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Actualitéséconomiques
N°5 | Août 2015
L’assainissement budgétaire réalisé jusqu'à présent reste insuffisant pour éviter une nouvelle aggra-
vation de la dette. La constitution d'un excédent budgétaire primaire suffisamment élevé, tel que fixé
dans le Programme de stabilité doit, dans les prochaines années, favoriser une inversion de la dyna-
mique de la dette. Si notre pays y parvient, assumer la charge financière du vieillissement de la popula-
tion ne sera plus un problème insurmontable à plus forte raison que les réformes introduites ont déjà
nettement réduit ce coût. Pour ramener le taux d'endettement dans une trajectoire baissière suffisam-
ment forte, il faudra que les taux d'intérêt actuellement à un creux historique, se normalisent et que
le potentiel de croissance de l'économie retrouve du tonus. En dépit d'une dette publique en hausse
depuis 2007, la Belgique parvient à conserver la confiance des marchés. Ce fait favorable s'explique par
la situation relativement saine du secteur privé qui confère à l'économie belge dans son ensemble une
position financière nette très favorable.
Ces dernières années, le niveau de la dette publique s'est nettement accentué dans la plupart des pays européens,
entre autres sous l'effet de la crise financière. Dans l'ensemble de la zone euro, le taux d'endettement s'est creusé
de près de 30 points de pourcentage entre 2007 et 2014 pour atteindre 94% du PIB. On constate cependant de
fortes différences entre les États membres (graphique 1). L'Irlande et la Grèce enregistrent les plus fortes hausses
(+86 et +74 points de pourcentage respectivement) Malte tire le mieux son épingle du jeu avec une hausse de
+6 points de pourcentage seulement. Avec près de 20 points de pourcentage, la Belgique enregistre une hausse
moins marquée que la plupart des pays de la zone euro, et ce, en dépit d'interventions énergiques dans le secteur
financier et d’un déficit de financement de quelque 3% du PIB depuis 2009. Seuls l'Allemagne, le Luxembourg,
Malte et l'Estonie enregistrent une augmentation moins marquée de la dette publique.
COMMENT MAÎTRISER LA DETTE
PUBLIQUE BELGE ?
Ces dernières années, la dette publique
belge s’est nettement infléchie en hausse
sous l’effet de la crise financière. Bien qu’elle
se soit moins creusée que la dette globale
de la zone euro depuis 2007, le fait est qu’à
107% du PIB, elle est parmi les plus élevées
de toute l'union monétaire.
Il n'empêche qu'à 106,6% du PIB en 2014, la dette publique belge reste tout de même parmi les plus élevées
d'Europe. Dans la zone euro, seuls Chypre, l'Irlande, le Portugal, l'Italie et la Grèce sont plus endettés. La crise n'est
d'ailleurs pas la seule responsable du niveau de la dette belge. L'année dernière, elle s’est fortement accentuée sous
l’effet des facteurs techniques, en l’occurrence à la suite d'une reclassification, par Eurostat, de certains organismes
du secteur public, parmi lesquels les sociétés de logements sociaux et les intercommunales. Ce remaniement a accru
la dette publique de 7 points de pourcentage du PIB. Le choc a cependant été en partie compensé par la correction
en hausse du niveau du PIB - le numérateur du rapport de l'endettement - à la suite de l'introduction du nouveau
système de gestion comptable ESR2010. Ailleurs dans la zone euro, des adaptations techniques ont en moyenne
légèrement réduit le niveau de la dette publique, de sorte que l'écart entre les taux d'endettement belge et euro-
péen a en fin de compte doublé (graphique 2).
La lourde dette publique belge est un problème structurel ancien. Au cours du siècle dernier, le taux d'endettement
brut n'est jamais durablement repassé sous le niveau de 60% prôné par l'Europe (graphique 3). Le ratio ne s'est
temporairement rapproché de ce niveau qu'entre le milieu des années 60 et la fin des années 70. Depuis 1920,
le niveau moyen du taux d'endettement a toujours été proche de 90% du PIB. Jusqu'à la fin des années 70, la
dette publique nette, c'est-à-dire la dette brute diminuée des actifs des pouvoirs publics (par exemple des actions
d'entreprises ou de banques), est restée nettement inférieure à 60% du PIB. Au cours de la récente crise financière,
l'aggravation de la dette nette a été deux fois moins marquée que la dette brute étant donné que les interventions
des pouvoirs publics dans le secteur financier ont été accompagnées d'acquisitions de valeurs bancaires.
