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Dossier d’accompagnement au spectacle > Réalisé par Adeline Stoffel, professeure agregée de lettres-théâtre > Théâtre Bordeaux Arlequin poli par l’amour Texte Marivaux Mise en scène Thomas Jolly © Pierre Grosbois > Du mer 28 mars au ven 6 avril TnBA – salle Vauthier – Durée 1h30 ©Nicolas Joubard

Adeline Stoffel Arlequin poli par l’amour...Arlequin poli par l'amour, joué par les Comédiens italiens de Luigi Riccoboni en 1720, dont il devient l'auteur attitré, et ce jusqu'en

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Dossier d’accompagnement au spectacle> Réalisé par Adeline Stoffel, professeure agregée de lettres-théâtre

> Théâtre Bordeaux

Arlequinpoli par l’amour

Texte MarivauxMise en scène Thomas Jolly

© Pierre Grosbois

> Du mer 28 mars au ven 6 avrilTnBA – salle Vauthier – Durée 1h30

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Arlequin poli par l’amour

DE MARIVAUX

PAR LA COMPAGNIE LA PICCOLA FAMILIA

DOSSIER PEDAGOGIQUE REALISE PAR ADELINE STOFFEL, PROFESSEURE AGREGEE DE LETTRES-THEATRE

19 DECEMBRE 2013 A 14H30 ET 20H30 / 20 DECEMBRE A 14H30

1H15 / A PARTIR DE 12 ANS

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Arlequin poli par l’amour, Marivaux

Mise en scène et scénographie Thomas Jolly

Assistant à la mise en scène Benjamin Charlery

Lumière Thomas Jolly et Jean-François Lelong

Costumes Jane Avezou

Direction technique Patrick Delacroix et l’équipe technique du CDR de

Haute-Normandie

Avec les acteurs compagnons de la 3ème promotion du GEIQ Théâtre en Haute-Normandie :

Julie Bouriche, Rémi Dessenoix, Charlotte Ravinet, Taya Skorokhodova, Romain Tamisier,

Guillaume Yvon

Production CDR de Haute-Normandie / Théâtre des deux rives

Coproduction Compagnie La Piccola Familia

Les classes qui le souhaitent peuvent sur demande :

- être accueillies au TCM pour le visiter ;

- bénéficier d’une intervention de Diane Reichart, chargée des publics,

en amont et/ou en aval de la représentation pour préparer la venue des

élèves et/ou revenir sur le spectacle ;

- rencontrer un membre de la compagnie selon sa disponibilité.

Contacter Diane Reichart au 03 24 32 44 43.

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SOMMAIRE

I/ LA PIECE

MARIVAUX PAGE 4

LA FABLE PAGE 5

LES COMEDIENS ITALIENS PAGES 5-7

II/ LE PROJET DE LA COMPAGNIE LA PICCOLA FAMILIA

NOTES D'INTENTION POUR LA CREATION EN 2007 PAGES 8-10

A PROPOS DE LA RE-CREATION EN 2011 PAGES 11-13

L’EQUIPE PAGES 14-17

III/ QUELQUES PISTES DE TRAVAIL AVEC LA CLASSE

AVANT LA REPRESENTATION PAGES 18-23

APRES LA REPRESENTATION PAGES 24-26

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I/ LA PIECE

MARIVAUX

Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, plus communément appelé Marivaux, naît en 1688 à Paris. Après des études de droit plutôt chaotiques, il obtient sa licence en 1720 et est reçu avocat, mais jamais il n'exercera : sa rencontre avec le philosophe Fontenelle, ainsi que sa fréquentation assidue du salon de la spirituelle et éclairée Mme de Lambert, l'ont en effet depuis longtemps persuadé de se consacrer à la littérature.

Après un premier roman (Les Effets surprenants de la sympathie en 1712) et quelques incursions dans l'écriture parodique (notamment un Télémaque travesti et une Iliade travestie entre 1714 et 1716), il se tourne vers le théâtre. Il doit son premier succès à Arlequin poli par l'amour, joué par les Comédiens italiens de Luigi Riccoboni en 1720, dont il devient l'auteur attitré, et ce jusqu'en 1740.

C'est en écrivant pour eux qu'il explore et renouvelle le genre de la comédie sentimentale avec les deux Surprises de l'amour (1722 et 1727), La Double inconstance (1723), Le Jeu de l'amour et du hasard (1730) et Les Fausses confidences (1737).

Les questions plus sociales sont également au cœur de certaines de ses comédies : pensons à L'Ile des esclaves (1725), qui réfléchit sur la liberté et l'égalité des individus, ou encore à La Nouvelle colonie (1729), qui aborde la problématique de la condition féminine.

Parallèlement, il expose sa réflexion dans les journaux, d’abord Le Spectateur françois de 1721 à 1724, puis L’Indigent Philosophe en 1727 et Le Cabinet du philosophe en 1734, dont il est l’unique rédacteur ; à la fois conteur, moraliste et philosophe, il y étudie, d’une plume alerte, les multiples aspects de l’existence dans la société cloisonnée et hiérarchisée de son temps, et décrit avec humour les travers de ses contemporains. Il y précise et affirme ses conceptions esthétiques, son goût pour une écriture spontanée, son droit de rire des hommes en général, et de lui-même en particulier.

Sa grande œuvre romanesque reste La Vie de Marianne, qu'il rédige de 1726 à 1741 et laisse inachevée : dans ce roman d'apprentissage narré à la première personne, qui raconte comment une jeune orpheline partie de la plus humble condition parvient pourtant à la considération et à la fortune, Marivaux s'efface au profit de l'héroïne éponyme et s'ingénie à entretenir l'illusion romanesque la plus subtile.

Élu (contre Voltaire) à l'Académie française en 1742, il y prononce plusieurs discours et délaisse alors quelque peu le théâtre, qu'il destine d'ailleurs désormais à la Comédie-Française. Malade depuis 1758, il succombe à une pleurésie en 1763.

