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ศิลปะการเลาเรื่องในผลงานของ ฌอง ฌิโอโน : เรอแกง และ เลอ ฮุส ซาร ซูร เลอ ตัวท โดย นางสาวสุพัชรี เมนะทัต วิทยานิพนธนี้เปนสวนหนึ่งของการศึกษาตามหลักสูตรปริญญาอักษรศาสตรมหาบัณฑิต สาขาวิชาฝรั่งเศสศึกษา ภาควิชาภาษาฝรั่งเศส บัณฑิตวิทยาลัย มหาวิทยาลัยศิลปากร ปการศึกษา 2545 ISBN 974-653-244-8 ลิขสิทธิ์ของบัณฑิตวิทยาลัย มหาวิทยาลัยศิลปากร

ศิลปะการเล ื่าเร องในผลงานของ ... · 2010. 8. 27. · sur le toit. Cette étude est divisée en 3 parties : la structure du récit,

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ศิลปะการเลาเรื่องในผลงานของ ฌอง ฌิโอโน : เรอแกง และ เลอ ฮุส ซาร ซูร เลอ ตวัท

โดย นางสาวสุพัชรี เมนะทัต

วิทยานิพนธนี้เปนสวนหนึง่ของการศึกษาตามหลกัสูตรปริญญาอักษรศาสตรมหาบณัฑิต สาขาวิชาฝร่ังเศสศึกษา ภาควิชาภาษาฝรั่งเศส

บัณฑิตวิทยาลัย มหาวิทยาลัยศิลปากร ปการศึกษา 2545

ISBN 974-653-244-8 ลิขสิทธิ์ของบณัฑิตวิทยาลยั มหาวิทยาลยัศิลปากร

L’art du récit dans deux romans de Jean Giono : Regain et Le Hussard sur le toit

Par Supatcharee Manatat

Mémoire d’études françaises Diplôme de Maîtrise

Département de français Ecole des Etudes Supérieures

Université Silpakorn 2002

ISBN 974-653-244-8

K 41413011 : สาขาวิชาฝรั่งเศสศึกษา คําสําคัญ : ฌอง ฌิโอโน / ศิลปะการเลาเรื่อง

สุพัชรี เมนะทัต : ศิลปะการเลาเรื่องในผลงานของ ฌอง ฌิโอโน : เรอแกง และ เลอ ฮุสซาร ซูร เลอ ตัวท (L’art du récit dans deux romans de Jean Giono : Regain et le Hussard sur le toit) อาจารยผูควบคุมวิทยานิพนธ : อ. ดร. Laurent Hennequin. 119 หนา. ISBN 974-653-244-8

จุดมุงหมายของวิทยานิพนธเลมนี้ คือ การศึกษาศิลปะการเลาเรื่องในนวนิยายของ ฌอง ฌิโอโน

เราอาจกลาวไดวาการเลาเรื่องเปนองคประกอบสําคัญที่ทําใหเรื่องราวในนวนิยายดําเนินไปได เทคนิคหรือศิลปะในการเลาเรื่องจึงเปนเอกลักษณเฉพาะตัวที่ชวยใหเร่ืองราวนาสนใจมากขึ้น บางครั้งเรื่องราวที่นํามาผูกเปน นวนิยายอาจมีแกนเรื่องที่ธรรมดาสามัญ ขึ้นอยูกับวานักเขียนจะมีขีดความสามารถพอหรือไมที่จะทําใหเรื่องราวดังกลาว มีสีสันดึงดูดใจ ฌอง ฌิโอโนเปนนักเขียนหนึ่งในไมกี่คนที่นําเสนอเรื่องราวทองถิ่นแถบแควนโปรวองซ ลักษณะนวนิยายของเขาเรียบงายมีแกนเรื่องไมซับซอน หากในความเรียบงายกลับแฝงไวดวยลักษณะเฉพาะตัว อันโดดเดน นั่นคือความสามารถในการเลาเรื่องของเขานั่นเอง

งานวิจัยฉบับนี้เลือกศึกษาเปรียบเทียบนวนิยาย 2 เรื่องที่ตีพิมพตางยุค กลาวคือ Regain และ Le Hussard sur le toit การศึกษาแบงเปน 3 สวน ในสวนแรกกลาวถึงการวิเคราะหโครงสรางของนวนิยาย ทั้ง 2 เรื่อง สวนที่ 2 การศึกษาตัวละคร และสวนสุดทาย วิธีการนําเสนอของผูเลา โดยมุงศึกษาความเหมือนและ ความตางในนวนิยายทั้ง 2 เร่ือง และการใชเทคนิคที่ตางกันในการนําเสนอผลงานทั้งสองยุค เพื่อเปนขอสรุปในเรื่องศิลปะการเลาเรื่องของนักเขียนผูนี้ การศึกษาดังกลาวไดยึดหลักทฤษฎีของ ชเวทาน โตโดร็อฟ จากหนังสือ Poétique II : Qu’est-ce que le structuralisme ? และบทความเรื่อง “Les catégories du récit litteraire”

จากการศึกษาพบวา ฌอง ฌิโอโน ยังคงเปนนักเลาเรื่องแบบเดิมไมวาในยุคกอนหรือหลังสงคราม มีเทคนิคบางอยางเทานั้นที่พัฒนาขึ้นในยุคหลัง สวนที่แตกตางกันคือความคิดและการมองโลกที่เปล่ียนไป อีกประการหนึ่ง ฌอง ฌิโอโน มีเอกลักษณเฉพาะตัวในการเลาเรื่อง กลาวคือเขาสามารถนําแกนเรื่องแบบเดิม มาเปลี่ยนแปลงเพื่อเลาเรื่องในแบบของเขาซึ่งทําใหเร่ืองราวนาสนใจมากขึ้น ภาควิชาภาษาฝรั่งเศส บัณฑิตวิทยาลัย มหาวิทยาลัยศิลปากร ปการศึกษา 2545 ลายมือชื่อนักศึกษา……………………………………….. ลายมือชื่ออาจารยผูควบคุมวิทยานิพนธ………………………………………….

K 41413011 : Majeur Etudes Françaises

Mots Clés : Jean Giono / narration, roman.

Supatcharee Manatat : L’art du récit dans deux romans de Jean Giono : Regain et

Le Hussard sur le toit. Directeur du mémoire : Dr. Laurent Hennequin. 119 pp. ISBN 974-653-244-8

La technique narrative ou l’art du récit est une composante importante pour le déroulement d’un

récit. Parfois le thème est simple mais l’auteur peut faire appel à l’art du récit pour attirer l’attention de son

lecteur. Jean Giono est un des romanciers régionalistes qui crée des romans dont les thèmes sont simples.

Malgré cette simplicité, il fait preuve d’originalité par son talent pour raconter.

L’objectif de cette recherche est d’étudier l’art du récit dans les deux romans de Jean Giono.

Elle porte sur une étude comparative de deux romans de deux périodes différentes : Regain et Le Hussard

sur le toit. Cette étude est divisée en 3 parties : la structure du récit, les acteurs du récit et les modes de

présentation du narrateur. Elle est basée sur la théorie d’analyse du récit de Tzvetan Todorov définie dans :

Poétique II : Qu’est-ce que le structualisme ? et Les catégories du récit littéraire.

Le résultat de cette étude montre que l’art du récit de Giono dans les romans étudiés reste

identique malgré la différence de période (avant et après la Grande Guerre), contrairement à sa pensée et à

sa vision du monde. Cette étude montre aussi que Giono est un écrivain unique en son genre : il rend son

récit plus intéressant en créant une œuvre typique à partir de thème traditionnel.

Département de Français Ecole des Etudes Supérieures, Université Silpakorn Année Universitaire2002

Signature de l’étudiant………………………….. Signature du directeur de mémoire……………………………

Remerciements Qu’il me soit d’exprimer ici mes remerciements les plus sincères et

ma reconnaissance la plus profonde à Dr. Laurent Hennequin, mon directeur

de mémoire, dont les conseils, la clairvoyance, la patience et les

encouragements ont permis à ce mémoire de voir le jour. Un grand merci à

Mademoiselle Areerat Pinthong pour son aide et sa sympathie. Je tiens

également à exprimer ma gratitude à tous les professeurs du Département de

français, qui m’ont nourrie de leurs connaissances.

Un grand merci aussi à mes nombreux amis, surtout à toute ma

famille qui m’ont soutenue moralement tout au long du travail.

TABLE DES MATIERES Chapitre Page Résumé en thaï……………………………………………………………... ง Résumé en français………………………………………………………… จ Remerciements…………………………………………………………….. ฉ Table des matières…………………………………………………………. ช Introduction………………………………………………………………... 1 Chapitre I : La structure du récit…………………………………………... 4

A. Regain…………………………………………………………… 5 a. L’analyse structurale………………………………………… 5 b. Le schéma détaillé…………………………………………… 7 c. L’ordre narratif et l’ordre événementiel…………………….. 10 d. La situation initiale et la situation finale…………………….. 17

B. Le Hussard sur le toit…………………………………………… 19

a. L’analyse structurale………………………………………… 19 b. Le schéma détaillé…………………………………………… 21 c. L’ordre narratif et l’ordre événementiel……………………... 25 d. La situation initiale et la situation finale…………………….. 30

C. L’analyse comparative…………………………………………... 32

Chapitre II : Les acteurs du récit…………………………………………... 36

A. Regain…………………………………………………………… 36 a. Les acteurs humains…………………………………………. 36

1. Le couple…………………………………………………. 36 1.1 Panturle………………………………………………. 37

1.1.1 L’avatar de Pan………………………………… 37 1.1.2 Les comparaisons végétales dans le portrait…… 37 1.1.3 L’homme sauvage et l’homme social………….. 39

Chapitre Page

1.2 Arsule………………………………………………… 43 1.2.1 Une femme humiliée…………………………... 43 1.2.2 Une femme soumise…………………………… 44 1.2.3 Une femme au foyer…………………………… 46 1.2.4 La porteuse de vie……………………………… 47

1.3 Le couple : Panturle et Arsule………………………... 48

2. Les figurants……………………………………………… 49 2.1 La Mamèche………………………………………….. 49

2.1.1 L’image d’une bête……………………………… 49 2.1.2 La sorcière………………………………………. 50

2.2 Gaubert : le don du travail……………………………. 51 2.3 Gédémus : le profiteur………………………………... 53

b. Les acteurs non-humains…………………………………….. 54

1. Le village…………………………………………………. 54 2. Les quatre éléments………………………………………. 55

2.1 Le vent………………………………………………... 56 2.2 La terre……………………………………………….. 58 2.3 L’eau…………………………………………………. 60 2.4 Le feu………………………………………………… 61

B. Le Hussard sur le toit……………………………………………. 62

a. Les acteurs humains…………………………………………. 62 1. Le couple…………………………………………………. 62

1.1 Angelo………………………………………………... 62 1.1.1 Le chevalier……………………………………. 62

1.1.1.1 Le chevalier errant……………………... 62 1.1.1.2 Le chevalier servant……………………. 65

1.1.2 Le soldat………………………………………... 65 1.1.2.1 L’honneur………………………………. 65 1.1.2.2 Le courage……………………………… 66

1.2 Pauline………………………………………………... 67 1.2.1 La femme avec des attaches……………………. 67 1.2.2 La femme courageuse………………………….. 68

1.2.3 Le changement dans la vie d’Angelo…………... 71 Chapitre Page

1.3 Le couple : Angelo et Pauline………………………... 72

2. Les figurants……………………………………………… 72 2.1 Ceux qui agissent…………………………………….. 73

2.1.1 Le petit Français……………………………….. 73 2.1.2 La nonne……………………………………….. 74 2.1.3 Giuseppe……………………………………….. 75

2.2 Ceux qui soumettent : Les bourgeois de Manosque…. 75

b. Les acteurs non-humains…………………………………….. 76 1. Le choléra et le mal………………………………………. 76 2. L’air et la chaleur………………………………………… 77 3. Les oiseaux………………………………………………. 77

C. L’analyse comparative………………………………………….. 78

Chapitre III : Les modes de présentation du narrateur……………………. 81

A. Le regard et la perspective……………………………………… 82 a. Le narrateur omniscient……………………………………... 82

1. Regain…………………………………………………….. 82 2. Le Hussard sur le toit……………………………………... 86

b. Le jeu de regard……………………………………………… 89

1. Regain……………………………………………………. 89 2. Le Hussard sur le toit…………………………………….. 91

B. Les discours rapportés…………………………………………... 95

a. Regain……………………………………………………….. 95 1. Le discours direct…………………………………………. 95

1.1 Des phrases courtes mais lourde de sens…………….. 95 1.2 Les propos rapportés par les personnages……………. 96 1.3 La suggestion…………………………………………. 97

2. Le discours indirect……………………………………….. 97 3. Le discours indirect libre………………………………….. 98

Chapitre Page

b. Le Hussard sur le toit………………………………………... 99 1. Le discours direct………………………………………… 99

1.1 Des phrases courtes…………………………………... 99 1.2 La pensée en discours direct………………………… 100

2. Le discours indirect………………………………………. 101 2.1 Résumé d’une histoire………………………………. 101 2.2 La pensée inconnue du personnage…………………. 102

3. Le discours indirect libre………………………………… 103

C. Les signes dans l’espace……………………………………….. 104 a. Regain………………………………………………………. 104

1. La maison de Panturle……………………………………104 2. La maison de la Mamèche………………………………. 105 3. La forge de Gaubert……………………………………... 106

b. Le Hussard sur le toit……………………………………….. 106 1. La ville de Manosque…………………………………….106 2. La maison du médecin philosophe……………………….107 3. Deux descriptions d’un même endroit à deux moments

différents……………………………………………….... 109 3.1 La grange……………………………………………. 109 3.2 L’auberge……………………………………………. 110 3.3 La maison des morts et celle des vivants…………… 111

D. L’analyse comparative…………………………………………. 111

Conclusion………………………………………………………………... 115 Bibliographie……………………………………………………………... 117 Curriculum vitæ…………………………………………………………... 119

1

Introduction

On voir au XXe siècle, des romanciers s’écartent totalement de la tradition et l’émergence de nouveaux genres ou styles avec par exemple le surréalisme, l’existentialisme ou bien le nouveau roman.

Si nous regardons les écrivains majeurs du siècle , on doit penser d’abord à Marcel Proust et André Gide. Ceux-ci donnent de l’importance à l’analyse psychologique. En outre, Jules Romain, Roger Martin du Gard et Georges Duhamel jouent un rôle de témoins pour l’histoire de leur génération. Les œuvre de Montherlant et de Saint-Exupéry présentent un idéal de la vie héroïque, François Mauriac et Georges Bernanos donnent de l’importance aux problèmes spirituels. Un autre écrivain que les critiques ne peuvent pas oublier, c’est Jean Giono dont les œuvres ont reçu un succès public.

Jean Giono est classé dans la catégorie des écrivains dits ‘regionnalistes’.1 Il commence sa carrière d’écrivain par les poèmes Accompagnés de la flûte (1929) et publie son premier roman en 1928 : Colline, puis en 1929 : Un de Baumugnes et en 1930 : Regain. On distingue souvent dans l’œuvre de Giono deux époques, deux styles. Les romans de la première manière mêlent la poésie et la prose2 et dans ceux-ci, Giono donne de l’importance à la nature.3 En effet dans ces récits l’homme est seulement un personnage secondaire et c’est la nature qui constitue le héros du roman.

A ce propos, Jean-Marie le Clézio dit : “On a beaucoup parlé de la nature chez Giono comme d’un thème. Mais c’est plus qu’un thème, c’est toute l’œuvre de Giono qui est mélangé à la nature, qui est la nature. <…> Pour Giono, il n’y a jamais rien d’autre que la nature, c’est-à-dire l’univers terrestre sous sa forme illogique et puissante, sous sa forme libre. Le monde dont nous parle Giono est un monde d’avant ou d’après l’homme, un monde qui vient d’être créé, où n’existent que les grandes forces de la vie.”4

Giono continue à créer des œuvres du premier style jusqu’en 1939. Pendant la deuxième guerre mondiale, il doit confronter une période difficile. Ses romans après cette période commencent à se modifier, que

1 Francine ANTONIETO. Le mythe de la Provence dans les premiers romans

de Jean Giono. Aix-en Provence, La Pensée Universitaire, 1961. p. 5. 2 Agnès CARBONELLE. Giono. Paris, Nathan, s d. p. 15. 3 Ibid. p. 17. 4 Cité dans : Julie SABIANI. Giono et la terre Paris, Edition Sang de la Terre,

1988. pp. 22-23.

2

ce soit dans la thématique et la technique de narration. En 1946, il devient ce qu’on a appelé un romancier-chroniqueur.5 C’est à cette époque qu’il crée les romans du cycle du Hussard.6

Dans les romans de la seconde manière, nous trouvons une technique narrative plus évoluée que dans les romans d’avant la guerre. L’œuvre de cette période est moins poétique7, la structure devient plus complexe, les personnages sont plus proches du réel. En outre, nous voyons une évolution de la technique narrative dont nous parlerons dans notre travail.

En tout cas, Giono est resté un conteur célèbre tout au long de sa carrière, comme le montrent les citations suivantes en témoignages de deux personnes :

Marcel Arland écrit dans La Grâce d’écrire : “Giono parle :

c’est un fait. Il n’est pas l’homme du silence, il n’est pas l’homme de réserve, de la concision née de la litote. Il parle beaucoup. Je le trouve même un peu bavard. Mais Giono sait parler : c’est un don. Il est un homme qui raconte ; nous entendons sa voix, nous surprenons ses intonations ; bien plus; nous devinons ; nous voyons sa mimique.”8

Quant à Claudine Chonez, elle dit : “Ce qui sauva Giono, ce

fut Giono. Il se souvint qu’il était né pour raconter des histoires comme un pommier pour donner des pommes.”9

Ce que nous avons évoqué peut souligner que Giono a le don de

raconter. Il peut faire vivre et colorer les paysans ordinaires, grâce à une technique et un talent. De plus, il est possible d’étudier le changement de la technique entre deux périodes.

5 “Les Chroniques” : c’est un moderne inventant à son propre usage des

formes narratives les plus complexes . C’est la série des romans comme Un roi sans divertissement, Les Ames Fortes, Moulin de Pologne, Noé et le Grand Chemin. Cité dans http://page.infinit.net/poibru/giono

6 “Le cycle du Hussard” : ce cycle se divise en deux périodes l’un autour de 1840, l’autre autour de 1940. Nous y trouvons deux personnages de différentes générations, qui portent le même nom, “Angelo”. Cité dans CARBONELLE op. cit. p. 98-99.

7 Ibid. p. 26. 8 Cité dans Giono par Pierre de BOISDEFFRE, . Paris, Gallimard. p. 239. 9 Claudine CHONEZ. Giono. Paris, Gallimard, 1956.

3

Parmi les études sur la littérature française en Thaïlande, nous trouvons un seul mémoire sur Giono. C’est Le rôle du narrateur et le temps dans les chroniques romanesques de Jean Giono : Un roi sans divertissement et Les Ames fortes.10 Ce travail examine les questions de la voix du narrateur et la focalisation d’une part, et d’autre part les temps utilisés dans chaque roman. Ce mémoire ne concerne donc que certains aspects de la narration dans des œuvres de Giono qui datent de la seconde période.

Dans notre étude, nous avons choisi de regarder deux romans : Regain et Le Hussard sur le toit. Le premier est classé dans le cycle paysan ou roman de la paysannerie.11Les romans de cette manière ressemblent souvent à des poèmes. Giono a dit : “Les lecteurs considèrent la plupart de mes livres écrits entre 1929 et 1939 comme des romans mais pour moi-même je les qualifie comme des poèmes.”12 Dans Regain, Giono nous raconte l’histoire d’un village désert où il ne reste à un certain moment qu’un seul habitant : un chasseur, dénommé Panturle. Après la rencontre d’une femme arrivée dans le village, ils commencent à travailler la terre. A la fin du roman, ce couple a réussi à faire revivre ce village. Quant au Hussard sur le toit, une œuvre écrite après la guerre, elle présente les aventures d’Angelo Pardi, un hussard italien refugié en France. Il doit confronter sur son chemin une épidémie de choléra et témoigner des malheurs et des souffrances des hommes, de leur égoïsme mais aussi rencontrer une jeune femme à laquelle il se dévoue pour la sauver.

Ce mémoire vise ainsi à étudier l’art du récit que Giono met en

œuvre dans ses romans. Dans le cadre de deux romans qui relèvent de deux types d’écriture différents dans l’ensemble de l’œuvre de Giono, la question se pose de déterminer s’il y a deux techniques narratives distinctes. L’étude de cette question peut ainsi permettre d’identifier à la fois les ressemblances et les différences dans une partie réprésentative de l’œuvre du conteur. En resumé, une analyse d’abord séparée puis comparative des deux romans devrait conduire à mieux identifier l’originalité de l’art de l’écrivain.

10 Mémoire de maîtrise de Naowarat Assavatesamongkol. Université

Chulalongkorn, Bangkok, 1999. pp. 121. 11 Jacques PUGNET. Jean Giono. Paris, Edition Universitaire, 1955. p. 12. 12 CARBONELLE. op. cit. p. 18.

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Chapitre I La structure du récit

Pour l’analyse des récits, Todorov propose, dans Poétique III :

Qu’est-ce que le structuralisme ?13, trois concepts : la proposition, la séquence et le texte pour l’analyse en vue de la syntaxe narrative, c’est-à-dire l’étude de la structure d’un récit.

D’après sa théorie, la proposition est l’unité minimale du récit14 et elle comporte deux facteurs : actants et prédicats. Les actants sont ceux qui agissent. Quant aux prédicats, ils peuvent être ‘verbaux’ ou ‘adjectivaux’ et désignant ce que les acteurs font. Pour comprendre ce concept, Todorov nous donne quelques exemples :

“X est une jeune fille. Y est roi. Y est le père de X. Z est un dragon. Z enlève X.”15

Dans ces exemples, X Y Z sont actants, tandis que “être une jeune fille”, “être un dragon”, “enlever” sont prédicats.

Une seule proposition ne peut pas constituer un récit, il faut qu’il y en ait une succession pour former une autre unité supérieure, c’est la séquence. La séquence narrative correspond à une série de faits qui représente une étape dans l’évolution de l’action.

La séquence est composée de plusieurs propositions entretenant des relations d’ordres divers. Todorov propose aussi un schéma de succession de propositions selon les types de récit.

“Si, pour plus de commodité, on admet que [la] proposition

initiale décrit un état stable, il s’ensuit que la séquence complète est composée-toujours et seulement de cinq propositions.

Un récit idéal commence par une situation stable qu’une force quelconque vient perturber. Il en résulte un état de déséquilibre par l’action d’une force dirigée en sens inverse,

13 Tzvetan TODOROV, Poétique III: Qu’est-ce que le structuralisme ? Paris,

Seuil, 1968. 14 Ibid. p. 79. 15 Ibid.

5

l’équilibre est rétabli : le second équilibre est bien semblable au premier, mais les deux ne sont jamais identiques.”16

La dernière notion que Todorov présente à propos de la syntaxe

narrative, c’est le texte. Le texte est une œuvre complète que le lecteur tient entre les mains. Un texte comporte presque toujours plus d’une séquence.17

Regardons maintenant comment Giono construit ses romans avec les exemples de Regain et Le Hussard sur le toit. Après avoir analysé séparement chaque roman, nous allons comparer les structures de chacun pour identifier les différences et les similarités. A. Regain

Résumé Aubignane est un village en voie de désertification, il lui reste seulement trois habitants : Panturle, le protagoniste principal, un célibataire d’âge avancé, Gaubert et la Mamèche. Peu après le début du roman Gaubert et la Mamèche quittent aussi le village. Le premier veut passer ses derniers jours chez ses enfants et la seconde part à la recherche d’une femme pour Panturle. Arsule, une jeune femme qui erre d’un village à un autre avec le rémouleur, Gédémus, arrive à Aubignane, secrètement conduite par la Mamèche. Panturle et Arsule se rencontrent lorsque celle-ci sauve Panturle de la noyade. On les retrouve vivant en couple au village, Panturle a beaucoup changé sous l’influence de la femme. Il a décidé de travailler la terre après l’avoir abandonnée à la friche pendant longtemps. Malgré les difficultés, la terre porte sa première récolte et le village revit au printemps, un couple vient s’y installer et Arsule attend un enfant.

a. L’analyse structurale Regain est un des romans de la première période de Giono. Son

intrique est très simple. Le thème principal des romans de cette période est le combat de l’homme contre les forces de la nature. Si nous en observons attentivement la structure, nous remarquons qu’elle est originale.

16 Ibid. p. 82. 17 Ibid.

6

En appliquant la théorie de Todorov pour analyser l’ensemble de notre texte, nous constatons que le même récit peut être envisagé selon deux perspectives différentes : celle des personnages et celle du village. Nous voyons ainsi que Giono donne ici, comme souvent, de l’importance au cadre, comme s’il agissait d’un personnage à part entière. Il y a ainsi dans le récit, un protagoniste humain, Panturle, et un protagoniste non-humain, le village.

Tableau 1. L’analyse structurale de Regain Panturle Le village

Etat initial

Panturle vit dans le village avec la Mamèche et Gaubert.

Le village se dépeuple.

Force perturbante

Le départ de Gaubert et de la Mamèche.

Les derniers habitants quittent le village.

Déséquilibre Panturle est seul dans le village et devient sauvage.

La vie sauvage.

Force sens inverse

L’intervention de la Mamèche et l’arrivée d’Arsule.

L’arrivée d’Arsule Début de repeuplement.

Equilibre Rétabli

Un nouveau couple s’installe dans le village et Arsule est enceinte.

La renaissance du village.

Au regard de ce tableau, on constate que l’auteur présente l’évolution d’un village qui se transforme d’un état dégradé en un état renaissant grâce à l’action de son dernier habitant. Un autre remarque est que le récit se démarque sensiblement de celui du récit traditionnel. Comme Todorov a noté dans sa théorie, Regain même se compose de l’état initial-force pertubante-déséquilibre-force en sens inverse et l’état équilibré. Nous pouvons dire que la structure de Regain est symétrique.

7

C’est parce que les deux parties sont semblables. L’etat initial et la force pertubante dans le schéma de Panturle et du village annoncent la dégradation vers l’état de déséquilibre. Quand la force vers le sens inverse et l’équilibre est rétabli, le destin du village et de son habitant revient en bon ordre. Ici, l’auteur montre le sort d’un homme lié à celui de la nature. Tous les deux doivent lutter contre le destin et c’est l’homme qui va se sauver lui-même et son village. D’autre part, le récit se divise en deux grandes parties explicitement marquées par une division entre une première et une deuxième parties dans la disposition du livre. Dans chacune nous retrouvons un schéma en cinq propositions en conformité avec le schéma de la théorie de Todorov.

b. Le schéma détaillé Tableau 2. Le schéma détaillé de Regain

Avant la rencontre de Panturle et Arsule Première Séquence Panturle (sauvage) Le Village (hostile)

Etat initial Panturle vit dans le village avec Gaubert et la Mamèche.

Le village est quasiment Désert.

Force perturbante

Le départ de Gaubert et la Mamèche.

Le dépeuplement.

Déséquilibre Panturle vit seul au village. Personne ne travaille la terre. Force sens inverse

L’arrivée d’Arsule. L’espoir.

Equilibre rétabli

Arsule sauve Panturle. La suspension.

Après la rencontre Deuxième Séquence Panturle (social) Le village (harmonie)

Etat initial Un couple stérile. Le village dont la terre est stérile.

Force pertubante

Panturle décide de cultiver. Il demande de l’aide aux autres.

La culture du premier blé.

Déséquilibre Panturle vainc les résistances de la terre (ré-équilibre).

La terre donne le meilleur blé de la région.

Force sens inverse

Panturle a un foyer.

La terre devient attirante.

Equilibre rétabli

La nouvelle famille Un nouveau couple s’installe au village.

8

Avec ce schéma, nous constatons que le texte est divisé en deux grandes séquences marquées par la rencontre de Panturle et Arsule. Dans la première séquence, l’histoire commence par l’état instable avec le village qui se dépeuple. Nous pouvons dire qu’il y a une force qui a perturbé la situation avant l’état initial dans le récit, c’est - à - dire l’histoire ne commence pas avec l’état stable comme dans le récit traditionnel. Au début du récit, nous trouvons seulement trois personnages qui vivent encore au village, ce qui semble annoncer sa mort prochaine. En plus, quand les deux personnages âgés, Gaubert et la Mamèche, quittent le village, Panturle se retrouve entièrement seul. Jusqu’ici nous pouvons dire que ce qui perturbe l’équilibre de la situation, c’est le dépeuplement en conséquence de l’exode rural. Nous devons d’abord comprendre qu’ à cette époque-là (1930), les habitants de la campagne émigraient vers la ville pour travailler dans la société industrielle. C’est ce que le roman reflète, avec les villageois d’Aubignane qui vont vivre ailleurs et Panturle qui reste seul au pays. Au début, il n’est pas cultivateur, il vit comme un sauvage. Il est possible que la résistance de la terre soit la raison pour laquelle Panturle ne cherche pas à la cultiver. Le déséquilibre initial s’accentue encore plus quand Panturle fait des actes de cruauté avec des animaux. Il est plus sauvage. Mais une force dans le sens inverse intervient quand Gédémus et Arsule arrivent dans le village. Le fait qu’Arsule sauve Panturle de la noyade dans le ruisseau est l’état final de cette séquence. Mais l’état n’est pas encore rétabli. Il y a une suspension. Le lecteur ne sait pas encore ce qui se passe après le sauvetage de Panturle car la dernière scène de la première séquence ne nous dit pas grand chose. Dans la deuxième séquence, l’histoire commence avec Panturle et Arsule qui vivent ensemble. L’état initial de cette séquence est à nouveau instable : même si les deux personnages vivent ensemble, il n’y a aucun signe d’espoir : le couple et le village restent toujours stériles même quand Panturle commence à cultiver la terre. Elle résiste, on ne peut pas la cultiver. En plus Panturle manque d’équipement adapté pour la faire revivre . C’est la résistance de celle-ci, qui fait l’entrée en matière de la seconde partie :

<<Cette saloperie de terre…dit Panturle en rentrant…pas

moyen…c’est plus dur que la pierre. On l’a trop laissée

9

d’abandon…elle est là, tout verrouillée; on ne peut pas enforcer le couteau.18. >>

Ces quelques lignes posent rapidement la situation initiale de cette

séquence, et elles révèlent l’état encore instable qui apparaît dès le début. La force qui permet de retrouver un ordre stable, c’est la décision de Panturle de travailler la terre, qui constitue une force agissante. En outre Panturle, un homme sauvage redevient un homme social. Panturle fait tout pour que sa femme et lui puissent survivre dans ce pays cruel. Après un dur labour dans les champs, Panturle reçoit les fruits de son action. C’est le blé, un blé de qualité supérieure que tout le monde admire. Grâce à la qualité de son blé, Panturle gagne une bonne somme d’argent qui lui permet d’apporter des éléments de la civilisation dans la maison. Sa maison devient un foyer. A la fin de l’histoire, nous voyons aussi le changement du village. Celui-ci se repeuple avec l’arrivée d’un nouveau couple et finalement, Arsule attend un enfant tout comme Caroline, la chèvre, qui est pleine.

