À trop courber l'échine N°18

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    A trop courber l'chineBulletin acrate

    N18 Mai 2006

    Mort lconomie !Vive le parti de la rvolte !

    Il est dangereux de laisser trop longtemps des tudiants bloquer leur universit.On se rassure en se disant quil ny a pas l de perte majeure pour lconomie.Pourtant, il nest pas de pire calamit pour les gouvernements que cette bonne

    nouvelle quil sagit maintenant, pour nous grvistes, dannoncer qui lignoreencore. Nous avons durablement pris got cette situation dexception quest la

    grve. Il ny a jamais eu pour nous de joie commune, de libert politique plusgrande. Linterruption illimite de la production a fait natre le dsir de ne

    jamais sarrter, dtendre cette libert et dabattre ce qui lentrave. Lemouvement nous a appris que nul mode de vie nest en soi une forme de lutte, que

    nul engagement politique individuel nest capable lui seul de dpasser lamdiocrit de lexistence librale contemporaine. Aujourdhui pour la plupart des

    grvistes, vivre et lutter ne font plus quun.

    Extrait dun tract diffus Rennes le 27 mars 2006

    Nous commencions peine crire les premires lignes de ce qui devait tre le n18 de notrebulletin quand les vnements vinrent bouleverser le cours des choses. Cest avec un rel plaisir etune grande dtermination que nous avons pris part la lutte. Lenterrement de celle-ci a tannonc par tous les mdias sitt le retrait du CPE annonc. Et il est vrai que nous avons vu lesuniversits se dbloquer les unes aprs les autres. Les manifestations, qui ont pris parfois desformes meutires comme dans notre ville de Rouen, ont t dsertes par tous ceux quiprfrent encore retourner leurs habitudes mortifres. Au contraire, nous avons connu cesdernires semaines une suspension de la normalit : la grve, loccupation, lmeute, la librediscussion, llaboration commune dune pense et de pratiques de scession avec le mornequotidien, tout cela constitue une vritable joie et nourrit davantage notre volont et notre dsirden finir avec ce monde.

    Ce qui est dautant plus rjouissant, cest de constater combien notre dmarche pu peser sur lecours des vnements. Cest de constater que nos analyses sont justes, quil existe dans un payscomme la France une force qui merge et qui rejette le carcan des vieilles rengaines politiciennes.Dans de nombreuses villes, nous avons vu apparatre la tendance ni CPE, ni CDI quimanifeste lenvie de porter radicalement la lutte bien au-del des misrables revendications desyndicalistes, qui reprend son compte des pratiques autonomes, qui rejette lide dtrecantonne dans des rles ou des identits dtestables ( commencer par celle de ltudiant), quiattaque le discours mdiatico-politique visant stigmatiser les casseurs et sparer ces derniersdes bons manifestants . Avec lapparition de cette force, nous avons galement vu ressurgir les

    vieilles pratiques de ceux qui ont un quelconque intrt maintenir ce monde : aux traditionnellespratiques policires et judiciaires (violences notre encontre, faux tmoignages, intimidations)

    viennent sajouter les magouilles des politiciens et des syndicats (dlation, rumeur,dsinformation, calomnies, tentative de rcupration et de division, agressions physiques et

    verbales avec la rapparition des services dordre). Les conservateurs de ce monde pourri nensont pas une contradiction prt, eux qui reprochaient certains dentre-nous de ne pas treinscrits la fac, voulant par cela rduire cette lutte un pauvre mouvement tudiant, tandis queles militants de lUMP insistaient sur le fait que finalement le CPE ne concernait pas les tudiants.Par o lon voit combien les vieilles organisations prposes la rvolte sont englues

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    dans leur pass dchecs et leurincommensurable trouille de tout ce qui estsauvage et autonome, faisant preuve de bienmoins dintelligence, dimagination, daudace etde volont que ceux qui se rvoltent rellementet sincrement. Il ne faut bien videmment pas

    oublier le poids de la majorit silencieuse que lessalauds nomms plus haut tentent toujoursdutiliser en leur faveur.

    Face tous ces dispositifs ennemis, lemouvement radical a su rpondre sans jamaisbaisser les bras, ce qui est de fort bon augurepour le long terme : il est vident que les lienstisss au cours de cette lutte et que les actes et lesides qui ont t librement communiss,laisseront des traces. Quand un mouvementdune telle ampleur et dune telle intensit voit le

    jour, lide de tout retour la situation normalene peut qutre combattue le plus

    vigoureusement possible. Il y a fort parier pourque de toute faon les choses nen restent pas l :dj le mouvement contre le CPE fait cho auxmeutes de banlieues du mois doctobre2005. Dans le mme sens, la vieille Europe est leterrain de luttes aux formes radicales quisemblent se rpondre les unes aux autres : luttecontre la ligne TGV Lyon-Turin, lutte contre leslignes de hautes tensions en Catalogne,sabotages clandestins dagences de lANPE ou

    destruction du centre de dtention pour mineurde Lavaur en France, pour ne citer que cesquelques exemples. Ajoutons que les rformesdes gestionnaires actuellement au pouvoiroffrent encore aux plus timors et aux indcisune multitude de prtextes pour descendre dansla rue.

    Notre but nest pas de faire un bilan de cemouvement, ni den parler au pass afin demieux lenterrer. On ne trouvera donc sousnotre plume ni autocongratulation ni fausse

    modestie. Nous ne versons ni dans loptimismeni dans le pessimisme. Nous voulonssimplement tmoigner de ce que nous avons

    vcu, et remettre sur le tapis les ides qui sontdbattues au sein du parti des ennemis de cemonde et de rflchir leurs usages possibles.

    Ainsi, nous entendons faire vivre et donnerconsistance aux ides qui ont merg ; nouscomptons bien poursuivre le dbat et laconfrontation au sein mme du parti des rvoltsafin duvrer leur ralisation.

