisremarquécedétailauparavant.Regardez.

Ilyeutunbruissement.—Vousvoyez?Lerefletdanslemiroirsurlemur.Cesalaudn’apasseulementprisunephotode

Marjorie.Ils’estaussiprisenphoto.Gabesortit laphotode l’enveloppeaccrochéeà l’enregistreur.Levisaged’unhommeentrainde

prendre laphoto se reflétait en effetdans lemiroirderrière lamalheureuse femme. Il fallait le savoirpourleremarquer.Maisunefoisqu’onl’avaitvu,onpouvaitaffirmersanssetromperqu’ils’agissaitdePhillipWolf.

—Aprèstoutescesannées,j’aienfincomprisetjeveuxquecethommepaiepouravoirenlevémafemmeetl’avoirfroidementabattue.

L’enregistrementétaitterminé.Ellapoussaunsoupirlas.—Mononclevacertainementprétendrequ’ils’agitd’unenregistrementcréédetoutespièces.GabebranditleCDsurlequelétaitinscrit«vidéosurveillance,TheRise,Bozeman,Montana».—Saufquetasœurn’arienlaisséauhasard.Elleaenregistrélaconversationetrécupérélavidéo

deleurrencontre.Elleaégalementconservélanotedubar-restaurant.Jepariequeladateetl’heureduticketdecaissecorrespondentàceuxdelavidéo.

—Elleestensuitevenueici,cacherlespreuvesdanslachambreforte.—Detoncôté,tuasdécouvertlaventeillégaleduranch,lesfraudessurlebétail,levoldetableaux

etl’assassinatdesdeuxpersonneschargéesdevérifierlescomptesdelasociété.Sansparlerdespreuvesaccumuléespar tonpèreavant sadisparition.Dequoienvoyer tononclederrière lesbarreauxpour lerestantdesesjours.

—MonDieu,jenepeuxpascroirequ’ilaitcommistantdecrimes…—Lejourdel’accident,vousétiezcensésrentreràNewYorkavectonpère?—Ouietnon.Jecroismesouvenirquemesparentsonteuunelonguediscussionàcesujet.Lela

avaitprisfroidetmoi,jevoulaisprofiterencoreunpeudeschevaux.Finalement,papaestpartiseul,enpromettantderevenirtrèsvite.Jesupposequ’ilavaitdécidédetirerleschosesauclairavecsonfrère.Celui-ci,sesachantdécouvert,n’apashésitéàl’éliminer…

Leregardrivésurlaboîtenoire,ellesetut,hantéeparl’imagedesasœuraffrontantleuroncle.

Sûredesonbondroit, indignéeetenhardieparlaprésenced’uninspecteurqu’ellecroyaitdesoncôté,ellel’avaitdéfiéouvertementetl’avaitpayédesavie.Commeleurpère.

—Regardeça,ditGabeenluitendantundossier.Ellelepritd’unemaintremblante.Uncoupd’œilsurlapremièrepageluisuffitpourcomprendre.— Mon père avait rédigé un nouveau testament. Il est daté de quelques semaines avant sa

disparition.Ellesentitquelquechosesenouerdanssapoitrine.Lesmainstremblantes,elleseforçaàenlireles

clauses.Aufuretàmesuredesalecture,sesyeuxs’écarquillaient.—Lesalaud!Laprisonesttropbonnepourlui.Jevaisl’écorchervifetleregardersetordrede

douleur.Gabeposaunemainapaisantesursonbras.—Quedisentcespapiers?—Letestamentsurlequelmononcles’estappuyépourrégenternotreviejusqu’àaujourd’huidate

d’ilyavingt-cinqans,peuaprèsnotrenaissance.Maisdeuxmoisavantsadisparition,monpèrel’avaitmodifié,probablementaprèsavoirdécouvertlesmalversationsdesonfrère.Illuiavaitretiréledroitdetutellesurnouspourleconfieràunecousinedemamère.Unefemmecharmante,uneamietrèsprochedelafamille.Lelendemaindudécèsdemaman,elleestvenuenousvoir,Lelaetmoi.Ensuite,onnel’aplusjamaisrevue.

—Tononcles’estcertainementarrangépoursoudoyerlenotaireetéloignercettefemme,decraintequ’elle ne pose trop de questions. Tes parents l’avaient sans doute prévenue de leur intention de luiconfiervotretutelles’illeurarrivaitmalheur.

—Jesuppose.Maiscen’estpastout.D’aprèslesclausesduderniertestamentdemonpère,riennenousobligeaitàobtenirunMBAouàtravaillerpourWolfEnterprises.Papanouslaissaitlibresdefairecequinousplairait.

Unelarmesilencieuseroulasursajoue.—IlestditquesiLelaetmoidésirionsfairedesétudesartistiquesoudevenirvétérinaires,nous

pouvionsvendrelacompagnieourecruteruneéquipedemanagerspourlafairetourner.—Tuvoulaisêtrevétérinaire?—J’avaisquatorzeansetj’adoraisleschevaux.Papam’aoffertAngelpourmesdixansetBelle

pourmontreizièmeanniversaire.—Quen’aurait-iloffertàsesprincesses?— C’est vrai, murmura-t-elle avec un sourire empreint de tristesse. Il sautait sur toutes les

occasionspournousgâter.Mamanluifaisaitlesgrosyeux,puiselleéclataitderire.Elle ferma lesyeux. Ils avaient été siheureux tous lesquatre…Elle se souvenaitdes soiréesde

Noëlauranch,autourdusapin,desfousriresavecsonpèrelorsqu’illeuravaitapprisàfaireduvélo,desbaladesàcheval…

LamaindeGabeseposasurlasienne.Ellebattitdespaupièresetesquissaunpâlesourire.—Ilsmemanquenttellement.—Jesais,chérie.Maisilst’ontdonnétoutcequ’ilfautpourt’ensortiretmenerl’existencedontils

rêvaientpourtoi.—Quelleexistence?—Cellequiteplaît.Cellequiterendraheureuse.—Peut-être.Mais toutauraitété tellementdifférent,simononclen’avaitpassemélechaosdans

nosvies.Lesyeuxbrillantsdelarmes,elleseredressaetparcourutduregardlachambreforte.—J’aidésormaissuffisammentdepreuvespourtraînercemonstreenjusticeetluifairepayerses

crimes.IlesttempsdecontacterSam.

Gabeladévisagea,etellevitsesyeuxsevoilerdetristesse,letempsdequelquessecondes.Maisilserepritbienvite.

—Viens,dit-il.Rentronsàlamaison.NousappelleronsSamdemainmatin.Elleauraitpréféré l’appeler sur-le-champ,maisellehocha la tête. Ils auraient ainsiunedernière

nuitensemble,touslesdeuxseuls.Gabe referma la chambre forte sur les preuves. Elles y seraient en sécurité jusqu’à ce qu’elles

soientconfiéesauFBI.Sansattendre, ils traversèrentdenouveaulamaison.Commeilsarrivaientà laportedeservicedonnantsurlacour,unevoixbourruelesfitsursauter.

—Oùas-tulaissécefoututéléphone,bonsang?La voix provenait de la cuisine. Ils n’étaient plus seuls. Les hommes de son oncle. Ils s’étaient

probablementintroduitsdenouveauparlegarage.Ellacrutquesoncœurallaitexploser.Elles’arrêtaderespireretsentitsabouchesedessécher.—Jecroisquejel’ailaissédanslasalledebains.Unedeuxièmevoix,plusproche,cettefois.—Valechercher.Cettebaraqueestglaciale!Jesorsgrillerunecigaretteausoleil.Sansperdreuneseconde,Gabeouvritlaportedeserviceetlapoussadehors.—Courscherchertonchevaletvatecacherdanslesbois,luiordonna-t-ilàvoixbasse.—Jen’yvaispasseule.Viensavecmoi.Gabeluidécochaunregardquinesouffraitaucunediscussion.—Jevaisd’abordmedébarrasserd’euxetjeterejoins.Va-t’en.Vite.Avantqu’ilsnetevoient.Illuidonnaunbaiserrapideainsiqu’unetapesurlesfessespourlafairedéguerpir.Ellecourutjusqu’àl’arrièredelagrangeenrasantlesmurs.Gabe retournadans lamaison.Apasde loup, il se faufila dans le salon.Contournant un énorme

pilier, il arriva silencieusement dans le dos d’un des hommes.Vif comme l’éclair, il lui confisqua lerevolvercoincédanssaceintureetpressalecanonentresesomoplates.

—Pasunmot.L’hommeétaitsuffisammentfutépoursetaire.Gabelepoussaverslasalledebainsd’oùsortaitson

collègue,untéléphoneàlamain.L’hommes’arrêtanetenécarquillantlesyeux.—Situveuxrevoirtoncopainvivant,sorsgentimenttonrevolver,pose-lesurlesoletenvoie-le

versmoi,luiconseillaGabed’unevoixcalmemaisferme.L’hommeobtempéraenluidécochantunregardassassin.—Quiêtes-vous?—Lepropriétairedeslieux.Violationdedomicileaveceffraction,lesgars.Voussavezcequeça

veutdire?—Vousplaisantez.NoussommesenvoyésparPhillipWolf.C’estlui,lepropriétaire.Pasvous.—Erreur. Il m’a vendu le ranch. Je ne sais pas ce que vous fabriquez ici, mais vous allezme

débarrasserleplancher,vitefait.—Noussommesàlarecherched’EllaWolf.—Commevouspouvezleconstater,ellen’estpaslà.—Vousl’avezvue?—Jenevoisquedeuxpersonnesquirôdentchezmoi.Vousdeux.—Allez,mec,tunevastoutdemêmepasappuyersurladétente.—Jeneparieraispaslà-dessus,sij’étaisvous.Danslecoin,ontired’abord,ondiscuteensuite.Sontonglacialeutleméritedelesconvaincre.—Etmaintenant,foutez-moilecamp!Ilpoussasansménagementl’hommedontilavaitconfisquélerevolververslaported’entrée.Son

comparselesuivitencourant.Gaberécupéral’armedecederniersurlesoletescortaletandemversla

CadillacEscaladenoire, garée devant le perron.Lamêmequ’il avait repérée près dumobil-homedeFinney.

—Commentavez-voussuquenousétionslà?maugréal’undeshommes.—J’aiappelélasociétédesécuritépourmettrel’abonnementàmonnom,mentitGabe.Ilsm’ontdit

quel’alarmes’étaitdéclenchéequandlesdeuxabrutisquevousêtesontfracturélaportedugarage.Sic’estPhillipWolfquivousaenvoyés,pourquoinevousa-t-ilpasdonnélesclésdelamaisonetlecodedel’alarme?

Lesdeuxhommesseregardèrent,visiblementenmalderéponse.Ilsavaienttoutsimplementchoisilafacilitéenforçantuneserrureplutôtquedes’embêteràcontacterPhillipWolfpourdesdétailsaussiterreàterrequ’untrousseaudeclésetuncode.

—Jevois,commentaGabe.Jeferaisbiend’appelerleshérif.—Ducalme,mec, protesta l’undes hommes en levant lesmains en signed’apaisement.La fille

n’estpaslà.Ons’enva.Rends-noussimplementnosarmes.Nousnevoulonspasd’ennuis.—Vousavezdéjàdesennuis,répliquaGabe,glacial.Montezenvoitureetfilez.Etneremettezplus

jamaislespiedsdanslecoin.Compris?Lesdeuxhommesneselefirentpasdiredeuxfois.Tropheureuxdes’entireràsiboncompte,ils

déguerpirentcommes’ilsavaientlediableauxtrousses.Gabeattenditqu’ilssoienthorsdevueavantderelâchersesépaulesnouéesparlatension.Ilredoutaitlasuite.AffronterPhillipWolfseraitbienplusdangereuxquedefairefaceàcesdeux

rigolos.Satisfaittoutefoisdes’enêtredébarrasséaussifacilement,ilfitletourdelamaison,fermalesportesetenclenchal’alarme.Puisilcourutretrouversoncheval,sautaenselleetsuivitlestracesd’Ellajusqu’àl’oréedubois.

Là,ilarrêtasamontureetsiffla.—C’estbon,chérie.Lavoieestlibre.Ellasortitdubois,lestraitstirésparl’angoisse.—Jenepeuxresterpluslongtempsici,Gabe.Jetefaisprendretropderisques.—Jen’aipaspeurpourmoi,Ella.Maispourtoi.Tantquetononcleestenliberté,tuesendanger.—Oui,maiscedanger,jel’aiamenéjusqu’àtaporte.Ellesetassasurelle-même,têtebaissée,commeécraséeparunpoidsmonstrueux.—Jedoispartir,Gabe.

26

La nuit était tombée.Gabe s’approcha d’Ella, assise à la table de cuisine, le regard rivé sur lederniermessagedesasœurentresesmains.Ils’accroupitdevantelleetposalesmainssursescuissespourcaptersonattention.

—Vienstecoucher,chérie.—Jen’enpeuxplus,detoutecettehorreur.—S’ilteplaît,essaiedeneplusypenser.Aumoinspourcettenuit.Elleposasurluiunregardempreintdetristesse.—Jen’aipasenviedepartir.Gabehochalatête,conscientqu’elleredoutaitlatâchequil’attendait—fairearrêtersononcleet

sescomplicesdansleshautessphèresdel’administrationjudiciaire,affronterlesquestionsduFBIetdesjournalistes—,quandtoutcequ’ellevoulait,c’étaitpleurersasœuretsesparentsenpaix. Ilespéraitaussiqu’unepartd’elleavaitenviederesterpourlui.

—Moinonplus,jen’aipasenviequetupartes,dit-il.Jeveuxqueturestes.Etpourluiprouvercombienilétaitsincère,ill’attiraversluipouruntendrebaiser.Etsic’étaittout

cequ’ilpouvaitluioffrirmaintenant,illeluidonneraitsansréserve.Labouched’Ellaétaitdouceetfraîchesouslasienne.Ilseleva,l’entraînantaveclui,leurslèvres

toujoursscellées.Ilapprofonditleurbaiser.Dieuqu’il l’aimait !Glissant lesmains sous ses fesses, il la soulevacontre lui.Elle enroula les

jambesautourdesatailleetelles’accrochaàlui.Enfouissantlevisagedanssoncou,ill’embrassa,lamordilla,avecunefaimàlaquelleilpréféraitnepasréfléchir.

Sanscesserdel’embrasser,illaportajusqu’àsachambreetl’allongeasurlelitaumilieudesdrapsfroissés.

—J’adoretevoirdansmesvêtements,chérie,dit-ilenbaissantlesyeuxsurleT-shirtLedZeppelinetsonbasdejogging,devenuslatenued’intérieurpréféréed’Ella.Maisjetepréfèresans.

Joignantlegesteàlaparole,illadéshabillalentementendévorantdesyeuxchaquecentimètredesapeauveloutéeetcrémeuse.

—Aime-moi,Gabe.Alors,aulieudeluidireàquelpointilétaitfoud’elle,illeluimontra.Ilembrassasespaupières,

son nez, sa bouche.Descendit plus bas, sur sa gorge, ses seins, son ventre. Lentement, il explora sonnombrilduboutdelalangueeteffleurasahanched’unbaiser.Puisilposasaboucheentresesjambesetlagoûta,laléchadoucement,avantd’enfoncersalangueenelle.

Lesdoigtsagrippésàsescheveux,ellesecambraengémissant.D’unemainposéesursonventre,illacalmaetpoursuivitlacaresse,déployanttoutsonartdel’amourpourluidonnerduplaisiretluifaire

oubliertoutlereste.Pourluifairesavoiràquelpointellecomptaitpourlui.Pourluiexprimeravecsoncorps,sesmainsetsabouchecetamourqu’ilnepouvaitexprimeravecdesmotstantilétaitfort.

La force de son propre désir le rendait fou, mais il se retenait, soucieux de ne pas romprel’équilibre délicat entre la satisfaction immédiate et l’art exquis de faire durer le plaisir. Comme ildesserraitsonétreintesurseshanches,letempsdeprendreunpréservatifsurlatabledechevet,Ellaenprofita pour renverser la situation.Elle roula sur lui, planta lesmainsde chaque côtéde sa tête et sepenchapourl’embrasser.Puis,elleledévisagea.

—Amontour.Gabenesavaitpascequ’elleavaitentête,maisiladoraitlavoirainsi.Sescheveuxrépandussur

ses épaules, ses seins ronds et fermes, conquérants, magnifiques, surmontés d’une petite framboisealléchante.Etplusbas,sataillefine,sonventreplatetcechemindirectversleseptièmeciel.Ilmouraitd’enviedes’enfoncerenelle,maisilperdittoutpouvoirdedécisionquandelles’allongeasurluidetoutsonlongetsemitàexplorersoncorpsavecunelenteurprochedelatorture…

Les traitscontractéspar ledésir, il fermalesyeuxavecungémissementquandilsentit lesdoigtsd’Ellaserefermersursonsexe.Iltenditlesbrasverselle.C’étaittrop.Beaucouptrop.Ilenmourraits’ilnelaprenaitpastoutdesuite.

Maiselleposalesmainssursontorseet lerepoussaenarrière, leforçantàs’étendre.Elleaussiavaitdécidédefairedurerleplaisir.

Alorsilretintsarespiration,crispasesdoigtssurlesdrapsetcontraignitsoncorpsàl’immobilité,tandisqu’illaregardaitseglisserentresesjambesetbaisserlentementlatêteverssonventre.

Cefurentd’abordsesbouclesd’orrouxquieffleurèrentsapeau,puissonsoufflechaud.Etquandelleeffleuradeseslèvreslepourtourdesonsexeetleprittoutentier,ilfrissonnaetfermalesyeux.

Plusrienn’existaitquelatortureentresesjambes,cefrissoncontinuquiaugmentaitsanscesseetleva-et-vient inexorable de cette bouche dont chaque assaut l’emportait dans un univers de puressensations.

