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GRANDE CHAMBRE AFFAIRE LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE (Requête n o 46043/14) ARRÊT STRASBOURG 5 juin 2015 Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

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  • GRANDE CHAMBRE

    AFFAIRE LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    (Requte no 46043/14)

    ARRT

    STRASBOURG

    5 juin 2015

    Cet arrt est dfinitif. Il peut subir des retouches de forme.

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 1

    En laffaire Lambert et autres c. France, La Cour europenne des droits de lhomme, sigeant en une Grande

    Chambre compose de :

    Dean Spielmann, prsident,

    Guido Raimondi,

    Mark Villiger,

    Isabelle Berro,

    Khanlar Hajiyev,

    Jn ikuta, George Nicolaou,

    Nona Tsotsoria,

    Vincent A. De Gaetano,

    Angelika Nuberger,

    Linos-Alexandre Sicilianos,

    Erik Mse,

    Andr Potocki,

    Helena Jderblom,

    Ale Pejchal, Valeriu Grico, Egidijus Kris, juges, et de Erik Fribergh, greffier,

    Aprs en avoir dlibr en chambre du conseil les 7 janvier et

    23 avril 2015,

    Rend larrt que voici, adopt cette dernire date :

    PROCDURE

    1. lorigine de laffaire se trouve une requte (no 46043/14) dirige contre la Rpublique franaise et dont quatre ressortissants de cet tat, M. et

    Mme

    Pierre et Viviane Lambert, M. David Philippon et Mme

    Anne Tuarze

    ( les requrants ), ont saisi la Cour le 23 juin 2014 en vertu de larticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales ( la Convention ).

    2. Les requrants ont t reprsents par Me J. Paillot, avocat

    Strasbourg et Me

    J. Triomphe, avocat Paris. Le gouvernement franais

    ( le Gouvernement ) a t reprsent par son agent, M. F. Alabrune,

    directeur des affaires juridiques au ministre des Affaires trangres.

    3. Les requrants allguent en particulier que larrt de lalimentation et de lhydratation artificielles de Vincent Lambert serait contraire aux obligations dcoulant pour ltat de larticle 2 de la Convention, constituerait un mauvais traitement constitutif de torture, au sens de

  • 2 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    larticle 3 de la Convention, ainsi quune atteinte son intgrit physique, au sens de larticle 8 de la Convention.

    4. La requte a t attribue la cinquime section de la Cour

    (article 52 1 du rglement). Le 24 juin 2014, la chambre comptente a

    dcid dappliquer larticle 39 du rglement, de communiquer la requte au Gouvernement et de la traiter par priorit.

    5. Le 4 novembre 2014, une chambre de la cinquime section compose

    de Mark Villiger, prsident, Angelika Nuberger, Botjan M. Zupani, Vincent A. De Gaetano, Andr Potocki, Helena Jderblom, Ale Pejchal, juges, ainsi que de Stephen Phillips, greffier de section, sest dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne sy tant oppose (articles 30 de la Convention et 72 du rglement).

    6. La composition de la Grande Chambre a t arrte conformment

    aux articles 26 4 et 5 de la Convention et 24 du rglement.

    7. Tant les requrants que le Gouvernement ont dpos un mmoire sur

    la recevabilit et sur le fond de laffaire. 8. Des observations ont galement t reues de Rachel Lambert,

    Franois Lambert et Marie-Genevive Lambert, respectivement pouse,

    neveu et demi-sur de Vincent Lambert, de lUnion nationale des associations de familles de traumatiss crniens et de crbro-lss

    (UNAFTC), de lassociation Amrso-Bethel, ainsi que de la Clinique des Droits de lHomme de lInstitut international des Droits de lHomme, que le prsident avait autoriss intervenir dans la procdure crite en tant que

    tierces parties (articles 36 2 de la Convention et 44 3 a) du rglement).

    Rachel Lambert, Franois Lambert et Marie-Genevive Lambert ont

    galement t autoriss intervenir dans la procdure orale.

    9. Une audience sest droule en public au Palais des droits de lhomme, Strasbourg, le 7 janvier 2015 (article 59 3 du rglement).

    Ont comparu :

    pour le Gouvernement M. F. ALABRUNE, directeur des affaires juridiques

    du ministre des Affaires trangres et du Dveloppement

    international, agent,

    Mme

    E. JUNG, rdactrice la sous-direction des droits

    de lhomme du ministre des Affaires trangres et du Dveloppement international,

    M. R. FERAL, rdacteur la sous-direction des droits

    de lhomme du ministre des Affaires trangres et du Dveloppement international,

    Mme

    S. RIDEAU, charge de mission la direction

    des affaires juridiques du ministre des Affaires sociales,

    de la Sant et des Droits des Femmes,

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 3

    Mme

    I. ERNY, conseillre juridique la division

    des droits des usagers, des affaires juridiques

    et thiques du ministre des Affaires sociales,

    de la Sant et des Droits des Femmes,

    Mme

    P. ROUAULT-CHALIER, sous-directrice des affaires

    juridiques gnrales et du contentieux au ministre

    de la Justice,

    Mme

    M. LAMBLING, rdactrice au bureau du droit

    des personnes et de la famille du ministre

    de la Justice conseillers ;

    pour les requrants M

    e J. PAILLOT, avocat,

    Me J. TRIOMPHE, avocat, conseils,

    M. G. PUPPINCK,

    Pr X. DUCROCQ,

    Dr B. JEANBLANC, conseillers ;

    pour Rachel Lambert, tierce-intervenante M

    e L. PETTITI, avocat, conseil,

    Dr OPORTUS,

    Dr SIMON, conseillers ;

    pour Franois et Marie-Genevive Lambert, tiers-intervenants M

    e M. MUNIER-APAIRE, avocat au Conseil dtat et la Cour

    de cassation,

    Me B. LORIT, avocat, conseils.

    Les requrants ( lexception du premier requrant), ainsi que Rachel Lambert, Franois Lambert et Marie-Genevive Lambert, tiers-intervenants,

    taient galement prsents.

    La Cour a entendu en leurs dclarations M. Alabrune, Me

    Paillot,

    Me

    Triomphe, Me

    Munier-Apaire et Me

    Pettiti, ainsi que M. Alabrune et

    Me Paillot en leurs rponses aux questions poses par un juge.

    EN FAIT

    I. LES CIRCONSTANCES DE LESPCE

    10. Les requrants, tous ressortissants franais, sont M. Pierre Lambert

    et son pouse Mme

    Viviane Lambert, ns respectivement en 1929 et 1945 et

    rsidant Reims, M. David Philippon, n en 1971 et rsidant Mourmelon

  • 4 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    et Mme

    Anne Tuarze, ne en 1978 et rsidant Milizac. Ils sont

    respectivement les parents, un demi-frre et une sur de Vincent Lambert, n le 20 septembre 1976.

    11. Victime dun accident de la route le 29 septembre 2008, Vincent Lambert subit un grave traumatisme crnien qui le rendit ttraplgique et

    entirement dpendant. Selon lexpertise mdicale ordonne par le Conseil dtat le 14 fvrier 2014, il est dans un tat vgtatif chronique (paragraphe 40 ci-dessous).

    12. De septembre 2008 mars 2009, il fut hospitalis dans les services

    de ranimation, puis de neurologie du centre hospitalier de

    Chlons-en-Champagne. De mars juin 2009, il fut pris en charge au centre

    hliomarin de Berck-sur-Mer puis, compter du 23 juin 2009, au centre

    hospitalier universitaire (CHU) de Reims, dans lunit des patients en tat pauci-relationnel (unit de soins de suite et de radaptation) o il est

    toujours hospitalis. Cette unit accueille huit patients en tat vgtatif ou

    en tat de conscience minimale. Vincent Lambert bnficie dune hydratation et dune alimentation artificielles par voie entrale, savoir au moyen dune sonde gastrique.

    13. En juillet 2011, il fit lobjet dune valuation dans un service spcialis de luniversit de Lige, le Coma Science Group, qui conclut quil tait dans un tat neurovgtatif chronique qualifi de conscience minimale plus . Conformment aux prconisations du Coma Science

    Group, il bnficia de sances quotidiennes de kinsithrapie entre

    septembre 2011 et fin octobre 2012, qui ne donnrent pas de rsultats, ainsi

    que de 87 sances dorthophonie entre mars et septembre 2012, en vue dtablir un code de communication. Toutefois, aucun code ne put tre tabli. Des essais de mise en fauteuil furent galement raliss.

    A. La premire dcision prise en vertu de la loi du 22 avril 2005

    14. Les soignants de Vincent Lambert ayant cru percevoir en 2012 chez

    lui des signes de plus en plus marqus dopposition aux soins et la toilette, lquipe mdicale engagea au cours des premiers mois de 2013 la procdure collgiale prvue par la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades

    et la fin de vie (paragraphe 54 ci-dessous), en y associant son pouse,

    Rachel Lambert.

    15. Cette procdure aboutit la dcision du Dr Kariger, mdecin en

    charge de Vincent Lambert et chef du service o il est hospitalis, darrter sa nutrition et de rduire son hydratation. Cette dcision fut mise en uvre le 10 avril 2013.

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 5

    B. Lordonnance de rfr du 11 mai 2013

    16. Le 9 mai 2013, les requrants saisirent le juge des rfrs du tribunal

    administratif de Chlons-en-Champagne dune action fonde sur larticle L. 521-2 du code de justice administrative (rfr libert) visant enjoindre sous astreinte au centre hospitalier de rtablir lalimentation et lhydratation normales de Vincent Lambert et de lui prodiguer les ventuels soins ncessits par son tat.

    17. Par ordonnance du 11 mai 2013, le juge des rfrs fit droit leurs

    demandes. Le juge considra que, faute de directives anticipes de Vincent

    Lambert et en labsence dune personne de confiance conformment aux dispositions pertinentes du code de la sant publique, la procdure collgiale

    devait tre poursuivie avec sa famille, quand bien mme elle tait divise

    sur son devenir. Le juge releva que, si lpouse de Vincent Lambert avait t associe cette procdure, il ressortait de linstruction que ses parents navaient pas t informs de sa mise en uvre, et que la dcision darrter lalimentation et de limiter lhydratation, dont ils ne connaissaient ni la nature ni les motifs, ne respectait pas leurs souhaits.

    18. Le juge estima en consquence que ces manquements procduraux

    caractrisaient une atteinte grave et manifestement illgale une libert

    fondamentale, savoir le droit au respect de la vie, et enjoignit au centre

    hospitalier de rtablir lalimentation et lhydratation normales de Vincent Lambert et de lui prodiguer les soins ncessaires son tat de sant.