    Dmocratie, lgalit, scurit, conflictualit

    Notre lutte mis en vidence un trait essentiel :

    le caractre anti-dmocratique de lactionpolitique. Il sagit plus dune relle oppositionque dune simple incompatibilit. La grve,loccupation, le blocage, lmeute, le sabotage, lamanifestation ou lautorduction sont autant deformes daction qui ne sont pas dmocratiques.Durant la lutte anti-CPE, nous avons vucomment largument dmocratique nous taitoppos afin de mettre mal notre action. Il sagitpour tous les dmocrates de se poser en tant quedtenteurs du sacro-saint intrt gnral, celui dupeuple (dmos) dont nous connaissons toutes les

    difficults pour le dfinir. Au cur mme de lalutte on a tent darrter notre lan sousprtexte que nous tions minoritaires, on a vouluridiculiser nos positions au motif quellesntaient pas partages ou pas comprises partous. Mais notre action na pas pour but demettre tout le monde daccord. La lutte politiqueconsiste justement faire surgir les dsaccords, entretenir le dbat. Cest de cette conflictualitl, de ce rapport de force, que quelque chosedoit sortir ; tandis que la position dmocratiquese rduit au final ntre que lexpression de la

    paralysie des positions en prsence au profitdun consensus sur la base du plus granddnominateur commun, cest--dire sur la base laplus pauvre et la moins efficace qui soit.

    Nous voyons combien largument dmocratiquenest quun argument dautorit. Il se posecomme LA lgitimit. On voudrait faire croireque notre position nest que pure opportunisme :tant minoritaires, nous avons tout intrt prtendre que la politique nest pas question demajorit. Jusque dans notre camp certains

    tergiversent et posent la question de manireerrone : ils dfendent la vraie dmocratie, la

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    dmocratie directe, sen prenant tous les fauxou les dfaillants dfenseurs de la dmocratie.Contrairement ce quils affirment, ladmocratie ne fait pas disparatre les chefs etlautorit, au contraire, elle permet de dissimulerles enjeux de pouvoir. La libert en tant

    quaffirmation de notre puissance nest pasnon plus donne par la dmocratie. Le sicle dela dmocratie qui, dans la guerre, a vaincu les dictatures,dans la paix, ne donne pas de libert Mario Tronti.La dmocratie victorieuse tue les passions et laconflictualit.Mais la dmocratie nous est trangre car cesttoujours de lextrieur quelle vient nousrecouvrir, et cet extrieur cest bien lasouverainet, la gouvernance, lautorit. Ladmocratie est une technique de pouvoir, unetechnique de gestion ou dautogestion des corps

    nus, gaux et spars. Et comme a prioripersonne nest jamais dtach de ses inclinations,dune manire propre dtre au monde et de selier aux autres, la fonction de la dmocratie estbien dcraser toute thique, toute irrductibilit.Du moins, elle les fait disparatre afin quechaque tre soit suffisamment diminu pourpouvoir rentrer dans la petite case qui lattend ct dautres petites cases, de millions de petitescases. La dmocratie est la politique ce que lesHLM sont au logement.

    Malgr toutes les difficults de comprhensionque nous rencontrons, nous prfrons aucontraire prendre parti, affirmer jusquau boutnotre position quitte devoir batailler davantage.On ne peut plus nous faire ce coup de lintrtgnral qui est avant tout une affaire degestionnaires et de gouvernants. Nous prenonsacte que certains sont opposs nos idescomme nous prenons acte que dautres ne lespartagent qu moiti. Nous tirons lesconclusions qui simposent, insensibles auxarguments pacifistes ou unitaires. Si nous

    jugeons ncessaire lunion de tous ceux quiveulent dtruire ce monde, nous ne nousberons pas dillusion sur limprobable unit dugenre humain voulant raliser le paradis surterre, la paix ternelle, la Grande DmocratiePlantaire. Lide dunit, comme celle deconsensus, reste laffirmation dune volontdhgmonie. Lunit consensuelle se faittoujours au profit dun point de vue qui craseou qui nie les diffrences thiques. Notre but estavant tout de faire succomber ces vieillescroyances partages par nombre de ceux qui

    prtendent vouloir changer le monde et qui sont lorigine de nos principales illusions. Enfin,

    face ceux qui du haut de leurs petits principesdmocratiques tentent de nous ridiculiser ennous collant le qualificatif dextrmistes, nousrtorquons quils sont eux aussi des sortesdextrmistes : extrmistes du consensus, de labtise et du maintien de lordre qui les nourrit.

    La question nest pas dtre pour ou contre ladmocratie, mais consiste laborer un vivreensemble, des existences, dont lintensit gagneen ampleur. Ce mouvement, cet accroissementde puissance, nest pas compatible avec cespetites cases dmocratiques o lon veut nousranger mais il les pulvrise. La solution auxproblmes de la vie est une manire de vivre qui fassedisparatre les problmes Ludwig Wittgenstein.Cest la raison pour laquelle il ny a pas, parminous, de question de pouvoir. Il y a la questionde la puissance, de ce qui laccrot singulirement

    et collectivement, de ce qui lempoisonne. Osont les dsaccords ? Quel est leur terme, leurachvement ? Intensifier chaque irrductibilit,jusqu lamour ou la rupture, la camaraderie oula guerre. Tout ce qui, sous lcrasement delthique dmocratique, reste indtermin,flottant et flasque, devra bien prendre parti face la catastrophe ou linsurrection. (A lvidence,si elle est tranche, cette question de ladmocratie nest pas compltement rsolue pournous, elle doit encore tre pense, prouve.Cependant, le dispositif bien-pensant fascisme

    ou dmocratie est un coup que lon ne nousfera plus.)

    La consquence pratique de cette prise de parti -ou tout du moins le signe tangible - se peroitdans lusage des moyens employs dans la luttecontre la domination. La premire chose quisaute aux yeux, cest que le recours aux moyensillgaux semble de plus en plus partag.Dailleurs, lEtat ne sy trompe pas : depuis lemois doctobre, les interpellations et les gardes

    vue se comptent par dizaine de milliers tandisque les incarcrations et autres peines infligespar les tribunaux tombent par centaines. Mais ladtermination ne flchie pas. La rage et la rvoltene se laissent pas impressionnes par cesdispositifs rpressifs. Autant dire que les appelsau calme lancs par tous les rcuprateurs nesont que de lhuile jete sur le feu. Nous sentonsque nous pouvons faire peur au pouvoir. Cest laraison pour laquelle il nous pourchasse et noussavons trs bien que le plus grand risqueencouru quand les rvolts passent laction est

    de voir le pouvoir mettre en branle sa machinede guerre. Nous lavons dj vu maintes fois

