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Mec. Ind. (2000) 1, 415–422 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1296-2139(00)01042-3/FLA Élaboration d’un joint structural entre un composite époxyde (RTM) et un patin de caoutchouc par un procédé de comoulage S. Fays, N. Piccirelli * Renault, Direction de la Recherche, Groupe allégement, 1 Av. du Golf, Guyancourt, France (Reçu le 16 février 2000 ; accepté le 20 avril 2000) Résumé — Actuellement, la fabrication de jonctions souples entre un métal et un matériau composite nécessite plusieurs opérations de mise en œuvre (fabrication de la pièce composite, traitement de surface, dépôt de promoteurs d’adhérisation, adhérisation de l’insert métallique). Ces différentes opérations augmentent d’autant la durée de fabrication des pièces composites et par conséquent le coût final de la pièce. Nous avons développé une nouvelle technologie d’assemblage souple entre une pièce en matériau composite et un insert métallique impliquant un nombre réduit d’opérations de mise en œuvre. Cette technologie, appelée « comoulage », est basée sur le procédé de transformation RTM (resin transfer moulding — moulage par injection de résine) et consiste à réaliser simultanément la jonction souple composite/métal et la pièce composite à matrice époxyde. Les caractéristiques dynamiques du caoutchouc naturel en font un candidat de choix pour la réalisation de jonctions souples. Cependant, ses propriétés adhésives vis à vis de la résine époxyde sont faibles. La première étape dans le développement de cette technologie de comoulage a donc consisté à déterminer un promoteur d’adhésion compatible avec le caoutchouc naturel et la résine époxyde et pouvant être utilisé à l’occasion d’une mise en œuvre par comoulage. Nous présentons donc ici la technologie du comoulage et ses avantages par rapport à la technologie traditionnelle d’adhérisation ainsi que les résultats obtenus dans la recherche de systèmes d’adhésion caoutchouc naturel/résine époxyde. 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS procédé RTM / composite époxyde fibres de verre / caoutchouc naturel / adhésion élastomère / composite renforcé fibres de verre Abstract Manufacturing of a structural junction between epoxy composite material (RTM) and rubber block by comoulding process. We investigate a new technology called “comoulding process” for manufacturing softened junctions between a metal and a composite part. This process is an RTM-based technology and consists of transforming simultaneously a glass fibre reinforced epoxy composite, a rubber pad and a metallic insert to obtain the expected assembly. We present herein the potential advantages of this new technology, and the main problems to be solved. Among them, the research of strong interfacial bonding between the epoxy composite and the rubber pad is a major task. Preliminary results show that the use of an adhesion promoter on rubber surface leads to strong adhesion equivalent to that obtained with the conventional process. 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS RTM process / fibre glass epoxy composite material / pure rubber / rubber adherence / reinforced fibre glass composite 1. INTRODUCTION Actuellement, les fabricants automobiles doivent con- cilier deux objectifs opposés : premièrement, augmenter les performances des nou- veaux véhicules, malgré une augmentation croissante des équipements et de la surcharge pondérale associée, * Correspondance et tirés à part : [email protected] deuxièmement, respecter des réglementations euro- péennes en matière d’émission de CO 2 , de plus en plus draconiennes. La réduction de la masse des véhicules automobiles est une solution permettant la diminution de la consom- mation en carburant et par conséquent, les émissions de CO 2 . Depuis environ 20 ans, les fabricants automo- biles ont étudié la possibilité d’intégrer sur les véhicules des fonctions structurales allégées en utilisant des ma- tériaux ayant des propriétés mécaniques spécifiques éle- vées. Parmi ces matériaux, les plastiques renforcés par des fibres de verre continues sont des solutions alterna- tives séduisantes au remplacement de certaines pièces 415

Ãlaboration d'un joint structural entre un composite époxyde (RTM) et un patin de caoutchouc par un procédé de comoulage

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Mec. Ind. (2000) 1, 415–422 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS1296-2139(00)01042-3/FLA

Élaboration d’un joint structural entre un compositeépoxyde (RTM) et un patin de caoutchouc par un procédé

de comoulage

S. Fays, N. Piccirelli *Renault, Direction de la Recherche, Groupe allégement, 1 Av. du Golf, Guyancourt, France

(Reçu le 16 février 2000 ; accepté le 20 avril 2000)

Résumé —Actuellement, la fabrication de jonctions souples entre un métal et un matériau composite nécessite plusieurs opérationsde mise en œuvre (fabrication de la pièce composite, traitement de surface, dépôt de promoteurs d’adhérisation, adhérisation del’insert métallique). Ces différentes opérations augmentent d’autant la durée de fabrication des pièces composites et par conséquentle coût final de la pièce. Nous avons développé une nouvelle technologie d’assemblage souple entre une pièce en matériau compositeet un insert métallique impliquant un nombre réduit d’opérations de mise en œuvre. Cette technologie, appelée «comoulage», estbasée sur le procédé de transformation RTM (resin transfer moulding — moulage par injection de résine) et consiste à réalisersimultanément la jonction souple composite/métal et la pièce composite à matrice époxyde. Les caractéristiques dynamiques ducaoutchouc naturel en font un candidat de choix pour la réalisation de jonctions souples. Cependant, ses propriétés adhésivesvis à vis de la résine époxyde sont faibles. La première étape dans le développement de cette technologie de comoulage a doncconsisté à déterminer un promoteur d’adhésion compatible avec le caoutchouc naturel et la résine époxyde et pouvant être utilisé àl’occasion d’une mise en œuvre par comoulage. Nous présentons donc ici la technologie du comoulage et ses avantages par rapportà la technologie traditionnelle d’adhérisation ainsi que les résultats obtenus dans la recherche de systèmes d’adhésion caoutchoucnaturel/résine époxyde. 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

procédé RTM / composite époxyde fibres de verre / caoutchouc naturel / adhésion élastomère / composite renforcé fibres deverre

