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UNIVERSITÉ D'ANGERS UFR Droit, Economie, Gestion THÈSE DE DOCTORAT N°766 Spécialité: Droit public LES ACTES ADMINISTRATIFS UNILATÉRAUX NÉGOCIÉS Présentée et soutenue publiquement Par M. Richard DEAU Le vendredi 8 décembre 2006 à Angers JURY: M. Michel DEGOFFE, Professeur à l'Université de Paris V M. Alain LAQUIÈZE, Professeur à l'Université de Paris III, directeur de thèse M. Dominique MAILLARD DESGRÉES DU LOÛ, Professeur à l'Université d'Angers M. Fabrice MELLERAY, Professeur à l'Université de Bordeaux IV, rapporteur M. Bertrand SEILLER, Professeur à l'Université de Paris II, rapporteur tel-00326535, version 1 - 3 Oct 2008

Acte Administrativ Unilateral Negociat

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UNIVERSIT D'ANGERSUFR Droit, Economie, Gestion

THSE DE DOCTORATN 766 Spcialit: Droit public

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LES ACTES ADMINISTRATIFS UNILATRAUX NGOCIS

Prsente et soutenue publiquement ParM. Richard DEAU

Le vendredi 8 dcembre 2006 Angers

JURY:

M. Michel DEGOFFE, Professeur l'Universit de Paris V M. Alain LAQUIZE, Professeur l'Universit de Paris III, directeur de thse M. Dominique MAILLARD DESGRES DU LO, Professeur l'Universit d'Angers M. Fabrice MELLERAY, Professeur l'Universit de Bordeaux IV, rapporteur M. Bertrand SEILLER, Professeur l'Universit de Paris II, rapporteur

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Je tiens remercier Monsieur le Professeur Alain Laquize pour ses remarques et ses conseils aviss.

Remerciements particuliers ma famille ainsi que mes amis pour leur soutien.

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PRINCIPALES ABRVIATIONSAJDA Actualit juridique Droit administratif AJDI Actualit juridique Droit immobilier AJFP Actualit juridique Fonctions publiques Al. Alina Art. Article BJCP Bulletin juridique des contrats publics BJDU Bulletin juridique de droit de l'urbanisme Bull civ Bulletin des arrts de la Cour de cassation. Chambres civiles Bull crim Bulletin des arrts de la Cour de cassation. Chambre criminelle CA Cour d'appel CAA Cour administrative d'appel CE Conseil d'Etat Chr. Chronique CJEG Cahiers juridiques de l'lectricit et du gaz Concl. Conclusions C. urba Code de l'urbanisme D Recueil Dalloz DA Droit administratif DP Dalloz priodique DS Droit social EDCE Etudes et documents du Conseil d'Etat Fasc. Fascicule Gaz. Pal Gazette du Palais IIAP Institut international d'administration publique Ir. Informations rapides JCP A Semaine juridique (ou Jurisclasseur priodique) dition Administrations et Collectivits territoriales JCP E Semaine juridique (ou Jurisclasseur priodique) dition Entreprises JCP G Semaine juridique (ou Jurisclasseur priodique) dition Gnrale JCP N Semaine juridique (ou Jurisclasseur priodique) dition Notariale et immobilire JDI Journal de droit international JO Journal officiel de la rpublique franaise JOCE Journal officiel des communauts europennes LPA Les Petites Affiches Obs. Observations p. Page RA Revue administrative RCADI Recueil des cours de l'acadmie de droit international RDP Revue du droit public et de la science politique Rec. Recueil Lebon Rec Cons const Recueil des dcisions du Conseil constitutionnel Rp. D. civ Rpertoire Dalloz de droit civil RFAP Revue franaise d'administration publique RFDA Revue franaise de droit administratif RJF Revue de jurisprudence fiscale RGCT Revue gnrale des collectivits territoriales RJS Revue de jurisprudence sociale

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RPDA RSF RSLF RTDC RTD Comm RDSS S SC TA TC TPS V. Voyez

Revue pratique de droit administratif Revue de science financire Revue de science et de lgislation financire Revue trimestrielle de droit civil Revue trimestrielle de droit commercial Revue de droit sanitaire et social Recueil Sirey Sommaires comments Tribunal administratif Tribunal des conflits Travail et protection sociale

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SOMMAIRE

INTRODUCTION GNRALE

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PREMIRE PARTIE: L'EXISTENCE DES ACTES ADMINISTRATIFS UNILATRAUX NGOCIS RVLE PAR LA TECHNIQUE DE REQUALIFICATION 51 TITRE PREMIER: LA DTERMINATION DU CHAMP D'APPLICATION DE LA PROCDURE DE REQUALIFICATION 53 CHAPITRE PREMIER: LE CARACTRE DUEL DE LA REQUALIFICATION DANS CERTAINS DOMAINES 54 CHAPITRE SECOND: L'ABSENCE DE REQUALIFICATIONS EXPRESSES DANS CERTAINS SECTEURS D'ACTIVITS 106

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TITRE SECOND: LE RECOURS PARTIELLEMENT JUSTIFIABLE A LA TECHNIQUE DE REQUALIFICATION 184 CHAPITRE PREMIER: LE CARACTRE CONTROVERS DES FONDEMENTS TRADITIONNELS DE LA REQUALIFICATION 185 CHAPITRE SECOND: TENTATIVE DE DTERMINATION DES FONDEMENTS RELS DE LA REQUALIFICATION 230

SECONDE PARTIE: LES ACTES ADMINISTRATIFS UNILATRAUX NGOCIS AU REGARD DE LA THORIE GNRALE DES ACTES ADMINISTRATIFS 276 TITRE PREMIER: DES ACTES ALTRANT LA DISTINCTION TRADITIONNELLE ENTRE L'ACTE UNILATERAL ET LE CONTRAT 278 CHAPITRE PREMIER: UNE ALTRATION PROVOQUE PAR LA MULTIPLICIT DES PARTICIPANTS A L'ACTE 279 CHAPITRE SECOND: VERS UNE REMISE EN CAUSE DES CARACTRISTIQUES FORMELLES ET MATERIELLES DES DEUX CATGORIES TRADITIONNELLES ? 340 TITRE SECOND: L'EXAMEN DES ACTES ADMINISTRATIFS UNILATRAUX NGOCIS EN TANT QUE CATGORIE AUTONOME 392 CHAPITRE PREMIER: LA CONFRONTATION DES ACTES ADMINISTRATIFS UNILATRAUX NGOCIS AUX DIFFERENTES CATGORIES INTERMDIAIRES 393

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CHAPITRE SECOND: L'ABSENCE DE RECONNAISSANCE D'UNE TROISIME 444 CATGORIE D'ACTES CONCLUSION GNRALE 516

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INTRODUCTION GNRALE

Selon Jean Combacau, "dans la vaste demeure du droit, l'acte juridique occupe une pice obscure, et l'on y entre plus aisment qu'on n'en ressort"1. Ces quelques mots caractrisent assez bien l'tat de la jurisprudence et de la doctrine qui, s'agissant des actes juridiques dans leur ensemble, est pour le moins complexe. On retrouve en effet, au sein de cette "pice", une multitude d'actes et parmi ceux-ci, les actes administratifs unilatraux ngocis. Mais avant toute chose, et afin de bien comprendre tout l'intrt de cette tude, certaines prcisions d'ordre terminologique doivent tre apportes. On peut

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notamment se demander si on entre vritablement avec aisance dans cette "pice obscure" occupe par l'acte juridique. Certes "l'acte juridique semble une de ces notions videntes, acceptes par tous"2 comme l'indique Michel Bastit. Son existence ne pose, il est vrai, aucun problme. De nombreux auteurs, qu'ils soient privatistes ou publicistes, ont largement tudi cette notion. Ainsi, par exemple, Jacques Flour, Jean-Luc Aubert et Eric Savaux ont consacr l'un de leur manuel de droit des obligations l'acte juridique3. En droit public, il n'existe pas d'ouvrage portant spcialement sur l'analyse d'une telle notion4. Cela ne signifie pas pour autant qu'aucune tude de qualit n'ait t faite sur ce sujet. Lon Duguit5, Charles Eisenmann6 ont, par exemple, consacr de longs et prcieux dveloppements sur ce point. Il ne suffit pas d'affirmer que la "pice" ou autrement dit la notion d'acte juridique existe. Encore faut-il pouvoir lui donner une dfinition prcise.

I Dfinition de l'acte juridique en droit administratif Jean Bodin serait l'un des premiers auteurs avoir voqu la notion d'acte juridique si on en croit les propos de Georges Rouhette. Ce dernier souligne que "l'analyse de Bodin

J. Combacau, "L'acte juridique Ouverture", Droits 1988, n p 3. 7, M. Bastit, "Suggestions sur les origines philosophiques de l'acte juridique", Droits 1988, n p 11. 7, 3 J. Flour, J-L Aubert et E. Savaux, Droit civil Les obligations 1 L'acte juridique , Paris, Armand Colin, me dition, 2004, 417p. 11 4 L'ouvrage de P. Delvolv, L'acte administratif, Paris, Sirey, 1983 ne concerne pas la notion d'acte juridique en tant que telle mais uniquement l'acte administratif unilatral. 5 me L. Duguit, Trait de droit constitutionnel, Paris, E. Boccard, 3 dition, 1927, tome 1, pp 315 et ss. 6 C. Eisenmann, Cours de droit administratif, Paris, LGDJ, 1982, tome 1, pp 367 et ss et tome 2, pp 337 et ss.2

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Les actes administratifs unilatraux ngocis

prsente l'intrt de saisir l' acte juridique comme une espce du genre fait juridique au lieu de distinguer ces deux notions comme dsignant, au mme niveau hirarchique, deux tranches spares de la ralit"7. A l'heure actuelle, la doctrine dfinit l'acte juridique en l'opposant celle de fait juridique. Cette distinction va permettre de mettre en avant les caractristiques de l'acte juridique. On pourrait, dans une premire approche, le dfinir comme une manifestation de volont destine produire des effets de droit. Cette approche manque de prcisions car non seulement des effets juridiques peuvent se produire sans acte de volont8 mais en plus, une manifestation de volont peut crer des effets de droit sans que cela constitue un acte juridique9. Il s'agit, dans ces diffrentes hypothses, de faits juridiques. Les auteurs civilistes ont d apporter quelques prcisions. Ils dfinissent donc l'acte juridique comme "un acte volontaire, spcialement accompli, dans les conditions du droit objectif, en vue de produire des effets de droit dont la nature et la mesure sont elles-mmes voulues"10. La qualification d'acte juridique

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dpend donc du lien trs spcifique existant entre la manifestation de volont et les effets de droit. Ce lien est peru de diffrentes faons par la doctrine11. Selon une conception objective, les effets de droit doivent tre l'objet, le but de la manifestation de volont. Pour les tenants de la conception subjective, "il y aura acte juridique lorsque l'effet juridique rsulte de la volont mais seulement si sa configuration et son contenu rsultent de la volont de l'auteur de l'acte" selon les propos de Franois Terr12. Cette approche tend rduire l'excs le domaine des actes juridiques. De ce fait, une troisime conception s'attache au caractre ncessaire de la volont dans la production des effets de droit. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces diffrentes approches au cours de la seconde partie. En droit priv, la doctrine tend nettement dissocier l'acte du fait juridique mais qu'en est-il en droit public ? Dans ce domaine, l'opposition prcite semble inexistante et Bertrand Seiller en donne les raisons: "la distinction opre par le droit priv est principalement lie des problmes d'engagement de la responsabilit et de preuve, qui ne se prsentent pas avec7 8

la

G. Rouhette; "La doctrine de l'acte juridique: sur quelques matriaux rcents", Droits 1988, n p 31. 7, L. Duguit affirme notamment que "la naissance, la mort, la destruction matrielle et accidentelle d'une chose () sont autant de faits non volontaires la suite desquels se produisent des effets juridiques", op. cit., p 325. 9 Les faits humains volontaires tels que les dlits et voies de fait, l'tablissement de domicile, le concubinage sont considrs par C. Brenner comme des faits juridiques, "Acte", Rp civ Dalloz, p 6. 10 J. Flour, J-L Aubert et E. Savaux, Droit civil Les obligations 1 L'acte juridique , op. cit., p 35. 11 F. Terr expose trs clairement ces diffrentes conceptions dans sa thse portant sur L'influence de la volont individuelle sur les qualifications, Paris, LGDJ, 1956, pp 190 et ss. 12 Id., p 192.

