Action du cortisol sur l’acide N-ac6tyl- neuraminique cutan6 chez 1’Anguille intacte et hypophysectomis6e en eau douce et apr?s transfert en eau de rner Anne-Marie Lemoine et Madeleine Olivereau Laboratoire de Physiologie de 1’Institut Ockanographique, Paris, France (ReCu le 16 mai 1974)

Abstract Effect of Cortisol on N-acetyl-neurarninic Acid of the Skin in Intact and Hypophysectornized Eels in Fresh Water and Sea Water

In fresh water, the N-acetyl-neuraminic acid content (ANAN) of the skin is not significantly modified after 8 or 15 injections of cortisol (500 pg/day) in intact eels (60 to 80 g) ; it is reduced of 25 % in hypophysectomized eels after a similar treatment. In both cases, blood sodium level is decreased.

In sea water, the ANAN concentration is significantly reduced in hypophysectomized eels after 20 days only; the Ireduction attains at least 37 % in hypophysectomized eels injected with cortisol for 30 and 50 days compared with fresh water intact eels or sea water intact or hypophysectom’ized eels. The blood sodium level is not affected.

These data are compared with resullts previously obtained on intact or hypophysectomized eels injected with ovine prolactin in fresh water or sea water f o r the same lengths of time; blood sodium modifications after prolactin or cortisol treatment are discussed in correlation with the ANAN content of the skin.

R&umC En eau douce, le cortisol (500 pg/j) ne provoque pas de variations significatives de la teneur en acide N-acCtyl-neuraminique (ANAN) de la peau chez l’Anguille (60-80 g) intacte aprcs 8 ou 15 injections, mais il entraine une chute marquCe (25 %) de l’ANAN chez l’hypo- physoprive par rapport aux tCmoins. Le cortisol abaisse la aatrCmie.

En eau de mer, la concentration de I’ANAN n’est rCduite significative- ment qu’au 20e j aprcs l’hypophysectomie ; elle s’abaisse chez les Anguilles hypophysectomisCes recevant du cortisol pendant 30 et 50 j (chute Cgale QU suphrieure B 37 %) par rapport aux intactes en eau douce et en eau de mer et aux hypophysectomistes en eau de mer. La natrCmie n’est pas modifiCe.

Ces rCsultats sont comparCs B ceux obtenus chez des Anguilles traitkes avec de la prolactine, en eau douce et en eau de mer pendant les mGmes durCes et dliscutCs en fonction des variations simultanCes de la natrCmie.

Acta Zoologica 55: 255-261 (1974)

256 Anne-Marie Lemoine et Madeleine Olivereau

Chez I’Anguille des travaux antgrieurs ont montrC que dans la peau la quantitC de mucus peut Etre CvaluCe d’apr6s la teneur en acide N-acCtyl-neuraminique ( ANAN), constituant important de celui- ci. L‘ANAN subit une chute a p r b hypo- physectomie en eau douce, compensCe plus ou moins totalement avec un traite- ment prolactinique (Olivereau et Lemoine 1971a) ou une transplantation hypophy- saire (Olivereau et Lemoine 1971b). Les inhibiteurs de la dCcharge de prolactine (L-Dopa et 2-Br-a-ergocryptine) pro- voquent aussi une rCduction de la teneur en ANAN (Olivereau et Lemoine 1973a et b) . Or, les variations de I’ANAN cutan6 comparCes A celles de la natrkmie prC- sentent une relation nette en eau douce.

Le milieu extgrieur conditionne Cgale- ment les rCponses obtenues. En eau de mer, 1’ANAN est 1Cgi.rement rCduit apr& hypophysectomie (P < 0,02, < 0,02 et <0,05 aprhs 20, 30 et 50 j respective- ment) ; chez Ylhypophysoprive recevant de la prolactine, I’ANAN d’abord inchangC (20 j ) est normalis6 apr6s 30 j et surcom- pens6 apr& 50 j (Lemoine et Olivereau 1973). Mais, en eau de mer, les variations de I’ANAN et de la natrCmie ne sont pas toujours de mEme sens ni de m$me intensit6 : la prolactine provoque une hyperminCralisation marquCe chez I‘An- guille intacte ou hypophysectomisCe (Oli- vereau et Lemoine 1973~) .

Selon Mayer et al. (1967) le cortisol constitue un facteur d’excrCtion sodique en eau de mer. I1 semble impliquC dans divers mCcanismes osmorCgulateurs, aussi a-t-il paru intkressant de suivre les varia- tions de I’ANAN de la peau chez des Anguilles en eau douce et en eau de mer, traitkes avec le cortisol et de comparer son effet 2 celui de la prolactine.

