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Abécédaire partiel, et partial, de la mondialisation Ignacio Ramonet - Ramón Chao - Wozniak Remerciements Documentation : Maria Ierardi, Delphine Jeammet, Olivier Pironet Remerciements Pierre Abramovici, Alejandro Arzola, Ignacio Ayestarán, Nicolas Baverez, Laure Bellot, Eric Beaumatin, Christian De Brie, Mireille Delmas-Marty, Dorval Brunelle, Jacques Capdevielle, Bernard Cassen, Steven C. Clemons, Pierre Charasse, François Chesnais, Noam Chomsky, Carla Ferreira, Susan George, Philip Golub, Philippe Merlan. Jeanette Habel, François Houtart, Philippe Jérôme, Alain Joxe, Anne Kruegger, Daniel Lazare, Yvon Le Bot, Pierre Kalfon, Maurice Lemoine, Gilles Luneau, Jean.Paul.Maréchal, Gustave Massiah, Armand Mattelart, Charles-Albert Michalet, Danielle Mitterrand, Paul Moreira, Braulio Moro, René Passet. Riccardo Petrella, Philippe Quéau, Nira Reyes, Jacques Robin, Catherine Samary, Dante Sanjurjo, Franck Seuret, Juan Somavia, Alain Swietlik, Cécile Winter, Jean Ziegler, Services de documentation de Radio France, Radio France internationale, Le Monde. Bibliothèque de Radio France. Courrier de l’Unesco. Dictionnaire des relations internationales au XXe siècle (Payot) Encyclopaedia Universalis, Manières de voir, Le Monde, Le Monde diplomatique, IndyMedia, Réseau Voltaire.

Abecedaire Partiel, Et Partial

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Abcdaire partiel, et partial, de la mondialisation

Ignacio Ramonet - Ramn Chao - Wozniak

Remerciements

Documentation : Maria Ierardi, Delphine Jeammet, Olivier Pironet

Remerciements Pierre Abramovici, Alejandro Arzola, Ignacio Ayestarn, Nicolas Baverez, Laure Bellot, Eric Beaumatin, Christian De Brie, Mireille Delmas-Marty, Dorval Brunelle, Jacques Capdevielle, Bernard Cassen, Steven C. Clemons, Pierre Charasse, Franois Chesnais, Noam Chomsky, Carla Ferreira, Susan George, Philip Golub, Philippe Merlan. Jeanette Habel, Franois Houtart, Philippe Jrme, Alain Joxe, Anne Kruegger, Daniel Lazare, Yvon Le Bot, Pierre Kalfon, Maurice Lemoine, Gilles Luneau, Jean.Paul.Marchal, Gustave Massiah, Armand Mattelart, Charles-Albert Michalet, Danielle Mitterrand, Paul Moreira, Braulio Moro, Ren Passet. Riccardo Petrella, Philippe Quau, Nira Reyes, Jacques Robin, Catherine Samary, Dante Sanjurjo, Franck Seuret, Juan Somavia, Alain Swietlik, Ccile Winter, Jean Ziegler, Services de documentation de Radio France, Radio France internationale, Le Monde. Bibliothque de Radio France. Courrier de lUnesco. Dictionnaire des relations internationales au XXe sicle (Payot) Encyclopaedia Universalis, Manires de voir, Le Monde, Le Monde diplomatique, IndyMedia, Rseau Voltaire.

2 (Los asteriscos indican entradas proximas )

A

Acte sur ltat du monde Tous les Etats sont entrans dans la dynamique de la mondialisation. Derrire cette expression de mondialisation de l'conomie , et son corollaire plus direct de victoire du march , se cache un mode de fonctionnement et de domination politique et sociale du capitalisme. C'est au cours du dernier quart du XXme sicle que le monde a connu un triomphe sans partage du libralisme. A l'issue de la Seconde Guerre mondiale, les conomies des pays belligrants du Nord taient compltement dtruites. Le sous-emploi s'tait gnralis. Une premire vague de chmage massif s'tait dj manifeste lors de la crise mondiale de 1929. Pour la combattre, Franklin Roosevelt lana, aux Etats-Unis, la politique du New Deal, un vaste ensemble de grands travaux d'infrastructures conomiques et sociales. Etudiant les effets de la grande crise, John Maynard Keynes met au point, en 1936, une thrapeutique imparable fonde sur l' intervention directe de l'Etat: accroissement de la masse montaire; taux d'intrt levs; dficit budgtaire; grands travaux impulss par les pouvoirs publics. Profess depuis le milieu du XVIII sicle, le libralisme conomique en prend alors un sacr coup. Les annes 1960 vont ainsi connatre l'ge d'or du keynsianisme. Les partisans du libralisme ne tardent pas prparer leur contre-attaque. Au dbut des annes 1970, les conomies occidentales replongent dans une crise profonde. Cette fois, un phnomne nouveau fait son apparition: la coexistence de l'inflation gnralise et de la stagnation conomique (la stagflation), considre comme l'un des effets pervers de la mdecine keynsienne. De plus, vers 1973, l'conomie mondiale reoit de plein fouet le choc de l'effondrement du rgime des changes fixes tabli Bretton Woods* en 1944, et celui de la premire crise ptrolire (le prix du ptrole quadruple, passant de 3 12 dollars le baril). Acclre au tournant de la dcennie 1970-1980 par le recyclage des ptro-dollars, qui facilite le financement des dficits budgtaires, la vague librale envahit la plante. Elle part de l' Amrique de Ronald Reagan, submerge la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher, gagne le reste de l'Europe, s'tend au Japon, puis aux pays mergents, dans les annes 1990. Dans la deuxime moiti des annes 1990, lexemple des Etats-Unis inspire de nombreux militants. On peut voir les effets de contagion traverser l'Atlantique en passant par Barcelone. Les similitudes 2

3 (attitudes similaires???) se sont diffuses (rpandues?) d'autant plus vite qu'elles correspondaient une culture libertaire trs enracine en Europe. Mais les liens sociaux sont beaucoup plus resserrs ici qu'aux Etats-Unis. Depuis la confrence de lOMC* Seattle, en dcembre 1999, des milliers de personnes ont manifest dans le monde entier contre les drives de la mondialisation et la pauvret croissante des populations. Et on assiste une situation inconnue o les protestations sont marques par de nouvelles formes d'action. Entre autres, pour viter toute personnalisation, la premire ligne est compose de militants choisis parce qu'ils sont des "anonymes", mais aussi capables d'intgrer toutes les composantes de la socit, tous les ges et tous les secteurs sociaux. Dans un tel contexte, toute manifestation anti-mondialisation est perue, par un nombre croissant de dirigeants des Etats-Unis et de la plupart de leurs allis , comme une opposition au systme capitaliste mondial lui-mme, et, dans la mesure o Washington est la puissance rgulatrice de ce dernier, comme une opposition aux Etats-Unis et leurs allis. Il n'en fallait pas plus pour que le Pentagone et d'autres secteurs des Etats-Unis laborent et rpandent la thorie de la nature gntiquement violente de l'opposition la mondialisation. Selon cette thorie, puisque les contestataires s'en prennent au systme mondial en place, ses rgles, ses institutions et ses gouvernements lgitimement lus, ils s'en prennent par voie de consquence la dmocratie. Ce sont donc ncessairement des violents, de rels criminels contre l'ordre dmocratique, en un mot, les vritables nouveaux barbares de l're globale. L'acharnement des gouvernements contre les opposants la mondialisation librale s'explique par l'ampleur croissante de son rejet par l' opinion publique. D'o la tentative de caractriser les contestataires comme gntiquement violents. A la manire de l'URSS, o les dissidents taient considrs comme des malades mentaux. Point n'est besoin de dmontrer l'indcence de cette accusation. Ce qui est extrmement dangereux et proccupant, c'est qu'elle semble accepte par la majorit des responsables politiques occidentaux et par nombre de dirigeants de pays en voie de dveloppement. On ne saurait mieux mettre en vidence la fracture que la mondialisation a renforce entre, d'une part, les seigneurs de la puissance mondiale et leurs vassaux, et d'autre part, les peuples domins et exclus. Comme s'ils ne vivaient pas sur la mme plante... Diagnostic confirm par le Financial Times lui-mme lorsque, dressant les bilans respectifs des deux forums mondiaux simultans (l'un conomique , l'autre social ), il voque effectivement l'existence de deux plantes, celle de Davos et celle de Porto Alegre - la premire sur le dclin et l'autre sur une orbite ascendante - et n'exclut pas leur collision...

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4 Les actions spectaculaires par lesquelles s'est parfois traduite la contestation ne doivent pas conduire sous-estimer l'importance des autres formes de rponse plus profondes menes par les mouvements sociaux et les syndicats aussi bien au Sud qu'au Nord : paysans indiens en lutte contre la biopiraterie de Monsanto*, Mouvement des sans-terre* au Brsil, Marche mondiale des femmes* communauts indignes, luttes contre les privatisations en Amrique latine, contre les licenciements de convenance boursire, pour la dfense des travailleurs menacs par les dlocalisations d'entreprises, etc. Sans compter les actions des grandes organisations non gouvernementales (ONG)* - Greenpeace*, Amnesty International, Oxfam, Mdecins sans frontires, etc. - et des multiples associations pour le commerce quitable*, pour la finance thique, pour l'annulation de la dette* extrieure du tiers-monde, pour la taxation de la spculation financire, pour laccs aux soins et aux mdicaments, etc. Jusqu'au milieu des annes 1990, les manifestations contre les tables de la loi du capitalisme de march, se sont rarement transformes en conflits violents entre la police et les manifestants. En revanche, depuis quelques annes, les affrontements sont devenus une sorte de rituel, apparemment invitable, selon un scnario que l'on dirait crit l'avance. De faon rituelle, les forces de l'ordre des villes o va se tenir le grand rendez-vous transforment les lieux de passage et de travail des participants officiels en zones de haute scurit, sous le contrle de milliers de policiers anti-meutes, et pratiquant une sorte de surenchre prventive. Elles prennent des mesures draconiennes d'interdiction d'accs aux primtres ainsi protgs, voire aux villes elles-mmes, comme ce fut le cas Qubec et de manire encore plus caricaturale, Gnes et Evian. Or, immanquablement, l'effet redout - ne devrait-on plutt dire attendu et voulu ? - est au rendez-vous : les affrontements ont lieu, et la rpression est de plus en plus dure, particulirement Prague, Nice, Qubec, Gteborg, Barcelone, jusqu' faire un mort et plus de six cents blesss Gnes en 2001... Les tmoignages de brutalit, mme de svices, sur des manifestants ayant recours des formes non violentes de dsobissance civile - alors que la police laisse faire les groupuscules de casseurs professionnels -, sont particulirement accablants. Au point que de nombreux reprsentants d'ONG admettent avoir perdu leur virginit dmocratique , c'est--dire leur croyance dans la possibilit de lutter dmocratiquement dans des pays dits dmocratiques. Pourquoi un tel durcissement de la part des autorits, conduisant la rduction, voire la suspension mme temporaire ou locale -, du droit de manifester ? Comment expliquer que des militants de milliers d'organisations du monde entier, expression de traditions pacifistes ou tiers-mondistes, d'engagements cologiques, d'idaux religieux et thiques divers, et qui luttent depuis longtemps pour un monde plus