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mme acuit en droit administratif"13. En outre, l'originalit de l'acte administratif unilatral conduirait ngliger les faits juridiques. Enfin, la responsabilit de la puissance publique peut rsulter aussi bien d'actes juridiques que de faits. Ces diffrents lments expliqueraient l'absence de pertinence d'une telle distinction14 pourtant essentielle en droit priv. La doctrine publiciste prfre, en ralit, opposer l'acte juridique l'acte matriel. Avant d'voquer cette opposition, il est ncessaire de dterminer quelles sont les caractristiques de l'acte juridique selon les auteurs publicistes. Peut tre qualifi ainsi, selon Lon Duguit, "tout acte de volont intervenant avec l'intention que se produise une modification dans l'ordonnancement juridique tel qu'il existe au moment o il se produit ou tel qu'il existera un moment futur donn"15. Sa dfinition est finalement trs proche de celle des auteurs civilistes. Les expressions "effet de droit" et "modification de l'ordonnancement juridique" dsignent la mme chose16. En outre, elle se rapproche de la conception objective prcdemment voque car sans

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intention de modifier l'ordonnancement juridique, il ne peut y avoir acte juridique17. Gaston Jze, quant lui, considre que "les actes juridiques sont les manifestations de volont d'individus gouvernants, agents publics, simples particuliers en exercice d'un pouvoir lgal et en vue de produire un effet de droit"18. Mis part le rajout de cette condition relative l'existence d'un pouvoir lgal, cette dernire dfinition est trs proche de celle donne par Lon Duguit. On retrouve les mmes caractristiques savoir: la manifestation de volont et l'intention19 que se produisent des effets de droit. A partir du moment o ce dernier lment fait dfaut, l'acte ne peut tre considr comme juridique. Il s'agira dans ce cas d'un acte matriel20. Cette opposition entre l'acte juridique et l'acte matriel a t conteste par Charles Eisenmann. Il reproche notamment aux auteurs de ne donner qu'une dfinition ngative

B. Seiller, "Acte administratif", Rpertoire de contentieux administratif, Dalloz, p 8. Ces propos doivent nanmoins tre nuancs car L. Duguit voque au dtour d'un dveloppement la distinction entre l'acte et le fait juridique. Les faits de droit non volontaires la suite desquels se produisent des effets juridiques sont considrs comme des faits juridiques, op. cit., p 325. 15 Id., p 326. 16 P. Amselek souligne aprs avoir cit la dfinition de L. Duguit que "l'effet de droit serait donc une modification de l'ordonnancement juridique", "L'acte juridique travers la pense de Charles Eisenmann", Archives de philosophie du droit 1987, p 308. 17 Les propos de L. Duguit sont sur ce point trs clairs car il affirme qu'"un acte volontaire la suite duquel se produit une modification dans le domaine du droit n'est point un acte juridique, si, au moment o a t accompli cet acte, l'agent n'avait pas l'intention qu'il se produisit une modification dans le domaine du droit", op. cit., p 326. 18 G. Jze, Les principes gnraux du droit administratifs, La technique juridique du droit public franais, Paris, Dalloz, 2005 (rimpression de ldition de 1925), tome 1, p 25. 19 Le caractre intentionnel n'apparat pas expressment dans la dfinition prcite. Mais quelques lignes plus bas, G. Jze souligne que "la manifestation de volont suppose essentiellement que l'auteur veut qu'un effet juridique soit produit", id., p 26. 20 Selon L. Duguit, "les actes matriels sont toutes les manifestations de volont qui n'ont pas un pareil objet (une modification de l'ordre juridique)", op. cit., p 242.14

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de cette seconde catgorie d'acte21. Il va jusqu' remettre en cause la dfinition de l'acte juridique donne par les auteurs prcits car elle manque de prcisions. Charles Eisenmann s'inspire des analyses d'Hans Kelsen. Les actes juridiques sont d'abord, "avant d'tre faits par des hommes, institus par le droit. Ils sont des mcanismes crs, tablis par celui-ci; il faut donc, pour arriver les dfinir correctement (), les contempler dans le systme juridique, o ils existent d'une existence idale et abstraite sans doute"22. Par cette approche, Charles Eisenmann va pouvoir tablir un lien troit entre l'acte juridique et la notion de norme. Il affirme trs clairement que "les actes juridiques sont les mcanismes ou oprations d'diction de normes, ce sont les actes normateurs"23. Il ressort de ces diffrentes citations que Charles Eisenmann refuse de se placer du point de vue des auteurs de l'acte pour dfinir ce dernier. La manifestation de volont n'est donc pas prise en considration. Ce point de vue est contestable car s'il est vrai que toute manifestation de volont n'engendre pas la cration d'un acte juridique, ce

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dernier rsulte ncessairement d'une telle manifestation. Elle ne peut, de ce fait, tre ignore. Nanmoins, il faut bien considrer que cette dernire n'est pas totalement absente de son analyse. Il souligne notamment que l'acte juridique ne doit pas tre assimil la norme. L'acte dsigne uniquement l'opration d'diction de la norme24. Cette opration comprend diffrentes phases et englobe plus prcisment la totalit "des faits et gestes qui sont accomplis ou requis pour aboutir l'diction d'une norme juridique"25. Paul Amselek a t amen expliciter ces propos et admet que "les actes juridiques apparaissent () comme des manifestations juridiquement institues d'actes psychiques de prescription"26. On peut donc affirmer que l'analyse de Charles Eisenmann rejoint finalement celle des auteurs classiques qui employaient, quant eux, l'expression "manifestation de volont". La plupart des auteurs actuels s'en tiennent une dfinition classique de l'acte juridique. Ainsi, le doyen Georges Vedel et Pierre Delvolv considrent en 1992 que "les actes juridiques sont des manifestations de volonts destines produire des effets de droit"27. Gilles Lebreton, dans la dernire dition de son manuel de droit administratif, adopte la mme dfinition28.

C. Eisenmann rsume l'tat de la doctrine dans ces termes: "tout acte qui ne prsente pas les caractres inclus dans la dfinition de l'acte juridique est un acte matriel", Cours de droit administratif, tome 2, op. cit., p 188. 22 Id., p 348. 23 Id., p 363. 24 Id., pp 684 et ss. 25 C. Eisenmann, Cours de droit administratif, tome 1, op. cit., p 400. 26 P. Amselek, op. cit., p 318. 27 me G. Vedel et P. Delvolv, Droit administratif, Paris, PUF, 12 dition, 1992, p 235. 28 me G. Lebreton, Droit administratif gnral, Paris, Armand Colin, 3 dition, 2004, p 187.

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Nous avons voqu, dans les dveloppements prcdents, les dfinitions de l'acte donnes par les auteurs civilistes et publicistes. Cependant, seuls les actes ayant un caractre administratif sont concerns par cette tude. Contrairement aux apparences, il n'est pas toujours ais de dterminer si un acte entre ou non dans cette catgorie. Comment faire, dans ce cas, pour distinguer les actes administratifs des autres actes ? Selon Bertrand Seiller, "le jeu des principes de sparation des pouvoirs et de sparation des autorits"29 permet de faire ces distinctions. Ainsi, les actes constitutionnels30, lgislatifs, juridictionnels, certains actes pris par le pouvoir excutif ne sont pas considrs comme des actes administratifs. En outre, de tels actes ne sont pas ncessairement dicts par des organes publics. En effet, la jurisprudence a depuis longtemps admis que des personnes prives puissent prendre de tels actes31. S'agissant des actes pris par ces dernires, il est intressant de noter que le juge a li le caractre administratif de ces dcisions l'exercice d'une prrogative de puissance publique ainsi

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qu'au service public. Il s'attache donc des critres matriels32. Une telle prcision n'apparat certes pas lorsqu'un acte est dict, au sein d'une personne publique, par un organe administratif. Cet acte est prsum administratif. Nanmoins, il ne fait gure de doute que le juge s'y rfre implicitement33. S'il est en thorie possible de distinguer les actes administratifs des actes de droit priv, l'examen de la jurisprudence amne relativiser cette affirmation. Des hypothses d'imbrications d'actes juridiques de droit priv et de droit public existent malgr tout. Tel est le cas des conventions collectives de travail ou d'assurance chmage comme on aura l'occasion de l'analyser. Jusqu' prsent, nous avons caractris les actes en nous basant uniquement sur l'expression "acte administratif". Malheureusement, cette qualification n'apparat pas suffisamment prcise. Au sein mme de cette catgorie, on recense diffrents types d'actes. Ainsi, dans l'expression "actes administratifs unilatraux ngocis", l'adjectif "unilatral" revt une grande importance. Cela va nous permettre d'analyser l'opposition

B. Seiller, "Acte administratif", op. cit., p 16. Certains auteurs dont J. Roux voquent l'existence d'un "droit constitutionnel ngoci", "La Constitution comme contrat", in Mlanges en l'honneur du professeur Michel Guibal - Contrats publics, Montpellier, Presses de la facult de droit de Montpellier, 2006, tome 2, pp 452 et ss. Cela renvoie aux diffrentes rvisions constitutionnelles ayant pour effet d'introduire dans la Constitution des dispositions d'origine conventionnelle. 31 Cf notamment l'arrt du 31 juillet 1942 Monpeurt, Rec, p 239 D 1942, p 138, concl A. Sgalat, note P.C JCP 1942, II, 2046, concl Sgalat, note P. Laroque RDP 1943, p 57, concl Sgalat, note R. Bonnard S 1942, 3, 37, concl Sgalat. 32 Cf notamment l'arrt du 13 janvier 1961 Magnier, Rec, p 33 RDP 1961, p 155, concl J. Fournier AJDA 1961, p 142, note C.P DS 1961, p 335, note Teitgen. 33 P. Delvolv affirme que "s'il n'est pas besoin de faire rfrence ces critres (dtention de prrogatives de puissance publique et gestion des services publics), ils sont impliqus par l'action des organes administratifs", op. cit., p 49.30

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fondamentale qui existe en droit administratif entre les actes unilatraux et les actes administratifs plurilatraux auxquels le contrat appartient.

