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1 À Rosalie et Kalim mes parents

À Rosalie et Kalim mes parents

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    Rosalie et Kalim

    mes parents

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    Michel Asmar, abeille, reine de la ruche, infatigable et merveilleuse

    Elie Tyane

    Cest par l, me semble-t-il, que le Cnacle Libanais en sa tribune libre aura le mieux mrit de

    la nation, il prpare les archives de lavenir

    Ren Habachi

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    Remerciements

    Dans son livre, al-Muqaddima, le penseur libanais, Charles Malek, fait part de sa conviction que sa rencontre avec son matre, le philosophe anglais Alfred North Whitehead, avait eu lieu grce la providence divine . Il marrive parfois de minterroger sur lexistence de cette providence et sur son rle dans ma vie et, la rflexion, il me faut bien avouer que ce travail naurait pu voir le jour sans ma rencontre avec Monsieur Dominique Avon qui a t, durant ces annes, bien plus quun directeur de recherche. Cest lui dabord que jadresse mes sentiments reconnaissants, pour sa confiance, pour ses conseils, pour son accompagnement et enfin pour ses efforts qui mont permis de bnficier dune allocation de recherche sur trois ans accorde par le Ministre franais de lEnseignement suprieur et de la Recherche. Cest aussi au co-directeur de cette thse, le Pre Karam Rizk, que jadresse mes remerciements pour lencouragement attentif quil ma accord depuis mon inscription lInstitut dHistoire lUniversit Saint-Esprit de Kaslik (Usek) en 2005.

    Comme ce travail seffectue dans le cadre dune convention de cotutelle entre lUniversit du Maine et lUsek, je tiens remercier, dune part, le personnel de lUFR de la Facult des Lettres et du Collge doctoral lUniversit du Maine pour leur soutien lors de mon sjour au Mans entre les annes 2009 et 2012 et, dautre part, le personnel de lInstitut dHistoire et de la Bibliothque centrale de lUsek, notamment le Pre Joseph Moukarzel, pour avoir mis ma disposition une version lectronique des sources indispensables mon travail.

    Mes sentiments de reconnaissance sadressent aussi la famille de Michel Asmar, notamment Madame Rene Asmar Herbouze et Monsieur Sm Asmar, qui mont permis, avec beaucoup de gnrosit et de confiance, de consulter et dexploiter les Archives du Cnacle libanais qui compltent de manire clairante les textes publis dans Les Confrences du Cnacle.

    Je tiens aussi remercier vivement Monsieur Bernard Garreau pour le temps, la patiente et les efforts quil a dploys pour assurer, avec une grande disponibilit, la relecture et la correction des textes de cette thse.

    Je ne peux oublier mes parents, ma fiance Nahed, la famille Avon et les amis, au Liban et en France qui, chacun sa manire, a particip par son amour, sa confiance, son soutien, son amiti la conduite de mes travaux.

    Enfin comment oublier la gnrosit de la France et de son peuple grce laquelle ce travail sur lhistoire des ides au Liban a vu le jour. Que ces lignes soient un hommage lamiti franco-libanaise et un acte despoir que Paris et Beyrouth portent ensemble le flambeau de lintelligence, de la libert et du beau.

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    Notes

    Abrviation utilise : A.C.L. pour Archives du Cnacle libanais.

    Noms de confrenciers : Pour des raisons de commodit de lecture, nous avons retenu pour les

    noms des confrenciers stant exprim en franais la graphie telle quelle se prsente dans les

    Confrences du Cnacle. Quant aux noms de confrenciers stant exprim en arabe, nous avons

    adopt la translitration de lalphabet arabe selon le tableau ci-dessous. Si le lecteur observe

    quelques imperfections, nous lui demandons son indulgence.

    Translitration arabe b t th J kh d dh r z s sh gh f q k l m n h ou w ou y

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    INTRODUCTION

    Il me revient toujours lesprit une discussion avec Monsieur Dominique Avon, mon

    directeur de thse et Iliass Harakawa, doctorant togolais lUniversit de Paderborn la suite de

    notre confrence sur lidentit libanaise1 que nous avons prononce le 11 novembre 2010 lors

    dun colloque organis Paderborn dans le cadre de la coopration entre lUniversit du Maine

    et lUniversit de Paderborn sur le thme de lidentit2. Nous nous posions la question de savoir

    comment les personnes, les communauts et les nations sidentifient vis--vis dautrui. De cette

    discussion est ne la conclusion que lidentit est dabord une construction culturelle . En

    dautres termes, la phase A , selon lappellation dEric Hobsbawm, de la construction de

    lidentit est purement dordre culturel avant dtre une donne politique3.

    Dans la plupart des pays de langue arabe4 majoritairement musulmans lidentit reste

    toujours tiraille entre trois appartenances : islamique lumma), arabe et locale. Dans la majorit

    de ces pays, la contrainte est la marque des rgimes politiques en place, quils soient religieux,

    monarchiques ou militaires. la diffrence de ces pays, le Liban constitue un cas particulier o,

    malgr lexistence de diverses tendances nationalistes, une importante partie de sa population est

    attache son identit locale, la libanit 5, et o lEtat et le rgime politique sont le produit

    1 Amin ELIAS, Lidentit libanaise en question , confrence prononce lors du Colloque Franco-allemand organis par lUniversit du Maine et lUniversit de Paderborn, Allemagne, 11/11/2010. 2 Facteur didentit, Faktoren der Identitt (dir. Dominique AVON et Jutta LANGENBACHER-LIEBGOTT), Bern, Peter Lang, 2012. 3 Eric HOBSBAWM, Nations et nationalisme depuis 1780, traduit de langlais en franais par Dominique PETERS, Paris, Gallimard, 1990, p. 32. 4 Nous avons opt tout au long des pages de ce travail pour lexpression pays de langue arabe pour dsigner les pays qui ont la langue arabe (adopte officiellement) comme dnominateur commun. Alors que les expressions Monde arabe et pays arabes portent des dimensions politique, conomique et nationale qui restent toujours objet de tensions et de dbats entre ces pays, lexpression pays de langue arabe nous semble plus neutre et plus prcise. 5 Karam RIZK, Libanit et citoyennet selon les premires gnrations de nationalistes libanais (1870-1920), Annales de philosophie et des sciences humaines : la citoyennet projet dEtat pour une nouvelle socit, Colloque organis entre le 15 et le 17 mars 2007, Universit Saint-Esprit de Kaslik, Kaslik, 2007, volume 23, p. 45-55.

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    dun pacte national entre ses fils1. Ce nest pas par hasard que lune des grandes figures de la

    famille arabiste al- ul -s2, Taq al-Dn al- ul dclare : Le Liban est le seul pays arabe qui est

    difi comme entit indpendante des autres entits arabes sur la volont dune partie de ses fils

    [que sont les chrtiens] et sur le consentement de lautre partie [que sont les musulmans] 3.

    Volont et consentement, ne sont-ils pas deux piliers du concept de la nation moderne ? Ne

    se rapprochent-ils pas du plbiscite de tous les jours condition indispensable, selon Ernest

    Renan4, lexistence dune nation et lexpression dune identit ?

    En revanche, bien quil soit une ralit gopolitique qui simpose depuis le premier

    septembre 1920, le Liban, en tant quidentit, que nation, que peuple, quEtat et que rgime,

    reste jusqu nos jours sujet de dbats aussi bien entre ses fils que chez les observateurs

    trangers5. Nous pouvons mme dire que le Liban reste un projet raliser, il est toujours en tat

    tat de formation culturelle, politique, conomique et sociale. Alors que sa formation sur les

    plans historique6, politique7, constitutionnel8, juridique9 et conomique10 a fait lobjet de maintes

    1 Cf. les travaux prcieux sur ce thme faits par le professeur Antoine MESSARRA, Le Pacte libanais, Beyrouth, Librairie orientale, 2002 ; et Antoine MESSARRA, La gouvernance dun systme consensuel, Beyrouth, Librairie orientale, 2003. 2 Patrick SEAL, La Luttre pour lindpenance arabe Riad El-Solh et la naissance du Moyen Orient moderne, Paris, Fayard, 2010. 3 Taq al-Dn al- UL , Al-Nid al-Qawm aqda wa ni l Lappel national : doctrine et lutte), Les Confrences du Cnacle, n2, 1954, Beyrouth, pp. 71-99. (Srie : Energies engages, prononce le 10 dcembre 1953). 4 Ernest RENAN, Quest-ce que cest la nation ?, Paris, Mille et une nuit, 1997, p. 33. 5 Colette Juilliard BEAUDAN, Des Phniciens aux Libanais , Les Cahiers dOrient, n90, juin 2008, Paris, p. 101 106. 6 Entre autres : les travaux des professeurs lUniversit libanaise comme Elias QA R, Niybat arblus f ahd al-Mamlk, Beyrouth, Publications de lUniversit libanaise, 1998 ; Umar Abd al-Salm TADMUR, Lubnn min al-fat al-islm att suq al-dawla al-umawiyya, Tripoli, Jarrs Presse, 1990 ; Umar Abd al-Salm TADMUR, Lubnn min qiym al-dawl al-abbsiyya att suq al-dawla al-ikhshdiyya, Tripoli, Jarrs Presse, 1992 ; Mohammad Al MAKK, Lubnn min al-fat al-arab il al-fat al-uthmn, Beyrouth, Dr al-Nahr, 2005 ; Karam RIZK, Le Mont-Liban du XIXe sicle de lEmirat au Mutassarrifiyya, Kaslik, Universit Saint-Esprit de Kaslik, 1994 ; Jean SHARAF, Al-dylji al-mujtamayya, Beyrouth, Publications de lUniversit libanaise, 1996 ; Jean SHARAF, Jabal Lubnn f al-qarn al-sdis ashar, Kaslik, Pusek, 2008 ; Abd al-Ra m AB USSAYN, Lubnn al-imra al-durziyya f al-ahd al-uthmn, Beyrouth, Dr al-Nahr, 2005 ; I m KHALFIH, Ab th f trkh Lubnn al-mu ir, Beyrouth, Dr al-Jl, [s.d.] ; Dawlat Lubnn al-kabr, Beyrouth, Publications de lUniversit libanaise, 1999 ; Al-Ybl al-dhahab li-istiqll Lubnn, Beyrouth, Publications de lUniversit libanaise, 1996. 7 Entre autres : Edmond RABBATH, La formation historique du Liban politique et constitutionnel, Beyrouth, Publications de lUniversit libanaise, 1984 ; Fard al-KHZIN, Tafakkuk aw l al-dawla f Lubnn, Beyrouth, Dr al-Nahr, 2002 ; Georges CORM, Le Liban contemporain histoire et socit, Paris, La Dcouverte, 2003. 8 Antoine HOKAYEM, La gense de la constitution libanaise de 1926, Beyrouth, Les Etudes universitaires du Liban, 1996 ; Edmond RABBATH, La constitution libanaise. Origines, textes et commentaire, Beyrouth, Publications de lUniversit libanaise, 1996. 9 Antoine KHAYR, Le Mutaarrifiyya du Mont-Liban, Thse de doctorat en droit, Facult de Droit et des Sciences conomiques, Universit Saint Joseph, Beyrouth, 1968. 10 Tfq KASBR, Iqti d Lubnn al-siys, Beyrouth, Dr al-Nahr, 2003.

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    maintes tudes, sa formation culturelle noccupe quune place marginale dans les sujets de

    recherches et denqutes. Notre travail sinscrit dans le cadre de ce thme gnral concernant la

    formation intellectuelle et culturelle du Liban. Plus prcisment, ce travail se propose de

    dcrire et danalyser le phnomne culturel que le Cnacle libanais , tribune, centre de

    rflexion, forum de rencontres, dchanges et maison ddition, a reprsent entre les annes

    1946 et 1984 et son rle dans la formation culturelle du Liban.