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5 juste, plus solidaire, plus dmocratique, plus respectueux de l'environnement, soient devenus des indsirables aux yeux des gouvernements et soient traits comme des hordes d'envahisseurs, casseurs, dvastateurs ? Il y a, semble-t-il, deux raisons principales. La premire est lie aux succs obtenus par les mouvements d'opposition la mondialisation : mise en chec, en octobre 1998, du projet d'Accord multilatral sur l'investissement (AMI*) et, en dcembre 1999, fiasco du Cycle du millnaire de l'OMC Seattle. Pour les dirigeants des pays dvelopps, il s'agit de deux dfaites hautement symboliques, car affectant deux piliers de cette mondialisation-l : les liberts de la finance et du commerce. La dfaite de l'AMI a t d'autant plus cuisante qu'elle rsulte de la dcision du gouvernement d'un pays-phare du capitalisme, la France, sous la pression, prcisment, de manifestations populaires. La dbcle de Seattle a galement constitu un vnement intolrable : elle a montr au grand jour que la majorit des gouvernements des pays dits en voie de dveloppement partageaient nombre de critiques des opposants du Nord la mondialisation actuelle. Et c'est grce l'action de ce que l'on a appel par la suite le peuple de Seattle que ces gouvernements ont eu, enfin, le courage de dire non la poursuite de ngociations auxquelles, par faiblesse, ils se seraient autrement rsigns. Ces deux victoires ont discrdit, sur le plan thique, les principes fondateurs et les pratiques des seigneurs du capital et des marchands. En revanche, elles ont rendu tout fait crdibles les luttes en faveur d'une autre mondialisation . Inacceptable pour les pouvoirs en place, un tel rsultat est devenu un facteur puissant de la radicalisation de leur politique de rpression de la contestation pacifique. Ne pouvant rduire cette dernire une agitation folklorique , se trouvant dans l'impossibilit de reconnatre les responsabilits des forces de l'ordre dans l'explosion de la violence - Gnes constituera dsormais une tude de cas de la provocation policire - et, enfin, incapables - et pour cause - de dmontrer que l'opposition la mondialisation actuelle est scientifiquement non fonde, leur restait seulement une solution : criminaliser les contestataires. Ce faisant, ils esprent lgitimer leur propre violence et dlgitimer l'action d'une large partie des mouvements sociaux et des ONG, dont, par ailleurs, ils tentent de remettre en question la reprsentativit. La seconde raison est lie un aspect central et spcifique de la mondialisation : l'affirmation des EtatsUnis comme seule puissance hgmonique sur les plans militaire, technologique, conomique, politique et culturel. Symbole du capitalisme global contemporain, les Etats-Unis sont les porteurs d'une logique d'empire et d'un ordre plantaire englobant, sous leur houlette, les situations, les problmes et les perspectives des diffrentes socits du monde.

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6 Les luttes ont mis en vidence que la mondialisation de ces vingt ou trente dernires annes a t et demeure avant tout le rsultat de la puissance militaire et conomique amricaine, ainsi que des changements socio-conomiques et culturels produits par les Etats-Unis, qui se sont ensuite rpandus, des degrs diffrents et sous des formes diverses selon les pays (Chine comprise), dans l'ensemble du monde. Cette mondialisation consiste principalement en une amricanisation idologique, technologique, militaire et conomique de la socit plantaire contemporaine. Il n'a pas fallu attendre l'effondrement de l'Union sovitique pour s'apercevoir que la globalisation des marchs, des capitaux, de la production, de la consommation, etc., tait un produit des Etats-Unis grce, notamment, la prsence mondiale de l'US Army, de l'US Navy et de l'US Air Force. Cette prsence a ouvert la voie royale la mondialisation de Coca-Cola, d'IBM, de Levi's, de Walt Disney*, de Ford, de GM, d'ITT, de McDonald's* et, plus prs de nous, de Microsoft, d'Intel, de Cisco, d'AOL-Time Warner, de Citicorp, de Wal-Mart, de Fidelity... La phase qui s'est engage avec les volutions conservatrices amricaine et anglaise des annes 1970, trouve son point d'internationalisation avec l'effondrement de l'URSS, laccroissement des politiques de PAS ( ajustement structurel ) et la pense unique. La primaut du march dsigne une nouvelle priode de l'conomie mondiale. Aux accords de Bretton Woods*, fonds sur un arrangement entre nations pour protger de manire ngocie les marchs dans les conomies non planifies, succde le consensus de Washington.* Ce credo, gnralement nomm no-libral, contraint les Etats redfinir leur aire d'intervention, voire leur importance. Une suprmatie totale est accorde au march; l'Etat voit ses fonctions rgaliennes rduites au minimum. L'essentiel des biens publics doit donc tre fourni par le march Dans la phase globale, les entreprises ne sont plus soumises au fractionnement des marchs et les stratgies deviennent de ce fait plantaires. Firme rseau ou firme globale, quelque chose a chang dans la nature des entreprises, dans leur mode de fonctionnement et dans leur gouvernance*. C'est dsormais l'actionnaire qui est privilgi, ainsi que la rmunration des titres, plus que la cohrence entre la technostructure et le capital social. Celui-ci reprsente lensemble des salaris ou la fonction de couverture des besoins nationaux. Le terme march sert dsigner la proprit prive des moyens de production. La possession d'actifs patrimoniaux commande l'appropriation sur une grande chelle de richesses cres par autrui, une conomie tourne vers les objectifs de rentabilit et de comptitivit et dans laquelle seules les demandes montaires solvables sont reconnues. Les fusions-acquisitions (fusions-rachats?) des dernires annes ont pouss le processus de concentration des niveaux qui paraissaient impossibles il y a peine vingt

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7 ans. Les investisseurs institutionnels sont les matres du capitalisme contemporain, mais ils prfrent la discrtion. Alors que les gestionnaires des fonds de placement restent dans l'ombre, les groupes industriels, aux cts des gouvernements, sont en premire ligne dans la lutte contre les classes et les couches qu'il faut exploiter. Il y a des raisons essentielles cela. C'est sur la diffusion mondiale de leurs produits (Coca-Cola, Nike, McDonald's*...) que repose la domination du capitalisme dans l'ordre si dcisif de l'imaginaire et de ce capital symbolique dont la victoire favorise des dominations autrement contraignantes. Le monde a pay trs cher le passage du tmoin de l'Angleterre l'Amrique. Ce nest que dans la vulgate no-librale que lEtat est extrieur au march . Il faut rcuser les reprsentations qui voudraient que la mondialisation soit un dveloppement naturel. Mais le triomphe du march ncessitait les interventions politiques rptes des instances des Etats capitalistes les plus puissants, les Etats-Unis comme les autres pays du G7/G8*. Grce des mesures dont le point de dpart remonte la rvolution conservatrice de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan des annes 1979-1981, le capital a russi faire sauter la plupart des freins et des garde-fous qui ont corset et canalis son activit dans les pays industrialiss. La place dcisive occupe par la monnaie dans le mode de production capitaliste, a donn la libralisation et la drglementation financires un caractre et des consquences stratgiques. C'est ainsi que la rvolution conservatrice s'est rpandue travers l'Europe continentale et le Japon. En France, les rformes du march financier et de la rgulation bancaire de 1984 1986, sous les ministres de Pierre Brgovoy et d'Edouard Balladur, ont ouvert la voie la domination des marchs financiers. Sans l'aide active des Etats, le FMI et les investisseurs financiers institutionnels ne seraient pas parvenus aux positions de supriorit qu'ils occupent aujourd'hui. Ils ne s'y maintiendraient pas si aisment non plus. Leur trs grande libert d'action sur le plan domestique et leur presque totale mobilit au niveau international sont les fruits de nombreuses mesures lgislatives et rglementaires de dmantlement des institutions existantes et de mise en place de nouvelles institutions . La prsentation politique de ces mesures a exig le dtournement du terme rforme , mot maintenant vid de son sens original. Des traits dcisifs ont d aussi tre rdigs et ratifis (pour n'en citer que les plus marquants, le trait de Maastricht, le consensus de Washington* , laccord de libre-change nord-amricain (ALENA*), et le trait de Marrakech de 1994, qui institue lOMC*).A lire, Michel Chossudovsky. La Mondialisation de la pauvrt. Le Serpent plumes, 2003.

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8La mondialisation. Ed. sous la direction de Grahame Thompson. Ers, 1999 (Revue internationale des sciences sociales, n 160)

ADPIC Il sagir, selon l'OMC,* du plus large accord existant sur la proprit intellectuelle. Il dpasse de loin les Conventions de Paris (sur la protection de la proprit industrielle) ou de Berne (sur la dfense des uvres littraires et artistiques) qu'il incorpore et tend. Il couvre le copyright, les artistes, les producteurs de disques et les missions de radio et de tlvision (broadcasting), les marques et les brevets, les indications gographiques et les appellations d'origine, les dessins industriels, secrets de fabrication, donnes de recherche, circuits intgrs et les informations non communiques . C'est cet accord qui protge aussi les droits de proprit des firmes pharmaceutiques sur les mdicaments et qui interdit aux gouvernements du Sud d'en faire fabriquer et distribuer chez eux des copies, y compris en priode d'urgence mdicale (la pandmie du sida en Afrique, par exemple). LADPIC lie les pays membres de l'OMC. Il leur impose de dlivrer des brevets de vingt ans au moins pour toute invention de produit ou procd pharmaceutique qui satisferait aux critres classiques de nouveaut, d'inventivit et d'utilit. Les pays en dveloppement n'ayant pas encore de protection par brevet pour les produits pharmaceutiques, bnficient d'un dlai jusqu'en 2005 pour se mettre en conformit avec cet accord. On a fait tat de l'avance que constitue ces accord en ce qui concerne l'accs aux mdicaments. Mais pour ceux qui n'en produisent pas et voudraient en importer ? Dautres projets controverss de lAdpic concernent la dur de protection accorde par les brevets (vingt ans, ce qui gnralise le systme amricain la plante entire) et surtout la possibilit du brevetage du vivant. Les semences, les micro-organismes et les processus microbiologiques sont explicitement brevetables; les pays membres peuvent exclure du droit de brevet les plantes et les animaux - ce qui veut dire en clair qu'ils peuvent aussi ne pas les exclure. Les plantes et les animaux deviennent ainsi brevetables partout, sauf si le pays propose un systme sui generis pour protger les varits vgtales. Le redoutable article 27,3, b sert aussi protger les OGM* et les semences obtenues par les transnationales de l'agribusiness. Plus injuste encore pour les pays du Sud, o se trouvent les grandes rserves de la biodiversit, est la biopiraterie . De nombreuses ETN pharmaceutiques ou chimiques y envoient des quipes de recherche qui prlvent des chantillons servant ultrieurement leurs spcialits sans que le pays d'origine reoive quelque compensation que ce soit. La millnaire quinua des populations andines est devenue lun des symboles de cette spoliation ; plus qu'une simple plante vivrire, lment essentiel d'un patrimoine vivant, elle est devenue, par un tour de passe-passe biotechnologique, proprit prive nord-amricaine. 8

