Agdistis in Sardis

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Louis Robert

Une nouvelle inscription grecque de Sardes : Rglement de l'autorit perse relatif un culte de ZeusIn: Comptes-rendus des sances de l'Acadmie des Inscriptions et Belles-Lettres, 119e anne, N. 2, 1975. pp. 306330.

Citer ce document / Cite this document : Robert Louis. Une nouvelle inscription grecque de Sardes : Rglement de l'autorit perse relatif un culte de Zeus. In: Comptes-rendus des sances de l'Acadmie des Inscriptions et Belles-Lettres, 119e anne, N. 2, 1975. pp. 306-330. doi : 10.3406/crai.1975.13135 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1975_num_119_2_13135

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COMPTES RENDUS DE L' ACADMIE DES INSCRIPTIONS

COMMUNICATION UNE NOUVELLE INSCRIPTION GRECQUE DE SARDES '. Rglement de l'autorit perse relatif un culte de Zeus. PAR M. LOUIS ROBERT, MEMBRE DE L* ACADEMIE. Pendant la campagne de fouilles et de prparation des publications de Sardes, durant les derniers jours de juin 1974, il apparut une inscription grecque sur un bloc de marbre remploy comme matriel de construction dans un difice romain tardif situ sur la rive est du fleuve Pactole, 100 mtres environ au nord de la maison de fouilles. La construction, qui comporte un bain avec un systme d'hypocaustes, a t rendue visible, durant les deux derniers hivers, par l'rosion des berges du Pactole. La face inscrite du bloc est haute de 45 cm 5, large de 58 cm 5. Elle porte ce qui se prsente comme un texte complet de 13 lignes avec des lettres hautes d'en viron 2 cm m1. Telles sont les indications que le directeur des fouilles en fonction sur place, Mr. Crawford H. Greenwalt Jr., m'envoya aussitt, puisque le directeur gnral des fouilles de Sardes, notre correspondant Georges M. Hanfmann, m'avait charg de la publi cation des inscriptions trouves dans les fouilles de Sardes2. Il y tait joint une photographie ' polarode ' de la pierre encore en place et un fac-simil presque complet excut aprs frottis aux dimensions. Nous pmes aussitt, ma femme et moi, dbrouiller ce texte, en donner une transcription complte et expliquer le sens et tout l'intrt, multiple, de ce document. Plus tard, la pierre ayant t dplace, nous remes la fois une belle photographie, un nouveau fac-simil complet et un estampage. Nous donnons ici la reproduct ion, 2, et aussi le polarode, sur lequel certaines lettres appa fig. raissent dans doute plus nettement, fig. 1. En tout cas, ce texte complet ne comporte aucune ambigut de lecture. L'criture proclame aussitt que le texte fut grav l'poque impriale, et mme dans sa priode avance. Les lettres, trs rgu1. D'aprs des photographies le revers comporte gauche et au bas une anathyrose large de 10 cm. Dans la partie non travaille, gauche, tout prs de l'anathyrose un creux de scellement en queue d'aronde. 2. Cf. dj mon petit livre Nouvelles inscriptions de Sardes, Ier fascicule : Dcret hellnistique de Sardes, Ddicaces aux dieux indignes, Inscriptions de la synagogue (61 pp. in-8 et 10 planches ; Paris, Adrien Maisonneuve, 1964), et aussi les indications prliminaires dans les rapports de voyages, runis avec les rapports sur les cours, dans le tome IV (1974) de mes Opra Minora.

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lires3, sont toutes pourvues d'apices4 dvelopps ou trs dvelopps. Sans vouloir faire une analyse que chacun pourra entreprendre sur les photographies publies, je dirai seulement que je placerais cette gravure dans ce que j'appelle la premire partie du Haut Empire, avant le manirisme de l'poque svrienne. J'ai mainte reprise exprim mon scepticisme sur des prcisions l'intrieur de cette