    En effet, le Cnacle libanais ne constitue pas seulement un excellent cas dtude pour

    dcrire la gestation culturelle et intellectuelle dune identit, dune nation, dun peuple et dun

    Etat, il reprsente aussi une prise de conscience par lintelligentsia libanaise de son rle dans

    ldification de son pays et du monde de langue arabe. Cest dans cette perspective que le

    fondateur du Cnacle libanais, Michel Asmar prsente sa tribune comme l expression de la

    conscience libanaise 1. Dans lentretien quil ma accord2, Monsieur Antoine Messarra,

    professeur de Droit et de Sciences politiques lUniversit Saint Joseph Beyrouth et membre

    du Conseil Constitutionnel du Liban, est mme all plus loin et a estim que le plus grand mrit

    du Cnacle a consist crer une Libanologie .

    Aussi, si nous avons choisi dinscrire ce terme dans le titre de notre thse cest parce que

    le Cnacle est en effet le centre de rflexion de la Rpublique libanaise qui a le plus contribu

    son dveloppement. Alors que les autres tribunes culturelles contemporaines du Cnacle taient

    plutt vocation littraire ou artistique3 ou bien se dclaraient arabistes4 ou progressistes5, le

    Cnacle est le seul forum qui a fait du Liban son sujet central comme en tmoigne le titre adopt

    pour un grand nombre de confrences organises entre les annes 1947 et 1968 : ldification

    de la Maison libanaise (tamr al-bayt al-lubnn).

    Mais, quentendons-nous prcisment par le terme Libanologie ? Notons tout dabord

    que ce terme ne figure pas dans les diverses versions des dictionnaires consults. Il nest pas non 1 Michel ASMAR, Le Cnacle, expression de la conscience libanaise (Al-Nadwa tabr an al-wa al-lubnn), Beyrouth, ditions du Cnacle libanais, 1962. (Causerie prononces par Michel Asmar au Rotary Club de Beyrouth le 10 dcembre 1962). 2 21 aot 2011 Beyrouth. 3 Cf. I m RN, Al-Majlis al-adabiyya f al-ni f al-awwal min al-qarn al-ishrn (Les salons littraires dans la premire moiti du XXe sicle, Beyrouth, Publications de lUniversit libanaise, 1972. 4 Comme le Club culturel arabe (al-nd al-thaqf al-arab) fond en 1944 Beyrouth, cf. http://www.arabculturalclub.com/default.asp?ContentId=2, consult le 16/8/2013. 5 Dr al-Fan. Jann Rbayz. Nara il al-turth al-thaqf, Beyrouth, Dar al-Nahr, 2003.

    http://www.arabculturalclub.com/default.asp?ContentId=2

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    plus sujet de recherches ou douvrages. Cest le professeur Messarra lui-mme qui nous fournit

    deux brves dfinitions. La premire figure dans son article intitul Comment nous sommes

    programms dans lequel la Libanologie dsigne lensemble des recherches scientifiques

    portant sur le Liban1. La seconde apparat dans son ouvrage intitul Thorie juridique des

    rgimes parlementaire mixtes. Constitution libanaise et pacte national en perspective compare

    dans lequel le mot Libanologie signifie la science du Liban 2. Pour notre part, nous nous

    sommes permis dans ce travail de prolonger cette dfinition afin quelle englobe un ensemble de

    notions et de concepts dvelopps par le Cnacle et quelle prenne en compte toutes les

    problmatiques et les dfinitions relatives au Liban ainsi qu tous les secteurs de la vie

    libanaise. Il sagit de notions telles que la lgende ou mythologie libanaise , la philosophie

    politique du Liban , la nation libanaise , la maison libanaise , le nationalisme libanais ,

    l tre libanais , le peuple libanais , les communauts spirituelles au Liban , la

    civilisation libanaise la vocation du Liban et l lhumanisme libanais . La

    Libanologie au Cnacle consiste galement voquer des concepts relatifs la construction

    de lEtat, ce qui a induit des dbats sur lEtat moderne , la solidarit sociale la justice

    sociale la rforme administrative , les diverses institutions , la planification et le

    dveloppement . Elle voque galement la nature du rgime politique do lintrt port aux

    problmatiques lies au confessionnalisme , la loi religieuse ou Shara , au rapport entre

    temporel et spirituel , entre religion et Etat .

    Par ailleurs, cette Libanologie ne se comprend quen linscrivant dans son contexte

    rgional. Cest ce qui explique la deuxime partie du sous-titre de notre thse. En effet, le

    Cnacle a consacr un bon nombre de confrences voquer les rapports du Liban avec son

    voisinage arabe et mditerranen, ainsi que ses liens avec lOccident. Une telle approche suppose

    que soient dfinis des termes tels que : nation arabe , Grande Syrie , arabit ,

    nationalisme arabe , panarabisme , ainsi que civilisation mditerranenne , identit

    mditerranenne , solidarit mditerranenne et civilisation occidentale . Par ailleurs, et

    comme le Liban est un espace de rencontre et de dialogue, la Libanologie ne peut ignorer

    les rapports entre christianisme et islam, entre Orient et Occident et entre Arabes et Europens,

    1Antoine MESSARRA, Comment nous sommes programms , 11/11/2019, http://www.centre-catholique.com/newsdetails.asp?newid=32201, consult le 15/8/2013. 2 Antoine MESSARRA, Thorie juridique des rgimes parlementaire mixtes. Constitution libanaise et pacte national en perspective compare, Beyrouth, Librairie orientale, 2009, p. 176.

    http://www.centre-catholique.com/newsdetails.asp?newid=32201http://www.centre-catholique.com/newsdetails.asp?newid=32201

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    do les sries de confrences sur le dialogue interreligieux, sur les relations entre croyants et

    monde moderne , entre croyants et athisme et enfin entre les croyants et les

    diverses coles philosophiques quelles soient dobdience marxiste, existentialiste ou

    personnaliste.

    Les tudes consacres au Cnacle libanais avant 1984 sont trs rares, vide quont

    commenc combler les deux ouvrages parus en 1997 et 2012 dont nous parlons longuement

    dans notre conclusion. Il nexiste quun seul mmoire de Master 2 prpar par Mil im Na r

    la Facult de lducation de lUniversit libanaise et qui traite de la littrature au Cnacle

    libanais 1. Il existe aussi un article du pre Jean Corbon publi dans la revue Islamochristiana

    dans lequel il voque le dialogue islamo-chrtien au Cnacle2. Au demeurant, les tudes

    voquant la Libanologie en tant que sujet nexistent pratiquement pas en dehors des crits du

    professeur Messarra.

    Notre recherche a pour point de dpart louvrage publi en 1997 pour le cinquantenaire

    de la cration du Cnacle par Dr al-Nahr et Madame Rene Asmar Herbouze Les Annes

    Cnacle (Ahd al-Nadwa) qui contient le texte de cinquante des confrences les plus importantes

    prononces au Cnacle. Ce sont ces textes puis lensemble du corpus des confrences prononces

    entre les annes 1946 et 1968 et publies dans la revue Les Confrences du Cnacle ainsi que les

    ouvrages publis aux ditions du Cnacle libanais qui ont servi de support principal notre

    travail. Il sagit ici de quatre cent cinquante et une 451 confrences et de plus dune soixantaine

    douvrages principalement en deux langues : arabe et franais et quelques textes en anglais. En

    outre, Madame Rene Asmar Herbouze nous a ouvert sans rserve et avec beaucoup damiti les

    archives du Cnacle qui contiennent un fonds important de notes manuscrites, de procs-verbaux

    des runions du Comit de patronage du Cnacle, de causeries de Michel Asmar la Radio du

    Liban, darticles quil a publis dans divers quotidiens libanais, de textes relatifs ses

    participations aux diverses manifestations culturelles et nationales au Liban et ltranger, de

    textes de confrences non publies (147 confrences), de photos, de coupures de presse et de

    1 Mil im NA R, Al-Adab f nasht al-nadwa al-lubnniyya (La littrature au Cnacle libanais), Beyrouth, Facult de lEducation lUniversit libanaise, 1972. 2 Jean CORBON, Le Cnacle Libanais et le dialogue islamo-chrtien , Islamochristiana, n7, 1981, Rome, p. 227-240.

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    correspondances, conservs pour lessentiel, dans la demeure actuelle de la famille Asmar, et qui

    ont t dpouills et organiss par Monsieur Sm Asmar. Nous avons procd aussi des

    entretiens Beyrouth, Paris et Londres avec des proches de Michel Asmar comme son

    pouse Madame Sibin Asmar, ses enfants ainsi quavec ses amis, en particulier Monsieur

    Khall Rmiz Sarks, Monsieur N f Na r et Monsieur Antoine Khayr. Ces tmoignages oraux

    ont t dune importance toute particulire parce quils nous ont permis la fois de mieux

    comprendre ce que nous rvlent les crits et davoir une approche humaine de notre sujet,

    facilitant notre dcouverte de ltat desprit qui tait celui des acteurs du Cnacle.

    Sagissant des bornes chronologiques de notre travail, nous avons retenu lanne 1946

    comme point de dpart de notre recherche. Cette anne-l marque la fois la date de la libration

    du Liban de toutes les troupes trangres, franaises et anglaises, qui rsidaient sur son territoire

    ainsi que la date de la fondation du Cnacle libanais. Cette date est dautant plus importante

    quelle se situe trois ans aprs la dclaration de lindpendance du Liban, le 22 novembre 1943,

    et la conclusion du pacte national intervenue quelques semaines auparavant entre les deux

    reprsentants des communauts religieuses au Liban, Bhechara al-Khoury et Riad al-Solh. Quant

    la borne chronologique suprieure, 1984, nous lavons choisie parce quelle marque la fin dun

    certain Cnacle libanais, celui qui tait li organiquement Michel Asmar depuis 1946 et qui

    sest termin avec la mort de son fondateur le soir du 24 dcembre 1984. En outre cette date

    sinscrit aussi dans une priode o le Liban de 1943 tait en tat de transformation et o les

    Libanais vivaient lune des poques les plus tragiques et les plus violentes de leur histoire,

    poque pendant laquelle les Libanais, sous les bombes, taient en train de chercher une nouvelle

    formule susceptible de rorganiser leur vivre ensemble.

    En ce qui concerne le plan de ce travail, nous avons opt pour un droul chronologico-

    thmatique qui montre, dune part, lvolution de la Libanologie tout en linscrivant dans le

    contexte historique et politique du Liban et, dautre part, la petite histoire du Cnacle libanais

    en tant que mouvement culturel.

    Dans une premire priode, qui va de la Libration du Liban et de la fondation du

    Cnacle en 1946 jusquaux vnements de lanne 1958, nous mettons en relief lmergence

    dune intelligentsia libanaise consciente de limportance de son rle dans la construction de la

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    nation. La fondation du Cnacle libanais en 1946 nest que la concrtisation de ce sentiment

    prouv par cette intelligentsia optant pour la culture comme vecteur dengagement dans la cit.

    Dans ce cadre, Michel Asmar, fondateur du Cnacle, reprsente le modle de lhomme de lettres

    qui dcide, un moment de son itinraire et de lhistoire de son pays, de devenir un travailleur

    culturel qui se donne entirement son entreprise. Durant cette priode, les activits du

    Cnacle se sont centres, dune part, sur la cristallisation dune mythologie libanaise et, dautre

    part, sur llaboration dune philosophie politique pour le Liban visant dfinir objectivement et

    scientifiquement tout ce qui est li la nation libanaise et ses pres fondateurs, au peuple

    libanais, aux communauts libanaises, au pacte national et au confessionnalisme ainsi quaux

    premiers arpenteurs de ce pays. Cet ensemble de contributions et de rflexions constitue le

    premier pilier de la Libanologie .