Surlepointd’exploser,ilrouvritlesyeuxdansunultimesursautdelucidité.—Ella…,souffla-t-il.Jeveuxêtreentoi.Elleseredressa,luipritlepréservatifdesmainsetleluiajusta.Puis,mêlantsesdoigtsauxsiens,

ellelechevaucha, imposantunrythmeeffrénéàleursébats.Etmêmelorsqu’ellelesentit jouirenelle,ellecontinuaà lepousser toujoursplus loin,exigeantdavantageencore.Elleécrasa ses lèvres sur lessiennes,insatiable,avantdelesfaireglisserlelongdesoncou,contrelesbattementsfrénétiquesdesoncœur,tandisqu’ellelesentaitdenouveaudurcirenelle.

Puiscefutàsontourdelarenversersurledosetdelanoyerdanslachaleurdesapeau,l’éclatdesonregard,lacaressedesesmainspuissanteset impatientes.Leurscorpss’épousaient,s’écartantpourmieuxseretrouver l’instantd’après,grisés,emportésdansun tourbillondeplaisir,donnantet recevanttout à la fois.Fondus l’undans l’autre, ils s’abandonnèrent ensemble,parcouruspar lamêmeondedejouissance.

Lesoufflecourt,Gabes’affaissasurElla,lefrontposécontrelesien.Ilvenaitdeluimontreràquelpointill’aimait.Ilsavaitquedèsqu’elleauraitcontactéSam,ellepartirait.Etilvoulaitluidonneruneraisonderester.

—Gabe,je…—Jen’aipasenviedeparlerdetafamilleetdetesdevoirs.Pasmaintenant.Pascesoir.Ilroulasurledos,rompantleurprécieuxcontact.—Gabe…—Chut.Pasmaintenant,murmura-t-ilenl’enlaçant.Seulementtoietmoi.Ici.Rienquenousdeux.

27

Ellanesavaitplusquoifaire.GaberefusaitdediscuterdesondépartpourNewYork.Satanéefiertémasculine.Ilavaitpassélematinavecleschevaux.Normal,ilfallaitlesnourriretnettoyerleurbox.Enrevanche,cherchertouslesprétextespossiblespourl’éviter,ça,cen’étaitpasnormal.

Aprèsunpetitdéjeunerrapide,GabeavaitappeléSamauFBIpourluidonneruncompterendudece qu’ils avaient découvert la veille dans la chambre forte, lui détaillant la façon dont les faitss’articulaientpouraboutiraumeurtredeLela.

ElleavaitensuiteprislerelaispourdonnerdavantagedeprécisionsàSam.Entre-temps,Gabeétaitsortietn’étaittoujourspasréapparu.

Ignorer les problèmes nemenait nulle part. Elle pianota nerveusement du bout des doigts sur latable.Ellenepartiraitpasenlaissantdesnon-ditsentreeux.

Lebruitdelaported’entréequis’ouvraitlafitsautersursespieds.Enfin!Ilavaitdécidéderevenirdiscuter.Soulagée,ellepivotasurelle-mêmepourseretrouvernezànezavec…Travis.Levisagedéforméparunrictushaineux,labruteplissalesyeux.Enquelquesenjambées,ilfutsur

elleetluiagrippalebras.Suffoquée par cette attaque imprévue, elle mit une seconde de trop pour réagir. Elle voulut le

repousser,maisill’écrasacontresontorseetplaquaunemainsursabouchepourétouffersescris.Unbraspasséautourdesataille,ill’entraînadehors.

Reprenantsesesprits,ellesedébattit.Leregardrivésurl’écuriedansl’espoirdevoirapparaîtreGabe, elle se mit à décocher des coups de pied dans les tibias de son agresseur et, dans une vainetentativepouréchapperàl’immondecontactdesamainsurseslèvres,elleessayadelemordre.

—Salegarce!gronda-t-ilàsonoreilleenluiécrasantlamâchoiredesesdoigtsmoites.Jesaisquitu es. Les hommes lancés à tes trousses par ton oncle me l’ont dit. Je t’emmène chez le shérif pourdécrocherlarécompense.

Plantant les talonsdans le sol,ellevoulut freiner leurprogressionvers lacamionnettedeTravis,mais sa chevilleblessée céda sous elle, lui arrachantun cri dedouleur.Emportépar son élan,Travisperditl’équilibreetlalâcha.Elletombatêtelapremière.Lesoufflecoupé,elleroulasurelle-mêmepoursereleveretsebattre.Maisc’étaitinutile.LepoingdeGabecueillitTravisenpleineface,luibrisantlenezet l’envoyantvalserdans laneige.Une secondeplus tard, il l’empoignaitpar le col et leplaquaitcontrelecapotdelacamionnette.

—Net’aviseplusjamaisdel’approcher!Comme elle se redressait, Ella eut soudain l’impression que l’enfer se déchaînait autour d’elle.

Crissementdepneus.Freins.Sirèneshurlantes.Sidérée,ellevitdéboulerdevantleranchdeuxvoitures

depolice,gyropharesallumés,suiviesd’unpick-upFordd’oùjaillituneversionplusjeunedeGabe—son frèreDane, d’après les photos qu’elle avait vues de la famille.Un autre homme descendit d’unecamionnetteportantlelogo«CabinetvétérinairedeCrystalCreek».Ellel’avaitcontactépourexaminerlebétaildontétaitcensés’occuperTravisDorsche.

Daneseprécipitaverseux.GabetenaittoujoursTravisplaquécontrelecapot,unbrastordudansledos.—Aïe!Tuvasmecasserlebras,gémitcelui-ci.—Laprochainefoisquetuposestessalespattessurelle,jetetue!—Chéri,relâche-le,murmuraElla.Lesflicssontlà.Gabeluiglissauncoupd’œilpar-dessusl’épaule.—Tuvasbien?—Oui.Relâche-le.Elleboitilla jusqu’à luipourposerunemainapaisantesursonépaule.Gabeposa lesyeuxsursa

cheville,puisseretournaversTravis,leregardétincelantderage.—Espèced’ordure,tuluiasfaitmal.Commeillevaitdenouveaulepoing,Danes’interposa.—Ducalme,vieux!Laisselesflicss’occuperdelui.—Jevaism’enoccupermoi-même,rugitGabe.Danetentadel’écarter.—La récompenseestàmoi !hurlaTravis,affalé sur lecapotdesacamionnette, lenezensang.

C’estmoiquil’aitrouvéelepremier!—Encoreunseulmotetjet’arrachelatête!répliquaGabeenessayantderepoussersonfrère.Ellalepritparlebras.—Arrête,Gabe.Ilfinitparsecalmer.—Tuboitesànouveau,dit-il.—Jemesuistordulachevilleentrébuchant.Aussitôt,ils’agenouillapourpalperdélicatementsacheville.—Tumeprésentesouquoi?s’impatientaDanedanssondos.Gabeseredressa.—Ella,jeteprésentemonfrère,Dane.Puis,setournantverscedernier:—Qu’est-cequetufaislà?—Tacopinem’acontactéilyadeuxjourspourmedemanderdetransférersontroupeaudechez

TravisàWolfRanch.LeregarddeGabeseposadenouveausurElla.—Vraiment?—Tucroyaisquej’avaisoubliécespauvresbêtes?—Non,mais…—…avectoutlereste,j’auraispu,conclut-elle.Jesais.Pourautant,jen’aipasoubliécequece

salaudm’a fait, ni la façondont il traite les animaux. Je t’ai dit qu’ilme suffisait depasser quelquescoups de fil pour régler le problème. J’ai donc appelé ton frère et le vétérinaire pour organiser letransfertdesbêtes.LeshérifétaitcenséarrêterTravis.

LeDrPottss’approchaetluitenditlamain.—Ravidevousrencontrer,mademoiselleWolf.QuandnoussommesarrivéschezTravis,ilprenait

la routepourvenir ici.Nous l’avons suivi,maisnous sommesmalheureusementarrivés trop tardpour

l’empêcherdevousbousculer.D’unautrecôté,quelquesminutesdeplusetGabeauraiteuletempsdeluiadministreruneracléebienméritée.Jen’aijamaisvudesanimauxaussimaltraités.

—Ella,pourquoinem’as-turiendit?demandaGabe,interloqué.—J’aiessayédet’enparler,cematin,maistu…tum’asignorée.—Ohchérie,excuse-moi.Gabevoulutlaprendredanssesbras,maisleshériffutplusrapide.Illemenotta.—Qu’est-cequej’aifait?protestaGabed’unevoixrauquedecolèrecontenue.—Onnetapepassurlesgens,mêmes’ilsleméritent.Suis-moi,Bowden.Onvaréglerçaauposte.

TravisseraluiaussipoursuivipouragressionsurMlleWolf.Cedernierétaitdéjàenferméàl’arrièredusecondvéhiculedepolice.Unmouchoirpressésurson

nez,ilcontinuaitdebeugler:—Larécompenseestpourmoi!LeshérifsetournaversElla.—Jevousattendsaupostepourfairevotredéposition,mademoiselleWolf.J’aiparléavecl’agent

spécialSamTurner.Ilm’aassuréquevousrentreriezàNewYorkpourvousprésenterauxautoritésdanslecadredel’enquêtesurlemeurtredevotresœur.

—Jeparsdèsquej’auraifaitmadéposition.Satisfait,leshérifpoussaGabeverssavoitureetl’aidaàs’installersurlabanquettearrière.EllasetournaversDane,figéàcôtéd’elle,leregardinquietrivésursonfrère.—Jevaislesortirdelàpendantquevousvousoccupezdureste,dit-elleendésignantdudoigtles

semi-remorquesquipassaientauloin,surlarouteendirectiondeWolfRanch.Ellen’avait aucune idéedunombredevoyagesnécessairespour transférer toutes lesbêtes,mais

elles seraient bientôt en sécurité, nourries, soignées et correctement traitées, grâce aux bons soins duDrPottsetdeshommesrecrutéspourtravaillersurWolfRanch.Neresteraitplusqu’àconvaincreGabed’enassurerlagestion.

Danehochalatêteavecunegrimace.—Connaissantmonfrèreetsonbesoindetoutcontrôler,quandvousallezluiexpliquervotreplan,

ilnevapasêtreravid’avoirététenudansl’ignorance.—J’avaisl’intentiondeluifairelasurprise.—Parici,nousavonsl’habitudedemeneruneviesimple,sanssurprise.D’autantquedessurprises

commecelle-ci,çan’arrivepastouslesjours,luifitremarquerDane.Etmaintenant,quecomptez-vousfaire?

Elleregardalavoituredepolicedisparaîtreauboutduchemin.—Jevaisfinircequej’aicommencé.—CequisignifiequevousallezretourneràNewYork?—Pourlemoment.—EtGabe,quedevient-ildans tout ça?D’aprèsBlake, il sembleraitqu’il soit raidedinguede

vous.—Jenesaispas.—Biensûrquesi.EllelevalesyeuxsurDaneetplongeadanssonregardbrun,lemêmequeceluideGabe.Unregard

pénétrantquiluiétaitdevenusifamilier.—J’aipasmald’affairesàrégler,dit-elle.RaisonpourlaquelleGabeetmoiavonsremisàplus

tardtoutediscussionconcernantnotreavenir.—MaissivousluiconfiezWolfRanch,c’estparcequevousenvisagezunaveniraveclui?—JeluiconfieWolfRanchparcequec’estsonrêveetqu’ilatravaillédurpourça.Monpèreavait

luiaussibâtisonrêve,maisil luiaétévolé.Celan’arriverapasàGabe.Sonrêve,personnenelelui

enlèvera.J’aipromisdetoutarrangeretjeleferai.Danehaussaunsourcilsurpris.—Blakearaison,vousn’êtespascellequetoutlemondecroit.—Jememoquedecequelesgenspensentdemoi.—MaispasdecequepenseGabe.—Ilsaitquijesuis.—Peut-être.Etjepariequeçaluifaitpeur.—Pourquoi?—Parceque,toutcommemoi,ilseditquevousnetiendrezpasunanici,avantdecreverd’envie

deretourneràNewYorkfairelesboutiques,allerauconcert,aucinéma,dînerdanslesrestaurantschics.Bref,toutpourfuirlasolitudedesgrandsespacesquinousentourent.

—Ehbien, vousmeconnaissezmal, répliqua-t-elle aussi sec.Etvousne savezpas cedont j’aienvie.

Danehaussalesépaules.—Peut-être.Quoiqu’ilensoit,toutcequejevousdemande,c’estd’yallerdoucementavecGabe.

Nelefaitespassouffrirplusqu’iln’adéjàsouffert.—Jeneferaijamaisrienquipuisselefairesouffrir.Votrefrèrem’asauvélavie.Etilnel’avaitpasseulementsauvéed’unemortcertainesuruneroutedéserte,enpleinblizzard.Il

l’avaitaussisauvéedecetteexistencequ’ellecroyaitdevoirmenerpourrépondreauxattentesdechacun.Ill’avaitsauvéed’elle-mêmeenluipermettantdedécouvrirceàquoielleaspiraitvéritablement.Uneviesimpleauprèsdel’hommequ’elleaimait,uneexistencerythméeparlanatureetlesbêtes—s’occuperdeschevaux,conduirelebétailàtraverslespâturages,écouterdelamusiquecountry,passersessoiréesàlamaisonplutôtquedansdesdiscothèquesàlamode.

NewYorkluimanquerait-il?Sansdouteunpeu.Elleyavaitsesamis,seshabitudes.Maisriennel’empêcheraitd’yfaireunsautdetempsentemps.

— J’espère que vous êtes sincère, Ella. Je n’aimerais pas qu’une autre femme lui fasse despromessesqu’ellenetiendrapas.

Ellesoutintsonregard.—Celan’arriverapas,jevouslepromets.Maintenant,jevouslaisseassurerl’installationdubétail

pendantquejem’occupedevotrefrère.—Quandpensez-vousrevenir,touslesdeux?—Gabevoudracertainementrentrerauplusvite.Demoncôté,çarisquedeprendreplusdetemps.Daneluidécochaunregardgenre«c’est-bien-ce-que-je-pensais».—J’aidesemployésetdesresponsabilités,expliqua-t-elle,sanspourautanttranquilliserDanequi

avaitl’airtoujoursaussisceptique.Jenepeuxpasabandonnerl’entreprise.Jeledoisàmasœuretàmesparents.

—Gabepourraitvenirvousaider.Ellesecoualatête.—Savieestici.Danscepays,avecsafamilleetlemétierqu’ilaime.Jen’aipasledroitdelui

demanderdequittertoutçapourmoi.—Etsileplusimportantpourlui,c’étaitvous?—C’estpeut-être cequ’il dira, et peut-êtremêmecequ’il croit.Mais il ne sera jamaisheureux

ailleursqu’ici.Danecontemplaleschampscouvertsdeneige,lesmontagnesbaignéesdesoleil.—Vousallezdevoir fairedeschoixdifficiles.Désolé,Ella,mais je ferai toutpourprotégermon

frère.

—Danscecas,noussommesdeux.Jeleconnais,Dane.Jenepeuxpaschangerl’hommequ’ilest.Etjeneleveuxpas.

Danelaconsidéraavecl’ombred’unsourire.—Décidément,vousne ressemblezpasà la femmedontparlent lesmédias.Vousn’êtespasnon

pluscellequej’imaginaispourmonfrangin.Maisvouspourriezbienêtreparfaitepourlui.—JecroisqueBlakeaditquelquechosed’assezsimilaire.—Normal,noussommesfrères.Bon,fautquej’yaille,conclutDaneenregagnantsonpick-up.Je

m’occupeduranchdeGabeetduvôtrejusqu’àvotreretour.Ah,j’oubliais…Mamanaimeraitvousavoiràdîner.Ellem’ademandédevouslerappeler.

EllehochalatêteavecunsourireetretournachercherdanslamaisonletéléphoneportabledeGabeetsesclésdevoiture.ElleappelarapidementlesdeuxavocatsrecrutésparsessoinsjusteaprèsavoirparléàSam,lematinmême,etleurdemandadevenirlaretrouveraupostedepolicedeCrystalCreek.Ellerassemblaensuitelesdocumentsetlesdossierséparpillésunpeupartoutentrelesalonetlacuisine,lesfourradanssonsacavecsonordinateurportable,passadanslachambrerécupérersesvêtementsetpritdanslapenderieunevalisequ’elleremplitavecdequoihabillerGabepourunesemaine.Puiselleposaletoutsurlesiègearrièredupick-upetmitlecontact.

Elle restaun instant à contempler lamaisonen sedemandant si tout redeviendrait comme lanuitdernière,danslesbrasdeGabe.Ellel’espéraitdetoutsoncœur.

Enquittantleranch,aulieudetourneràdroitepourserendreàCrystalCreek,elletournaàgaucheen direction deWolf Ranch. Les camions étaient déjà en train de décharger le bétail. De loin, Danel’aperçutetluifitsignedes’arrêter.

—Oùallez-vous?CrystalCreek,c’estdel’autrecôté.—Jesais,maisj’aiquelquechoseàrécupérerdanslamaison.—Besoind’aide?—Nonmerci.Commentçasepasse,ici?—Quandonvoitl’étatdecesmalheureusesbêtes,Travismériteraitlacorde.—Jen’iraispasjusque-là,maisilauracequ’ilmérite.—Tantmieux.Onseverrapourledînerchezmaman.Après quoi, Dane alla rejoindre les hommes à cheval qui dispersaient le troupeau dans les

pâturages.QuelquesminutessuffirentàEllapourrécupérerdanslachambreforte lespreuvesdescrimesde

son oncle. Elle prit ensuite la direction de Crystal Creek. En chemin, elle appela l’aéroport pours’assurerquel’avionétaitprêtetvérifierlesderniersdétailsdel’opérationorchestréeparSam.