2
Graphique 1 - Evolution du taux d'endettement pendant la crise financière (en % du PIB)
Graphique 2 - Dette publique ESR1995 par rapport à ESR 2010 (en % du PIB)
Source: CE (Ameco)
Source: CE
Déterminants
La dynamique de la dette publique est essentiellement la conséquence d’excédents successifs. Concrètement,
cette transformation dite endogène de la dette est déterminée par l'ampleur du solde primaire (c'est-à-dire le
solde sans les charges d'intérêts sur la dette), d'une part, et par l'écart entre le taux d'intérêt implicite de la dette
et la croissance nominale du PIB, d'autre part. Mathématiquement, cette variation endogène se calcule selon la
formule suivante:
Dt - Dt-1 = Dt-1 x (it-gt)/(1+gt) - Pt
où
Dt, Dt-1 = le taux d'endettement à la fin de l'année t, respectivement t-1
it = le taux d'intérêt implicite sur la dette publique pendant l'année t (c'est-à-dire les paiements
d'intérêts pendant l'année t divisés par la dette pour l'année t-1)
gt = la croissance nominale du PIB pendant l'année t
Pt = le solde primaire de l'année t
La formule montre que, même en l'absence d'un déficit primaire, le taux d'endettement se creuse lorsque les
intérêts sur l'encours de la dette publique sont supérieurs à la croissance nominale du PIB. Ce mécanisme d'ag-
gravation automatique de la dette est comparable à un effet boule de neige. Dans la pratique, on apporte géné-
ralement une correction pour l'inflation et nous pouvons donc en conclure qu'un contexte de taux d'intérêt réels
élevés et de faible croissance économique réelle est très néfaste pour la dynamique de la dette.
Si l'on a en plus affaire à un déficit primaire, le taux d'endettement se creuse encore plus.
La formule ci-dessous permet de calculer quel est l'excédent primaire requis pour que la dette se stabilise lorsque
le taux d'intérêt implicite est supérieur à la croissance économique:
Pt = Dt-1 x (it-gt)/(1+gt)
Plus l'écart entre le taux d'intérêt et la croissance est important et plus le taux d'endettement hérité du passé est
important, plus l'excédent primaire doit être élevé pour que la dette se stabilise.
3
Source: KBC; CE (Ameco); Eurostat
Graphique 3 - Dette brute et nette des pouvoirs publics belges (en % du PIB)
Les graphiques 4 et 5 montrent les données pour la Belgique. Entre 1978 et 2003, la condition d'une hausse cu-
mulative du taux d'endettement était remplie grâce à l'effet "boule de neige". Dans cette période, la croissance
annuelle du PIB réel était de 2,0% en moyenne, tandis que le taux d'intérêt réel implicite était de 4,8%. Avec ces
facteurs en toile de fond, il importe de considérer aussi l'évolution du solde primaire. Jusqu'au milieu des années
80, on enregistrait des déficits primaires avec un pic de -7,4% en 1981. La combinaison de ces facteurs a entraîné
une véritable explosion du taux d'endettement de 132% en 1994. En réalité, le budget aurait dû présenter un
excédent primaire dès 1978 pour que le taux d'endettement se stabilise. Cet excédent n'est apparu qu'en 1985
et à la fin des années 80, il était même suffisant pour enrayer l'effet "boule de neige". Bien sûr, ce fait était
exclusivement dû à la conjoncture économique favorable à l'époque. Au début des années 90, la hausse des taux
d'intérêt et le fléchissement conjoncturel ont à nouveau fait grimper le taux d'endettement mais à partir de 1994
et jusqu'en 2007, à la veille de la crise, l'excédent primaire était chaque année supérieur au niveau nécessaire
pour stabiliser le taux d'endettement. À partir du milieu des années 90, l'inversion de la dynamique de la dette a
été alimentée par la tendance baissière du taux d'intérêt implicite sur l'encours de la dette (graphique 6).