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LA FABLE

Une fée volage, déjà promise à l'enchanteur Merlin, s'amourache de la beauté

d'Arlequin, aussi stupide qu'il est charmant. Elle espère, à force de leçons et de préceptes,

adoucir, affiner et civiliser ses manières.

Mais c'est en voyant et en tombant amoureux de la bergère Silvia qu'Arlequin va peu

à peu s'instruire et révéler un tempérament doux, aimable, poli. Jalouse et dépitée, la fée

s'empare des deux amants ; elle exige de Silvia qu'elle mente à Arlequin et prétende s'être

jouée de lui ; mais face à la douleur du jeune homme qui se croit trahi, Silvia rétablit la vérité

et avoue tout à Arlequin des manigances de la fée.

Aidé par Trivelin, le domestique au grand cœur ulcéré par les manœuvres de la

magicienne, Arlequin parvient à s'emparer de la baguette de la fée : désormais libres et

souverains du peuple enchanté des esprits et de lutins, Silvia et Arlequin pardonnent à la fée

et célèbrent leur victoire.

LES COMEDIENS ITALIENS

A partir du seizième siècle et sous l'influence de la reine Catherine de Médicis, les

Comédiens italiens prennent l'habitude de franchir les Alpes et de jouer régulièrement à

Paris, où ils remportent un vif succès. Ces troupes, dont les plus fameuses sont les Gelosi et

les Comici fedeli, interprètent des pièces de la commedia dell'arte, se produisent souvent en

italien, et introduisent, sur la scène française, un jeu théâtral complètement nouveau.

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Watteau, Les Comédiens italiens, 1719-1720, National Galery of Art, Washington

Incarnant des personnages-types dont on a surtout retenu les noms de Polichinelle,

d'Arlequin ou de Scaramouche, les Comédiens italiens font la part belle à l'improvisation, et

la gestuelle l'emporte toujours sur le texte. Pétillants, enjoués, drôles et acrobates, ils

changent le rapport entre la salle et la scène. Ils osent des grivoiseries, des satires politiques,

des parodies et des critiques qu'autorise leur jeu comique tant il échappe à toutes les règles

connues. Leur talent associe la danse, le chant, des pitreries et des mimes. Il enthousiasme le

public qui n'a pas besoin de comprendre leur langue pour participer à l'intrigue, d'autant

qu'elle est souvent très ténue1. Le véritable art comique des troupes italiennes vient de leurs

jeux de scène, ou lazzi2, qui donnent à l'action une cadence rapide et maintiennent le public

en haleine.

Jouant en alternance au Petit-Bourbon d'abord, puis au Palais Royal ensuite, avec la

troupe de Molière, les Comédiens italiens ont exercé sur lui une influence indéniable. Si

Molière, selon la tradition française, accorde dans ses comédies une place essentielle au

discours et au raisonnement, il les enveloppe en effet d'un mouvement et d'un rythme

directement issus de la commedia dell'arte. Les Comédiens italiens bénéficient, tout au long

du dix-septième siècle, d’une grande renommée et d’un public fidèle. Malheureusement, ils

se croient intouchables et s'autorisent des imprudences de langage et des attaques envers le

pouvoir qui finissent par leur être fatales. Leur effronterie est sans limite et lorsqu'ils s'en

1 Les centoni, recueils tenus et enrichis par les acteurs de la commedia dell'arte, répertorient sous forme de canevas

sommairement agencés de nombreuses intrigues; c'est dans ces recueils que les comédiens puisent, et à partir de ces

canevas qu'ils improvisent.

2 Un lazzo est une clownerie, une action comique mimée, accompagnée parfois d'un embryon de dialogue.

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prennent à Mme de Maintenon dans une pièce intitulée La Fausse Prude, ils s'exposent au

courroux du roi qui les expulse en 1697.

Les Comédiens italiens reviennent à Paris sous la Régence en 1716 et profitent de la

protection du duc d'Orléans pour reprendre leurs représentations, sous la direction de Luigi

Riccoboni, à l’hôtel de Bourgogne. Après une période brillante due en partie à la

collaboration de Marivaux qui écrira pour eux plus de la moitié de ses pièces, leur jeu,

perdant sa spontanéité, se fige dans la convention. Tout en continuant à improviser en

italien – la pantomime suffisant à expliciter le message – ils sont amenés, pour satisfaire le

public, à apprendre par cœur des passages en français. Cette systématisation de la

déclamation signe, avec l’éclatement de leur troupe, la mort de leur art. Certains acteurs

vont alors rejoindre les comédiens de la Foire, d'autres fusionnent avec l'Opéra Comique en

1762.

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II/ LE PROJET DE LA COMPAGNIE LA PICCOLA FAMILIA

NOTES D'INTENTION POUR LA CREATION EN 2007

Arlequin poli par l'amour est née de la rencontre de Marivaux avec les Comédiens

italiens en 1720. C'est la pièce où, pour la première fois, s'expriment les grands thèmes qui

alimenteront son écriture : la découverte de l'amour, l'expression de la jalousie, la méprise,

la fidélité, le malentendu, la manipulation, la trahison... C'est pour moi la première rencontre

avec cet auteur.

C'est une première immersion, un premier voyage et nous chercherons à mettre de

côté le "convenu", "ce qu'on a vu" de Marivaux, "ce qu'on croit savoir" de son univers : il

s'agira pour chacun d'éprouver cette langue, c'est à dire la rapprocher de nous, la soumettre

à notre sensibilité et que notre sensibilité s'y soumette. S'atteler à sa construction, car la

langue de Marivaux est très écrite, précise et affûtée comme une arme.