Ilétaittempsd’enfinir.Maisd’abord,elleallaitcherchersonhomme.

28

Ellapoussalaportedupostedepoliced’ungestedécidé,prêteàaffronterlatâchequil’attendait.Elleparcourutlapièceduregard.Sesavocatsn’étaientpasencorearrivés.—Mercid’êtrevenueaussivite,mademoiselleWolf, lança le shérifdepuis sonbureauenpartie

dissimuléderrièreunmuretquileséparaitdelazoned’accueil.— Je suis venue porter plainte contre Travis Dorsche pour agression sexuelle, tentative

d’enlèvementetmaltraitancesuranimaux.—Ils’agitd’accusationsextrêmementgraves,voussavez.—Cesontlesfaits.Vousallezprendremadéposition.Deleurcôté,mesavocatsaurontunepetite

conversationavecTravisconcernantl’agressionsexuelleetlatentatived’enlèvementsurmapersonne,etils’agiradesavoirsiouiounonGabeBowdenestintervenupourmeprotéger.

Leshérifhochalatête.—Jevoisoùvousvoulezenvenir.—Jesavaisquevouscomprendriez.Resteàsavoir jusqu’oùTravisDorscheestprêtàaller.S’il

veutlaguerre,ill’aura.—Jenevoudraispasêtreàsaplace,fitremarquerleshérifavecunegrimace.—Eneffet.ToutcommeTravisallaitbientôten faire l’amèreexpérience, sononcleallait lui aussidécouvrir

qu’elleétaittoutlecontraired’uneciblefacile.Ellenelâcheraitrienetmettraittoutenœuvrepourquejusticesoitrendueetenvoyercesfumiersderrièrelesbarreauxpourlongtemps.

Elleneressentaitplusnidoutesnicraintes.Etc’estavecassurancequ’ellefitsadéposition.

***

Assissurlacouchetteétroite,dosaumur,Gabeserepassaitenbouclelascènedelanuitdernière.Ellaet lui au lit,unis corpset âmedansune totalecommunionqu’iln’avait connueavecaucuneautrefemme.Aupetitmatin,ils’étaitréveilléconscientducaractèreéphémèredecettebulledebonheuroùiln’yavaitqu’eux.

Aprésent,c’étaitterminé.EllaallaitdevoirrentreràNewYork,obtenirjusticepoursesparentsetsasœur,dirigerl’entreprisefamilialeetreprendresavied’autrefois,celleàlaquelleelleétaithabituéedepuis toujours. Le Montana et les bras d’un cow-boy, c’était bon pour pleurer, se cacher et seressourcer, mais sa vie n’était pas là. Un week-end de temps en temps, peut-être. Mais pas une vieentière.Or,lui,cequ’ildésirait,c’étaitunevieentièreavecelle.Saufqu’elleavaitdesresponsabilitésàl’égard de son entreprise et de ses employés. Et s’il y avait bien une chose qu’il avait apprise la

concernant,c’estqu’elleavaitunsensaigududevoir.Alors,commentsonrêvedelavoirvenirvivreiciavecluipourrait-ildevenirréalité?

Les jours qu’ils venaient de passer ensemble resteraient comme les plus beaux de sa vie. Cettefemme, il l’aimerait jusqu’à son dernier souffle. Et même s’il espérait secrètement qu’elle luidemanderaitdelasuivreàNewYork,ilsavaitqu’ilneseraitpasheureuxlà-bas.Non,celanepourraitpasmarcher.Quoi qu’il fasse, quoi qu’il arrive, cela se terminerait forcément par un désastre.Mieuxvalait la laisser partir maintenant et ne garder que de merveilleux souvenirs des moments passésensemble.Dessouvenirsqu’ilseremémoreraitquandelleluimanquerait.Autantdireàchaquesecondedechaquejour.

C’étaitainsi.Ilavaitfinipartrouverl’âmesœur,maisleurhistoireétaitsurlepointdesetermineravantmêmed’avoir réellement commencé.Dès l’instantoù il l’avait rencontrée,EllaWolfn’avait étéqu’unecomètetraversantsonexistence.

—Salut,cow-boy!lançaElla,l’arrachantàsesmornespensées.Jesuisvenuetefaireévader.J’aideuxchevauxquinousattendent.Filonsd’icietdisparaissonssouslesoleilcouchant.

Ilvoulutsourire,maisn’eneutpaslecourage.—Oùallons-nous?LaGrossePomme?—L’avionnousattendsurletarmac.Ilne relevapas. Il secontentadese redresseretdedévisagerEllad’unair sceptique,de l’autre

côtédesbarreauxdelacellule.Visiblementmalàl’aise,ellebaissalatête,levisagemasquéparlerideaudorédesescheveux.—Excuse-moi,Gabe.—Pourquoi?Pourêtrecellequetues?Jet’aimetellequetues.Ellerelevalesyeuxsurlui.—Jesuisparfoismaladroite.Jeregrettedenepast’avoirparlédubétailetduranch.Jevoulaiste

fairelasurprise.—Mafoi,c’estréussi.Jen’imaginaispasquetupuissesenfaireautantensipeudetemps,juste

avecuntéléphoneetunordinateur.—Jesuisunefillepleinederessources.Elledésignalesdeuxhommesencostume-cravatequis’avançaientverseux.—Jenepouvaispasabandonnercesbêtesauxmainsd’unsaletypecommeTravis,reprit-elle.Ce

bétailabesoind’êtrecorrectementtraité.Tul’asdittoi-même,iladelavaleur.Quiplusest,turêvaisd’acquérir Wolf Ranch et tu as versé une grosse somme d’argent à mon oncle. Je t’avais promisd’arrangerleschoses.

—J’étaisloindepenserquetum’embaucheraispourfairetournertonranch.—Pasmonranch.Tonranch.Il ne pouvait évidemment espérer que cela signifie qu’elle avait décidé de vivre ici avec lui.

Pourtant,l’espaced’uninstant,ilsepritàrêveravantderedescendresurterre.—Qu’entends-tuparlà?—Entantquefemmed’affaires,j’aiunepropositionàtefaire.—C’estpourçaquecesmessieurssontici?Elleacquiesçad’unhochementdetête.—Jenepeuxplusfaireconfianceauxavocatsdel’entreprise,niàceuxdelafamille.Aussiai-je

louélesservicesdeM.CrawfordetdeM.White.IlssontvenustoutspécialementdeBozeman.—Tuessérieuse?—Biensûr.IlssonticipourleverleschargesquipèsentcontretoisuiteàlaplaintedeTraviset

officialisernotreaccord.

C’étaitdoncainsiqueçaseterminerait.Ilauraitlesterres,maispaslafemme.S’ilavaitcrusouffriravecStacy,cen’étaitrienencomparaisondel’étauquiluibroyaitlecœur,encetinstantmême.

Appuyantl’épaulecontrelesbarreaux,ilregardafixementcettefemmequ’ilcroyaitconnaître,maisqu’ilnecomprenaitpas.

—Explique-moienquoiconsistecetaccord,dit-il.—C’est trèssimple.TuasachetéWolfRanchpourunmillionetdemidedollars.Commetul’as

découvert,aucoursactueldumarché,ilenvautdixfoisplus.—Ettum’offresquoi,exactement?Unboulotderégisseur?L’amertumeluibrûlaitlagorge.—Non.Unpartenariat. Je tecède20%ducapitalpourunmillionetdemi.C’estuneexcellente

affaire.Tu t’installes dans lamaison, tu supervises l’élevage, tu étends les activités comme tu l’avaisprévuettugèresl’affaire.

—Sijecomprendsbien,jefaistoutleboulotetjerécupère20%desprofits.—Tupossèdes20%,maislesprofitsserontrépartisentrenous,25/75.—Tutetailleslapartdulion.—Non.C’esttoiquirécupèresles75%.C’esttoiquimontesl’affaire.Jefournislesterresetle

bétail.Tuenfaiscequetuveux.—C’estbientoiquim’asconseillédememéfierdesmarchéstropbeauxpourêtrevrais?C’est

quoi,lacontrepartie?Ellesourit.—AngeletBelle.—Teschevaux?—Blakeestenroutepourallerleschercheretlesramenerici.Jeneveuxpasleslaisserseulslà-

bas.Gabe cligna des yeux et ses mâchoires se crispèrent. C’était clair. De retour à NewYork, elle

n’auraitmêmeplusdetempspourseschevaux.Etencoremoinsdetempspourlui…—Quelleorganisation!s’exclama-t-il,unrienmoqueur.Qu’as-tufaitd’autre,cesderniersjours?Ellaperçutlapointedesarcasmeetsoutintsonregard,avantderépondredoucement:— J’ai appris qu’un drame pouvait parfois ouvrir la voie vers le bonheur. Je ne te remercierai

jamaisassezpourtoutcequetuasfait.—Et c’est pour cette raison que tum’offresWolfRanch ?Transformant tout ce que nous avons

partagéenunsimpleaccordcommercial!Cettefois,iln’avaitpudissimulerlarancœurdanssavoix.—Cen’estpasvrai!protestaElla.Ettulesaistrèsbien.Maisceliensiparticulierentrenousne

changerienàmesobligationsenverstoietmafamille.J’aipromisderéparerlestortsdemononcleàtonégardetc’estcequejefais.S’ilyabienuneseulechosedontjesuiscertaine,c’estqueWolfRanchestl’endroitdontturêvais,etquetuyserasheureux.

Lesderniersmotsressemblaientàunadieu.Gabeavaitl’impressionqu’unelamedéchiquetaitsoncœur.Commentpourrait-ilêtreheureuxsans

elle?Ilvoulaitleluidire,maislà,toutdesuite,c’étaitimpossible.Pasaveclesdeuxtypesencostume,plantés à quelques pas d’Ella, qui faisaient mine de ne rien voir et rien entendre, alors qu’ils n’enperdaientpasunemiette.

—Onenrediscuteraplustard,dit-il,faisanttairesacontrariété.Etmaintenant,sors-moid’ici.Dansl’immédiat, ilnelalâcheraitpasd’unesemelletantquesononcleneseraitpasderrièreles

barreaux.Certes, l’accord qu’elle lui proposait l’exaspérait,mais il ne serait pas stupide au point derefuserl’uniquemoyenderesterencontactavecelle—mêmesicen’étaitqu’épisodiquement.

Elleluisourit.

—M.Crawfordaquelquespapiersàtefairesignerpourleranch.QuantàM.White,ilapasséunmarchéavecTravisquiafinalementdécidédenepasporterplaintecontretoi.

—Parcequ’ilétaitclairquevousdéfendiezMlleWolficiprésente,l’interrompitl’avocatd’untonpontifiant.MlleWolfavaiteneffettoutlieudecroireàunenouvelleattaquedelapartdeM.Dorsche,étantdonnéqu’ill’avaitdéjàagresséesexuellementetlaisséepourmortesurlarouteenpleinetempêtedeneige,sansaucunmoyende…

—Merci,monsieurWhite,l’interrompitEllaavecunemimiqueagacéeàl’adressedeGabe.Pourfairebref,Travisretiresaplaintecontretoiàconditionquejeretirelamiennecontrelui.

—Tuveuxrire!Cesalaudafaillitetuer!—Oui,maissanslui,jenet’auraispasrencontré.Gabene trouvarienàdire.Cesmots le touchèrentenpleincœur. Ilprit lamaind’Ellaet l’attira

plusprès.—Sors-moid’icitoutdesuite,murmura-t-il.Ilavaittellementbesoindelatenirdanssesbras.—Crawford,lespapiers,dit-elleentendantsamainlibre.Signeici.—Quoi!protestaGabe.Tunemelaisseraspassortirsijenesignepascetaccord?Elleconfirmad’unbattementdecils.—C’estunebonneaffaire.Signe.—Etsijeveuxdavantage?Cen’étaitpas20%deci,75%deçaqu’ilvoulait.C’étaitelle,qu’il voulait.Elle tout entière.

Mêmesicelasemblaitimpossible.Ellesoutintsonregard.—J’aimeraistedonnercequetusouhaites,Gabe.Maisjenepeuxpas.Pasencore.—Samestprêt?demanda-t-il—Toutestenplace.Ilsuffitquejeluiapportelespreuves.LeregarddeGabes’étrécit.—Nousallonslesluiapporter.Jeviensavectoi.—J’espéraisquetumeleproposerais.—Displutôtquetusavaisquejeteleproposerais.—C’estvrai.Jet’aimêmepréparéunbagage,carnouspartonsimmédiatement.—J’espèrequetesquartiersnew-yorkaissontplusconfortablesquecelui-ci.—Jecroisquel’appartementteplaira.—Danscecas,donne-moicespapiersquejelessigne.Ellelesluitenditavecunsourireradieuxquiluialladroitaucœureteffaçalesdoutesqu’ilavait

surleurrelation—toutaumoinspourl’instant.Ilsignasansvérifierlesclausesducontrat,sachantqu’ilpouvaitluifaireentièrementconfiance.

Les avocats, qui s’étaientmomentanément éclipsés, revinrent avec le shérif. A la seconde où laportedelacellules’ouvrit,GabepritElladanssesbras.

Ellesepelotonnacontrelui.—Çava,chérie?—Là,toutdesuite,jemesensmerveilleusementbien.Il laserraplus fort.Oui,encet instant,dans lesbras l’unde l’autre, ilsétaientmerveilleusement

bien.Maisceladurerait-il?L’appréhensiondeGabes’accrutlorsque,enarrivantàl’aéroportdeBozeman,ils’aperçutqu’ilsne

monteraientpasdansunvolrégulier,maisdansunjetprivéspécialementaffrétépourlesemmeneràNewYork.C’étaitau-delàdecequ’ilpourraitjamaissepermettre,oumêmeimaginer.

Ilsparlèrentpeupendantlevol.Assiseàcôtédelui,latêteposéesursonépaule,samaindanslasienne,Ellaavaitfermélesyeux,sansdoutepourmieuxseprépareràcequil’attendaitetqui,illesavait,neseraitpasfacile.

Vingtminutesavantl’arrivéeàNewYork,elleluifitsignederegarderparlehublot.Ilsepenchapourcontemplerlespectacle,desmillionsdelumièresmulticolores,scintillantdemillefeux,immobilesoumouvantes.Iln’avaitjamaisrienvudepareil.

Elleposaunbaisersursatempe.—BienvenueàNewYork,chéri.

29

Dèsl’atterrissage, l’instinctprotecteurdeGabereprit ledessus.Ilsentraiententerritoireennemi,celuidePhillipWolf.

Quand les consignes de sécurité s’éteignirent, il déboucla aussitôt sa ceinture et aida Ella àrassemblerleursaffaires.Aupieddelapasserelle,unelimousinelesattendait.Unhommes’avançaverseux.

—C’estlui?demandaElla.Gabehochalatête.—Sam,dit-ilenposantsonsacetceluid’Ellapourprendrelamaintendue.Lesdeuxhommesavaient fait connaissance seulementquelquesmoisplus tôt, lorsdumariagede

CalebetSummer,maisilss’étaientaussitôtappréciés,etl’accoladeentreeuxfutfraternelle.—JeteprésenteEllaWolf.—Ravidefaireenfinvotreconnaissance,mademoiselleWolf.—Appelez-moiElla.Enchantée,Sam.Désoléepourleretard,maisilm’ad’abordfallusortirGabe

deprison.Samglissauncoupd’œilamuséàcedernier.—Ques’est-ilpassé?—J’aiabîmélenezdutypequiafaillituerElla.— Travis Dorsche, je suppose. Ellam’en a parlé. Lui aussi est dans le collimateur du FBI. Et

maintenantquevousêteslà,nousallonspouvoirpasseràlavitessesupérieure.J’aimispasmald’agentssurlecouppoursurveiller lesprotagonistesdecetteaffaire.L’objectifestdelesarrêter tousenmêmetemps,afindeneleurlaisseraucunechancederéagir.

—Parfait.N’attendonsplus, alors, déclaraElla en s’avançantd’unpasdécidévers la limousinedontlechauffeurluiouvraitdéjàlaporte.

SamsetournaversGabe.—Elleestencoreplusbellequesurlesphotos.—Baslespattes.Elleestàmoi.—J’aibiencompris.Ilsuffitdevoirlafaçondontelletedévoredesyeux.Ellevas’installerdans

leMontana?—Non. Oui. Enfin, je ne sais pas. Nous n’en sommes pas encore là, marmonna Gabe, frustré.

Combiendetempsdevraitprendrel’opération?—Paslongtemps.Silespreuvesquevousapportezsontsanséquivoque,l’affaireseraboucléed’ici

àdemainsoir,unefoisquetoutcebeaumondeauraétémisenexamenetplacéendétention.Biensûr,ilfaudraquelquesmoisdeprocédurejusqu’auprocès.

—Ellava-t-elledevoirtémoigner?—Cela dépendra de la solidité des preuves et dumode de défense dePhillipWolf. S’il plaide

coupableounon.—Ellet’aexpliquécequis’estréellementpassé.— Oui. J’ai parlé avec elle près d’une heure au téléphone, ce matin. C’est une histoire

épouvantable. Ce soir, je vais examiner les preuves que vous avez apportées et vous expliquer lesmodalités de l’opération qui sera menée demain, conjointement avec les hommes de la police new-yorkaise.

—Comptetenudesrelationsqu’entretientPhillipWolfaveccertainsdesesresponsables,n’est-cepasrisquédetravailleraveceuxsurcetteaffaire?demandaGabe,inquiet.