II Les caractristiques de l'acte administratif unilatral Jean-Louis de Corail affirme qu'on "rserve le terme d'acte administratif l'acte juridique unilatral qui mane d'une seule volont, produit des effets l'gard des tiers ()"34. Pour quelle raison l'acte administratif et l'acte unilatral sont-ils considrs comme synonymes35 ? Certains lments permettent d'expliquer cette association. Il ne faut pas perdre de vue que l'acte unilatral a toujours t regard comme le procd normal de l'action administrative. Un tel acte rvle l'exercice par l'administration de prrogatives de

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puissance publique. En outre, l'une des raisons de l'assimilation se trouve sans aucun doute dans les dispositions de la loi du 24 mai 1872. Son article 9 prvoit que les "actes des diverses autorits administratives" sont susceptibles de faire l'objet d'une annulation pour excs de pouvoir. Etant donn que seuls les actes unilatraux peuvent thoriquement tre contests devant ce juge de l'excs de pouvoir, les auteurs ont donc considr que le terme "acte" dsigne ncessairement les actes prcits. Cependant, l'affirmation de Jean-Louis de Corail semble en totale contradiction avec l'tat actuel de la doctrine. Certes, Pierre Delvolv, dans les premires pages de son ouvrage, prcise qu'il assimile l'acte administratif l'acte unilatral. Il s'agit nanmoins d'une assimilation fictive destine clarifier son analyse. En effet, il souligne que "les actes administratifs recouvrent () aussi bien les actes administratifs unilatraux que les contrats administratifs"36. Bertrand Seiller adopte le mme raisonnement dans son fascicule consacr l'acte administratif37. L'acte administratif et l'acte administratif unilatral sont donc bel et bien distincts. Un autre problme d'ordre terminologique se pose. Est-il indispensable d'insrer entre les termes "acte" et "unilatral" l'adjectif "administratif" ? En d'autres termes, est-ce que tout acte unilatral n'est pas ncessairement administratif ? Tel semble tre l'avis de certains auteurs. Charles Eisenmann cite les propos suivants d'Andr de Laubadre: "l'acte unilatral est

J-L. de Corail, "Acte administratif", in Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Quadrige, Lamy/PUF, 2003, p 11. 35 Il semble que cette mme assimilation existe en droit allemand, cf H. Maurer, Droit administratif allemand, Paris, LGDJ, 1994, pp 191 et ss. 36 Op cit., p 9. 37 Il prcise que "l'expression "contrat administratif" n'exclut pas que les actes viss soient bien des actes administratifs". Il avertit nanmoins le lecteur que "l'acte administratif, au sens de ce fascicule, est principalement l'acte administratif unilatral", "Acte administratif", op. cit., p 5.

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caractristique du droit public, le droit priv reposant essentiellement sur la technique de l'accord de volonts"38. Mme si la plupart des auteurs civilistes n'abordent l'tude de l'acte unilatral que de manire trs succincte, on ne peut pour autant affirmer que les actes unilatraux de droit priv n'existent pas. Ainsi, Jacques Flour, Jean-Luc Aubert et Eric Savaux consacrent un chapitre de leur ouvrage l'tude de "l'acte juridique unilatral"39. De mme, Charles Eisenmann reconnat, aprs une analyse dtaille, que "l'acte unilatral existe en droit priv aussi bien qu'en droit public, et il existe sur une large chelle en droit priv comme en droit public"40. La reconnaissance d'enfant naturel, l'mancipation, le testament entreraient notamment dans cette catgorie des actes unilatraux de droit priv. L'numration de quelques exemples ne peut suffire dfinir avec prcision un acte unilatral. Quels sont les lments permettant de le caractriser ? Avant d'analyser le cas des actes administratifs unilatraux, on peut citer cette dfinition propose par un auteur

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civiliste. Selon Rafael Encinas de Munagorri, il s'agit d'une "opration consistant en une manifestation de la volont ayant pour objet et pour effet de modifier l'ordre juridique en l'absence de consentement"41. Cet auteur reprend les mmes lments qui permettent de dfinir l'acte juridique tout en y ajoutant le critre relatif l'absence de consentement42. Cette prcision est importante car l'existence d'un consentement, d'un accord de volonts est l'un des critres essentiels du contrat. En droit public, il n'existe pas de dfinition unique de l'acte administratif unilatral. Certes, on va pouvoir se rendre compte que toute l'originalit tient dans l'adjectif unilatral mais en rgle gnrale, les auteurs n'tudient pas ce point en premier. Ainsi, Charles Eisenmann affirme tout d'abord que les actes administratifs unilatraux sont "des oprations normatrices, c'est--dire d'diction de normes"43. Cet auteur fait le lien avec sa dfinition de l'acte juridique prcdemment analyse. Si on en croit sa dfinition, tout acte administratif unilatral revt ncessairement un caractre normateur. Or, est-ce rellement toujours le cas ? Il semble que les notions d'acte administratif unilatral et d'acte juridique ne concident pas vritablement. On a pu voir que ce dernier tait caractris notamment par sa dimension normatrice ou, pour reprendre l'expression d'autres auteurs, par la production d'effet de droit, la modification de l'ordonnancementC. Eisenmann, Cours de droit administratif, tome 1, op. cit., p 413. Op. cit., pp 380 et ss. On voit bien cependant qu'un tel acte n'a qu'une importance secondaire en droit civil et que le contrat occupe une place centrale. Le chapitre portant sur l'acte unilatral est intgr dans un titre intitul "Les actes juridiques autres que le contrat". Soulignons pour terminer que ces auteurs ont consacr, l'intrieur de ce chapitre, une section entire l'engagement unilatral de volont. 40 C. Eisenmann, Cours de droit administratif, tome 1, op. cit., p 442. 41 R. Encinas de Munagorri, L'acte unilatral dans les rapports contractuels, Paris, LGDJ, 1996, p 97. 42 La dfinition donne par J. Flour, J-L Aubert et E. Savaux diffre quelque peu. Il s'agit, selon eux, d'une "manifestation de volont par laquelle une personne, agissant seule, dtermine des effets de droit", op. cit., p 380.39 38

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juridique. Si cet lment fait dfaut, le produit de la manifestation de volont ne peut donc tre qualifi d'acte juridique. Pierre Delvolv semble adopter ce raisonnement puisqu'il considre que l'acte administratif44 "est un acte juridique"45. De ce fait, les vux, les recommandations, les propositions ne peuvent, selon lui, tre qualifis d'actes administratifs46 car ne ils modifient pas l'ordonnancement juridique. Tous les auteurs ne sont pas de cet avis. Nombre d'actes administratifs "ne sont pas normatifs" comme l'indique Bertrand Seiller47. Tel est le cas notamment des actes prcdemment numrs (vux, recommandations, propositions). L'adjectif "dcisoire" permettrait, selon une partie de la doctrine, de distinguer les actes administratifs unilatraux normatifs de ceux qui n'ont pas ce caractre. Ren Chapus affirme par exemple qu'"acte unilatral et dcision ne se confondent pas: cette dernire est au premier ce que l'espce est au genre"48. De mme, Bertrand Seiller souligne que "tous

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les

actes

administratifs49

unilatraux

ne

constituent

pas

()

des

dcisions

administratives" . Ainsi, les vux, les recommandations, les propositions sont qualifis par cet auteur d'actes administratifs non dcisoires50. Comme on peut s'en rendre compte, les propos de Bertrand Seiller et de Ren Chapus posent quelques problmes d'interprtation si on les rattache aux dveloppements prcdents relatifs l'acte juridique. Trois possibilits s'offrent nous. Soit on estime que les notions d'acte juridique et d'acte administratif unilatral sont totalement dissociables car places sur deux plans distincts. Cette distinction serait totalement artificielle. Ces deux notions se recoupent ncessairement. Soit on adopte une conception stricte de l'acte juridique et donc de l'acte administratif et on considre ainsi que les vux, recommandations, propositions ne peuvent entrer dans ces catgories. Dans ce cas, on ignore comment les qualifier. En effet, on ne peut admettre qu'il s'agisse d'actes matriels ou mme de faits juridiques. Soit on opte pour une conception plus large de l'acte administratif et on distingue, au sein de celui-ci, des sous-catgories. Il y aurait donc d'un ct les actes administratifs unilatraux dcisoires et de l'autre, les actes administratifs unilatraux non dcisoires. Mais alors, la catgorie principale savoir l'acte juridique ou plus prcisment pour ce qui nous concerne l'acte administratif ne pourrait plus alors faire l'objet d'une dfinition43 44

C. Eisenmann, Cours de droit administratif, tome 2, prcit, p 399. Nous avons soulign que cette expression recouvre, selon P. Delvolv, les actes administratifs unilatraux. 45 Op. cit., p 12. 46 Id., pp 84 et ss. 47 B. Seiller, "Acte administratif", op. cit., p 35. 48 me R. Chapus, Droit administratif gnral, Paris, Montchrestien, 15 dition, 2001, tome 1, p 502. 49 B. Seiller, Droit administratif L'action administrative, Paris, Flammarion, 2001, p 117. 50 Id., pp 131 et ss.

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prcise. Afin que cette notion puisse englober les actes dcisoires et non dcisoires, il faudrait dfinir l'acte administratif en se rfrant uniquement la manifestation de volont. Malgr ses dfauts, l'expression "acte administratif unilatral" dsignera uniquement, dans le cadre de notre tude, les actes ayant un caractre dcisoire. En effet, comme on le verra par la suite, la jurisprudence va servir de base notre analyse. Or, tant donn que le juge n'examine que les actes ayant un caractre dcisoire, seuls ceux-ci vont nous intresser. Aprs avoir tabli un lien entre les notions d'acte administratif unilatral et de dcision, il est ncessaire de s'interroger sur la signification prcise du terme "unilatral". Selon le dictionnaire Le petit Robert, cet adjectif signifie, dans un sens courant, "qui ne se fait que d'un ct". On l'oppose donc aux adjectifs bilatral et plurilatral. Sur le plan juridique, le Vocabulaire juridique publi sous la direction de Grard Cornu rpertorie cinq dfinitions diffrentes. Arrtons-nous sur les trois premires qui se

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rejoignent. Est unilatral: l'acte manant "d'une seule personne, d'une volont unique", l'acte qui "procde de l'initiative et repose sur la participation d'un seul intress parmi d'autres", l'acte qui "mane et requiert la participation d'une seule personne". Parmi les composants du terme "unilatral", on retrouve l'lment "uni" qui signifie un. Il est donc tout fait logique de lier le caractre unilatral de l'acte au nombre d'auteur de celui-ci. Jacques Flour, Jean-Luc Aubert et Eric Savaux font ce rapprochement dans leur manuel tout en le relativisant par la suite. Ils dfinissent l'acte juridique unilatral comme la "manifestation de volont par laquelle une personne, agissant seule, dtermine des effets de droit"51. Des auteurs publicistes ont eux aussi pris appui sur ce critre dit quantitatif pour dterminer si un acte donn doit ou non tre qualifi d'unilatral. Lon Duguit affirmait par exemple que dans les actes juridiques unilatraux "apparat la manifestation d'une seule volont"52. Louis Rolland adopte la mme conception. Selon lui, un tel acte "correspond la manifestation de volont d'une seule personne"53. Seul un critre formel le nombre de volonts permettrait de distinguer l'acte unilatral de l'acte bilatral. Il est vrai que de nombreux actes administratifs unilatraux sont pris par une seule autorit. Tel est le cas par exemple d'un arrt de police dict par le maire d'une commune. Ce critre quantitatif ne permet pas de caractriser l'ensemble de ces actes. Un arrt interministriel est dict par plusieurs personnes. Il est pourtant intgr dans la catgorie des actes unilatraux.

