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PÉRIODIQUE MENSUEL - BUREAU DE DÉPÔT BRUXELLES 1 - EDITEUR RESPONSABLE : CHRISTINE KULAKOWSKI - AVENUE DE STALINGRAD 24 - 1000 BRUXELLES Cohésion sociale un décret, des pratiques n° 257/258 - Nov./Déc. 2007

Aganda Interculturel, 257/258, nov./déc. 2007

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Cohésion sociale, un décret des pratiques

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Cohésion socialeun décret, des pratiques

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L a cohésion sociale c’est un peu le naturel qui revient au galop… le naturel de la volonté de contrôle et de conformisation de certaines

composantes de la société, pour rendre celle-ci plus homogène et plus viable. La tentation et la pratique ne sont pas neuves, mais le discours prend de nouvelles formes. Des sociologues comme Mateo Alaluf ou Andrea Rea ont abondamment montré comment la mise en difficulté du modèle néolibéral (et du marché qui s’y développe), dans une société de plus en plus éclatée, a donné naissance à une rhétorique du vivre ensemble dans une société pacifiée ; société pacifiée qui, notamment, doit pouvoir assurer le bon fonctionnement économique, une société pacifiée qui ne pourrait l’être que par l’intégration de certains groupes par nature réfractaires, par exemple les « pauvres » ou les « étrangers ».

Aujourd’hui le « vivre ensemble », la « coexistence harmonieuse », la « mixité sociale » sont, entre autres, des termes qui parsèment les discours et les politiques sur la ville. Mais si la société, à travers les instruments et les instances qu’elle institue, avait, auparavant, comme tâche d’intégrer ses différentes composantes, aujourd’hui le discours qu’elle met en avant est celui de l’injonction de devoir s’intégrer. Autrement dit, on ne s’attaque plus au chômage (sur lequel on n’a désormais aucune prise réelle) mais bien aux chômeurs, en les rendant responsables de leur situation et en les obligeant à se trouver un créneau porteur pour se réinsérer, sous peine de...

On va donc réduire les inégalités – et non plus œuvrer au projet, à l’utopie, diront certains, de les supprimer

Dossier• Intégrez-vousqu’ilsdisent... Massimo Bortolini ................................................. 2 • Undécret,despratiques ........................................ 4 A. Ansay, G. Lanotte, L. Ben Yaacoub

• Unedéfinitionquiposequestion........................ 15 A. Ansay, G. Lanotte, L. Ben Yaacoub • Militantdelaculture ........................................... 20 Entretien avec Alain Lapiower • Lamixité,unchoix? ........................................... 22 Entretien avec les Ateliers du Soleil

• C’estparcequelarueexiste ................................ 24 Entretien avec Philippon Toussaint

• Del’évaluationdanslaréflexivité ....................... 26 A. Ansay, G. Lanotte, L. Ben Yaacoub

• Unsecteurenrecherche ...................................... 28 Entretien avec Danielle Piéters

• «Bâtiruneidentitéurbainecommune» .............. 30 CharlesPicqué

• Desmotssurlesmaux ........................................ 32 Entretien avec Abd al Malik

• L’accommodementraisonnableauQuébec ........ 34 Pierre Ansay

Action du moisLa femme est l’avenir du monde .............................. 39Aurélie Grimberghs

Entre nousNager dans la différence .......................................... 40ClaudineFilion-Dufresne

Citizen XHaere Mai Ao Hou ! ................................................. 42

Bons tuyauxCondensédediversités ............................................ 42Aurélie Grimberghs

Criurgent ................................................................. 43CathyHarris

Du neuf dans nos rayonsCathyHarris.............................................................. 44

Photo de couverture : © Mohsen SalehiProchain dossier : Du neuf avec du vieux

Sommaire

Intégrez- vous

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3Agenda interculturel n° 257-258 • Novembre-Décembre 2007

D o s s i e r

– pour permettre à une base, de plus en plus large, de survivre ; et mettre en place des politiques visant à pacifier l’espace public pour qu’aucune révolte n’ait lieu.

QuittonsGeorgesOrwelletrevenonsàCharlesPicqué.Ledécretdit deCohésion sociale aurabientôtdeuxans. Deux années qui auront permis aux acteurs de terrain, dont les associations, accompagnés et aidés par lesservicesduCollègedelaCOCOF,deprendreleursmarques dans ce nouvel environnement. Beaucoup de ces acteurs de terrain ont mis en place et développé des actions de réel maillage local, permettant parfois de « décongestionner » des situations problématiques.

Le Centre Régional d’Appui à la Cohésion Sociale(CRAcs-CBAI)organiseuncolloqueàl’occasiondelaremise de son premier rapport sur l’application de ce décret. Ce numéro est donc l’occasion de présenter,outre une synthèse de ce rapport -lequel sera publié

intégralementen2008-desréflexionsetdespratiquesqui ont surgi sur le terrain autour de la notion de cohésionsociale.C’estégalementl’occasiondedonnerla parole aux initiateurs et promoteurs de ce décret.

Ce numéro est aussi le dernier de l’Agendainterculturel… sous cette forme. Nous n’en dirons pas plus,rendez-vousen2008.Etd’oresetdéjà,tousnosvœux pour la prochaine année.

Massimo Bortolini

qu’ils disent…

Intégrez- vous

© Nathalie Caprioli

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4 Agenda interculturel n° 257-258 • Novembre-Décembre 2007

Un décret, des pratiquesLes révoltes urbaines de Forest et la percée de l’extrême droite lors

des élections législatives de 1991 ont produit un impact

sur l’évolution des politiques d’intégration en Région bruxelloise.

Plutôt que des mesures spécifiques en faveur des immigrés,

le politique a alors préféré une approche généraliste de lutte contre

les désavantages sociaux. Des politiques d’insertion ou de lutte

contre l’exclusion sociale ont ainsi été mises sur pied, dont le décret

de la Commission communautaire française relatif à la cohésion

sociale. Voici la synthèse du rapport annuel sur l’application

de ce décret1.

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L e décret relatif à la cohésion sociale fut voté le 13mai2004parl’AssembléedelaCommissioncommunautairefrançaise(COCOF).Ilaccomplit

la fusion des Programmes Intégration Cohabitation(PIC),InsertionSocialeetEtéJeunes2, qui n’existent dès lors plus en tant que tels. S’inspirant de leur organisation administrative, il réalise cependant plusieurs évolutions.1.Ilorganiselefinancementquinquennaldeprojetsde cohésion sociale, par la signature de contrats communaux.Ilpermet,delasorte,unepérennisationdu cadre financier nécessaire à la bonne réalisation des actions portées par les associations. Ce faitconstitue une avancée considérable par rapport au fonctionnement administratif antérieur, qui offrait une subsidiation annuelle, par le biais de circulaires administratives différentes. En contrepartie, même si des réserves sont prévues pour des initiatives émergentes en cours de quinquennat, cette pérennisation diminue les possibilités d’entrée dans le champ du décret pour de nouvelles associations ou de nouveaux projets.2. Les communes ne sont plus tenues, comme c’était le cas dans le cadre du programme IntégrationCohabitation, d’apporter leur part de cofinancementaux actions.3.Ilpermetderenforcerlacoordinationdesactionslocales par un accroissement de la responsabilité des communes et de leurs coordinateurs.4. Le décret crée un lieu de concertation avec le secteur par la création d’une section spécifique « cohésion sociale»duConseilconsultatiffrancophonebruxelloisde l’Aide aux personnes et de la Santé.5.Ilprévoitlamisesurpiedd’unCentrerégionald’appuien cohésion sociale (CRAcs) auquel il confie, entreautres missions, celle de soutien méthodologique.

Les contrats communauxLe Collège de la COCOF propose aux communeséligibles3, composant notamment l’Espace de Développement Renforcé du Logement et de la

Rénovation (EDRLR)4, la conclusion d’un contrat communal de cohésion sociale, d’une durée maximale de cinq ans, reprenant les associations dont les projets ont été sélectionnés. Le contrat communal de cohésion sociale doit faire l’objet d’une concertation avec les acteurs associatifs.

La coordination localeAfin de garantir la bonne exécution des contrats communaux de cohésion sociale, une coordination locale a été mise en place dans chaque commune éligible. Elle est chargée d’organiser la coordination des projets, de les accompagner et de les évaluer. Elle est le relaisentre leCollègede laCOCOF, l’autoritécommunale et les associations subsidiées.Par ailleurs, elle organise une concertation qui réunit tous les acteurs locaux de la cohésion sociale pour les informer et permettre le développement de collaborations entre associations, ainsi que la recherche d’une cohérence entre les actions.

« Indices de fragilité »Les communes éligibles reçoivent un subventionnement pro-portionnel à leurs « indices de fragilité ». Les indices socio économiques énumérés dans le décret sont, au minimum, les suivants : - la densité de population, - le pourcentage d’étrangers inscrits au registre d’attente ou au registre des étrangers, - le pourcentage de personnes bénéficiant du revenu d’intégration et de l’aide financière équivalente à ce revenu, - l’impôt des personnes physiques, - la faible commodité des logements, - la vétusté des logements, - la faiblesse d’accès à Internet, - l’absence de véhicules automobiles, - la fragilité socio sanitaire, - la part de subside régional dans les contrats de sécurité et de prévention, - la part dans la dotation générale aux communes.

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5Agenda interculturel n° 257-258 • Novembre-Décembre 2007

Les contrats régionauxOutre les treize contrats communaux, le Collège delaCOCOFattribue égalementune subventiondirecteà des projets régionaux5. Il s’agit deprojetsdeportéerégionale ou intercommunale, de projets non retenus dans un contrat communal ou de projets nés en cours de quinquennat.

Le Conseil consultatifCréé en 1997, le Conseil consultatif bruxelloisfrancophone de l’Aide aux personnes et de la Santé était initialement composé de quatre sections, qui ont chacune pour mission de donner des avis sur les questions concernant leur secteur spécifique (aide et soins à domicile, services ambulatoires, hébergement et personnes handicapées).Avec l’adoption du décret relatif à la cohésion sociale, unecinquièmesectionavulejour:«Cohésionsociale»,chargée de remettre, d’initiative ou à la demande du CollègedelaCOCOF,desavissurtouteslesquestionsde cohésion sociale, et notamment sur les contrats communaux et régionaux de cohésion sociale et sur les

projets nés en cours de quinquennat. Elle est composée de 24 membres effectifs et 24 membres suppléants représentant l’ensemble des acteurs du décret : les pouvoirs organisateurs (les communes éligibles et le secteur associatif), les travailleurs du secteur, les utilisateurs ou publics cibles, ainsi que des membres nommés à titre d’experts.

1. L’évaluation, un enjeu« Évaluer une politique publique consiste à en mesurer les effets propres et à porter un jugement de valeur sur ceux-ci. Toute évaluation procède d’une double ambition. D’une part, elle représente une démarche qui cherche à identifier les effets directement imputables aux activités politico administratives plutôt que dépendant de facteurs contextuels. À ce niveau se pose la question des méthodes d’analyse utiles pour isoler et quantifier les changements induits par les politiques publiques auprès de la société civile. D’autre part, elle s’inscrit dans un processus politique d’appréciation des actions menées par l’État. »7

Ce texte précise qu’évaluer une politique publiquerevient à en mesurer les effets propres. D’autre part,

il est communément admis que les effets d’une politique doivent être appréciés en référence à ses objectifs. Cela suppose queces mêmes objectifs aient été formulés de façon suffisamment précise et opératoire8 afin de pouvoir être comparés à l’observation empirique. Or, le ministre, membre du CollègedelaCOCOF, en charge du Budget, de l’Action sociale et de la Famille, AlainHutchinson, précisait dans l’exposé des motifs ayant trait à l’avant-projet de décret relatif à la cohésionsocialequeleCollègedelaCOCOFavait été « particulièrement attentif à conserver la diversité et la richesse de ce dispositif, à ne pas tomber dans une réglementation trop rigide, à ne pas imposer de fonctionnement trop strict »9.Cela attestede la volontépolitiquede ne pas figer le fonctionnement du décret pour laisser place à une certaine souplesse. Le caractère relativement indéterminé lié aux prescrits légaux définis par le décret amène certains observateurs à considérer que ce dernier comporte l’inconvénient d’êtreflou,excessivementlargeet,decefait,de ne pas disposer de contours suffisamment délimités. Le CRAcs considère que cetteindétermination est susceptible d’être convertie en gain car elle permet qu’une dynamique de construction puisse émerger par laquelle il devient possible d’impliquer les acteurs concernés par le décret.Par ailleurs, il faut remarquer que les objectifs généraux du décret ne sont pas déterminés en des termes quantifiables. À défaut d’objectifs opérationnels précis, le décret contient néanmoins des finalités générales. L’ensemble des acteurs ne partage cependant pas les mêmes conceptions quant aux manières d’atteindre ces finalités.

Les missions du CRAcsLe Centre Bruxellois d’Action Interculturelle (CBAI) a été désigné par le Collège de la COCOF pour réaliser, à partir de janvier 2006, les missions de Centre régional d’appui en cohésion sociale (CRAcs) 6.

La mission 1 concerne la réalisation d’un rapport annuel sur l’application du dé-cret. Ce rapport constitue l’aboutissement d’un processus global d’évaluation qui s’appuie sur le travail réalisé en amont par les as-sociations, les coordinations locales et les Services du Collège.

La mission 2 concerne, globalement, la diffusion de l’information au sein du secteur de la cohésion sociale et prévoit, plus précisément, que le Centre régional organise, au moins une fois par an, une ren-contre de tous les acteurs de la cohésion sociale. Il est égale-ment chargé d’organiser, d’initiative ou en fonction des besoins exprimés par les acteurs de la cohésion sociale, soit des groupes de travail thématiques ou transversaux, soit des rencontres ponc-tuelles entre les acteurs. Cette mission 2 a notamment abouti en octobre 2006 à la publication d’un répertoire des projets de co-hésion sociale menés dans le cadre du décret du 13 mai 2004.

La mission 3 concerne l’accompagnement méthodologique, principalement des coordinations locales, via, notamment, la conception d’outils.C’est dans le cadre de cette mission que le CRAcs a conçu, en collaboration avec les coordinations locales et les Services du Collège, les divers modèles de rapport d’activités. En outre, le CRAcs travaille actuellement, dans le cadre de la plateforme des coordinations locales (espace de réflexion et d’échange de prati-ques et d’informations mis en place par le CRAcs suite à l’entrée en vigueur du décret) et avec les Services du Collège, à la confec-tion d’un inventaire des pratiques d’évaluation au sein du secteur cohésion sociale.

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Il reste laquestionde lamesuredes effets: commentévaluer l’impact d’une action de cohésion sociale sur la vie d’un quartier ou/et sur l’ensemble des bénéficiaires qui participent à cette action? Le CRAcs, à partirdes observations qu’il a pu accumuler, formule le constat que mesurer avec des chiffres l’impact d’une action de cohésion sociale est une tâche qui s’avère particulièrement complexe dans la mesure où il est difficile d’agréger des données empiriques chiffrées pour des actions hétérogènes. De plus, une autre question doit être posée : comment isoler les « effets propres » de la politique menée dans le cadre du décret du 13 mai 2004 quand on sait que les actions conventionnées sont parfois soutenues par d’autres sources de financement? Autrement dit, ces actions,en plus d’être multicatégorielles, sont majoritairement polysubventionnées. Moyennant ces observations, le CRAcs considèrequ’il est tout à fait possible de rassembler des données empiriques qualitatives mais aussi quantitatives. Devant la difficulté à comparer des effets difficilement chiffrables avec des objectifs et des finalités générales, il est possible de faire apparaître les types de réalisation menées sur le terrain de la réalité sociale.Le CBAI a formulé une proposition pour la mise en œuvre de sa mission d’évaluation articulant un axe qui rencontre les attentes du commanditaire à un secondaxe,celuid’uneévaluationréflexive,quiinclutl’ensemble des acteurs dans la démarche10. L’enjeu fondamental réside, également, dans le fait de ne pas confisquer l’évaluation, de réconcilier une approche centrée sur le chiffre et le quantifiable avec la nécessité de lui adjoindre une dimension liée à la mise en débat de ces données que certains qualifient d’ « objectivables » car, pour reprendre les mots de Ulrich Beck, « une rationalité sociale sans rationalité scientifique resterait aveugle mais une rationalité scientifique sans rationalité sociale resterait sourde »11.

2. Situation démographique et socio économiqueLe contexte socio économique de la Région bruxelloise est caractérisé par un appauvrissement relatif de sa population, et envoie à des situations de précarité dont l’augmentation est confirmée par de nombreux indicateurs.L’accroissement des demandes de logements sociaux, de revenus d’intégration sociale12, la hausse, sur le marché du logement, des coûts locatifs et acquisitifs, la faiblesse du revenu moyen par habitant13 et un taux de chômage qui se maintient aux alentours des 20 %, avec des pics à 35 % pour la tranche des 15-25 ans, soulignent que la précarité socio économique de la population bruxelloise se maintient et s’aggrave, si l’on considère certains de ces indicateurs. Cetteprécarité se concentre particulièrement dans le «croissantpauvre»-zonequis’étenddescommunesde Schaerbeek et Saint-Josse-ten-Noode jusqu’àMolenbeek-Saint-Jean,AnderlechtetSaint-Gilles,touten incluant la partie occidentale du Pentagone - et touche de façon sensible l’ensemble des communes éligibles dans le cadre du décret.

Cesdonnéesdoiventêtremisesenrapportaveclefaitque certains indicateurs tels que le Produit IntérieurBrut (PIB) attestent que la Région de Bruxelles–Capitalegénèreunecroissanceéconomiquesensible14. Cependant,ilfautnoterquecetterichesseprofitepeuaux Bruxellois dans la mesure où elle dépend de facteurs de production externes situés en dehors des limites territorialesdelaRégiondeBruxelles-Capitale15. Par ailleurs, la Région de Bruxelles-Capitalese caractérise notamment par une croissance démographique ininterrompue depuis 1995, un rajeunissement continu depuis 1991, qui en fait la région qui dispose de la structure d’âge la plus jeune du pays, et la confirmation de son caractère multiculturel puisque 46,3 % des Bruxellois sont, soit non Belges, soit d’origine étrangère16. On note également un fossé entre le niveau de qualification attendu pour les emplois bruxellois et le niveau de qualification de la population active bruxelloise17.Un constat s’impose donc: une situation contrastéefait de la Région de Bruxelles-Capitale un centreurbain qui possède des signes extérieurs de richesse, mais dont la population, envisagée dans sa globalité, ne cesse de s’appauvrir. Le décret relatif à la cohésion sociale détermine les indices socio économiques des communes et des difficultés sociales rencontrées par leur population comme base de répartition des enveloppes budgétaires entre les diverses communes éligibles. Le mode de calcul des indices, au niveau communal, aussi objectif soit-il, implique cependant l’« invisibilisation » des disparités et des écarts, parfois extrêmement importants, entre les quartiers au sein d’une même commune et, par conséquent, un risque de diminution de l’enveloppe budgétaire allouée à une commune dont les quartiers plus aisés « estompent » les difficultés majeures rencontrées dans d’autres quartiers.Dans ce contexte marqué à la fois par la dualisation de la ville et l’accroissement de la précarité et, par ailleurs, par l’hétérogénéité culturelle croissante de sa population, la politique de cohésion sociale mise en place dans le cadre du décret a toute sa raison d’être. Cependant, cette dernière ne saurait à elle seulesuffire. La cohésion sociale, en Région bruxelloise, se construit et ne peut se construire qu’à l’aide d’autres politiques, notamment liées à l’emploi, au logement, à la sécurité sociale, à l’enseignement, à la santé,… Elle ne peut qu’apporter sa pierre à l’édifice en contribuant parmi d’autres à la construction d’une ville plus solidaire. L’édification, au sein du contexte régional bruxellois, d’une société plus cohésive renvoie à une entreprise aux contours variés relevant de compétences européennes, fédérales et régionales. Cesdernièresexcèdentlargementleslimitesdéfiniespar les matières personnalisables dans lesquelles se situe ledécretdu13mai2004.Cela signifiequeles processus mis en œuvre dans le cadre du décret constituent un des pans de la politique globale de cohésion sociale, qui se fabrique également à partir d’autres processus que ceux mis en œuvre dans le cadre du décret.

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3. Un impératif de territorialisationLes données budgétaires relatives à l’application du décret pour l’année 2006 font apparaître une augmentation de près de 14 %18 par rapport à l’année 2005 destinée essentiellement aux projets inclus dans les contrats communaux de cohésion sociale. Ce faitatteste de la volonté politique de renforcer le principe de territorialisation des actions dont l’organisation est confiée aux communes. Le mouvement de territorialisation des politiquesdelavillereflètelavolontédeconcentrerlesinterventions publiques sur les quartiers qui en ont le plusbesoin.Ils’agitd’uneorientationpolitiquequipartdu postulat d’une distribution spatiale des problèmes sociaux, celui que les catégories de personnes les plus démunies se concentreraient dans les mêmes quartiers. On conçoit les problèmes de marginalisation sociale comme intrinsèquement liés au territoire. À ce propos, certains acteurs du décret soulignent l’existence d’une tension qui opposerait ce principe de proximité de l’action avec la nécessité d’extraire les publics touchés hors de leur contexte de vie immédiat, lequel peut être ressenti, dans certains cas, comme une pesanteur étouffante.Par ailleurs, cette territorialisation est fondée sur le principe que les solutions aux problèmes que vivent les habitants d’un quartier doivent être mises en place auniveaulocal.Cependantles causes qui produisent l’exclusion sociale et les difficultés de cohabitation trouvent en partie leur origine dans des contextes qui dépassent largement l’échelle d’un quartier. Cette volonté d’intensifier le développement local de l’action publique amène les opérateurs locaux à devoir trouver des solutions à des problèmes engendrés notamment par des phénomènes globaux. Cela peut expliquer lesentiment que partagent les travailleurs sociaux, d’accompagner les effets de déstructuration du tissu social sans pouvoir agir sur lescausesquilesproduisent.Ceconstatestégalementformulé par Mejed Hamzaoui qui relève qu’« on note souvent une correspondance entre les inégalités sociales et les inégalités spatiales, l’idée apparaît de considérer les problèmes sociaux comme des problèmes spatiaux, alors que l’on sait que les facteurs de précarisation et d’exclusion sont pour la plupart extraterritoriaux »19.À Bruxelles, la distribution géographique des ressources et des interventions de la politique de cohésion sociale s’inscrit dans une évolution plus large qui touche d’autres catégories de l’action publique. Les politiques de la ville recouvrent une variété de mesures et de programmes d’actions. « De nouveaux dispositifs voient (…) le jour, chacun avec ses spécificités. Certains d’entre

eux s’inscrivent dans une logique sécuritaire, d’autres s’attachent à la rénovation des quartiers, d’autres encore à la recréation des liens sociaux entre les habitants. Ils ont cependant en commun de se déployer dans les quartiers populaires, de faire la part belle aux activités socioculturelles et communicationnelles et de prôner l’importance de la proximité et des communautés locales dans la lutte contre l’exclusion sociale »20.Le rapport annuel présente brièvement les objectifs de huit dispositifs publics actifs à Bruxelles21 et tente d’établir leurs relations en termes de synergies, de cohérences et de contradictions avec la politique de cohésion sociale définie dans le cadre du décret du 13 mai 2004. Au premier coup d’œil, les objectifs et les champs d’action de ces huit dispositifs sont variés. Pourtant, les discours et les logiques d’intervention sont relativement similaires. Concrètement, tous cesprogrammes visent à mobiliser les synergies locales pour agir sur les problèmes sociaux et partagent des modes opératoires identiques : ancrage local, partenariat entre acteurs, transversalité des actions, participation.Le CRAcs propose également une tentative decomparaison des enveloppes budgétaires des différents dispositifs (voir graphique 1), qui se renforcent les uns les autres dans leurs actions dans les quartiers fragilisés.

Cetexercices’estavéréparticulièrementcomplexe,dansla mesure où, notamment, certains dispositifs s’étalent sur plusieurs années (sans que l’utilisation ne soit nécessairement identique chaque année au cours de la période concernée), ou ces politiques de la ville ne sont pas toutes actives dans l’ensemble des 19 communes bruxelloises et proposent des subsides d’ampleur extrêmement diverse. Il importe dès lors d’être extrêmement prudent dansl’exploitation éventuelle de ces données.

4. Les quatre mixités et le principe de territorialisationLes données recueillies dans le cadre des rapports d’activités montrent que les bénéficiaires de ces actions sont issus majoritairement de l’immigration,

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etfragilisésd’unpointdevuesocioéconomique.Cetteréalité trouve son explication dans le fait que ces actions sont appelées à se déployer sur des espaces urbains dans lesquelscespopulationsrésidentmajoritairement.Ilyalieu de parler à cet égard d’une « injonction paradoxale » dans la mesure où le décret appelle à la rencontre de publics différenciés et, dans le même temps, insiste sur la territorialité des actions structurées sur le principe du travail de proximité. Or « la proximité » n’est pas toujours hétérogène que ce soit socialement ou culturellement. Cettetensionvientinterrogerunedimensiondudécretqui nous semble centrale et qui concerne les différentes formesdemixité.Cettemixitéestdéclinéeparledécretdu 13 mai 2004, en quatre axes qui renvoient chacun à une question :•sociale : comment construire une démarche de cohésion sociale en incluant des personnes issues de milieuxsocioéconomiquesdifférents?•culturelle : comment construire une démarche de cohésion qui permette la rencontre de personnes ou de groupes de personnes issues de cultures, de confessions oudeconvictionsdifférentes?•intergénérationnelle : comment construire une démarche de cohésion sociale qui produise les rencontres entrepersonnesâgéesetpublicsjeunes?•thématique du genre : comment mettre en œuvre des actionsquiassocientdespublicsfémininsetmasculins?Mesurer la manière dont ces mixités sont effectivement atteintes par les actions financées est une tâche particulièrement difficile pour plusieurs raisons. Ainsi, de nombreuses associations mènent des actions qui accueillent des personnes d’origines culturelles différentes.Cefait lesamèneàqualifier leurdémarched’interculturelle. Dans ce cas, la question qu’il convient de poser revient à déterminer dans quelle mesure l’action a été élaborée pour provoquer la rencontre entre ces altérités culturelles, car cette diversité culturelle du public peut être le fait de circonstances liées au contexte dans lequel opèrent ces associations. En d’autres termes, cette mixité peut être circonstancielle ou provoquée dans le cadre d’un projet structuré à partir d’une méthodologie interculturelle élaborée.Beaucoup d’associations ex-pliquent que conditionner l’accès à une activité d’inser-tion par l’impératif de mixité des genres peut constituer unobstacleàl’émancipationdesfemmes.Cesdernièresne pouvant accéder à ces activités que dans la mesure où elles sont exclusivement fréquentées par un public fé-minin.Cesactivités lorsqu’ellesentendentcontribueràl’autonomisation des femmes représentent une première étape qui peut contribuer progressivement à élargir leurs horizonsainsiqu’àaccéderàdesvaleursetdesmondesvécus différents.