    Dans une deuxime phase qui va de llection du gnral Fouad Chhab comme prsident

    de la Rpublique libanaise la suite des vnements de 1958 jusquau 5 juin 1967, date de la

    guerre arabo-isralienne, nous observons lvolution de cette Libanologie . Alors que dans la

    premire priode le Cnacle libanais sefforce de dgager les mythes fondateurs du Liban et des

    cadres pour tous les aspects de la vie libanaise, dans sa deuxime priode, il centre ses

    confrences, dune part, sur les problmatiques lies ldification et la rforme de lEtat, de

    ses institutions et de son administration et, dautre part, sur ladaptation et larabisation du

    personnalisme en tant que philosophie pour le Liban et pour lOrient. En outre, le Cnacle donne

    au dialogue interreligieux une place importante parmi ses activits dans le but de consolider

    lentente entre chrtiens et musulmans au Liban. Ainsi, avons-nous la fin de cette priode une

    Libanologie qui englobe des principes culturels, spirituels, philosophiques, politiques,

    sociaux et conomiques, pour enraciner lide du Liban dans les esprits des Libanais et pour

    consolider lEtat, seul moyen pour assurer la survie et lpanouissement de ce petit et jeune pays.

    La troisime priode qui va de 1967 jusqu la mort du fondateur du Cnacle libanais en

    1984, est la priode des grandes questions. Sur le plan intrieur, Michel Asmar et ses amis

    cnacliens rflchissent ladoption de nouvelles formules, autres que la confrence magistrale,

    comme moyen permettant de traduire laction du Cnacle, jusqualors thorique, dans la vie

    publique concrte. Sur le plan national, Michel Asmar et son Cnacle se sont trouvs devant

    lobligation de repenser le Liban la lumire du sisme politique caus par la dfaite des armes

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    arabes face larme isralienne en juin 1967. Cest dans cette perspective que sont interroges

    les relations du Liban avec le Monde arabe et la Syrie, ainsi que les rapports du Liban avec la

    Mditerrane et le rle du Liban dans la rconciliation de lOrient et des Arabes avec

    lOccident . Mais cette entreprise sera interrompue en raison de lclatement des guerres au

    Liban le 13 avril 1975 et les annes qui suivent seront celles dune cessation progressive et

    cependant jamais accepte du Cnacle.

    En rsum, notre travail se propose, dune part, de dgager des publications et des

    archives du Cnacle libanais les traits principaux de la Libanologie et, dautre part, de tracer

    la petite histoire de cette tribune culturelle depuis sa fondation en novembre 1946 et jusqu

    la mort de son fondateur, Michel Asmar, en dcembre 1984.

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    PREMIRE PARTIE

    LA MAISON LIBANAISE : LDIFICATION DES FONDATIONS

    (1935 1958)

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    Quelle que soit la raction des diverses parties libanaises son gard, la proclamation, le

    premier septembre 1920, de lEtat du Grand Liban1 par le gnral Gouraud, haut commissaire du

    mandat franais, reprsente non seulement lacte fondateur du pays du cdre que nous

    connaissons actuellement, mais galement la premire reconnaissance de ce pays comme sujet

    de droit international 2. Il est cependant judicieux de chercher comprendre la position des

    habitants vis--vis de cette nouvelle entit. Ce jeune Etat considr par la majorit des chrtiens,

    et notamment les maronites3, comme laboutissement de leur histoire et la ralisation de leur

    rve 4, nest pour la majorit des musulmans, et notamment les sunnites, que le rsultat du

    dcoupage artificiel de la rgion 5 selon les apptits des puissances europennes.

    Grce plusieurs facteurs intrieurs et extrieurs, le courant libanais russit raliser

    son projet national6 face au courant arabe, souhaitant lintgration du Liban dans une Syrie arabe

    unie et indpendante sous la souverainet de la famille hachmite7, et celui, syrien, rclamant

    une Syrie unie mais dcentralise sous protection franaise8. En effet, lidentit libanaise [ou

    des Libanais ] ,9 (huwiyyat al-lubnniyyn) prend naissance au sein de la Muta arrifiyya du

    Mont-Liban10 (1861-1915, avant quelle soit promue et dfendue par le Conseil administratif du

    1 Cf. La srie darrts relatifs la cration et lorganisation de lEtat du Grand Liban dans : Antoine HOKAYEM et Marie-Claude BITTAR, LEmpire ottoman, les Arabes et les grandes puissances 1914-1920, Beyrouth, Les ditions universitaire du Liban, 1981, p. 353-368. 2 Antoine KHAYR, Le Moutaarrifiyyat du Mont-Liban, Thse de doctorat en droit, Beyrouth, Facult de Droit et des Sciences conomique, Universit Saint-Joseph, 1968, p. 14-15. 3 Pour mesurer limportance du Liban pour les maronites, il suffit de consulter luvre remarque du Monseigneur Pierre DIB, Histoires des maronites Histoire de lEglise maronite, Beyrouth, Librairie orientale, 3 tomes, dans laquelle il associe lhistoire du Liban lhistoire de lEglise maronite. 4 Le Concile Patriarcal Maronite, 3me dossier LEglise maronite et le monde daujourdhui , texte LEglise maronite et la politique , Bkirki, 2006. Pierre DIB, op.cit. p. 584. 5 Nadine PICADOU, La question libanaise ou les ambiguts fondamentales , Slim Takla 1895-1945. Une contribution lindpendance du Liban (dir. Grard D. Khoury), Beyrouth, Karthala Dar an-Nahar, p. 41. 6 Antoine HOKAYEM, Al-I r al-dawl li-wildat Lubnn al-kabr (Le contexte international de la naissance du Grand Liban), Al-Ybl al-dhahab li-istiqll Lubnn, Beyrouth, Publications de lUniversit libanaise, 1996, p. 157. 7 Cf. le mmoire de lEmir Faysal dans Antoine HOKAYEM et Marie-Claude BITTAR, LEmpire ottoman, les Arabes et les grandes puissances 1914-1920, op. cit., p. 102-105. Pour plus dinformations sur ce sujet Cf. Wajh KAWTHARN, Al-ittijht al-ijtimiyya wa al-siysiyya f Jabal-Lubnn wa al-mashriq al-arab, Beyrouth, Mahad al-inm al-arab, 1976. 8 Prn par plusieurs intellectuels entre autres : Chekri GHANEM, uvres compltes Ecrits politiques, Beyrouth, Dar an-Nahar, 1994 ; et Nadra MOUTRAN, Syrie de demain, Paris, Plon-Nourrit, 1916. 9 Cf. Joseph Antoine LABAK, Masalat huwiyyat al-lubnniyyn f muta arrifiyyat Jabal-Lubnn (La question de lidentit des Libanais dans le Moutassarrifiyyat du Mont-Liban), Muta arrifiyyat Jabal-Lubnn. Masil wa-qadya 1861-1915, Beyrouth, Dr al-Karma, 1988, p. 53-91. 10 Karam RIZK, Le Mont-Liban au XIXe sicle de lEmirat au Mutasarrifiyya, Kaslik, Bibliothque de lUniversit Saint-Esprit de Kaslik, 1994 ; Cf. aussi Issam KHALIF, La Rvolution franaise et les rvoltes sociales au Mont-Liban (1820-1859), La Rvolution franaise et lOrient 1789-1989, Paris, Cariscript, 1989, p. 49-59.

  • 15

    Mont-Liban1 et par lEglise maronite2 entre 1918 et 1920. Avec le soutien de cette Eglise,

    lidentit nationale, nomme par la suite libanisme 3, sest cristallise durant les deux

    premires dcennies du XXe sicle avec des intellectuels libanais comme Paul Noujaim4,

    Youssif al-Sawd5 fondateur de lAlliance libanaise [Hizb al-ittihd al-lubnn]), Tannous

    Khayrallah6, An n Gemayel7, Khairallah T. Khairallah8, Michel Zakkr (fondateur de la revue

    revue al-Marad)9 et Charles Corm (fondateur de la Revue Phnicienne)10. Ces aspirations et ces

    ces revendications de la part des Libanais convergent avec les intrts de la puissance

    mandataire, lpoque la France. Cette convergence trouve tout son symbolisme dans le discours

    du gnral Gouraud lors de la dclaration du premier septembre 1920 sur le perron de sa

    rsidence dans la Fort des pins Beyrouth en prsence du patriarche maronite et du mufti

    sunnite. Saluant les deux drapeaux, et criant Vive le Grand Liban, Vive la France Gouraud

    1 Cf. les textes des deux rsolutions et des trois mmoires des dlgations libanaises la Confrences de la paix Paris, Antoine HOKAYEM et Marie-Claude BITTAR, LEmpire ottoman, les Arabes et les grandes puissances 1914-1920, op. cit., p. 23-24, 29-30, 106-109, 195-207. 2 Cf. le mmoire de la deuxime dlgation libanaise la Confrence de la Paix prside par le patriarche maronite Elias Howayek, Ibid., p. 197-207. Ce mmoire est considr par beaucoup de chercheurs libanais comme lun des documents fondamentaux de lhistoire politique du Liban et lannonce idologique du Grand Liban, Cf. Antoine MESSARRA, ilm as-siysa f Lubnn : Namzaj f ightirb ath-thaqfa as-siysiyya f al-lam ath-thlith , Al-Haraka ath-thaqfiyya f Lubnn, Antlias, Al-Haraka ath-thakfiyya Antlias, 1984, p. 656-681 ; et Georges CHARAF, Histoire politique du Liban moderne (Cycle de confrence), Jal El-Dib, Universit Libanaise, Facult de Droit et des Sciences politiques et administratives, 2009. Sur le rle du patriarche Howayek dans la naissance du Grand Liban, Cf. Vigan ALAM, Le rle du patriarche Elias Howayek dans la naissance du Grand Liban , Al-Ybl al-dhahab li-istiqll Lubnn, Beyrouth, Publications de lUniversit libanaise, 1996, p. 191-244. 3Fris SASSN, Le libanisme maronite Contribution ltude dun discours politique, Doctorat en philosophie, Paris, Sorbonne, 1979 ; et les confrences prononce lUniversit Saint-Esprit de Kaslik : Abd al-qawmiyya al-lubnniyya, Kaslik-Liban, Usek, 1970. 4 JOUPLAIN (pseudonyme de Paul NOUJAIM), La Question du Liban : tude dhistoire diplomatique et de droit international, thse pour le doctorat, Paris, Librairie nouvelle de droit et de jurisprudence, 1908 ; Cf. aussi Paul NOUJAIM, La Question du Liban. Etude politique conomique et de statistique descriptive , La Revue Phnicienne, n2, 1919, Beyrouth, p. 66-81. 5 Joseph SAWDA, Le rglement organique et protocoles, Le Caire, Imprimerie Maaref, 1910 ; F Sabl Lubnn, Le Caire, [s.e], 1919 ; F Sabl al-istiqll, Beyrouth, Dar al-Nahr, 1998 ; Trkh Lubnn al-hadr, Beyrouth, Dr al-Nahr, 1979. Sur la fondation de lAlliance libanaise, parti qui fut le premier revendiquant le Liban indpendant dans ses frontires actuelles, Cf. Les Archives de Yssif al-Sawd la Bibliothque de lUniversit du Saint-Esprit, volume 22, dossier 4. 6 Tannous KHAYRALLAH, La question du Liban, prcd par une allocution de Mr. Denys Cochin, Paris, Plon-Nourrit, 1915. 7 An n GEMAYEL, Al-Talm al-watan al-lubnn lducation nationale libanaise, Paris, Imprimerie dal-Hill, 1921. 8 KHAIRALLAH T. Khairallah, Le problme du Levant. Les rgions arabes libres. Syrie, Irak, Liban. Lettre ouverte la Socit des Nations, Paris, Editions Ernest Laroux, 1919. 9 Michel ZAKKR, Jardat al-Marad (48 numros [1921-1936]), Beyrouth, rdite par Dr al-Nahr, sans date, 2 volumes. 10 Charles CORM, La Revue Phnicienne. Collection complte 1919, Beyrouth, Editions de la Revue Phnicienne, 2012.

