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Achille Tatius, Leucippé Et Clitophon, 01 1785

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ACHILLES TATIUS, Leucippé et Clitophon, livre I

ACHILLES TATIUS,Leucippé et Clitophon , livre I

TRADUCTION française (très libre) : Du PERRON de CASTERA, Paris, Collection Antiqua, Al'Enseigne du Pot cassé, 1930.TEXTE grec : d'après l'édition de S. GASELEE : Achilles Tatius. Loeb Classical Library, 1917 - reprint

1947.http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/Achilles_Tatius_leu01/texte.htm

LES AMOURS DE LEUCIPPÉ ET DE CLITOPHON - LIVRE PREMIER

1 Sur les côtes d'Assyrie s'élève la fameuse ville de Sidon, que les Phéniciens reconnaissentpour leur capitale, et d'où les Thébains tirent leur origine. Ses murs forment un croissant qui, dans sonvaste sein, embrasse deux ports liés l'un à l'autre par une étroite embouchure, où l'eau s'insinueimperceptiblement. Dans celui qui s'avance le plus vers la mer, les vaisseaux trouvent en été un asileagréable; le second leur ouvre un refuge assuré contre les orages qui, pendant l'hiver, règnent surl'empire des ondes. La tempête m'avait jeté sur ces bords paisibles. Mon premier soin fut de me rendre

au pied des autels de la puissante Astarté, qui est la déesse tutélaire des Phéniciens, et je lui offris lesacrifice que les voyageurs échappés du naufrage ont coutume de lui présenter. Ensuite je m'amusai àparcourir la ville. J'en examinais avec attention les raretés et les richesses; rien ne se dérobait à mesregards curieux. Un jour que j'étais entré dans un temple magnifique, dont la voûte et les colonnesétaient parées de diverses offrandes, j'y remarquai un tableau qui représentait le territoire de Sidon, lamer phénicienne et la fable d'Europe. Dans ce tableau, la terre offrait aux yeux une prairie qui étaitornée des plus agréables présents de Crêtê. L'art paraissait y seconder la nature; le narcisse, la rose etle myrthe brillaient dans des plates-bandes dont l'arrangement n'ôtait rien aux charmes de la variété.D'espace en espace, l’œil rencontrait des arbres qui, par leur entrelacement mutuel, formaient undôme vert, où les fleurs étaient à l'abri des injures du temps. Le peintre avait poussé sa délicatesse etson exactitude jusqu'à répandre sous ces riants berceaux une ombre qui s'éclaircissait plus ou moins,suivant que les rayons du soleil pénétraient au travers des feuillages. Dans le lointain, on apercevaitdes roseaux qui bordaient la campagne et qui semblaient lui servir de couronne. Enfin il jaillissait deterre une fontaine d'eau vive et pure, qui, s'écartant de sa source par différents canaux, et se repliantplusieurs fois sur elle-même, arrosait de tous côtés cet aimable séjour. Loin de la mer, le pinceau avaitreprésenté quelques jeunes filles qui folâtraient et qui erraient à l'aventure dans cette plaine délicieuse.Plusieurs autres s'étaient attroupées sur le rivage : celles-ci paraissaient accablées d'une profondetristesse; leurs têtes étaient couronnées de fleurs ; leurs cheveux, épars sur leurs épaules, voltigeaientau gré du vent ; elles avaient le visage pâle, les joues tant soit peu retirées par un mouvement d'effroi,les lèvres entr'ouvertes comme pour gémir, les mains et les yeux douloureusement tournés vers lesflots, la robe retroussée jusqu'aux genoux, et les jambes toutes nues. On connaissait à leur attitude

qu'elles s'étaient avancées vers le bord de l'eau pour courir après Zeus, qui, sous la figure d'untaureau, enlevait la belle Europe; mais leur front timide témoignait en même temps que, si elleschérissaient leur princesse, elles ne craignaient pas moins la mort: leur frayeur les arrêtait, et l'onde nemouillait que leurs pieds. La mer était peinte de deux couleurs: vers le bord, la proximité du sable luidonnait un oeil jaunâtre; dans l'éloignement, le ciel, qui s'y mirait sans nuages, la faisait paraître bleue.Les vagues se brisaient contre des rochers et couvraient d'écume leur cime orgueilleuse. Au milieu desflots nageait le taureau triomphant. Il tournait sa course vers l'île de Crète; l'onde se soulevait à gros

 bouillons et s'entrouvrait pour lui livrer passage. L'aimable Europe était assise sur son dos, non pascomme on a coutume de se tenir à cheval, mais les deux jambes d'un même côté. Elle était habilléed'une étoffe fine, légère et transparente, qui ne donnait de plaisir aux yeux qu'autant qu'il en fallaitpour ménager leur occupation. Les dauphins bondissaient autour du taureau ; un essaim de petits