    C. La seconde dcision prise en vertu de la loi du 22 avril 2005

    19. compter de septembre 2013, une nouvelle procdure collgiale fut

    engage. Le Dr Kariger consulta six mdecins, dont trois mdecins

    extrieurs ltablissement (un neurologue, une cardiologue et un anesthsiste ayant une exprience de mdecine palliative), choisis

    respectivement par les parents, lpouse de Vincent Lambert et lquipe mdicale. Il prit galement connaissance dune contribution crite dun mdecin responsable dun service comprenant une unit de vie spcialise dans une maison de sant.

    20. Par ailleurs, il runit deux conseils de familles les 27 septembre et

    16 novembre 2013, comprenant lpouse, les parents et les huit frres et surs de Vincent Lambert. Rachel Lambert et six des huit frres et surs se prononcrent pour linterruption de son alimentation et de son hydratation artificielles, tandis que les requrants se prononcrent pour son maintien.

    21. Le 9 dcembre 2013, le Dr Kariger runit lensemble des mdecins,

    ainsi que la presque totalit de lquipe soignante. lissue de cette runion, le D

    r Kariger et cinq des six mdecins consults se dclarrent

    favorables larrt du traitement.

  • 6 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    22. Au terme de cette consultation, le Dr Kariger annona le

    11 janvier 2014 son intention dinterrompre la nutrition et lhydratation artificielles compter du 13 janvier, sous rserve dune saisine du tribunal administratif. Sa dcision, un rapport motiv de treize pages dont une

    synthse de sept pages fut lue la famille, constatait notamment que la

    situation de Vincent Lambert se caractrisait par la nature irrversible de ses

    lsions crbrales, que le traitement apparaissait inutile, disproportionn et

    nayant dautre effet que le maintien artificiel de la vie et quil tait certain que Vincent Lambert ne souhaitait pas avant son accident vivre dans de

    telles conditions. Le Dr Kariger concluait que la prolongation de sa vie par

    la poursuite de traitements de nutrition et lhydratation artificielles relevait dune obstination draisonnable.

    D. Le jugement du tribunal administratif du 16 janvier 2014

    23. Le 13 janvier 2014, les requrants saisirent le tribunal administratif

    de Chlons-en-Champagne dune nouvelle requte en rfr libert fonde sur larticle L. 521-2 du code de justice administrative, afin que soit interdit au centre hospitalier et au mdecin concern de faire supprimer

    lalimentation et lhydratation de Vincent Lambert et que soit ordonn le transfert immdiat de ce dernier dans une unit de vie spcialise

    Oberhausbergen gre par lassociation Amrso-Bethel (voir paragraphe 8 ci-dessus). Rachel Lambert et Franois Lambert, neveu de Vincent Lambert,

    intervinrent dans la procdure en qualit de tierces parties.

    24. Le tribunal administratif, sigeant en formation plnire de neuf

    juges, tint son audience le 15 janvier 2014. Par jugement du 16 janvier

    2014, il suspendit lexcution de la dcision du Dr Kariger du 11 janvier 2014.

    25. Le tribunal affirma tout dabord que larticle 2 de la Convention ne sopposait pas ce quun tat rglemente la possibilit pour un individu de sopposer un traitement qui pourrait avoir pour effet de prolonger sa vie, ou un mdecin en charge dun patient hors dtat dexprimer sa volont et dont il estimait, aprs avoir mis en uvre un ensemble de garanties, que le traitement qui lui tait administr consistait en une obstination

    draisonnable, de mettre fin ce traitement, sous le contrle du conseil de

    lordre des mdecins, du comit dthique du centre hospitalier, le cas chant, ainsi que du juge administratif et du juge pnal.

    26. Le tribunal estima ensuite quil rsultait des dispositions pertinentes du code de la sant publique, telles quissues de la loi du 22 avril 2005 et claires par les travaux parlementaires, que lalimentation et lhydratation artificielles par voie entrale, qui empruntent aux mdicaments le monopole

    de distribution des pharmacies, ont pour objet dapporter des nutriments spcifiques aux patients dont les fonctions sont altres et ncessitent le

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 7

    recours des techniques invasives en vue de leur administration, constituent

    des traitements.

    27. Observant que la dcision du Dr Kariger tait fonde sur la volont

    quaurait exprime Vincent Lambert de ne pas tre maintenu en vie dans un tat de grande dpendance et quil navait ni rdig de directives anticipes, ni dsign de personne de confiance, le tribunal considra que la position

    quil avait exprime devant son pouse et lun de ses frres manait dune personne valide qui ntait pas confronte aux consquences immdiates de son souhait et ne se trouvait pas dans le contexte dune manifestation formelle dune volont expresse, quelle quait t sa connaissance professionnelle de patients dans une telle situation. Le tribunal estima par

    ailleurs que le fait que Vincent Lambert ait eu des relations conflictuelles

    avec ses parents, dont il ne partageait pas les valeurs morales ou les

    engagements religieux, ne permettait pas de le regarder comme ayant

    manifest une volont certaine de refuser tout traitement, et quil ne pouvait pas tre dduit de ses manifestations dopposition aux soins une volont univoque quant sa volont de rester ou non en vie. Le tribunal conclut que

    le Dr

    Kariger avait apprci de manire errone la volont de Vincent

    Lambert.

    28. Par ailleurs, le tribunal releva que, selon le rapport tabli en 2011 par

    le centre hospitalier universitaire de Lige (voir paragraphe 13 ci-dessus),

    Vincent Lambert tait dans un tat pauci-relationnel impliquant la

    persistance dune perception motionnelle et lexistence de possibles ractions son environnement et que, ds lors, lalimentation et lhydratation artificielles navaient pas pour objet de le maintenir artificiellement en vie. Enfin, le tribunal estima quen labsence de contraintes ou souffrances engendre par le traitement, celui-ci ne pouvait

    tre qualifi dinutile ou disproportionn. Il conclut donc que la dcision du D

    r Kariger constituait une atteinte grave et manifestement illgale au droit

    la vie de Vincent Lambert, ordonna la suspension de son excution et rejeta

    par ailleurs la demande visant le transfrer dans une unit de vie

    spcialise Oberhausbergen.

    E. La dcision du Conseil dtat du 14 fvrier 2014

    29. Par trois requtes du 31 janvier 2014, Rachel Lambert,

    Franois Lambert et le centre hospitalier firent appel de ce jugement devant

    le juge des rfrs du Conseil dtat. Les requrants formrent un appel incident, en demandant le transfert immdiat de Vincent Lambert dans

    lunit de vie spcialise. LUnion nationale des associations de familles de traumatiss crniens et de crbro-lss (UNAFTC, voir paragraphe 8

    ci-dessus) forma une demande de tierce intervention.

  • 8 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    30. laudience de rfr du 6 fvrier 2014, le prsident de la section du contentieux du Conseil dtat dcida de renvoyer laffaire devant la formation plnire de dix-sept membres, lassemble du contentieux.

    31. Laudience eut lieu le 13 fvrier 2014. Dans ses conclusions devant le Conseil dtat, le rapporteur public cita notamment les propos tenus par le ministre de la sant aux snateurs qui examinaient le projet de loi dite

    Leonetti :

    Si le geste darrter un traitement (...) entrane la mort, lintention du geste [nest pas de tuer : elle est] de restituer la mort son caractre naturel et de soulager. Cest particulirement important pour les soignants, dont le rle nest pas de donner la mort.

    32. Le Conseil dtat rendit sa dcision le 14 fvrier 2014. Aprs avoir joint les requtes et admis lintervention de lUNAFTC, le Conseil dtat prcisa dans les termes suivants loffice du juge des rfrs appel statuer sur le fondement de larticle L. 521-2 du code de justice administrative :

    Considrant quen vertu [de larticle L. 521-2], le juge administratif des rfrs, saisi dune demande en ce sens justifie par une urgence particulire, peut ordonner toutes mesures ncessaires la sauvegarde dune libert fondamentale laquelle une autorit administrative aurait port une atteinte grave et manifestement illgale ; que

    ces dispositions lgislatives confrent au juge des rfrs, qui se prononce en principe

    seul et qui statue, en vertu de larticle L. 511-1 du code de justice administrative, par des mesures qui prsentent un caractre provisoire, le pouvoir de prendre, dans les

    dlais les plus brefs et au regard de critres dvidence, les mesures de sauvegarde ncessaires la protection des liberts fondamentales ;

    Considrant toutefois quil appartient au juge des rfrs dexercer ses pouvoirs de manire particulire, lorsquil est saisi sur le fondement de larticle L. 521-2 (...) dune dcision, prise par un mdecin sur le fondement du code de la sant publique et conduisant interrompre ou ne pas entreprendre un traitement au motif que ce

    dernier traduirait une obstination draisonnable et que lexcution de cette dcision porterait de manire irrversible une atteinte la vie ; quil doit alors, le cas chant en formation collgiale, prendre les mesures de sauvegarde ncessaires pour faire

    obstacle son excution lorsque cette dcision pourrait ne pas relever des hypothses

    prvues par la loi, en procdant la conciliation des liberts fondamentales en cause

    que sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir un traitement

    mdical et de ne pas subir un traitement qui serait le rsultat dune obstination draisonnable ; que, dans cette hypothse, le juge des rfrs ou la formation

    collgiale laquelle il a renvoy laffaire peut, le cas chant, aprs avoir suspendu titre provisoire lexcution de la mesure et avant de statuer sur la requte dont il est saisi, prescrire une expertise mdicale et solliciter, en application de larticle R. 625-3 du code de justice administrative, lavis de toute personne dont la comptence ou les connaissances sont de nature clairer utilement la juridiction.

