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© Masson, Paris, 2005 Ann Pharm Fr 2005, 63 : 385-400 385 Revue Agonistes et antagonistes des récepteurs mélatoninergiques : effets pharmacologiques et perspectives thérapeutiques B. Guardiola-Lemaitre Résumé. La mélatonine ou N-acétyl 5-méthoxytryptamine, neurohormone synthétisée dans la glande pinéale et sécrétée uniquement pendant la nuit, régit les rythmes biologiques circadiens et saisonniers. Chez les mammifères, ses récepteurs spécifiques MT1 et MT2 sont présents dans le système nerveux central, notamment dans les noyaux supra-chiasmatiques mais aussi dans de nombreux organes périphériques. Outre son action chronobiotique sur les rythmes dépendant de la lumière (alternance veille/sommeil, dépression saisonnière), la méla- tonine exerce des effets modulateurs sur les fonctions immunitaires, endocrines et métaboliques. Toutefois, sa demi-vie très courte et son métabolisme rapide conduisent à une faible biodisponibilité, ce qui a justifié la recherche d’analogues métaboliquement stables et/ou présentant des propriétés nouvelles et innovantes. Le composé S 20098, agoniste mélatoninergique, a fait preuve d’une action chrono- biotique et antidépressive puissante. Le composé S 20928, antagoniste de la mélatonine, stimule le métabolisme basal et limite la prise de poids. Ces deux ligands ouvrent la pers- pective du développement de médicaments innovants pour le traitement des états dépressifs et de l’obésité. Mots-clés : Agoniste, Antagoniste, Innovation, Mélatonine, Thérapeutique. Summary. Melatonin, or N-acetyl 5-methoxytryptamine, a neurohormone produced in the pineal gland during periods of darkness, plays a key role in the regulation of circadian and seasonal biological rhythms. In mammals, specific MT1 and MT2 receptors are located in the central nervous sys- tem, mainly in suprachiasmatic nuclei, and also in a number of peripheral sites. Besides its chronobiotic action on light- dependant functions, such as sleep/waking alternance or seasonal depression, melatonin exerts modulatory effects on immune, endocrine and metabolic functions. However, its short half-life and extensive metabolism lead to a poor bioavailability. This prompted to search for metabolically stable analogs displaying new and innovative properties. The S 20098 compound, a melatoninergic agonist, has proven potent antidepressive and anxiolytic actions. The S 20928 compound, a melatonin antagonist, was shown to enhance basal metabolism and reduce weight gain. Thus, both of these melatonin derivatives open perspectives for the deve- lopment of innovative therapeutic agents in the fields of depression and obesity. Key-words: Agonist, Antagonist, Melatonin, Innovation, Therapeutic. Melatoninergic receptor agonists and antagonists: phar- macological aspects and therapeutic perspective. B. Guar- diola-Lemaitre, Ann Pharm Fr 2005, 63 : 385-400. a mélatonine est une neurohormone bien particulière. Issue de la sérotonine à partir de laquelle elle est synthétisée, elle pré- sente un rythme de sécrétion nycthéméral, mais également saisonnier. La sécrétion de mélatonine possède deux caractéristiques importantes : 1) son rythme est régulé chez les êtres vivants par la durée et l’intensité de l’exposition à la lumière (jour/nuit et saisons) et 2) elle a lieu uniquement la nuit quelle que soit l’espèce (diurne ou noc- turne). Le mécanisme par lequel la lumière intervient dans la régulation de sa synthèse fait intervenir la transmission photopériodique Servier Monde, 22 rue Garnier, F92578 Neuilly-sur-Seine Cedex. Présentation devant l’Académie nationale de pharmacie, séance du 6 avril 2005, Paris. Tirés à part : B. Guardiola-Lemaitre, E-mail : [email protected] L

Agonistes et antagonistes des récepteurs mélatoninergiques : effets pharmacologiques et perspectives thérapeutiques

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Page 1: Agonistes et antagonistes des récepteurs mélatoninergiques : effets pharmacologiques et perspectives thérapeutiques

© Masson, Paris, 2005 Ann Pharm Fr 2005, 63 : 385-400

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Revue

Agonistes et antagonistes des récepteursmélatoninergiques : effets pharmacologiques et perspectivesthérapeutiquesB. Guardiola-Lemaitre

Résumé. La mélatonine ou N-acétyl 5-méthoxytryptamine,

neurohormone synthétisée dans la glande pinéale et sécrétée

uniquement pendant la nuit, régit les rythmes biologiques

circadiens et saisonniers.

Chez les mammifères, ses récepteurs spécifiques MT1 et

MT2 sont présents dans le système nerveux central,

notamment dans les noyaux supra-chiasmatiques mais aussi

dans de nombreux organes périphériques. Outre son action

chronobiotique sur les rythmes dépendant de la lumière

(alternance veille/sommeil, dépression saisonnière), la méla-

tonine exerce des effets modulateurs sur les fonctions

immunitaires, endocrines et métaboliques. Toutefois, sa

demi-vie très courte et son métabolisme rapide conduisent

à une faible biodisponibilité, ce qui a justifié la recherche

d’analogues métaboliquement stables et/ou présentant des

propriétés nouvelles et innovantes. Le composé S 20098,

agoniste mélatoninergique, a fait preuve d’une action chrono-

biotique et antidépressive puissante. Le composé S 20928,

antagoniste de la mélatonine, stimule le métabolisme basal

et limite la prise de poids. Ces deux ligands ouvrent la pers-

pective du développement de médicaments innovants pour

le traitement des états dépressifs et de l’obésité.

Mots-clés : Agoniste, Antagoniste, Innovation, Mélatonine,Thérapeutique.

Summary. Melatonin, or N-acetyl 5-methoxytryptamine, aneurohormone produced in the pineal gland during periodsof darkness, plays a key role in the regulation of circadianand seasonal biological rhythms. In mammals, specific MT1and MT2 receptors are located in the central nervous sys-tem, mainly in suprachiasmatic nuclei, and also in a numberof peripheral sites. Besides its chronobiotic action on light-dependant functions, such as sleep/waking alternance orseasonal depression, melatonin exerts modulatory effectson immune, endocrine and metabolic functions. However,its short half-life and extensive metabolism lead to a poorbioavailability. This prompted to search for metabolicallystable analogs displaying new and innovative properties. TheS 20098 compound, a melatoninergic agonist, has provenpotent antidepressive and anxiolytic actions. The S 20928compound, a melatonin antagonist, was shown to enhancebasal metabolism and reduce weight gain. Thus, both ofthese melatonin derivatives open perspectives for the deve-lopment of innovative therapeutic agents in the fields ofdepression and obesity.

Key-words: Agonist, Antagonist, Melatonin, Innovation,Therapeutic.

Melatoninergic receptor agonists and antagonists: phar-

macological aspects and therapeutic perspective. B. Guar-diola-Lemaitre, Ann Pharm Fr 2005, 63 : 385-400.

a mélatonine est une neurohormone bienparticulière. Issue de la sérotonine à partirde laquelle elle est synthétisée, elle pré-

sente un rythme de sécrétion nycthéméral, maiségalement saisonnier. La sécrétion de mélatoninepossède deux caractéristiques importantes : 1) sonrythme est régulé chez les êtres vivants par ladurée et l’intensité de l’exposition à la lumière(jour/nuit et saisons) et 2) elle a lieu uniquementla nuit quelle que soit l’espèce (diurne ou noc-turne). Le mécanisme par lequel la lumièreintervient dans la régulation de sa synthèsefait intervenir la transmission photopériodique

Servier Monde, 22 rue Garnier, F92578 Neuilly-sur-Seine Cedex.

Présentation devant l’Académie nationale de pharmacie, séance du

6 avril 2005, Paris.

