Adorno - Industrie Culturelle

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    Thodore W. Adorno

    L'industrie culturelleIn: Communications, 3, 1964. pp. 12-18.

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    Adorno Thodore W. L'industrie culturelle. In: Communications, 3, 1964. pp. 12-18.

    doi : 10.3406/comm.1964.993

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1964_num_3_1_993

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_comm_95http://dx.doi.org/10.3406/comm.1964.993http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1964_num_3_1_993http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1964_num_3_1_993http://dx.doi.org/10.3406/comm.1964.993http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_comm_95
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    Theodor W. AdornoL' industrie culturelle

    II semble bien que le terme d'industrie culturelle ait t employ pourla premire fois dans le livre Dialektik der Aufklrung que Horkheimeret moi avons publi en 1947 Amsterdam 1. Dans nos bauches il taitquesiion de culture de masse. Nous avons abandonn cette dernireexpression pour la remplacer par industrie culturelle , afin d'exclurede prime abord l'interprtation qui plat aux avocats de la chose ; ceux-ciprtendent en effet qu'il s'agit de quelque chose comme une culturejaillissant spontanment des masses mmes, en somme de la forme actuellede l'art populaire. Or, d cet art, l'industrie culturelle se distingue parprincipe. Dans toutes ses branches on confectionne, plus ou moins selon,un plan, des produits qui sont tudis pour la consommation des masseset qui dterminent par eux-mmes, dans une large mesure, cette consommation. Les diverses branches se ressemblent de par leur structureou du moins s'embotent les unes dans les autres. Elles s'additionnentpresque sans lacune pour constituer un systme. Cela grce aussi bien,aux moyens actuels de la technique qu' la concentration conomiqueet administrative. L'industrie culturelle, c'est l'intgration dlibre,d'en haut, de ses consommateurs. Elle intgre de force mme les domainesspars depuis des millnaires de l'art suprieur et de l'art infrieur. Auprjudice des deux. L'art suprieur se voit frustr de son srieux par laspculation sur l'effet ; l'art infrieur, on fait perdre par sa domestication ivilisatrice l'lment de nature rsistante et rude, qui lui taitinhrent aussi longtemps que l'infrieur n'tait pas entirement contrlpar le suprieur. L'industrie culturelle, il est vrai, tient sans contestecompte de l'tat de conscience et d'inconscience des millions de personnes auxquelles elle s'adresse, mais les masses ne sont pas alors lefacteur premier, mais un lment secondaire, un lment de calcul ;.accessoire de la machinerie. Le consommateur n'est pas roi, comme l'industrie culturelle le voudrait, il n'est pas le sujet de celle-ci, mais son.objet. Le terme de mass media, qui s'est impos pour l'industrie culturelle, ne fait que minimiser le phnomne. Cependant il ne s'agit pasdes masses en premier lieu, ni des techniques de communication comme

    1. Le texte qu'on va lire est celui de deux confrences prononces en dcembre 1962par Thodor W. Adorno pour l'Universit radiophonique et tlvisuelle internationale.12