51 52

Op. cit., p 380. L. Duguit, Leons de droit public gnral, Paris, La mmoire du droit, 2000 (rimpression de ldition de 1926), p 81. 53 me L. Rolland, Prcis de droit administratif, Paris, Dalloz, 8 dition, 1943, p 42.

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Georges Dupuis souligne que certains auteurs ont gard ce critre quantitatif tout en l'amliorant. Il ne s'agit plus de dterminer si une ou plusieurs personnes ont manifest leur volont. L'acte unilatral "se caractrise () par le fait qu'il mane d'une volont unique mais, prcise-t-on, celle-ci peut tre soit individuelle soit collective"54. Si on reprend l'exemple de l'arrt interministriel, on considre que les manifestations de volonts des diffrents ministres se sont unies dans une volont unique mais collective. L'acte serait donc bien unilatral. Marcel Waline fait partie des auteurs adoptant ce point de vue55. Charles Eisenmann semble rejeter purement et simplement cette analyse en arguant de son caractre totalement artificiel. A partir du moment o au moins deux personnes sont en relation, il ne peut y avoir une volont unique. En effet, "les volonts peuvent s'opposer, l'une peut paralyser l'autre (). Qu'on ne vienne donc pas parler de volont unique; quand on considre la ralit des oprations juridiques, il saute aux yeux que cela n'y correspond pas"56. L'affirmation de cet auteur apparat sans doute trop

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premptoire car les personnes ne sont pas en opposition constante. Il se peut qu'elles veulent toutes la mme chose. Aprs avoir critiqu cette approche, Charles Eisenmann propose un critre de substitution. Il fait une analyse tymologique du mot "unilatral" et "multilatral" et souligne que le radical est le "mot latin latus, lateris, qui signifie prcisment ct"57. A partir de l, il constate que, dans un contrat, les participants l'acte "forment deux camps, se situent de deux cts diffrents et mme opposs"58. Tel n'est pas le cas pour les actes unilatraux o les diffrents participants "n'apparaissent pas du tout comme des camps distincts et affronts"59. A premire vue, rien ne distingue fondamentalement cette analyse de la thse de la volont unique prcdemment voque et conteste par cet auteur. Camp unique et volont unique semblent se rejoindre. Nanmoins, les apparences sont trompeuses. L'unification des diffrentes manifestations de volont en une volont unique ne concerne que l'opration d'diction. Or, Charles Eisenmann se place un tout autre point de vue. Son analyse ne porte pas sur l'diction en tant que telle mais sur la norme cre60.

G. Dupuis, "Dfinition de l'acte unilatral", in Recueil d'tudes en hommage Charles Eisenmann, Paris, Editions Cujas, 1975, p 209. 55 Il affirme qu'un "acte ne cesse pas d'tre unilatral parce qu'il a t dlibr au nom d'une personne juridique, du moment que tous les membres de cette assemble agissent au nom de la mme personne, me comme constituant un de ses organes", Droit administratif, Paris, Sirey, 8 dition, 1959, p 402. 56 C. Eisenmann, Cours de droit administratif, tome 2, op. cit., p 688. 57 Ibid. 58 Id., p 689. 59 Id., p 690. 60 S'agissant du contrat, il affirme trs clairement que si les auteurs "apparaissent comme deux camps , comme se situant de deux cts, c'est en somme beaucoup plus en raison de leur situation au regard des dispositions convenues que par leur rle dans l'opration d'diction", ibid.

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En matire contractuelle, il existe deux "camps" opposs au regard des rgles poses. Cette opposition est rvle par le systme de correspondance entre les obligations et les droits de chacun des deux "camps". Il faut donc bien considrer que les parties au contrat vont crer des normes qui leur sont destines. La situation est toute autre s'agissant de l'acte unilatral. Alors mme que plusieurs personnes interviennent dans son laboration, ses dispositions "ne visent pas rgler les rapports mutuels"61 de chacun d'eux. Cette distinction apparat comme le point central de la dmonstration de Charles Eisenmann. Cependant, l'analyse de ce dernier nous amne faire plusieurs remarques. Comme on l'a vu, on ne peut assimiler le "camp" auquel renvoie cet auteur la volont unique car Charles Eisenmann ne s'attache pas au nombre de manifestations de volont pour dterminer si un acte doit tre qualifi de contrat ou d'acte unilatral. De ce fait, il ne prend pas appui sur un lment formel pour dfinir ces deux catgories mais uniquement

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sur le fond. Il prcise d'ailleurs trs clairement que "la convention ou le contrat se caractrisent par cette donne qui en concerne le contenu, le fond"62. Cela ne signifie pas pour autant que l'lment formel ne peut permettre de caractriser l'acte unilatral. A la fin de sa dmonstration, il admet qu'un tel acte puisse tre dfini de deux faons diffrentes. Les actes unilatraux sont, selon lui, "ou bien les actes d'un seul individu, - ou bien les actes de deux ou plusieurs individus qui ne crent pas des normes destines rgir leurs rapports"63. Si on en croit la premire dfinition, l'acte unilatral peut tre dissoci du contrat sur la base d'un lment formel. Pour rsumer, on peut donc dire que l'acte unilatral peut tre distingu du contrat soit sur la base d'un lment formel soit en examinant le fond de cet acte. On ne peut se rfrer cette seconde dfinition que si l'acte rsulte de deux volonts au moins. Il s'agit bel et bien d'une alternative. Aucun lien n'est donc tabli entre les lments formels et le fond. Mis part cette dissociation, il faut souligner que la seconde dfinition dgage par Charles Eisenmann n'est pas exempte de dfauts. On peut tout d'abord remarquer que cet auteur n'adopte qu'une dfinition ngative de l'acte unilatral. Cela n'a rien d'tonnant tant donn que le contrat a t pris comme lment de comparaison. De cette analyse, il a pu dgager les caractristiques de l'acte unilatral. Des auteurs ont tent d'apporter quelques prcisions. Si les normes cres ne peuvent rgir les rapports mutuels de leurs auteurs, cela veut donc dire qu'elles sont destines des personnes autres que leurs auteurs.

61 62

Ibid. Id., p 689. 63 Id., p 690.

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Il est possible de faire un rapprochement avec la dfinition de l'acte unilatral mentionne dans le manuel de Georges Dupuis repris par Marie-Jos Gudon et Patrice Chrtien. Il s'agit, selon eux, de "l'acte qui a pour objet de rgler la conduite de personnes autres que ses auteurs"64. La formulation peut surprendre car cela voudrait dire que les auteurs de l'acte unilatral ne sont aucunement concerns par celui-ci65. Or, Pierre Delvolv souligne que "l'acte unilatral peut avoir des consquences sur son auteur lui-mme. Un rglement lie autant l'administrateur qui l'a adopt que les administrs"66. En ralit, pour dterminer si un acte est unilatral, il ne faut pas se placer du point de vue des auteurs de celui-ci mais des destinataires autrement appels sujets. Si l'acte s'applique des personnes qui ne peuvent tre considres comme les auteurs de celuici, alors l'acte sera unilatral. Cependant, il a fallu dgager un critre permettant d'affirmer coup sr que la personne n'est pas auteur mais simple destinataire. Georges Dupuis, semble l'avoir trouv. Il va prciser que "les normes unilatrales s'imposent

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leurs sujets indpendamment de leur consentement"67. Si l'acte s'applique des personnes qui n'ont pas manifest leur consentement, cela signifie qu'il entre dans la catgorie des actes unilatraux et non des contrats. Charles Eisenmann fait-il rfrence ce critre du consentement ? Il prcise que, dans le cadre de la distinction entre ces deux catgories d'actes, ce critre manque de pertinence. Il affirme que "tous ces actes qui ne peuvent aboutir qu'avec le consentement de deux individus au moins, ne sont pas bi- ou pluri-latraux; certains sont unilatraux"68. De mme, ce critre du consentement ne semble pas avoir t retenu par certains disciples de Charles Eisenmann. Michel Rousset et Maryvonne Hecquard-Thron n'y font pas expressment rfrence lorsqu'ils dfinissent l'acte unilatral. Le premier affirme simplement qu'on "reconnatra l'acte unilatral ce qu'il n'aura jamais pour but de rgler des rapports entre ses auteurs, et ce que ses destinataires se trouveront dans une situation de tiers par rapport l'acte"69. Les propos de Maryvonne Hecquard-Thron sont plus quivoques. Elle souligne que "dans l'acte unilatral l'inverse du contrat il n'y a aucune intervention du sujet l'diction de l'acte (). Ds lors, l'acte est unilatral si l'auteur et le sujet sont distincts ()". Plus prcisment, l'unilatralit est caractrise par "le rapport ingalitaire entre l'auteur et le destinataire de l'acte"70. Le terme "intervention" demeure relativement vague. On ignore s'il doit tre entendu comme un synonyme de "consentement". En outre, elle introduit le concept d'galit pour dterminer quelle64 65

G. Dupuis, M-J Gudon, P. Chrtien, Droit administratif, Paris, Armand Colin, 9 dition, 2004, p 162. Une telle affirmation peut aussi tre dduite de la dmonstration de C. Eisenmann. 66 Op. cit., p 16. 67 G. Dupuis, "Dfinition de l'acte unilatral", op. cit., p 213. 68 C. Eisenmann, Cours de droit administratif, tome 2, op. cit., p 689. 69 M. Rousset, L'ide de puissance publique en droit administratif, Grenoble, Imprimerie Allier, 1960, p 74.

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catgorie appartient un acte. L'argument ne convainc pas totalement. Certes, et comme on le verra, ce concept peut jouer un rle dans la qualification d'auteur de l'acte. Il semble difficile d'affirmer que l'acte est unilatral en se basant uniquement sur l'ingalit existante entre l'auteur et les destinataires71. Les rapports entre les parties72 au contrat ne sont gaux qu'en apparence. Si on en revient la dmonstration de Charles Eisenmann, on ne peut affirmer que son analyse et celle de Georges Dupuis se contredisent. Il ne s'agit pas, dans les deux cas du mme type de consentement. Charles Eisenmann voque l'existence d'un consentement non pas dans le cadre des rapports entre l'auteur et les destinataires mais pour caractriser les relations entre les diffrents auteurs de l'acte. Il n'a dans ce cas aucune incidence sur la nature juridique de celui-ci. En revanche, l'absence de consentement du destinataire de l'acte permet de qualifier ce dernier d'unilatral selon Georges Dupuis.