  • 16

    met laccent final sur lunion des deux peuples, de France et du Liban dont limage sera porte

    par le drapeau tricolore devenu, avec le cdre en son milieu, de drapeau national des Libanais 1.

    Libanais 1. Transformant lEtat du Grand Liban en La Rpublique libanaise 2 la Constitution

    Constitution de 19263, vient y ajouter un fondement de plus. Cependant, le dbat entre

    nationalistes libanais majoritairement chrtiens et ceux arabes majoritairement musulmans reste

    acharn. Renvoyant ses origines la civilisation phnicienne et aux poques des deux mirs

    Fakhreddine et Bashr, les nationalistes libanais dfendent leur nouvelle entit dans ses

    frontires naturelles . En revanche, les nationalistes arabes veulent que les rgions dtaches

    de la Syrie et ajoutes au Mont-Liban le premier septembre 1920 reviennent la Syrie. A

    linstar de leurs homologues en Syrie qui fondent le 27 octobre 1927 le Bloc national 4 (al-

    kutla al-wataniyya), les nationalistes arabes du Liban crent au mme moment un forum

    Beyrouth : La Confrence de la cte (mutamar al-s il) 5 dont le but principal consiste

    lutter pour lunion avec la Syrie arabe. Cest neuf ans plus tard, en 1936, anne des traits

    franco-syrien (9 septembre 1936) et franco-libanais 13 novembre 1936 quun courant

    mdian sest cristallis runissant des figures des deux camps dcides lutter pour

    lindpendance du Liban. En effet, cette anne constitue un tournant important dans lhistoire

    politique du Liban. En mme temps du changement politique en France la suite du succs du

    Front populaire aux lections de juin 1936 et larrive au pouvoir dun gouvernement prsid par

    Lon Blum, vnement qui engendre la conclusion des deux traits, le paysage politique libanais

    va connatre son tour des changements profonds. Durant cette priode, la politique libanaise est

    marque essentiellement par le duel entre deux camps prsids par deux leaders maronites :

    Emile Edd et Bechara al-Khoury. Le premier, chef du Bloc national [libanais] (al-kutla al-

    wataniyya), lves des jsuites qui a tudi le droit en France o il a obtenu son doctorat Aix-

    1 Edmond RABBATH, La Formation historique du Liban politique et constitutionnelle. Essai de synthse, Beyrouth, Publications de lUniversit libanaise, 1986, p. 373. 2 Cf. le brouillon de cette constitution crite avec la main de Michel Chiha, A.C.L., volume n17, V.M.CH.1. 3 Sur llaboration de la Constitution libanaise Cf. Antoine HOKAYEM, La Gense de la Constitution libanaise de 1926, Beyrouth, Les tudes universitaires du Liban, 1996 ; du mme auteur, Wildat dustr Lubnn 1926 (la naissance de la Constitution du Liban 1926, Dawlat Lubnn al-Kabr LEtat du Grand Liban, Beyrouth, Publications de lUniversit libanaise, 1999, p. 23-48 ; et Edmond RABBATH, La constitution libanaise, origines, textes et commentaires, Beyrouth, Publications de lUniversit Libanaise, 1982. 4 Mer ZAMIR, Lebanons Quest the Road to Statehood, London, Tauris Publishers, 1997, p: 24 ; et Raghid al-SOLH, Lebanon and Arabism, National Identity and State Formation, London, Tauris Publishers, 2004, p. 20. 5 Patrick SEAL, La Luttre pour lindpenance arabe Riad El-Solh et la naissance du Moyen Orient moderne, Paris, Fayard, 2010, p. 147.

  • 17

    en-Provence, est totalement attach aux liens entre le Liban et la France et la culture franaise.

    Le second, chef du Bloc constitutionnel (al-kutla al-dustriyya), diplm en droit, est moins

    attach une forte alliance avec la France et plus tourn vers la culture arabophone. Aprs

    lascension de son rival Emile Edd la prsidence de la Rpublique libanaise le 20 janvier

    1936, al-Khoury comprend la ncessit de tendre la main aux citoyens au-del de sa

    communaut maronite afin quil ait un jour la chance de vaincre son concurrent et daccder la

    prsidence. Dautre part, le patriarche maronite Antn Ar a, qui sige Bkrk, citadelle du

    maronitisme et du libanisme, garante des relations historiques libano-franaises, commence non

    seulement prendre ses distances vis--vis des autorits mandataires la suite de plusieurs crises

    conomiques et conomiques (notamment la crise du tabac en 1935, mais aussi souvrir

    lventualit de lindpendance et de lmancipation lgard desdites autorits. la suite des

    entretiens avec des dirigeants du Bloc national syrien, Ar a annonce son dsir de mettre fin aux

    diffrends entre Libanais et nationalistes arabes1 et dtablir de nouveaux rapports entre le Liban

    et la Syrie bass sur la solidarit et laccord complet dans le cadre de leurs deux entits

    distinctes. Notons ici que lune des traductions les plus directes des deux traits, est la

    reconnaissance explicite par les nationalistes arabes syriens de la frontire libano-syrienne2, ce

    qui met fin toute revendication dunir la Syrie les rgions majoritairement musulmanes

    ajoutes au Mont-Liban. Ds lors, les nationalistes arabes du Liban prennent conscience que leur

    cause est perdue. Dus par leurs frres syriens, les sunnites du Liban se trouvent devant le fait

    accompli que le Liban dans ses frontires dclares en 1920 existe dfinitivement. En dpit des

    quelques manifestations de refus, exprimes, tantt, par la violence Tripoli et Beyrouth en

    octobre 19363, et tantt par les controverses acharnes entre les revues sunnites, comme Bayrt4,

    et celles maronites, comme al-Bashr5, ils finissent par se rsigner et admettre la ralit.

    1 Edmond RABBATH, La Formation historique du Liban politique et constitutionnelle. Essai de synthse, op. cit., p. 429. 2 Notons que le trac nest toujours pas dfinitif en 2013. Pour plus dinformations sur cette question voir le livre du professeur dhistoire lUniversit libanaise I m KHALFIH, Lubnn al- udd wa al-miyh, Beyrouth, sans diteur, 2006. 3 Jean SHARAF, Tarkh hizb al-Katib al-lubnniyya, Beyrouth, Dr al-Amal li- al-nashr, 1978, tome 1, p. 24-25. 4Quotidien politique panarabe fond par Mu al-Dn N l le 27 juillet 1935 ; Cf. Philippe De TRAZI, Trkh al-ahfa al-arabiyya (histoire de la presse arabe), Beyrouth, [s.e.], 1913, tome 1, p. 37-38 ; et Youssif Asad DGHIR,

    Qms al-sa fa al-lubnniyya 1854-1974 (dictionnaire de la presse libanaise 1854-1974), Beyrouth, publications de lUniversit libanaise, 1978, p. 92. 5 Hebdomadaire politique catholique fond par les Pres jsuites Beyrouth le 3 septembre 1870 ; Cf. Ibid., p. 11-12 et p. 86.

  • 18

    Cest dans cette conjoncture quapparat Q im al- ul 1 , un jeune sunnite, avocat,

    intellectuel, propritaire du quotidien Al-Nid et cousin de Riad al-Solh2, nationaliste arabe et

    prochain chef du premier gouvernement de lindpendance en 1943. Dans larticle3 quil publie

    dans le quotidien al-Nahr en mars 1936, Q im exprime son opposition aux rsolutions de la

    Confrence de la Cte organise le 10 mars 1936 par Salm Al Salm4 exigeant le

    dmantlement de lEtat du Grand Liban. Il explique ses coreligionnaires ainsi quaux

    nationalistes arabes que la seule manire de gagner les chrtiens, et notamment les maronites,

    la cause arabe est daccepter lEtat du Grand Liban et de lutter avec les chrtiens pour son

    indpendance, conditions ncessaires avant la ralisation de lunion entre les divers Etats arabes,

    et non seulement entre le Liban et la Syrie. Tout en insistant sur la ncessit de sparer la

    question de lunion (al-wi da) de lislamisme (al-islmiyya), ul exprime son souhait

    quune telle union soit discute ouvertement par tous les peuples concerns, y compris les

    chrtiens du Liban, et consentie lunanimit . En juillet 1936, un autre jeune leader sunnite,

    Sal Bayhum, crit une lettre au journal francophone de Beyrouth, LOrient, appelant une

    union effective de toutes communauts, ncessaire pour la scurit de lexistence nationale au

    Liban5. Trouvant de bons chos chez beaucoup de chrtiens et de musulmans, cette proposition

    lance par ul se transforme en une assise pour une entente entre Libanais de diverses

    confessions et va devenir en 1943 la pierre angulaire de la Formule libanaise 6. Deux ans plus

    tard, en 1938, cest un maronite libaniste, Yssif al-Sawd7, qui prend le relais. Regroupant chez

    chez lui un bon nombre dintellectuels, de politiciens et de journalistes, ce dernier entreprend de

    1 Sur sa vie, Cf. DGHIR Ysif Asad, Masdir al-dirsa al-adabiya, Beyrouth, Publications de lUniversit libanaise, 1972, tome 3, p. 437. 2 Sur sa biographie, Cf. Ahmad BAYDN, Riyd al-Sul f zamnihi, Beyrouth, Dr al-Nahr, 2011. 3 Q im al- UL , Mushkilat al-itti l wa al-infi l f Lubnn La problmatique de lunion et de la sparation au Liban), Beyrouth, [s.e], 1937 ; Fonds Maurice Gemayel conservs lUniversit Saint-Esprit de Kaslik Liban. 4Un des notables sunnites de Beyrouth et partisan de lunion avec la Syrie, Cf. Raghid al-SOLH, Lebanon and Arabism, op. cit., p. 47-48. 5 Patrick SEAL, La Luttre pour lindpenance arabe Riad El-Solh et la naissance du Moyen Orient moderne, op. cit., p. 230. 6 Ahmad BAYDN, Al-Sgha, al-mthq, al-dustr (La Formule, le Pacte, la Constitution), Beyrouth, Dr al-Nahr, 2003. 7 Avocat et journaliste, Sawd fonde en 1909 lAlliance libanaise au Caire revendiquant lindpendance du Liban dans ses frontires naturelles telles quelles ont t dsignes en 1920. On la surnomm le patriarche de la cause libanaise . Pour plus dinformations, Cf. Barjs GEMAYEL, Yssif al-Sawd, Ayn al-Kharrbi-Liban, Manshrt al-qadiyya al-lubnniyya, 1984, 19-31 ; et Georges HARN, Alm al-qawmiyya al-lubnniyya Yssif al-Sawd, Kaslik-Liban, Publications de lUniversit de Saint-Esprit de Kaslik, 1979, p. 17.

  • 19

    mener une action pour construire un pacte national libanais . Aprs plusieurs runions, un

    texte de dix articles est labor et adopt le 6 septembre 1938. Plusieurs principes y figurent dont

    les plus fondamentaux sont : lindpendance totale du Liban dans ses frontires actuelles

    [1920] , lgalit entre tous les Libanais , le renforcement des liens entre le Liban et les

    Etats arabes , lunification de la culture nationale , ladoption de la langue arabe comme

    langue officielle unique et la mise en uvre du plein exercice des liberts

    constitutionnelles 1.