Rencontrer Marivaux donc, nous chercher et peut-être nous trouver entre ses lignes

car il y a dans cette pièce l'inconscience éperdue et la naïveté insolente de la jeunesse,

l'ambition de ses idéaux et la brutalité de leur désenchantement. Arlequin et Silvia ne sont

pas loin de nous : entrant dans l'âge adulte, ils butent ensemble contre un monde dont ils ne

tarderont pas à mesurer le danger et dont la fée, figure de pouvoir absolu, leur fera

comprendre les règles. Car c'est également un regard sur notre monde que nous propose

Marivaux : jusqu'à quel point accepte-t-on la soumission à un pouvoir en place ? jusqu'où

abuse-t-on de son pouvoir et jusqu'où en supporte-t-on les abus ? Il y a derrière la comédie

les prémices d'une réflexion plus politique : la révolution, le soulèvement, la destitution, la

fascination et le goût du pouvoir.

Marivaux introduit le merveilleux dans sa pièce - un conte de fée - ouvrant à la

théâtralité une multitude de possibles et induisant, par convention, toutes les fantaisies. Ce

"registre" permet l'accès à un puits d'inventions sans fond pour la mise en scène, mais aussi

pour le jeu et la scénographie, car conscients du bagage d'imagerie conventionnelle qui

accompagne la notion de conte de fée, il s'agira pour nous de jouer avec lui, afin de le

détourner, le contredire ou l'amplifier...

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Par ailleurs la pièce est écrite pour un registre de jeu particulier : la commedia

dell'arte. Registre de jeu très codifié, un langage du corps, que nous ne tâcherons pas de

vouloir reproduire mais plutôt de ré-interpréter, voire ré-inventer. Ainsi, face à cette langue,

à la notion de conte de fée, à la commedia dell'arte, il s'agit pour nous de re-créer, de

s'approprier et de continuer à construire notre identité à la fois d'artistes mais aussi de

jeunes hommes et femmes.

Enfin, c'est un commencement. Le commencement d'un travail de compagnie de

théâtre né du désir de travailler ensemble, de rencontrer un public, de chercher "notre

théâtre" et d'inscrire dans le temps une vraie recherche. Pour l'heure c'est la première pierre

posée à notre édifice. À plus d'un titre : une rencontre.

Thomas Jolly, juillet 2006

PasSages

Monter / Mettre en scène Arlequin Poli par l'Amour.

Découvrir / Se frotter à Marivaux. Sa langue. Y prendre goût.

Vouloir un théâtre. Chercher à l'obtenir.

Un théâtre avec en son centre le texte et l'acteur d'abord.

Et n'être pas seulement des acteurs. Prendre en charge l'entièreté du spectacle :

régie, décors...

Et vouloir un théâtre "Pop". Populaire. Pour et avec les gens.

Rêver déjà d'inventer de nouvelles formes.

Et pas seulement pleurer. Et pas seulement rire. Mais rire et pleurer.

Et pas seulement s'amuser. Et pas seulement réfléchir. Mais s'amuser à réfléchir.

Se souvenir que le personnage d'Arlequin trouve son origine aux enfers.

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Se souvenir que les bergères ne sont pas toutes blondes aux cheveux bouclés.

Se souvenir que les fées ne sont pas toutes drapées de robes en mousseline rose.

Se souvenir que les ministres ne sont pas tous fidèles à leurs engagements. Se dire

qu'on est jeunes. Comme les personnages de Marivaux.

Se reconnaître dans leur inconscience éperdue.

La naïveté insolente de la jeunesse.

L'ambition de ses idéaux et la brutalité de leur désenchantement.

Arlequin et Silvia ne sont pas loin de nous : entrant dans l'âge adulte, ils butent

ensemble contre un monde dont ils ne tarderont pas à mesurer le danger et dont la fée,

figure de pouvoir absolu, leur fera comprendre les règles.

Sentir gronder déjà sous les confettis la révolte et le soulèvement.

Une révolution ?

Dictionnaire "révolution" : changement brusque et violent dans la structure politique

et sociale d'un Etat, qui se produit quand un groupe se révolte contre les autorités en place

et prend le pouvoir.

Une histoire de groupe, donc. De famille.

C'est une histoire de seuils. De passages.

Du monde de l'enfant à celui de l'adulte.

Du féerique au réel et aussi du réel au féerique.

De l'inconscience à la Raison.

D'un pouvoir à un autre pouvoir.

Et le passage aussi, pour chacun de nous, dans l'art que l'on a choisi comme métier.

Thomas Jolly, septembre 2006

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A PROPOS DE LA RE-CREATION EN 2011

Créer à nouveau.

En 2006, Arlequin poli par l’amour est bien plus, pour moi, qu’une pièce courte de

Marivaux. C’est une entrée. C’est une idée, un projet, un espoir qui se pose. L’idée d’une

colère, le projet d’une lutte, l’espoir d’une ambition autre.

Derrière ce personnage que le théâtre a hissé en symbole, c’est le droit à l’existence

qui s’exprime. Crier qu’on est vivant, qu’on est là et qu’on entend être libre. Laisser parler

cette insolence parce qu’on se souvient que c’est Dante, dans son "enfer" qui brosse les

premiers traits de ce personnage, et qu’on devine en lui les démons qu’il a pour ancêtres.

Il est jeune, et fou, et bête encore et déraisonné. Ce que nous étions alors : penser se

réunir pour faire du théâtre sans autre volonté que celle-ci, qui est la seule qui vaille, et se

foutre des cadres, et de la profession, et de notre avenir - et l’argent ? et son loyer ? et son

couple ? et son plan de vie ? et sa carrière ? - juste faire du théâtre et s’étonner de trouver

en ces personnages le souffle qu’il nous fallait, les mots que nous voulions, les questions qui

nous agitaient - l’auteur était jeune alors, comme eux, comme nous, tant de jeunesse devait

créer quelque chose.