Fig. 1. Inscription grecque de Sardes. priode5. Cependant j'attire ici l'attention sur la forme de Y omga : ordinairement la barre au-dessous est le plus souvent coupe en deux lments et indpendante de la partie ronde avec ses deux fioritures, et encore sur Vta, dont les barres verticales ne sont pas unies par un trait, mais encadrent un point ou un court trait. Je ne m'engagerai pas dans une tude sur. ces particularits de la gravure, qui n'est pas faite et qui ne mnera sans doute jamais des rsultats prcis. Je signalerai seulement qu' Sardes mme6 3. Il y a gauche une marge rgulire. Les lettres sont trs rgulires et par la hauteur (en moyenne 22 millimtres), sauf la ligne 3, et par l'espacement et par l'interligne, lequel a 1 cm. 4. Ce mot latin est universellement employ en pigraphie. Un graveur de monuments funraires, qui travaillait pour moi il y a peu d'annes au cimetire Montparnasse, employait pour ces ornements dans sa langue technique, hrite de pre en fils, le terme oreillons . 5. En dernier lieu, Annuaire cole Hautes tudes, IVe section, 1972-1973, 247 ; Rev. Phil. 1974, 209. Je suis entirement d'accord avec les observations de O. Kern sur la datation par l'criture l'poque impriale /. Magnesia, Geschichte der Steinschrift in Magnesia, pp. xxxiv-xxxvi. 6. W. H. Buckler, Sardis, VII 1, Greek and Latin inscriptions (1932). i

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l'inscription n. 13, sous Hadrien, ne connat pas cette forme de Vta7, qui apparat dans l'inscription n. 12, vers 150, dit-on. La forme spciale de l'omga, avec la barre infrieure coupe en deux parties, se lit Sardes dans la lettre d'un proconsul n. 15, que l'on date vers le milieu du ne sicle , et dans les n. 13 (dat sous Hadrien) et 56 (dat vers 125-150) et Magnsie du Mandre sous Marc Aurle en 1628. Je daterais donc, avec rserves, la gravure et l'expo sition du document pas avant le milieu environ du ne sicle. Je me suis rsolu donner une publication provisoire et qui ne cachera naturellement pas les difficults, et j'attends que les col lgues sans doute avant tout les iranisants compltent ou corrigent ce qui aura t expos, dans un domaine o, bien que je me sois toujours intress aux noms iraniens dans le monde antique et la diaspora iranienne dans l'Asie Mineure avec ses cultes, je ne suis pas spcialiste. Ce sera un profit pour l'insertion dans le Corpus des nouvelles inscriptions de Sardes auquel je travaille. Nous transcrivons ainsi ces treize lignes : 'Etscov xpiTjxovToc vvea 'ApT(X7) ScoxpdcTou, to Se At,6 xo IloXico 'AXxaioo. Pour ce dernier personnage, voir mon identification dans Opra Minora, II, 858-862 (Rev. Et. Ane. 1960) avec un Sardien dans Plutarque et avec un mont aire. Dans le dcret de Sardes Sardis, VII 1, n. 8, 1. 133-134, pour Mnogns, sous Auguste, un groupe cohrent est form par ol v r ispi tou ts IloXico Ai xod tt\ 'ApT^AiSo xaTotxovrs. On voit le lien des deux sanctuaires, et donc au moins leur contigut ; celle-ci apparat bien dans le lieu de trou vaille de la nouvelle inscription et de l'inscription 22 du recueil de Buckler. On peut se demander je laisse la question aux fouilleurs de Sardes, qui ont repris l'tude approfondie du sanctuaire d'Artmis si, dans ce sanc tuaire, un Zeus Polieus d'origine iranienne n'tait pas associ Artmis dans le sanctuaire ou dans le temple mme.