    A la suite de lentre de la France libre au Levant2, le gnral Catroux lance au nom

    du Gnral de Gaulle, Chef de la France Libre, le 8 juin 1941, une proclamation dans laquelle il

    reconnat la Syrie et le Liban comme deux Etats souverains et indpendants . Cette

    proclamation officielle dune indpendance qui reste encore formelle provoque un contre-effet

    au sein du milieu politique libanais. Lopposition au nouveau rgime de la France libre ne tarde

    pas se manifester, et la premire expression a lieu Bkerk le 25 dcembre 1941. Ce jour-l, en

    effet, le patriarche maronite Arda, dans une allocution en prsence des reprsentants de toutes

    les communauts, se prononce violemment contre les Franais, revendiquant une indpendance

    effective [] servie par un gouvernement dont les membres seront choisis parmi les hommes de

    bien [et] fonde sur la libert, la libert de conscience, la libert de parole, la libert daction

    [], sur lgalit des droits, de telle sorte que chaque communaut puisse obtenir ses droits en

    proportion de son importance 3. Cette revendication, que proclame Arda, porte-parole des

    maronites libanistes attachs la France, renferme les germes de ce qui va composer plus tard le

    Pacte national adopt par les diverses communauts libanaises en 19434. Une sorte

    dassemble se tient spontanment lissue de ce discours et adopte, lunanimit, un

    programme en six points dont les plus importants consistent raliser lindpendance effective

    du Liban , tablir les lois constitutionnelles et transfrer les pouvoirs aux fils du

    1 Voir le texte complet de ce pacte dans Issam KHALFI, Min al-mithq il al-jal 1938-1946, Beyrouth, [s.e], 1998, p. 21-22. 2 Sur la France libre et la Rsistance franaise voir : Jean-Franois MURACCIOLE, Histoire de Rsistance en France, Paris, PUF, 2012 ; et Georges CATUCOLI, Franois BROCHE et Jean-Franois MURACCIOLE, Dictionnaire de la France libre, Paris, Robert, Laffont, 2010. 3 Edmond RABBATH, La Formation historique du Liban politique et constitutionnelle. Essai de synthse, op. cit., p. 471. 4 Masd DAHIR, Lubnn al-istiqll. Al-Sgha wa al-mthq (Le Liban indpendant. La formule et le pacte), Beyrouth, Dr al-ma bt al-sharqiyya, 1984, p. 130-132.

  • 20

    pays 1. Ce nouveau pas de rapprochement entre les communauts chrtiennes et musulmanes est

    soutenu en 1942 par des Etats arabes et occidentaux qui se considrent concerns par la scne

    politique libanaise comme la Grande-Bretagne, la Syrie, lIrak, lEgypte et lArabie Saoudite2.

    Plusieurs runions se sont tenues au Caire en juin 1942 entre Bechara al-Khoury et Riad al-Solh

    sous le patronage des Etats cits ci-dessus durant lesquelles les deux leaders se sont mis daccord

    sur ladoption du Pacte national 3, consacrant trois principes : la reconnaissance par les

    chrtiens et les musulmans du Liban comme entit nationale indpendante et souveraine sur

    le fondement dune parfaite galit avec les autres Etats du monde, tant les Etats trangers, et

    notamment la France, que les Etats arabes et notamment la Syrie ; le Liban est la patrie

    commune de tous les Libanais , sans distinction de communauts, de croyances ou de rgions4 ;

    le Liban, en tant quentit nationale indpendante et souveraine , a un visage arabe 5 et il est

    prt collaborer avec les Etats arabes frres sur la base dune reconnaissance rciproque de

    souverainet ; le Liban reste attach ses relations culturelles et civilisatrices avec lOccident.

    Les deux leaders se mettent daccord pour, une fois lindpendance arrache la France6,

    traduire ce pacte en rgime politique, et cela en partageant le pouvoir et les hautes fonctions

    entre les diverses communauts libanaises7 ; optique qui conduira par la suite associer ce

    rgime au confessionnalisme 8.

    1 Bechara al-KHOURY, Haqiq lubnniyya (Vrits libanaises [Mmoires du Prsident de la Rpublique Bechara al-Khoury], Beyrouth, [s.e], 1966, tome 1, p. 297. 2 Hassn HALLQ, Trkh Lubnn al-mu ir Min jamiyyat Bayrt al-i l iyya il al-mthaq al-watan, Beyrouth, Dr al-nah a al-arabiyya, 1985, p. 226. 3 Fard al-KHZIN, Al-Mthq al-watan f abdihi al-dkhiliyya wa al-khrijiyya (Le pacte national des ses dimensions intrieurs et extrieurs), Drst muhdt il Joseph Mughayzil, Beyrouth, Dr, al-Nahr, 1997, p. 68. 4 Edmond RABBATH, La Formation historique du Liban politique et constitutionnelle. Essai de synthse, op. cit., p. 550. 5 Anne-Laure DUPONT, Aux origines du Pacte national de 1943 : des chrtiens du Proche-Orient en qute dintgration culturelle et politique , Slim Takla 1895-1945. Une contribution lindpendance du Liban, op. cit., p. 55. Ce compromis un peu ambigu consiste consacrer le Liban comme entit souveraine indpendante dont le visage est arabe que Charles MLIK essaye de rsoudre philosophiquement dans son livre Liban en soi, insistant que le fait que le Liban est une entit qui existe en soi indpendamment de toue autre existence, syrienne, arabe ou autre, cf. Lubnn f dhtihi, Beyrouth, Muassasat Badrn, 1973. 6 Bassim al-JISR, Al-Mthq al-watan (Le Pacte nationale), Beyrouth, Dr al-Nahr, 1998, p. 85-86. 7 Ibid., p. 159. Sur la position de chacune des communauts vis--vis de ce pacte cf. Bassim al-R, Mithq 1943. Tajaghur al-hawiyya al-wa aniyya al-lubnniyya Le pacte de 1943. Lenracinement de lidentit nationale libanaise), Beyrouth, Centre maronite de documentation et de recherche, 2009. 8 Pour plus dinformations sur le rgime confessionnel au Liban, cf. Georges CORM, Contribution ltude des socits multi-confessionnelles, Paris, Librairie gnrale de droit et de jurisprudence, 1971, p. 227-284 ; et Muna al- UL , Edmond RABBATH et autre, Lubnn wa al-bunya al- aifiyya, Beyrouth, Dr al-adab wa al-fann, 1985 ; et Yssif Qzm al-KHR, Al- ifiyya f Lubnn min khill munqasht Majlis al-nuwwb 1923-1987, Beyrouth, Dr al-Hamra, 1989.

  • 21

    A partir de ce consensus, le Bloc constitutionnel prsid par Khoury, les nationalistes

    arabes convertis au Grand Liban et soutenus par Bkerk, ainsi que le gouvernement anglais et les

    gouvernements arabes mnent leur dernier combat politique contre les autorits mandataires

    franaises fragilises par laffaiblissement de la position de la France sur la scne internationale

    suite loccupation de son territoire par les Allemands.

    Le 5 septembre 1943, le courant consensuel libanais russit remporter les lections

    lgislatives. En consquence de quoi, Bechara al-Khoury est lu prsident de la Rpublique

    libanaise le 21 septembre. Conformment leur compromis en Egypte, Khoury choisit Riad al-

    Solh1 comme premier ministre avec une tche bien prcise : librer la Constitution libanaise de

    tous les articles qui consacrent le Mandat franais. Le 8 novembre 1943 la Chambre adopte

    lunanimit le projet de lamendement de la Constitution prsent par le gouvernement de Solh,

    et cela par vote spar de chacun de ses articles.

    La raction des autorits mandataires est violente consistant arrter le prsident de la

    Rpublique, le premier ministre ainsi que quelques ministres et dputs dans la nuit du 11

    novembre, mais ces autorits se trouvent contraintes de les relcher onze jours plus tard, le 22

    novembre, date commmore dsormais par les Libanais comme fte nationale de

    lindpendance. Trois ans plus tard, cette indpendance sachve avec lvacuation du territoire

    libanais le 31 dcembre 1946.

    Une fois lindpendance acquise, le gouvernement libanais uvre pour la reconnaissance

    arabe et internationale du Liban, do, en 1945, sa participation comme membre fondateur et

    actif llaboration du protocole dAlexandrie2 concernant la cration de la Ligue des Etats

    arabes, de mme qu la Confrence de San Francisco3 qui engendre lOrganisation des Nations

    unies.

    1 Pour plus dinformation sur le rle de ses deux leaders dans lindpendance, Cf. Al SHAYB, Riad al-Solh wa istiqll Lubnn (Riad al-Solh et lindpendance du Liban, Al-Ybl al-dhahab li-istiqll Lubnn, op. cit., p. 309-338, et Joseph Abou JAWDI, Bechara al-Khoury wa al-hizb al-dustr f marakat istlqll Lubnn ( Bechara al-Khoury et le Bloc constitutionnel dans la bataille de lindpendance, Al-Ybl al-dhahab li-istiqll Lubnn, op. cit., p. 411-424. 2 Ahmad Khall MAHMD, Lubnn f Jmiat al-duwal al-arabiyya 1945-1958 (Le Liban et la Ligue des Etats arabes 1945-1958), Beyrouth, Al-Markaz al-arab li-al-ab th wa al-tawthq, 1994, p. 58-66. 3 Charles MLIK, Dawr Lubnn f un al-iln al-lam li- uqq al-insn Rle du Liban dans llaboration de la Charte des Droits de lHomme, Beyrouth, Dr Naufal, 1998, p. 43-48, 70-81.

  • 22

    A peine n, ce jeune Etat libr du mandat franais, se trouve face deux dfis

    rgionaux. En effet, les Etats arabes, notamment lEgypte, lIrak et la Transjordanie, saffrontent

    dans leur lutte pour le leadership du monde arabe . Incapables de sentendre entre eux en

    raison de leurs diverses discordes, ils sacheminent vers une guerre contre lEtat sioniste

    mergeant en Palestine ; une guerre, quils n[ont] pas les moyens de mener 1. A la suite de la

    proclamation de lEtat dIsral par David Ben Gourrion le 14 mai 1947, les armes des Etats

    arabes portent au secours de la Palestine dans le but de la librer des sionistes. Cependant, ces

    armes se retrouvent fin 1947 vaincues par larme isralienne. Cette dfaite ou catastrophe de

    1948 (Nakbat al-m 1948), va avoir des rpercussions considrables sur les Etats arabes2,

    parmi lesquelles : lexode de plus de sept cent cinquante mille palestiniens vers les Etats arabes,

    une succession de coups dEtat en Syrie3 entre 1949 et 1970, une rvolution militaire en Egypte

    en 1952, lassassinat du roi de Transjordanie Abdallah en 1951 et un coup dEtat en Irak en

    19584.

    Bien que la plupart de ces rgimes qui se voulaient dmocratiques aient dbouch sur des

    dictatures militaires, le Liban russit sauvegarder la nature librale de son rgime politique et

    conomique nonobstant la rvolution blanche de 1952 obligeant le prsident Khoury, qui a

    procd une modification de la constitution en 1948 afin de renouveler son mandat six ans de

    plus, dmissionner le 18 septembre 1952. Une fois lu la prsidence de la Rpublique le 23

    septembre 1952, Camille Chamoun se trouve confront lascension de Nasser en Egypte. En

    dpit de lpanouissement conomique et culturel que le Liban connat durant son mandat5, la

    question de la politique extrieure mene par le prsident Chamoun devient un sujet de discorde

    entre Libanais, notamment du fait que tous ses choix vont dans le sens contraire de ceux du

    prsident gyptien Nasser. En consquence de quoi, ce dernier nhsite pas utiliser son pouvoir

    sur le camp majoritairement musulman sduit par son ascension comme hros panarabe. Le

    1 Patrick SEAL, La Lutte pour lindpendance arabe Riad El-Solh et la naissance du Moyen Orient moderne, op. cit., p. 418. 2 Georges CORM, Le Proche-Orient clat 1956-2010, Paris, Gallimard, 2011, p. 140-150 ; et Jean LACOUTURE, Ghassan TUNI et Grard D. KHOURY, Un sicle pour rien. Le Moyen-Orient arabe de lEmpire ottoman lEmpire amricain, Paris, Albin Michel, 2002, p. 89-137. 3 Kaml DB, Trkh Sry al-musir (Histoire contemporaine de la Syrie), Beyrouth, Dr al-Nahr, 2012, p. 117-144. 4 Sur ce sujet, Cf. Joseph MGHAYZIL, Lubnn wa al-qa iyya al-arabiyya, Beyrouth, Waydt, 1959 ; et Patrick SEAL, Assad: Al-sir al al-Sharq al-awsat, Beyrouth, Sharikat al-matbt li-al-tawz wa al-nashir, 2002. 5 Kaml SALB, Trkh Lubnn al-hadth (Histoire moderne du Liban), Beyrouth, Dr al-Nahr, 1987, p. 244.