5. Actions menées dans le cadre du décretLes données rassemblées indiquent que le décret relatif à la cohésion sociale a donné lieu, pour l’année 2006, au financement d’actions qui s’inscrivent majoritairement dans le cadre d’une politique généraliste de lutte contre lesdésavantagessociaux.Cesactionsontpourprincipale (mais pas unique) finalité l’insertion des individus et visent de façon générale l’autonomisation des personnes et des groupes.L’approche quantitative a pour objectif de visualiser les projets menés dans le cadre du décret. Les catégories co-construites avec les coordinations locales et les Services duCollège ambitionnent de répondre aux questions:«qu’est-cequiestfait?»et«avecquelpublic?».LerapportannuelduCRAcss’inscritdansunprocessusglobald’évaluation.Concrètement,laméthodologiedetravail s’est organisée autour du principe de « rapports en cascade », les rapports d’activités des associations constituant le matériau de base de l’ensemble du processus, synthétisés par les coordinations locales et l’Administration de laCOCOFdans leurs rapportsrespectifs, sur lesquels le CRAcs s’est appuyé pourrédiger son propre rapport annuel relatif à l’application du décret au niveau régional.Cetravailconcernelesactionsmenéesparlesassociationsau cours de l’année 2006 ; il s’agit donc de la photographie d’une situation susceptible d’avoir évolué. Quelques précautions méthodologiques ont dû êtreénoncées quant à l’utilisation des catégories, qui ne permettent pas de visualiser la richesse du travail effectué par les associations sur le terrain. Certainsconstats importants ont néanmoins pu être dressés :a. Profil des actions : cinq catégories d’actions représentent ensemble70%desactionsmenées(voirgraphique2):lesanimationscitoyennes(7%),l’alphabétisationetle

français langue étrangère -FLE- (11 %)22, les actions socioculturelles et le soutien scolaire (chacun 15 %) et les animations plurielles (22 %). La catégorie « animations plurielles » est à nuancer, dans la mesure où elle comporte un ensemble de réalités fort diverses, notamment :•les actions de type « communautaire » et les lieux d’accueil « multi publics » (maisons de quartier) ou pour un

Graphique 2

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public spécifique (maisons de jeunes, maisons des femmes), touchant à différents « secteurs » dans une approche multidisciplinaire et regroupant un ensemble très diversifié d’activités, •les activités saisonnières pour les jeunes proposées pendant les congés scolaires (ex-Été Jeunes) présentant là aussi une grande diversité d’activités.Cette surreprésentation de la catégorie « animations plurielles » tient en partie à la nature même du secteur, lequel recouvre des actions hétérogènes. Cette hétérogénéité des actions correspond à une volonté politique présente à l’époque où la circulaire pour « l’intégration et la cohabitation des communautés locales » a vu le jour. Il s’agissait alors de développer une action sociale « globale » visant « à intervenir sur différents aspects de la vie des personnes marginalisées (l’éducation, l’emploi, le relationnel, le temps libre) »23. Par ailleurs, les coordinations locales relaient majoritairement le constat d’une grande partie des associations, selon lequel une approche diversifiée en terme d’action constitue un atout considérable lorsqu’il s’agit de mener des projets à destination de publics qualifiés de « difficiles ».b.Profil des publics : on constate pour l’ensemble du dispositif et des actions menées, une relative mixité des publics, même si la gent féminine est légèrement plusreprésentée.Cependant,cettedonnéeglobalenenous éclaire pas réellement sur la mixité au sein des associations, et plus précisément encore au niveau des diverses activités et actions spécifiques mises en œuvre par les associations. On note ainsi une prédominance des femmes très marquée pour les

actions d’alphabétisation et de FLE et pour lesanimations citoyennes (voir graphique 3). c. Les mineurs d’âge (0-18 ans) représentent plus de la moitié du public, avec une proportion particulièrement importante des enfants de l’enseignement primaire (6-12 ans) ; les personnes de plus de 60 ans étant, par contre, très peu présentes dans les actions menées alors qu’il s’agit de l’une des priorités du décret (voir graphique 4). d. La très grande majorité du public est composée de personnes étrangères ou d’origine étrangère fragilisées sur le plan socio économique, issues du quartier dans

lequel l’association est ancrée. Les actions répondent et témoignent de la nécessaire attention à porter aux situations de précarités sociales vécues par les citoyens, dans un souci permanent de dialogue interculturel. Pour rappel, le décret vise « (…) en particulier la lutte contre toute forme de discrimination et d’exclusion sociale par le développement de politiques d’intégration sociale, d’interculturalité, de diversité socioculturelle et de cohabitation des différentes communautés locales »24

e.Enfin, si dans le cadre du décret, très peu d’actions sont spécifiquement organisées pour les publics primo arrivants25, ces derniers sont cependant présents au même titre que tous les autres publics dans les actions proposées.

6. Observations et recommandations26

Des enjeux et des perspectives ont été exposés tout au long du rapport ; des hypothèses, des propositions, des suggestions y sont formulées à propos de l’application concrète du décret du 13 mai 2004 relatif à la cohésion sociale. Elles participent toutes de la volonté d’amélioration des procédures et relations entre les acteurs, afin de relever ensemble le défi de la dynamisation du secteur dans une optique participative. Pour une part, le décret cohésion sociale met en place des formes institutionnelles, des procédures et des méthodes de travail relativement nouvelles. L’ensemble des acteurs du champ de la cohésion sociale est donc appelé à s’adapter à cette nouvelle source de droit.

Par ailleurs, s’agissant du CRAcs enparticulier, certaines des missions qui lui sont dévolues constituent –en tout ou en partie- une pratique nouvelle dans un champ restructuré. Ils’agitd’unepremièreinterrogation,avecun an de recul, sur le fonctionnement et les mécanismes liés à la mise en œuvre de la politique de cohésion sociale. Dans les débats relatifs à l’évolution réalisée par la mise en place du décret, les avis varient.Certainssefélicitentdesonentréeen application, tandis que d’autres s’en plaignent faisant valoir qu’il génère plus decomplexitéquede facilités.LeCRAcs

Graphique 3

Graphique 4

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se propose de répondre à la question «Qu’est-ce quia changé avec l’entrée en vigueur du décret cohésion sociale?» et de relever les éventuelles difficultés,observations, propositions,… relatives à l’application concrète du décret sur le terrain.

a. Les nouveaux acteurs intermédiairesDeux nouveaux acteurs ont vu le jour dans le cadre du décret : d’une part, la section « cohésion sociale » du Conseilconsultatifdel’AideauxpersonnesetdelaSantédelaCOCOFet,d’autrepart,leCentreRégionald’Appuien cohésion sociale. L’arrivée de nouveaux acteurs, parallèlement à la restructuration des modes de fonctionnement d’un secteur, dont la plupart des acteurs est active depuis de nombreuses années, suscite inévitablement la

curiosité, et une certaine forme d’inquiétude, voire de suspicion.Quelestlerôledecesnouveauxacteurs?Est-ceunniveaudecontrôlesupplémentaire?

Une communication claire et transparente autour des procédures d’avis du Conseil consultatif est une étape cruciale afin de « dédiaboliser » cette instance représentative du secteur et d’expliquer son rôle, tant pour les coordinations locales que pour les associations qui se trouvent également démunies et ne savent quelle attitude adopter face au Conseil consultatif, le plus souvent perçu comme une instance « nébuleuse ». Le CRAcs doit veiller à poursuivre sa mission d’intermédiation en bonne intelligence avec l’ensemble des acteurs de la cohésion sociale, dans le respect des attentes et besoins de chacun, avec toujours à l’esprit l’objectif de contribuer au déploiement de la cohérence d’une politique régionale nourrie de la richesse des différences et variations communales et locales. Il doit veiller à impliquer l’ensemble des acteurs aux diverses initiatives qu’il développe. Par ailleurs, le CRAcs estime primordial de clarifier les espaces de travail et les missions de chacun de ces deux acteurs intermédiaires, afin d’éviter au maximum les chevauchements, synonymes de confusion ; articuler les divers espaces devrait permettre à chacun de mobiliser au mieux son expertise au profit d’un objectif commun.

b. Les coordinations localesLe profil des coordinations locales est extrêmement varié d’une commune à l’autre, à divers points de vue, et notamment en termes de responsabilité directe dans la gestion et la mise en œuvre de projets subsidiés par la COCOF, de temps detravail dédié à la cohésion sociale, d’ancienneté dans la fonction et de statut.Cesdifférencesimportantessont,bienentendu,à mettre en relation avec le budget dont dispose la commune et avec le nombre de projets soutenus au niveau local dans le cadre du décret.Ellesreflètentégalementl’investissementdifférencié de la commune envers cette mission de coordination locale.Si le statut communal ou associatif de la coordination locale est susceptible d’impliquer un mode de fonctionnement interne propre, il n’influence néanmoins pas les missions de la

coordination locale, lesquelles sont définies dans le cadre du décret et, dès lors, applicables à l’ensemble des coordinations locales, quels que soient leur statut institutionnel et leur mode de financement. On peut cependants’interrogersurlamanièredontlaCOCOFestà même d’assurer l’effectivité des missions et le respect de leurs engagements par les coordinations locales27. Succinctement, on peut considérer que la coordination locale dispose d’un statut « hybride », qui comporte des aspects positifs et négatifs. D’une part, elle joue le rôle

L’évaluation qualitativeLes données qualitatives recueillies montrent que les objectifs cités par les associations s’inscrivent majoritairement dans les finalités définies par le décret, tels que favoriser « les liens entre groupes et entre individus » et contribuer au « mieux vivre ensemble dans la diversité et l’interculturalité », améliorer la qualité de vie dans le quartier, véhiculer des valeurs comme l’« émancipation » et l’« égalité des chances », la « responsabilisation des acteurs », l’« autonomisation » et la « valorisation » des individus, …On peut regrouper les difficultés rencontrées par les associations dans la mise en œuvre des actions en quatre grandes catégories : • Les difficultés liées aux publics, notamment en ce qui concerne l’intériorisation des règles de l’association, l’« accrochage » des jeunes, l’implication des seniors, le travail avec les parents et les écoles, l’accès aux activités des jeunes filles, la difficile mixité des publics et les situations de précarités sociales, à l’origine de tensions entre les groupes culturels différents.• Les difficultés inhérentes aux moyens, principalement en termes de conditions salariales liées à des contrats précaires, de manque de personnel et, parfois, d’accompagnement pédagogique.• Les difficultés institutionnelles, notamment en ce qui concerne la difficile application de l’accord non marchand.• Les difficultés inhérentes à l’infrastructure, principalement en ce qui concerne les problèmes de salubrité des locaux et la précarité liée à la situation locative. Lorsque les associations parviennent à dépasser ces difficultés, elles se transforment en atouts et constituent, à leurs yeux, un élément de réussite important. Certaines difficultés ainsi transformées en points forts sont en lien direct avec la plupart des thématiques prioritaires définies dans le décret.Le travail en partenariat ne fait pas l’unanimité ; considéré par certains comme un apport à l’action menée, il implique, pour d’autres, des complications. Le partenariat entre opérateurs associatifs se concrétise de diverses manières, principalement sous forme de partenariats d’ordre pédagogique (échanges méthodologiques relatifs à la mise sur pied, au développement et à l’évaluation des actions, pratiques de supervision et échanges d’animateurs), « logistique » (partage et mise à disposition d’infrastructures) et financier (partage des coûts imputables à certaines dimensions d’un projet).

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d’interface et de médiateur entre diverses logiques et cultures institutionnelles, ce qui est très riche, mais, d’autre part, elle se trouve souvent « piégée » dans un dilemme provoqué par ces logiques différentes, et manque de marge de manœuvre et d’indépendance dans l’exercice de sa mission.Le degré d’autonomie vis-à-vis de l’autorité communale, mais surtout le mandat dont elle dispose, s’avère primordial, dans la mesure où nombre de ses pratiques endécoulent.Cemandatetcettemargedemanœuvreparticipent, dans certains cas, de sa crédibilité et de la confiance que sont susceptibles de lui accorder les associations.Les coordinations locales existent depuis le démarrage de la politique aujourd’hui intitulée de cohésion sociale. Cependant, leurs missions ont évolué, tout commeleur positionnement, au regard de l’accroissement de laresponsabilitédescommunesdansledispositif.Cesévolutions posent quelques questions en terme de mise en pratique concrète.L’élargissement des missions des coordinations locales avait, notamment, été appuyé, par la suppression de leur responsabilité financière ; l’intention était en effet, dans le cadre du décret, de les décharger du travail administratif de vérification des pièces justificatives des associations. Cependant, officiellement, le voletfinancier n’est pas explicitement exclu des missions de la coordination locale. Et plus fondamentalement, comment se désintéresser d’une telle matière dans un contexte où la principale difficulté relevée par les associationsestlemanquedemoyens?Lerôlepremierde la coordination locale est bien de « garantir la bonne exécution des contrats communaux de cohésion sociale ».La mission de recherche de cohérence entre dispositifs sur le territoire communal ne dispose pas plus d’une assise légale très claire. Faire reposer la volonté decohérence et de transversalité affichée par le décret cohésion sociale sur les épaules des seules coordinations locales, n’est-ce pas là un objectif -trop- ambitieux?Cettevolontéd’articulationdesdifférentsprogrammesdoit être portée par tous les niveaux de pouvoir.Si certaines coordinations locales mettent en exergue leur collaboration, formelle ou informelle, avec les volets sociaux des autres politiques de la ville, globalement, on constate peu d’articulations effectives, voire un cloisonnement, entre les différents dispositifs. Plusieurs coordinations appellent de leurs vœux la création d’une cellule transversale, d’un lieu de concertation entre les différents responsables en charge de la cohésion sociale sur le territoire communal, afin de « s’informer, échanger et se concerter », premier pas vers une collaboration plus efficace avec les autres programmes communaux. L’un des enjeux futurs consistera sans doute à développer cette transversalité.Un travail de définition de la fonction de la coordination locale, avec ses missions, ses responsabilités, ses limites, ses tâches concrètes,… et la formalisation des procédures et des pratiques d’évaluation devraient participer à la clarification de son positionnement face à tous les acteurs de la cohésion sociale et mener le poste de coordination locale vers davantage d’objectivité.

c. Les concertations localesL’organisation d’une concertation locale, au minimum trois fois par an, est une obligation légale pour l’ensemble des communes éligibles dans le cadre du décret. Les règles de fonctionnement de ces concertations locales ne sont pas, à ce stade, régies officiellement, seules trois communes disposant formellement d’un règlement d’ordreintérieur(ROI)fixantcesrègles.Au cours de l’année 2006, la majeure partie des réunions plénières a porté sur des questions administratives et financières : affectation d’enveloppes budgétaires diverses, présentation du modèle de rapport annuel d’activités des associations, information sur la circulaire relative aux pièces justificatives, accords avec le secteur non marchand appliqués au secteur de la cohésion sociale,… La prépondérance de ces éléments d’ordre administratif s’explique aisément par la mise en œuvre du nouveau décret et de ses nouvelles règles. L’année 2006 est considérée par bon nombre d’acteurs comme une année de transition, où les nouvelles procédures devaient être assimilées par tous. Celaexplique également, en partie, le fait que seules cinq coordinations locales ont organisé d’autres réunions avec les associations, de manière plus informelle, sous forme de groupe de travail ou de plateforme.Dans la majorité des cas, les réunions se basent sur des documents écrits rédigés et fournis aux associations par la coordination locale (soit au préalable, en même temps que l’invitation à la concertation, soit distribués en séance) mais ce n’est pas toujours le cas. Les associations n’ont donc pas systématiquement connaissance des propositions de l’échevin(e) et de la coordination locale avant la tenue de la concertation.Les avis, et donc la contestation, peuvent partout s’exprimer publiquement, mais dans les faits, plusieurs éléments sont susceptibles de freiner l’exercice de la démocratieparticipative.Cesélémentsontétéobservésdans certains cas ; ils ne sont donc pas généralisables à l’ensemble des communes.•Le manque de transparence dans les critères desélection des projets : la transmission de documents écrits permet aux associations de visualiser la répartition des enveloppes budgétaires, mais n’est pas pour autant une garantie de transparence quant aux critères effectifs de décision.•Lestatutetlemodedeprésentationdespropositions:certaines propositions semblent entérinées à l’avance et les associations éprouvent parfois des difficultés à les remettre en cause lors de la concertation.•Le mode d’animation de la réunion et la placeréservée pour un espace de débat et de parole pour les associations.•La concurrence entre associations: des tensionspeuvent se manifester entre associations, principalement lors des discussions avec enjeux financiers.•Lacrainte, justifiéeounon,des« représailles » (sic) : les associations n’osent pas toujours donner leur avis et préfèrent s’abstenir pour éviter de risquer de mettre en péril leur projet.Face à ces difficultés, les associations adoptent desstratégies différentes, soit d’une commune à l’autre, soit

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distinction risque d’annuler la pertinence des deux processus qui gagnent à s’inscrire en complémentarité l’un avec l’autre. Le travail entamé sur les pratiques d’évaluation avec les coordinations locales et l’Administration de la COCOF a précisément pourobjectif de mettre en lumière les pratiques des uns et des autres et de leur donner du sens, non seulement pour les coordinations locales et la COCOF, maiségalement pour les associations, qui sont les premières concernéesparl’évaluationdesprojets.Cetravaildevraidéalement faire l’objet d’une publication officielle, afin de disposer de la visibilité indispensable à sa légitimité et à sa reconnaissance par les différents acteurs. Au-delà, laperspectiveet l’ambitionduCRAcs sontd’entamerun travail indispensable, tant aux yeux des autorités régionales (et de son Administration) que communales (par l’intermédiaire des coordinations locales), sur les indicateurs et les critères d’évaluation des projets.La formalisation des procédures et des pratiques d’évaluation dans l’inventaire des pratiques d’évaluation en cohésion sociale devrait permettre de clarifier les rôles et de disposer d’un document de référence pour l’ensemble du secteur. Les associations seront également sollicitées par le biais de l’évaluation collective (démarche d’évaluation réflexive)28.

e. Les procéduresLa contractualisation est au centre du dispositif de cohésion sociale : l’une des principales nouveautés de ce décret concerne ainsi l’élaboration et la signature d’un

contrat communal de cohésion sociale dans chaque commune éligible, reprenant la liste des associations chargées, par des actions spécifiques sur le terrain, d’œuvrer à la poursuite des objectifs du contrat. Le parcours administratif et politique complexe lié aux multiples étapes par lesquelles ont dû passer les programmes communaux avant leur approbation a constitué, pour la majorité des coordinations locales, une réelle difficulté29. Une autre question relevée dans lecadre de l’élaboration des contrats communaux a concerné le flou duconcept de cohésion sociale et le double examendesprojetsparlaCOCOFetpar la coordination locale. L’absence

de grille d’analyse et de critères officiels de sélection des projets a parfois entraîné de vives discussions quant au caractère éligible de telle ou telle action. Le manque de cohérence dans les critères de sélection des projets s’est concrétisé à différents niveaux :•Commentalliercohérencerégionale(parlebiaisdesobjectifs prioritaires) et spécificités communales (par le biaisdeprioritésspécifiques)?•Divergencedecritèresd’unecommuneàl’autre,voireau sein d’une même commune, certains projets ayant parfois été intégrés dans le contrat communal contre l’avisdelaCOCOF.

au sein d’une même commune : passivité, fatalisme, commentaire désabusé, critique « acerbe » ou enfin contestation forte.Lors de ses observations, le CRAcs a pu constaterquelques tâtonnements en termes de fonctionnement et de procédures.C’est pourquoi, afin d’assurer uneharmonisation minimale des règles d’organisation et de fonctionnement des concertations locales, et ce dansunsoucid’équitépourlesassociations,leCRAcspropose d’entamer un travail avec les coordinations locales autour d’une « mouture de base » d’un règlement d’ordre intérieur, qu’elles pourront préciser ou adapter en fonction des spécificités locales. Cetravail devra permettre de répondre aux questions de nombreux acteurs, notamment sur la procédure de vote (confidentialité des votes, points faisant l’objet d’un vote, motivation des votes,…), la transmission des documents utiles pour avis, la rédaction de notes de minorités,…

d. L’évaluationLa confusion relative à la démarche d’évaluation concerne l’évaluation en amont (sélection des projets) et en aval (évaluation de l’action menée) et peut, au-delà de la question des critères de sélection, se résumer par les questions suivantes: qui tranche?Quidécideendernierressort?Elleconcernequatreacteurs : la coordination locale, l’autorité communale -ces deux protagonistes au niveau local ne partagent pas nécessairement le même point de vue sur le travail

menéparlesasbl-, l’AdministrationdelaCOCOFetdésormaisleConseilconsultatif.Sansoublierl’étapedelaconcertationlocaleetladécisionduCabinetduministre en charge de la cohésion sociale.La difficulté principale concerne la prise de décision finale et la « tension » entre la compétence communale etlacompétenceCOCOF,précisémentlorsquelesavissont divergents ou dans le cas de certains dossiers délicats. C’estpourquoileCRAcsadécidéd’investircechampet de travailler à distinguer les démarches de contrôle desdémarchesd’évaluation.Faire l’économiedecette

© CBAI

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Il semble indispensable, afin d’assurer une certaine crédibilité du secteur, de disposer de critères de sélection permettant une application uniforme de règles communes dans l’ensemble de la Région, tant pour les projets actifs dans un contrat communal que pour les projets régionaux. L’enjeu dans la détermination de ces critères et règles communes est de parvenir à un équilibre entre rigueur et souplesse.À noter enfin que l’obligation de cofinancement communal disparaît, les communes pouvant décider elles-mêmes si elles souhaitent poursuivre ou non la politique de cofinancement en vigueur avant le décret. Cela semble, à première vue, contradictoire avecl’objectif de pérennisation des actions, dans la mesure où le montant du cofinancement communal est susceptible dediminuer,voirededisparaître,sansquelaCOCOFne soit nécessairement en capacité de suppléer à ce manque.Enoutre,mêmesilaCOCOFparvient,seule,à assurer un montant équivalent, pourquoi se priver ainsi d’une opportunité de développement des actions, au-delàd’une«simple»pérennisation?Noussommessans doute là à la lisière des deux logiques dominantes du décret : la pérennisation du secteur et le rôle central de l’autorité communale. Dans la pratique, l’ensemble des communes propose un cofinancement au contrat communal de cohésion sociale, sous forme de mise à disposition d’infrastructures, de personnel, de prise en charge de frais de fonctionnement, de participation aux frais de la coordination,… Le cofinancement est destiné soit à des associations du contrat communal, soit à de nouveaux projets annuels ou ponctuels, notamment dans des domaines d’action pluslargesqueceuxdéfinisparlaCOCOF.La conclusion d’un contrat communal de cohésion sociale a pour ambition de garantir une certaine cohérence entre les diverses initiatives et actions menées par les associations chargées de mettre en œuvre les objectifs du contrat. Si on relève des points extrêmement positifs comme la plus grande implication des associations dans les décisions, les procédures liées à la signature de ce contrat communal et aux divers avis rendus entraînent également des effets pervers importants, notamment le risque de « blocage » d’un programme dans son ensemble, suite aux difficultés rencontrées par un projet en particulier. En sus de son inscription dans le contrat communal de cohésion sociale, le décret prévoit que chaque association signe avec la commune et l’Administration delaCOCOFuneconventionspécifique.Concrètement, les conventions spécifiques proposentun découpage du projet de l’association en action, qui correspond avant tout à une réalité administrative. Cedécoupage peut dès lors, parfois, être jugé artificiel, car ne reflétantpasl’ampleuretlarichessedesactivitésmenées.Les conventions spécifiques ont néanmoins apporté une simplification administrative importante, en n’accordant plus un subside « action par action », mais ensoutenantunprojetdanssonensemble.Ils’agitd’uneréelle avancée, tant pour les associations qui ne sont plus tenues de justifier un montant précis par action,

que pour l’Administration de la COCOF chargée devérifier les pièces justificatives. Sans présager à ce stade des éventuelles modifications des règles et procédures actuelles, une démarche d’évaluation complète des qualités et lacunes du décret et de ses arrêtés d’application nécessite davantage de recul, notamment pour lui laisser faire « ses maladies de jeunesse » et ne pas proposer de modifications prématurées, qui entraîneraient éventuellement d’autres effets pervers. Dans ce cadre, le CRAcs estime indispensable de réfléchir à une restructuration et à une nouvelle forme d’articulation entre le contrat communal et les conventions spécifiques, afin de garantir une gestion plus souple du dispositif, tant pour les associations que pour l’Administration de la COCOF obligée de rédiger de nombreux avenants aux contrats communaux et aux conventions spécifiques.Par ailleurs, les coordinations locales devraient attirer l’attention des associations sur les procédures à respecter quant à d’éventuelles modifications à leurs actions d’une part, pour éviter toute difficulté ultérieure en matière de pièces justificatives et, d’autre part, pour participer de l’objectif de pérennisation et donc de stabilité des actions.Le contrôle des pièces justificatives est un thème sensible, l’ensemble des acteurs évoquant des causes d’insatisfaction. Le CRAcs plaide pour l’élaborationd’une jurisprudence en matière de pièces justificatives, comme outil de référence, qui permettrait de clarifier les choses et assurerait une certaine transparence et équité dansletraitementdesdossiers.Cetoutilreprésenteraitun gain de temps à l’ensemble des acteurs concernés.Le CRAcs relève une asymétrie entre les voletsrégionaux et communaux dans le décret, liée au suivi des projets régionaux, qui ne disposent ni d’une structure d’accompagnement, ni d’une concertation, contrairement aux projets inscrits dans un contrat communal de cohésion sociale. Enfin, la fusion des trois anciens dispositifs en un seul implique la fusion des rapports d’activités liés à ces dispositifs. Un modèle de rapport d’activitésunique a dès lors été co-construit pour l’ensemble des associations soutenues dans le cadre du décret. Le travail de rédaction du rapport d’activités est vécu par nombre d’associations comme une charge administrative et les réactions sont alors principalement exprimées en terme de lourdeur, particulièrement pour les associations qui disposent d’un subside « infime ». Le modèle contient des lacunes, principalement, en ce qui concerne le recueil des données chiffrées, qui ne permettent pas de rendre compte de la richesse des projets menés par les associations sur le terrain. Si le CRAcs plaide pour la complémentarité des données quantitatives et qualitatives, la prise de conscience des limites de la proposition actuelle s’est confirmée lors de l’exercice d’agrégation des chiffres, tant par les coordinations locales et l’Administration de la COCOF que par le CRAcs lui-même. La démarche de réappropriation est aujourd’hui en cours en vue d’améliorer progressivement le modèle. Elle

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devra nécessairement impliquer les acteurs ayant participé à sa co-construction pour permettre un cheminement conjoint. Il semble donc aujourd’hui indispensable, parallèlement à la structuration du secteur, de mener une réflexion approfondie sur les données chiffrées pertinentes et utiles, tant pour le ministre en charge de la cohésion sociale que pour les associations, les autorités communales et les coordinations locales. Parailleurs,plusconcrètement,leCRAcsapporteradespropositions de modifications du modèle de rapport annuel d’activités, sur base des observations, remarques et suggestions des associations et des coordinations locales.

7. Le juste équilibreLes treize communes du décret cohésion sociale ontdéveloppé des stratégies et des politiques d’action différentes, que ce soit en termes d’objectifs communaux spécifiques, de logique de répartition budgétaire, de fonctionnement de la concertation locale, de statut de la coordination locale, de liens avec les autres dispositifs delaville,…Ilexisteainsiunediversitédessituationset dynamiques locales, une disparité des ressources, une différenciation des analyses, priorités, stratégies et modes d’action de ces acteurs communaux et locaux. LerôleduCRAcs,notammentparlebiaisdesréunionsde la plateforme des coordinations locales, est de proposer des outils, des thèmes de réflexion,… quicontribuent au développement de la cohérence de la politique de cohésion sociale au niveau régional, tout

en tenant compte de la richesse des différences et des spécificités communales. L’enjeu consiste à trouver le juste équilibre entre l’effort d’harmonisation entre les communes (via des critères de sélection et d’évaluation, le profil de fonction de la coordination,…) et la flexibilité (marge de manœuvrepar rapport aux choix des actions) liée aux spécificités communales.Parailleurs,leCRAcsenvisagel’implicationdesacteursassociatifs, principaux artisans de la mise en œuvre concrète et du développement du décret, par le biais de l’évaluationréflexive,démarchede réflexioncollectivequi les invite à être des sujets par lesquels se construisent des connaissances collectives sur les réalités qu’elles vivent au quotidien avec les publics bénéficiaires et l’évaluation du travail accompli.