MatCriel et mdthodes Des Anguilles, Anguilla anguilla L., mdles argenttks, de Brikre, de 60 B 80 g sont mises en eau douce dkchlorke B 18-20°C avec une photopkriode de 12 h.

L’ablation de l’hypophyse, par voie palatine, est faite la veille du transfert graduel en eau de mer. L’acktate d’hydrocortisone est inject6 dans la cavitk gknkrale B la dose de 750 pgl animal dans 0,l ml de skrum physiologique ; ktant donnk l’espacement des injections, ceci correspond B une dose quotidienne moyenne de 500 pg soit une dose de l’ordre de celle provoquant une perte extrar6nale de Na (Chan et al. 1967). Le passage graduel en eau de mer est rkalisk en 36 h.

Exphrience Ci court terme

Les Anguilles d’eau douce sont comparkes B des Anguilles intactes ou hypophysectomiskes en eau douce ou en eau de mer recevant 8 ou 15 injections de cortisol en 10 ou 20 j.

Expe‘rience ri long terme

Les Anguilles, obtenues l’annke suivante B m&me kpoque et d‘un m&me lieu sont gardCes en eau douce dans les conditions prkcitkes. Un lot tkmoin est compark A 3 groupes adapt& graduellement en eau de mer comprenant des intactes et des hypophysectomis6es injectkes ou non de cortisol, 15, 25 et 35 injections rkparties en 20,30 et 50 j.

Les dosages de I’ANAN sont rkalis6s aprks hydrolyse sulfurique et purification sur rksine selon la technique d’Aminoff B l’acide thio- barbiturique. Les rksultats sont exprim6s en pg pour 1010 mg de peau par rapport .i l’acide N-acktyl-neuraminique.

Rdsultats 1 O Action du cortisol chez les Anguilles en eau douce

a ) Anguilles intactes. Le cortisol ne pro- duit pas de rCduction significative de la teneur en ANAN des Anguiilles intactes apr& 10 ou 20 j (8 ou 15 injections).

b ) Anguilles hypophysectornise‘es. Chez

Cortisol et ANAN cutank chez I’Anguille 257

b Intacte +cortisol

c HypophysectomisCe + cortisol

Tableau 1. Effet du cortisol chet l’dnguille intacte ou hypophysectomisde, en eau douce et en eau de mer. Valeur moyenne et erreur standard des teneurs en ANAN de la peau et du sodium plasmatique.

6

9

Milieu

Eau douce -

10 j

Eau douce

-

Eau de mer

20 j

-

10 j

20 j

SCrie I n l 7 a Intacte

d Intacte +cortisol

e Hypophysectomiske +cortisol

b Intacte +cortisol

c HypophysectomisCe + cortisol

d Intacte + cortisol

e HypophysectomisCe + cortisol

ANAN en pg/lOO mg

121,l +2,5

119,l f 6,5

117,3f6,8

110,6 f 8

91,8* 1,7

109,7 f 7,2

107,4f 6,4

115,6 f 3,2

102,2 f 3,6

P ANAN

b-d < 0,5

c-e Y 0,Ol

d-e Y 0,05

a-e < 0,001

b 4 < 0,5

c-e < 0,9

d-e < 0,02

a-e < 0,001

N a + en mEq/l

132,4f2

113,5 f 4

84,3 f 4,9

103,5 f 1,6

84,3 f 5

159,6f4

160,6 f 3

170,5 f 2,7

162,4f 2,3

P : signification statistique des variations concernant 1’ANAN cutanC. n : nombre d’animaux.

les hypophysoprives recevant du cortisol, I’ANAN s’abaisse de 25 % aprks 20 j ( P < 0,001 ) par rapport aux tCmoins. Or, dans des rCsultats prkckdents, la chute apr& hypophysectomie seule n’est que de 15 % au 20e j. Contrairement B l’action compensatrice exercBe par la prolactine, la chute rksultant de l’hypophysectomie est accrue avec le cortisol.

I1 est intbressant de noter que le cortisol, B la dose utilisCe, entraine une diminution importante de la natrCmie chez les intactes (P < 0,001 ) comme chez les hypophyso- prives ( P < 0,001) qui est plus marquCe (environ 36 %) et plus rapide (dks le 10e j ) que celle de YANAN.

L’ensemble des donnCes concernant l‘action du cortisol en eau douce est rCsumC dans le tableau 1.

Les rCsujltats obtenus sur d’autres Clec- trolytes (Na+, K+, Ca++ et C1-) seront publiCs par ailleurs.