9 La quinua est une plante typique de l'Altiplano, cet immense plateau d'altitude aride mais nourri de lumire, de vents, d'esprits, dans la cordillre des Andes. On la consomme en soupe, en grillant ses grains pour les moudre et obtenir une farine dont on confectionne la chicha, boisson populaire fermente qui, comme la coca, remplit trois fonctions prcises d'ordre social, magico-religieux et mdicinal. Cela navait pas chapp pas aux amricains, premiers consommateurs trangers de quinua. En 1994 ils dcident d'envoyer leurs experts agronomes se former dans ce petit pays andin o les connaissances circulent librement, gnreusement partages entre gens d'un savoir millnaire et htes trangers dsireux d'apprendre... ou dsireux de prendre, de s'approprier gratuitement les ressources locales, de faire main basse sur la vie d'autrui pour en retirer du profit, tels Duane Johnson et Sarah Ward, chercheurs en agronomie de l'universit du Colorado ( Etats-Unis ). Flairant la bonne affaire, ils s'en emparent et y apposent leur marque de proprit prive: Brevet n 5304.718. Quinua made in Etats-Unis. Stupeur mle d'indignation lorsque se dvoile l'ampleur du dsastre et qu'il apparat que la mainmise trangre ne se limite pas cette seule varit, mais s'tend galement aux 43 diffrentes varits traditionnelles cultives par des millions de paysans dissmins sur tout l'arc andin, depuis la Colombie jusqu'au Chili. Une autre histoire de brevetage qui tourne la rapine, celle-ci en Afrique: En 1995, l'universit du Wisconsin dpose quatre brevets sur la brazzein, une protine ultra-sucre que des chercheurs ont isole d'une plante poussant au Gabon. Depuis, cette universit accorde des licences d'exploitation plusieurs socits biotechnologiques, qui vont tenter d'introduire dans des fruits et des lgumes un gne produisant la brazzein afin d'obtenir des aliments au got sucr mais moins riches en calories. De gros bnfices sont la cl. Sauf pour les paysans gabonais, qui ne toucheront pas un centime de l' exploitation de cette plante. Ils en connaissaient les proprits de longue date, ils l'ont toujours utilise et, par leur mode de vie et leurs pratiques culturales, ils ont contribu l'entretenir de gnration en gnration. Mais qui sont les pirates , ces voleurs ? La rponse se trouve dans une rcente note de la Commission europenne propos des Adpic* : Il faut s'attendre, peut-on y lire, une rsistance de la part d'un certain nombre de pays en dveloppement membres de l'Organisation mondiale du commerce. Ils considrent que la protection fournie par la Convention internationale pour la protection des nouvelles varits de plantes bnficie trop aux propritaires de ces varits et ne prend pas en compte les besoins des agriculteurs traditionnels. Cette mme note conclut en voquant un problme stratgique : Les pays en dveloppement vont rsister l'engagement de ngociations substantielles sur la protection de la proprit intellectuelle. Ils pourraient mme lancer un dbat sur la relation entre les Adpic et d'autres aspects comme la

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10 concurrence, l'environnement, et son impact sur la sant et le bien-tre. Il faut rsister une telle tentative pour prserver les intrts de toutes les parties. Chaque anne, des brevets sont dposs par des entreprises ou des universits des pays du Nord sur des plantes cultives ou utilises dans les pays du Sud. Sans l'accord des parties concernes ni aucune contrepartie. C'est pour mettre fin ce biopiratage que la commission scientifique, technique et de recherche de l'Organisation de l'unit africaine (OUA) vient de rdiger une loi modle sur la protection des droits des communauts locales, des agriculteurs et des obtenteurs et sur les rgles d'accs aux ressources biologiques . Cette lgislation met en place un systme appropri d'accs aux ressources biologiques, aux connaissances et technologies des communauts, sous rserve d'un consentement inform pralable de l'Etat et des communauts locales concernes ainsi que des mcanismes en vue d'un partage juste et quitable des avantages tirs de l'utilisation commerciale de ces ressources. Les pays du Sud ont dj fait de nombreuses fois l'amre exprience de cette libralisation impose par la Banque mondiale et le FMI en change de prts: augmentation des tarifs, couverture gographique et qualit du service ingales, exclusion des services de sant d'une partie de la population... Dans ce cadre prcis, ils vont devenir un rservoir de main d'uvre pour les pays riches mais avec des droits et des salaires moindres (au travers du mode 3 de l'Accord qui concerne la prsence commerciale d'une filiale de firme trangre). Alors que le droit d'asile se fait de plus en plus restrictif, on va assister des dplacements de salaris pour une priode donne, au bon vouloir des entreprises transnationales. Pour les pays du Nord, les consquences seront aussi dsastreuses: le secteur public va tre condamn pratiquer les mmes tarifs que les entreprises prives sous peine de devoir payer des compensations la firme d'un autre pays membre (l encore dans le cadre du mode 3 de libralisation). On voit donc toute la prcarisation de l'emploi et la dtrioration des services fournis que cela peut entraner. Les entreprises publiques vont donc se retrouver grer les services les moins rentables conomiquement: nul doute dans ce cas que les gouvernements (de droite comme de gauche) prfreront alors privatiser plutt que d'avoir subir des mesures de rtorsion devant le tribunal de commerce qu'est l'OMC * Avant la runion de Seattle, le Groupe africain de l'OMC avait propos de srieuses modifications de ces accords. Il souhaitait exclure de la brevetabilit les plantes, animaux, micro-organismes, processus microbiologiques et tous autres organismes vivants et leurs parties , protger les innovations des communauts autochtones et prserver les pratiques agricoles traditionnelles y compris le droit de conserver et d'changer les semences . D'une manire gnrale, les Africains proposaient d'aligner le Trips sur la Convention sur la biodiversit adopte la Confrence de Rio en 1992. Ils n'ont pas t entendus, mais les questions qu'ils ont souleves demeurent d'actualit. Le TRIPS couvre le copyright,

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11 les artistes, les producteurs de disques et les missions de radio et de tlvision (broadcasting), les marques et les brevets, les indications gographiques et les appellations d'origine, les dessins industriels, y compris les circuits intgrs et les informations non communiques, secrets de fabrication et donnes de recherche. Rien n'est rgl, la dclaration se bornant donner instruction au Conseil des Adpic de trouver une solution rapide ce problme . On peut faire confiance aux firmes pharmaceutiques amricaines et suisses pour ne pas lcher prise. Il reste que cette dclaration constitue un point positif de Doha, le seul mme, pour les pays du Sud. A lire AGCS Si un grand nombre de traits fondateurs de l'OMC* comportent des dangers, l'Accord Gnral sur le Commerce des Services reprsente, pour les citoyens, une menace absolue. La complexit et l'opacit des ngociations ont longtemps exclu tout dbat, mais cette situation est heureusement en train de changer grce des citoyens qui, partout en Europe et dans le monde, s'lvent contre cette alliance dmocraticide. Il ne sagit pas dun contrat dfinitif, mais d'un cadre qui prvoit "des sries de ngociations successives... qui auront lieu en vue d'lever progressivement le niveau de libralisation". L'orientation politique de l'AGCS est ainsi clairement fixe, et personne ne peut prdire les consquences de son processus. La finalit de l'AGCS est de rendre cet accord conomique suprieur aux lgislations et rglementations nationales. Des responsables politiques commencent s'inquiter d'un systme qui les dpossderait de leurs prrogatives. Malgr les demandes rptes des lus, ceux-ci n'ont toujours pas accs aux documents de ngociation. Le commerce mondial des services est en expansion rapide, atteignant, en 2001, 1 440 milliards de dollars. Ce chiffre d'affaires revient surtout aux ETN europennes et amricaines, avec les japonaises loin derrire. Elles se rjouissent toutes de soumettre aux rgles de l'AGCS de nouvelles activits lucratives. La place importante des ETN europennes et la puissance organise des lobbies expliquent l'acharnement de la Commission, qui a des relations privilgies avec les grandes entreprises de services, dfendre l'AGCS. L'un des grands problmes de l'AGCS, comme cela avait t le cas dans le cadre de l'AMI*, c'est le manque de transparence: les parlementaires n'ont pas accs l'information sur les ngociations en cours au sein de l'Union europenne. Pascal Lamy, Commissaire europen au Commerce, est en charge de ces ngociations mais entretient un savant flou artistique ds qu'il s'agit d'informer les citoyens sur les tenants et les aboutissants de cet accord. De ce fait, seules les ONG contribuent par leur travail 11

12 l'information et la sensibilisation des citoyens sur ce sujet. Les 160 secteurs dits de services reprsentent un tiers du commerce mondial (1340 milliards de dollars de chiffre d' affaires) et incluent des secteurs stratgiques sur les plans commercial et technologique, comme les tlcommunications et l' nergie, la sant et l'instruction, la recherche et les transports, les services bancaires et mme lducation. N'en sont exclus que les services fournis dans l'exercice des pouvoirs rgaliens , tels que l'arme, la justice et les banques centrales. Le gteau est bien trop gros, notamment en ce qui concerne lducation, secteur essentiel de notre vie : aux yeux d'un investisseur en qute de placements, il reprsente un budget annuel mondial de 1 000 milliards de dollars, un secteur lourd de 50 millions de travailleurs et, par-dessus tout, un milliard de clients potentiels entre lves et tudiants. Grce la campagne internationale mise uvre depuis deux ans, les dangers lis cet Accord sont aujourd'hui connus du grand public : il sert en premier lieu les intrts des entreprises transnationales, qui comptent tirer profit la braderie des services publics. Ces entreprises s'approprient de plus en plus vite le contrle d'une part croissante de l'conomie globale. Les chiffres de l'OCDE indiquent que, chaque anne, des biens d'une valeur de plus de 150 milliards de dollars US sont transfrs du secteur public au secteur priv. L'volution du domaine des tlcommunications le montre clairement : les monopoles d'Etat ont t dmantels, mais les tlcommunications sont soumises une concentration internationale croissante. Il est difficile de prdire quand dbutera le cycle du millnaire ; en tout cas, cet accord gnral sur lconomie des services nous promet la plus ample libralisation conomique de toute l'histoire. Trois personnages sont l'origine du AGCS: James Robinson III (Pdg d'American Express), Hank Greenberg (Pdg d'American International Group) et John Reed (Pdg de Citycorp). Ils dcident en 1979 qu'inclure les services dans les ngociations du GATT serait du plus grand intrt. Le second ayant l'oreille du prsident James Carter, il leur suffit alors de convaincre le Congrs des tats-Unis. Ils y parviennent la faveur dun lobbying bien orchestre, double d'une campagne de presse digne des plus belles oprations psychologiques. C'est ainsi qu'en 1982 l'ambassadeur amricain William Brock dclare que les ngociations sur les services sont une priorit pour les tats-Unis. Les groupes d'affaires n'ayant pas obtenu entire satisfaction lors de la signature de l'AGCS en 1994, de nouvelles ngociations (ou rvisions) sont programmes - en lien avec les dcisions prises au sommet de l'OMC de Doha de novembre 2OO1-, jusqu la libralisation totale des 160 secteurs de services. Les ngociations sont conduites par Robert Zoellick pour les tats-Unis et par Pascal Lamy pour l'Union europenne. Le premier est par ailleurs professeur de Scurit nationale l'cole navale des tats-Unis.