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    faire glisser la guerre civile vers une guerre entreethnies, religions, tats ou autres entitstrompeuses. Il nen reste pas moins que nousdevons maintenant faire peur de manire plusefficiente. Il nous apparat ncessaire de nousdfaire de plusieurs choses : du nihilisme port

    par une frange de ceux qui participent auxmeutes, de la possibilit dun encrage delmeute dans la normalit quotidienne commedfouloir ncessaire et enfin des discoursnausabonds auxquels dautres prtent parfoisloreille. Ces discours sont essentiellement ceuxde lintgration, du pacifisme et du dbatdmocratique.Lide de dbattre dmocratiquement, chaque jour, avecles non-grvistes, de la reconduction de la grve est uneaberration. La grve na jamais t une pratiquedmocratique, mais une politique du fait accompli, une

    prise de possession immdiate, un rapport de force. Nulna jamais vot linstauration du capitalisme. Ceux quiprennent parti contre la grve se placentpratiquementde lautre ct dune ligne de front, au travers de laquellenous ne pouvons changer que des invectives, des coups etdes ufs pourris. Face aux rfrendums mis en place pourcasser la grve, il ny a pas dautre attitude adopter queleur annulationpar tous les moyens. Communiqudu comit doccupation de la Sorbonne en exil,Paris.Nous constatons dailleurs comment par laforce des choses les plus modrs des citoyens

    en viennent user de mthodes quils jugentpourtant comme mauvaises. Les actionsmdiatiques contre les OGM menes visagedcouvert ne leurrent personne : bien quellessoient effectivement illgales, on leur te toutcaractre subversif ds lors que le but recherchest la reconnaissance par lEtat afin que celui-cilgifre. Par contre, dautres pratiques,beaucoup moins mdiatises mais tout autantillgales, ont cours aujourdhui. Nous pensons ces rseaux mis en place afin de soustraire aucontrle policier et judiciaire des personnes en

    situation irrgulire vis--vis des lois de lEtat(les sans-papiers) La contradiction est donc dansle camp de ceux-l mme qui dnoncent parailleurs notre conception de la lutte.

    Cette contradiction stend enfin bien au-deldes moyens employs et se retrouve, quoi que defaon moins vidente, jusque dans lesrevendications. Sil est clair que nous nerevendiquons rien, si ce nest de manirepratique afin de mettre sur pied la lutte (parexemple, si nous employons le slogan ni CPE,

    ni CDI , il est vident que cela ne signifie pasque nous rclamions lEtat dorganiser

    autrement lexploitation salarie), dautres nevivent qu travers leurs revendications qui sontautant de dolances faites au pouvoir de ladomination. Et ce qui est rclame ici nestquun besoin de scurit, la scurit de lemploitant la premire mise en avant. Cette

    revendication du besoin de scurit se traduitforcment par un dsir dEtat, de contrle,dassistance, bref, cest de la garantie de la surviequil est question ici. Cest justement par l que ladomination se maintient. Nous voyons combiencette revendication scuritaire contredit lancessit de la prise de risque quimplique lalutte. Le courage face aux dangers de la guerrene fait pas bon mnage avec le dsir de scuritque porte nombre de nos contemporains.A cette demande de scurit, nous opposons la confiancedans la communaut de ceux qui refusent la politique

    librale. Et qui pensent que refuser avec consquenceimplique d'en finir avec l'isolement de chacun, de mettreen partage moyens matriels, expriences et affects pourrompre avec la logique librale dont le CPE n'est qu'unsymptme. La question de subvenir nos besoins devientalors une question collective : celle de constituer entre nousdes rapports qui ne soient pas des rapports d'exploitationcontractuelle. Et de faire que ce nous ne soit pas celuid'un groupe restreint, mais le nous de l'affirmationrvolutionnaire.Appel du 22 fvrier, Rennes.

    De lconomie

    Le contrat premire embauche a t ledtonateur de la lutte. Il est donc vident queparmi les questions dbattues, le travail tient uneplace importante. Si beaucoup de personnes nesemblent pas imaginer une seconde pouvoir

    vivre sans le recours lexploitation salarie, ilfaut tout de mme noter que la critique dusalariat et du consumrisme rencontre unesympathie de plus en plus large et de plus en

    plus lucide. Pour autant, lide den finirtotalement avec lconomie reste moins vidente,et des mots dordre comme autogestion ou

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    rpartition galitaire des richesses refontsurface loccasion de la lutte actuelle.Il convient de prciser quen finir aveclconomie signifie dabord sextirper de sesprsupposs, sexprimer en dehors et contre lestermes quelle faonne. Dautres avant nous ont

    montr que lconomie est la religion parexcellence (cf. les ouvrages de Jean-Pierre Voyeret leur critique par lex-Bibliothque desmeutes/Observatoire de tlologie) (1) Endtruisant ce mensonge sur le monde quest lediscours conomiste, nous sommes alors mieuxarms pour donner concrtement lassaut ladomination. Cela tant dit, le blocage des fluxconomiques a t une pratique fortementpartage au cours de la lutte, signe quelconomie napparat plus comme unevidence incontournable et donc intouchable.

    Au contraire, cest une autre vidence qui voit lejour : le systme conomique prtend que nousdpendons de lui alors que cest lui quifinalement dpend de nous. Le salariat et leconsumrisme ne sont rien dautre que lachat denotre rsignation.

    Cette ncessit que nous nonons ici est loindtre partage par la plupart de nos allis. Dansnotre dmarche qui consiste vouloir fairescession avec tout ce qui fait crotre le dsert, ilest logique de sattacher ruiner cette croyance

    qui est la mieux partage du monde. Nous avonscommenc cette entreprise en nous attaquant la division des individus selon lconomie : ladivision en classes, la division en fonction dutravail et des moyens de production. Nous avonstent de montrer la ncessit de remettre encause et de briser cette conception pour mieuxsaper le monde de la domination, car cettedivision est comme le socle de ce dernier. Cestpourquoi nous jugeons ncessaire daller plusloin que la critique de la division du monde enclasses, en nous en prenant lexistence mme

    de lconomie ou, pour tre plus prcis, laralit laquelle renvoie le concept dconomie.Nous convenons sans peine que ce que nousavons pu crire, lorsque nous dveloppionsnotre critique de la socit industrielle, taitencore trop englu dans des conceptionsconomistes. Nous nous souvenons avoirdissert sur le travail en ramenant toujourslenjeu la satisfaction des besoins. De ce fait, laremise en cause de lconomie na jamais tqueffleure. Voil un point essentiel sur lequelnotre pense a volu.

