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A propos d'une enquête sur la phonologie d'enfants d'une école maternelle Author(s): Jeanne Martinet Source: La Linguistique, Vol. 10, Fasc. 1 (1974), pp. 93-103 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30247905 . Accessed: 16/06/2014 12:20 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.127.119 on Mon, 16 Jun 2014 12:20:25 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

A propos d'une enquête sur la phonologie d'enfants d'une école maternelle

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A propos d'une enquête sur la phonologie d'enfants d'une école maternelleAuthor(s): Jeanne MartinetSource: La Linguistique, Vol. 10, Fasc. 1 (1974), pp. 93-103Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30247905 .

Accessed: 16/06/2014 12:20

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NOTES ET DISCUSSIONS

A propos d'une enqu te sur la phonologie d'enfants

d'une ecole maternelle par Jeanne MARTINET

De nombreuses etudes ont 6t6 consacr6es aux premieres productions pho- niques des enfants : babil et lalalies au cours de la premiere ann6e, d6velop- pement des premieres oppositions au cours de la seconde. Mais, semble-t-il, l'intir6t de g6n6ticiens du langage se d6tourne vite des sons pour se porter vers le vocabulaire et la syntaxe, des qu'apparaissent des unites de premiere articulation, des<< mots >> et des groupes de << mots >>, et qu'il est possible d'etudier chez l'enfant, non la langue elle-meme, mais l'exercice A travers elle d'une fonc- tion symbolique. C'est ce que r6v61erait sans doute l'examen de nombreux v tests de langage >>. La phonie, en somme, ne retient l'attention que tant qu'elle est la seule manifestation observable de ce qui prendra forme linguistique ou

encore, dans des stades ulterieurs, lorsqu'il apparait qu'un enfant prdsente des difficultis d'audition ou de phonation. On tombe alors dans la pathologie et les tests proposes portent sur la discrimination auditive ou les m6canismes sensori-moteurs.

On est, en revanche, peu renseigne sur l'tat du systeme phonologique et de son evolution au cours de la quatrieme et de la cinquieme annie, A un Age oh I'enfant est susceptible de s'int6resser A la lecture et A l' criture, c'est-A-dire A la symbolisation graphique, non seulement de son experience, ce qu'il r6alise

par le dessin, mais de cette experience ddjA mediatisde par le langage : il ne lui suffit plus de dessiner la maison du petit cochon, mais il souhaite tracer aussi

quelque chose qui represente ce qu'il prononce : la maison du petit cochon. C'est alors que se pose le problkme des rapports entre phonie et graphie, dans le cadre d'une symbolisation de la parole entendue et prononcie, au moyen d'une ortho-

graphe, celle que propose l'adulte A l'enfant, dans les textes 6crits, lors meme

qu'il s'efforce par le choix des themes, de l'enchainement des id6es, du voca- bulaire et des schemes syntaxiques, de se mettre B la portee des petits. Il convient donc de savoir tres pricis6ment quel est, A ce moment-lA, l' tat de leur systeme phonologique.

Les travaux de Ruth Reichstein (cf. Word, 16, 196o), de Guiti Deyhime (cf. La linguistique, 1967, nOs 1-2) et les recherches d'Anne-Marie Houdebine nous indiquent qu'en frangais, les distinctions entre un a d'avant et un a d'arriere, entre la voyelle de brin et celle de brun sont acquises par de nombreux sujets

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entre la quatorzieme et la vingtieme annie. L'enfant de 3-4 ans a donc, en la matiere, encore du temps devant lui. Comme il n'est pas question d'attendre qu'il ait acquis toutes ces distinctions avant d'6tre initi6 A la lecture et A l'ecri- ture, on serait tente de tirer de ce fait argument contre le recours A un systeme phonematique comme fondement de cette initiation, ce systeme etant encore incertain.

Nous nous proposons, dans cette etude, de presenter certains traits du systeme phonique d'un groupe d'enfants de 4 ans-8 mois 1/2 A 5 ans-5 mois et de discuter les facteurs qui influent sur la structuration de ce systeme.

Le corpus que nous analysons est constitue par les rdponses donnees par 25 enfants A un questionnaire portant sur 53 mots. II s'agit donc veritablement d'une enquate phonologique A petite echelle.

Invitie, dans le cadre des recherches menses A 1'I.N.R.D.P. sous la direc- tion de Marguerite Laurent-Delchet, A trouver les moyens de developper chez les enfants << l'appetence A la communication >>, Simone Perron, directrice de l'cole maternelle Henri-Wallon A Choisy-le-Roi, a d'abord note qu'un nombre considerable des enfants qu'il lui &tait donne d'observer semblaient se decou-

rager, dans leurs efforts de communication avec autrui, du fait qu'ils n'arrivaient

pas A se faire comprendre, et ceci par defaut de precision dans la realisation des unites phoniques. Posant que le langage est, au premier chef, un instrument de communication, nous avons formul6 la double hypothese que, 1A oh la necessit6 n'est pas pressante, on utilise un instrument dans la mesure oh l'on retire des satisfactions de son utilisation et que mieux on sait se servir de l'ins- trument, plus on en retire de satisfaction. Ceci implique, naturellement, que la pratique d'une langue determin6e en tant qu'outil de communication s'am6- liore A l'usage. Dans cette optique, Simone Perron s'est efforcee d'dlaborer une

pedagogie qui fasse fonctionner l'outil langue de fagon A r6aliser dans l'Nnonc6 les oppositions de phonemes afin d'en favoriser l'acquisition. C'est pour verifier et mesurer l'efficacit6 de cette pedagogie qu'avec la collaboration de Marie- Christine Drouin a etd 6tabli le questionnaire ci-apres (voir Recherches pida- gogiques, no 65).