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13 Le second a collabor avec la Rand Corporation, le think tank du lobby militaro-industriel tats-unien, et avec l'East-West Institute, dont le prsident d'honneur est George Bush pre. La dcision d'tendre aux services la libralisation d'changes internationaux qui portait auparavant sur les seules marchandises, remonte 1994. Sign en avril de 1994, lAGCS incluait dj l'enseignement dans la liste des services libraliser. Pour demeurer hors de porte de cet accord, le systme d'ducation d'un pays devait tre totalement financ et administr par l'Etat, ce qui n'est plus le cas nulle part. Cette nouvelle tape de libralisation qui se prpare dans les services est trs grave. Elle vise, d'une part, la mondialisation de la logique de march, la mise en concurrence plantaire, et, de l'autre, l'extension dans chaque pays, du champ du march des activits qui y chappent largement comme l'ducation et la du commerce et se situent hors sant. du champ des comptences de l'OMC. Ces biens et services ne sont pas des marchandises comme les autres. Ils ne relvent donc pas des rgles La reconnaissance de leur caractre de premire ncessit va de pair avec l'tablissement de nouveaux droits : droit vie, la scurit de l'humanit et l'galit d'accs de tous et de toutes. Leur impact social, conomique et cologique justifie pleinement leur organisation par la puissance publique et rend lgitime l'intervention des salaris, des usagers, des associations, des peuples sur leur gestion et leur finalit. Seule l'invention d'un modle social mondial - o les services publics et les entreprises publiques sont profondment dmocratiss, largement dvelopps et coopratifs - est en mesure de faire progresser une lutte efficace contre les ingalits, le partage des ressources, des savoirs et des savoir-faire, de fonder les relations internationales sur les solidarits, de permettre le dpassement des ravages de la guerre conomique et de la guerre tout court, d'envisager un avenir commun pour l'humanit. Il s'agit de garantir - tous les tres humains - la possibilit de bnficier de ces services essentiels tout en s'inscrivant dans une perspective de dveloppement durable de la plante. Cela suppose d'extraire ces activits de la sphre marchande et de recourir un mode de rgulation radicalement diffrent autour de la notion de biens publics et de celle de critres d'efficacit sociale. La production des biens et des services publics ne saurait tre gnre par le march, livre aux multinationales, l'accumulation financire capitaliste au dtriment de milliards d'tres humains. Le pouvoir financier et politique des lobbies des services est-il si fort pour empcher un dbat et une confrontation publique ? Il semblerait que la population europenne ( et l'Angleterre en est un bon exemple) est trs sceptique sur le rle de rgulateur social du march, et a expriment ses dpens les cots ( conomiques et sociaux) des privatisations. Les 45 millions d' amricains sans couverture sociale

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14 sont un avertissement clair de ce que signifient des services non plus sociaux mais commerciaux, dont l' offre est rgule principalement ( voire uniquement) par les critres de rentabilit d'entreprises prives. Le monde n'est pas une marchandise, clament dans le dsert, depuis plusieurs annes, les mouvements qui dmasquent le rle des institutions illgitimes comme l'OMC, et demandent haute voix des processus transparents, des choix dmocratiques et la suprmatie des droits humains, sociaux, syndicaux et environnementaux en opposition la logique du march et des intrts commerciaux. Comme pour l'AMI*ou pour Seattle, il incombera aux mouvements, aux associations et aux mobilisations de base d'informer et de se battre pour la globalisation des droits et non de l'exclusion. La crdibilit et la force du mouvement antilibral se sont vritablement construites sur ces thmes, et il est trange que tant de gens continuent de feindre de ne pas s'en apercevoir. Sommes-nous des citoyens europens ou des usagers, des consommateurs, des actionnaires, des clients, ou des marchandises?Lire Philippe Rivire, Le systme Echelon , Manire

de voir, no 46.

ALCA ( Area de Libre Comercio de las Amricas) Ngociations discrtement menes pour mettre en place une zone de libre-change panamricaine. L'objectif stratgique des Etats-Unis est de former le plus grand march du monde, mais surtout d'asseoir leur hgmonie sur le continent. En tant que partie dune stratgie de contrle direct conomique, politique et militaire des tats-Unis dans la rgion latinoamricaine, cet organisme cherche dtruire lappareil tatique en drglant les secteurs tels que lducation, la sant, laccs aux services sanitaires (eau, nergie.) En les privatisant il rendrait vulnrable les secteurs plus pauvres. La ngociation pour la construction d'un march unique, la Zone de libre-change des Amriques (ZLEA*) amorce Miami par 34 pays l'exception de Cuba en 1994, a t confirme Santiago du Chili en 1998. Elle devrait tre acheve en 2005. Washington estime que la ZLEA ouvrira une nouvelle re de coopration en rapprochant, pour la premire fois, les deux moitis de l'hmisphre autour d'un projet commun. D'aprs la secrtaire amricaine au commerce, Mme Charlne Barchevsky, les exportations [en direction de l'Amrique latine] ont tripl de 1990 1996. En 1996, elles ont augment deux fois plus que le commerce amricain avec le reste du monde. Pour les EtatsUnis, l'Amrique latine est un march plus important que l'Union europenne . On comprend que l'objectif amricain soit de libraliser les conomies continentales o les marchs sont encore trs protgs. On peut comparer la ZLEA une version adapte XXIe sicle de la doctrine de Monroe, affirment les professeurs Victor Bulmer-Tomas et Sheila Page, le succs des ngociations (...) renforcerait indiscutablement les liens conomiques puis politiques entre les pays d'Amrique latine et les Etats-Unis et affaiblirait les changes commerciaux avec l'Union europenne.

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15 C'est donc au nom de l'tablissement d'une bonne gouvernance rgionale , prne par les institutions financires internationales, que Washington propose de dmanteler les barrires commerciales dans l'ensemble de l'hmisphre. En fait, il s'agit de conforter un projet conomique plantaire, dont l'Amrique latine n'est qu'un des lments, afin de faire progresser un programme commercial plus adapt aux firmes multinationales. En effet, si le point de vue amricain prvaut, la ZLEA peut tre vue comme un effort pionnier destin faonner la prochaine gnration des accords de l'Organisation mondiale du commerce. Une fois mis en place, ce gigantesque march hmisphrique pourrait faire des Amriques un espace conomique totalement ouvert la libre circulation des marchandises et des capitaux, et donner cet espace le cadre normatif d'un nouveau modle d'intgration . Pourtant, l'exprience du Mexique depuis l'Accord de libre-change nord-amricain (Alena) montre que l'ouverture commerciale vis--vis d'un pays ayant un niveau de dveloppement trs suprieur provoque une dsindustrialisation, la liquidation de pans entiers de l'agriculture traditionnelle et un accroissement des ingalits sociales. Etant entendu, par ailleurs, qu'il ne saurait tre question de la libre circulation des personnes.Lire : Victor Bulmer Thomas et Sheila Page Trade Relations in the Americas : Mercosur, The free trade area of the Americas and the European union , in The United States and Latin America : the new agenda, Harvard University Press, Londres, 1999. Christian Deblock, Dorval Brunelle, Le projet de zone de libre-change des Amriques, un rgionalisme en trois dimensions , in Amrique latine 2000, rapport de l'Observatoire sur l'Amrique latine, La Documentation franaise, Paris, juillet 2000. Olivier Dabne, Le Mercosur et la zone de libre-change des Amriques : vers la convergence ? , Amrique latine 2000, La Documentation franaise, Paris. Franois d'Arcy, Brsil : L'entre marche force dans la mondialisation, La Documentation franaise, Paris,.

ALENA La plus grande puissance conomique mondiale. Raction contre la constitution dune forteresse Europe, elle vise tablir une zone de libre de 360 millions dhabitants, et dont on croit qu'il servira de modle l'intgration continentale ; Cet Accord de libre-change nord-amricain est entr en vigueur en 1994. Il prvoit de supprimer les barrires douanires entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada en quinze ans, mais seulement pour les marchandises : pas question que les personnes circulent comme elles le veulent entre ces trois territoires Dj soumis aux rgles de lOMC, les gouvernements de l'hmisphre sont en train de ngocier le cadre d'une vaste zone de libre-change de l'Alaska la Terre de feu o la prpondrance des rgles du libre

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16 march irait encore plus loin. LAlena prvoit la libration de 65 p. 100 des exportations industrielles et agricoles entre les trois pays sous cinq ans et de la totalit des changes sous quinze ans. Laccord a t ratifi par le Congrs amricain en novembre 1993, malgr de trs vives oppositions. Celles-ci faisaient valoir les risques attachs une telle association runissant notamment la premire puissance mondiale et des pays du Tiers Monde (exploitation incontrle des hommes et de la nature, flux migratoires, etc.). L'Alena impose dj des contraintes beaucoup plus fortes que celles de l'OMC ses membres : en vertu de son chapitre XI, les investisseurs, dsormais dots du statut de sujets de droit international jusque-l rserv aux Etats, peuvent poursuivre directement les gouvernements. Ainsi, lorsque l'un d'entre eux s'estime victime d'une discrimination, il peut entamer des poursuites contre les pouvoirs publics au titre de l'obligation de traitement national. Un enjeu, parmi d'autres, permet de comprendre la logique luvre derrire cette ngociation : l'eau*. Cet lment essentiel la prennit des cosystmes, tout autant qu' la survie de l'espce humaine ellemme, risque fort d'y tre transform en simple marchandise. En 1998, les responsables californiens estimaient que si d'autres sources n'taient pas trouves d'ici 2020, l'Etat ferait face un dficit hydrique correspondant sa consommation actuelle totale. Et quelles pourraient bien tre ces nouvelles sources ? Le commerce global de l'eau y pourvoira, dans la mesure o la demande pourra rencontrer l'offre ! Il se trouve que le Canada a de l'eau en abondance et, tt ou tard, il devra invitablement la partager avec ses voisins, affirme le responsable de la compagnie californienne Sun Belt. Cette dernire poursuit Ottawa parce qu'elle n'a pu procder des exportations massives vers la Californie, et aurait perdu ainsi d'importants bnfices. L'Alena comporte par ailleurs un chapitre sur les services, avec une liste d'exceptions o l'eau n'apparat pas. En ce sens, les services de distribution et d'assainissement seraient aussi couverts, et la clause du traitement national s'appliquerait, comme le spcifie l'article 1202, qui, selon certains juristes, comprendrait galement le droit de dispenser ces services au-del des frontires. On peut affirmer que les accords de libre-change nord-amricains n'ont aucunement amlior la situation de l'emploi au Canada, tout au moins au Qubec. Le magazine PME affirme que depuis 1989, l'emploi a chut de prs de 15 % dans les secteurs qui n'ont pas t touchs par le libre-change, comparativement une baisse de 8 % pour les secteurs touchs , pour en dduire que l'Accord a contribu ralentir la chute de l'emploi dans le secteur manufacturier . Il aurait sans doute t plus indiqu de conclure que les effets, aussi bien directs qu'indirects, des accords ont t dsastreux en termes de crations d'emploi. Et, de fait, le Qubec a connu un taux de chmage particulirement lev

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17 au cours de la dcennie coule (plus de 11 %), mme s'il s'est rduit 9,9 % la fin 1998. Tmoignent galement de cette dtrioration de la conjoncture l'augmentation du nombre des bnficiaires de l'aide sociale (595 000 en 1991, 793 000 en 1997), le plafonnement du nombre des salaris 2,7 millions et la chute du taux de syndicalisation : 48,5 % en 1991, 40,3 % en 1997Lire : S. Neil Macfarlane et Stphane Roussel, Tous pour un ou chacun pour soi. Promesses et limites de la coopration rgionale en matire de scurit, Institut qubcois des hautes tudes internationales, Presses de l'universit Laval, 1996.