Alexandre Ansay, Gaëlle Lanotte, Loubna Ben Yaacoub

Equipe du CRAcs

(1) Le rapport complet est disponible sur www.cbai.be(2) Est également concerné, marginalement, le dispositif relatif aux personnes appelées à aider religieusement et/ou moralement les immigrés (Arrêté de la Communautéfrançaisedu11mars1983).(3)Anderlecht,Auderghem,Bruxelles-Ville,Etterbeek,Evere,Forest,Ixelles,Jette, Koekelberg, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noodeet Schaerbeek.(4) Zone déterminée par le Plan Régional de Développement qui couvre les anciens quartiers des communes de la première couronne.(5) 20 % du budget alloué à la cohésion sociale sont consacrés aux projets ré-gionaux.(6)Arrêté2005/9du26mai2005duCollègedelaCommissioncommunau-tairefrançaiseportantexécutiondudécretdelaCommissioncommunautairefrançaise du 13 mai 2004 relatif à la cohésion sociale. (7)L’évaluationdespolitiquespubliques,sixétudesdecasauniveaufédéral,CourrierhebdomadaireduCRISP,Bruxelles,2002,n°1764-1765.(8)Petitguidedel’évaluationdespolitiquespubliques,Conseilscientifiquedel’Evaluation, la documentation française, Paris, mai 1996, p. 10(9)AssembléedelaCommissioncommunautairefrançaise,sessionordinaire2003-2004,ProjetdedécretrelatifàlaCohésionsociale(10) Voir article Loubna(11)BeckU.,«LaSociétédurisque,Surlavoied’uneautremodernité»,Flam-marion,Champs,2003.(12) En 2005, le taux de croissance relatif constaté, par rapport à 1989, est de + 221 % en Région bruxelloise. (13) Dans quatre communes, le revenu moyen par déclaration d’impôts (reve-nus 2002, déclaration 2003) n’atteint pas 20.000 € (Schaerbeek, Molenbeek-Saint-Jean,Saint-GillesetSaint-Josse-ten-Noode.(14)LePIBparhabitantdelaRégionbruxelloiseestleplusélevédeBelgique.(15) Zimmer P., Les évolutions démographiques et socio économiques de la RégiondeBruxelles-Capitaledepuis1990,CourrierhebdomadaireduCRISP,numéro1948-49,2007,p.38.(16) Migrations internationales et populations d’origine étrangère, approche statistiqueetgéographique,InitiativeCharlesUllens,Consortiuminteruniver-sitairesurl’Immigrationetl’intégration,2006.Cechiffrenetientpascomptede ceux qu’on appelle les « statistiquement invisibles », les étrangers inscrits au registre d’attente, les clandestins,… dont la situation particulière constitue un facteur supplémentaire de discrimination et de fragilisation socio économique.

(17)Plusdelamoitiédesemploissontoccupéspardespersonneshabitantendehorsde la Région bruxelloise et qui viennent chaque jour y travailler (les navetteurs).(18)BudgetCOCOF,Division22–Aideauxpersonnes,Programme2:Aug-mentation de l’enveloppe globale de 8.462.000 € au budget initial 2005 à 9.667.000€aubudgetinitial2006.(19)HamzaouiM.,Letravailsocialterritorialisé,Éditionsdel’UniversitéLibrede Bruxelles, 2002, p. 61.(20)SchautC.,«Uneparticipationsurordonnance:lecasdesconseilsconsultatifsdeslocatairesenrégiondeBruxelles-Capitale»,EspacesetSociétés,n°112,2003.(21)LeFondsd’ImpulsionàlaPolitiquedesImmigrés,lescontratsdesécuritéet de prévention, le dispositif d’accrochage scolaire, l’accueil temps libre, les écoles de devoirs, les contrats de quartier, la politique des grandes villes et les projets de cohésion sociale soutenus par la Société de Logement de la Région deBruxelles-Capitale.(22) Même si le « Plan bruxellois pour l’alphabétisation » (PBA) ne dépend pas directement du décret du 13 mai 2004 relatif à la cohésion sociale, les actions menéesparLireetÉcrireBruxellessont intégréesdanscetravailrelatifà lanature des actions, en respectant la même logique de mise en catégorie que celle adoptée pour les associations du décret.(23)A.Rea,Lesnouvellespolitiquesociales,ThèseULB.(24) Article 3 du décret de 13 mai 2004 relatif à la cohésion sociale.(25) On relève, dans le répertoire des projets bruxellois de cohésion sociale, 24 actions spécifiquement organisées pour les personnes primo arrivantes (plus de 60 % concernent l’apprentissage du français ou une permanence et un ac-cueil spécifiques) ; d’autres sont, par ailleurs, destinées aux personnes « primo arrivantes et/ou d’origines étrangères ».(26)Ils’agiticideprésenterdesrecommandationsglobales;nousrenvoyonslelec-teur au rapport complet pour les recommandations plus précises et concrètes.(27)Dans lamesure où la coordination locale ne reçoit pas definancementdirectdelaCOCOF,seuleladotationallouéeàlacommunepourraitêtreen-visagée pour faire pression sur l’autorité communale, mais cela signifierait la prise en otage des associations du contrat communal.(28)Voirdanscedossier«Del’évaluationdanslaréflexivité»,pp.26-27(29)Deuxadministrations-lacommuneetlaCOCOF-,uneinstanced’avis-lasection«Cohésionsociale»duConseilconsultatifbruxelloisfrancophonede l’Aide aux personnes et de la Santé -, et deux instances politiques - le conseil communalet leCollègede laCOCOF-doiventexaminer,donnerunavisetapprouver le contrat communal.

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Une définition qui pose question

La cohésion sociale est une notion qui suscite des interrogations.

Régulièrement, de nombreux acteurs concernés par le décret

du 13 mai 2004 relatif à la cohésion sociale ont fait part de leurs

questionnements quant à la définition de la cohésion sociale

et à ce que ce vocable recouvrait en termes de contenus significatifs

et opérationnels. Le CRAcs a jugé utile de produire autour de cette

notion une réflexion exploratoire1 dans le contexte des institutions

européennes et au sein des secteurs bruxellois.

Do

ss

ier

E Q U I P E D U C R A c s

B ien qu’elle ait accompli ses premiers pas dans levocablepolitiquedel’Unioneuropéenneaudébut des années 1990, la notion de cohésion

sociale a été élevée au titre d’« objectif stratégique » lorsdusommetdeLisbonneenmars2000: l’Unioneuropéenne devait devenir rien de moins que « l’économie de la connaissance la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable, et d’une plus grande cohésion sociale »3.La notion de cohésion sociale apparaît, dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne, comme un complément nécessaireàl’épanouissementéconomiquedel’Unioneuropéenne. Elle se traduit dans la mise en place, à desti-nation de groupes spécifiques, de politiques d’insertion par la formation et de modernisation de la protection sociale. Outre le souhait que soient définies des actions prioritaires à des-tination de groupes déterminés (groupes minoritaires, enfants, personnes âgées, personnes handicapées), la lutte contre l’analphabétisme est éga-lement mentionnée comme une des priorités.LeConseileuropéendeLisbonne,mêmes’iladélimitédes objectifs opérationnels concrets4, n’a pas donné à la notion de cohésion sociale une définition consis-tante. La cohésion sociale demeure, dans ce cadre, une instance régulatrice globale, mais qui reste re-lativementindéterminéequantàsoncontenu.Ilfautcependantrappelerquel’objectifdeceConseileuro-péennevisaitpasàapprofondirlanotiondeCohésionsociale mais à donner aux politiques communautaires un nouvel élan.

Le Conseil de l’EuropeAumêmetitrequel’UnioneuropéennedanslecadredelastratégiedeLisbonne,leConseildel’Europedressele constat que les sociétés contemporaines vivent des changements importants susceptibles d’affecter

considérablement leur équilibre social et politique. Ces transformations comportent des risques accrusd’inégalitéetd’instabilité.Danscecontexte,leConseilde l’Europe entend rappeler que la place de l’individu réside au centre des systèmes de droit. Il est enoutrenécessairedeprendreencompte« la distribution des bénéfices sociaux et la reconnaissance de la diversité »5.LeConseildel’Europeproposeladéfinitionsuivantedite « de référence »: « La cohésion sociale est la capacité de la société à assurer le bien-être de tous ses membres,

incluant l’accès équitable aux res-sources disponibles, le respect de la dignité dans la diversité, l’auto-nomie personnelle et collective et la participation responsable. »LeConseildel’Europeproposequatre éléments constituant les dimensions indivisibles du « bien-être » citoyen, au centre de la définition de référence proposée ci-dessus :

•l’équité dans l’accès aux droits entendue comme non-discrimination,•l’autonomie entendue comme développement personnel,•la dignité entendue comme reconnaissance,•la participation entendue comme engagement.Le Conseil de l’Europe impute « la responsabilité de l’assurance du bien-être de tous » aux différentes parties prenantes de la société (l’État, la sociétécivile et les entreprises). C’est pourquoi, le «Guideméthodologique » définit la coresponsabilité comme une dimension essentielle de la cohésion sociale. Cette coresponsabilité s’exprime dans l’universalitéet l’indivisibilité des droits de l’homme et dans le développement durable. SelonleConseildel’Europe,unesociétédémocratiquedoit pouvoir garantir à ses citoyens l’accès aux droits fondamentaux. Or, certains groupes qualifiés de

« La notion de cohésion sociale paraît (…) rarement définie et son imprécision remplace

souvent dans les débats l’argumentation. »2

Mateo Alaluf

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« vulnérables » peuvent rencontrer des formes de discrimination dans l’accès aux droits sociaux, économiques,etculturels.Cesgroupes«vulnérables»sont les femmes, les enfants, les personnes âgées et handicapées,lesminorités,lesmigrants.Ilsrequièrentune attention particulière « car ils sont plus facilement sujets à l’exclusion et les plus exposés à l’insuffisance de cohésion sociale »6. En conséquence, les indicateurs de cohésion sociale7 doivent être établis de manière à rendre compte des conditions de vie que connaissent ces groupes spécifiques.C’est sur base d’une proposition de référence qu’ildevient possible d’élaborer, de façon concertée, des indicateurs permettant de mesurer la cohésion sociale. Le « Guide méthodologique » explique en des termes très clairs que le choix des indicateurs est fonction des intérêts stratégiques des groupes ou des institutions quilesdéfinissent.Cependant,« la construction d’une connaissance partagée entre plusieurs acteurs d’un même territoire suppose que les choix des éléments qui la charpentent soient consensuels. »8

En explorant la manière dont l’Union européenneet leConseilde l’Europeont investi cettenotiondecohésion sociale, nous avons voulu rappeler que ce terme participait à un contexte qui dépasse le cadre institutionnel bruxellois, lequel nourrit de nombreux débats et questionnements quant aux différentes significations qu’il peut revêtir. Par ailleurs, dans l’exposé des motifs9 justifiant l’adoption du décret,

par l’Assemblée de la Commission communautairefrançaise,AlainHutchinson,membreduCollège encharge de l’Action sociale, entendait rappeler que la politique de cohésion sociale s’inscrivait dans la lignée desobjectifsprioritairesfixésparl’UnioneuropéenneetleConseildel’Europe.

Débats et questionnements au sein du secteurLe rapport annuel duCRAcs fait état que plusieursopérateurs associatifs estiment développer des actions de cohésion qui participent à une forme de «pacification sociale». Cette réflexion formuléepar des acteurs de terrain bruxellois renvoie à la dimension « consensuelle » identifiée par plusieurs auteurs comme une des composantes de la notion de cohésion sociale. Là où il serait question de cohésion, il s’agirait en fait de préserver un ordre social menacé par des tensions conflictuelles qui opposeraient desindividus ou des groupes d’individus. Par ailleurs, ces mêmes opérateurs ont souvent l’impression de faire office de « béquilles du système » comme si ce dernier induisait de la casse sociale que la société civile aurait pour tâche de réparer. De la sorte, les multiples associations n’agiraient que sur les effets de certains processus sans pouvoir intervenir sur les causes qui les produisent. L’ensemble des études que nous avons parcourues10 identifient unanimement la société civile comme une des dimensions essentielles de la cohésion

sociale dans la mesure où elle est la plus à même de fabriquer efficacement des liens qui permettent de lutter contre les processus d’isolement et d’exclusion. En ce sens, le décret du 13 mai 2004 s’inscrit clairement dans cette dimension de la cohésion sociale puisqu’il organise le financement d’actions mises en œuvre principalement par des associations.

Société civile et capital socialLa notion de société civile serait indissociable du « capital social » qui renvoie à l’ensemble des réseaux qu’une association peut mobiliser dans l’exercice de ses missions. Nous avons pu constater que de nombreux auteurs avaient identifié le « capital social » comme une autre des composantes essentielles de la notion de cohésion sociale. À tel point qu’une société ne pourrait être dite cohésive qu’à la condition d’agréger le capital social intermédiaire accumulé par les différentes communautés locales.Cependant,cecapitalsocialpeutêtrequalifié de « fermé » quand il n’est accessible qu’aux seuls membres de la communauté qui lepossèdent.Cetteréflexionestàmettreenrapport avec les observations formulées par plusieurs acteurs de terrain selon lesquels il existe des associations dites communautaires qui organisent une forme de cohésion à l’échelle de leur quartier. Dans ce cas, le capital social et les ressources qu’elles mobilisent

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sont mis à disposition des habitants du quartier et ce, quelles que soient leurs appartenances culturelles, confessionnellesousociales.Cetteformedecohésionpeut être dite « ouverte » car elle n’est pas exclusive aux membres de la communauté. En revanche, d’autres acteurs relèvent que certaines collectivités peuvent développer une cohésion excluante et enfermante quand elles ne sont accessibles qu’aux seuls membres de la communauté. Celle-ci fige les individus dansune appartenance exclusive et développe une forme de « conformisme oppressant » qui peut constituer un obstacle à leur accomplissement individuel et citoyen. Il apparaît à l’examen de l’application du décret du13 mai 2004 que ce dernier admet manifestement le fait que des associations dites communautaires sont habilitées à produire de la cohésion sociale. D’un point de vue théorique, cela signifie qu’elles mettent à disposition un capital social ouvert car destiné à tout individu, quels que soient ses attributs identitaires.Plusieurs coordinations locales et associations considèrent que ce n’est pas la nature ou le type d’action qui importe mais le fait que cette dernière produise, en tant que processus, de la cohésion sociale. Les acteurs estiment que l’action constitue un outil vers la cohésion sociale ; en conséquence, le type d’outil utilisé importerait peu, pour autant que la démarche -en amont et en aval- vise la cohésion sociale. Unexemple souvent cité est celui de l’expédition récréative dansunparcd’attractions.Cetteactiviténeconstituepas en soi le contraire d’une action visant à la cohésion sociale. Tout dépend de la place qu’elle occupe dans la dynamique globale du projet où elle se déploie. Certains acteurs relèvent qu’il demeure difficile deréaliser des actions visant à provoquer la rencontre de publics différenciés. Cette dimension n’a pasété identifiée en tant que telle dans les travaux de recherchedontleCRAcsapuprendreconnaissance.Cependant,certainsauteursinsistentsurlanécessitéde concevoir une définition de la cohésion sociale qui intègre les interactions entre les groupes culturels différents, en particulier la dimension conflictuellequi peut naître de ces différences.Certains acteurs du décret se demandent si larencontre de l’autre peut être envisagée « sans tenir compte de son identité». Cet élément touche à unedes composantes essentielles de la cohésion sociale, identifiéeparplusieursauteurs.Cesderniersinsistentsur le fait que plusieurs individus ou groupes d’individus nourrissent des attentes de reconnaissance identitaire et que le fait de rencontrer, dans l’espace social, des formes de mépris exprimés à l’adresse d’une dimension essentielle de leur être, constitue un facteur indéniable d’incohésion sociale. Dès lors, le fait de reconnaître comme dignes de respect des héritages culturels ou des modes de vie différents contribuerait à édifier une cohésion sociale qui soit également préventive.Enfin, plusieurs opérateurs considèrent que la majorité des actions participent plus à une démarche d’insertion qu’à des pratiques visant à améliorer la cohabitation des habitants.Cependant, les processus d’insertion,

dans la mesure où ils permettent d’accroître l’accès à l’emploi, ne constituent-ils pas une dimension essentielledelacohésionsociale?

Les dimensions constitutives de la cohésion socialeCes constats et ces observations font écho aux réflexionsformulées par de nombreux chercheurs dont nous avons tenté de rendre compte dans le premier rapport annuel duCRAcs.Ces différentes contributions révèlent que dessoupçons pèsent sur la notion de cohésion sociale. Cettedernière serait suspectée de jouer le jeu du néolibéralisme lequel l’utiliserait comme une notion cache misère11 destinée à masquer l’exclusion et les discriminations engendrées par le règne de la concurrence, en la dotant d’une aura de respectabilité. Afin de lui donner une consistance que beaucoup lui dénient, il conviendrait de l’appuyer sur deux principes aussi indissociables que fondamentaux :

1. Garantir une justice redistributiveUne situation cohésive suppose un état capable desauvegarder une justice sociale qui puisse assurer une redistribution équitable des richesses et une protection sociale pour l’ensemble des citoyens.Cetétat serait constitué de trois composantes :

À lire

Les projets de cohésion socialeDossier trimestriel du RBDH, Article 23, 12/ juillet-sept. 2003, 55 p.

La revue présente différents projets de cohésion sociale en Région de Bruxelles-Capitale en matière de logement social. Ces projets sont pilotés par les habitants des immeubles et des quartiers, et les acteurs en présence sont les représentants du tissu associatif, du CPAS, de la société de logement – ici la SLRB – ainsi que la commune. Le but est de contribuer à l’amélioration des relations de bon voisinage des locataires, entre eux d’abord et avec la société de logement ensuite, et aussi de permettre une meilleure intégration des logements sociaux et de leurs habitants dans le quartier. Différents projets ont vu le jour, organisés sous une convention détaillant les droits et devoirs des divers intervenants. La participation des habitants est un concept institutionnalisé au Royaume-Uni. C’est pourquoi la Fédération bruxelloise des unions de locataires (Fébul) a effectué deux voyages d’études et a pu constater que cette pratique fonctionne !La revue présente un panorama de la situation existante. On ne dispose pas encore d’outils suffisamment affinés pour dresser une analyse approfondie de l’impact de ces projets mais, au moins, les initiateurs ont eu le mérite d’intervenir là où il y avait un vide. Une évaluation des effets des projets de cohésion sociale sera réalisée et l’on verra si ceux-ci se pérenniseront. Mais ils devront de toute façon être renforcés par des projets de rénovation du bâti et de revitalisation des quartiers.

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a. Des corps intermédiaires dynamiques.b. L’accès aux droits sociaux fondamentaux avec une

insistance particulière sur l’accès à l’emploi.c.Une société civile riche et dense accumulant un

capital social reposant sur des réseaux de solidarité perméables, c’est-à-dire ouverts et accessibles à tout individu, sans qu’il soit tenu compte de ses traits identitaires singuliers.

2. Préserver l’estime due aux identités culturellesComment «faire cohésion» dans une sociétémulti-culturelle?Denombreusesétudesinsistentsurlané-cessité de mise en œuvre de politiques de reconnais-sance à l’adresse des diversités culturelles qui compo-sent la société, ainsi qu’à des actions de lutte contre les discriminations dont sont victimes des personnes du faitdeleurappartenanceàdesgroupesqueleConseilde l’Europe aqualifiésdevulnérables.Cedeuxièmeprincipe s’articule autour de deux composantes :a.Ces politiques devraient soutenir la productiond’identités culturelles métissées. Il s’agirait dans cecadre de financer des actions visant à développer des interactions entre les différents groupes culturels dans le cadre de politiques généralistes.

b.Parailleurs,l’Étatseraitamenéàposerdesgestesdereconnaissance afin de mettre en valeur la manière dont certains groupes culturels ont contribué à la construction de l’entité nationale ou régionale à laquelle ilsappartiennent.Cettedimensionestessentiellecarelle influence la façon dont des personnes ou desgroupes de personnes vont percevoir l’estime que la société témoigne à leur égard. Ces marques detémoignage contribuent à écrire l’histoire d’un peuple et permettent de recomposer la diversité fragmentée des groupes culturels en une destinée commune.

Deux écueils à éviterCes deux dimensions apparaissent indissociablessi l’on veut éviter deux écueils majeurs. Le premier écueil consiste à culturaliser la cohésion sociale en limitant ses enjeux à la cohabitation des diversités culturelles. La perspective culturaliste affirme qu’une société donnée parviendrait à une situation cohésive à partir du moment où elle arrive à établir des accommodements entre les altérités culturelles et en promouvant un consensus autour des valeurs. Cette approche soutient que c’est par la productiond’identités culturelles que peut se construire du lien social. Dès lors, c’est en investissant dans des politiques socioculturelles que l’on pourra lutter de façon appropriée contre l’exclusion sociale.Cettepositionignorequelescausesdel’exclusionsejouent en amont dans des situations de distribution inégale des positions socio économiques et que c’est principalement sur celles-là qu’il faut intervenir. Elle pourrait se résumer de la manière suivante : apporter une réponse socioculturelle locale aux effets de l’exclusion alors que ceux-ci sont engendrés par des causalités socio économiques globales.« La diversité culturelle s’impose comme un fait de plus en plus incontournable de nos sociétés, sous sa forme

éthique bien sûr, mais aussi sous la forme des diverses sous-cultures attachées aux catégories d’âge, de genre, d’orientation sexuelle et aux appartenances régionales. Un appel à la solidarité qui nierait cette diversité ne saurait être rassembleur.12 » Le second écueil revient à réduire l’enjeu de la cohésion sociale à la seule dimension socio économique car cela reviendrait à ignorer les demandes de reconnaissance que nourrissent certains groupes culturels. Une politique de reconnaissancede la diversité permettrait de restaurer des identités collectives « endommagées ». En ce sens, ces formes de reconnaissance peuvent agir de façon préventive en évitant à des sujets de se sentir méprisés au travers des spécificités dont ils estiment être les héritiers et qui sont constitutives de leurs appartenances ou de leurs choix de vie.Dans la mesure ou le décret du 13 mai 2004 permet le financement d’actions portées par des opérateurs associatifs, il semble qu’il s’inscrit principalement dans les réseaux de solidarité perméables. Mais étant donné que la majorité des actions qu’il soutient participent à une politique généraliste de lutte contre les désavantages sociaux, il contribue également à l’accès aux droits sociaux fondamentaux.Les actions menées dans le cadre du décret peuvent également figurer dans la production d’identités culturelles métissées. En revanche, il convient de constater que la reconnaissance de la contribution des divers groupes culturels minoritaires à la construction régionale n’est pratiquement pas développée dans le cadre du décret.

La coopération conflictuelleLe caractère multiculturel de la population bruxelloise(plusde47%13 des résidents bruxellois sont considérés comme étrangers ou d’origine étrangère) peut être considéré comme une richesse. Mais la cohabitation de ces diversités culturelles ne vapasdesoi.Cesdernièrespeuventdonnerlieuàdes crispations, à des tensions, à des replis, à des perceptions fantasmées de l’autre, en somme, à des conflictualitésquigagneraientàêtreportéespardesinstitutionsdémocratiques.Ceslieuxderéflexivitéainsi institués permettraient qu’émergent des formes decoopérationconflictuelle. Il imported’éviterdeconfiner les divergences ou les tensions sur le terrain des altérités confessionnelles, convictionnelles, et culturelles:laconflictualitépeutstructurerlesociallorsqu’elle s’érige en contestation d’une distribution inégale des richesses et lorsqu’elle entend garantir à tous l’accès aux droits sociaux fondamentaux. Dans cette perspective, elle a trait aux intérêts socio économiques divergents, engendrés notamment par les effets pervers de la mondialisation.Danscesespacesdecoopérationconflictuelle,structurésau sein d’institutions publiques qui reconnaissent et acceptent la pluralité des appartenances culturelles, pourraient émerger des interactions dans lesquelles les individus expérimenteront l’estime sociale des héritages culturels dont ils sont porteurs, tout en rencontrant la diversité culturelle constitutive de leur environnement

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À lire

Le chœur de la cohésion sociale : retour critique sur l’actionÉtude réalisée par Patrick Hullebroeck, Bruxelles, La Ligue de l’enseignement, déc. 2006, 39 p.

Cette étude examine la problématique de la cohésion sociale en Région de Bruxelles-Capitale à travers une expérience menée dans une école de la commune de Molenbeek-Saint-Jean, menée de 2002 à 2006, et considérée comme ayant valeur exemplaire. Elle a forcément ses limites. Il s’agit d’un côté de poser le problème global de la cohésion sociale en Région de Bruxelles-Capitale (RBC), et, de l’autre, de mettre à l’épreuve des hypothèses sur les actions et politiques de cohésion sociale à travers cette expérience. Le but est de mobiliser quelques concepts pouvant aider à l’élucidation de plusieurs enjeux importants, qui fournissent certains outils facilitant l’analyse de ces phénomènes complexes. Le deuxième chapitre se penche sur les éléments d’une représentation de l’état de la cohésion sociale en RBC dans son ensemble. Cette représentation est un construit social qui se fonde sur des éléments objectifs et directement observables certes, mais elle est traversée également par la subjectivité des acteurs et surtout, le positionnement qui est le leur dans la réalité bruxelloise. Le troisième chapitre étudie le cadre légal en analysant la définition de la cohésion sociale telle qu’elle est proposée par le décret relatif à la cohésion sociale du 30 avril 2004.Le quatrième chapitre est le récit de l’expérience menée à l’école 7 « Arc-en-ciel » de Molenbeek-Saint-Jean par une initiative de la directrice qui voulait mettre sur pied une « Fête des lumières » en faisant participer la chorale des mamans. L’action est analysée, ce qui conduit à des observations sur les projets et la politique générale de cohésion sociale.Selon cette étude, il manque à la définition de la cohésion sociale, proposée par le décret, un aspect fondamental, celui de l’émancipation. Cette recherche constitue une contribution intéressante à la question suivante : qu’est-ce qui permet de déterminer qu’un projet participe ou non à une démarche de cohésion sociale ? Le décret doit insister sur la dimension émancipatrice des projets soutenus. Ces processus d’émancipation ne peuvent se faire sans une forme de conflictualité, considérée comme la résultante de la confrontation de systèmes de règles différents et celle-ci doit favoriser la régulation de ces systèmes par des processus négociés pacifiquement.

etdelasociétédanslaquelleilsvivent.Cesinteractionssont susceptibles de produire des identités enrichies et différenciées. En outre, elles contribueraient à désenclaver les individus qui disposent d’une perception exclusive et uniforme du monde. Ceux-ci pourraientaccéder à d’autres valeurs et ce même mouvement contribuerait à introduire du multiple là où il n’y avait que de l’unique. Dès lors, il est même possible que ces espaces amènent certains à se distancier de leurs appartenances culturelles originelles.Le principe d’institutionnalisation de la conflictualitéréalise deux exigences fondamentales d’une démocratie pluraliste. Il constitue, tout d’abord, un principe dereconnaissance de la diversité culturelle. Ensuite, il produit l’émancipation des individus en leur permettant de frayer avec des mondes vécus différents faits de cultures et de complexités. Enfin,nouspensonsavecChristineSchautque laconstruction d’une société cohésive se doit inclure « des politiques universalisantes traitant en amont la question de la précarité. L’emploi, le logement, l’enseignement, et de manière plus transversale, la lutte contre les discriminations culturelles apparaissent ici centrales. Mais il manque à ces politiques la prise en compte de la dimension socioculturelle de la précarité et les demandes de reconnaissance des individus et des groupes sociaux qui y sont confrontés. C’est donc à partir de la double exigence d’une égalisation des conditions d’existence et d’une opportunité réelle pour chacun d’accéder à une estime sociale qu’il faut repenser la précarité et son traitement politique.14 »

Alexandre Ansay,Gaëlle Lanotte et Loubna Ben Yaacoub

Equipe du CRAcs

(1) Nous avons rassemblé dans cet article quelques éléments qui font l’objet de plusamplesdéveloppementsdanslepremierrapportannuelduCRAcs.(2) AlalufM., «Évolutions démographiques et rôle de la protection sociale.Rapportfinal»,ULB,1999,p.3.(3)ConseileuropéendeLisbonne,23et24mars2000,ConclusionsdelaPré-sidence.(4)Ibidem:1.Untauxd’emploiglobalde70%;2.Untauxd’emploideplusde60%chezlesfemmes;3.Untauxd’emploide50%chezlestravailleursseniors;4.Unecroissanceéconomiqueannuelled’environ3%(5) « Guide méthodologique : élaboration concertée des indicateurs de la cohé-sionsociale»,Conseildel’Europe,juin2005,p.15.(6)Ibid,p.74.(7)Ibid,p.163etp.18:“Cetouvragedoitégalementserviràvérifierquelesbesoins des groupes plus vulnérables de la société sont correctement pris en compte.»(8) Bernard P., « La cohésion sociale : critique dialectique d’un quasi-concept. », mars1999.Articledisponiblesurlenet,p79.(9)ProjetdedécretrelatifàlaCohésionsociale,AssembléedelaCommissioncommunautaire française, 23 février 2004, session ordinaire. (10)Nousrenvoyons le lecteuraurapportcompletduCRAcsdisponiblesurle site www.cbai;be (11) Bernard P., « La cohésion sociale : critique dialectique d’un quasi-concept », mars 1999. Article disponible sur le net.(12) Bernard P., op.cit.(13)Consortium interuniversitaire sur l’Immigrationet l’intégration,Migra-tions internationales et populations d’origine étrangère, approche statistique etgéographique,InitiativeCharlesUllens,2006.(14)C.Schaut,Despolitiquesàl’épreuvedelaville,Bis,juin2007.