Tirés à part : B. Guardiola-Lemaitre,

E-mail : [email protected]

L

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B. Guardiola-Lemaitre

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jusqu’à la glande pinéale (épiphyse) où la méla-tonine est synthétisée, via un influx nerveux pre-nant source dans la rétine et parvenant jusqu’auxnoyaux suprachiasmatiques (NSC) par un sys-tème polyneuronal.

Les rythmes journaliers et saisonniers observésdans les processus biologiques jouent un rôle fon-damental dans la physiologie et les comportementsdes êtres vivants. Il est maintenant clairement établique la mélatonine joue un rôle clé comme « hor-mone chronobiotique » ou « hormone donneusede temps », impliquée dans les mécanismes fonc-tionnels utilisés par les êtres vivants, organisésautour d’une ou de plusieurs horloges biologi-ques. La principale « horloge endogène », ditecircadienne, est localisée dans les noyaux supra-chiasmatiques. Elle est entraînée sur une périodede 24 heures par différents synchronisateursexternes, dont les plus puissants sont les cyclesjour/nuit et la mélatonine elle-même.

De nombreuses études épidémiologiques ontpermis de préciser que des individus dont l’expo-sition au rythme lumière/obscurité et la sécrétionde mélatonine étaient perturbées (travailleurspostés) présentaient des pathologies multiples :troubles hormonaux, troubles du sommeil, dépres-sion, troubles de la prise alimentaire et prise depoids, troubles cardiaques et digestifs. L’adminis-tration de mélatonine le soir, à un moment biendéterminé, permet de corriger certains de cestroubles dus à des phénomènes de désynchroni-sation provoqués par l’inhibition de la synthèsenocturne de mélatonine par la lumière. Plusrécemment, il a été observé que le risque dedévelopper un cancer du sein était significative-ment augmenté chez les femmes travaillant denuit.

L’ensemble de ces éléments a rapidementamené à rechercher des ligands agonistesreproduisant les effets de la mélatonine, maisplus spécifiques, plus maniables et dotés d’acti-vités biologiques complémentaires, ou desantagonistes.

Dans cette revue, nous rappellerons les voieset les différents organes impliqués dans la syn-thèse de la mélatonine, son catabolisme et lesmécanismes neuronaux impliqués dans la régu-lation de cette synthèse. Nous aborderons ensuitela classification des différents types de récepteurs

à la mélatonine, leur localisation, leurs voies designalisation et leur clonage.

Nous décrirons comment 1) la synthèse deligands spécifiques de récepteurs à la mélato-nine nous a permis, à l’aide d’outils d’évalua-tion « pharmacologique spécifique », d’établirdes relations de structure-activité, de déterminerle(s) « pharmacophore(s) » et d’effectuer unemodélisation moléculaire en vue de la synthèsed’agonistes et d’antagonistes spécifiques ; 2) nousavons mis en place des modèles animaux perti-nents, représentatifs des troubles de la synchroni-sation du système circadien et mélatoninergiqueobservés en pathologie humaine et 3) nous avonspu corriger certains de ces troubles et définir despathologies d’intérêt pour l’utilisation des agonis-tes ou des antagonistes mélatoninergiques enthérapeutique humaine.

La mélatonine : structure chimique,

biosynthèse et régulation

de la sécrétion

La mélatonine, ou N-acétyl 5-méthoxytrypta-mine, isolée à partir de la glande pinéale en 1958[1] présente un poids moléculaire de 232,27 Da.Elle est synthétisée en deux étapes à partir de lasérotonine dans la glande pinéale, située chezl’Homme dans la partie haute du mésencéphale.La sérotonine est d’abord acétylée par l’arylalky-lamine N-acétyltransférase (NAT) pour donner laN-acétylsérotonine (NAS), elle-même méthyléepar l’hydroxyindole-O-méthyltranférase (HIOMT)en N-acétyl 5-méthoxytryptamine ou mélatonine[2]. Ces enzymes, toutes deux clonées chezl’Homme, sont spécifiques de cette voie de syn-thèse. Chez les espèces diurnes (Homme) ou noc-turnes (Rat), la mélatonine est toujours sécrétéedurant la période d’obscurité. La noradrénaline,libérée durant la nuit, stimule les récepteurs

β-1adrénergiques présents sur les pinéalocytes, pro-duisant une stimulation de l’activité de la NAT,via une augmentation de l’AMP cyclique (AMPc),suivie rapidement d’une libération de mélatoninedans la circulation systémique.

La lumière a un effet inhibiteur sur la synthèsede la mélatonine. La noradrénaline n’est alorsplus libérée et la synthèse de mélatonine s’arrête

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Mélatonine : agonistes et antagonistes

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rapidement. Les informations lumineuses per-çues au niveau de la rétine sont transmises direc-tement aux noyaux suprachiasmatiques (NSC),l’horloge biologique située au niveau de l’hypo-thalamus, puis par une voie multisynaptique à laglande pinéale (fig. 1). De nombreuses autressources de synthèse existent également en péri-phérie, telles que la rétine, la glande de Harder(chez le rat), le tractus digestif, les plaquettessanguines [3], etc.

Chez l’homme, durant une période donnée, leprofil plasmatique circadien de la mélatonine eststable pour un même individu mais les diffé-rences inter-individuelles sont importantes. Lesconcentrations plasmatiques nocturnes mesuréespar radioimmunologie [4] ou chromatographiecouplée à la spectrométrie de masse, variententre 30 pg/ml et 200 pg/ml avec un pic noc-turne vers 2 heures du matin. La mélatonine pré-sente une demi-vie d’environ 20 minutes. Sonmétabolite majeur est la 6-sulfatoxy-mélatonine,qui se retrouve dans les urines et peut être dosée.La mélatonine est transportée dans le plasma parl’albumine sérique. La synthèse de la mélatoninea lieu la nuit et la durée de son pic de sécrétionest directement proportionnelle à la durée de lanuit. La durée de sa synthèse varie donc en fonc-tion de la longueur des jours et des nuits, quivarie elle-même avec les saisons. C’est ainsi quela durée de sécrétion est plus courte en été et pluslongue en hiver. Chez l’homme comme chezl’animal, ses concentrations plasmatiques dimi-nuent avec l’âge [5].

L’action de la mélatonine s’exerce par l’inter-médiaire de récepteurs situés sur les membranescellulaires, leur modulation par la mélatoninevariant en fonction de l’exposition des individusà la lumière.

Les différents types de récepteurs

à la mélatonine

Sites de liaison de type Mel1 et Mel2

pour la 2-(125I)iodomélatonine

La synthèse d’un ligand à forte radioactivité spé-cifique, la 2-(125I)iodomélatonine, a permis d’étu-dier la présence de récepteurs liant spécifiquementla mélatonine à l’aide des techniques d’auto-

radiographie quantitative. Les études d’affinité surdivers tissus ont mis en évidence l’existence dedeux groupes de sites pharmacologiquement dis-tincts appelés Mel1 (de haute affinité, picomolaire10-12 M) et Mel2 (de basse affinité, nanomolaire10-9 M). Trois sous-types de récepteurs ont étéclonés chez les mammifères. Les récepteurs MT1et MT2 appartiennent au groupe de haute affinitéMel1, tandis que le récepteur MT3 de basse affi-nité partage 90 % d’homologie de séquence avecla quinone réductase 2 (enzyme de détoxifica-tion) [6, 7].

Structure des récepteurs de la mélatonine

L’analyse structurale des séquences protéiquesdéduites à partir des séquences nucléotidiquesdes gènes clonés a permis de montrer que lesrécepteurs de la mélatonine sont constitués desept domaines transmembranaires (TM), ce quidémontre leur appartenance à la superfamille desrécepteurs couplés aux protéines G (GPCRs). Lestrois sous-types de récepteurs de la mélatoninesont codés par des gènes localisés sur des chro-mosomes différents. Chez l’homme, les gènesMT1 et MT2 sont respectivement présents sur leschromosomes 4 et 11.

