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216 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVIII - n° 4 - juillet-août 2015 MISE AU POINT Adaptation respiratoire à l’altitude : quels conseils donner ? Respiratory adaptation to altitude: what advice? R. Naeije* * Département de cardiologie, hôpital universitaire Érasme, Bruxelles, Belgique. U ne montée en altitude provoque de l’es- soufflement et des palpitations. Lors de la deuxième ascension du mont Blanc, en 1787, le philosophe genevois Horace Bénédict de Saussure notait : “L’air étant réduit à la moitié de sa densité habituelle, des mécanismes de compen- sation adaptent la fréquence des respirations. Telle est la cause de la fatigue que l’on éprouve en haute altitude. Car, si la respiration s’accélère, il en est de même pour la circulation” (1). Près d’un siècle plus tard, le physiologiste Angelo Mosso évoquait la “respirazione di lusso” (ventilation excessive par rapport au métabolisme) et la “stanchezza del cuore” (fatigue cardiaque) [2]. De Saussure ne tenait pas compte de la découverte de l’oxygène par Joseph Priestley en 1775. Mosso persistait à croire que les symptômes cardiorespiratoires de l’altitude étaient d’origine hypocapnique plutôt qu’hypoxique. On sait, depuis les travaux de Paul Bert (1833-1886), que la symptomatologie de l’adaptation à l’altitude est entièrement attribuable à une diminution de la pression inspiratoire en oxygène (PIO 2 ) proportion- nelle à la diminution de la pression barométrique (3). Un peu de physiologie L’adaptation respiratoire à l’altitude est déterminée par les effets de la pression barométrique sur la com- position des gaz du sang (4). L’altitude n’affecte pas la fraction inspiratoire en oxygène (FIO 2 ), qui reste constante à environ 21 %. L’air inspiré est chauffé à 37 °C et saturé en vapeur d’eau, dont la pression partielle (PH 2 O) est de 47 mmHg. L’espace alvéolaire contient du dioxyde de carbone (CO 2 ). La PO 2 alvéolaire (PAO 2 ) dépend donc d’une fraction constante de la pression baro- métrique (Pb), de la PH 2 O et de la PCO 2 – cette dernière corrigée pour le quotient respiratoire (R) : PAO 2 = (Pb – 47) x 0,21 – PACO 2 /R La PACO 2 varie en raison inverse de la ventilation alvéolaire. Une augmentation de la ventilation amé- liore donc la PAO 2 en proportion de la diminution associée de la PACO 2 . La réponse ventilatoire est efficace, mais lente. Elle s’établit en quelques heures à quelques jours selon l’altitude et de façon variable d’un sujet à l’autre. Cette évolution temporelle est due à une levée progressive de l’autolimitation hypocapnique du chémoréflexe périphérique par une diurèse bicarbonatée. L’alcalose respiratoire se corrige et le chémoréflexe hypoxique peut alors pleinement s’exprimer. Cette adaptation est accé- lérée par une inhibition de l’anhydrase carbonique par la prise de l’acétazolamide. L’anhydrase carbo- nique catalyse la formation d’acide carbonique à partir de CO 2 et d’eau. La dissociation de l’acide carbonique favorise la résorption de bicarbonate et de sodium, et l’excrétion de protons au niveau du néphron proximal. Donc l’inhibition de l’anhydrase carbonique provoque une diurèse bicarbonatée et une acidose métabolique. À plus de 8 000 m d’altitude, la PACO 2 diminue jusqu’à des valeurs de l’ordre de 10 à 15 mmHg, permettant le maintien d’une PAO 2 (et donc une PO 2 artérielle) compatible avec la vie, de l’ordre de 25 à 30 mmHg (5). Les alpinistes qui atteignent ces altitudes sont dyspnéiques au repos. L’évolution de la pression barométrique et de la PAO 2 avec ou sans adaptation hypocapnique en fonction de l’altitude jusqu’à 6 000 m est illustrée dans la figure 1. Sur le plan cardiovasculaire, l’hypoxémie provoque une augmentation du débit cardiaque assurée prin- cipalement par une accélération de la fréquence cardiaque, permettant le maintien du transport de l’O 2 (débit cardiaque x contenu artériel en O 2 ) vers les tissus périphériques. Cette tachycardie s’amende en une semaine et le débit cardiaque revient à sa valeur initiale. Le contenu en O 2 est ensuite res- tauré par une polyglobulie qui s’enclenche après 1 à 2 semaines d’exposition à l’altitude.