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    L'industrie culturelletelles, mais de l'esprit qui leur est insuffl, savoir la voix de leur matre.L'industrie culturelle abuse de prvenances l'gard des masses pouraffermir et corroborer leur attitude qu'elle prend a priori pour unedonne immuable. Est exclu tout ce par quoi cette attitude pourrait tretransforme. Les masses ne sont pas la mesure, mais l'idologie de l'industrieulturelle, encore que cette dernire ne puisse exister sans s'adapter.Les marchandises culturelles de l'industrie se rglent, comme l'ontdit Brecht et Suhrkamp il y a dj trente ans, sur le principe de leurcommercialisation et non sur leur propre contenu et sa constructionexacte. La praxis entire de l'industrie culturelle applique carrment lamotivation du profit aux produits autonomes de l'esprit. Depuis qu'entant que marchandises sur le march ces produits font vivre leurs auteurs,ils en taient quelque peu contamins. Mais ils ne s'efforaient d'atteindre un profit que mdiatement, travers leur ralit propre. Ce quiest nouveau dans l'industrie culturelle, c'est le primat immdiat et avoude l'effet, trs tudi dans ses produits les plus typiques. L'autonomiedes uvres d'art, qui, il est vrai, n'a presque jamais exist de faonpure et a toujours t empreinte de la recherche de l'effet, se voit lalimite abolie par l'industrie culturelle. Il ne faut pas en accuser ici unevolont consciente de ses promoteurs. Bien plutt il faudrait faire driverle phnomne de l'conomie, de la recherche de nouvelles possibilitsde faire fructifier le capital dans les pays hautement industrialiss. Lesanciennes possibilits deviennent de plus en plus prcaires du fait de cemme processus de concentration qui de son ct rend seul possible l'industrie culturelle en tant qu'institution puissante. La culture qui d'aprsson propre sens non seulement obissait aux hommes mais toujours aussiprotestait contre la condition sclrose dans laquelle ils vivent et par lleur faisait honneur, cette culture, par son assimilation totale aux hommes,se trouve intgre cette condition sclrose ; ainsi elle avilit les hommesencore une fois. Les productions de l'esprit dans le style de l'industrieculturelle ne sont plus aussi des marchandises mais le sont intgralement.Ce dplacement est si norme qu'il produit des qualits entirementnouvelles. En dfinitive, l'industrie culturelle n'est mme plus obligede viser partout un profit immdiat, ce qui tait sa motivation primitive. Le profit s'est objectiv dans l'idologie de l'industrie culturelleet parfois s'est mancip de la contrainte de vendre les marchandisesculturelles qui, de toute faon, doivent tre consommes. L'industrieculturelle se mue en public relations savoir la fabrication d'un good willtout court, sans gard des producteurs ou des objets de vente particuliers. On s'en va chercher le client pour lui vendre un consentementtotal et sans rserve, on fait de la rclame pour le monde tel qu'il est,tout comme chaque produit de l'industrie culturelle est sa propre rclame.En mme temps, nanmoins, on conserve les caractres qui primitivement appartenaient* la transformation de la littrature en marchandise.i quelque chose au monde a son ontologie, c'est bien l'industrie13

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    Theodor W. Adornoculturelle, table de catgories fondamentales, rigidement conserves ainsiqu'en tmoigne par exemple le roman commercial anglais la lin duxvne et au dbut du xvme sicle. Ce qui dans l'industrie culturelle seprsente comme un progrs, le sempiternel nouveau qu'elle offre, demeure,dans toutes ses branches, le changement vestimentaire d'un toujourspareil ; la varit couvre un squelette qui connat aussi peu de changements que la motivation du profit elle-mme depuis son ascension l'hgmonie sur la culture.Du reste, on ne doit pas prendre la lettre le terme d'industrie. Ilse rapporte la standardisation de la chose mme par exemple lastandardisation du western connue de chaque spectateur de cinma, et la rationalisation des techniques de distribution, mais il ne se rfrepas strictement au processus de production. Alors que celui-ci dans lesecteur central de l'industrie culturelle, savoir le film, se rapprochede la mthodologie technique grce une division du travail trs pousse,grce la sparation s'exprimant dans le conflit ternel entre les artistestravaillant dans l'industrie culturelle et les potentats de celle-ci onconserve pourtant dans d'autres secteurs de l'industrie culturelle desformes de production individuelles. Chaque produit se veut individuel ;l'individualit elle-mme sert au renforcement de l'idologie du fait quel'on provoque l'illusion que ce qui est chosifi et mdiatis est un refuged'immdiatet et de vie. Cette idologie fait appel surtout au systmedes vedettes emprunt l'art individualiste. Plus toute cette sphre estdshumanise, plus elle fait la publicit pour les grandes personnalits,et plus elle parle aux hommes avec la voix raille du loup dguis engrand'mre. Cette sphre est industrielle dans le sens les sociologuesl'ont bien vu de l'assimilation des formes industrielles d'organisationme l o l'on ne produit pas, comme la rationalisation du travaildans les bureaux, plutt que par une production vritablement rationnelle u point de vue technologique. C'est pour cette raison que les mauvais placements de l'industrie culturelle sont aussi extrmement nombreux et plongent ceux de ses secteurs qui sont dpasss par de nouvellestechniques dans des crises qui sont rarement des chemins vers le mieux.D'un autre ct, ds qu'ils veulent s'assurer contre la critique, les promoteurs e l'industrie culturelle se plaisent allguer que ce qu'ils fournissaient n'est pas de l'art, mais de l'industrie.Le concept de technique qui rgne dans l'industrie culturelle n'a decommun que le nom avec celui qui vaut dans les uvres d'art. Celui-cise rapporte l'organisation immanente de la chose, sa logique interne.Au contraire, la technique de distribution et de reproduction mcaniquereste pour cela toujours en mme temps extrieure son objet. L'industrie culturelle a son support idologique en ce qu'elle se garde minutieusement de tirer toutes les consquences de ses techniques dans sesproduits. Elle vit en quelque sorte en parasite sur la technique extra-artistique de la production des biens matriels, sans se proccuper de14