Bien qu’ils partagent des caractéristiquescommunes avec les autres GPCRs (sept domainesTM, une extrémité N-terminale extracellulaire etune extrémité C-terminale intracellulaire, plusun certain nombre d’acides aminés conservés ausein de la superfamille), les récepteurs de la méla-tonine présentent certaines « empreintes » parti-culières les distinguant des autres groupes deGPCRs. En effet, en aval de TM3, la séquenceDRY (ou ERY) classiquement rencontrée dans lesautres groupes de GPCRs est remplacée par laséquence NRY dans les récepteurs de la mélato-nine. Cette région est connue pour jouer un rôleimportant dans l’interaction des récepteurs avecles protéines G. De plus, immédiatement en avalde cette séquence se trouve un motif particulierC(C/Y)ICHS également présent dans les noyauxhèmes de certaines protéines de la famille descytochromes C. Enfin, le motif NPXXY haute-ment conservé dans le TM7 des autres groupesde GPCRs est remplacé par un motif NAXXY danstous les récepteurs de la mélatonine.

Les récepteurs de la mélatonine forment ungroupe distinct dans la superfamille des GPCRs.

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Figure 1. Voies de synthèse et régulation de la sécrétion de mélatonine.A = Voie nerveuse multisynaptique véhiculant l’information lumineuse depuis la rétine jusqu’à la glande pinéale.B = Voie de synthèse et de régulation de la mélatonine dans la glande pinéale : la NAT principale enzyme limitante de lasynthèse est activée uniquement la nuit par la NE conduisant à un pic de sécrétion nocturne.AC = adénylate cyclase ; AA-NAT = aryl-alkyl-N-acétyl-transférase ; AMPc = adénosine monophosphate cyclique ; α-AR = récepteur α-adrénergique ; β-AR = récepteur β-adrénergique ; Ca2+ = calcium ; GCS = ganglion cervical supérieur ;GP = glande pinéale ; HIOMT = hydroxy-indole-O-méthyl-transférase ; IML = colonne intermediolatérale ; NE = norépi-néphrine ; NPV = noyau paraventriculaire ; NSC = noyau suprachiasmatique ; P-CREB = forme phosphorylée de la protéinese liant à l’élément de réponse génique de l’AMPc ; PKA = protéine kinase dépendante de l’AMPc ; PKC = protéine kinasedépendante du calcium ; PLC = phospholipase de type C activée par les protéines Gq/11 ; TPOH = tryptophane hydroxylase ;Y1 = récepteur au neuropeptide Y de type I.Synthesis and synthesis regulation pathways of melatonin.A: multisynaptic nervous pathway carrying light information from the retina to the pineal gland.B: synthesis and regulation pathway in the pineal gland: NAT the main limiting enzyme is activated solely at night by NE, leading tonighttime peak in secretion.AC = adenylate cyclase; AA-NAT = aryl-alkyl-N-acétyl-transferase; AMPc = cyclic adenosine monophosphate; α-AR = a-adrenergic receptor;β-AR = β-adrenergic receptor; Ca2+ = calcium; GCS = superior cervical ganglion; GP = pineal gland; HIOMT = hydroxy-indole-O-methyl-transferase; IML = intermediolateral column; NE = norepinephrine; NPV = paraventricular nucleus; NSC = suprachiasmatic nucleus;P-CREB = phosphoryled form of the protein binding to the genic response element of AMPc; PKA = kinase dependent protein of AMPc;PKC = kinase dependent protein of calcium; PLC = Gq/11 protein-activated phospholipase type C; TPOH = tryptophane hydroxylase;Y1 = neuropeptide Y receptor type I.

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Ce sont des protéines de 350 à 365 acides aminésayant un poids moléculaire de 40 à 47 kDa. Cesrécepteurs contiennent, par ailleurs, un à deuxsites de glycosylation au niveau de l’extrémité N-terminale et des sites potentiels de phosphoryla-tion à la protéine kinase C (PKC) dans l’extrémitéC-terminale, qui participent à la régulation de lafonction du récepteur [8].

Des études de mutagenèse dirigée, réalisées surles récepteurs MT1 de l’homme et du mouton,ont permis de montrer que les résidus valine ethistidine localisés dans TM5 sont impliqués dansla formation de la poche de liaison du ligand etque l’interaction du groupement 5-méthoxy dela mélatonine avec le résidu histidine est néces-saire à l’activation du récepteur. Le résidu aspa-ragine du motif NRY empêche la réalisation d’uncouplage fonctionnel avec des seconds messagers,ce qui confirme l’importance de ce motif pourl’interaction du récepteur avec les protéines G[9].

Signalisation des récepteurs de la mélatonine

Dans la majorité des tissus étudiés, les récepteursde la mélatonine de haute affinité sont couplésnégativement à l’adénylate cyclase par l’intermé-diaire d’une protéine Gi/o sensible à la toxinepertussique. L’effet inhibiteur de la mélatoninesur la voie de l’AMPc conduit à une diminutionde l’activité de la protéine-kinase dépendante del’AMPc (PKA) et de la phosphorylation de la pro-téine se liant à l’élément de réponse génique del’AMPc (CREB). La résultante de cette cascaded’évènements est une inhibition de l’expressiondes gènes précoces tels que c-fos et junB. De lamême façon, la mélatonine inhibe, par un méca-nisme dépendant de l’AMPc, la phosphorylationdes protéine-kinases et des facteurs de transcrip-tion activés par les facteurs mitogènes (MEK1/2,MAP kinases, ERK1/2).

Parallèlement à la voie de l’AMPc, communeaux récepteurs MT1 et MT2, les récepteurs de lamélatonine sont également couplés à d’autresvoies de signalisation qui diffèrent selon les struc-tures et les types cellulaires étudiés. Ces voies detransduction ont été étudiées dans des systèmescellulaires hétérologues (cas des cellules transfec-tées) ou des préparations cellulaires exprimant demanière endogène les récepteurs MT1 ou MT2

(culture primaire de cellules de pars tuberalis,tranches de NSC en culture).

L’activation des récepteurs MT1 conduit à uneaugmentation de la concentration de calciumintracellulaire et à la stimulation de la PKC suiteà l’activation de la phospholipase C (PLC) par lessous-unités

βγ de la protéine Gi. Le recrutementde calcium intracellulaire par les récepteurs MT1résulte également du couplage de ces récepteursavec une protéine G de type Gq. Ces deux méca-nismes permettent d’expliquer l’effet potentiali-sateur de la mélatonine sur la libération d’acidearachidonique induite par la prostaglandine F2

α.L’activation des récepteurs MT1 conduit égale-ment à la stimulation de courants potassiqueshyperpolarisants de type Kir3 (canaux couplésaux protéines Gi) impliqués dans l’inhibition del’activité électrique spontanée des NSC. D’autresétudes de transfection cellulaire ont égalementmontré l’existence de couplages fonctionnelsentre les récepteurs MT1 et des canaux potassi-ques activés par le calcium (BKCa2+) ou des pro-téines G de type Gs (stimulation de l’AMPc), Gzet G16.

Les récepteurs MT2 sont (comme les MT1)couplés au métabolisme des phosphoinositides[(PIP2 transformé en IP3 sous l’action de la phos-pholipase C (PLC)] qui conduit à une activationde la PKC et à une augmentation du calciumintracellulaire. Les récepteurs MT2 inhibent éga-lement l’accumulation de guanosine monophos-phate cyclique (GMPc) [10] (fig. 2).

Les récepteurs de type MT3 semblent, quant àeux, stimuler l’hydrolyse des phosphoinositides[7].

L’ensemble de ces données souligne l’exis-tence d’une importante diversité de réponses cel-lulaires, liée notamment aux nombreuses voiesde signalisation couplées aux récepteurs de lamélatonine et à leur large distribution dansl’organisme [11].