    Depuis un certain temps, nous recevons destextes qui circulent dans les milieux libertairesainsi que dans les divers cercles se rclamant delcologie radicale ou de la dcroissance. Parmices textes, il en est un auquel nous souhaitionsapporter une rponse car la lecture que nous en

    faisons soulve un tas de questionsfondamentales nos yeux. Nous profitons doncde cette occasion offerte par la lutte contre lesrformes du salariat pour livrer noscommentaires du texte dAlain-Claude Galti. Cetexte est intitul Renversement et rtablissement de laculture conviviale(2).

    Pour parler du sens de lconomie, lauteur avancedabord que la vie consomme de la matire etde lnergie pour maintenir un ordre dynamique,voluer et produire de la satisfaction. Toute

    lconomie est l, et rien de moins. Cetteaffirmation est lourde de consquences : ellerduit la vie lconomie, faisant des deuxtermes une sorte dquivalence ou de synonymie.Qui plus est, elle rsume lactivit du vivant auxdeux oprations minemment conomiques :consommer et produire. Alain-Claude Galtinous prcise un peu plus loin que par conomieil entend organisation, et plus prcismentorganisation de la nature. Il reproche auxconomistes de mtiers, ainsi quaux industriels,financiers, gouvernants, syndicats et institutions

    internationales, de ne soccuper que duneportion du processus conomique qui nest paspense en perspective avec cette conomie de lanature.

    En tout premier lieu, rappelons que ltymologiedu mot conomie signifie littralement administration de la maison . Lextension dusens de ce terme lensemble de la gestion desconditions de la survie dune socit est unepremire extrapolation. Le fait de ltendre lensemble de la vie en est une seconde. Nous

    verrons que lconomie, comme toute chose quenous pensons, est une manire de considrer lemonde et notre existence. Lopration de Galtiest finalement assez simple : dans un premiertemps, il confond vie, conomie et nature. Celapos, nous avons une anthropologie, uneanthropologie positive : lhomme, la vie, cesta !. Do dcoule assez logiquement laperception occidentale du monde : dun ct il ya lhomme et ses besoins, de lautre la nature etses dangers, il ne manque plus que lconomiepour mdier tout a. Lhomme au monde cest

    lhomo economicus. Chaque jour pass au seindu dsastre de la civilisation nous prouve quel

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    point ce cheminement logique est efficace. Il vasans dire quune fois la vie dfinie commeconomie, il ny a plus qu tre de bonsmanagers. Aprs stre constitu en sujet face aumonde des objets, lironie du sort veut quelhomme en arrive se considrer lui-mme

    comme un objet. Ce quil y a dhorrible dans laconception de la vie de Galti ce nest pas quilait tord mais au contraire, quil ait terriblementraison. Raison avec cette poque. Cependant,comme la crit Paul Feyerabend, la nature nenous dit que ce que nous lui faisons dire. Nouspensons contrairement Galti, que ce plan deperception du monde, de la vie, nest pasuniversel, ce nen est quun parmi tant dautres,un parti pris finalement. Bien videmment, cestcelui qui, depuis Aristote, est parvenu instaurerson hgmonie en occident. Cest parce quelle

    est un obstacle fondamental llaboration ducommunisme que nous dtruirons cettemtaphysique occidentale.

    Parler de la vie comme le fait Alain-ClaudeGalti interdit de la penser dun point de vuepolitique, cest--dire dun point de vue thique.Dans plusieurs de ces textes runis dans lerecueil portant le titre Moyens sans fins, Giorgio

    Agamben rappelle que les Grecs navaient pas unterme unique pour exprimer ce que nous entendons par lemot vie. Ils utilisaient deux termes smantiquement et

    morphologiquement distincts : zo, qui exprimait lesimple fait de vivre commun tous les vivants (animaux,hommes ou dieux), etbios, qui signifiait la forme ou lamanire de vivre propre un individu ou un groupe. Agamben emploie le terme de forme-de-vie afinde dsigner une vie qui ne peut jamais trespare de sa forme, une vie dont il nest jamaispossible disoler quelque chose comme une vienue. Pour notre part, nous avons souvent dit quela question politique essentielle tait : quelle viemrite dtre vcue ? Il va donc de soi que la viene peut tre rduite la survie, cest--dire aux

    seules fonctions biologiques, la subsistance.Ceux qui oprent cette rduction sont acculs effectivement tout percevoir en termesconomiques. Mais il ny a jamais de besoins oude ncessits purs, isols de la vie, de ses formes.La vie biologique est un mirage idologique. Ilny a quau moment o la vie a t parfaitementdpece de toute forme, minutieusement spareen fonctions sociales et biologiques que se poselaffirmation balourde Il faut bien manger ! .Comme si dun seul coup, il y avait quoi que cesoit de commun entre le bloom mtropolitain

    qui sempiffre de sneakers achet dans unsupermarch, le paysan africain qui mange du bl

    au cours dun rituel mystique, et le partisanespagnol qui croque un quignon de pain dansune tranche. Ces trois expriences seraienttoutes trois fondamentalement la mme: remplirun estomac. Lhomo economicus a des besoinset doit y rpondre. Une fois cette vidence

    pose, il ny a, de nouveau, pas dautre choix quede formuler nos vies dans des termesconomiques et dorganiser le mondeconomiquement.Et tout ceci nest pas une pirouette primitivistepour luder la question de comment nousmangeons, commentnous habitons. Ce que nousdisons, cest que ces questions ne sont jamaisisolables de celle plus gnrale : comment nousvivons ? Pour nous le communisme, cestlexprience de linsparation, le libre jeu entreles forme-de-vies. C'est--dire ce moment

    dintensit collective o il nest plus possibledisoler, de sparer, ce qui constitue la vie.Certains camarades ont dj dit quil ny avait pasde transition vers le communisme mais lecommunisme en tantquexprimentation. C'est--dire que nous ne considrons pas lecommunisme comme le paradis dont nousdevrions attendre lavnement mais comme unepossibilit ici et maintenant. Plus quunepossibilit, cest stratgiquement une ncessit.Nous nattendrons pas leffondrement du capitalpour commencer laborer les existences que

    nous voulons, pour connatre le bonheur.Nous lavons dit, nous avons commenc. Nous nousrapproprions les moyens et les savoirs afin deconstituer notre autonomie matrielle. Il sagitde trouver les moyens de produire dun mmemouvement les conditions de sa subsistance etcelle de son existence, de sa forme de vie. Car larappropriation nest pas un but en soi, ce quenous visons cest llaboration dune forcedestine attaquer ce monde afin de laffaiblir etde le dtruire. Une partie de lultra-gauche,dcide attendre le grand soir pour commencer

    vivre, nous a tax dalternativistes. Nous pensonsau contraire que la constitution dune forcematrielle nous permet daccrotre notrepuissance, cest dire notre capacit de nuisancedans cette poque, lincompatibilit thique denos existences avec le monde du capital.

