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Cah. Nutr. Diét., 42, 5, 2007 239 aliments aliments ACIDES GRAS TRANS : NATURE, ORIGINE ET IMPACT SUR LA SANTÉ* Jean-Louis SEBEDIO Même si quelques études avaient, dans les années 1960-1970, montré que les huiles partiellement hydrogénées pouvaient avoir un effet sur le métabo- lisme des acides gras polyinsaturés, la teneur en lipides des tissus et le cho- lestérol plasmatique [1], le grand débat soulevé par la présence des acides gras trans dans les huiles végétales hydrogénées n’a vraiment commencé qu’après la publication de Mensink et Katan [2]. Comme nous le verrons au cours de cette mise au point, il existe plusieurs familles d’acides gras trans. Nous n’aborderons pas ici la question des isomè- res conjugués de l’acide linoléique connus sous la dénomination de CLA. En effet, compte tenu du nombre d’études réalisées sur ces isomères, à la fois chez l’animal et chez l’homme, dans différents domaines de recherche, ceux- ci ont déjà fait l’objet de revues spécialisées. Cette revue décrira succinctement la nature et l’origine des acides gras trans. Nous aborderons ensuite la question de leur consommation par l’homme et de leur impact sur la santé, sans chercher à être exhaustif compte tenu du nombre d’études réalisées depuis 1990. Nous nous appuierons en particulier sur les études réalisées chez l’homme et les mises au point publiées en 2006 suite au congrès de Copenhague en septembre 2005. Nature et origine des acides gras trans Un acide gras trans est un acide gras insaturé possédant une ou plusieurs doubles liaisons de configuration géomé- trique trans, c’est-à-dire dont les substituants se situent de part et d’autre du plan de la liaison éthylénique. Par oppo- sition, un acide gras cis, cas le plus fréquent dans la nature, possédera les deux substituants du même côté du plan de la liaison éthylénique, comme représenté dans la figure 1. Sont également représentés sur la même figure des isomères de position le 18 : 1-11t et le 18 : 1-9t, le premier ayant une liaison éthylénique en position delta 11 (acide vaccénique, position de la double liaison par rap- port au groupe carboxyle) et le deuxième en position 9 (acide élaïdique). La présence d’une liaison trans confère à la molécule une structure plus linéaire comme l’acide gras saturé correspondant (fig. 1), et ainsi a pour consé- quence d’augmenter son point de fusion comparé à l’acide gras monoinsaturé cis correspondant. Par exem- ple, alors que le point de fusion de l’acide oléique est de 13C, celui de son isomère trans est de 44C. Les acides gras trans monoinsaturés ont une double ori- gine à savoir naturelle puisqu’ils sont présents dans le lait et la viande de ruminants mais ils sont également formés lors de traitements technologiques comme l’hydrogénation partielle catalytique [3]. On les retrouve ainsi dans des aliments contenant des margarines ou UMR INRA – Université d’Auvergne, Unité de Nutrition Humaine, Plateforme de Spectrométrie de masse, Centre de Clermont-Theix. Correspondance : Jean-Louis Sebedio, Unité de Nutrition Humaine, Plateforme de Spectrométrie de masse, UMR INRA – Université d’Auvergne, Centre de Clermont-Theix, 63122 Saint-Genes-Champanelle. Email : [email protected] * Texte issu d’une conférence donnée lors des Journées Francophones de Nutrition à Nice en décembre 2006.

Acides gras trans : nature, origine et impact sur la santé

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ACIDES GRAS TRANS : NATURE, ORIGINE ET IMPACT SUR LA SANTÉ*

Jean-Louis SEBEDIO

Même si quelques études avaient, dans les années 1960-1970, montré que les huiles partiellement hydrogénées pouvaient avoir un effet sur le métabo-lisme des acides gras polyinsaturés, la teneur en lipides des tissus et le cho-lestérol plasmatique [1], le grand débat soulevé par la présence des acides gras trans dans les huiles végétales hydrogénées n’a vraiment commencé qu’après la publication de Mensink et Katan [2].Comme nous le verrons au cours de cette mise au point, il existe plusieurs familles d’acides gras trans. Nous n’aborderons pas ici la question des isomè-res conjugués de l’acide linoléique connus sous la dénomination de CLA. En effet, compte tenu du nombre d’études réalisées sur ces isomères, à la fois chez l’animal et chez l’homme, dans différents domaines de recherche, ceux-ci ont déjà fait l’objet de revues spécialisées.Cette revue décrira succinctement la nature et l’origine des acides gras trans. Nous aborderons ensuite la question de leur consommation par l’homme et de leur impact sur la santé, sans chercher à être exhaustif compte tenu du nombre d’études réalisées depuis 1990. Nous nous appuierons en particulier sur les études réalisées chez l’homme et les mises au point publiées en 2006 suite au congrès de Copenhague en septembre 2005.