Localisation des récepteurs

Les récepteurs MT1 et MT2 ont été identifiés danspratiquement toutes les structures du systèmenerveux central et, plus particulièrement, dansles noyaux suprachiasmatiques de l’hypothala-mus et la pars tuberalis de l’adénohypophyse.Cette localisation est responsable des effets de lamélatonine sur le système nerveux central, les

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hormones de la reproduction (axe hypothalamo-hypophyso-gonadique) et la fonction surréna-lienne. Ces mêmes récepteurs sont retrouvés auniveau périphérique dans de nombreux tissus : letractus gastro-intestinal, les poumons, la rate, lethymus, les reins, la prostate, les vaisseaux san-guins, les lymphocytes, les neutrophiles et le tissuadipeux. Cette localisation ubiquitaire explique le

rôle joué par la mélatonine sur les systèmes car-diovasculaire, gastro-intestinal et immunologi-que, et également sur le métabolisme glucidique[12]. La densité des sites exprimés dans ces tissuspériphériques est de l’ordre de quelques femto-moles par milligramme de protéines. Les récep-teurs de type MT3 pourraient expliquer l’activitéanti-oxydante de la mélatonine [7, 13].

Figure 2. Représentation schématique des voies de signalisation couplées aux récepteurs MT1 et MT2 (C. SCHUSTER,communication personnelle).AC = adénylate cyclase ; AMPc = adénosine monophosphate cyclique ; ATP = adénosine triphosphate ; BKCa = canauxpotassiques (K+) activés par le calcium (Ca2+) ; DAG = diacylglycérol ; ERK 1/2 = « extracellular signal regulated proteinkinase » (protéine kinase régulée par un signal extracellulaire) ; Gi/o-Gq = protéines G de type Gi/Go ou Gq/11 ;GC = guanylate cyclase : GMPc = guanosine monophosphate cyclique ; GTP = guanosine triphosphate ; IP3 = inositol tri-phosphate ; Kir3 = canaux potassiques de type Kir 3 ; MEK 1/2 = protéine kinase dépendante des facteurs mitogènes etactivant les MAP kinases ; P-CREB = forme phosphorylée de la protéine se liant à l’élément de réponse génique del’AMPc ; PGF2α = prostaglandine de type F2α ; PKA = protéine kinase dépendante de l’AMPc ; PKC = protéine kinasedépendante du calcium et/ou du DAG ; PLC = phospholipase de type C activée par les protéines Gq/11 ; VGCC = canauxcalciques voltage-dépendant.Schematic representation of signaling pathways coupled with MT1 and MT2 receptors (C. SCHUSTER, personal communication).AC = adenylate cyclase; AMPc = cyclic adenosine monophosphate; ATP = adenosine triphosphate; BKCa = potassium channels activated bycalcium; DAG = diacylglycerol; ERK 1/2 = extracellular signal regulated protein kinase; Gi/o-Gq = proteins G type Gi/Go or Gq/11;GC = guanylate cyclase: GMPc = cyclic guanosine monophosphate; GTP = guanosine triphosphate; IP3 = inositol triphosphate; Kir3 = potassiumchannels type Kir 3; MEK 1/2 = kinase dependent protein of mitogen factos and activating MAP kinases; P-CREB = phosphorylated formof the prote binding to the genic response element of AMPc; PGF2a = prostaglandine de type F2a; PKA = kinase dependent protein of AMPc;PKC = kinase dependent protein of calcium and/or DAG; PLC = phospholipase type C activated by proteins Gq/11; VGCC = voltage-dependentcalcium channels.

Mélatonine

Mélatonine

PGF2α

PKC

↑↑ ↑

K+K+

2+Ca

2+Ca

[ ]i

2+Ca[ ]iMEK1/2ERK1/2

P-CREB

DAG

DAG

IP3

IP3PKA

GMPcGTP

PLC

Gq

Gq

GqAC

GCATP

AMPc

Gi/o

Gi/o

PLC

Kir3 BKCa

MT1

MT2

VG

CC

++

+

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Mélatonine : agonistes et antagonistes

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Régulation des récepteurs

La régulation de la densité des récepteurs à lamélatonine est également particulière puisque,comme la mélatonine elle-même, elle présenteun rythme nycthéméral (chez l’Homme) inverse-ment corrélé aux concentrations de MEL plasma-tique (valeurs élevées le jour et faibles durant lanuit) : les récepteurs à la mélatonine présententune densité maximale au moment de la transi-tion jour/nuit. En effet, la mélatonine modulel’expression de ses propres récepteurs [14, 15].Chez les rats et les hamsters, l’abolition de la syn-thèse de mélatonine ou l’exposition à unelumière constante de 72 heures accroît la densitéréceptorielle dans les NSC ou la pars tuberalis sanschangement d’affinité. Cette augmentation dedensité est réversible sous l’effet de l’administra-tion de 50 mg de mélatonine par voie SC [16]. Àl’inverse, l’exposition de cellules de pars tuberalisovines en culture exposées pendant 24 heures à lamélatonine (100 pmol/L) induit une diminutionsignificative de la densité des récepteurs [11]. Cesobservations sont importantes pour deux rai-sons : 1) le signal nocturne lié à la sécrétion demélatonine semble dépendre plutôt de sa duréeque de sa quantité ; 2) l’heure à laquelle la den-sité des récepteurs est la plus importante se situeavant la transition jour/nuit, période critique dela journée pour l’administration de la mélato-nine et son activité pharmacologique chezl’Homme. La densité des récepteurs à la mélato-nine varie avec l’âge. Chez le rat, certaines par-ties du cerveau présentent à 5 jours desrécepteurs qui ne sont pas retrouvés à l’étatadulte. Par ailleurs, la densité des récepteursdiminue avec l’âge dans les artères alors qu’ellereste constante dans les NSC tout au long de lavie du rat [17].

Récepteurs de la mélatonine, horloge centrale et oscillateurs périphériques

La synthèse rythmique de mélatonine est sous lecontrôle de la principale horloge circadienne cen-trale et peut par conséquent être considéréecomme le médiateur endocrine des NSC pour dis-tribuer son message circadien. La mélatonine,

hormone de petite taille et de nature lipophile,apporte son message « temps » en agissant direc-tement sur les structures cibles impliquées dansl’organisation temporelle des fonctions circa-diennes. Ainsi, le très grand nombre de structurescentrales et périphériques qui contiennent desrécepteurs de la mélatonine doit-il être considérésous cet aspect.

Leur expression a été démontrée non seule-ment dans la pars tuberalis mais également dansdes tissus d’origine périphérique. Dans ces tissusmaintenus en culture in vitro, il semblerait quel’expression des gènes de l’horloge s’amenuiseavec le temps. La force conductrice maintenantl’activité des oscillateurs dans les tissus périphé-riques semble générée par des signaux d’origineneuronale, neuro-endocrine ou endocrine prove-nant des NSC.

Les oscillateurs périphériques pourraient utiliserla mélatonine comme un message relié à l’expo-sition à la lumière. Dans ce mécanisme, la méla-tonine pourrait jouer un double rôle : 1) maintenirla génération des rythmes dans certains tissus ;2) stopper les signaux rythmiques dans d’autrestissus. Ainsi, le maintien de la synchronisationentre les NSC et les oscillateurs périphériques est-il essentiel à la physiologie. La désynchronisationentre leurs rythmes et l’activité du pacemakercentral (les NSC) d’une part et des cibles périphé-riques d’autre part explique les pathologies asso-ciées au travail posté, au jet lag, ou à toute autreforme de désynchronisation [18].