Eros l'accompagnait en folâtrant ; séduit par la douce imposture de l'art, suivait leurs mouvements etleur badinage. Eros, le carquois sur l'épaule, tenant d'une main son redoutable flambeau, et traînant de

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l'autre le ravisseur enchaîné, semblait exprimer sa joie par le battement de ses ailes ; il avait la têtetournée vers le dieu travesti et le regardait avec un sourire malin, comme s'applaudissant d'avoircontraint le maître du monde à rabaisser sa grandeur sous cette étrange métamorphose.

2 Charmé de la beauté de ce tableau, et surtout de l'énergie qui brillait dans l'attitude de Eros, je ne pus m'empêcher de m'écrier avec transport : « Est-ce donc ainsi que les cieux, la terre et l'onde

obéissent aux lois d'un enfant? » Un jeune homme bien fait, qui se trouva par hasard auprès de moi,entendit ces paroles. « Oui, me dit-il, cet enfant est le souverain arbitre des dieux et des mortels. J'enpourrais rendre un témoignage certain après toutes les traverses que ses caprices m'ont suscitées. —De quelle nature, lui répliquai-je alors, peuvent être vos disgrâces? Votre physionomie annonce unfavori d’Eros. — Que me demandez-vous? reprit-il. Mes aventures sont si singulières, que le récit vousen paraîtra fabuleux. » Ce discours ne fit que redoubler ma curiosité. « Au nom de Zeus, poursuivis-jeavec empressement, au nom de Eros même, ne me refusez pas la satisfaction que j'attends de votrecomplaisance. Quelque merveilleuse que soit votre histoire, votre bouche l'accréditera, et je l'écouteraiavec plaisir. » A ces mots, je le menai dans un bocage voisin, où s'élevaient plusieurs platanes touffus.Un ruisseau d'eau claire et fraîche entretenait leur verdure et leur prêtait sans cesse de nouveauxappas. J'obligeai mon inconnu à s'asseoir sur l'herbe et, m'étant placé à côté de lui : « Commencez, lui

dis-je, et daignez contenter mes désirs. Ce séjour délicieux vous y invite ; il semble fait pour êtreconfident des secrets d’Eros. »

3 Alors je me tus, et il parla en ces termes : Ma famille est phénicienne d'origine. Tyr est mapatrie. Je m'appelle Clitophon, et l'auteur de mes jours Hippias. Sostratos, mon oncle, est son frère ducôté paternel ; mais ils sortent de deux mères différentes : celle de Sostratos était Byzantine, et celled'Hippias, Tyrienne. Mon père a fixé son séjour dans la ville de Tyr; Sostratos demeure à Byzance, oùl'attachent les grands biens que sa mère lui a laissés en partage. Jamais je n'ai vu la mienne : une mortprématurée me l'enleva pendant que j'étais au berceau. Quelque temps après, mon père épousa uneseconde femme, dont il a eu une fille, nommée Calligone, qu'il voulait unir à mon sort par les nœudsdu mariage; mais le destin, plus puissant que les hommes, m'en réservait une autre. J'étais parvenu àdix-neuf ans. On se préparait à célébrer mes noces. Ma fortune ouvrit alors la scène à ses caprices.Souvent les dieux nous développent en songe les mystères de l'avenir, non pas pour nous obliger àprendre des mesures contre les accidents qui nous menacent, car personne n'élude la volonté du ciel;leur unique dessein est de ménager notre faiblesse et de nous inspirer une généreuse constance. Lesmaux trop soudains surprennent l'esprit et terrassent la fermeté du cœur ; ceux qu'on prévoit sontmoins cruels, on contracte insensiblement avec eux une familiarité qui adoucit leur amertume. Unenuit, que je languissais dans les bras du sommeil, il me sembla que j'étais lié avec une jeune fille; nousfaisions deux corps depuis la tête jusqu'à la ceinture, le reste n'en formait qu'un. En même temps, jecrus voir une femme d'une grandeur démesurée; son visage était rude et terrible, la colère étincelaitdans ses yeux, des vipères affreuses lui tenaient lieu de chevelure, sa main droite était armée d'uncimeterre, et sa gauche d'un flambeau dont la funeste lueur m'épouvantait. Ce spectre approcha de