Samsourit.—Aucontraire.Toutleméritedel’arrestationleurreviendra,etc’estl’occasionpoureuxdefaire

leménagedansleursrangsenéliminantlesflicsvéreux.—Tuescertainqu’Ellaestensécurité?—Oui, tantque tu restesprèsd’elle à cogner sur lesméchants.Par ailleurs,des agents assurent

discrètementsaprotection.Gabejetauncoupd’œilapprobateuraumalabarportantunecasquettedechauffeurquichargeaitle

coffreaveclescartonscontenantlespreuvescontrePhillipWolf.Samluidonnaunetapeamicalesurl’épaule.—Viens,ilesttempsdepasseràl’action.Nousavonsunhommeàabattre.—Jem’enseraisvolontierschargémoi-même.—Nousdevonslefairedanslesrègles.J’aiunelonguelistedechefsd’inculpationcontreluietje

veuxlecoincerpourchacund’eux.—Messieurs!lesapostrophaElladepuislavoiture.Vousvenez,ouiounon?—Autoritaire,lademoiselle,plaisantaSamavecunclind’œilcompliceàl’adressedeGabe.—C’estunefemmedécidéequerienn’arrête.—Quandonpossèdesafortune,toutestpossible.Gabe ne répondit pas et se rembrunit. Jusqu’à présent, il n’avait jamais vraiment réfléchi à la

fortune d’Ella, en dehors du fait qu’elle était propriétaire d’un énorme ranch. Il la voyait davantagecommeunefemmed’affairesquecommeunehéritièreimmensémentriche.Bonsang!Tantdechoseslesséparaient…

—Ilnes’agitpasd’unecompétition,luifitremarquerSam,devinantsespensées.Vousmenezdesexistencestrèsdifférentes.Elleestcequ’elleest.Ettoi,tuescequetues.Cequicompte,c’estcequ’ilyaentrevous.Leresteestsansimportance.

—AudétailprèsquejevisdansleMontanaetelleici.—Cen’estpasincompatible.Beaucoupdegenspartagentleurvieentredeuxendroits.Pourquoine

pourriez-vouspasenfaireautant?—Acauseduranch,pourcommencer.— Ilme semble que tu peux compter sur l’aide de tes frères. Et puis, les cow-boys que tu vas

embaucherpourronttoujoursfairetournerleranchentonabsence.Ilfautsavoirdéléguer.—Messieurs!lesapostrophadenouveauElla,deboutdevantlavoiturecettefois,lespoingssurles

hanches.L’horlogetournependantquevouspapotez!Gabe la regarda, l’ombre d’un sourire songeur sur les lèvres. Sam n’avait pas tort. Peut-être

pourraient-ils s’organiser pour vivre entreNewYork et leMontana.Certes, ce n’était pas ainsi qu’ilimaginait laviedecouple.Celadit,Ellan’étaitpasnonplus legenrede femmequ’il imaginait à sescôtés.Alors pourquoi ne pas tenter de trouver un arrangement qui leur permettrait de vivre ensemble,sansquenil’unnil’autrenesoitobligédetoutabandonner?

***

EllaentrelaçasesdoigtsàceuxdeGabeetjetauncoupd’œilsursamontre.Alorsqu’ilsquittaientl’aéroport,Samavaitreçul’appeld’undesesagentsleprévenantquePhillip

Wolfvenaitdeconvoquerlesmédiaspouruncommuniquédepresse,devantletribunal,danslasoirée.Ilsavaientaussitôtprisladirectiondupalaisdejustice.

La presse était arrivée, et on installait une estrade de fortune au sommet des marches. Lesjournalistesjetaientdescoupsd’œilcurieuxsurlalimousineauxvitresteintéesgaréeencontrebas,ensedemandantquipouvaitbiens’ytrouver.

Ella observait la foule sans unmot. Ils étaient venus assister à un spectacle et elle allait le leuroffrir.

—Jenepeuxpascroirequetononcleaitleculotdeteniruneconférencedepressepourt’accuserpubliquementdumeurtredetasœur,marmonnaGabe,incrédule.

Ellehaussalesépaules.—Moi, cela nem’étonne pas. Enm’accusant publiquement, il espère éloigner les soupçons qui

commencentàpesersurlui.Lesjournalistesposentdesquestions.Etcertainsdemesamisonteuxaussidesrelationshautplacées.S’ilsfontsuffisammentdebruit,leministèredelaJusticepourraitremettreencausel’enquêtedel’inspecteurRobbins.Etça,mononclenepeutselepermettre.

Gabehochalatêteendirectiondelavitreteintée.—Levoilàquientreenscène.— Parfait. Que le spectacle commence ! déclara Ella en posant la main sur la poignée de la

portière.Gabesepenchapourl’arrêteravantqu’elleaitmislepieddehors.—Attendsuneseconde.Commentsais-tuqu’iln’estpasarmé?—Jenelesaispas.Surce,elleouvritlaportièreetdescenditdevoituresanssesoucierdelavoléedejuronslâchée

danssondos.—Bonsang,tumériteraisunefessée,grondaGabe.—J’aihâtedevoirça,répliqua-t-elle,moqueuse.Maissinousenvenionslà,chéri,net’inquiète

pas,jetesortiraisànouveaudeprison.—J’espèrebien,marmonna-t-ilsanspouvoirs’empêcherdesourireendépitdescirconstances.Dès qu’ils l’aperçurent, des journalistes tournèrent leurs appareils photo vers elle. Des flashs

crépitèrent.Sur l’estrade, PhillipWolf ne l’avait pas encore repérée. Les avocats de la famille, l’inspecteur

Robbins,d’autreshautsresponsablesainsiquelemédecinlégistel’entouraient,l’airgrave,attendantleurtourpouraccuserEllad’avoircommisl’impensable.

—Manièceadisparudepuislemeurtredesasœur…,commençaPhillipWolf.—Jen’aipasdisparu,mononcle.Jesuislà.Lesjournalistess’écartèrentpourlalaisserpasser.SerrantlamaindeGabe,ellegravitl’escalieret,lentement,s’approchadesononcle,savourantla

stupéfactionpeintesursonvisage.C’était sans doute la première fois que les traits de cet homme figés par les injections deBotox

affichaientunevéritableexpression,songea-t-elle,sarcastique.Sessoinsesthétiqueshorsdeprixallaientluimanquer,enprison.Peut-êtreluiferait-elleparvenirunpotdecrèmeantiridesdesanouvellegammedeproduitscosmétiques.

Passélepremierinstantdesurprise,PhillipWolfseressaisittrèsrapidement.

—Ella, dit-il, pesant chacun de sesmots, le regard rivé sur les journalistes. La police souhaitet’interroger.Ilssaventquetuastuétasœur.

—Ditesplutôtquevouslesavezpayéspourfalsifierlespreuvesetdirigerlessoupçonssurmoi,répliqua-t-elle,glaciale.C’estvousquiavezassassinémasœur.

—Chèreenfant,tunesaispascequetudis.Tuasperdulatête.—J’étaislà,mononcle.Dansl’appartement.JevousaivutirersurLela.—Allons,c’estabsurde.Jel’aimaiscommemaproprefille.Pourquoiferais-jeunetellehorreur?— Pourquoi ? Mais tout simplement parce que vous convoitez depuis toujours ce qui ne vous

appartiendra jamais. Il y a dix ans, vous avez assassinémon père, votre propre frère, pour tenter deprendresaplace.C’estcequeLelaavaitdécouvert.

Ellesortitl’enregistreurdesapocheetlemitenmarchedevantlesmicros.—Qu’est-ilarrivéàvotreépouse?—PhillipWolfl’aassassinée…Ellelaissal’enregistrementsedéroulerdevantunefouledejournalistesmédusésquisepressaient

surlesmarchesentendantleurmicropournepasperdreunseulmotdelaconfessiondumécanicienquiavaitsabotél’aviondufondateurdeWolfEnterprises.

—Mensonges!s’écriaPhillipWolf,levisageluisantdesueur.Tuasfabriquécetenregistrementdetoutespièces!

Ivredecolèreetdepeur,illasaisitparlecoldesonmanteauetlasoulevalittéralementdeterrepourluicracherenpleineface:

—Tuesmalade.Ilfauttefairesoigner.Gabe abattit sesmains sur ses épaules, lui faisant lâcher prise. Et tandis que Sam tirait Ella en

arrière, ilagrippalecoudedePhillipWolfd’unemainpourlefairepivoterversluiet luibalancerunuppercutquil’envoyaautapissouslesyeuxd’unefouledejournalistessidérés.

—NeposezplusjamaisvossalespattessurElla.Lesappareilsphotosedéchaînèrent,immortalisantl’imaged’unPhillipWolfàterre,lenezensang,

hurlantderage.—Jeporteplaintepouragression!—Vousn’êtespaslepremierdelajournée,répliquaGabeencédantlaplaceauxagentsduFBI.Sams’approcha.—MonsieurWolf,vousêtesenétatd’arrestationpourlesmeurtresdeLelaetStuartWolf,ainsique

de trois autres personnes. Je vous arrête également pour escroquerie, détournement de fonds et vold’œuvresd’art.

— C’est un coup monté ! protesta Phillip Wolf en tentant de retrouver un semblant de dignité.Demandezàl’inspecteurRobbins.Ilvousconfirmeraquec’estcettefollequiatuésasœur.Leresteestlefruitdesesdéliresdetoxicomane.

—Regardezautourdevous,mononcle, intervintElla.L’inspecteurRobbinsestégalementenétatd’arrestation.Dèsqu’ilentreradanslasalled’interrogatoire,jesuisprêteàparierqu’ilneseferapasprierpoursemettreàtableetnousprécisercombienvouslepayez,etdonnerlesnomsdetousceuxàquivousversezégalementdespots-de-vin.

—Tun’asaucunepreuve!—Détrompez-vous.Enplusdu témoignagedumécanicienqui a agi survotreordre et dontvous

avezfroidementabattul’épouse,nousavonslaboîtenoiredel’avionet lajaugetrafiquée.Nousavonsaussidécouvertlesdisparitionssoi-disantaccidentellesdescomptableschargésdevérifierlescomptesdeWolfEnterprises.

Ellevitlesyeuxdesononcles’écarquillersousl’effetdelapanique.

—Enlèvement,chantage,pots-de-vin,détournementsdefonds,falsificationsdepreuves,énuméra-t-elleavecun«tss-tss»désapprobateur.Vousn’avezpaschômé.Jemedemandecequejevaisdénicherdanslestiroirssecretsdevotrebureau.

Foufurieux,PhillipWolfbaissalatête,teluntaureau,etvoulutlacharger,maislesagentsduFBIleretinrentsouslesflashsdesappareilsphoto.

Ellerécupéral’enregistrementqu’elletenditàSamettournaledosàsononcle.Puisellefenditlafoule des journalistes qui la bombardaient de questions, Gabe sur sa gauche, un agent du FBI sur sadroite,etsononclequivociféraitderrièreelle.

Commeilssefrayaientuncheminjusqu’àlavoiture,unefemmeauvisagechiffonnévintseposterdevantelle,luibloquantlepassage.Gabes’interposaaussitôt.

—Quiêtes-vous?—Jem’appelleRose.JesuislapetiteamiedePhillip.—Fichelecamp,Rose!hurlacedernier.Rose,lediminutifde«Rosalind».Leprénomdesamère,réalisaElla.Undiminutifaffectueuxdont

l’usageétaitexclusivementréservéàsonépouxbien-aimé.Uneétrangeappréhension l’étreignit.Elledétailla lafemme.Mêmetaille,mêmelonguechevelure

brune,mêmeyeuxverts…Unerafaledevententrouvritsonmanteau,dévoilantunerobedesoieprune.Unerobequ’ellesesouvenaitavoirvuesursamèreautrefois…

Déstabilisée,elleplissalesyeux,regardasononcle,puisdenouveaulafemmequ’elleexaminadeplusprès.Oui,laressemblanceétaitlà,maisilyavaitsurtoutlesvêtements.Etlesbijoux.Tousavaientappartenuàsamère.C’étaitcommesiPhillipavaitvoulula…recréer.

Le cœur auborddes lèvres, elle se tournade nouveauvers sononcle.Etait-il possible qu’il aitassassinésonfrèrepourtoutautrechosequel’argent?

Elle avait l’impression qu’une boule brûlante grossissait dans sa gorge. Oh mon Dieu… Unsacrilègedeplusàajouteràlalonguelistedespéchésdesononcle.«Tuneconvoiteraspasl’épousedetonfrère.»

—Vousêtesunmonstre!s’écria-t-elleenlefusillantduregard.Jeveilleraiàcequevousrécoltiezcequevousméritez.

—Vousnepouvezpas faireça !protestaRose.Qu’est-ceque jevaisdevenir?Phillip, tuavaispromisdet’occuperdemoi.

Ecœurée,révoltée,EllasetournaversSam.—Arrêtez-la.Elleportelesvêtementsetlesbijouxdemamère.—Maisjen’airienfait!s’exclamaRosed’unevoixplaintive.—Nousverronsbien,répliquaElla,incapabledesupporterdavantagelavuedecettefemme.Les agents duFBI repoussèrent les journalistes.Unbraspassé autourde sa taille,Gabe entraîna

Ellaverslavoitureetseglissasurlabanquettearrièreàcôtéd’elle,àl’abridesappareilsphotoetdesquestions.

Ils restèrent de longuesminutes sans bouger. PuisGabe effleura tendrement sa joue du bout desdoigts,luiarrachantunprofondsoupir.

—Commentvatamain?demanda-t-elleenexaminantsesphalangesdontlapeauavaitéclatésouslaviolenceducoupdepoingqu’ilavaitassenéàPhillip.

—Pastropmal.Jesurvivrai.Tononcleaussi,malheureusement.Elleposaunbaisersursesdoigtsabîmés.—Tuestrèsdouépourbriserlesnez,àcequejevois.— J’ai compris la technique au lycée. Quand j’avais dix-sept ans, j’ai dûme battre contre une

véritablebrute.—Laisse-moideviner.Jepariequec’étaitpourunefille.

—Cen’étaitpasmafautesiellemepréféraitàcettetêted’abruti.Quoiqu’ilensoit,j’avaisbeaucognersurcetype,ilserelevaitetmeretombaitdessus.Alorsjeluiaimismonpoingaumilieudelafigure,jeluiaicassélenezetçal’aarrêténet.Encasd’agression,ilfautviserlenez.Celafaitunmaldechienetçasaigneénormément.Toutcesangquidégoulinedanslenezetlagorgeempêchetonadversairederespirer.

—C’estbon!s’exclama-t-elleavecunegrimacehorrifiée.N’endispasplus!Tais-toi.—Bonneidée,approuvaGabeenposantseslèvressurlessiennespourl’embrasser.Jesuisfierde

toi,chérie,murmura-t-ilcontresabouche.—Ilmeresteencoretantàfaire.—Ilesttard.Tun’espasfatiguée?—Si,maisnousdevonsattendrequeSamaitterminéici,pourallerchezmoi.Sonéquipevamener

une nouvelle perquisition. Notamment dans la chambre de mon oncle. Cela te dit de voir monappartement?

—Ilestdelamêmetaillequetonranch?—Notreranch.Tuenesaussipropriétaire.Etc’esttoiquivaslefairetourner.Gabenerelevapas.Dèsqu’ellefaisaitallusionàl’avenir,ilsetaisait,commes’ilcraignaitdedire

quelque chosequi pourrait rompre le fragile équilibre entre eux, avait-elle remarqué.Elle lut sur sonvisagelamêmegênequelorsqu’ilavaitdécouvertlejetprivé,leslumièresdeNewYorkoulalimousineavecchauffeur.Cen’étaitqu’unaperçudel’existencequ’ellemenaitetdéjà,ilsemblaitmalàl’aise.

—Autantteprévenir,l’appartementestluxueux,reprit-elle,s’efforçantd’adopteruntonléger.Monpèreavait l’habituded’y inviter sespartenairesenaffairespour les impressionner,etmamèreprenaitplaisiràledécorer.Lelaetmoi,nousavonsgrandidanscetenvironnementet,d’unecertainefaçon,nousnenousrendionspascomptequenousvivionsdifféremmentdelaplupartdesgens.

Gabecontinuaitdesetaire.—Jesuissûrequelepersonnelteplaira.IlyaMary,LeeetFelicity.—Tum’asdéjàparlédeMary.—Elle a toujours été là. C’est un véritable cordon-bleu. Une oreille attentive qui distribue ses

conseilsaumomentdudessert.—Tuluiracontaistespeinesdecœur?—Toujours.—Jepariequ’elleteconsolaitentedisantquecesgarçonsneméritaientpasunefillecommetoi.—Jamaisdelavie.Ellemedisaitd’arrêterdefaireladifficileetdevouloirtoutrégenter,parce

queçalesfaisaitfuir.Selonelle,jesuisunbrintropautoritaire.—J’aivuçaquandtum’asfaitsignerlecontratstipulantquejevaisdevoirm’occuperd’unmillier

detêtesdebétail.—Etcelat’ennuie?—Pasdutout.Ellel’observaavecattention.Pourquoin’avait-ilpasl’airsicontentqueça?Laquestionétaitsur

leboutdeseslèvres,maisSamouvritlaportièreetmontadanslalimousine.—L’inspecteurRobbinsaétéplacéendétention,annonça-t-il.Ilessaiedenégocierunaccord.Les

avocatsquiontpassésoussilencelesdernièresvolontésdevotrepèreontégalementétémisenexamen.Euxaussisontprêtsàpasserunaccord.Ilsvontprobablementvousproposeruneénormesommed’argentenguisededédommagement.Grâceauxpreuvesquevousavezdécouvertesdanslesfichierscomptablesde l’entreprise et grâce à votre responsable du service informatique, nous avons également pu arrêterplusieursmembresdeladirection.

Ellafitunpetitsigneauchauffeur,etlalimousinedémarraetpritladirectiondeCentralPark.

—Unedouzainedevosemployéssontimpliquésdanslesdétournementsdefonds,poursuivitSam.Laplupartontobéiauxordrespourconserverleurjob.

—J’examineraichaquecasindividuellement,déclara-t-elle.Dansl’immédiat,jevaisdevoirfaireunedéclarationauprèsdupersonnel.