Allende, Salvador (1908-1973) Le premier dirigeant latino-amricain tenter une transition vers le socialisme marxiste par les voies lgales, se heurte l'opposition dtermine des Etats-Unis, devenant ainsi la premire victime historique de la mondialisation librale. Parlementaire depuis 1945, il est lu prsident de la Rpublique chilienne le 4 septembre 197O, sa quatrime tentative. la tte d'un gouvernement d'unit populaire, il tablit des relations diplomatiques avec les pays communistes et manifeste ostensiblement son amiti Fidel Castro, tout en conduisant une politique extrieure modre. En appliquant son programme de rformes (nationalisation des entreprises et distribution des revenus), il lse les groupes trangers, surtout amricains, qui ont de gros intrts au Chili. Ainsi, la suite de la nationalisation des mines de cuivre en juillet 1971, Allende annonce que les socits amricaines ne seront pas indemnises, en raison des bnfices excessifs raliss depuis le dbut de leur exploitation. Par mesure de rtorsion, les Amricains exercent des pressions pour imposer un embargo sur le cuivre et dcident, le 3 fvrier 1972, de geler les discussions concernant un moratoire sur la dette extrieure chilienne (plus de trois milliards de dollars). De plus, la Banque mondiale, o l'influence amricaine est prpondrante, suspend ses prts au Chili. Si les manuvres amricaines ont pour but de maintenir une position conomique dominante au Chili, elles rvlent aussi le refus des tats-Unis de voir un rgime socialiste associ aux communistes s'implanter sur le continent sud-amricain. De retour de Cuba et d'URSS, Allende s'arrte Washington, le 20 dcembre 1972 afin de ngocier, en vain, l'indemnisation des socits nationalises. Le pays est au bord de la faillite et menac par la guerre civile. L'action des grandes compagnies amricaines, principalement International Telegraph and Telefon (ITT), en liaison avec la CIA contribue la dgradation de la situation intrieure chilienne. Le putsch dirig par le gnral Pinochet aboutit au renversement d'Allende par l'arme chilienne jusqu'alors lgaliste, son suicide le 11 septembre 1973, et une dictature militaire qui a dur dix-sept ans.Lire Seguel Boccara, Ingrid, Les Passions politiques au Chili durant l'Unit populaire, /970-/973, L'Harmattan, 1997.

Alliance pour le progrs. Initiative majeure de la politique extrieure de Kennedy, l'Alliance pour le progrs est cre la confrence interamricaine de Punta del Este (Uruguay) en aot 1961. Son

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18 programme d'assistance long terme vise favoriser la croissance conomique, la modernisation sociale et la dmocratisation en Amrique latine. Dvelopp comme un antidote la rvolution mene par Fidel Castro, le projet s'engage investir plus de 20 milliards de dollars en capitaux publics et privs sur dix ans, appelle les pays d'Amrique latine distribuer la richesse plus quitablement, investir dans l'ducation et la sant, rformer le systme politique et entraner des forces pour combattre les gurillas communistes. Le continent n'enregistrant qu'une croissance annuelle d' 1,5 % contre les 2,5 % attendus, le programme choue transformer le continent, confront par ailleurs ses propres contradictions: les rformes conomiques, agraires, sociales entrent en conflit avec les intrts des milieux d'affaires amricains, dont lanticommunisme virulent favorise la rpression mme des rformateurs et s'oppose la dmocratisation dsire. Sous Johnson, fonds et mystique entourant le programme dclinent. L'administration se tourne alors vers la simple gestion des crises par la force, comme linvasion de la Rpublique dominicaine en 1965.Lire : Schemann Ronald, ed., The Alliance for Progress: A Retrospective, New York, 1988.

Altermodialisation En dplaant les forces productives de lunivers nergtique au champ de linformation, la mutation de limmatriel bouleverse nos socits. Ce qui appartenait jadis au domaine de la gratuit apparat dsormais constituer le cur mme de la vie conomique. Il nous faut redcouvrir ces richesses premires, situes en amont des activits conomiques, mais qui en constituent la fois le but et la condition : savoirs et connaissances, rapports personnels et sociaux, art de vivre Autant de qualits devenues facteurs essentiels du dveloppement et que, pour cette raison, le systme conomique essaie de sapproprier en les absorbant dans sa propre logique. A lorigine appel anti-mondialisation, le mouvement social et civique est progressivement devenu altermondialiste. Une manire daffirmer, dans le droit fil du slogan un autre monde est possible, que des alternatives la mondialisation no-librale sont possibles construire, ici et maintenant. Postuler quil est possible de tracer des alternatives la mondialisation capitaliste, cela suppose de clarifier ce qui est inacceptable dans lactuel mode de dveloppement. Quels sont donc les principaux reproches quon peut lui adresser ? Il porte un niveau rarement atteint les ingalits sociales. Il met en pril lquilibre cologique de la plante.

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Il valorise les seules activits marchandes et montaires. biens communs de lhumanit.

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Il marchandise lensemble des aspects de la vie humaine et porte atteinte aux

Cette faillite totale et les prils majeurs dont elle est porteuse nous impose de changer de regard sur ce qui constitue les bases de lactivit conomique. Les technologies informationnelles changent les rgles de la production et de lchange. Elles appellent des stratgies de mobilisation de lintelligence humaine, lesquelles ne peuvent spanouir qu travers de logiques de coopration, et non travers la comptition gnralise qui caractrise le capitalisme contemporain. Face aux prils qui menacent lhumanit, la rgulation de lconomie de march et lencadrement des forces conomiques par les pouvoirs politiques sont des rponses pertinentes et ncessaires. Mais cela ne suffit pas. Si le capitalisme mondialis peut tre mis en chec, cest aussi parce que des myriades dinitiatives construisent ds prsent une voie alternative. Trois voies se dessinent pour tracer une rupture, claire mais raliste, davec le mode de dveloppement actuel. La premire consiste constater et concrtiser le fait quil est dautres manires de faire conomie que la seule forme marchande et montaire. Voil un sicle, lessor des coopratives et des mutuelles a constitu une premire rponse au besoin dincarner les valeurs de dmocratie et de solidarit au cur de lconomie. Depuis vingt ans, lmergence des diverses formes dconomie solidaire* tente de rpondre des besoins sociaux que le march seul ne peut satisfaire. Fertiles au Nord comme dans au Sud, ces formes dorganisation montrent quconomie ne rime pas fatalement avec surexploitation, spculation, licenciements Ce nest pas un hasard si lactuel gouvernement Raffarin, dans le droit fil dun Reagan ou dune Thatcher, sattaque frontalement, outre les services publics, ce secteur de lconomie sociale et solidaire*. Pour ces orthodoxes du no-libralisme, il convient de sparer nettement ce qui ressort de lconomie laquelle ne peut

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tre que marchande de ce qui relve de laction sociale et caritative sous forme associative le plus souvent.

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Le dveloppement durable* constitue la seconde piste alternative. Car le mode de dveloppement actuel mne lpuisement des ressources humaines et de celles de la nature. George W. Bush na-t-il pas tout rsum en expliquant, au sujet du refus amricain de ratifier le protocole de Kyoto* sur la rduction des gaz effet de serre : Trop cher pour lconomie amricaine ! ? Il faut sortir de cette logique productiviste qui a longtemps marqu la pense conomique de gauche. Lorsquen produisant, le systme productif sautodtruit en dtruisant le milieu naturel qui le porte comme il porte toute vie , apparat la question des comportements permettant dassurer un dveloppement durable, souligne Ren Passet. Participent de cette dmarche toutes les initiatives qui visent remettre lconomie au service des fondamentaux cologiques. Face aux ingalits scandaleuses entre le Sud et le Nord, la solidarit internationale reprsente une troisime piste. Les dmarches de commerce quitable qui donnent aux producteurs du Sud des conditions de travail et dexistence bien suprieures celles imposes par le commerce capitaliste tmoignent de cette volont. Plus globalement, la construction dun monde solidaire suppose de remanier les rgles du jeu international (en commenant par rformer radicalement les institutions financires internationales). Enfin, il faut mettre en place une gouvernance dmocratique mondiale afin de fournir un contrepoids politique lconomie mondialise. Economie sociale et solidaire, dveloppement durable, solidarit internationale : ces trois pistes, qui se traduisent par des myriades dinitiatives, restent encore portes par des acteurs cloisonns, segments. Cest pourtant dans leur conjonction quelles pourraient trouver leur pleine capacit transformatrice et leur sens politique.

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Il nous faut sortir dune conomie qui na de nouvelle que le nom et ne fait que

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plaquer les vieux mcanismes du capitalisme industriel sur une ralit qui na plus rien voir. Il nous faut remettre lconomie au service des fondamentaux anthropologiques et cologiques. Face nos socits de march des socits dans laquelle tous les rapports sociaux sont infods lconomique et o toute lconomie est ramene lconomie de march , il sagit de mettre en uvre une double alternative : - alternative lconomie de march en incarnant dans les actes une conomie plurielle ; - mais aussi alternative lconomisme dominant qui imprgne nos socits. Vaste dfi, et qui se heurte un problme de taille : la marchandisation progressive de tous les aspects de la vie humaine. Malgr Seattle, Porto Alegre *ou Annemasse, cette logique, tel un rouleau compresseur, continue sa marche en avant. Si le sentiment dimpuissance politique sest dvelopp ce point, ces dernires annes, cest sans doute parce que chacun sent bien quon ne peut pas proposer dalternative crdible si lon ne sait pas comment sopposer cette marchandisation systmatique. Lenjeu, aujourdhui, est bien de btir un rformisme anti-marchandisation.A lire : Philippe Merlant, Ren Passet et Jacques Robin Sortir de lconomisme. Une alternative au capitalisme no-libral (Editions de lAtelier, 2003) A lire : Christophe Aguiton. Le monde nous appartient. Plon 2001.

Al-Qada, rseau mondial du terrorisme Al-Qada est l'abrviation en arabe de l' Arme islamique pour la libration des lieux saints. OJO, comprobarlo, Cette organisation terroriste dsigne par lieux saints l'Arabie Saoudite o sont installes des bases amricaines, la Palestine et Jrusalem qu'elle considre aux mains du peuple juif et en gnral tout pays musulman influenc d'une faon ou d'une autre par le monde occidental. Al-Qada est la plus grande organisation terroriste islamiste et bnficie d'une norme quantit d'argent destin financer ses projets. Elle a t cre vers 1988 pour tre la branche arme du Front islamique international contre les Juifs et les croiss, un Front fond par Oussama Ben Laden, le responsable prsum des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis. Le rseau d'Al-Qada est prsent dans le monde entier et compte des milliers de personnes.