Si l’on examine le schéma de séquences dans la perspective du village, on constate qu’il est le même sur les points importants. Dans les deux séquences, il commence par l’état de déséquilibre. Le village reste désert à cause de la terre hostile : plus elle est laissée à l’abandon, plus elle perd de qualité. Même l’arrivée d’un nouvel habitant ne peut pas changer son état malgré l’effort de Panturle. Mais finalement la terre devient une alliée et donne du profit en récompense aux efforts de ceux qui l’exploitent. C’est pour cette raison que le village et sa terre retournent à l’état positif.

En plus du schéma global qui vient d’être décrit, il y a des anecdotes qui apportent au lecteur des informations mais n’influent pas vraiment sur le déroulement du récit. A regarder le schéma global du récit, on constate que l’ordre du récit suit celui de la chronologie, toutefois quand on entre dans le détail, on constate que l’ordre des événements diffère de celui du récit.

18 Jean Giono. Regain. Paris, Librarie Générale Française, 1995, nouvelle ed. p. 84.

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c. L’ordre narratif et l’ordre événementiel

Une autre aspect que nous allons étudier, c’est l’organisation de l’ordre de l’histoire et l’ordre du récit. Pour ce qui concerne l’ordre de l’histoire nous allons voir la chronologie des événements qui se déroulent dans le roman. Et nous allons regarder la manière dont s’organise la chronologie des événements dans l’ordre du récit. Tableau 319. L’ordre narratif et l’ordre événementiel de Regain Chap. Indicateur de temps Evénements Lieu Durée Note

1ère

Partie

Chap. I.

En hiver A midi.

-La conversation des voyageurs dans la diligence sur Aubignane et ses trois habitants -Retour en arrière* par le récit d’un voyageur.

La route

1-2 heures

*Le passé de la Mamèche

Chap. II

-Depuis un matin en hiver jusqu’à la fin de l’hiver et les premiers jours du printemps

-Panturle au village -Retour en arrière* -Gaubert part -Il reste Panturle et la Mamèche au village. Ils chassent. -La Mamèche disparaît. -Panturle reste seul.

Aubignane

2-3 mois

*-Le passé de Panturle -Le passé de Gaubert

Chap. III

Au printemps -Un jour -Le lendemain -La nuit -Dans la matinée

-Gédémus au bureau de tabac. -Retour en arrière* -Le voyage de Gédémus et d’Arsule. -Le repos. Ils voient un arbre étrange. -L’arrivée à Aubignane -Arsule devant la maison de Panturle

-Au bureau de tabac -La route -Un hameau -Aubignane

environ 4 jours

*Le passé d’Arsule (5 ans aupara- vant)

Chap. IV

Au printemps -Presque le soir -Le lendemain -Le matin -Vers midi -La nuit -A minuit

Panturle est devenu un homme sauvage.

Aubignane

P

pendant le prin-temps

19 Ce tableau est adapté selon le modèle de Le Hussard sur le toit. Profil d’une

œuvre de Maurice MAUCUER. p. 32.

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Chap. Indicateur de temps Evénements Lieu Durée Note

-Le matin suivant -L’aube

-Il rentre de la chasse. -Il voit Gédemus et Arsule au village. -Il voit Arsule nue devant sa maison. -Il la suit au bord du ruisseau dans lequel il tombe -Arsule le sauve. -Ils vont tous les deux chez Panturle

Un jour et une nuit

2ème

Partie Chap.

I

-Un jour en été -Le soir

-Panturle décide de travailler et de demander de l’aide de son ami -Retour en arrière* -Il va voir l’Amoureux pour demander des semences et un cheval. -Il va demander une charrue à Gaubert -Il rentre à la maison

Aubignane -Chez l’Amoureux -Chez Gaubert -Aubignane

1 jour

*Depuis que Panturle et Arsule vivent ensemble, le comporte-ment de Panturle s’est modifié sous l’influence de sa femme.

Chap. II

-Un jour -Dans la soirée -“Pendant trois jours” -“le lendemain” -“le jour après” etc.

-Le rendez-vous avec l’Amoureux . -La découverte du corps de la Mamèche sur le chemin du retour. -Panturle raconte à Arsule l’histoire de la Mamèche* - Panturle et Arsule commencent le travail dans les champs

-La fontaine près d’Aubignane -Le plateau -A la maison -Aubignane

1 jour -Temps suspendu

*l’histoire de la Mamèche fournit l’explication du mystère de l’arbre noir qu’Arsule a vu sur le plateau quand elle voyageait avec Gédémus.

Chap. III

Chap.

-Un jour à dix heures -Le même jour

-La conversation des voyageurs dans la diligence sur le changement d’Aubignane -La foire de Banon -Panturle et Arsule viennent vendre leur blé. -Les achats après la vente.

Evénements

-La route -Banon

Lieu

Environ 4 jours

Note

12

Indicateur de temps Durée - Le soir

-Trois jours après la foire

-Le retour à Aubignane -Gédémus* vient réclamer Arsule chez Panturle

-Aubignane

*Il y a un retour en arrièrre avec son récit au moment où il est passé par Aubignane avec Arsule

Chap. IV

-En automne -Vers onze heures -Trois jours après à 4 h. du matin

-Panturle commence les labours d’automne -Un homme vient voir Panturle. -La famille de l’homme vient s’installer dans le village

Aubignane 4 jours

Chap. V

“Il est revenu le grand printemps”

-Panturle regarde les champs avec fierté -La renaissance

Aubignane 1 jour

En regardant le tableau, nous voyons que la chronologie des

événements est marquée par le cycle des quatre saisons. Chaque saison reflète la vie du protagoniste et l’état du village. L’histoire du village commence en hiver au moment où un des trois habitants restants décide de partir. Les deux autres qui restent deviennent de plus en plus sauvages. A la fin de l’hiver une autre disparaît et Panturle est le dernier habitant du village. Nous pouvons dire que l’hiver marque le début de la dégradation du protagoniste et du village. Au printemps, il est devenu instinctif et sauvage comme un animal. Mais le printemps est aussi le symbole de la renaissance; le vent du printemps, en alliance avec la Mamèche, guide Arsule au village. C’est la fin de la première partie. L’été est arrivé au début de la deuxième partie, c’est le moment de travailler la terre. Panturle et Arsule travaillent pendant tout l’été pour avoir une bonne récompense à la fin de cette saison. L’automne qui vient marquer la réussite de Panturle avec l’arrivée d’une nouvelle famille qui vient s’installer à Aubignane. L’auteur fait l’ellipse sur ce qui se passe pendant l’hiver. Il termine son roman au commencement du printemps suivant, au moment où Panturle contemple ses champs avec fierté. Nous pouvons dire que ce printemps consacre la réussite de Panturle qui peut faire revivre le village.

On remarque aussi que le narrateur insère des retours en arrière dans certaines parties du roman. Généralement, les retours en arrière

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racontent le passé des personnages. Nous apprenons le passé de la Mamèche par le récit d’un voyageur de la diligence dans le chapitre I, nous voyons le passé de Panturle et de Gaubert dans le chapitre deux, au chapitre trois, c’est le passé d’Arsule. Ce qui est intéressant, c’est que l’auteur ne précise pas l’époque du passé des trois habitants du village. Seulement à propos de Gaubert l’auteur donne une indication de temps sur son passé en disant vaguement “Du temps où il y avait ici de la vie, <…>”.20 Pour les deux autres, nous ne trouvons aucune mention. Pour Arsule, son passé est précisé par “De ça il y a bien 5 ans.”21 Nous pouvons dire que son passé est le plus proche des événements du récit. Dans la deuxième partie, il y a d’autres retours en arrière, c’est l’histoire qui s’est passée après qu’Arsule avait suivi Panturle chez lui. Cela est raconté dans le chapitre I de la deuxième partie. Au début, le narateur raconte que Panturle veut demander de l’aide à des voisins, il termine cette partie avec les mots “mets-toi un peu une chemise propre”22. Et puis il commence à raconter ce qui s’est passé à cette époque-là. Il mentionne encore cela du départ de Panturle avec “Tiens, voilà ta chemise propre.”23 Nous observons que l’auteur veut relier son récit par une même phrase identique. Après ce moment-là, nous trouvons encore un retour en arrière presque à la fin quand Gédémus vient chez Panturle pour réclamer Arsule. Il permet de comprendre ce qui s’est passé après le sauvetage de Panturle.

Une autre chose à remarquer est la technique narrative consistant à raconter deux fois, un même événement à deux moments différents du récit selon deux points de vue différents. C’est la scène où Arsule est devant la maison de Panturle et voit la trace de sang. Et peu après la même scène se répète mais cette fois du point de vue de Panturle. Donc il raconte ce qui s’est passé à Arsule au moment où il se réveille après être tombé dans le ruisseau.

Une autre remarque est que dans le troisième chapitre, Gédémus et Arsule voyagent, ils voient un arbre étrange sur le plateau. Nous apprenons ce qu’est cet arbre dans le deuxième chapitre de la deuxième partie quand Panturle découvre le cadavre de la Mamèche sur le plateau, c’est lui qui raconte l’histoire de cette femme à Arsule.

20 GIONO. Regain p.13. 21 Ibid. p. 41. 22 Ibid. p. 84. 23 Ibid. p. 88.

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La dernière remarque est que les événements de Regain se déroulent pendant une année avec ses quatre saisons et nous voyons une déséquilibre des événements dans chaque saison. Selon notre étude, nous observons que la plupart des événements se passent au printemps et en été. Il y a quelques parties en automme, mais en hiver il y en a très peu. Surtout l’auteur fait l’ellipse sur ce qui se passe l’hiver suivant. En mettant en rapport l’ordre événementiel et l’ordre narratif, nous pouvons résumer les événements du récit avec le schéma suivant :

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Ce schéma montre les relations des enchâsements entre les composantes au niveau de l’ensemble du texte en détaillant l’enchaînement des petites séquences qui constituent les deux séquences principales. Ces deux grandes séquences sont séparées par la rencontre des deux protagonistes, qui modifie entièrement l’orientation du récit. En outre, nous trouvons aussi des sous-séquences qui apparaissent le long de la trame principale du récit. Surtout la structure de la première partie est plus complexe que celle de la deuxième. C’est parce que nous trouvons, dans la première partie, plusieurs petites histoires qui apparaissent pour expliquer le passé de certains personnages. Remarquons que si l’auteur supprimait ces quelques scènes, l’histoire serait complète mais difficilement compréhensible pour le lecteur. Dans le schéma du tableau précédent, nous trouvons d’abord (dans la première partie) deux récit linéaires (1, 2) qui sont parallèles. Après (dans la deuxième partie) ces deux récits sont réunis et ne forme plus qu’une seule ligne(3). Le premier montre essentiellement l’histoire d’Aubignane et de ses habitants. Dans cette ligne nous pouvons diviser la situation en deux catégories : l’histoire racontée par les passagers de la diligence et l’histoire racontée par le point de vue du narrateur. Au debut l’histoire est racontée dans la diligence conduite par Michel et puis nous nous approchons de ce qui se produit dans le village sans le témoignage des passagers de la diligence. Ce qui se passe dans la diligence ne contribue pas à la situation du roman mais ce qui est important c’est que l’auteur invente cette scène seulement pour présenter au lecteur le monde du village. Et puis après, il laisse le lecteur approcher petit à petit ce qui se passe dans ce monde fermé. Nous pouvons dire que la première ligne du schéma raconte seulement l’histoire du village, ses habitants, surtout le protagoniste principal.

Quant à la deuxième ligne du schéma, elle présente la vie d’un autre protagoniste, Arsule. L’histoire de cette femme est aussi introduite dans le roman par le récit d’un autre personnage qui témoigne de son passé. L’auteur consacre le début de ce chapitre pour le récit du passé d’Arsule24. Après la présentation de la vie d’Arsule, l’auteur retourne à ce qui se passe actuellement : le voyage de Gédémus et d’Arsule d’un village à l’autre. Mais il y a une force étrange qui les emmène à Aubignane. Là, les vies des deux protagonistes vont converger. Panturle voit Arsule en cachette, tandis qu’Arsule ne voit que la trace du travail de Panturle. Plus tard, après leur rencontre face à face, les deux protagonistes vont vivre ensemble, mais l’auteur ne le dit pas

24 Ibid. pp. 37-41.

17

directement, il reste silencieux à la fin de la première partie. Après, ils sont ensemble tout au long de la deuxième partie pour travailler, pour gagner leur vie et pour sauver leur village. La troisième ligne du schéma est consacrée à l’histoire du village qui est en train de renaître. Là, le lecteur voit petit à petit la métamorphose à la fois du village et des personnages. Nous pouvons classer les situations de cette partie en deux étapes dans cette transformation : le travail et les bénéfices de ce travail. Nous constatons que le résultat du travail est refleté par ces deux scènes : le récit dans la diligence, et la scène de la foire de Banon. Comme dans la première partie, la scène dans la diligence de Michel a une fonction d’informer le lecteur sur le nouveau visage d’Aubignane. En suite, la scène de la foire confirme ce que le lecteur a appris dans la scène de la diligence, c’est le résultat du travail de Panturle. Disons que c’est l’aboutissement de la tendance rétablissant l’équilibre de ce roman. Cela nous montre immédiatement que Panturle et le village ont pu surmonter leur déchéance. Quand la vie des protagonistes retourne à l’ordre, une autre scène se trouve insérée, c’est celle où Gédémus réclame Arsule. Cette partie se termine avec le départ de Gédémus qui a obtenu une somme d’argent. Le chapitre suivant continue avec le recommencement du travail dans les champs et avec l’arrivée d’un nouveau couple qui va s’installer dans ce village. En fait, ce récit aurait pu se finir par ce chapitre, mais l’auteur ajoute un autre court chapitre pour déclarer la fertilité, la reproduction et la vie.

c. La situation initiale et la situation finale Tous les changements positifs se produisent après la rencontre de

Panturle et Arsule. Le village en voie de désertification redevient le village fertile. Le chasseur qui ne travaillait pas la terre devient agriculteur. Le village renaît la renaissance grâce à l’harmonie de Panturle et de la terre.

Si nous observons le renversement de l’état initial et l’état final, nous trouvons l’évolution de ces deux états. Voyons d’abord l’état initial du roman.

“Par la fente du val on voit, au-delà, un pays tout roux

comme un renard.” <…>

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– Alors, l’oncle, c’est là-bas, Aubignane, là où ça a l’air tout mort.” 25

Cette citation évoque l’image du village avant le travail de

Panturle. Les mots <<un pays tout roux comme un renard>> présentent une image de la sécheresse et de la sauvagerie du village, c’est -à -dire que dans ce village, il n’y a plus de culture. En plus, la deuxième phrase <<là où ça a l’air tout mort>> nous fait comprendre que le village est quasi - désert. Ces quelques mots reflètent aussi l’état des derniers habitants du village. Tous les trois mènent une vie sans espoir.

En revanche, si nous comparons l’état avant et après le travail, nous voyons une grande différence.

“Là-bas, à Aubignane où, d’habitude, c’était roux comme du

maïs, c’était vert de verdure, d’une belle verdure profonde.”26 Ces quelques lignes apparaissent dans le troisième chapitre de la

deuxième partie. C’est la scène où Michel conduit les passagers dans sa diligence. Quand la diligence passe par Aubignane, même le cheval peut distinguer le changement. Cette scène nous présente Aubignane après le labour de Panturle. Le pays tout roux comme un renard, comme du maïs, est devenu celui qui est vert de verdure.

Nous observons que pour expliquer ce changement, le choix du vocabulaire joue un rôle très important. Pour illustrer les changements, les images jouent un rôle important. La différente couleur <<roux comme un renard>> et <<vert de verdure>> peut refléter immédiatement l’évolution de l’état initial vers l’état final du récit.

Après avoir analysé la structure narrative de Regain, un des romans

d’avant guerre de Giono, nous allons regarder un roman d’après guerre, Le Hussard sur le toit. La structure narrative est plus complexe que dans Regain. Nous allons voir comment Giono organise la complexité dans son roman. Sur ce point, nous verrons comment le schéma du récit ne se conforme pas toujours à la tradition.

25 Ibid. pp. 9-10. 26 Ibid. p. 113.

19

B. Le Hussard sur le toit

Résumé Le Hussard sur le toit a éte publié en 1951. Ce roman fait partie

du cycle du Hussard. Giono y raconte l’histoire d’un jeune hussard italien, nommé Angélo. Celui-ci s’est réfugié en France à cause des désordres politiques en Italie, et, de plus, il a tué un Baron en duel. Arrivé en France à la recherche de son frère de lait, Giuseppe, il est confronté à une épidémie de choléra dont il constate l’horreur en traversant divers endroits et à l’occasion de nombreuses rencontres dues au hasard. Angelo rencontre un jeune médecin français avec qui il passe du temps au premier village où il trouve les premiers cas de choléra. Cette rencontre est marquante dans la pensée d’Angelo et s’en souviendra tout au long de son voyage. Il arrive à Manosque où il est accusé de chercher à empoisonner une fontaine et il doit se réfugier sur les toits de la ville pendant quelques jours. Dans une maison, il rencontre une jeune femme, Pauline de Théus, qui lui offre un repas. Puis il quitte les toits et se réfugie dans un couvent désert. Là, il trouve une vieille nonne avec qui il fait la toilette des cadavres. Angélo part de Manosque après la disparition de cette nonne. Il continue à rechercher Giuseppe et le trouve avec sa femme dans un camp sur une colline d’amandiers. Giuseppe lui donne une lettre de sa mère et lui prépare des habits et tout ce qui est nécessaire pour un long voyage. Angelo se met en route pour l’Italie. En chemin, il retrouve Pauline. Il lui propose de l’accompagner, chez elle, au château de Théus. En chemin, ils rencontrent des soldats, dont certains d’entre eux sont finalement contaminés par le choléra. Ils sont arrêtés dans une quarantaine, mais plus tard ils peuvent s’enfuir. Un peu plus tard, Pauline montre aussi les symptômes de la maladie et est sauvée à temps par l’intervention d’Angelo. Le roman s’achève avec Angelo qui reprend sa route seul vers l’Italie.

a. L’analyse structurale Le Hussard sur le toit possède une intrigue très simple. C’est

l’histoire d’un homme errant qui entre dans un pays ravagé par le choléra à la recherche d’un but encore inconnu du lecteur. Observons que ce roman est influencé par le “roman de chevalerie” du Moyen Age où le héros, noble, fait une quête réligieuse. Il est prêt à rendre service aux faibles. Mais dans Le Hussard, ce qui est original, c’est que la quête du héros n’a pas de sens.

20

Avec ses 14 chapitres et ses 499 pages dans notre édition27, le roman comporte un nombre assez élévé de séquences. Contrairement à Regain, les situations qui se produisent sont diverses. Mais tout d’abord, il faut observer le récit dans sa globalité. Comme dans Regain, on peut envisager le roman selon deux perspectives, celle du personnage principal et celle d’un acteur non humain, le choléra. Regardons le tableau suivant :

Tableau 4. L’analyse structurale du Hussard sur le toit

Etat Angelo Le choléra Etat initial Angelo arrive en France

pour chercher son frère de lait avant de retourner en Italie

Le choléra se répand

Force pertubante

En chemin , il rencontre le choléra. Il rencontre Pauline.

L’effort d’un certain groupe de gens qui veut lutter contre la maladie

Déséquilibre Angelo ne peut pas accomplir son destin(rentrer en Italie et aimer Pauline)

Aucun résultat. Le choléra triomphe de tout. Ceux qui sont atteints de la maladie meurent.

Force sens inverse

Amour. Il triomphe du choléra

Pauline est guérie. Elle est la seule personne qu’Angelo peut sauver.

Etat final Il repart en Italie L’épidémie continue de ravager le pays

Dans les deux romans on peut mettre en parallèle le destin

individuel du héros principal avec une force de la nature. Dans Le Hussard nous voyons deux perspectives : ce sont l’histoire d’Angelo et celle du choléra. Observons que le choléra joue un rôle essentiel tout au long de l’histoire. Nous le voyons dès l’état initial jusqu’à l’état final. Il triomphe de tout, rien ne peut lui résister. Nous constatons que le choléra est la toile de fond du récit. Nous voyons que la puissance de cette maladie se renforce constamment. Le phénomène est d’abord découvert

27 Jean GIONO. Le Hussard sur le toit. Paris, Edition Gallimard, 1951.

21

dans un petit village mais peu après, on le voit répandu dans tout le pays. Dans ce cas-là, nous ne voyons pas que l’état initial peut être réparé.

Quant au schéma dans la perspective de notre héros, Angelo, l’état intial peut être rétabli à la fin, car il cherchait une chose mais il en a trouvé une autre, l’amour qu’il donne à Pauline. Il doit la quitter pour retourner en Italie. Dès le début, Angelo apprend le cas de choléra. Au début il a peur de cette maladie mortelle, mais peu après, il s’adapte et lutte contre cette maladie. Bien que ce soit en vain, il essaie de le faire. Remarquons que le choléra s’attaque aux autres mais pour Angelo, il ne l’atteint jamais. A la fin il peut le dompter avec le cas de Pauline. C’est la force de l’amour pur qu’il a pour cette femme qui l’aide à surmonter la crise.

b. Le schéma détaillé Si nous analysons les séquences secondaires du Hussard, nous

devons distinguer deux grandes phases : avant et après la rencontre entre Angelo et Pauline. Pour le schéma du Hussard il ne faut pas simplement regarder comment le roman s’incrit dans le récit traditionnel examiné par Todorov mais il faut voir aussi comment Giono construit de manière originale sur le récit traditionnel. Nous identifions cinq étapes dans chaque séquence. Toutes les séquences commencent de la manière suivante : l’arrivée (état initial)- la rencontre- action- le résultat-le départ (état final) qui ferme la scène. Cela fonctionne ainsi tout au long du récit. Regardons le tableau suivant :

22

Tableau 5. Le schéma détaillé du Hussard sur le toit Séquence Principale

Séquence Secondaire

Etat initial L’arrivée

La rencontre L’action Le résultat Etat final Le départ

1. Le petit Français

Angelo se réfugie en France.

-La découverte du choléra. -La rencontre avec le petit Français.

Il soigne les malades.

Les malades meurent.

-La mort du médecin -Angelo repart.

2. La préceptrice

Angelo est sur la route.

Il rencontre la préceptrice.

Il l’aide. Elle meurt. Il continue son chemin.

3. La foule de Manosque

L’arrivée à Manosque

Accusé d’empoisonner la fontaine

Il se réfugie sur les toits.

Il rencontre Pauline.

Il quitte les toits

4. La nonne Angelo entre dans un couvent.

Il rencontre la nonne.

Il lave les morts avec elle.

Elle part. Il repart.

1.Avant (Angelo et la foule)

5. Giuseppe Angelo arrive à un camp.

Il retrouve Giuseppe.

Il organise son retour en Italie.

Il prend rendez-vous avec Giuseppe.

Angelo retourne en Italie.

1. La route

Angelo arrive à la grande route.

Il retrouve Pauline. Ils affrontent les soldats.

Le combat

Pauline tire sur l’un d’eux. Angelo décide d’ac-compagner Pauline.

Ils voyagent ensemble.

2. La maison d’un paysan

L’arrivée à une maison

Ils rencontrent un paysan qui les reçoit chez lui.

Ils prennent un repas.

Ils apprennent l’histoire du choléra.

Ils partent.

3. Le couvent

La route Ils rencontrent des soldats.

Ils sont arrêtés et enfermés en quarantaine.

Ils s’enfuient.

A nouveau sur la route

4. Un hameau étrange

L’arrivée à un hameau

Ils rencontrent des paysans armés.

Le combat La négociation et l’achat d’un mulet.

Le voyage

5. En chemin Ils sont sur la route.

La rencontre avec un musicien

Ils parlent du choléra.

Le musicien les quitte.

Le voyage

6. La maison d’un médecin philosophe

L’arrivée dans un hameau

La rencontre d’un ancien médecin

Ils parlent du choléra. Le médecin leur donne un repas.

Le médecin leur indique le chemin

Angelo et Pauline se dirigent vers la montagne.

7. Une maison déserte

L’arrivée à une maison

Pauline a une attaque de choléra.

Angelo la soigne

Il la sauve. Le départ à Théus

2. Après (Angelo et Pauline)

8. Le château de Théus

L’arrivée à Théus

Angelo rencontre la sœur de M. de Théus.

La conversation

Angelo voit Pauline tous les soirs

Angelo reprend le chemin pour l'Italie

23

Nous voyons que dans la première partie, cinq séquences secondaires constituent une grande séquence principale. Chaque petite séquence est marquée par un personnage. Comme nous l’avons évoqué, le romancier nous présente l’histoire d’Angelo et des inconnus, donc nous trouvons toujours dans chaque séquence, une intervention d’Angelo dans la vie des autres. Dans la première séquence, c’est la déclaration du choléra. Le petit Français entre en scène pour informer le héros sur l’épidémie que celui-ci vient de constater. C’est cette scène qui marque pour Angelo le commencement du choléra avec le petit Français qui apprend à Angelo comment lutter contre cette maladie. Mais leurs efforts sont toujours vains. Nous voyons dans les autres séquences qui suivent que les personnages ne peuvent pas surmonter le destin. Le petit Français lui-même meurt à cause du choléra.

Dans la deuxième séquence, Angelo rencontre une préceptrice par hasard en chemin et lui propose de l’aider. Arrivant à une quarantaine, Angelo se rend compte que s’il y reste, la mort l’attend. Il propose à la femme de s’enfuir. Elle refuse et demande à y rester. Observons que dans cette scène, c’est Angelo qui quitte la femme. Quand il a un moyen pour l’aider, il retourne à la quarantaine. Mais malheureusement, il ne trouve que des cadavres, la femme avec les enfants qu’elle avait en charge, sont morts aussi. Donc, il continue son chemin. Comme dans la séquence précédente, elle se termine par une séparation et un départ.

Nous pouvons dire que la séquence décisive est celle de la foule à Manosque parce qu’elle conduit à la situation qui a donné son titre au roman. A ce moment le héros doit se réfugier sur les toits pour se cacher de la foule. Le résultat de cette action est la première rencontre entre Angelo et Pauline. Mais comme ils sont des étrangers l’un envers l’autre, ils se séparent après. Sur les toits, Angelo devient impuissant parce qu’il y reste sans pouvoir. Ce qu’il peut faire c’est regarder Manosque et ses habitants qui sont en train d’être décimés par le choléra. Plus tard, Angelo quitte les toits. La situation en bas empire, le nombre de morts augmente. Peu après, Angelo a une autre tâche, assignée par hasard. La séquence de la nonne se produit après la descente du toit. Angelo rencontre la nonne en entrant dans un couvent. Il travaille avec elle pour laver les morts. Dans cette séquence, Angelo redevient actif, il affrontre le choléra. Après le travail avec la nonne, cette fois c’est elle qui le quitte, Angelo se trouve seul. Donc il continue son chemin. La première séquence principale se termine avec la séquence de Giussepe. Cette scène nous apporte quelques réponses à propos du personnage énigmatique qu’était Angelo jusque là. Ici, nous apprenons son passé, la raison de son errance en France, etc. Il semble que l’histoire

24

pourrait se terminer ici quand Angelo se prépare à retourner en Italie, sa patrie. Mais la seconde rencontre avec Pauline bouleverse complètement son projet. Maintenant la deuxième séquence va être consacrée à l’histoire d’Angelo et de Pauline. Avant de parler de la deuxième séquence, nous voulons faire quelques remarques sur le premier. Nous observons que dans tout le long de l’histoire, Angelo est le fil conducteur qui lie les événements dans le récit. Il nous guide dans la rencontre avec plusieurs personnages. Le choléra aussi apparaît dans toutes les scènes. Dans la deuxième séquence principale, le narrateur nous guide à suivre le pas d’Angelo et de Pauline dans des endroits différents où il y a différents personnages, certains hostiles, d’autres accueillants. La deuxième séquence principale se compose de huit séquences secondaires. Toutes reflètent les aventures des personnages principaux. Ces huit séquences secondaires orientent à l’errant d’un endroit vers un autre. Mais cette fois nous constatons que le voyage a une destination précise. Observons que la plupart des séquences commencent par l’arrivée des personnages à un endroit, presque toujours l’arrivée dans un village ou un hameau, où ils rencontrent des gens. Nous pouvons diviser ces gens en deux catégories : ceux qui sont hostiles, par peur d’être contaminés et ceux qui sont accueillants. Dans le cas d’hostilité, l’action dans la séquence est le combat. Tandis que dans le cas de ceux qui sont accueillants, Angelo et Pauline sont reçus dans leur maison et on leur offre un bon repas. Ils apprennent aussi diverses informations sur le phénomène du choléra. Regardons les séquences 2, 5 et 6 qui illustrent le cas d’alliance.

Quant aux séquences 1, 3, 4, ce sont des scènes où les deux protagonistes rencontrent de l’hostilité. Chaque séquence commence par l’arrivée des protagonistes dans un endroit dont le propriétaire n’est pas accueillant. L’action de telle séquence est le combat ou l’arrestation. Le résultat de cette action se dirige dans une bonne voie, c’est-à-dire les protagonistes peuvent se sauver de cette situation difficile. Et ils continuent la route comme dans toutes les séquences.

Les séquences 7 et 8 nous mènent à la dernière scène du récit. Dans la séquence 7, le choléra affecte directement Angelo, car c’est le tour de Pauline d’avoir une attaque de cette maladie. Angélo la soigne comme il a fait avant, mais cette fois, c’est un cas exceptionnel : il réussit à vaincre la maladie. Il peut sauver la vie de Pauline. Cette séquence s’achève comme les autres avec le départ, tout près de leur destination. La dernière séquence est brève mais elle joue un rôle important.