À partir de 2008, la crise financière a encore plus creusé la dette. En 2008-2009 et 2012-2014, la croissance du
PIB réel était inférieure au taux d'intérêt réel implicite et à partir de 2009, on a à nouveau accumulé les déficits
primaires. En raison de l'atonie de la croissance économique, parmi d'autres facteurs, la politique d'assainisse-
4
Graphique 4 - Mécanisme boule de neige des taux d'intérêt en Belgique (en % du PIB)
Graphique 5 - Solde primaire et stabilisation de la dette en Belgique (en % du PIB)
Grafique 6 - Charges d'intérêts et taux d'intérêt implicite de la dette publique belge (en %)
Source: EC (Ameco) Source: EC (Ameco)
Source: EC (Ameco); NBB.stat
ment des années précédentes s'est avérée insuffisante pour améliorer le solde primaire et l'amener à un niveau
suffisant pour stabiliser le taux d'endettement. Le dérapage marqué du solde primaire en 2009 avait d'ailleurs
été précédé d'une dégradation tendancielle, reflet de la lassitude à l'égard de l'austérité consécutive au passage
à l'euro, un phénomène que l'on a aussi pu remarquer dans d'autres pays de la zone euro.
Le graphique 7 montre les contributions des facteurs endogènes aux variations du taux d'endettement depuis
1999 (l’effet "boule de neige" et l'impact du solde primaire, c.-à-d. respectivement les termes Dt-1 x (it-gt)/(1+gt)
et -Pt dans la formule ci-dessus) et l'effet supplémentaire des déterminants exogènes de la dette. Ces derniers,
également appelés stock flow adjustments, influencent la dette directement et non par l'intermédiaire du solde
budgétaire, et concernent généralement l'acquisition ou la vente d'actifs par les pouvoirs publics.1 En 2008-2009,
en pleine crise, il s'agissait d'injections de capital dans les établissements financiers belges. Plus tard, les pouvoirs
publics ont racheté Dexia Banque Belgique (actuellement Belfius). Ils ont pu récupérer une part importante du
capital ayant servi à soutenir KBC et ont vendu leur participation dans BNP Paribas Fortis et, en partie, celle dans
Royal Park Investments (la "bad bank" de la défunte Fortis). Par ailleurs, la crise a aussi eu un impact sur la dette
en raison de l'aide directe à la Grèce, à l'Irlande, au Portugal et des contributions aux fonds d'aide européens
FESF et MES. Au final, les stock flow adjustments ont surtout creusé la dette en 2008 et en 2011.
Obligations conditionnelles et implicites
Indépendamment de la dette effective, les pouvoirs publics se portent souvent garants des risques de tiers ou
acceptent des engagements qui n'entraînent pas de dépenses pour l'exercice budgétaire en cours. Ces obliga-
tions conditionnelles (contingent liabilities) ne sont pas explicitement incluses dans la dette publique mais n'en
constituent pas moins une dette potentielle, également appelée dette implicite. Cette dette potentielle est de
nature à déstabiliser les finances publiques, notamment lorsque de gros montants sont en cause, lorsqu’il faut
faire appel aux garanties constituées ou lorsque le moment est venu de tenir ses engagements.
Pour les pouvoirs publics, l'octroi de garanties est un outil permettant de soutenir des activités à risque ayant un
intérêt public avéré. Ces risques sont plus particulièrement ceux que les entreprises ou les compagnies d'assu-
rances privées ne veulent couvrir elles-mêmes. À titre d'exemple, citons l'assurance des risques liés aux transac-
tions commerciales internationales (défaut de paiement de livraisons de biens, risque de carence en devises, etc.)
ou les garanties de crédits à de jeunes entreprises prometteuses. Pour éviter de trop grever les finances publiques,
de tolérer un trop forte exposition ou de perturber l'allocation des actifs, les pouvoirs publics doivent s'engager
de manière très sélective dans ce genre de contrat. C'est la raison pour laquelle ils exigent généralement en
contrepartie une prime conforme au marché, qui alimente les revenus budgétaires.
5
Graphique 7 - Contribution à l'inversion de la dette publique belge (en points de pourcentage du PIB)
Source: EC (Ameco)
Conséquences et risques
Laisser la bride sur le cou à la dette publique serait très risqué et aurait de graves conséquences économiques.
Tout d'abord, il en résulterait la crainte que la dette ne devienne intenable et que l'amortissement et les paie-
ments d'intérêts ne puissent plus être honorés. En général, un tel phénomène se produirait surtout si une grande
partie de la dette devait tomber en des mains étrangères et/ou être en devise étrangère (voir plus loin). La hausse
des charges liées au vieillissement de la population ne ferait qu'aviver encore plus l'inquiétude. Au final, c'est tout
le système financier qui risque de sombrer dans la crise car les banques investissent traditionnellement une part
de leurs avoirs d'épargne dans la dette publique. Dans pareil cas, reprendre le contrôle d'une position débitrice à
la dérive requiert souvent des interventions très énergiques et dramatiques pour la population. La récente crise
de la dette publique dans la zone euro, Grèce en tête, en est un pénible exemple.