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Un critre qualitatif portant sur les relations entre l'auteur et les destinataires serait l'origine de la distinction entre l'acte unilatral et le contrat. Dans le cadre de notre tude, il semble intressant de prendre appui sur cette dfinition de l'acte unilatral donne par Georges Dupuis. La nature unilatrale de l'acte et la prsence d'un consentement semblent apparemment antinomiques si on en croit les propos de ceux-ci. Est-ce vritablement le cas ? Le fait de prendre le consentement comme critre de distinction de l'acte unilatral et du contrat pourrait entraner certaines confusions. On est tent d'affirmer qu'il s'agit en ralit d'un retour au critre classique car on s'attacherait, apparemment, au mode de formation de l'acte. Tel n'est pas l'avis de Rafael Encinas de Munagorri. Il considre que "le consentement n'est pas uniquement rapport la formation de l'acte, mais aussi ses effets"73. D'ailleurs, on peut mme se demander si le consentement en question concerne la phase de formation. En effet, Georges Dupuis affirme que "les normes unilatrales s'imposent leurs sujets indpendamment de leur consentement". Il ne se rfre nullement la phase de formation de l'acte. L'emploi du verbe "imposer" indique qu'il se place uniquement au niveau des effets de l'acte74. Il semble en tre de mme pour Gilles Lebreton. Il s'appuie, comme Georges Dupuis, sur l'absence deM. Hecquard-Thron, Essai sur la notion de rglementation, Paris, LGDJ, 1977, pp 22-23. Les contrats dits "d'adhsion" sont trs nettement marqus par l'ingalit des auteurs et donc des destinataires de ces actes. Pourtant, la doctrine et la jurisprudence les intgrent, l'heure actuelle, dans la catgorie des contrats et non des actes unilatraux. 72 M. Hecquard-Thron rappelle qu'en matire contractuelle et la diffrence de l'acte unilatral, "l'auteur est aussi sujet (ou destinataire) et le sujet galement auteur", op. cit., p 23. 73 Op. cit., pp 94-95. 74 La mme formule apparat dans son manuel de droit administratif. Elle est nanmoins accompagne de prcisions non ngligeables: "Les normes poses par un acte unilatral ont valeur juridique pleine et entire sans le consentement de leurs sujets ()", op. cit., p 162.71 70

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consentement pour caractriser l'acte administratif unilatral. Sa dfinition est la suivante: il s'agit de "l'acte juridique, adopt unilatralement par une autorit administrative, qui modifie, ou refuse de modifier, les droits ou les obligations des administrs indpendamment de leur consentement"75. Il apparat, la lecture de cette dfinition, que l'absence de consentement est perue uniquement par rapport aux effets de l'acte. Mme si des auteurs prennent en compte le consentement afin de distinguer l'acte administratif unilatral du contrat, on constate que des divergences d'interprtation existent. Afin de clarifier ces diffrents lments, il faudrait considrer que l'acte est unilatral si aucun consentement du destinataire n'intervient que ce soit au niveau de sa formation ou de ses effets. Entre la thorie et la pratique il y a toujours un dcalage. Nous devons de ce fait dterminer si des actes ne sont pas, malgr tout, intgrs dans la catgorie des actes unilatraux alors mme que les destinataires expriment leur consentement.

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III L'existence de ngociations dans le cadre des actes administratifs unilatraux Ren Chapus a succinctement voqu, dans son manuel de droit administratif, les caractristiques des actes administratifs unilatraux ngocis. Il s'agit, selon cet auteur, d'actes unilatraux dont le contenu a t ngoci "avec ceux ou avec les reprsentants (organisations syndicales notamment) de ceux auxquels il doit confrer des droits ou imposer des obligations"76. Gilles Lebreton a, quant lui, donn la dfinition suivante: "lorsque l'autorit administrative ngocie l'diction de son acte administratif unilatral, en s'efforant de recueillir pralablement le consentement des administrs concerns, l'acte n'en demeure () pas moins unilatral"77. Les ngociations se font entre l'administration et les destinataires de l'acte ou tout du moins certains d'entre eux78. Ainsi, un acte peut tre qualifi d'acte administratif unilatral alors mme qu'il ne remplit pas les critres de la dfinition qualitative prcdemment expose. On peut donc affirmer que les destinataires de l'acte unilatral sont intgrs dans le processus dcisionnel. Gilles Lebreton se rfre au terme de "consentement" dans sa dfinition. Dans la perspective de l'opposition entre l'acte unilatral et le contrat, il est ncessaire de le considrer comme un synonyme d'"accord de volonts". Mais dans ce cas et comme l'indique Rafael Encinas de Munagorri, le "consentement dsigne alors, soit stricto sensu

75 76

Op. cit., p 61. Op. cit., p 493. 77 Op. cit., p 189. 78 Il est important de souligner que les actes administratifs unilatraux ngocis ne concernent pas uniquement les relations entre une personne publique et une personne prive. Un accord peut tre qualifi ainsi alors mme qu'il est conclu entre deux personnes publiques.

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l'accord de volonts lui-mme79, soit lato sensu, et par extension, la volont change dans l'accord, dans l'expression "change de consentement" par exemple"80. Nanmoins, ce mme auteur prcise juste titre que le terme consentement ne peut dsigner toute manifestation de volont. Il faut qu'une relation existe entre au moins deux personnes pour que ce terme puisse tre employ. Ren Chapus ne mentionne pas le terme de "consentement". Il souligne simplement, dans sa dfinition, que l'acte a t ngoci. De ce fait, il faut dterminer quel lien existe entre le consentement et la ngociation. De mme, y a-t-il ncessairement consentement voire ngociation partir du moment o plusieurs entits entrent en relation ? Lorsque les auteurs voquent les actes administratifs unilatraux ngocis, ils ne donnent pas de dfinition prcise de la ngociation. Gilles Lebreton opre certes un rapprochement entre le consentement et la ngociation. Il serait nanmoins excessif d'affirmer qu'un lien indissociable les unit. Amine Ghellal le dmontre indirectement dans un des dveloppements de sa thse. Il est vrai que le consentement et la ngociation

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sont associs dans l'une des quatre dfinitions qu'il donne81 mais tel n'est pas le cas dans les trois autres. On doit admettre, selon lui, qu'il y a consentement lorsqu'un sujet de droit "accepte le contenu d'un acte juridique"82. Dans une telle hypothse, aucune ngociation n'intervient. Prenons, pour nous en convaincre, le cas du contrat d'adhsion. La nature juridique de ce dernier a fait l'objet de vives discussions en droit civil. Il s'agit d'un acte "dont le contenu n'est pas labor la suite d'une libre et relle discussion des parties mais est tabli l'avance unilatralement par l'une des deux"83. L'autre partie ne peut qu'accepter ou refuser les termes du contrat. Raymond Saleilles a, au dbut du XXme sicle, dni sa nature contractuelle84. Il en est de mme de certains auteurs publicistes tels Lon Duguit85 ou Maurice Hauriou86. A l'heure actuelle, les auteurs ainsi que le juge refusent d'intgrer ces actes dans une catgorie spciale. Ils sont considrs comme de vritables contrats. S'agissant du droit civil, Jacques Ghestin souligne que "le contrat d'adhsion reste form par un accord de volont (). Malgr l'absence deF. Terr, P. Simler et Y. Lequette adoptent eux aussi cette dfinition. Ils considrent que, "pris dans sens tymologique (cum sentire), le mot consentement dsigne aussi l'accord, le concours de deux volonts, celle du dbiteur qui s'oblige, celle du crancier envers lequel il s'oblige", Droit me civil Les obligations, Paris, Dalloz, 7 dition, 1999, p 96.Op. cit., p 95. Le terme consentement peut tre employ lorsque deux sujets de droit "laborent en commun le contenu d'un acte juridique", Recherches sur la notion d'effet impratif des actes administratifs unilatraux, thse, Montpellier, 1973, p 115. La fait d'laborer en commun le contenu d'un acte signifie que des ngociations ont pu avoir lieu. 82 Ibid. 83 me A. de Laubadre, F. Moderne et P. Delvolv, Trait des contrats administratifs, Paris, LGDJ, 2 dition, 1983, tome 2, p 67. 84 R. Saleilles, De la dclaration de volont: contribution l'tude de l'acte juridique dans le Code civil allemand, Paris, F. Pichon, 1901, pp 229 et ss. 85 Il affirme que "le contrat d'adhsion parat tre, en ralit, un acte unilatral", Trait de droit constitutionnel, tome 1, op. cit., p 371. 86 Note sur CE 23 mars 1906 Dame Chauvin, S 1908, 3, p 17.81 80

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ngociation, qui n'est pas essentielle, le contrat prrdig n'acquiert force obligatoire l'gard de l'adhrent qu' partir du moment o ce dernier a donn son consentement"87. De mme, Andr de Laubadre, Franck Moderne et Pierre Delvolv constatent que "la jurisprudence administrative () ne traite diffremment les contrats administratifs selon que leur contenu a t ngoci par les parties ou a t prtabli par l'administration"88. L'absence de ngociation n'empche donc pas de qualifier les actes en cause de contrat partir du moment o un accord de volonts, un change de consentement intervient. Cette conclusion revt une grande importance s'agissant des contrats administratifs car le cocontractant de l'administration n'a pas la possibilit, dans la plupart des hypothses, de ngocier leur contenu. De telles affirmations posent problme dans le cadre d'une tude portant sur les actes administratifs unilatraux ngocis. Etant donn que la ngociation n'est pas un critre spcifique du contrat, on pourrait tre tent d'affirmer que n'importe quel type d'acte pourrait faire l'objet de ngociations sans que cela pose problme. Deux remarques s'imposent nanmoins. Mme si cette conclusion est exacte, il apparat tout de mme surprenant d'accoler deux termes unilatral et ngoci que tout oppose apparemment. En outre, il ne faut pas perdre de vue que si des ngociations ont lieu, cela signifie qu'un accord de volonts, un change de consentements intervient la suite de celles-ci. Or, un tel accord tait thoriquement considr comme une caractristique du contrat. De ce fait et afin de ne pas trop restreindre le champ de l'analyse, il semble ncessaire d'opter pour une conception large de la ngociation. Elle inclurait non seulement les discussions entre les diffrentes entits en prsence mais galement l'change de consentements de celles-ci. Ces lments se retrouvent d'ailleurs dans la dfinition de la ngociation donne par Aurlien Colson. Elle recouvre, selon lui, "tous les processus par lesquels au moins deux parties voluent ensemble depuis un point o elles partagent une question ou un problme jusqu' un point o elles s'accordent sur une rponse ou une solution commune"89. Nous avons tent de prciser ce qu'on entend par ngociation. Or, dans le cadre d'une tude portant sur les actes administratifs unilatraux ngocis, il est ncessaire d'apporter quelques prcisions afin d'viter tout risque de confusion. La ngociation permet aux administrs de participer l'action administrative. Nanmoins, il faut bien voir qu'une telle participation peut se faire par le biais d'autres procds. Celle-ci doit donc tre dissocie des autres formes d'interventions des administrs. Etant donn que la ngociation s'insre dans un processus plus gnral de participation, il est ncessaire, dans un premier temps, de caractriser ce dernier concept. Selon Jacques Chevallier, "la participation semble permettre de remdier aux principaux vices de fonctionnement qui affectent la socit franaise en gnral (): elle tend en effet combler les dfaillances du systme de communication et attnuer la rigidit d'un style de commandement base d'autorit et de contrainte"90. Le Conseil d'Etat se montre plusJ. Ghestin, Trait de droit civil Les obligations Le contrat: formation, Paris, LGDJ, 3 dition, 1993, p 214. 88 Op. cit., p 70. 89 A. Colson, "Contrat et ngociation", in Mlanges en l'honneur du professeur Michel Guibal, Contrats publics, op. cit., tome 1, p 13. 90 J. Chevallier, "La participation dans l'administration franaise. Discours et pratique (I)", Bulletin de l'IIAP 1976, p 87.87 me

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prcis dans son rapport public de 199491. Dominique Maillard Desgres du Lo synthtise son contenu de la manire suivante: le principe de participation correspond une "intervention d'usagers (de l'administration) que ne justifie pas des considrations de personne, dans un processus de prvision, de contrle ou d'valuation concernant l'activit des services publics", et plus spcialement l'exercice du pouvoir de "dcision"92. Il semble difficile d'admettre que les actes pris sur demande soient une application de ce principe de participation. Par leur demande, les administrs ne font que dclencher le processus dcisionnel. Ils n'interviennent donc pas dans l'exercice mme du pouvoir de dcision93. L'analyse des diffrentes procdures consultatives ne nous permet pas d'tre aussi catgorique94.

