Accompagner Les Choix Des Personnes Trans Et Intersexuées - Gazette santé-social - Juin 2014 - Par Emilie Lay

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Personnes trans ou intersexuées, les parcours de vie et les choix sont multiples.Le point sur les pratiques professionnelles, entre adaptation de la prise en charge médicale et sociale et questionnements éthiques et citoyens.

Citation preview

  • PRATIQUES

    36 Juin-juillet 2014 La Gazette Sant-Social

    GENRE

    Accompagner les choix des personnes trans et intersexues

    Trans , transgenre , trans-sexuel , intersexe : la diversit des termes recouvre une grande varit de situations. Lintersexuation, congni-tale, peut tre dtecte ds la naissance : elle se dfinit par des caractristiques gnitales, hor-monales et physiques, ni exclusivement mles, ni exclusivement femelles. Les personnes trans, quant elles, ressentent le besoin de scar-ter de leur sexe de naissance. Avec des varia-tions nombreuses : si des travestis changent de vtements loccasion, des transgenres vivent en permanence comme tant du sexe oppos, et des transsexuels vont jusqu re-courir un traitement de conversion sexuelle, hormonal et/ou chirurgical (1). Mais bnficier dune chirurgie de

    rassignation sexuelle ncessite un long accompagnement pluridisciplinaire. Les per-sonnes intresses doivent se tourner vers une des six quipes hospitalires affectes cette spcialit en France. Le parcours de soins comporte trois tapes : lvaluation psychiatrique, lhormono substitution suivie par la chirurgie, puis laccompagnement psychologique.

    Protger le patientPivot de cette prise en charge, le psychiatre doit poser lindication du traitement. Il en va en effet de la responsabilit des praticiens : larticle R.4127-41 du Code de la sant publique stipule quaucune intervention mutilante ne peut tre pratique sans motif mdical trs srieux. Le psychiatre joue en outre un rle de garde-fou. Nous protgeons le patient face cette intervention dfinitive, en nous assurant de son transsexualisme, argue la docteure Audrey Gorin-Lazard, psychiatre de lquipe spcialise de lAssistance publique-hpitaux de Marseille. Les transsexuels ne sont pas des malades men-taux , mais des mprises restent possibles. Le cas le plus extrme que jai vu tait en ralit schizophrne. Il a fallu plusieurs sances pour que je men rende compte. Un suivi psychiatrique permet ensuite daborder les ventuelles difficults associes telles que la dpression , de dpister des attentes irralistes, et dinformer sur les effets

    LE CONTEXTE LES ENJEUX LES CUEILS

    Pour une partie des trans, et des intersexus, est ressenti le besoin de faire intervenir des

    mdecins pour obtenir les caractres sexuels dsirs.

    Cette dmarche ncessite un accompagnement global.

    Les interventions chirurgicales dassignation ou de rassigna-

    tion sexuelle revtent un caractre irrmdiable. La rflexion thique est donc incontournable.

    En France, il nexiste ni cadre thique et lgislatif, ni proto-coles de soins harmoniss. De plus, le dialogue entre

    certaines associations et une partie du corps mdical

    demeure dlicat.

    La prise en charge par lassurance-maladieLes traitements relatifs la rassignation sexuelle des personnes trans sont pris en charge 100% par lassurance-maladie dans le cadre des af-fections de longue dure (ALD). Le dcret n 2010-125 du 8 fvrier 2010 a dclass la transidentit des ALD relevant des affections psychiatriques vers une ALD hors liste. Mais pour lassurance-maladie, un certificat mdi-cal, cosign par un psychiatre, un endocrinologue et un chirurgien, reste une condition en cas de chirurgie de rassignation sexuelle; et un suivi psychiatrique, dau moins deux annes, est toujours exig. Lavis psychia-trique nest pas obligatoire pour la prise en charge de lhormonothrapie. Nous constatons des refus dadmission en ALD, au motif que les deux ans dvaluation psychiatrique ne sont pas couls, tmoigne Edwige Julliard, prsidente dObjectif respect trans. Pour limiter ces rejets, les mdecins ont intrt mentionner au moins la chirurgie, lhormonoth-rapie et les actes biologiques dans la demande dALD.

