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Figure 1. Nodule (dos). Figure 2. Lésion de type Molluscum (cou). 118 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIX - n o 3 - mai-juin 2014 CAS CLINIQUE Mots-clés Histoplasmose africaine – Histoplasma duboisii variété duboisii Keywords African histoplasmosis – Histoplasma capsulatum var duboisii Fillette africaine avec des plaies du coude, des abcès froids et des lésions cutanées de type Molluscum African young girl with sores of the elbow, cold abcesses and Molluscum -like cutaneous lesions A. Paugam 1, 2, 3 , P. Eldin de Pécoulas 2 , P. Bourée 1 1 Consultation de médecine tropicale, hôpital Cochin, Paris. 2 Laboratoire de parasitologie-mycologie, hôpital Cochin, Paris. 3 Faculté Paris-Descartes, université Paris-Sorbonne Cité. A u Congo-Brazzaville, une fillette de 7 ans est amenée en consultation pour des douleurs du bras gauche. À cette occasion, 3 nodules non inflammatoires de l’abdomen et du dos (figure 1) sont mis en évidence, ainsi que 2 lésions de type Molluscum sur le cou (figure 2) et le thorax. Le nodule de l’abdomen est ponctionné et biopsié. En raison de la présence de liquide qualifié de “caséum”, et de la radio du bras révélant une atteinte osseuse majeure (figure 3), la malade est hospi- talisée à l’hôpital de Makélékélé pour un traitement antituberculeux. La sérologie VIH est négative. Malgré 2 mois de traitement, un volumineux œdème du bras gauche et de vastes ulcérations sanguinolentes sont apparus (figure 4). Le diagnostic est alors remis en cause et des frottis des sécrétions issues des ulcérations sont colorés au Giemsa (figure 5). L’examen microscopique de ces frottis met en évidence des levures au sein d’amas de fibrine. Quel est votre diagnostic ? Le tableau clinique est très caractéristique : nodules froids associés à des lésions de type Molluscum et lésions cutanées ulcérées en regard d’une atteinte osseuse extrêmement destructrice. À ce stade, le diagnostic différentiel doit être celui de la tuberculose osseuse, en raison des nodules et de la fréquence de l’infection en Afrique. L’absence de réponse au traitement antituberculeux ainsi que la rapidité d’évolution ont conduit à mettre en cause ce diagnostic. Une cryptococcose aurait pu être évoquée en raison des Molluscum mais l’absence d’infection par le VIH et l’atteinte osseuse rendaient cette hypothèse peu probable (sans compter l’absence de capsule des levures observées sur le frottis). La mise en évidence de volumineuses levures au sein des ulcéra- tions permet d’affirmer le diagnostic d’histoplasmose africaine. Compte tenu des moyens locaux, la patiente n’a pas pu recevoir d’antifongiques par voie intraveineuse malgré la sévérité de l’at- teinte. Elle a été traitée par itraconazole 400 mg/j en 2 prises, per os (itraconazolémie contrôlée dans la zone thérapeutique). Pendant les 3 premiers mois de traitement, la situation s’est améliorée loca- lement, avec une diminution des plaies et un arrêt des sécrétions. L’histoplasmose africaine est une infection due à un champignon dimorphique (sous forme de levure dans les tissus et sous forme fila-

African histoplasmosis – Histoplasma capsulatum var ... · confondue avec la tuberculose. ... mose généralisée chez un enfant immunocompétent au VIH. Med Afr Noire 2010;5712:590-2

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Page 1: African histoplasmosis – Histoplasma capsulatum var ... · confondue avec la tuberculose. ... mose généralisée chez un enfant immunocompétent au VIH. Med Afr Noire 2010;5712:590-2

▲ Figure 1. Nodule (dos).

▶ Figure 2. Lésion de type

Molluscum (cou).

118 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIX - no 3 - mai-juin 2014

CAS CLINIQUE

Mots-clésHistoplasmose africaine – Histoplasma duboisii variété duboisii

KeywordsAfrican histoplasmosis – Histoplasma capsulatum var duboisii

Fillette africaine avec des plaies du coude, des abcès froids et des lésions cutanées de type MolluscumAfrican young girl with sores of the elbow, cold abcesses and Molluscum-l ike cutaneous lesions

A. Paugam1, 2, 3, P. Eldin de Pécoulas2, P. Bourée1

1 Consultation de médecine tropicale, hôpital Cochin, Paris.2 Laboratoire de parasitologie-mycologie, hôpital Cochin, Paris.3 Faculté Paris-Descartes, université Paris-Sorbonne Cité.

A u Congo-Brazzaville, une fi llette de 7 ans est amenée en consultation pour des douleurs du bras gauche. À cette occasion, 3 nodules non infl ammatoires de l’abdomen et

du dos (fi gure 1) sont mis en évidence, ainsi que 2 lésions de type Molluscum sur le cou (fi gure 2) et le thorax. Le nodule de l’abdomen est ponctionné et biopsié. En raison de la présence de liquide qualifi é de “caséum”, et de la radio du bras révélant une atteinte osseuse majeure (fi gure 3), la malade est hospi-talisée à l’hôpital de Makélékélé pour un traitement antituberculeux. La sérologie VIH est négative. Malgré 2 mois de traitement, un volumineux œdème du bras gauche et de vastes ulcérations sanguinolentes sont apparus (fi gure 4). Le diagnostic est alors remis en cause et des frottis des sécrétions issues des ulcérations sont colorés au Giemsa (fi gure 5). L’examen microscopique de ces frottis met en évidence des levures au sein d’amas de fi brine.

Q u e l e s t v o t r e d i a g n o s t i c ?