25

Elle montre la fin de la mission inattendue d’Angelo. Quand il parvient à arriver chez Pauline, il peut continuer vers sa vraie destination, l’Italie. A la fin de la séquence, Angelo part de la maison de Théus pour retourner dans sa patrie. Maintenaint, il est seul comme au début et avec un but précis.

c. L’ordre narratif et l’ordre événementiel Comme dans Regain, cette partie de notre étude est consacrée à

l’analyse de l’organisation de la chronologie des événements dans le roman et la chronologie dans l’ordre du récit. Dans Le Hussard, les événements sont plus complexes et plus nombreux que ceux de Regain donc ici, nous faisons seulement le résumé des faits importants. Tableau 6. L’ordre narratif et l’ordre événementiel du Hussard sur le toit Chap.

Indicateur de temps Événements

Lieu Durée Note

I

Au mois de juillet (l’été : la chaleur)

-Angelo voyage dans le Sud de la France. -La situation du choléra dans les régions voisines. -Angelo passe la nuit dans un hôtel.

-La route d’Aix à Banon

1 jour

Pauline, d’après son récit, a quitté la Valette en juillet (p. 425)

II -Le premier jour -A midi -La nuit -Le lendemain matin -Le soir -La nuit

-L’arrivée à Omerques, la découverte de cas de choléra. -La rencontre avec le petit Français. -Le petit Français soigne un enfant qui meurt plus tard. -Le petit Français tombe malade. -Angelo le soigne, mais il ne peut pas le sauver. -Angelo passe la nuit à côté de deux cadavres.

-Omergues 2 jours

III -Le matin -La nuit

-Le combat avec un capitaine. - On brûle les morts à la quarantaine.

La route vers Sisteron

1 jour

IV -Le lever du jour -Dans la matinée -Le soir -La nuit

-La rencontre avec la préceptrice. -L’achat de nourriture dans une ferme. -L’arrivée à la grange -Angelo s’enfuit, la préceptrice refuse de partir avec lui.

De Sisteron à Peyruis

1 jour

26

Chap. Indicateur de temps Evénements Lieu Durée Note V -La nuit

-Le jour allait se lever. -La tombée de la nuit

-L’arrivée dans une auberge. L’achat d’une voiturette. -Le retour à la grange où tout le monde est mort. -Le retour à l’auberge, pleine de morts -L’arrivée à Manosque

Peyruis à Manosque

1 nuit et 1 jour

VI

-La nuit -Premier jour : le matin -La nuit -Le deuxième jour -Le soir tombé -La nuit

-Angelo est arrêté, accusé d’avoir empoisonné la fontaine. -Il se réfugie sur les toits -Réveillé avec le besoin de vomir -Chercher à manger -Regarder la ville -Les rêves -Regarder la foule dans la rue -Les cris -Il erre d’un toit à un autre -La rencontre avec Pauline

Manosque 3 jours

VII -“Le soleil levant…” -Quelques jours après -Un matin -“Quand la brûlure du soleil blanc posé sur son visage, le réveilla, il etait tard”

-La descente du toit -La rencontre de la nonne -A. travaille avec elle -Le retour au couvent avec la nonne -Il dort fatigué après avoir travaillé -La nonne le quitte

Manosque plu-sieurs jours <sans pré-cision>

VIII -Du matin au soir -la nuit -“Angelo tira ses bottes et surtout ses culottes qu’il gardait depuis plus d’un mois” * p. 252

-La recherche de Giuseppe -Un garçon le guide à la colline des amandiers oùse trouve le camp de Giuseppe.

Les collines de Manosque

1 jour Un mois= le mois d’août

IX

Septembre (automne) -Quelques jours après

-Giuseppe donne la lettre de la mère d’Angelo datée juin (“G. l’a gardée depuis deux mois”) -la préparation du voyage

Colline des amandiers

27

Chap. Indicateur de temps Evénements Lieu Durée Note -Il pleut pendant

plusieurs jours -Pendant plusieurs jours

-Inondation/ Des malades sont morts -Il y a de plus en plus de morts -Angelo soigne les malades

X -Derniers jours de septembre -Le matin -La nuit

-Angelo part pour l’Italie. -Il rencontre Pauline -Le combat avec les soldats -Angelo et Pauline passent la nuit dans la forêt -Pauline est attaquée par un corbeau. -L’arrivée à une auberge de Monjay

La route de Manosque à Monjay

2 jours

XI -Le matin -La nuit était tombée -Le matin -“Le soleil avait déjà incliné sa lumière” -“Le crépuscule d’automne” -Le matin

-Le départ -L’arrivée à la maison de tueur de porcs -Ils campent. -Ils sont arrêtés par des soldats. -En quarantaine dans un couvent Angelo décide de s’enfuir -Ils se sauvent -Augmentation du nombre des morts

Monjay à Vaumeilh

2 jours

XII -Le matin -“On était en plein dans ces chaleurs qui s’attardent en automne”. -L’après-midi -“Le soir tombait” -Le matin

-Petit déjeuner -L’achat d’un mulet dans un village étrange -Le voyage dans les montagnes -Rencontre d’un musicien -Il pleut. Ils se réfugient dans une maison déserte.

Près de Vaumeilh

4 jours

XIII -Le matin -Le départ de la maison -Il pleut -Rencontre avec un médecin philosophe

Près de Gap

1 jour

XIV -Le matin -A midi -De midi jusqu’à la nuit -Le matin (Temps indéfini)

-Le médecin indique le chemin -Pauline est malade -Angelo la soigne -Pauline se réveille -Retour à Théus -Pauline à Théus

-Près de Gap

-Le village de Théus

6-7 jours

28

Le tableau montre que l’auteur présente quasiment la vie d’Angelo au jour le jour. En réalité, le temps dans Le Hussard est souvent suspendu, il y a des ellipses dans plusieurs parties. Si les événements commencent en juillet (la date est marquée à la page 425, d’après le récit de Pauline disant qu’elle a quitté la Valette au moment où Angelo errait au sud de la France), les chapitres I à VIII doivent se dérouler aux mois de juillet à août, parce que le chapitre IX se situe en septembre. L’auteur précise le mois par la lettre de la duchesse qui est datée de juin et que Giuseppe à gardée pendant deux mois. Mais dès le chapitre X jusqu’à la fin, l’histoire se déroule en automne (fin septembre-début octobre). Nous pouvons dire que dans Le Hussard, la chronologie n’est pas importante, ce qui importe plus c’est le récit qui est situé en été et en automne.

Dans Le Hussard, nous ne trouvons pas toutes les saisons comme dans Regain. L’auteur ne donne pas de l’importance au cycle des saisons. Mais les deux saisons : l’été et l’automne, présentées dans ce roman marquent aussi une idée importante. Le début de récit est en juillet, c’est l’été où le choléra commence à se répandre. Les événements se déroulent jusqu’en automne au moment où le choléra triomphe dans toute la région. C’est parce que le choléra peut se diffuser par l’eau et l’air.

Au sujet des indicateurs de temps, comme dans Regain, l’auteur apporte des précisions, par quelques mots sur le soleil, la lune, les étoiles. C’est très clair dans le premier chapitre où l’histoire se déroule du matin au soir. Mais, dans les autres chapitres, le temps devient incertain. Nous voyons seulement le héros qui se réveille au matin et ce qu’il fait dans la journée jusqu’au soir. Mais l’auteur ne précise pas le nombre de jours écoulés.

Nous observons que l’ordre du Hussard possède peu de retours en arrière. C’est parce que dans le pays qui est dévasté par la maladie contagieuse, des personnages restent sans passé, vivant dans le présent. Le Hussard se déroule pendant 6 mois. C’est seulement une tranche de la vie d’Angelo, mais c’est un fait important dans sa vie.

Remarquons que les événements se produisent en un jour ou plusieurs dans un lieu et une rencontre quand Angelo voyage seul. Mais après Manosque, les actions sont suspendus, cela peut affecter l’ordre événementiel. C’est la cause de la suspension des actions.

Maintenant regardons le schéma qui représente l’ensemble du texte.

30

Dans le schéma, nous voyons la répartition matérielle du récit. Obsevons que le schéma se développe sur une seule ligne. Il n’y a que le premier chapitre qui ne soit pas linéaire car il regarde simultanément la route d’Angelo et la progression du choléra. De cette manière, nous voyons Pauline qui apparaît déjà très rapidement la première fois parmi les personnes affectées par le choléra. Puis après, dès le deuxième chapitre, l’histoire est racontée sur la même ligne, une question se pose : Pourquoi l’ordre du récit se présente ainsi ? La réponse est que ce roman représente une tranche de vie d’un personnage. Donc, il y a une série d’événements qui apparaissent les uns après les autres et sont racontés de cette manière. Une autre remarque est que l’histoire est divisée en deux séquence principales, avant et après la rencontre. Comme nous l’avons évoqué dans la partie précédente, cette rencontre change le déroulement du récit. Mais elle peut changer seulement la destination des personnages, elle ne change pas l’ordre de la nature. Cela veut dire que le choléra reste encore dans le pays. Ce n’est pas comme dans Regain où la rencontre affecte aussi bien la vie des personnages que celle du village.

d. La situation initiale et la situation finale Comme nous l’avons vu dans l’analyse structurale, le schéma global du Hussard sur le toit est divisé en deux parties, avec l’événement de la nouvelle rencontre avec Pauline qui sert de point de départ à la deuxième partie. De ce point de vue, nous trouvons que la situation change complètement sur le plan des personnages humains. La présentation du roman commence par des descriptions, surtout des paysages, avec des images de la forêt et des montagnes. Arrive un homme solitaire qui erre sur le cheval, dans le chemin de la montagne. Peu après, le romancier insère des informations sur des faits étranges qui se produisent dans les régions voisines. Les informations données par l’auteur ressemblent à des pièces d’un puzzle que le lecteur doit reconstituer pour comprendre ce qui se passe au commencement. Ici, l’auteur ne nous informe pas directement, il nous met dans le doute. Le personnage principal ignore ce qui se passe aussi. Il continue toujours sa route en observant les faits inexpliqués qui se passent dans ce pays.

31

Le premier chapitre nous rélève la situation initiale du récit, Regardons l’évolution du récit avec le passage suivant :

“La lumière écrasée en fine poussière irritante frottait son papier de verre sur Angelo et le cheval somnolents ; sur les petits arbres qu’elle faisait disparaître peu à peu dans l’air usé dans la trame grossière tremblait,<….>, à des grands pans de craie où il était impossible de reconnaître quoi que ce soit d’habituel. <…>

Il (Angelo) traversa la ruelle et vint demander de l’eau. C’était une femme, un peu hébétée et suante, et qui respirait qu’à grand efforts. Elle dit qu’il n’y a plus d’eau ; les pigeons avaient souillé les citernes ; à peine si on pouvait essayer de faire boire le cheval.<…>

La femme avait des melons. Angelo en mangea trois. Il donna les écorces au cheval. Elle avait aussi des tomates ; mais elle dit que ces légumes donnent la fièvre ; qu’on ne peut manger que cuits. Angelo mordit si violemment dans une tomate crue que le jus gicla sur sa belle redingote. Il ne s’en soucia guère. <…> La femme dit que c’était avec des bravades de ce genre que son mari s’était rendu malade et qu’il battait la fièvre depuis hier. <…>

Après s’être reposé presque une heure dans cette pièce où, finalement, on avait fait entrer aussi le cheval, Angelo se remit en route. La lumière et la chaleur étaient toujours là, à la porte. On ne pouvait pas imaginer qu’il y aurait un soir.”28

On voit ainsi que dans la situation initiale l’auteur nous présente le héros innocent sur la route qui rencontre différentes personnes en chemin. L’auteur présente également la nature inquiétante qui annonce des faits étranges. Il insère parfois des remarques inquiétantes qui ne contribuent pas à la caractérisation d’Angelo. Il décrit la maladie sans en donner le nom. Tout cela est introduit dans le roman comme une asmosphère. Le lecteur ne comprend pas la situation dès les premières pages. Dans le passage ci-dessus, nous voyons le paysage et les actions d’Angelo. Lui, il ne comprend pas ce qui se passe dans cette région. Il y a seulement de la chaleur partout. Il a soif donc il demande de l’eau à la femme dont le mari est malade. Ici, on accuse les légumes d’être la cause de la maladie. On ne sait pas encore que c’est le commencement du

28 GIONO. Le Hussard sur le toit, pp. 23-31.

32

choléra. En été, “la lumière écrasée” peut transporter la maladie par l’eau et l’air.

Comparons le passage précédent avec la situation finale ci-dessous :

“Le matin du départ, Angelo rendit tout de suite la main au

cheval qu’il avait lui-même, chaque jour, nourri d’avoine. Il pouvait être fier de cette allure. Il voyait venir vers lui au galop les montagnes roses, si proches qu’il distinguait sur leurs flancs bas la montée des mélèzes et des sapins.

<<L’Italie est là derrière>>, se disait-il. Il était au comble du bonheur.”29

Si nous comparons le passage précédent avec ce passage, nous voyons quel asmosphère est totalement différente. Dans la situation finale, le paysage est admirable. Pour Angelo aussi, au moment du départ il est heureux. L’état d’âme du personnage a changé. Le cavalier errant solitaire s’est transformé en un homme que l’amour a rendu heureux. La seule chose qui ne change pas, c’est le choléra qui continue à se répandre dans le pays. Personne ne peut l’arrêter. C. L’analyse comparative

Bien que les deux romans étudiés soient différents pour ce qui concerne le nombre de pages, nous trouvons certaines similarités dans leur construction. Ces deux romans possèdent le même thème, celui de l’homme qui lutte contre les forces de la nature. Dans Regain, Panturle lutte contre la défertification de son village pour le faire renaître. Il y a ainsi deux éléments : Panturle et le village, qui doivent subir un processus de transformation. Dans Le Hussard sur le toit, Angelo lutte contre le choléra, et il y a deux acteurs qui déterminent le cours du récit, Angelo et le choléra. Ainsi, nous observons que chaque roman étudié montre l’histoire de deux acteurs qui se déroule en parallèle. Le schéma de Regain suit de plus près la tradition que celui du Hussard parce que nous pouvons classer la structure en cinq étapes, en d’accord avec le schéma traditionnel défini par Todorov, que le protagoniste soit humain ou non-humain. Quant à la structure du Hussard, les cinq propositions ne se retrouvent guère que lorsque l’on regarde le protagoniste humain.

29 Ibid. p.499.

33

Nous voyons aussi que ces deux romans commencent par un état initial instable : dans Regain, le village se dépeuple à cause de la stérilité de la terre, tandis que dans Le Hussard, le récit commence avec le choléra qui se répand. Peu après, nous voyons une force qui vient perturber l’état initial du récit. Dans Regain, la force pertubante est le départ des deux autres habitants, ce qui renforce l’état instable. Le déséquilibre qui suit est que le village devient complètement désert avec son dernier habitant qui tombe en état de déchéance.

Quant au Hussard, la force pertubante, sur cet état initial déjà pertubé, c’est l’effort d’Angelo qui, avec d’autres, veut lutter contre le choléra. Si on regarde le schéma du roman sous l’angle du choléra, il n’y a aucun résultat pour l’état de déséquilibre, le choléra reste toujours dans la région et Angelo ne peut atteindre son but. Nous pouvons dire que sur ce point le schéma des deux romans montre l’échec des protagonistes. Aussi, nous trouvons un point commun de ces deux romans, la force en sens inverse, qui est la rencontre entre un homme avec une femme qui finit par bouleverser le déroulement du récit.

Dans Regain, la force en sens inverse est la rencontre de Panturle avec Arsule qui permet le changement ; Arsule a de l’influence sur le changement du comportement de Panturle ; le travail peut faire renaître le village. Tandis que la rencontre d’Angelo avec Pauline, quant à elle, modifie le projet du premier de retourner en Italie et en consequence le cours du récit.

Nous observons que l’état final de ces deux romans est différent. Regain se termine par l’équilibre rétabli à la fin : le village revit, Panturle a une famille. Nous voyons l’ordre du monde qui est rétabli. Mais dans Le Hussard, l’état final est encore instable parce que le choléra continue de ravager la région. Nous trouvons seulement pour ce qui concerne Angelo que l’état final peut être résolu quand Angelo part pour l’Italie.

Une autre remarque est que la structure est divisée en deux parties s’articulant autour de la rencontre entre les deux protagonistes humains dans chaque roman. Sur ce point nous trouvons que la structure détaillée de Regain est simple, deux séquences principales marquées par la rencontre. La première séquence montre l’évolution du triomphe de la nature sauvage conduisant à la solitude de Panturle, mais annonce la future renaissance du village. La deuxième séquence présente les efforts pour triompher de la résistance de la terre. Nous pouvons dire que la structure de Regain est symétrique parce qu’il y a une division en deux parties égales aussi bien dans la structure que dans la proportion matérielle.

34

Bien que la structure du Hussard soit divisée en deux séquences principales séparées par l’épisode de la rencontre comme dans Regain, nous voyons que la structure du Hussard est plus complexe que celle de Regain. Nous trouvons plusieurs petites séquences sécondaires qui apparaissent dans chaque séquence principale. Remarquons que chaque séquence sécondaire se déroule sur le même modèle : l’arrivée, la rencontre, l’action, le résultat de l’action et le départ. La première séquence principale montre l’histoire d’Angelo parmi des inconnus. Donc, nous trouvons que chaque petite séquence raconte l’aventure, l’expérience et la rencontre d’Angelo avec différents personnages en route. La deuxième séquence est consacrée à l’histoire d’Angelo avec Pauline. Remarquons que tout au long du Hussard, Angelo lutte contre le choléra mais toujours en vain, jusqu’au moment où Pauline attrape à son tour le choléra, et cette fois-ci Angelo réussit à sauver quelqu’un. La guérison de Pauline ne peut pas mettre un frein aux ravages du choléra, elle permet à Angelo de réussir pour une première fois dans sa lutte contre l’épidemie.

Ce qu’on va observer maintenant, c’est l’ordre événementiel et l’ordre narratif de ces deux romans. Nous trouvons que l’histoire du Hussard est comme un journal qui consigne les événements precisés par une chronologie du temps. Le Hussard est présenté comme l’aventure marquante d’une vie, mais ne couvre qu’une période assez courte dans la vie d’Angelo. Bien qu’il y ait une chronologie, la cohérence n’est pas toujours respectée. Nous trouvons rarement de retour en arrière, sauf dans la pensée ou dans la conversation. Mais dans la narration il n’y en a pas. Le fait est ainsi parce que c’est l’histoire de la lutte pour se sauver dans le pays ravagé de l’épidémie. Donc tous les incidents se produisent dans le présent. Les personnages ne vivent que dans le présent, dans la narration comme dans la vie qu’ils sont à survivre. Donc le temps dans Le Hussard semble assez réaliste, mais en réalité, il ne l’est guère, car la notion de temps semble effacée. Tandis que dans Regain, il y a plusieurs fois des retours en arrière. Dans Regain, le temps est suspendu mais dans Le Hussard, ce sont les actions qui effectuent le temps.

Observons que ces deux romans sont dominés par le cycle saisonnier. Dans Regain, nous trouvons les quatre saisons, l’hiver, le printemps, l’été, l’automne, et finit avec le printemps suivant marquant la renaissance. Dans le Hussard, nous trouvons seulement deux saisons : l’été et l’automne. Dans Regain les quatre saisons sont symboliques. Giono donne de l’importance au printemps, la saison de la renaissance, la

35

reproduction. Cette saison correspond au titre “Regain” qui signifie l’herbe qui repousse dans une prairie après la première coupe30.

Dans le Hussard, l’histoire se déroule en été et en automne. Les deux saisons n’ont pas de sens symbolique comme dans Regain. Ces deux saisons sont réalistes parce que l’été est l’annonciation du choléra qui continue à ravager jusqu’en automne.

Parlons maintenant du dernier point de notre étude, c’est le rapport

entre la situation initiale et la situation finale. La ressemblance entre les deux est que la situation initiale dans chaque roman commence par l’état instable. Dans la situation finale, Regain se termine par l’équilibre rétabli, tandis que la situation finale du Hussard reste en suspens. Ici nous ne trouvons pas une fin qui indique que “tout le monde est heureux.” Dans Le Hussard, Giono laisse le dénouement au-delà de l’histoire. Il ne se prononce pas sur l’avenir de la relation entre Angelo et Pauline. Quant au choléra, il le laisse continuer sa puissance.

Un autre point remarquable sur la question du rapport de la situation initiale avec la situation finale concerne la mode de présentation que Giono utilise pour ouvrir ses deux récits. Nous constatons que le narrateur ne raconte pas l’histoire directement dans Regain. Il préfère laisser les faits en suspens. Comme dans la situation de Regain, il présente l’histoire d’Aubignane et ses trois habitants par le récit d’un personnage qui n’est pas important pour le déroulement. Mais peu après le narrateur précise que ce qu’il va raconter est l’histoire racontée dans la diligence. Sur ce point le lecteur peut comprendre immédiatement pourquoi on parle d’Aubignane dans la diligence, la réponse est que l’histoire d’Aubignane et ses habitants sont ce que Giono veut vraiment raconter. A partir de ce moment-là, les personnages dans la diligence disparaissent. L’histoire d’Aubignane est déployée peu à peu directement. A la fin le lecteur trouve le changement.

Dans Le Hussard aussi, Giono ne dit pas directement ce qu’il va raconter. Il introduit l’histoire par de petits détails qui ne semblent pas contribuer au déroulement. Mais peu après nous trouvons que ces détails nous montrent l’atmosphère et ensuite, le conteur se concentre sur la vie d’Angelo et la situation du choléra. Remarquons la même image de la situation initiale et la situation finale, c’est l’image d’ Angelo qui erre sur la route. Mais ce qui est changé est à l’intérieur, ce n’est pas l’apparence comme dans Regain.

30 Dictionnaire, Le Robert micro

36

Chapitre 2 Les acteurs du récit

Quand nous parlons des acteurs, nous pensons toujours aux personnages humains du récit. Mais en réalité, ce ne sont pas seulement les êtres humains qui peuvent jouer un rôle dans le récit, les non-humains peuvent en jouer un aussi. Si l’on regarde dans Les Fables de la Fontaine, nous voyons que les personnages principaux des fables sont des animaux. En outre, nous trouvons d’autres choses qui peuvent être utilisés comme des personnages du récit.

“Les participants de l’action sont ordinairement les personnages du récit. Il s’agit très souvent d’humains, mais une chose, un animal ou un entité (la Justice, la Mort, etc.) peuvent être personnifiés et considérés alors comme des personnages.”31

Si nous considérons les romans de Giono, il y a deux catégories

d’acteurs 32, ce sont les acteurs humains et les acteurs non-humains. Nous en avons déjà parlé dans la partie de la structure, surtout dans la structure globale : l’homme et la nature dans Regain, c’est Panturle et le village ; dans Le Hussard sur le toit, c’est Angelo et le Mal (le Choléra). Donc, dans cette partie, nous allons montrer comment Giono utilise les acteurs, humains et non-humains, pour construitre ses récits. A. Regain

a. Les acteurs humains 1. Le couple Du côté des acteurs humains, nous observons que ceux qui

occupent une place importante dans le déroulement du récit, ce sont un homme et une femme, qui sont réunis et luttent ensemble contre leur destin et se transforment peu à peu. Nous pouvons dire que c’est le schéma traditionnel qui présente l’histoire d’un homme qui rencontre une femme.

31 M.P. SCHMITT et A VIOLA, Savoir lire. Paris, Didier, 1982. p. 69. 32 Nous utilisons le mot “acteur” pour designer les personnages, qu’ils soient

humains ou non.

37

1.1 Panturle 1.1.1 L’avatar de Pan

Le nom “Panturle” est dérivé du nom du dieu “Pan” de la mythologie grecque et romaine. C’est un dieu mi bouc-mi homme qui a un caractère séducteur, mais dont le physique est laid.33 Nous pouvons dire que Panturle lui ressemble sur certains points : il est laid, il est solitaire et mène une vie au milieu de la nature, dont il fait partie. Giono en fait un portrait comme un élément de la nature où nous trouvons des comparaisons végétales.

1.1.2 Les comparaisons végétales dans le portrait

“Panturle est un homme énorme. On dirait un morceau de bois qui marche. Au gros de l’été, quand il a fait un couvre-nuque avec des feuilles de figuier, qu’il a les mains pleines d’herbe et qu’il se redresse, les bras écartés, pour regarder la terre, c’est un arbre. Sa chemise pend en lambeaux comme une écorce. Il a une grande lèvre épaisse et difforme, comme un poivron rouge.”34

Dans ce passage, la manière de présenter le portrait de Panturle

nous fait penser aux images végetales35d’un peintre nommé Arcimboldo36 qui dessinait des portraits d’hommes en imitant la forme des fruits et des légumes. Giono compare le corps de Panturle aux éléments de la nature. L’auteur identifie l’apparence de Panturle à “un morceau de bois”. Puis il souligne encore par “c’est un arbre”. Cela montre que, bien que Panturle soit un homme, il est comparé à des éléments non-humains. Ainsi l’image de Panturle se présente comme un épouvantail situé dans les champs pour chasser les oiseaux. Cela se voit avec les vêtements qu’il porte : “sa chemise pend en lambeaux comme une écorce.”

33 Joël SCHMIDT. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Paris,

Librairie Larousse,1965. p.233. “Difforme, monstrueux avec sa tête et ses pieds de bouc, son torse velu d’un homme, il fut la risée de tous les dieux de l’Olympe, lorsque son père Hermès le leur présenta.”

34 GIONO.Regain. pp. 16-17. 35 J.P. de BEAUMARCHAIS, Daniel COUTY. Dictionnaire des œuvres litté-

raires de langues françaises (Q-Z). Paris, Bordas, 1994. p. 1657. 36 Voir l’illustration à la page suivante.

39

Au commencement du roman, Panturle est chasseur. Il vit à l’état sauvage et sa vie se déroule ainsi régulièrement. Il ne cherche pas de moyens pour améliorer sa vie et se soumet à son destin mais il a néanmoins un désir : trouver une femme.

(Panturle parle avec la Mamèche) “Il crache dans les braises, puis il reprend : – Oui, il faudrait une femme. L’envie m’en prend, quelquefois

aux beaux jours. Mais où elle est, celle-là qui voudrait venir ici?<…>

– Si je t’en mène une, tu la prends ? <…>

- Oui je la prends.”37

Nous trouvons que le cycle de saison conditionne les envies de Panturle. Dans le passage qui vient d’être cité, l’histoire a lieu en hiver, Panturle commence à penser à une femme. Après le départ de Gaubert, sa vie continue pendant l’hiver. Il chasse pour avoir quelque chose à manger. Comme Panturle vit en état sauvage dans ce village, éloigné de la civilisation, son comportement devient peu à peu comme celui d’un animal. Quand arrivent les beaux jours, autrement dit le printemps, il a une envie. Nous pouvons dire que c’est une forme d’instinct animal. Sur ce point nous voyons que son comportement ressemble à une des caractéristiques du dieu Pan38.

Ce n’est pas seulement son comportement qui ressemble à celui d’un animal son apparence aussi.

“Panturle a pris sa vraie figure d’hiver. Le poil de ses joues s’est allongé, s’est emmêlé comme l’habit des moutons. C’est un buisson.<…>

Il est devenu plus méchant aussi. Il ne parle plus à ses ustensiles. <…> Il chasse. Il a besoin de viande”39

37 Regain. pp.28-29. 38 Joël SCHMIDT. op. cit. p.233. : “Dieu de la fécondité et de la puissance

sexuelle à la fois brutale dans ses désirs et terrifiant dans ses apparitions (on parle d’une peur <<panique>>), Pan devait très vite être vénéré au cours de la période classique dans toute la Grèce.”

39 Regain. p. 29.

40

Ce passage utilise la comparaison entre le poil d’un homme avec

l’habit des moutons. Cela peut accentuer le changement de Panturle, qui retourne peu à peu à l’état sauvage. De l’homme qui parle seul40, devient un homme qui tombe dans la solitude. En plus, quand la Mamèche disparaît, Panturle devient le dernier habitant du village.

“Derrière lui, il y a Aubignane vide. Il a bien regardé le pays jusqu’au fin fond et il a dit à haute

voix : - Voilà. Maintenant je suis seul.”41

Dès ce moment-là, Panturle se trouve entièrement seul, il laisse

cours à sa sauvaugerie. Cet état ne se produit pas seulement dans son apparence physique mais aussi dans son état d’âme. Sa méchancheté augmente, comme on le voit dans la scène suivante :

“Et puis il a attrapé le renard : c’était un jeune. <…> Il est mort. Une longue épine d’acier traverse son cou. Il est

encore chaud au fond du poil, et lourd d’avoir mangé. Panturle l’enlève du piège et il se met du sang sur les doigts ; de voir ce sang comme ça, il est tout bouleversé. Il tient le renard par les pattes de derrière, une dans chaque main. Tout d’un coup, ça a fait qu’il a d’un coup sec serré les pattes dans ses poings, qu’il a élargi les bras, et le renard s’est déchiré dans le claquement de ses os, tout le long de l’épine du dos jusqu’au milieu de la poitrine. Il s’est déroulé toute une belle portion des tripes pleines, et de l’odeur, chaude comme l’odeur du fumier.

Ça a fait la roue folle dans les yeux de Panturle. Il les a peut-être fermés.

Mais, à l’aveugle, il a mis sa grande main dans le ventre de la bête et il a patouillé dans le sang des choses molles qui s’écrasaient contre ses doigts.

Ça giclait comme du raisin. C’était si bon qu’il en a gémi.”42

40 Ce phénomène se produit après la mort de sa mère. Regain p. 12. : C’est du

soir même qu’il s’est mis à parler seul. 41 Ibid. p. 36. 42 Ibid. p. 65-66.

41

Cette scène se produit après le départ de la Mamèche, Panturle

traque un renard en faisant des pièges pendant plusieurs jours. Finalement, il peut l’attraper. Nous voyons que Panturle est très calme, il est satisfait de son œuvre, il la regarde avec fierté. Il ressent une jouissance de fouiller dans le ventre de la bête avec sang-froid. Son acte a quelques relents sexuels : “C’était si bon qu’il en a gémi.”

Mais un peu plus tard, la sauvagerie va se civiliser avec l’arrivée d’une femme. Premièrement, il decide de changer de métier : de chasseur, il se transforme en agriculteur. Mais des problèmes arrivent à cause du manque d’équipement pour travailler la terre :

“- Et alors ? - Oh ! alors, dit Panturle, tout compte fait, puisque, d’une

façon ou autre, il faut que j’aille là-bas pour la semence et voir pour Caroline, je vais y aller ce jour. Je passerai par chez Jasmin pour toucher le père Gaubert. Celui-là, il a le sort de la charrue. Je lui dirai qu’il m’en fasse une ; il me la fera volontiers : c’est sa passion. Je demanderai à l’Amoureux s’il veut me prêter son cheval. C’est de bonne heure. Ils n’ont pas encore commencé, ça pourra faire. Tu verras.