Durant le sommeil, notre horloge biologiquenous prépare à la période d’activité à venir encontrôlant la libération des hormones ainsi quel’activité de notre système nerveux autonome.Des résultats récents indiquent que le mêmemécanisme qui gouverne notre horloge centralese retrouve dans les cellules des organes périphé-riques. Les oscillateurs périphériques synchroni-sent l’activité cellulaire des organes, augmentantle message fonctionnel de l’horloge centrale.Ainsi, les informations périphériques provenantdu tractus gastro-intestinal sont renvoyées auxmêmes régions du cerveau que celles directementimpliquées dans la régulation de l’horloge cen-trale [19].

Page 8: Agonistes et antagonistes des récepteurs mélatoninergiques : effets pharmacologiques et perspectives thérapeutiques

B. Guardiola-Lemaitre

392

Synthèse d’agonistes

et d’antagonistes :

relations structure-activité

et pharmacomodélisation

Dans le processus d’innovation thérapeutique, lepremier temps consiste à découvrir un composé« chef de file », c’est à dire un composé présen-tant l’intérêt pharmacologique recherché et unestructure « qualifiée de prototype » à partir delaquelle il sera possible de développer d’autreligands. L’étape suivante consiste à modifier defaçon rationnelle les principales caractéristiquesstructurales de ce composé. On pourra ainsi éta-blir progressivement les relations structure-acti-vité propres à la série chimique choisie, optimiserles propriétés du chef de file et définir le(s) phar-macophore(s) pour aboutir à un candidat quipuisse devenir un médicament.

La mélatonine répond chimiquement aux cri-tères requis pour un « chef de file » et elle peutconstituer un prototype pertinent [20]. Toutefois,son intérêt thérapeutique se trouve limité par uncertain nombre d’inconvénients : absence desélectivité réceptorielle, inactivation métaboliqueintense et rapide lui conférant une mauvaisebiodisponibilité per os, grandes variations inter-individuelles et demi-vie très brève, absence debrevetabilité. Ces raisons justifient la conceptionet la synthèse d’analogues optimisés et spécifi-ques des différents sous-types de récepteurs à lamélatonine pour élucider leur mécanisme d’actionet leurs rôles.

La structure relativement simple de la mélato-nine offre de nombreuses possibilités de pharma-comodulation. Elle présente en outre l’originalitéde posséder un groupement méthoxy et unefonction amide. Ses sites de liaison spécifiques etde haute affinité sont détectés par utilisation dela 2-[125I]iodomélatonine qui permet l’évaluationde l’affinité et le criblage d’analogues de syn-thèse.

La première étape de pharmacomodulationconsiste en l’étude des effets métaboliques del’inactivation de la mélatonine. L’hétérocycleindolique constituant la cible essentielle de cetteinactivation, nous l’avons remplacé par différentscycles « bioisostères » (éléments de substitution

maintenant l’activité pharmacologique). Lemeilleur de ces bioisostères est alors devenu unnouveau chef de file. Ses différentes caractéristi-ques structurales ont été modifiées de façonciblée en vue de préciser leur rôle dans les inte-ractions ligands-récepteurs (affinité et activité).Nous avons eu recours aux méthodologies géné-ralement utilisées : homologation et ramificationde chaînes, isomérie, bioisostérie, délétion-res-triction conformationnelle.

L’affinité des produits ainsi synthétisés a étéévaluée par la technique de liaison en quantifiantleur pouvoir de déplacer la 2-[125I]iodomélato-nine de ses sites de liaison dans des préparationsmembranaires de pars tuberalis de moutons. Lesrésultats sont exprimés en IC50 (M) pour lescomposés dont la courbe de déplacement est mono-phasique (un site de liaison) et en KH (haute affi-nité) et KL (basse affinité) pour les composés dontla courbe de déplacement est biphasique (deuxou plusieurs sites de liaison). Des études complé-mentaires ont permis de déterminer l’activité deces produits sur des cellules de pars tuberalis demouton par mesure de leur effet sur la produc-tion d’AMPc induite par la forskoline, activatricede l’adénylate cyclase, selon la technique décritepar Morgan et al. [11]. Les résultats obtenus per-mettent de différencier trois catégories de produits :

1. Agonistes : composés qui, comme la méla-tonine, diminuent ou inhibent la productiond’AMPc. Leur pouvoir agoniste, exprimé sousforme d’indice d’AMPc, est comparé à celui de lamélatonine ;

2. Antagonistes : composés qui n’exercent aucuneffet sur la production d’AMPc mais qui inhibentl’effet de la mélatonine ;

3. Potentialisateurs de forskoline : composésqui augmentent la production d’AMPc induitepar la forskoline.

Choix des ligands

Plus de 2 000 ligands mélatoninergiques ont étésélectionnés à partir de la base de données dulaboratoire et complétés par divers éléments dela littérature de façon à obtenir une variété struc-turale et une bonne répartition des affinitésexprimées en terme d’IC50.

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Mélatonine : agonistes et antagonistes

393

Détermination du pharmacophore

Sur la base des conclusions de plusieurs étudesde relation structure-activité, les groupements N-acétyl et 5-méthoxy ont été retenus comme élé-ments déterminants du pharmacophore pourl’obtention d’agonistes des récepteurs mélatoni-nergiques.

Remplacement bioisostérique du cycle indolique et pharmacomodulation du bioisostère naphtalénique

L’affinité des dérivés bioisostères indoliques estvoisine de celle de la mélatonine : l’hétérocycleindolique ne constitue donc pas une caractéristiquestructurale essentielle de la molécule. D’autre part,l’affinité du dérivé de la tétraline est voisine decelle de la mélatonine, ce qui indique que lecaractère aromatique du cycle portant la chaînelatérale acétamido-éthyle n’est pas indispensable.Tous ces produits se comportent comme des ago-nistes et possèdent un indice d’AMPc proche decelui de la mélatonine.

Études des relations structure-activité

Des études ayant pour objectif de préciser lesrelations structure-affinité et structure-activitéont été menées de façon systématique à partir dechacun des éléments structuraux de la mélato-nine (tableau I).

Groupement méthyle (CH3) de la chaîne acétamide

Il a été remplacé par diverses chaînes alkyleslinéaires et ramifiées, aliphatiques et alicycliques,saturées et insaturées, éventuellement fonction-nalisées. Les résultats détaillés de cette étudemontrent que :— le remplacement de ce groupement se traduitpar de profondes modifications de l’affinité avecdes variations extrêmes des IC50 allant de 1.E-5 à1.E-14 M.— Les affinités les plus élevées sont obtenuesavec les dérivés halogénométhyles (CH2-Br-CF3),alkyles (C1 à C4), alcényles (C2 et C3) et cyclo-alkyles (C3 et C4).— Les dérivés aromatiques et arylaliphatiquessont par contre les moins affins.

Ces résultats mettent en évidence le rôle desfacteurs électroniques et stériques à ce niveau dela molécule et suggèrent l’existence d’une pochehydrophobe de taille restreinte dans le site d’inte-raction correspondant du récepteur.

Fonction amide [-NH-CO-]

La 5-méthoxy-tryptamine ne présente pas d’affi-nité pour les récepteurs mélatoninergiques, mettantainsi en évidence la nécessité de cette fonctionamide et le rôle du groupement carbonyle (CO)dans le processus d’interaction. Les principauxrésultats obtenus confirment le rôle essentiel decette fonction :— La chute d’affinité observée lors du remplace-ment de l’atome d’hydrogène par un groupementméthyle implique cet atome dans une interactionavec un site accepteur de liaison hydrogène durécepteur.— Cette interaction ainsi que l’importance dupositionnement relatif des deux éléments consti-tutifs de la fonction amide se trouvent confirméspar la faible affinité du dérivé rétroamide.— Le remplacement du groupement carbonylepar son bioisostère (S22) fournit un composé quidonne une courbe biphasique et dont le pouvoiragoniste est sensiblement inférieur.— Les fonctions carbamate [NH-COO] et urée[NH-CO-NH] peuvent être considérées commebioisostères de la fonction amide [NH-CO-CH2] ;elles engendrent néanmoins une diminutiond’affinité, sensiblement plus importante (facteur20) pour le carbamate que pour l’urée, ce qui

Tableau I. — Mélatonine et éléments de pharmacomodulation.Melatonin and elements of pharmacomodulation.