Le tableau clinique est très caractéristique : nodules froids associés à des lésions de type Molluscum et lésions cutanées ulcérées en regard d’une atteinte osseuse extrêmement destructrice. À ce stade, le diagnostic différentiel doit être celui de la tuberculose osseuse, en raison des nodules et de la fréquence de l’infection en Afrique. L’absence de réponse au traitement antituberculeux ainsi que la rapidité d’évolution ont conduit à mettre en cause ce diagnostic. Une cryptococcose aurait pu être évoquée en raison des Molluscum mais l’absence d’infection par le VIH et l’atteinte osseuse rendaient cette hypothèse peu probable (sans compter l’absence de capsule des levures observées sur le frottis).

La mise en évidence de volumineuses levures au sein des ulcéra-tions permet d’affi rmer le diagnostic d’histoplasmose africaine. Compte tenu des moyens locaux, la patiente n’a pas pu recevoir d’antifongiques par voie intraveineuse malgré la sévérité de l’at-teinte. Elle a été traitée par itraconazole 400 mg/j en 2 prises, per os (itraconazolémie contrôlée dans la zone thérapeutique). Pendant les 3 premiers mois de traitement, la situation s’est améliorée loca-lement, avec une diminution des plaies et un arrêt des sécrétions. L’histoplasmose africaine est une infection due à un champignon dimorphique (sous forme de levure dans les tissus et sous forme fi la-

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▲ Figure 3. Radio du bras gauche. Géodes avec destruction majeure de l’humérus.

▶ Figure 4. Œdème

et ulcérations du bras gauche.

◀ Figure 5. Frottis des sécrétions provenant des ulcérations cutanées (Giemsa). Levures au sein d’amas de fi brine (fl èches). × 100.

La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIX - no 3 - mai-juin 2014 | 119

CAS CLINIQUE

menteuse en culture) nommé Histoplasma capsulatum, variété duboisii. Contrairement à l’histoplasmose “américaine” à H. capsulatum, variété capsulatum, qui est présente en Amérique, en Afrique et en Asie, la zone d’endémie de H. capsulatum, variété capsulatum variété duboisii est très localisée : Afrique centrale, Afrique de l’Ouest et Madagascar (1). La forme levure est facilement mise en évidence au sein des lésions, et la forme fi lamenteuse est facilement cultivable sur milieu Sabou-raud. Les levures sont signifi cativement plus grandes que celles de H. capsulatum (6 μm versus 3 μm), mais les formes fi lamenteuses des cultures sont identiques. D’un point de vue épidémiologique, H. duboisii, contrairement à H. capsulatum, n’est pas une infection opportuniste du sida (2). De plus, alors que la contamination par H. capsulatum variété capsulatum est aérienne, avec pour conséquence une symptomatologie pulmonaire clinique et radiologique, le mode de contamination par H. duboisii est inconnu et l’atteinte, rarement pulmonaire, est le plus souvent cutanée et osseuse, ce qui est excep-tionnellement observé avec H. capsulatum (même dans les formes disséminées avec atteintes multiviscérales des patients sidéens) [3]. Les formes disséminées d’histoplasmose africaine sont beaucoup plus

exceptionnelles (environ 20 % des cas [4]) que les formes localisées (cutanées, ganglionnaires et osseuses). Elles réalisent des atteintes hépatospléniques, gastro-intestinales, péritonéales et urogénitales (5).Comme pour l’histoplasmose “américaine”, le traitement de l’histoplasmose africaine repose sur l’amphotéricine B par voie veineuse (1 mg/kg/j pendant 2 à 4 semaines) pour les formes les plus sévères, avec un relais par itraconazole (200 mg/j) pendant au moins 3 mois (6). Dans les formes moins sévères, l’itracona-zole (avec une itraconazolémie à 10 jours) peut être d’emblée proposé. L’itraconazole apparaît signifi cativement plus effi cace que le kétoconazole, anciennement utilisé (7).

C o n c l u s i o n

L’histoplasmose africaine est une infection fongique rare et inva-sive, dont le mode de contamination reste inconnu. Elle survient en dehors de toute forme d’immunodépression et ne doit pas être confondue avec la tuberculose. ■

1. Gugnani HC, Muotoe-Okafor F. African histoplasmosis: a review. Rev Iberoam Micol 1997;14(4):155-9.2. Loulergue P, Bastides F, Baudouin V et al. Literature review and case histories of Histoplasma capsulatum var. duboisii infections in HIV-infected patients. Emerg Infect Dis 2007;13(11):1647-52.3. Drouet E, Dupont B. Histoplasmose. Blastomycose. Paris : Elsevier. EMC Mal Infect 1995 [8-607- A-10].

4. Okoko AR, Ekouya Bowassa G, Oko APG et al. Histoplas-mose généralisée chez un enfant immunocompétent au VIH. Med Afr Noire 2010;5712:590-2.

5. Minta D, Sylla M, Traoré A et al. Malian fi rst observation of disseminated African histoplasmosis with predominant bone localizations in an HIV-negative child in Bamako (Mali). Review of the literature. J Mycol Med 2013 [Epub ahead of print].

6. Wheat J, Freifeld A, Kleiman MB et al. Clinical practice guidelines for the management of patients with histoplas-mosis: 2007 update by the Infectious Diseases Society of America. Clin Infect Dis 2007;47(7):807-25.

7. Marchou B, Meurisse JJ, Auvergnat JC, Armengaud M et al. Itraconazole et histoplasmose ganglionnaire afri-caine chez un sujet non immunodéprimé. Med Mal Infect 1992;22(2):234-5.

Références bibliographiques A. Paugam déclare avoir des liens d’intérêts avec Pfi zer, Astellas et MSD.