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    L'industrie culturelle-l'obligation que cre le caractre positif de ces biens pour la constructionintra-artistique, mais aussi sans gard la loi formelle de la techniqueartistique. Il en dcoule le mlange, si essentiel pour la physionomie del'industrie culturelle, de streamlining, de prcision et de nettet photographique d'une part, de l'autre de rsidus individualistes, d'atmosphre,de romantisme fabriqu et dj lui-mme rationalis. Si on adopte ladfinition de Walter Benjamin, la dfinition de l'uvre d'art traditionnellear l'aura, par la prsence d'un non-prsent, alors l'industrie culturelle se dfinit par le fait qu'elle n'oppose pas autre chose de faonnette cette aura, mais qu'elle se sert de cette aura en tat de dcomposition comme d'un halo fumeux. Ainsi elle se convainc immdiatementelle-mme de sa monstruosit idologique.

    J'ai essay la dernire fois de vous donner une ide de ce qu'est l'industrie culturelle. Aujourd'hui, je voudrais en venir aux discussionsqu'elle soulve. En se rfrant la grande importance de l'industrie culturelle pour la formation de la conscience de ses consommateurs, il estentre temps devenu monnaie courante parmi les politiciens de la culture et aussi chez les sociologues de mettre en garde contre sa sous-estimation. Ils proposent de s'abstenir de tout attitude suffisante et de laprendre au srieux. En effet, l'industrie culturelle est importante entant que facteur de l'esprit aujourd'hui dominant. Vouloir sous-estimerson influence par scepticisme l'gard de ce qu'elle transmet auxhommes, serait faire preuve de navet. Mais l'exhortation la prendreau srieux est suspecte. Du fait de son rle social, on lude des ques-.tions embarrassantes sur sa qualit, sur sa vrit ou non vrit, desquestions sur le rang esthtique de son message. On reproche au critique de se retrancher dans une tour d'ivoire. Mais il convient d'abordde souligner l'ambigut, qui passe inaperue, de l'ide d'importance. Lafonction d'une chose, concernt-elle la vie d'innombrables individus,n'est pas caution de son rang. Confondre le fait esthtique et ses vulgarisations ne ramne pas l'art en tant que phnomne social sa relledimension, mais sert souvent dfendre quelque chose qui est contestable de par ses consquences sociales. L'importance de l'industrie culturelle dans l'conomie psychique des masses ne dispense pas de rflchir sa lgitimation objective, son en-soi, mais au contraire y oblige. Laprendre au srieux en proportion de son rle incontest, signifie laprendre critiquement au srieux, non pas dsarmer devant son monopole.Chez les intellectuels qui veulent s'accommoder de ce phnomne etqui cherchent concilier leurs rserves l'gard de l'industrie culturelleavec le respect de sa puissance, un ton d'indulgence ironique s'est install. Nous savons, disent-ils, ce qu'il en est de tout cela, ce qu'il enest des romans feuilletons, des films de confection, des spectacles tlviss l'intention des familles et dlays pour en tirer des sries d'missions, et ce qu'il en est des parades de varits, des rubriques de l'ho-15