Nature et origine des acides gras trans

Un acide gras trans est un acide gras insaturé possédant une ou plusieurs doubles liaisons de configuration géomé-trique trans, c’est-à-dire dont les substituants se situent de part et d’autre du plan de la liaison éthylénique. Par oppo-sition, un acide gras cis, cas le plus fréquent dans la nature, possédera les deux substituants du même côté du

plan de la liaison éthylénique, comme représenté dans la figure 1. Sont également représentés sur la même figure des isomères de position le 18 : 1-11t et le 18 : 1-9t, le premier ayant une liaison éthylénique en position delta 11 (acide vaccénique, position de la double liaison par rap-port au groupe carboxyle) et le deuxième en position 9 (acide élaïdique). La présence d’une liaison trans confère à la molécule une structure plus linéaire comme l’acide gras saturé correspondant (fig. 1), et ainsi a pour consé-quence d’augmenter son point de fusion comparé à l’acide gras monoinsaturé cis correspondant. Par exem-ple, alors que le point de fusion de l’acide oléique est de 13C, celui de son isomère trans est de 44C.Les acides gras trans monoinsaturés ont une double ori-gine à savoir naturelle puisqu’ils sont présents dans le lait et la viande de ruminants mais ils sont également formés lors de traitements technologiques comme l’hydrogénation partielle catalytique [3]. On les retrouve ainsi dans des aliments contenant des margarines ou

UMR INRA – Université d’Auvergne, Unité de Nutrition Humaine, Plateforme de Spectrométrie de masse, Centre de Clermont-Theix.

Correspondance : Jean-Louis Sebedio, Unité de Nutrition Humaine, Plateforme de Spectrométrie de masse, UMR INRA – Université d’Auvergne, Centre de Clermont-Theix, 63122 Saint-Genes-Champanelle. Email : [email protected]

* Texte issu d’une conférence donnée lors des Journées Francophones de Nutrition à Nice en décembre 2006.

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shortenings. Les acides gras trans polyinsaturés sont des isomères des acides linoléique (18 : 2-9c, 12c) et linolé-nique (18 : 3 : -9c, 12c, 15c). Ils sont formés au cours de traitements thermiques des huiles végétales comme, par exemple, le raffinage (étape de désodorisation [4], ou la friture [5].

Les acides gras trans polyinsaturés

Au cours des traitements thermiques comme, par exem-ple, la friture ou la désodorisation, dernière étape du raf-finage des corps gras, les acides gras sont soumis à des températures pouvant dépasser 200 °C. Dans ces condi-tions, les liaisons éthyléniques de géométrie cis sont sou-mises à une isomérisation géométrique et on obtient ainsi un mélange d’acides gras possédant une ou plusieurs liaisons trans, comme indiqué dans la figure 2. La nature du mélange obtenu dépend fortement de la température utilisée. Au dessous de 200 °C, on obtient un mélange de composés monotrans, alors qu’une température de 220 °C conduit à la formation de composés ditrans [5]. Des études sur des huiles raffinées ont montré que le 18 : 3n-3 était environ 10 fois plus sensible que le 18 : 2n-6.