  • PRATIQUES

    >>

    La Gazette Sant-Social Juin-juillet 2014 37

    psychologiques des hormones. Il vise aussi apprcier le contexte social et familial de la personne et procder, le cas chant, un accompagnement resserr. Nous rencontrons des gens en trs grande fragilit. Pratiquer une opration de rassignation dans ces circons-tances nous parat dangereux. Nous avons fait face au suicide dun patient que nous avions opr , prcise le docteur Nicolas Morel-Journel, chirurgien urologue au centre hospitalier Lyon Sud, et coordinateur du groupe de recherche, dtude et de traitement des troubles de lidentit sexuelle (Grettis). Ce-pendant, certains trans ne demandent quune hormonosubstitution. Tous ne souhaitent pas tre oprs. Et certains entreprennent leur transition quand leurs enfants sont grands. Or lge avanc peut rendre la chirurgie moins envisageable , assure le docteur Marie-Jeanne Martin, mdecin gnraliste la mai-son disperse de sant de Lille et cofondatrice du Collectif sant trans 59/62. Avec eux gale-ment, il importe de veiller rompre lventuel isolement, de faire face aux risques de perte demploi, voire de rejet familial. Mme le

    personnel des administrations nous manque souvent de considration, voire de respect, tmoigne Edwige Julliard, prsidente de las-sociation Objectif respect trans, Paris. Cela peut mener lexclusion sociale.

    Solutions adaptesCe cumul de vulnrabilits peut parfois nces-siter lintervention dun travailleur social, en particulier pour trouver un hbergement. Nous devons identifier ce public dans nos files actives, afin de proposer des solutions adaptes , insiste Grgory Lagrange, chef de service du ple accompagnement de lassociation de lutte contre le sida Arcat. Les orienter vers un hbergement collectif se r-vle en effet inappropri : les personnes trans courent le risque dy tre rejetes. Il faudra un jour crer des structures dhbergement, mme temporaires, ddies aux trans , plaide Edwige Julliard. Pour autant, ce public doit pouvoir bnficier du mme accompagnement que pour la population gnrale. Enfin, il importe de les reconnatre : Il faut dire bon-jour madame celle qui se prsente comme

    Docteur Nicolas Morel-Journel, chirurgien urologue au centre hospitalier Lyon sud, et coordinateur du Grettis (*)

    Docteur Herv Hubert, psychiatre au CPMS de l lan retrouv , Paris, et membre de Respectrans

    Travailler main dans la main avec les associationsIl existe beaucoup de problmes sur lesquels nous ne pouvons intervenir en tant que mdecins, et qui re-lvent des associations: tout ce qui concerne le chan-gement dtat civil, le fait de bien passer en socit, ne pas perdre son travail, etc. Nous devons travailler main dans la main avec elles, et avec des personnes de la so-cit civile des sociologues par exemple , pour faire voluer les pratiques. Afin de dlivrer une information complte, nous essayons actuellement de crer un site internet ralis conjointement par des mdecins et des personnes trans. Nous esprons quil sera accessible dici fin 2014. Nous aimerions aussi quun membre du Collectif interassociatif sur la sant vienne assister nos runions, pour nous donner son point de vue sur la manire dont nous procdons, y compris en comparai-son dautres types de prise en charge.(*) Groupe de recherche, dtude et de traitement des troubles de lidentit sexuelle.

    La question trans est une affaire citoyenneRespectrans est une association de professionnels libraux compose dendocrinologues, dorthopho-nistes, davocats, etc. Nous changeons pour faire voluer les pratiques. Notre ide est de proposer un assouplissement de la prise en charge. Fin mars, nous avons notamment organis, avec les Ateliers de psy-chanalyse sociale, un colloque en partenariat troit avec trois associations de personnes trans. Selon moi, la transidentit est avant tout une question sociale. Certaines personnes ne veulent pas aller au bout de la transformation. Il est important de respecter ces gens et de les accompagner, jusqu un changement dtat civil. Sils ne sont pas communs, ce ne sont pas pour autant des personnalits pathologiques. Un travail collectif savre ncessaire. La question trans est une affaire citoyenne.

    7100Transsexuels identifis en France, cest--dire uniquement ceux qui recourent au systme de soins.

    127Le nombre de demandes de changement dtat civil auprs des tribunaux en 2010. Source: valuation des conditions de prise en charge mdicale et sociale des personnes trans et du transsexualisme, IGAS, 2011.