C’est ce qui se passa.

Une aventure de 4 années de tournée partout, dans toutes sortes de lieux, pour tous

les publics, en France, à l’étranger, sous un soleil d’insouciance luxueuse ou de désolation

politique.

En même temps que grandissait ce spectacle, que nous rencontrions les publics, c’est

le projet d’un théâtre de vie (ou d’une vie de théâtre) qui s’affinait. Un théâtre populaire,

intelligent et festif, pour et avec les gens. Tous les gens. La pensée d’une compagnie.

Et puis de jeunes, fous, bêtes et déraisonnés, nous sommes devenus - pouvait-on y

couper ? - moins jeunes, fous mais avertis... et déraisonnables (c’est-à-dire déraisonnés mais

avec intelligence) pour nous tourner vers d’autres aventures.

Ce que nous racontions de nous avec ce spectacle n’était plus, et le théâtre ne doit

pas mentir : toujours il m’a semblé primordial de faire coïncider les histoires que nous

racontions avec celles que nous vivions.

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J’entendais souvent : "le théâtre est un art éphémère" et je le comprenais par sa

dissolution une fois le rideau tombé... mais ce n’est pas seulement cela. C’est que... ça passe,

ça existe et un jour ça n’existe plus. Et il faut avoir l’honnêteté et le courage de le constater :

nous ne pouvions plus raconter ces choses-là, parce que d’autres choses nous agitaient

alors...

En 2010, malgré les demandes et un enthousiasme constant, nous décidions de

mettre un terme à ce spectacle.

Arlequin poli par l’amour.

Joué 4 années.

On ne sait plus combien de fois (aucun de nous n’était d’accord).

Merci.

Et on dit au revoir parce qu’on trouve ça trop dur de dire Adieu... oui mais, il faut

faire attention à ce qu’on dit.

Quand, à l’invitation du Centre dramatique de Haute-Normandie, j’ai eu à réfléchir à

un projet pour la 3ème promotion des acteurs-compagnons, il m’a semblé cohérent de ré-

ouvrir le travail sur cette pièce qui avait accompagné mes premiers pas dans la réalité de ce

métier.

Voici qu’en 2011 s’amorce la re-création d’Arlequin poli par l’amour.

Pour eux d’abord.

Leur offrir un espace à investir, une pièce à défricher, un propos à creuser. Penser et

construire leur acteur - par là-même s’interroger sur eux-mêmes. Questionner qui ils sont, ce

qu’ils veulent et ce qu’ils font là. Et leur donner l’espace de proposer, d’envahir ce texte avec

leurs univers, leurs envies.

Arlequin et Silvia ne sont pas loin de ces 6 acteurs : entrant dans l’âge adulte, ils

butent ensemble contre un monde dont ils ne tarderont pas à mesurer la violence et dont la

fée, figure de pouvoir absolu, leur fera comprendre les règles.

Pour autant, jouer Marivaux c’est aussi se mesurer à une langue redoutable et

d’autant plus acérée dans cette pièce : Arlequin poli par l’amour est née de la rencontre de

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Marivaux avec les Comédiens italiens en 1720. Fasciné par leur approche du plateau il leur

écrit un texte court car les Comédiens italiens parlaient encore peu français. Cette économie

de mots, cette sécheresse du langage génère dans ses fulgurances d’autant plus de violence.

Pour l’acteur elle est une partition exigeante : chaque réplique devient une arme brève et

incisive. Pas de longueurs, pas de déploiement : un concentré de brutalité.

Pour moi aussi.

Car jamais il n’a été question de plaquer intégralement une mise en scène sur une

nouvelle équipe. Je fais du spectacle... vivant - et c’est bien dans ce mot de "vivant" que sont

enfermés les secrets -infinis- de mon métier. J’ai avancé aussi. Et grandi - arrive un temps où

l’on dit vieilli - et je suis maintenant dehors. Je ne dirige plus le travail de l’intérieur. C’est

une double distance spatiale et temporelle. Dans cet écart s’est glissée l’existence... parler

d’amour (en fait-on un jour le tour ?), évoquer le monde (en faire un jour le tour), mais vu

d’aujourd’hui.

Je retrouve dans cette nouvelle version du spectacle des images et des réminiscences

de son ancêtre, des citations qui sont autant d’hommages au temps, au public d’alors et aux

acteurs qui m’accompagnent encore, ailleurs sur d’autres contrées...

C’est une jolie histoire.

Une histoire de spectacle... vivant.

Thomas Jolly. Septembre 2011

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L’EQUIPE

Thomas Jolly

Thomas Jolly est né le 1er février 1982. Il commence le théâtre dès 1993 à Rouen et

intègre la compagnie "Théâtre d’enfants" dirigée par Nathalie Barrabé. Il entre ensuite au

Lycée Jeanne d’Arc en classe théâtre et travaille sous la direction des comédiens du Théâtre

des 2 rives / Centre dramatique régional de Haute-Normandie.

Parallèlement à une licence d’études théâtrales à l’université de Caen, il crée une

compagnie de théâtre étudiant et joue dans plusieurs festivals de la région.

En 2001, il intègre la formation professionnelle de l’ACTEA à Caen et travaille avec

Olivier Lopez, Sophie Quesnon, René Pareja...

En 2003, il entre à l’Ecole Nationale Supérieure du Théâtre National de Bretagne à

Rennes dirigée par Stanislas Nordey. Il y travaille sous la direction de Jean-François Sivadier,

Claude Régy, Hubert Colas, Robert Cantarella, J-C Saïs, Bruno Meyssat, Anton Kouznetsov...