nous avec fureur et, tranchant d'un coup de son fer redoutable les nœuds qui nous unissaient, séparamon corps d'avec celui de la jeune fille. Je me réveillai, saisi d'horreur et d'effroi. Ces images sinistreslaissèrent dans mon esprit une tristesse que je ne pouvais dissiper. Cependant je n'en parlai à personne: j'avais honte d'être si sensible aux impressions d'un songe. Mon père reçut environ vers ce temps-làune lettre de Byzance. Elle était de mon oncle Sostratos, et conçue à peu près en ces termes : Mon cherFrère, je vous envoie ma fille Leucippe, et Panthie, mon épouse. La guerre que les Thraces déclarentaux Byzantins m'oblige à vous confier ces gages de ma tendresse. Conservez-les-moi précieusement

 jusqu'au retour de la paix. Adieu.4 Ayant lu cette lettre, mon père se rendit promptement au port. Peu de temps après, il revint

avec un grand nombre de domestiques, qui suivaient la femme et la fille de Sostratos. Cette jeunepersonne attirait les regards par la magnificence de ses habits, et encore plus par l'éclat de ses charmes.

Dès que je l'aperçus, je crus voir la belle Europe avec tous les attraits qui lui assujettirent le cœur deZeus. Sa taille était noble, dégagée et bien prise; ses yeux, fiers et sans rudesse; ses cheveux blonds et

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frisés; ses sourcils noirs; son visage, d'une extrême blancheur, excepté vers le milieu des joues, où lanature s'était plu à étendre une couche de vermillon plus vif que la pourpre de Lydie ne le paraît surl'ivoire ; enfin ses lèvres ressemblaient à une rose qui commence à s'épanouir. Mon repos et ma liberténe purent tenir contre tant de charmes: il n'est point de flèche aussi perçante que la beauté; elle pénètrepar les yeux jusqu'au fond du cœur, et ses traits y portent une blessure que l'art ne guérit point.

Admirer Leucippe, contempler ses appas avec une profonde surprise, exprimer le feu de mon âme parcelui de mes regards, craindre qu'on ne remarquât mon trouble, ouvrir la bouche pour parler et ne riendire, trembler et palpiter sans en savoir la cause, tout cela ne fut pour moi que l'affaire d'un moment.

 Je m'efforçais de détourner mes yeux de cet objet vainqueur, mais ils reprenaient toujours la mêmeroute malgré moi. Il fallut enfin leur céder.

5 Les dames furent conduites dans un appartement préparé pour elles. Lorsque l'heure dusouper vint, nous nous mîmes tous à table. On nous plaça, Leucippe et moi, vis-à-vis l'un de l'autre. Cefut mon père qui fit cet arrangement. Dans la joie que j'en eus, je me vis sur le point de l'embrasser,pour le remercier du plaisir qu'il me procurait. Pendant tout le repas, mes yeux demeurèrent attachéssur Leucippe. Je n'agissais, je ne parlais que pour attirer les siens sur moi. Le plaisir de lui déroberquelques regards me tint lieu de souper, car j'oubliai que j'étais à table, et je ne mangeai point.

Lorsqu'on se fut levé, mon père ayant fait appeler un jeune esclave qui jouait parfaitement du luth, luiordonna de divertir la compagnie. L'esclave obéit, et, joignant la douceur de sa voix aux accords de soninstrument mélodieux, il chanta l'amour d'Apollon pour Daphné, comment ce dieu la poursuivit surles rives du Pénée, en lui reprochant ses rigueurs, et comment il était prêt à l'atteindre lorsqu'elle futmétamorphosée en laurier, dont il se fit une couronne. Cette chanson anima la flamme de mon cœur.L'histoire des amants affermit les conquêtes de l'amour, l'exemple encourage, et, plus on nous lepropose sous des traits respectables, plus il fait succéder d'audace à la pudeur timide qui nous servaitde frein. "Eh quoi ! me disais-je en moi-même, quel devoir m'oblige à combattre ma passion ? Ne voilà-t-il pas le brillant dieu de la lumière qui se laisse attendrir ? Il aime, il poursuit une nymphe fugitive.Suis-je donc plus fort ou plus grand que lui, pour me parer d'une retenue ridicule ?"