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AI : Certaines communes considèrent que des projets de cuisine ou de sport ne participent pas à la cohésion sociale, alors que d’autres pensent le contraire et soutiennent ce type de projet. Quel est votre avis sur le traitement différencié des demandes de subsides d’une commune à l’autre ?Alain Lapiower : Sur le fond, je trouve non seulement normal mais en plus vraiment sain le fait qu’il y ait une différenciation par rapport aux environnements sociaux et aux contextes qui diffèrent d’une

commune à l’autre. Les disparités sont importantes. Les enjeux sont différents suivant le contexte social

et politique. La Ville de Bruxelles par exemple peut avoir des enjeux dont la portée est liée à son statut de capitale. Le fait que la politique soit différenciée est donc une preuve d’intelligence.Jen’aipasunevisiond’ensembledetouslesprojetsdecohésion sociale. Mais a priori il me semble évident que n’importe quelle activité peut favoriser la cohésion sociale. Car ce qui compte ce sont les objectifs, lafaçon dont ils sont atteints, et surtout la population à laquelle on s’adresse. À partir de là, ma foi, peu importe que ce soit de la cuisine, de l’architecture, ou de la balle pelote !

AI : En quoi la culture permet-elle de créer du lien social ? Et dans l’autre sens, comment l’action sociale peut-elle intégrer la culture dans ses objectifs ? Alain Lapiower : La culture est importante dans le travail de cohésion sociale et dans le travail social de manièregénérale.ÀLezartsurbains,l’associationoùje suis directeur, j’ai toujours eu cette opinion que la culture est une arme d’émancipation, d’estime de soi et de compréhension du monde sans laquelle nous serions ballottés comme un objet ignorant ce qui nous arrive. Sur un plan plus technique, la culture est un outil pour accéder à une forme d’équilibre personnel, pour nous permettre de résoudre des problèmes sociaux personnels, par exemple trouver un emploi. C’estévidentquelespersonnesquipossèdentplusdeculture, qui parlent mieux, trouvent plus facilement de l’emploi. Depuis vingt ans que je travaille dans le secteur socioculturel, je suis persuadé que la culture est vraiment un élément décisif pour s’en sortir.

AI : Mais s’agit-il vraiment de culture ? Certains critiques parlent de sous-culture pour les exclus… Avez-vous déjà entendu ce genre de commentaire ?Alain Lapiower : La culture est une réalité extrêmement mouvante et varie avec les époques. Chaque époqueapporte de nouvelles formes de cultures qui, au départ, nefontpaspartiedelaCultureavecungrandC.Ellesla bousculent et la transforment pour finalement rentrerpeuàpeudanslaculturegénérale.Ilyatrenteans le rock était considéré comme une contreculture. Aujourd’hui il est un des piliers de la culture générale. Les formes que nous pratiquons à Lezarts urbainssont ce qu’on appelle les cultures urbaines. La culture hip-hop a suivi exactement ce même cheminement, étant au départ une création marginale considérée comme subversive ou en tous cas dérangeante. Avec le temps, un certain nombre d’auteurs, de rappeurs, de groupescommeIAMouMCSolaarsontdevenusdesclassiques.Certainsprofesseursdefrançaisanalysentleurs textes en classe. « L’as de trèfle qui pique ton cœur » deMCSolaar:c’estunjeudemotstrèsréussi!Mais la question majeure demeure comment avoir accès à la culture. Nous vivons dans une société socialement et culturellement injuste. L’injustice culturelle est complexe et multiple. Les personnes issues des milieux populaires ont de plus grandes difficultés à accéder à la culture. Pour toutes sortes de raisons : notamment le faible héritage socioculturel, le manque de formation, les difficultés liées à la langue. Les questions de l’immigration complexifient encore sonaccès.Maisilexiste,àcôtédelaCulturegénérale,d’autres formes culturelles souvent plus spontanées et qui proviennent des milieux populaires. Les cultures urbaines comme le hip-hop sont un exemple vivant très récent. Elles sont spontanément portées par les gens de milieux qui y sont plus sensibles parce qu’elles parlent plus au corps, elles bougent plus, elles sont plus « excitantes » pour des personnes qui ont un rapport moins académique au monde. À partir de ce constat et à partir de l’héritage de mai 68, nous avons expérimenté par la pratique que le meilleur moyen de s’intéresser à la culture est de la faire soi-même.J’ai vu tellement de jeunes entrer dans ces culturespopulaires d’abord avec leur vision étroite, juste parce qu’ils sont adolescents et ne s’intéressent qu’à « un truc » sans regarder ce qui existe autour d’eux ! Avec

Militant de la cultureDirecteur de Lezarts urbains, asbl saint-gilloise centrée sur

les cultures urbaines et populaires, Alain Lapiower fait partie de ceux

qui estiment que la culture représente un outil puissant en cohésion

sociale. Vingt ans de terrain et tant de jeunes qui sont sortis de leurs

rancoeurs pour entrer dans la vie sociale grâce à la culture l’ont

renforcé dans ses convictions.

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E N T R E T I E N

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l’âge, ils commencent à s’ouvrir à des formes voisines, connexes.Ilsprennentconsciencequed’autresartistesontexistéavantceuxqu’ilsaiment.J’aivuainsitouscesrappeurs ou ces jeunes qui font du graffiti découvrir des formes de peinture et de musique qui leur parlaient et qui, au départ, n’étaient pas strictement la forme qui les attirait. En s’ouvrant au monde, ils deviennent actifs et apprennent plus facilement. C’est cettepédagogie active que nous pratiquons. Les milieux populaires sont particulièrement sensibles et ouverts à des formes culturelles (danse de rue, rap, funk…) qui est un univers culturel particulier - du moins, au départ. À un moment donné, il deviendra un univers culturel tout court, parce qu’il sera entré dans le grand mondedelaculture.Cenesontpasdesabstractions!Jetravailledepuisquinzeansaveccemaillonduhip-hop : j’ai vu de mes yeux une génération entrée dans la culture par ces portes-là. À partir de la breakdance, les uns ont découvert les claquettes, les autres la capoeira, d’autres encore le kung fu.

AI : Que répondez-vous alors à ceux qui persis-tent à dire que c’est de la culture d’amateurs ? Alain Lapiower :C’estdelacultured’amateursquandc’est du travail d’amateurs ! Mais pas à partir du mo-ment où l’on essaye de tirer les jeunes vers le haut, commenouslefaisonsàLezartsurbains,etd’allerplusloin avec les jeunes artistes amateurs : à savoir mon-ter sur scène, formaliser et structurer le travail, être plus exigeant, oser faire non plus des démonstrations mais un spectacle, puis une création, rencontrer des professionnels, voir d’autres spectacles. Au niveau de la breakdance par exemple, nous organisons un grand festival annuel au Palace. Trente groupes amateurs vont débouler sur scène. En haut de l’affiche, nous présentons un groupe français de danseurs extraordi-naires qui ont gagné le championnat en démonstration technique. En les voyant, tous les petits breakers vont s’ouvrir sur un autre monde et continuer à avancer. Unepersonnalité commeAbdAlMalik, en traindedevenir la coqueluche de tout l’establishment culturel français, est considéré comme le top de la culture aujourd’hui. Abdel Malik, nous avons été les premiers à le programmer à Bruxelles. Il a participé à desslam sessions à la Maison du livre où personne ne le connaissaitparcequ’ilétaitencoremarginal.Ilyaàpeinetrois ans, c’était un petit rappeur de Strasbourg. Nous travaillons ainsi sur des personnages emblématiques qui ont valeur exemplative comme Abd Al Malik ou MCSolaar.Cequelesecteurpolitiquedelacohésionsociale ne comprend pas bien… La qualité du travail que nous pourrons fournir dans un quartier avec des gamins est liée au crédit que ces jeunes donnent à l’animateur. Plus l’animateur aura des connexions avec le milieu artistique professionnel, plus il pourra être considéré comme une référence par des gamins du quartier. Tout ce travail de réseau semble un peu éloigné de la cohésion sociale et pourtant il représente un volet cohérent.La créativité, c’est bon pour la santé. En termes sociaux, c’est pareil : réaliser un travail d’expression avec les

milieux défavorisés leur permet d’avancer dans leur problématique, d’apprendre à se prendre en charge, d’aller jusqu’au bout d’un processus, de se structurer, de sortir toute la rancoeur qui s’accumule dans l’estomac de ceux qui vivent dans les quartiers du bas de la ville. Pouvoir sortir sa rancœur sur scène et dire « Fuck le système !», c’est bon pour la santé. Parce que en plus ils n’ontpastoutàfaittort…Underniercontreargumentpar rapport à la critique de sous-culture : elle l’est de moins en moins. Beaucoup sont mal informés sur les culturesurbaines.Ilfautquandmêmesavoirque,dansunedisciplinecommeladanseaujourd’huienFrance,tout le réseau des théâtres -j’ai bien dit des théâtres et pas des maisons de jeunes- programment chaque année des créations de culture urbaine considérée comme un des courants les plus vivants de la danse contemporaine. En Belgique, nous sommes un peu en retard…

AI : N’avez-vous pas l’impression que vous servez de béquilles à un système où le po-litique vous demande d’agir sur des problè-mes locaux qui ont des causes plus globales ? Alain Lapiower : Notre mission est en effet surdimen-sionnée. Mais je voudrais apporter une réponse mesu-rée. Dans les quartiers, un travail de pacification sociale a permis de décongestionner une partie des frustra-tions, sentiments d’injustice, violences larvées, incom-préhensionsetmalentendusquis’accumulent.J’aicom-mencé à travailler avant les émeutes de 1991, et j’observe aujourd’hui que tout ce maillage socioculturel a quand

mêmeaméliorélasituation.Ilaaidédespersonnes,pastoutes, à s’en sortir. Le fait que ce processus s’applique à travers tout le pays et que tout un savoir-faire ait été en-grangé me fait dire que tout ça n’a pas servi à rien, même si c’est sûrement largement insuffisant et que parfois, pour des raisons politiques, on a un peu surévalué ou enjolivé les effets.

Propos recueillis par Nathalie Caprioli

Atelier d’écriture slam et rap à Saint-Gilles.

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AI : Depuis quand votre association existe-t-elle et quel est son objet de travail ?Ateliers du Soleil : Notre association a plus de 30 ans d’existence. Elle a été fondée par des journalistes turcs, exilés politiques en Belgique, et des ressortissants belges. En faisant leur travail de journalistes, elles ont rencontré la population de ce quartier ; c’étaient à l’époque des personnes provenant essentiellement de Turquie mais

d’origine turque, kurde, assyrienne ou arménienne. Trente ans plus tard, la mixité culturelle du public qui fréquente

notre association s’est très fortement développée et nous comptons aujourd’hui un peu plus de 77 nationalitésdifférentes dont des Mexicains, des Tibétains ou encore des Gualtémaltèques. Nous proposons des activités d’éducation permanente, d’expression et de créativité, une école des devoirs et des actions d’insertion socio professionnelle.

AI : Faites-vous de la mixité un principe d’emblée ? Ateliers du Soleil : Nous travaillons la mixité dans un but social et démocratique, c’est pour nous un moyen de lutter contre l’injustice et l’exclusion dans le cadre avant tout d’un projet social. Notre public est essentiellement constitué par les habitants du quartier qui sont généralement des primos arrivants,certains sont scolarisés, d’autres pas dans leur pays d’origine. Nous retrouvons une mixité de genre, d’âge, de niveau d’instruction, de génération et de culture. Les personnes sont originaires de différents pays mais il n’y a pas de prédominance d’une culture en particulier ; nous veillons vraiment à garder cet équilibre. Nous visons l’être humain : dans le travail quotidien, nous insistons sur certaines valeurs comme le respect, la solidarité ou l’égalité entre hommes et femmes.

AI : Comment travaillez-vous plus concrètement la mixité dans vos activités ?Ateliers du Soleil : Nous sommes très attentifs à tous les aspects liés à la question de la mixité en général et aux situations parfois sensibles qu’elle peut générer. Le choix des thèmes que nous proposons, à la fois dans le cadre des cours de français et dans celui des ateliers créatifs, est important et porteur. Dans les processus d’apprentissage, les personnes témoignent de beaucoup

dechosesetracontentcequ’ellesvivent.Cequisepassedans ces moments est très important et généralement on peut se rendre compte, au travers de leurs récits, que le dénominateur commun est leur situation de précarité etd’exclusion.Celapermetdefaireprendreconsciencede la réalité et du vécu de chacun et de démythifier « l’autre ». Si les liens se créent et se renforcent, c’est aussi dû au fait que les thèmes exploités en classe sont en relation avec la vie de tous les jours. Mais c’est parfois difficile et sensible parce que les raisons de leur arrivée en Belgique sont aussi, en tous cas officiellement, en rapport avec leur religion ou leur origine ethnique. La difficulté s’accentue encore davantage quand certaines organisations qui dépendent ou collaborent avec des pouvoirs politiques manquent de courage ou ferment les yeux sur certaines réalités par opportunisme, en vue de flatteruncertainélectorat;ellesexerçentunecertaineinfluencesurunepartiedenotrepublicsabotantainsile travail que nous menons. Par ailleurs, nous devons également rester vigilants et faire face à l’ingérence des autorités et des organisations nationalistes et intégristes des pays d’origine.

AI : Devez-vous éviter volontairement, avec votre public-cible, certains sujets trops sensibles ?Atelier du Soleil : La religion est certainement un des sujets à éviter parce que dans les pays d’origine, il y a parfoisdesconflitsentrereligions.Maisnousn’avonspas beaucoup de mérite. Le niveau de français des participants est tellement faible qu’il ne leur est pas vraiment possible de se lancer dans de grands débats. Par contre, nous profitons de cette situation pour justement mettre en évidence leurs points communs. On observe que, au quotidien, ils vivent très bien ensemble mais qu’au niveau des idées, ils peuvent s’affronter.

AI : Se côtoyer conduit-il forcément les gens à mieux vivre ensemble ? Atelier du Soleil : Oui, à condition qu’il y ait une volonté de rapprochement de part et d’autre. Avant d’inscrire une personne aux Ateliers du Soleil, nous lui décrivons le projet « citoyen » de l’association. La personne qui choisit dès lors de s’inscrire ou d’inscrire son enfant marque déjà un esprit d’ouverture.

La mixité, un choix ?La mixité peut-elle se décréter ? Dans certains quartiers,

elle se constate et se reflète, entre autres, dans la diversité culturelle

des populations. Elle s’érige en principe et peut être imposée

par des politiques publiques comme instrument privilégié au service

d’une plus grande cohésion sociale. Mais la mixité se choisit aussi.

Elle se propose comme objet de travail, s’inscrit dans un processus

et dans d’un idéal de société, comme c’est le cas aux Ateliers

du Soleil au carrefour de Bruxelles-Ville, Saint-Josse et Schaerbeek.

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AI : Que pensez-vous des associations qui proposent des actions spécifiques, par exemple, à l’attention exclusive des femmes ? Ateliers du Soleil:Ilfautpouvoirrépondreàtouteslesdemandes. Toutefois, nous sommes tout à fait opposés à l’organisation de ce type d’action parce que l’intégration suppose pour nous de faire un effort des deux côtés. Notre position empêche sûrement un certain public de participer à nos actions. Heureusement peut-être que d’autres associations se limitent à un public de femmes, mais elles devraient avoir comme vision, à long terme, de les intégrer dans des associations « mixtes », faisant ainsi de la mixité une des étapes du processus d’intégration.

AI : Comment se traduit le travail de sensibilisation aux enjeux de la mixité avec les enfants qui participent à vos activités ?Ateliers du Soleil : Au sein des ateliers créatifs, nous choisissons, comme avec les adultes, des thèmes bien précistelceluidumétissage.Cethèmeseralepointdedépart d’une réflexion qui se poursuivra toute l’année.Le résultat s’exprime dans la réalisation d’une œuvre collective qui reflète lemélange de cultures. Ce genred’activités donne l’occasion d’avoir des moments de parole, stimule les enfants à faire un travail de recherche dans une culture qui n’est pas la leur et les amène à constater que nous sommes tous des êtres humains. Le résultat est très intéressant car ce biais permet vraiment de développer la mixité. À d’autres moments, ce sont des initiativescommecellemenéeavecAmnestyInternationalen faveur d’une femme qui a eu un enfant adultérin et qui a été condamnée dans son pays d’origine. Nous avons beaucoup parlé de mixité, du respect entre hommes et femmes.Celaapermisd’interrogercequisepassedansles familles ici, et de se demander pourquoi les filles font moins d’études que les garçons ou pourquoi les garçons peuvent sortir et pas les filles. La sensibilisation à la mixité est un travail de longue haleine.

AI : Qu’est-ce qui différencie le travail mené avec les adultes de celui mené avec les enfants ?Ateliers du Soleil : Les enfants constituent un public privilégié parce que, contrairement aux adultes, ils ne se censurent pas. Leurs « dires » nous renseignent sur ce que les familles leur transmettent et qui ne nous est pas accessible via les parents, ceux-ci étant parfois eux-mêmes prisonniers de mentalités, d’idées. Les obstacles sont tellement énormes que nous sommes parfois étonnés de certains résultats collectifs.

AI : Vous êtes reconnus et financés par des pouvoirs subsidiants. Comment parvenez-vous à articuler leurs diverses exigences ?Ateliers du Soleil : Entre le nouveau décret d’éducation permanente qui nous demande d’être bien organisés et lesexigenceslourdesdel’ISP,letravailadministratifestconséquent. Nous menons les actions que nous considérons importantes mais il nous arrive de devoir répondre à des exigences administratives au détriment de certains aspectspédagogiques.PourcequiestdudécretCohésionsociale, les moyens octroyés sont vraiment insuffisants

compte-tenu de l’ampleur du travail mené. Le décret est très important, il consolide et donne une reconnaissance à nos actions. Mais les moyens sont insuffisants par rapport aux réels besoins, il y aura une réelle cohésion sociale si les besoins sociaux, de santé, de logement, de scolarité, de justice sociale etc… sont garantis à tous les êtres humains sans distinction de sexe, de race.

AI : Comment se manifestent les retours du travail que vous réalisez ?Ateliers du Soleil : Le plus beau retour, nous le vivons grâce à des adultes qui ont fréquenté les Ateliers lorsqu’ils étaient enfants et nous reviennent, après des années, avec leurspropresenfants.Ilsnousdisentqu’ilsvoudraientqueleurs enfants profitent aussi de ce qu’ils ont vécu dans un cadre où ils se sont sentis acceptés et valorisés. Mais ça ne se passe pas toujours comme ça et nous avons conscience que l’impact de notre travail est limité. L’important c’est de ne jamais rien laisser passer, surtout avec les enfants, et de profiter de chaque occasion pour les sensibiliser et les faireréfléchir.C’estuntravailquotidienquenousmenonsavec enfants et adultes, au jour le jour, sur les grandes comme sur les petites choses ; se dire vraiment bonjour par exemple.

Propos recueillis Jamila Zekhnini

Paroles d’apprenants« Je n’ai jamais connu une école comme les Ateliers du Soleil ! Quand je suis arrivée en Belgique, j’ai d’abord fréquenté une autre association uniquement destinée aux femmes, avant de découvrir les Ateliers du Soleil et la mixité. Je croyais que vivre la mixité me serait difficile. Au début ça a été le cas, puis je me suis rendue compte que les gens se respectaient, que les hommes sont comme des amis, comme des frères. »

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« Quand on parle en classe d’un sujet, comme il y a beaucoup de nationalités, ça nous fait nous poser beaucoup de questions. Moi je parle de mon point de vue mais l’autre peut penser autrement. Quand je discute avec Claire par exemple, je suis heureux parce qu’elle a une autre culture, elle a vécu autre chose, elle a raison mais moi aussi. »

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«R écemment une dame a été agressée par des jeunes que les éducateurs connaissent. On nous a demandé pourquoi nous ne les avions

pas dénoncés. Mais notre intérêt, notre optique de travail est de maintenir un contact avec eux. Cela ne signifie pas pour autant les protéger. Mais si nous les dénonçons à la police, on fait avancer ponctuellement un dossier judiciaire qui débouchera, peut-être, sur des sanctions mais je ne suis pas sûr que ça améliorera le climat dans le quartier. Par contre ça provoquera certainement une méfiance des autres jeunes vis-à-vis de nous et sans doute une rupture de contact pour de longs mois. Là il y a une issue possible pour le quartier. Les habitants savent

qu’il existe des adultes avec lesquels ils accepteront de parler dans le cadre d’une médiation».

CettesituationrapportéeparPhilipponToussaintdirec-teurdeDynamoasbl,activesurlesterritoiresd’Ixelles,Uccle etForest, est extrême,mais elle reflètebien lesdifficultés liées au travail social préventif et la spécifi-cité des services d’aide en milieu ouvert. Des services agrééssurbased’undécretdelaCommunautéfrançai-se. «Notre point de départ est la problématique jeunesse. Nous essayons de dégager des problématiques plus globales à partir de demandes individuelles. Le travail collectif nous fournit un puissant fond d’informations et de renseigne-ments sur les problématiques que vivent les jeunes et leurs

familles. À partir de la problématique jeunesse, on peut se rendre compte du climat qui règne dans un quartier.» L’asbl jouit d’une certaine reconnaissance sur le terrain et de la part des autorités politiques. Et pour cause : elle a été créée en 1984 au départ des préoccupations d’une écoled’enseignementspécial situéeàUccleetest l’undes premiers services sociaux belges à avoir développé son action grâce au travail social de rue. En 1991, elle est agréée par la Communauté française en tant queservice d’aide aux jeunes enmilieu ouvert. Une logi-que qui inscrit l’aide apportée dans le milieu de vie et comporte trois missions. Les missions de travail indivi-duel et communautaire revêtent une importance et sont rendues obligatoires, le travail collectif n’est lui, d’après l’arrêt gouvernemental, que facultatif.

Une aide non stigmatisanteIlestpourtantuneported’entréeintéressantepourleséducateurs de Dynamo. « L’action collective constitue un volet important de notre projet pédagogique et de son volet préventif. Elle nous permet d’être en contact régulier avec le jeune, de le rencontrer de manière non stigmatisante. Le jeune nous rencontre parce qu’il en a envie, non parce qu’il a des problèmes. Nous ne tissons pas au départ une relation d’aide, mais nous lui offrons l’opportunité de nous faire part d’éventuels problèmes très tôt dans l’émergence de ceux-ci. Il est plus facile

d’agir sur une situation de décrochage scolaire lorsqu’un jeune nous dit qu’il ne fréquente plus l’école depuis trois jours que quand il nous est orienté par un service social après six mois d’absence».Ce typed’actionest porté depuis plusieurs années par les programmes Cohabitation-intégrationet Insertion sociale. « La logique de la pérennisation des actions existantes, contenue dans le décret Cohésion sociale, nous a permis de maintenir trois travailleurs sociaux et d’assurer la continuité de projets sur Ixelles et Forest.» Des projets qui touchent les jeunes filles et les quartiers Malibran/Flagey etMatongéàIxelles.« Au départ d’un constat de dégradation des rapports sociaux, une situation très médiatisée lors du meurtre d’un jeune par arme à feu, nous avons entrepris de travailler dans ce quartier en accord avec les autorités locales.»Unquartierquirevêtune

Parce que la rue existeDepuis 1984, l’asbl Dynamo, service d’aide aux jeunes en milieu

ouvert, s’est spécialisée dans le travail de rue. Son action de travail

social collectif dans les quartiers est renforcée grâce aux projets

portés par le décret Cohésion sociale. Une action essentielle

pour déceler et prévenir les malaises des jeunes et de leurs parents.

Rencontre avec Philippon Toussaint, directeur de l’association.

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particularité : ceux qui le fréquentent n’y habitent pas vraiment. « Cela rend difficile le travail dans la durée. On peut rencontrer un jeune un jour et ne plus le revoir durant deux ou trois mois, simplement parce qu’il était de passage pour rencontrer la famille ou des amis. Nous poursuivrons le travail mais en pensant à de nouveaux partenariats et pourquoi pas en créant une commission de quartier. Les abords de Matongé abritent davantage de jeunes habitants». Ce qui explique un investissement plusconséquent des équipes de Dynamo sur Malibran. « En raison des travaux de la place Flagey, les jeunes ont fui la zone et se rassemblent à quelques rues de là. »

Couper la rue en deux ?Mais quid du travail sur Uccle, une commune quin’est pas reprise dans le dispositif régional mais qui revêt un caractère historique pour l’association?« Contrairement aux idées communément répandues, il n’y a pas que des quartiers favorisés sur cette commune. Par exemple, le Merlot se trouve dans la même rue que des logements sociaux forestois. On ne peut pas travailler avec la population qui dans une partie de la rue et ignorer l’autre. Nous agissons donc également sur Uccle parce que notre projet pédagogique AMO n’obéit pas à la même logique de territorialité. C’est l’un des intérêts de pouvoir juxtaposer des politiques de la Communauté française qui nous confie des missions générales d’aide aux jeunes et de la COCOF qui nous offre l’opportunité de travailler sur le quotidien des habitants des quartiers bruxellois.»

Occupationnelles ou éducativesL’association organise près de 800 activités par an. « Les activités spontanées que nous proposons permettent aux jeunes d’y entrer à tout moment. Elles sont destinées à établir le contact, elles sont prétexte à la rencontre même si elles sont traversées de certaines intentions pédagogiques et éducatives -le sport favorise le développement physique ou social, l’apprentissage de règles,...- » À partir de ce contact spontané, les animateurs peuvent proposer d’autres activités plus structurées, plus ambitieuses et traversées, elles, par la logique de la pédagogie du projet. « Une exigence parfois difficile à mettre en place dans la mesure où nous choisissons de travailler avec tous les jeunes et de ne pas exclure les plus difficiles.» On tombe vite dans la facilité d’offrir aux jeunes des activités simplement parce que cela peut être perçu comme une manière de gagner leur confiance. « En réalité c’est l’inverse qui se produit : l’éducateur est considéré comme le pigeon aux poches pleines et perd toute crédibilité éducative. Il paie le cinéma et puis pourquoi pas une petite glace à l’entracte ?» CequimotivePhilipponToussaint,cesontlesprojetsqui sortent de l’ordinaire et poussent les jeunes à se dépasser, notamment les projets de création artistique. « Ils souffrent mais à l’arrivée, devant la

qualité du résultat, la fierté des parents, les félicitations des copains, ils bombent le torse et acquièrent une autre dimension».