De plus, pour le 18 : 3, la liaison en delta 12 semble être protégée de l’isomérisation car la quantité de 18 : 3n-3 ayant une liaison trans en delta 12 est faible, même à de fortes températures.Les huiles de poisson sont utilisées comme apport d’aci-des gras polyinsaturés à longue chaîne (20 et 22 atomes de carbones) de la famille des oméga-3 (AGPI-LC n-3) dans l’alimentation, et sont, par exemple, incorporées aux préparations infantiles. Toutefois, ces huiles de pois-son subissent au préalable des étapes de raffinage, et en particulier l’étape de désodorisation qui soumet les AGPI-LC à un traitement thermique. Les AGPI-LC sont instables et peuvent subir au cours de cette étape un cer-tain nombre de transformations chimiques (isomérisa-tions géométriques, migrations des liaisons éthyléniques, cyclisations et/ou polymérisation). Une étude récente a permis de montrer que lors d’un traitement à la limite supérieure des températures normalement utilisées pour la désodorisation industrielle des huiles végétales (220 °C pendant 3 heures), 97,0 % des isomères géométriques formés ne possèdent qu’une seule liaison éthylénique de configuration trans (fig. 3) [6]. L’utilisation d’un traite-ment thermique poussé (250 °C pendant 3 heures) induit surtout la formation d’isomères mono- et ditrans de l’EPA et d’isomères mono-, di-, avec des traces de tritrans pour le DHA. De plus, les positions centrales, c’est-à-dire Δ11 pour l’EPA et Δ10 et Δ13 pour le DHA, semblent plus touchées par l’isomérisation géométrique [6].

Les acides gras trans mono-insaturés

Comme mentionné dans l’introduction, les acides gras trans mono-insaturés sont soit d’origine naturelle [7, 8], soit d’origine technologique. Lorsqu’ils sont d’origine naturelle, ils sont issus du processus de biohydrogénation qui a lieu dans le rumen à partir des acides gras polyinsa-turés présents dans l’herbe (fig. 4). Dans ce cas, le princi-pal isomère formé est l’acide vaccénique ou 18 : 1-11t qui peut représenter plus de 60 % des isomères trans totaux. C’est au cours de ce processus de biohydrogénation que se forment également des isomères conjugués de l’acide linoléique, ou CLA, qui sont des intermédiaires dans la transformation bactérienne des acides gras polyinsaturés en acide gras saturé. Ces acides gras issus de la biohydro-génation sont ensuite transportés dans les tissus, et en particulier dans la glande mammaire où l’acide vaccénique est transformé en acide ruménique (18 : 2-9c, 11t) sous l’effet d’une delta 9 désaturase [8]. Le type d’élevage et la nature de l’alimentation plus ou moins riche en herbe va influencer le taux d’acides gras trans monoinsaturés totaux dans la matière grasse laitière [7]. Cependant, l’iso-mère 18 : 1-11t reste toujours l’isomère prépondérant (fig. 5a).Les acides gras trans peuvent être issus de l’hydrogéna-tion catalytique qui est un procédé industriel qui permet de réduire le degré d’insaturation d’une huile et ainsi obtenir un corps gras concret moins sensible à l’oxyda-tion [3]. Il se forme en majorité des acides gras transmonoinsaturés et de faibles quantités d’acides gras transpolyinsaturés à 18 atomes de carbone dans le cas de l’hydrogénation d’huiles végétales. Les taux et la distri-bution des isomères dépendent des paramètres d’hydro-génation, à savoir la nature et la composition de l’huile, la nature du catalyseur, la température, l’agitation et la pression en hydrogène. Dans le cas des produits hydro-

Figure 1.Structures des acides oléique, élaïdique et vaccénique.

Figure 2.Isomères formés à partir des acides linoléique (a) et linolénique (b) au

cours d’un traitement thermique comme la désodorisation.

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génés, la liaison éthylénique de géométrie trans est plus délocalisée sur la chaîne carbonée et le profil obtenu (fig. 5b) est tout à fait différent de celui d’une graisse de ruminant (fig. 5a).

Consommation d’acides gras trans par l’homme

Tous les acides gras trans précédemment décrits sont par-tie intégrante de notre alimentation et sont donc ensuite retrouvés dans les tissus humains. Se pose la question de savoir si la nature et la quantité d’acides gras transconsommés sont différentes d’un pays à un autre ou d’un continent à un autre. Les données existantes ont été ras-semblées par Schmitt et al., en 2006 : elles reposent soit sur des enquêtes alimentaires, soit sur l’analyse d’aliments consommés, soit sur l’analyse du contenu de tissus [9]. À ce titre, l’analyse de la composition du lait de femme qui représente un bon reflet de la consommation en lipides a révélé que, pour différents pays, les acides gras transmajeurs consommés sont des monoènes et que les diènes et triènes trans ne représentent qu’une faible partie des

acides gras trans totaux. De plus, l’étude TRANSFAIR [10] a montré que la quantité d’acides gras trans consom-més dans le nord de l’Europe était plus importante que dans le sud.