2” Action du cortisol chez les Anguilles en eau de mer

a ) Anguilles intactes. La teneur en ANAN (Tab. 1 ) des Anguilles intactes est Cgale apr& 8 ou 15 injections de cortisol et semblable B celle des tCmoins en eau douce alors que leur natrCmie est plus ClevCe.

258 Anne-Marie Lemoine et Madeleine Olivereau

Tableau 2. Anguilles transfiries en eau de mer. Valeur moyenne et erreur standard des teneurs en ANAN de la peau et du sodium plasmatique chez des Anguilles tCmoins ou hypophysecto- misCes recevant ou non 15, 25 ou 35 injections de cortisol rCparties respectivement en 20, 30 et 50 j.

Milieu

Eau douce -

Eau de mer

-

20 j

30 j

50 j

Skrie

Tkmoin

a Tkmoin

b HypophysectomisCe

c Hypophysectomiske + cortisol

a Tkmoin

b HypophysectomisCe

c HypophysectomisCe +cortisol

a TCmoin

b HypophysectomisCe

c HypophysectomisCe +cortisol

ANAN en pg/100 mg

124,7 f 6,7

158,6 f 6,9

124,4f 3,2

119,8 f 6,6

142,6 f 10,l

13 1,8 f 6,4

80,l f 4 , l

124,O f 5,8

123,7 f 3,9

77,7 f 1,8

P ANAN

a-b < 0,aO 1

b-c < 0,9

a-c < 0,Ol

a-b < 0,5

b - c < 0,001

a-c < 0,001

a-b NS

k < 0,oo 1

a-c < 0,OO 1

Na+ en mEq/l

137,8f 1,3

154,8 f 3,2

152,9 f 3,9

1618,2 f 4

157,7 f 2,3

147,8 f 1,8

154,7 f 4,3

159,3 f 2,5

144,4 f 2,5

150,8 f 3,5

P : signification statistique des variations de 1'ANAN cutanC. n : nombre d'animaux.

b) Anguilles hypophysectornise'es. L'ANAN (Tab. 2 ) ne varie gu&re 20, 30 ou 50 j aprhs hypophysectomie : 124,4 pg, 131,8 pug et 123,7 p g respectivement, valeurs infkrieures P celles des intactes en eau de mer au 20e j (P < 0,001 ) mais non significativement diffCrentes apr& 30 et 50 j.

Les injections de cortisol sont sans effet au 20e j, mais elles provoquent une chute Cgale ou supCrieure P 37 % apr& 30 et 50 j, tr&s significative ( P < 0,001) par rapport aux hypophysoprives non traitCes et aux tkmoins en eau douce. Cette chute apparait plus prCcocement dans la l e skrie (Tab. 1) oii elle atteint 16 % au 20e j.

Les valeurs de la natrCmie de ces An- guilles hypophysoprives avec ou sans corti-

sol sont Cquivalentes aprcs 30 et 50 j bien que faiblement diffkrentes apr& 20 j en eau de mer ( P < 0,02).

3" Comparaison des actions du cortisol et de la prolactine chez 1'Anguille hypophysectomiske transfkrke en eau de mer

Avec la prolactine ou le cortisol, la natrkmie et la mucification de la peau ne varient pas toujours dam le mGme sens, en eau de mer.

La comparaison des rksultats obtenus pour 1'ANAN des Anguilles recjevant de la prolactine (Lemoine et Olivereau 1973) ou du cortisol permet de dCgager plusieurs points mis en Cvidence sur la figure 1.

a) Les variations de VANAN obtenues

Cortisol et A N A N cutank chez PAnguille 259

dans cette sCrie sont tout A fait super- posables B celles de I’expCrience prkcC- dente (1971-1972) chez l’Anguille in- tacte ou hypophysectomisCe aprPs 20, 30 et 50 j en eau de mer.

b) Chez les Anguilles intactes en eau douce, au contraire, il existe une dif- fCrence nette dans I’ANAN des 2 sCries (124,7 f 6,7 p g contre 152,9f 5,8 pg) ; or cette diffCrence se retrouve pour la natrCmie de ces animaux en eau douce (137,8 f 1,3 mEq/l contre 154,2 f 1,4 mEq/l respectivement) . Une telle observa- tion a d’ailleurs CtC faite pour plusieurs autres skries, dans des conditions expCri- mentales identiques.