6 La nuit avançait ; les dames nous quittèrent. Enivré d'amour et plein de l'image de Leucippe, je me retirai dans ma chambre, où mon trouble ne me permit pas de m'abandonner au sommeil. Lesilence, les ténèbres et l'oisiveté irritent les blessures de l'esprit aussi bien que celles du corps. L'âme,concentrée dans sa sphère, tourne toute son activité contre elle-même ; elle s'afflige, elle se tourmente,nulle distraction ne vient la secourir, au lieu que pendant le jour, les oreilles et les yeux, amusés pardifférents objets, nous font faire trêve avec nos chagrins, émoussent la pointe de nos inquiétudes, et nenous laissent pas le temps de songer que nous souffrons. Je faisais alors, pour la première fois de mavie, une triste expérience de cette vérité. Jamais agitation ne fut pareille à la mienne. Mon cœur n'étaitpas encore accoutumé aux passions violentes, et, pour cette raison, il en ressentait plusdouloureusement les atteintes. Enfin, vers le retour de l'aurore, le sommeil eut pitié de moi et medonna quelque soulagement, mais il n'eut pas la force d'arracher Leucippe de ma mémoire. Mille

fantômes légers me la représentaient en songe, je lui parlais, je jouais avec elle, nous mangionsensemble, il me semblait que je dérobais un baiser sur ses lèvres, et cette illusion me faisait un plaisirréel. Un domestique vint m'éveiller dans le moment flatteur où mon corps, nageant dans les délices,suivait les transports de mon âme. Je me levai en maudissant l'importun qui me privait d'une erreur sidouce. Sans prendre conseil de ma volonté, mes pas me conduisirent dans une salle voisine del'appartement des dames. Leur porte était entr'ouverte ; j'aperçus Leucippe, qui était levée. Ellepouvait aussi me voir, et c'est ce que je désirais. J'affectai de me promener en lisant un livre, mais detemps en temps je levais doucement les yeux pour contempler ma déesse. Chaque instant redoublaitma flamme. Je buvais à longs traits un poison qui me charmait, et je sortis de cet endroit cent fois plusamoureux que je n'y étais entré.

7 J'avais un parent nommé Clinias, qui était plus âgé que moi de deux ans. La mort lui avait

enlevé son père et sa mère. Aussi, comme sa conduite ne dépendait que de lui seul, la liberté dont il jouissait lui avait acquis de l'expérience et l'usage du monde. Je résolus de le consulter sur ma passion

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naissante. Ses intrigues le rendaient célèbre dans toute la ville. Son humeur tendre, quoique ennemiedu mariage, l'avait souvent jeté dans des engagements funestes à son repos. Au temps dont je vousparle, il n'avait point de maîtresse, mais il s'était lié avec un jeune homme d'une beauté surprenante, etqui ne sortait qu'à peine de l'enfance. L'amitié qui les unissait avait la vivacité de l'amour. Leursnaturels étaient parfaitement assortis. C'était chez l'un et l'autre même goût pour le plaisir, et même

aversion pour l'hyménée. Jusqu'alors je m'étais fait une habitude de railler Clinias sur la sensibilité deson cœur. « Quelle faiblesse ! lui disais-je. Se peut-il qu'on trouve des charmes à se plonger ainsi dansl'esclavage ? — Votre tour viendra, me répondait-il en secouant la tête avec un sourire malin. Voustomberez aussi bien que nous dans les pièges du dieu qui fait aimer. » J'allai lui annoncerl'accomplissement de sa prédiction, trois ou quatre jours après l'arrivée de Leucippe. « Je suis pris,mon cher Clinias, vous voilà vengé de toutes mes railleries. » A cette nouvelle, il battit des mains, et fitun grand éclat de rire. « Enfin, vous êtes des nôtres, s'écria-t-il en m'embrassant. Vos yeux fatiguéstémoignent que l'amour les a tenus ouverts cette nuit. » A peine eut-il prononcé ces paroles, que nousvîmes entrer son jeune ami Chariclès, qui portait sur son visage les marques d'une tristesse profonde. «Ah ! Clinias, dit-il d'une voix gémissante, je suis perdu ! » Clinias pâlit, et, serrant le beau Chariclèsdans ses bras : « Achevez, s'écria-t-il, d'où procède votre chagrin ? Vous a-t-on insulté ? Parlez. Sur qui

doit tomber ma colère ? Votre silence me fait mourir. — Mon père veut me marier, reprit Chariclès, et,pour comble d'horreur, l'épouse qu'il me destine est laide. C'est l'avarice qui le porte à rechercher cettealliance. On me sacrifie, on me vend à une femme qui n'a que ses richesses pour agrément.

8— Quel crime avez-vous commis ? répliqua Clinias tout consterné. Qu'avez-vous fait pourmériter un sort si rude ? Quoi l'on va vous jeter dans les fers ! Y consentirez-vous ? Ne résisterez-vouspoint à cette loi barbare ? N'entendez-vous pas Zeus qui vous crie :Quand du fils de Japet la main audacieuseVola le feu sacré qui brûle dans le ciel,

 J'asservis à l'hymen sa tête ambitieuse :Pouvais-je l'accabler d'un fléau plus cruel ?