Adaptation respiratoire à l’altitude : quels conseils donner218 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVIII - n 4 - juillet-août 2015 MISE AU POINT Adaptation respiratoire à l’altitude

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216 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVIII - n° 4 - juillet-août 2015

MISE AU POINT

Adaptation respiratoire à l’altitude : quels conseils donner ?Respiratory adaptation to altitude: what advice?

R. Naeije*

* Département de cardiologie, hôpital universitaire Érasme, Bruxelles, Belgique.

Une montée en altitude provoque de l’es-soufflement et des palpitations. Lors de la deuxième ascension du mont Blanc, en

1787, le philosophe genevois Horace Bénédict de Saussure notait : “L’air étant réduit à la moitié de sa densité habituelle, des mécanismes de compen-sation adaptent la fréquence des respirations. Telle est la cause de la fatigue que l’on éprouve en haute altitude. Car, si la respiration s’accélère, il en est de même pour la circulation” (1). Près d’un siècle plus tard, le physiologiste Angelo Mosso évoquait la “respirazione di lusso” (ventilation excessive par rapport au métabolisme) et la “stanchezza del cuore” (fatigue cardiaque) [2]. De Saussure ne tenait pas compte de la découverte de l’oxygène par Joseph Priestley en 1775. Mosso persistait à croire que les symptômes cardiorespiratoires de l’altitude étaient d’origine hypocapnique plutôt qu’hypoxique. On sait, depuis les travaux de Paul Bert (1833-1886), que la symptomatologie de l’adaptation à l’altitude est entièrement attribuable à une diminution de la pression inspiratoire en oxygène (PIO2) proportion-nelle à la diminution de la pression barométrique (3).

Un peu de physiologie

L’adaptation respiratoire à l’altitude est déterminée par les effets de la pression barométrique sur la com-position des gaz du sang (4). L’altitude n’affecte pas la fraction inspiratoire en oxygène (FIO2), qui reste constante à environ 21 %. L’air inspiré est chauffé à 37 °C et saturé en vapeur d’eau, dont la pression partielle (PH2O) est de 47 mmHg. L’espace alvéolaire contient du dioxyde de carbone (CO2). La PO2 alvéolaire (PAO2) dépend donc d’une fraction constante de la pression baro-métrique (Pb), de la PH2O et de la PCO2 – cette dernière corrigée pour le quotient respiratoire (R) :PAO2 = (Pb – 47) x 0,21 – PACO2/R

La PACO2 varie en raison inverse de la ventilation alvéolaire. Une augmentation de la ventilation amé-liore donc la PAO2 en proportion de la diminution associée de la PACO2. La réponse ventilatoire est efficace, mais lente. Elle s’établit en quelques heures à quelques jours selon l’altitude et de façon variable d’un sujet à l’autre. Cette évolution temporelle est due à une levée progressive de l’autolimitation hypocapnique du chémoréflexe périphérique par une diurèse bicarbonatée. L’alcalose respiratoire se corrige et le chémoréflexe hypoxique peut alors pleinement s’exprimer. Cette adaptation est accé-lérée par une inhibition de l’anhydrase carbonique par la prise de l’acétazolamide. L’anhydrase carbo-nique catalyse la formation d’acide carbonique à partir de CO2 et d’eau. La dissociation de l’acide carbonique favorise la résorption de bicarbonate et de sodium, et l’excrétion de protons au niveau du néphron proximal. Donc l’inhibition de l’anhydrase carbonique provoque une diurèse bicarbonatée et une acidose métabolique. À plus de 8 000 m d’altitude, la PACO2 diminue jusqu’à des valeurs de l’ordre de 10 à 15 mmHg, permettant le maintien d’une PAO2 (et donc une PO2 artérielle) compatible avec la vie, de l’ordre de 25 à 30 mmHg (5). Les alpinistes qui atteignent ces altitudes sont dyspnéiques au repos.L’évolution de la pression barométrique et de la PAO2 avec ou sans adaptation hypocapnique en fonction de l’altitude jusqu’à 6 000 m est illustrée dans la figure 1. Sur le plan cardiovasculaire, l’hypoxémie provoque une augmentation du débit cardiaque assurée prin-cipalement par une accélération de la fréquence cardiaque, permettant le maintien du transport de l’O2 (débit cardiaque x contenu artériel en O2) vers les tissus périphériques. Cette tachycardie s’amende en une semaine et le débit cardiaque revient à sa valeur initiale. Le contenu en O2 est ensuite res-tauré par une polyglobulie qui s’enclenche après 1 à 2 semaines d’exposition à l’altitude.