Il est constitud des mots suivants : nez, dent, figure, jambe, menton, cou, coude, bague, main, lunettes, rasoir, poupde, culotte, robe, anorak, lave, rose, jaune, peigne, meuf, collier, savon, cube, tube, camion, moto, tapis, rideau, assiette, cuillare, couteau, fourchette, serviette, verre, tasse, salade, chocolat, caft, gdteau, pomme, orange, banane, fer (4 repasser), bougie, tarte, carte, boule, poule, vache, patte, queue, cochon, tambour, pipe, avion, maison.

Le lecteur averti s'etonnera de n'y trouver que deux paires de quasi-homo- nymies (< paires minimales >>) tube N cube, tarte ~ carte, relatives toutes deux A la meme opposition. Ce n'est pas lA negligence des auteurs, mais difficulte de trouver des paires dont les deux membres soient connus des enfants et utili- sables dans les conditions de recherche qu'imposent les circonstances. En effet, si, pour nous renseigner utilement sur le systeme des enfants, un tel ques- tionnaire doit avant tout presenter toutes les oppositions phonologiques du

franqais, il doit aussi faire face A certaines exigences pratiques. Il doit Wtre court tout d'abord, parce que les enfants de cet Age se fatiguent vite, et ensuite parce que c'est une lourde tache de soumettre A ce test TOUs les enfants de toutes les sections d'une ecole maternelle en debut et fin d'annee. II faut de cinq A six minutes par interrogatoire, soit deux heures et demie pour trente enfants, sans

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NOTES ET DISCUSSIONS 95

compter, bien entendu, temps morts de mise en place du materiel et mise en condition des enfants.

Nous n'insisterons pas ici sur le travail que repr6sentent I'analyse et I'inter- pretation des donn6es, toutes choses qui sont affaire de sp6cialistes. Le question- naire doit 6tre constitu6 de mots connus des enfants et correspondant A des objets qu'ils identifient et savent d6signer au moyen de ces mots et de ceux-la seulement ou, du moins, de preference d'autres. Le questionnaire doit done 6tre aussi << contraignant > que possible de faqon A fournir des donndes strictement s'lectionnees.

Pour que le questionnaire soit parfaitement<< contraignant>>, les objets choisis devraient tous entrainer le meme type de question. L'enfant est d6rout6 lors- qu'on passe de < Qu'est-ce que je te montre ? > A << C'est de quelle couleur ? > ou << Qu'est-ce que je fais ? . En pratique, les questions tendent presque toutes A prendre la forme :<< Et qa, qu'est-ce que c'est ? >

L'elaboration du questionnaire et l'exp'rimentation au moyen de ses ver- sions successives ont attire notre attention sur des ensembles de faits, certains de type culturel, d'autres caracteristiques des divers comportements des enfants. En recherchant pourquoi nos questions ne provoquaient pas les reponses souhaities ou en suscitaient d'autres, nous avons ete amendes a nous demander : 10 Quel est le monde de l'enfant, hors de l'6cole, A l' cole ? Quels sont les objets qu'il connait, les activites qu'il pratique, les 6motions qu'il ressent ? 20 Quels sont les mots qu'il utilise ou qu'il comprend en relation avec son monde ?

30 Quels mots devons-nous choisir parmi ceux qu'il connait et qui manifestent les oppositions phonologiques du franqais de faqon que ces mots s'imposent comme la rdponse necessaire aux questions posies ? 40 Comment devons-nous

poser les questions ? Du point de vue << culturel >, par exemple, nous avons dui liminer cuvette :

on ne connait que des lavabos; lorsque l'objet est connu - exceptionnellement semble-t-il - on le designe comme une bassine. Le caf6 est inconnu sous la forme de grains, voire de poudre : on ne connait que le nescaf6, ou meme le

d~caffin6, parfois reduit A caf6ind; toutefois, de l'automne I972 A juin 1973, la plupart des enfants ont appris qu'on attend d'eux la reponse < caf >> A ce qui leur est montr6. Le rasoir donne lieu A des hesitations. Il est vraisemblable que les peres se rasent t6t le matin, avant le lever des enfants, en tout cas en leur absence. L'objet peut d'ailleurs 6tre manipul6 sans que son nom soit jamais prononc6. Mal connu aussi, le fer A repasser que les mares utilisent sans doute de pref6rence lorsque les enfants sont soit A l'6cole, soit au lit. Ces mots ont toutefois &t6 appris par la plupart des enfants au cours du laps de temps consi-

der6. Mais le rasoir est confondu avec l'arrosoir par trois enfants et l'un d6clare

que le matin son pare << s'arrose >>.