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Sardes une trace de l'influence religieuse des matres iraniens63. Ce personnel cultuel privilgi se voit signifier l'interdiction de participer aux mystres, (xer^siv (Aixrorjptov, de divinits indi gnes de l'Asie Mineure. Elles sont au nombre de trois, toutes trs connues, et je me garderai d'taler leur propos une bibliographie : Sabazios, le dieu phrygien54, Agdistis, la desse phrygienne, sous la forme Angdistis, courante en des lieux trs varis, la desse cappadocienne Ma de Comana. Si le culte des deux divinits phry giennes est attendu et attest en Lydie et aujourd'hui Sardes mme , on peut tre d'abord surpris par la mention de Ma, venue de Tassez lointaine Cappadoce, dont les mystres se clbraient Sardes au ive sicle et y sduisaient les esprits ou les curs. Mais elle tait originaire de cette Cappadoce profondment iranise, en symbiose avec l'Iran. De l'Iran l'Ege, sous la domination perse, passait un flot d'Iraniens ou d'iraniss, avec les colons qui, depuis la Bactriane et l'Hyrcanie, venaient prendre possession de domaines des plus fertiles dans les plaines et les valles du Calque (o les rencontrrent et les pillrent les Dix Mille , d'aprs un chapitre trs prcieux de Xnophon), de l'Hermos, avec la plaine Hyrcanienne, et du Caystre, et qui introduisaient en tant d'endroits leurs cultes, avec les prtres, dans de grands sanctuaires comme ceux de Hirakm-Hirocsare55 et d'Hypaipa, avec l'idole d'Anatis et ses archimages, ou dans les domaines des campagnes o florissait Anahita-Anatis prs des eaux et des feuillages56. C'est par l que s'explique, croirais-je, la ddicace de la fin de l'poque hellnistique copie en Lydie57 prs des ruines de la ville d'Hyrcanis, nom signi ficatif58 : Mocr^tov Aio&o>pou Ma veudjTH s^yjv. L'pithte guer53. Cf. S. Wikander, Feuerpriester in Kleinasien und Iran (Lund, 1946), 80 : Sardes, der persische Einfluss soll nach den amerikanischen Ausgrber usserst gering sein . 54. J'aurai publier deux reliefs indits relatifs ce culte, l'un au Muse de la Citadelle Ankara, l'autre au Louvre. 55. Cf. J. et L. Robert, Hellenica, VI (1948), chap. m, monographie aprs visite de cette ville. L aussi, au dbut du chapitre iv, des observations sur le site lydien de Sanam, qui abritait aussi un sanctuaire de l'Artmis Persique jouissant du droit d'asile d'aprs l'inscription OGI, 333 (Welles, Royal Correspondence, n. 68) ; cette pierre ne venait pas de Hirocsare (encore le dcret concerne probablement Hirocsare dans G. Widengren, loc. cit., 212 ; cf. dj la discussion dans Villes d'Asie Mineure (1935), 89-90, laquelle renvoyait pourtant S. Wikander, Feuerpriester in Kleinasien und Iran, 80, avec la note 5). C'est Sanam et Hirocsare que l'on trouverait par des fouilles les documents sur les cultes iraniens en Lydie, avec leurs grands sanctuaires ; cf. Villes d'Asie Mineure, p. 89, note 2, in fine ; Hellenica, VI, 32-33, 61, 69. 56. Voir plus haut, note 33. Prochainement une curieuse monnaie d'Anatis Hypaipa, d'un type nouveau. 57. J. Keil et A. von Premerstein, Erste Reise in Lydien (Denkschr. Ak. Wien, LUI, 2 ; 1910), n. 122. 58. Cf. Hellenica, VI, chapitre n ; Bull. pigr. 1970, 516. Strabon a rappel lui-mme l'origine du nom, d'aprs les colons introduits par le gouvernement.