    33. Le Conseil dtat affirma quil rsultait des termes mmes des articles pertinents du code de la sant publique (articles L. 1110-5,

    L. 1111-4 et R. 4127-37) et des travaux parlementaires que ces dispositions

    taient de porte gnrale et sappliquaient Vincent Lambert comme tous les usagers du systme de sant, en prcisant ce qui suit :

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 9

    Considrant quil rsulte de ces dispositions que toute personne doit recevoir les soins les plus appropris son tat de sant, sans que les actes de prvention,

    dinvestigation et de soins qui sont pratiqus lui fassent courir des risques disproportionns par rapport au bnfice escompt ; que ces actes ne doivent toutefois

    pas tre poursuivis par une obstination draisonnable et quils peuvent tre suspendus ou ne pas tre entrepris lorsquils apparaissent inutiles ou disproportionns ou nayant dautre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que la personne malade soit ou non en fin de vie ; que lorsque celle-ci est hors dtat dexprimer sa volont, la dcision de limiter ou darrter un traitement au motif que sa poursuite traduirait une obstination draisonnable ne peut, sagissant dune mesure susceptible de mettre en danger la vie du patient, tre prise par le mdecin que dans le respect de la procdure

    collgiale dfinie par le code de dontologie mdicale et des rgles de consultation

    fixes par le code de la sant publique ; quil appartient au mdecin, sil prend une telle dcision, de sauvegarder en tout tat de cause la dignit du patient et de lui

    dispenser des soins palliatifs ;

    Considrant, dautre part, quil rsulte des dispositions des articles L. 1110-5 et L. 1110-4 du code de la sant publique, claires par les travaux parlementaires

    pralables ladoption de la loi du 22 avril 2005, que le lgislateur a entendu inclure au nombre des traitements susceptibles dtre limits ou arrts, au motif dune obstination draisonnable, lensemble des actes qui tendent assurer de faon artificielle le maintien des fonctions vitales du patient ; que lalimentation et lhydratation artificielles relvent de ces actes et sont, par suite, susceptibles dtre arrtes lorsque leur poursuite traduirait une obstination draisonnable.

    34. Le Conseil dtat considra ensuite quil lui incombait de sassurer, au vu de lensemble des circonstances de laffaire, quavaient t respectes les conditions mises par la loi pour que puisse tre prise une dcision

    mettant fin un traitement dont la poursuite traduirait une obstination

    draisonnable et quil devait disposer cette fin des informations les plus compltes, notamment sur ltat de sant de Vincent Lambert. Il estima en consquence ncessaire, avant de statuer sur la requte, dordonner une expertise mdicale confie des praticiens disposant de comptences

    reconnues en neurosciences, aux fins de se prononcer, de faon

    indpendante et collgiale, aprs avoir examin le patient, rencontr

    lquipe mdicale et le personnel soignant et pris connaissance de lensemble de son dossier mdical, sur ltat actuel de Vincent Lambert et de donner au Conseil dtat toutes indications utiles sur ses perspectives dvolution.

    35. Le Conseil dtat dcida que lexpertise serait confie un collge de trois mdecins dsigns par le prsident de la section du contentieux sur

    proposition respectivement des prsidents de lAcadmie nationale de mdecine, du Comit consultatif national dthique et du Conseil national de lordre des mdecins, avec la mission suivante, remplir dans un dlai de deux mois compter de sa constitution :

    - de dcrire ltat clinique actuel de M. Lambert et son volution depuis le bilan effectu en juillet 2011 par le Coma Science Group du centre hospitalier universitaire

    de Lige ;

  • 10 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    - de se prononcer sur le caractre irrversible des lsions crbrales de M. Lambert

    et sur le pronostic clinique ;

    - de dterminer si ce patient est en mesure de communiquer, de quelque manire que

    ce soit, avec son entourage ;

    - dapprcier sil existe des signes permettant de penser aujourdhui que M. Lambert ragit aux soins qui lui sont prodigus et, dans laffirmative, si ces ractions peuvent tre interprtes comme un rejet de ces soins, une souffrance, le souhait que soit mis

    fin au traitement qui le maintient en vie ou comme tmoignant, au contraire, du

    souhait que ce traitement soit prolong.

    36. Par ailleurs, le Conseil dtat estima ncessaire, vu lampleur et la difficult des questions dordre scientifique, thique et dontologique qui se posaient loccasion de lexamen de laffaire, dinviter, en application de larticle R. 625-3 du code de justice administrative, lAcadmie nationale de mdecine, le Comit consultatif national dthique et le Conseil national de lordre des mdecins ainsi que M. Jean Leonetti, rapporteur de la loi du 22 avril 2005, lui prsenter avant la fin du mois davril 2014 des observations crites dordre gnral de nature lclairer utilement sur lapplication des notions dobstination draisonnable et de maintien artificiel de la vie au sens de larticle L. 1110-5 prcit, en particulier au regard des personnes qui sont, comme Vincent Lambert, dans un tat

    pauci-relationnel.

    37. Enfin, le Conseil dtat rejeta la demande des requrants visant son transfert dans une unit de vie spcialise (paragraphe 29 ci-dessus).

    F. Lexpertise mdicale et les observations gnrales

    1. Lexpertise mdicale

    38. Les experts examinrent Vincent Lambert neuf reprises. Ils prirent

    connaissance de la totalit du dossier mdical, incluant notamment le

    rapport du Coma Science Group de Lige (voir paragraphe 13 ci-dessus), du

    dossier de soins, du dossier administratif et eurent accs tous les examens

    dimagerie. Ils consultrent galement toutes les pices du dossier contentieux utiles pour lexpertise. Par ailleurs, ils rencontrrent entre le 24 mars et le 23 avril 2014 toutes les parties (famille, quipe mdicale et

    soignante, mdecins conseils et reprsentants de lUNAFTC et du centre hospitalier) et effecturent sur Vincent Lambert une srie dexamens.

    39. Le 5 mai 2014, les experts adressrent aux parties leur pr-rapport en

    vue de recueillir leurs observations. Leur rapport dfinitif, dpos le

    26 mai 2014, donna les rponses suivantes aux questions poses par le

    Conseil dtat.

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 11

    a) Sur ltat clinique de Vincent Lambert et son volution

    40. Les experts indiqurent que ltat clinique de Vincent Lambert correspondait un tat vgtatif, sans aucun signe en faveur dun tat de conscience minimale. Par ailleurs, ils soulignrent quil prsentait des troubles de la dglutition et une atteinte motrice trs svre des quatre

    membres avec dimportantes rtractions tendineuses. Ils notrent que son tat de conscience stait dgrad depuis lvaluation faite Lige en 2011.

    b) Sur le caractre irrversible des lsions crbrales et sur le pronostic

    clinique

    41. Les experts rappelrent que les deux principaux lments prendre

    en compte pour apprcier le caractre rversible ou non de lsions

    crbrales sont, dune part, le dlai coul depuis la survenue de laccident qui les a provoques et, dautre part, la nature mme des lsions. En lespce, ils notrent que cinq ans et demi staient couls depuis le traumatisme crnien initial et que les examens dimagerie avaient montr une atrophie crbrale majeure tmoignant dune perte neuronale dfinitive, une destruction quasi-complte de rgions stratgiques telles que les deux

    thalamus et de la partie haute du tronc crbral, et une atteinte svre des

    voies de communication crbrales. Ils conclurent que les lsions crbrales

    taient irrversibles. Par ailleurs, ils indiqurent que la longue dure

    dvolution, la dgradation clinique depuis juillet 2011, ltat vgtatif actuel, la nature destructrice et ltendue des lsions crbrales, les rsultats fonctionnels, joints la svrit de latteinte motrice des quatre membres, constituaient autant dlments en faveur dun mauvais pronostic clinique.

    c) Sur la capacit de Vincent Lambert communiquer avec son entourage

    42. Au vu des examens effectus, et tenant compte notamment de ce que

    le protocole de rducation orthophonique suivi en 2012 ntait pas parvenu tablir un code de communication, les experts conclurent que Vincent

    Lambert ntait pas en mesure dtablir une communication fonctionnelle avec son entourage.

    d) Sur lexistence de signes permettant de penser que Vincent Lambert ragit aux soins prodigus et sur leur interprtation

    43. Les experts constatrent que Vincent Lambert ragissait aux soins ou

    stimulations douloureuses, mais conclurent quil sagissait de rponses non conscientes. Ils estimrent quil ntait pas possible de les interprter comme un vcu conscient de souffrance ou comme lexpression dune intention ou dun souhait lgard de larrt ou de la prolongation du traitement.

  • 12 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    2. Les observations gnrales

    44. Les 22 et 29 avril et le 5 mai 2014, le Conseil dtat reut les observations gnrales du Conseil national de lordre des mdecins, de M. Jean Leonetti, rapporteur de la loi du 22 avril 2005, de lAcadmie nationale de mdecine et du Comit consultatif national dthique.

    Le Conseil national de lordre des mdecins prcisa notamment que, par les termes de seul maintien artificiel de la vie larticle L. 1110-5 du code de la sant publique, le lgislateur visait la situation des personnes

    chez lesquelles, non seulement le maintien de la vie nest assur que par le recours des moyens et techniques de substitution de fonctions vitales

    essentielles, mais aussi et surtout, chez lesquelles on constate une altration

    profonde et irrversible des fonctions cognitives et relationnelles. Il mit en

    exergue limportance de la notion de temporalit, en soulignant quen prsence dun tat pathologique devenu chronique, entranant une dtrioration physiologique de la personne et une perte de ses facults

    cognitives et relationnelles, lobstination pourrait tre considre comme draisonnable ds lors quaucun signe damlioration napparatrait.

    M. Leonetti souligna que la loi sappliquait des patients crbro-lss, et donc atteints dune maladie grave et incurable dans un tat avanc de leur maladie, mais qui ntaient pas obligatoirement en fin de vie , ce qui avait amen le lgislateur intituler la loi droits des malades et fin de

    vie et non pas droits des malades en fin de vie . Il prcisa les critres de

    lobstination draisonnable ainsi que ses lments dvaluation et indiqua que la formulation de traitement nayant dautre effet que le seul maintien artificiel de la vie , plus stricte que celle initialement envisage de

    traitement qui prolonge artificiellement la vie , tait plus restrictive et

    faisait rfrence au maintien artificiel de la vie au sens purement

    biologique, avec la double caractristique quil sagit dun patient prsentant des lsions crbrales majeures et irrversibles et que son tat ne prsente

    plus de possibilit de conscience de soi et de vie relationnelle . Il indiqua

    que la loi faisait porter la responsabilit de la dcision darrt de traitement au seul mdecin et navait pas voulu transfrer cette responsabilit la famille, pour viter tout sentiment de culpabilit et pour que la personne qui

    a pris la dcision soit identifie.

    LAcadmie nationale de mdecine rappela linterdit fondamental pour le mdecin de donner dlibrment la mort autrui, qui est la base de la

    relation de confiance entre le patient et le mdecin. LAcadmie se rfra lanalyse quelle faisait de longue date selon laquelle la loi du 22 avril 2005 sappliquait non seulement aux diverses situations de fin de vie , mais aux situations posant le trs difficile questionnement thique darrt de vie dun patient en survie , en tat de conscience minimale ou tat vgtatif chronique.