Parallèlement à sa formation il met en scène ses deux premiers spectacles : en 2004,

Mariana, une adaptation des Lettres de la religieuse portugaise et en 2005 La Photographie

de Jean-Luc Lagarce dans le cadre d’un atelier carte blanche de l’école du TNB. En 2005, il

joue dans Splendid’s de Jean Genet, mis en scène par Cédric Gourmelon et en 2006, sous la

direction de Stanislas Nordey, il joue dans Peanuts de Fausto Paravidino.

A l’issue de sa formation, il fonde La Piccola Familia avec une partie des comédiens

qui ont accompagné ses années d’apprentissage. Il met en scène et joue dans Arlequin poli

par l’amour de Marivaux de 2007 à 2010 et Toâ de Sacha Guitry en 2009 et 2010 (Prix du

public, festival Impatience, Théâtre de l’Odéon, Paris).

Parallèlement aux créations de sa compagnie, il travaille avec l’ensemble baroque

"Les cyclopes" sur divers projets musicaux dont Pontormo en 2008 et la version scénique du

concert Musica Poetica autour de l’oeuvre de M. Weckmann.

En 2009 et 2010, à l’invitation du Trident/Scène Nationale de Cherbourg-Octeville, il

conçoit et crée Une Nuit chez les Ravalet, un spectacle déambulatoire et crépusculaire

réunissant La Piccola Familia et la première promotion des acteurs compagnons du GEIQ

Théâtre en Haute-Normandie.

Avec La Piccola Familia, il crée Piscine (pas d’eau) de Mark Ravenhill en Janvier 2011.

Le spectacle est actuellement en tournée.

Janvier 2012 voit la création du cycle 1 d’Henry VI de William Shakespeare. Un projet

vaste dont il a présenté plusieurs étapes au cours des deux dernières saisons à Rouen, Caen

et Argentan et dont la création intégrale devrait courir sur les deux prochaines saisons.

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Il intervient régulièrement auprès de jeunes acteurs en formation : ACTEA, GEIQ-

Théâtre en Haute-Normandie (promotions 1, 2 et 3), Conservatoire de Rouen, Ecole du TNB.

En Juin 2012, il s’est vu confier la mise en scène d’un spectacle pour la 7ème promotion des

élèves de l’école du TNB.

LES ACTEURS ISSUS DE LA TROISIEME PROMOTION DU GEIQ THEATRE EN HAUTE-NORMANDIE

Créé en 2008, à l’initiative d’Elizabeth Macocco, par le Centre dramatique régional de

Haute-Normandie / Théâtre des deux rives, le GEIQ Théâtre en Haute-Normandie est un

Groupement d’Employeurs qui a pour spécificité de proposer des emplois à de jeunes

comédiens en voie de professionnalisation. En parallèle, ils bénéficient d’une formation

complémentaire et d’un accompagnement personnalisé vers l’insertion.

Julie Bouriche

Après une formation à l’ACTEA, Julie Bourriche travaille sous la direction d’Annie

Pican. Elle intègre en 2011 la troisième promotion du GEIQ Théâtre en Haute-Normandie.

Dans le cadre de cette formation, elle travaille sous la direction de Claude Alice Peyrottes

pour la création de Rue de l’arrivée, rue du départ, extraits de textes de Charlotte Delbo, et

d’Elizabeth Macocco pour la création de Du Côté d’Alice 3 / La Course aux chansons, de

Marie Nimier. Elle participe au Laboratoire Théâtre obligatoire ?! dirigé par Catherine

Dewitt, au Laboratoire Les Années 80 dirigé par Pauline Bureau et au Laboratoire Le Grand

jeu des idées dirigé par Jérôme Hankins.

Rémi Dessenoix

Formé à l’Ecole Claude Mathieu, il travaille sous la direction de Patrick Mohr et

d’Alexandre Zloto. Il intègre en 2011 la troisième promotion du GEIQ Théâtre en Haute-

Normandie. Dans le cadre de cette formation, il travaille sous la direction de Claude Alice

Peyrottes pour la création de Rue de l’arrivée, rue du départ, extraits de textes de Charlotte

Delbo, et d’Elizabeth Macocco pour la création de Du Côté d’Alice 3 / La Course aux

chansons, de Marie Nimier. Il participe au Laboratoire Théâtre obligatoire ?! dirigé par

Catherine Dewitt, au Laboratoire Les Années 80 dirigé par Pauline Bureau et au Laboratoire

Le Grand jeu des idées dirigé par Jérôme Hankins.

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Charlotte Ravinet Après une formation à l’Ecole Les Enfants terribles et à l’Ecole Béatrice Brout,

Charlotte Ravinet joue au théâtre sous la direction de Sylvain Herry et Stéphanie Gontry, au

cinéma et à la télévision, sous la direction de Gerald-Hustache-Mathieu, Sylvain Giannetto,

Bruno Detante, Martin Salmon, Pauline Royo, Gregory Turbellier et Maria Baraz. Elle intègre

en 2011 la troisième promotion du GEIQ Théâtre en Haute-Normandie. Dans le cadre de

cette formation, elle travaille sous la direction de Claude Alice Peyrottes pour la création de

Rue de l’arrivée, rue du départ, extraits de textes de Charlotte Delbo, et d’Elizabeth Macocco

pour la création de Du Côté d’Alice 3 / La Course aux chansons, de Marie Nimier. Elle

participe au Laboratoire Théâtre obligatoire ?! dirigé par Catherine Dewitt, au Laboratoire

Les Années 80 dirigé par Pauline Bureau et au Laboratoire Le Grand jeu des idées dirigé par

Jérôme Hankins.

Taya Skorokhodova

Elle intègre en 2011 la troisième promotion du GEIQ Théâtre en Haute-Normandie

après une formation au Conservatoire du Havre. Dans le cadre de cette formation, elle

travaille sous la direction de Claude Alice Peyrottes pour la création de Rue de l’arrivée, rue

du départ, extraits de textes de Charlotte Delbo, et d’Elizabeth Macocco pour la création de

Du Côté d’Alice 3 / La Course aux chansons, de Marie Nimier. Elle participe au Laboratoire

Théâtre obligatoire ?! dirigé par Catherine Dewitt, au Laboratoire Les Années 80 dirigé par

Pauline Bureau et au Laboratoire Le Grand jeu des idées dirigé par Jérôme Hankins.