A = poche hydrophobe de taille restreinte dans le site réceptoriel

B = importance pour l’affinité

C = affinité et activité

D = affinité réceptorielle (S 20098 = bioisostère naphtalénique)

E = processus d’interaction/activation

ECH3O

D

NH

C

HN

B

C

O

A

CH3

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B. Guardiola-Lemaitre

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traduit une fois encore l’importance des facteursélectroniques à ce niveau de la molécule.

Chaîne de liaison [-CH2-CH2]

Ce chaînon intervient dans la distance séparantles pharmacophores potentiels (fonction amide etgroupement méthoxy), ainsi qu’en attestent lesdiminutions d’affinité des dérivés homologues.Ces deux dérivés présentent néanmoins des pro-fils très différents : pour l’homologue inférieur onassiste à un effondrement de l’affinité et à uneabsence totale d’activité ; en revanche, l’homo-logue supérieur conserve une assez bonne affinitéet surtout se révèle potentialisateur de forskoline.Ces résultats montrent l’importance du position-nement de la fonction amide par rapport au restede la molécule à la fois pour l’affinité et pourl’activité. D’autre part, il est particulièrementintéressant de noter que l’homologue supérieurpossédant une fonction rétroamide présente uneaffinité et une activité qui le situent au premierrang des antagonistes décrits à ce jour.

Substituant du naphtalène

L’effondrement d’affinité observé pour l’isomèredu S 20098, N [2-(7-methoxy naphth-1-yl)ethyl]acétamide, permet d’affirmer que la position res-pective des groupements méthoxy et acétamidesur le cycle naphtalénique constitue un élémentstructural fondamental et que ce cycle joue bienle rôle de tenseur permettant de placer convena-blement les pharmacophores.

Groupement méthoxy (OCH3)

Si l’intervention de ce groupement dans le pro-cessus de liaison avec le récepteur est incontesta-ble, elle fait par contre l’objet de divergences pource qui concerne le processus d’activation. Lapharmacomodulation à ce niveau était doncessentielle. La suppression du méthoxy conduit àun composé dont l’affinité est environ mille foisinférieure. Ce résultat, qui permet de supposerun rôle plus important de ce groupement dansl’affinité que dans l’activité, est confirmé par celuidu dérivé phénolique. L’activité antagoniste descomposés indique que les deux groupementsméthoxy et acétamide constituent des pharmaco-phores impliqués à la fois dans l’affinité et dansl’activité des ligands [11].

Les conclusions de ces travaux concernant lessites essentiels de la structure du récepteur MT1impliqués dans la liaison et l’activation récepto-rielles sont en accord avec les conclusions des tra-vaux menés par mutagenèse dirigée obtenusultérieurement [9] (tableau I).

Agonistes — Antagonistes

Parmi plus de 2 000 composés synthétisés, cer-tains ont été retenus du fait de leur caractère ago-niste et de leur haute affinité réceptorielle, telsles S 20098 (N [2-(7-methoxy naphth-1-yl)ethyl]acétamide) [21], S 20304 (N-[2-(7-méthoxy-1-naphthyl)éthyl] cyclopropanecarboxamide), oude leur caractère antagoniste tels le S 20928 (N-(2-(1-naphtyl)ethyl-cyclobutane carboxamide)[21] et le S 22153 (N-[2-(5-éthyl-1-benzothien-3-yl)éthyl]acétamide). Ces agonistes et antagonistesont été utilisés comme outils pharmacologiquespour démontrer et évaluer expérimentalementleur activité pharmacologique dans différents sys-tèmes. Le S 20098, qui présente de surcroît uneactivité sérotoninergique de type antagoniste5HT2C, est actuellement en phase III de dévelop-pement clinique dans la dépression [22, 23].

Dans le chapitre suivant, nous présenterons uni-quement les études expérimentales effectuées avecla mélatonine et ses analogues, dans le domaine dusystème nerveux central et de l’obésité.

Applications thérapeutiques :

étude dans des modèles animaux

comportementaux représentatifs des

pathologies humaines

En terme d’innovation thérapeutique, la diffi-culté réside en la démonstration, dans un modèleanimal pertinent, de l’activité d’une moléculeoriginale, nouvelle, candidate à un développe-ment clinique.

Pour ce faire, nous avons utilisé des modèlesanimaux (le plus souvent murins) chez lesquelsune perturbation de la synthèse de mélatonineobtenue par une situation de désynchronisationprovoquée par des modifications de l’expositionà la lumière induit des troubles du sommeil oudu comportement. Nous avons également utilisédes animaux chez lesquels une variation physio-

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Mélatonine : agonistes et antagonistes

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logique connue de la mélatonine était associée àune modification du comportement transposableen pathologie humaine (prise de poids chez unanimal diurne hibernant pour l’obésité, diminu-tion de la mélatonine chez l’animal âgé pour levieillissement).

Activité chronobiotique — Régulation des rythmes veille/sommeil

L’American Psychiatric Association a classé les trou-bles du sommeil liés à une perturbation des ryth-mes circadiens en quatre catégories qui incluentdes syndromes bien spécifiques : les troubles dusommeil induits par des décalages de phase, parle « jet lag », par le travail posté et par les troublesveille/sommeil. Quatre modèles animaux, mis aupoint par Armstrong [24], nous ont permis dereproduire, au moins partiellement, les altéra-tions de rythme circadien veille/sommeil obser-vées en pathologie humaine (tableau II). Dans cesmodèles, la mélatonine et le S 20098 ont pu cor-riger les altérations et restaurer les rythmes cir-cadiens.

Syndrome de retard de phase et modèle de libre cours

Le syndrome de retard de phase est caractérisépar un retard endogène du cycle sommeil/éveil,

le plus souvent dû à des problèmes de « viesociale ». Les patients ont un cycle sommeil/éveil normal mais l’endormissement est tardif(vers trois heures du matin) et le réveil auxalentours de 11 heures du matin. Ils sont inca-pables d’avancer leur phase d’endormissementpar eux-mêmes.

Un modèle animal de ce syndrome, dit de« libre cours », a été développé. Les rats sontd’abord habitués à un cycle 12:12 L/D (12 hlight/12 h dark) jusqu’à ce qu’une stabilité dansles rythmes entraînés soit établie. L’activitélocomotrice et la température corporelle sontenregistrées par transmetteurs implantés sousanesthésie. Les rats sont ensuite maintenus en« libre cours » dans l’obscurité complète et per-manente. Dès que le rythme de libre cours estbien établi, les rats reçoivent tous les jours et àla même heure le S 20098 (100 μg/kg — IP) oule solvant (DMSO). Le S 20098 ré-entraînel’activité locomotrice ainsi que la températurecorporelle chez tous les rats traités lorsquel’injection coïncide avec le début de l’activitélocomotrice. Le même effet est observé avec lamélatonine, tandis que le véhicule n’a aucuneffet (fig. 3).

Tableau II. — Critères diagnostiques des troubles du sommeil liés au rythme circadien et classification.Diagnostic criteria of sleep disorders related to the circadian rhythm and classification.

A Fractionnement persistent ou récurrent du sommeil responsable de la somnolence excessive ou de l’insomnie et qui est lié à une absence de synchronisme entre l’horaire veille-sommeil propre à un individu et l’horaire veille-sommeil approprié à son environnement.

B La perturbation du sommeil est à l’origine d’une souffrance marquée ou d’une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

C La perturbation ne survient pas exclusivement au cours d’un autre trouble du sommeil ou d’un autre trouble mental.