« Le commerce des femmes est d'autant plus dangereux, qu'il paraît plein de douceur. Tels etmoins redoutables encore sont les chants des Sirènes, qui ne flattent l'oreille des matelots que pour lesentraîner dans les gouffres de la mer. Le tumultueux appareil du mariage annonce les chagrins diversqui le suivent. Ce bruit, ce concours de monde, ces trompettes qui retentissent, ces torches allumées,ne sont-ce pas des signes de guerre, et d'une guerre domestique mille fois plus cruelle que les combatsoù Ares déploie ses fureurs ? De combien de maux affreux les femmes n'ont-elles pas inondé l'univers,par combien de crimes n'ont-elles pas violé les saintes lois de la nature ? Ne vous souvient-il plus ducollier d'Ériphile, de la calomnie de Sthénobée, de l'inceste d'Érope, du festin de Philomèle, et de la

 barbarie de Progné, qui égorgea son fils innocent, pour se venger de son époux? Les yeux de Chryséisasservirent le cœur d'Agamemnon, Briséis enflamma le vaillant Achille. Quel fut le fruit que ces deuxhéros tirèrent de leurs amours ? Leurs maîtresses furent cause que la peste ravit à l'un la plus grande

partie de son armée, et que l'autre demeura longtemps plongé dans une sombre mélancolie, quiconsumait ses plus beaux jours et trahissait sa gloire. Candaule avait une femme formée par lesCharites ; aussi était-il moins son époux que son amant. Elle le fit périr pour prix de la tendresse qu'ilavait pour elle. Le flambeau qui éclaira les noces d'Hélène réduisit Troie en cendres. La chasteté dePénélope ouvrit les portes du trépas à nombre de princes qui soupiraient pour ses charmes. Hyppoliteperdit le jour par les artifices de Phèdre dont il était aimé, et Agamemnon par ceux de Clytemnestrequi le haïssait... O femmes ! poursuivit Clinias avec un transport de colère qui me fit rire, ô dangereuseespèce dont l'amour est aussi nuisible que la haine ! Mais quelle raison pouvait autoriser le meurtred'Agamemnon, d'un roi couvert de lauriers, d'un homme revêtu de perfections célestes, et qui, selon lerapport d'Homère,Étalait sur son front cette auguste beauté

Qui du maître des dieux forme la majesté ?

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« Et cependant, l'épouse d'un homme si digne d'être aimé lui coupa la tête. Encore avec les belles femmes, le malheur est-il racheté par quelque plaisir. Mais vous dites que celle à qui votre foi estpromise n'a rien d'agréable ; certainement vous êtes menacé d'une misère sans bornes. Au nom desdieux, cher Chariclès, ne vous enfermez point dans une laide prison ; n'employez pas si mal la fleur devotre jeunesse, et n'abandonnez pas une rose si riante aux mains d'un jardinier difforme ! — J'espère,

dit alors Chariclès, que le ciel modérera sa rigueur. Mes noces ne s'achèveront pas si tôt. Ainsi nousaurons le temps de prendre nos mesures pour éviter le coup que nous appréhendons. Maintenant jevais me promener sur le cheval dont vous me fîtes présent ces jours passés. Peut-être que cet exercicesoulagera mon chagrin. »

9 Étant demeuré seul avec Clinias, j'interrompis le cours de ses tristes réflexions, pourl'entretenir des affaires de mon cœur. Je m'embarquai dans un long détail des attraits de Leucippe. Jem'étendis sur la naissance de ma passion et sur son progrès rapide. Rien ne fut oublié, la moindrecirconstance me paraissait un article important. Enfin, sentant que ma langue et mon esprit se

 brouillaient, et qu'il m'échappait des discours ridicules : « Ah ! Clinias, poursuivis-je en soupirant, jesuccombe au trouble qui m'agite. Le dieu de Cythère est entré lui-même dans mon sein avec tous sesfeux ; il me possède, il me transporte ; les douceurs du sommeil sont un bien que je ne connais plus.