Ngociation et consultationtel-00326535, version 1 - 3 Oct 2008Selon Georges Langrod, il s'agit d'une technique trs ancienne car certains documents attestent notamment de l'existence de "traces d'une consultation externe de larme romaine en rapport direct avec la conduite de la guerre"95. Il ne nous appartient pas de rappeler l'volution historique du recours la consultation ni de faire une analyse approfondie de cette dernire. Il semble nanmoins intressant de dterminer si, en matire dcisionnelle, un rapport existe entre la ngociation et la consultation. Cela suppose que cette dernire puisse faire l'objet d'une dfinition suffisamment prcise. Or tel n'est pas toujours le cas. Michel Rousset affirme notamment qu'il s'agit d'"une participation active la dcision qui sera prise, participation dont bien souvent dpend le succs de la mesure dcide"96. De mme, selon Maryvonne Hecquard-Thron, "la consultation consiste en une information destine clairer le choix du dcideur"97. En revanche et ds l'introduction de sa thse, Yves Weber semble plus explicite. La fonction consultative "peut s'entendre comme l'expression juridique d'opinions mises individuellement ou collgialement l'gard d'une autorit administrative, seule habilit 91 92

EDCE 1994, n p 81. 46, D. Maillard Desgres du Lo, Droit des relations de l'administration avec ses usagers, Paris, PUF, 2000, p 40. 93 Nanmoins, il faut bient voir que postrieurement cette demande, des ngociations peuvent avoir lieu. 94 La consultation est lie cette ide de participation. Jeanne Siwek-Pouydesseau affirme que "l'Administration doit consulter pour s'informer mais aussi pour informer et faire participer la dcision", "Consultation et participation", in La consultation dans l'administration contemporaine, Paris, Cujas, 1972, p 224. 95 G. Langrod, "L'administration consultative", in La consultation dans l'administration contemporaine, id., p 62. 96 Op. cit., p 235. 97 Op. cit., p 70.

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prendre l'acte de dcision propos duquel intervient la consultation"98. Comment vont se manifester ces opinions individuelles ou collgiales auxquelles Yves Weber fait rfrence? Les administrs peuvent tre consults de diffrentes faons notamment par voie d'enqutes ou de rfrendums. La plupart des auteurs considrent cependant que la consultation s'exprime principalement, pour reprendre l'expression de Maryvonne Hecquard-Thron, "par l'avis"99. Il en existe de diffrentes sortes et la doctrine a pris l'habitude de les classer en trois catgories distinctes. L'avis est qualifi de "facultatif" lorsque l'administration n'est ni oblige de le demander ni oblige de le suivre. Si une autorit administrative doit prendre l'avis de telle ou telle personne mais n'est pas tenue de le prendre en considration, l'avis sera qualifi d'"obligatoire". Enfin, l'avis "conforme" est le plus contraignant puisque l'auteur de l'acte doit ncessairement le prendre et le suivre. Georges Dupuis, Marie-Jos Gudon et

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Patrice Chrtien voquent l'existence d'une quatrime catgorie: l'avis spontan. Cela concerne l'hypothse o l'administration prend un avis mais sans qu'aucun texte ne l'ait prvu. Dominique Maillard Desgres du Lo qualifie ce type de consultation de "participation informelle"100. Nanmoins, il n'est pas certain que cet avis spontan soit fondamentalement diffrent d'un avis facultatif. Des entits extrieures l'administration sont amenes participer au processus dcisionnel grce la consultation. Cela signifie-t-il pour autant que de vritables ngociations s'engagent entre les administrs et l'organe administratif ? Roger Gaillat a tudi les diffrentes formes de consultation101. Il en recense quatre distinctes: la consultation-information, la consultation-avis, la consultation-proposition et enfin, la consultation-ngociation102. Selon cet auteur, la particularit de ce dernier mode de consultation, "c'est qu'il y aura mise en prsence claire de points de vue opposs, soit point de vue de l'Administration et point de vue des administrs, soit point de vue d'administrs en dsaccord entre eux"103. Roger Gaillat prcise d'ailleurs que ces diverses formes de consultation peuvent s'enchaner pour aboutir au final la dcision.

Y. Weber, L'administration consultative, Paris, LGDJ, 1968, p 1. Op. cit., p 70. 100 Op. cit., p 41. 101 R. Gaillat, "Aspects psycho-sociologiques de la consultation et du travail en commun", in La consultation dans l'administration contemporaine, op. cit., pp 874 et ss. 102 L. Ibos l'voque aussi dans sa thse consacre La concertation dans la prise de dcision administrative en France, thse Paris I, 1975, pp 13 et ss. 103 R. Gaillat, op. cit.., p 879.99

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Son analyse laisse dubitatif dans la mesure o il adopte une conception particulirement large de la consultation104. Un autre argument tend prouver que la distinction entre la consultation et la ngociation n'est pas aussi nette qu'elle n'y parat. Les caractristiques de l'avis conforme sont telles que certains auteurs refusent de l'intgrer au sein des procdures consultatives. Ren Hostiou estime que "l'exigence de l'avis conforme n'est pas une formalit de procdure qui viserait simplement clairer l'auteur sur l'exercice de sa comptence, elle se traduit par un vritable partage de cette comptence. L'avis conforme n'est pas du domaine de la procdure consultative ()"105. Ren Chapus considre, lui aussi, que l'avis conforme n'est en rien comparable aux autres avis car "l'autorit administrative ne peut prendre la dcision projete qu'avec l'accord de l'organisme consultatif106. Il est nanmoins difficile d'admettre que l'acte pris sur avis conforme soit qualifiable d'acte administratif unilatral ngoci107 et ce pour

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plusieurs raisons. Affirmer qu'un vritable accord de volonts unit les personnes et les organes sus-voqus semble pour le moins discutable. On peut, pour s'en convaincre, citer la dfinition de l'acte pris sur avis conforme donne par Andr Calogeropoulos. Cet acte est, selon lui, "le rsultat autant de la volont de l'organe consultatif que de la volont de l'autorit formellement comptente"108. Certes, deux volonts se manifestent mais cela ne signifie pas pour autant qu'un accord soit pass109. Elles n'entretiennent pas de liens trs troits. D'ailleurs, le fait que le Conseil d'Etat ait admis la recevabilit du recours pour excs de pouvoir, non seulement contre la dcision finale mais aussi contre l'avis110, confirme cette assertion. Enfin, aucun change simultan de points de vue, de discussion entre l'administration et les administrs n'apparat. On peut conclure ce point en affirmant qu'il n'existe pas, pour reprendre les termes de Genevive Koubi, "de participation ngocie la formulation d'une norme future"111. L'avis conforme rentrerait

Outre la consultation et la ngociation, R. Gaillat tend ne pas clairement dissocier la consultation d'autres notions telles que la concertation. En effet, il considre la "consultation-ngociation" comme une "amorce de la concertation ou de la participation", id., p 870. 105 R. Hostiou, Procdure et formes de l'acte administratif unilatral en droit franais, Paris, LGDJ, 1975, p 32. 106 Op. cit., p 1115. 107 Lorsque les auteurs abordent dans leurs manuels ou articles l'analyse des actes administratifs unilatraux ngocis, ils ne font aucune allusion aux actes pris sur avis conforme. 108 A. Calogeropoulos, Le contrle de la lgalit externe des actes administratifs unilatraux, Paris, LGDJ, 1983, p 113. 109 S'agissant d'un acte pris sur avis conforme, le Conseil d'Etat utilise certes le terme "accord" pour caractriser le lien entre les deux organismes concerns, cf CE 12 janvier 1972, Caisse des dpts et Consignations C/ Picot, Rec, p 33. Cependant, il ne s'agit pas du mme type d'accord que l'on retrouve en matire contractuelle ou dans le cadre des actes administratifs unilatraux ngocis. 110 Cf notamment CE 12 janvier 1972 Caisse des dpts et consignations et CE 29 novembre 1999 Mlle Richaud, Rec, p 869. 111 G. Koubi, "L'acte administratif unilatral conjoint", Revue de la recherche juridique Droit prospectif 1985, p 304.