- Si donc tu y vas de cette heure, dit Arsule, mets-toi un peu une chemise propre.”43 Ce jour-là Panturle doit sortir du village pour demander de l’aide

aux gens du village voisin. Dès ce moment là, il ne vit plus une vie solitaire comme avant. Le départ du village de Panturle nous montre qu’il va s’approcher de la civilisation qui l’attend dehors. Nous pouvons dire qu’une femme comme Arsule a de l’influence sur la vie de Panturle.Regardons l’exemple dans la citation précédante :

“Si donc tu y vas de cette heure, dit Arsule, mets-toi un peu une chemise propre.”

Cette phrase nous montre clairement le changement de l’apparence de Panturle. De l’homme qui portait une chemise qui pend en lambeaux comme une écorce se transforme en homme qui porte une chemise propre.

L’autre exemple ci-dessous peut nous montrer le changement de Panturle:

43 Ibid. p.84.

42

“Avant, il battait briquet avec de la pierre noire et de l’étoupe ou de la molle d’arbre. Ça prenait ou bien non. Fallait un moment et de la patience, et des <<saloperies de sort>> pas mal. Arsule un jour a dit : <<Si on avait des allumettes…>>”44 Dès ce moment-là Panturle cherche un moyen pour avoir des

allumettes. Il vend des peaux de lièvre et demande à Michel, le conducteur de la diligence, de lui en acheter. Avec le feu, Panturle et Arsule peuvent dépasser l’état sauvage même s’il reste encore beaucoup à faire. Cela peut éclairer que Panturle s’approche de la civilisation. D’après le dictionnaire des symboles et des thèmes littéraires, “l’importance du feu n’était pas seulement liée à l’utilité domestique de cet élément, et encore moins peut-être aux sensations que procure l’intimité du foyer, du poêle ou de l’âtre, à l’âme repliée sur un bien-être qui tend vers la griserie; cela existe certe, mais au titre des avantages de surcroît qu’apporte le feu, quand il est domestique du reste.”45 Ainsi la scène des allumettes nous montre que Panturle se met à créer une nouvelle famille, c’est-à-dire qu’il commence à donner la vie à son village.

Un autre exemple peut mettre en lumière le changement de cet homme quand Arsule le chasse en lui disant:

“<<Laisse-moi, tu sens le sel pourri.>> Elle a dit en riant,

mais le lendemain, Panturle est entré dans le ruisseau.”46 Cette scène nous montre que c’est Arsule qui apprend la discipline

à Panturle qui peu à peu se socialise. Un autre passage montre que Panturle s’est débarrassé

définitivement de son état sauvage à la fin du récit.

“Il est solidement enfoncé dans la terre comme une colonne.”47 Cette fois la description du portrait de Panturle n’est plus l’image

d’un arbre pour celle d’une colonne. Ici le mot “l’arbre” réflète la partie de la nature tandis que “la colonne” symbolise la civilisation parce que la

44 Ibid. p. 84. 45 Claude AZIZA, Claude OLIVIER et Robert SCTRICK. Dictionnaire des

symboles et des thèmes littéraires. Paris, Fernand Nathan, 1978. p. 90. 46 op. cit. p. 87. 47 Ibid. 149.

43

colonne est la pierre travaillée par l’homme. Observons que bien que, l’auteur définit Panturle comme une colonne, il est encore planté dans sa terre. Mais cette fois, sous la forme d’un homme qui peut surmonter la sauvaugerie pour accéder à la civilisation en harmonie avec la nature.

1.2 Arsule

Cette femme est la cause du changement de Panturle. Son arrivée à Aubignane tranforme la vie de Panturle et du village. Mais, elle aussi, dans la trame de l’histoire, se transforme pour mener une nouvelle vie.

1.2.1 Une femme humiliée Arsule est une femme humiliée comme on le voit dans l’évocation de son passé et aussi dans sa vie avec Gédémus. Elle était d’abord Mlle Irène, une chanteuse dans un café. Dès sa première apparition, on la voit dans un état misérable et ridicule.

“En réalité, c’était arrivé par la route de Montbrun, derrière une charriole bâchée de vieux draps sales. Un homme qui semblait un assassin menait la mule par la figure. <…>

Mademoiselle Irène était derrière la voiture. Elle était bien fatiguée d’avoir fait la route à pied avec de vieilles bottines d’homme à boutons trop grandes pour son pied et elle se faisait traîner en se tenant à la corde du frein. Elle était enfarinée de poussière jusqu’à la taille.”48

Cette citation provient du troisième chapitre dans la première partie

quand Gédémus sort d’un bureau de tabac. Un homme bavarde avec lui. Ils évoquent le personnage d’Arsule et le narrateur poursuit le récit de ce personnage. Giono ne présente pas celle-ci directement. Il l’introduit dans la scène d’après le regard des autres. Giono utilise “c’était arrivé…” pour présenter Arsule. Le passage de “ce” à une “personne” est présenté par des détails désobligeants. On ne peut voir vraiment son portrait que dans le passage suivant : “Mademoiselle Irène était derrière la voiture.<…>.” Ce qu’on voit dans ce passage montre l’image pitoyable de cette femme. Le portrait de cette femme représente toujours une image sordide. Quand Arsule entre en scène, le lecteur la voit dans un état sale et fatigué. Comme elle ne réussit pas dans sa carrière, elle devient ridicule aux yeux des autres, surtout ceux des hommes. Ainsi le jour où elle chante dans un café, elle est chassée par les spectateurs :

48 Ibid. pp. 38-39.

44

“Mademoiselle Irène est montée sur l’estrade. Elle avait de pauvres mains d’éplucheuse de pomme de terre. Elle avait des yeux, on ne savait pas dire, ça faisait peine, tenez. Elle était là, toute fatiguée de mille choses. Elle était là pour chanter et elle se souvenait avec douleur de la longue route et mille choses, je vous ai dit, bien plus pénibles encore que la route, pour une femme. Elle était là.

Ça a fait rire. Et elle n’a plus su que dire.

Ça a fini par une bataille. <…> Très bien. Mais le lendemain, la femme n’ose pas partir avec

Tony et elle reste là, chez nous, assise près de la fontaine, toute seule, toute sale de larmes.”49

Après cette scène, Arsule est abandonnée et n’a plus de travail. En

plus, elle est violée par de méchants hommes et des villageois lui sont venus en aide. Dès lors, elle devient la servante de Gédémus : “De ça il y a cinq ans. <…> Depuis ce temps, elle reste avec Gédémus. Elle lui fait la soupe et tout.” Mais en fait, elle ne fait pas seulement cela, elle doit traîner la charette de Gédemus. Elle est un peu comme sa servante.

1.2.2 Une femme soumise

C’est une femme complètement passive, soumise à son destin. Elle travaille dur comme une esclave. Même quand elle est fatiguée, elle doit encore servir Gédémus.

“Tant qu’on est à l’ombre, ça va, mais qu’on arrive dans le soleil, Arsule sait que Gédémus va quitter la bricole et dire : - Tiens, prends un peu. Je vais rouler une cigarette. <…> A partir de là, elle prend la bricole pour tout le temps que le travail durera. <…>

Et tout cela Arsule le sait. Par cœur. Et aussi le poids de la voiturette. Il y a d’abord, il y a surtout la machine à aiguiser avec sa lourde meule, en grosse pierre épaisse et ses solides montants de bois qui ne doivent pas trembler quand Gédémus pédale et que la pierre tourne. Ça pèse.”50

49 Ibid. pp. 39-40. 50 Ibid. p. 42.

45

Gédémus profite toujours de cette femme, il lui fait faire trop,

même c’est trop pénible pour une femme. Voyons un autre exemple qui peut montrer l’image d’une femme

soumise :

“Arsule tire comme un âne : avec tout le poids de ses hanches et de ses reins.”51 En restant avec Gédémus, elle a été traitée comme un animal. Il la

laisse tirer comme un âne. Arsule est fatiguée et elle ne lutte pas contre son destin. Elle suit cet homme d’un village à un autre. Elle mène une vie de vagabonde. Elle est traitée comme “une chose” qui est donné d’ homme à un autre. Au début elle erre avec le troupe de Tony, puis avec Gédémus. Avec ces hommes, sa vie est pleine de souffrances.

La scène qui peut souligner le traitement comme une chose de cette femme est la scène où Gédémus vient réclamer cette femme à Panturle après la foire de Banon.

“Cette femme, je te l’ai dit, je l’ai ramassée comme ça, à

Sault un jour.”52 Observons dans ce passage que le verbe ramasser est normalement

utilisé pour une chose, ici le narrateur l’utilise pour l’état d’Arsule aux yeux de Gédémus. D’après lui elle est son bien. Elle est quelque chose qui doit répondre à ses besoins. Elle doit lui faire la soupe et lui servir comme une esclave.

Ce passage suivant peut montrer l’image d’Arsule : “- Voilà : l’âne, je te paye. Mais tu me comprends; je te

remplace la femme par un âne. Tu comprends ? Je te donne de quoi acheter un âne et c’est fini.”53 D’après ce passage nous voyons que le narrateur compare son

personnage avec un âne. Ici nous trouvons trois répétitions du mot “âne”, cela peut montrer le portrait d’Arsule quand elle était avec Gedémus.

51 Ibid. p. 57. 52 Ibid. p. 130. 53 Ibid. p. 134.

46

Ce passage marque la fin de l’esclavage d’Arsule. Panturle propose une somme d’argent à Gedémus pour acheter un âne au lieu de lui rendre Arsule. Pour lui Arsule est la cause de son changement. En plus elle a changé la maison. Nous pouvons dire que depuis qu’elle vit avec Panturle, elle peut avoir une nouvelle vie. Elle devient complètement une femme au foyer.

1.2.3 La femme au foyer

Quand Arsule vit avec Panturle, sa vie s’améliore. C’est elle qui change l’ambiance dans la maison de Panturle. Elle range la chambre pour que son mari ne dorme pas sur la paille comme jadis. Elle lui répare ses vieux vêtements. C’est elle qui commence à redonner la vie au village.

“Comme ça, Arsule a eu ses allumettes. Elle a été bien contente. Elle les a placées dans le placard sec. Après ça, elle lui a fait ranger le pétrin qui est lourd. Puis elle a fouillé dans l’armoire, elle a sorti des pantalons et des vestes et des chemises qui étaient du père de Panturle, pliés là depuis sa mort. Elle a vu ce qui en était bon.<…> Elle est allée s’installer dans l’herbe avec tout un bouquet d’étoffe sous le bras et quand Panturle est revenu, il a trouvé un pantalon tout rapiécé et prêt à mettre, et une veste presque finie.”54

Ces lignes nous montrent le travail d’Arsule quand elle est entrée

dans la maison de Panturle. Maintenant elle ne traîne plus la bricole de Gédémus, elle est devenue une maîtresse de maison. Elle peut donner des ordres à Panturle, alors qu’avant elle devait obéir à son maître. Dans la maison de Panturle elle a le droit de prendre des initiatives et c’est elle qui la réorganise. Cette maison est devenue un foyer, grâce à la demande des allumettes d’Arsule. La réparation des vêtements et du linge peut donner une nouvelle apparence à Panturle :

“…elle a trouvé, couchés dans le pétrin comme du beau blé,

trois draps plus blancs que l’eau. Ça, ça l’a décidée. Elle en avait envie depuis quelque temps. Elle est descendue trouver Panturle. Il fendait du bois. - Tu sais pas ce qu’on devrait faire? Elle a dit. - Non, il a répondu.

54 Ibid. p. 85.

47

- Eh, bien! Voilà : là où on couche, cette paillasse en bas, c’est comme pour des bêtes, somme toute, et ça ne me plaît guère à moi de coucher comme ça au vu de tout. - Au vu de rien, il a répliqué ; il y a rien et personne ici. - Oui mais, elle a dit, ça ne fait rien, ça ne me plaît guère. On

devrait se mettre dans la chambre où il y a l’armoire, on serait plus à notre aise. Il y a un lit en bois tout démonté. Y a qu’à le reconstruire et puis charrier la paillasse. On serait mieux.

Ça s’est fait. Quand elle a ouvert le lit, le soir, ça a été blanc comme au cœur d’un lis. Elle avait mis les draps.”55

Cette scène montre que c’est Arsule qui apprend à Panturle à vivre

comme un homme. Pour elle on doit dormir dans un lit, elle donne de l’importance à la qualité de la vie de son compagnon. Elle même, elle est contente de vivre dans la maison où il y a tout ce qu’il faut. Donc, elle en profite. Les vieux vêtements, les vieux draps deviennent ses trésors, des choses précieuses, même si tout cela est inutile aux yeux de Panturle. Mais peu à peu, Panturle se laisse faire par Arsule.

1.2.4 La porteuse de vie Après la vente du blé, la vie d’Arsule semble satisfaite. Nous

constatons qu’Arsule attend son enfant, comme Caroline, la chèvre, donne un chevreau. Une nouvelle famille vient s’installer dans ce village.

“Elle a cherché sous le ventre de Caroline et là, dans le poil

chaud, elle a tâté et elle a pris un petit chevreau. Elle s’est assise dans la paille, à côté de la mère chèvre. Elle a mis le petit chevreau sur ses genoux. Elle le caresse. Cette promenade, ça lui a donné un grand appétit de caresses d’enfant.”56 La citation suivante vient de la dernière scène du récit, quand tout

est en ordre. Le village se repeuple avec le nouveau couple qui vient s’y installer et on voit Panturle fièrement debout devant ses champs de blé. Il voit le changement physique de sa femme, c’est un bon signe parce que c’est l’annonciation de la nouvelle vie qui va naître.

“Elle vient. Elle traîne un peu les pieds. Elle bouge un peu

les épaules en marchant comme s’il fallait aider les jambres avec

55 Ibid. p. 86. 56 Ibid. p. 144.

48

toutes les forces du corps. Elle s’est alourdie ; elle s’est ralentie. Elle joue avec une branche d’aubépine.

<…> Elle vient contre lui. Il la saisit par ses hanches courbes. Elle

est comme une jarre entre ses mains. - On dirait…tu n’étais pas si grosse…

Il tient dans ses mains toute la rondeur de la jarre de chair. Il l’interroge comme ça, de bas en haut. Elle a baissé son visage plein d’un contentement comme le ciel. - Oui, elle dit ; maintenant, tu sais. - C’est sûr ? - Franc comme l’or et déjà vivant et, l’autre nuit, j’ai senti un

coup de son pied, là. Elle tâte son flanc.”57

L’image d’Arsule est complètement différente de la femme

enfarinée de poussière. Elle est devenue quelqu’un d’important. Avec Panturle, elle est traitée comme une femme, une mère. C’est le contraire de la vie avec Gédémus.

1.3 Le couple : Panturle et Arsule Après avoir analysé séparement Panturle et Arsule, observons

maintenant ces deux acteurs comme couple. Comme nous avons constaté que la vie après la rencontre de ces deux personnes est peu à peu modifiée. Nous pouvons dire que c’est une histoire de sauvetage. Arsule aide Panturle à quitter la vie sauvage et à recommencer une vie sociale. Panturle sauve Arsule de l’égoïsme de Gédémus en lui payant une somme d’argent. Nous voyons Panturle dire aux autres que “J’ai une femme, là-bas, avec moi, et ça (le pain) lui fera plaisir.”58 Dès lors il est prêt de rendre service à Arsule, il fait tout ce qu’il peut pour lui faire plaisir.

Un autre exemple qui peut donner le portrait d’un couple, c’est la scène de la foire à Banon.

“A côté de l’homme (Panturle), il y a une petite femme jeune et pas mal jolie, et toute cuite de soleil comme une brique. Et elle regarde l’homme de bas en haut, toute contente.”59 “Ma femme aime le bon pain.”60

57 Ibid. p. 147. 58 Ibid. p. 95. 59 Ibid. p. 120.

49

Dans cette scène nous voyons un couple qui vient vendre ses

produits à la foire. Les villageois ne savent pas qui sont ces deux personnes, mais le lecteur les reconnaît. Nous ne voyons plus la trace de l’inquiétude dans la description. Nous trouvons seulement la joie qui se voit par la manière d’exprimer du narrateur. La phrase “Ma femme aime le bon pain” nous montre clairement que la vie de ce couple se dirige dans le bon sens. A la foire, Panturle et Arsule deviennent des vedettes grâce au fruit de leur travail. Grâce à ce couple, le village est attirant pour de nouveaux habitants.

2. Les figurants

2.1 La Mamèche 2.1.1 L’image d’une bête

Giono décrit la Mamèche comme une bête. Cette femme qui est d’origine piémontaise, a émigré pour vivre avec son mari, mais celui-ci est mort en creusant un puits. Peu après, son fils est mort aussi, et à cause de cela, elle est devenue un énigme aux yeux des villageois.

“ – Alors, une fois , c’était l’époque des olives, on a entendu dans le bas de vallon comme une voix des loups.<…> Et ça hurlait toujours, en bas, à déchirer le ventre !

Elle était comme une bête. Elle était couchée sur son petit comme une bête. On a cru qu’elle était devenue folle. L’Onésime Bus met sa main sur elle pour la lever de là-dessus, et elle se retourne et, à pleine bouche, elle lui mord la main.”61

Après avoir perdu toute sa famille, elle doit vivre seule. Malgré

l’aide des villageois, son comportement change, c’est-à-dire qu’elle agit comme un loup : elle hurle d’une voix de loup ; elle se couche sur le cadavre de son petit. Quand elle perd les personnes qu’elle aime, elle devient à motié folle et elle tombe dans un état sauvage. Un autre passage qui compare la Mamèche avec une bête se trouve au chapitre 2, la scène où elle apprend le départ de Gaubert.

“La Mamèche se redresse : elle marche, un pas, deux, vers la porte. Panturle regarde ce visage là-haut, dans l’ombre et que

60 Ibid. p. 121. 61 Ibid. pp. 8-9.

50

maintenant on voit un peu avec l’habitude. Les grands ongles des pied nus grincent sur la pierre comme des griffes de bêtes.”62

Ce passage nous montre une vieille femme qui n’est pas ordinaire.

Elle a un air mystérieux. Les mots “ les grands ongles des pieds nus” peuvent souligner la caractéristique d’animal de cette femme.

2.1.2 La sorcière Du fait de son état presque animal, elle peut communiquer avec les éléments naturels. Elle voit les signes qui indiquent la future renaissance du village.

“Et il (Panturle) a été tiré de son sommeil - ça pouvait être la

minuit en plus – par un grand cri qui est venu le toucher dans l’oreille comme une pierre : - C’est Mamèche ! <…>

C’était bien la Mamèche. Elle était là-haut sur le rempart avec du feu dans la main. Elle haussait la main et le feu. On la voyait tout entière. Elle avait mis sur la tête son fichu noir. La fumée du feu montait vers le nord.

<…> Elle montre le sud avec son flambeau :

- Ça vient, ça vient !”63

Nous voyons que ce qu’elle fait dans ce passage est mystérieux. Elle voit le vent du printemps qui va arriver au village et ce vent va lui apporter la vie. La Mamèche est comme le messager de la nature, elle est l’alliée du vent. En fait, elle prédit l’arrivée du printemps mais aussi le renouveau du village. Après cette scène, elle disparaît en partant à la recherche d’une femme pour Panturle. Elle est plus mystérieuse encore aux yeux d’Arsule et Gédémus : tous les deux voient un arbre noir qui les suit tout au long du chemin. Mais en réalité c’est elle qui guide Arsule au village. Par ses pouvoir de sorcière, elle prend l’apparence d’un arbre

“Les yeux d’Arsule sont grands et blancs : - Là ! Et elle dresse un peu son doigt.

62 Ibid. p. 22. 63 Ibid. pp. 33-34.

51

- Eh bien ! quoi, là ! - Ça a fait : hop ! ça a monté au - dessus de l’herbe un moment,

puis, hop, ça s’est baissé. - Quoi, ça a fait hop, quoi ? <…> - L’arbre! - L’arbre ? Tu es un peu malade ? - Oui, L’arbre. Ce qu’on voit depuis le matin. Cette chose noire

avec tantôt une blanche de ce côté, tantôt une blanche de là. Cette chose que je t’ai dit trois ou quatre fois : “Qu’est –ce que c’est ?” et tu as dit : “C’est un arbre, marche. “C’est là encore. Ça a fait : hop !”64

Cet arbre étrange va guider Gédémus et Arsule à Aubignane. La

Mamèche s’est déguisée en arbre, elle suit les pas de ces deux personnages. Elle fait tout pour attirer leur attention, et réussit à le faire. Arsule la remarque, mais à ses yeux, ce qu’elle a vu est quelque chose de mystérieux, elle a peur. Mais après, quand ces deux personnages arrivent à Aubignane, l’arbre disparaît. En fait le lecteur ne sait pas encore dans cette partie que l’arbre noir est la Mamèche, nous apprenons seulement qu’il y a quelque chose qui perturbe l’itinéraire de Gédémus. L’auteur ne nous dit pas comment la Mamèche a rencontré ces deux personnages, tout cela est montré comme le fruit de hasard. En tout cas, la Mamèche est un des facteurs qui aide Panturle à faire revivre le village en lui promettant de chercher une femme et en accomplissant sa tâche.

2.2 Gaubert : le don du travail

Même si son rôle n’est pas aussi développé que celui de la Mamèche, il occupe une place importante dans le récit. Lui, comme la Mamèche, aide le héros à remplir sa tâche. Son ancien métier va contribuer au travail de Panturle, comme il était autrefois forgeron fabriquant des charrues. Regardons le passage suivant :

“Gaubert, c’est un petit homme tout en moustache. Du temps

où il y a ici la vie, je veux dire quand le village était habité à plein, du temps des olivaies, du temps de la terre, il était charron. Il faisait des charrettes, il cerclait les roues, il ferrait les mulets. Il avait alors de la belle moustache en poils noirs ; il avait aussi des muscles précis et durs comme du bambou et trop forts pour son

64 Ibid. p. 46.

52

petit corps, <…>. C’est Gaubert qui faisait les meilleures charrues. Il a un sort.”65 Avant, il était fort et plein de vie, parce que le village était encore

peuplé et aussi parce qu’il était jeune. Pour lui il y avait toujours des travaux à faire. Mais ces quelques lignes ci-dessous montrent sa vieillesse.

“Maintenant, Gaubert, c’est un petit homme tout en

moustache. Les muscles l’ont mangé. Ils n’ont laissé que l’os, la peau de tambour. Mais il a trop travaillé, et plus avec son cœur qu’avec ses bras ; ça fait maintenant comme une folie.”66 A l’époque où tout le monde partait, c’était la fin de son métier. Il

n’y a plus de travail, l’homme fort se transforme en homme faible. Nous pouvons dire que Gaubert est la personne usée par le travail et par la vieillesse. Mais il espère que son village va redevenir comme avant, l’époque où il y avait du monde et où la terre donnait un bon blé. Comme il est trop vieux pour rester tout seul, il décide de quitter sa terre pour avoir une meilleure vie auprès de ses enfants. La dernière fois qu’on voit Gaubert c’est quand Panturle sort du village pour demander de l’aide à son ancien voisin en lui rendant visite. Dans cette scène, nous voyons un autre portrait de ce vieil homme.

“Le Gaubert est près du poêle. Il est assis sur une chaise à

dossier droit ; ses deux mains sont appuyées sur sa canne ; sa tête est apuyée sur ses deux mains. <…>

- Prends-la, toi, ma main, là-dessus ; prends-la, ça me fera plaisir ; moi je peux plus.

Il a posé d’un coup le sac et la miche, et il s’est précipité, et il l’a pris cette main qui est comme du linge mouillé entre ses bonnes mains solides. <…>

65 Ibid. p. 13. 66 Ibid. p. 14.

53

Elles sont molles et mortes, et les bras sont morts. Et le Panturle touche ça, et c’est comme des cordes sans vie, et dans les yeux de Gaubert, il y a le regard de la bête prise au piège.”67 Le corps de Gaubert est dégradé, ses mains sont devenus faibles.

Cela montre l’état d’impuissance de cet homme. C’est en partie grâce au travail de Gaubert que Panturle a pu

cultiver la terre et obtenir un des meuilleurs blés de la région.

2.3 Gédémus : le profiteur Cet homme profite beaucoup d’Arsule qu’il considère comme une

chose. Comme il l’a nourrie il veut une récompense pour ce qu’il a fait. C’est la raison pour laquelle il retourne à Aubignane pour réclamer sa femme. Panturle refuse de lui rendre Arsule et il lui propose de le payer un âne. Gédémus accepte avec joie, mais il n’arrête pas de négocier le prix.

“(Panturle)- Tu comprends ? A mon avis, c’est payé.

<…> - <Panturle>Achète-toi un âne. - C’est cher. - <…>

Il tire de la boîte un billet de cinquante francs. - Oui, mais le harnais, dit l’autre, et la longe, et tout ?…

parce qu’il faut que je fasse mettre un brancard à la charette alors…

- Bon, fait Panturle, ça sera donc soixante, et voilà. Des ânes, tu en trouveras à trente francs tant que tu voudras.

Il a les billets au bout de ses doigts. Il dit encore une fois :<<Tiens>> parce que l’autre hésite et mâche encore quelque chose dessous sa moustache :

- Tiens. L’homme prend les deux billets, il les compte : un, deux.

Bon. Il les garde un peu dans les mains.<…>”68 b. Les acteurs non-humains

1. Le village

67 Ibid. pp. 96-97. 68 Ibid. p. 134.

54

Nous pouvons dire que le village dans Regain joue le rôle d’un protagoniste non-humain. Lui, aussi il doit passer par un processus de transformation. Nous pouvons dire que ce village retrouve la renaissance grâce à la solidarité de plusieurs acteurs. L’acteur humain comme Panturle est celui qui agit à l’aide du vent, de la Mamèche et aussi de l’alliance de la terre.

Le passage suivant montre la première apparition du village dans le

roman :

“- Ah ! vous avez bien fait de venir chez le neveu. C’était plus une vie ce que vous faisiez là-bas à Aubignane.

- C’était plus guère tenable. On n’était plus que cinq ; puis le Filippe a eu sa place de facteur au Revest. Alors, c’est venu de moi ; J’ai dit : “Qu’est-ce que tu plantes ici ? D’un jour à l’autre, ça va tout te dégringoler sur la tête. En galère !” C’est à ce moment-là que je l’ai fait dire au neveu. Je lui ai tout donné. Moi un peu de soupe, un peu de tabac, ça fait mon train. ”69

Dans ce passage, nous trouvons pour la première fois le nom

d’Aubignane qui devient le sujet de la conversation des passagers dans la diligence. Ce que nous trouvons dans ce passage est l’opinion d’un ancien habitant de ce village. D’après cet ancien villageois, personne ne veut y rester. Regardons le propos de cet habitant : “Qu’est-ce que tu plantes ici ?” Cela relève la condition de ce village. La sècheresse devient le problème de ce village. Quand les habitants qui vivent de l’agriculture ne peut rien planter dans la terre, ils décident de partir vivre ailleurs.

L’image du village dans la suite du récit se présente comme “un pays tout roux comme un renard”70. Cela montre l’état sauvage de ce village et des habitants qui restent. En plus la couleur “roux” renforce aussi le propos du passager. On ne peut pas planter dans le pays qui est, détruit par la désertification. Le narrateur ajoute à la fin du chapitre I, qu’ Aubignane a l’air tout mort71. La description ainsi peut accentuer le fait du village à propos du passager.

69 Ibid. p. 6 70 Ibid. p. 9. 71 Ibid. p. 10.

55

Nous observons qu’Aubignane tombe presque dans un état dépeuplé après le départ de la Mamèche : “Derrière lui (Panturle), il y a Aubignane vide.”72

L’état quasi-désert de ce village est montré encore à l’arrivée de Gédémus et Arsule. Gédémus peut témoigner de l’époque où le village était encore habité, car il s’en souvient :

“- J’étais (Gédemus) passé une fois, moi, dans le temps : il y avait

encore un peu de monde. Il y avait le Jean Blanc qui restait sur la place de l’église. Allons un peu voir.

Sur la place de l’église, il n’y a plus que d’herbes. On a cloué la porte de Jean Blanc.”73

Dans ce passage, nous trouvons la technique de présentation du

village. Le narrateur commence par l’explication de Gédémus qui montre ce qu’il avait vu avant. Mais, quand il voit ce qui présente actuellement à ses yeux, c’est l’image bouleversée. Ici, nous trouvons dans la parole de Gédémus deux éléments : “Jean Blanc” et “l’église”. Le narrateur répète ces deux éléments encore avec la contradictoire. A ce moment-là, il n’ y a plus Jean Blanc parce que sa maison est “clouée” à la porte.

Le narrateur nous présente peu à peu l’image de village qui se dépeuple au même moment de la dechéance de Panturle, son dernier habitant. Nous trouvons que l’évolution de Panturle et du village se dirige dans la même voie. Après la rencontre de Panturle et Arsule, non seulement celui-ci se transforme, mais le village aussi qui passe la procédure de changement.

Nous trouvons qu’après le travail dans les champs, et quand Panturle et Arsule vendent du blé à la foire, le village devient aussi la vedette. C’est grâce à la qualité de blé qu’on veut savoir sa source. A la fin, le village change complètement. Il est attirant pour le nouveau couple qui décide de s’y installer.

2. Les quatre éléments Dans Regain, les quatre éléments de la nature occupent une place

importante tout au long du récit. Souvent, Giono présente la nature comme un acteur dans ses romans, il personnifie les actions des éléments naturels comme les actions des êtres humains. Giono a tendance d’utiliser des images érotiques pour présenter ces éléments. Le fait est ainsi parce

72 Ibid. p. 36. 73 Ibid. p. 57.

56

que l’auteur veut montrer que ces éléments vont mener les protagonistes humains en voie de reproduction pour que la vie renaisse dans le village.

2.1 Le vent

Le vent joue un rôle dès le commencement du récit et est tout le temps associé à Aubignane. Il suit le pas des voyageurs dans la diligence. D’abord on ne comprend pas le rôle de cet élement naturel et il semble simplement faire partie du décor. Voici la première apparition du vent :

“Le vent de novembre écrase les feuilles de chêne avec des

galopades de troupeau. Il est tout bien froid jusqu’au fond, d’un beau froid dur. Il a fait taire d’un seul coup toutes les sources ; il n’y a plus que son bruit dans les bois.”74

Dans cette citation, nous constatons que l’auteur personnifie

l’action de vent comme un être animé. Avec le terme “galopades”, l’auteur compare le coup de vent au mouvement des animaux. L’action écrase les feuilles nous montre la force du vent qui apporte l’hiver. Peu après la description du vent évolue. Au lieu de le comparer aux animaux, le narrateur le mentionne comme un acteur humain.