Romain Tamisier

Après un parcours de formation au cours Florent, au cours privé Fanny Laudicina puis

au Conservatoire de Bobigny, Romain Tamisier intègre en 2011 la troisième promotion du

GEIQ Théâtre en Haute-Normandie. Dans le cadre de cette formation, il travaille sous la

direction de Claude Alice Peyrottes pour la création de Rue de l’arrivée, rue du départ,

extraits de textes de Charlotte Delbo, et d’Elizabeth Macocco pour la création de Du Côté

d’Alice 3 / La Course aux chansons, de Marie Nimier. Il participe au Laboratoire Théâtre

obligatoire ?! dirigé par Catherine Dewitt, au Laboratoire Les Années 80 dirigé par Pauline

Bureau et au Laboratoire Le Grand jeu des idées dirigé par Jérôme Hankins. Au cinéma et à la

télévision, il tourne sous la direction de Jean-Pierre Sinapi et de Rémi Bigot.

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Guillaume Yvon

Formé au Conservatoire à Rayonnement régional de Rouen, Guillaume Yvon travaille

sous la direction de Maurice Attias puis de Thomas Jolly. Il intègre en 2011 la troisième

promotion du GEIQ Théâtre en Haute-Normandie. Dans le cadre de cette formation, il

travaille sous la direction de Claude Alice Peyrottes pour la création de Rue de l’arrivée, rue

du départ, extraits de textes de Charlotte Delbo, et d’Elizabeth Macocco pour la création de

Du Côté d’Alice 3 / La Course aux chansons, de Marie Nimier. Il participe au Laboratoire

Théâtre obligatoire ?! dirigé par Catherine Dewitt, au Laboratoire Les Années 80 dirigé par

Pauline Bureau et au Laboratoire Le Grand jeu des idées dirigé par Jérôme Hankins.

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III/ QUELQUES PISTES DE TRAVAIL AVEC LA CLASSE

AVANT LA REPRESENTATION

1) Arlequin poli par l’amour, une comédie

La pièce en effet se prête parfaitement à un travail sur les caractéristiques et les

principes de la comédie comme des différents types de comique.

On montre aux élèves qu’Arlequin poli par l’amour obéit aux exigences du genre de la

comédie :

- en s’achevant sur un dénouement tout à la fois heureux (victoire du couple

d’amoureux innocents, défaite de la fée machiavélique) et didactique (non

seulement les purs l’emportent, mais ils font également preuve de compassion

dans la dernière scène) ;

- en plaçant au cœur de l’intrigue des enjeux de mariage, des affaires

sentimentales (le berger aime Silvia qui aime Arlequin qui n’aime pas la fée qui

est aimée par Merlin) ;

- en organisant la confrontation des classes sociales : la fée n’est pas sans annoncer

l’Euphrosine de L’Ile des esclaves, Arlequin et Silvia incarnent les valeurs de

simplicité et de naturel attachées comme souvent dans le théâtre marivaudien à

la paysannerie.

La pièce recourant à tous les types de comique, on invite les élèves à les repérer :

- le comique de mots : le patois d’Arlequin (« Oui-dà »), le calembour sur le « Styx »

scène 14, les maximes satiriques de Trivelin (« femme tentée, et femme vaincue,

c’est tout un »), son aparté ironique scène 6 ;

- le comique de situation : généré par la bêtise d’Arlequin au début de la pièce, par

le décalage entre les attentes de la fée et les réactions de son captif (le « que

voulez-vous, beau jeune homme ? - je veux goûter » dans l’analepse de Trivelin

scène 1 ; le quiproquo de la scène 3 lorsqu’Arlequin ne comprend pas

l’apostrophe liminaire de la chanson) ; on peut également indiquer la scène 4 qui

dans un admirable effet de miroir installe cette fois-ci le dépit amoureux du côté

du berger ;

- le comique de gestes : le lazzo des mouches scène 2, le retour progressif à la

station debout d’Arlequin lors de sa rencontre avec Silvia, les coups donnés par

Arlequin aux esprits puis aux chanteurs et aux danseurs dans la scène dernière ;

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- le comique de caractère, qui met en exergue et se moque d’un trait saillant du

personnage : bien évidemment la stupidité d’Arlequin dans les scènes initiales

(notamment lorsqu’il prend les paroles de la chanson à propos des yeux de la fée

au premier degré), mais on n’omettra pas l’inconstance de la fée (stigmatisée

entre autres par ses répliques scène 1 « toute mariée que je serais, je veux bien te

l’avouer, je ne me fierais pas à moi » et scène 6 « Oh ! J’ai bien d ‘autres choses

en tête, qu’à m’amuser à consulter ma conscience sur une bagatelle ») ;

- le comique de répétition avec la récurrence du stratagème de l’anneau

d’invisibilité scènes 12 (la fée) et 18 (Trivelin).

Enfin, on peut renforcer et concrétiser les acquis relatifs à la commedia dell’arte en

proposant ces deux types d’exercices :

- rédiger le canevas de la pièce

- imaginer, rédiger et jouer un des lazzi d’Arlequin (celui de la mouche ou celui de

la révérence par exemple, scène 2)

2) « On n’est pas maître de son cœur »3 : le sentiment amoureux

Afin de convaincre la classe que le sentiment amoureux est non seulement l’enjeu

essentiel du théâtre de Marivaux mais aussi la clé de voûte du spectacle, on lui rappelle qu’il

occupe bon nombre de titres de pièces marivaudiennes, et on lui apprend que la compagnie

la Piccola Familia a choisi pour exergue la citation suivante du dramaturge Jean-Luc Lagarce :

« Nous serons amoureux, évidemment, le moins qu'on puisse. Et pas toujours en silence,

pénibles et envahissants et indignes, c'est bien et pas toujours mélancoliques et pas toujours

fidèles et purs et pas toujours, je ne sais plus, mais amoureux, ça oui. » (Du Luxe et de

l’impuissance).