Figure 3.Analyse par chromatographie en phase gazeuse des isomères des acides éicosapentaénoïque

et docosahexaénoïque formés au cours d’une désodorisation à 220 °C [6].

Figure 4.Formation d’acides gras trans au cours de la biohydrogénation chez le ru-

minant [8].

Figure 5.Distribution des isomères trans en C18 : 1 dans (A) une matière grasse

laitière et (B) dans des margarines au tournesol [31] et [32].

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Non seulement la quantité mais également le type d’iso-mères d’acides gras trans consommés est différent d’un pays à l’autre. Une consommation plus importante de produits laitiers dans le sud de l’Europe et de margarine dans le nord de l’Europe [11] ou en Amérique du nord a entraîné des profils en acides gras trans plasmatique et adipeux différents [12] avec, pour les pays du nord de l’Europe et de l’Amérique, un profil plus proche de celui d’une margarine.Il est évident que ces données ont évoluées depuis quel-ques années si l’on tient compte de la réduction du taux d’acides gras trans dans les margarines. Par exemple, la consommation d’acides gras trans aux États-Unis a dimi-nué de 10 g/j en 1984 à 4 g/j en 1995. Au Danemark, elle est passée d’environ 2 g/j en 1992 à moins de 0,5 g/j en 1999 [13]. Il serait ainsi souhaitable de pouvoir évaluer l’impact des transformations des procédés sur la composition des tissus humains en acides gras trans, comme constaté au Canada [14].

Impact des acides gras trans sur la santé

Acides gras trans polyinsaturés

Il n’existe, à notre connaissance, qu’une seule étuded’intervention nutritionnelle chez l’homme, réalisée à partir d’acides gras trans polyinsaturés, à savoir les isomères de l’acide alpha linolénique [15, 16]. Après une période sans acides gras trans (6 semaines), des volontaires ont reçu ou non un mélange d’acides gras trans du 18 : 3 sous la forme d’une huile de colza désodorisée à raison de 0,6 % de l’apport énergétique total. À la suite de cette période, les paramètres liés aux facteurs de risque des maladies cardio-vasculaires ont été mesurés. Parmi tous les paramètres étu-diés, le seul effet significatif a été observé pour le rapport du cholestérol total/cholestérol HDL. En effet, ce rapport est diminué chez les sujets ayant subi un régime riche en acide α−linolénique, alors que cet effet considéré comme bénéfique est anihilé par le régime riche en AGT polyinsa-turé [15, 16]. Dans ce cas, les AGT polyinsaturés qui ani-hilent cet effet dans le groupe « trans » se comporteraient donc comme les acides gras trans mono-insaturés.

Acides gras trans mono-insaturés

Les études publiées à ce jour ont concerné, dans leur grande majorité, l’influence de la consommation d’acides gras trans sur les facteurs de risque associés aux maladies cardiovasculaires et, en particulier, l’effet de ces acides gras sur le métabolisme des lipoprotéines. Les études épidémio-logiques d’observation ont établi depuis longtemps que des teneurs plasmatiques élevées en cholestérol total (CT) et cholestérol des LDL (C-LDL) et de faibles teneurs en cho-lestérol des HDL (C-HDL) étaient des marqueurs fiables de risque cardio-vasculaire. Les données obtenues sur les aci-des gras trans reposent à la fois sur des études d’interven-tion nutritionnelles mais également sur des études épidémiologiques d’observation. Au début des années 90, des essais cliniques ont montré que la consommation d’AG trans induisait une augmentation du cholestérol plasmati-que, en particulier celui associé aux LDL, comme les AGS ; mais, à la différence des AGS, une baisse du cholestérol associé aux HDL (C-HDL) pouvait dans certains cas être observée. En conséquence, les AG trans pouvaient être plus athérogènes que les AGS. Cependant, certains essais cliniques ont mis en œuvre des quantités d’AG trans ingé-rées très élevées (11 % de l’AET), de l’ordre de 3 à 20 fois plus que celles consommées habituellement (fig. 6) [17].Une méta-analyse réalisée en 2003 par Mensink et al. [18]sur 60 interventions nutritionnelles a permis d’évaluer les effets des acides gras, dont les AG trans, sur le rapport cholestérol total/C-HDL. Il est en particulier montré que toute augmentation de 1 % de la consommation en AG trans (18 : 1 trans) aux dépens des glucides pourrait entraî-ner un accroissement du C-LDL de + 0,040 mmole/L (p = 0,002) ; par contre, l’effet sur le C-HDL serait similaire à celui des glucides. L’estimation de l’impact sur le rapport cholestérol total/C-HDL serait de + 0,022 mmole/L (p = 0,015). Lorsque les glucides sont remplacés par l’acide palmitique, considéré comme hypercholestérolémiant, les effets observés sont identiques à ceux obtenus avec les monoènes trans vis-à-vis du C-LDL.Parmi les études d’épidémiologie prospective, il a été montré par une méta-analyse de 4 études [19-22] regrou-pant environ 140 000 volontaires et l’analyse de plus de 4 000 événements que l’augmentation de 2 % de l’apport