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22 L'motion immense que a suscit lattaque du 11 septembre, ne peut dissimuler les lgitimes interrogations que provoqua la riposte. Le pril terroriste, trs diffus, requiert un combat patient, quotidien, mais ncessite-t-il les guerres ? Et mene contre qui ? Contre les anciens combattants de la libert afghans et M. Oussama Ben Laden, forms aux meilleures coles de la CIA ? Contre les talibans que les Etats-Unis et leurs allis pakistanais ont installs au pouvoir ? Contre l'Irak, dj exsangue aprs onze annes d'embargo ? Contre le monde musulman ou contre l'islam, dsign par certains comme le nouvel adversaire ? Les attentats du 11 septembre refltent la tension des changements affectant le systme mondial et l'incapacit de Washington intgrer les ralits politiques et institutionnelles de la nouvelle re. La rivalit amricano-sovitique a t, longtemps, confortable pour les lites politiques et militaires amricaines. Ses paramtres taient clairs, et les comportements prvisibles. Les Etats-Unis ont pens se scuriser en se procurant des armes et des systmes de renseignements de plus en plus sophistiqus et coteux. Pendant des annes, des gnraux et des dirigeants politiques dociles ont menti sur la nature des menaces pour justifier le maintien des structures militaires, le systme d'organisation, les dpenses d'armement et les bases trangres issues de la guerre froide. On s'aperoit dsormais que la nouvelle course aux armements dans l'espace et le projet de dfense antibalistique ne correspondent pas aux vritables besoins de scurit du pays. En 1989, avec l'effondrement du mur de Berlin, s'ouvrait une possibilit de rebtir un ordre international plus juste. La volont des Etats-Unis de le forger de manire solitaire, d'en dfinir seuls les contours et les rgles, les excs mmes de leur puissance ont contribu rendre le monde actuel plus dangereux. Une dcennie plus tard, assisterons-nous la rptition du mme scnario ? Succdant au cycle entam le 9 novembre 1989, lors de la chute du mur de Berlin, une nouvelle priode historique dmarre un fatidique ce mardi 11 septembre par la dcouverte d'une arme nouvelle : un avion de ligne, bourr de krosne et transform en missile de destruction. Inconnue jusqu'alors, cette monstrueuse bombe incendiaire percute par surprise l'Amrique plusieurs reprises, au mme moment. Le choc est d'une telle violence que le monde va en tre effectivement branl. Ce qui se modifie d'emble, c'est la perception mme du terrorisme. On parle immdiatement d' hyperterrorisme pour signifier qu'il ne sera plus comme avant. Un seuil, impensable, inconcevable, a t franchi. L'agression est d'une telle dmesure qu'elle ne ressemble rien de connu. Au point qu'on ne sait pas comment la nommer. Attentat ? Attaque ? Acte de guerre ? Les limites de la violence extrme semblent repousses. Et on ne pourra plus revenir en arrire. Chacun sait que les crimes du 11 septembre, inauguraux, se reproduiront. Ailleurs peut-tre, et dans des circonstances diffrentes sans doute, mais ils se rpteront.

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23 L'histoire des conflits enseigne que, lorsqu'une arme nouvelle apparat, aussi monstrueux qu'en soient les effets, elle est toujours remploye. Cela a t vrai pour l'usage des gaz de combat aprs 1918, ou pour la destruction des villes par bombardements ariens aprs Guernica en 1937. C'est d'ailleurs cette crainte qui entretient, cinquante-six ans aprs Hiroshima, la terreur nuclaire... L'agression du 11 septembre rvle la fois, chez ses auteurs, une cruaut fantastique et un trs haut degr de sophistication. Ils ont voulu frapper fort, frapper au cur et frapper les esprits. Et ont recherch produire au moins trois types d'effets : des dgts matriels, un impact symbolique et un grand choc mdiatique. Les rsultats sont bien connus : anantissement de 4 000 vies humaines environ, des deux tours du World Trade Center, d'une aile du Pentagone et, probablement, si le quatrime avion ne s'tait pas cras en Pennsylvanie, de la Maison Blanche. Mais ces destructions ne constituaient pas, de toute vidence, l'objectif principal. Car alors les avions auraient vis, par exemple, des centrales nuclaires ou des barrages et auraient provoqu des dvastations apocalyptiques et des dizaines de milliers de morts... Le deuxime objectif visait frapper les imaginations en avilissant, en offensant et en dgradant les signes principaux de la grandeur des Etats-Unis, les symboles de son hgmonie impriale en matire conomique (le World Trade Center), militaire (le Pentagone) et politique (la Maison Blanche). Moins remarqu que les deux prcdents, le troisime objectif tait d'ordre mdiatique. Par une sorte de coup d'Etat tlvisuel, M. Oussama Ben Laden, cerveau prsum de l'agression, a cherch occuper les crans, y imposer ses images, les scnes de son oeuvre de destruction. Il a pris ainsi le contrle, au grand dam de l'administration amricaine, de tous les crans de tlvision des Etats-Unis (et, au-del, du monde entier). Il a pu de la sorte dvoiler, dmontrer l'insolite vulnrabilit amricaine, exhiber au sein des foyers sa propre puissance malfique, et mettre lui-mme en scne la chorgraphie de son crime. Une manire de narcissisme que complte l'autre image dominante du dbut de cette crise : celle de M. Ben Laden lui-mme. Sur fond de caverne afghane, l'autoportrait d'un homme au regard trangement doux... Du jour au lendemain, cette image a fait d'un homme largement inconnu la veille du 11 septembre, la personne la plus clbre du monde. Depuis qu'un dispositif technique global permet de diffuser des images en direct sur l'ensemble de la plante, on savait que tout tait prt pour l'apparition d'un messianisme mdiatique . L'affaire Diana,

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24 en particulier, nous avait appris que les mdias, beaucoup plus nombreux qu'auparavant, sont en fait plus unifis et plus uniformiss que jamais. Et que tout cela allait tre un jour mis profit par une sorte de prophte lectronique. M. Ben Laden est le premier. Par le biais de son agression du 11 septembre, il a eu accs tous les crans du monde, et a pu dlivrer son message plantaire. Gnie du mal ou moderne Dr Mabuse pour les uns, Ben Laden a pu apparatre aux yeux de millions de personnes travers, notamment, le monde arabo-musulman, comme un hros. Plus mme qu'un hros, comme un messie, celui qui, dsign et envoy par Dieu, vient dlivrer l'humanit du mal ... Dieu a permis aux ennemis de l'Amrique de nous infliger ce que nous mritons probablement. Ainsi avaient ragi deux tlvanglistes influents, MM. Jerry Falwell et Pat Robertson, allis dcisifs du prsident George W. Bush lors de sa victoire lectorale. M. Falwell ajouta : Ce sont les paens, les avorteurs, les fministes, les gays, les lesbiennes qui, en tentant de sculariser l'Amrique, ont favoris cet vnement ! Je le leur dis en les montrant du doigt ! Une telle raction montre que le fanatisme n'est le monopole d'aucune religion. Mais cela n'entache pas le consensus : la plupart des Amricains exigeaient une vengeance rapide contre les responsables de l'attaque terroriste. Le militant islamiste Ben Laden, form par les amricains, semblait bien tre le seul capable d'orchestrer, avec l'aide de divers groupes non directement affilis son organisation mais sympathisants, de telles attaques contre les Etats-Unis. En aot, quatre spcialistes du terrorisme ont publi, dans le mensuel britannique Jane's Intelligence Review, la structure de l'organisation de Oussama ben Laden, Al-Qaeda . Elle fut cre en 1988. Le Saoudien, dsign comme l'mir Ben Laden , en est l'pine dorsale. Il dispose d'un "conseil consultatif", le Dhura Majlis. Un comit militaire est charg d'oprations spciales pour le compte de Ben Laden lui-mme et de ses commandants. L'organisation rassemblerait quelque 3 000 5000 adhrents dont la plupart ont combattu aux cts des talibans contre l'opposition afghane: ils sont dsigns sous le nom de la Brigade 055. Ben Laden n'hsitait pas inventer un terrorisme de type nouveau ; global dans son organisation, mais aussi dans sa porte et ses objectifs. Il ne revendique rien de trs prcis. Ni l'indpendance d'un territoire, ni des concessions politiques concrtes, ni l'instauration d'un type particulier de rgime. Mme l'agression du 11 septembre n'a toujours pas t officiellement revendique. Cette nouvelle forme de terreur se manifeste comme une sorte de chtiment ou de punition contre un comportement gnral , sans plus de prcision, des Etats-Unis et plus largement des pays occidentaux.

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25 Une autre leon de l'aprs-11 septembre, c'est que la mondialisation continue et s'affirme comme la principale caractristique du monde contemporain. Mais la crise actuelle a rvl sa vulnrabilit. C'est pourquoi les Etats-Unis soutiennent qu'il est urgent de mettre en place ce qu'on pourrait appeler l'appareil de scurit de la mondialisation. Le long de l'histoire le monde a connu des villes-Etat (Athnes, Venise), des rgions-Etat l'poque fodale, et des nations-Etat au cours des XIXe et XXe sicles, mais, avec la mondialisation on voit maintenant apparatre le rseau-Etat, voire mme l'individu-Etat dont M. Ben Laden est le premier exemple vident. Mme si, pour l'instant, ce dernier a encore besoin - comme un bernard-l'hermite a besoin d'une coquille vide - d'un Etat vide (la Somalie hier, l'Afghanistan aujourd'hui) pour l'investir et le mettre tout entier au service de ses ambitions. La mondialisation favorise cela, comme elle encouragera demain l'apparition d'entreprises-Etat qui, la manire de M. Ben Laden, investiront un Etat creux, vide, dstructur, en proie au dsordre endmique, pour l'utiliser leur guise. A cet gard aussi, M. Ben Laden aura t en quelque sorte un terrifiant prcurseur. On parlait depuis longtemps de la nbuleuse islamiste, voire d'une internationale islamiste. Certes, il y a une solidarit islamique terroriste . Ainsi dans les annes 80, des centaines de jeunes islamistes algriens se sont entrans en Afghanistan et au Pakistan. En Algrie, on les avait d'ailleurs surnomms les Afghans , et ils ont constitu le gros des troupes du Groupe islamique arm (GIA), le mouvement islamiste algrien le plus radical. Si les pays occidentaux sont souvent les cibles des islamistes, il y a cependant quelques variantes. Ainsi, le GIA ne s'est jamais attaqu en Algrie des intrts amricains. La structure horizontale de Al-Qaeda est compose d'un conglomrat de 24 groupes oprant en rseau. Elle a une dimension mondiale, tant prsente au travers de groupes terroristes indpendants bass en Algrie, Egypte, Maroc, Turquie, Jordanie, Tadjikistan, Syrie et 31 autres pays. Al-Qaida, cet gard, est une organisation parfaitement adapte l'ge de la mondialisation avec ses ramifications multinationales, ses rseaux financiers, ses connexions mdiatiques et communicationnelles, ses filires d'approvisionnement, ses ples humanitaires, ses relais de propagande, ses filiales et sous-filiales sans chef dorchestre. Ou tout au plus clandestin, mme sil existe une collaboration due notamment aux stages de formation communs dans des camps de Libye ou du Moyen-Orient, le Liban ayant longtemps servi de plaque tournante. Chaque commanditaire, par exemple Damas ou Thran, a ses groupes clients,