Les pouvoirs publics concluent aussi des engagements vis-à-vis d'organismes financiers internationaux comme
le Fonds monétaire international (FMI) ou, plus récemment, les Fonds de stabilité européens (FESF et MES). Les
pouvoirs publics sont obligés d'engager des moyens lorsque ces instances le demandent. Pendant la crise finan-
cière, les autorités européennes ont, dès 2008, fourni des garanties supplémentaires pour sauvegarder la stabilité
du système financier. Elles l'ont fait non seulement en constituant des fonds FESF/MES mais aussi, au niveau
national, en octroyant des garanties sur prêts interbancaires et sur actifs à risques structurés d'établissements
financiers. Le graphique 8 montre l'encours des engagements conditionnels pris par les pays européens dans le
cadre de la crise financière. Par rapport à la plupart des autres pays, le volume total des garanties octroyées par
les pouvoirs publics belges a nettement augmenté. En 2009, il a atteint un record de 18% du PIB. Depuis lors, les
engagements ont nettement diminué et ne concernent plus que le règlement des garanties pour Dexia. À plus
de 9% du PIB en 2014, elles étaient néanmoins encore trois fois et demies plus élevées que dans l'ensemble de
la zone euro et occupaient le troisième rang après l'Irlande et la Grèce.
Enfin, signalons encore que la dette publique implicite au sens large peut très vite chiffrer. Aussi, tous les pouvoirs
publics européens proposent-ils des mesures de protection des avoirs en comptes contre la faillite d'établisse-
ments financiers. Ils veulent ainsi éviter des retraits massifs d'avoirs en banque (bank run) qui déstabiliseraient
le marché financier. Au sens large, ils incorporent parfois aussi, dans le calcul de leur dette implicite des enga-
gements futurs non couverts qui ont trait au vieillissement de la population. À défaut de nouvelles décisions
politiques, le vieillissement entraînera dans la plupart des pays une augmentation des dépenses, notamment de
pensions et de soins de santé. Selon une étude réalisée par Raffelhüschen & Moog (2010), si nous prenions en
compte toutes ces obligations latentes, la dette globale des pouvoirs publics belges serait plus de quatre fois plus
élevée que la dette explicite.
6
Graphique 8 - Encours des engagements conditionnels pris dans le cadre de la crise financière (en %)
Source: Eurostat
Une dette trop lourde augmente aussi la vulnérabilité des finances publiques à des hausses des taux d'intérêt.
Dans ce cas, ils doivent affecter une part plus importante des recettes au paiement des intérêts et rogner simul-
tanément sur les autres dépenses, souvent plus productives, à des fins d’investissements et d’infrastructures
(l'effet "cou-cou"). La seule issue consiste alors à augmenter les impôts. Lorsque la dette se creuse trop, les taux
d'intérêt ont tendance à remonter, ce qui freine les investissements privés. Une telle situation est évidemment
néfaste pour la croissance économique. C'est d'ailleurs d'autant plus vrai lorsque la population intensifie son
effort d'épargne pour faire face à la hausse future de la pression fiscale nécessaire pour rembourser la dette (c'est
ce que l'on appelle la théorie de l'équivalence ricardienne).
Toutefois, les avis divergent quant à la mesure dans laquelle une dette publique importante étouffe la croissance.
Kumar & Woo (2010), Reinhart & Rogoff (2010) et Cecchetti, Mohanty & Zampolli (2011) suggèrent l'existence
d'un rapport négatif non linéaire selon lequel plus le taux d'endettement augmente, plus la croissance fléchit.
Ce rapport ne peut dépasser un seuil critique - entre 90% et 100% - sous peine d'entraîner une croissance très
négative. D'autres, parmi lesquels Krugman (2010) et Panizza & Presbitero (2012), mettent cette conclusion en
doute. Leur critique repose sur la relation de causalité. Selon eux, ce n'est pas parce que l'on constate l'existence
d'un rapport dette importante/faible croissance que le second phénomène découle nécessairement du premier.