    Le Comit consultatif national dthique examina de faon approfondie les difficults poses par les notions dobstination draisonnable, de

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 13

    traitements, de maintien artificiel de la vie, rappela les donnes mdicales

    sur ltat pauci-relationnel ou tat de conscience minimale et exposa le questionnement thique relatif de telles situations. Il prconisa notamment

    quune rflexion soit engage pour que le processus de dlibration collective puisse aboutir un vritable processus de dcision collective et

    quen cas dabsence de consensus il puisse tre fait recours une possibilit de mdiation.

    G. La dcision du Conseil dtat du 24 juin 2014

    45. Laudience eut lieu le 20 juin 2014 devant le Conseil dtat. Dans ses conclusions, le rapporteur public souligna notamment ce qui suit :

    (...) ceux dont la vocation [est] de soigner, le lgislateur [na] pas voulu imposer de franchir le foss existant entre laisser la mort faire son uvre, lorsque plus rien ne peut lempcher, et celui de linfliger directement par ladministration dun produit ltal. En interrompant un traitement, le mdecin ne tue pas, il se rsout se retirer lorsquil ny a plus rien faire.

    Le Conseil dtat rendit sa dcision le 24 juin 2014. Aprs avoir admis lintervention en qualit de tierce partie de Marie-Genevive Lambert, demi-sur de Vincent Lambert, et rappel les dispositions de droit interne applicables, telles que commentes et claires par les observations

    gnrales reues, le Conseil dtat examina successivement les arguments des requrants fonds sur la Convention et sur le droit interne.

    46. Sur le premier point, le Conseil dtat ritra que lorsque le juge des rfrs tait saisi sur le fondement de larticle L. 521-2 du code de justice administrative (rfr libert) dune dcision prise par un mdecin en application du code de la sant publique, conduisant interrompre ou ne pas

    entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination

    draisonnable et que lexcution de cette dcision porterait dune manire irrversible une atteinte la vie, il lui appartenait dexaminer un moyen tir de lincompatibilit des dispositions en cause avec la Convention (paragraphe 32 ci-dessus).

    47. En lespce, le Conseil dtat rpondit dans les termes suivants aux arguments fonds sur les articles 2 et 8 de la Convention :

    Considrant, dune part, que les dispositions contestes du code de la sant publique ont dfini un cadre juridique raffirmant le droit de toute personne de

    recevoir les soins les plus appropris, le droit de voir respecte sa volont de refuser

    tout traitement et le droit de ne pas subir un traitement mdical qui traduirait une

    obstination draisonnable ; que ces dispositions ne permettent un mdecin de

    prendre, lgard dune personne hors dtat dexprimer sa volont, une dcision de limitation ou darrt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger que sous la double et stricte condition que la poursuite de ce traitement traduise une obstination

    draisonnable et que soient respectes les garanties tenant la prise en compte des

    souhaits ventuellement exprims par le patient, la consultation dau moins un autre mdecin et de lquipe soignante et la consultation de la personne de confiance, de

  • 14 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    la famille ou dun proche ; quune telle dcision du mdecin est susceptible de faire lobjet dun recours devant une juridiction pour sassurer que les conditions fixes par la loi ont t remplies ;

    Considrant ainsi que, prises dans leur ensemble, eu gard leur objet et aux

    conditions dans lesquelles elles doivent tre mises en uvre, les dispositions contestes du code de la sant publique ne peuvent tre regardes comme

    incompatibles avec les stipulations de larticle 2 de la Convention (...), ainsi quavec celles de son article 8 (...)

    Le Conseil dtat rejeta par ailleurs les moyens des requrants fonds sur les articles 6 et 7 de la Convention, en retenant que le rle confi au

    mdecin par les dispositions du code de la sant publique ntait pas incompatible avec lobligation dimpartialit rsultant de larticle 6 prcit et que larticle 7, qui sapplique aux condamnations pnales, ne pouvait tre utilement invoqu en lespce.

    48. Sur lapplication des dispositions pertinentes du code de la sant publique, le Conseil dtat nona ce qui suit :

    Considrant que, si lalimentation et lhydratation artificielles sont au nombre des traitements susceptibles dtre arrts lorsque leur poursuite traduirait une obstination draisonnable, la seule circonstance quune personne soit dans un tat irrversible dinconscience ou, plus forte raison, de perte dautonomie la rendant tributaire dun tel mode dalimentation et dhydratation ne saurait caractriser, par elle-mme, une situation dans laquelle la poursuite du traitement apparatrait injustifie au nom du

    refus de lobstination draisonnable ;

    Considrant que, pour apprcier si les conditions dun arrt dalimentation et dhydratation artificielles sont runies sagissant dun patient victime de lsions crbrales graves, quelle quen soit lorigine, qui se trouve dans un tat vgtatif ou dans un tat de conscience minimale le mettant hors dtat dexprimer sa volont et dont le maintien en vie dpend de ce mode dalimentation et dhydratation, le mdecin en charge doit se fonder sur un ensemble dlments, mdicaux et non mdicaux, dont le poids respectif ne peut tre prdtermin et dpend des circonstances particulires

    chaque patient, le conduisant apprhender chaque situation dans sa singularit ;

    quoutre les lments mdicaux, qui doivent couvrir une priode suffisamment longue, tre analyss collgialement et porter notamment sur ltat du patient, sur lvolution de son tat depuis la survenance de laccident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique, le mdecin doit accorder une importance toute

    particulire la volont que le patient peut avoir, le cas chant, antrieurement

    exprime, quels quen soient la forme et le sens ; qu cet gard, dans lhypothse o cette volont demeurerait inconnue, elle ne peut tre prsume comme consistant en

    un refus du patient dtre maintenu en vie dans les conditions prsentes ; que le mdecin doit galement prendre en compte les avis de la personne de confiance, dans

    le cas o elle a t dsigne par le patient, des membres de sa famille ou, dfaut, de

    lun de ses proches, en sefforant de dgager une position consensuelle ; quil doit, dans lexamen de la situation propre de son patient, tre avant tout guid par le souci de la plus grande bienfaisance son gard (...)

    49. Le Conseil dtat prcisa ensuite quil lui revenait de sassurer, au vu de lensemble des circonstances de laffaire et des lments verss dans le cadre de linstruction contradictoire mene devant lui, en particulier du rapport de lexpertise mdicale, que la dcision prise par le Dr Kariger le

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 15

    11 janvier 2014 avait respect les conditions poses par la loi pour que

    puisse tre prise une dcision mettant fin un traitement dont la poursuite

    traduirait une obstination draisonnable.

    50. cet gard, le Conseil dtat statua comme suit :

    Considrant, en premier lieu, quil rsulte de linstruction que la procdure collgiale mene par le Dr Kariger (...), pralablement lintervention de la dcision du 11 janvier 2014, sest droule conformment aux prescriptions de larticle R. 4127-37 du code de la sant publique et a comport, alors que les dispositions de

    cet article exigent que soit pris lavis dun mdecin et, le cas chant, dun second, la consultation de six mdecins ; que le Dr Kariger ntait pas lgalement tenu de faire participer la runion du 9 dcembre 2013 un second mdecin dsign par les parents

    de M. Lambert, lesquels en avaient dj dsign un premier ; quil ne rsulte pas de linstruction que certains membres du personnel soignant auraient t dlibrment carts de cette runion ; que le Dr Kariger tait en droit de sentretenir avec M. Franois Lambert, neveu du patient ; que les circonstances que le Dr Kariger se

    soit oppos une demande de rcusation et au transfert de M. Lambert dans un autre

    tablissement et quil se soit publiquement exprim ne traduisent pas, eu gard lensemble des circonstances de lespce, de manquement aux obligations quimplique le principe dimpartialit, auquel il a satisfait ; quainsi, contrairement ce qui tait soutenu devant le tribunal administratif de Chlons-en-Champagne, la

    procdure pralable ladoption de la dcision du 11 janvier 2014 na t entache daucune irrgularit ;

    Considrant, en deuxime lieu, quil ressort, dune part, des conclusions des experts que ltat clinique actuel de M. Lambert correspond un tat vgtatif , avec des troubles de la dglutition, une atteinte motrice svre des quatre membres, quelques

    signes de dysfonctionnement du tronc crbral et une autonomie respiratoire

    prserve ; que les rsultats des explorations crbrales structurales et fonctionnelles

    effectues du 7 au 11 avril 2014 (...) sont compatibles avec un tel tat vgtatif et que

    lvolution clinique, marque par la disparition des fluctuations de ltat de conscience de M. Lambert qui avaient t constates lors du bilan effectu en juillet

    2011 au Coma Science Group du centre hospitalier universitaire de Lige, ainsi que

    par lchec des tentatives thrapeutiques actives prconises lors de ce bilan, suggre une dgradation de ltat de conscience depuis cette date ;

    Considrant quil ressort, dautre part, des conclusions du rapport des experts que les explorations crbrales auxquelles il a t procd ont mis en vidence des lsions

    crbrales graves et tendues, se traduisant notamment par une atteinte svre de la

    structure et du mtabolisme de rgions sous-corticales cruciales pour le

    fonctionnement cognitif et par une dsorganisation structurelle majeure des voies

    de communication entre les rgions crbrales impliques dans la conscience ; que

    la svrit de latrophie crbrale et des lsions observes conduisent, avec le dlai de cinq ans et demi coul depuis laccident initial, estimer les lsions crbrales irrversibles ;

    Considrant, en outre, que les experts ont conclu que la longue dure dvolution, la dgradation clinique depuis 2011, ltat vgtatif actuel, la nature destructrice et ltendue des lsions crbrales, les rsultats des tests fonctionnels ainsi que la svrit de latteinte motrice des quatre membres constituaient des lments indicateurs dun mauvais pronostic clinique ;

    Considrant, enfin, que si les experts ont relev que M. Lambert peut ragir aux

    soins qui lui sont prodigus et certaines stimulations, ils ont indiqu que les

    caractristiques de ces ractions suggrent quil sagit de rponses non conscientes et

  • 16 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    nont pas estim possible dinterprter ces ractions comportementales comme tmoignant dun vcu conscient de souffrance ou manifestant une intention ou un souhait concernant larrt ou la poursuite du traitement qui le maintient en vie ;