    Tandis que la conception capitaliste des choses laquelle consiste donc nous cantonner dans laprminence des affaires lies la survie - sestimpose tous, y compris ses ennemis, nousraffirmons la primordialit de la questionpolitique, de la guerre opposant les humains

    partir des distinctions thiques. Toutes lestendances de gauche, prtendument

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    rvolutionnaires ou objectivement rformistes,lensemble du mouvement anarchiste et descologistes, perptuent la pense inculque parles conceptions bourgeoises destines nousfaire croire en lconomie et donc borner notrehorizon aux seules questions de la survie. Encore

    une fois, si nous ne nions pas la ncessit desurvivre pour pouvoir mener le combat, nouspensons quil est impossible docculter cettencessit de dvelopper notre force et nos idesafin de les mener leur terme, ce qui implique lefait de devoir prendre des risques, de mettre sa

    vie et sa libert en jeu. Car vouloir rgler laquestion de la satisfaction des besoins est unebien belle chose, mais il faut rpondre laquestion suivante : pour quoi faire ? Peut-treque certains seraient pleinement satisfaits de voirraliser une socit dans laquelle chacun mange

    sa faim. (Si, comme le dclare Alain-ClaudeGalti, la vie produit de la satisfaction, nousnous demandons de quelle satisfaction il sagit ?)Pour notre part, notre insatisfaction resteraitentire. Nous ne sommes pas que des ventres.Quant ceux qui jugent prtentieux etdangereux lacceptation de devoir mettre endanger sa vie, nous rtorquons que lhumanitest soumise une multitude de dangers sousprtexte dassumer sa survie. Ces risquesencourus sont totalement dlirants et ne sontaucunement matriss par lhumanit, au

    contraire de la dmarche politique qui est lamanifestation de la libert.

    Alain-Claude Galti nous surprend quand ilreproche aux conomistes de ne pas tenircompte de la philosophie de lintrt gnral etdoublier la consommation de capital nonrenouvelable. Nous sommes assez stupfaits delire sous sa plume des expressions comme laveuglement et lincomptence desconomistes officiels Veut-il voir apparatredes conomistes lucides et comptents ? Quant

    parler de capital non renouvelable , voil untrait caractristique de la pense conomiste :rduire tout ce qui est du capital, quelquechose de grable. Dans la mme veine, lauteuruse de termes comme celui de citoyen oubien naccepte pas que les petites organisationssoient exclues des dcisions. Pourtant, cequAlain-Claude Galti dfend, ce sont lescommunaux, ces biens des terres le plussouvent dont lusage tait jadis partag parlensemble de la population dune localit. Or, ily a dans la dfense de ces communaux quelque

    chose dintressant et qui rejoint notreconception de la lutte. Au-del du fait quil est

    question ici de rappropriation de moyens desubsistance, cest ici que se pose la question ducommunisme. Nous avons dj dit que nousentendions vivre le communisme ici etmaintenant. Nous voulons partager un commundont nous avons t dpossds par la socit

    marchande et lEtat. Ce commun est bien plusvaste que le simple usage de terre, doutils ouautres moyens. La question communisteconsiste faire avancer une force matrielle quipermette la communisation des savoirs, desides, des affects et qui fasse concider le vivre etle lutter. De cette faon, la question de la survienest pas occulte mais elle simbrique dans unedmarche qui la dpasse largement et qui met aucentre des proccupations le politique.

    Alain-Claude Galti dfend la convivialit. Dans

    une certaine mesure, nous la dfendonsgalement. Mais pas dans le mme sens que luiqui la dfend comme tant quelque chose dedmocratique. Il nous parle dempathie dvelopper pour les autres. Voil toutelabstraction dmocratique luvre. Laconvivialit que nous sommes enclins dfendrese connat demble des ennemis. Nous navonsaucun intrt vouloir tout prix pactiser avectout le monde. Notre empathie est base sur lesides avances dans le dbat politique. Et cedbat l est aussi une guerre, une guerre que

    nous entendons gagner. La question du vivreensemble ne peut tre pose de manireabstraite. Elle sinscrit au cur dune dmarchequi consiste affirmer un certain nombre dechoses qui engendrent dsaccords, dbats,rflexions, motions, etc. Au dtour dunephrase, Galti dnonce lusage de la violencepour mettre en place les utopies. Nous pensonsque parler de la violence comme quelque chosedabstrait, avec tout le ct moralisateur que celainduit, occulte les vritables enjeux. Encore unefois, nous sommes en guerre. On peut toujours

    se voiler la face, cest un fait. Dans cette guerre,nous prenons position. La neutralit nexiste pas.

    Toute la misre de la culture dmocratique rsidedans cette tentative de dissimuler la conflictualiten nous berant dillusions quant unehypothtique paix universelle. Le plus fort danstout cela cest que les dmocrates finissenttoujours par rintroduire une ide du contrle, etGalti nchappe pas la rgle quand il parle de contrler les drives idologiques et les projetsqui risqueraient de parasiter la socit . Cesttoujours une certaine forme de gestion et de

    gouvernance que lon veut nous ramener. Ensomme, le vivre ensemble est rduit un vivre

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    en compagnie dans lequel il faut biensaccommoder de ce qui pourtant nous drangeet le tolrer. Il nest donc pas tonnant que lespropositions avances restent tributaires de la

    vision dominante : on nous propose derorienter lconomie et le politique, on nous

    parle de dcroissance, de relocalisation, dintrtgnral, bref, de toutes ces ides humanistes etprogressistes

    Malgr toutes les critiques que nous luiadressons, nous pensons sincrement que la

    vision dfendue par Alain-Claude Galti et pardautres contient de nombreux points communsavec la ntre. Lide de dbattre de notre usagedu monde et dtablir quelque chose de communest sans doute la plus importante. Par contre,nous pensons tout autant sincrement quil

    convient de se dbarrasser de toutes lesconcessions encore faites une conceptioncule de lexistence et de la lutte pour que desralisations tangibles aptes mettre mal ladomination puissent dcoules dune laborationcommune.