D La perturbation n’est pas liée aux effets physiologiques directs d’une substance (p. ex., une substance donnant lieu à abus, un médicament) ou aux conséquences d’une affection médicale générale.

Type avec retard de phase Endormissements et réveils tardifs persistants avec incapacité à s’endormir ou s’éveiller à un moment plus précoce.

Type changement de fuseaux horaires (jet-lag)

Périodes de sommeil et de veille survenant à des moments inappropriés de la journée selon l’heure locale après des voyages répétés comportant le passage de plus d’un fuseau horaire.

Type de travail posté Insomnie pendant la principale période de sommeil ou somnolence excessive durant la princi-pale période de veille en rapport avec un travail posté de nuit ou des modifications fréquentes des horaires de travail.

Type non spécifié (p. ex. avec avance de phase, alternance veille-sommeil différente de 24 h, alternance veille-sommeil irrégulière, ou autre modèle non spécifié).

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B. Guardiola-Lemaitre

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Le modèle de libre cours révèle la capacité duS 20098 à resynchroniser le rythme circadienmais non la possibilité d’agir sur la direction duré-entraînement [25].

Syndrome d’avance de phase

Le syndrome d’avance de phase du sommeil estcaractérisé par une avance de l’heure d’endor-missement ainsi que de l’éveil. Il est symétriqueà celui décrit précédemment mais en sens inverseet beaucoup plus rare. Cette activité est testée surle modèle d’avance de phase de 8 h Les rats habi-tués à un cycle 12 :12 LD sont soumis à uneavance de 8 h du cycle LD. Le jour de l’avance dephase, la mélatonine ou le S 20098 est injectéavant le début de la nuit et durant plusieurs jourssuivant l’avance. Les rats témoins recevant le sol-vant se ré-entraînent en retardant leur rythmed’activité, tandis que la mélatonine (1 mg/kg — IP)et le S 20098 (1 mg/kg — IP) ré-entraînent enfaisant avancer le rythme. L’effet du S 20098 estdose-dépendant avec 100 % de ré-entraînementà 100 μg/kg et exige 7 jours de traitement avantun ré-entraînement total. Le S 20098 peut doncré-entraîner un rythme et modifier la directiondu ré-entraînement [26].

Syndrome de retard de phase ou décalage horaire

Le jet lag est le résultat de changements rapidesde fuseaux horaires causés par des vols intercon-tinentaux. Le cycle endogène circadien veille/sommeil est normal mais les perturbations pro-viennent d’un conflit entre le rythme veille/som-meil généré par le système circadien endogène etl’adaptation à un nouveau rythme de vie quenécessite le changement de fuseau horaire. Lasévérité des troubles est proportionnelle au nom-bre d’heures de décalage : les voyages en direc-tion de l’Est (avance de phase) sont généralementmoins bien tolérés que les voyages en directionde l’Ouest (retard de phase). Les rythmes de cycleveille/sommeil, température, cortisol et mélato-nine sont désynchronisés par rapport au « tempshoraire » dans lequel se situe la personne.

Dans le modèle de retard de phase, les rats sontmaintenus dans l’obscurité en continu et encondition de libre cours pendant plusieurs mois.Après être revenus au cycle 12 :12 LD, quelquesanimaux montrent des signes de retard du début

d’activé après le début de la nuit, laissant appa-raître un retard de phase. Les animaux présentantun retard de phase important sont sélectionnéspour participer aux expériences. La stabilité deretard de phase est suivie pendant au moins23 jours. L’injection de mélatonine (1 mg/kg — SC),une demi-heure avant la tombée de la nuit pen-dant neuf jours est suivie d’une resynchronisation

Figure 3. Actogramme en double représentation montrantpendant deux jours consécutifs (00 — 12 — 24/12-24)l’entraînement du rythme circadien de l’activité locomotriced’un rat après administration quotidienne (per os) de S 20098.Les enregistrements ont été effectués chez des animauxmaintenus en obscurité constante et en libre cours (DD —barres obliques). Les barres verticales visualisent le ré-entraî-nement après l’administration quotidienne du S 20098(matérialisée par une flèche).Double representation of an actogram showing the circadian rhythmover two days (00 — 12 — 24/12-24) of locomotor activity in a ratafter daily oral administration of S 20098. Recordings in animalsmaintained in dark (DD — oblique bars). The vertical bars desi-gnate re-training after daily administration of S 20098 (at arrows).

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Mélatonine : agonistes et antagonistes

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progressive de l’activité locomotrice lors de l’appa-rition de l’obscurité.

Troubles circadiens dus au vieillissement

Au cours du vieillissement, l’amplitude durythme circadien se réduit, ce qui mène d’abordà une diminution de la stabilité et enfin à uneperturbation totale des rythmes qui deviennentapériodiques ou désynchronisés, se traduisantpar des troubles du sommeil [27].

De nombreuses raisons ont été suggérées pourexpliquer ces altérations telles que la dégénéres-cence, la baisse d’activité des neurones du noyausuprachiasmatique, l’altération de l’apport dustimulus lumineux au noyau suprachiasmatiqueet la diminution de la synthèse de mélatonine.Pour ces raisons, un « chronobiotique » devraitaméliorer ces aspects des troubles des rythmescircadiens. Le S 20242, puissant agoniste mélato-ninergique, a été testé sur la température ducorps et sur la quantité d’activité locomotriceenregistrées en continu chez des rats BrownNorway mâles jeunes (6-8 mois), d’âge moyen(17-20 mois) et âgés (27-30 mois). Une diminu-tion importante de l’amplitude et la stabilité dela température corporelle et de l’activité locomo-trice a été constatée chez les rats d’âge moyen etâgés. Le traitement par le S 20242 a restauré lastabilité de la température corporelle chez les ratsd’âge moyen et chez les rats âgés au niveau decelui des jeunes, mais n’a pas restauré l’activitélocomotrice [28].

La dépression

Les relations entre la mélatonine, l’anxiété et ladépression étaient soupçonnées depuis 1978, laconcentration plasmatique de la mélatonine étantfréquemment diminuée chez les sujets dépriméset restaurée sous l’effet de certains antidépres-seurs. Des analogues de la MLT exprimant élec-tivement des propriétés antidépressives ont étésynthétisés et testés sur des modèles animauxpertinents. Les études pharmacologiques ont faitla preuve d’une double action du S 20098. D’unepart, il se comporte comme un agoniste puissantet sélectif pour les récepteurs hypothalamiques àla mélatonine MT1 et MT2 (avec des Ki respecti-vement de 6.10– 11 M et 2,7.10– 10 M). D’autre part,il agit comme un antagoniste compétitif sélectif

vis à vis des récepteurs de la sérotonine de type 2C(5-HT2C), avec un IC50 de 6.10– 7M.

L’activité antidépressive du S 20098 a été éta-blie dans une batterie de tests comportementauxvalidés expérimentalement et reconnus commeétant représentatifs de la dépression.

Ces « dépressions » sont induites chez le rat oula souris par :

— un stress administré chroniquement,— un désespoir lors d’une nage forcée,— une résignation acquise,— un stimulus aversif lumineux,— une bulbectomie olfactive.Ce dernier est considéré comme le plus signi-

fiant, car fondé sur la perte de l’hédonisme tra-duite par la perte d’appétence pour une solutionde sucrose chez les animaux soumis de manièrerépétée à des changements de rythme de vie sou-dains et irréguliers.

Dans ces différents tests, le S 20098 (ou Ago-mélatine) à la dose moyenne de 10 mg/kg s’estmontré aussi efficace que l’imipramine ou lafluoxétine (molécules antidépressives de réfé-rence) à la même dose. La capacité du S 20098 àrestaurer l’appétence des rats pour le sucrose aété identique qu’il soit administré le matin ou lesoir alors que la mélatonine, même à une doseplus élevée (50 mg/kg), n’avait qu’une actionpartielle et uniquement en administration vespé-rale. De plus, les effets observés après administra-tion le soir étaient inhibés par le S 22153(antagoniste des récepteurs MT1/MT2) pour lesdeux molécules, ce qui indique que l’effet anti-dépresseur du S 20098 est lié dans ce cas à sonaction mélatoninergique [29]. En revanche, leseffets observés après administration matinale duS 20098 ne sont pas inhibés par le S 22153 ce quisuggère que l’effet antidépresseur dépendrait deson activité antagoniste des récepteurs 5HT2C(tableau III).