L'inverse est possible aussi: une faible croissance peut creuser la dette publique parce que les rentrées fiscales di-
minuent et que l'on dépense plus. D'autres encore argumentent que si l'on admet l'existence d'un seuil critique,
celui-ci diffère d'un pays à l'autre, au gré des caractéristiques économiques et institutionnelles. Des facteurs tels
que la faiblesse des institutions, l’atonie de la compétitivité ou un secteur bancaire vulnérable sont aussi déter-
minants pour les conséquences d'une dette publique élevée sur la croissance économique. La perception qu'ont
les marchés financiers du risque de solvabilité et de la stabilité économique générale du pays en question est un
élément tout aussi crucial2. Le graphique 9 montre que le rapport négatif entre la dette et la croissance n'est pas
aussi marqué ou aussi uniforme dans le groupe des pays européens, aux États-Unis et au Japon.
Caractéristiques structurelles
L'internationalisation des marchés des capitaux a eu pour effet que la part de la dette publique belge aux mains
d'étrangers a considérablement augmenté depuis le milieu des années 90 (graphique 10). Cette évolution a accru
la vulnérabilité des pouvoirs publics belges aux sautes d'humeur des investisseurs étrangers3. Cependant, on
constate aussi que le pourcentage de la dette publique belge aux mains d'étrangers a très vite diminué lors de
l'éclatement de la crise de 2008. Au moment de la hausse subite des primes de risque sur les obligations d'État
belges fin 2011, la part de la dette aux mains d'étrangers avait baissé de 12 points de pourcentage par rapport
7
Graphique 9 - Rapport entre le taux d'endettement des pouvoirs publics et la croissance économique
Source: CE (Ameco)
à son niveau d’avant la crise. Ensuite, la part de la dette en des mains étrangères s'est à nouveau infléchie en
hausse. En dépit d'une dette publique très substantielle, la Belgique continue de garder la confiance des marchés.
Malgré des fluctuations de courte durée, en partie dues aux péripéties de la crise grecque, le différentiel de taux
d'intérêt des OLO grecques à 10 ans par rapport au Bund allemand à 10 ans n'a guère dépassé 25 points de base
au cours du premier semestre.
Pour l'heure, la Belgique est avantagée par des frais de financement historiquement faibles (graphique 11). Les
pouvoirs publics ont saisi l’occasion pour refinancer l'encours de la dette à des taux très bas. La durée moyenne
pondérée du portefeuille de la dette fédérale (qui représente 83% du total de la dette belge) s'est par consé-
quent allongée de moins de 6 ans en 2009 à 7,7 ans en 2014. Il s'agit là de l'une des durées les plus longues pour
un portefeuille de dette de la zone euro. Le risque de refixation du taux de la dette fédérale (c'est-à-dire la part
qui échoit dans une période donnée ou dont le taux variera) à 12 et 60 mois a diminué de 20% et 57% respec-
tivement fin 2012 et de 16% et 46% respectivement fin 2014. La combinaison de taux bas et de durées longues
représente une économie appréciable sur les paiements d'intérêts futurs. Ces dernières années aussi, les pouvoirs
publics belges ont pu réduire la charge des intérêts même lorsque la dette s'est à nouveau creusée.
8
Graphique 10 - Caractéristiques de la dette publique belge (en % de la dette globale des pouvoirs publics)
Graphique 11 - Perspectives à long terme du taux obligataire belge (moyennes annuelles)
Source: BNB.stat
Source: KBC; Thomson Financial Datastream*Moyenne de janvier à juin
Bien que le risque de taux d'intérêt se soit atténué, une longue période de taux sensiblement plus élevés aurait
de graves conséquences pour les finances publiques belges. Le besoin de refinancement annuel représente envi-
ron 15% du PIB rien que pour le fédéral, ce qui reste considérable. Un nouvel accès de nervosité sur les marchés
financiers allié à une hausse des primes de risque pourrait par conséquent très vite faire grimper les charges
d'intérêts. Dans leur Programme de Stabilité, les pouvoirs publics belges considèrent que l'assainissement du
budget sera épaulé par la décrue progressive des dépenses d'intérêts (de 2,8% du PIB en 2015 à 2,1% en 2018).
En filigrane, ils suivent le raisonnement que d'ici 2018 le taux à long terme sera toujours de 1,2%, ce qui est peu
probable (le taux belge à 10 ans a déjà atteint ce niveau en juin). Si les charges d'intérêts devaient s'avérer plus
lourdes, elles devraient être compensées par une hausse des impôts et/ou des mesures d'économie qui freine-
raient à leur tour la croissance économique. En outre, une augmentation des paiements d'intérêts à l'étranger
entraînerait une nouvelle détérioration de la position extérieure de notre pays4.