Leucippe est sans cesse devant mes yeux et dans ma pensée. La source de mon mal vit avec moi dansla maison de mon père ; ainsi je ne guérirai jamais. — En vérité, mon cher, me dit alors Clinias, il fautque votre raison s'égare pour parler de la sorte. Tout vous rit, tout vous est favorable. Vous n'avez

 besoin ni de messagers ni de confidents. Vous n'êtes pas à la peine de tenter l'accès d'une porteétrangère. La fortune s'est chargée des frais de votre bonheur, elle vous amène votre maîtresse jusquechez vous. Peut-on jouir d'un sort plus propice ? D'autres amants se contenteraient de voir de temps entemps, sans obstacle, la personne qu'ils adorent, et vous, mille fois plus heureux, vous voyezcontinuellement Leucippe, vous vous entretenez, vous buvez, vous mangez avec elle. Après cela, vousosez vous plaindre : c'est payer d'ingratitude les bontés de l'Amour. Ignorez-vous quel est le plaisir deconfondre ses regards avec ceux de l'objet dont on est épris ? Les images qui se mirent alors dans lesyeux comme dans une glace fidèle font l'union des âmes malgré la distance des corps, et souvent cetteunion est presque aussi délicieuse que les plus vives caresses. Je vous prédis que le succès répondra

 bientôt à vos désirs. L'habitude est persuasive ; elle apprivoise non seulement les femmes, mais aussiles bêtes féroces. L'égalité d'âge est encore un grand point pour lier les cœurs ; vous êtes à peu près decelui de Leucippe. Enfin vous l'aimez, et, pour exciter l'amour, il n'est point de philtre plus puissantque l'amour même, surtout lorsqu'on s'attache à la jeunesse que l'ardeur de son printemps et l'instinctde la nature poussent déjà vers le but où nous souhaitons la conduire. Aussi, la première chose que jevous recommande, c'est de ne rien épargner pour convaincre Leucippe des sentiments que vousinspirent ses charmes ; et si son esprit n'est point préoccupé de quelque autre inclination, vous verrezqu'elle ne tardera pas à vous rendre tendresse pour tendresse. — Mais, dis-je à Clinias, que dois-jefaire pour exécuter votre conseil? Quel biais, quel stratagème mettrai-je en usage pour parvenir à

posséder la charmante Leucippe ? Et, lorsque j'y serai parvenu, comment goûterai-je mon bonheur ?Vous qui êtes initié dans les mystères de la galanterie, daignez me montrer le chemin que je doissuivre, car, pour moi, j'avoue que je l'ignore. Amant aussi novice que mauvais soldat, je ne sais memettre en garde ni sous les drapeaux de Ares ni sous ceux d’Aphrodite.

10 — Vous n'avez pas besoin que je vous instruise sur cette matière, me répondit-il en riant,Eros se sert lui-même de précepteur. Les enfants s'attachent au sein de leurs nourrices sans le secoursde personne, la nature seule leur dit tout bas qu'ils y trouveront du lait, et les amants les moinsexpérimentés ne manquent ni d'intelligence ni d'adresse, dès qu'il s'agit de faire éclore leurs douceurs.Ainsi donc, ajouta-t-il, ne craignez rien ; vous verrez, lorsque l'occasion s'en présentera, que vous êtesplus savant que vous ne croyez. Tout ce que je puis faire, c'est de vous donner quelques maximesgénérales, qui sont puisées dans la plus fine politique de Cythère. Premièrement, gardez-vous de

demander à votre maîtresse la récompense où vise votre passion : le cœur des belles est fait comme lenôtre, mais leurs oreilles sont timides, et surtout celles des filles, car souvent les femmes joignent au

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penchant pour le plaisir un goût pour les discours où la licence assaisonne la naïveté. Leucippes'offenserait de votre proposition, elle en rougirait de honte, et la pudeur l'empêcherait de vouspromettre ce que peut-être dans le fond de l'âme elle brûlerait de vous accorder. Il est des préludesplus insinuants pour sonder si l'on n'a point de répugnance à combler nos désirs. Lorsque dans untendre tête-à-tête vos soins l'auront émue, lorsque ses yeux découvriront aux vôtres l'ardeur qui la

consume, prenez un baiser sur sa bouche : le baiser d'un amant exprime ses besoins avec assezd'éloquence, c'est une sommation pressante auprès d'une beauté qui capitule, et une prièrerespectueuse auprès de celle qui se défend. Au surplus, souvenez-vous que les filles aiment mieuxparaître céder à notre force qu'à leur faiblesse ; leur gloire expirante trouve son excuse dans une douceviolence, qui semble leur arracher les présents qu'elles nous donnent. Aussi, quoique Leucippe vousrésiste, ne vous arrêtez pas, mais seulement observez avec quel air elle repousse vos efforts amoureux.Il faut user en ceci d'une extrême prudence. Si vous voyez qu'une véritable colère l'anime, et qu'ellepersiste opiniâtrement à vous rebuter, modérez-vous, faites succéder la soumission à l'audace, et neruinez pas vos affaires par trop de précipitation. Le moment n'est pas encore venu ; il viendra tôt outard, votre constance le fera naître.