Prise alimentaire et obésité

Chez l’homme, les études épidémiologiquesmenées à ce jour ont montré une associationentre obésité et mélatonine circulante. Une aug-mentation anormale de la concentration plasma-tique moyenne de la mélatonine (sur 24 heures)est observée chez tous les obèses aussi bien detype androïde que gynoïde ; cette augmentationest liée à la persistance de la sécrétion de méla-

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tonine pendant le jour, associée à une élévationde la sécrétion nocturne en cas d’obésité mor-bide.

L’existence d’une perturbation du rythme desécrétion de mélatonine caractérisée soit par unesuppression de la rythmicité circadienne (liéenotamment à l’augmentation des taux de méla-tonine le jour), soit par un décalage de phase (picde sécrétion nocturne plus tardif) est égalementobservée dans tous les types d’obésité, les déca-lages de phase du rythme de mélatonine étantplus fréquemment rencontrés dans les obésités detype androïde que dans celles de type gynoïdeoù le rythme est supprimé. La perturbation durythme de mélatonine s’accompagne chez lesobèses d’une désynchronisation interne desrythmes hormonaux et neuroendocriniens (pro-lactine, ACTH, LH, oestradiol, cortisol) [30].

Chez l’animal, les études de pharmacologie ontmontré le rôle des récepteurs mélatoninergiquesde type MT1/MT2 comme cibles régulatrices desmodifications de prise de poids.

Chez les animaux dits « non photopériodi-ques », aux fonctions physiologiques non régu-lées par les variations de durée d’exposition à lalumière, la mélatonine rétablit la balance énergé-tique lorsque celle-ci est perturbée. Chez le ratrendu obèse par un régime hypercalorique, lamélatonine réduit le gain de poids et la graisseviscérale, et diminue les taux circulants de glu-cose, de leptine et de triglycérides sans affecter laprise alimentaire.

Chez les animaux « photopériodiques »hibernants, tels que le lérot, le poids augmentenaturellement à l’approche de l’hiver avec le rac-

courcissement des jours et l’allongement desnuits afin d’augmenter les réserves énergétiquespermettant de survivre à la période d’hiberna-tion. Nous avons donc choisi ce modèle d’obésitésaisonnière, également observée chez l’homme,pour étudier les effets d’un agoniste mélatoniner-gique, le S 20304 et d’un antagoniste, le S 20928,en administration chronique et dans des condi-tions de photopériode naturelle. Les études ontcommencé au mois de juillet lorsque la durée dela nuit commence à s’allonger. Le but était d’aug-menter pharmacologiquement la durée d’exposi-tion des récepteurs mélatoninergiques à unligand et de mimer ainsi des nuits longues en trai-tant les animaux deux heures avant la tombée dela nuit avec l’agoniste. L’antagoniste a été admi-nistré avec le même horaire mais cette fois dansle but de soustraire les récepteurs mélatoninergi-ques à l’exposition prolongée à la mélatonineendogène et de mimer ainsi en septembre desnuits de juillet. Deux groupes de lérots maintenusen conditions de lumière artificielle, l’un de typejours courts (L/D 6 :18), l’autre de jours longs (L/D 16 :8), ont été inclus dans le protocole.

Les lérots (dont le poids est voisin de 110 gau début de l’expérimentation) maintenus enconditions de photopériode naturelle ont pré-senté une augmentation de leurs poids corporel(ΔP = 36 g) aux mois d’août/septembre. Une telleaugmentation de poids corporel n’était plusobservée chez les animaux traités par l’antago-niste S 20928 à 5 mg/kg (ΔP = 19 g) et 20 mg/kg(ΔP = 14 g) et chez le groupe maintenu en jourslongs (ΔP = 6,8 g). Le traitement par l’agonisteS 20304 à dose élevée (10 mg/kg) a avancé (de

Tableau III. — Activité comparée du S 20098 et de la mélatonine dans différents modèles animaux de dépression.Comparative activity of S 20098 and melatonin in different animal models of depression.

Test S 20098 Mélatonine

Désespoir lors d’une nage forcée + –

Modèles de dépressionRésignation acquise + –

Bulbectomie olfactive + –

Stress administré chroniquement + +Modèles circadiens

Modèle transgénique + +

Spectre complet d’antidépresseur + effet circadien

Effet circadien

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Mélatonine : agonistes et antagonistes

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3 semaines) et augmenté (ΔP = 55 g) la prise depoids. L’avance et l’augmentation ont aussi étéobservées chez les lérots maintenus en jourscourts. Le traitement par l’agoniste S 20304 à fai-ble dose (1 mg/kg) n’a pas modifié la prise depoids, mais a augmenté la prise alimentaire etdiminué le métabolisme basal. En revanche,l’antagoniste, S 20928 (10 mg/kg voie IP) stimulesignificativement (+ 27 %) le métabolisme basaldu lérot mesuré par consommation d’oxygène aurepos tandis que la mélatonine et l’agonisteS 20304 aux mêmes doses n’ont pas d’effet signi-ficatif [31].

Conclusion

Chez l’Homme, il est désormais acquis que lestroubles du rythme de la sécrétion de mélatoninesont accompagnés de manifestations pathologiques :troubles du sommeil, dépression (saisonnière ounon), troubles du comportement alimentaire,obésité, hypertension… L’administration de méla-tonine peut corriger certains de ces troubles,confirmant ainsi l’intérêt thérapeutique d’ago-nistes mélatoninergiques puissants et métaboli-quement stables.

L’identification des récepteurs à la mélatonine,leur clonage et la mutagenèse dirigée nous ontpermis de synthétiser des ligands affins puis, enmodulant leurs structures, d’établir des relationsde structure-activité réceptorielle.

La détermination des pharmacophores parmodélisation moléculaire a permis d’optimiser lasynthèse de ligands sélectifs d’affinité plus puis-sante que celle de la mélatonine sur les récep-teurs MT1 et MT2. L’obtention d’antagonistes(S 20098 ou S 22153) en revanche, s’est avéréeplus difficile.

Les résultats obtenus avec plusieurs agonistesmélatoninergiques dans les divers modèles ani-maux pertinents des troubles circadiens du som-meil ont montré leur intérêt potentiel pourl’usage thérapeutique d’un composé chronobio-tique. Leur application thérapeutique peut êtremise à profit dans le traitement des troubles liésau travail posté, les syndromes de retard de phaseou les perturbations dans les rythmes sommeil/veille relatifs à la cécité, au vieillissement ou à ladépression.

Le S 20098 (Agomélatine, agoniste mélatoni-nergique MT1/MT2 et antagoniste 5HT2C) amontré chez l’animal, outre une action chrono-biotique, une activité reproductible dans une bat-terie de tests représentatifs de la dépression. Cetteactivité a été confirmée chez l’Homme lors d’étudesmenées chez des sujets déprimés. Le produit estactuellement en dépôt d’AMM.

La découverte et le développement du S 20098,agoniste des récepteurs mélatoninergiques douéde propriétés antidépressives, est illustrative desétapes conduisant de la recherche pharmacologiqueà l’élaboration d’un médicament innovant.

Remerciements

L’auteur tient à remercier Mme Nathalie Deval-lan pour son assistance technique, Mme CaroleSchuster-Klein pour sa contribution scientifique etle Pr Paul Pevet pour son expertise dans la rédac-tion de ce manuscrit.

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