II semble que tous les objets que nous avons finalement retenus appartiennent au monde de nos enfants, A l'exception, peut-6tre, du tube dUsign6 comme < une

petite boite >>, un petit tuyau>> ou meme non identifi6, et de tarte qui est iden- tifide comme un < gateau >. Comme nous n'avons pas toujours obtenu immddia- tement la reponse que nous souhaitions mais une autre, il peut 6tre int6ressant d'examiner les cas oh cela s'est produit et rechercher quels types de relations sont susceptibles d'exister entre objet - rdponse souhaitie - rdponse donnee.

Nous envisagerons d'abord les objets eux-m~mes : il peut s'agir d'objets reels comme l'assiette, la fourchette, qui sont toujours identifi6s et nommds

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sans la moindre hesitation, de joucts reproduisant en miniature camion, moto ou animaux et correspondant souvent, pour des enfants de milieu urbain, A la seule connaissance qu'ils ont, par exemple, du cochon ou de la poule, et ici encore on a une proportion 6lev6e de reponses correctes; il peut enfin s'agir d'images representant les objets choisis et alors l'identification devient beau-

coup plus incertaine, soit que la representation soit trop stylis6e ou ne manifeste

pas ce qui, pour l'enfant, serait pertinent dans l'objet, c'est le cas de la salade

trop pommee qui suggere chou et chou-fleur, soit que l'enfant ne sache plus exac- tement sur quoi on l'interroge et generalise l'image au lieu de l'objet qu'elle represente, d'oh les reponses : une image ou l'image d'une poule, l'image d'une vache, ou une photo, la photo de... II peut aussi trop specifier : au lieu de carte, on aura un as, un as de pique, une carte avec l'as de pique. Ii peut egalement tomber A c6te : rdponse du jus, du jus d'ananas parce que l'orange qu'on lui montre figure sur

l'dtiquette d'une boite de jus de fruit et que le point d'incidence de la question n'est pas indiqu6 assez clairement par le geste qui l'accompagne. I1 ne serait pas surprenant d'obtenir encore d'autres reponses comme (c'est) une itiquette, (c'est) une bofte, etc. Il est vraisemblable que l'enfant qui dit [3ydanana] d6signe par cette appellation unique et globale tout jus de fruit contenu dans une boite et

qu'il n'a peut-6tre m6me pas eu l'occasion de prendre conscience de l'existence de plusieurs sortes de jus de fruits. Pour eviter ces h6sitations et les erreurs rela- tives au point d'incidence de la question, nous nous sommes efforcees de montrer les choses elles-memes et non des images.

Il est malheureusement difficile, dans certains cas, de delimiter exactement ce que l'on montre; le visage, par exemple, avec l'intention d'obtenir la rdponse figure; ici encore, l'incertitude de l'enfant se manifeste dans les reponses la ttte, les joues, les yeux.

Enfin, l'enfant est deroute chaque fois qu'une question semble correspondre A un type de consigne diff6rent : interrogation sur l'identite d'un objet, sur une

qualit6 (couleur), sur une activit6. On obtient done bleu, pour peigne, parce que le peigne est bleu et que les questions pr&cedentes portaient sur la couleur de divers crayons. Lave est peut- tre le mot qu'on a eu le plus de mal & obtenir.

L'enqu6teuse demande quand la robe est sale, qu'est-ce qu'on fait? Reponse : on la change, on la nettoie, on lafrotte, on la met dans la machine. Question : Qu'est-ce qu'elle fait la machine? Reponse : Elle tourne. Il semble plus efficace de demander : quand tes mains sont sales qu'est-ce que tufais ? On obtient, en effet, le plus souvent, je les lave.

M~me lorsqu'il ne fait pas de doute que la question pos6e porte sur l'identit6 de l'objet present6, on enregistre encore des ecarts entre reponse donnde et

reponse souhaitee. Dans ces cas-lA, le terme donne est moins souvent sugger6 par une ressemblance entre les deux objets que par le fait qu'on peut les classer dans une m6me categorie : les animaux par exemple, d'oh cochon pour vache, et surtout qu'ils ont meme utilit6, ainsi manteau et impermeable pour anorak, bol pour tasse, slip pour culotte (de la part des garqons en particulier), bracelet

pour collier. On notera a ce propos que l'enfant reagit fonctionnellement, en

quelque sorte, a l'utilite d'un objet qu'il connait mais dont il ignore ou a oubli6 le nom. Soit le savon : << On se lave les mains, dit-il, et puis on les rince, et puis aprbs on les essuie. >> Soit les grains de caf6 :<< C'est pour faire du caf6. >> Soit la pipe : << Fumer. >>