11 — Mon cher Clinias, dis-je alors, vous me donnez là de grandes espérances ; je ne doute pas

de leur succès, votre secours et vos conseils m'en assurent ; mais je crains que ce bonheur ne soit pourmoi la source d'une longue suite de disgrâces. Le plaisir ne fera qu'augmenter ma flamme. Oùtrouverai-je du repos, lorsque cette maladie aura pris racine dans mon cœur ? Je ne puis me marieravec Leucippe ; car mon père, dont j'ai toujours respecté les lois, veut que j'épouse Calligone, etCalligone est belle. Mais à présent je suis aveugle pour ses charmes, mes yeux ne voient que Leucippe.Quel dieu favorable accordera les passions diverses qui me tyrannisent ? La nature me dit d'obéir àmon père, l'Amour me prescrit d'autres maximes, il parle en maître absolu, les armes à la main, et jesens malgré moi qu'il emporte la balance. »

12 En ce moment, un domestique de Chariclès entra dans la chambre où nous étions. A son airtroublé, nous connûmes qu'il venait nous annoncer une mauvaise nouvelle. Clinias s'écria : «Certainement, il est arrivé quelque malheur à Chariclès. » Le serviteur lui dit qu'il était mort. Si lafoudre fût tombée sur l'infortuné Clinias, elle l'eût moins accablé que ce coup imprévu. Il en perdit lemouvement et la parole. L'autre, poursuivant son discours : « L'aimable Chariclès, continua-t-il, sepromenait sur le cheval que vous lui avez donné, lorsqu'un bruit soudain, ayant épouvanté ce coursiernaturellement fougueux, lui a fait prendre le mors aux dents. Ni la force ni l'adresse n'ont été d'aucunsecours à Chariclès. L'animal indompté, après l'avoir mis en désordre par des secousses terribles, lui aécrasé la tête contre un arbre, et, le traînant ensuite au gré de sa fureur à travers des chemins raboteux,il l'a si cruellement défiguré qu'il n'est plus reconnaissable. »

13 Clinias garda quelques instants un silence morne et stupide ; puis, comme s'il eût obtenu desa douleur la permission de la faire éclater, il poussa de longs gémissements, et courut au lieu où étaitle corps de son ami. J'accompagnai ses pas, en le consolant du mieux qu'il m'était possible. Le

malheureux Chariclès n'était qu'une blessure ; on ne pouvait le voir sans verser des larmes. Son père leserrait entre ses bras, Clinias le prit entre les siens, et tous deux, à l'envi l'un de l'autre, déploraient sonsort avec des regrets si tendres, que les cœurs les plus insensibles en étaient émus.

14 Mon amour ne me permettait pas de demeurer longtemps loin de Leucippe. Je quittaiClinias, lorsque je vis que les premiers transports de sa douleur faisaient place au soin des funéraillesde Chariclès, et je m'en retournai au logis. En y rentrant, je demandai à l'esclave qui me servait, oùétait la belle Leucippe. L'air dont je lui faisais cette question le fit rire. C'était un homme d'esprit : ilavait pénétré que j'aimais Leucippe presque aussitôt que je m'en étais aperçu moi-même. Il me poussaquelques petites railleries équivoques sur l'état de mon cœur. Je me fâchai d'abord, mais ensuite,comme sa fidélité m'était connue, et que d'ailleurs il pouvait m'être utile, je lui avouai mon secret.

 J'aurai plusieurs fois occasion de vous parler de cet esclave dans le cours de mon histoire ; aussi je

pense qu'il est à propos de vous dire qu'il se nommait Satyros. Je sus de lui que Leucippe était alorsdans le jardin, et nous y descendîmes ensemble.

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ACHILLES TATIUS, Leucippé et Clitophon, livre I

15 C'était un lieu qui semblait fait pour servir d'asile à la volupté. Mon père n'avait rienépargné pour y joindre les agréments de l'art aux richesses de la nature. Du centre d'un vaste parterres'élançait un jet d'eau qui, après s'être élevé dans l'air comme un trait rapide, tombait dans un large

 bassin où l'onde, plus claire que du cristal, servait de miroir aux beautés de la nature ; ainsi l’œil voyaitdeux jardins qui le charmaient agréablement, quoique l'un ne fût que la représentation de l'autre. Plus

loin, on trouvait à l'ombre d'un riant bocage un refuge assuré contre les ardeurs du soleil ; plusieursoiseaux privés erraient dans l'enceinte de ce séjour délicieux : on y voyait des cygnes, des perroquets etdes paons ; des cygnes qui faisaient briller leur blancheur sur l'eau, des perroquets qui, dans des cagesde fil d'or, imitaient la voix humaine, des paons qui étendaient leur plumage pompeux au milieu desfleurs, comme pour faire assaut de coloris et d'éclat avec elles. Mille autres oiseaux qui jouissaient deleur liberté, voltigeaient d'arbre en arbre, et formaient par l'union de leurs accords un concertmélodieux.