  • 23

    conflit entre les deux prsidents, et par suite entre les deux camps libanais, chrtien et musulman,

    saggrave avec lacceptation implicite par Chamoun du Pacte de Bagdad (fvrier 1955)1. Il

    saccentue aprs la guerre de Suez de novembre 1956, le ralliement du Liban au principe

    dEisenhower en 1957, et la cration de la Rpublique Arabe Unie entre lEgypte et la Syrie en

    fvrier 19582. Dbut 1958, les Libanais se trouvent diviss entre un camp majoritairement

    chrtien qui soutient le prsident libanais dans sa politique extrieure pro-occidentale dune part,

    et un camp majoritairement musulman sympathisant avec Nasser qui russit rallumer de

    nouveau le flambeau de lunion arabe, dautre part. Cette division se traduit en mai 1958 par une

    crise violente3 qui va durer deux mois jusqu la fin du mandat du prsident Chamoun, lissue

    de laquelle un nouveau prsident, le gnral Fouad Chbab4, est lu prsident de la Rpublique le

    31 juillet 1958.

    Cest dans ce cadre politique que se situe, selon Ghassn Tuwayn5 et Na f Na r6, la

    premire priode de lhistoire du Cnacle libanais entre 1946, lanne de lvacuation des

    troupes trangres, et la crise de 1958. Travaill par le schisme entre les Libanais sur lidentit de

    leur jeune et petit pays, ainsi que par les rapports du Liban avec son environnement arabophone

    et mditerranen, le Cnacle uvre tout au long de cette priode pour construire la maison

    libanaise par le biais de la culture.

    Mais quentend-t-on par ce terme cnaclien : la Maison libanaise (al-bayt al-

    lubnn)7 ? Dans son livre Bada al-mi na wa qablih8 (Avant et aprs la crise), Michel Asmar

    essaie de le dfinir. Pour lui, cette Maison est lensemble des maisons libanaises qui stendent

    1 Nicolas NSSF, Kaml Chamn akhir al-amliqa, Beyrouth, Dr Al-Nahr, 1988, p. 78. 2 Patrick SEAL, Al- ir al Sry (Le conflit sur la Syrie), Beyrouth, Dr al-Kalima, 1980, p. 421. 3 Voir Samr KHALAF qui parle de 3000 morts , Lubnn f madr al-unf, Beyrouth, Dr al-Nahr, 2008, p. 194. 4 Sur sa biographie Cf. Bassim al-JISR, Fd Shihb dhalika al-majhl (Fouad Shhab, cet inconnu), Beyrouth, Sharikat al-ma bt li-al-tawz wa al-nashr, 2000. 5 Ghassn TUWAYN, Ahd al-Nadwa al-lubnniyya Lre du Cnacle libanais, Les Annes Cnacle, Beyrouth, Dr al-Nahr, 1997, p. 17-18. 6 N f NA R, Le Cnacle libanais , Zamanu al-Nadwa (Le temps du Cnacle), Beyrouth, Dr al-Nahr, 2012, p. 151. 7 Ce terme apparat pour la premire fois au dbut de 1948 comme titre dune srie de confrences : Tamr al-bayt al-lubnn (Reconstruction de la Maison libanaise), Cf. Le Programme de lanne 1948 , Les Confrences du Cnacle, n1, 1948, Beyrouth, p. a, avec une photo impressionnante dune maison traditionnelle. 8 Michel ASMAR, Bada al-mi na wa qablih, Beyrouth, Publications du Cnacle libanais, 1959, p. 17-21.

  • 24

    sur la cte et sur le sommet de nos montagnes . L, se multiplie la famille libanaise depuis

    des milliers dannes, et dont les enfants, possdant une me libanaise spcifique , effritent les

    rochers, cultivent la terre, regardent au-del des mers et aspirent toujours au meilleur. Ayant

    des fondements gographiques et historiques, cette grande Maison, cette patrie qui est le

    Liban , est lie fondamentalement au spirituel (al-r niyyt), incarn actuellement par le

    christianisme et lislam : la Maison libanaise, crit Asmar, contient des familles spirituelles

    (ilt r iyya) qui saccompagnent mutuellement pour le meilleur et pour le pire . Pour lui,

    la dimension spirituelle reprsente le premier principe (al-mabda al-awwal dans lexistence

    de cette Maison. Quant au deuxime principe, il consiste avoir foi dans le Liban (al-mn

    bi-Lubnn)1.

    Dans cette perspective, le Cnacle libanais se fixe quatre objectifs principaux : trouver

    une dfinition claire de lidentit libanaise ; dterminer les rapports entre le Liban et son

    environnement ; dfinir une philosophie politique base sur la culture consensuelle ; jeter les

    premiers jalons pour ldification de lEtat libanais2.

    1 Notons ici que, durant la premire priode, la parole chrtienne, sans tre exclusive lemporte assez largement au sein du Cnacle parce que dune part le nombre des intellectuels chrtiens tait beaucoup plus important que celui de ceux musulmans et, dautre part, parce que les chrtiens apparaissaient plus attachs lide libanaise que leurs homologues musulmans. 2 Amin ELIAS, Min nadwat al-ithnay ashar il al-nadwa al-lubnniyya : shahda li-Khall Rmiz Sarks (Du Cnacle des Douze au Cnacle libanais : un tmoignage de Khall Rmiz Sarks), Al-Nahr, 8 janvier 2012, Beyrouth.

  • 25

    CHAPITRE PREMIER

    LA CULTURE : LE VECTEUR DENGAGEMENT DANS LA CIT

    Partant dune conviction profonde selon laquelle le vrai politique 1 ne peut pas se

    sparer de la culture, et ayant foi dans lefficacit de la parole 2 Michel Asmar, ds sa

    jeunesse, a dcid demprunter le chemin de la culture engage [al-thaqfa al-multazima]

    comme vecteur structurel dune unit nationale 3. Il na cess de rpter dans ses causeries la

    Radio libanaise, dans ses articles, dans ses confrences, et dans ses interviews, son slogan qui est

    devenu celui du Cnacle libanais : Les ides guident le monde (al-afkr taqd al-lam).

    Dfinissant la culture engage comme tant un manire indpendante consistant difier

    une patrie, un peuple et une nation , Asmar considre que la conscience de lintellectuel

    authentique (al-mufakkir al-a l ne peut sapaiser quen accomplissant son devoir national

    (al-wjib al-qawm) en tant que citoyen responsable . Asmar est le premier parmi ses pairs qui

    a pris conscience de limportance dune force des intellectuels libanais 4 qui est plus ou moins

    limage de celle que la France avait connu lors des annes de la crise dreyfusienne entre 1890

    et 18905. Ces intellectuels, leaders dopinion et spcialistes qdat al-ra wa a b al

    ikhti )6, ne sont pas invits seulement proposer la socit une analyse, une direction, une

    1 Interview avec Michel Asmar, Anwr, 10 septembre1960. 2 Michel ASMAR, Qmat al-kalima wa dawr al-fikr f Lubnn , Al-Jumhr al-jadd, Beyrouth, 17 juillet 1956. 3 Ren HABACHI, Michel Asmar et la Renaissance libanaise , Les Archives du Cnacle Libanais (A.C.L.), Dossier VIII Articles de presse : 1961-1984 . 4 Amin ELIAS, Michel Asmar et lengagement libanais , Al-Nahr Majallat al-Ahad, n23915, 27 dcembre 2009, Beyrouth, p. 13. 5 Michel WINOCK, LEffet dune gnration Une brve histoire des intellectuels franais, Paris, Thierry Marchaisse, 2011, p. 6. 6 Michel ASMAR, Wildat mashr Naissance dun projet, Les Confrences du Cnacle, n1, 1947, Beyrouth, p. iv-v.

  • 26

    morale que [leurs] travaux antrieurs [les] qualifient laborer 1, ils ont aussi une tche bien

    prcise : contribuer ldification de la maison libanaise 2.

    Michel Asmar : le travailleur culturel

    Appartenant la gnration de la deuxime Renaissance 3 ne au dbut des annes

    trente et hritire de la premire Nahda4, renaissance linguistique, littraire et politique, que

    lOrient connat durant le XIXe sicle, Michel Asmar reprsente un modle unique dans le

    domaine du travail culturel . Littraire, Asmar, est aussi dou dun gnie 5 qui rside dans

    sa capacit tisser des rseaux constitus de figures politiques, conomiques, artistiques et

    intellectuelles6, pour faire converger par la suite leurs nergies au service de la cit. De ce fait, il

    est considr par ses pairs comme lexemple type du travailleur culturel 7 engag dans une

    cause et un projet bien dtermins : Quest le Liban ? 8. En ralit, Asmar na jamais prtendu

    prtendu tre matre dune cole intellectuelle ; son vrai talent rside dans le fait quil est un

    excellent rassembleur dhommes 9 avec pour objectif de forger les traits de la nation

    libanaise 10. Son dvouement cette nation pousse certains observateurs le considrer comme

    le Don Quichotte de la cause intellectuelle et nationale libanaise, et dautres le dsigner

    comme un Ministre de lombre et ingnieur 11 de la culture libanaise. Quoi quil en soit,

    1 Jacques JULLIARD et Michel WINOCK, Dictionnaires des intellectuels franais. Les personnes, les lieux, les moments, Paris, Seuil, 2009, p.12. 2 R. C., A lorigine , Les confrences du Cnacle, n1, 1948, Beyrouth, p. a-b. 3 Kaml DB, Bayrt wa al-hadtha. Al-Thaqfa wa al-huwiyya min Jubrn il Fayrz (Beyrouth et la modernit. La culture et lidentit de Jubrn Fayrz, Beyrouth, Dr al-Nahr, 2010, p. 77 ; et Samir KASSIR, Histoire de Beyrouth, Paris, Perrin, 2012, p. 428. Quant la question de lanti-smitisme dans le monde arabe, cf. Ibrhm JAMDUH, Isrl al-a l wa al-hadaf, sans lieu, sans date. 4 Sur la Nahda, Cf. Albert HOURANI, La pense arabe et lOccident, Beyrouth, Naufal, 1991 ; et Karam RIZK et Dominique AVON (actes runis), La Nahda. Rveils de la pense en langue arabe. Approches. Perspectives, Kaslik-Liban, Colloque organis lUSEK les 28 29 octobre 2004, Kaslik-Liban, Pusek, 2009. 5 Basim al-JISR, Michel Asmar al-khin al-fikr li-al-watan (Michel Asmar : le clerc intellectuel de la patrie), Al-Nahr, 6 janvier 1985, Beyrouth. 6 Interview avec Michel Asmar, Al-Sayd, 20 juillet 1978, Beyrouth. 7 Nassf NASSR, Al-Nadwa al-lubnniyya amal thaqf multazim (Le Cnacle libanais, un travail culturel engag), Les Annes Cnacle, Beyrouth, Dr al-Nahr, 1997, p. 19. 8 Michel ASMAR, Qmat al-kalima wa dawr al-fikr f Lubnn , Al-Jumhr al-jadd, 17 juillet 1956, Beyrouth. 9 Ren HABACHI, Michel Asmar et la Renaissance libanaise , op. cit. 10 Evelyne MASSOUD, Michel Asmar un Homme-Institution qui a situ le Liban la porte de la civilisation , La Revue du Liban, 29 dcembre 1984, Beyrouth. 11 Al-Safr, 27 dcembre 1984.