—Lapresseetlespaparazzisvousattendentdéjàaupieddevotreimmeuble,précisaSam.—Génial,marmonnaGabe,visiblementagacé.—Désolée,chéri,j’auraisdûypenser.Posantlamainsursonbras,elleluisourit.—Hé,tuasdéjàassommédeuxhommes,aujourd’hui.Tupeuxbienajouterquelquespaparazzisà

tonpalmarès.—Jevaisfinirparcroirequetuprendsplaisiràmesortirdeprison.—Jepaiedesavocatsunefortune.Ilfautbienqu’ilsjustifientleursalaire.Gabesepenchaetlafittaired’unbaisersurleslèvres.—Tantpiss’ilyafouleenbasdecheztoi,dit-il.Ons’enmoque.L’essentiel,c’estdeterminerau

plusvitecequenoussommesvenusfaireici.—Tusais,jen’aipastrèsenviederetournerdanscetappartement,avoua-t-elle.J’aipeur.Lelaet

moi, nous ne sommes jamais entrées dans la chambre de mon oncle. Autrefois, c’était celle de mesparents. En plus, je suppose qu’il a gardé des affaires demaman… Je n’aurais jamais imaginé qu’ilpuisseentretenirsonsosie…

Lerestedutrajetsedérouladanslesilence.Samlaissaéchapperunjuronenapercevantl’attroupementdevantl’immeuble.—Gabe,tupassesdevant,Ellatesuitetmoi,jefermelamarche.Ontraverselafoulesanss’arrêter.—Compris,réponditGabeenouvrantlaportière.Ellaavaitl’habituded’êtrelacibledesphotographesetdesjournalistes,maislàc’étaitdifférent.Ils

sepressaientautourd’elleen l’assaillantdequestionsàproposdesasœuretdesononcle, les flashscrépitaient. Mais Gabe la tint fermement par la main, et lui fraya un chemin jusqu’à l’entrée del’immeuble.

Arrivéesurleperron,elles’immobilisabrusquement.—Attends,dit-elleentirantsurlamaindeGabepourleforceràs’arrêter.— Avancez, Ella, lui conseilla Sam. Il y a une enquête en cours. Ne dites rien qui pourrait

compromettrelaprocédure.—Jesais,Sam.Maisilyaunechosequejetiensàmettreauclair.Ellesetournafaceàlafouledesjournalistes.Lesilencesefit instantanémentquandellesemità

parler.—Mononcleaassassinémasœur,Lela.Aveclacomplicitédecertainsresponsablesdelapolice

etautrespersonnalités influentes, ilacouvertsoncrimeetmaquillé lespreuvespouressayerdemelefaireendosser.

—Oùétiez-vous?lançaunjournaliste.Pourquoirevenez-vousseulementmaintenant?Elle ignora lapremièrequestion,conscientede l’intérêtprovoquépar laprésencedeGabeà ses

côtés.D’autresquestionsfusaientdéjààsonsujet.Elleleséludaaussi.— Avant de revenir, il me fallait d’abord rassembler des preuves. C’est ce que j’ai fait ces

dernièressemaines,etvousensaurezplusdemain.Maisjeveuxquelesgenssachentquemasœurétaitunepersonneadorable,belle,intelligenteetgénéreusequineméritaitpasdedisparaîtresitôt,etdansdesconditionsaussiatroces.

Bouleversée,elleseretournaversGabequil’enveloppaaussitôtdesesbras.—Monsieur,quellessontvosrelationsavecMlleWolf?

Ella sentit Gabe se raidir. Redressant la tête, elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule aujournalistequisavaitqueses lecteursdésireraientforcémentensavoirplussur lebeauténébreuxavecelle.

—C’estmon…«Petitami»nereflétaitpascequeGabeétaitpourelle.Ilétaitbienplusqu’unhommeavecqui

ellesortait.Ilétaitaussibienplusqu’unamant.—C’estl’hommequej’aime,répondit-ellesimplementenlevantlesyeuxsurlui.Sonregardnoiretbrûlantluicoupalesouffle.Ilresserral’étreintedesesbrasetellefonditcontre

lui.Les appareils photo crépitèrent, lesmicros se tendirent,maisGabe l’entraînait déjà dans le hall

d’entrée, tandisqueSam, leconciergeetdeuxagentsduFBIsepostaientdevant lesportes,empêchantquiconquedelessuivre.

Gabeenfonça leboutond’appelde l’ascenseur. Ils s’y engouffrèrent, et elle composa le codedel’appartement.

Alasecondeoùlesportesserefermèrent,Gabelapoussacontrelemurdelacabineetécrasaseslèvressurlessiennesdansunbaiserardent.

Quandlesportesserouvrirent,ils’écarta,lalaissantlecœurbattant,lesoufflecourt.—Tupensaisvraimentcequetuasditauxjournalistes?demanda-t-il.Ellesouritetlevalesyeuxsurluienposantsespaumesdemainbienàplatsursontorse.—Detoutmoncœur.Gabeouvritlabouchepourdirequelquechose,maiselleposaunindexsurseslèvres.—Net’inquiètepas.Çavamarcher.Jetedemandejustedepatienter,denepasrenoncer.Promets-

le-moi.Illacontemplapendantcequiluisemblaêtreuneéternité.Puislesoulagementéclairalentementson

visage.—Promis.Elleluipritlamainetentradansl’appartement.Ilss’immobilisèrentaumilieudel’immensehalldemarbre,brillammentéclairéparunsomptueux

lustreencristal.Au-delà,deuxmarchesdescendaientdansunsalonauxdimensionsimpressionnantes.SurunluxueuxcanapéenformedeU,troishommessirotaientuncaféenéchangeantdesdocuments.MaryetFelicityétaientassisessurunechaisedechaquecôtédesportesclosesdelabibliothèque.

Ellafrissonna,assaillieparleflotdesimagesatroces,impriméesàjamaisdanssamémoire.Souslaviolenceduchoc,ellereculad’unpas.

Percevantsondésarroi,Gabeenveloppasesépaulesd’unbrasprotecteur,solideetrassurant.Ellesentitlachaleurdesonsoufflesursajoue.

—Respire,luiordonna-t-ildoucement.Ellefitcequ’ildisait,inspiralonguement,profondément,etl’angoisses’apaisa.—Fantastiquetonappartement,chérie.Lavueest…Lesmotsmemanquent.LabaievitréeoccupanttoutunpandemuroffraitunpointdevuemajestueuxsurCentralPark.Ella

contemplauninstantlesétoilesetpritdenouveauunegrandeinspiration.—Machérie!s’exclamaMary.Tevoicienfinderetouràlamaison!Oui.Lamaisonoùsasœurétaitmorte.Disparue.Ajamais.Leslarmesaffluèrentdenouveau.MaryetFelicity seprécipitèrentpourvenir la serrerdans leursbras.Ellaaccueillit leurétreinte

avecémotion,maisneputlaleurrendre,tantladouleurderetrouverceslieuxsanssasœurétaitgrande.Unsanglotenflaitdanssagorge.Lesdeuxfemmess’écartèrent,leursregardsemplisdecompassion.

—Chérie,calme-toi.Jesuislà.

LavoixdeGabel’enveloppadesadouceur.Sesmainssursesjoueslarassurèrent.Elles’agrippaàses poignets, bouleversée, consciente qu’il fallait qu’elle se reprenne et pourtant follement avide des’abandonneraurefugedesesbraspouroubliertoutlereste.

Rassemblantsoncourage,elleredressalatêteetessuyaseslarmes.—Ella,tuesvenueavecunami?demandaFelicity.Cettedernièreétaitauservicedelafamilledepuisplusieursannées.Elles’occupaitdel’entretien

delamaisonetdescourses.—JevousprésenteGabe.GabeBowden.Jel’airamenéavecmoiduMontana.Gabesourit.—Tuparlesdemoicommesij’étaisunsouvenir?—Plutôtunrêvedevenuréalité,murmura-t-ellerienquepourlui.Ilposasurelleunregardsiardentqu’ellesentitsesgenouxtrembler.—MademoiselleWolf,noussommesduFBI,intervintl’undeshommesenselevantducanapé.Sam

Turnernousademandédeleretrouvericiavecunmandatdeperquisition.Gabes’effaçapourlalaisserreprendrelescommandes.—Felicity,nosbagagessontenbas,danslavoiture.Fais-lesmonterdansmachambre,s’ilteplaît.

Mary,peux-tupréparerdequoigrignoterpourGabe?Puis,setournantverslesagentsduFBI:—Messieurs,puis-jevoirlemandatdeperquisition?EllelutlemandatetSamentra,accompagnéd’uneéquipedelapolicescientifique.—Ella,nousaimerionsvoirlachambredevotreoncle.Elle désigna l’escalier et leur fit signe de la suivre.Arrivée à l’étage, elle longea le couloir et

s’arrêtauninstantdevantuneporteouverte.—Votrechambre?demandaSam.—Non.Celledemasœur,murmura-t-elle.Percevantsondésarroi,Gabelapritparlamainetl’entraînaplusloin.—Lachambredetononcle,c’estlaquelle?—Auboutducouloir.Lentement,ilsremontèrentlecouloir,etelles’immobilisadevantladoubleporteenchênerichement

ouvragée, lecœurbattant, lagorgeserrée.Fermant lesyeux,elle revit lachambredesesparents tellequ’elleétaitavantquesononcleneviennes’installerici.ElleserevitavecLeladescendrelecouloirencourant,ouvrirgrandcesportesetgrimpersurlelitdeleursparentspourlesréveilleretseblottirentreeuxenriantsouslescâlinsetleschatouilles.C’étaitletempsdesjoursheureux.Letempsoùelleétaitaiméeetprotégée.

—Ella?LavoixdeSaml’arrachaauxsouvenirs.—Vousn’êtespasobligéed’entrer.Vouspouvezattendredehors,sivouspréférez.Ellesecoualatête,posalesmainssurlespoignées,tournaetpoussalesbattants.—OhmonDieu!s’exclama-t-elled’unevoixétranglée.—Qu’ya-t-il?demandaGabe.— Rien n’a changé. Tout est resté exactement comme du temps où c’était la chambre de mes

parents…Ellecontemplalesmurslavande,l’édredonpourpresurlelitàcolonnes,lescommodesenboisde

rose,lacollectiondemiroirsanciensdesamère,sesflaconsdeparfumencristal.Maisauxmursetsurchaquemeuble, des dizaines de photos de samère qui n’y étaient pas autrefois, réalisa-t-elle soudainavecstupéfaction.

Ellen’encroyaitpassesyeux.OnclePhillipétaitréellementobsédéparsabelle-sœur.

—Ella?Ellesursauta,seforçaàreveniràlaréalitédumomentetàcequel’onattendaitd’elle.—Oùestlecoffre-fort?demandaSam.Elles’avançaversledressingetjetaunregardhésitantàGabe.—J’aipeurdecequejevaisdécouvrir,murmura-t-elle.—Celanepeutêtrepirequecequetuasdéjàvu,lemeurtredetasœur,unemaîtressequiestle

parfaitsosiedetamère,etunechambrequiressembleàunsanctuaire.MaryetFelicitynet’enontjamaisparlé?

—Non.Ellesn’étaientpasautoriséesàentrerici.SeulLeeétaitauserviceexclusifdemononcle.—Trouvez-moicethomme,lançaSamàsesagents.—Jem’enoccupe,ditl’und’euxenquittantlapièce.Ellaprituneprofondeinspirationetpoussalaportedudressing.Elleaperçutlemiroirenpieddesa

mère, les costumesde sononcle et diversvêtements suspendus tout autourde lapièce, les chaussuresalignéessurlesétagères.Riend’anormal.

Aumurdufondétaitaccrochéuntableaudeprèsdedeuxmètresdehaut.—Envoilàunquetononcleagardé,fitremarquerGabe.—Ilnepouvaitpass’endébarrasser.Ilestsolidairedumur.Ellesebaissapourpresserlecoininférieurdroitdutableau,justesouslasignaturedupeintre.Avec

unlégerchuintement,lepanneausedéplaça,révélantlaported’unénormecoffre-fort.Derrièreelle,Samouvritundossierets’avança.Suivantlesinstructionscontenuesdansuneannexe

autestamentdeStuartWolf, ilcomposalacombinaisondechiffresactionnant l’ouvertureducoffre.Lalourdeportes’ouvrit.

Ellacontemplalesdocuments,lesliassesdebilletsetlesécrinsvidesquiavaientautrefoisabritélesbijouxdesamère.

—Avec Lela, nous adorions jouer à nous déguiser avec les vêtements et les bijoux demaman,murmura-t-elle.Aprésent,ilssontchezcettefemme,lamaîtressedemononcle.

—Jeveilleraiàcequ’ilsvoussoientrendus,promitSam.Elleluiadressaunsourirereconnaissantetsepenchapourexaminerlecoffredeplusprès.—Jenevoispaslemédaillonquemononcleaprissurlecorpsdemasœur.Ildevraitpourtantêtre

là.Abandonnant le coffre-fort aux agents du FBI, elle fit lentement le tour de la chambre. Sur un

guéridon, près de la fenêtre, trônait une boîte en nacre, richement ouvragée. Lorsqu’elle souleva lecouvercle,elleydécouvritlesdessinsqu’elleavaitréalisésavecLelaquandellesétaientenfants.

— Je ne savais pas que maman les gardait, murmura-t-elle d’une voix tremblante d’émotioncontenue.

Gabeposaunemainréconfortantesursonépauleetsepenchapourregarderlesdessinsenfantins.—Lesmèresontuneadmirationinconditionnellepourlestalentsartistiquesdeleursenfants.Jesuis

certainquelamienneagardéunebonnepartiedemesœuvres.—Jepariequetudessinaisuniquementdeschevaux.—Commetoi,répliquaGabeenmontrantundessinlareprésentantdetouteévidence,juchéesurun

chevalnoir,unecouronnesurlatête.Laplupartdesfillesrêventqu’unchevalierenarmureétincelante,montésurunfierdestrierblanc,vientlessauver,maispastoi,chérie.Tuesuneprincessequimonteàcheval,prêteàaffronterl’ennemi.Pasbesoind’unchevalierpotdecolle.

Elleneputretenirunsourire.—Celaneveutpasdirequejenerêvepasd’uncow-boy,dit-elleenposantunbaisersursajoue.Ellerefermalaboîteetbalayalentementlachambreduregard,enessayantdesemettredanslatête

de son oncle. En apparence, tout avait l’air normal. Exactement comme l’image qu’il donnait de lui.

Costume,chemiseetcravatepoursedonnerdustyle.Boutonsdemanchetteetépinglesàcravatecommemarques extérieures de richesse, pas trop ostentatoires cependant pour ne froisser personne. MaisderrièrecetteapparentenormalitésedissimulaitlevéritablePhillipWolf.

Irrésistiblementattiréeparl’armoirenormande,elleouvritgrandlesportes.Lemonstreétaitlà…Sur l’étagèreducentre,desphotophoresentouraientunephotodesamèrenue,deboutdevantune

fenêtre,lalumièredusoleilglissantlelongdesoncorps,tandisqu’ellelevaitlesbraspourattachersescheveux.

—Oùa-t-ilbienpuprendreuntelcliché?s’exclamaGabe.—Jecroisqu’ils’agitdelachambredel’appartementparisiendemesparents,murmuraEllad’une

voixétranglée.Ondiraitquemamans’apprêtaitàprendreunbain.—Ellenesedoutaitpasquesonbeau-frèrel’espionnait,ditGabeavecunegrimaceécœurée.Révoltée,Ellacouchalecadresurl’étagèrepourneplusvoirlaphotoetserralespoings.—Laprisonesttropbonnepourunêtreaussipervers,laissa-t-ellesèchementtomber.Saplaceest

enenfer.Machinalement,sonregardseposasuruneboîteenboisaucouvercleornéd’unloupenmétaldoré.

Unétrangepressentimentl’étreignit.—Sam,venezvoir.Ils’approcha,enfiladesgantsettentadesouleverlecouvercle.Sanssuccès.—Uncasse-tête?demandaGabe.Ellehochalatête.—Cetteboîteappartenaitàmonpère,maisjenemesouviensplusdel’astucepourl’ouvrir.—Eh,lesgars,l’und’entrevousaurait-iluntournevisàmeprêter?lançaSamàsescoéquipiers.—Non,nel’abîmezpas!Laissez-moiréfléchiruneseconde.Samluitenditunepairedegants.—Enfilezça.Toutcequis’ytrouvepeutconstituerunepièceàconviction.Elleenfilalesgants,examinalaboîteetfinitpardécouvrirqu’ilsuffisaitd’appuyersurlaqueuedu

loup pour déverrouiller le couvercle. Le cœur battant, elle le souleva, certaine de ce qu’elle allait ytrouver.

LemédaillondeLelatachédesang.D’unemaintremblante,ellelesortitetleplaçadanslesachetqueluitendaitSam.Danslaboîte,ily

avaitaussiunpistoletBeretta.Ellevérifialenombredeballesdanslechargeur.Ilenrestaittrois.—Sam,serait-ilpossibledevérifierquelesballesquionttuélecomptable,M.Reiser,lorsdesa

prétendueagression,sontbienlesmêmesquecellesretrouvéessurlecorpsdel’épousedumécanicienetceluideLela?

— La balistique nous le dira, répondit Sam en enfermant l’arme du crime dans un sachet. Sanscompter que ce revolver ne devrait pas se trouver là. Robbins va devoir nous fournir quelquesexplicationssupplémentaires.