“Il n’y a rien sur le plateau : le vent seul…Et comme vent,

celui qui est annoncé la nuit passé : le vent chèvre, le printemps. Le voilà là-haut. <…>, il est partout. - Mamèche, Mamèche !

Rien. Le vent vient voir ce que c’est, puis repart.”75 Cette scène se passe après la disparition de la Mamèche. Panturle

la cherche partout, mais il ne la trouve pas. L’auteur utilise les verbes “voir”,et “repartir” pour désigner l’action du vent.

Le passage suivant présente le vent qui vient susciter des désirs chez Arsule.

“Sitôt debout et le pied dans la piste, il a fallu compter avec le vent. Il venait bien en face et il leur a plaqué sa grande main tiède sur la bouche ; comme pour les empêcher de respirer. <…> Alors, le vent s’est mis à leur gratter les yeux avec ses ongles. Puis il a essayé de les déshabiller ; il a presque enlevé la veste à Gédémus. Arsule tire le bricole et, pour ça, elle s’est penchée en

74 Ibid. p. 5. 75 Ibid. p. 36.

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avant. Le vent entre dans son corsage comme chez lui. Il lui coule entre les seins, il lui descend sur le ventre comme une main ; il lui coule entre ses cuisses ; il lui baigne toutes les cuisses, il la rafraîchit comme un bain. Elle a les reins et les hanches mouillés de vent. Elle le sent sur elle, frais, mais tiède aussi et comme plein de fleurs, et tout en chatouilles, comme si on la fouettait avec des poignées de foin ; ce qui se fait pour les fenaisons, et ça agence les femmes, oh! Oui, et les hommes le savent bien.

Et tout d’un coup, elle se met à penser aux hommes. C’est ce vent aussi qui fait l’homme, depuis un moment.”76

C’est dans ce passage que l’auteur fait du vent omniprésent dans le

récit un véritable acteur qui change le cours des événements. C’est le vent, avec la complicité de la Mamèche, qui mène Arsule à la maison de Panturle. Le vent est personnifié comme un homme qui a des doigts et des mains. C’est ce vent qui réveille la pulsion sexuelle d’Arsule. Le vent trouve d’abord Arsule quand elle et Gédémus se reposent dans un hameau. Après la caresse du vent, Arsule pense à l’homme. C’est le vent qui vient dans la saison de printemps, la saison où les animaux s’accouplent. “Il n’y a plus le vent pour la caresser, elle est fatiguée. Quand même, elle pense encore à l’homme. Il semble qu’il y a encore les doigts du vent sur elle, cette grande main du vent plaquée à nu sur sa chair.”77

Après avoir visité Arsule, le vent change de direction. Il approche Panturle. Regardons ces quelques lignes

“A la guette du renard, Panturle a rencontré le vent, le beau vent tout en plein, bien gras et libre, plus le vent de peu qui s’amuse à la balle, mais le beau vent, large d’épaules qui bouscule tout le pays. A le voir comme ça, Panturle s’est dit : <<Celui-là, c’est un monsieur.>>”78

Pour Panturle, le vent est un “personnage” qu’il repecte, comme

nous le voyons dans la dernière phrase de la citation<<Celui-là, c’est un monsieur.>> La manière d’introduire le vent ainsi est de la façon respectable.

76 Ibid. pp. 47-48. 77 Ibid. p. 50. 78 Ibid. p. 59.

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2.2 La terre La terre est un élément important dans ce récit, parce que cette

histoire nous racontre la lutte d’un homme contre les forces de la nature. Cette force est la résistance de la terre qui empêche Panturle de la travailler mais celle-ci finit pourtant par donner de bons résultats.

Regardons la dégradation de la terre dans le passage ci-dessous:

“- Cette saloperie de terre…dit Panturle en entrant…pas moyen…c’est plus dur que la pierre. On l’a trop laissé d’abandon…elle est là, toute verrouillée ; on ne peut pas seulement enfoncer le couteau.

Il regarde sa charrue : c’est une petite charrue de pauvre, <…> - Qu’est-ce que tu veux faire avec ça ? Ça griffe juste un peu le

dessus. Arsule est dans le plein du souci avec cette nouvelle. Elle regarde Panturle, la charrue, et cette bosse de coteau qui se gonfle-au-delà de la fenêtre.”79 Ce passage montre l’image de la terre qui est abandonnée depuis

longtemps. Cela montre la déchéance de ce village dont la terre a perdu sa qualité. Panturle qui veut commencer à travailler est déçu par ce qu’il voit.

Le narrateur décrit la terre par un langage imagé. Ici la nature comme “la terre” devient le sujet de la phrase : “elle est là, tout verrouillée.” Le narrateur décrit la dégradation de la terre avec l’adjectif “verrouillée.”

Un autre passage qui peut présenter l’image de la terre c’est quand Panturle vient demander de l’aide à ses voisins. Avant que Panturle sorte de chez eux, ils lui donnent du pain, ce passage peut lier au processus du travail sur la terre :

“Panturle regarde le bon pain, gros et solide, le pain de champs, le pain de la farine faite au mortier de marbre ; le pain, et de sa mie qui est rousse, on tire parfois une longue paille droite et étincellante comme un rayon de soleil.

D’un coup, il voit ce qu’il va faire. Ce qu’il va refaire, ce qu’il a commencé en venant ici déjà. <….> . Ça passera, c’est surement maintenant. Il a compris. Ça passera le jour où l’on posera sur la table, là-bas, à Aubignane, dans la dernière maison, la miche de

79 Ibid. p. 83.

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pain, chaude et lourde, le pain qu’ils auront fait eux-mêmes, eux trois : lui, Arsule et la terre.”80

Remarquons qu’ici, le protagoniste humain se met à chercher le moyen pour travailler la terre. Le pain qu’il obtient chez son voisin devient l’inspiration de son travail, parce que le pain est le produit qui vient de la terre. Pour commencer ce travail, lui seul ne peut le faire, il faut le faire avec l’alliance d’ “eux trois.” Observons ici que la terre devient un élément important pour recevoir le bon résultat. Ici, “la terre reste la mère nourricière”81pour l’être humain. C’est parce que la terre donne des produits à ceux qui l’exploitent. Après la préparation de l’équipement, Panturle commence son travail dans les champs :

“Il a retrouvé son instinct de tueur de bêtes pour enfoncer

brusquement le coutre aigu dans la terre. Elle a gémi ; elle a cédé. L’acier a déchiré un bon morceau qui versait noir et gras. Et, d’un coup, la terre s’est reprise ; elle s’est débattue, elle a comme essayé de mordre, de se défendre. Tout l’attelage a été secouée, depuis la mâchoire du cheval jusqu’aux épaules de Panturle.<…> - Tu y passeras quand-même, dit Panturle les dents serrées.”82 Comme d’autres éléments naturels, l’auteur personnifie l’action de

la terre comme un être humain. Ce passage nous montre que la terre est devenu une alliée : “elle a gémi : elle a cédé.” Ici, la terre est symbolisée comme une femme. Le labour de Panturle est comme un acte sexuel qui provoque la fécondité.

Les lignes suivantes révèlent encore les changements après le

travail.

“Il est devant ses champs. Il s’est arrêté devant eux. Il se baisse. Il prend une poignée de cette terre grasse pleine d’air et qui porte la graine, c’est une terre de beaucoup de bonne volonté”.83

80 Ibid. p. 94. 81 Jacque PUGNET, Jean Giono. Paris, Editions Universitaires, 1955. p. 50. 82 Ibid. p. 108. 83 Ibid.p. 149.

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Ce passage nous montre la description de la qualité de la terre, <<cette terre grasse pleine d’air et qui porte la graine…>>. C’est le contraire de <<Cette saloperie de terre…<…>c’est plus dur que la pierre>> qui ouvrait la deuxième partie. Cela nous montre que le héros est satisfait du résultat de son travail tandis que, au commencement, il maudisait la terre.

2.3 L’eau

Dans Regain, l’eau joue aussi un rôle important pour le grand changement dans la vie du héros, avec la dernière scène de la première partie. Regardons le rôle de l’eau dans ce passage :

“Il reçoit dans le dos la grande griffe d’une main froide, et il voit les longs doigts blancs de ruisseau qui ferment sur lui.

Tout de suite, l’eau esquive, le couvre de son corps épais et glissant. Il la repousse de la jambe et du bras ; elle le ceinture, lui écrase le nez, lui fait toucher les deux épaules sur les pierres plates du fond.

<…> Il pèse aussi, lui sur l’épaule de l’eau. Il lance sa main vers la

rive. Il plante ses doigts dans la terre : elle est pourrie, elle cède à poignées ; elle vole avec des bouts de joncs autour de la lutte.

<…> Mais, au vrai, il bouge ses bras et ses jambes doucement,

<…>; l’eau, elle, bouge ses bras et ses jambes avec de la double force et de la colère d’écumes.

Tantôt il boit une goulée d’air et ça va, tantôt une goulée d’eau et ça va aussi, car il y a dans l’eau un grand visage de femme qui rit, avec deux canines très pointues sous les lèvres.”84

Cette scène se produit quand Panturle épie Gédémus et Arsule près

du ruisseau et qu’il tombe dans l’eau. Le passage cité nous montre la lutte entre l’homme et l’eau. Giono décrit l’image de l’eau comme une femme. C’est sans doute la déesse protectrice de l’eau : il y a dans l’eau un grand visage de femme qui rit, avec deux canines très pointues sous les lèvres.

Ici, nous trouvons la personnification de l’eau avec les mots désignant les organes du corps humain : une mains froide, les longs

84 Ibid. pp. 72-73.

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doigts, son corps, l’épaule de l’eau. En plus nous trouvons aussi la répétition des actions de Panturle et l’eau : <<il bouge ses bras et ses jambes>> tandis que <<elle bouge ses bras et ses jambes>>. Ici, le narrateur utilise des mêmes mots pour désigner les deux espèces, l’homme et l’eau ont les bras et les jambes. Mais nous trouvons aussi le contraire de l’action, c’est parce que l’eau est plus puissante que l’homme. Observons cela avec ces mots suivants : doucement est le contraire de de la double force et de la colère.

En plus la description de l’eau montre aussi l’acte sexuel avec les mots : elle le ceinture. L’image de l’eau est comme la terre parce que tous les deux montrent l’image érotique. Mais l’eau est plus puissante et peut dominer Panturle tandis que la terre a cédé à l’acte de Panturle.

2.4 Le feu

Le feu dans Regain n’a pas un grand rôle, mais pour cet élement Giono utilise aussi la personnification. Remarquons qu’il est comme l’ami intime de Panturle. Il le tutoie. Ce passage peut nous montrer l’art de la personnification.

“Il y a du feu chez Panturle. <…> Il est là, debout devant l’âtre, à regarder les flammes bourrues qui galopent sur place à travers des ramées d’olivier sèches.<…>

Le feu d’olivier, c’est bon parce que ça prend vite mais c’est tout juste comme un poulain, ça danse en beauté sans penser au travail. Comme la flamme indocile se cabre contre le chaudron, Panturle la mate en tapant sur les braises avec le plat de sa main dure comme de la vieille couenne.

La main en l’air pour un dernier coup, il a dit au feu : - Ah, tu as fini ?

Il a fini ; il en a assez d’être battu. Il frotte son long poil roux contre le cul du chaudron.”85

Dans ce passage l’auteur compare le mouvement du feu avec un poulain. Puis, il ajoute l’apparence du feu avec les mots : son long poil roux. Le feu apparaît aussi quand le nouvel habitant visite la maison de Panturle après la vente du blé :

“Le feu dans l’âtre soufflait et usait ses griffes rouges contre le chaudron de la soupe, et la soupe mitonnait en gémissant, et

85 Ibid. p. 15.

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c’était une épaisse odeur de poireaux, de carottes et de pommes de terre bouillies qui emplissait la cuisine.”86

Le feu représenté dans ce passage indique le changement dans la

maison de Panturle : cette fois-ci la maison du chasseur est devenu un foyer. L’auteur présente l’ambiance de la cuisine avec “l’odeur” de la soupe. Le feu est introduit en scène avec du vocabulaire évoquant l’action d’un animal : le feu avec“ses griffes rouges”, la soupe avec “gémissant”

B. Le Hussard sur le toit a. Les acteurs humains

1. Le couple 1.1 Angelo

Même si dans Le Hussard sur le toit, Giono présente beaucoup de personnages, la plupart d’entre eux jouent seulement un rôle de figurant. Giono ne quitte jamais le personnage d’Angelo. C’est lui qui apparaît du début jusqu’à la fin, il est central dans l’histoire. Ce roman est la continuité de la vie d’Angelo. L’auteur le met en scène dès la première page et il le suit pas à pas dans sa vie. Au commencement, l’auteur n’apporte que peu de renseignements sur lui et de manière indirecte. Donc le lecteur apprend peu à peu les détails sur Angelo à travers de signes : son époque, son origine, son métier et son passé. 1.1.1 Le chevalier

Comme nous l’avons déjà vue dans l’analyse de la structure du récit, l’histoire se divise en deux parties : avant et après la rencontre des deux protagonistes, sur ce point nous observons deux aspects d’Angelo, le chevalier errant et le chevalier servant

1.1.1.1 Le chevalier errant

Dans les premières pages nous voyons seulement que le héros est un homme avec un nom mais obtenons peu de détails sur lui. Une autre chose qu’on apprend est que ce personnage est en train d’errer dans les montagnes. Il a dormi dans la nature, et quand il se réveille, il doit poursuivre son chemin. Mais nous ne savons pas encore où il va, pourquoi il est dans cette région. La manière de mettre Angelo en scène

86 Ibid. p. 139.

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est de situer ce personnage sur la route, à la campagne. La citation suivante peut nous montrer comment est présenté Angelo dans le roman.

“La femme <…> lui demanda s’il était un monsieur de

bureau.<<Oh! non, dit-il ; je suis un commerçant de Marseille ; je vais dans la Drôme où j’ai un client et je profite pour prendre l’air.>> Le visage de femme devint plus aimable, surtout quand il eut demandé la route de Banon.”87 Cette scène où Angelo demande un café à une fermière au bord de

la route apporte une autre information sur Angelo. Au début, la fermière se méfie d’Angelo mais quand elle apprend que ce étranger est un commerçant elle a l’air rassurée. Ainsi, on apprend sa condition par un mensonge. En fait, son véritable état avait été vaguement indiqué auparavant avec quelques allusions : le cheval et le portemanteau qui nous montre qu’il est peut-être soldat. Nous pouvons dire que la manière de présenter le héros ainsi est comme si l’auteur ne lui donnait pas d’importance. Il conduit le lecteur dans de fausses directions avec des mensonges. Mais peu après le narrateur précise le passé de ce personnage. Pour l’instant, son passé n’est pas encore important mais le narrateur nous donne une autre information ssur Angelo:

“A Garbia, il y avait mon petit état-major et la manœuvre à laquelle il fallait faire attention si on ne voulait pas se faire secouer les puces par ce général San Giorgio qui avait de si belles moustaches et un langage de vacher.”88 Par ces quelques lignes le mot “mon petit état-major” peut

apporter un éclaircissement sur la carrière d’Angelo. En fait, son véritable état avait été vaguement indiqué dans les pages précédantes. En plus, nous apprenons qu’Angelo n’est pas français. Nous en avons un indice avec le nom du lieu “Garbia”, et le nom du personnage “ce géneral San Giorgio”qui apparaît dans la pensée d’Angelo. Dans le passage suivant nous trouvons une autre remarque qui peut apporter quelques détails :

87 GIONO. Le Hussard sur le toit. p. 12. 88 Ibid. p.15.

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“Malgré son grade <<acheté comme deux sous de poivre>>’ disait-il amèrement dans ses accès de pureté, Angelo était un soldat de métier et, en fourrageur, il avait de l’instinct.”89 Dans ce passage, le narrateur confirme l’idée qu’il avait déjà laissé

entendre au lecteur par l’indication du métier de son héros . Il est “un soldat de métier”.

La technique de présentation de Giono consiste ainsi à ne pas donner directement toutes les informations sur le héros. C’est parce qu’Angelo est en train de fuir, il doit se cacher. Le narrateur nous donne des informations sur Angelo comme des pièces d’un puzzle que le lecteur doit reconstituer dans les détails pour comprendre la situation de ce protagoniste. Peu après nous apprenons son âge : “Il avait vingt-cinq ans” et son origine “fils naturel de la duchesse Ezzia Pardi.”90 Mais son passé va être précisé après la rencontre avec Pauline.

Dans la trame du récit Angelo rencontre de nombreuses personnes. Nous observons que même quand il vit au milieu de la foule, il s’en écarte. Il est montré comme un chevalier solitaire qui erre dans la région, sans destination précise. Mais une chose qui reste toujours est qu’il est prêt à rendre service aux autres, surtout les faibles. Voyons la scène de la rencontre avec la préceptrice :

“Dès qu’il entendit de nouveau des bruits furtifs dans les buissons, il s’arrêta et il demanda à haute voix : <<Y a-t-il quelqu’un par ici ?>> <…> <<Puis-je rendre service à quelqu’un par ici ?>> répéta Angelo d’une voix calme qui devait être fort belle aux oreilles des gens en détresse. Le bruit d’un pas s’arrêta et, au bout d’un petit moment, une voix de femme répondit : <<Oui, monsieur.>> Angelo aussitôt alluma son briquet et une femme sortit du bois. Elle tenait deux enfants par la main.<…>

<<Eh! Bien, dit Angelo, nous allons donc traverser le bois qui, comme vous l’affirmez, n’est pas large. De l’autre côté nous ferons monter les deux demoiselles sur mon cheval qui est très doux et que je mènerai par la bride. <…> Rassurez-vous, pursuivit-il, je suis colonel de hussard et l’on ne viendra pas facilement à bout de nous.>>91

89 Ibid. p. 17. 90 Ibid. p. 137. 91 Ibid. pp. 86-88.

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Dans ce passage nous constatons qu’Angelo se propose d’aider quiconque est en difficulté, même s’il ne l’a pas encore vu. Une autre remarque sur ce passage est qu’Angelo avoue être colonel de hussard. Nous apprenons maintenant qu’il est vraiment militaire. Il garde toujours sa dignité.

Dans la première partie du récit, Angelo voit plusieurs sortes de gens : un médecin dévoué, la foule de Manosque, la nonne, les gens dans le camp de Giuseppe. Angelo leur vient en aide autant qu’il le peut. Mais ce qui est remarquable, c’est que personne ne l’accompagne. Les figurants sont seulement des personnes qui passent sur la scène.

1.1.1.2 Le chevalier servant Comme un héros chevaleresque, Angelo doit affronter beaucoup

d’aventures et après s’être séparé de Giuseppe, il retrouve par hasard, Pauline, la femme qui lui avait donné un repas à Manosque et il se propose de l’accompagner. A partir de ce moment-là Angelo ne voyage plus seul comme avant, il lui consacre son temps et son argent et oublie sa mission. Avec l’amour, l’objet de sa quête a changé : il s’était réfugié en France dans le but de retrouver son frère pour pouvoir rentrer ensemble en Italie, mais finalement, il ne rentre pas encore dans son pays. Il choisit l’amour. Avant, il voulait sauver les autres, c’est l’attitude du cavalier. Mais cette fois, il sauve Pauline.

1.1.2 Le soldat

Nous avons vu dans la partie précédente qu’Angelo est un soldat de métier qui tient à cœur le rite chevaleresque. Il respecte l’honneur et le courage. Tout cela se voit dans ses actions.

1.1.2.1 L’honneur Angelo est presenté comme un homme d’action, il est libre et fier

de lui-même. Pour lui, l’honneur vient quand il agit. Nous observons quand il entre en aide aux malades, il les traîte physiquement selon le conseil de petit Français qui ses préoccupations morales reste dans son souvenir. Mais, quand il travaille avec la nonne cela montre le soin moral.

Parfois Angelo croit perdre l’honneur. Il a ce sentiment quand il n’agit pas. Lorsque il est accusé d’empoisonner la fontaine à Manosque, il doit se réfugier sur les toits, à ce moment-là, il perd sa liberté et devient un homme impuissant. La scène de la rencontre avec Pauline peut nous montrer l’état d’impuissance d’Angelo.

“Angelo pénétra dans un beau salon. Il vit tout de suite son

propre reflet dans une grande glace. Il avait une barbe de huit jours

66

et de longues rayures de sueur noirâtre sur tout le visage. Sa chemise en lambeaux sur ses bras nus et sa poitrine couverte de poils noirs, ses culottes poussiéreuses et où restaient les traces de plâtre de son passage à travers la lucarne, ses bas déchirés d’où dépassaient des arpions assez sauvages composaient un personnage fort regrettable. Il n’avait plus pour lui que ses yeux qui donnaient toujours cependant des feux aimables.

<<Je suis navré, dit-il.”92 Cette scène montre l’image d’un homme d’action qui est réduit à

l’impuissance. Pour lui, il prouve qu’il est un homme d’honneur par sens actions. Dans cette situation, l’apparence physique est très importante quand il est mal habillé, et en plus, il se sent coupable d’avoir pénétré dans une maison comme un voleur. Il est noble, il faut être propre quand il rencontre une femme. Ici, on peut voir que l’honneur pour le hussard, est un facteur important qu’il doit tenir tout le temps.

1.1.2.2 Le courage

Une autre remarque sur Angelo est qu’il est courageux. Il est prêt à lutter sans peur. Son ardeur peut toutefois aussi se révéler un défaut. Angelo combat avec les soldats pour se sauver et il lutte contre le choléra pour aider les autres. Il est ange pour les faibles mais quelquefois il ne réfléchit pas au danger auquel il s’expose. Il est innocent de risquer aux dangers.

Regardons d’abord la scène où il se combat avec un capitaine après avoir passé la nuit avec deux cadavres.

“Le capitaine fit un pas de côté et tira son sabre. Angelo

courut aux faisseaux et prit un coupe-chou de soldat. L’arme était plus courte de moitié que celle de son adversaire mais Angelo désarma très facilement le capitaine.”93

Dans cette scène Angelo doit lutter contre un capitaine. Observons qu’ici, le narrateur place Angelo en situation d’infériorité, avec la petite arme qu’il a trouvée mais il arrive à triompher facilement de son adversaire.

92 Ibid. p. 179. 93 Ibid. pp. 72-73.

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Un autre passage qui peut montrer le courage d’Angelo est la scène où Angelo et Pauline entrent dans un village étrange où les habitants les attaquent en cachette.

“En effet, une porte s’ouvrit et un homme fit quelques pas

rapides vers l’aire. Il avait un fusil à la main. Les autres portes s’étaient ouvertes, les hommes et les femmes sortaient, même le vieillard. Mais il n’y avait qu’un fusil et, avant même qu’il soit épaulé, Angelo avait fait face, ses deux pistolets à la main et bien braqués. Tout le monde s’arrêta sur place.

<…> Plus que les pistolets (…) l’attitude d’Angelo avait jeté le

trouble et faisait peur. Ces paysans voyaient bien qu’en réalité il était au comble du bonheur. Il n’était pas sur la défensive. Il attaquait et avec un mordant peu ordinaire. Il avait le petit sabre sous le bras.”94

Cette fois- ci, Angelo doit affronter une dizaine de personnes mais

avec son caractère menaçant et son courage, il peut finalement se débarrasser de cette situation difficile.

1.2 Pauline

1.2.1 La femme avec des attaches Bien que l’héroïne du roman, elle n’apparaît véritablement que

dans la deuxième moitié de l’ouvrage. Pourtant, elle est présentée dès les premières lignes de manière très rapide comme des dizaines d’autres personnages. C’est la partie où l’auteur présente le début de l’épidémie de choléra en Provence. Elle est présentée à trois reprises, avant de jouer un rôle essentiel dans le roman. La première fois lorsque l’auteur présente le cadre de son histoire. La deuxième fois lorsque le hussard descend des toits de Manosque. La troisième fois, c’est lorsque Angelo partage son errance avec elle.

Nous faisons la connaissance de Pauline dès le préambule, lorsque l’auteur raconte les ravages du choléra dans la région. Regardons le passage où elle apparaît :

“<…>, juste au moment où Angelo passait sous les rochers

d’où coulait l’odeur des œufs pourris, la jeune madame de Théus descendait en courant en plein soleil les escaliers du château pour

94 Ibid. p. 413.

68

aller au village où ; paraît-il, une femme de cuisine qui était descendue une heure avant (juste au moment où cette vieille canaille d’aubergiste disait à Angelo : <<Ne passez pas au soleil>>) venait d’y tomber subitement très malade. Et maintenant (pendant qu’Angelo continuait à suivre les yeux fermés ce matin torride à travers les collines, la femme de cuisine était morte ; on supposait que c’était une attaque d’apoplexie parce qu’elle avait le visage tout noir. La jeune madame fut très écurée par la chaleur ; l’odeur de la morte, le visage noir. Elle fut obligée d’aller derrière un buisson pour vomir.”95 Nous voyons ainsi l’apparaître une jeune femme en même temps

que l’on suit les pas d’Angelo, sans savoir qu’elle va devenir un tournant dans la vie d’Angelo. Dans ce premier chapitre, nous apprenons seulement son nom. Mais ces quelques informations obtenues dans ce passage nous donnent quelques idées. Dès la première apparition, nous observons les trois mots-clés, “la jeune madame de Théus”, “le château”, “une femme de cuisine”, qui annoncent immédiatement le statut social de cette femme. Elle est une femme de la noblesse, elle est déjà mariée. Tout ce que nous regardons dans ce passage accentue que Pauline est une femme attachée. Elle ne doit pas errer sur la route comme Angelo.

1.2.2 La femme courageuse

C’est à Manosque qu’Angelo rencontre Pauline pour la première fois. Mais pour le lecteur, c’est la seconde. La scène donne une dimension psychologique au personnage, en particulier son courage : c’est une femme volontaire même devant un inconnu qui est entré dans sa maison. Regardons le passage où l’auteur la présente aux yeux d’Angelo :

“Angelo était sur la vingt et unième marche, une brusque

raie d’or encadra une porte qui s’ouvrit. C’était une très jeune femme. Elle tenait un chandelier à trois branches à la hauteur d’un petit visage en fer de lance encadré de lourds cheveux bruns.

<…> Elle tremblait si peu que les trois flammes de son chandelier

étaient raides comme des pointes de fourche.”96

95 Ibid. p. 25. 96 Ibid. p. 178.

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Cette scène a lieu au moment où Angelo quitte le toit pour chercher de la nourriture dans les maisons. Il entre dans l’une d’elles et trouve cette femme qui lui offre un repas. Observons la manière que Giono utilise pour décrire l’apparence physique de Pauline <<un petit visage en fer de lance.>> Giono compare le visage de la femme à une arme au lieu d’utiliser la délicatesse conventionnelle. C’est parce que le narrateur veut nous montrer que cette femme est exceptionnelle, elle n’est pas fragile ou faible comme d’autres.

Un autre passage qui peut souligner le courage de cette femme est

à la fin de la scène quand Angelo veut lui offrir un pistolet : “Angelo s’inclina. <<Puis-je vous faire une proposition ? dit-il. - Je vous en prie. - J’ai deux pistolets dont un vide. Voulez-vous accepter celui qui

est chargé ? Ces temps exceptionnels ont libéré beaucoup de passions exceptionnelles.

- Je suis assez bien pourvue, dit-elle, voyez vous-même.>> Elle souleva un châle qui était resté de tout ce temps à côté du réchaud à esprit-de-vin. Il recouvrait deux forts pistolets d’arçon. <<Vous êtes mieux fournie que moi, dit froidement Angelo, mais ce sont des armes lourdes.

- J’en ai l’habitude, dit elle.”97 Ce passage nous montre le courage de Pauline. Dans le pays ravagé par le choléra, elle reste seule à la maison après la mort de sa femme de cuisine. Elle n’a pas peur d’un inconnu comme Angelo, en plus elle est prête à se défendre. Elle refuse l’arme qu’Angelo lui propose, ce qui lui vaut le compliment du jeune homme, qu’il garde à lui-même :

“<…> cette jeune femme si courageuse et si belle,<…>.”98

Angelo a une bonne impression sur cette femme. Regardons cette phrase : “cette jeune femme si courageuse et si belle.” Un autre passage qui peut montrer l’image d’une âme forte est à la deuxième rencontre avec Angelo en route, quand ils sont arrêtés par les soldats. Après

97 Ibid. p. 182. 98 Ibid. p. 184.

70

qu’Angelo a quitté Pauline à Manosque, il la retrouve en route. Angelo ne reconnaît pas encore Pauline mais le lecteur la connaît sans le savoir. Après avoir offert son objectif parmi d’autres femmes, Angelo la reconnaît.

“Parmi ces femmes hupées qui étaient pas poudrées depuis la veille et commençaient à se regarder la pointe de souliers, Angelo remarque une jupe verte, courte et ronde sur des bottes qu’une cravache battait. La main qui tenait cette cravache n’était certainement pas matée. Tout cela appartenait à un petit feutre Louis XI jaune soufre et à une nuque très blanche. C’était une jeune femme qui tourna résolument le dos aux colloques et marcha vers un cheval attaché à un arbre. Angelo vit un petit visage en fer de lance encadré de lourds cheveux noirs.99” Giono ré-utilise les mots “un petit visage en fer de lance” qui

permet au lecteur de soupçonner qu’il s’agit de Pauline. Sans cela, elle ne serait pas reconnue par le lecteur. L’auteur décrit cette femme avec des images morcelées, c’est –à-dire il nous donne de petits détails mais il ne nous dit pas immédiatement qui elle est. C’est comme une préparation à reconnaître ce qu’on a déjà vu. Nous pouvons dire qu’un détail permet l’identification confirmée par la suite.

Une autre remarque est que cette femme est comme Angelo, même quand elle est au milieu du monde, elle s’écarte. Comme elle n’est pas comme les autres, elle tombe aussi dans l’état solitaire. Personne ne l’accompage. Jusqu’au moment où elle rencontre Angelo, leur vie respective est changée.

Le passage suivant montre clairement l’image d’une femme forte

de Pauline :

“Il fut tout surpris de retrouver la jeune femme. Elle n’avait pas bougé. Elle tenait assez gaillardement un de ses pistolets d’arçon pointé vers l’homme étendu.

<<Est-il mort ? demanda-t-elle. - Cela m’étonnerait>>, dit Angelo.

Il mit pied à terre et alla voir.