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26 Amal, le Djihad islamique, le Hezbollah, Hamas ou le Front de libration de la Palestine, qui sopposent, dailleurs, ou se subdivisent, au point quil est parfois difficile de les suivre Le Saoudien dispose, toujours selon le mensuel Jane's, de financements provenant d'Etats tels que le Soudan, l'Iran et l'Afghanistan, d'un rseau de mcnes arabes trs religieux, ainsi que d'un rseau d'organisations caritatives musulmanes. Les fonds transitent principalement par des banques arabes dans le Golfe. Le beau-frre de ben Laden, lui-mme bas dans cette rgion, orchestrerait les transferts de fonds et les investissements raliss par l'organisation dans certains pays: le Maurice, Singapour, Malaisie et Philippines. Sans parler de la fortune personnelle du Saoudien, estime entre 311 333,3 millions d'euro (2 2 milliards de francs). . Selon les auteurs de ce rapport, Ben Laden dirige un certain nombre d'oprations et d'attaques terroristes. L'lite dAl Qaeda est constitue de cadres gyptiens, algriens et ymnites expriments. D'autres oprations terroristes seraient" sous-traites" des groupes terroristes locaux, selon le principe que Christopher Aaron, rdacteur en chef de la revue Jane's Londres, appelle la "rpartition des tches ". Il souligne l'esprit de corps animant ces combattants qui ont en commun d'avoir combattu en Afghanistan. Les islamistes, souligne un spcialiste proche-oriental de ces questions, s'appuient sur des agents dormants qui peuvent attendre des annes avant d'tre activs . Ils ont sans doute, ajoute ce spcialiste, une carte de sjour amricaine en rgle et vivent depuis un certain temps sur le territoire amricain ou en Europe. " C'tait le cas de Ramzi Youssef, le coordonnateur de l'attentat du World Trade Center. Arrt le 7 fvrier 1995 au Pakistan, alors g de 27 ans et porteur d'un passeport pakistanais, il se trouvait dans une maison loue par le rseau Ben Laden, dont il tait proche. Selon des informations de l'poque, il tait en train de mettre au point une attaque du sige de la CIA "par un avion charg d'explosifs . Ramzi Youssef aurait aussi travaill sur un projet consistant faire exploser simultanment deux Boeing 747 approchant de Hong Kong. L'idologie proclame par le Saoudien est en revanche plus floue: un antiamricanisme largi de l'antioccidentalisme. Une idologie qui relve davantage du panislamisme que du panarabisme. Ses rfrences sont exclusivement religieuses, Ousama ben Laden tant considr dans le monde islamique comme le seul leader capable de s'opposer au grand Satan , l'Amrique. Dans son discours du 7 octobre 2002, diffus par la chane qatarie Al-Jazira, M. Oussama Ben Laden voque avant tout autre argument le fait que la nation islamique subit, depuis quatre-vingts ans, humiliation et mpris . Ce disant, il fait rfrence non la Palestine ou l'Irak, mais ... la suppression du califat par Atatrk en 26

27 1924. Et de poursuivre : L'Amrique ne vivra pas en paix avant que la paix ne rgne en Palestine (entendez par l tant que Jrusalem n'est pas libre) et que toute l'arme des infidles ne quitte la terre de Mahomet (l'Arabie saoudite). Il n'tablit en revanche aucun lien avec des situations politiques locales, comme la leve de l'embargo sur l'Irak ou la situation en Algrie... Cette religiosit dbouche sur un millnarisme qui imprgne les discours du chef d'Al-Qaida et rduit le politique la portion congrue. Dans les Etudes militaires du Jihad contre les tyrans , document de 200 pages environ trouv en Grande-Bretagne en mai 2000, il est dit que le martyre (...) permet la ralisation de la religion d'Allah tout-puissant sur terre (1) . Comme dans tous les discours de sectes, le religieux recouvre le politique et le rend inutile, en annonant une ralisation rapide du paradis sur terre. Tous les attentats attribus Al-Qaida ont exig le sacrifice d'un ou plusieurs hommes, les attaques d'aot 1998 contre les ambassades amricaines d'Afrique de l'Est comme celle d'octobre 2000 contre l'USS-Cole. On retrouve cette ncessit de la mort du croyant ou du combattant comme passage privilgi vers le paradis dans les suicides collectifs de sectes (Guyana, Temple solaire), la sanction de la trahison l'gard de la secte politique (Arme rouge japonaise ou Tigres tamouls) ou religieuse (secte japonaise Aum). Et les victimes innocentes apparaissent comme la condition invitable de la ralisation de cet objectif millnariste.Lire : Olivier Roy La fin de l'islam politique, Esprit, Paris, aot-septembre 2001. Franois Heisbourg, Hyperterrorisme : la nouvelle guerre, Odile Jacob, Paris, 2001. Pascal Boniface, Les Guerres de demain, Seuil, Paris, 2001. Jean Baudrillard, L'esprit du terrorisme , Le Monde, 3 novembre 2001. Ignacio Ramonet, Gopolitique du chaos, col. Folio Actuel , n 67, Gallimard - Galile, Paris, 2000.

AMI Discut en grand secret, en 1998, au sein de lOCDE, ce projet mort-n, sil avait t adopt, aurait accord aux multinationales qui investissent dans les pays trangers les mmes droits quaux entreprises locales. L'mergence de groupes d'activistes risque d'affaiblir l'ordre public, les institutions lgales et le processus dmocratique. (...) Il faudrait tablir des rgles pour clarifier la lgitimit de ces organisations non gouvernementales activistes qui proclament reprsenter les intrts de larges secteurs de la socit civile. Dans son agressivit, cette dclaration, adopte Genve en septembre 1998 par 450 dirigeants de multinationales, traduit le ressentiment du monde des affaires l'gard de nouvelles formes de contestation et de leur efficacit. La menace ne manque pas de cynisme, sortie d'une runion organise par la Chambre de commerce internationale, lobby mondial des multinationales et vritable association d'activistes du big business, prside par l'un des plus durs d'entre eux: M. Helmut O. Maucher, patron de Nestl, galement prsident de la Table ronde europenne des industriels (connue

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28 sous son sigle anglais ERT, European Round Table of Industrialists), ainsi que de l'annuel Forum conomique mondial de Davos. Deux groupes aussi efficaces pour affaiblir les institutions lgales que dpourvus de la moindre lgitimit dmocratique. Cest que les ngociations sur lAMI, menes pendant trois ans par l'OCDE, venaient dtre suspendues. Les mouvements associatifs qui, dans de nombreux pays, et en particulier en France, staient mobiliss pour en empcher la signature et alerter l'opinion publique, ont remport une incontestable victoire. L'exprience a confirm l'opaque collusion des milieux d'affaires et des instances gouvernementales. Elle a aussi rvl l'efficacit de nouvelles stratgies de lutte sociale, adaptes la mondialisation, et du recours systmatique Internet. APEC Le Forum de coopration conomique Asie-Pacifique, cr en 1994 par 18 pays : Australie, Brunei, Canada, Chili, Chine, Core du Sud, Etats-Unis, Hongkong, Indonsie, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zlande, Papouasie-Nouvelle Guine, Philippines, Singapour, Taiwan et Thalande. Ce forum sert de lieu de discussion entre ces pays afin de mettre sur pied, d'ici 2020, la plus importante zone de libre circulation de biens du monde. L'APEC, en plus de diminuer long terme la concurrence entre les Etats-Unis et le Japon, est galement empli de vises politiques.

ATTAC LAssociation pour une Taxation des Transactions financires pour lAide aux Citoyens est ne en France en 1998 dune initiative du Monde diplomatique. Elle existe aujourdhui dans une cinquantaine de pays o se sont constitues des organisations part entire cres selon les ralits locales. Le dveloppement rapide dATTAC met en vidence quil ny a pas, comme le prtend une ide reue, de dsintrt moderne pour lengagement politique mais seulement une pratique diffrente : dcentralise, active dans de nombreux pays. Il existe une opinion publique mobilisable dans tous les lieux significatifs de la plante pour des vnements massif mais ponctuels, qui se mfie des partis et des institutions et sait merveille manier les mdias. Ne du refus de la dictature des marchs et de la volont de reconqurir les espaces abandonns par la dmocratie, Attac est devenu un des principaux mouvements fdrateurs des altermondialistes. Dans sa dmarche, lassociation combine lanalyse critique et laction au service de propositions alternatives. Elle fait vivre lesprance quun autre monde est possible . Pour sopposer la dictature des marchs,

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29 ATTAC se bat notamment pour linstauration dune taxe sur les mouvements spculatifs de capitaux, comme lavait propos le prix Nobel James Tobin*. Dcembre 1997, un ditorial dIgnacio Ramonet dans le Monde diplomatique, Dsarmer les marchs, propose de crer une organisation autour de cette taxe. La fondation dATTAC est donc le rsultat du refus dune pense conomique unique, la volont monopoliste des lites plus arrogantes quexpertes, et la sujtion de la dmocratie lautocratie financire. Lassociation est organise lchelle nationale et locale, les diffrentes dimensions interagissant de manire continue grce, entre autres, aux correspondants lectroniques. Les expertises se dveloppent, et cest important pour un mouvement dducation populaire dagir sur les deux niveaux. La premire originalit dAttac est davoir mis autour de la mme table des composantes dassociations dducation populaire, dorganisations du mouvement social et des organisations syndicales, en y adjoignant des organes de presse, autour dun objectif dans lequel elles pouvaient toutes se reconnatre: reconqurir les espaces perdus par la dmocratie au profit de la sphre financire. Sa deuxime originalit est davoir bti une configuration articulant une direction nationale o les personnes morales ont un rle prpondrant et des structures locales - largement autonomes dans le respect de la plate-forme constitutive de lassociation - surtout composes dadhrents individuels. Son premier secrtaire gnral Bernard Cassen, directeur gnral du Monde diplomatique* cda sa place en 2002 Pierre Tartakowski, ex cgtiste, second par Christophe Aguiton, responsable dAgir Ensemble Contre le Chmage (AC !)Lire : Andr Gorz, Misres du prsent, richesse de lavenir, Galile, Paris, 1997. Riccardo Petrella. Le Dsarmement financier, Editions Labor, Bruxelles Franois Chesnais, La Mondialisation du capital, Syros, Paris, 1997.