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rire de la desse , invincible ', de la desse apportant la victoire de Comana-Hirapolis69, nous rappelle que ces dominateurs iraniens ou iraniss taient des guerriers, peuple de matres et de soldats comme les Macdoniens. De la vogue des mystres de Sabazios, d'Agdistis et de Ma au ive sicle Sardes, comme de l'existence du culte iranien, je ne conclurai pas que cette ville se distinguait par son cosmopolitisme. Certes les cultes de mainte origine se rassem blaient naturellement dans un tel grand centre, s'y organisaient et attiraient des croyants, qui se groupaient en confrries, mais je ne suis pas enclin minimiser l'importance de la diaspora iranienne dans les campagnes60 qui a laiss aussi des traces dans l'onomastique jusqu' une poque tardive61 ou mme trs tardive, au ive sicle de notre re62. 59. Cf. L. R., La desse de Hirapolis Castabala (Cilicie) (1964), 19 et surtout 94-96, sur le titre de Desse Nicphore et sur sa reprsentation sur les monnaies hellnistiques ; aussi Noms indignes dans l'Asie Mineure grco-romaine, 435438 ; Bull. pigr. 1949, 572, p. 520, ad N. 05 ; H. Seyrig, Antike Kunst, 13 (1970), 76-78 : Une desse anatolienne, la fois sur Ma de Comana du Pont et Ma de Comana de Cappadoce. 60. On connat depuis longtemps la Aapeiouxt{jLr)Tv xoctoixoc, entre Magnsie du Sipyle et Hyrcanis, prs de l'Hermos, atteste par une inscription de l'poque impriale (BCH 1885, 397 ; IGR, IV, 1352). Prs de l, au me sicle avant J.-C, sous le rgne de Sleucos II, parmi les colons militaires de la rgion de Magnsie du Sipyle auxquels la ville de Smyrne accorde le droit de cit, quand elle absorbe le pays dans son territoire (OGI, 229 ; cf. Opra Minora, IV, 284), se trouve un chef au nom iranien, 'O^tvYj, et on donne aussi le droit de cit Smyrne ceux qui sont sous ses ordres et qui sont des Perses, xal xot Ilpoat to 7t 'Q[aocvy)v (1. 104-105), bon exemple d'un groupe homogne de Perses dans cette plaine lydienne et le contexte montre bien leur caractre militaire dans le Xwptov IIaXai,[jiaYvy)a(a. Je parle ici de la diaspora iranienne. Il va de soi, d'aprs la documentation d'poque postrieure, que Sabazios et la Mre phry gienne taient adors dans des sanctuaires de la campagne. 61. Voir plus loin pour l'poque hellnistique et l'poque impriale. Pour la Lydie caractristique est un nom iranien comme Bagas (J. Keil et A. von Premerstein, Zweite Reise in Lydien, n. 10), 15 km. environ au sud-est de Hirocsare l'iranienne, avec son autel du feu sur les monnaies et le passage clbre de Pausanias, et peut-tre sur le territoire de la ville Hyrcanis dont j'ai dj parl, avant le lac Gygaia (Mermere) ; un peuple campagnard, inconnu par ailleurs, 8j(i.o [...J cieSStav, compos d'Hellnes et de Romains, "EXXt)v[ te] xoc 'Pco^iaoi, ont honor vers le dbut de notre re deux Marcus Antonius Bagas (cf. Hellenica, VI, 19, note 3). Ce Perse est devenu Romain par la grce du triumvir Antoine ; cf. sur les Marci Antonii en Asie Mineure, mes rassem blements de tmoignages et mes observations sur les occasions de ce droit de cit dans Laodice du Lycos, 307-309, avec ce texte. Pour les villes, Sardes mme noms iraniens dans les inscriptions grecques et les monnaies, M0pY) et MiOpoSxTj (et aussi Dios Hieron, dans la valle du Caystre, prs d'Hypaipa) (Noms indignes, 217, n. 2 et 3), Hirocsare l'poque romaine, Hellenica, VI, 29 ; dans les inscriptions lydiennes, E. Benveniste, Titres et noms propres en iranien ancien, 103-104. A Sardes un 'PaTO7rT7) au ive sicle a. C. 62. Il s'agit d'une ville quand, au concile de Nice, l'vque d'Hypaipa s'appelle encore Mithrs : mes tudes pigraphiques et philologiques, 211-212, avec mes observations sur cette persistance, dans un milieu chrtien, de noms thophores qui n'ont plus un caractre religieux, mais local. P. 212, supprimer

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II semble que la mention de mystres de la desse Ma soit nouvelle, pour quelque poque que ce soit, et les voil attests ds le milieu du ive sicle. Ceux d'Agdistis, de la Grande Mre, taient bien connus. Ceux de Sabazios avaient des adhrents Athnes ds le temps de Dmosthne63. Les voici la mme poque Sardes et ce texte apporte un dtail tout nouveau et difficile : fj.oaTX]pi