    C

    HU

    Lyo

    n -

    P

    ATR

    ICIA

    MA

    RA

    IS

  • PRATIQUES

    >>

    38 Juin-juillet 2014 La Gazette Sant-Social

    une femme, et demander la personne que lon reoit comment elle souhaite quon lappelle. Cela doit tre un rflexe , indique Grgory Lagrange. Nous sommes disponibles pour informer les travailleurs sociaux qui se sentiraient mal laise , conclut Edwige Julliard. Par ailleurs, il peut tre ncessaire daccompagner lentourage. Ce changement didentit bouleverse les familles , tmoigne le docteur Herv Hubert, psychiatre Paris. Des groupes de parole sont proposs par cer-tains hpitaux ou des associations.Cet accompagnement est aussi crucial dans le cas des enfants dits intersexus . Les parents sont perdus. Il est difficile pour eux doprer un choix clair , souligne Nicolas Morel-Journel. Actuellement, ces enfants sont adresss des groupes composs de chirur-giens, durologues, de gnticiens, etc. La prise en charge propose repose sur le diagnostic et lge de lenfant. Les pdiatres estiment gn-ralement quil est prfrable doprer lenfant jeune, dans lintrt de son dveloppement, notamment quant son statut sexuel. Parfois aussi, les parents demandent que les oprations aient lieu rapidement. Mais ces dcisions se droulent dans une atmosphre durgence, de peur des consquences sociales dune non-normalisation sur lenfant , relve Michal Raz, doctorante en sociologie, qui ra-lise actuellement une thse sur le sujet.Lannonce du diagnostic doit donc faire lobjet dune attention particulire. Il ne faut pas laisser entendre que lenfant est monstrueux. Lannonce doit tre ralise de manire posi-tive , insiste Vincent Guillot, porte-parole de lOrganisation internationale des inter-sexes (OII)-Europe. Un accompagnement

    psychologique devrait tre prvu systmati-quement, notamment pour les aider se pro-jeter avec cet enfant diffrent. Cependant, les interventions chirurgicales sont rejetes par certains intersexus qui, devenus adultes, ne supportent pas que lon soit intervenu sur leur corps, sans leur en laisser le choix.

    Libert de choixUne partie des trans revendique aussi cette libert de disposer de leur corps. Lvaluation psychiatrique leur semble parfois insuppor-table. Celle-ci peut se prolonger jusqu deux annes. Et ce bilan sajoute une trajectoire dj longue. Lyon, nous avons mis en place des procdures simplifies pour les personnes ayant entrepris un suivi psychiatrique hors de lhpital. Nous acclrons alors le bilan en tenant compte de lavis du psychiatre dj consult , indique Nicolas Morel-Journel. En outre, demander la personne de recom-mencer son parcours zro alors quelle a dj chang dapparence et commenc vivre comme lautre sexe est catastrophique , salarme Edwige Julliard. Cette longueur sex-plique aussi par des files actives importantes dans les quipes hospitalires spcialises. LInspection gnrale des affaires sociales recommande de crer des rseaux daccompa-gnement des trans, sur le modle des comits de coordination rgionale de lutte contre le VIH (Corevih), en associant les profession-nels de sant, les reprsentants des usagers et des personnalits qualifies (2). u milie Lay(1) Dfinitions issues du rapport Les personnes trans et inter-sexues, rdig en 2011 pour la Commission europenne, sous lautorit du rseau europen dexperts juridiques en matire de non-discrimination. (2) valuation des conditions de prise en charge mdi-cale et sociale des personnes trans et du transsexualisme, IGAS, 2011.

    Une rflexion thique engagerDepuis une dizaine dannes, certaines organisations dinter-sexus rejettent les interventions sur les bbs. Mais le discours nest pas uniforme: dautres associations reprsenta-tives ne sopposent pas ces chirurgies. De fait, le traitement des variations du dveloppement sexuel (*) engendre un dilemme thique. Ainsi, en Suisse, la Commission nationale dthique pour la mdecine humaine (CNE) a recommand, dans un avis de novembre 2012, quaucune dcision signifi-cative visant dterminer le sexe dun enfant ne [soit] prise avant quil ne puisse se prononcer par lui-mme, ds lors que le traitement entrane des consquences irrversibles et peut tre report. (*) En octobre dernier, le Conseil de lEurope semparait son tour du sujet. La rsolution 1952, adopte en octobre 2013, demande ainsi aux tats membres de

    sassurer que personne nest soumis pendant lenfance des traitements mdicaux ou chirurgicaux esthtiques et non cru-ciaux pour la sant [et de] garantir lintgrit corporelle, lau-tonomie et lautodtermination aux personnes concernes. Je suis plusieurs patients qui souffrent de squelles lge adulte. Jai chang le sexe dau moins six dentre eux, que lon avait assigns en filles par erreur. Mais nous manquons aujourdhui de recul pour pouvoir valuer si lattente fera plus de bien ou de mal, estime le docteur Nicolas Morel-Journel, chirurgien urologue au centre hospitalier Lyon sud. Il reste que pour lintersexuation comme pour le transsexualisme, des rflexions thiques doivent, lvidence, tre menes.(*) Attitude adopter face aux variations du dveloppement sexuel: ques-tions thiques sur lintersexualit, prise de position n 20/2012, CNE suisse.

    Un accompagne-ment psycholo-gique devrait tre prvu systmati-quement pour les parents dinter-sexus.