Arlequin poli par l’amour offre un champ d’exploration du sentiment amoureux

particulièrement vaste, et les élèves aimeront certainement à l’investir :

- les pouvoirs de l’amour : pouvoir de transformation des êtres (titre de la pièce +

métamorphose qui s’opère dès la scène 5 + réplique de la fée scène 8 « qu’il faut

qu’il ait pris d’amour pour avoir déjà tant d’esprit ! ») ; pouvoir plus puissant que

3 Marivaux, La Double inconstance, III 9.

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la magie même (l’amour insuffle à Arlequin la malice nécessaire pour qu’il

s’empare de la baguette de la fée et lui inflige une cuisante défaite) ;

- amour et rapports de classe : dans cette pièce où le pouvoir magique est une

métaphore du pouvoir politique, la force du sentiment peut pousser à faire fi des

barrières de classes (la fée promise à l’enchanteur envisage pourtant d’épouser

Arlequin) ; on remarque toutefois que cet élan subversif, qu’un mariage couronne

dans La Double inconstance, n’aboutit pas ici, que chacun (comme plus tard

d’ailleurs dans L’Ile des esclaves) reste finalement dans son pré carré ;

- amour, mensonge et transparence : cette œuvre de jeunesse explore déjà cette

dialectique subtile du naturel et de l’artificiel, de la franchise et de la

dissimulation, que les pièces de la maturité affineront et approfondiront. La fée

semble n’être que tromperie (elle ment à Merlin par omission, contraint Silvia à

mentir scène 17 et lui impose un chantage digne du Néron de Britannicus), mais

elle se livre totalement à Trivelin aux scènes 1 et 8… Silvia et Arlequin sont deux

figures de vérité : lors de leur rencontre scène 5 l’une affirme « Oh ! je ne mens

jamais » et l’autre renchérit « je dis la vérité », la scène 11 les montre également

peu enclins à céder aux simulacres et à la comédie du badinage, Silvia ne parvient

pas à mentir à Arlequin scène 18… Toutefois, lorsqu’il sera question de préserver

leur amour, le héros éponyme mettra en pratique sa réplique de la scène 7 « Oh !

Je ne suis pas un niais, je ne dis pas ce que je pense » et trouvera les ressources

suffisantes pour mentir à la fée dans la scène 21…

3) Quelle place pour le marivaudage dans Arlequin poli par l’amour ?

En cherchant la définition du terme marivaudage, les élèves constateront qu’elle

oscille entre deux acceptions :

- l’une, méliorative, renvoie à une attitude, un propos d’une galanterie délicate,

recherchée, subtile, qui visent à séduire un homme ou une femme ;

- l’autre, plus dépréciative, fait du marivaudage un jargon trop précieux,

excessivement maniéré, qui, comme l’affirme Diderot dans une de ses lettres à

Sophie Volland le 6 novembre 1739, « raffine sur le sentiment et l’expression » ;

le marivaudage revêtirait alors le discours amoureux d’une pellicule d’affectation

qui obscurcirait sa limpidité et son naturel.

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Arlequin poli par l’amour offre, dans un système de mise en abyme particulièrement

intéressant, des exemples illustrant chacune de ces significations, que l’on demandera à la

classe de repérer :

- dialogue gracieux, enjoué, spirituel entre Silvia et Arlequin à la scène 11 ; les deux

amoureux débutants s’accompagnent, se perdent et se retrouvent en riant dans

les méandres de leur badinage ;

- la chanson de la scène 3 à laquelle Arlequin ne comprend goutte, comme les

recommandations de la cousine de Silvia, sont en revanche désignées comme des

pertes de temps, trop stéréotypées ou artificielles pour pouvoir servir l’expression

sincère du sentiment.

Il serait bon de seconder cette étude du discours amoureux avec cet extrait de la

note d’intention de Thomas Jolly (pages 12-13 du présent dossier), qui évoque son travail sur

la langue de Marivaux : « Arlequin poli par l’amour est née de la rencontre de Marivaux avec

les Comédiens italiens en 1720. Fasciné par leur approche du plateau il leur écrit un texte

court car les Comédiens italiens parlaient encore peu français. Cette économie de mots,

cette sécheresse du langage génère dans ses fulgurances d’autant plus de violence. Pour

l’acteur elle est une partition exigeante : chaque réplique devient une arme brève et incisive.

Pas de longueurs, pas de déploiement : un concentré de brutalité. »

Le metteur en scène indique ici s’être concentré sur le potentiel de cruauté, de

dureté, du langage. Le marivaudage sera donc vraisemblablement sur le plateau débarrassé

de toute mièvrerie, discourir relèvera de la prise de risque, de la mise en danger. Pour

conforter cette hypothèse, on montre aux élèves l’affiche du spectacle, qui avec des

confettis apparemment inoffensifs dessine pourtant les contours d’un crâne menaçant.

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Affiche du spectacle

4) Arlequin poli par l’amour, une pièce « pas loin de nous »4

Thomas Jolly dans ses notes d’intention de 2006 et 2011 répète avoir voulu faire

d’Arlequin et de Silvia des figures familières, des personnages dans lesquels reconnaître des

allégories d’une jeunesse dont les idéaux parfois se fracassent contre les exigences cyniques

de l’âge adulte, que son inexpérience met en danger, et dont la soif de liberté réclame autre

chose que l’enfermement (physique ou symbolique) dans des conventions éculées et

stériles.