Les jeunes fillesLe projet de Cohésion sociale comprend égalementun travail orienté vers les jeunes filles. Une actionportée vers des jeunes plus difficiles à toucher et qui fréquentent moins volontiers les services sociaux « croisées parfois simplement sur le pas de la porte qu’elles venaient ouvrir lorsque nous voulions rencontrer le frère.» Unpublic plusmalaisé à rencontrer parceque les jeunes filles « ne sont pas dans la rue», elles n’investissent pas l’espace public de la même manière. « On ne va pas dans la rue quand on est une jeune fille bien. Elles ne squattent donc pas un coin de square mais choisissent plutôt de se retrouver dans un lieu informel, une cafétéria par exemple, situé loin de leur lieu de vie. » Un travail de rue qui paie aussi lorsque les parentsinterdisent la fréquentation des locaux. Si une fille ne peut plus venir, les animateurs peuvent reprendre contact dans la rue en s’arrangeant pour la croiser sur le chemin de l’école. «J’ai parfois le sentiment que si certaines jeunes filles ne nous avaient pas comme interlocuteur sur leurs problèmes de vie, elles n’en auraient aucun.» Les animateurs travaillent avec des groupes de jeunes filles très solidaires et engagées dans des relations de confiance qui permettent de faire émerger des demandes individuelles ou d’aborder des problématiques sociétales plus larges, par exemple les relations garçons-filles qui ont fait l’objet d’un travail de prévention générale sur Ixelles et Forest.« Ces groupes de filles ont organisé des rencontres avec des personnalités féminines afin de s’informer sur leurs parcours de vie et des difficultés rencontrées en raison de leur qualité de femme.» Ce travail demande uninvestissement humain plus important pour gagner la confiance des filles ou de leurs parents ou pour les amener à se mélanger à un public masculin. « Mais, inscrit dans la durée, il commence à porter ses fruits.»

Propos recueillis par Pascal Peerboom

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I l est communément admis que le contrôle renvoie à une exigence de vérification et de conformité des actions par rapport à des normes et des règles

édictées préalablement. De son côté, l’évaluation est, étymologiquement, associée à l’idée de valeur ; évaluer reviendrait donc à estimer, à assigner de la valeur à un objet, à une action. L’évaluation est donc un acte qui attribuedelavaleuràl’objetqu’elleappréhende.Cetacteest loin d’être anodin et n’échappe pas à la portée politique dans la mesure où il confère socialement une valeur à des

actions et des pratiques sociales. Par ailleurs, il nous semble que l’évaluation implique un travail

sur les valeurs de l’action, c’est-à-dire sur son « pourquoi » (causes) et son « vers quoi » (finalités). Dans ce cadre, l’évaluation ne s’inscrit pas dans une démarche de contrôle, mais consiste à ouvrir des questionnements et à mettre en valeur les connaissances et expériences que les acteurs de terrain accumulent au quotidien de façon à ce que ces richesses soient partagées et mises en discussion dans l’espace public.

La fable des aveugles et de l’éléphantTous les acteurs du secteur de la cohésion sociale ne partagent pas nécessairement les mêmes intérêts et attentes face à l’évaluation. Ainsi, elle peut être conçue différemment selon que l’on soit responsable d’une association, coordinateur d’un programme communal ou encore attaché à l’Administration. Les attentes liées à l’évaluation sont donc étroitement dépendantes des intérêts stratégiques qui structurent la place des individus et des institutions dans le champ du décret du 13 mai 2004. Commedans la fabledesaveuglesetdel’éléphant, en fonction de sa position et de sa sensibilité, chaque acteur appréhende différemment la réalité sociale dans laquelle il s’inscrit. Les différents protagonistes du secteur de la cohésion sociale - en ce compris leCRAcs - ne peuvent forcémentavoir qu’uneperception partielle des enjeux et des retombées liés au

décret, sans pour autant qu’on puisse affirmer que l’un ou l’autre ait tort, puisque, à l’image de la fable, tous détiennent une part de vérité. D’où l’importance d’une approche interdisciplinaire et collégiale. Pour l’opérationnalisation de sa mission d’évaluation, le CRAcs a cherché à associer le besoin de sens et deconnaissances que soulèvent les pratiques des associations avec la nécessité pour les pouvoirs publics de disposer de données quantifiables et objectives pour évaluer le fonctionnement d’une politique déterminée. Dans cette perspective, la participation et le concours des différents intervenants du décret sont essentiels à la méthode d’évaluationqueleCRAcsasouhaitémettreenœuvretouten étant conscient qu’une démarche participative n’exclut pas l’existence de différences et des conflits qu’ellespeuvent engendrer.

Évaluation réflexiveLaréflexivitéestunautretermesouventemployédanslalittérature sociale mais dont on ne saisit généralement pas trèsbienlesens.Enmathématique,laréflexivitérenvoieà une relation binaire qui met en relation tout élément avec

lui-même1.Cettenotionestassociéeàl’idéedumiroiretcomprendunretoursursoi,sursesactions.Ils’agitde«seregarder faire», la réflexivité signe le retourdu«sujet»en sciences sociales où il s’agit de mettre en avant les compétences des acteurs ainsi que leur propre expertise.

De l’évaluation dans la réflexivité

Il est des termes qui suscitent la méfiance et le mot « évaluation »

en fait partie. Cette notion est sujette à de nombreuses confusions

car on assimile souvent les différentes démarches d’évaluation

à des procédures de contrôle. Pourtant, le secteur de la cohésion

sociale aurait beaucoup à gagner à distinguer les deux approches

que sont l’évaluation et le contrôle.

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Les avantages d’une approche collective et interdisciplinaire

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La parole, le discours sont le vecteur principal de cette expertise, car tout acteur de terrain peut discourir sur son action et ses pratiques et ce « discours se réalise dans une conscience qui donne sens aux pratiques »2. L’évaluation réflexive telle qu’envisagée par le CRAcsvise donc à restituer aux acteurs de terrain leur rôle d’expert et à dynamiser la réflexion au sein de cenouveausecteur.Danscecadre,ladémarcheréflexivese définit comme une construction collective qui invite les associations à s’impliquer activement dans l’analyse du sens et de la pertinence des finalités du décret en rapport avec le travail accompli dans les quartiers. Cette évaluation vise à offrir auxtravailleurs de terrain l’occasion de prendre du recul par rapport à leur contexte propre en confrontant leurs points de vue et leurs pratiques sur des questions diverses dans le cadre de groupes de travail organisés à un niveau méta communal.LeCRAcsenvisage,dans le cadredecette évaluation réflexive, d’adopterune méthodologie particulière répondant à trois principesdebase.Laméthoderéflexivedoitêtre:•Participative : la méthode associe les différents partenaires - quels que soient leurs attributs (décideurs, associations, fonctionnaires, etc.). En plus de donner la parole à tous, cette démarche se fonde sur le savoir et l’expertisedesintervenantsdelapolitique.Ilsnesontplus considérés comme des objets d’évaluation, mais comme acteurs du processus, amenés à réfléchir et às’interroger sur leurs pratiques et sur les finalités du dispositif. En ce sens, l’évaluation revêt une dimension politique, puisqu’elle sert à renforcer le processus démocratique du dispositif.•Formative: la méthode mise en place favorisel’apprentissage collectif des partenaires. Elle est orientée vers le changement et est source d’innovation. En effet, l’évaluationréflexiveviseàfaciliterlaprisedeconsciencedes acteurs sur les enjeux, les problématiques et les contraintes de la politique, dans le but d’améliorer le systèmetelqu’ilexiste.Ils’agitd’adapterprogressivementles actions proposées en fonction des problèmes rencontrés via l’amélioration des pratiques des partenaires, l’augmentation de la qualité des prestations offertes et la réorientation des objectifs poursuivis. La mise en œuvre des recommandations sera d’autant plus facile que les décideurs, les agents administratifs et les acteurs de terrain auront été activement associés à l’une ou l’autre des phases du processus.•Pragmatique:dansl’idéal,l’évaluationréflexivenedoitpas être envisagée comme une corvée administrative supplémentaire. Au contraire, il faut faire en sorte que les participants y trouvent un intérêt par rapport à leurs questionnements et à leurs préoccupations professionnelles. De plus, l’outil proposé doit être suffisammentflexiblepourtenircomptedeladiversitédes projets et des contextes particuliers de chaque commune. À cet effet, le cadre de l’animation (technique délibérative) semble plus adéquat que la remise d’un rapport écrit.

Analyse en groupePourremplircestroisconditions,leCRAcssouhaiteutiliserla méthode d’analyse en groupe3 pour opérationnaliser l’évaluation réflexive. En effet, cette méthode permet« la prise en compte et l’analyse des situations concrètes et des pratiques des intervenants, ainsi que la diversité et la confrontation organisées de leurs points de vue »4. De plus, l’application de l’analyse en groupe nécessite le respect par les participants d’un certain nombre de règles strictes, notammentparrapportà laprisedeparole.Cetaspectrelativement « scolaire » de la méthode a pour avantage de bien cadrer les différentes interventions et d’offrir une prise

de parole équitable entre les participants, quelle que soit leur position sociale. Malgré cela, cette technique reste relativement souple quant à sa mise en œuvre : elle s’ajuste aux compétences et aux contributions de chaque groupe de participants, elle peut aussi se plier à leurs disponibilités.D’un point de vue opérationnel, la consti-tution des groupes se fait sur base volon-

taire.Concrètement,nousavonsprisl’optiondeconstituerdans un premier temps des groupes « homogènes »5, com-posés d’associations issues de différentes communes et des contrats régionaux autour d’un thème commun. Nous pren-drons contact avec les associations volontaires début 2008. Cesgroupesserontcomposésd’unedizained’intervenantsde manière à assurer la représentativité du secteur. Ilestprévudansunsecondtempsquelesgroupess’ouvrentvers d’autres acteurs de la cohésion sociale pour devenir unespacemixtederéflexivité.C’estdurantcetteétapequepourrontintervenirdanslaréflexionlesautresassociations,l’administration, les représentants communaux et éventuel-lement les usagers.L’intérêt de ce phasage est de permettre de collectiviser et de structurer les points de vue, les observations et les analy-ses avant de les présenter aux autres acteurs de la cohésion sociale.Notredémarched’évaluationréflexiveseveutam-bitieuse et innovante. Mais sa réussite dépendra essentielle-ment de l’accueil et de l’engagement des principaux artisans dudécretquesontlesassociations.EntantqueCentrerégio-nal d’appui en cohésion sociale, nous pensons que ce décret et la manière dont il est mis en place par les différents acteurs institutionnels et associatifs laissent entrevoir la possibilité qu’émergent des lieux de mise en débat et de discussion qui mettront en lumière les richesses que recèle ce secteur.

Alexandre Ansay, Gaëlle Lanotte, Loubna Ben YaacoubEquipe du CRAcs

(1) Le Petit Robert , 1993.(2) Couturier Y., «Les réflexivités de l’oeuvre théorique de Bourdieu: entreméthode et théorie de la pratique. » in Esprit Critique,vol.4n°3,mars2002(revue électronique : http://www.espritcritique.fr)(3) Pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur les modalités pratique de cette méthode, nous recommandons vivement la lecture du manuel rédigé par VanCampenhoudtL.,ChaumontJ.-M.etFranssenA.,La méthode d’analyse en groupe : applications aux phénomènes sociaux, éd. Dunod, Paris, 2005. (4) Aux frontières de la Justice, aux marges de la société : Une analyse en groupes d’acteurs et de chercheurs - Synthèse du rapport final, février 2005, Politique Scientifique fédérale, p. 1.(5) L’homogénéité de ces groupes réside dans le fait qu’ils ne sont composés que d’acteurs associatifs.

Il ne réfléchit pas comme le miroir

réfléchissant la lumière,mais produit seul sa propre lumière.

Yves Couturier

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28 Agenda interculturel n° 257-258 • Novembre-Décembre 2007

AI : Qu’est-ce qui a concrètement changé dans le travail de la COCOF depuis l’entrée en vigueur du décret ?Danielle Piéters :Auniveaudescommunes,laCOCOFa eu des relations plus suivies avec les coordinateurs et çan’apastoujoursétéfacile.Depuisledécret,leConseild’État a stipuléque laCOCOFn’avait rienàdire auxcommunes et nous nous sommes retrouvés en porte-à-faux face à des gens qui nous ont dit « vous n’avez rien à dire, c’est la commune qui décide !». Nous avions considéré que cela n’avait rien changé, que le décret finalement

élargissait sans doute les matières, mais s’adressait de fait aux mêmes personnes, aux mêmes associations

et qu’en définitive, la cohésion sociale concernait les mêmes matières qu’en cohabitation et en insertion sociale. Nous nous sommes donc sentis mal à l’aise.«Au temps du PIC», les coordinateurs veillaient àappliquer une convention cadre de cinq ans au sein de la commune. Aujourd’hui, nous avons une convention par association, en plus du contrat communal. Alors que le décret, pour nous, pérennisait les actions, nous nous sommes retrouvés face à une situation où les associations ont énormément modifié les actions qui, normalement, auraient dû être les mêmes pendant cinq ans. Au niveau administratif, cela a entraîné des remaniements constants des conventions et des contrats communaux.Depuis2005,oùlaCOCOFaprocédéàl’examen des dossiers de demande de subsides, elle a été débordéepar lapartie administrative. Il faut trouver,àmonsens,unsystèmepourallégercetravail.Jen’aipas encore d’idée, à part l’allègement du libellé des actions : prendre un libellé large, donc pas trop détaillé, pour ne pas devoir changer la convention et le contrat communal à chaque mouvement. Le système actuel est plus lourd en fait. Si nous parvenions à l’alléger, nous pourrions alors visiter davantage les associations. Nous avons envie d’aller sur le terrain, de discuter avec les gens, d’accompagner le projet, de l’évaluer, de voir comment cela fonctionne. ça n’a pas d’intérêt de faire une évaluation uniquement sur papier.Cesontlesmêmesassociationsqui,depuisvingtans,développent les mêmes actions. Ce sont toujours lesécoles de devoirs, les cours d’alpha, les ateliers créatifs,… Il y en a quelques nouvellesmais pas beaucoup. Lesassociations n’ont pas vraiment profité de l’élargissement offertparledécretpourinnover.Jen’aipasl’impressionque la cohésion sociale devrait couvrir tout ce qu’elle

couvre. Notamment les écoles de devoirs : tout ce budget qu’on attribue pour le soutien scolaire devrait être pris en charge par l’Enseignement. Nous pallions la déficiencedel’enseignement.Cen’estpasnormal.

AI : Comment qualifiez-vous l’évolution des relations avec les associations, notamment dans le cadre des concertations locales ?Danielle Piéters : Dans les concertations, c’est étonnant de voir à quel point le ton et les réactions sont différents selon les communes. ça ne me dérange pas, chaque commune a sa liberté. Il y a des communes où les associationsosent dire ce qu’elles pensent et réagissent. Mais il y en a d’autres où elles n’osent manifestement rien dire. Or la concertation était prévue pour que les gens s’expriment et que cela bouge. En pratique, ce n’est pas toujours ce qui se passe. Et là où ça se passe, dans certaines communes, les conseillers communaux prennent le contre-pied de ce quis’estdécidéenconcertation.Jesensqu’àunmoment,les associations vont réagir, et je l’espère.

AI : Qu’est-ce que l’accroissement de la responsabilité des communes pose comme question(s), de votre point de vue ?Danielle Piéters : ça pose la question du rôle de la COCOFetdurôledelacommune.LaCOCOFconsidèrequ’elle a beaucoup à dire, ne fût-ce que parce qu’elle paie l’ensemble du programme. Les communes considèrent que c’est le programme communal et qu’elles font donc ce qu’elles veulent. Pour la préparation du premier contrat communal, nous avons travaillé ensemble, coordinateurs communaux et COCOF, proposant lesassociations et se mettant d’accord sur les montants attribués. Dans certaines communes où nous nous étions mis d’accord, le coordinateur revenait en disant : « On n’est pas d’accord, vous avez écarté certaines actions des associations ; c’est un projet complet, donc il faut tout prendre ». Nous avions écarté certaines actions parce que, la petite enfance ou les projets trop sportifs par exemples, n’étaient pas, selon nous, de la cohésion sociale.IlyadesmomentsoùlaCOCOFal’impressiond’être dépassée, de jouer le jeu mais que les communes nousmarchentunpeusurlespieds.Cequiapasmaldémotivé certains collègues. Nous avions beaucoup moins de problèmes quand nous fonctionnions en direct avec les associations qu’à passer par la gestion communale. 80 % du budget de la cohésion est géré par

Un secteur en recherche Responsable du secteur cohésion sociale des Services du Collège

de la COCOF, Danielle Piéters gère au quotidien, avec l’ensemble

de son équipe, le nouveau décret. Depuis près de quarante ans

dans l’Administration et plus de vingt ans dans le secteur

de « l’intégration des immigrés », elle jette un regard critique

sur le contexte institutionnel et l’évolution des actions.

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E N T R E T I E N

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les communes. Seuls 20 % sont consacrés aux projets régionaux.Cependant,unapportpositifdudécretestl’introduction de la procédure de recours qui permet aux asbl mécontentes de revendiquer leur bon droit. La plupart ont abouti.

AI : Le décret a permis la création de deux nouveaux acteurs intermédiaires, la section cohésion sociale du Conseil consultatif et le CRAcs. Quel est votre bilan après presque deux ans de fonctionnement ? Danielle Piéters:Jesuisdéçue.LeConseilconsultatifse cherche encore. Peut-être n’a-t-il pas encore pu s’exprimer vraiment parce qu’il est en aval de toutes les modificationsdecontrats.Quandlesmodificationsdeconventions et des contrats s’atténueront, peut-être qu’il pourra s’exprimer sur le fond. Pour l’instant, ce n’est pas le cas, mais j’espère que cela ira mieux parce qu’il y a des gens de qualité qui y ont des choses à dire. Le jour où il y aura des commissions thématiques, je crois que ce sera intéressant. Le CRAcs… Mon impression au début, à chaqueréunion : « Ça y est, encore eux ! ». Mais je trouve qu’il apporte réellement un appui méthodologique. L’équipe a une capacité d’exprimer les choses sobrement en mettant une méthodologie au point, peut-être que cela nous manquait. À l’avenir, il faudra réagir de manière plus diplomatique vis-à-vis de certains de mes collègues, assezchoquésparlerapportannuel:leCBAInousavaithabitués à plus de neutralité. Sur le fond, comme pour le Conseil consultatif, il faudra lancer des chantiersou des commissions thématiques, ne fût-ce que pour définir davantage la cohésion sociale. Tout n’est pas de la cohésion sociale. On a la difficulté de se trouver à la lisière des actions qui sont de la cohésion sociale via le sport ou la culture, mais la culture et le sport n’étant pas, en principe, le but en soi. On en discute encore, au seindelaCOCOFetaveclescoordinateurs,etonn’estpas prêt d’être d’accord.

AI : Comment le secteur cohésion sociale se situe-t-il par rapport aux autres politiques de la Ville, en terme de transversalité ?Danielle Piéters : La difficulté est qu’on est face à des secteurs beaucoup plus importants que nous. Chacunempièteunpeusurlacohésionsociale.Onsedemande parfois dans quelle pièce on joue, puisque les autres secteurs font la même chose que nous, en tout ou en partie. Dans pas mal de situations, ce sont des subventionnements complémentaires, il y a rarement une subvention qui peut suffire pour couvrir le tout. ça ne me gêne pas s’il y a des compléments, mais parfois, la cohésion est la principale subvention. Au niveau global, je ne suis pas sûre qu’il y ait systématiquement une articulation entre tous ces programmes.Les contrats de quartier posent un problème pratique : ils ont reçu des sommes énormes de la Région pour quatre ans et les responsables des contrats de quartier de la Région nous disent, quand un contrat se termine, il faut le reprendre en cohésion sociale. Mais nous n’avons pas du tout les moyens. Autre point de vue : de contrat de quartier en contrat de quartier, les

associations sont éjectées ailleurs ; elles déménagent toutletemps.Ilyavraimentunmanquedestabilité.Jene sais pas comment arranger ça.

AI : Le Collège de la COCOF a défini cinq thématiques prioritaires pour le quinquennat 2006-2010. Aujourd’hui, deux ans après cette définition, que relevez-vous comme thématique(s) cruciale(s) pour le secteur, qu’elle(s) soi(en)t ou non dans les cinq prioritaires ? Danielle Piéters : L’un des cinq thèmes qui n’est pas du tout rempli est le problème du troisième âge. On y est, au troisièmeâgedel’immigration!Quelquesassociationsproposent un peu d’activités entre les vieux et les enfants, essentiellementdescontes.C’esttotalementinsuffisant.Il faudrait pousser les associations à répondre à unappel à projets parce que la population vieillit. Sur les 350 associations qui ont introduit un projet, à peine 10 ont introduit un projet de ce type. La COCOF considère qu’il faudrait vraiment obligerles gens à apprendre le français. Parce nous sommes confrontés à trop de personnes qui le « baragouinent » alorsqu’ellessonticidepuisquinzeans,enparticulierlesfemmes, ce qui les empêche de trouver du travail. Mais une question se pose : admettons qu’on parvienne à les obliger à apprendre le français, que se passe-t-il si vraiment ils n’yparviennentpas?Va-t-onlespénaliser?ça n’a pas de sensévidemment.Jecroisquel’importantestdeparvenirà les obliger à faire le pas, de façon à s’insérer.Les cours de citoyenneté sont aussi cruciaux. Je suisfrappée par les différences de conceptions entre ce quisepassedansunpaysd’origineetici.Ilmesemblenormal que les gens qui veulent s’installer ici s’informent et connaissent les habitudes du pays : les institutions locales, au niveau politique, administratif,… Lors des élections, il y a parfois des conférences sur la façon devoter,maiscen’estpasdutoutsuffisant.Uneautrechose beaucoup plus importante est le fait de vivre à côté de son voisin et de ne choquer personne, dans les deux sens d’ailleurs. Les Belges devraient, de la même manière, apprendre les habitudes des gens qui arrivent. ça ne peut être qu’enrichissant.

Propos recueillis par Gaëlle Lanotte

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Journée internationale de l’Alphabétisation 2007.

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Le décret Cohésion sociale participe-t-il d’une approche municipaliste ? La commune étant le niveau de pouvoir le plus proche du citoyen, peut-elle ainsi définir le meilleur pour intervenir dans les quartiers ? Par contre, cette proximité n’engendre-t-elle pas des effets pervers et si oui, quels sont-ils ?Charles Picqué : Tout d’abord je souhaiterais rappeler

que l’entrée en application du décret relatif à

laCohésionsocialeconstituel’aboutissementd’unlongprocessus initié lors de la première législature de l’Exécutif bruxellois en 1989. Le gouvernement que je présidais avait décidé d’investir des moyens importants dans le développement d’une politique régionale d’intégration des populations d’origine immigrée et de cohabitation desCommunautéslocales.Nousavonspensé,eneffet,que les communes représentaient le meilleur levier pour permettre le développement de ces politiques, dans la mesure où elles sont plus proches des réalités de vie de leurs citoyens. Pour mener efficacement une politique de cohabitation, il faut pouvoir être au plus proche des habitantsetdutissuassociatif.Cesliensnepeuventsetisserdurablementetefficacementquedanslelocal.Ilspermettent de la sorte de renforcer la cohésion entre habitants, opérateurs associatifs et pouvoirs locaux. Cettecohésionentreces troisacteursestnécessairesil’on veut construire des cohésions plus larges.Le rôle dévolu à la commune vise à faciliter la participation la plus large possible des associations. Elle doit aussi favoriser une bonne coordination entre les associations, et veiller à promouvoir sur le terrain les choix politiques de l’Exécutif en matière de cohésion sociale.Nous devons cependant rester attentifs aux risques quepeut engendrer cetteproximitéd’acteurs.Celle-cipourrait éventuellement engendrer une forme de repli territorial limitant les actions de cohésion sociale aux populations situées strictement dans les « frontières » communales alors que le quartier concerné s’étend sur deux ou trois communes limitrophes. Le décret encourage la transversalité. Il y a également lieu deveiller à ce que cette proximité n’exclue pas l’égalité de traitement et la non discrimination des associations actives dans la cohésion sociale.

C’est pourquoi le décret contient des dispositionsen termes d’évaluation à tous les niveaux, à la fois associatif,communaletrégional.LeCBAIaétédésignéparleCollègedelaCocofpourréaliseruneévaluationglobale du dispositif en permettant ainsi de sortir d’une approchepurementmunicipalisteetd’élargirlaréflexionainsi que l’action au niveau de la Région.

Les politiques de la Ville participent à des politiques de réparation ou de compensation. Elles demandent à des opérateurs de construire du lien au niveau local, alors que les effets induits des causalités dépassent ce local. Une politique de cohésion sociale ne doit-elle pas se construire à un niveau macro, pour amoindrir les effets d’exclusion dans certains quartiers de relégation ?Charles Picqué : Jevoudraisrappelerquedesincertitudesimportantes planent sur le devenir institutionnel de Bruxelles. Dans ce contexte, ces politiques publiques -dont le décret constitue une des modalités- ne pourront se maintenir et se renforcer que dans la mesure où Bruxelles demeurera une ville attractive, capable de produire une richesse qui, à l’heure actuelle, ne profite pasassezàseshabitants.C’estdirequelesmécanismesqui permettent une plus juste répartition des richesses sont tributaires également de la manière dont la Région pourra bénéficier d’un financement plus équitable lequel permettra un soutien plus important des politiques sociales. Dès lors, lorsque l’on parle de cohésion sociale, il faut rappeler que celle-ci doit être élargie à la cohésion entre entités fédérées. Sinon on court le risque de mettre en œuvre des cohésions « excluantes » du chacun pour soi, replié sur les intérêts de sa communauté.Le décret du 13 mai 2004 s’inscrit bien dans une vision macro de l’approche politique. Pour faire court, il s’agit de «penserglobaletd’agirlocal».C’esteneffetleCollègequifixe les objectifs prioritaires à atteindre pour une période de cinq ans. Pour déterminer ces objectifs, il évalue, sur base des informations fournies par les associations et les communes, les besoins et les problèmes des personnes viséesparcesprincipes.Ilyadoncbiensûrlàunevisionlarge des politiques à mettre en œuvre.

Le politique reproche parfois aux associations leur manque de cohérence. Il leur demande d’être articulées sur toutes les politiques (FIPI, écoles de

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C O M M U N I C A T I O N P O L I T I Q U E

« Bâtir une identité urbaine commune »

Charles Picqué, ministre-président du gouvernement de la Région

de Bruxelles-Capitale et membre du Collège de la COCOF en charge

de la cohésion sociale, fait le point sur le décret Cohésion sociale,

et conclut non sans humour : « La cohésion sociale ne se décrète pas.

Il s’agit d’un processus qui demande du temps et de la patience ».