    Notes :(1) De Jean-Pierre Voyer, cf. Une enqute sur la

    nature et les causes de la misre des genset Rapportsur ltat des illusions dans notre partiDe labibliothque des meutes/observatoire detlologie, cf. La naissance dune idepubliepar les ditions Belles motions B.P.40302 75464 PARIS cedex10

    (2) le texte dAlain-Claude Galti est dit parlassociation Pli Zetwal dont ladresse est Coppr 42830 St Priest la Prugne

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    Gtisme et agonie

    Les rsigns de lautomutilation ne dtestent pasles affirmations rvolutionnaires de la jeunesse parce

    quils seraient faussement informs leur propos par le spectacle :mais bien plus profondmentparce quils sont spectateurs.

    Guy Debord, Sur lincendie de Saint-Laurent-du Pont, 1971

    Cela a plusieurs fois t voqu dans ce bulletin,nous avons particip ces deux dernires annes la constitution dune certaine CoordinationContre la Socit Nuclaire. Malheureusementpour nous, notre participation a toujours tmue par le dsir que quelque chose en naisse etnon dans la perversion voyeuriste dobserverquelques vieillards se laisser aller en attendant lamort. Si certains sadonnent au bridge, lacouture ou parfois mme, comme cela sest vu

    rcemment, au saut en parachute, certains de nosamis du troisime ge*, force dtre laisssseuls lt, font des coordinations anti-nuclaires.Cest triste mais cest comme a.

    Aprs plus dun an de tergiversationsprobablement plaisantes pour certains, uneplate-forme ft rdige. Sans pudeur aucune, sesadhrents y talaient leurs peurs, leurrenoncement et leur programme de rsidenceprolonge. Un texte long au contenu maigremais qui avait le mrite de lhonntet. Ralisant

    trop doucement que lenjeu ici tait la srnit dela retraite, nous posmes quelques dsaccordsdans lespoir de trouver un peu de vigueur. La

    rponse eut la monotonie dun tachygraphedbranch.Le mme jour, une quipe ft dsigne pourmener terme un projet prvu de longue date :la parution du bulletin de la coord . Chacunft invit envoyer ses textes et suggestions auxmetteurs en pages. Navement, nous rdigemesun texte exposant nos perspectives ainsi que lesquelques dsaccords avec la plate forme.

    Quelques mois plus tard, la coord se runit nouveau. Une douzaine dentre nous sy rendit.Et l, rage, dsespoir, vieillesse ennemie !On nous apprit que notre texte, pour des raisonspurement contingentes, ne figurait pas dans lebulletin. Cette ruse quelque peu vulgaire pris vitefin lorsquon nous dclara avec lassurance dunfonctionnaire indign que ah non, votre texte,a ne va pas du tout. Et l, ce ft la dbandade.Dans un sursaut de vie, quelques agonisants semirent sagiter dans tous les sens, essayant delgitimer leur censure dudit texte. Nous emes la

    patience de les apaiser en leur proposant dediscuter couteaux tirs tous les points dedsaccords ou dincomprhension. La plupart

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    restaient muets (partageaient-ils notre gne outaient-ils trop fatigus par la fin daprs midi ?)Lun dentre eux, connu pour savoir brossercomme il faut, fut pris de convulsions, son

    visage prenant tour tour et parfoissimultanment des formes diffrentes, le sourire

    feint, lhystrie, le clin dil complice. Sa face depte modeler se contorsionnant en tous sens,trahissait autant defforts pour faire coexister sesmauvaises manipulations de couloirs et lancessit de son ego dire chacun ce quil

    voulait entendre. Un autre, tremblotant, fidleaux lumires qui lclairent, nous assna sesrminiscences dun autre ge, bgayant proposde la morale, de lhumanisme. Le grand avantagedu bon got anti-industriel, cest quune fois lesmchants technocrates dfinis comme le malabsolu, il ne reste plus qu se gargariser du bon

    rle du gentil, dfenseur de lhumanit asservie qui on ne la fait pas. Leur grotesque mis mal,ce dernier se mit frntiquement regarder sespieds en rptant Cest de la merde ! Cest de lamerde ! Cest de la merde ! Dans nos rangs,rires ou consternation. Cela dura prs duneheure. Nous rpondmes point par point, jusquce qu bout de nerfs, nos valeureux gaillards semirent nous taxer de staliniens, de fascistes,

    voir mme de nihilistes. Peu soucieux deloriginalit de leur mthode, il leur fallait avanttout garder la face pour que finalement la

    runion puisse passer son vritable propos : faut-il oui ou non amener une tente Cherbourg ?

    Pour certains dentre nous, cette runion suffit les clairer sur ce quil y avait attendre de cettecoordination. Dautres, attrists davoir perdu cejour-l des camarades et soucieux de rtablir la

    vrit afin de mener leur terme les minablesmanipulations fomentes contre nous,

    persistrent dans quelques changes pistolaires(disponibles dans leur intgralit pour qui saitsamuser de choses ennuyeuses). Ceux qui noussemblaient malgr tout les plus sympathiquessenttrent : On ne perturbe pas une sieste bienmrite.