Il faudra donc préparer et intéresser la classe au travail d’actualisation réalisé par la

compagnie La Piccola Familia. Pour ce faire, on peut utiliser les deux photographies du

spectacle proposées ci-après, qui témoignent de ce désir de contemporanéité : un Arlequin

débarrassé de son traditionnel costume à losanges, les Doc Martens rouges de Silvia,

4 Thomas Jolly, note d’intention de juillet 2006, page 8 du présent dossier.

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l’atmosphère très "TimBurtonienne" autour de la fée et de sa cour…. On assiste là à une

réécriture de personnages et d’univers (Arlequin, la bergère, la fée, le bucolique, le

merveilleux) longtemps figés dans une tradition : à l’aspiration de liberté d’Arlequin et de

Silvia répond donc celle de la mise en scène.

Arlequin et Silvia

Arlequin face à la fée (juchée sur le piano)

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APRES LA REPRESENTATION

1) Une scénographie au service de l’illusion

La compagnie ayant choisi de travailler avec et de jouer autour de l'aspect

merveilleux de la pièce5, on s'assure que la classe a saisi les deux niveaux d'illusion traités

par la scénographie :

- un univers de conte de fées, d'enchantement, de magie, de féerie : insister sur le

rôle primordial de la lumière, régulièrement déclinée en clairs-obscurs (les

sombres desseins de la fée lors de sa première apparition aux bougies), en rouges

(qui rappellent l'origine infernale du personnage d'Arlequin6, mais aussi les

intentions machiavéliques de la fée et les élans révolutionnaires du héros

éponyme), en verts et bleus à la fois anxiogènes et poétiques (la danse des

ballons de Silvia, les prairies bucoliques où paissent les "moutons") ; évoquer la

nudité récurrente de l’espace, certes traversé par le piano, les ballons, les

confettis, mais le plus souvent désencombré, suffisamment vide pour devenir un

espace mental que l’imaginaire peut investir ;

Arlequin et Silvia

5 Se référer à la note d'intention de Thomas Jolly page 8 du présent dossier.

6 Son nom viendrait de celui du roi de la mythologie germanique Herla (Herla King en anglais ou Erlkönig en allemand), à

l'origine de la tradition française d'un diable nommé Hellequin, ce qui donna la variante Harlequin, passée en italien sous la

forme Arlecchino à l'origine du français Arlequin. Arlequin serait donc un personnage issu des croyances populaires

concernant l'enfer.

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- une réflexion sur l'être et le paraître, le visible et l'invisible, le vrai et le faux : le

drap blanc en fond de scène cite évidemment le genre de la commedia dell’arte7,

mais surtout instaure tout un jeu de théâtre d’ombres qui renvoie à la duplicité

des personnages, à leur part d’opacité ; les guirlandes de lumières, déplacées,

arrachées, brandies, agitées, révèlent par flashs des expressions, des rictus, qui

sont comme autant d’aveux d’intentions jusque là soigneusement tapies.

Drap blanc, ombres et lumières

2) Rédiger une critique

L’exercice, à la fois descriptif et argumentatif, permet à la classe de rendre

précisément compte de l’essentiel du spectacle vu (scénographie, costumes, jeu, lumières,

son…) et de formuler une opinion nourrie, pertinente, dépassant ainsi la dichotomie

lapidaire et stérile du « j’ai aimé/je n’ai pas aimé ».

On peut proposer aux élèves des pistes et des modèles de travail en leur fournissant

des critiques théâtrales issues de Télérama, du Monde, du Figaro, des sites theatre-

contemporain.net ou theatral-magazine.com…

7 L’espace scénique de la commedia dell’arte est effectivement constitué de tréteaux avec au lointain un rideau – rouge

ou peint – devant lequel jouent les comédiens.

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3) D’une œuvre à d’autres

Le spectacle peut tout d’abord inciter à la lecture d’autres ouvrages :

- W. Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été (1605), pour qui souhaite retrouver

féerie, ainsi qu’amours contrariées puis finalement célébrées ;

- P.C. de Marivaux, La Double inconstance (1723) puis L’Ile des esclaves (1725) et

enfin La Dispute (1744) ; ce triptyque permet de constater que la maturité

marivaudienne s’accompagne, en ce qui concerne l’étude du sentiment

amoureux, d’une amertume et d’un pessimisme croissants : dans la première

pièce, kidnapping et serments trahis aboutissent malgré tout à la célébration

heureuse de deux unions librement choisies ; dans la seconde, l’amour n’est

l’objet que de chantages, de parodies et de contraintes ; la dernière voit certes

l’éveil aux premiers émois de deux jeunes couples de prime abord innocents,

mais cette initiation se déroule dans la claustration et sous les regards

inquisiteurs – si ce n’est obscènes – du Prince et d’Hermiane, bien décidés à

savoir si l’inconstance universelle est le fait de la gent masculine ou féminine… ;

- P.A.C. de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro (1784) : de nouveau une figure

d’autorité (Almaviva) abusant de ses prérogatives pour soumettre à ses désirs un

jeune cœur palpitant pourtant pour un autre ; là aussi également, l’ingéniosité et

un secours extérieur bienvenu (la comtesse) permettront au héros éponyme de

triompher ;

- J. Pommerat, Cendrillon (2012), pour une réécriture malicieuse et piquante du

personnage type de la fée !

On peut également inviter les élèves à visionner le film d’A. Kechiche L’Esquive

(2004), dans lequel un groupe d’adolescents d’une cité HLM lisent, apprennent et répètent

pour leur cours de français, un passage de la pièce de Marivaux Le Jeu de l’amour et du

hasard.

Enfin, le site Antigone (www.cndp.fr/antigone/) propose des extraits de mises en

scène, exploitables en classe, de deux pièces de Marivaux : La Dispute et Les Fausses

confidences.