Ces &arts s’annulent aprPs 20 j en eau de mer pour I’ANAN (158,6f 7 p g et 145,3f6 pg) comme pour la natrkmie ( 154,8 f 3,2 mEq/l et 155,9 f 1,8 mEq/l).

c) Ces donnCes permettent d’opposer les effets de la prolactine A ceux du corti- sol, en eau de mer : la chute initiale de I’ANAN 20 j aprPs l’hypophysectomie n’est pas compenske avec la prolactine ni le cortisol. Aprits 30 j la teneur des hypophysoprives traitCes avec la prolactine est semblable A celle des intactes, celle des hypophysoprives recevant du cortisol est nettement infkrieure ; enfin aprPs 50 j, alors que la prolactine accroit I’ANAN A un taux trPs supkrieur celui des intactes, le cortisol maintient la chute obtenue au 30e j.

Discussion Le cortisol n’entraine donc pas de modi- fication significative de I’ANAN cutan6 chez Anguilla anguilla intacte gardCe en eau douce, bien qu’il diminue la natrhmie. Chez l’hypophysoprive le cortisol inject6 dans les m&mes conditions et aux m&mes doses accroPt au contraire la chute rCsul-

I t t h hphc

0 2 0

t h hphc

30

h hphc

$0 j o u r s

Var ia t ions d e la teneur en acide N-acetyl-ncuraminique A

cutanh.apr6s t ransfer t e n e a u d e mer. deI‘anguille

Fig. 1. Variations de la teneur en acide N- acktyl-neuraminique ( A ) cutank, aprss transfert en eau de rner, de 1’Anguille.

tant de I’hypophysectomie. L’hypophyse skcrbterait donc un facteur susceptible de s’opposer A l’action du cortisol sur la teneur en ANAN et qui pourrait &tre la prolactine dont on connait l’action stimu- lante chez 1’Anguille hypophysectomiske. Cette hypoth6se serait en accord avec la stimulation des cellules B prolactine ncde chez 1’Anguille aprPs traitement avec le cortisol (Olivereau 1972), mais dans ce cas, la sCcrCtion de prolactine parait in- suffisante pour maintenir la natrkmie.

Dans la mesure oh le maintien de la natrCmie traduit une bonne osmorCgula- tion, la chute observke avec le cortisol, B la dose utilisCe, ne permet pas de lui attribuer un r61e favorable en eau douce, contrairement aux donnCes obtenues avec la prolactine.

En eau de mer, la teneur en ANAN des hypophysoprives est abaissCe avec le

260 Anne-Marie Lemoine et Madeleine Olivereau

cortisol. La chute, lente 2 se manifester, devient tr& significative au 30e et 50e j (80,1f4,1 pg et 7 7 , 7 + 1,8 pg ) . Ces valeurs, similaires h celle dkjh trouvke chez les hypophysoprives gardkes 2 mois en eau douce, semblent correspondre 2 la limite infkrieure de la teneur en ANAN. La natrkmie reste sensiblement normale malgrk la chute de l’ANAN en eau de mer et semble plus influencCe par la composition du milieu extkrieur que par le taux de I’ANAN cutank ou celui de la branchie (rksultat inkdit) .

Le rBle de I’ANAN de la peau serait peut-&tre moins important en eau de mer qu’en eau douce, conclusion en accord avec celle r h l t a n t des expkriences avec la prolactine.

En eau douce, lors de l’osmorCgulation, le r61e important de la branchie n’exclut pas la participation de la peau avec sa skcrktion de mucus. Que celle-ci soit affectke par l’hypophysectomie, le cortisol, la prolactine ou des inhibiteurs de sa dCcharge, nous retrouvons des variations parall6les entre ANAN cutank et Na plasmatique. En eau de mer, un tel parallClisme ne se retrouve plus rkguliirre- ment chez l’Anguille ; l’action du cortisol sur la natrkmie est peu marquCe et plus br6ve que celle de la prolactine, et semble sans corrklation Cvidente avec la mucifica- tion de la peau.

Ces rksultats permettent d’kliminer I’hy- poth6se d’une action de la prolactine like 2 une contamination avec de YACTH, si minime soit-elle, ou 2 une skcrktion de cortisol cons6cutive ii la stimulation de l’interrknal de l’Anguille (Olivereau et Olivereau 1970).

Remerciements Nous remercions vivement le Professeur M. Fontaine qui a mis 2 notre disposition

des anguilles hypophysectomiskes par Mme E. Martelli ainsi que Mlle J. Olivereau pour la vkrification de la totalitk de l’abla- tion. L’hydrocortisone utiliske dans ces expkriences a CtC gracieusement fournie par les Laboratoires Roussel que nous remercions.

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