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    "Theodor W. Adornoroscope et du courrier du cur. Mais tout cela est inoffensif et d'ailleurs dmocratique parce qu'obissant une demande, il est vrai prfabrique. De plus, tout cela produit toutes sortes de bienfaits par exemplepar la diffusion d'information et de conseils. Or ces informations sontassurment pauvres ou insignifiantes comme le prouve toute tude sociologique sur une chose aussi lmentaire que le niveau d'information politique, et les conseils qui se dgagent des manifestations de l'industrieculturelle sont de simples futilits ou pire encore.L'ironie mensongre qui s'est installe dans le rapport des intellectuelsbeni-oui-oui et de l'industrie culturelle n'est nullement limite cegroupe. On peut supposer que la conscience des consommateurs est elle-mme scinde, place qu'elle est entre la plaisanterie rglementaire queleur prescrit l'industrie culturelle et la mise en doute peine dguisede ses bienfaits. L'ide que le monde veut tre tromp, est devenue plusvraie qu'elle n'a sans doute jamais prtendu l'tre. Non seulement leshommes tombent, comme on dit, dans le panneau, pourvu que cela leurapporte une satisfaction si fugace soit-elle, mais ils souhaitent mmecette imposture tout conscients qu'ils en sont ; s'efforcent de fermer lesyeux et approuvent dans une sorte de mpris de soi qu'ils subissent etlont ils savent pourquoi on le fabrique. Sans se l'avouer, ils pressententque leur vie leur devient tout fait intolrable sitt qu'ils cessent des'accrocher des satisfactions qui, proprement parler, n'en sont pas.Mais aujourd'hui la dfense astucieuse de l'industrie culturelle glorifiecomme un facteur d'ordre l'esprit de l'industrie culturelle que l'on peutsans crainte appeler idologie. Ses reprsentants prtendent que cetteindustrie fournit aux hommes dans un monde prtendument chaotiquequelque chose comme des repres pour leur orientation, et que de ce faitelle serait dj acceptable. Ceux qui tiennent ce langage sont, gnralementes conservateurs. Mais ce qu'ils supposent sauvegard par l'industrie culturelle, est en mme temps dmoli par elle. La bonne vieilleauberge subit une destruction plus totale dans le film en couleur quepar des bombes. Ce qui en gnral et sans phrasologie pouvait se nommer culture, voulait, en tant qu'expression de la souffrance et de lacontradiction, fixer l'ide d'une vie vritable, mais ne voulait pas reprsenter comme tant vie vritable le simple tre-l et les catgories conventionnelles et primes de l'ordre, dont l'industrie culturelle l'affuble.Si les avocats de l'industrie culturelle opposent ce que nous venonsde dire, qu'elle ne prtend pas l'art, alors c'est encore une fois del'idologie. Aucune infamie ne s'amende parce qu'elle se dclare telle.Mme le plus pitre film grand spectacle ou l'eau de rose se prsenteobjectivement selon sa propre apparence comme s'il tait une uvred'art. Il faut le confronter avec cette prtention et non avec la mauvaiseintention de ceux qui en sont responsables.Se rfrer l'ordre tout court sans la dtermination concrte de celui-ci,faire appel la diffusion des normes sans que celles-ci soient tenues de16.

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    L'industrie culturellese justifier concrtement ou devant la conscience, n'a pas de valeur. Unordre objectivement valable qu'on veut faire accepter aux hommes parcequ'ils en sont privs, n'a aucun droit, s'il ne le fonde pas en lui-mme etvis--vis des hommes, et c'est prcisment cela que refuse tout produitauthentique de l'industrie culturelle. Les ides d'ordre qu'elle inculquesont toujours celle de statu-quo. Elles sont des a priori accepts sansobjection, sans analyse, en renonant la dialectique, mme si ellesn'appartiennent substantiellement aucun de ceux qui les subissent.L'impratif catgorique de l'industrie culturelle, la diffrence de celuide Kant, n'a plus rien de commun avec la libert. Il dit : tu dois te soumettre sans prciser ce quoi il faut se soumettre ; te soumettre cequi de toute faon est, et ce que tous pensent de toute faon ; te soumettre comme par rflexe la puissance et l'omniprsence de ce qui est.Par la vertu de l'idologie de l'industrie culturelle, le conformisme sesubstitue l'autonomie et la conscience : jamais l'ordre qui en ressortn'est confront avec ce qu'elle prtend tre ou avec les rels intrts deshommes. Mais l'ordre n'est pas en soi quelque chose de bon. Ne le seraitqu'un ordre digne de ce nom. Que l'industrie culturelle ne s'en soucigure, qu'elle vante l'ordre in abstracto, atteste seulement l'impuissanceet le non-fond des contenus qu'elle transmet. Tout en prtendant trele guide des dsempars et en leur prsentant de faon trompeuse desconflits qu'ils doivent confondre avec les leurs, l'industrie culturelle nersoud ces conflits qu'en apparence, comme il leur serait impossible delas rsoudre dans leur propre vie. Dans les productions de cette industrie,bs hommes entrent en difficults seule fin d'en sortir sans dommage,et dans la plupart des cas l'aide des agents de la collectivit infinimentbonne, pour adhrer, dans une vaine harmonie cette gnralit dontils ont d tout d'abord reconnatre que les exigences taient incompatiblesvec la particularit, c'est--dire avec leurs propres intrts. Pource faire l'industrie culturelle a labor des schmas qui englobent mmedes domaines aconceptuels comme la musique lgre o l'on tombe aussidans le jam, c'est--dire dans des problmes, qui sont comme des embouteillages, des problmes qui avec le triomphe du temps fort, en quelquesorte avec le feu vert , se dmlent.