Figure 6.Influence de la consommation d’acides gras mono-insaturés trans sur les taux de C-HDL

and C-LDL plasmatiques chez l’homme [17].

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énergétique total par les acides gras trans augmentait de 23 % le risque de maladie cardiovasculaire [23]. Les étu-des utilisées pour cette analyse sont la Nurses’ Health Study avec un suivi de 20 ans, la Health Professionnals Follow-up study, la Alpha-Tocopherol Beta Carotene Cancer Prevention Study avec un suivi de 6 ans et, enfin, la Zutphen Elderly Study avec un suivi de 10 ans.Il a été mis également en évidence que la consommation d’acides gras trans promouvait l’inflammation [24, 25], un dysfonctionnement de l’endothélium vasculaire. Toute-fois, la relation entre acides gras trans et diabète est encore controversée [23].

Que penser des acides gras trans d’origine naturelle ?

Malgré toutes les études réalisées à ce jour sur les effets potentiels des acides gras trans monoinsaturés, il faut remarquer que la majorité des fractions ou corps gras utilisés sont d’origine industrielle, donc issus de l’hydro-génation partielle. Qu’en est-il des isomères trans 18 : 1 présents dans les produits animaux ? La question est simple mais le problème n’est pas facile à résoudre. En effet, même si l’isomère trans principal est l’acide vac-cénique, les corps gras animaux et les corps gras obte-nus par hydrogénation partielle ont en commun un nombre important d’isomères trans mono-insaturés. Ainsi, l’approche expérimentale chez l’homme n’est pas facile à réaliser. De plus, l’effet des acides gras trans sur le c-HDL est faible, et jusqu’à quel apport énergétique faut-il aller ? Chez l’homme il est mainte-nant bien admis que l’acide vaccénique peut être désa-turé pour donner de l’acide ruménique ou 18 : 2 9c, 11t. Or, il a été montré chez l’animal que cet acide gras pouvait être bénéfique pour le système cardiovasculaire [26, 27].Les études épidémiologiques décrites ci-dessus [28] ont essayé de comparer les effets des acides gras transnaturels aux effets des isomères issus de l’hydrogéna-tion. Alors qu’une association positive a été montrée entre la consommation d’acides gras trans d’origine industrielle et le risque d’infarctus du myocarde, une association négative non significative a été trouvée pour les acides gras trans d’origine naturelle. Dans une publication récente, Weggemans et al. [29] suggèrent qu’il n’y a pas de différence entre les deux sources d’acides gras en dessous d’une consommation de 2,5 g/j. Par contre, cet auteur indique qu’il n’y a pas encore assez de données qui permettent de conclure pour des doses supérieures. Une étude d’intervention nutritionnelle utilisant les deux types de matières gras-ses devrait permettre d’obtenir des éléments de réponse [30].

Conclusion

Il semble que la couverture du dernier rapport du « Danish Nutrition council » est une bonne illustration de l’ensemble des travaux réalisés sur les acides gras transà ce jour [31]. À partir des études épidémiologiques et

d’interventions nutritionnelles, il est évident que la dimi-nution du taux d’acides gras trans non seulement dans les margarines mais également dans les biscuits et vien-noiseries, et le remplacement par d’autres types de matières grasses ne peut qu’être favorable au plan nutri-tionnel. Il reste cependant une question majeure à laquelle nous devons répondre : les acides gras transd’origine naturelle sont-ils aussi délétères que ceux d’ori-gine industrielle, en particulier au niveau du système cardiovasculaire ? Il devient essentiel d’obtenir des élé-ments de réponse compte tenu des réglementations en cours de discussion et du positionnement de différents pays.