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donc bien dans le cadre de la procdure consultative "et ne constitue qu'un degr extrme de la dtermination que l'avis imprime l'exercice de la comptence"112. Si on se place d'un point de vue gnral, il apparat, en cas de ngociation, que les administrs soient beaucoup plus impliqus dans l'laboration de la dcision qu'en cas de simple consultation. L'analyse des caractristiques de la consultation par Yves Weber le dmontre indirectement. Dans un dveloppement intitul "l'articulation de la consultation sur la dcision", il constate que la fonction consultative "avis" et la fonction consultative "proposition" doivent tre distingues. La premire marque, "de la part de l'organe consultatif, la manifestation d'une opinion concrtise sous forme d'une raction l'encontre d'un projet de dcision en lui-mme conu et labor"113. La fonction consultative "proposition", quant elle, "s'exerce au niveau de la dcision mme, en ce sens que c'est l'organe consultatif qui, ou la conoit, ou l'labore et, ventuellement, la conoit et l'labore"114. Lorsque les administrs, les ventuels destinataires de la dcision

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donnent leur "avis", ils ne participent pas l'laboration en tant que telle de l'acte administratif unilatral. On peut faire un rapprochement avec l'affirmation suivante de Jacques Chevallier: "ds l'instant o elle est sollicite sur un projet tout labor, la consultation remplit, au mieux, une fonction de lgitimation d'une stratgie sur laquelle elle est dpourvue d'emprise relle"115. Il ne peut donc y avoir de vritables ngociations si les administrs se prononcent sur une dcision dont l'administration a entirement fix le contenu. La situation est-elle foncirement diffrente en cas de proposition ? Dans cette hypothse, les personnes consultes conoivent, laborent la dcision. Ds que cette phase est acheve, l'administration accepte ou non le projet. Mme si ces personnes consultes interviennent trs en amont dans le processus dcisionnel, cela ne signifie pas pour autant qu'un vritable accord de volonts soit pass, que des discussions vont avoir lieu entre celles-ci et l'administration. La consultation et la ngociation ne peuvent apparemment tre considres comme synonymes. D'ailleurs, certains auteurs les dissocient nettement. Victor Crabbe s'appuie sur l'exemple de la fonction publique belge pour souligner que, dans ce domaine, "les grandes organisations syndicales revendiquent un droit de ngociation qui serait appel se substituer au privilge de la consultation dont elles profitent dj"116. Certes, ces quelques dveloppements permettent de se rendre compte que la frontire entre la simple consultation et la ngociation est extrmement mince. Maryvonne HecquardJ-M. Auby, "Le rgime juridique des avis dans la procdure consultative", AJDA 1956, p 54 Op. cit., p 164. 114 Op. cit., pp 164-165. 115 J. Chevallier, "La participation dans l'administration franaise. Discours et pratique (II)", Bulletin de l'IIAP 1976, p 525.113 112

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Thron le reconnat implicitement lorsqu'elle affirme que la consultation est une "voie mdiane entre l'action unilatrale et l'action ngocie"117. Nanmoins, il n'y a pas lieu d'intgrer les actes pris sur la base d'une consultation dans une tude portant sur les actes administratifs unilatraux ngocis. En effet, la consultation et la ngociation ne peuvent tre assimiles. Il s'agit de deux modes de participation distincts. La consultation n'est pas le seul mode de participation des administrs au processus dcisionnel.

Ngociation et concertation

De nombreux auteurs soulignent que certains actes administratifs unilatraux font l'objet d'une laboration concerte. S'agit-il d'une forme de participation

fondamentalement diffrente de la consultation ? Il semble, comme on va le voir, que ces

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deux notions ne doivent pas tre confondues. En revanche, les termes "ngoci" et "concert" entretiennent des liens trs troits. La concertation serait apparue au lendemain de la seconde guerre mondiale dans le domaine de la planification. Selon Bndicte Delaunay, les auteurs du premier Plan franais, le Plan Monnet, estimaient que celui-ci devait "tre labor dans une conomie concerte et non pas dans une conomie dirige caractre bureaucratique et corporatif"118. Cependant, il ne s'agit pas vraiment d'une participation l'laboration d'un acte administratif unilatral dcisoire car le Plan n'est "qu'un document indicatif qui ne produit pas lui-mme aucun effet de droit, mais fixe simplement des orientations devant servir de rfrence l'action administrative"119. La concertation interviendra par la suite en matire dcisionnelle. Avant d'aller plus loin dans cette tude, on peut se demander comment se caractrise ce mode de participation ? Franois Bloch-Lain l'a dfini dans le cadre trs prcis de l'"conomie concerte". Il s'agit d'un "rgime dans lequel les reprsentants de l'Etat et ceux des entreprises se runissent, de faon organise, pour changer les informations, pour confronter leurs prvisions et pour, ensemble, tantt prendre des dcisions, tantt formuler des avis l'intention du gouvernement"120. Cet auteur opte pour une approche relativement large de la concertation car la prsence du terme "avis" voque la procdure consultative. En116

V. Crabbe, "Critres de la consultation", in La consultation dans l'administration contemporaine, op. cit., p 259. 117 Op. cit., p 70. 118 B. Delaunay, L'amlioration des rapports entre l'administration et les administrs Contribution l'tude des rformes administratives entreprises depuis 1945, Paris, LGDJ, 1993, p 111. 119 Id., p 115. 120 me F. Bloch-Lain, A la recherche d'une conomie concerte, Paris, les ditions de l'Epargne, 3 dition, 1964, p 5.

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outre, il prcise que des changes, confrontations existent entre les diffrents intervenants. De nombreux auteurs considrent la concertation comme une forme de consultation. Jacqueline Morand-Deviller affirme notamment que "les procdures de consultation sont troitement lies la concertation dont elles sont l'un des moyens"121. De mme, selon Dominique Maillard Desgres du Lo, "il s'agit essentiellement d'un mode de consultation approfondie des usagers"122. Il n'y aurait donc qu'une diffrence de degr entre la consultation proprement dite et la concertation. Or, le fait que cette dernire revte un caractre plus approfondi n'a-t-il pas pour effet de clairement la distinguer de la consultation ? Les auteurs qui tentent de dissocier ces deux modes de participation se basent sur diffrents lments. Parmi ceux-ci, on retrouve un critre que l'on pourrait qualifier, avec cependant beaucoup de rserve, de temporel. On a pu voir que la consultation intervient en rgle gnrale aprs que le contenu de la dcision a t dtermin par l'organe

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administratif. Or, et pour reprendre une expression souvent utilise, la concertation se situe plus "en amont"123 dans le processus dcisionnel. Lorsque les administrs interviennent dans le cadre d'une concertation, ils n'mettent pas simplement un avis. Ils participent rellement la conception mme de l'acte administratif unilatral. Cela voudrait donc dire que la consultation et la concertation sont deux phases distinctes du processus dcisionnel. Comme l'nonce Lucien Sfez, "alors que la consultation se situe le plus frquemment aprs que la dcision a t prise ou tout au moins aprs qu'elle ait t conue et propose par l'administration, la concertation permet le dialogue avec celle-ci au moment mme de la conception"124. Distinguer ces deux notions en se basant uniquement sur le fait que l'une des deux intervienne plus en amont que l'autre peut, sur le plan thorique, sembler pertinent. En pratique, il est trs difficile de les dissocier totalement. Ce sont, la plupart du temps, les mmes personnes qui agissent dans le cadre de la consultation et de la concertation. Il est vrai qu'Yves Weber parat, au premier abord, confondre ces deux notions. En effet, il examine dans un mme dveloppement la consultation dite classique et la "consultation-concertation"125. Mme si cette dernire expression peut prter confusion,

J. Morand-Deviller, "La concertation: une simple reconnaissance ou une nouvelle obligation", RA 1986, p 328. 122 Op. cit., p 45. 123 J. Chevallier y fait rfrence dans ses crits. Cf notamment "La participation dans l'administration franaise. Discours et pratique (II)", op. cit., p 514. De mme, B. Delaunay affirme que la particularit de la concertation est "notamment de se situer souvent plus en amont que la consultation", op. cit., p 110. 124 L. Sfez, L'administration prospective, Paris, A. Colin, 1970, p 179. 125 Y. Weber, "La fonction consultative et le droit", in La consultation dans l'administration contemporaine, op. cit., p 116.

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cet auteur dgage des critres supplmentaires126 permettant de dissocier la consultation de la concertation. Il constate que, dans la procdure classique, l'acte consultatif est dans la plupart des cas le rsultat d'un vote. Ce dernier ne fait pas disparatre les dissensions qui peuvent exister entre les diffrents intervenants. Un tel problme ne se retrouve pas dans le cadre de la concertation car la "rgle de l'unanimit"127 s'applique pour l'adoption de l'acte concert. Il en rsulte que "les partenaires sont tents d'approfondir la discussion jusqu' ce que se manifeste un accord"128. Cette dernire phrase est intressante car il semble que la concertation et la ngociation soient finalement trs proches. On a pu voir que le dialogue, l'accord de volonts permettaient de caractriser la ngociation. Or, ces mmes lments se retrouvent dans le passage d'un article consacr la concertation. Doit-on en conclure que les expressions "actes administratifs unilatraux ngocis" et "actes administratifs unilatraux concerts" peuvent tre employes indistinctement ?

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De nombreux auteurs sont persuads que l'laboration de l'acte administratif unilatral fait l'objet de vritables ngociations lorsque s'applique la procdure de concertation. Ainsi, Yves Madiot affirme de manire laconique que "la concertation signifie ngociation, discussion"129. L'analyse de Jacques Chevallier et Danile Lochak est en revanche plus dtaille puisque la concertation implique, selon eux, "une ngociation entre partenaires placs sur un pied d'galit, un ajustement rciproque de leurs comportements, la recherche de compromis, et une vritable laboration en commun"130. Un dialogue va certes s'instaurer entre les diffrents intervenants ou, pour reprendre l'expression de Bndicte Delaunay, "un change bilatral d'informations"131. Ce simple change ne suffit pas. Andr de Laubadre insiste sur le fait que la "concertation authentique suppose un minimum de structuration, d'organisation et aussi, sinon la permanence, du moins un minimum de continuit ou de priodicit"132. Nanmoins, cela signifie-t-il pour autant qu'un accord de volonts rsultera de ces discussions ? Il ne peut en tre autrement si on en croit les propos de Myriam Fritz-Legendre. D'aprs elle, "le mot concertation a pour origine tymologique le terme latin concertatio ,

On retrouve nanmoins le critre classique selon lequel la concertation se situe plus en amont que la consultation dans le processus dcisionnel. Il fait valoir que "la consultation-concertation () intervient le plus souvent au stade mme de l'laboration", id., p 121. 127 Id., p 120. 128 Ibid. 129 Y. Madiot, Aux frontires du contrat et de l'acte administratif unilatral: Recherches sur la notion d'acte mixte en droit public franais, Paris, LGDJ, 1971, p 272. 130 J. Chevallier et D. Lochak, Science administrative L'administration comme organisation et systme d'action, Paris, LGDJ, 1978, tome 2, p 208. 131 Op. cit., p 110. 132 A. de Laubadre, "L'administration concerte", in Mlanges en l'honneur du professeur M. Stassinopoulos, Paris, LGDJ, 1974, p 413.