    Considrant que ces conclusions, auxquelles les experts ont abouti de faon

    unanime, au terme dune analyse quils ont mene de manire collgiale et qui a comport lexamen du patient neuf reprises, des investigations crbrales approfondies, des rencontres avec lquipe mdicale et le personnel soignant en charge de ce dernier ainsi que ltude de lensemble de son dossier, confirment celles qua faites le Dr Kariger quant au caractre irrversible des lsions et au pronostic clinique de M. Lambert ; que les changes qui ont eu lieu dans le cadre de

    linstruction contradictoire devant le Conseil dtat postrieurement au dpt du rapport dexpertise ne sont pas de nature infirmer les conclusions des experts ; que, sil ressort du rapport dexpertise, ainsi quil vient dtre dit, que les ractions de M. Lambert aux soins ne peuvent pas tre interprtes, et ne peuvent ainsi tre

    regardes comme manifestant un souhait concernant larrt du traitement, le Dr Kariger avait indiqu dans la dcision conteste que ces comportements donnaient

    lieu des interprtations varies qui devaient toutes tre considres avec une grande

    rserve et nen a pas fait lun des motifs de sa dcision ;

    Considrant, en troisime lieu, quil rsulte des dispositions du code de la sant publique quil peut tre tenu compte des souhaits dun patient exprims sous une autre forme que celle des directives anticipes ; quil rsulte de linstruction, en particulier du tmoignage de Mme Rachel Lambert, quelle-mme et son mari, tous deux infirmiers, avaient souvent voqu leurs expriences professionnelles respectives

    auprs de patients en ranimation ou de personnes polyhandicapes et qu ces occasions, M. Lambert avait clairement et plusieurs reprises exprim le souhait de

    ne pas tre maintenu artificiellement en vie dans lhypothse o il se trouverait dans un tat de grande dpendance ; que la teneur de ces propos, dats et rapports de faon

    prcise par Mme Rachel Lambert, a t confirme par lun des frres de M. Lambert ; que si ces propos nont pas t tenus en prsence des parents de M. Lambert, ces derniers nallguent pas que leur fils naurait pu les tenir ou aurait fait part de souhaits contraires ; que plusieurs des frres et surs de M. Lambert ont indiqu que ces propos correspondaient la personnalit, lhistoire et aux opinions personnelles de leur frre ; quainsi, le Dr Kariger, en indiquant, dans les motifs de la dcision conteste, sa certitude que M. Lambert ne voulait pas avant son accident vivre dans de

    telles conditions, ne peut tre regard comme ayant procd une interprtation

    inexacte des souhaits manifests par le patient avant son accident ;

    Considrant, en quatrime lieu, que le mdecin en charge est tenu, en vertu des

    dispositions du code de la sant publique, de recueillir lavis de la famille du patient avant toute dcision darrt de traitement ; que le Dr Kariger a satisfait cette obligation en consultant lpouse de M. Lambert, ses parents et ses frres et surs lors des deux runions mentionnes prcdemment ; que si les parents de M. Lambert ainsi

    que certains de ses frres et surs ont exprim un avis oppos linterruption du traitement, lpouse de M. Lambert et ses autres frres et surs se sont dclars favorables larrt du traitement envisag ; que le Dr Kariger a pris en considration ces diffrents avis ; que, dans les circonstances de laffaire, il a pu estimer que le fait que les membres de la famille naient pas eu une opinion unanime quant au sens de la dcision ntait pas de nature faire obstacle sa dcision ;

    Considrant quil rsulte de lensemble des considrations qui prcdent que les diffrentes conditions mises par loi pour que puisse tre prise, par le mdecin en

    charge du patient, une dcision mettant fin un traitement nayant dautre effet que le maintien artificiel de la vie et dont la poursuite traduirait ainsi une obstination

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 17

    draisonnable peuvent tre regardes, dans le cas de M. Vincent Lambert et au vu de

    linstruction contradictoire mene par le Conseil dtat, comme runies ; que la dcision du 11 janvier 2014 du Dr Kariger de mettre fin lalimentation et lhydratation artificielles de M. Vincent Lambert ne peut, en consquence, tre tenue pour illgale.

    51. En consquence, le Conseil dtat, rformant le jugement du tribunal administratif, rejeta les demandes des requrants.

    II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    A. Le code de la sant publique

    52. Selon larticle L. 1110-1 du code de la sant publique (ci-aprs le code), le droit fondamental la protection de la sant doit tre mis en uvre par tous moyens disponibles au bnfice de toute personne.

    Larticle L. 1110-2 du code nonce que la personne malade a droit au respect de sa dignit et larticle L. 1110-9 garantit toute personne dont ltat le requiert le droit daccder des soins palliatifs, dfinis par larticle L. 1110-10 comme des soins actifs et continus visant soulager la douleur, apaiser la souffrance psychique, sauvegarder la dignit de la

    personne malade et soutenir son entourage.

    53. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et la fin de

    vie, dite loi Leonetti du nom de son rapporteur, M. Jean Leonetti (voir

    paragraphe 44 ci-dessus), a modifi un certain nombre darticles du code. Cette loi a t adopte la suite des travaux dune mission parlementaire dinformation prside par M. Leonetti, qui avait pour objectif dapprhender lensemble des questions poses par la fin de vie et denvisager dventuelles modifications lgislatives ou rglementaires. Lors de ses travaux, la mission dinformation a procd laudition de nombreuses personnes ; elle a rendu son rapport le 30 juin 2004. La loi a t

    vote lunanimit lAssemble nationale le 30 novembre 2004 et au Snat le 12 avril 2005.

    La loi nautorise ni leuthanasie, ni le suicide assist. Elle ne permet au mdecin dinterrompre un traitement que si sa poursuite manifeste une obstination draisonnable (autrement dit relve de lacharnement thrapeutique) et selon une procdure rglemente.

    Les articles pertinents du code, dans leur rdaction rsultant de la loi, se

    lisent ainsi :

    Article L. 1110-5

    Toute personne a, compte tenu de son tat de sant et de lurgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropris et

    de bnficier des thrapeutiques dont lefficacit est reconnue et qui garantissent la meilleure scurit sanitaire au regard des connaissances mdicales avres. Les actes

    de prvention, dinvestigation ou de soins ne doivent pas, en ltat des connaissances

  • 18 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    mdicales, lui faire courir de risques disproportionns par rapport au bnfice

    escompt.

    Ces actes ne doivent pas tre poursuivis par une obstination draisonnable.

    Lorsquils apparaissent inutiles, disproportionns ou nayant dautre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent tre suspendus ou ne pas tre entrepris. Dans

    ce cas, le mdecin sauvegarde la dignit du mourant et assure la qualit de sa vie en

    dispensant les soins viss larticle L. 1110-10 (...)

    Toute personne a le droit de recevoir des soins visant soulager sa douleur. Celle-ci

    doit tre en toute circonstance prvenue, value, prise en compte et traite.

    Les professionnels de sant mettent en uvre tous les moyens leur disposition pour assurer chacun une vie digne jusqu la mort (...)

    Article L. 1111-4

    Toute personne prend, avec le professionnel de sant et compte tenu des

    informations et des prconisations quil lui fournit, les dcisions concernant sa sant.

    Le mdecin doit respecter la volont de la personne aprs lavoir informe des consquences de ses choix (...)

    Aucun acte mdical ni aucun traitement ne peut tre pratiqu sans le consentement

    libre et clair de la personne et ce consentement peut tre retir tout moment.

    Lorsque la personne est hors dtat dexprimer sa volont, aucune intervention ou investigation ne peut tre ralise, sauf urgence ou impossibilit, sans que la personne

    de confiance prvue larticle L. 1111-6, ou la famille, ou dfaut, un de ses proches ait t consult.

    Lorsque la personne est hors dtat dexprimer sa volont, la limitation ou larrt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut tre ralis sans avoir

    respect la procdure collgiale dfinie par le code de dontologie mdicale et sans

    que la personne de confiance prvue larticle L. 1111-6 ou la famille ou, dfaut, un de ses proches et, le cas chant, les directives anticipes de la personne, aient t

    consults. La dcision motive de limitation ou darrt de traitement est inscrite dans le dossier mdical (...)

    Article L. 1111-6

    Toute personne majeure peut dsigner une personne de confiance qui peut tre un

    parent, un proche ou le mdecin traitant, et qui sera consulte au cas o elle-mme

    serait hors dtat dexprimer sa volont et de recevoir linformation ncessaire cette fin. Cette dsignation est faite par crit. Elle est rvocable tout moment. Si le malade

    le souhaite, la personne de confiance laccompagne dans ses dmarches et assiste aux entretiens mdicaux afin de laider dans ses dcisions.

    Lors de toute hospitalisation dans un tablissement de sant, il est propos au

    malade de dsigner une personne de confiance dans les conditions prvues lalina prcdent. Cette dsignation est valable pour la dure de lhospitalisation, moins que le malade nen dispose autrement (...)

    Article L. 1111-11

    Toute personne majeure peut rdiger des directives anticipes pour le cas o elle

    serait un jour hors dtat dexprimer sa volont. Ces directives anticipes indiquent les

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 19

    souhaits de la personne relatifs sa fin de vie concernant les conditions de la

    limitation ou larrt de traitement. Elles sont rvocables tout moment.

    condition quelles aient t tablies moins de trois ans avant ltat dinconscience de la personne, le mdecin en tient compte pour toute dcision dinvestigation, dintervention ou de traitement la concernant (...)

    54. La procdure collgiale prvue par le cinquime alina de

    larticle L. 1111-4 du code est prcise larticle R. 4127-37 du code, qui fait partie du code de dontologie mdicale et se lit ainsi :

    I. En toutes circonstances, le mdecin doit sefforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropris son tat et lassister moralement. Il doit sabstenir de toute obstination draisonnable dans les investigations ou la thrapeutique et peut renoncer entreprendre ou poursuivre des traitements qui

    apparaissent inutiles, disproportionns ou qui nont dautre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie.

    II. Dans les cas prvus au cinquime alina de larticle L. 1111-4 et au premier alina de larticle L. 1111-13, la dcision de limiter ou darrter les traitements dispenss ne peut tre prise sans quait t pralablement mise en uvre une procdure collgiale. Le mdecin peut engager la procdure collgiale de sa propre

    initiative. Il est tenu de le faire au vu des directives anticipes du patient prsentes

    par lun des dtenteurs de celles-ci mentionns larticle R. 1111-19 ou la demande de la personne de confiance, de la famille ou, dfaut, de lun des proches. Les dtenteurs des directives anticipes du patient, la personne de confiance, la famille ou,

    le cas chant, lun des proches sont informs, ds quelle a t prise, de la dcision de mettre en uvre la procdure collgiale.