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31Agenda interculturel n° 257-258 • Novembre-Décembre 2007

devoirs, etc.). Un effort de cohérence ne devrait-il pas être fait également au niveau des différentes politiques communales, régionales et fédérales ?Charles Picqué : Jen’iraipas jusqu’àparlerdemanquede cohérence même s’il est vrai que la manière dont ces différents dispositifs sont articulés au niveau local n’est pas toujoursdesplusefficaces.Cependant, jevoudraisattirer l’attention sur le fait que l’exécutif régional n’a pas à intervenir sur la manière dont les compétences sont distribuées entre les différents mandataires publics locaux.Cettecohérencequiestsouhaitéeetappeléedesesvœux par le décret demeure du ressort des communes.Jesuisparticulièrementsensibleetattentifàcetaspectdeschoses.J’aid’ailleurssouhaité,lorsdelaconstitutionde l’actuel gouvernement régional, pouvoir agir dans le sens d’une plus grande cohérence entre diverses politiques de la ville. C’estainsiquej’aipuregrouper,sousmaresponsabilité,la tutelle des communes l’aménagement du territoire, les contrats de quartiers, les contrats de sécurité et la cohésionsociale.C’estd’ailleursauseindecettecelluleque sont aussi gérés une partie des fonds attribués à la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre duFondsd’ImpulsionàlaPolitiquedesImmigrés(FIPI),matièrefédérale ainsi que le Dispositif d’Acrochage Scolaire (DAS), matière régionale.Jedisposedoncdelapossibilitéd’impulserdifférentespolitiques dont les effets doivent concourir à améliorer les conditions de vie des habitants de Bruxelles.

La Commission du dialogue interculturel a produit un rapport très important. Une des recommandations de celui-ci vise à mettre en place des politiques de reconnaissance de la diversité culturelle. Que signifie pour vous la « diversité culturelle » et que pensez-vous de cette proposition ?Charles Picqué : Je suis persuadé qu’il est de notredevoir de reconnaître chaque individu ou groupe d’individus dans son inaliénable globalité; la culture, comprise comme un ensemble de connaissances, de représentations et de valeurs, est constitutive de la personne et doit, à ce titre, être respectée et reconnue et je suis donc convaincu que reconnaître à chacun ses origines et son droit à une différence, c’est effectuer le premier pas pour que, de son côté, ce quelqu’un reconnaisse les valeurs de la société qui l’accueille.Mais le slogan « La diversité culturelle est une richesse » est un slogan « bateau » car il n’a de sens que s’il existe des moyens suffisants pour gérer la multiculturalité en la faisant évoluer vers une dynamique interculturelle qui évite la seule juxtaposition des différentes cultures.LaCommissionsurledialogueinterculturel,misesurpied par la ministre Marie Arena, a eu le mérite de faire le point sur une série de questions qui restent sensibles et vis-à-vis desquelles des avis divergents ont été formulés. La dynamique à l’œuvre dans le décret vise à soutenir desactionsdansuneperspectiveinterculturelle.Celles-ci ont toutes leur pertinence, eu égard au caractère multiculturel de la population bruxelloise. À travers lesoutienqueleCollègedelaCocofapporteauCBAI,nous voulons signifier qu’il faut faire de cette diversité

unerichesse.Jecroisd’ailleursquec’étaitundesmotsd’ordre du CBAI: «transformer une cohabitation dehasard en communauté de destins ». En conclusion la multiculturalité peut aussi signifier conflitssurfondderepliidentitaire,coexistencedifficileet tensions s’il n’existe pas une obligation faite à toutes les communautés de s’inscrire dans une démarche d’échange et de volonté de mieux connaître l’autre.Nous sommes à un tournant. Ou bien Bruxelles et d’autres grandes villes ne seront que des mosaïques de communautés éloignées les unes des autres ou bien une véritable identité urbaine commune se bâtira à partir des différences culturelles.

Le secteur de la cohésion sociale manque de visibilité ; par exemple, on assiste à la Zinneke Parade, mais on ignore tout le travail réalisé en amont. Comment rendre plus visible les effets du travail des associations ? Charles Picqué : Ilmesembleeneffetqu’ilfautdonnerplus de visibilité aux actions qui œuvrent dans le sens de la cohésion sociale. Les phénomènes de violence, de rejet de l’autre, sont souvent mis en lumière par les médias alors que la construction de la cohésion dans les quartiers, mise en œuvre par des associations de terrain et par les pouvoirs publics locaux et régionaux, apparaît de façon moins sensible. Je crois que c’est aussi auxassociations à accroître la visibilité du travail qu’elles mènent et que c’est également un des soucis qui anime leCBAIdanslesmissionsquiluiontétéconfiéesparleCollègede laCocof.Cependant lacohésionsocialenesedécrètepas.Ils’agitd’unprocessusquidemandedu temps et de la patience et dont la visibilité s’avère complexe.

© Mohsen Salehi

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À peine la trentaine, et pourtant Abd al Malik a déjà écrit ses mémoires. Et quelles mémoires ! Son livre nous emporte dans les tourbillons de

sajeunesse,desquartierschicsdeBrazzavilleauCongoà la banlieue terne de Strasbourg. De son enfance dorée dans le quartier de Poto-Poto où il passa, pendant quatre ans, « des journées rayonnantes de joie et de lumière », le petit Régis (de son nom de baptême) se souvient avec

émotion de mille détails, comme le « fumet du ponedou (feuille de manioc) qui lui chatouillait les narines ». Et puis

le destin bascule. Son père journaliste et notable dépose ses bagages et sa famille dans la cité HLM du Neuhof, dans la banlieue sud de Strasbourg – un quartier multiculturel de réputation « difficile ». Sans statut ni reconnaissance sociale, celui qui fut conseiller du Premier ministre congolais et aussi présentateur vedette du journal télévisé déprime dans sa banlieue alsacienne. Ilfiniraparquittersafemmeetsesenfants.

Un premier de classe délinquantRégis commence sa nouvelle vie d’expatrié, entre espoir et résignation. « C’est sur ce terreau de la cité, en me nourrissant de cette culture aliénée, de bouts d’Afrique vidés de son esprit et jetés à la dérive, que je devais grandir. »Ilgrandit donc, plus vite que son âge, et à deux vitesses. Élèvebrillant, il fréquenteuneécoleprivéecatholique,celle où l’on ne croise pas la « racaille » des banlieues. Mais une fois la journée d’étude terminée, l’adolescent sage et discipliné change d’univers et rejoint ses potes de la cité, des jeunes sans foi ni loi livrés à eux-mêmes, qui jouent auchatetà lasourisavec lapolice.Àquatorzeans, ilexcelle dans le pickpocket et le vol à la tire, « consécration dans la hiérarchie de la délinquance ». Parallèlement il se lance dans « un travail de proximité »,entendezdealerdansla cité. Régis jongle ainsi avec ses deux personnalités : chouchou de la classe et délinquant futé.

Je ne mélange pas politique et foiDieu,illepriepournepassefairepincerparlesflics.Pourtant sa recherche spirituelle va s’approfondir de lectures en rencontres. L’enfant de chœur qui n’a jamais trouvéleChristdanssoncœurestenquête.Sonfrèreaîné converti à l’islam lui donne à lire des ouvrages surlareligionduProphète.C’estlarévélation:l’islamest sa religion naturelle qui lui permet de « recoller les morceaux ». Régis devient Abd al Malik (l’esclave du roi, en arabe). Sa vie est désormais rythmée aux prières.

« J’avais le sentiment de faire partie d’une communauté qui ne m’avait pas été imposée mais à laquelle j’avais adhéré de plein gré. » Sentiment d’exister pleinement, d’avoir trouver son identité. D’avoir trouvé les réponses. Toutes les réponses… Car Abd al Malik n’embrasse pas unislam pacifique, mais un islam obscurantiste, un islam de la haine où les discours exaltés de prédicateurs anti occidentaux lui ôtent son sens critique. À la longue, l’idéologie radicale basée sur la séparation entre « nous, les musulmans » et « eux, les mécréants » l’irrite au point de réveiller son esprit critique : contradictions, violences verbales et hypocrisies lui sautent soudain aux yeux ! Abd al Malik change alors de voie et se fraye un chemin dans le soufisme, islam centré sur l’amour universel. « Pour moi, l’islam politique est une hérésie. Je le dis un peu pour provoquer, mais je le pense véritablement.

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ier Des mots sur des maux

Rencontre avec le slameur Abd al Malik au Festival des Libertés,

croisée avec des extraits de son livre « Qu’Allah bénisse la France ! »1

où il évoque dans un style ciselé « la désolation et la misère intérieure »

de ceux qui habitent les banlieues, mais aussi leurs espoirs.

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© Pedro San José

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33Agenda interculturel n° 257-258 • Novembre-Décembre 2007

La mission première du religieux, et du spirituel de surcroît, est avant tout de nous pacifier en tant qu’être et de pacifier notre rapport à l’autre. C’est quelque chose qui, plus que du privé, est de l’ordre de l’intime. La religion qu’on choisira va nous permettre d’évoluer plus sainement dans la société, mais en aucun cas elle ne doit être un étendard politique. Et si c’est un étendard, c’est pour nous obliger à l’ouverture, au dialogue, au respect de l’autre dans la diversité. C’est le meilleur rempart face à l’instrumentalisation du spirituel, qu’on peut voir avec Ben Laden et consorts. »

Socrate, Malcom X et les autresEn même temps qu’il s’égarait dans un islam obscurantiste, Abd al Malik s’ouvre à d’autres discours - comme le rap avec ses revendications identitaires et politiques -, et à d’autres trajectoires comme celle de Malcom X. Très vite, il se lance sur scène avec un groupe, d’abord en province, puis en première partie dans les grands concerts, pour gravir enfin le hautdel’affiche.Ilsortsonpremieralbumsolo«LeFaceàfacedescœurs»en2004,suivien2006par«Gilbraltar » oùsonstylebrasseàlafoisslam,jazz,bluesetréférencesàJacquesBrel. Son succès ne l’empêche pasdegarderlespiedsbiensurterre.Iln’oubliepasd’où il vient et est convaincu que la musique peut agir comme ciment social, comme outil d’émancipation à la fois culturelle et politique. Tout est autobiographie dans ses chansons. Il dit àla fois ses souffrances et ses bonheurs, ses copains morts et son fils nouveau-né. « On a tous des peurs, des espérances, des joies. À partir de là, notre histoire propre peut faire écho à l’histoire d’un autre, à l’histoire des autres. Il ne faut pas oublier qu’on fait tous partie d’une même famille : la famille humaine. Le savoir peut nous aider individuellement. J’ai le sentiment qu’un artiste, de tout temps, joue ce rôle de révélateur.Jeunebanlieusardquiaréussi,ilestdevenuaujourd’huiune des figures emblématiques aussi fortes que MC Solaar ou AIM, mêmes’il refuse de se considérer comme un modèle ou un leader. « L’artiste n’est pas là pour donner des réponses, il est là pour poser des questions. Pour moi, l’artiste par excellence, c’est le philosophe Socrate. Les réponses sont en chacun de nous. Dans ce sens, je sais quelle est ma fonction, et quelles sont mes limites. À partir de là, je ne suis ni un membre de tel parti, ni un animateur social, ni un journaliste derrière un micro. Je suis tout simplement un artiste. Artiste, certes engagé, mais simple citoyen. »Qui,de surcroît, ne craint pas de se faire récupérer par les politiques.

Le devoir de témoignerAbd el Malik sait de quoi il parle quand il cause de cohésion sociale. « J’allie la cohésion sociale à la diversité sociale. Il s’agit de ne pas ghettoïser les gens. Mélanger les individus permet de comprendre qu’on n’est pas seul dans la société, qu’on peut y développer des solidarités ».

Ce jongleur de mots pointe en particulier l’inégalitélinguistique, car savoir lire et écrire détermine en partie notre place au sein de la société. « L’école, le savoir, les mots peuvent être une échelle qui vont aider des personnes à sortir de leurs difficultés ou à clarifier la complexité de la société où elles vivent. Le fait d’avoir un vocabulaire riche, de pouvoir exprimer son monde intérieur permet d’expliquer à l’autre ce que l’on vit. C’est aussi un début de solution de mettre des mots sur ses maux. »La cohésion sociale, un bien beau concept, mais concrètement qui en est responsable au jour le jour dans nos communes? Sans jeter la pierre, Abd alMalik pointe d’abord le politique. « Le rôle du politique est de structurer la cité au sens grec du terme, de manière à ce que chacun puisse avoir accès à ce qui est fondamental, à savoir l’accès à l’éducation. Dans nos quartiers en France, il s’agirait, tout d’un coup, de mettre les gens ensemble, pour leur donner accès aux mêmes structures et infrastructures, à la même qualité d’éducation. C’est la meilleure façon de rendre un peuple dynamique et responsable, en tout cas un peuple qui aurait envie de transcender sa condition. » Toutefois la responsabilité doit être également individuelle : à chacun de se demander ce qu’il peut faire pour améliorer sa condition ! À quoi notre artistephilosopheajouteunenuancefleurie:« Mais si, dès le départ, la graine n’a pas été arrosée, c’est difficile, sauf exceptions, de se poser ce genre de question… C’est pourquoi je trouve important le fait de pouvoir témoigner quand on a réussi à dépasser certains problèmes en dépit de son milieu défavorisé. Le témoignage est vital et essentiel parce qu’il permet d’aller vers le haut et vers les autres. C’est ce qu’on appelle aussi la solidarité et la cohésion sociale».

Propos recueillis par Nathalie Caprioli et Pascal Peerboom

(1) Abd al Malik, Qu’Allah bénisse la France, Albin Michel, 2004, 204 p.

© Pedro San José

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D epuis 1995, plusieurs événements avaient soulevé des controverses sur la diversité religieuse en général et sur la légitimité des procédures

d’accommodementraisonnable.Ilenvaainsiduportdukirpan, couteau rituel porté par un jeune Sikh dans une école secondaire, le port du hijab dans un collège privé, le déploiement de l’érouv2 dans un quartier de Montréal, la question du financement public d’écoles juives, les demandes d’horaires distincts pour femmes et hommes dans les piscines publiques, les demandes, exprimées par les parents de retrait de la participation à certaines activités

sportives dans des écoles, la demande du respect d’interdiction alimentaire dans des hôpitaux ou des centres de la

petite enfance. Mentionnons aussi les débats autour de l’établissement de lieux de culte dans les universités et les vives discussions sur l’arbitrage religieux en matière familialeetconjugale.Cesdiscussionsontpourfondlaquestion délicate, politique, anthropologique même, de l’identité québécoise, à l’aube d’une crise démographique préoccupante et de la définition d’une politique de l’immigration qui veut tester et mieux organiser ses capacités d’accueil et d’intégration.

Une question fort présente dans l’espace publicL’obligation d’accommodement raisonnable, élaborée à partir du principe d’égalité en matière de relation d’emploi3 et de fourniture de biens et de services destinés au public, s’est étendue aux questions reliées à l’égalité et la liberté de religion, garanties par la Charte canadienne des droits et liberté et par la Charte des droits et liberté de la personne duQuébec.L’importance des chartes est soulignée régulièrement et dans tous les contextes, autant par les instances gouvernementales que par les chefs de partis qui restent attachés aux principes de base de la démocratie libérale. Parmi ces principes figurent la liberté de religion et de conscience, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association (article 3) et le droit à la reconnaissance, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne sans distinction fondée notamment sur la religion (article 10).

Les institutions juridiques, les organismes publics de défense des droits de la personne telle la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et les organisations des minorités visibles sont préoccupés au premier chef par l’exercice de ces droits et libertés et de leur déploiement dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général descitoyensduQuébec.Danscecontexte,l’obligationd’accommodement raisonnable s’impose au législateur et à l’autorité réglementaire qui devront prévoir des exceptions pour permettre des pratiques, des fournitures de service, des prestations spécifiques qui seraient autrement contrariées ou empêchées par l’application des normes générales.SileprésentdébatauQuébecseréfèremajoritairementàla place de la religion dans l’espace public et à la gestion de la diversité culturelle, l’obligation d’accommodement raisonnable s’applique à tous les motifs de discrimination énumérés à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, tels la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour paliercehandicap.Ilestànoterqueplusdesdeuxtiersdes pratiques d’accommodement émanent de citoyens québécois dits « de pure souche ».

Les modalités pratiquesToute personne présumée victime va demander un accommodement raisonnable pour éviter qu’il y ait une discrimination fondée sur sa religion ou sur d’autres spécificités, (âge, handicap, grossesse, etc.). Ainsi, un enfant musulman ne peut pas manger du porc parce que sa religion le lui interdit, il demande donc un accommodement avec fourniture, par la cantine scolaire, de nourriture hallal. Si l’école refuse, l’enfant devient victime d’un traitement négativement et indirectement discriminant par rapport aux autres du fait de son appartenance à sa religion. Les parents de l’enfant ont deux choix : ils peuvent utiliser les mécanismes internes à l’établissement/institution de règlements de conflit,il s’agit alors d’une «plainte administrative» et d’une

Do

ss

ier L’accommodement

raisonnable au QuébecProcédure extra ou intra judiciaire, l’accommodement raisonnable

est une obligation de l’État, des personnes et des entreprises privées

à modifier, dans des cas liés essentiellement à la discrimination1

indirecte, des normes et des pratiques politiques légitimes

et justifiées, qui s’appliquent sans distinction à tous, pour tenir

compte des besoins particuliers de certaines minorités, à moins

que l’adaptation requise n’entraîne une contrainte excessive.

P I E R R E A N S A Y

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procédure à l’amiable interne, sans débouché judiciaire. Ils ont aussi le choix d’enclencher des mécanismesexternes, en d’autres termes des procédures judiciaires.Dans cette éventualité « externe », chaque accommode-ment recherché est traité au cas par cas et chaque juge-mentrenduestspécifiqueàuncas.Cependant,ilfauts’attendre à ce que l’accommodement accordé constitue un précédent et qu’il sera invoqué pour d’autres de-mandes analogues. La preuve du caractère raisonnable d’un accommodement sera d’autant plus facile à faire que l’accommodement recherché aura déjà été accordé auparavant soit au plaignant, soit à d’autres personnes danslamêmesituation.Unemployeur,unfournisseurde biens ou de services susceptible de devenir titulaire d’une obligation d’accommodement raisonnable doit être conscient du fait qu’en accordant un accommode-ment, il crée un précédent qui pourra ensuite être in-voqué contre lui. L’ajustement n’entraîne cependant pas une remise en cause des principes fondamentaux du Droit ou de la norme en question.

Les moyens de défense Dans le cadre juridique, trois moyens de défense sont opposables au demandeur : le caractère rationnel de la politique, de la règle ou de la norme contestée, l’effort d’accommodement réalisé auparavant par l’institution et le caractère excessif de la contrainte qu’entraînerait la mise en place de l’accommodement recherché.En un, l’employeur qui tente d’échapper à un accom-modement raisonnable doit commencer par démontrer que les modalités d’offres du bien ou du service sont rai-sonnablement liées aux conditions inhérentes à la four-nitureefficaceetéconomiqueduserviceoudubien.Ildoit prouver qu’il était de bonne foi lorsqu’il a établi la règle ou la politique en question. Si la règle qui entraîne la discrimination indirecte est raisonnablement liée aux nécessités de l’emploi ou aux impératifs de bonne ges-tion du service, elle pourra être maintenue tout en ménageant un accommodement spécifique pour le demandeur. L’obliga-tion qui s’impose dès lors aux fournisseurs de biens ou de services ou à l’employeur consiste à s’efforcer de s’entendre avec les personnes pénalisées par la règle afin de trouver un arrangement tenant compte de leurs besoins légitimes.Il incombe en deux au défenseur deprouver qu’il a réalisé un effort d’accom-modement dans son institution. Selon la jurisprudence et la doctrine, l’obligation d’accommodement, et par conséquent le fardeau de la preuve, reposent initiale-ment sur l’employeur ou sur le fournisseur debiensoudeservices.Commeledevoird’accommodement est une obligation de moyens plutôt que de résultats, il est im-portant que l’employeur ou le fournisseur de biens ou de services puisse démontrer qu’il a fait tous les efforts nécessaires pour faciliter l’accommodement ou l’adaptation ou, si l’on préfère, qu’il a rempli convena-

blement son obligation de négocier avec les personnes concernées. Par ailleurs, l’obligation de négocier de bon-ne foi est réciproque dans la mesure où elle s’impose non seulement aux employeurs et aux fournisseurs de biens ou de services, mais également aux demandeurs d’accommodement.Cesderniersdoiventcoopéreretac-cepter tout arrangement raisonnable proposé, même s’il n’est pas parfait. La reconnaissance de la discrimination entraîne une obligation juridique qui doit donc s’exercer dans la réciprocité, selon une éthique de la responsabi-lité/solidarité civique.En trois, le caractère excessif de la contrainte constitue l’élément central de la défense en matière d’accommodement raisonnable. Le titulaire de l’obligation doit, s’il veut l’écarter, démontrer que l’accommodement

En Belgique

Protocole d’accord relatif au concept d’aménagements raisonnables

En vertu des différentes législations anti-discrimination de l’Étatfédéraletdesentitésfédérées,unprotocoled’accordrelatif au concept d’aménagements raisonnables a été concluentrel’Étatfédéral,lesRégionsetlesCommunautésce19juillet2007(MB20/09/2007).Ceprotocoledécritetdéfinitleconceptsoussesdifférentesformes (aménagements matériels, immatériels, collectifs, individuels).Il expose également les critères auxquels doit répondrel’aménagement (efficacité, égalité, autonomie, sécurité) et, enfin, propose des indicateurs permettant d’évaluer le caractère raisonnable de l’aménagement.

Pour consulter le texte intégral de ce protocole : http://www.diversiteit.be/CNTR/FR/discrimination/

Le port du foulard à l’école : un exemple d’accommodement raisonnable.

© Aurélie Grimberghs

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recherché lui causeraitune contrainte excessive. Il luirevient aussi d’en apporter des preuves. La jurisprudence et la doctrine soutiennent que celui qui veut écarter une obligation d’accommodement en invoquant la contrainte excessive doit démontrer les coûts et les autres conséquences indésirables de l’accommodement sur la base de preuves factuelles, et non à partir de simples hypothèses ou de spéculations théoriques. Ainsi, une entreprise employant des travailleurs de 18 religions différentes pourrait arguer que ménager des spécificités d’horaire aux 18 classes de travailleurs rendrait celle-ci ingérable. En effet, accorder un accommodement à l’un induirait un effet boule de neige au nom du principe d’égalité. L’utilisation de l’adjectif « excessive » suppose qu’une certaine contrainte est acceptable. Les contraintes excessives énumérées de façon non exhaustive par laCour suprême en ce qui concerne la situationd’unemployeur sont les suivantes : les coûts entraînés par l’accommodement recherché, l’entrave indue à l’exploitation de l’entreprise, l’atteinte possible au moral du personnel, les risques pour la sécurité, l’atteinte à la convention collective, la fondation de l’entreprise qui serait ébranlée.

Contraintes excessivesDans le cas d’une entreprise privée, seules les dépenses effectivement assumées par celle-ci devront être considérées, en tenant compte des subventions publiques éventuellement disponibles pour financer l’accommodement et des déductions fiscales applicables. Bien sûr, le coût devra être analysé de façon relative plutôt qu’absolue, en tenant compte de la taille et des ressources de l’entreprise concernée, du nombre des demandeurs d’accommodement ainsi que de toutes les autres circonstances pertinentes.Quant à l’effet cumulatif d’un grand nombre dedemandes d’accommodement semblables (ou effet boule de neige), il peut avoir pour conséquence de rendre le coût excessif ou, au contraire plus raisonnable s’il s’agit d’un aménagement qui, une fois mis en place, peut servir à un grand nombre de personnes dans la même situation. Ainsi, l’aménagement d’une salle de prière sur les lieux du travail pourrait servir à des personnes de confession religieuse différente.Dans le cas d’une entreprise ou d’un service public qui n’est pas soumis à l’impératif de rentabilité et dont le financement repose directement ou indirectement sur les fonds publics, l’argument du coût semble reçu avec moins de sympathie par les tribunaux que dans le cas d’une entreprise privée, dont le fonctionnement obéit à la logique du profit. En effet, il est relativement facile pour les tribunaux, dans le cas d’un organisme financé par le gouvernement, d’en arriver à la conclusion que la dépense supplémentaire exigée par l’accommodement ne constitue qu’une fraction minime du budget total del’organismeconcerné,voiredubudgetdel’État.Enoutre, une telle attitude se justifie aisément suivant l’argument que les coûts supplémentaires seront répartis sur la grande masse des contribuables et n’entraîneront, pour chacun d’eux, qu’une dépense minime et, de toute façon,invisible.Cettetendanceàconsidérerlesfinances

publiques comme extensibles rend évidemment plus difficile la défense de contrainte excessive fondée sur les coûts de l’accommodement réclamé.Ilfautégalementsoulignerquelasupposéerationalitéde l’accommodement réclamé et le caractère excessif de ses inconvénients constituent des questions de fait qui sont décidées par les tribunaux des droits de la personne souvent sympathiques aux plaignants. Leur détermination n’est normalement pas remise en cause par les tribunaux siégeant en appel ou en révision judiciaire.On peut s’interroger si les demandeurs d’accommodement ne devraient pas assumer en tout ou partie les coûts supplémentaires occasionnés par les arrangements particuliers qu’ils réclament. On constate que les organismes spécialisés dans la mise en œuvre des droits de la personne ne rejettent pas complètement cette idée,maisqu’ilsont tendanceà semontrerassezpeuexigeants à l’égard du demandeur d’accommodement et à considérer que, dans la mesure du raisonnable, le surcoût devrait être réparti sur l’ensemble des contribuables ou des usagers du service public en cause.

Entrave indue à l’exploitation de l’entreprise En matière de relations d’emploi, le deuxième grand facteur de contrainte excessive est l’entrave à l’exploitation sûre et économique de l’entreprise. Dans le domaine des biens ou services, on parlera plutôt d’entrave au fonctionnement efficace et économique du service. La règle qui entraîne l’effet discriminatoire doit être nécessaire au fonctionnement efficace et économique du service. Pour le demandeur d’accommodement, il s’agit de déterminer si la règle peut être réaménagée pour éviter la discrimination, tout en permettant l’exploitation de l’entreprise ou le fonctionnement du service de façon efficace et économique. Le titulaire de l’obligation d’accommodement a le fardeau de démontrer que toute modification de ses politiques est impossible, car trop complexe ou trop coûteuse.

L’atteinte aux droits d’autrui En matière de relations d’emploi, le troisième grand facteur de contrainte excessive concerne les effets de l’accommodement recherché sur les droits des autres employés. Dans le domaine de la fourniture de biens ou de services ou d’accès aux lieux publics, on parlera plutôt des effets de cet accommodement sur les droits des autres clients de l’entreprise ou du service, ou encore sur les droits de la population en général. L’employeur pourra à bon droit refuser un accommodement raisonnable s’il peut démontrer qu’il entraînera une atteinte réelle, non pas anodine mais importante, aux droits d’autres employés.Les demandes d’accommodement fondées sur la liberté de religion pour refuser des traitements médicaux pour des enfants, par exemple la transfusion sanguine ou la vaccinationobligatoire,entrerontévidemmentenconflitavec le droit de ces derniers à la vie et à la santé ainsi qu’avec l’impératif de protection de la santé publique danslescasdelavaccination.Étantdonnél’importancedes intérêts en cause, de tels accommodements sont en général refusés.