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La Lettre du Pneumologue • Vol. XVIII - n° 4 - juillet-août 2015 | 217

Points forts » L’altitude crée un stress hypoxique et ventilatoire. La maladaptation à l’altitude peut s’accompagner

d'un mal aigu des montagnes et se complique parfois d’un œdème cérébral ou pulmonaire. » La prévention des complications médicales de l’altitude repose sur une acclimatation prudente, accompa-

gnée si besoin d’une prophylaxie médicamenteuse à base d’acétazolamide, de corticoïdes ou de bloquants calciques, le traitement consistant en une évacuation à une altitude inférieure, l’administration d’oxygène et le recours aux mêmes molécules qu’en prévention.

» L’adaptation à l’altitude est meilleure en cas de forte réponse ventilatoire et de faible vasoconstriction pulmonaire, mais aucun test prédictif ne lui est généralement applicable.

» Le patient pulmonaire peut prudemment s’exposer à des altitudes modérées, y compris à des voyages en avion, mais il sera limité par sa symptomatologie et, éventuellement, la nécessité d’une oxygénothérapie.

Mots-clés Altitude

Maladies respiratoires

Oxémie

Capnie

Pression barométrique

Highlights » Altitude gives a hypoxic and

ventilatory stress. Altitude may be a cause of acute mountain sickness and, rarely, brain or lung edema. » Prevention of high altitude

diseases rests on cautious acclimatization, with, if needed, intake of acetazolamide, corti-costeroids or calcium channel blockers; treatment rests on descent, supplemental oxygen, and intake of those same drugs as needed. » Adaptation to high altitude is

better with a strong ventilatory response and a weak hypoxic pulmonary vasoconstriction, but there is no test of estab-lished predictive value. » Patients with respiratory con-

ditions may consider cautious altitude exposure, including flights, but will be limited by dyspnea and eventual need of supplemental oxygen.

Keywords Altitude

Respiratory diseases

Oxemia

Capnia

Barometric pressure

Des études de populations seront nécessaires pour en évaluer l’impact sur la qualité de vie et la longévité.

Le mal aigu des montagnes

L’exposition aiguë à l’altitude peut s’accompagner de céphalées, de nausées, d’inappétence, de fatigue, d’œdèmes des chevilles et d’insomnies. Ce syndrome constitue le mal aigu des montagnes (MAM) [9, 10]. Les symptômes en sont variables d’un sujet à l’autre, mais reproductibles. Ils s’installent en quelques heures, avec une fréquence et une intensité qui augmentent avec l’altitude, la vitesse de la montée, le froid et l’ef-fort physique. Ils sont observés dans près de 75 % des cas lors d’une montée à plus de 4 000 m en moins de 48 heures. Certains sujets sont susceptibles d’être

Figure 1. Pressions partielles inspirées O2 (PIO2) [bleu] et PO2 artérielles (PaO2) avant (orange) et après (vert) acclimatation à des altitudes jusqu’à 6 000 m, avec indication des altitudes de 2 stations de ski : Zermatt et Val Thorens, une ville minière sur l’Altiplano péruvien, Cerro de Pasco, et le sommet du Kilimandjaro. Traits pointillés : indication d’oxygénothérapie chez le patient bronchiteux chronique. D’après (9).