Résumé

Les acides gras trans mono-insaturés ont une double ori-gine ; ils sont d’origine naturelle puisqu’ils sont présents dans le lait et la viande de ruminants, mais ils sont égale-ment formés lors de traitements technologiques comme l’hydrogénation partielle catalytique. On les retrouve ainsi dans des aliments contenant des margarines ou shorte-nings. Les acides gras trans polyinsaturés sont des isomè-res des acides linoléique (18 : 2-9c, 12c) et linolénique (18 : 3 : -9c, 12c, 15c). Ils sont formés au cours de trai-tements thermiques des huiles végétales, comme par exemple le raffinage (étape de désodorisation) ou la fri-ture. En règle générale, la consommation d’acides gras trans mono-insaturés est bien plus importante que celle d’acides gras trans polyinsaturés. Non seulement la quan-tité mais également le type d’acides gras trans consom-més est différent d’un pays à l’autre. Une consommation plus importante de produits laitiers dans le sud de l’Europe et de margarine dans le nord de l’Europe ou en Amérique du Nord a entraîné des profils en acides gras trans plas-matique et adipeux différents avec, pour les pays du nord de l’Europe et de l’Amérique, un profil plus proche de celui d’une margarine.Les données obtenues sur les effets physiologiques résul-tant de la consommation d’acides gras trans mono-insaturés reposent à la fois sur des études d’interventions nutritionnelles, mais également sur des études épidémio-logiques d’observation. Des études d’intervention nutri-tionnelle ont en particulier montré que toute augmentationde 1 % de la consommation en acide gras trans (18 : 1 trans) aux dépens des glucides pouvait entraîner un accroissement du C-LDL et une diminution du C-HDL. Il a été également montré par une méta-analyse de 4 étu-des d’épidémiologie prospective regroupant environ 140 000 volontaires et l’analyse de plus de 4 000 événe-ments que l’augmentation de 2 % de l’apport énergétique total par les acides gras trans augmentait de 23 % le ris-que de maladie cardiovasculaire.Malgré le nombre d’études réalisées sur les acides gras trans, il reste une question essentielle à élucider, à savoir si les acides gras trans d’origine naturelle ont les mêmes effets délétères que les acides gras trans d’origine indus-trielle car les données disponibles actuellement ne permet-tent pas de conclure.

Mots-clés : Acides gras trans – Graisses animales – Grais-ses hydrogénées – Effets physiologiques – Homme.

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Abstract

Trans fatty acids include mono- and poly-unsaturated fatty acids having methylene interrupted double bonds. Trans monounsaturated fatty acids are formed during hydrogenation of oils to produce margarine and shor-tening but are also present in ruminant meat and milk as a result of biohydrogenation in the rumen. The lino-leic and a-linolenic acid trans isomers may also be pre-sent in non-hydrogenated fats as the result of exposure of these polyunsaturated fatty acids to heat treatment, such as steam deodorization, or deep fat frying in food.Trans monounsaturated isomers are the major trans isomers consumed by humans. Data on trans fatty acids were obtained from nutritional interventions but also from epidemiological studies. For example, a meta analysis of 60 controlled trials published between 1970 to 1998 which included over 1,600 volunteers showed that replacing carbohydrates isoenergetically (1% of total energy) by 18: 1 trans would increase LDL cho-lesterol while the effect on HDL would be similar. The calculated impact on the ratio of total cholesterol/HDL would be of +0.022nmoles/L (p=0.015). A recent meta analysis of the four larger epidemiological studies showed that increasing the total energy intake with 2% trans fatty acids would result in a 23% increase in car-diovascular disease risk.However, it is essential now to answer the following question: Are trans fatty acids from natural origin have the same effects as those demonstrated for the “indus-trial ones”. Some studies which are being carried out should give some new information on this important still pending question despite the number of studies so far carried out.

Key-words: Trans fatty acids – Ruminant fats – Hydro-genated fats – Physiological effects – Human.

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