Un objectif réaliste à long terme?
La réalisation de l'objectif à moyen terme concernant le solde budgétaire structurel - un excédent de 0,75% du
PIB en 2019 - inverserait l'orientation du taux d'endettement belge à partir de 2016 et le ramènerait en-des-
sous de la barre symbolique de 100% en 2019. Une fois cet objectif atteint, l'effort de résorption de la dette
devra continuer en suivant la nouvelle norme européenne de 1/20. Celle-ci prévoit une baisse annuelle du ratio
d'endettement d'au minimum 1/20e de l'écart par rapport au niveau de référence de 60%. Si les pouvoirs publics
parviennent à maintenir l'excédent primaire atteint à partir de 2019 (environ 2% du PIB), la réduction effective de
la dette imposée par la règle de 1/20 sera largement dépassée (graphique 12). Notre dette passerait alors sous la
barre de 60% du PIB en 2037. Cette simulation présuppose que la croissance nominale du PIB sera de 3,5% par
an à partir de 2019 (1,5% de croissance réelle et 2% d'inflation) et que les intérêts implicites de la dette tendront
vers 4% en 2030, puis se maintiendront à ce niveau.
Cependant, préserver l'excédent primaire ne sera pas une sinécure étant donné qu'en Belgique, le coût escompté
du vieillissement de la population est supérieur à la moyenne. À politique inchangée, le Bureau fédéral du Plan
prévoit que le coût annuel augmentera de 3% du PIB pour atteindre un pic en 2040 (d'ici 2030, l'augmentation
sera de 1,5% du PIB). Cette estimation est une actualisation du dernier rapport du Comité d'Étude sur le Vieillis-
sement de 2014. Elle est moins élevée en raison des réformes introduites par le gouvernement Michel (graphique
13). Si nous incorporons ces frais tels que calculés par le Bureau du Plan dans le solde primaire à partir de 2019,
nous voyons que le taux d'endettement s'infléchira à nouveau en hausse après 2030 (graphique 12). Compte
tenu d'un taux implicite supérieur à la croissance nominale du PIB, l'effet "boule de neige" refera surface et le
9
Graphique 12 - Scénarios de la dette publique belge après réalisation du programme de stabilité (en % du PIB)
Source: KBC
solde primaire ne sera plus suffisant pour stabiliser le taux d'endettement. Après 2030, il ne sera dès lors plus
possible de respecter la norme européenne de 1/20.
L'augmentation du coût du vieillissement sera surtout à la charge des pouvoirs publics fédéraux. Bien que ceux-ci
aient la responsabilité de 83% du total de la dette (graphique 10), la part des revenus globaux qui leur revient
n'atteindra même plus 60% à partir de 2015. Cette contraction de la base fiscale au niveau fédéral constitue à
long terme un défi supplémentaire pour la résorption de la dette belge. La récente réforme de l'État a partielle-
ment relevé ce défi en réduisant les transferts du fédéral au régional. En revanche, les communautés et les ré-
gions se voient imposer un effort d'assainissement supplémentaire alors qu'elles sont responsables des dépenses
les plus génératrices de croissance, notamment les investissements dans l'enseignement et l'infrastructure. Cela
pose évidemment aussi la question de l'évolution future des déterminants macroéconomiques de la dette, en
l'occurrence la croissance économique, l'inflation et les taux d'intérêt. Les projets d'assainissement en cours sont
soutenus par les taux bas mais freinés par la faible inflation et la croissance anémiée du PIB. Si la situation de taux
bas actuels devient la norme, il faudra redynamiser le potentiel de croissance de l'économie pour maintenir le
taux d'endettement sur une trajectoire baissière.