En principe donc, notre questionnaire est encore imparfait puisqu'il ne fait

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pas sortir immediatement, comme un diable de sa boite, les mots souhaitds. Mais il est exceptionnel que l'enqueteuse ne rdussisse pas, par une nouvelle

question, A obtenir la rdponse desirde, si bien que nous disposons finalement de toutes les donndes que nous nous sommes propos6 de recueillir. Nous pouvons considercr que les objets et les mots choisis appartiennent bien au monde de l'enfant. Pour rendre le questionnaire plus contraignant et reduile le temps de

l'dpreuve, iil faudrait ne proposer qu'un type de consigne, par exemple interroger dans tous les cas uniquement sur l'identit6 de l'objet, n'opdrer qu'avec des objets qu'on manipule, uniques dans leur genre et dans leur utilitY. Nous aurions

peut-6tre alors un questionnaire parfait, qui nous assurerait rapidite et homo-

gendite des rdponses. Il n'est pas certain toutefois que nous gagnerions au change. Pour notre propos, 6tude du systeme phonique des enfants, tout renseignement supplementaire est bienvenu et l'imperfection constat&e se trouve compenser certaines insuffisances initiales. Ainsi, l'opposition /i/ ~ /te/ qui n'apparait pas dans la seule liste de mots, nous est fournie du fait que, dans une 6preuve de ce genre, les enfants, comme les adultes d'ailleurs, font prec6der le mot d'un article : l'indefini quand il s'agit d'un objet isolable, le defini pour les parties du corps.

La liste des mots proposde donne lieu A certaines observations du point de vue des oppositions phonologiques A tudier.

Signalons tout d'abord que ce questionnaire a 6t6 etabli pour obtenir des

precisions relativement au systeme consonantique. En effet, dans l'esprit de Simone Perron et de ses collaboratrices, le maniement du systeme de voyelles ne posait pas de problemes A l'Age consid6r6 et il est de fait que ce qui peut rester encore A priciser, chez les enfants normaux, en matiere de vocalisme, se situe dans les zones du systeme phonologique les plus susceptibles de varier d'un sujet A un autre et pour lesquelles, de ce fait, les

Francais, dans leur

ensemble, ont 6t6 conditionnis A une grande toldrance. En revanche, le systeme consonantique 6tant beaucoup plus stable, ce qui peut y rester d'imperfections phonologiques, chez les enfants, y est tres bien reperd.

Dans l'examen des donn&es, nous sommes parties de I'observation de quelques confusions de mots qui semblent temoigner d'un fonctionnement imparfait du systeme. Ceci nous a amendes A fixer notre attention sur les oppositions de sonorit6, la distinction des apicales /t d/ et des dorsales /k g/, et celle des sifflantes /s z/ et des chuintantes / 9 /, en positions initiale, intdrieure et finale de mot. Faute de paires minimales utilisables, nous nous sommes efforc&es de trouver des contextes phoniques identiques. Mdme cela faisait problkme. Ainsi pour /t/N /k/, It-/ est suivi 3 fois de /a/, I fois de /y/, I fois de /fi, /k-f 3 fois de fa/, 3 fois de fu/, 3 fois de /y/, I fois de /of, I fois de /o/.

Le questionnaire a dtd prdsent6 aux enfants une premiere fois A l'autome 1972, puis, avec de 1kgers remaniements (elimination de cuvette, par exemple), en juin 1973. On peut donc tenter d'dvaluer les progres realisds par les enfants dans

l'apprentissage du systeme phonologique au cours de leur deuxikme annie en maternelle. Entre les deux examens, le travail pedagogique a vis6 essentiellement A faire acquirir des oppositions comme brosse/broche dont l'absence avait parti- culierement frapp6 l'observatrice au moment oih elle faisait passer le premier test.

Les rdponses des enfants ont 6td enregistr&es, mais les enregistrements de l'automne 1972 sont, techniquement, de tres mauvaise qualit6, et ne permettent pas toujours de se prononcer. Ceux de juin 1973, effectuds dans de meilleures conditions, sont suffisamment clairs.

LA LINGUISTIQUE, 1 4

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Les premiers avaient ete confies, pour transcription, A Judith Fonigy (desor- mais J. F.), mais sans que lui soit pr6cise assez clairement l'objectif qu'on s'dtait propose, a savoir d&terminer si oui ou non telles oppositions phonologiques 'taient attest6es chez les enfants. Ses remarques tr's fines, relatives surtout aux d6tails phon6tiques du parler des enfants, ont surpris les membres de l'Cquipe initiale, surtout du fait que la plupart des remarques portaient sur la realisation des voyelles. Ceci a, en consequence, attire l'attention sur le systeme vocalique et, en particulier, sur le fait que, contre toute attente dans cette ecole de la

region parisienne, l'article ind6fini est prononc6 [1] par tous les enfants. On

s'interroge alors sur le systeme phonologique de la maitresse : elle est bretonne et distingue / I/ de /e/. Le facteur << maitresse >> semble donc d6terminant aupres de ces enfants qui passent toute la journ6e A la maternelle et n'ont souvent que peu de contacts linguistiques avec leurs parents; plus encore, bien entendu, aupres des sujets d'origine &trangere qui ne parlent pas frangais A la maison.