    La dcision de limitation ou darrt de traitement est prise par le mdecin en charge du patient, aprs concertation avec lquipe de soins si elle existe et sur lavis motiv dau moins un mdecin, appel en qualit de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hirarchique entre le mdecin en charge du patient et le consultant. Lavis motiv dun deuxime consultant est demand par ces mdecins si lun deux lestime utile.

    La dcision de limitation ou darrt de traitement prend en compte les souhaits que le patient aurait antrieurement exprims, en particulier dans des directives anticipes,

    sil en a rdig, lavis de la personne de confiance quil aurait dsigne ainsi que celui de la famille ou, dfaut, celui dun de ses proches (...)

    La dcision de limitation ou darrt de traitement est motive. Les avis recueillis, la nature et le sens des concertations qui ont eu lieu au sein de lquipe de soins ainsi que les motifs de la dcision sont inscrits dans le dossier du patient. La personne de

    confiance, si elle a t dsigne, la famille ou, dfaut, lun des proches du patient sont informs de la nature et des motifs de la dcision de limitation ou darrt de traitement.

    III. Lorsquune limitation ou un arrt de traitement a t dcid en application de larticle L. 1110-5 et des articles L. 1111-4 ou L. 1111-13, dans les conditions prvues aux I et II du prsent article, le mdecin, mme si la souffrance du patient ne peut pas

    tre value du fait de son tat crbral, met en uvre les traitements, notamment antalgiques et sdatifs, permettant daccompagner la personne selon les principes et dans les conditions noncs larticle R. 4127-38. Il veille galement ce que lentourage du patient soit inform de la situation et reoive le soutien ncessaire.

  • 20 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    55. Larticle R. 4127-38 du code dispose :

    Le mdecin doit accompagner le mourant jusqu ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropris la qualit dune vie qui prend fin, sauvegarder la dignit du malade et rconforter son entourage.

    Il na pas le droit de provoquer dlibrment la mort.

    B. La proposition de loi du 21 janvier 2015

    56. Deux dputs (MM. Leonetti et Claeys) ont dpos le

    21 janvier 2015 lAssemble nationale une proposition de loi contenant notamment les modifications suivantes la loi du 22 avril 2005 :

    - larticle 2 de la proposition de loi prcise que la nutrition et lhydratation artificielles constituent un traitement ;

    - les directives anticipes seront contraignantes pour le mdecin et

    nauront plus de limite de validit (actuellement leur validit est de trois ans), leur rdaction sera encadre et elles seront plus accessibles. En

    labsence de directives anticipes, le rle de la personne de confiance est prcis (elle exprime la volont du patient et son tmoignage prvaut sur

    tout autre tmoignage) ;

    - la proposition de loi reconnat expressment que toute personne a le

    droit de refuser ou de ne pas subir tout traitement , sans que le mdecin

    insiste pour le poursuivre (rdaction antrieure) ; ce dernier doit nanmoins

    continuer assurer laccompagnement du malade, notamment palliatif ; - le droit de ne pas souffrir est reconnu (le mdecin doit mettre en place

    lensemble des traitements antalgiques et sdatifs pour rpondre la souffrance en phase avance ou terminale, mme sils peuvent avoir comme effet dabrger la vie),

    - le droit une sdation profonde et continue jusquau dcs en phase terminale est galement reconnu : sdation et arrt de traitement (y compris

    hydratation et nutrition artificielles) sont obligatoirement associs. Lorsque

    le patient nest pas en tat dexprimer sa volont, la proposition de loi prvoit que, sous rserve de la prise en compte de la volont du patient et

    selon une procdure collgiale, le mdecin a lobligation de suspendre ou de ne pas entreprendre les traitements qui nont dautre effet que le seul maintien artificiel de la vie (dans la rdaction actuelle, le mdecin peut les

    suspendre). Si ces conditions sont runies, le patient a droit une sdation

    profonde et continue jusquau dcs. La proposition de loi a t adopte le 17 mars 2015 par lAssemble

    nationale et est en cours dexamen au Snat.

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 21

    C. Le code de justice administrative

    57. Larticle L. 521-2 du code de justice administrative, relatif au rfr libert, est ainsi rdig :

    Saisi dune demande en ce sens justifie par lurgence, le juge des rfrs peut ordonner toutes mesures ncessaires la sauvegarde dune libert fondamentale laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit priv charg de

    la gestion dun service public aurait port, dans lexercice dun de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illgale. Le juge des rfrs se prononce dans un dlai

    de quarante-huit heures.

    58. Larticle R. 625-3 du mme code dispose :

    La formation charge de linstruction peut inviter toute personne, dont la comptence ou les connaissances seraient de nature lclairer utilement sur la solution donner un litige, produire des observations dordre gnral sur les points quelle dtermine.

    Lavis est consign par crit. Il est communiqu aux parties (...)

    III. TEXTES DU CONSEIL DE LEUROPE

    A. La Convention dOviedo sur les Droits de lHomme et la biomdecine

    59. La Convention pour la protection des Droits de lHomme et de la dignit de ltre humain lgard des applications de la biologie et de la mdecine (dite Convention dOviedo sur les Droits de lHomme et la biomdecine), adopte en 1997 et entre en vigueur le 1

    er dcembre 1999, a

    t ratifie par vingt-neuf des tats membres du Conseil de lEurope. Ses dispositions pertinentes se lisent ainsi :

    Article 1 - Objet et finalit

    Les Parties la prsente Convention protgent ltre humain dans sa dignit et son identit et garantissent toute personne, sans discrimination, le respect de son

    intgrit et de ses autres droits et liberts fondamentales lgard des applications de la biologie et de la mdecine (...)

    Article 5 Rgle gnrale

    Une intervention dans le domaine de la sant ne peut tre effectue quaprs que la personne concerne y a donn son consentement libre et clair.

    Cette personne reoit pralablement une information adquate quant au but et la

    nature de lintervention ainsi que quant ses consquences et ses risques.

    La personne concerne peut, tout moment, librement retirer son consentement.

  • 22 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    Article 6 Protection des personnes nayant pas la capacit de consentir

    1. Sous rserve des articles 17 et 20, une intervention ne peut tre effectue sur

    une personne nayant pas la capacit de consentir, que pour son bnfice direct.

    (...)

    3. Lorsque, selon la loi, un majeur na pas, en raison dun handicap mental, dune maladie ou pour un motif similaire, la capacit de consentir une intervention,

    celle-ci ne peut tre effectue sans lautorisation de son reprsentant, dune autorit ou dune personne ou instance dsigne par la loi.

    La personne concerne doit dans la mesure du possible tre associe la procdure

    dautorisation.

    4. Le reprsentant, lautorit, la personne ou linstance mentionns aux paragraphes 2 et 3 reoivent, dans les mmes conditions, linformation vise larticle 5.

    5. Lautorisation vise aux paragraphes 2 et 3 peut, tout moment, tre retire dans lintrt de la personne concerne.

    Article 9 Souhaits prcdemment exprims

    Les souhaits prcdemment exprims au sujet dune intervention mdicale par un patient qui, au moment de lintervention, nest pas en tat dexprimer sa volont seront pris en compte.

    B. Le Guide sur le processus dcisionnel relatif aux traitements

    mdicaux dans les situations de fin de vie

    60. Ce guide a t labor par le Comit de biothique du

    Conseil de lEurope, dans le cadre de ses travaux relatifs aux droits des patients et dans le but de faciliter la mise en uvre des principes tablis dans la Convention dOviedo.

    Il a pour objet de proposer des repres pour la mise en uvre du processus dcisionnel relatif aux traitements mdicaux dans les situations de

    fin de vie, de rassembler les rfrences tant normatives quthiques, ainsi que les lments relevant de la bonne pratique mdicale utiles aux

    professionnels de sant confronts la mise en uvre de ce processus dcisionnel et de participer, par les clarifications quil apporte, la rflexion globale sur ce sujet.

    61. Le guide cite comme cadre juridique et thique du processus

    dcisionnel les principes dautonomie (consentement libre, clair et pralable du patient), de bienfaisance et de non-malfaisance, et de justice

    (quit dans laccs aux soins). Le guide prcise que le mdecin ne doit pas mettre en uvre un traitement inutile ou disproportionn au regard des risques et contraintes quil prsente ; il doit dlivrer au patient des traitements proportionns et adapts sa situation. Il a de plus lobligation de prendre soin de lui, de soulager sa souffrance et de laccompagner.

    Les traitements recouvrent les interventions visant amliorer ltat de sant dun patient en agissant sur les causes de la maladie, mais galement

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 23

    celles qui nagissent pas sur ltiologie de la maladie mais sur des symptmes, ou qui rpondent une insuffisance fonctionnelle. Sous la

    rubrique Ce qui fait dbat , le guide expose ce qui suit :

    La question de la limitation, de larrt ou de la non-mise en place de

    lhydratation et de la nutrition artificielles

    La nourriture et la boisson donnes un patient encore en capacit de se nourrir et

    de boire constituent des apports extrieurs relevant des besoins physiologiques quil convient de satisfaire. Elles relvent des soins qui devraient tre apports, sauf en cas

    de refus du patient.

    La nutrition et lhydratation artificielles sont apportes au patient en rponse une indication mdicale et supposent le choix dune procdure et dun dispositif mdical (perfusion, sonde entrale). Dans un certain nombre de pays, la nutrition et

    lhydratation artificielles sont ainsi considres comme des traitements, et sont donc susceptibles dtre limites ou arrtes dans les conditions et selon les garanties prvues pour les limitations et arrts de traitement (refus de traitement exprim par le

    patient, refus de lobstination draisonnable ou dun traitement disproportionn valu par lquipe soignante, et admis dans le cadre dune procdure collective). Les questions poses les concernant sont celle de la volont du patient et celle du caractre

    appropri du traitement dans la situation considre.

    Toutefois, dans dautres pays, il est considr que lhydratation et la nutrition artificielles ne sont pas des traitements susceptibles de faire lobjet dune dcision de limitation ou darrt, mais sont des soins rpondant des besoins essentiels de la personne que lon ne peut arrter moins que le patient, en phase terminale de sa fin de vie, en ait exprim le souhait.