Dans le graphique 14, nous simulons la dynamique de la dette d'un groupe de pays de la zone euro, considé-
rant que le solde primaire enregistré en 2014 se détériorera à partir de 2015 à la cadence imposée par le coût
du vieillissement escompté par la Commission européenne (2015 Ageing Report). Pour la Belgique, ce coût
sera supérieur aux estimations du Bureau du Plan parce que la Commission ne prend pas encore en compte les
réformes du gouvernement Michel. Pour la Belgique, nous montrons par conséquent aussi la dynamique de
la dette sur la base des coûts estimés par le Bureau du Plan. Pour le reste, nous considérons que la croissance
réelle du PIB dans les différents pays suivra les prévisions à court et à long terme de la Commission. En ce qui
concerne l'inflation, nous nous basons sur les prévisions à court terme de la Commission jusqu'en 2016, puis sur
un taux annuel de 2% jusqu'en 2030. Pour le taux d'intérêt implicite de la dette, nous tablons initialement sur
une légère contraction de -0,2 point de pourcentage jusqu'en 2018, confiants que les pouvoirs publics pourront
encore se (re)financer pendant quelque temps à des conditions intéressantes, puis sur une hausse de 1 point de
pourcentage jusqu'en 2030, dans le droit fil de la hausse escomptée des taux à long terme. Le tableau 1 résume
ces différentes projections5.
10
Graphique 13 - Dépenses publiques dues au viellissement (À politique inchangée, en % du PIB)
Source: (*) Comité d'étude sur le Vieillissement; (**) Bureau fédéral du Plan
Le graphique 14 montre que, sur la base de ces suppositions, le degré d'endettement augmente dans la plupart
des pays mais ne devient pas intenable. Les pays qui, en 2014, accusaient un déficit primaire et un gonflement
relativement important du coût du vieillissement - surtout la Finlande et, en moindre mesure, la France et l'Es-
pagne - voient leur endettement se creuser plus que d'autres. Pour la Belgique, l'augmentation de la dette reste
somme toute limitée si nous nous basons sur le coût du vieillissement calculé par le Bureau du Plan. La situation
de l'Allemagne montre en revanche que la constitution d'un excédent primaire suffisant permet d'amortir la
hausse du coût du vieillissement et de maintenir le taux d'endettement sur une trajectoire baissière. Bien sûr, la
simulation est sensible aux projections macroéconomiques. Dans un contexte de croissance économique ralentie,
de faible inflation et de forte hausse des taux d'intérêt, la dynamique de la dette serait moins favorable que ne
le montre le graphique.
11
Tableau 1 - Hypothèses pour la simulation de la dette publique dans un groupe de pays de la zone euro
Soldeprimaire
Augmentation du coût du
vieillissement
Croissancedu PIB réel
Inflation(déflateur PIB)
Tauximplicite
2014(en % du PIB)
2013-2030(en % du PIB)
gemiddelde 2015-2030(en %)
Belgique -0,2 3.3/1.5* 1,5 1,9 3,2
Allemagne 2,4 2,6 1,2 2,0 2,5
Irlande -0,1 1,7 1,9 2,0 3,7
Espagne -2,5 -2,1 1,9 1,8 3,8
France -1,8 0,3 1,6 1,9 2,6
Italie 1,6 -0,1 1,2 1,9 3,8
Luxembourg 1,0 2,8 3,0 1,8 1,8
Pays-Bas -0,8 0,8 1,2 1,8 2,4
Autriche 0,0 1,2 1,5 1,9 3,2
Portugal 0,5 0,4 1,5 1,9 4,1
Finlande -1,9 3,7 1,1 1,9 2,5
Zone euro 0,2 1,0 1,4 1,8 3,1
Graphique 14 - Scénario de la dette publique à politique inchangée et compte tenu du coût du vieillissement (en % du PIB)
Source: Commission européenne*Premier chiffre CE; second chiffre Bureau du Plan
Source: KBC*2030 scénario du coût du vieillissement: en rouge: CE; en hachuré: Bureau fédéral du Plan
Santé du secteur privé
Pour la Belgique, le grand défi consiste à constituer dans les prochaines années un excédent primaire conforme
aux objectifs du Programme de Stabilité (c.-à-d. un excédent de l'ordre de 2% d'ici 2018). Si notre pays y par-
vient, assumer la charge financière du vieillissement de la population ne sera plus un problème insurmontable, à
plus forte raison que les réformes du gouvernement précédent - et surtout du gouvernement actuel - ont déjà
nettement allégé cette charge. Pour engager le taux d'endettement sur une trajectoire baissière suffisamment
forte, il faudra que les taux d'intérêt actuellement à un creux historique se normalisent et que le potentiel de
croissance de l'économie retrouve un peu de tonus. La réalisation du Programme de Stabilité nécessitera encore
de gros efforts d'assainissement supplémentaires et sera plus difficile qu'il n'y paraît à première vue. Sur ce plan,
les pouvoirs publics affichent d'ailleurs un palmarès peu brillant, les normes fixées par les Programmes de Stabilité
antérieurs n'ayant pratiquement jamais été atteintes (graphique 15).