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Le droit fondamental avec lequel les demandes d’accommodement fondées sur la religion risquent le plusd’entrerenconflitestceluidel’égalitédesfemmes.Àl’une des extrémités du spectre, les pratiques religieuses exigeant par exemple la mutilation des femmes, la lapidation ou l’immolation des veuves sont clairement inacceptables et ne sauraient faire l’objet d’aucun accommodement. À l’autre extrémité du spectre, les règles concernant le port du voile islamique, notamment à l’école, lors de la présentation de l’électrice au bureau de vote ou lors de compétitions sportives génèrent au Québecdesaccommodementsaucasparcas,etsouventselon des procédures internes. La pondération de toutes les considérations par la procédure d’accommodement entraînera inévitablement des résultats imparfaits et différents, qui provoqueront l’insatisfaction de certaines, voire de toutes, les parties concernées. En outre, une telle pondération devra tenir compte de toutes les variables des situations factuelles dans lesquelles le problème surgira, notamment le traitement différencié qui se dégagera dans un quartier multi ethnique de Montréal ou dans un village situé au fond de la Gaspésie.Du point de vue tactique et rhétorique, celui qui veut écarter une demande d’accommodement fondée sur la liberté de religion aura vraisemblablement plus de chance de succès en invoquant le fait que l’accommodement recherché lèserait les droits d’autrui qu’en s’appuyant sur son coût excessif ou sur l’entrave qu’il entraînerait à l’exploitation de l’entreprise ou au bon fonctionnement du service considéré. De même, pour justifier la limitation de la liberté de religion, il vaut mieux invoquer la nécessité de protéger les droits d’autrui que la sécurité, la santé et l’ordre publics. En effet, les tribunaux qui sont investis de la mission de protéger les droits et libertés accepteront plus facilement la limitation des droits des uns par les autres que par des considérations d’intérêt général.

Le débat au QuébecAprès les dernières élections provinciales, la presse québécoise a donné un large écho au débat portant sur les accommodements raisonnables. Le débat prend sens dans le cadre d’un effort de redéfinition de la nation québécoise avec comme arrière-fond un désaccord institutionnel dormant entre le souverainisme, (courant politique visant à l’indépendance du Québec) et lefédéralisme, (courant politique visant à développer un Québec fort dans un Canada uni). La questiondu bi, (deux nations fondatrices, l’anglaise et la française), voire du tri (ajouter les premières nations) ou du multiculturalisme s’y joue également : l’identité québécoise serait-elle soluble, une parmi d’autres, dans le cadre d’une politique fédérale canadienne d’immigration ouverteaumondesansaffirmationdufaitfrançais?Àl’opposé du modèle multiculturaliste canadien, certains opposent le modèle québécois de l’interculturalisme, sensé concilier le respect de la diversité culturelle et les impératifs multiples de l’intégration au sein d’une société francophoneorganiséeparunÉtatsocial-démocrate.Lalaïcitédel’Étatyestaussiquestionnée:faut-ilrappelerque leQuébecavu s’opérer ladéconfessionnalisation

totaleduréseaud’enseignementen2000?L’achèvementdelalaïcisationduQuébecs’estproduitsimultanémentavec l’augmentation de la diversité religieuse due à l’immigration.Pour les uns, dont le philosophemontréalaisCharlesTaylor, l’intégration harmonieuse des immigrants est facilitée par la reconnaissance de leurs différences, par les adaptations, consenties aux minorités, même si, à court terme, ces politiques peuvent avoir pour effet d’exacerber certains traits et comportements particuliers spécifiques à ces groupes migrants. En outre, les situations d’exil méritent « la douceur de l’accueil ». Certains insistent sur la composante «Québec, terred’immigration » de la société d’accueil et pour eux, les procédures d’accommodement raisonnable constituent un instrument puissant d’intégration. Outre les migrants, d’autres minorités peuvent en effet bénéficier, par le biais de procédures d’accommodement, de la protection de certains traits de leur identité. Le droit à l’égalité, inscrit dans les chartes des droits signifierait pour eux la légitimation, voire la légalisation de leurs différences par un traitement approprié reconnu par la loi ou à tout le moins par la jurisprudence. La pratique

À lire

L’égalité de traitement dans la pratique : programme d’action communautaire de lutte contre la discriminationLuxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes, 2006, 27 p.

Un programme a été adopté par le Conseil des ministres et le Parlement européen en vue de soutenir la mise en œuvre de deux ambitieuses directives anti discriminatoires. Mais le processus de mise en œuvre de ces textes s’est révélé fort lent et il reste un long chemin à parcourir pour que ces dispositifs anti discriminatoires soient appliqués correctement et dans leur intégralité dans les États membres de l’UE. Le programme d’action s’est finalement articulé autour de deux aspects centraux- les personnes et les idées- et s’est attaché à les réunir. Réunir les personnes actives dans le domaine de la lutte contre la discrimination, les représentants syndicaux et le personnel des entreprises par exemple, et bien sûr les personnes ayant fait l’objet de discrimination. Réunir des idées qui peuvent nous aider à comprendre les causes, les formes et l’étendue de la discrimination, des idées qui nous permettent de soutenir les victimes et de concevoir des politiques plus efficaces.Aussi fondamentale soit-elle, la lutte contre la discrimination au sein de la société ne pourra être gagnée avec de seules initiatives législatives. L’expérience passée montre en effet que les lois doivent être soutenues par des mesures concrètes. Dans la pratique, la lutte contre la discrimination exige donc une association de diverses mesures, qui doivent se soutenir et se renforcer mutuellement.

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de l’accommodement raisonnable, déployée dans une rhétorique argumentative de libéralisme individualiste serait en elle-même une excellente école d’acculturation pour les entrants dans une « société démocratique avancée ». La protection accordée par cette procédure dissoudrait la tentation du fondamentalisme et le repli ghettoïsant. Les travailleurs sociaux de terrain, les directeurs d’école, et cela vaut surtout dans la grande agglomération montréalaise, insistent sur le bon sens et la souplesse des accommodements réalisés en première ligne et sans recours à la procédure judiciaire : « entre gens de bon sens et de bonne composition, on peut toujours s’arranger ». Pour certains, les procédures d’accommodement pourraient masquer d’autres enjeux plus stratégiques : apprentissage de la langue, politique de formation professionnelle, accès à l’emploi pour les immigrés qui connaissent un taux de chômage nettement supérieur à la population québécoise d’origine.Les opposants à la procédure d’accommodement raisonnable viennent curieusement d’horizons contrastés: pour lesnationalistes traditionnalistes souvent situés à la droite de l’échiquier politique, les accommodements raisonnables risquent de saper les valeurs fondamentales duQuébeccatholique, français et rural. L’épaisseur historique du

(1) Discrimination : exclusion, distinction et préférence fondées sur un des mo-tifs interdits par les chartes des droits. Exemple : l’exigence de taille minimale pour être embauché est discriminatoire. Alors que la discrimination directe est celle qui repose ouvertement sur un motif prohibé de distinction, « il faut telle taille minimale pour être pilote d€avion », la discrimination indirecte découle d’une règle «neutre», « l€horaire de travail est du lundi au samedi », c’est-à-dire qui s’applique de la même façon à tous, mais qui produit néanmoins un effet discriminatoire sur un seul groupe de personnes en ce qu’elle leur impose des obligations ou des conditions restrictives.(2) Le nérouv est une clôture réelle ou symbolique destinée à servir une com-munauté juive qui vit selon les lois et les règles du Talmud et de la Torah.(3) La discrimination fondée sur le handicap, le sexe, la taille, l€âge ou la gros-sesse peut donner lieu à une telle obligation.

À lire

Inclusion sociale : regards européensDossier in L’Observatoire 54/ 2007, pp. 25-100

C’est par rapport à l’épreuve destructive du marché mondial que la cohésion sociale est revenue au centre des débats. La cohésion sociale est en effet déplorée comme une perte qu’il faudrait en conséquence rétablir d’urgence. La logique économique mondiale a déstabilisé les relations sociales, la sécurité d’existence n’est plus assurée et le prix à payer est l’amoindrissement de cette fameuse cohésion sociale. Un parallèle s’établit entre

les notions de cohésion sociale et d’identité collective, toutes deux vécues comme une perte. Au fond, c’est le changement qui perturbe les identités et menace de ce fait la cohésion de nos sociétés. Du coup, la cohésion sociale est invoquée comme référence à un passé révolu mais aussi comme une résistance de la société contre une marchandisation déshumanisante qui ignore les besoins sociaux. Ce dossier interroge les concepts qui tournent autour de la question sociale. Il revisite les modèles, théories, politiques qui les sous-tendent ou les prolongent : l’égalité des droits, l’accès à l’emploi, le développement urbain. Il présente ensuite les objectifs et défis posés dans ce domaine par l’Europe et traduit en Rapports conjoints sur la protection et l’inclusion sociale. Ce bref panorama des nombreuses initiatives prises par les pouvoirs publics wallons, ainsi que fédéraux et européens, confirme que l’objectif doit viser à garantir à chacun un accès effectif aux droits fondamentaux en vue d’assurer l’équité et un meilleur bien-être à toute la population, sans exclusion.

Québecs’estmanifestéedanslepetitvillaged’Hérouxville,où les conseillers municipaux s’entendent pour rejeter toute procédure d’accommodement raisonnable, au point de faire édicter un code de vie interdisant la lapidation des femmes ! Selon les tenants de cette argumentation, il n’est pas de citoyenneté possible sans attachement civique aux valeurs communes à épaisseur historique.À partir d’un autre horizon, la laïcité québécoisecritique négativement les procédures d’accommodement raisonnable et réclame une déconfessionnalisation complète des fêtes : les congés de Noël, de Pâques doivent devenir des congés civiques, sans marque religieuse. La laïcisation complétée de la société québécoise circonscrirait les appartenances religieuses et philosophiques à la sphère privée et dissuaderait les demandeurs d’exceptions religieuses. L’école, selon cette optique, doit devenir un lieu de neutralité pour tous et doit affirmer ses valeurs laïques et inclusives.Pour les nationalistes civiques, enfin, situés à l’opposé des nationalistes ethniques, les accommodements raisonnables risquent de faire courir de graves dangers aux droits individuels des membres des groupes minoritaires. Bien des demandes d’accommodements raisonnables émaneraient de tenants d’une idéologie traditionnaliste véhiculant une conception du monde conservatrice, patriarcale, théocratique et autoritaire. Accorder des accommodements reviendrait à légitimer des pratiques oppressives violant les principesdelaChartecanadiennedesdroitsetlibertéetdelaChartedesdroitsetlibertédelapersonneduQuébec.Pour une partie de la gauche québécoise, la prolifération des pratiques d’accommodement raisonnable pourrait conduire à la dissolution des politiques de solidarité mises enplacepar lesÉtats sociaux-démocrates: laprétendueambition de justice culturelle laisserait à l’arrière-plan les réquisits de la justice sociale. La juridiciarisation des conflitsetlaproliférationdesjurisprudencesconduiraienten outre au gouvernement des juges et à la démission des parlementaires et des exécutifs. La vitalité du débat au Québectémoigneautantd’unmalaiseetd’uneinquiétudeprofonde, renvoyant sans doute, au-delà de la controverse sur les accommodements, à la redéfinition problématique du vivre ensemble dans le contexte d’une mondialisation accrue et d’une politique d’immigration rendue crucialement nécessaire par le déclin démographique. La richesse et la qualité du débat laissent cependant augurer le meilleur avenir possible aux citoyens québécois de toute origine.

Pierre AnsayPhilosophe

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39Agenda interculturel n° 257-258 • Novembre-Décembre 2007

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oisLa femme

est l’avenir du mondeVoix de Femmes 2007, c’est -pour la 8e fois- une rencontre

avec des femmes du monde entier. Des femmes engagées qui,

via leurs talents d’artistes, prennent position sur des questions culturelles,

politiques, économiques. Des femmes qui chantent et des femmes

qui parlent. Des femmes partisanes de l’expression en général,

artistique en particulier. Concerts, danse, théâtre, ateliers, expositions

et projections documentaires s’emboîteront du 6 au 15 décembre.

F estivald’ouverture,VoixdeFemmesestagrémenté d’une forte charge symbolique puisque répartis sur trois villes : Liège,

Anvers et Bruxelles. Priorité est mise sur des pays d’Europe, de la Méditerranée, ou des pays ACP (Afrique,Caraïbes et Pacifique), avec lesrisquesquecelapeutparfoiscauser.Ungroupenigérien ne viendra pas comme prévu, suite au tensions politiques dans la région : les Touaregs sont interdits de sortir du pays. Le groupe se voit ainsi remplacé par une chanteuse tchétchène.Cetteannée,lesartistesserassemblerontautourdu thème « Transmission-Survie », ou l’art commeoutildetransmissionetdesurvie.C’estlachanteusedeflamencoEstrellaMorentequiouvriralavoieavecunconcertàFlagey,pourquila participation au festival est une première. Voix de femmes accueillera également la 6e rencontre du « Réseau mondial de solidarité des mères, épouses, sœurs, filles et proches de personnes enlevées ou disparues ». Toutes originaires de régions opprimées, elles se battent pour assurer un travail de mémoire. Constituéauseindufestivalen2000,cetespacederencontresetderéflexionsyasaplacedepuisses débuts. Parmilesnombreuxrendez-vous,troisforumsmédiatiques questionneront la diversité culturelle, les droits humains et les stratégies économiques transmises et réalisées par les femmes. Etienne Bours, conseiller en musiques du monde à la Médiathèque, s’impliquera à la première table ronde pour débattre des dangers encourus par l’expression, en particulier dans des régions en conflitsouaupouvoirliberticide.Onyévoqueraaussila capacité de création et de transmission artistique de ces femmes. Lien par excellence entre la société belge et cette diversité musicale, les questions liées au marché dudisquey auront leurplace.CeForumaura lieu levendredi7décembre,de10à16hàFlagey.

Aurélie Grimberghs

Lieux et dates ÀBruxellesaupaquebotFlagey,du06au08/12ÀAnversauZuiderpershuis,du07au09/12À Liège au Musée d’Art moderne et contemporain, du 09 au 15/12

Contact9/11 rue des Mineurs, 4000 Liège. Tél. 042 22 12 46info@voix defemmes.orgwww.voixdefemmes.org

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C e qui me surprend toujours lorsque je séjourne dans un autre pays, c’est que les différences culturelles ne sont pas toujours là où je les

attends…UnbelexempleàBruxellesaétémavisitede la piscine et des toilettes de plusieurs lieux publics : le choc de ne pas voir de séparation où je pensais en trouver, et d’en retrouver où ça ne me semblait pas nécessaire ! J’aime beaucoup nager et il était donc naturel pourmoi, en m’installant à Bruxelles, de repérer les piscines publiques. De bon matin, j’ai décidé de faire un tour à la piscine des Marolles avant d’aller

travailler. En arrivant, j’ai eu droit aux consignes de la responsable du vestiaire

sur l’art d’utiliser une « cabine d’essayage »… où je m’enferme avec la drôle d’impression de me changer dansune garde-robe.Oui, parce que, chez nous, cesont de grands vestiaires ouverts où l’on se change devant les autres. Sortant de la cabine, j’ai froncé les sourcils en croisant de jeunes hommes revenant de la piscine : « Ah bon, c’est un vestiaire mixte, ai-je pensé. Il doit sûrement y avoir une douche pour femmes à part, peut-être à même la section des toilettes. »

La douche froide…Je suis finalement arrivée au bord de la piscinesans avoir vu la moindre trace de ce qui aurait pu ressembler à une douche.Une odeur de shampoingattire mon regard, et je me rends compte alors que, directement au bord du bassin, une série de douches sont alignées et des gens s’y lavent les cheveux : choc ! Est-cequecesontlesseulesdouches?Jevaisvraimentdevoirprendremadoucheauborddelapiscine?!Jenepourraipasvraimentmelaver!?Commeletempsfilait et que je voulais nager pour la peine, je ne suis pas allée voir le surveillant à ce moment pour lui poser la question, surveillant qui n’aurait pas résisté à l’envie de me parler de mon accent, à me poser des questions sur mon séjour et à me parler de son dernier voyage auQuébec - le sien ou celui de sonami, de son beau-frère, de son voisin, etc. ça peut être super sympathique en temps normal mais là, je n’en avais ni le temps ni l’envie. Alors, pendant toutes mes longueurs, j’ai ressassé les mêmes questions sur les douches, en me rassurant moi-même : non, ça ne

pouvait tout de même pas être les seules douches, il faut se laver, enlever le chlore sur la peau car il assèche et irrite. Et bien oui, c’était les seules douches, je me suis donc chastement lavé les cheveux et les jambes, en gardant mon maillot. Et j’ai dû reprendre une vraie douche le soir à la maison.En me dirigeant vers les cabines pour enlever mon maillot, je n’ai pas eu, ce jour-là, à appeler la responsable du vestiaire pour qu’elle vienne déverrouiller la porte comme ce fut le cas le lendemain... autre choc. Le jour suivant, en effet, pendant que je mettais mon maillot, j’ai entendu une autre nageuse crier à la responsable de venir ouvrir sa cabine: « Madame, le 40 svp... Madame, j’ai dit le 40 !! ».Jemedisàmoi-même,quelleimpoliede crier de la sorte après la responsable qui ne devait sûrement pas être loin. Au moment où moi-même j’ai eu à retourner dans ma cabine, je n’ai pas vu au premier regard la responsable; mais une nageuse qui avait fini de se changer quittait justement les lieux. Je lui ai donc demandé d’avertir la responsable queje voulais faire ouvrir ma cabine. En s’approchant, la responsable me reproche de ne pas avoir crié, et comme je lui indique que j’avais justement demandé à l’autre nageuse de l’aviser, elle insiste : « Ah, non, madame, il faut crier ».Camouflantmonmalaiseparune blague, je lui réponds qu’elle a un bien dur métier si on doit lui crier après toute la journée... Depuis, je me racle la gorge avant de l’appeler et j’ai toujours l’impression de sonner faux, de commettre un impair à crier de la sorte. Trois piscines plus tard, c’est toujours la même histoire à quelques variantes près… douches à part et non mixtes mais avec « vue sur la piscine » (en toute intimité quoi !), cabines le long du bassin… adieu, les grands vestiaires pour femmes où qui le veut bien se change et prend sa douche nue devant les autres, et qui se montre plus pudique file aux toilettes se changer et garde son maillot... à moins d’ouvrir une piscine naturiste pour femmes? Non, je pense quec’est pousser le bouchon un peu loin !

Une nation de voyeurs ?Du pudique, j’ai l’impression de passer au voyeurisme en entrant dans les toilettes de certains lieux publics. En effet, encore aujourd’hui, je suis surprise et mal à l’aise d’entrer dans plusieurs toilettes publiques mixtes et de

Nager dans la différenceQuébécoise récemment arrivée à Bruxelles, j’ai envie de partager

avec vous dans cette chronique mes étonnements, mes découvertes,

mes chocs culturels et mes réflexions… Je vous propose donc

de regarder la société qui vous entoure à travers mes yeux

d’étrangère.

En

tre

no

us

C . F I L I O N - D U F R E S N E

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devoir donc passer devant les urinoirs pour accéder aux toilettespourdames.Étantlunatique,ilm’estarrivéplusd’unefois,auQuébec,d’entrerparerreurdanslestoilettespour hommes. En voyant les urinoirs, je sursautais, « revenais sur terre » et sortais en pouffant : non, je n’étais pasaubonendroit!Ici,j’aieulemêmeréflexe,maisforceest de constater que j’étais bel et bien au bon endroit... avec toujours cette sensation de ne pas être à ma place, et sans avoir envie de partager une « intimité » non choisie avec la gente masculine.Toutescespéripétiesm’ontfaitréfléchiràlaquestionde la mixité. Très souvent, on a tendance à faire la dichotomie entre pays du Nord et pays du Sud, entre cultures modernes et cultures traditionnelles, entre musulmans et laïcs. Et l’amalgame devient facile : d’un côté, les pays du Nord, modernes et laïcs, prônent la mixité ; de l’autre, hommes et femmes organisent séparément leurs activités quotidiennes. La mixité semble être un « package deal », un forfait tout inclus auquel on adhère ou on n’adhère pas, pour lequel on est pour ou on est contre. Hé bien, moi ce que je découvre, c’est qu’il n’y a pas une mixité universelle, mais que celle-ci peut au contraire se vivre différemment selon les pays, les cultures, et pourquoi pas l’éducation familialeaussi.Jepensequ’ilestpossibledevivrelamixité, sans qu’elle n’entre entièrement dans le modèle dominant de la société où l’on s’est établi, et que cela ne signifie pas qu’on est contre, qu’on n’adhère pas. J’airepenséauxactivitésauxquellesj’aiparticipéplusjeune, comme les louvettes et les guides, où nous passions des moments entre filles, et comme ces moments faisaient du bien, même si j’étais bien contente de retrouver les gars le reste du temps... Encore aujourd’hui, hommes et femmes cherchent des espaces où se retrouver avec les gens de leur sexe sans pour autant que l’on remette en question la mixité et l’égalité des sexes.Quel’onpenseauxsoiréesdefillesouaux« ligues de hockey de garage », comme on dit par cheznous,oùleshommesserassemblentpourjouer au hockey de façon amicale.

Quelle mixité ?Si on entend la mixité dans un sens plus large, le mélange de publics variés, je me rends compte qu’il existe de bonnes différences entre la Belgique et le Québec. Si, chez nous,certaines activités et services rassemblent toute la population sans distinction, beaucoup, au contraire séparent les gens afin de répondre à des besoins spécifiques. Prenons la piscine, par exemple : s’il y a des « bains pour tous », il y a également des bains pour adultes afin de faciliter la nage en longueur, de l’aquaforme pour les personnes âgées, des sessions d’exercices prénataux pour les femmes enceintes, sans oublier les cours de natationpour enfants. Jamaisonneverradoncunepiscine affichant des heures d’ouverture de 8h à 19h sans mention des différents horaires.Toute cette question sur la mixité est bien d’actualité, à l’heure où le milieu associatif se demande s’il doit

accepter d’organiser des activités seulement pour femmes alors que les bailleurs de fonds prônent la mixité de tous les publics à des fins d’intégration et de cohésionsociale.Ilfautpourtantserappelerque,dèsles débuts du mouvement féministe dans les années soixante, les femmes ont senti le besoin de se retrouver entre elles pour prendre leur place dans l’espace public. On a donc assisté à la création de centres de femmes, structuresencorebienvivantesauQuébecetqui,sousl’égidedelaFédérationdesfemmesduQuébec,sontà l’origine de la Marche mondiale des femmes de l’an 2000. Peut-être bien que la non mixité des activités est également un passage obligé pour les femmes issues de l’immigration, tout comme un besoin de se retrouver entre elles. Peut-être bien qu’il faut leur laisser prendre leur place pas à pas. Ouardia Derriche, de laCommission femmesmaghrébines a écrit:« Si l’on veut permettre aux femmes issues de l’immigration de s’émanciper, il est important, puisqu’il s’agit d’un groupe dominé, de leur permettre dans un premier temps de se rencontrer entre elles afin de se renforcer, de gagner en confiance afin d’acquérir une assertivité de groupe. Parce qu’en présence d’un homme, elles se tairont ou ne diront que des choses convenues. »1 La mixité – mais quelle mixité? – estpeut-être alorsunobjectif àbienpluslong terme qui se voudra souple…

Claudine Filion-Dufresne

(1) Nouzha Bensalah et Ouardia Derriche, «Les femmes de l’immigrationouvrière marocaine : de l’invisibilité à l’ancrage citoyen », in 1964-2004 : 40 ans d’immigration féminine marocaine en Belgique, Actes du colloque organisé enfévrier2004,publiépar leGroupefémininpluriel–Commissionfemmesmaghrébines. Propos repris par Olivier Bonny dans son article intitulé : « Les ateliers avec les femmes en contexte scolaire : quelles voies vers l’autonomie et l’émancipa-tion?»in Eduquer tribune laïque, La Ligue de l’Enseignement et de l’Education permanente,n°59,juin2007,p.14.

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L’ Institut PanosParis, qui œuvre

pour le pluralisme médiatique, sort le premier répertoire des media des diversités en France.L’occasiondesemettre au courant sur ce qui existe dans ce domaine chez nos voisins. Il s’agit d’un outil de travail pourles professionnels des media et de la communication, mais aussi pour toutes personnes intéressées à la diversité et au pluralisme de l’information. Classés

en fonction de leurs supports de diffusion, les media repris dans l’ouvrage répondent à quatre critères : une ligne éditoriale accordant un intérêt

particulier à la diversité des composantes de la société française ; un public cible toujours constitué d’un ou plusieurs groupes constitutifs de cette société ; une équipe professionnelle elle aussi diversifiée ; et enfin, une production ayant principalement lieu en Europe.

Haere Mai Ao Hou ! 1

C’ est le destin du peuple qui est en jeu. Au cœur de la mêlée, au premier rang de l’affrontement, le casse-tête tournoieets’abatsanscesse.Ildoitêtresolide,dur,rigide:ungourdinmoun’impressionnepersonne.C’estune

question de motivation, de mana (2).ClamonsnotreHaka!(3)

La puissance des convictions, la force de l’identification à un groupe, à un désir, une croyance ou une idéologie entraînent, commeeffetsecondaire,unesorted’ankylosedel’esprit.Unengourdissementdel’imagination,delasensibilitéetdel’intelligence.Unepertedusensdel’humour.Confrontéàcephénomènederigidificationdelaconscience,commentnepasvoirqu’ilmanifesteunecrainte:cellede perdre le précieux sentiment de maîtrise mentale et de contrôle de la réalité que procurent les certitudes et leurs armaturesidéologiques?Sans compter l’effet d’addiction qu’engendre la certitude d’avoir raison et le frisson nombriliste de faire partie de l’élite, desJustes,desBons!Avecquelleobstinationils’agiraalors,aunomdelatraditionetdelafidélité,denejamaisdouter,

de ne pas se poser de questions, de ne plus penser ! Et se contenter de circuler sur ses fortifications mentales pour repousser les avancées insidieuses de l’Erreur. Pour accueillir l’Ennemi avec des arguments massues, de vigoureux coups de gourdin dogmatiques à asséner, sans états d’âme, sur les structures psychiques qu’il s’agit d’écrabouiller.Unetelleattitude,chezlesacteurssociauxquiproduisentlaréalitécollective,apoureffetd’étendreautourd’ellelamêmerigidité,les mêmes craintes et boucliers, le même besoin de contrôle et de sécurité.Avoir hérité de (ou adopté) la bonne doctrine, de la meilleure idéologie, de la vraie religion contribue beaucoup à l’image positive, valorisantequel’onpeutavoirdesoi.C’estunmustidentitaire,essentielpouraffronterl’adversité:unebonneopiniondesoi-même,camoufléesousunecouched’humilitéoud’altruisme.Fairevalserlesconsciences,libérerlespeuples,fairetournoyerle casse-tête dans la mêlée, la confusion sanglante, la bouillie cérébrale. Grande panique ! c’est eux ou nous ! c’est mesquin, grandiose, héroïque…C’estsurtoutunscénariodualistedontlaseuleissueheureuseestlaprisedepouvoir,ladominationdelasubjectivitésupérieuresur les oppositions, les dissidences, les hérésies qui la remettent en question.Toute relation est dès lors comprise politiquement, et stratégiquement, comme un rapport de force impliquant un dominant et un dominé, un maître et un disciple, un civilisé et un sauvage, un supérieur et un inférieur, celui qui a compris et celui qui doit comprendre, qu’il faut aider à « évoluer ». Admettons-le, ce n’est pas évident : certains s’obstinent dans leurs résistances archaïques, leurs blocages psychologiques. Le traitement de choc, avec eux, c’est obligé, ils ne comprennent que ça.C’estleparadoxedugrandcasse-têtequitournoieavantdes’abattreenfin.Commeundestinquibrisecequivientdanssonchemin. ça se passe en direct sur nos écrans, c’est le monde dans lequel nous vivons. ça fait du bien de ricaner, ça aide à ne pas pleurer.Quicroitàl’éliminationdelaméchanceté?Les Maoris, peuple redoutable mais vaincu, avaient depuis longtemps compris le rapport entre casse-tête, puissance et domination. C’estunmodèleculturelquirested’actualité,dansdesversionsplusaumoinssophistiquées.Toutefois,quandilstuaient,lesMaoris ne prétendaient pas que c’était pour le bien de leurs victimes. Ni que c’était pour leur apporter le progrès, la liberté ou le salut de leurs âmes. Au Moyen-âge, une large dague nommée Miséricorde permettait de « renvoyer dans l’éternité », c’est-à-dire « ad patres » ceux qu’on égorgeait. Tomahawk était le nom d’un casse-tête indien. Aujourd’hui c’est celui d’un missile yankee. Commeautrefois,ils’agitdecasserdestêtesinsoumises.Laraisonduplusfortetsa«démocratie»sonttoujourslesmeilleures.Peu importe, les actionnaires veulent des résultats percutants. Haere mai ao hou !