Nous avons 6tudid les enregistrements de juin 1973 en nous efforgant d'isoler les donnees proprement distinctives. Nous disposons donc de trois ensembles de donnees : 10 les remarques de J. F. pour l'automne 1972 consignees dans un compte rendu de Marie-Christine Drouin (nous n'avons pu avoir acces aux

enregistrements eux-memes); 20 un apergu du systeme phonologique de la maitresse que nous pr6sentons ci-dessous; et 30 notre propre analyse des enre-

gistrements de juin I973. Ce sont ces ensembles que nous allons confronter

pour determiner les progres r6alis6s par les enfants au cours de l'anne sco- laire I972-I973 et l'impact de la maitresse dans ce proces.

Nous envisagerons d'abord les faits d'un point de vue paradigmatique, dans le cadre du systeme qu'ils forment, puis d'un point de vue syntagmatique en 6tudiant le sort qui leur est r6serv6 lorsque les phonemes se trouvent au contact les uns de- autres dans la chaine parl6e et nous terminerons par quelques remarques relatives & l'Fconomie du systeme resultant de l'dquilibre entre les deux axes.

La maftresse

N6e en 1942 a Morlaix (Finistere) de parents brestois, elle est donc Agde de 31 ans au moment de cette enqu6te. Elle a rdsid6 dans le Finistere jusqu'd 20 ans, puis dans la Mayenne pendant cinq ans et enfin dans le Val de Marne pendant les cinq dernieres annees.

Sur la base de ses r6ponses, enregistrees sur bande, au questionnaire Martinet-

Deyhime (40 questions), elle prdsente un syst me A 15 voyelles :

i y u e o o

a a 0 aa E a

Elle ne semble pas connaitre de distinction de longueur (cf. les conclusions de Martinet relatives A la raret6 des oppositions de longueur dans le frangais de Bretagne; voir La prononciation du fran;ais contemporain, les cartes du quo- tient T/L, pp. 79, 81, ou L/T, p. 128). Elle pratique l'opposition /a/~ /ca dans patte pdte et, faiblement, dans Pathd pdtd. Elle distingue /e/ de /ef A la finale, avec une repartition /n/ pour les, mes, serai, /el pour quai, gai, cahier, /a/ de /o/ en position couverte; elle ne connait qu'une realisation intermediaire

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entre /oe/ et /0/ dans les positions de pertinence et pour le e de bois-le. Elle dis-

tingue tres clairement /0-e/ de /E/, mais declare cependant, en rdponse A la question << Si vous faites la distinction avez-vous conscience de la faire avec un certain effort ? > : << Oui, je reflechis avant, je pense A I'orthographe quand je dis sa. >>

Elle denasalise frdquemment les voyelles nasales en liaison : mon ami et

Moyen-dge sont /mznami/, /mwajena3/, et un euf est /oencef/. Elle prononce peu d' << e muets >> et pratique l'assimilation de sonorit6 dans mddecin, absent, faux-jeton, vite dit, civisme. Toutefois, dans vite dit, le voisement du /t/ n'est pas aussi complet que le ddvoisement de /d b 31 dans les autres mots. A la finale, elle semble devoiser Igerement le /-b/ de cab, mais ceci n'affecte pas /-d/ et /-g/.

Elle prononce de fagon identique fi + V et [nj] + V (mignons ,. minions) et distingue /lj/ de /j/ dans soulier ~ souiller, pilier, piller, mais non dans

fusilier N fusiller. Elle donne une syllabe A pied, lion, Riom, deux A bude, boude, louer.

Les enregistrements Dans la discussion des faits, nous ecarterons initialement certaines observa-

tions valables pour les deux enregistrements et qui n'affectent pas la phonologie B proprement parler. Ii n'est pas certain, en effet, qu'il s'agisse de caractiris- tiques reelles du parler des enfants; il pourrait y avoir 1 des faits imputables aux appareils utilis6s ou aux conditions dans lesquelles les enregistrements ont

et6 effectuds : ceci touche en particulier la faiblesse de la nasalite dans les

voyelles nasales, des phenomenes d'assourdissement des voyelles finales et des faits de palatalisation : les enfants chuchotent quand ils s'appliquent, ils ont, ccmme la maitresse, une attaque initiale tres forte assez inattendue qu'on peut 6tre tent6 d'interpreter en termes d'aspiration. Suivant qu'ils sont plus ou moins siirs de ce qu'ils disent, ils s'arretent abruptement

" la fin du mot ou le laissent finir dans un souffle. Le relachement tres frequent des voyelles ne semble pas affecter la phonologie puisque si, dans l'observation de J. F., le /e/ de nez est un [s], le /e/ de maison est un [e], si bien que la proportion entre les deux reste assuree.

Paradigmatique Pour repondre a la question de Simone Perron : < Quelles oppositions faut-il

etudier et selon quelle progression ?)> nous avons tent6 de faire le calcul des oppo- sitions du frangais, en partant de la consideration que si tout phoneme de la

langue s'oppose a tous les autres le nombre d'oppositions nous est donne par n(n- I) une formule , soit, pour un syste'me de 30 phonemes : 385. L'analyse 2

en traits pertinents et le classement des phonemes en correlations permettent de r'duire ce nombre en hidrarchisant les faits : on s'attachera en priorite aux

oppositions qui reposent sur un seul trait pertinent et l'on groupera celles qui presentent la meme distinction. On retrouvera donc, pour commencer, les corr6lations.