150140130120110100

908070605040302010

00 1 2 3

PIO2

PAO2 après acclimatation

PAO2 en exposition aiguë

Niveau de la mer

Indication d’oxygénothérapie

Zermatt

4 5 6

Cerro de PascoKilimandjaro

Val Thorens

PO2 (m

mHg

)

Altitude (km)

Figure 2. Consommation d’O2 maximale mesurée (VO2 max) à des altitudes croissantes chez des sujets récemment transportés en altitude ou acclimatés au cours d’un séjour en caisson hypobare jusqu’à des alti-tudes équivalentes au sommet de l’Everest, et chez des sujets nés et vivant en permanence en altitude. Chaque symbole représente une étude. Symboles orangés : hypoxie aiguë ; symboles bleus : hypoxie chronique. Triangles bleus : natifs. Croix et losanges bleus : accli-matation en caisson hypobare. Au sommet de l’Everest, la VO2 max s’établit à des valeurs sur la base desquelles on discute de l’indication d’une transplantation cardiaque. D’après (7).

100

80

60

40

20

0760 700 600 500

Niveau de la mer

Sommet de l’Everest13-14 ml/kg/mn

400 300 200

0 1 2 3 4 5 7 8 96 10

X

X

X

X

VO2 m

ax (%

)

Pb (torr)

Altitude (km)

De Saussure avait raison : tachycardie et dyspnée dominent l’adaptation de l’organisme à l’altitude. Mais la tachycardie n’est que transitoire et, à longue échéance, la réponse ventilatoire à l’altitude s’atténue et la polyglobulie se renforce. L’exagération de cette adap-tation aboutit à un syndrome de polyglobulie patho-logique et d’hypoventilation appelé “mal chronique des montagnes”. Ce syndrome se rencontre surtout chez les Indiens Quechuas ou Aymaras vivant en permanence sur l’Altiplano andin, il est rare chez les Tibétains (4).Une adaptation optimale n’est que partiellement effi-cace. Elle n’empêche pas une diminution progressive, d’allure exponentielle, de l’aptitude aérobie en fonc-tion de l’altitude (6). Cela est illustré par la figure 2. On voit que la relation entre la consommation maxi-male d’O2 et l’altitude varie peu en fonction de l’ac-climatation à brève ou à très longue échéance (7). Différentes stratégies d’adaptation, surtout ventila-toire chez les sujets récemment exposés à l’altitude et chez les Tibétains, surtout par polyglobulie chez les Andins, paraissent aboutir au même résultat (8).

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218 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVIII - n° 4 - juillet-août 2015

MISE AU POINTAdaptation respiratoire à l’altitude : quels conseils donner ?

affectés de MAM. Ce dernier est rare sous 2 000 m, ou alors sous forme atténuée. Il est généralement bénin, mais peut dans certains cas se compliquer d’un œdème cérébral. L’œdème cérébral d’altitude se pré-sente comme un MAM avec des céphalées réfractaires, des vomissements, de l’ataxie et une altération de la conscience, dont la première manifestation peut être une altération du jugement ou des libérations émotion-nelles inadéquates. Le MAM grave avec œdème cérébral peut être fatal ou guérir après évacuation à une altitude inférieure, mais avec des séquelles neurologiques.Le MAM n’est pas seulement un problème de tou-risme en altitude ou d’alpinisme. Il se rencontre à grande échelle chez les Sud-Américains contraints de se déplacer pour des raisons économiques ou sociales depuis la côte jusqu’à l’Altiplano, à près de 4 000 m, rapi-dement accessible par la route. Il concerne les voyageurs qui empruntent la liaison ferroviaire récemment établie entre Golmud, dans la province du Qinghai, et Lhassa, la capitale du Tibet, située la plupart du temps à plus de 4 000 m avec des passages à 5 000 m. Les trains en haute altitude sont généralement équipés de systèmes d’administration d’O2, ce qui limite les manifestations de MAM (9). Les locaux ou dortoirs de certains lieux de travail en haute altitude sont oxygénés. Cette mesure est efficace et peu coûteuse (9). Une augmentation de la FIO2 de 1 % correspond à une perte d’altitude de 300 m. Le MAM concerne aussi les voyageurs en avion. Les vols s’effectuent à plus de 10 000 m, mais les cabines sont pressurisées jusqu’à des altitudes équivalentes à 8 000 pieds, ou 2 400 m. Une étude a montré que le MAM peut atteindre environ 10 % des passagers de long courriers, exposés à des temps de vol de plus de 6 à 8 h (11). La meilleure prophylaxie du MAM est une stratégie d’ascension lente : quelques jours de repos après une arrivée à plus de 1 500 à 2 000 m, puis une ascension limitée à 300 m par jour (altitude du repos nocturne) jusqu’à 4 000 à 4500 m, et à 300 m tous les 2 jours à des altitudes plus élevées. Le traitement le plus efficace du MAM est une descente à une altitude inférieure. Les céphalées du MAM sont générale-ment soulagées par la prise d’antalgiques mineurs, paracétamol ou ibuprofène. Le traitement du MAM grave qui ne peut être évacué à une altitude inférieure repose sur l’administration d’oxygène et sur la prise d’acétazolamide (250 mg 2 fois par jour) et, en cas de persistance symptomatique, de corticoïdes à hautes doses, par exemple de la prednisolone à raison de 32 mg toutes les 6 h, puis 2 fois par jour, ou de la dexaméthasone à raison de 8 mg toutes les 6 h, puis 2 fois par jour. La prise préventive d’acétazolamide et/ou de prednisolone chez des sujets prédisposés au