AUE ( Acte unique europen ) La mise en place de l'euro au dbut de 2002 est prsente comme l'tape ultime, et la plus symbolique, du mouvement d'intgration conomique et montaire en Europe. Entame en 1951 avec la Communaut europenne du charbon et de l'acier (CECA), la construction communautaire s'est poursuivie, aux termes du trait de Rome de 1957 portant cration de la Communaut conomique europenne (CEE) par l'instauration d'un march commun des six Etats membres de l'poque. Cette premire phase avait deux caractristiques majeures : d'abord le rle central donn aux politiques publiques destines coordonner les investissements l'chelle europenne et rguler le march, notamment dans les secteurs de l'nergie et de l'agriculture ; ensuite, la quasi-absence

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30 des questions montaires dans les objectifs communautaires, le trait se limitant prvoir un comit montaire statut purement consultatif. Les annes 1970-1980 marquent un tournant radical : les gouvernements des pays membres (ils seront douze compter de 1986) dcident d'accorder une priorit aux mcanismes de march dans le fonctionnement de la CEE. Pour dynamiser les institutions europennes, divers projets sont labors dans les annes 1980. Un Livre blanc de la Commission prcise l'ide de grand march unique lance par son prsident Jacques Delors. En septembre 1985, il est prvu de regrouper dans un mme document les textes et les amendements au trait de Rome, et un prambule sur l'Union europenne. L'Acte unique europen qui en est issu est sign en fvrier 1986 Luxembourg et ratifi par les parlements nationaux en 1986. Il entre en vigueur le 1er juillet 1987. Il se donne pour objectif de dynamiser la construction europenne en achevant le march intrieur au1er janvier 1993 espace sans frontires intrieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assure (article 7 A). Le texte est le rsultat du livre blanc de la commission europenne sur l'achvement du march intrieur. Le projet d'union politique dfendu par Altiero Spinelli et certains Etats membres est cart. L'AUE consacre le dsquilibre entre l'Europe conomique, d'une part, et l'Europe politique et sociale rduite au solde de la prcdente, d'autre part. Il amende plusieurs dispositions du Trait de Rome et introduit une nouvelle forme de coopration en matire de politique trangre. Il prvoit la libre circulation des hommes, des marchandises, des capitaux et des services; une union conomique et montaire progressive; l'extension des comptences communautaires aux questions de l'environnement, de la recherche et de la technologie; le dveloppement du dialogue social. En matire de politique trangre, la rgle de l'unanimit est maintenue, mais les tats sont invits ne pas empcher la formation d'un consensus; le principe de subsidiarit stipule que la Communaut ne peut lgifrer dans des domaines relevant des comptences nationales. Il est favoris par la reprise conomique et par les modifications institutionnelles qui dveloppent le vote la majorit qualifie par le Conseil des ministres (rvisant ainsi le compromis de Luxembourg) et les comptences de la Commission. L'Acte unique europen est considr comme un moyen de progresser vers l'Union europenne, finalement mise en place par le trait de Maastricht. L'Acte unique traduit ce choix politique en structurant l'espace conomique europen sur la base du march unique des biens et services, des travailleurs et des capitaux partir de 1992. Ds lors, l'Europe s'inscrit dans la logique de la mondialisation no-librale impulse depuis le dbut des annes 1980 par les Etats-Unis de M. Ronald Reagan et le Royaume-Uni de Mme Margaret Thatcher. Avec l'idologie du 30

31 libre-change qui s'impose alors, on assiste un recul organis de la rgulation publique, marqu par l'acclration des mesures de drglementation et de privatisation. Lire : Jean-Victor, Louis, L'Acte unique europen, ditions de l'Universit de Bruxelles, 1987. Axe du mal Le 29 janvier 2002, pendant la guerre d'Afghanistan qui suivit les attentats du 11 septembre, Georges W. Bush utilise pour la premire fois la dnomination Axe du mal . Le prsident amricain dsignait ainsi un pivot imaginaire constitu par l'Irak, l'Iran et la Core du Nord. Trois pays qu'il accuse de vouloir se procurer des armes de destruction massive ainsi que d'abriter et de protger des organisations terroristes hostiles au monde occidental et aux Etats-Unis. Nous considrons, quant nous, quil existe un autre axe du mal, tricphale aussi. Les citoyens doivent savoir que la mondialisation librale attaque dsormais les socits sur trois fronts. Central, parce qu'il concerne l'humanit dans son ensemble, le premier front est celui de l'conomie. Il demeure plac sous la conduite de ce qu'il faut vraiment appeler l' Axe du Mal , constitu par le FMI, la Banque mondiale et l'OMC. Cet axe malfique continue d'imposer au monde la dictature du march, la prminence du secteur priv, le culte du profit, et de provoquer, dans l'ensemble de la plante, de terrifiants dgts : hyperfaillite frauduleuse d'Enron, crise montaire en Turquie, effondrement calamiteux de l'Argentine, dvastations cologiques partout... Et les Confrences internationales sur le financement du dveloppement, qui se succdent aggravent le dsastre gnral en martelant chaque fois que le secteur priv doit devenir le principal acteur du dveloppement du Sud. Il est scandaleux que les chefs d'Etat et de gouvernement, en particulier ceux de l'Union europenne, refusent d'adopter, en faveur du dveloppement, les indispensables mesures qui, seules, peuvent sauver de la misre les deux tiers de l'humanit. On peut en retenir dix : annuler totalement la dette des pays pauvres ; mettre en place un systme de rglement gnreux, juste et quitable de la dette des pays du Sud ; dfinir des garanties pour que les futurs financements soient engags dans des conditions satisfaisantes et utiliss en faveur du dveloppement durable ; obtenir des pays riches qu'ils s'engagent consacrer au moins 0,7 % de leur richesse au financement du dveloppement ; rquilibrer les termes de l'change entre le Nord et le Sud ; garantir la souverainet alimentaire dans chaque pays ; contrler les mouvements irrationnels de capitaux ; interdire le secret bancaire ; dclarer hors-la-loi les paradis fiscaux ; et mettre en place enfin une taxation internationale des transactions financires.

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32 Le deuxime front, clandestin, silencieux, invisible, est celui de l'idologie. Avec la collaboration active d'universits, de prestigieux instituts de recherche (Heritage Foundation, American Enterprise Institute, Cato Institute), de grands mdias (CNN, The Financial Times, The Wall Street Journal, The Economist, imits en France et ailleurs par une foule de journalistes asservis), une vritable industrie de la persuasion a t mise en place afin de convaincre la plante que la mondialisation librale apporterait enfin le bonheur universel. En s'appuyant sur le pouvoir de l'information, des idologues ont ainsi construit, avec la passive complicit des domins, ce qu'on pourrait appeler un dlicieux despotisme. Cette manipulation a t relance, aprs le 11 septembre, avec la cration par le Pentagone d'un trs orwellien Bureau d'influence stratgique (BIS), charg de diffuser de fausses informations pour influencer les opinions publiques et les dirigeants politiques aussi bien dans les pays amis que dans les Etats ennemis . Comme dans les annes les plus sombres du maccarthysme et de la guerre froide, une sorte de ministre de la dsinformation et de la propagande a donc t mis sur pied charg d'tablir, comme dans les dictatures ubuesques, la vrit officielle. La ficelle tait si grosse que le Bureau en question a d tre officiellement ferm. Le troisime front, inexistant jusqu' prsent, est militaire. Il a t ouvert au lendemain du traumatisme du 11 septembre 2001. Et vise doter la mondialisation librale d'un appareil de scurit en bonne et due forme. Un moment tents de confier cette mission l'Organisation du trait de l'Atlantique nord (OTAN), les Etats-Unis ont dcid d'assumer seuls cette mission et de se doter de moyens considrables pour l'exercer avec la plus impressionnante efficacit. Les guerres en Afghanistan contre le rgime des talibans et contre le rseau Al-Qaida ont convaincu Washington qu'il est inutile, pour des missions de cette envergure, de demander une collaboration militaire autre que minimale ses principaux allis stratgiques, Royaume-Uni et France, ou mme l'OTAN . Cette attitude de mpris a t confirme lors de l'attaque et de loccupation de l'Irak. Les protestations des chancelleries europennes n'ont nullement impressionn l'administration amricaine. La fonction des vassaux est de s'incliner, et l'Amrique aspire dsormais exercer une domination politique absolue. Les Etats-Unis sont en quelque sorte le premier Etat proto-mondial, constate William Pfaff. Ils ont la capacit de prendre la tte d'une version moderne de l'empire universel, un empire spontan dont les membres se soumettent volontairement son autorit . Cet empire aspire raliser dans les faits la mondialisation librale. Tous les opposants, tous les dissidents et tous les rsistants doivent maintenant savoir qu'ils seront combattus sur ces trois fronts : 32

33 conomique, idologique et militaire. Et que le temps du respect des droits humains semble rvolu, comme le prouve l'tablissement de ce scandaleux bagne tropical Guantanamo o plusieurs Europens sont squestrs dans des cages... L'axe du Mal (FMI, Banque mondiale, OMC) dissimulait son vrai visage. On le connat prsent.Lire Projet de conclusions et dcisions de la Confrence internationale sur le financement du dveloppement , Nations unies, assemble gnrale, 30 janvier 2002, document A / AC.257 / L.13. -Ignacio Ramonet , Propagandes silencieuses, et Guerres du XXIe sicle, Galile,Paris.

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34 B Banque Mondiale La seconde guerre mondiale tire sa fin. Les principaux allis envisagent divers moyens pour diriger les relations montaires internationales. Les reprsentants des Nations adoptent les statuts du FMI, linstitution internationale charge de surveiller le Systme Montaire International et de favoriser llimination des restrictions de change applicables au commerce des biens et des services et leur stabilit. Organisme intergouvernemental ouvert en principe tout tat sans distinction de rgime, condition quil adhre au F.M.I., la Banque mondiale compte en 1995 cent soixante-dix-huit tats membres, tout en reconnaissant elle-mme son caractre occidental d linfluence prpondrante des tats-Unis. Entre la Banque mondiale et Wall Street, l'alliance est, bien entendu, stratgique. La Banque a d'ailleurs sauv maintes reprises certains instituts financiers imprudemment engags dans des oprations de spculation ici ou l sur d'autres continents. Dans sa pratique quotidienne, elle fonctionne selon des critres strictement bancaires. Sa charte exclut expressment toute conditionnalit politique ou autre. Sa pratique est nanmoins surdtermine par un concept totalisant d'origine non bancaire, et idologique celui-l: le Consensus de Washington.* En termes de technique bancaire, cet organisme est partout le prteur de dernire instance ( the fender of fast resort ), celui qui se trouve en situation d'imposer au dbiteur les conditions de son choix. Qui d'autre que lui serait prt concder le moindre crdit au Tchad, au Honduras, au Malawi, la Core du Nord ou l'Afghanistan ? Aprs avoir prt environ 500 millions de dollars aux pays europens en 1947, la Banque mondiale fut relaye dans ses fonctions de reconstruction par le plan Marshall et se consacra essentiellement, partir de 1948, au dveloppement. Aujourdhui, elle considre que sa principale fonction consiste financer des projets productifs favorisant la croissance conomique des pays membres moins dvelopps. La Banque mondiale a connu son ge d'or de la fin des annes 1960 au dbut des annes 1980 Ancien ministre de la dfense des prsidents John F. Kennedy et Lyndon B. Johnson, Robert McNamara la di