Corrilation de sonoritd

J. F. note une neutralisation de l'opposition de voix, dans le sens unique du non-voisement : les sonores sont totalement d6voisees ou imparfaitement voisees,

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I00 JEANNE MARTINET

les sourdes ne sont jamais vois'es. Peut-6tre l'observation a-t-elle ite affect~e par les chuchotements. En juin 1973, cette opposition nous semble acquise par tous les enfants : un seul d'entre eux ddvoise partiellement /-b/ a la finale. Un petit Alg rien, qui parle berbere A la maison, donne un b au lieu d'un p A l'initiale; un enfant devoise /z/ et /3/ a la finale, un autre, enfin, /3/ seulement. Mais, dans tous ces cas-la, le phoneme ddvois6 n'est pas tout A fait identique A la sourde correspondante, c'est pourquoi nous considerons l'opposition comme acquise.

Correlation de nasalite

J. F. n'a fait aucune remarque sur les consonnes nasales. En juin 1973, /m/ et /n/ sont bien distinguds de /p b/ et /t d/, mais nous ne disposons pas de donnees suffisantes relatives a l'opposition

/j/, /fi/, qui, selon Anne-Marie

Houdebine (Recherches pidagogiques, no 57) peut faire difficulte : elle signale en

effet, pour abeille et montagne des [abjp] et des [m6taj]. Nous consid~rerons ult&- rieurement le problkme de la nasalite vocalique.

Momentandes et continues

Meme si l'on ne fait pas intervenir l'opposition entre ces deux types articu- latoires dans la phonologie du frangais gendral, il convient de l'envisager au cours du processus d'acquisition du systeme. J. F. a cru percevoir des pronon- ciations affriquees ou occlusives de constrictives sourdes. Mais on se demande si

l'on doit faire stat de ce ttmoignage en consideration de la qualit6 tris impar- faite de l'enregistrement et des conditions dans lesquelles le test a 6t' realis6. En tout cas, nous n'avons releve, en I973, aucune trace de tels phenomenes. En

revanche, certains relachements d'occlusives sonores ([g] > [y] dans bague) que note J. F. sont attestes un an plus tard. Sur le plan de la distinction des unites

distinctives, cela n'intervient pas, puisqu'il n'y a, en frangais, aucune paire de

phonemes consonantiques qui se distingue uniquement par la plosion s'opposant a la friction.

Oppositions de points ou de modes d'articulation

En principe meriterait attention toute paire de phonemes dont les membres ne diffbrent que par un seul trait pertinent. Nous devrions donc, dans le cadre d'une serie correlative, examiner l'opposition de chaque phoneme a tous les autres, donc /p/ 1 /f, /p/ ~ /t/, /p/I /s/, etc., et de meme, dans la serie des sonores. En fait, notre examen n'a porte que sur celles des oppositions qui nous ont paru les moins bien &tablies. Il convient d'ailleurs, en la matiere, de ne pas se contenter de traiter des faits les plus evidents : Simone Perron a constate une difficulte ' distinguer /t/ de /J/, dans la paire coton ~ cochon, qu'on aurait pu croire ne pas poser de problkme sp6cifique. J. F. ne relive de confusion qu'entre sifflantes et chuintantes. C'est bien 1L le secteur oih il regne le plus d'incertitudes : certaines realisations sont si proches qu'elles semblent, au premier abord,

indiff~rencides, les chuintantes paraissent privees d'arrondissement labial ou sont palatalisees, les sifflantes sont probablement apico-alviolaires. En tout cas, ce qui vaut pour /s N ~/ vaut egalement pour /z - 3/. Il semble que la confusion ne soit jamais totale. Les sifflantes restent mieux identifiables que les chuintantes. Sur les trente enfants observes, six seulement manifestent encore sur ce point de s'rieuses imperfections par rapport A l'usage des adultes.

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NOTES ET DISCUSSIONS IOI

Nous relevons, ce que ne signale pas J. F., quelques confusions de /t/ et de /k/, et ceci chez trois enfants, dans le cas de tube ~ cube; il y a, dans ce cas, des rdalisations palatales devant [y]. En revanche, l'opposition est toujours nette devant voyelle d'arriere dans moto, chocolat. Le petit berberophone a [t] A l'ini- tiale de camion, [k] a celle de tube et realise gdteau comme [gako]; dans ce dernier cas, il peut s'agir de l'attraction du [g] qui preciede. Camion apparait au total trois fois avec [t]; mais ce mot semble constituer un cas d'esp&ce.