99 Ibid. p. 298.

71

<<Il ne moura pas de celle-là, dit-il. C’est simplement un conscrit qui a eu sa première émotion. Mais croyez bien que, quand il reviendra à lui, il racontera des choses horribles. <…>”100

A Manosque, elle prépare le pistolet pour se défendre. Cette fois-ci, elle tire sur un des soldats au cours de combat. Cela montre qu’elle a des capacités exceptionnelles. Dans cette scène, l’auteur ne montre pas comment elle lutte contre ce soldat; il nous présente seulement le résultat de l’action de cette femme qui a de quoi surprendre Angelo.

1.2.3 Le changement dans la vie d’Angelo

Après la séparation avec Giuseppe, Angelo doit reprendre sa route vers l’Italie. Mais à cause de la rencontre avec Pauline, il décide de changer sa destination pour l’accompagner.

“Jamais Angelo n’avait été si heureux. Ce sentiment qu’il connaissait fort bien, exprimé par une voix qui avait des inflexions si jolies et par des yeux qui paraissaient être le plus beau du monde. <…>”101 Quand Angelo la retrouve sur la route et échange des propos avec

elle, il éprouve une émotion mystérieuse. La rencontre avec cette femme annonce la découverte de l’objet de sa quête. En réalité, il s’était réfugiéen France pour chercher Giuseppe, et aussi il cherchait quelque chose qu’il ne connaissait pas. Il réussit à trouver Giuseppe et à ce moment, il pourrait considérer sa mission comme achévée. Il n’a toutefois pas encore accompli sa quête mystérieuse mais il rencontre Pauline. A ses yeux, cette femme devient le tournant dans sa vie. Regardons le passage suivant qui montre le sentiment d’Angelo pour Pauline :

“Je ne sais pas qui vous êtes. Je ne sais de vous qu’une chose ;

dans les occasions exceptionnelles, vous tenez le coup. C’est pourquoi je vous ai parlé devant le barricade. Avec les autres, j’étais seul contre les soldats, avec vous, je n’était plus seul. Quand nous avons eu notre première algarade, je pouvais très bien recevoir un coup de pointe par-derrière ; les dragons ne

100 Ibid. p. 306. 101 Ibid. p. 301.

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plaisantaient pas. Si j’avais pu le craindre, j’aurais été obligé, pour y parer, de faire voleter mon cheval d’une façon qui manque d’élégance. Mais, je ne m’en suis pas soucié parce que je savais que vous étiez là (bien que je vous aie crié de fuir et de vous tirer d’affaire) ; cela m’a permis le brio qui donne tant de joie. Et, naturellement, vous étiez là, votre petite main braquait le gros pistolet sur le pauvre brigadier.”102

1.3 Le couple : Angelo et Pauline

Quand Angelo partage son voyage avec Pauline, il n’est plus solitaire. Observons que cette fois, il a une destination précise, contrairement au début. Mais à partir de ce moment où il voyage avec Pauline, nous obtenons plus d’informations qu’avant. Le passé de ces deux protagonistes apparaît alors dans leur conversation.

Le passage suivant montre que ce couple a une destination pour

son voyage.

“- D’où êtes-vous et où allez-vous ? - Nous sommes de Gap, dit la jeune femme (Pauline) et nous

rentrons chez nous.>> <…>

- Il vaudrait mieux nous laisser rentrer chez nous, dit doucement mais avec beaucoup de gentillesse la jeune femme.”103

Ces quelques lignes nous déclarent immédiatement l’image du

couple qui voyage ensemble. En fait ils sont étrangers aux yeux de l’un l’autre, mais la situation difficile ainsi peut permettre à ces deux jeunes gens de faire connaissance. D’étrangers, ils deviennent amis qui doivent lutter contre les obstacles trouvés pendant le chemin.

2. Les figurants Au milieu du pays qui est ravagé par le choléra, nous distinguons

deux catégories de figurants qui jouent un rôle dans la trame du récit, ceux qui agissent et ceux qui se soumettent.

102 Ibid. p. 389. 103 Ibid. pp. 362-363.

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2.1 Ceux qui agissent Les figurants de cette catégorie sont ceux qui luttent contre leur

destin mais chacun possède une façon différente. 2.1.1 Le petit Français

A Omergue, Angelo rencontre pour la première fois un village qui est ravagé par le choléra. La plupart des villageois sont morts. Pour Angelo, la cause de la mort reste encore mytérieuse. Le jeune médecin français qu’il rencontre sur la route joue un rôle d’informateur qui lui enseigne ce qui s’est passé dans la region et c’est lui qui montre le traitement du choléra à Angelo. En soignant sérieusement les malades, il fait preuve d’un dévouement qui force l’admiration d’Angelo.

“<<Reposez-vous, dit Angelo. – Foutre non, dit-il ; un coup

de drogue, et allons-y. Ils vont agoniser dans des coins invraisemblables, parfois : j’aimerais bien en sauver un ou deux. <…>”104 Ce médecin va partout pour lutter contre la maladie. Quand Angelo

le voit aussi fatigué, il lui conseille de se reposer mais le petit Français refuse. Il veut continuer son travail même s’il ne parvient jamais à sauver des malades.

“<<Et voilà, dit le jeune homme en se redressant. Je n’en

sauvrai pas un.- Ce n’est pas de votre faute, dit Angelo. - Oh! ces fleurs-là>>, dit le jeune homme… <…> <<Désinfectez-vous>>, dit le jeune homme qui alla se

coucher dans l’herbe jaune,<…>”105 Ils étaient partis à Omergues pour soigner ceux qui ne sont pas encore morts. Finalement, c’est lui-même qui est atteint du choléra. Angelo essaie de le soigner mais sans succès. Finalement, le médecin a à son tour une attaque de choléra. Le dévouement de ce médecin reste toujours dans la mémoire d’Angelo.

“Il y avait encore un souffle de voix. Angelo colla son oreille

près de la bouche : <<Désinfectez-vous>>, disait le jeune homme. Il mourut vers le soir.

104 Ibid. p. 61. 105 Ibid. p. 69.

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<<Pauvre petit Français>>, dit Angelo.”106 Nous observons que ce médecin joue un rôle en donnant une leçon scientifique à Angelo. C’est ce médecin qui lui montre les moyens de soigner les malades. Avant de mourir, il prévient à Angelo de se protéger de la maladie.

2.1.2 La nonne Dans la ville désolée, se trouve un couvent où Angelo se réfugie

après être descendu des toits et où il rencontre une nonne qui va l’emmener pour s’occuper des morts.

Regardons d’abord sa première apparition :

“En arrivant au coin de la galerie qui faisait le tour du jardin, Angelo apperçut à l’autre bout un corps étendu sur les dalles. Il avait tellement l’habitude des cadavres qu’il s’approchait nonchalamment quand le corps se dressa, s’assit, puis se mit debout. C’était une vieille nonne. Elle était ronde comme une barrique. Deux griffes de petites moustaches noires agrafaient sa bouche de chaque côté.”107

Comme les autres figurants que le narrateur met en scène il présente la nonne pour la première fois avec simplement un profil, on la voit de loin sans détail mais peu après son portrait est précisé. Dans ce passage, nous suivons d’abord le regard d’Angelo qui voit les étapes des actions de la nonne : “se dressa, s’assit, se mit debout.” Et plus le même regard continue à décrire ce qu’il voit. Il nous donne l’apparence physique de cette nonne : “Une nonne, ronde comme une barrique.”

Les lignes suivantes nous montrent le travail de cette vieille nonne : “La nonne ne soignait jamais. <<J’approprie, disait-elle. Ce sont mes clients, j’en suis reponsable. Le jour de la résurrection ils seront propres.”108

106 Ibid. p. 71. 107 Ibid. p. 187. 108 Ibid. p. 197.

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Tandis que le petit Français soigne le corps des malades, la nonne, elle, s’occupe de leur âme. Elle est le portrait de la religion. Son action de laver les morts peut purifier les âmes des moribonds. Cette nonne apprend l’acte charitable à Angelo, mais elle ne reste pas dans sa mémoire car pour Angelo son acte est inutile.

2.1.3 Giuseppe Il apparaît dans le roman pour la première fois dans le chapitre VI

et on apprend du même coup qu’Angelo était en route vers Manosque pour le rencontrer. Il s’oppose à Angelo, parce qu’il ne veut pas le laisser s’occuper des malades, jugeant que c’est trop dangeureux.

“<<Je n’aime pas non plus ce que tu fais, poursuivit-il.

Laisse-les mourir tranquilles, ne t’en mêle pas. Qu’est ce qu’ils te sont ? Moi, je suis ton frère de lait et Lavinia est ma femme, sans compter qu’elle a joué avec nous étant enfant. Et, pour t’occuper de ceux qui ne te sont rien, tu risques de nous apporter le mal et de nous faire mourir tous.>>109

Cet homme est le portrait de la politique. Pour lui, ce qui est important c’est de se sauver pour organiser la révolution. Il méprise les rites chevaleresques qu’Angelo admire.

2.2 Ceux qui se soumettent : Les bourgeois de Manosque Nous pouvons dire que les bourgeois de Manosque représentent le

désordre. Ils ne croient pas à la maladie, ils pensent qu’ il y a quelqu’un qui vient d’empoisonner la fontaine et accusent ceux qui on l’air suspect. Cela nous montre aussi le mal qui commence à menacer les âmes des gens :

“Il (Angelo) avait été trop alerté par les regards hypocrites et les sourires pour ne pas sauter tout de suite dans une ruelle d’ombre. Cependant, une main, le saisissant au passage, glissa le long de son bras en déchirant sa chemise et une voix sourde où il y avait de la haine dit : <<C’est l’empoissonneur.>>”110

109 Ibid. p. 276. 110 Ibid. p. 128.

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b. Les acteurs non-humains

1. Le choléra et le mal : la peur et l’égoïsme Nous pouvons dire que dans Le Hussard, le choléra joue un rôle

aussi important qu’Angelo parce que tous les deux apparaissent tout au long du récit. Pour l’acteur humain, nous voyons le changement de son état d’âme tandis que ce qui change pour ce qui concerne choléra est sa puissance. Nous observons au début les cas de cette maladie qui commence à répandre peu à peu dans la région , mais son rôle se renforce. Regardons la phrase suivante :

“Maintenant, le choléra marchait comme un lion à travers

villes et bois.”111 Cette phrase nous montre que le choléra triomphe de tout, il peut envahir dans tous les lieux. Il ne tue pas seulement la vie des gens, il détruit aussi leur âme. Quand le choléra ravage, les gens ont peur de la mort, puis la peur se développe en égoïsme. Le passage suivant nous montre un autre aspect du choléra :

“La nuit facilitait l’égoïsme de tous. Les gens descendaient

leurs morts dans la rue et les jetaient sur les trottoirs. Ils avaient hâte de s’en débarrasser. Ils avaient même jusqu’à les déposer devant d’autres seuils. Ils se séparaient d’eux de toutes les façons. L’important pour eux était de les chasser le plus vite possible et le plus complètement qu’ils pouvaient de leur propre maison où ils revenaient vite se terrer. <…> La nuit permettait à chacun de se débrouiller tout seul.”112

111 Ibid. p. 289. 112 Ibid. p. 201.

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2. L’air et la chaleur Ce qui apparaît dès le début du récit c’est l’air et la chaleur. Nous

voyons la chaleur que l’auteur peint comme un décor du roman. Le paysage inquiétant indique ainsi la situation anormale qui se répand dans toute la région.

Regardons ces quelques lignes qui montrent le rôle de la chaleur

dans ce récit :

“Le soleil était haut ; il faisait très chaud mais il n’y avait pas de lumière violente. Elle était très blanche et tellement écrasée qu’elle semblait beurrer la terre avec un air épais.”

<…> “Tout était tremblant et déformé de lumière intense et de

chaleur huileuse. Des poussières, des fumées ou des brouillards que la terre exhalait sous les coups du soleil commençaient à s’élever ça et là, d’éteules où la moisson était déjà raclée, de petits champs de foin couleur de flammes et même des forêts où on sentait que la chaleur était en train de cuire les dernières herbes fraîches.”113

3. Les oiseaux : l’indice du choléra

Au début, l’apparition des oiseaux dans ce roman indique que le choléra commence à menacer chaque endroit. Les oiseaux, sourtout les corbeaux, ne craignent pas les hommes. Ils les attaquent. L’image des oiseaux sur les toits annonce aussi la mort. Nous voyons la première fois des milliers d’oiseaux qu’Angelo rencontre des cas de choléra. Regardons ce passage :

“Chose curieuse : les toits des maisons étaient couverts

d’oiseaux. Il y avait même des troupes de corbeaux par terre, autour des seuils. A un moment donné, ces oiseaux s’envolèrent tous ensemble et vinrent flotter en élevant jusqu’à la hauteur de la passe où se trouvait Angelo. Il n’y avait pas que des corbeaux ; mais égalemeent une foule de petits oiseaux à plumages éclatants : rouges, jaunes, et même une grande abondance de turquins qu’Angelo reconnut pour être des mésanges. Le nuage d’oiseaux tourna en rond au-dessus du petit village puis retomba doucement sur ses toits.”114

113 Ibid. pp. 13-16. 114 Ibid. p. 48.

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Nous voyons encore l’expérience d’Angelo qui fait face aux oiseaux sur les toits de Manosque. Observons ces quelques lignes :

“Comme il approchait d’une petite tour, Angelo fut brusquement enveloppé dans une épaisse étoffe noire qui se mit à voleter en craquant et en crissant. C’était un monceau de corneilles qui venait de se soulever. Les oiseaux n’étaient pas craintifs. Ils tournaient lourdement autour de lui sans s’éloigner, le frappant de l’aile. Il se sentait dévisagé par des milliers de petits yeux d’or, sinon méchant, en tout cas extraordinairement froids.”115

Ce passage montre l’image collective des petits oiseaux qui n’ont pas peur des hommes. Ici, le choléra bouleverse l’ordre de la nature. Il change le comportement des êtres-animés, les oiseaux sont aussi victimes de ce phénomène. C. L’analyse comparative

Regain et Le Hussard sur le toit racontent l’histoire d’un couple qui

doit lutter contre leur destin. Remarquons que ces deux romans présentent des couples qui appartiennent à différentes classes sociales. Dans Regain, Panturle est paysan et Arsule, une ancienne chanteuse qui est devenue la servante de Gédémus, tandis qu’Angelo et Pauline dans Le Hussard sont nobles. Pourtant, Giono utilise indifféremment le couple comme protagonistes humains dans ces deux romans. Remarquons que ce n’est pas la première fois que Giono utilise le couple dans ses romans.

Dans Regain la rencontre élucide la tranformation de la condition de la vie des personnages humains et le changement du village. Tandis que la rencontre dans Le Hussard ne change pas grande chose, ce qui est changé c’est l’état d’âme des personnages. Nous voyons dès le début jusqu’à la fin, qu’Angelo est un chevalier qui erre sur la route, prêt à rendre service aux faibles. La rencontre avec Pauline bouleverse seulement sa destination. Ce qui est changé c’est les sentiments d’Angelo, il n’est plus un cavalier solitaire comme avant, il est le compagnon de Pauline. Avec Pauline, il connait l’amour, même s’il reste platonique. Tandis que dans Regain la rencontre ne montre pas l’amour, mais cela montre l’envie de relation physique pour des raisons de reproduction, pour eux-mêmes et pour le village.

Une autre remarque est que le couple de chaque roman représente presque dans le même modèle mais il y a seulement un point différent :

115 Ibid. p. 147.

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Regain : Panturle (l’homme enraciné) + Arsule ( la vagabonde) Le Hussard : Angelo (l’homme errant) +Pauline (la femme avec des attachée) Cela montre deux situations inverses sur le portrait. Panturle est l’homme enraciné, Angelo, errant. Tandis que Arsule est vagabonde, Pauline, femmede la noblesse et avec des attaches. Pourtant Giono donne plus d’importance à la vie de Panturle et d’Angelo qu’à celle d’Arsule et de Pauline. Ici, les femmes sont secondaires et dépendantes.

Parlons maintenant des figurants dans ces deux romans. Nous constatons qu’ils possèdent tantôt une individualité, tantôt une fonction, tantôt les deux. Dans Regain, les actions des figurants, comme la Mamèche et Gaubert, agissent directement sur le changement de Panturle et du village. Nous observons que les actions de chaque figurant sont des actes de solidarité, leurs actions contribuant aux protagonistes. Quant aux figurants du Hussard, ils se contentent de passer dans la vie d’Angelo. Leur rôle n’a pas de prise sur le chemin d’Angelo. Il n’y en a qu’un seul qui marque Angelo, c’est le petit Français, le premier personnage qui lui présente la situation du choléra et montre le traitement pour soigner cette maladie. Nous constatons que les différents figurants donnent une leçon au héros, mais ils ne changent jamais le comportement ou l’apparence d’Angelo. Sur ce point, la manière d’utiliser les figurants dans ces deux romans est différente.

Dans Regain, Giono présente seulement un groupe de figurants qui contribue à la réussite des deux protagonistes. Ce sont la Mamèche, qui part pour chercher une femme pour Panturle, Gaubert, qui donne la charrue pour labourer quand Panturle travaille dans les champs, l’Amoureux qui prête de la sémence et un cheval. Seul, Gédémus qui vient réclamer Arsule, ne les aide en rien mais son action ne produit pas de changement sur Panturle ou la vie du village.

Dans Le Hussard, nous trouvons deux groupes de figurants, comme il a été dit ceux qui agissent et ceux qui se soumettent. Les premiers donnent à Angelo un modèle pour agir, ce sont le petit Français, le représentant de la science, la nonne de la religion, Giuseppe de la politique et le médecin philosophe de la philosophie. Tandis que ceux qui se soumettent comme les bourgeois de Manosque peignent le portrait de la dégradation de l’esprit. Mais parmi ces figurant, aucun n’a une grande influence sur Angelo contrairement à ce qui se passe dans Regain.

Pourtant nous constatons que les figurants dans ces deux romans ont une influence plus ou moins grande sur le changement des protagonistes humains et non humains. Dans Regain, nous trouvons

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qu’ ils sont complètement changés tandis que dans Le Hussard, Angelo est changé partiellement, c’est son état d’âme mais rien ne change pour ce qui est du choléra.

Maintenant, nous parlons des acteurs non-humains dans ces deux romans. Ici nous pouvons diviser les non-humains en deux groupes, ceux qui sont protagonistes et ceux qui sont des acteurs secondaires. Dans Regain, c’est le village désert qui attend l’aide de Panturle. Dans Le Hussard, c’est le choléra qui triomphe de tout. Un autre groupe c’est les acteurs secondaires, dans Regain, c’est le vent qui irrite le désir physique reproduction de Panturle et Arsule, la terre qui résiste au début et qui à la fin, devient une alliée, l’eau qui contraint Panturle à trouver une nouvelle vie, le feu qui est le compagnon et le symbole du foyer. Ces quatre éléments sont aussi adjuvants qui aident Panturle et le village dans la voie de la renaissance.

Quant aux acteurs non-humains secondaires du Hussard ce sont l’air et la chaleur, les corbeaux qui contribuent seulement à l’atmosphère inquiétante dans le roman. Nous observons que le choléra, le protagoniste non-humain détruit l’ordre de la nature, nous trouvons le changement dans le comportement des gens, des corbeaux et dans la condition de l’air et la chaleur. Tout cela montre la mutation de la nature causée par le choléra.

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Chapitre III Les modes de présentation du narrateur

Après avoir étudié la structure et les acteurs de ces deux romans, nous allons maintenant analyser les modes de présentation du narrateur. Les procédés de narration que l’on va examiner ici concernent les points de vue, c’est-à-dire comment le narrateur présente les choses. Nous allons diviser ce chapitre en trois aspects : le regard et la perspective, le discours rapporté et les signes dans l’espace.

Le point de vue est “le regard porté sur les événements racontés, ou la mémoire qui les restitue-regard et mémoire du narrateur ou d’un personnage, qui nous informent des faits dont ils ont été le témoin, le confident ou l’acteur.”116

Pour analyser cet aspect, nous devons définir deux termes importants : le narrateur et la vision.

“Le narrateur est agent de tout ce travail de construction que nous venons d’observer; par conséquent, tous les ingrédients de celui-là. C’est le narrateur qui incarne les principes à partir desquels sont portés des jugements de valeur, c’est lui qui dissimule ou révèle les pensées des personnages, nous faisant ainsi partager sa conception de la <<psychologie>>; c’est lui qui choisit entre le discours direct et le discours transposé, entre l’ordre chronologique et les bouleversements temporels. Il n’y a pas de récit sans narrateur.”117

Todorov distingue aussi trois types de perception : “1. Narrateur > personnage (la vision <<par derrière>>). Le

narrateur en sait davantage que son personnage. Il ne se soucie pas de nous expliquer comment il a acquis cette connaissance : il voit à travers les murs de la maison aussi bien qu’à travers le crâne de son héros. Ses personnages n’ont pas de secrets pour lui.

2. Narrateur = personnage (la vision <<avec>>). Dans ce cas le narrateur en sait autant que le personnage, il ne peut nous fournir une explication des événements avant que les personnages ne l’aient trouvée. D’une part le récit peut être mené à la première personne ou à la troisième personne, mais toujours suivant la vision qu’un des événements un même personnage. D’autre part, le narrateur peut suivre un seul ou plusieurs personnages.

116 Maurice MAUCUER. Le Hussard sur le toit, Profil d’une œuvre. Paris,

Hatier, 1995. p.40. 117 Todorov. Poétique 2 : Qu’est-ce que le structuralisme ? Paris, seuil, 1968.

p. 64.

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3. Narrateur < personnage (la vision <<du dehors>>). Dans ce troisième cas, le narrateur en sait moins que n’importe lequel des personnages. Il peut nous décrire uniquement ce que l’on voit, entend, etc. mais il n’a accès à aucune conscience. Le récit de ce genre est beaucoup plus rare que les autres, et l’utilisation systématique de ce procédé n’a été faite qu’au vingtième siècle.”118

En s’appuyant sur la classification de Todorov, nous pouvons appliquer cette théorie pour analyser les romans choisis en ce qui concerne le regard et la perspective.

A. Le regard et la perspective

Dans Regain et le Hussard sur le toit, La narration utilisée par Giono relève du type 1 - le narrateur > personnages - mais les événements sont toutefois rapportés selon plusieurs points de vue.

a. Le narrateur omniscient Ce type de narrateur connaît les intentions des personnages119 et

n’apparaît jamais comme personnage. Il apporte simplement le rôle de raconter ce qui se passe dans le récit. Il est omniprésent, apparaissant partout, et il adopte parfois le point de vue de l’un de ses personnages.

1. Regain Dans le premier chapitre, le narrateur conduit le lecteur dans la

diligence de Michel et nous guide pour suivre le trajet des voyageurs. Il décrit d’abord le paysage au bord de la route et le lecteur ne sait pas encore ce qui se passe, jusqu’au moment où le narrateur s’intéresse aux voyageurs dans la diligence quand ils prennent le déjeuner. A ce moment-là, le narrateur nous guide pour nous faire savoir ce qui se passe dedans sans faire le portrait des personnages dans la diligence. Il les utilise pour présenter au lecteur un lieu dont on ne connaît pas encore l’histoire.

“On a beau partir plus tard de Manosque les jours où les

pratiques font passer l’heure, quand on arrive à Vachères, c’est toujours midi.

Réglé comme une horlorge. <…>

Sitôt après le détour <<d’Hôpital>>, voilà le clocher bleu qui monte au-dessus des bois comme une fleur <…>

Le clocher de Vachères est tout bleu <…>.

118 Ibid. pp. 141-142. 119 Ibid. p.61.

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Ceux qui voyagent dans la voiture de courrier le regardent lontemps, ce clocher bleu, tout en mâchant l’andouillette. Ils regardent longtemps parce que c’est le dernier clocher avant d’entrer dans le bois, et que, vraiment, à partir d’ici le paysage change.”120

Dans ce passage, nous voyons d’abord le trajet d’ensemble de cette

diligence et l’information n’est pas pertinente pour l’intrigue. Le narrateur nous donne ensuite des informations sur Aubignane par l’intermédiaire du récit d’un voyageur qui était un ancien habitant du village. Puis, le narrateur nous fait approcher du chemin vers Aubignane. Le village n’est encore qu’un élément parmi d’autres, il n’est pas encore central dans le récit. Nous ne sommes pas encore au village et ce n’est que dans le deuxième chapitre que le narrateur situe son récit en nous présentant les habitants qui y vivent encore. Dans ce deuxième chapitre, le regard du narrateur se focalise sur Aubignane. Il regarde d’abord vaguement l’ensemble du village, puis il envisage une maison dont il évoque le propriétaire. Là, le lecteur voit un homme qui est le protagoniste principal du récit, comme il va l’apprendre peu à peu.

“Aubignane est collé contre le tranchant du plateau comme un petit nid de guêpes ; et c’est vrai, c’est là qu’ils ne sont plus que trois. C’est donc des maisons qu’on a bâties là, <…>. Pas tout : il y a une maison qui s’est comme décollée, qui a coulé du haut en bas, toute seule, qui est venue s’arrêter, les quatre fers d’aplomb au bord du ruisseau, à la fourche du ruisseau et de ce qu’ils appelaient la route, là, contre un cyprès.

C’est la maison de Panturle. Le Panturle est un homme énorme. <…>.”121

Dans ce passage, le narrateur guide le lecteur peu à peu vers la

maison de Panturle. La récit utilise ainsi à une technique du cinéma. C’est la continuation du premier chapitre. Puis ce regard glisse vers un endroit qui est nommé dès la première ligne. Le narrateur précise ainsi ce qu’il avait déjà présenté dans la partie précédente qui offrait seulement un regard général sur le pays. Maintenant le lecteur sait alors pourquoi on a donné ces quelques informations sur le village désert et ses trois

120 Regain. pp. 1-3. 121 Ibid. p. 11.

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habitants. Nous pouvons dire que l’information des voyageurs sur ce village a pour fonction de présenter rapidement le village et sa situation. Alors que dans le premier chapitre, ces détails perdus parmi d’autres ne semblaient pas pertinents, ils acquièrent ici une importance nouvelle et dès lors, le lecteur se doute que le village est le lieu central du récit.

Dans ce passage nous trouvons plusieurs points intéressants. Premièrement, le narrateur continue le récit d’un des voyageurs de la diligence en confirmant que dans le village il ne reste que trois habitants. De la sorte, dans le récit s’entremêlent en se prolongeant des récits du narrateur et ceux d’autres personnages. Après, le narrateur continue à décrire le paysage de ce village. La description nous montre ainsi les différentes parties du village. Le narrateur pose le lieu où se situe le récit, avant de présenter le protagoniste humain. Il commence ce chapitre en présentant les deux protagonistes principaux, Panturle et le village. Puis le narrateur présente rapidement les trois personnages restant au village en racontant en quelques mots leur histoire et en faisant une esquisse de leur aspect physique.

Une autre remarque qui peut montrer le statut du narrateur omniscient qui peut voir dans la tête des personnages est la scène où Panturle demande du blé à l’Amoureux. La femme de l’Amoureux va alors chercher la provision pour Panturle :

“- Prends-le tout, alors, dit Alphonsine (la femme de l’Amoureux).

De voir qu’on lui (Panturle) donne tout, ça lui fait douleur, ça lui fait cligner les yeux comme s’il mâchait du laurier.”122

Une autre scène qui peut exprimer la qualité du narrateur

omniscient c’est quand Panturle est en train de parler avec la Mamèche après le départ de Gaubert :

“Ils sont comme un long moment sans rien dire.

- Fils, dit la femme. - La mère ! répond Panturle.

Parce que, tout soudain, dans ce silence qu’ils ont eu, il a pensé à sa mère, morte aussi et mangée par l’osier, en bas…”123

Ce passage reflète la pensée de Panturle qui est perçue par le narrateur. Nous pouvons dire que le narrateur voit l’émotion de la

122 Ibid. p. 95. 123 Ibid. p. 24.

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Mamèche qui comprend les sentiments de Panturle après le départ de Gaubert. Donc, elle dit <<Fils>> pour le soulager.

On trouve aussi parfois des passages où le narrateur émet un jugement sur ses personnages. La scène qui suit se passe quand Gédémus parle d’une femme nommée Arsule qu’il a ramasser dans la rue. Certes, son interlocuteur connaît bien cette femme, mais pour le lecteur c’est la première fois qu’il entend parler d’elle.

Ce récit intervient quand Gedémus entre dans le tabac pour faire des provisions de cigarettes pour un long voyage :

“- Tu mènes Arsule ? - Tu veux que je la laisse ? - Non, mais c’est pour dire. Tu es un bandit, Gédémus ; tu ne

peux plus vivre sans cette femme. - Ah! Tu te fais des idées. A mon âge…ça te passera avant que ça me revienne. Tu ne vois pas que je lui fais traîner la voiture ? Arsule?

Ah, c’est toute une histoire ! Arsule, elle s’est d’abord apellée Irène.<…>(le retour en

arrière) Dans le village, on l’a appellée Arsule. C’est plus facile à

dire qu’Irène c’est un nom de la ville, et puis c’est un mensonge. Arsule, c’est le nom qui est ici. Depuis ce temps, elle reste avec Gédémus. Elle lui fait la soupe.

Et tout.”124 Après avoir parlé avec quelqu’un qu’il connaît, une question est

posée : Qui est Arsule? Ici c’est la manière de présenter le personnage. Il en est question par deux personnage qui la connaissent bien et ensuite par le narrateur qui nous raconte son histoire. Avant de passer à l’histoire d’Arsule, nous voyons un espace typographique, utilisé pour passer d’une partie à une autre dans le même chapitre, c’est-à-dire le retour en arrière sur le passé d’Irène.

Dans ce passage nous voyons le passé d’Arsule, par le regard du narrateur qui parle de cette femme avec un ton apitoyé. Le changement du nom de cette femme. Melle Irène le nom de la ville et Arsule le nom qui est ici. Il a pitié d’elle et la montre dans des situations humiliantes.

124 Ibid. pp. 38-41.

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2. Le Hussard sur le toit Comme dans Regain, l’histoire du Hussard est racontée par le

narrateur de type 1, c’est-à-dire le narrateur qui connaît les sentiments de ses personnages. Observons la manière que le narrateur utilise pour regarder Angelo, le protagoniste principal, dans une des premières scènes du roman.