MAM grave est indiquée lorsqu’une montée rapide en altitude ne peut être évitée.

L’œdème pulmonaire d’altitude

L’œdème pulmonaire d’altitude se présente comme une dyspnée de repos avec orthopnée, toux, râles bronchiques et crachats hémoptoïques, souvent précédés de MAM (9, 10). La cause de l’œdème pulmonaire en altitude est une hypertension pulmonaire accompagnée d’une aug-mentation de la pression capillaire. Elle résulte d’une vasoconstriction pulmonaire hypoxique intense, observée chez 1 à 3 % de sujets normaux testés en laboratoire. La vasoconstriction hypoxique est artério-laire, mais aussi, en proportion relativement constante, veinulaire. Cela explique l’augmentation de la pres-sion capillaire pulmonaire. L’hypertension pulmonaire latente ou préalable prédispose à l’œdème pulmonaire.Le traitement de l’œdème pulmonaire d’alti-tude repose sur l’inhibition de la vasoconstriction hypoxique par l’administration de bloquants cal-ciques, par exemple, la nifédipine retard à raison de 20 mg toutes les 8 h, et de corticoïdes à hautes doses pour le MAM associé. Des inhibiteurs de la phospho-diestérase 5 sont probablement aussi efficaces que la nifédipine, mais ils n’ont pas été rigoureusement évalués. Une étude a montré que l’administration préventive de dexaméthasone à raison de 8 mg 2 fois par jour inhibe la vasoconstriction hypoxique et paraît plus efficace encore que la nifédipine ou le tadalafil pour la prévention de l’œdème pulmonaire d’altitude. La meilleure prévention de ce dernier est un profil d’ascension lente, et le meilleur traitement curatif en est une évacuation à une altitude inférieure.

La défaillance cardiaque droite

L’augmentation de la pression artérielle pulmonaire en hypoxie peut être la cause d’une défaillance car-diaque droite. La déshydratation liée à la diurèse bicarbonatée et sodée de l’exposition à l’altitude peut en masquer les signes cliniques tels qu’une hépatomégalie ou une turgescence jugulaire (6). La défaillance cardiaque droite de l’exposition à l’altitude a été décrite chez les bovins transportés dans les hauts pâturages de l’Utah ou du Colorado, chez les militaires stationnés aux frontières entre l’Inde, le Pakistan et la Chine, et chez les immigrants récents au Tibet (4, 6, 9). Elle a été appelée “mal subaigu des montagnes”. Cette appellation est malheureuse puisqu’il ne s’agit

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

0218_LPT 218 22/09/2015 14:20:03

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La Lettre du Pneumologue • Vol. XVIII - n° 4 - juillet-août 2015 | 219

MISE AU POINT

pas d’une forme précoce ou aiguë du mal chronique des montagnes, et que d’ailleurs la polyglobulie n’en fait pas partie. Il vaut mieux l’appeler “défaillance cardiaque droite d’altitude”. Son traitement repose sur les mêmes principes que celui de l’œdème pulmonaire d’altitude, puisque l’hyper-tension pulmonaire en est le même primum movens.