  • 27

    Asmar a russi combler le vide intellectuel que laisse lEtat libanais, pour simposer par la suite

    comme le penseur informel dudit Etat (mufakkir dawla)1.

    N en 1914 Jdeidet al-Metn dans une famille maronite modeste dont le pre, Ssn

    Asmar, et la mre Nr Tbit perdent tout lien avec leur village dorigine al-Arbniyyeh dans la

    montagne dal-Metn pour lui et Wd Sha rr pour elle, Michel Asmar fait ses tudes au collge

    des Frres des Ecoles chrtiennes Beyrouth. Rsolu voyager afin de poursuivre ses tudes

    universitaires en littrature en raison de labsence dune facult de Lettres Beyrouth, Asmar

    revient sur sa dcision la demande de sa mre2. Il devient instituteur dans son ancien collge et

    au Collge de la Sagesse Beyrouth, o il enseigne larabe, le franais et langlais3, la traduction

    traduction et la critique littraire4. Son ami intime Edward unayn le dcrit cette poque de la

    faon suivante : Quand je lai connu, au dbut de deuxime quart de ce sicle [XXe], Michel

    Asmar avait commenc travailler. Il enseignait le franais, langlais et larabe dans plusieurs

    coles et donnait le soir des leons particulires. [] Michel Asmar souhaitait devenir crivain.

    En littrature arabe, son modle tait Gebran Khalil Gebran. En journalisme, ses modles taient

    cheikh Youssef el-Khazen, Gbran Tuni et Wadih Akl. En style oratoire, Gebral Nassar, Ysif

    al-Sawda et Cheikh Ibrahim el-Monzer [] 5.

    Aux dbuts des annes trente (1932 ou 1933) Asmar, g de dix-huit ans, fait sa

    premire apparition sur la scne culturelle. A loccasion dun festival organis la salle du

    cinma Empire 6 par lassociation de bonnes murs (jamiyyat al-akhlq al- li a)7

    fonde par Ysif Ghalbn, matre de littrature arabe au Collge des Frres, Asmar, membre de

    ladite association, prononce une allocution en faveur de la littrature de Gebran Khalil Gebran.

    A la suite de cette intervention, un groupe de jeunes, dont les ges varient entre seize et vingt

    ans, partageant sa passion pour la littrature et les dbats dides, se rassemble autour de lui pour

    1 Al-Nahr, 27 dcembre 1984. 2 Interview avec Miche Asmar, Al-Liw, 10 septembre 1964, Beyrouth. 3 Ibrhm Abduh al-KHR, Mihel Asmar Muassasat wa madrasa wa mathal (Michel Asmar : une institution, une cole, un modle), Al-Nahr al-arab wa al-dawl, n401, 1985, Beyrouth, p. 47. 4 Carla EDD, Le Cnacle libanais ou la culture du pacte national , Zamanu al-Nudwa, Beyrout, 2012, p. 183. 5 Edward UNAYN, Lhommage dEdward UNAYN Michel Asmar. Cet ami trs cher qui est parti , La Revue du Liban, 29 dcembre 1984, Beyrouth. 6 I m MA FZ, Interview avec Michel Asmar , Mul aq al-Nahr, n9120, 5 septembre 1965, Beyrouth. 7 Al- awdith, 18 janvier 1985, Beyrouth.

  • 28

    fonder au dbut de 1935 le Cnacle des Douze 1, cercle culturel qui va fonctionner jusqu

    1941. Cest au cours de ces six annes quAsmar fait son passage dcisif, dun homme qui

    manie les lettres un homme engag dans le travail culturel 2. Les traits de sa personnalit

    sont tracs dans son premier essai de littrature autobiographique Yawmiyyt Michel Srr3 que la

    la clbre maison dditions de lpoque, Dr al-Makshf, publie en 1938. Cet essai dont le ton

    nest pas sans rappeler celui de Nietzsche4 qui dans le Gai Savoir5, propose une philosophie du

    du soleil 6, dcrit la psychologie dun jeune ambitieux, rvolt, qui reoit la vie tantt avec un

    un sourire despoir et tantt avec un cri de dsesprance 7. En effet, Asmar se rvle un jeune

    rveur, attach la libert et croyant en une mission quil a envers sa socit, son pays et son

    Dieu.

    Ds les premires pages de son journal, Asmar se rvle rveur souhaitant que les

    prochaines gnrations parlent de lui : je parlais de ma vie et je voyais les gnrations futures

    sy pencher. Je regardais ces feuillets que javais crits et que jcrirai comme une trace

    prcieuse que les bibliothques sarracheront afin de la conserver 8. Malgr le doute qui

    lenvahit et qui est exprim par son cri : hlas, misre ! [] Quelle folie ! Asmar ne recule

    pas : Pourquoi ne serais-je pas lun dentre eux [les grands hommes al-rijl al-im)] ? Il faut

    que jarrive mon but. Loin de moi les marcages mortels ! . Ailleurs, Asmar parle de sa

    rvolte contre le fait que les gens nont de considration que pour largent et la position

    hrite . Il sent la ncessit dagir pour le changement (al-taghyr), pour bouleverser la

    socit dans laquelle il vit. Se rvoltant contre les gens qui nexpriment pas leur considration

    lgard de ses efforts et de ses ambitions, il annonce son dpart cherchant limmortalit (al-

    khuld), le gnie (al-abqariyya) et la gloire (al-majd). Cherchant se raliser en tant que

    jeune engag envers sa socit, Asmar nhsite pas abandonner les traditions venant du

    pass afin de se vouer sa vocation : je me suis dbarrass de la poussire du pass, de

    ses traditions et de ses douleurs. Jai port sur mon corps un manteau, et [plac] dans ma valise

    1 Tmoignage de Khall Rmiz Sarks, 23 novembre 2011, Londres. 2 Al- ayyd, 20 juillet 1978, Beyrouth. 3 Michel ASMAR, Yawmiyyt Michel Srr (Le journal de Michel Srr), Beyrouth, Dr al-Makshf, 1938. 4 Voir les rfrences ce livre dans Michel ASMAR, Yawmiyyt Michel Srr, op. cit., p. 13, 20, 53. 5 NIETZSCHE, Le Gai savoir, Paris, Librairie gnrale franaise, 1993. 6 NIETZSCHE, Le Gai savoir, op. cit. p. 52, introduction de Marc SAUTET. 7 Alfred Ab SHAHL, Yawmiyyt Michel Srr , Al-Jumhr, 12 mars 1939, Beyrouth. 8 Michel ASMAR, Yawmiyyt Michel Srr, op. cit., p. 15.

  • 29

    quelques papiers et livres. Jai dtruit beaucoup de choses que [] javais conserves. Jai libr

    mon bateau de ses fardeaux, et jai march dans les eaux gnreuses dune nouvelle mer 1.

    Dcid profiter de la vie, Asmar chante sa libert : maintenant, je suis libre ! (al-n an

    hurr).

    Ds le dpart, Asmar dessine lidentit de la socit quil aspire transformer. Il ne veut

    pas seulement procder des changements au sein de la socit libanaise o il vit, il dsire aussi

    agir sur les diverses socits orientales environnantes. Asmar dnonce les comportements des

    gens de ce bel Orient : ton horizon est dmesur. Tes montagnes donnent sur linfini.

    Cependant, celui qui vit dans tes valles [], ce paresseux [] mennuie. Je ne peux plus vivre

    ses cts . Imputant cette oisivet lhritage de la Turquie dfaite (irth Turkiyya al-

    mutahaddima, Asmar sindigne de ltat intellectuel de cet Orient. Il parle du grand cart

    sparant les ides civiles (afkr madaniyya gharbiyya)2 venues dOccident et auxquelles la

    jeunesse est sensible des ides oisives et uses (al-balda wa al-bliya) de leurs proches et de

    leurs parents conservateurs (al-mu fin). Son interrogation : Comment vivre dans une

    telle atmosphre ? , est dautant plus justifie que cest cette mentalit conservatrice qui domine

    la politique du pays.

    A la fin de son essai, Asmar rsume sa pense en expliquant que sa lutte pour le

    changement passe non pas par le chemin de la politique , mais par celui de la culture

    engage . Ses qualits dorganisateur, dcrivain, dorateur et son engagement dans les

    domaines socitaux et littraires contribuent renforcer son statut de travailleur culturel .

    En 1941, le Cnacle des Douze cesse dexister. Abandonnant lenseignement, Michel

    Asmar travaille dans le Bureau des archives du Haut-commissariat du mandat franais jusqu

    1946. Admirateur du gnral de Gaulle3, il traduit en 1943 de langlais vers larabe louvrage

    dAndr Morez La France combattante. Documents et vnements4, lanne o il se marie avec

    Sibian al-Khr, ancienne amie du Cnacle des Douze , avec laquelle il va fonder une famille

    de cinq enfants : Rene, Raj, Sm, Kaml et Marie-Claire. En 1946, il devient directeur

    1 Ibid., p. 17, 23, 53. 2 Ibid., p. 25 3 Michel Asmar, Antlias-Liban, le Mouvement culture-Antlias, 1985, p. 28. 4 Andr MOREZ, Faransa al-mu riba Wathiq wa a dth, traduction de Michel Asmar, Beyrouth, Dr al-Makshf, 1943.

  • 30

    excutif du quotidien arabophone al-Bashr, avant de fonder en novembre 1946 le Cnacle

    Libanais . Dsormais, cest lexpression Michel Asmar fondateur du Cnacle libanais 1 qui

    traduit parfaitement la fusion entre Asmar et sa tribune culturelle. Depuis 1946, Asmar naccepte

    plus de fonctions autres que la direction du Cnacle libanais lexception de la priode entre

    1950 et 1954 o il enseigne larabe et la traduction lInternational College, institution associe

    lUniversit amricaine de Beyrouth. En effet, si Asmar pntre ce milieu anglo-saxon, cest

    pour un objectif bien prcis quil rvle en 1960 en parlant du public du Cnacle : lauditoire

    devenait de plus en plus dense mais je ntais pas compltement satisfait. Je divisais Beyrouth en

    trois catgories. Le quartier latin [le quartier maronito-orthodoxe]2 ou [la partie] Est [de la

    ville], Basta [ou le quartier musulman], et le quartier anglo-saxon [] de lUniversit

    amricaine et ses environs. Le quartier latin fut le premier rpondre. Basta vient ensuite. Les

    portes du quartier anglo-saxon demeuraient toujours fermes3. Que faire ? [] Je pris la ferme

    rsolution de reprendre mes anciennes activits [lenseignement]. Je donnais des cours de

    traduction lUniversit amricaine, [], classe de Premire. Petit petit, les lves par mon

    intermdiaire, se mettaient mieux au courant de la prsence dun Cnacle. Les parents aussi, etc.

    Vers la fin de lanne scolaire, je pris rendez-vous avec le prsident de lUniversit. Moi aussi

    jai besoin de vous, me dit-il. Il me fit comprendre quil voulait me confier la classe de la

    Seconde pour lanne prochaine. Jtais oblig de mexcuser et de lui dclarer : ma mission est

    termine. Le Liban est devenu tout le Cnacle et le Cnacle est devenu tout le Liban 4. Cest

    dans ce sens que Ren Habachi qualifie le Cnacle, tribune qui nappartient personne, de

    vritable Snat du Liban 5 o se rapprochent les consciences par le dedans, o les

    individualits les plus extrmes se sentaient chez elles. Quant au prsident Charles Hlou, il parle

    dun Cnacle devenu avec le temps une institution et une cole 6 ouvertes sur tous les

    courants et les ides, o lon discute de tous les aspects de la civilisation et de la culture, quels

    quils soient, littraires, philosophiques, sociaux, politiques ou conomiques. Ce Cnacle

    incarne, pour lui, un modle, selon lequel un individu russit crer des grands rsultats avec

    du rien . 1 Al- ayyd, 20 juillet 1978, Beyrouth. 2 Interview avec Michel Asmar, Al-Usb al-arab, 20 octobre 1960, Beyrouth. 3 Sur la rivalit entre les sphres francophoes et anglophones au Liban cf. le livre de Samr KHALAF, Lubnn f madr al-unf, Beyrouth, Dr al-Nahr, 2004. 4 Interview avec Michel Asmar, Le Soir, 13 juin 1960. 5 Ren HABACHI, Michel Asmar et la Renaissance libanaise , op. cit. 6 Ibrhm Abduh al-KHR, Mihel Asmar Muassasat wa madrasa wa mathal , op. cit., p. 46.