“Il n’y avait dans la cuisine qu’un vieillard et beaucoup de mouches. Cependant, sur le poêle bas, enragé de feu, à côté d’une chaudronnée de son pour les cochons, la cafetière soufflait une si bonne odeur qu’Angelo trouva cette pièce toute noire de suie tout à fait charmante. Le son pour les cochons lui-même parlait un langage magnifique à son estomac peu satisfait de son souper de pain sec.”125

Cette scène se produit après le réveil d’Angelo dans la nature; il a faim et il veut quelque chose à manger. Il s’arrête à la première ferme qu’il voit. Le narrateur guide notre regard dans la cuisine de cette maison. Au début, nous voyons la description extérieure par les yeux d’Angelo. Puis le narrateur mentionne l’odeur de café en incluant à la fin de la phrase un jugement du personnage sur ce qu’il a vu et senti : <<….Angelo trouva cette pièce toute noire de suie tout à fait charmante>>. Par ces quelques mots nous voyons la contradiction entre l’image dégoûtante et les sentiments du protagoniste. Bien que la cuisine soit noire et pleine de mouches, Angelo la trouve charmante. C’est une image paradoxale du sentiment et de l’atmosphère. Maintenant, regardonsons un autre exemple, avec un passage que se trouve peu après celui qui vient d’être cité, qui nous montre le jugement du narrateur sur son personnage :

“Elle (la propriétaire de la ferme) refusa d’être payée (pour

la nourriture qu’elle lui avait offerte) et même se mit à rire parce qu’il insistait, et elle repoussa le porte-monnaie sans façon. Angelo souffrit d’être très gauche et très ridicule : il aurait bien voulu pouvoir payer et avoir le droit de se retirer avec cet air sec et détaché qui était la défense habituelle de sa timidité. Il fit rapidement quelques amabilités, et mit le porte-monnaie dans sa poche.

125 Le Hussard sur le toit. p 12.

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La femme lui montra sa route qui, de l’autre côté de la vallée, montait dans les chênaies. Angelo marcha un bon moment de silence, dans la petite plaine à travers des prés très vert. Il était fortement impressionné par la nourriture qui avait laissé un goût très agréable dans sa bouche. Enfin, il soupira et se mit son cheval au trot.”126

Dans ce passage, nous voyons Angelo émettre un avis qu’il tait.

Sur ce point, le narrateur nous montre le sentiment d’Angelo et il donne aussi son jugement : Angelo souffrit d’être très gauche et très ridicule. Le narrateur montre le sentiment d’Angelo par le verbe <<souffrir>> et en plus il le commente par les adjectifs <<très gauche et très ridicule>>. Un autre remarque est que le narrateur ajoute un signe extérieur qui montre le symptôme : Il soupira… mais il ne donne pas l’explication sur ce qu’il a déjà évoqué.

Aussi, dans Le Hussard, il est fréquent que les personnages soient

montrés par un simple détail de leur habillement ou de leur apparence, c’est-à-dire à travers le regard morcelé, procédé que l’on ne trouve pas dans Regain.

Le lecteur ne voit pas les personnages directement mais par l’intermédiare d’une petite partie de leur apparence. La citation suivante illustre cette technique :

“Elle (la route) était droite et il avait fait à peine une centaine

de pas qu’il vit un cavalier qui venait au trot. Et même qui menait par la bride quelque chose qui devait être le cheval échappé. En fait Angelo reconnut son cheval. L’homme montait comme un sac de cuillers. <<Attention, se dit Angelo, à ne pas perdre la face devant un paysan qui va certainement rester bouche bée de la belle histoire que tu vas lui raconter, mais après fera des gorges chaudes de ton visage défait.>> Cela lui redonna des jambes et il attendit, raide comme un piquet, en préparant une petite phrase très désinvolte. Le cavalier était un jeune homme osseux à qui les secousses du trot faisaient sauter de longs bras et de longues jambes. Il était sans chapeau, quoique vêtu d’une redingote bourgeoise, et sans cravate ; la redingote d’ailleurs était toute salie de poussière de foin

126 Ibid. p. 13.

88

et même de la saleté plus grossière, comme s’il sortait d’un poulailler.”127 Cette scène raconte la rencontre d’Angelo avec le petit Français

dont nous prenons connaissance par bribes. D’abord, le narrateur, du point de vue d’Angelo, voit de loin un cavalier. Mais ce qu’il voit ici n’est pas encore très clair. Puis on voit qu’il n’est pas seul, il tient un autre cheval et le regard d’Angelo passe rapidement de l’homme au cheval qu’Angelo reconnaît comme le sien. Puis le regard retourne à l’homme, avec un jugement d’Angelo aux styles indirect et puis direct. C’est la technique de changement de point de vue, c’est-à-dire que l’on voit d’abord l’apparence, puis on entre à l’intérieur de la pensée et puis on apprend son jugement. Le narrateur nous mène ensuite à regarder certaines parties du corps : <<de longs bras et de longues jambes.>> Ensuite, il fait passer son regard plus haut vers la tête : <<Il était sans chapeau.>> Et après, il présente une vue ensemble de cet homme : avec les vêtements qu’il porte <<la redingote toute salie.>>

Un autre passage peut illustrer cette technique de description

partielle lorsque Angelo, accompagné de Pauline, rencontre le médecin philosophe :

“Ils (Angelo et Pauline) étaient là depuis un certain temps

fort déconcertés par la violence de l’orage quand ils entendirent un bruit étrange : c’était celui que faisait l’averse sur un grand parapluie bleu.

L’ustensile étonnant par sa couleur et ses dimensions semblait lutter seul contre la bourrasque tant il dissimulait parfaitement celui qui le portait. C’etait cependant un gros homme jovial, sangle dans redingote très insolite.”128

Dans cette scène, le lecteur suit le regard d’Angelo qui est attiré par <<un bruit étrange>> au milieu de l’orage. Après, nous comprenons que c’est le bruit de la pluie sur un parapluie, ensuite, apparaît un personnage qui tient le parapluie. Cette description commence ainsi par un objet puis élargit pour montrer le personnage dans sa totalité.

127 Ibid. p. 55. 128 Ibid. p. 459.

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b. Le jeu des regards

1. Regain Une autre technique utilisée dans Regain consiste à raconter une

même scène selon deux points de vue différents. “la pluralité des perceptions nous donne une vision plus

complexe du phénomène décrit. D’autre part, les descriptions d’un même événement nous permettent de concentrer notre attention sur le personnage qui le perçoit car nous connaissons déjà l’histoire.”129 Cette analyse de Todorov apporte une explication à une scène qui

est vue deux fois successivement par le regard de deux protagonistes. Cela est plus complexe et centrée à la vision de chaque personnage.

Dans Regain, comme le narrateur est omniprésent et omniscient, il peut voir à la fois avec les yeux de Panturle et d’Arsule. Il est aussi omniscient en entrant dans la pensée de ces deux protagonistes.

La scène suivante se produit quand Arsule arrive à Aubignane tandis que Panturle vient de retourner à la maison avec le corps ensanglanté d’un renard.

1.1 Aux yeux d’Arsule :

“Devant la maison, il y a de l’herbe verte et douce. Il y a le cyprès et, comme un fait exprès, une voix bonne à entendre, douce à l’oreille. Et puis il y a des abeilles qui ont niché sous une tuile et qui grondent là, dans le ciel. Et puis, comme un miracle, à n’y pas croire, à s’en frotter les yeux, il y a un tout petit lilas fleuri. <…>

Elle (Arsule) est assise dans l’herbe <…>. Elle ouvre son corsage. Elle sort ses seins. Ils sont durs et

chauds et elle en a un dans ses mains… C’est à ce moment-là qu’elle a vu sur le seuil blanc de la

porte une flaque de sang épaisse comme une pivoine.”130

Nous prenons connaissance d’abord de la perception d’Arsule qui regarde avec un regard objectif. Elle regarde les choses avec une certaine

129 Tzvetan TODOROV. “Les catégories du récit littéraire” in La Communication No 8. p.142.

130 Ibid. p. 58.

90

émotion mais sans que ce qu’elle voit ait une valeur affective. Dans cette scène, Arsule regarde les choses point par point : <<l’herbre verte, le cyprès, des abeilles, le lilas fleuri>>. Puis le narrateur reprend la parole. Cette fois Arsule est regardée de l’extérieur. Le narrateur décrit l’action de la femme d’un point de vue contradictoire : <<Elle ouvre son corsage. Elle sort ses seins. Ils sont durs et chauds et elle en a un dans ses mains…>>. A la fin le narrateur partage le regard d’Arsule quand elle voit la trace de sang au seuil de la maison. Le regard d’Arsule s’arrête. Il n’y a pas de commentaire sur ce qu’elle voit.

A quelques pages suivantes, nous trouvons la même scène, mais cette fois vue par les yeux de Panturle.

1.2 Aux yeux de Panturle :

“Il (Panturle) est revenu à la maison. <…>. Il a pendu le renard sur son seuil pour écorcher. <…> Il y a aussi du sang sur l’escalier de la porte. <…>. Il les (Gédémus et Arsule) voit. Il la voit. Il est dans l’ombre. Eux aux soleil. C’est la chasse. Elle est

jeune ! D’un bond, sans prendre garde au bruit qu’il fait, il se

dresse, il se rue vers l’escalier, car là-bas la femme a ouvert son corsage. Elle tient ses mamelles dans ses mains. <…>.

Le cyprès, le lilas, avec sa fleur à motié rongée par Caroline, les abeilles du toit qui montent et descendent et un petit vent dans le clocher, là-haut. <…>

Mais, là, dans l’herbe, une tache ronde, un nid…La femme était là. <…>”131 Dans ce cas, nous suivons les pas de Panturle qui vient de rentrer

de la chasse. Devant la maison, il y a la trace de sang du renard. Sur ce point, l’ordre du récit selon le regard de Panturle est inversé en comparaison de celui d’Arsule. Ici, le narrateur commence par le dernier élément que voit Arsule. Puis il montre l’apparition de la femme devant la maison, la femme à moitié nue fait naître un désir chez lui. Nous voyons sur ce point que le narrateur comprend ce qui se passe dans

131 Ibid. pp. 66-68.

91

l’esprit de Panturle. Dans cette scène, les mêmes éléments se répètent : << Le cyprès, le lilas, les abeilles>>.

A la fin, Panturle fixe le regard à l’endroit où était assise Arsule : <<là, dans l’herbe, une tache ronde, un nid…La femme était là.>> Pour Panturle, cette image est chargée d’histoire et de sens. Ici, les mots “une tache ronde” et “un nid” reflètent la pulsion instinctive de Panturle.

La remarque sur cette scène est que le regard de Panturle sur

Arsule nous fait allusion à la scène où il traque le renard : “Une bête est venue jouer dans la prairie. Ce devait être une

femelle de blaireau. Elle s’est mise sur le dos, le ventre en air, un beau ventre large et velouté comme la nuit et qui a été plein et lourd.”132 Chez Panturle la scène précédente exprime ses pulsions sexuelles

par le rappel : la fleur est rongée par Caroline qui n’a plus de lait, la fouille dans le ventre du renard, l’observation de la nature qui se reproduit et le rappel sur le lieu. Donc, quand il voit Arsule, sa pulsion est forte, il a des désirs sexuels.

2. Le Hussard sur le toit

Dans Le Hussard, nous trouvons un autre procédé qui ne consiste pas à faire regarder la même scène par deux personnages comme dans Regain mais à présenter différentes scènes qui se passent au même moment à des endroits différents en raison de l’omniprésence du narrateur.

Prenons un passage du préambule pour voir la manière de présenter le manière simultanée :

“Toute cette barbarie n’était pas seulement dans le sommeil

rouge d’Angelo. Il n’y avait jamais eu un été semblable dans les collines. D’ailleurs, ce jour-là, cette même chaleur noire commença à déferler en vagues tout de suite très brutales sur le pays du sud : sur les solitudes du Var <…>, sur Marseille <…>. A Aix <…>. A Rians, il y eut ,<…>,deux malades, un charretier qui eut une attaque juste à l’entrée du bourg ; porté dans un cabaret, mis à l’ombre et saigné, il n’avait pas encore repris l’usage de la parole : et une jeune fille de vingt ans qui, à peu près à la même heure se

132 Regain. p. 64.

92

souilla brusquement debout près de la fontaine où elle venait de boire ; ayant essayé de courir jusque chez elle qui était à deux pas, elle tomba comme une masse sur le seuil de sa porte. A l’heure où Angelo dormait sur son cheval, on disait qu’elle était morte.”133

Dans ce passage, nous voyons des faits étranges qui se produisent dans la région. Nous ne savons pas encore ce qui se passe et pourquoi il y a des malades. Ici, le narrateur est omniprésent, c’est –à –dire qu’il sait ce qui se passe partout : il peut voir la situation dans différents endroits : “dans les Var, sur Marseille , à Aix, à Rians. ” Mais le narrateur ne quitte jamais pour autant Angelo. Il fait la description de la situation dans différents endroits mais il retourne toujours à Angelo. Quand il montre le cas de deux malades, il annonce la mort de la fille après avoir dit ce qu’Angelo faisait précisement au même moment. Nous observons qu’au moment où l’épidémie s’est déclarée, tout est en désordre. Giono nous présente cela avec des phrases complexes qui contiennent plusieurs informations. Il y a à la fois la description de la nature, des événements qui se produisent dans chaque région et le récit du parcours d’Angelo.

“A Draguignan, les collines renvoient la chaleur dans cette cuvette où se tient la ville ; <…>, il faisait cette fois tellement chaud qu’on avait envie de les agrandir à coups de pioche pour pouvoir respirer. Tout le monde s’en alla dans les champs ;<…>; on mangea des melons et des abricots <…>.

On mangea également du melon à la Valette et, juste au moment où Angelo passait sous les rochers d’où coulait l’odeur des œufs pourris , <…>.

On mangea formidablement des melons dans la vallée du Rhône. <…>

Il y avait énormément de melons dans les villes et les villages de toute cette vallée. La chaleur leur avait été favorable. Il était impossible de songer à manger quoi que ce soit : pain, viande faisaient lever le cœur rien qu’idée. On mangeait des melons. <…>”134

Nous retrouvons que la technique décrite plus haut dans ce passage

où le lecteur suit les pas d’Angelo en même temps mais avec une

133 Le Hussard sur le toit. pp. 24-25. 134 Ibid. pp. 25-26.

93

différence : dans cette partie, le narrateur repète certains mots plusieurs fois sous une forme ou sous une autre. Mais ce qui est changé est l’utilisation d’adverbes. Nous voyons <<également, formidablement et énormément>>. Ces trois adverbes évoquent l’évolution d’un certain fait étrange. L’ambiance créée par le narrateur nous donne une impression inquiétante. Ici, l’histoire de melon est liée à celle de choléra. Peu après, le narrateur nous fait rapidement le résumé de la situation de la maladie en général avant d’apporter plus de précisions sur certaines régions et certains personnages :

“A Orange, Avignon, Apt, Manosque, Arles, Tarascon, Nîmes, Montpellier, Aix, La Valette,<…>, Draguignan, et jusqu’au bord de mer, à peine si l’on eut (mais dès le début de l’après-midi, il est vrai ; au moment où Angelo dans son sommeil, secoué par le pas du cheval, avait envie de vomir), à peine si l’on eut à s’inquiéter d’une morte ou deux dans chaque endroit et de quelques indispositions plus ou moins graves, toutes mises sur compte de ces melons et tomates qu’on mangeait partout sans retenue. On soigna ces malades avec de l’élixir parégorique sur des morceaux de sucre.”135

Après cette scène, le regard du narrateur ne passe plus d’une région

à l’autre. A partir de ce moment, il se concentre au même moment sur seulement quatre personnages : un médecin juif à Carpentras, un médecin inspecteur de la marine de guerre à Toulon, Madame de Théus à la Valette, et surtout, Angelo sur la route.

“Angelo se remit en route. <…> C’était le même moment où le médecin inspecteur de la

marine disait : <<Tant pis>> et s’en retournait dans Toulon. C’était aussi exactement le moment où le médecin juif était rentré précipitement chez lui, ayant parlé à sa femme, lui ayant fait préparer une petite valise pour elle et leur petit fille de douze ans, cette femme grasse, aux yeux de bœuf et nez d’aigle quittait Carpentras <…> A ce moment là, Angelo voyait les splendeurs barbares du terrible été dans les hautes collines : <…> A cet instant précis où il (Angelo) se demandait pour la centième fois si le soir viendrait-s’étant tourné cent fois vers l’est,

135 Ibid. pp. 28-29.

94

imperturbablement d’ocre pur-le temps s’était arrêté à la Valette où la femme de cuisine pourrissait avec une extraordinaire vitesse devant les quelques personnes du village, plus la jeune madame, restée là pour faire honneur à la morte <…>. Angelo voyait peu à peu s’ouvrir autour de lui la région de châtaigneraies trouées de rochers et de villages qu’il avait vue, dès le matin, du haut de la première colline. <…>. A l’heure même où, devant le cadavre, la jeune madame pensait : <<Il y a à peine quelques heures que j’ai envoyé cette femme en bas pour aller m’acheter des melons>> .”136

Cette longue citation, d’ailleurs écourtée, forme un seul

paragraphe. Nous pouvons dire que c’est la réflexion du narrateur qui se concentre surtout sur ces quatre lieux. Pour ce qui concerne Angelo, le narrateur le présente en même temps qu’une description de la nature. Le narrateur voit la route comme Angelo. Nous apprenons peu de sa pensée. Nous suivons seulement son regard de voyageur qui cherche sa route.137 Pour les autres personnages, on ne connaît pas beaucoup de détails sur eux. Nous savons seulement où ils sont, et très peu ce qu’ils font. Le narrateur nous donne un peu plus d’informations sur la famille du médecin juif. Nous avons le portrait de sa femme, l’âge de sa fille mais tout cela n’est pas pertinent pour le récit. Pour le médecin inspecteur, le narrateur nous rapporte ses propos par discours direct :<<Tant pis>> mais cela n’a pas encore de sens pour nous. Pour ce qui est de Madame de Théus, c’est le seul personnage que le narrateur perçoit dans la tête, en plus d’Angelo, dans duquel le narrateur nous fait pénétrer. Mais pour les deux autres, l’information donnée par le narrateur ne contribue pas au récit mais à l’atmosphère.

Ce qui est intéressant dans ce passage est la manière de présenter les choses du narrateur. Il emprunte le regard de chaque personnage qui est dans une région différente pour évoquer les situations. Peu après, il s’arrête sur chacun des personnages pour observer de près ses activités, et il nous transmet aussi la pensée des deux médecins. Cependant, ce qu’il nous rapporte jusqu’à la fin de chapitre ne permet pas de dissiper le doute. Il se contente d’installer une atmosphère inquiétante.

La vision simultanée de cette partie se termine avec la cérémonie d’enterrement de la femme de cuisine de Madame de Théus. Et après le

136 Ibid. pp. 31-32. 137 Maurice MAUCUER. Le Hussard sur le toit, Profil d’une œuvre. Paris,

Hatier, 1995. p.42.

95

regard du narrateur se fixe sur Angelo qui est toujours sur la route. Dès ce moment-là, nous ne trouvons nulle part dans le récit ce type de vision simultanée mais au contraire… B. Le discours rapporté

Le dialogue dans le récit littéraire est le produit de la transposition de discours oral en discours écrit. Nous trouvons trois types de discours :

- Le discours direct défini ou le dialogue, les propos des personnages sont rapportés entre guillemets ou introduits par un tiret.

- Le discours indirect qui est la transposition de la parole dans le récit avec un verbe introductif (ex : Il dit que…).

- Le discours indirect libre est un mélange de deux types précédents mais nous ne trouvons pas de verbe introductif.138

Regardons comment ces trois types sont représentés en observant

d’abord Regain. a. Regain

1. Le discours direct 1.1 Des phrases courtes mais lourdes de sens

La scène suivante a lieu au moment où Panturle et Arsule viennent de voir l’Amoureux au lieu de rendez-vous pour recevoir les semences. Ce passage est un bon exemple de la forme que Giono donne au dialogues.

“Ils (Panturle et Arsule) sont allés chercher le blé. L’Amoureux les attendait à Reine-Porque. Les sacs étaient déchargés près de la fontaine. - Tu vois, il a dit à l’Amoureux, ça c’est ma femme. Et à Arsule :

- Ça tu vois, c’est un ami, ah oui ! - Il faudra venir un jour à la maison, a dit l’Amoureux, ça fera plaisir à Alphonsine. Et il est reparti avec sa charette. Il y avait six gros sacs de blé près de la fontaine. Panturle s’en est chargé un sur le dos.

138 Eric BORDAS. L’analyse littéraire : notion et repère. Paris, Nathan, 2002.

pp.133-134.

96

- Je vais et je reviens ; toi, tu gardes les sacs pendant. Comme ça jusqu’au dernier. Avec celui-là sur l’épaule il a dit. - On a gagné la journée. On revient par plateau. J’en ai assez de monter, descendre.”139

Nous pouvons dire que la structure de ce dialogue est très simple

mais lourde de sens. Observons l’utilisation de la phrase simple avec <<Sujet + Verbe + Complément d’objet.>> Nous pouvons voir dès le commencement quand Panturle présente Arsule à un ami : “Tu vois, ça c’est ma femme” et “ça tu vois, c’est un ami, ah oui !” L’auteur utilise “ça” pour présenter une personne à une autre. La phrase courte donne peu d’informations. Dans le roman, le narrateur ne fait jamais le récit de la relation de Panturle et l’Amoureux. Sur ce point, nous voyons aussi des allusions à des événements qui ont eu lieu avant. Pour Arsule, elle sait que Panturle va demander de l’aide à un ami qui habite dans le village voisin. Pour l’Amoureux, Panturle l’informe qu’il a une femme. Mais tous les deux ne sont pas encore rencontrés. Et cette fois, le rendez-vous leur permet de se voir l’un l’autre. Une autre remarque est que ce dialogue est sous une forme réduite au minimum. Le narrateur ne donne pas le reste de cette conversation. Il donne seulement quelques signes extérieurs comme : “c’est un ami” et “Il faudra venir un jour à la maison, <…>, ça fera plaisir à Alphonsine.” Tout cela évoque l’amitié de ces deux hommes. 1.2 Les propos rapportés par les personnages Le passage que nous allons regarder est la scène où Panturle raconte l’histoire de la Mamèche à Arsule après avoir trouvé son corps sur le plateau.

“Le soir, il s’est mis sur la pierre de l’âtre et il s’est mis à

parler. - Une ici qui aurait eu plaisir à nous voir ensemble. - Qui ça ? a demandé Arsule. - Une d’ici. On y disait la Mamèche. Elle était tout le temps à me dire : “Prends femme, prends.” Tant qu’elle avait dit : “Et si tu veux je vais te la chercher.” Tant qu’elle a dû partir pour y aller. A ça Arsule n’avait que répondre, sauf à tirer sa petite moue.

139 Regain. p. 103.

97

- …tant qu’elle a dû partir pour y aller et qu’elle y est morte.”140 Dans ce passage, nous lisons un dialogue directe où sont rapportés

des propos d’un autre personnage. Panturle raconte à Arsule que la Mamèche insistait pour qu’il prenne une femme. Ici, Panturle rapporte les paroles de la Mamèche : “Prends Femme, prends.”,“Et si tu veux je vais te la chercher.” Le lecteur sait déjà cela. Le fait est ainsi parce que le narrateur veut que la Mamèche est un des éléments qui ont mené ces deux personnes à se rencontrer pour faire revivre le village.

1.3 La suggestion

Le passage qui suit se passe après le rendez-vous avec l’Amoureux, Panturle prépare l’équipement avant d’aller travailler dans les champs.

“Pendant trois jours, ça a été comme sur un navire. Pas de

répit. Toujours la main sur quelque chose. Le premier jour, tout le temps, c’était des : <<Arsule, donne-moi le tournevis.>> <<Arsule, en fouillant, t’as jamais vu une boîte comme ça où il y avait des outils ?>> Et puis à la fin, vers le soir, il a crié : <<Arsule, viens voir.>> Et voilà : devant la maison, dans l’herbe fraîche, posée sur le pré comme sauterelle, il y avait la charrue toute prête. - Avec ça…a fait Panturle.”141 Par cette scène nous voyons que, en travaillant, Panturle parle avec

sa femme. Le narrateur rapporte seulement les propos de Panturle et non ceux d’Arsule et ne nous montre pas ce que Panturle est en train de faire. Il se contente de le suggérer. Il informe le lecteur par des paroles non explicites pour la compréhension du récit.

2. Le discours indirect : la pensée inconnue du

personnage Le récit des rêves montre que le narrateur peut pénétrer dans la tête

du personnage. Ici, Panturle rêve d’une femme, son rêve reflète sa pulsion :

140 Ibid. p.106. 141 Ibid. p.107.

98

“Il s’est recouché, il s’est endormi, et, tout de suite cette femme qu’il veut, il l’a eue là, allongée contre lui. C’est de la chair blanche , c’est contre lui du genou jusqu’à la poitrine. Il s’est réveillé comme un bloc de bois qui a plongé remonte au-dessous de l’eau. Il est étendu sur le ventre. Il s’est remis sur le dos.”142 3. Le discours indirect libre : la remarque du narrateur

Le passage suivant se situe au moment où Arsule et Gédémus arrivent au village. Le narrateur présente les bruits que Panturle entend et il y ajoute certaines remarques que se fait le personnage :

“On entend marcher sur le chemin du village. Il écoute, et

c’est bien un pas qui bouge sur les pierres. La Mamèche ? Non, une voix d’un homme, et puis un autre voix répond qui

lui fait tressaillir tout le cœur et lui jette à la figure toute la chaude honte d’avoir patouillé avec les mains dans le sang (du renard).

<…> Il n’ettend plus de bruit. Il sait qu’ils se sont couchés dans

l’herbe. Il se baisse. Il délace ses grands souliers. Il va sur ses pieds nus jusqu’à la porte. Oui, il sont là.

Pour les voir ?…Du grenier…”143 Dès le début du passage, nous trouvons d’abord le pronom personnel “on”. Ici, le narrateur centre son attention sur Panturle, donc celui-ci fait partie de l’expérience de ce “on”. Le narrateur peut partager cette sensation. Panturle se questionne dans sa tête “La Mamèche ?” La reflexion de Panturle est transmise en forme de discours indirect libre. Sur ce point le lecteur peut partager le point de vue du protagoniste qui fixe son attention sur les bruits de conversation des nouveaux visiteurs. Il s’interroge dans la tête et il se fait aussi une remarque : “Oui, ils sont là.”

142 Ibid. p. 64. 143 Ibid. pp. 66-67.

99

b. Le Hussard sur le toit

1. Le discours direct 1.1 Des phrases courtes

Le passage suivant est la conversation entre Angelo et la nonne. et se situe après la descente des toits d’Angelo :

“<<Qu’est-ce que tu veux ? dit-elle - Rien, dit Angelo. - Qu’est-ce que tu fais là ? - Rien. - As-tu peur ? - Ça dépend de quoi. - Ah ! Tu es de ceux-là qui font dépendre leur peur de quelque

chose ! Et de l’enfer, as-tu peur ? - Oui, ma mère. - Eh ! bien, est-ce que ça ne suffit pas ? Veux–tu m’aider, mon

petit ? - Oui, ma mère. - Bénie soit la gloire du Seigneur en son siège ! Il ne pouvait pas

m’abandonner. Es-tu fort ? - Moins que d’ordinaire parce que je n’ai pas mangé à ma faim

depuis quelques jours, mais j’ai de la bonne volonté. - Ne flatte pas. Pourquoi n’as-tu pas mangé à ta faim ? - Je suis perdu dans cette ville. - Tout le monde est perdu dans cette ville. Tout le monde est

perdu partout. Alors tu crois qu’en mangeant tu seras fort ? - Il me semble. - Il me semble. C’est juste. Eh ! bien, viens manger.>>

Elle lui donne du fromage de chèvre. <<Ces gens ne vivent que de fromage de chèvre>>, se dit Angelo. <…> - Je te materai, dit-elle. Prends ça et mets-le.>>

C’était une longue chemise blanche pareille à celle dont étaient revêtus les charrieurs de cadavres.

<<Attendez que j’entre dans mes bottes, dit Angelo. - Dépêche-toi et prends cette sonnette.>> Elle était debout. Elle attendait. <…> <<Allons, viens !>> Elle le précéda tout le long du cloître. Elle ouvrit une porte. <<Passe>>, dit-elle.

100

Ils étaient dans la rue.”144 Dans le chapitre précédent, nous avons presque tout le temps un

monologue d’Angelo. Quand il descend des toits, la première personne qu’il rencontre c’est la nonne. Nous voyons au début du chapitre VII Angelo échanger avec elle une longue conversation dont nous avons citédes extraits. Observons que les phrases dans cette conversation sont courtes mais se présentent en grandes quantités. Nous trouvons que cette conversation nous donne quelques informations. C’est l’ouverture à une nouvelle expérience d’Angelo. Cette fois il doit s’approcher des morts. Nous voyons que les deux personnages parlent de la peur. C’est comme si la nonne voulait tester la qualité d’Angelo pour voir s’il était prêt à aller dans les rues pour affronter le choléra. Cette fois, il ne s’enfuit plus.

1.2 La pensée en discours direct

La scène qui suit se produit quand Angelo souffre de la faim et de la soif. Il réfléchit sur ce qu’il doit faire et il se demande ce qu’il pourrait faire pour survivre :

“Il (Angelo) regagna la galerie. <<Je suis prisonnier de ces toitures, se dit-il. Si je descends

dans la rue, voilà le sort qui m’attend.>> Il resta très longtemps dans la sorte de rêverie hypnotique. Il

ne pouvait plus penser. Le clocher sonna. Il compta les coups. C’était onze heures.

<<Et manger ?>> se dit-il. Et il commença à souffrir de la faim. <<Et boire ? Est-ce qu’ils font comme en Piémont ici ? Il y a toujours une chambre de resserre, presque sous les toits. Voilà ce qu’il faut que je trouve. Et boire. Surtout ici dessus avec cette chaleur ! Je peux, certes, dans cette maison descendre jusqu’à la cave. Mais ils sont tous morts du choléra. Voilà une imprudence que je ne commettrai pas. Il me faut trouver une maison où les gens sont encore vivants, mais avec ceux-là ce sera moins facile. Toutefois c’est ce qu’il faut faire.>>” 145

Dans ce passage nous trouvons l’utilisation du verbe “se dire”

comme verbe introducteur. Cela annonce au lecteur les réflexions du personnage. Angelo se parle à lui-même mais nous entendons sa pensée

144 Le Hussard sur le toit. pp.187-188. 145 Ibid. p. 145.

101

par l’intermédiaire du narrateur. La pensée du personnage est introduite en style direct. Le narrateur nous montre directement ‘le courant de conscience’146 du personnage. Nous voyons aussi l’utilisation du pronom personnel : “je”, dans ce cas là c’est “Angelo”.