    Cependant, laissant le nihilisme du ressentimentaux crapules assumes, nous sommes persuadsque certaines personnes prsentes, mme au seindu parti de la mauvaise foi, sont des camaradeset quils le resteront. Nous restonsindfectiblement ouverts toute laboration, toute conspiration, dans la mesure o cela setient saine distance des menteurs et desmanipulateurs.Comme le disait assez justement quelquun quiquelque temps plus tard ft ranger dans le partides vieux : Mais finalement, ce nest pas la jeunesse,en tant qutat passager, qui menace lordre social : cestla critique rvolutionnaire moderne, en actes et en thorie,dont lexpansion rapide se manifeste partout dater dunmoment historique que nous venons de vivre. Ellecommence dans la jeunesse dun moment, mais elle nevieillira pas. [] Ceux qui rpriment la jeunesse sedfendent en ralit contre la rvolution proltarienne et cetamalgame les condamne. La panique fondamentale despropritaires de la socit en face de la jeunesse est fondesur un froid calcul, tout simple mais que lon voudraitgarder cach derrire ltalage de tant danalyses stupideset dexhortations pompeuses : dici douze quinze ans

    seulement, les jeunes seront adultes, les adultes serontvieux, les vieux seront morts.

    * Quelques prcisions quant au vocabulaireusit : il va sans dire que nous ne faisons iciaucunement rfrence au dcompte biopolitiqueplus communment appel lge. Nous pensonsplutt que le degr de snilit dun tre est relatifau degr de renoncement dont il est capable. Legtisme, qui va souvent de paire avec la snilit,consiste en un bgaiement ennuyeux de quelques

    truismes affichs comme des fulgurances delesprit. Lun des symptmes les plus courantsest une totale incapacit penser en marge deltroit pr carr que constituent ces truismes.Ces dfinitions entendues, il va de soit quecertaines personnes biopolitiquement dfiniescomme jeunes sont des vieux et vice-versa.

    Ci-dessous, le texte que nous avions propos.

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    A dfaut de nous y rsigner, il nous faut bien consentir l'vidence : cette poque est celle de la contre-

    rvolution. Nombre d'entre nous n'ont d'ailleurs connu qu'elle. Et c'est de l que nous partons.Si ce constat s'accommode toujours si bien du cynisme de nos contemporains, nous voyons au sein de ce monde

    les tincelles qui restent reprendre, la situation qu'il nous faut rcapituler. Ce qui nous intresse dans l'Histoire,

    dans cette Histoire qui est la ntre, c'est tout ce qui en elle n'est pas advenu. C'est parce que la contre-rvolution

    bat son plein que la question rvolutionnaire est d'autant plus cruciale, d'autant plus dcisive. Et c'est

    prcisment parce que le mouvement rvolutionnaire a perdu, ou du moins s'est abm, qu'il nous fautrecommencer et tout repenser.

    Si sa perspective minimale tait de mettre un terme aux centrales et au monde qui les rend possibles, nous

    pouvons dire que le mouvement anti-nuclaire de ces trente dernires annes a chou. Pourtant, il y eut de ces

    moments qui sentaient la victoire : Plogoff, le C.A.R.L.O.S., les cocktails molotov et les nuits bleues. La

    puissance qui s'exprimait l, nous en hritons aussi, il nous reste maintenant la comprendre.

    Nous voulons en finir dfinitivement avec ce monde, ce ne peut tre qu'un programme minimal. Au sein de la

    guerre qui nous est faite, nous ne voyons pas d'autre parti prendre. Lutter contre le nuclaire s'y inscrit de fait.

    Mais comme le disait Kafka, ce n'est pas la vrit qui vaincra ce monde de mensonges, mais un monde de

    vrits, de vrits en acte. C'est pour cela qu'il nous faut renverser l'ide selon laquelle une lutte contre le

    nuclaire augurerait d'une situation insurrectionnelle. Un Capital colo, thique, et vlo semble trop probable

    pour nous amuser. Il n'y a qu' constater l'avance du ngrisme ces dix dernires annes pour s'en assurer. Nouspensons donc que seule une force rvolutionnaire matrielle, une force rvolutionnaire triomphante, pourra en

    finir avec le nuclaire et son monde. Notre affaire aujourd'hui ne peut donc tre autre que la constitution d'une

    telle force.

    Finir l'apathie Vivre le communisme

    Nous ne pouvons plus nous contenter de critiquer, nous n'avons que trop bien vu o menait la critique sociale.

    Scribouillards de l'EDN ou sociologues, c'est finalement le mme destin, la mme impuissance. Il n'y a pas

    critiquer les dsirs contemporains au nom d'on ne sait qu'elle vie authentique l'arrire-got tellement moral.

    Il y a faire exister des dsirs, des ides et des formes de bonheur plus intenses et vivantes afin qu'ils balaient

    ceux auxquels on nous a attachs. Ce qui nous importe aujourd'hui, c'est moins de gloser sur la manire dont le

    nuclaire affecte nos vies que l'laboration d'existences qui lui sont inconciliables. Ceci n'est pas une ruse

    dialectique, mais la sortie du ressentiment ngatif. Ce que nous opposons la critique, c'est le danger, c'est direune certaine manire de mettre nos vies en jeu, de lier les affects, la pense et les actes. Pour cela, nous

    constituons une constellation de lieux o vivre, conspirer et lutter, afin que plus jamais nous ne soyons pris dans

    la fausse contradiction entre la ncessit de dserter le monde du Capital et celle de lui livrer la guerre.

    Face un ennemi, il ne sert rien d'avoir raison mais d'tre plus fort ou plus rus

    S'il semble vident pour beaucoup qu'une question comme celle du nuclaire dmontre chaque moment qu'il

    n'y a pas se faire l'interlocuteur de l'Etat, lui opposer une raison dmocratique implique toujours de conjurer ce

    qu'il y a d'irrductible en nous. La dmocratie, mme directe, c'est toujours cette vieille arnaque de la raison, del'argumentation. Comme si la sphre du discours allait rsoudre les problmes. S'il est un exemple de la guerre

    civile mondiale, de la paix arme, c'est bien le nuclaire. C'est justement parce que c'est de cette guerre que nous

    participons, de cette guerre entre ce qui renforce la domination et le chaos de tout ce qui lui chappe, de tout ce

    qui s'organise pour la dfier, que le temps des explications, de l'individu raisonn et du consensus est termin.Des existences politiques ne prtendent pas la paix, mais assument les diffrences thiques, les font jouer

    jusqu' la conflictualit. Le communisme n'est pas un humanisme. Nous ne visons pas nous poser en tant que

    mauvaise conscience de l'Etat en lui reprochant son caractre criminel, injuste ou irrationnel cela revient

    toujours en dernire instance parler son langage , mais nous donner les moyens de lui rpondre pied pied,

    coup pour coup.