16 Leucippe se promenait avec Clio, l'une de ses esclaves les plus chéries. Nous les joignîmes.Mon dessein était de faire tomber la conversation sur l'amour, pour y disposer insensiblement le cœurde Leucippe. Un paon, sur qui elle fixa ses regards, m'en fournit le sujet. Satyros, comme s'il avait ludans ma pensée, me demanda pourquoi cet admirable oiseau semblait prendre tant de plaisir à étaler

l'or, l'azur et la pourpre qui brillaient sur son plumage. « Ce n'est, lui dis-je, ni par un mouvementd'orgueil, ni par un aveugle instinct de la nature : il aime sa femelle, que vous voyez au pied de ceplatane ; c'est pour lui plaire qu'il montre ses appas. Son ostentation est un fruit de sa délicatesse. »

17 Satyros vit d'abord où tendait mon discours, et, pour me donner matière à le pousser plusloin : « Quoi ! me dit-il, la puissance d’Eros va-t-elle jusqu'à enflammer les oiseaux? — Non seulementles oiseaux, répondis-je, mais aussi les bêtes féroces, les plantes, et même les pierres ; car, lorsquel'aimant attire le fer, n'est-ce pas un baiser qui joint la pierre amoureuse avec le métal qu'elle chérit?Pour ce qui concerne les plantes, les philosophes assurent et l'expérience prouve qu'elles sontsusceptibles d'un attachement réciproque, surtout les palmiers : la nature a établi entre eux unedistinction de sexe, aussi bien que parmi les animaux ; le mâle est si tendrement épris de la femelle,que, s'il arrive qu'on l'ait plantée trop loin de lui, il languit, il se dessèche, et sa verdure l'abandonne.L'unique remède qu'on ait trouvé pour soulager cet arbre si sensible, c'est d'ouvrir son cœur et d'yinsérer une branche de sa femelle ; par ce moyen, il reprend sa force, ses feuilles reverdissent, sa beautérenaît ; le plaisir d'embrasser l'objet qu'il aime lui rend la vie, et voilà quel est le mariage des plantes.

18 Le fleuve Alphée se marie aussi avec la fontaine d'Aréthuse il part du sein de l'Élide etprend sa course au travers de l'Océan, comme dans son lit natal, sans que la douceur de son onde soitaltérée par l'amertume et le sel des flots ; de cette façon, il arrive pur dans la Sicile, où il se mêle avecles eaux de sa chère Aréthuse. C'est de là que vient un ancien usage qu'on observe aux jeuxolympiques, qui est de jeter divers bijoux dans les gouffres de ce fleuve galant ; il les reçoit avec joie etles porte à sa maîtresse pour présents de noces. On découvre encore un autre mystère d'amour chezles reptiles, mystère d'autant plus admirable qu'il semble triompher des lois de la nature, en unissant

des espèces qu'elle a séparées. La vipère, qui est un serpent terrestre, brûle pour la lamproie, qui estun poisson de mer. Lorsque la saison les excite à cueillir les fruits de leurs ardeurs mutuelles, le mâle,qui est la vipère, se rend sur le rivage, et, par de longs sifflements, il appelle la lamproie. Elle entend àpeine ce signal, qu'elle sort de son séjour liquide. Mais cependant elle ne va pas d'abord trouver sonépoux. Elle sait qu'il mord dans l'emportement de ses caresses, et que de ses gencives s'écoule unvenin dangereux. Aussi elle se contente de monter sur quelque roche environnée d'eau, d'où elle leregarde. Alors, s'apercevant du juste effroi qui la retient, il vomit son poison sur le sable. Dès qu'elle sevoit délivrée de ses alarmes, elle court le joindre ; ils s'embrassent, ils se donnent des baisers sansnombre, et l'amour les enivre de plaisir. »

19 Pendant que je parlais ainsi, j'observais curieusement de quel air Leucippe m'écoutait. Il meparut que l'éloge de l'amour ne l'ennuyait pas, et qu'elle y prêtait l'oreille sans répugnance. Nous nous

promenâmes encore quelque temps ensemble. Elle admirait la beauté des paons. Elle prenait plaisir àcontempler l'émail et les richesses du parterre. Pour moi, qui ne regardais qu'elle, je trouvais que son

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visage effaçait le plus brillant coloris des oiseaux et des fleurs. Enfin elle nous quitta pour aller jouerdu luth ; mais en partant elle laissa son portrait dans mes yeux.

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