Aufonddelaboîte,Elladécouvrituncahier.Ellel’ouvritetreconnutaussitôtl’écritureélégante.—Lejournalintimedemamère,murmura-t-elleenletournantversGabe.—Maiscen’estqu’unesuitedechiffres.—Mesparentsutilisaientuncodesecretpours’écriredesmotsd’amour.—Tusaisledéchiffrer?Elleacquiesçad’unsignedetêteetpritlebloc-notesetlecrayonqueluitendaitSam.Illuifallut

plusieursessaispourserappelerlacléducode,maisensuitedécrypterletextefutunjeud’enfant.Etcefutd’unevoixtremblantequ’ellelut:

—«Phillipveutmeposséderdelamêmefaçonqu’ilveutpossédertoutcequeStuartabâti.Ill’aassassiné,jelesais,j’ensuiscertaine,maisjenepeuxleprouver.Ilmetueraaussisanshésiter,sijeneluidonnepascequ’ilveut.Maisiln’obtiendrarien.Jeneseraijamaisàlui.Jevaisl’attirerdansnotrepropriétédecampagneetenfiniraveclui.Jen’aipasd’autrechoixpourprotégermesfilles.EllaetLela,meschéries,jevousaimedetoutmoncœur.»

—C’esttout?C’esttoutcequ’elleaécrit?demandaSam.Lavuebrouilléeparleslarmes,Ellaparcourutlesdernièrespagesducahier.—Elleparledel’obsessiongrandissantedePhillipàsonégardetcombiençal’effraie.Ellerelevalesyeux.—Jenecomprendspas.Commenta-t-ilpus’imagineravoirlamoindrechanceavecmaman?Tous

ceuxquilaconnaissaientsavaientqu’aucunautrehommenepourraitjamaisremplacermonpèredanssoncœur.Ellel’adorait,etquandelleadécouvertqu’onclePhillipl’avaittué,elleacertainementvoulusevenger.

— D’après ce qui est écrit dans son journal, il semble en effet qu’elle ait eu l’intention del’éliminer,observaGabe.

Ellehochalatête.—Oui.Ellel’aattiréàlacampagne,sachantqu’ilneseferaitpasprierpourêtreseulavecelle.

Mais ensuite, quoi qu’elle ait tenté, l’empoisonnerou l’abattre, cela s’est retourné contre elle et c’estmononclequiaeuledessus.Ill’atuéeenfaisantcroireàunsuicide…

L’énormitédetoutcelalarattrapa,lapercutateluncoupdepoingenpleinepoitrine,luicoupantlesouffle.

—OhmonDieu…Pendanttoutescesannées,j’aicruquemamans’étaitpendueparcequel’amourqu’elleportaitànotrepèreétaitplusfortquesonamourpournous.

Legoûtacidedelaculpabilitéluibrûlaitlagorge,àprésent.—Acausedemononcle,je…jel’aidétestée.Jecroyaisqu’ellenousavaitabandonnées.Elle ne s’était jamais autorisée à pleurer lamort de samère. Elle ne s’était jamais autorisée à

admettre qu’elle lui manquait. Et maintenant… Toutes ces émotions refoulées débordaient, lasubmergeaient,menaçantdel’entraînerdansunabîmededésespoirsansfond.Leslarmesruisselaientsursesjoues,témoinssilencieuxdesadouleur.

Gabepritsonvisageentresesmains,caressantduboutdesdoigtssesjoueshumides.Ilcherchasonregard.

—Ellenevousajamaisabandonnées,chérie.Elleatentédevousprotéger.Elleserralespoings,frémissantederageetdechagrin.—Ce salaudme les a tous enlevés…Papa,maman,Lela.Toutes cesviesvolées.Etpourquoi ?

Pourl’argent,cracha-t-elle,dégoûtée.—Tononcleserapuni,chérie.—Ce journalnepeut servirdepièceà convictionpour lemeurtredevotremère, intervintSam.

Saufaveuxdelapartdevotreoncle,jevaisdevoirdemanderuneexhumationducorpsetunenouvelleautopsie.

Ellasecoualatête.—Non.Laissonsmaman reposerenpaixauprèsdemonpère.Bientôt,Lela ira les rejoindre. Ils

saurontquej’aifinicequ’ilsavaientcommencé.Samn’insistapas.Ilpritlaboîteetallarejoindresescoéquipierspourlasuitedelaperquisition.Commeellenebougeaitpas,Gabel’enlaçasansunmotet l’entraînahorsdelachambrejusqu’au

salon.Marys’approchaaussitôtavecunplateau.

—MonsieurBowden,voiciunsandwichetunebièrepourvous.Ella,monange,jet’aipréparéunjusdefruitsetunesaladeaupoulet.

Ayantretrouvélecontrôledesesémotions,Ellalaremerciad’unepressionaffectueusesurl’épaule.—Merci, Mary. Tu peux poser le plateau sur la table basse. Nous allons attendre ici que ces

messieursduFBIaientterminéleurtravail.Assure-toiqu’ilsontducaféetdequoigrignoter.—Biensûr.Jem’enoccupetoutdesuite.GabeattenditqueMaryaitquittélapiècepours’asseoirsurlecanapé.Ellas’installasursesgenoux

etseblottitaussitôtcontrelui.Ilexaminasonsandwichd’unœilincrédule.—Jerêveouc’estunsandwichaufiletmignon?Elleyjetauncoupd’œil,leluipritdesmainsetmorditdedans.—Jeconfirme.Avecducheddar,delamoutardedeDijon,delalaitueetdesoignonsrouges.C’est

bon.Goûte,dit-elleenluitendantlesandwich.Gabeencroquaunmorceau.—Délicieux.Dixminutesplustard,Samfitirruptiondanslesalon.—Ella,noussommesprêtsàpasserlabibliothèqueaupeignefin.—Ellen’entrepaslà-dedans,décrétaGabed’untonquin’admettaitaucunediscussion.Faitesvotre

boulotsanselle.—Ecoute,vieux,ceseraittoutdemêmeplusfacilesiellenousdécrivaitlascèneet…—Pasquestion.Elleabesoindesereposer.CommeEllaneprotestaitpas,Sampritseulladirectiondelabibliothèque.—Jenepeuxpas,murmura-t-elle.—Jesais,ditGabeenlaserrantcontrelui.Mange.Commeelleavaitdéjàgrignotélequartdesonsandwich,ilgoûtalasalade.—Excellent!Ilfautquej’embaucheunecuisinière.Ellelaissaéchapperunpetitrire.—Eneffet,confirma-t-elle.De toutefaçon,c’estçaou tudevras temettreauxfourneauxsi tune

veuxpasquenousmourionsdefaim.Tusaisbienquejesuisnulleencuisine.Unetelledéclarationindiquaitclairementqu’elleentendaitvivreaveclui,maisGabenefitaucun

commentaire.—Danscecas,ilnemeresteplusqu’àprendresoindetoi,dit-ilavecunsourireaucoindesyeux.Elleposaunbaisersursajoue.—Tulefaissibien.

30

Gabe sortit de la salle debains, habillé pour affronter la journée,mais il était fatigué. Il n’avaitguèredormiplusdetroisheuresetEllasansdoutepasplusd’unepetiteheure.Iln’avaitqu’uneenvie:laramenerillicodansleMontana,loindececauchemar.

IlavaitétébouleversédelatrouversanglotantenpleinenuitdanslachambredeLela.Ilavaiteubeaufaire toutcequ’ilpouvaitpour luimanifestersonamouret lui fairecomprendrequ’elleneseraitplusjamaisseule,iln’avaitpasréussiàlaconsoler.Aufonddelui,ilétaitconscientqu’elledevaits’ensortir par elle-même, à son rythme et à sa façon.Mais la voir souffrir ainsi lui brisait le cœur et lelaissaitdésemparé.Etildétestaitsesentirimpuissant.

Il descendit au rez-de-chaussée, stupéfié par le luxe de l’appartement, et ouvrit la double portedonnant sur le salon gigantesque prolongé par une terrasse dominant Central Park. C’était l’un desquartierslespluschersdelaplanète.Ellaétaitriche.Immensémentriche.Elleétaithabituéeàvivredansun tel luxe, tandis que lui… il se sentait totalement déplacé. Il se faisait l’effet d’un gamin dans unmagasindeporcelainequin’osetoucheràrien.

IllatrouvaassiseàlatableducoinrepasavecMaryetFelicity,toutestroispenchéessurleurbloc-notes.

Ellalevalesyeuxetsouritenlevoyant.Comme lecarillonde laported’entrée retentissait,Felicity sedépêchad’allerouvrir, tandisque

Marys’esquivaitdiscrètement.Ellas’approchadeluiet,nouantlesbrasautourdesanuque,l’embrassa.Unbaiserquiavaitungoût

decaféetdedésespoiraussiàlafaçondontellepressaseslèvrescontrelessiennes.—Jen’aimepasmeréveillersanstoiàmescôtés,murmura-t-ilenlaserrantcontrelui.—Jenepouvaispasdormir.Tropdechosesàfaire.—Tuasbesoinderepos.—J’aiseulementbesoindetoi,murmura-t-elleenposantlatêtesursonépaule.IlembrassasescheveuxetrelevalesyeuxsurSamquiarrivait,letéléphoneàl’oreille.—Oui,ilestici.Jetelepasse.Gabepritlecombiné.—Allô?—Salut,frangin.C’estCaleb.—Oh!Salut.Quesepasse-t-il?—Bonnenouvelle.Summerestenceinte!Jevaisêtrepapa!LecœurdeGabesegonfladebonheur.—Félicitationsàtouslesdeux.C’estpourquand?

—Finseptembre.—Génial!C’estformidable,Caleb.Jesuisvraimentcontentpourvous.—Merci, frangin.Ecoute, jeneveuxpas te retenir trop longtemps.Samm’amisaucourantet je

saisquevousavezuntasdechosesàréglercematin,mais je tenaisà tedirecombienjesuisheureuxpour toi.BlakeetDanene tarissentpasd’élogessurElla.J’aihâtede laconnaître. Il fautque l’onsevoie.Appelle-moidèsquevousenaurezterminélà-bas.

—Jen’ymanqueraipas.EmbrasseSummerpourmoi.—Biensûr.Aplus.Incapablededissimulersajoie,GaberenditletéléphoneàSamavecunimmensesourire.—Quesepasse-t-il?demandaElla.Vousavezdesminesréjouies,touslesdeux.—MonfrèreamislasœurdeSamenceinte.Nousallonsêtretontons!réponditGabeentapantdans

lamaindeSam.Ellasourit.—Félicitations.Voilàunbébéquiadelachance.Ilauraunonclepourjouerauxgendarmesetaux

voleurs,etunautrepourjouerauxcow-boysetauxIndiens.Gabeperçutcependant la lueurdetristessedanssesbeauxyeuxverts.Ellen’entendrait jamaissa

sœurluiannoncercettemerveilleusenouvelle.Ellesnepartageraientjamaiscetteformidableexpériencededonnerlavie.Ilyavaittantdechosesqu’ellesnepartageraientjamais.Ettoutessereflétaientdanssonregardempreintdemélancolie.

Ilpritsamainetembrassaleboutdesesdoigtsenlaregardantdroitdanslesyeux.— La future princesse aura peut-être une tante fortunée qui l’emmènera faire les boutiques sur

MadisonAvenue.Ellesoutintsonregard.Puislança,avecunemoueespiègle:—Etsic’estungarçon?—Peut-onacheterunemototrialsurMadisonAvenue?s’enquitSamenriant.—Jevaismerenseigner,répondit-elle.Aucasoù.Gabe aurait voulu lui demander si c’était au cas où ce serait un garçon, ou bien au cas où elle

accepterait de l’épouser. Demander, c’était facile. En revanche, concevoir la réalité d’une telleéventualité, c’étaitnettementplusdifficile, surtoutdanscet environnementpourmilliardairesquandonn’étaitqu’unsimpleéleveurdebétail.

—Ilesttempsd’allerrendrevisiteàvotreoncle,annonçaSam.Çaira,Ella?—Jesuisprête.Gabeaperçutsur la table labrochured’uneagenceimmobilièrenew-yorkaise. Il levasurEllaun

regardinterrogateur.—Jevaisvendrecetappartement,répondit-elleàsaquestionsilencieuse.—N’est-cepasprématuré?—Jenepeuxplusvivreici,Gabe.—Mais…—J’aiunepropriétéàlacampagneetjepeuxtoujoursacheterunautreappartementenville,maisje

neveuxplusremettrelespiedsici.—Sic’esttonsouhait.—Çal’est.Tusaiscequej’aiapprisenvoyantRose,hiersoir?Mêmesij’aitrouvéinsupportable

devoircettefemmeporterlesvêtementsetlesbijouxdemamère,l’essentiel,cen’estpasça.L’essentiel,cesontlessouvenirsquejegardedemesparentsetdemasœur.Conservercetappartementoulevendren’ychangerarien.Cessouvenirsresterontgravésdansmoncœuretdansmamémoire.Ilscomptentplusquetoutlereste.

—Maisunefoisquetoutecetteaffaireauraétéréglée,turéagiraspeut-êtredifféremmentauboutdequelquetemps,luifit-ilremarquer.

—Non.L’existencequej’aimenéeiciestrévolue.J’avaisdéjàl’intentiondechangerdèsqueLelaetmoiaurionseufêténosvingt-cinqansetprisladirectiondeWolfEnterprises.Maislesévénementsdecesdernières semainesontaccéléré leschoses.Monmondeabrusquementbasculé. J’aichangé. Jeneveuxpasmecontenterdefairetournerl’entreprisefamiliale.Jeneveuxpasvivreaveclesfantômesdupassé.C’est tropdouloureux. J’enmourrais. Je veuxuneviequi vaille la peined’être vécue, unevieremplied’amour,dejoies,d’amiset,jel’espère,d’unefamille.Jesuisprêteàtoutpouryparvenir,maisavantcela,ilmefautd’abordclorecechapitredemonexistence.

Gabepritsamain.—Alorsallons-y.Finissons-en.

31

Ella contempla le visage tuméfié de son oncle. Son nez cassé avait été pansé. Il avait l’airparfaitementridicule,assisfaceàelle,surunechaisedel’autrecôtédelatablemétallique,danslapetitesalled’interrogatoiredupostedepolice,avecsonsourirearrogant,sûrdelui,endépitdesasituation.

—Ella,trèschère,assieds-toi,tuasl’airfatiguée.—Fatiguéedevous,mononcle.Aussi, jenevaispasm’éterniserenvotrecompagnieetc’est la

dernièrefoisquenousnousvoyons.—Tucroisça?—Oui.Vousallez finirvos joursavec lescriminelsdevotreespèce.Enferméàviederrière les

barreaux.—Tuoubliesquej’ailesmeilleursavocatsdupays.Ellesecoualatête.—Vous faiteserreur.Désormais, c’estmoiquidisposedesmeilleursavocats.Lesvôtresontété

arrêtéslanuitdernière.Ellemarquaunepauseetajouta:— Vous pensiez pouvoir vous en tirer, mais c’était compter sans la mauvaise conscience d’un

homme.—Tuveuxparlerdel’enregistrement?Ilaététrafiqué.—Maispaslespiècesàconviction.Lesourireironiquedesononcles’estompa.Depetitesgouttesdetranspirationperlèrentsursalèvre

supérieure.—L’hommequevous avez forcé à saboter l’aviondemonpère avait eu laprésenced’esprit de

déroberlajaugetrafiquéeetlaboîtenoire,expliqua-t-elled’unevoixglaciale.Illesacachéespendanttoutescesannées,enpleurantsursoncrimeetlamortdesonépouse.

Elleposasur la table le sachetenplastiquecontenant laphotodeMarjorieFinney,bâillonnéeetligotéesurunechaise.

—Vous,faceàlafemmequevousavezfroidementabattued’uneballeenpleinetête,précisa-t-elleendésignantlerefletdesononcledanslemiroir.FinneyacontactéLela,illuiatoutracontéetremislespreuvesdusabotage.Lelaaégalementdécouvert lesdossiersconstituésparnotrepèreconcernantvosmagouillesfinancières.Desdossiersqu’ilcomptaitutiliserpourvousrenvoyer,ilyadixans.Alorsvousl’avezfaitdisparaître,luiaussi,sanshésiter.Votreproprefrère…Demoncôté,j’aiépluchélescomptesdelacompagnie.Vousnousvolezdepuisdesannées.

—Tun’asaucunepreuve.

—Bien sûr que si.Les bilans comptables, ou leur absence en l’occurrence, nementent pas.Lesdépôtsd’argent survos comptesdes îlesCaïmansnemententpas.Lesvirementspour entretenir votremaîtressenemententpas.Lespots-de-vinversésàl’inspecteurRobbinsetautrescomplicesnemententpas.LeFBIamenéuneenquêteapprofondieàcesujet.Enrevanche,ilauraitétéplusdifficiledeprouverquevousavezaussiassassinéM.Reiser, lecommissaireauxcomptesdeWolfEnterprises,abattu lorsd’unetragiqueagression.N’oublionspasMarjorieFinney.Parchance,unephotoestparfoisplusparlantequedesmots.Vousmedirez,celaneprouvepasquec’estvousquiluiaveztiréuneballedanslatête.Saufquevousavezcommisl’erreurdeconserverlerevolverquiaserviàcedoublemeurtre.Unmotifsupplémentaired’inculpation.Détentiond’armesnondéclarées.

Ellemarquaunepause,letempsquesesparolespénètrentl’esprittroublédesononcle,puisrepritfroidement:

— Prouver que l’accident de voiture de M. Trahan, l’autre commissaire aux comptes, étaitégalementunmeurtreauraitété impossiblesivousn’aviezpaseubesoinde l’inspecteurRobbinspourvousdébarrasserduvéhiculeavec lequelvousavezenvoyé lemalheureuxdans ledécor.Décidément,vousn’aimezpaslescomptables.Saufs’ilstravaillentpourvous.Quoiqu’ilensoit,Robbinsl’agardée.Lavoiture.Danslegaraged’uncousin.Pendanttoutescesannées.Histoired’assurersesarrièresaucasoùvousauriezl’intentiondeledoubler.