On peut se demander si la reticence des enfants en face de tube et tarte ne tient pas a la g6ne qu'ils eprouvent en face de la quasi-homonymie avec cube et carte respectivement. De tels cas sont probablement rares dans leur usage caracteris6 par un lexique tris restreint. Ceci nous a ete sugger6 par les diffi- cultes que nous avons rencontrees dans notre recherche de paires minimales utilisables en l'occurrence. On notera, a ce sujet, que les variantes [gako] et [tamja] ne creent aucun conflit homonymique, de telles formes ne figurant pas dans le lexique frangais. Il semble donc qu'on ait A s'interroger sur le rendement fonctionnel des oppositions dans le cadre du vocabulaire de I'enfant.

Notre questionnaire presente un seul /k/ A la finale dans anorak et 8 /t/ dont 2 apres r dans carte et tarte, I dans patte, I dans culotte et les 4 autres dans le suffixe -ette, tous bien identifiables chez les enfants.

L'opposition /p/N ~/k/ sort bien sauf dans poupee [kupe] chez un enfant qui r6alise correctement tous les autres /p/. Y aurait-il ici le resultat d'une tendance A une dissimilation ?

L'opposition bi-labiale,~ labiodentale pose problkme dans savon [sabo] a une petite fille d'origine portugaise qui presente par ailleurs une spirantisation du /g/ de bague.

Les voyelles Notre questionnaire, nous l'avons dej& signals, ne nous permet que des

remarques fragmentaires au sujet des voyelles. Elles evoquent frequemment un timbre plus ouvert que celles des adultes. Peut-6tre s'agit-il proprement d'un relachement articulatoire ou encore d'une impulsion r6sultant du quasi-chucho- tement d4jA signalk. La chose est particulierement nette en syllabe couverte, surtout devant r, ce qui n'est pas surprenant.

Nous manquons d'elIments pour nous prononcer sur l'opposition de deux a, encore qu'on relkve chez certains enfants des timbres posterieurs dans tasse, rasoir et gdteau; en ce qui concerne /j/ /of, nous relevons constamment des timbres diff6rents dans pomme et dansjaune. Le timbre du Jo/ de pomme ne semble pas se rapprocher de celui du /ce/ de euf, comme on le constate frequemment chez les adultes parisiens. En ce qui concerne /e/ ~ /e/, on notera, en face du [e] final dans pouple, cafr, le [e] constant dans les, comme chez la maitresse. Les autres oppositions du systeme des voyelles orales semblent acquises. On relkvera des realisations centralisees et presque neutres de /i/ et /y/ apres dorsale qu'ils palatalisent : figure tend vers [fidar] et cuillre s'entend comme [txjer].

Les remarques les plus interessantes que suggere le vocalisme sont celles qui se rapportent au < e muet >>. Comme on peut s'y attendre, aucun enfant ne le prononce a la finale. LA oh on l'entend, il tend, chez certains, a se confondre avec un a antdrieur, comme semble l'indiquer la confusion de le rasoir et l'arro- soir ; peut-6tre y a-t-il 1 imitation d'une prononciation paternelle avec un a d'arriere profond qui suggere A l'enfant un /a/. Dans le m6me sens, on relkve,

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I02 JEANNE MARTINET

A c6t6 du normal [ferarpase] pour fer d repasser, un [ferarapase]. Notons, sans < e muet >>, [sedetti tijo] c'est un petit tuyau, [ynptitbwat] une petite bofte.

Voyelles nasales

J. F. notait que la nasalit6 y 6tait peu nette. C'est aussi notre r6action, en

particulier dans dent, et l'opposition manteau,., menton, quand elle apparait, n'est pas toujours tres nette. Mais ceci pourrait 6tre imputable A l'enregistrement, car dent prononc6 par Simone Perron au cours du test parait, A l'audition de la bande, aussi peu nasalise que celui des enfants. Il reste clair que tous les enfants ont acquis le systeme de quatre phonemes nasaux qui est celui de la

maitresse, /Oef et /i/f tant bien distincts, comme il ressort du rapprochement de un et de main. Comme chez la maitresse, un se decompose en foe/ (non nasal) + /In devant voyelle initiale de mot suivant.

Groupes de phonemes Avant de passer A l'examen des rapports entre phonemes dans la chaine

parlke, nous traiterons de quelques groupes de phonemes, dans la mesure oih ces groupes peuvent 6tre amends commuter avec des phonemes simples, si bien que leur etude trouve sa place en paradigmatique plut6t qu'en syntagmatique.

Le groupe /1 + j/ de collier est rdalise [1 + j] par la grande majorite des

enfants; trois d'entre eux presentent un [j] simple; on trouve egalement un [j] gemine et un [1j]. La combinaison consonne + [j] semble pourtant faire parfois difficult6 : chez beaucoup [j] est tres faible dans serviette et camion. On peut se demander si l'on a affaire A une succession ou & une consonne simple palataliste et ceci est encore plus marque dans assiette oh le groupe /s + j/ regoit des reali- sations si voisines de celles, palatalisees, de /I/ qu'il nous semblerait opportun d'etudier la paire assiette N achlte dans nos prochaines enquites.