    Le spectacle a voulu nous rendre invisibles, nous de savoir le rester

    Tout recommencer, tout repenser, partir de l o nous sommes, c'est dire se poser stratgiquement la question

    de ce que nous pouvons entreprendre, de nos possibilits relles. Le militantisme, comme l'activisme, nous

    n'avons que trop bien vu o cela nous menait. Accrotre notre capacit de nuisance implique de penser la

    situation qui nous est donne, encore une fois, stratgiquement. Le propre de la socit du spectacle est d'avoir

    monopolis la visibilit de ce qui est. Ce qui apparait est vrai, ce qui est vrai apparait. Tout ce qui s'oppose untant soit peu srieusement elle est systmatiquement repouss dans l'invisibilit. L'erreur gauchisante

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    lmentaire tend vouloir forcer une perce du ngatif au cur du spectacle. Il n'y a qu' constater comment les

    situationnistes sont devenus le spectacle du ngatif pour voir l'erreur stratgique que cela constitue. Cette perce,c'est au sein du rel que nous voulons l'ouvrir. Il est question ici de faire de l'invisibilit notre force. De

    sabotages clandestins en meutes anonymes, propager les actes dont la puissance n'a plus besoin de nom.

    Lorsque les coups ports se multiplient et s'parpillent rellement la surface d'un monde qui fait tout pour qu'on

    ne les voie pas, c'est un double mensonge qui surgit. Le rel n'est plus le spectacle, le spectacle n'est plus le rel.

    L'cart qui se creuse entre ce qui est rellement vcu et sa reprsentation devient intenable. Le monde dumensonge se fissure. L'invisibilit n'est plus notre dfaite mais la condition d'une victoire.

    S'organiser Conspirer

    Malgr ce que les staliniens peuvent dire, le mouvement rvolutionnaire n'a pas t dfait cause de son manque

    d'unit mais cause du manque de jeu entre les diffrentes positions qui s'exprimaient en son sein. Ce qu'il y a

    attendre d'une coordination anti-nuclaire ce n'est pas le gel des positions de chacun au profit d'un consensus

    pratique et faible. A l'ide de coordination, qui implique toujours de laisser beaucoup trop de choses sa porte,

    nous substituons la ncessit de conspirer. La dmocratie, mme directe, sous-tend toujours une certaine volont

    de gestion, une certaine ide de l'quivalence d'individus runis en tant que pralablement spars. La finalit de

    notre entreprise ne peut pas tre de reprsenterune position mais de la porter, en accroissant sa puissance. Nous

    ne voyons pas d'autre aventure hauteur de vie que le ravage du vieux monde.

    F.M. et A. K.

    ************

    A TOUTE ALLURESUSA CONTRE LE TGV LYON-TURIN

    Aprs avoir soutenu lincendie qui sestdvelopp partir de fin octobre dans tout lepays, dpassant largement lpiphnomne jeunes de cits pour contaminer de largeszones du territoire, impliquer des dizaines demilliers de noctambules, et frapper

    commissariats, coles, bus, entrepts et autressupermarchs, nous navons pu regarder quedun il bienveillant la rvolte du Val Susa, delautre ct des Alpes.

    Concernant la population entire de cettetroite valle situe entre Modane et Turin, larage explose contre les dbuts de laconstruction dune ligne de train fret/voyageurs grande vitesse. Bien sr il y a luranium etlamiante quils doivent bouffer avec les futurstravaux, bien sr il y a le bruit pour vingt ans,bien sr il y a la montagne ventre pour le

    profit de quelques uns. Mais il y a surtout lavolont de prserver envers et contre tout latechnologie, le progrs ou le choix desdmocrates lus un certain rapport leurenvironnement et la possibilit de dcider pareux-mmes de leur vie.

    Des sabotages entre 1996 et 1998 auxmarches sur les sentiers des partisans, puisdes manifestations aux grves sauvages, desblocages de route et voies ferres aux dursaffrontements avec la flicaille pour empcherles premiers sondages de terrain, ils ont su

    user en quelques mois dune grande partie dulangage de la critique pour affirmer quils neveulent pas de cette Grande Vitesse.

    Et non contents de fter joyeusement en cesmois dhiver chaque recul des techniciensvenus fouiller la valle avant de la dchirer, ilspoussent en plus le comble jusqu seconfronter dans de larges assembles,rflchir ensemble et comploter contre cemonde.

    Si cette attaque de la civilisation a su trouver

    une rponse collective qui nous en rappelledautres (contre le nuclaire Plogoff ouChooz par exemple), elle nous a commepremire solidarit pousss publier ce petitdossier en guise dantipasto.

    Quelques rvolts mtropolitains

    Texte disponible Mutines Sditions Cette semaine B.P. 275 54005 NANCY cedex

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    Action directe

    Hier soir Lavaur le carnaval vire au vinaigre.

    Ils saccagent le futur centre de dtentionProchain arrt : LAVAUR - PRISON POUR ENFANTS

    Hier soir au carnaval de Lavaur les anti-centres de dtention pour mineurs affichaient leurs opinions.

    Hier soir la cit Jacquemart tait en fte. Le carnaval battait son plein quand soudain tout a drap.Prmonition : un autocar du dfil affichait clairement la couleur : prochain arrt : prison pour enfants .

    Mais de l a penser que les anti centre de dtention pour mineurs passeraient laction il y avait un pas queles autorits navaient pas prvu. Et pourtant. Vers 20 heures, une centaine de personnes ont furtivementquitt le dfil pour se diriger vers le futur tablissement.

    Arrivs sur place ils ont, coups de pierres et de tout ce qui se trouvait porte de leurs mains, bris desvitres, saccag les btiments prfabriqus occasionnant des dgts importants. Un engin de chantier agalement t mis mal alors que les vhicules de la gendarmerie et de la police municipale ont t taggs.Ds que les faits ont t connus, dimportants renforts de police et de gendarmerie ont t dpchs sur

    place.Lopration coup de poing accomplie, les carnavaliers se sont vapors dans la foule. Il ny a pas eudinterpellation.

    Article paru dans La Dpche du Tarndu 26 mars 2006.

    La vrit dune pense est une question pratique, la question de sa puissance et de lanantissement de ses ennemis.

    O trouver A trop courber lchine ?

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