Sononcleladévisagea,lestraitsdéformésparunrictusdehainepure.Ellesoutintsonregard.—Etmaintenant,venons-enaumeurtredeLela,poursuivit-elle.Mêmesijevousaivutirersurma

sœurdemespropresyeux,c’étaitmaparolecontre lavôtreetchacunsaitquevousavezdesrelationshautplacéesunpeupartout.Cequi,soitditenpassant,n’estpluslecasaujourd’hui.Maislàencore,vousavez omis un détail. Vous avez effacé vos empreintes sur le revolver, certes,mais pas celles sur lesballes.Deplus,l’inspecteurRobbinsaavouéavoirfalsifiélerapportd’enquêtem’accusantdumeurtredemasœur.Naturellement,ilapréciséquec’étaitvouslemeurtrier.VousluiavezégalementremislesbijouxdeLeladanslemouchoiraveclequelvousvousêtesessuyélevisage.Làaussi,lestestsADNnemententpas.

Rougedefureur,sononcleselevad’unbondendépitdesespoignetsmenottés.Sansciller,ellelerepoussasursachaiseviolemment.

—Assis.Jen’aipasterminé.Ilsepenchaenavant,lestraitsconvulsésparlarage.—Tun’esqu’unemisérablegarce!hurla-t-il,perdantsonsang-froid.Gabefitaussitôtirruptiondanslapièce.—Toutvabien,chéri,lerassura-t-elle.Gabehaussaunsourcilsceptique,maisseretiranonsansavoirfusillésononcleduregard.Quandelleavaitdemandéàvoir sononcle seule, il s’était inquiété,mais il avaitcomprisàquel

pointc’étaitimportantpourelle.Lespoliciersn’avaientpasétéravisnonplus,etSamavaitdûsebattrepourluiobtenircetentretienentêteàtête.

—Qu’est-cequetufichesaveccepéquenaud?s’exclamasononcle,leregardmauvais.—C’estunhommebien.Vousneluiarrivezpasàlacheville.—Jememoquedecequetupensesdemoioudecequetucroissavoirsurmoi.Mesavocatsvont

lancerunebataillejuridiquequidureradesannées.Le ton était toujours aussi arrogant,mais une pointe d’hésitation trahissait les premières fissures

danssaconfiance.Elleledévisageafroidement.—Vouscomptezlespayercomment,vosavocats?J’aidemandéaujugedegelertousvoscomptes

bancaires.Etcomptetenudesénormessommesd’argentquevousavezponctionnéesdansmoncapital,ilnevousresteraplusunpennyquandvousm’aurezremboursée.

—Tun’aspasledroitdefaireça!—Détrompez-vous. Jene suisplus sousvotre tutelle. Jene l’ai d’ailleurs jamais été, si l’on en

croitlesclausesduderniertestamentdemonpère.Alorsvoicimaproposition.Vousplaidezcoupableetje veux bien payer un avocat pour vous représenter et établir un arrangement raisonnable avec leprocureurfédéral.Jevousrappellequepèsentsurvousdeschargesd’uneextrêmegravitéjustifiantunepeinedeprisonàperpétuité.Vouspourrezpeut-êtrenégocier leminimumincompressibledevingt-cinqans.Maiscen’estpassûr.

—Cessedemeparlercommeàungamin!—Pourquoi?Vousavezagicommeunenfantpourrigâtéquis’appropriecequineluiappartient

pasetquis’enprendàtousceuxdontiln’obtientpascequ’ilveut.Sivousneplaidezpascoupable,vousn’aurezqu’àtentervotrechanceavecunavocatcommisd’office.

—Cen’estpasjuste!Elleluijetaunregardméprisant.—Soyezadulte,mononcle.Affrontezlesconséquencesdevosactes.Cequejevousproposeest

justeetéquitable,etvousn’enméritezpastant.Vousavezassassinémafamille!Elleprituneprofondeinspirationet,s’appuyantdesdeuxmainssurlatable,écrasasononcledeson

mépris.—Vousétiezobsédéparmamèreetvousl’avezassassinéeparcequeceluiqu’elleaimait,c’était

monpère.Pasvous.Le visage congestionné par la colère et la frustration, son oncle frappa la table de ses poings

menottés.—Ellem’arepousséetelleatentédemetuer!Elleneméritaitpasdevivre!Ilvenaitd’avouerlemeurtredesabelle-sœur.Ellaseredressa.Lecœurlourd,ellesecoualatête.—Vous n’avez pas hésité à éliminer votre propre frère pour prendre sa place. Puis vous avez

éliminé la femme que vous désiriez parce qu’elle avait choisi de rester fidèle à sonmari disparu etqu’ellenevoulaitpasdevous.

—Tais-toi!Tunesaispasdequoituparles!—Vraiment?Moi,jecroisquec’estpourcelaquevousdormiezdanslachambredemamère,dans

sonlit,entourédephotosd’elle.C’estpourcelaquevousavezdénichécettefemme,désespéréeaupointd’accepterdejoueràvotrepetitjeutorduetd’assouvirvotrefantasmeensefaisantappelerRose,ensedéguisantaveclestenuesetlesbijouxdelafemmequevousavieztuée,laseulequevousayezsansdoutejamaisaimée.

Lesilences’abattitsurlapetitesalled’interrogatoire.Soudaintassésurlui-même,sononcleavaitbaissélesyeux.Iln’osaitpluslaregarder.Elleavaiteu

cequ’elledésirait:ilétaitvaincu.Etrangement,ellesentitunpoidsénormeglisserdesesépaules, remplacéparunecaresse légère,

celledesmainsdesesparentsetdeLela,luidisantqu’elleavaitfaitcequ’ilfallait.Luitransmettantleuramourdepuisl’au-delà.L’encourageantàallerdel’avant.

Alorsellesortitsansseretourner.

32

Debout devant la baie vitrée, Gabe contemplait la vue sur le parc, tout en réfléchissant à laconversationtéléphoniquequ’ilvenaitd’avoiravecDane.UnesemaineaprèsletransfertdubétailàWolfRanch,toutétaitenplace.Leshommesengagésavecl’aideduDrPottsfaisaientdubeauboulot.Plusieursd’entreeuxavaienttransformél’undesbâtimentsendortoirpours’yinstaller.

Lesmainsd’Ellaseposèrentsursesépaules.—Lesgrandsespacestemanquent?Ellelisaitsibienenlui.Ilétouffait,danscettevillepeupléed’unefouleaucomportementétrange

quisemblaitprendreunréelplaisirautohu-bohuperpétuel.Claustrophobe,iln’aspiraitqu’àsautersursonchevalpoursillonnerlaprairieaugalopetrespireràpleinspoumonsl’airdesmontagnes.

Ill’attiracontrelui.—Jeviensd’avoiruncoupdefildeDane.—Commentçasepasse,là-bas?—Bien, mademoiselleWolf. Vos bêtes engraissent et sont aux anges. Lamaison a retrouvé ses

meubles, etmesaffairesyont été installées. Ily adeux jours,BlakeadébarquéavecAngel etBelle.Naturellement,ilssonttombéssoussoncharme.Amonavis,ilvavouloirlesrécupérerpourenfairedeschampions.

—S’ilessaiedemelesprendre,tuluicasseraslenez,hein?—Toutcequetuvoudras,chérie.Cesderniers jours, parune sorted’accord tacite, ils s’étaient appliqués à préserver une certaine

légèretéentreeux,évitantdediscuterdesonretourdansleMontanaoud’yfairelamoindreallusion.Undépartinévitableauquelnil’unnil’autrenevoulaitpenser.

Ellasedressasurlapointedespiedspourposerunbaisersursajoue.—Jet’emmènefairelafête,cesoir.—Ahbon?—Jeveuxteprésenteràmesamis.—Ilparaîtqu’aujourd’huiestunjourspécial,fit-ilremarquerenplongeantlamaindanssapoche

pourensortirlebraceletàbreloquesachetélaveille.Illetintduboutdesdoigts,laissantjouerlalumièresurlerubisenformedecœur,encadréd’un«L

»etd’un«E»enor.Ellapoussaunpetitcriétranglé.—JoyeuseSaint-Valentin,chérie!Iltapotalecœur.Illuiavaitdéjàdonnélesien,maiscelui-ci,elleleporteraitensouvenirdesjours

passésensemble.Parcequebientôt,lessouvenirsseraienttoutcequ’illeurresterait…

—Oh!Gabe,ilestmagnifique.Emue,elletenditsonpoignet.Ilagrafalebraceletetposaunbaisersurledosdesamain.Elleluisourit.—Moiaussi,j’aiquelquechosepourtoi.Maisquelquechosededifférent.—Quoi?Pasdebijou?—Tuverras.Montonsdansmachambre.Ilfautnouspréparerpoursortir.—Chérie,sijemonteavectoi,nousn’ironsnullepart.D’autorité,elleluipritlamainetl’entraînaversl’escalier.— Alors nous partirons après, déclara-t-elle en lui décochant un sourire coquin par-dessus

l’épaule.—Aprèsquoi?Elleseretournaversluietsautadanssesbrasennouantlesjambesautourdesataille.—Nousn’avonspasbeaucoupdetemps.Emmène-moiaulit,cow-boy.—Ah,cesfillesdelaville!Cequ’ellespeuventêtreautoritaires…Commeelleouvraitlabouchepourprotester,illafittaired’unbaiseretgrimpal’escalierquatreà

quatrejusqu’àsachambreoùilsatterrirentsurlelit,brasetjambesemmêlées.

***

GabesepenchasurElla.Elledormaitencore.Lagorgeserréeparl’émotion,ilcontemplal’ombredesescilssursajoue,soncorpsauxcourbesdélicatesquilerendaitfoudedésir,sapeauveloutée,sidouce,sifragile.Ilpressaleslèvressursonépaule,puislentement,remontadanssoncoupourtracerunelignedebaiserslelongdesajoue.

Elleclignadespaupièresetsesgrandsyeuxpapillotèrentuninstantavantdesefixersurlui.—Bonjour,chérie.Elleluisourit,toutenfaisantcourirsesdoigtssursontorse.—Salut,biendormi?—Jecrois.Ilavaitpassélaplusgrandepartiedelanuit,leregardrivéauplafond,savourantlachaleurdeson

corpslovécontrelesienetredoutantl’instantoùl’aubeselèverait.—Nousnoussommescouchéstard,murmura-t-elleens’étirantcommeunechatte.—C’estcequiarrive,quandonsortfairelafête.Laveille,aprèsavoirfaitl’amour,ellel’avaitenvoyésousladoucheenluiordonnantd’enfilersa

tenuelaplushabillée.Puisellel’avaitpoussédansunelimousinequilesavaitdéposésdevantl’entréed’unclubàlamodequ’elleavaitréservépoursesamisetceuxdeLela.Là,elleétaitmontéesurscènepourrendreuntendrehommageàsasœurenracontantdesanecdotesdeleurenfance.Desamisl’avaientrejointeetchacunavaitcommencéparun:«Jemesouviensdelafoisoù…»Laplupartdesanecdotesétaient amusantes et joyeuses, quelques-unes poignantes, mais toutes témoignaient de la bonté, del’humouretducharmedeLela,une jeune femmequiavait laissé sonempreintedanschacunede leursvies.

Puis,devanttousleursamisémusauxlarmes,Ellaavaitportéunderniertoastàsasœur.Elleavaitensuite fait entrer l’orchestre et déclaré que Lela aurait souhaité une fête, certainement pas unenterrement.Aprèsquoi,elleavaitvidésonverredevodkaculsec,lamusiques’étaitdéchaînéeettoutlemondes’étaitamusé.

Visiblementdanssonélément,Ellaétaitheureuse.Ilétaitclairqu’elleadoraitsesamisetquecetteadorationétaitréciproque.Dèsl’instantoùill’avaitrencontrée,ill’avaittrouvéebelleetforte,maislà,elleétaittoutsimplementrayonnante.

Saplaceétaitici,pasavecluidansleMontana.Iln’avaitpasledroitdel’éloignerdeceuxqu’elleaimait.Ceneseraitpasjuste.Elleavaitdéjàtantsouffert.Mêmes’ilrêvaitdepartagersavieavecelle,leplusimportant,c’étaitsonbonheur.Leplusimportant,c’étaitdelasavoirheureuse.

Ellajetauncoupd’œilauréveilsurlatabledechevet.—Ilestencoretôt.Reviensdonctecoucher.Elle lui tendit les bras. Il se penchapour l’embrasser,mais s’écarta très vite.Elle le dévisagea,

surprise.—Qu’est-cequinevapas?Tufaisunedrôledetête.Il hésita. Il avait désespérément envie de lui faire l’amour à nouveau, de fermer les yeux sur la

réalité,deretarderl’inéluctable…—Ilesttempsquejeparte,dit-il.—Oùvas-tu?—Jerentrechezmoi.—Maintenant?—J’aiunvolà8heures.Elleseredressaenramenantlesdrapssursapoitrine.—Jenecomprendspas.Ils’obligeaàcroisersonregard.Sursestraitsselisaientsoudainlapeuretlechagrin.Ellesemblait

sijeune,sivulnérable.Maisprêteàrecevoirlecoupetàl’encaisser.—Tusaistrèsbienquejenepeuxpasrestericiindéfiniment.J’aiunranchàfairetournerdansle

Montana.—Maisiln’yapasd’urgence.Toutsepassebien,là-bas.Danetel’aditlui-même,pasplustard

qu’hiersoir.Ilyavaitdanssesyeuxunedouceurimplorante.Ilrassemblasoncourage.—Ella,jet’enprie.Nousdeux,çanepeutpasdurerainsi.Tulesaisaussibienquemoidepuisle

début.—ParcequejesuispriseentenaillesentreNewYorketleMontana.EntreWolfEnterprisesettoi.

Oui, je le sais.Mais tout ce que j’ai,Gabe, je le dois àma famille et à ceux qui travaillent pour lacompagnie.Jenepeuxpastoutabandonnercommeça.

—Tun’aspasàt’excuserdefairetondevoir,Ella.Sitoutreposesurtesépaulesaujourd’hui,c’estparcequetesparentsettasœurtesavaientsuffisammentforte,intelligenteetcompétentepourpoursuivrecequ’ilsavaientcommencé,etfairedeWolfEnterprisescequ’ilsespéraient.Etturéussiras,Ella.Parcequetuesunefemmeexceptionnelle.Jet’aientendueparlerdesnouveauxprojetsquetuveuxmettreenœuvre, j’ai entendu l’enthousiasme dans ta voix quand tu discutais de la nouvelle gamme de produitscosmétiques.Tuastrouvétaplace,chérie.Etc’estbien.C’estlàquetudoisêtre.

—Alors…tuneveuxplusdemoi?Leslarmesétincelèrentsoudaindanssesyeux,lemettantausupplice.—Chérie, je t’aime.Etc’estpourcelaque jenepeux tedemanderdevenirvivreavecmoiune

existenceàlaquelletun’aspirespasvraiment.J’aidéjàcommiscetteerreur,jenerecommenceraipas.Jeneveuxpasqueceliensiparticulierentrenouslaisseplaceàlarancœuretàlahaine,parcequ’ilnousestimpossibledevivreensemblesanssacrifierunepartdenous-mêmes.Situviensvivreavecmoi,tufinirasparmedétester.

—Non,Gabe.Ilmefautjusteunpeudetempspourmettreleschosesenplaceici,avantdevenirterejoindre.

—Chérie,tavieestici,danscetteville,avectesamisetl’entreprisequet’aléguéetonpère.PasdansunranchperduduMontana.

—Maisnouspourrions faireen sortequecela fonctionne, insista-t-elled’unevoix tremblante. Ilsuffitdes’organiser.Jeneveuxpasquecesoitterminé,nousdeux.

Iltentad’ignorerleslarmesdanssesyeux,leslarmesquiruisselaientsursesjoues.Ilnesupportaitpasdebrisersoncœurdéjàsimalmené.Chacunedeseslarmesledéchirait,maisiln’avaitpaslechoix.

—NoussommesassociéspourWolfRanch,reprit-il.Tusaurastoujoursoùmetrouver,maissoyonsréalistes.Toi etmoipour lavie, cen’est paspossible. Jenepeuxpas tedemanderd’êtreune femmedifférentedecellequetues,etjenepeuxpasdevenirunautrehomme.

Ilvenaitd’accomplir l’acte leplusdifficilede toutesavie.Etsavoirqu’il l’avait faitpourElla,pourlui,etquec’étaitlaseulefaçondegarderintactcetamourqu’ilsavaientpartagé,neleconsolaitpaspourautant.

Ilsedétournaetquittalachambre,conscientduvidequis’insinuaitenlui,gagnantrapidementsonâme.Conscientdelasouffrancepulsantàchaquebattementdesoncœurenmiettes.

33

Gabeprécédasonfrèredansl’écuriejusqu’auboxoùs’ébattaitunpoulainturbulent.—Mercid’êtrevenuchercherFléau.Ilabesoind’êtredressé.—Jecroyaisqu’ils’appelaitBo,luifitremarquerBlake.—Peut-être,maisdèsqu’ilyaunesottiseàfaire,iln’enratepasune,maugréaGabe.Commentça

sepasse,detoncôté?—Bien.Ettoi?—Tupeuxinformermamanquetoutvatrèsbien.Blakepritunairangélique,maisGabeleconnaissaittropbienpourycroire.—C’estbon, inutiledefaire l’innocent.Jemedoutequecen’estpaspourrienque tuaspréféré

venirjusqu’icichercherlepoulain,aulieud’attendrequejetel’amèneplustard.—Tun’astoujourspasappeléElla?—Fiche-moilapaixavecça.Nullementdécouragé,Blakeenfonçaleclou.—Jenecomprendspaspourquoituasrompu.Bon,d’accord,sonboulotestàNewYork,letienest

ici.Celadit,vousêtes touslesdeuxpropriétairesdeceranch.Or, tuneluiparlesplusetellen’apasremislespiedsici.Çafaitdeuxsemaines.