    La question du caractre appropri, au plan mdical, de la nutrition et de

    lhydratation artificielles en phase terminale est elle-mme dbattue. Pour certains, la mise en uvre ou le maintien dune nutrition et dune hydratation artificielles sont considrs comme ncessaires au confort du patient en fin de vie. Pour dautres, le bnfice pour le patient dun recours la nutrition et lhydratation artificielles en phase terminale, compte tenu des recherches dans le domaine des soins palliatifs, ne

    va pas de soi.

    62. Le guide concerne le processus dcisionnel relatif aux traitements

    mdicaux dans les situations de fin de vie (quil sagisse de leur mise en uvre, de leur modification, de leur adaptation, de leur limitation ou de leur arrt). Il ne porte ni sur la question de leuthanasie, ni sur celle du suicide assist, que certaines lgislations nationales autorisent.

    63. Mme si le processus dcisionnel comprend dautres acteurs, le guide souligne que le sujet et acteur principal en est le patient. Lorsque ce

    dernier ne peut pas ou plus participer la dcision, celle-ci est alors prise

    par un tiers, selon des modalits prvues par la lgislation nationale en

    vigueur, mais le patient est nanmoins intgr au processus dcisionnel par

    lintermdiaire des souhaits quil a pu prcdemment exprimer. Le guide en numre les diffrentes modalits : ils peuvent avoir t confis oralement

    un membre de la famille ou un proche, ou une personne de confiance

    dsigne comme telle ; ils peuvent revtir une expression formelle, telles les

  • 24 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    directives anticipes ou testament de vie, ou le mandat donn un tiers,

    parfois appel mandat de protection future.

    64. Parmi les autres acteurs du processus dcisionnel figurent, le cas

    chant, le reprsentant lgal ou mandataire, les membres de la famille et les

    proches, ainsi que les soignants. Le guide souligne que la place du mdecin

    est essentielle, voire prpondrante, en raison de sa capacit apprcier la

    situation de son patient sur le plan mdical. Lorsque le patient nest pas ou plus en mesure dexprimer sa volont, il est celui qui, dans le cadre du processus dcisionnel collectif ayant impliqu lensemble des professionnels de sant concerns, prendra la dcision clinique, guid par

    lintrt suprieur du patient, aprs avoir pris connaissance de lensemble des lments de contexte (consultation de la famille, des proches, de la

    personne de confiance, etc.) et pris en compte les souhaits prcdemment

    exprims lorsquils existent. Dans certains systmes, la dcision est prise par un tiers, mais le mdecin est dans tous les cas le garant de la bonne

    marche du processus dcisionnel.

    65. Le guide ritre que le patient est toujours au centre du processus

    dcisionnel, lequel revt une dimension collective lorsque le patient ne peut

    plus ou ne veut plus y participer directement. Le guide distingue trois

    grandes tapes dans le processus dcisionnel : individuelle (chaque acteur

    construit son argumentation sur la base des informations collectes),

    collective (les diffrents acteurs changent et dbattent entre eux) et

    conclusive (la prise de dcision proprement dite).

    66. Le guide prcise quil est parfois ncessaire, en cas de divergence importante des positions ou de grande complexit ou de spcificit de la

    question pose, de prvoir la consultation de tiers soit pour enrichir le dbat,

    soit pour lever une difficult ou pour rsoudre un conflit. La consultation

    dun comit dthique clinique peut par exemple savrer opportune. Au terme de la dlibration collective, un accord doit tre trouv et une

    conclusion dgage et valide collectivement, puis formalise et transcrite

    par crit.

    67. Si le mdecin prend la dcision, il doit le faire sur la base des

    conclusions de la dlibration collective et lannoncer, le cas chant, au patient, la personne de confiance et/ou lentourage du patient, lquipe soignante et aux tiers concerns qui ont pris part au processus. La dcision

    doit en outre tre formalise (sous la forme dun crit reprenant les motivations) et conserve en un lieu dfini.

    68. Le guide expose, comme point faisant dbat, le recours la sdation

    profonde en phase terminale, qui peut avoir pour effet de raccourcir la dure

    de vie restante. Le guide suggre enfin une valuation du processus

    dcisionnel aprs sa mise en uvre.

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 25

    C. Recommandation du Comit des Ministres

    69. Dans sa Recommandation CM/Rec(2009)11 sur les principes

    concernant les procurations permanentes et les directives anticipes ayant

    trait lincapacit, le Comit des Ministres a recommand aux tats membres dencourager ces pratiques et a dfini un certain nombre de principes pour les aider les rglementer.

    D. Textes de lAssemble Parlementaire

    70. Dans sa Recommandation 1418 (1999) sur la protection des droits de

    lhomme et de la dignit des malades incurables et des mourants, lAssemble recommande au Comit des Ministres dencourager les tats membres respecter et protger la dignit des malades incurables et des

    mourants tous gards, notamment leur droit lautodtermination, en prenant les mesures ncessaires :

    - pour faire respecter leurs instructions ou leur dclaration formelle

    (living will) rejetant certains traitements mdicaux donnes ou faites par

    avance lorsquils sont dsormais incapables dexprimer leur volont, - pour que, sans prjudice de la responsabilit thrapeutique ultime du

    mdecin, les volonts quils ont exprimes en ce qui concerne une forme particulire de traitement soit prise en compte, pour autant quelle ne porte pas atteinte leur dignit dtres humains.

    71. La Rsolution 1859 (2012) de lAssemble, intitule Protger les droits humains et la dignit de la personne en tenant compte des souhaits

    prcdemment exprims par les patients rappelle les principes

    dautonomie personnelle et de consentement, incorpors dans la convention dOviedo (paragraphe 59 ci-dessus), dont il rsulte notamment que nul ne peut tre contraint de subir un traitement mdical contre sa volont. La

    rsolution fixe les lignes directrices respecter par les parlements nationaux

    en matire de directives anticipes, de testaments de vie et de procurations

    permanentes.

    IV. LE DROIT COMPAR

    A. Lgislation et pratique des tats membres du Conseil de lEurope

    72. Selon les renseignements dont la Cour dispose concernant 39 des

    47 tats membres du Conseil de lEurope, il nexiste pas dans la pratique de consensus pour autoriser larrt dun traitement nayant dautre objet que la seule prolongation artificielle de la vie. Dans une majorit dtats, larrt est possible sous certaines conditions. La lgislation dautres tats linterdit ou demeure silencieuse ce sujet.

  • 26 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    73. En ce qui concerne les tats qui lautorisent, cette possibilit est prvue soit par la lgislation, soit par des instruments non contraignants, le

    plus souvent des codes dontologiques des professions mdicales. En Italie,

    en labsence de cadre juridique, larrt du traitement a t reconnu par la jurisprudence.

    74. Bien que les modalits qui encadrent larrt du traitement varient dun tat lautre, il y a un consensus sur le rle primordial de la volont du patient dans la prise de la dcision. Le principe du consentement aux

    soins mdicaux tant lun des aspects du droit au respect de la vie prive, les tats ont mis en place diffrentes procdures pour assurer lexpression du consentement ou pour en vrifier lexistence.

    75. Lensemble des lgislations qui autorisent larrt du traitement prvoit la possibilit pour le patient dmettre des directives anticipes. dfaut de telles directives, la dcision appartient une tierce personne : au

    mdecin traitant ou aux proches du patient ou son reprsentant lgal, voire

    au juge. Dans tous les cas de figure, lintervention des proches du patient est possible, sans toutefois que les lgislations oprent un choix entre les

    proches en cas de dsaccord. Certains tats ont toutefois instaur une

    hirarchie parmi les proches et font prvaloir le choix du conjoint sur ceux

    des autres.

    76. Outre la recherche du consentement du patient, larrt du traitement est soumis dautres conditions. Ainsi, selon les cas, il est requis que le patient soit mourant ou atteint dune affection aux consquences mdicales graves et irrversibles, que le traitement ne soit plus dans le meilleur intrt

    du patient, quil soit vain et que larrt soit prcd dune phase dobservation suffisamment longue et dun rexamen de ltat de sant du patient.

    B. Observations de la Clinique des Droits de lHomme

    77. La Clinique des Droits de lHomme, tiers intervenante (voir paragraphe 8 ci-dessus), prsente un tat des lieux des lgislations et

    pratiques nationales sagissant de la question de leuthanasie active et passive et du suicide assist dans les tats appartenant aux continents

    europen et amricain.

    78. Ltude aboutit la conclusion quil nexiste, lheure actuelle, aucun consensus au sein des tats membres du Conseil de lEurope, comme au sein des tats tiers, pour autoriser ou non le suicide assist ou

    leuthanasie. 79. En revanche, il y a un consensus pour encadrer strictement les

    modalits de leuthanasie passive dans les tats qui lautorisent. cet gard, la lgislation de chaque tat prvoit des critres pour dterminer le

    moment de leuthanasie eu gard ltat du patient et pour sassurer de son

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 27

    consentement la mise en uvre de cette mesure. Cependant, ces critres varient sensiblement dun tat lautre.

    EN DROIT

    I. SUR LA QUALIT POUR AGIR AU NOM ET POUR LE COMPTE

    DE VINCENT LAMBERT

    80. Les requrants considrent que larrt de lalimentation et de lhydratation artificielles de Vincent Lambert serait contraire aux obligations dcoulant pour ltat de larticle 2 de la Convention. Ils estiment que la privation de nourriture et dhydratation serait pour lui un mauvais traitement constitutif de torture, au sens de larticle 3 de la Convention, et font galement valoir que la privation de kinsithrapie

    depuis octobre 2012, ainsi que de rducation la dglutition quivalent

    un traitement inhumain et dgradant prohib par cette disposition. Ils

    estiment enfin que larrt de lalimentation et de lhydratation sanalyserait galement en une atteinte lintgrit physique de Vincent Lambert, au sens de larticle 8 de la Convention.

    81. Les articles 2, 3 et 8 de la Convention se lisent ainsi :

    Article 2

    Le droit de toute personne la vie est protg par la loi. La mort ne peut tre

    inflige quiconque intentionnellement (...)

    Article 3

    Nul ne peut tre soumis la torture ni des peines ou traitements inhumains ou

    dgradants.

    Article 8

    1. Toute personne a droit au respect de sa vie prive et familiale, de son domicile

    et de sa correspondance.

    2. Il ne peut y avoir ingrence dune autorit publique dans lexercice de ce droit que pour autant que cette ingrence est prvue par la loi et quelle constitue une mesure qui, dans une socit dmocratique, est ncessaire la scurit nationale, la

    sret publique, au bien-tre conomique du pays, la dfense de lordre et la prvention des infractions pnales, la protection de la sant ou de la morale, ou la

    protection des droits et liberts dautrui.