Citizen X

(1)Bienvenuedanslemondenouveau!enMaori.(2)Forceintérieure,spirituelle.(3)Chantdeguerre.

Cit

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Condensé de diversités

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C ri urgent est le nom d’une nouvelle collection des

Éditions du Grand Souffle.Elle s’est imposée aux éditeurs après la publication de la lettre anonyme de Guersande, « Avant de partir », ultime message d’uneadolescentedeseizeans.Ils’agitàchaquefoisdetextescourts, écrits par des auteurs nonprofessionnels.Quelesttoncri?estlaquestionqueposelacollection qui publie des témoignages d’hommes et de femmes qui, à un moment de leur existence, sont contraints à l’impasse. C’est un espace concret pourréapprendre à crier, nous disent les éditeurs. L’intention ne tient ni du défoulement ni de la provocation, mais du contact conscient avec l’éprouvé d’une situation intenable. Afin de libérer et de protéger la parole des auteurs, la publication des textes restera anonyme. Cri urgent veut nous faire vivre« l’actualité du dedans ». Face aumonopole quasi total des grandes structuresmédiatiques sur la culture d’aujourd’hui, le Grand Souffle cherche les voies d’une autre saveur et les

conditions pratiques de son éclosion.C’estpourquoiilsautodiffusent les livres,CDetDVDqu’ils publient, de créateurs apparentés à leur démarche

et souvent exclus des circuits commerciaux de distribution.

Le centre de documentation du CBAI a reçu cinq titres de

cette collection : « L’amitié au pied du mur », d’Alexandre, étudiant

français qui mène une grève de la faim « pour la libération de la Sorbonne de toute

occupation policière » suite au mouvementantiCPE;«Libéré

sur parole », de Lucien, qui nous parle de l’institution pénitentiaire française. Il dit l’enfermement,

« pas seulement le sien mais celui de tout être humain ». « Mécanique

érotique », de Yolande, qui nous parle de la prostitution mais « vécue de l’intérieur»; «Couvre-feu», de Kamel,

« racaille », dit-il en parlant de lui-même : « L’enfer, puisqu’on y est, tant qu’à faire tout cramer ! ». Et enfin, « Avant de partir », de Guersande, le texte qui a tout déclenché…

Cathy Harris

Cri urgent

Canal d’intégrationPresse écrite, radio, télévision et presse électronique reflètent la multitude de minorités en France,accentuée avec les nouvelles vagues d’immigration à partir des années 1980. À bout de bras, ces minorités se sont frayé une place au sein du paysage audiovisuel français - un symbole d’intégration. Alternatives à la façon dont les media grands publics traitent l’information, les media des diversités répondent au but poursuivi par tout public : s’identifier. Et créer un lien avec la société où l’on vit.Aprèsenquêtessurleterrainetrecherchesfouillées,247

media et 240 émissions dites multiculturelles sont ici recensées. Concrètement,lesmediasont d’abord triés par type de supports : presse écrite, radio, télévision, Internet(presseenligne,Web Radio, Web TV). Ensuite, en fonction de leur public cible et de leur ligne éditoriale : on compte ainsi les multiculturels, qui s’adressent à l’ensemble

de lasociété françaiseetdont la ligneéditorialereflètecette transversalité, et les media qui visent un groupe en priorité et qui accordent un intérêt spécifique à l’aire géographique d’où est originaire la communauté concernée. Une fiche par media reprend une courteprésentation et les informations les plus utiles, comme le contact, le lieu de diffusion ou le prix.Ce répertoire s’inscrit dans le cadre du programmeMediam’Rad, programme qui travaille à la reconnais-sance des médias des diversités en Europe. Le Media-Div sera prochainement disponible sur le site de Me-diam’Rad (www.mediamrad.org), sous forme de base de données en ligne fréquemment actualisée.

Aurélie Grimberghs

MediaDiv Le répertoire des media des diversitésInstitutPanosParisetÉd.L’Harmattan,Paris2007Prix:40EUR(+fraisdeport5euros) Contact InstitutPanosParis•10,rueduMail•75002ParisTél. : 33 1 40 41 05 [email protected]

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Panthères Noires, Histoire du Black Panther PartyTom Van Eersel, Paris, L’Échappée, 2006, 159 p.

L’histoire du Black Panther Party, de son émergence rapide et de sa fin brutale, n’est compréhensible que dans le contexte particulier et paradoxal des États-Unisdes années1945-1966.Unmouvement pour les droits civiques des Noirs Américains apparaît au milieudesannées1950danslesÉtatsdu Sud. Il va peu à peu déborder du

cadre historique de la ségrégation pour gagner, au milieu des années 1960, les ghettos des grandes villes du Nord-Est et de l’Ouest du pays. De nombreux historiens estiment que l’histoire contemporaine noire américaine a commencé par deux événements-clés. Le premier date du 17 mai1954,alorsquelaCoursuprême,parl’arrêt«Browncontre le Bureau de l’éducation », rend la ségrégation scolaire illégale… Cependant, dix ans plus tard en1965,plusde75%desécolesduSudcontinuentdepratiquer la ségrégation scolaire.C’est l’année suivante, le 1er décembre 1955, àMontgomery, capitale de l’Alabama, que le second tournant survient et que la révolte noire éclate. Rosa Parks, couturière noire de 43 ans, refuse de céder sa place assisse à un Blanc, comme l’exige la législation en vigueur dans les bus municipaux de Montgomery. Son arrestation entraîne un mouvement de boycottage des bus par les Noirs de la ville qui va durer plus d’un an.Cettevillede l’Alabamadevientunmodèlepourle mouvement de protestation qui va secouer le Sud pendant les dix années à venir.Des organisations voient le jour et la lutte pour les droits civiques progresse mais les conditions socio économiquesdesNoirsnesontenrienrésolues.Unnombre croissant d’Afro Américains est gagné par l’idée que la non violence ne peut résoudre le problème de la misère dans les ghettos noirs. Toute leur attitude vis-à-visdel’Amériqueblanchechangealors.C’estausein de ces organisations que va naître le mouvement du Black Panther Party. À partir d’octobre 1966, les États-Unis sont confrontés à une organisation afro-américaine se proclamant marxiste et révolutionnaire, et dont le discours est souvent violent. Leur rhétorique est agressive, spectaculairement menaçante vis-à-vis des autorités mais leur programme d’action se veut

en réalité davantage centré autour des questions économiques d’assistance et d’éducation des communautés « opprimées » du pays qu’autour d’une guérilla urbaine à proprement parler. Les fondateurs du BPP sont Huey P. Newton, né en 1942 à Monroe en Louisiane, et Bobby Seale, né en 1936 à Dallas. Leur discours appelle au renversement de la «super structure»étatique raciste américaine.LeFBIs’organise et essaie de casser le mouvement par tous les moyens ; il ira même jusqu’à l’élimination physique de certainsdirigeantsduparti.Après1973,lemouvementexiste toujours mais de nombreuses branches ont perdu leurs responsables. Pour l’opinion publique, le Parti est mort, alors qu’il existe officiellement jusqu’en 1982. Quarante ans plus tard, que reste-t-il du BPP? Lesproblèmes de la population noire sont sensiblement les mêmes qu’à l’époque. Pour certains, la situation est même pire.Nombreuxsontceuxqui,auxÉtats-Uniscommeailleurs, associent toujours le BPP à une organisation raciste et violente, signe que la désinformation a bien fonctionné. Mais pour beaucoup d’Afro Américains, le BPP reste gravé comme une source de fierté. Lesprisonsaméricainesrenfermentencoredesdizainesde militants des Panthères Noires et des mouvements indiens. Ils se considèrent comme des prisonnierspolitiques, statut que les autorités américaines refusent de leur accorder. Le fait que des personnes soient toujours en prison fait du Black Panther Party un problème toujours actuel.

Un autre islam : Inde, Pakistan, BangladeshMarc Gaborieau, Paris, Albin Michel, 2007, 388 p.

Avec 400 millions de fidèles -un musulman sur trois dans le monde- l’islam du sous-continent indien est la plus grande minorité religieuse de la planète, répartie quasi également entre l’Inde, lePakistan et le Bangladesh, sans compter les petites communautés des Maldives, de Sri Lanka, du Népal et du Bhoutan. L’Occident méconnaît largement « cet autre islam » et n’en retient souvent que des aspects conflictuels. Laréalité est plus complexe et d’une diversité culturelle étonnante. Cespaysconnaissentdesclivagesreligieux. L’hindouisme domine massivement et impose ses

Du neuf dans nos rayonsLe Centre de documentation du CBAI est ouvert

les mardi et mercredi : 9h > 13h et 14h > 17h

les jeudi et vendredi : 9h > 13h

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45Agenda interculturel n° 257-258 • Novembre-Décembre 2007

classifications. L’auteur évite de s’attarder sur des problèmes historiques insolubles pour insister sur des questions qui aident le mieux à comprendre qui sont ces musulmans et comment ils construisent leurs relations à la majorité hindoue qui les englobe. Parmi les multiples façons de définir ces relations, il est deux extrêmes dont il faut se garder. D’un côté, il faut éviter de suivre les slogans idéologiques qui font de l’hindouisme et de l’islam des civilisations diamétralement opposées n’ayant rien en commun et considérant la communauté musulmane dans le sous-continent comme un corps étranger, qu’il faut séparer voire éliminer. À l’autre extrême, on doit se méfier des bons sentiments qui gomment les différences et font allégrement communier hindous et musulmans dans un syncrétisme échevelé.Évitant cesvues simplistes, ce livre rendcomptedescomplexités historiques et sociologiques de cet islam. Dans cette société sud-asiatique englobante, plutôt que d’affrontement entre communautés, l’auteur préfère parler de fractures internes partagées.

Ménages et familles en Afrique subsaharienneMarc Pilon et Kokou Vignikin, Paris, Editions des Archives contemporaines / Agence de la francophonie, 2006, 131 p.

Objet d’une démarche scientifique depuis la fin du 19e siècle, la famille s’est vue accorder une place centrale dans les théories du changement social. La démographie fut d’un apport important pour

l’appréhension des changements familiaux et, depuis une trentaine d’années, une « démographie du ménage et de la famille » se constitue en un véritable champ de recherche générant ses propres concepts, outils et méthodes. En dépit de leurs limites, les statistiques sur les ménages apportent leur éclairage spécifique sur les dynamiquesfamiliales.Qu’enest-ildel’évolutiondesménages et des familles en Afrique subsaharienne?Alors que l’on s’interroge sur les interférences et les multiples interactions entre les modèles familiaux et les modèles sociaux, une question préalable se pose : oùvalafamilleenAfrique?Quelsontétélesapportsspécifiquesdeladémographieàcesujet?Faceàcesquestions,cetouvrageproposeunétatdesconnaissances. On sait encore très peu de choses sur l’histoire de la famille en Afrique, particulièrement en ce qui concerne l’époque précoloniale. L’étude de la taille et de la structure des ménages en Afrique se fait essentiellement à partir des opérations de collecte ayant pour unité de collecte « le ménage ». Mais la définition du mot « ménage » est-elle vraiment appliquée partout de la même manière? Les modes d’échantillonnagesont-ils toujours identiques d’une enquête à l’autre au seind’unmêmepays?L’ouvrageproposederappelerquelques traits saillants de la famille africaine de type traditionnel. Pour mieux appréhender les transformations que le ménage et la famille ont subies

sous l’effet des facteurs de modernité et de violence, il importe d’abord d’esquisser les contours des systèmes familiaux dans les sociétés précoloniales en examinant leurs principales caractéristiques. Le dernier chapitre analyse les mutations qui affectent la famille africaine et propose des repères pour mieux comprendre l’effet des principaux facteurs de changement social sur les idéaux et les contraintes qui conditionnent la constitution contemporaine des familles, leur taille, leurs fonctions et leurs dynamiques.

Démographie politique : les lois de la géopolitique des populationsGérard-François Dumont, Paris, Ellipses, 2007, 498 p.

Le double regard sur la population et la politique traverse toute l’histoire de la pensée. Néanmoins, la prise en compte des variables démographiques dans l’analyse géopolitique semble avoir été pratiquement abandonnée dans la seconde moitié du 20e siècle. En effet, après la Deuxième Guerre mondiale et l’émergence du nucléaire, la tentation est forte d’analyser la géopolitique dans le monde exclusivement en fonction del’accèsdesÉtatsàlapuissanceatomique,doncselonune présentation duale. Dans ce contexte, l’analyse géopolitique se consacre essentiellement aux moyens techniques permettant de dissuader l’adversaire. Cen’est qu’avec le choc de l’implosion soviétique que beaucoup redécouvrent que l’analyse géopolitique ne peut se contenter d’examiner exclusivement le potentiel militaire.Les événements marquants de la fin du 20e siècle et du début du 21e siècle mettent en évidence que la géopoliti-que, c’est-à-dire l’ensemble des condi-tions géopolitiques (milieux naturels, facteurs humain et économique) qui influencent la situation, l’action desÉtats ainsi que leurs relations, doitrevenir à ses fondements. Parmi ceux-ci, il faut notamment s’interroger sur l’importance des faits démographi-ques en géopolitique.Toute société repose sur l’existence d’une population qui se caractérise par des diversités humaines, son mode de peuplement des territoires ou ses migrations, toutes questions relevant de la démographie. D’autre part, les populations vivent selon des organisations sociétales, des structures politiques et leurs rapports internationaux, dont l’étude relève de l’analyse géopolitique. Un impératif d’interdisciplinaritéassociant ces deux disciplines permet d’en féconder une nouvelle, que l’auteur a appelé démographie politique, étude des interrelations entre les questions de population et les questions de cité. Ainsi l’auteur arrive à énoncer les dix lois de la géopolitique de la population. Explicitées individuellement sous leurs différents aspects, certaines prennent une résonance nouvelle et exercent des conséquences inédites sous l’effet des changements contemporains, comme les logiquesmigratoiresactuelles.Cesditesloisappellent

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la prise en compte des dix commandements de la géopolitique des populations. Cet ouvrage offre doncune lecture nouvelle de la compréhension du monde.

Une fois que tu es né tu ne peux plus te cacher. Ils déferlent sur l’Europe au prix de leur vie. Qui sont-ils ? que veulent-ils ?Maria Pace Ottieri, Vevey, Xenia, 2007, 185 p.

L’auteur veut comprendre ces destins que l’actualité traite comme des faits divers. Il s’agit d’un point devue immédiat et humain sur l’immigration clandestine mais aussi d’un portrait chaleureux et juste de tous ceux - douaniers, prêtres, assistants…- qui encadrent ce fluxd’humainsendétresse.C’est la vision d’une Italiemonstrueuse qui a oublié qu’elle a grandi grâce à l’émigration de ses grands-pères et pères et qui se permet l’individualisme raciste.Letitredel’ouvrage«Unefoisque tu es né tu ne peux plus te cacher » est réellement un nom africain ; c’est le véritable nomd’unclandestinquel’auteurarencontré.Cetouvragemet en scène le phénomène le plus marquant de notre époque : la migration de milliers de gens en quête d’une terrepromise, ici les côtes italiennes.C’est la versionitalienne d’un problème mondial. L’impossibilité de vivre dans son propre pays ne suffirait pas à expliquer les péripéties rocambolesques qu’affrontent les émigrés, s’il ne s’y ajoutait l’idée qu’il existe un ailleurs que l’on peut atteindre et où un avenir possible a déjà cours. Au-delà de l’espoir et du désespoir, une troisième force est en jeu, qui, spécialement si elle est collective, peut devenir unformidablemoteur:l’imagination.Quin’entredansaucune analyse statistique.Faitd’ombresetdelumièresviolentes,cerécitd’enquêtenous ouvre les yeux sur une aventure largement ignorée. Quelquesoitnotrepointdevuesurl’immigration,c’estun témoignage qu’il faut avoir lu.

La privatisation de la violence : mercenaires & sociétés militaires privées au service du marché

Xavier Renou, Chapleau Philippe, Madsen Way-ne, Verschave François-Xavier, Marseille, Agone, 2005, 488 p.

Les sociétés militaires privées (SMP) seraient entre une centaine et plusieurs milliers, selon les définitions et les tâches considérées. Ce secteur est enplein essor et représenterait aujourd’hui un bénéfice net de plus de 100 milliards dedollars.CesSMPsedistinguentdesclassiquessociétésdesécurité.C’estunphénomène complexe qui se présente à

l’observateur sous de multiples formes qui suggère une différence de nature avec le mercenariat. Mais il n’est pas si sûr que ces SMP n’ont rien à voir avec les mercenaires d’autrefois… Les « chiens de guerre » sont toujours là.Si elles se distinguent des sociétés de sécurité classiques, les SMP relèvent néanmoins comme elles de la privatisation croissante du monopole de la violence. Elles ne peuvent être pensées en dehors du cadre nouveau de la mondialisation et de l’extension désormais sans limites du marché. Elles agissent comme les gardiens d’un ordre économique injuste qui maintient dans la plus catastrophique dépendance des pays pourtant libérés – en principe- du joug colonial.Dans cet ouvrage, le phénomène des SMP est rattaché résolument à celui, plus large, du mercenariat, dont l’histoire et la diversité conforment la parenté profonde avec les formes entrepreneuriales de l’assistance militaire. Les auteurs se penchent ensuite sur les justifications théoriques avancées par les partisans de la privatisation de la guerre. L’analyse porte sur le véritable rôle tenu par les nouveauxmercenaires.Undétour nécessaire est effectué par la présentation des rapports entre mondialisation néolibérale, militarisme et privatisation de la guerre, avant d’observer le caractère instrumental des SMP dans les nouvelles stratégies impérialistes des grandes puissances. Dans une troisième et dernière partie, les auteurs posent la question de l’abolition du mercenariat, y compris entrepreneurial. Ils ouvrent finalement le débat surla possibilité d’une armée permanente des Nations unies comme substitut aux mercenaires, au sein d‘une construction juridicopolitique internationale dans laquelle la notion de paix entre les peuples serait considérée comme un bien public international protégé de l’emprise du marché. Le monde est arrivé à un nouveau moment charnière. Le néolibéralisme désormais mondialisé marque le retour à une domination sans partage du capital, avec l’hégémonie bientôt achevée du capital financier. Les sociétés mercenaires pourraient bien représenter l’un des instruments privilégiés de cette domination. Il s’agit d’un ouvrage dense, pratiquement le premieren français consacré à cette évolution de la politique néolibérale depuis 1980… Loin d’offrir une opportunité pour la paix, le développement des SMP aurait tendance à rendre le monde moins sûr. D’abord parce que leur existencemêmemaintientl’illusionchezlesbelligérantsqu’une issue militaire demeure possible, repoussant d’autant les accords de paix. Ensuite parce que les SMP ont tout intérêt à faire durer (à provoquer?)unconflit.

Les lieux des liens sociauxEspaces et Sociétés 126/ 2006, 224 p. Rédacteur en chef : Maurice Blanc, Ra-monville-Saint-Agnes, Erès

« Voisins sans voisinage », individus parlant à leurs portables, halls d’immeubles colonisés par

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des « bandes », espaces publics « merchandisés »: les commentaires sur la place des espaces non privés dans la vie sociale adoptent volontiers un ton catastrophé et font référence à des processus de décomposition, voire de disparition, de tout ce que ces espaces pouvaient porterourendrepossibleentermesdelienssociaux.Cenuméro contribue au débat sur les lieux des liens, non à partir de postures politiques ou morales, mais en termes sociologiques ou ethnographiques. Les contributions portent sur les formes de sociabilité et d’échange dans différents lieux où ils se déploient, sur les présupposés sociaux des concepteurs d’espaces et sur les effets divers de ces espaces préconçus.

Les politiques de la ville : intégration urbaine et cohésion socialeSous la direction d’Ali Sedjari, Paris, L’Harmattan, 2006, 360 p.

Cet ouvrage collectif est néd’un projet fort et partagé. Il s’agit de clarifier etd’expliciter les politiques publiques urbaines pour comprendre la ville, pour tenter de répondre aux incertitudes des politiques urbaines, pour aider peut-

être à conjurer les menaces que certains voient peser sur l’avenir des villes. La compréhension du facteur urbain et plus généralement des politiques de la ville repose, en effet, sur l’exploration des différentes disciplines et l’acceptation d’orientations méthodologiques variées. C’est ce que les auteurs decet ouvrage nous livrent avec rigueur scientifique et pertinence intellectuelle.Ce livre se veut pluri et interdisciplinaire avec lacombinaison d’approches d’architectes, de géographes, d’urbanistes, d’économistes, de gestionnaires, de chercheurs et de sociologues qui ont pour point commun ici de privilégier le terrain.Il traite des grandes questions à partir d’une visiondoctrinale ou d’études concrètes référées aux approches comparatives de la ville. Il poursuit une démarchepédagogique très simple, en établissant, d’une part, un diagnostic serein et objectif des maux et des dysfonctionnements de la ville, réputée depuis de nombreuses années « à problèmes » et ouvre, d’autre part, des perspectives importantes de renouvellement de la connaissance mais également de la formulation de laquestionnécessitantundébatpublic.Ilconstitueàcetitre un outil pour les professionnels et les décideurs, et une contribution au savoir sur la ville en général.

Cathy Harris

– Le manuscrit d’Hicham : destinées marocaines, de YoussefJebri,Paris,LeCygne,2007,81p.

– Et si on parlait un peu d’Ali… Hommage du monde, hommage du Mali, deMoussa Boly, Paris, Cauris,2007,102p.

– Ethnologie de la forme - camp de Sangatte : de l’exception à la régulation, d’Henri Courau, Paris,Archivescontemporaines,2007,242p.

– Les paradoxes de la naturalisation : enquête auprès de jeunes de l’immigration, d’Arnaud Frauenfelder,Paris,L’Harmattan,2007,390p.

– Le visage de la mondialisation : du multiculturel au métissage,deJacquesAudinet,Paris,L’Atelier,2007,190 p.

– Twelve Bar Blues,dePatrickNeate,Paris,Intervalles,2007,538p.

– L’annonce transculturelle de la maladie, de Guy Lesoeurs,Paris,Téraèdre,2007,111p.

– Migrations turques dans un monde globalisé : le poids du local, d’Anne-Yvonne Guillou, Stéphane De Tapia, Pôleth M. Wadbled (sous la direction de), Rennes, PUR,2007,242p.

– Parlons enfants de la patrie, de Gatson Kelman,Paris,MaxMilo,2007,251p.

– L’éducation populaire, Monsieur, ils n’en ont pas voulu... ou une autre histoire de la culture, FranckLepage,Cuesmes,LeCerisier,2007,111p.

– La décadence sécuritaire,deGillesSainatietUlrichSchalchi,Paris,LaFabrique,2007,105p.

– Pédagogie, contrôle symbolique et identité : théorie, recherche, critique, de Basil Bernstein, Levis (Québec),PUL,2007,318p.

– Micropolitique des groupes : pour une écologie des pratiques collectives, de David Vercauteren, Forcalquier,HBEditions,2007,208p.

– La formation des imams en Europe : état des lieux, de Françoise Pissart (sous la dir. de), Bruxelles,FondationRoiBaudouin,2007,29p.

– Racisme, une histoire, deGeorgesM. Fredrickson,Paris,LianaLevi,2007,216p.

– Cochon d’Allemand,deKnudRomer,s.l.,LesAllusifs,2007,186p.

– À la vitesse d’un baiser sur la peau, de Gaston-Paul Effa,Paris,AnneCarrière,2007,230p.

– La deuxième génération issue de l’immigration : une comparaison France-Québec, de Maryse Potvin (sous la dir.de),Outremont(Québec),Athena,2007,270p.

– Le mouvement mondial des femmes, de Peggy Antrobus,Paris,EnjeuxPlanète,2007,303p.

– Face aux migrants : État de droit ou état de siège ?, de DanièleLochak,Paris,Textuel,2007,112p.

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musulwomanOctobre 2007, n° 256

La MusulWOman, c’est un peu comme la SuperWOman de l’islam, celle par qui le scandale

des versets féministes pourrait advenir. Ce que questionne la MusulWOman est la place des femmes dans l’islam, leur accès à la relecture

des textes sacrés et à des fonctions d’autorité religieuse. Une nouvelle fois, on constatera que l’islam unique

et univoque n’existe pas, car au Maroc, en Indonésie, en Afrique du Sud, au Canada ou en Belgique,

soit dans des contextes majoritairement ou minoritairement musulmans, sécularisés,

les réalités et les pratiques sont différentes, et les réponses également.

en formation !

Septembre 2007, n° 255Les quatre opérateurs BAGIC - qui sont le Centre

Socialiste d’Éducation Permanente-CESEP, le Centre Bruxellois d’Action Interculturelle-CBAI, le Centre

d’Information et d’Éducation Populaire-CIEP, et l’Interfédérale des centres de jeunes-ICJ- proposent

de concert un dossier qui définit leur position commune sur le BAGIC, formation conventionnée

de coordinateurs de projets culturels et sociaux en Communauté française de Belgique. Questions et plaidoyer sur les adaptations nécessaires à une

mutation de la formation d’adultes.

qui sommes-nous ?Juin 2007, n° 254

Nous et Eux. Qui sommes-nous ? Qui sont-ils ? C’est à cette question que le CBAI et Bruxelles laïque

ont tenté de répondre dans la livraison de leur magazine respectif, où chacun a tâché d’inclure

la spécificité de l’autre. L’Agenda interculturel fait donc une belle part à la laïcité, Bruxelles Laïque Échos

faisant place à une lecture interculturelle des enjeux.

objectif belgeMai 2007, n° 253

Être belge est à la portée du premier nouveau-né venu. Il suffit de naître au bon endroit ou dans la bonne

famille ou, plus tard, d’épouser la bonne personne pour y avoir droit. Par contre, pour le dernier arrivé,

cela peut être sensiblement plus compliqué.

Et la réforme du Code de la nationalité de décembre 2006 ne facilitera pas les démarches.

L’AgEndA IntErCuLturEL est édité par le CEntrE BruxELLoIs d’ACtIon IntErCuLturELLE AsBL Avenue de Stalingrad, 24 1000 Bruxelles tél. 02/289.70.50 - fax 02/512 17 96 [email protected] - www.cbai.be

Le CBAI est ouvert du lundi au vendredi de 9h à 13h et de 14h à 17h30

L’Agenda Interculturel est membre de l’ARSC - Association des Revues Scientifiques et Culturelles.

ComIté dE rédACtIon responsable de rédaction Nathalie CaprioliCBAI : Marc André, Françoise Berwart, Massimo Bortolini, Tanju Goban, Aurélie Grimberghs ( stagiaire ), Cathy Harris, Pina Manzella, Pascal Peerboom, Patrick Six, Jamila Zekhnini. Experts : Ali Aouattah, Vincent de Coorebyter, Pierre Dehalu, Isabelle Doyen, Leyla Ertorun, Mohamed Essannarhi, Silvia Lucchini, Altay Manço, Marco Martiniello, Laurent Messiaen, Anne Morelli, Erik Nyindu, Nouria Ouali, Andrea Rea.

mise en page : Pina Manzellaimpression : édition & imprimerie

Avec l’aide de la Commission communautaire française, du Service d’Education permanente, du Ministère de la Communauté française et de l’ORBEM.

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