    Cependant mme les dfenseurs ne contrediront gure Platon, lorsqu'il dit que ce qui est objectivement, en soi, faux, ne peut tre subjectivement, pour les hommes, vrai et bon. Ce que l'industrie culturellelucubre ne sont ni des rgles pour une vie heureuse, ni un nouveaupome moral, mais des exhortations la conformit ce qui a derrire .soi les plus gros intrts. Le consentement dont elle fait la rclame renforce l'autorit aveugle et impntre. Mais si l'on mesure effectivement,conformment un standard rel, l'industrie culturelle non pas par rapport sa substantialit et sa logique, mais par rapport son effet,donc si on lui accorde ce dont elle se rclame toujours, il faut prendrel'entire mesure de tous les dveloppements impliqus dans cet effet :17

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    Theodor W. Adornol'encouragement et l'exploitation de la faiblesse du moi, laquelle lasocit actuelle, avec sa concentration du pouvoir, condamne de toutemanire ses membres. Leur conscience subit de nouvelles transformationsrgressives. Ce n'est pas pour rien que l'on peut entendre en Amriquede la bouche de producteurs cyniques que leurs films doivent tenir comptedu niveau intellectuel d'un enfant de onze ans. Ce faisant, ils se sententtoujours plus incits faire d'un adulte un enfant de onze ans.Certes, on ne pourra pas par une tude exacte prouver avec certitudel'effet rgressif dans chaque produit de l'industrie culturelle. Mais lagoutte d'eau finit par creuser la pierre, en particulier parce que le systme de l'industrie culturelle traque les masses, ne permet gure d'vasion t impose sans cesse les schmas de leur comportement. C'est seuleleur mfiance profondment inconsciente, le dernier reste dans leur espritde la diffrence de l'art et de la ralit empirique, qui explique que lesmasses ne voient pas et depuis longtemps dj n'acceptent pas tout fait le monde, tel que l'industrie culturelle l'a prpar leur intention.Les messages de l'industrie culturelle fussent-ils aussi inoffensifs qu'onle dit et d'innombrables fois ils le sont aussi peu que par exemple lesfilms qui par leur seule manire de caractriser des personnes font chorus avec la chasse aux intellectuels, aujourd'hui en vogue : l'attitudeque produit l'industrie culturelle est tout autre chose qu'inoffensive.Dpendance et servitude des hommes, vise dernire de l'industrieculturelle, ne pourraient gure tre plus fidlement caractrises que parce sujet d'un psychologue amricain, qui pensait que les dtresses destemps prsents prendraient fin, si les gens voulaient seulement s'alignersur des personnalits marquantes. La compensation que l'industrie culturelle offre aux hommes en veillant le sentiment confortable que lemonde se trouve dans cet ordre o elle les englue, les frustre de ce bonheur qu'elle prsente trompeusement. L'effet d'ensemble de l'industrieculturelle est celui d'une anti-dmystification, celui d'une anti-Aufkla-rung ; dans l'industrie culturelle, comme Horkheimer et moi l'avons dit,la dmystification, YAufklrung, savoir la domination technique progressive se mue en tromperie des masses, c'est--dire en moyen de garotterla conscience. Elle empche la formation d'individus autonomes, indpendants, capables de juger et de se dcider consciemment. Mais ceux-cisont la condition pralable d'une socit dmocratique qui ne sauraitse sauvegarder et s'panouir qu' travers des hommes hors de tutelle. Sid'en haut l'on diffame tort les masses comme masses, c'est justementsouvent l'industrie culturelle qui les rduit cet tat de masse qu'ellemprise ensuite et qui les empche de s'manciper, ce pourquoi les hommesseraient aussi mrs que le leur permettent les forces de production del'poque. Theodor W. Adorno(Traduit de l'allemand par Institut fur SozialforschungHans Hildenbrand et Alex Lindenberg) Universit de Francfort