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    Regroupant autour de lui de clbres figures de pense et de plume qui appartiennent aux

    diverses tendances politiques, culturelles, et confessionnelles, Asmar et son Cnacle attirent

    lattention des autorits. Remarqu par le gouvernement, Asmar reoit le soir du lundi 26 avril

    1948 de lmir Maurice Chhab1, directeur des services archologiques et reprsentant du

    prsident de la Rpublique2, la Mdaille de Mrite Libanais 3 en reconnaissance des services

    quil rend la propagation de la culture libanaise ; services que le gouvernement reconnat

    officiellement comme travail national et humain 4.

    Saluant cet acte de reconnaissance, la presse libanaise arabophone, comme al-Bayraq, al-

    Amal, al- adth, awt al-a rr, et francophone, comme La Revue du Liban, LOrient, met en

    valeur les efforts mens par le Cnacle libanais et Michel Asmar au service de la Culture, des

    Lettres et de la Science . Nomm foyer de la culture libanaise 5, le Cnacle devient pour

    cette presse une institution nationale porteuse, en Orient et en Occident, des manifestations

    de lEsprit libanais 6.

    En rponse cette reconnaissance officielle, Asmar prononce, en prsence des

    reprsentants de la presse, du ministre de France le comte Armand de Chayla et du charg

    dAffaires dArabie Saoudite Sad al-Rashsh, un discours quil intitule Pour la pense

    libanaise7 remerciant le Gouvernement, le public et la presse. Rendant hommage tous les

    contributeurs aux efforts du Cnacle, Asmar proclame lassistance son acte de foi dans le

    Liban source de vie du Cnacle : la pense que nous servons, annonce-t-il, est inspire du

    patrimoine national (turth al-qawm), littraire, artistique et historique du Liban . Il met en

    lumire le fait que la fondation du Cnacle et de sa publication Les Confrences du Cnacle nest

    quune rponse au besoin ressenti par lintelligentsia dune tribune pour la pense, la littrature,

    lhistoire, lart et les sciences au sein de la capitale. Le Cnacle, selon Asmar, est un centre

    dinteraction culturelle (al-tafl al-fikr) entre les Libanais de diverses tendances culturelles 1 Commmoration du Cnacle , Les Confrences du Cnacle, n3-4, 1948, Beyrouth, p. i-vi. 2 awt al-A rr, 28 avril 1948, Beyrouth. 3 Cf. A.C.L. volume n14 V.D.1. Dcorations : lettre adresse de M. Georges Himyar, directeur gnral de la prsidence de la Rpublique libanaise, Michel Asmar : Le prsident dcerne Michel Asmar la Mdaille dhonneur du mrite libanais , 29/4/1948. 4 Allocution de lmir Maurice Shhab, Al-Bayraq, 3 mai 1948. 5 LOrient, 28 avril 1948, Beyrouth. 6 La Revue du Liban, 24 avril 1948, Beyrouth, p. i-iii. 7 Michel ASMAR, F sabl al-fikr al-lubnn (Pour la pense libanaise), Les Confrences du Cnacle, n3-4, 1948, Beyrouth, p. iv-vi.

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    et confessionnelles, et entre eux et le monde extrieur. Rappelant que toute laction du Cnacle

    tourne autour dune seule ide, celle du Liban dans la mle , Asmar insiste sur le fait que le

    Cnacle ne peut exister que grce aux personnes de bonne foi (niyyt ayyiba) ayant la

    volont de mettre leur nergie au service du Liban . Dans une lettre1 adresse Asmar et

    publie dans lencyclopdie moderne de la culture libanaise (mawsat al-thaqfa al-

    lubnniyya al- adtha)2 Les Confrences du Cnacle, Charles Corm le flicite pour avoir le

    courage de poser en public lacte de la parole : rien ne construit mieux la vie dun pays,

    rien ne la traduit mieux ses propres yeux et aux yeux de ltranger que ses arts et ses sciences,

    ses crits et sa parole . Corm se considre lui-mme honor de la Mdaille dcerne Asmar.

    Vantant la capacit dAsmar de faire exprimer du haut de la tribune du Cnacle les opinions les

    plus extrmes afin den dgager la libre pense et les vrais sentiments de la plupart des

    meilleurs parmi lintelligentsia libanaise, Corm dclare le Cnacle acte de vie .

    En juin 1953, contre des avis de ses amis les plus intimes, Michel Asmar se tourne vers la

    politique et se prsente aux lections lgislatives dans la deuxime circonscription de Beyrouth

    Achrafieh Rmeil Safi 3. Lalertant, son ami Khall Rmiz Sarks craint que ce geste soit

    susceptible dexposer Asmar et le Cnacle au danger de la politique4. Pour autant, Sarks

    essaye dexpliquer les motifs du fondateur du Cnacle : Asmar avait une vision du travail

    politique. Il tait convaincu que les affaires du pays avaient besoin dune gestion scientifique

    plutt que cette politique du poker pratique dans les annes cinquante. Quant al

    Labak, ami dAsmar et prsident de lAssociation des gens de Lettres Jamiyyat Ahl al-qalam),

    il exprime ses doutes envers la capacit des lecteurs beyrouthins bien saisir la valeur des

    reprsentants de la culture5. Mais cest Ren Habachi, son ami intime et directeur du Centre

    philosophique de Zamlik au Caire, qui exprime le plus fort son refus cette candidature lchant

    une formule lapidaire6 : Dommage . Largumentaire de Habachi insiste sur la primaut de

    lactivit cnaclienne mene par Asmar qui tire sa valeur du dsintressement au-dessus de la

    politique . Il explique que lentre en politique suppose lacceptation davoir des amis et des

    1 Charles CORM, Un tmoignage , Les Confrences du Cnacle, n3-4, 1948, Beyrouth, p. ii-iii. 2 Michel ASMAR, F sabl al-fikr al-lubnn , op. cit. 3 Cf. le rcpiss de sa candidature du Ministre de lIntrieur, 1 juillet 1953 : A.C.L. Volume n22 Participations dAsmar aux manifestations nationales et citoyennes . 4 Tmoignage de Khall Rmiz Sarks, op. cit. 5 Lettre adresse de Labak Asmar, 18 juin 1953, A.C.L. volume n22, op. cit. 6 Cf. la lettre adresse de Habachi Asmar publie dans Le Matin et Le Jour, le 25 juin 1953.

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    ennemis. Avec une profonde motion Habachi sadresse Asmar avec les mots suivants :

    Votre action en tant que fondateur du Cnacle est tellement plus large, plus profondment

    fconde que ce que permet la politique. Sans compter quon peut diriger les esprits dune

    manire positive et promouvoir les vnements sans la perte du temps et la compromission que

    suppose presque toujours la politique. On peut faire du politique sans faire de la politique .

    Dcid poursuivre sa campagne, Asmar lance son appel aux lectrices et lecteurs

    de ladite circonscription sous le double signe du travail et de la dignit 1. Sadossant aux

    huit ans daction cnaclienne durant lesquelles il a fait entendre la voix du droit, de la justice,

    du bien et du beau , Asmar sadresse aux beyrouthins en tant que patriotes clairs et

    majorits conscientes demandant leur soutien et les mettant devant leur responsabilits

    envers la Nation. Il explique leur abstention au cours des dernires lections lgislatives par leur

    inquitude. Pour cette raison, il leur propose laction constructive et bienfaisante comme

    salut. Action susceptible de conserver le patrimoine spirituel du Liban et de veiller son

    rayonnement. La lampe dAladin, symbole du Cnacle2, est adopte comme emblme de cette

    campagne. En ce qui concerne les slogans, ils sarticulent sur La libert, la scurit sociale,

    lenseignement gratuit, la justice pour tous, et le travail pour tous .

    Le lendemain de son chec, Asmar explique dans un long manifeste les enjeux de sa

    candidature et des dtails qui ont accompagn sa campagne lectorale qualifie de

    cauchemar . Remerciant les cent soixante et un lecteurs qui ont vot en sa faveur3, il essaye

    de justifier son acte de candidature par sa volont de transposer les activits des courants

    intellectuels, conomiques, sociaux, politiques, scientifiques, littraires et artistiques dans le

    domaine daction, et cela en donnant aux promoteurs de ces courants une force politique

    effective . Asmar explique quil tait convaincu quil y avait Beyrouth une nouvelle classe

    dlecteurs conscients qui souhaitaient adouber de nouveaux candidats portant de nouvelles

    ides. Cependant, Asmar admet : jai t tromp . Cest aprs cette campagne quil prend

    conscience que les procds lectoraux nont pas chang et que la source des forces lectorales

    reste la mme, savoir : les protections, les promesses et largent. Alertant ses collgues

    intellectuels, il reconnat que les leviers de commande ne sont pas entre leurs mains . Pour 1 A.C.L. volume n22, op. cit. 2 Cf. laffiche dessine par la main dAsmar, Ibid. 3 Le Matin, Tlgraphe et Al- ayyr, 18 juillet 1953.

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    cette raison, il les appelle se runir en un congrs dans le but dtudier les moyens leur

    permettant de participer la vie politique . Annonant son retour son cher Cnacle afin de

    sy consacrer corps et me, il ne manque pas cependant de fliciter ses concurrents durant cette

    campagne, lancien prsident de la Rpublique Alfred Naccache et le directeur du quotidien al-

    Nahr Ghassn Tuni, tous les deux confrenciers du Cnacle en 1948 et 1951. Lors de

    louverture de la nouvelle saison de confrences organise par le Cnacle, Asmar partage avec

    lauditoire la leon quil tire de cette exprience : [il nous faut] former une opinion publique

    consciente qui psera dans la balance des mouvements politiques en gnral et des campagnes

    lectorales en particulier 1. Rendant hommage son ami Habachi, Asmar raffirme son

    engagement dans sa mission au Cnacle libanais qui lhonore, et va dsormais se consacrer au

    dveloppement dactivits culturelles nationales au service du pays.

    Au dbut des annes cinquante, Asmar figure parmi les fondateurs de la Socit des

    Gens des Lettres (jamiyyat ahl al-qalam). En 1955, il contribue la cration de la

    Commission libanaise pour la traduction connue sous le nom de Commission libanaise

    pour la traduction des Chefs-duvre - Unesco avant quelle ne devienne, en 1972, la

    Commission internationale pour la traduction des Chefs-duvre dont il aura t le directeur

    administratif2. Il participe galement diverses manifestations culturelles, citoyennes, sociales et

    ecclsiastiques3, en particulier4 : lOasis de lesprance 1959, avec la collaboration de lAbb

    Pierre, du pre Grgoire Haddd et du dput Anwar al-Khatb), le Cnacle du Lundi (1959

    1960), le Congrs du Citoyen libanais (1959), la Commission pour llaboration de louvrage

    Formation nationale et humaine5 command par lArme libanaise 1960, lAssociation

    libanaise pour les Lettres et les Arts (mai 1963), la Commission du festival dAmn al-R n

    (septembre 1965), le Comit parlementaire pour la culture (1967), la Com