Nous voyons d’abord dans ce passage qu’Angelo se pose à lui- même les questions : <<Et manger ?>>, <<Et boire ?>>. Puis, nous voyons le déroulement de ses pensées. Il se fait un projet dans la tête pour choisir le meilleur moyen de chercher quelque chose à manger et à boire. Il réfléchit sur les avantages et les désavantages de ce qu’il va faire. Et finalement, il trouve la solution à son problème. Il décide de descendre dans les maisons en cachette, pour trouver de la nourriture.

2. Le discours indirect

2.1 Résumé d’une histoire Après avoir quitté Manosque, Angelo poursuit son chemin en quête

de son frère de lait, Giuseppe. Il demande à plusieurs personnes s’ils le connaissent, mais personne ne le connaît. Il n’y a qu’un garçon qui puisse guider Angelo vers lui. En chemin ce garçon lui raconte la situation du choléra qui s’est répandu maintenant dans toute la région.:

“Angelo cessa de jouer le jeu auquel il se complaisait et il se

mit à parler avec le garçon. Celui-ci lui raconta qu’ici on devait s’estimer heureux mais à Marseille, dans certaines rues, les morts étaient entassés plus haut que l’imposte des boutiques. Aix aussi était dévasté. <…> A Avignon il y avait également un délire ; <…>”147

La conversation entre Angelo et ce garçon est présentée en discours indirect. Et en général c’est surtout le garçon qui parle, Angelo est celui qui écoute. Ce garçon joue un rôle d’informateur qui entre en scène pour apporter quelques informations, surtout sur la situation du choléra.

La scène suivante a lieu après la rencontre entre Angelo et Giuseppe. Ils parlent de diverses histoires pendant longtemps. Remarquons que Giuseppe parle plus qu’Angelo, qui est en genéral assez taciturne.

146 Bernard VALETTE.Esthétique du roman moderne. Paris, Nathan. p. 114. 147 op. cit. pp.247-248.

102

“Angelo raconta ses aventures avec le petit Français. <<Tu mériterais que je te mette ma main sur la figure lui dit

Giuseppe. Que diraient la duchesse et ma mère si je te laissais mourir, et surtout si tu meurs de façon ridicule ? <…> Il y a dans le corps des cholériques des poussières qui volent de tous les côtés. Et rien de plus commun que de mourir d’une poussière qu’on a respirée. Tu es trop bête. <…>”

Angelo lui dit qu’en arrivant à Manosque il avait failli être perdu. Giuseppe se mit à rire.

<<Eh ! bien, ils n’y allaient pas avec le dos de la cuillère !>> Angelo se fâcha tout rouge. Il se souvenait de la voix

glapissante de Michu(un ami italien),<…>. <<Oui, dit Giuseppe, Michu est un bon bougre et il y va bon

cœur bon argent. <…>. >> Le ton froid avec lequel Giuseppe parlait de cet événement jeta

de l’huile sur le feu. Angelo s’emporta et il se laissa même aller àun peu de lyrisme.<…>”148

Dans cette conversation, nous entendons rarement les propos

d’Angelo. La plupart du temps c’est Giuseppe qui parle ou donne son opinion sur ce qu’Angelo raconte. C’est parce que l’auteur nous a déjà raconté les aventures d’Angelo. Cette fois il résume seulement en quelques mots. Ainsi, au lieu de répéter l’histoire de petit Français, l’auteur écrit seulement : “Angelo raconta ses aventures avec le petit Français.” Ici, il fait une éllipse car le lecteur connaît déjà l’histoire. Ces quelques mots sont seulement une allusion pour que le lecteur se souvienne de ce qui s’est passé à ce moment-là

2.2 La pensée inconnue du personnage Une autre manière de présenter les pensées intimes inconnues du

personnage avec le rêve, c’est un cas différent des deux précédents, parce que le monologue est dans la pensée du personnage au moment il a conscience, mais le rêve est toujours produit au moment où le personnage n’est pas complètement conscient.

“Il passa une mauvaise nuit. Il n’y avait que de légères bouffées d’un vent torride et puant. Il rêva qu’il était couché avec un de ses sergents qui lui soufflait à la figure l’haleine d’une infecte digestion de poireaux.<…>

148 Ibid. pp.261-262.

103

Il eut un autre rêve dans lequel apparut un coq : c’était, évidement, un coq extraordinaire. <…> Il eut encore beaucoup de rêves quoique tenu à moitié éveillé par une constante envie de vomir. Il vit notamment, une comète : elle soufflait du poison par des jets étincelants, comme un soleil de feu d’artifice. <…>”149 Les rêves d’Angelo peuvent montrer un moment de désordre dans

ses pensées. Son anxiété est monté à un point extrême, ses angoisses s’expriment dans ses rêves. Observons maintenant la structure syntaxique. Nous trouvons l’utilisation du verbe introducteur comme par exemple :“il rêva que…” et “il eut un autre rêve…” Ici le lecteur peut suivre la vision du narrateur pour voir le rêve qui se produit dans la tête d’Angelo. La présentation du rêve est sous la forme du discours indirect. C’est le narrateur qui nous rapporte ce qu’Angelo voit dans sa tête. Observons que dans ses rêves, il y a des mystères mais le narrateur n’explique pas leur sens et présente seulement les images qui défilent dans l’esprit d’Angelo.

3. le discours indirect libre Dans Le Hussard, nous trouvons plus qu’en Regain les monologues

intérieurs. N’oublions pas que les événements introduits dans Le Hussard sont transmis par la vision d’un narrateur omniscient qui ne quitte jamais son héros et qui regarde généralement de son point de vue en pénétrant dans la conscience de son personnage. Sur ce point, c’est assez différent de Regain.

Nous trouvons des monologues surtout dans le chapitre VI où Angelo s’est réfugié sur les toits de Manosque. Il doit y rester pendant plusieurs jours, seul, inactif et il commence à se parler. Le narrateur présente cela avec le discours indirect libre :

“Naturellement, ce n’est pas un duel avec le baron Shwartz

que j’appelle un moment critique, vraiment critique. Là, bien entendu, raison, logique et tout le tremblement et sang froid. Mais, moi je suis d’une froideur de glace, au naturel ; pas besoin de me rafraîchir. Il y a de quoi rire si on en doute. <…> Mais si tu entends frapper du poing et du soulier contre une porte d’église fermée et

149 Ibid. p. 161-163.

104

on crie : <<Sainte Vierge <…>! >> Qu’est-ce tu feras avec de la raison et de la logique <…>”150

Dans cette scène Angelo est sur les toits avec un chat. Il est en train de réfléchir mais cette fois ses idées sont rapportées par le discours indirect libre. Il est à remarquer qu’il n’y a pas de verbe introducteur, comme dans le passage précédent. Nous trouvons des phrases qui sont continues suivant le fil de la pensée. Une autre remarque est qu’on trouve deux formes du pronom personnel : je (Angelo) et tu (impersonnel) C. Les signes dans l’espace

Dans cette partie, nous allons observer le point de vue du narrateur qui décrit des espaces comme autant de signes extérieurs.

a. Regain L’espace peut refléter le portrait des personnages. Sur ce point,

l’auteur peint seulement l’apparence physique.

1. La maison de Panturle Voyons d’abord l’habitation de protagoniste. La maison, comme

son propriétaire, présente aussi une image différente d’avant et d’après le travail du protagoniste.

Avant le travail “Pas tout : il y a une maison qui s’est comme décollée, qui

coulé du haut en bas, toute seule, qui est venue s’arrêter, les quatre fers d’aplomb au bord du ruisseau, à la fourche du ruisseau et de ce qu’ils appelaient la route, là, contre un cyprès.”151

Dans ce passage, à première vue, on a l’impression que la maison va tomber dans le ruisseau. La localisation de la maison annonce la chute du personnage dans le ruisseau. A ce moment-là, Panturle se transforme de l’homme sauvage en homme social .

150 Le Hussard. pp. 157-158. 151 Regain. p. 11.

105

Après le travail “En entrant à la maison, l’homme (qui cherche à s’installer

au village) a eu un regard heureux pour quelque chose. Il y avait un beau jour gris, doux comme un pelage de chat. Il coulait par la fenêtre et par la porte et il baignait tout dans sa douceur.

<…> - Vous êtes bien ici, vous êtes bien. Puis : - Ça, c’est la vie ! Puis : - Quelle bonne ménagère ! Puis : - On sera voisins, de bons voisins, des choses comme il n’y a

plus qu’ici…<…> ”152 Aux yeux d’un étranger qui entre dans la maison, une impression de vie et de chaleur se dégage. Cela peut se remarquer par “un regard heureux.” Cela montre que la maison en ruine de Panturle s’est transformée en un foyer : un lieu chaleureux pour la famille.

2. La maison de la Mamèche “-La saluta, dit le Panturle en poussant la porte. Les dalles sont couvertes d’un jour qui est là, épais comme

de la paille d’étable et qui ne monte pas vers le plafond parce que les hauts carreaux de la fenêtre, on les a remplacés par les planches. Ce sont de vieilles fenêtres, et même, pour les deux carreaux du bas qui sont encore en vitre il faut se méfier, il y en a un qui commence à se décoller et on ne peut pas empêcher le vent de jouer avec. De cette façon, il n’y a jamais de la lumière que sur la moitié des gens. Il y a le jour sur la moitié de Mamèche, sur le morceau qui va des pieds nus jusqu’à la taille.”153

L’habitation de la Mamèche reflète aussi sa personnalité. Le portrait de cette femme est mystérieux, elle est un peu sorcière. Regardons l’atmosphère de sa maison, elle est aussi mystérieuse. Dedans,

152 Ibid. p. 141-140. 153 Ibid. p. 21.

106

il y a à peine de la lumière : “Il y a le jour sur la moitié de Mamèche, sur le morceau qui va des pieds nus jusqu’à la taille.”

3. La forge de Gaubert “Sa forge est au sommet du village. C’est une forge froide et

morte. La cheminée s’est battue avec le vent et il y a des débris de plâtre et de briques dans le foyer. Les rats ont mangé le cuir du soufflet. C’est là qu’il habite, lui, Gaubert. Il a fait son lit à côté du fer qui restait à forger et qu’il n’a pas forgé.”154

La description de la forge de Gaubert peut montrer clairement la condition du village. Avant tout le monde venait voir Gaubert pour lui demander de faire une charrue, il y avait beaucoup de travail à cette époque –là. Mais dans ce passage la description de la forge montre l’état d’abondon. Regardons l’utilisation des deux adjectifs : “C’est une forge froide et morte.” Ces deux mots soulignent l’état de dégradation de Gaubert, le propriétaire, et aussi l’ambiance déserte du village. Nous le voyons par sa situation : “au sommet du village.” Quand il n’y a plus d’activité dans cette forge, cela annonce aussi la mort du village.

b. Le Hussard sur le toit

1. La ville de Manosque En réalité la route est l’espace central de ce roman car nous voyons

le héros errant dans divers endroits. Mais Manosque est important car cet endroit permet à Angelo de se reposer, de faire la pause après un long trajet. Manoque est sa destination.

- les habitants en désarroi

“Vers la fin de la matinée, dans cette partie de la ville que dominait Angelo, il y eut des rumeurs puis des cris déchirants qui éclatèrent à divers endroits puis qui éclataient de tous les côtés. <…>Les cris étaient d’abord des cris de femmes puis il y eut quelque cris d’hommes. Ceux-là étaient extrêmement tragiques. <…> On commença à entendre de tous les côtés les charrois des tombereaux.”155

154 Ibid. p. 14. 155 Le Hussard sur le toit. p. 164.

107

Cette scène nous montre les bruits de la mort par la perspective du narrateur et d’Angelo quand celui-ci est sur les toits. Il ne voit pas exactement ce qui se passe dans la ville. Il entend seulement les bruits et c’est par les bruits qu’il “voit” la progression de l’épidémie. Tout est en désordre. Tout le monde vit dans cette ville avec la peur. Le narrateur ne peint pas encore l’espace matériel, mais il nous montre la condition de l’état d’âme des habitants par “le cris”. Les bruits de tombereaux accentuent encore la dégradation de la ville.

- la ville en train de mourir

“La ville ne remuait que comme un moribond. Elle se débattait dans le propre égoïsme de son agonie. Il y avait sous les murs des rumeurs sourdes comme de muscles qui se détendent, de poumons qui se vident, de ventres qui se débondent, de mâchoires qui claquent. On ne pouvait plus rien demander à ce corps social. Il mourait. Il avait assez à faire, assez à penser avec sa mort.”156

Comparons ce passage avec le précédent. La ville réflète deux points de vue : la mort de ses habitants et la dégradation de la morale dans les âmes des habitants. Tandis que les habitants crient de raison, la ville ne remuait que comme un moribond. Nous voyons sur ce point que la ville est prête à mourir en même temps que ses habitants. Nous voyons qu’il y a l’utilisation des termes d’agonie d’un malade pour présenter l’état de la ville. Tous les termes choisis sont des symptômes de l’épidémie. Nous voyons ici la méthode de personnifier la ville par ces quelques mots : << comme de muscles qui se détendent, de poumons qui se vident, de ventres qui se débondent, de mâchoires qui claquent.>> Tous ces termes conduisent au mot <<ce corps social>>, comme le narrateur agrandit l’image de la mort de chaque habitant dans la vue globale, c’est la mort aussi bien du corps, que de l’âme.

2. La maison du médecin philosophe Après avoir peint l’image de la mort et du désordre dans la ville de

Manosque, nous rencontrons une scène différente. C’est la scène chez le médecin philosophe. Malgré le désordre de la pièce, on retient une impression d’atmosphère chargée de science.

156 Ibid. p. 207.

108

“Angelo et la jeune femme furent d’abord surpris de trouver des étagères de livres au milieu du désordre inexprimable d’un tas d’autres choses. Il faisait très chaud et Angelo frissonna.

<…> La pièce était éclairée par le grand brasier de l’âtre. La haute

fenêtre qui donnait sur les ruines ne laissait pas entrer beaucoup de jour ; ses petits carreaux étaient embrumés de l’extérieur par des nuages qui passaient à ras de terre et à l’intérieur par un épais encadement de poussière. Les flammes qui jaillissaient avec assez de force d’énormes bûches permettaient de voir l’énorme entassement de meubles très riches mais fort mal entretenus et tous surchargés de gros bouquins et de tas de papiers sur lesquels s’essayaient à l’équilibre des pichets, des brocs, des bols, des cuvettes, des bouteilles, des casseroles,<…>, de toutes les formes et même des tiroirs pleins d’ustensiles de cuisine. Des étagères chargées de livres en files inclinées comme les blés sous le vent couraient tout le tour des murs. Les tables, rondes, carées ou ovales et les guéridons que le poids de la paperesse éreintait et qui inclinait leurs plateaux de droite et de gauche, les commodes, les secrétaires, les tabourets placés au hasard et entre lesquels circulait une sorte de sentier, laissaient cependant devant le feu un assez grand espace libre dans lequel étaient placés deux fauteuils se faisant vis - à - vis et une très jolie table à jeux, fine comme une belle enfant. La table portait une lampe à pompe et un livre ouvert. Tout, sauf cette table, était saupoudré de poussière blanche. De gros monticules de cendres encombraient la cheminée et portaient le brasier à un empan plus haut que la tête de chenets.”157

Dans cette description de la maison du médecin, nous trouvons l’ambiance d’un endroit mystique. L’utilisation de quelques termes peut souligner notre remarque : << Les flammes qui jaillissaient avec assez de force d’énormes bûches permettaient de voir l’énorme entassement de meubles très riches mais fort mal entretenus.>> Les flammes, les meubles anciens et aussi les étagères qui contiennent plein de livres, nous montrent la personnalité de ce médecin : c’est un savant qui, dans la scène suivante, donne une explication philosophique sur le phénomène du choléra.

157 Ibid. pp. 460-461.

109

3. Deux descriptions d’un même endroit à deux moments différents

Dans Le Hussard, nous trouvons deux scènes qui ont lieu dans le

même endroit à deux moments différents. Nous voyons le bouleversement dans la vision sur le même lieu. Nous pouvons dire que les lieux dans ces deux points de vue reflètent successivement la vie et la mort. Regardons les exemples suivants :

3.1 La grange

- L’ambiance de la vie

“On les conduisit à la grange qui était pleine de gens de tout âge et de toute condition, assis tristement sur des malles ou à côté de paniers, de valises et de baluchons.”158

- L’ambiance de la mort

“Il se trouva bientôt devant la porte large ouverte de la grange comme il en jugea par une sorte d’écho qui lui faisait face. Il n’y avait pas trace de sentinelle. Le silence de la grange était également assez surprenant. Il s’attendait à entendre des bruits de la respiration et les craquements de la paille sous les corps inquiets, mais les murs, ayant couvert le cri des chouettes, ne contenaient qu’un silence plus compact que la nuit.”159

Dans la première citation, nous trouvons la foule qui est en train de fuir de maladie mais les gens sont enfermés dans une grange. Nous trouvons l’ambiance de la vie avec <<les gens de tout âge>>. Mais dans le deuxième exemple, dans le même lieu, il n’y a pas de signe de vie. L’ambiance de ce lieu est au contraire, <<le silence de la grange était également assez surprenant>>. Cette fois, le bruit et la foule sont remplacés par le silence. Le regard du narrateur évoque d’abord la mort par le silence puis il décrit dans les pages suivantes la confrontation du protagoniste avec le spectacle de la mort. <<Les gens de tout âge qui sont assis tristement sur des malles>> sont trouvés morts dans cet endroit.

158 Ibid. p. 93. 159 Ibid. p. 105.

110

3.2 L’ auberge La scène de l’auberge se produit peu après celle de la grange.

C’est quand Angelo s’en va de la grange pour acheter une voiturette pour aider la préceptrice et les deux enfants qui sont encore à la grange. Angelo entre dans une auberge au bord de la route. Voici les descriptions de vue différents de cette auberge :

- L’ambiance de la vie “La salle de l’auberge, longue et large, contenait une

vingtaine d’hommes et de femmes ivres et qui ne se gênaient pas. Ils étaient assis autour d’une grande table d’hôte sur laquelle ils avaient fait beaucoup de ravages dans des plats, des écuelles, des bouteilles dont quelques-unes étaient renversées. La scène était éclairée par deux énormes punchs qui brûlaient dans des seaux d’écurie et par une profusion de lampes à pétrole et de chandeliers qu’on avait disposés de façon à ne pas laisser un seul coin d’ombre dans cette vaste pièce voûtée.”160

- L’ambiance de la mort “Il arriva à l’auberge comme le jour allait se lever. On voyait

encore la lueur de lampes dans la nuit élimée. Mais, là aussi, les choses avaient marché rondement. La grande salle était froide et vide. Un homme était étendu à plat ventre au milieu.<…>

Angelo fit le tour de la salle. Il y avait un autre mort accroupi derrière des chaises dans un coin.”161

Dans ces deux scènes, la présentation de la salle est complètement

différente. Regardons les adjectifs qui qualifient la salle avant et après les ravages du choléra : <<La salle de l’auberge, longue et large>> et <<. La grande salle était froide et vide.>> En plus il y a beaucoup de lumière: <<deux énormes punchs qui brûlaient dans des seaux d’écurie et par une profusion de lampes à pétrole et de chandeliers>>. Le feu aussi donne l’impression de chaleur et de vie. Tout le monde est insouciant, comme on le voit avec : <<une vingtaine d’hommes et de femmes ivres et qui ne se gênaient pas>>.

Mais peu après l’image de cette auberge est totalement changée. L’adjectifs “froide” et “vide” nous montrent immédiatement le contraire.

160 Ibid. p. 100. 161 Ibid. pp. 107-108.

111

Cette fois il y a peu de lumière : << On voyait encore la lueur de lampes dans la nuit élimée>>.

3.3 La maison des morts et celle des vivants - L’ambiance de la vie

“Une ferme importante avec maison de maître à volets verts, hangars, bergerie et communs était assise à l’aise entre de grands bassins, sous de très hauts platanes déjà cuivrés. Deux fils de fumée sortaient respectivement de la cheminée de la maison de maître et de celle des bâtiments de la ferme. Là, les gens étaient vivants.”162 - L’ambiance de la mort

“En s’approchant des maisons, il s’aperçut qu’elle bourdonnaient comme des ruches. Par les portes et les fenêtres ouvertes, il vit sortir des nuages de mouches. Il savait ce que cela voulait dire.”163

Même si ces deux scènes ne se produisent pas au même endroit, il

y a la caractéristique dans la description. Nous voyons ici deux sortes de maison. Il y a certains mot qui montrent la vie et la mort. << Par les portes et les fenêtres ouvertes, il vit sortir des nuages de mouches>> et <<deux fils de fumée sortaient respectivement de la cheminée >>, nous voyons dans ces deux phrases qu’ il y a quelques éléments qui apparaissent sous les mêmes formulations. Nous voyons deux choses différentes qui sortent de la maison. L’utilisation du verbe sortir nous montre les deux faits différents. Les mouches qui sortent sont le symbole de la mort tandis que les deux fils de fumée sont un signe de vie. D. L’analyse comparative

Dans cette partie, Giono emploie presque les mêmes techniques

dans ces deux récits avec quelques différentes marquantes dans Le Hussard sur le toit. Dans ce chapitre qui présente la notion des points de vue, nous trouvons trois points importants : la vision, le discours rapporté et la réflexion des caractéristiques des personnages dans l’espace.

162 Ibid. p. 318. 163 Ibid. p. 316.

112

Commençons par la vision utilisée dans ces deux romans. La question de vision est liée au narrateur qui voit ce qui s’est passé dans l’histoire. Ici nous trouvons deux points de vue sur le narrateur. Le narrateur est à la fois omniscient et omniprésent. Il est omniscient parce qu’il sait tout ce qui se passe et voit la pensée des personnages. Il est omniprésent parce qu’il apparaît partout. Dans Regain le narrateur apparaît dans la diligence et présente l’état d’un village désert par l’intermédiaire d’un dialogue entre les voyageurs. Plus tard, il glisse son regard et apparaît plus tard dans le village sans l’intermédiaire des voyageurs. Nous observons la manière de passer d’un plan général avant de se concentrer sur les détails. Regardons le schéma ci-dessous :

Le récit en général

dans la diligence (dans le chapitre I) (à partir du chapitre II jusqu’à la fin)

Le narrateur centre sa vision directement sur l’histoire du village et de Panturle

Nous trouvons cette technique aussi dans Le Hussard mais la manière de présentation est un peu plus complexe, c’est parce que le narrateur donne beaucoup de détails qui ne sont pas pertinents dans le récit sans centrer directement sa vision sur le personnage central. Il montre le personnage avec les détails qui ne semblent pas importants. Comme dans Regain, nous voyons Angelo et le choléra parmi différents détails sur les endroits, d’autres personnages et aussi l’environnement. Peu après, le narrateur fixe son regard seulement sur Angelo, accompagné, si l’on peut dire, du choléra tout au long du roman. Voyons le schéma suivant qui représente le regard de narrateur omniprésent dans Le Hussard. Angelo, le choléra parmi les différents détails (chapitre I.) Angelo et le choléra (à partir du chapitre II au chapitre XIV)

113

La manière de regarder du narrateur omniprésent est qu’il témoigne de ce qui se passe dans différents endroits. En même temps, il comprend le sentiment et la pensée des personnage, surtout celle d’Angelo. Mais il garde aussi une distance pour ne pas savoir plus que le personnage. Mais dans Regain, le narrateur est plus proche de Panturle, il connaît son passé, son envie, c’est-à-dire, le narrateur sait plus que les personnages. Un point remarquable est que le narrateur pénètre seulement dans la pensée des protagonistes centraux, comme Angelo, Panturle, et un peu pour Arsule mais ne pénètre pas dans la pensée de Pauline. Un autre point intéressant est l’utilisation du regard morcelé. Nous trouvons cette technique, surtout dans Le Hussard, de voir les choses seulement en partie, ce n’est pas l’image totale des choses. Giono utilise cette technique pour présenter l’apparence des personnages. Nous trouvons aussi cette manière de présentation dans Regain mais dans une seule scène, quand Panturle commence à travailler. Cela se passe sous forme de dialogue mais c’est seulement Panturle qui parle de la manière incomplète. Mais nous apprenons après ce qu’il faisait. Le jeu des regards est aussi une technique importante pour présenter les événements. Ici nous trouvons deux manières différentes dans ces deux romans. Dans Regain, Giono présente une même chose vue par le regard différent de deux personnages. Le résultat de ce regard est différent parce que l’un voit des choses avec objectivité, mais l’autre les voit avec subjectivité ; ce qu’il a vu est plein de l’histoire. Nous trouvons encore cette manière de représentation dans le Hussard. C’est la technique de la vision simultanée. Cette vision montre la qualité de narrateur omniprésent qui voit la situation du choléra à différents endroits et au même moment pendant l’errance d’Angelo. La remarque suivante est l’utilisation du discours rapporté : le style direct, indirect et indirect libre. Normalement, nous trouvons très souvent cette technique dans le Hussard sur le toit parce que Giono y montre l’histoire en passant par la pensée et la réflexion de son personnage. Cela apparaît de plusieurs manières. Ce qui est différent de Regain, c’est le monologue intérieur, mais nous le trouvons seulement une seule scène quand Angelo est sur le toit et commence à se parler. Le monologue intérieur représenté sous forme de discours direct et indirect libre. Dans Regain, nous trouvons le discours indirect libre quand le narrateur transcrit la pensée de Panturle au moment où Arsule et Gédémus arrivent au village. Un point intéressant est que Giono présente dans tous les deux romans la pensée inconnue du héros. Il utilise le discours indirect pour présenter le rêve de Panturle et d’Angelo. Nous observons que le rêve de

115

Conclusion L’objectif de notre étude éaitt de trouver les techniques différences essentiellent au niveau de l’art de la narration dans les deux romans qui relèvent de deux période différentes : Regain, reman publié avant la guerre et Le Hussard sur le toit, après la guerre. Après avoir étudié de ces deux romans, nous constatons que Giono demeure finalement le même conteur mais exprime une pensé différente.

Il est le même conteur parce qu’il utilise le même mode de présentation, bien que les deux romans soient de proportions très différentes. Si l’on regarde la structure du récit, que nous avons examinée das le premier chapitre, Regain a une structure moins complexe que celle du Hussard, mais Giono utilise le même modèle en divisant le récit en deux parties, avant et après la rencontre d’une femme. De plus cette rencontre modifie considérablement la vie des personnages principaux. Ici, les acteurs sont marqués par l’état avant et après la rencontre. Dans Regain, non selement Panturle trouve une femme et Arsule trouve un homme , mais le village revit grâce à eux deux. Dans Le Husard, Angelo poursuit sa route comme avant, toutefois on ne saurait dire qu’il n’a point été affecté à la fois par son expérience avec le choléra et sa rencontre avec Pauline.

Giono est un différent penseur parce que les idées exprimées dans les deux romans semblent témoigner d’un revirement. Dans Regain, Giono présente l’histoire d’un sauvetage : d’abord, Arsule sauve Panturle, puis, Panturle sauve Arsule, et tous les deux sauvent le village, ce qui récompense leurs efforts. Au contraire dans Le Hussard, Angelo échoue à sauver la vie des malades au secours desquels il se porte. Ses efforts restent en vain et ne reçoivent aucune récompense. Il parvient à sauver Pauline à la fin mais ce geste du triomphe de l’amour sur le mal reste insatisfait : Pauline doit rester avec son marie et Angelo continue son chemin. Dans Regain, on trouve un ordre que les personnages contribuent à rétablir, c’est l’equilibre entre l’homme et la nature.

“Restaurer l’ordre, pour la pensée paysanne, c’est imposer

l’ordre humain à la nature : c’est obliger la terre sauvage à produire, la femme indocile à œuvrer, les bêtes à se laisser domestique, afin que tout soit pour le mieux dans un monde bien

116

organisé, un monde ordonné où chaque être, chaque chose est à sa place.”164

Nous observons que Giono change de thème, et modifie radicalement les types de personnages. Dans Regain, d’un point de vue général sur le roman, c’est un simple roman de paysannerie qui semble montrer l’histoire d’amour d’un couple. Mais Giono utilise lâchement ce genre romanesque pour le modifier. Regain n’est pas un roman d’amour mais un roman racontant la renaissance d’un village et de deux personnages. Par contre, Le Hussard semble un roman de chevalerie, mais comme dans Regain, Giono a changé le contenu : du héros parti en quête religieuse, il est devenu un errant, en quête d’un but qui a peu d’importance, modifiant sa route, trouvant ce qu’il ne cherchait pas et évoluant dans un monde où personne ne peut lui donner un ordre. Dans ce dernier roman aussi, Giono utilise l’épidémie comme le centre de son récit, ce qui est rare dans la littérature contemporaine. Nous trouvons un roman de Camus, La Peste qui parle d’une épidémie qui ravage une ville ou une société. Toutefois, l’épidémie chez Camus demeure une image, celle de la guerre qui faisait rage à cette époque. Mais pour Giono c’est le contraire, le choléra est le choléra, il n’y a pas le symbole. Comme Giono l’a dit :

“On a (…) voulu trouver à toute force dans le Hussard un symbole qui ne s’y est jamais trouvé (…) Eh ! bien cela est ridicule.”165

Après avoir étudié l’art du récit dans ces deux romans, nous trouvons un point intéressant qui pourrait faire l’objet d’études ultérieures. C’est les figures de style que Giono utilse dans chaque roman. L’étude approfondie de ce sujet peut élargir la connaissance sur le niveau élevé de l’art du récit de Giono.

164 Cité dans “Pour mieux comprendre Regain.” par Anne-Marie MARINA-

MEDIAVILLA. Regain, Paris, Librairie Genérale Française.1995, pour la présente édition. p.165.

165 Cité dans le Hussard sur le toit de Jean Giono, Profile d’une œuvre. Francis LAFON., ed. Librairie Hachette, 1974, 1974. p. 19.

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SCHMIDT, Joël. Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine. Paris, Librairie Larousse, 1965. SCHMITT, M.P. et VIOLA, A. Savoir lire. Paris, Didier, 1982. TODOROV, Tzvetan, Poétique III : Qu’est-ce que le structuralisme ?. Paris, Seuil, 1968. ________. “Les categories du récit littéraire” dans La communication No. 8. Paris, Seuil, 1966. pp. 125-151. VALETTE, Bernard. Esthétique du roman moderne. Paris, Fernand Nathan, 1985. http://page.infinit.net/poibru/giono

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Curriculum Vitæ Nom Supatcharee Manatat

Adresse 30 Moo 3, Bangpakok, Ratburana, Bangkok 10140

Formation

1991-1993 Lycée Bangpakokwittayakom

1994-1997 Licence-ès-Lettres, Université Srinakharinwirot

1998-2002 Maîtrise-ès-Lettres, Université Silpakorn