—Mercid’avoirsibrillammentrésumélasituation!—Tun’esdoncpasamoureuxdecettefemme?Gabe resta silencieux.Mais les phalanges blanchies de ses doigts crispés sur le portail du box

étaientpluséloquentesquelesmots.Biensûrqu’ill’aimait.Ill’aimaitplusquetoutaumonde,maisilnepouvait lui demanderd’abandonner saviepourvivre la sienne.Tôtou tard, elle lui envoudrait.Ellefinirait par le haïr. Et cette idée était insupportable. Alors, mieux valait s’en tenir aux merveilleuxsouvenirsplutôtquedelesvoirseternirjouraprèsjour,siellevenaitvivreaveclui,loindesesrepères,desontravailetdesesamis…

—Tiens!Ondiraitquec’estellequiafinalementdécidédevenir jusqu’àtoi,annonçaBlakeenpointantlementonverslaportegrandeouvertedel’écurie.

Stupéfait,Gabeclignadesyeux.Unevoitures’arrêtadevantlebâtiment,Ellasortit,claqualaportièrederrièreelleetmarchavers

lui,l’airfurieux,leregardétincelant.Ellen’avaitjamaisétéplusbellequ’encetinstant.—Gabe,ilfautquejeteparle!lança-t-elle.Ilmouraitd’enviedelaprendredanssesbras,del’embrassercommeunfoupourchasserlacolère

sursonvisage,etdeneplusjamaislalaisserrepartir.Maiselleneluiappartenaitpas.Elleneluiavaitjamaisvraimentappartenu.Alors,pourquoirevenait-elle?

—Salut,dequoiveux-tumeparler?répliqua-t-ild’untonléger.—Jedétiens80%decetendroit,dois-jetelerappeler?—Difficile d’oublier. Les bêtes sontmarquées à ton nom, tout comme l’enseigne surmontant le

portail.—Bonjour,Ella,intervintBlake,visiblementimpressionné.Gabelepoussaverslaporte.—Toi,tusors.—Vousrestezdîner,Ella?demandaBlake,souriantcommeunidiot.Elle ouvrit la bouche pour répondre,mais la referma et dirigea surGabe un regard encore plus

féroce.Blakelesdévisageatouràtouretsortitenlaissantéchapperunpetitrire.—Tum’asabandonnée,laissatomberEllad’untonsec.Maisladouleurquitraversasonregardatténuaitquelquepeulacolèredanssavoix.—Jenet’aipasabandonnée,répliqua-t-ilfermement.Jesuisrentréchezmoi.—Tudisaisquetum’aimeraistoujours.— Ella, je t’ai aimée à la seconde où je t’ai vue. Et tumemanques terriblement. Depuis deux

semaines,jenecessedepenseràtoietçamerenddingue.Maiscelanechangerienaufaitquenousnesommespasfaitspourvivreensemble.

Ellesecoualatêteavecvéhémence.—Décidément,tuneveuxriencomprendre!—Bienaucontraire,jecomprendsparfaitementquetaplacen’estpasici.Regarde-toi.Dehors,il

gèleet tu tepromènessansmanteau,enchemisierdesoieavecungiletmanchescourtes.Etdes talonsaiguilles,par-dessuslemarché,totalementinadaptéspourpataugerdanslaneige.

Apercevantàsonpoignetlebraceletqu’illuiavaitoffertpourlaSaint-Valentin,soncœurseserra.Elleleportaittoujours…

—Tuesplusàtaplacedansunesallederéunionentraindeprésideruncomitédirecteurquedanscetteécurie,poursuivit-il.

Iln’avait aucuneenviedeprononcer lesmots suivants,mais il enfouit lesmainsdans lespochesarrièredesonjean,rassemblantsoncourage.

—Tuferaismieuxderentrercheztoi,Ella.Tavien’estpasici.Ilvitleslarmesétincelerdanssesyeux.Lecœurdéchiré,ilretintsonsouffleetattendit.Ilnefutpasdéçu.Serrantlespoings,ellefitunpasmenaçantverslui.—Commentpeux-tuprétendrem’aimeretmedirederetournerchezmoi?Jen’irainulleparttant

quetun’auraspasréponduàmaquestion!—Laquelle?—M’aimes-tuvraiment?Ilserralespoings.Ellenefaisaitdécidémentrienpourluifaciliterlatâche.—Ella,qu’est-cequetufaisici?—Cequejefaisici?C’estpourtantsimple.Tueslà.Alorsjesuisvenueterejoindre.Oùquetu

sois,jeveuxêtreprèsdetoi.Tunecomprendsdoncpas?Jet’aime.Jeveuxpartagermavieavectoi.Avoirdesenfantsavectoi.Eleverdeschevauxetdesvachesavectoi.Jecroyaisquec’étaitcequetuvoulaisaussi.

—Bonsang,Ella,biensûrquec’estcequejeveux!Maisjenesuispascertainqueturéalisesàquelpointilseraitdifficilepourtoidevivreici,toutenassurantladirectiondeWolfEnterprises,surtoutquandlaneigenousisoledumondeunepartiedel’année,nousprivantd’électricitéetd’Internet.

—Gabe, j’aiunearméed’employésqui travaillentpourmoi.MaprésenceàNewYorkn’estpasindispensable.Etjenesouhaitepasqu’ellelesoit.Jeveuxvivre.Oui,jeveuxdirigerl’entreprisedemonpère,maisauxcôtésdel’hommequej’aime.Quefaut-ilquejetedisepourteconvaincrequelaviequenouspourrionsbâtirici,ensemble,c’estcellequejedésire,celledontj’aibesoin,cellequej’attends?Jet’aime,Gabe.N’est-cepassuffisantpoursurmonterlesécueils?

Quelquesinstants,ilsoutintsonregardsansmotdire.—Maréponseàtapremièrequestionest:oui,jet’aime,répondit-ilenfin.Etoui,moiaussi,jene

souhaiteriend’autrequedepartagermavieavectoi.Maisjeneveuxpasquetadécisionsoitinfluencéeparledramequetuastraverséouparmoi.Jeveuxquecesoittonchoix.

—Çal’estdepuisledébut,Gabe.Pourquoicrois-tuquej’aimonténotreassociationsurleranch?Pourquoicrois-tuquej’aifaitvenirBelleetAngel?Mavieestici.Surcetteterre.Atescôtés.

Illacontemplalonguement,puisluitenditlesbras.—Alorspourquoiturestesàtroismètresdemoi?Comme si elle n’avait attendu que ce signal, elle se jeta à son cou et l’embrassa avec une telle

fouguequ’ilfaillitenperdrel’équilibre.Puisellepritsonvisageentresesmains.—Tum’astellementmanqué,cow-boy…—Etmoidonc!Jenepeuxpasdormirsanstoi.—Alors,emmène-moiaulit.Ilneselefitpasdiredeuxfois.Sanslalâcher,iltraversal’écurie.—Lamaisonesttroploin,murmura-t-ildanssoncou,tenailléparledésir.—Nousconstruironsuncottageàcôtédel’écurie.—Notrepetitnidd’amour.—Exactement,acquiesça-t-elleen luimordillant l’oreille.Monbureauaussi,pourne jamaisêtre

troploindetoi.Résistantàl’enviedelaprendrelà,toutdesuite,contrel’arbreleplusproche,ilallongealepaset

réussitàatteindrelamaison.Ilspassèrentsanss’arrêterdevantBlake,quibuvaitunebièreausalon.Maisavantderefermerla

porte de sa chambre sur eux,Gabe ne put s’empêcher de sourire en entendant le commentaire de sonfrère.

—Petitveinard!Jesupposequ’ellerestedîner?

Epilogue

Il était tard. Ella ouvrit la porte d’entrée, fatiguéemais heureuse d’être enfin à la maison. ElledétestaitchaquejourpasséloindeGabe.Ellen’avaitcependantpaseulechoixpourremettredel’ordredanssavieetdansl’entreprisefamiliale.Elleavaitvendul’appartementsurCentralParketachetéunloftpittoresquequiluiplaisaitautantqu’àGabe,quandilsvenaientpasserquelquesjoursàNewYork.Elleavaittiréuntraitdéfinitifsursononcle.Celui-cin’avaitpasétélongàacceptersaproposition.Elleavaitpayé les frais d’avocat, et en échange, il avait plaidé coupable. Il passerait le restant de ses jours enprison.

Lepasséétaitdésormaisderrièreelle.Devantelles’ouvraitl’avenirauxcôtésdel’hommedontelleétaitpassionnémentamoureuse,surlesterresqu’elleaimaitdepuissaplustendreenfance.

Ces deux dernières semaines, elle n’était revenue àWolf Ranch qu’une seule fois. Pour un jourseulement.EtGabe était aussi impatient qu’elle de voir enfin s’organiser leur vie de couple de façonpermanente.Lorsqu’ilsétaientséparés,ilspassaientdesheuresautéléphoneàpartagerlespetitsdétailsdeleurquotidien.

Sansbruit,ellesefrayaunchemindanslamaisonplongéedanslenoir,jusqu’àlachambre.Là,lesourireauxlèvres,ellesedéshabilla,laissanttombersesvêtementsunparunaupieddulit.

Gabedormaitsurleventre.Elleseglissasouslescouvertures,sepenchapourdéposerunelignedebaiserssursonépaule,sanuque,jusqu’àsonoreille,etluimurmura:

—Chéri,jesuisrentrée.Ildépliaunbrasqu’ilpassaautourde sa taille, et roula sur ledos, l’entraînantavec lui.Elle se

retrouvaallongéesursontorse.—Quelleheureest-il?—Minuitpassé.—Jet’aiappeléetoutàl’heure.—J’étaisdansl’avion.—Tum’asmanqué,murmura-t-ilenenfouissantsonvisagedanssoncoucommeilavaitl’habitude

delefaire.Ellesourit.—Toiaussi,tum’asmanqué.—Joyeuxanniversaire,murmura-t-ilcontreseslèvres,avantdedescendreplusbaspours’emparer

delapointed’unsein.Ellesecambraàsarencontre,s’abandonnantauxsensations,aucontactdesapeaucontrelasienne,

à la chaleur de son corps, à la caresse de sesmains, de sa bouche…Le laissant s’emparer d’elle etl’embrasertoutentière,tandisqueleurscorpsvibraientàl’unisson.

***

Glissantsurlecôté,Gabeseredressasuruncoude,contemplaEllauninstant,heureux,eteffleuraduboutdesdoigtsl’arcdélicatdesessourcils.

—Promets-moiquetuseraslà,demainmatin.—JeneretournepasàNewYorkavantdeuxsemainesetpourdeuxjoursseulement.—Vraiment?—Oui.J’aivingt-cinqans,aujourd’hui.Unnouveaudépart.Désormais,maplaceest ici,prèsde

toi.Ilfronçalessourcils.—Tuessérieuse?Elleprit sonvisageentre sesmains.S’éclaircissant lagorge,elle tentade refouler l’émotionqui

menaçaitdelasubmerger.—Trèssérieuse.Il la dévisagea un instant, silencieux, puis, lentement, se pencha pour l’embrasser. Tendrement,

délicatement.Avantdes’allongersurlecôté,defaçonàêtrefaceàelle,lesyeuxdanslesyeux.Illuisourit.—Tantmieux.Parcequej’aiunesurprisepourtoi.—Quellesurprise?—Toncadeaud’anniversaire.—Qu’est-cequec’est?—Tuverrasdemain,répondit-ilenfrottantsonnezcontrelesien.Jesuiscontentquetusoislà.—Jet’aiditcentfoisquetudevraisprendreunchienpourtetenircompagnie.—Displutôtquec’esttoiquirêvesd’avoirunchien.—Jesuiscertainequecelateplairaitaussi,chéri.Elle lesentitsourirecontresonbras.Heureuse,satisfaiteetcomblée,elles’enroulaautourde lui

commeunelianeetfermalesyeux.

***

S’efforçantdemasquersonexcitation,GabeaidaEllaàgrimperdanslepick-up.— Tu avais vraiment prévu de prendre un vol pour New York pour être avec moi ce soir ?

demanda-t-ellepourlaquatrièmefoisdelajournée.—Jen’allaispastelaisserseulepourtonanniversaire,répondit-ilenposantunrapidebaisersur

seslèvresavantderefermerlaportièreetdecourirs’asseoirderrièrelevolant.—J’aieutonmessage,avant-hiersoir.Tuavaisdevinéjuste.J’étaissortiedînerenvilleavecdes

amis,histoiredelefêteravecunpeud’avance.—J’aivulesphotossurleweb.—Tum’espionnes?—Jevérifiaissimplementquetuétaissourianteetheureuseetquetunebroyaispasdunoir,même

sijesaiscombienLelatemanque.Ellesecoualatête,visiblementémueparlatendresseetl’attentionconstantedontill’entourait.—Oùm’emmènes-tu?Ilfaitpresquenuit.—Tuverras,répondit-il,lesourireauxlèvres.Ilralentitenscrutantlaroute.Ilsétaientarrivés.C’étaitlà.—Zut!s’exclama-t-il.Tuentendscebruit?Jecroisquel’attachedelaremorques’estdesserrée.

Jevaisjeteruncoupd’œil.

Il s’arrêta sur le bas-côté, descendit de voiture, disparut derrière la remorque et attendit qu’Ellas’impatiente et vienne voir ce qu’il fabriquait.Ce ne fut pas long,mais il avait l’estomac noué et lesmainstremblantesdenervosité.Ilespéraitqu’elleapprécieraitsasurprise.

Alasecondeoùellecontournalepick-upetoùellel’aperçut,ungenouàterreentraindeluitendreunebague,elleportalesmainsàsabouche.

Emu,ilseraclalagorge.—C’estàcetendroitprécisque je t’ai trouvée,chérie.Surcette route.Dèsque je t’aivue, j’ai

comprisqu’ilyavaitunje-ne-sais-quoicheztoidontjenepourraismepasser.Jet’aime,EllaWolf,etjedésirepartagerlerestantdemesjoursavectoi.Veux-tum’épouser?

Elles’approchalentement,sonregardplongédanslesien.—Oui,murmura-t-elle,bouleversée.Oui,jeleveux,GabeBowden.Ilpritsamainetluiglissalabagueaudoigt.Puisilseredressa,l’enveloppadesesbrasetpritses

lèvres.Unaboiementétoufféleurparvintdelaremorque.—Qu’est-cequec’est?demanda-t-elle.—Toncadeaud’anniversaire.—Tum’asachetéunchien!Ilsourit.—Tuenavaistellementenviequejen’aipaspurésister.Commedeuxgamins,ilséclatèrentderire.Gabepritlamaindesafutureépouseetlaposacontre

sontorseafinqu’ellepuisseadmirerlabague.Deuxanneauxsertisdediamantssoudésl’unàl’autreparuneémeraude.

—Cesanneauxreprésententnosvies,expliqua-t-il.L’émeraude,lesouvenirdetasœur,lacouleurdevosyeuxàtoutesdeux.

Ellelevasurluiunregardembuédelarmes.—Oh!Gabe,elleestmagnifique…—Commetoi,chérie.Un jappement impatient les arracha à la quiétude de l’instant. A contrecœur,Gabe lâcha Ella et

ouvritlaremorque.Unebouledepoilsenjaillitpoursejeterdanslesbrasdesatoutenouvellemaîtresseetluilécherlafigure.

—Ilaquatremois.Ilaapprisàêtrepropre,maisilvafalloirluienseignerlesbonnesmanières.—Jel’adore!s’exclamaEllasouslescoupsdelangueduchiot.—Tantmieux.Parcequ’àpartirdemaintenant,c’esttoi,moietBentley.—Bentley?lançaEllaenriant.—Oui.Çanousvabien.Ill’embrassadenouveau.—Etmaintenant,dépêchons-nous.Mamanapréparéundînerd’anniversaireavectoutelafamille.

Nousluiavionspromis,tutesouviens?Nousallonsannoncernosfiançaillesquiserontdecourtedurée.—Courtescomment?—Ehbien,ilfautquenoussoyonsmariésavantnotredépartenvoyagedenocespourBoraBora.Levoyagequ’elle avaitprévude faire avecLelapour leurvingt-cinquièmeanniversaire. Il avait

hésitémaisespéraitquecegestelatoucherait.Enivréedebonheur,ellesehissasurlapointedespiedsetpressasonfrontcontrelesien.—Merveilleux,murmura-t-ellecontreseslèvres.Gabeprit lechiotqu’il installasur labanquettearrièredupick-up,puis, se tournantversElla, il

l’enveloppadesesbrasetlevalesyeuxverslecielétoilé.—C’estbeau,n’est-cepas?

—Iln’existepasdeplusbelendroitaumondequ’ici.Elleétaitsincère,ill’entenditdanssavoix.Etquelquechoseenluis’apaisa.—As-tueutoutcequetusouhaitaispourtonanniversaire,chérie?—Tuestoutcequej’aitoujourssouhaité.

***

Sivousavezaiméceroman,

nemanquezpaslasuitedansvotrecollectionSagas:L’amourcommeseulcombat,àparaîtreendécembre2016Lavengeancecommeseulespoir,àparaîtreenfévrier2017

TITREORIGINAL:ATWOLFRANCH

Traductionfrançaise:SYLVIECALMELS-ROUFFET

©2016,JenniferRyan.

©2016,HarperCollinsFrancepourlatraductionfrançaise.

Levisueldecouvertureestreproduitavecl’autorisationde:

Homme:©ROBLANG/HARLEQUINBOOKSS.A.

Réalisationgraphiquecouverture:E.COURTECUISSE(HarperCollinsFrance)

Tousdroitsréservés.

Celivreestpubliéavecl’aimableautorisationdeHarperCollinsPublishers,

LLC,NewYork,U.S.A.

ISBN978-2-2803-6563-5

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