  • 28 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    A. Sur la qualit pour agir des requrants au nom et pour le compte

    de Vincent Lambert

    1. Les arguments des parties

    a) Le Gouvernement

    82. Le Gouvernement observe que les requrants nindiquent pas vouloir agir au nom de Vincent Lambert et estime sans objet la question de savoir

    sils peuvent saisir la Cour en son nom.

    b) Les requrants

    83. Les requrants font valoir que toute personne doit pouvoir bnficier

    des garanties apportes par la Convention, quel que soit son handicap, y

    compris sil na pas de reprsentant. Ils soulignent qu aucun moment leur dfaut de qualit ou dintrt agir nont t mis en cause devant les juridictions internes, dans la mesure o le droit franais reconnat la

    famille dun patient dont on veut arrter le traitement le droit de prendre position sur la mesure considre, ce qui emporte ncessairement qualit

    pour agir non seulement en son nom propre devant une juridiction, mais

    galement au nom du patient.

    84. Citant les critres poss par la Cour dans larrt Koch c. Allemagne (n

    o 497/09, 43 et suiv., 19 juillet 2012), les requrants estiment que ces

    critres sont runis en lespce, savoir lintrt gnral de laffaire, ainsi que les liens familiaux troits et leur intrt personnel pour laffaire. Ils soulignent avoir saisi les juridictions nationales puis la Cour pour faire

    valoir les droits fondamentaux de Vincent Lambert au titre des articles 2 et

    3 quil ne peut invoquer lui-mme et que son pouse ne peut davantage invoquer, puisquelle a accept la dcision mdicale conteste.

    c) Les tiers intervenants individuels

    85. Rachel Lambert, pouse de Vincent Lambert, considre que les

    requrants nont pas qualit pour agir au nom de Vincent Lambert. Elle rappelle que la Cour sest montre dispose reconnatre la qualit pour agir dun proche, soit parce que ses griefs soulevaient une question dintrt gnral touchant au respect des droits de lhomme et quen tant quhritier il avait un intrt lgitime maintenir la requte, soit en raison dun effet direct sur ses propres droits. Toutefois, dans laffaire Sanles Sanles c. Espagne ((dc.), n

    o 48335/99, CEDH 2000-XI), la Cour a estim

    que les droits invoqus par la requrante au titre des articles 2, 3, 5 et 8 de la

    Convention relevaient de la catgorie des droits non transfrables et a

    conclu que lintresse, qui tait la belle-sur et lhritire lgitime du dfunt, ne pouvait se prtendre victime dune violation au nom de feu son beau-frre.

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 29

    86. En ce qui concerne la reprsentation, elle rappelle quil est essentiel pour le reprsentant de dmontrer quil a reu des instructions prcises et explicites de la part de la victime allgue ; or, tel nest pas le cas des requrants, qui nont reu aucune instruction prcise et explicite de Vincent Lambert, alors mme que linstruction diligente par le Conseil dtat a mis en vidence quelle-mme avait reu de son poux ses souhaits, vux et confidences, appuys par des attestations produites devant les juridictions

    nationales.

    87. Franois Lambert et Marie-Genevive Lambert, neveu et demi-sur de Vincent Lambert, estiment que les requrants nont pas qualit pour agir au nom de ce dernier. Ils font valoir en premier lieu que les violations des

    articles 2, 3 et 8 de la Convention que les requrants allguent concernent

    des droits non transfrables quils ne peuvent sapproprier en leur nom, en second lieu quils nont pas la qualit de reprsentants lgaux de Vincent Lambert, majeur n en 1976 et, en troisime lieu, que leur recours

    contrevient la libert de conscience de ce dernier, au droit sa propre vie

    et porte atteinte sa vie prive. Franois Lambert et Marie-Genevive

    Lambert rappellent que si, titre exceptionnel, la Cour a pu admettre que

    des parents puissent agir aux lieu et place dune victime pour invoquer une violation de larticle 3 de la Convention, ctait dans la seule hypothse dune disparition ou du dcs de la victime, et en prsence de circonstances particulires, conditions qui ne sont pas prsentes en lespce, rendant la requte irrecevable. Ils font valoir que la Cour a eu loccasion de confirmer cette irrecevabilit dans des affaires de fin de vie similaires la prsente

    (Sanles Sanles, dcision prcite, et Ada Rossi et autres c. Italie (dc.),

    no 55185/08, 16 dcembre 2008).

    88. Ils estiment enfin que, dans les faits, les requrants sont

    illgitimes contester la dcision du Conseil dtat, ds lors que la position quils dfendent est loppos des convictions de Vincent Lambert et que les mdecins comme les juges ont tenu compte des souhaits de ce

    dernier, exprims son pouse laquelle lunissaient des liens trs forts, et en connaissance de cause compte tenu de son exprience professionnelle

    dinfirmier.

    2. Lapprciation de la Cour

    a) Rappel des principes

    89. La Cour a rcemment rappel, dans les affaires Nencheva et autres

    c. Bulgarie (no 48609/06, 18 juin 2013) et Centre de ressources juridiques

    au nom de Valentin Cmpeanu c. Roumanie ([GC], no 47848/08,

    CEDH 2014), les principes suivants.

    Pour se prvaloir de larticle 34 de la Convention, un requrant doit pouvoir se prtendre victime dune violation de la Convention ; la notion de victime , selon la jurisprudence constante de la Cour, doit tre interprte

  • 30 ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE

    de faon autonome et indpendante des notions internes telles que celles

    concernant lintrt ou la qualit pour agir (Nencheva et autres, prcit, 88). Lintress doit pouvoir dmontrer quil a subi directement les effets de la mesure litigieuse (Centre de ressources juridiques au nom de

    Valentin Cmpeanu, prcit, 96, et la jurisprudence cite).

    90. Ce principe connat une exception lorsque la ou les violations

    invoques de la Convention sont troitement lies des disparitions ou

    dcs dans des circonstances dont il est allgu quelles engagent la responsabilit de ltat. Dans de tels cas, en effet, la Cour reconnat aux proches parents de la victime la qualit pour soumettre une requte

    (Nencheva et autres, prcit, 89, Centre de ressources juridiques au nom

    de Valentin Cmpeanu, prcit, 98-99, et la jurisprudence cite).

    91. Par ailleurs, si la requte nest pas introduite par la victime elle-mme, larticle 45 3 du rglement impose de produire un pouvoir crit dment sign. Il est essentiel pour le reprsentant de dmontrer quil a reu des instructions prcises et explicites de la part de la victime allgue

    au nom de laquelle il entend agir devant la Cour (Post c. Pays-Bas (dc.),

    no 21727/08, 20 janvier 2009, Nencheva et autres, prcit, 83 et Centre de

    ressources juridiques au nom de Valentin Cmpeanu, prcit, 102). Les

    organes de la Convention ont toutefois estim que des considrations

    spciales pouvaient se justifier dans le cas de victimes allgues de

    violations des articles 2, 3 et 8 de la Convention subies aux mains des

    autorits nationales. Des requtes introduites par des particuliers au nom de

    la ou des victimes ont ainsi t dclares recevables, alors mme quaucun type de pouvoir valable navait t prsent (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Cmpeanu, prcit, 103).

    92. Une attention particulire a t accorde des facteurs de

    vulnrabilit, tels que lge, le sexe ou le handicap, propres empcher certaines victimes de soumettre leur cause la Cour, compte dment tenu

    par ailleurs des liens entre la victime et la personne auteur de la requte

    (ibidem).

    93. Ainsi, dans laffaire S.P., D.P. et A.T. c. Royaume-Uni (no 23715/94, dcision de la Commission du 20 mai 1996), qui portait notamment sur

    larticle 8 de la Convention, la Commission a admis la requte introduite par un solicitor au nom denfants quil avait reprsents dans la procdure interne, dans laquelle il avait t dsign par le tuteur ad litem, aprs avoir

    relev notamment que leur mre sen dsintressait, que les autorits locales taient critiques dans la requte et quil ny avait pas dopposition dintrts entre le solicitor et les enfants.

    Dans laffaire lhan c. Turquie ([GC], no 22277/93, 54-55, CEDH 2000-VII), o la victime directe, Abdllatif lhan, souffrait de squelles graves rsultant de mauvais traitements infligs par les forces de

    scurit, la Cour a estim que la requte fonde sur les articles 2 et 3 de la

    Convention tait valablement introduite par son frre, dans la mesure o il

  • ARRT LAMBERT ET AUTRES c. FRANCE 31

    rsultait des faits quAbdllatif lhan avait consenti lengagement de la requte, o il ny avait pas de conflit dintrts entre lui-mme et son frre, qui avait t touch de prs par lincident, et o il tait dans une situation particulirement vulnrable en raison des squelles dont il souffrait.

    Dans laffaire Y.F. c. Turquie (no 24209/94, 31, CEDH 2003-IX), o un mari se plaignait, en invoquant larticle 8 de la Convention, que son pouse ait t force de subir un examen gyncologique lissue de sa garde vue, la Cour a considr quil tait loisible au requrant, en tant que proche de la victime, de soulever un grief concernant les violations allgues de la

    Convention formules par son pouse, compte tenu en particulier de la

    situation vulnrable dans laquelle elle stait trouve dans les circonstances particulires de lespce.

    94. Par ailleurs, toujours dans le contexte de larticle 8 de la Convention, la Cour a admis plusieurs reprises que des parents qui navaient pas de droits parentaux puissent la saisir au nom de leurs enfants mineurs (voir

    notamment Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos

    39221/98 et 41963/98,

    138-139, CEDH 2000-VIII, neersone et Kampanella c. Italie, n

    o 14737/09, 61, 12 juillet 2011, Diamante et Pelliccioni c. Saint Marin,

    no 32250/08, 146-147, 27 septembre 2011, A.K. et L. c. Croatie,

    no 37956/11, 48-50, 8 janvier 2013 et Raw et autres c. France,

    no 10131/11, 51-52, 7 mars 2013). Le critre essentiel quelle a retenu

    dans ces affaires tait le risque que certains intrts des mineurs ne soient

    pas ports son attention et quils soient privs dune protection effective des droits quils tirent de la Convention.

    95. Enfin, la Cour a adopt rcemment une approche similaire dans

    laffaire Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Cmpeanu prcite, qui concernait un jeune homme dorigine rom gravement handicap et sropositif dcd lhpital avant lintroduction de la requte, sans proches connus et sans que l