Peut-on prédire la tolérance à l’altitude ? J.P. Richalet et ses collaborateurs ont mis au point un test d’effort en hypoxie (FIO2, altitude équiva-lente : 4 800 m) avec mesures de la saturation en O2 par oxymétrie de pouls, de la ventilation et de la fréquence cardiaque, et ont montré que l’adapta-tion à l’altitude était meilleure chez les sujets ayant moins d’hypoxémie, moins de tachycardie et plus hyperventilation (12). D’autres auteurs ont combiné des mesures de la réponse ventilatoire à l’hypoxie avec une échocardiographie de la pression artérielle pulmonaire en hypoxie ou à l’effort. S’il est établi que la performance en altitude requiert une forte réponse ventilatoire et une faible vasoconstriction pulmonaire, la valeur prédictive individuelle de ces tests est insuffi-samment établie. Il n’y a donc pas de consensus pour en recommander la généralisation (10). À ce stade, l’examen d’aptitude à l’altitude se limi-tera à une anamnèse dévoilant un précédent épisode de MAM ou d’œdème pulmonaire, la discussion du profil d’ascension et d’une éventuelle prophylaxie médicamenteuse, et une évaluation plus générale de l’aptitude. Celle-ci se fonde sur le raisonnement que le stress cardiorespiratoire de l’hypoxie est similaire à celui de l’effort. On procédera donc à une évalua-tion de l’état respiratoire et des facteurs de risque cardiovasculaire sur la base d’un examen clinique, d'un électrocardiogramme, et éventuellement d'une échocardiographie et/ou d'une épreuve d’effort avec électrocardiogramme.

Le patient pulmonaire en altitudeL’altitude aggrave l’hypoxémie chez les patients pulmonaires par une combinaison d’effets négatifs comprenant des contraintes mécaniques inhibant les réponses ventilatoires, une altération des rapports ventilation/perfusion amplifiant les effets hypoxé-miants de la réduction de la PIO2 et l’aggravation possible d’une hypertension pulmonaire préexis-

tante (13). Les patients pulmonaires dyspnéiques au repos ou lors d’efforts légers voyagent peu, mais peuvent prendre l’avion. Certaines sociétés savantes, dont la British Thoracic Society, recommandent des épreuves d’hypoxie inspiratoire avec ou sans tests d’effort, et proposent des formules de prédiction de la PaO2 en hypobarie fondées sur une combi-naison de mesures de gaz artériels et de mécanique ventilatoire (14). Le but de ces tests est de définir l’indication d’un supplément d’oxygène à bord, en prévention des hypoxémies potentiellement délé-tères (PaO2 ≤ 50 mmHg). Toutefois, à ce stade, leur pertinence clinique n’est pas établie (15). Il paraît donc plus sage d’évaluer le risque et l’inconfort de voyages en avion sur la base de la symptomato-logie en normoxie et de prescrire de l’oxygène à bord seulement aux patients déjà sous oxygéno-thérapie (13, 15).L’hypertension pulmonaire est une contre-indication à l’altitude, par crainte d’une aggravation causée par vasoconstriction hypoxique. Il semble cependant que les patients hypertendus pulmonaires, y compris les plus hypoxémiques à cause de l’existence d’un shunt cardiaque, voyagent en avion sans effets indésirables notoires. L’altitude pourrait favoriser la thrombose veineuse profonde et l’embolie pulmonaire, mais il n’y a pas de données justifiant une prophylaxie par anticoa-gulants.La seule affection pulmonaire améliorée en altitude est l’asthme, à cause de la réduction de la densité de l’air et de la diminution des allergènes et des poussières dans l’air ambiant. Toutefois, l’inhalation d’air froid et sec peut précipiter un asthme d’effort.

Les contre-indications à l’altitudeIl paraît raisonnable de ne pas exposer à plus de 1 500-2 000 m des patients angoreux instables, décompensés cardiaques, arythmiques, drépano-cytaires, anémiques ou hypoxémiques à cause de la présence d’une pathologie pulmonaire ou d’une cardiopathie à shunt. Les autres contre-indications sont relatives et dépendent du caractère plus ou moins sportif de l’ascension, du profil ascensionnel et des besoins en suivi médical, hygiène, accès aux médicaments, et possibilités d’évacuation sanitaire. Elles sont à discuter avec le médecin traitant habituel. La consul-tation d’un médecin compétent en pathologies du sport et de l’altitude peut aider à la décision. ■

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