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cest--dire, dans son sens ancien, laccord de personnes poursuivant le mme but"133. On peut nanmoins se demander d'o cet auteur tire une telle dfinition car celle donne par le dictionnaire de rfrence crit par Flix Gaffiot est toute autre. Concertatio signifie, selon cet ouvrage, "bataille", "conflit" ou bien pour certains auteurs latins: "discussion", "dbat philosophique ou littraire". Le terme "accord" est totalement absent. D'ailleurs, aucune mention de ce terme n'apparat dans la dfinition de la notion de concertation donne par Andr de Laubadre134. L'analyse de Charles-Louis Vier est quant elle plus nuance135. Cela n'empche pourtant pas la plupart des auteurs d'voquer l'existence d'un accord dans le cadre de la concertation. Christine Le Noan utilise diffrentes reprises l'expression "accord concert"136. Il en est de mme d'Yves Saint-Jours s'agissant plus spcialement de la politique de concertation dans la fonction publique137. Il faut cependant tre raliste. Il ne peut y avoir accord que si les intervenants sont en nombre

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relativement limit138. L'existence d'changes bilatraux d'informations et d'un accord de volont permet d'affirmer que la concertation et la ngociation se rejoignent. Des actes qualifis de concerts seront donc intgrs dans cette tude portant sur les actes administratifs unilatraux ngocis. Pour s'en convaincre, on peut citer un exemple. Nous avons prcdemment soulign que la concertation tait apparue dans ce domaine de l'conomie dite "concerte". Or, et comme on le verra, c'est dans ce mme domaine que les actes administratifs unilatraux ngocis furent pour la premire fois expressment consacrs par le juge administratif. Bndicte Delaunay, dans son dveloppement portant sur la concertation, fait rfrence en quelques lignes aux actes relatifs la libration des prix139, actes traditionnellement regards comme des actes administratifs unilatraux ngocis. On retrouvera ces actes unilatraux spcifiques dans les diffrents domaines de l'administration concerte. Outre l'administration conomique, l'urbanisme ainsi que le domaine social sont considrs comme les terres de prdilection de la concertation. S'agissant du premier, la loi du 18 juillet 1985 relative la dfinition et la mise en uvre de principes d'amnagement intgre dans le Code de l'urbanisme des dispositionsM. Fritz-Legendre, "Les hsitations de la jurisprudence face la notion de concertation", RFDA 2000, p 154. 134 A. de Laubadre, "L'administration concerte", op. cit., pp 412 et ss. 135 Il affirme qu'en matire de concertation, "l'ide d'accord est sinon exclue, du moins seconde", note sur CE 23 octobre 1974 Valet, AJDA 1975, p 366. 136 C. Le Noan, La concertation en droit administratif franais, thse, Paris I, 1995, p 201. 137 Y. Saint-Jours, "Rflexions sur la politique de concertation dans la fonction publique", DS 1975, p 229. 138 C'est cette ventualit d'un nombre lev d'intervenants qui motive l'affirmation suivante de D. Maillard Desgres du Lo: "la concertation ne signifie pas que le texte de la dcision ou l'orientation de la politique soient arrts d'un commun accord", op. cit., p 45.133

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prvoyant une concertation obligatoire pour l'laboration des projets les plus importants. Pour ce qui est du domaine social, l'essor des procdures concertes y est traduit, selon Andr de Laubadre, "par la recherche de dialogues et de ngociations entre l'administration et son personnel pour la fixation des conditions du travail et notamment celle des rmunrations"140. Mme si les termes "ngoci" et "concert" se rejoignent, il serait nanmoins erron de croire que tout acte concert est ncessairement un acte administratif unilatral ngoci et rciproquement. Selon certains auteurs, la concertation ne s'applique pas uniquement aux actes unilatraux. Nous avons vu que ce mode de participation aboutit en rgle gnrale la conclusion d'accords. Cependant, Bndicte Delaunay souligne que de tels accords "peuvent d'ailleurs tre parfois de vritables contrats"141. En outre, il semble que le domaine des actes administratifs unilatraux ngocis soit plus tendu que celui des actes unilatraux concerts. Ces derniers se cantonnent au domaine social, de

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l'administration conomique et de l'urbanisme142. Tel n'est pas le cas des actes objets de notre tude. On les retrouve par exemple dans les domaines relatifs l'organisation et au fonctionnement des services publics ou la domanialit publique. Les notions de ngociation et de concertation ne concident donc pas totalement. On peut en dduire que les expressions actes unilatraux concerts et actes administratifs unilatraux ngocis ne sont pas vraiment synonymes. Une telle affirmation n'est pas dnue d'intrt. Nous avons vu que la concertation tait rellement apparue au sortir de la seconde guerre mondiale. Or si les deux types d'actes susvoqus ne sont pas quivalents, cela signifierait peut-tre que les premiers actes administratifs unilatraux ngocis n'ont pas t ncessairement consacrs la mme priode que les actes concerts. Nous allons tenter de dterminer quelle est l'origine des actes administratifs unilatraux ngocis. Cela suppose d'analyser les arrts rendus par le Conseil d'Etat et ce, depuis sa cration.

IV L'origine des actes administratifs unilatraux ngocis

On recense, dans la jurisprudence du XIXme Sicle, quelques arrts dans lesquels existe un lien trs troit entre un accord et un acte unilatral de l'administration. On peut notamment citer l'arrt en date du 6 juillet 1825 De Wagram143 portant sur la proposition du prince de Wagram au Gouvernement d'changer une portion de la fort d'Etampes contre des bois appartenant au Domaine de l'Etat.

Op. cit., p 117. A. de Laubadre, "L'administration concerte", op. cit., p 418. 141 Op. cit., p 163. Elle estime que certains contrats de Plan ont une nature contractuelle mais prcise que ces actes peuvent "comporter des stipulations diverses dont seules certaines ont une porte juridique", op. cit., p 117. 142 B. Delaunay n'est pas la seule citer ces trois domaines. A de Laubadre les voque lui aussi dans son article "L'administration concerte", op. cit., pp 415-423. 143 Rec, p 356.140

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Une ordonnance royale est dicte afin d'accepter la proposition d'changes et d'ordonner des oprations d'expertise. Cependant, quelques annes plus tard, une nouvelle ordonnance rvoque celle prcite. De ce fait, la famille de Wagram va contester cet acte en invoquant la nature contractuelle de la premire ordonnance. Les requrants estiment que le Gouvernement ne pouvait la rvoquer. Le Conseil d'Etat afin de rejeter le moyen va clairement affirmer que la premire ordonnance "n'tait qu'un acte d'administration qui ne formait pas un contrat". L'expression "acte d'administration" semble relativement obscure car elle ne permet pas d'affirmer avec certitude si l'ordonnance royale revt la nature d'un acte administratif unilatral. Cependant, on peut le supposer. Hormis sa nature unilatrale, cette ordonnance comporte une particularit car elle prend acte d'une proposition d'change de terrains, d'un document ayant fait l'objet de discussions, de ngociations entre l'Etat et la famille de Wagram. Il s'agirait donc d'un acte administratif unilatral ngoci. Dans l'arrt du 12 fvrier 1863 Grelleau144, un arrt prfectoral fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat. A premire vue, cela semble logique car il s'agit d'un acte administratif unilatral, mais l'une des phrases de l'arrt est quelque peu surprenante. La Haute juridiction admet que cet arrt peut "tre considr comme une transaction". Or, 145 une transaction est normalement considre comme un acte bilatral . Bien que cet acte ait fait l'objet d'un accord, de discussions, il est intgr, tout du moins implicitement, dans la catgorie des actes unilatraux146. Une prcision s'impose s'agissant de ces arrts. Il faut bien voir qu'ils ont t rendus une poque o la distinction des contentieux de l'excs de pouvoir et de pleine juridiction n'existait pas encore. De ce fait, les notions de contrat et d'acte unilatral n'taient pas clairement dissocies. Entre le dbut du XXme sicle et la fin de la seconde guerre mondiale, certains arrts du Conseil d'Etat rvlent que la nature de certains actes tels que les concessions de service public et les actes de recrutement d'agents de l'administration est incertaine. Il faudra vraiment attendre le dbut des annes soixante-dix pour voir apparatre trs clairement ces actes administratifs unilatraux ngocis dans la jurisprudence. Parvienton au mme constat si on se rfre la doctrine ? De grands auteurs ont consacr de longs dveloppements l'analyse des actes juridiques en droit public. Tel est le cas notamment de Maurice Hauriou ou de Lon Duguit qui, au cours de la premire moiti du XXme sicle, ont voqu l'existence d'actes ne rentrant pas, ou alors avec beaucoup de difficults, dans les catgories classiques. Le premier affirmait en 1910 que "la limite d'action du contrat du ct des institutions se marque en ce que, ds qu'on veut employer la forme contractuelle sanctionner des situations qui, en ralit, sont institutionnelles, cette forme devient une pure apparence et le contenu rglementaire jure avec son enveloppe"147. De mme, Lon Duguit tudie la notion d'"union". Il ne s'agit pas, selon lui, d'un acte unilatral au sens propre du terme. Mme s'il la considre comme un acte plurilatral, il refuse de l'intgrer dans la catgorie des contrats148. Certes, aucun de ces auteurs n'emploie l'expression "acte administratif unilatral ngoci". Ils admettent, malgr tout, qu'il est parfois difficile d'intgrer certains actes dans les catgories traditionnelles.

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Rec, p 107. L'article 2044 du Code civil la dfinit mme comme "un contrat par lequel les parties terminent une contestation ne, ou prviennent une contestation natre". 146 J-M Auby et R. Drago prcisent que "toutes les transactions administratives n'ont pas le caractre de contrats. La transaction en matire conomique constitue () dans certains cas un instrument de concertation", Trait de contentieux administratif, Paris, LGDJ, 1984, tome 1, p 41. 147 M. Hauriou, Principes de droit public l'usage des tudiants en licence et en doctorat s-sciences politiques, Paris, Librairie de la socit du recueil J-B Sirey et du journal du Palais, 1910, p 211. 148 L. Duguit, Trait de droit constitutionnel, tome 1, op. cit., p 375.145

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Introduction gnrale

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On constate, l encore, que la doctrine n'utilise l'expression prcite qu'aprs la seconde guerre mondiale. En 1966, Georges Burdeau analyse dans son Trait de science politique, ce qu'il appelle "la dcision ngocie". Elle "est obtenue par le rapprochement des intentions d'une pluralit de personnes () qui poursuivent la discussion jusqu' un 149 accord" . On se situe, il est vrai, dans le domaine de la science politique et non du droit administratif en tant que tel. Il semble ncessaire de dterminer si Charles Eisenmann, l'un des grands thoriciens d'aprs-guerre du droit administratif, voque l'existence de ces actes unilatraux spcifiques. Celui-ci y fait implicitement rfrence dans son cours de doctorat donn durant l'anne 1949-1950. A propos des actes bilatraux d'diction de normes individuelles, il affirme que "c'est l'analyse du negotium qui montrera que l'on a affaire une convention; il faudra le considrer comme un acte conventionnel, mme si les clauses doivent tre enregistres dans un instrumentum qui est tabli exclusivement par une autorit administrative. L'instrumentum est alors un acte purement unilatral; mais si les clauses n'entrent en vigueur qu'avec le consentement d'un administr, le negotium est une convention"150. Mme si encore une fois cet auteur n'analyse pas expressment les actes administratifs unilatraux ngocis, on retrouve, dans ces quelques lignes, certaines de leurs caractristiques. L'tude de la jurisprudence et de la doctrine nous permet d'affirmer avec une quasicertitude que ces actes seraient rellement apparus au lendemain de la seconde guerre mondiale. Leur apparition serait apparemment bien lie l'mergence du phnomne prcdemment analys de la concertation. Or, un problme demeure non rsolu. Nous avons vu que le domaine des actes unilatraux concerts et celui des actes unilatraux ngocis ne concidaient pas totalement. Ces actes objets de notre tude n'auraient-ils pas alors pour origine des phnomnes au champ d'action plus large. L'attention doit tre porte sur deux d'entre eux: la rgulation et la contractualisation. La rgulation fait partie de ces notions nouvelles qu'il semble difficile de dfinir avec prcision. De nombreux auteurs151 ont crit sur le sujet mais tous adoptent des conceptions trs diffrentes. Parmi tous ces auteurs, on s'intressera principalement Grard Timsit. Celui-ci place la notion de rgulation au niveau de la thorie du droit. Grard Marcou rsume ses ides de la manire suivante: "elle (la rgulation) expr