Enfin, il ne faut pas négliger non plus les risques économiques auxquels nous expose le lourd taux d'endettement
actuel, surtout au vu de la situation financière généralement saine de l'économie belge. Un secteur privé relative-
ment sain sert en effet de contrepoids à une dette publique relativement importante. Il en résulte que l'économie
dans son ensemble (ménages, entreprises et pouvoirs publics confondus) affiche un bilan financier net extrême-
ment favorable. En 2014, il atteignait 47% du PIB par rapport à une dette nette de 15% pour l'ensemble de la
zone euro (graphique 16). Il s'agit là du chiffre le plus élevé de la zone euro après les Pays-Bas. Cette position glo-
balement favorable, la Belgique la doit aux patrimoines nets substantiels des ménages (235% du PIB par rapport
à 141% pour l'ensemble de la zone euro) qui compensent largement les dettes nettes des pouvoirs publics et des
entreprises. En termes non consolidés, le poids de la dette des entreprises belges est, en outre, artificiellement
gonflé par l'existence d'un volume important de prêts intragroupes, conséquence notamment de notre système
unique de déduction des intérêts notionnels.
12
Graphique 15 - Ecart du solde budgétaire réel par rapport à la norme fixée 2 ans et 4 ans plus tôt, respectivement, dans le Programme de stabilité (en % du PIB)
Source: Programmes de stabilité; BNB.stat
Graphique 16 - Actifs/Passifs financiers nets par secteur (2014, en % du PIB, non consolidé)
Source: Eurostat
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RÉFÉRENCES : Cecchetti, S., Mohanty, M. et Zampolli, F. (2011), ‘The real effects of debt’, BIS Working Papers, nr. 352.Commission européenne (2015), ‘Rapport 2015 pour la Belgique contenant un bilan approfondi sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques’.Commission européenne (2015), ‘The 2015 Ageing Report: economic and budgetary projections for the 28 EU Member States 2013-2060’.Bureau Fédéral du Plan (2015), ‘Les conséquences budgétaires du vieillissement à l’horizon 2060 pour la Belgique - Estimation de mars 2015 tenant compte des réformes du gouvernement Michel.Krugman, P. (2010), ‘Reinhart and Rogoff are confusing me’, New York Times, 11 août.Kumar, M. et Woo, J. (2010), ‘Public debt and growth’, IMF Working Papers, n° 174.Panizza, U. et Presbitero, A. (2012), ‘Public debt and economic growth: Is there a causal effect?’, MoFiR Working Paper, n° 65.Raffelhüschen, B. et Moog, S. (2010), ‘Ehrbarer Staat? Finanzpolitik in der Krise‘, Zeitschrift für Staats- und Europawissenschaften, n° 7(3-4), p. 520-538.Reinhart, M. et Rogoff, K. (2010), ‘Growth in a time of debt‘, NBER Working Paper Series, n° 15639.
(1) En principe, les Stock flow adjustments peuvent aussi résulter de fluctuations de change de la devise dans laquelle la dette est libellée. Pour la Belgique, cet effet ne joue toutefois plus, étant donné que la dette en devise a été liquidée (graphique 10). (2) Le débat a été relancé il y a quelques années lorsqu’il est apparu que l’étude de Reinhart & Rogoff s’appuyait en partie sur des données inexactes. Leur affirmation selon laquelle l’économie croît beaucoup plus lentement dès que la dette publique dépasse 90% du PIB n’était plus valable. (3) Une dette importante entre les mais des résidents nationaux n’est pas une panacée non plus. Elle s’accompagne en effet d’effets de répartition considérables, des contri-buables vers les bénéficiaires d’intérêts (il faut en effet des impôts supplémentaires pour pouvoir verser les intérêts) ou des générations futures vers la génération actuelle (dans la mesure où il faudra, à l’avenir, voter des impôts supplémentaires pour rembourser le principal et payer les intérêts). (4) Dans sa récente évaluation des déséquilibres macroéconomiques en Belgique, la Commission européenne aussi a explicitement pointé ces risques du doigt. Voir CE (2015). (5) Vu l’absence de clarté quant à l’ampleur du solde primaire en 2014 et les taux d’intérêt implicites artificiellement bas que connaît la Grèce actuellement, nous écartons ce pays de notre simulation.