Notre questionnaire ne comporte pas de groupes consonne + fr/, con- sonne + /1/. Nous les avions 6vites systimatiquement comme trop complexes pour la tranche d'age considdree. Or, nous constatons un phenomene intiressant

qu'il faut sans doute verser au compte de l'hypercorrection : quatre enfants disent [bagl] pour bague et trois [[kudr] pour coude. Sylvie F. a, en outre, [lynetr] pour lunettes et [patr] pour patte. Laurence A., la benjamine du groupe (nde le 9-Io-I968), ajoute un [r] A toute finale consonantique, d'oi, outre les pr6ce- dents, [kybr], [tybr], [asjetr], [saladr] et m6me [tasr]. Hypercorrections, disons-

nous, si l'on pense que dans le parler courant, les /1/ et /r/ des groupes finals consonne + /1/, consonne f/r/ sont rarement prononces, mais qu'on les pro- nonce a l'intention des enfants quand on isole les mots dans une diction gardee. I,'enfant les retablit done dans une situation qui appelle des productions soignees, et il en rajoute.

Relations syntagmatiques et iconomie

La situation tres particuliere cr&be par l'examen des enfants au moyen du

questionnaire amine ceux-ci & produire, en reponse aux questions posies, des enonces reduits au syntagme nominal le plus simple : article + nom, ou m6me : nom seul. Nous pouvons done faire quelques observations d'ordre syntagmatique dans le cadre du syntagme article + nom et dans le cadre du mot isolk. Ii ne

s'agit plus ici des oppositions, mais des contrastes.

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NOTES ET DISCUSSIONS 103

Les enfants, nous l'avons signal', utilisent l'ind6fini quand ils nomment des objets, le d6fini pour des parties du corps. On a donce: une moto, mais le nez. Cependant, nous trouvons les lunettes, sans doute parce qu'elles se trouvent pr&- sentdes apres les parties du corps et que l'enfant en est encore A utiliser le d6fini.

La succession [yn] (une) + consonne donne lieu A quelques remarques lorsque la consonne suivante est une labiale et que le mot comporte une autre nasale : une pomme, une banane. On constate alors une tendance A la labialisation du [n] et A la nasalisation de la bilabiale, sans que cela aboutisse A l'assimilation totale des deux. Pourtant, certains enfants reagissent contre cet 6talement de la nasalite sur le mot en diffirenciant les nasales successives, d'oh des r'alisa- tions [yn/m, b/malan], [yn/m, banad], la premiere dissimilant le premier /-n-/ en /1/, la deuxieme consistant simplement dans la denasalisation de [n] final. [n] contraste nettement avec la bilabiale non nasale devant boule, bougie, poule, poupie et plus encore devant les autres consonnes.

La presence de 1 et n dans un meme 6nonc6 cr6e des difficultis, ainsi dans les lunettes, oh l'on observe en meme temps un besoin de diff6rencier les deux I et une anticipation de la nasalite : le 1 de lunettes peut donc 6tre plus ou moins nasalise, cela pouvant aller jusqu'A [lenynet].

Nous n'avons pas fait une analyse exhaustive des variations imputables A l'environnement phonique. Elles nous semblent toutes, cependant, obeir A la loi de 1'economie linguistique : l'identit6 de l'unit6 significative doit tre pr6- servee, mais avec le minimum d'effort. Dans le cadre du mot ou du syntagme - I' nonc6 produit - on tend A ne maintenir que les traits indispensables : dans un cas, c'est l'opposition de sonorite qui sera negligde au profit de la distinc- tion entre points d'articulation; c'est celui de certains devoisements. Plus sou- vent, on constatera l'assimilation des articulations dans le mot, la diff6renciation entre les phonemes n'6tant plus assuree que par l'opposition de sourde A sonore (type [gako] gdteau, [Je3] chaise). Faudrait-il voir 1A une etape entre les premiers mots caracterises par la rdpetition de la m~me consonne A l'initiale de deux syllabes et les mots du langage adulte oh figurent, dans un meme mot, des phonemes qui n'ont aucun trait en commun ? Ce qui est certain aussi, c'est que toutes les fois oh l'identit6 du mot, dans le cadre du vocabulaire de l'enfant, se trouve en cause, il fait I'effort necessaire pour la preserver. C'est donc A partir du vocabulaire connu de l'enfant, et non de l'inventaire d'un diction- naire, que devrait 6tre 6tudid le rendement fonctionnel des oppositions.

A la fin de leur deuxieme ann&~ en maternelle, quelle que soit l'imperfection de certaines de leurs r6alisations, tous les enfants que nous avons observes sont en possession du systeme phonematique adulte. Faute de confrontation avec un groupe t6moin, nous ne pouvons faire credit, A coup stir, A la p6dagogie mise en oeuvre. Il est probable, cependant, que se trouve confirmee l'hypothese de Simone Perron, selon laquelle << le maniement ludique ) des paires minimales a favorise la mise en place des oppositions et, en contrecoup, << l'appttence A la communication )). Ce qui nous semble certain, en tout cas, c'est que le systeme acquis est tres exactement - dans le cadre scolaire - celui de la maitresse. Reste A voir en quel sens il pourra se trouver modifid, les annies suivantes, par le contact avec d'autres maitresses representatives d'autres usages.

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