Abstract —Manufacturing of a structural junction between epoxy composite material (RTM) and rubber block by comouldingprocess. We investigate a new technology called “comoulding process” for manufacturing softened junctions between a metal and acomposite part. This process is an RTM-based technology and consists of transforming simultaneously a glass fibre reinforced epoxycomposite, a rubber pad and a metallic insert to obtain the expected assembly. We present herein the potential advantages of thisnew technology, and the main problems to be solved. Among them, the research of strong interfacial bonding between the epoxycomposite and the rubber pad is a major task. Preliminary results show that the use of an adhesion promoter on rubber surface leadsto strong adhesion equivalent to that obtained with the conventional process. 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

RTM process / fibre glass epoxy composite material / pure rubber / rubber adherence / reinforced fibre glass composite

1. INTRODUCTION

Actuellement, les fabricants automobiles doivent con-cilier deux objectifs opposés :

• premièrement, augmenter les performances des nou-veaux véhicules, malgré une augmentation croissante deséquipements et de la surcharge pondérale associée,

* Correspondance et tirés à part :[email protected]

• deuxièmement, respecter des réglementations euro-péennes en matière d’émission de CO2, de plus en plusdraconiennes.

La réduction de la masse des véhicules automobilesest une solution permettant la diminution de la consom-mation en carburant et par conséquent, les émissionsde CO2. Depuis environ 20 ans, les fabricants automo-biles ont étudié la possibilité d’intégrer sur les véhiculesdes fonctions structurales allégées en utilisant des ma-tériaux ayant des propriétés mécaniques spécifiques éle-vées. Parmi ces matériaux, les plastiques renforcés pardes fibres de verre continues sont des solutions alterna-tives séduisantes au remplacement de certaines pièces

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structurales en acier. En effet, ces matériaux compositesassocient des propriétés spécifiques relativement élevées,de bonnes propriétés en fatigue ainsi qu’un coût relative-ment attractif.

Lorsque des fonctions amortissantes sont recherchées,les pièces structurales composites sont assemblées au vé-hicule au moyen d’une fixation souple composée d’unepièce métallique collée à la pièce composite par un patind’élastomère. Ces jonctions sont, en général, fabriquéespar un procédé appelé adhérisation, qui consiste à injecterle caoutchouc entre la pièce composite et l’insert métal-lique, ces deux pièces ayant, au préalable, subi un traite-ment de surface et un dépôt de primaire améliorant l’ad-hésion. Cette technologie implique d’une part l’emploi deplusieurs outillages, et d’autre part le retraitement des ef-fluents utilisés pour la préparation des surfaces (solutionsde dégraissage alcalines).

Une nouvelle technologie appelée comoulage a été dé-veloppée et consiste à fabriquer simultanément la piècecomposite et la jonction souple sur la fixation métal-lique. Cette technologie, initialement développée pourdes pièces composites mise en œuvre par compres-sion [1], est une alternative intéressante au procédé d’ad-hérisation, en effet, elle permet une simplification duschéma de fabrication de la fonction finale, en suppri-mant les opérations de préparation de surface de la piècecomposite (et ainsi les problèmes liés au retraitement dessolutions utilisées) et à terme une réduction potentielle ducoût final de la fonction composite.

2. DESCRIPTION DU PROCÉDÉDE COMOULAGE

2.1. Matériaux employés

2.1.1. Le caoutchouc naturel

Le caoutchouc naturel est un élastomère composéprincipalement de poly-isoprène. Il est utilisé pour sesremarquables propriétés amortissantes et sa tenue en fa-tigue, supérieure à celle de la majorité des élastomèressynthétiques. Le caoutchouc naturel est largement em-ployé pour réaliser notamment des jonctions cinéma-tiques (Silent Blocks) destinées à des applications anti-vibratoires [2]. Toutefois, ce matériau présente le désa-vantage d’une tenue thermique relativement faible.

Le caoutchouc naturel est utilisé sous forme de com-pound constitué, d’agents de vulcanisation, de charges(noir de carbone), d’agents de protection et de plastifiants(cires).

2.1.2. Le matériau composite

La résine époxyde est employée pour ses excellentespropriétés thermomécaniques et son coût compatibleavec des applications automobiles. Cette résine possèdeen outre de remarquables propriétés adhésives avec laplupart des matériaux organiques et inorganiques.

Les résines époxydes sont généralement renforcéespar des fibres de verre (dans le cas d’applications pourl’automobile) courtes ou longues, se présentant sous laforme de tissus ou mats (structure non tissée).

2.2. Le procédé de mise en œuvrepar comoulage

Le procédé de comoulage décrit ici est basé surla technologie d’injection de résine thermodurcissablesur renfort, appeléeresin transfer moulding(RTM).Ce procédé de fabrication est composé des étapes demise en œuvre suivantes : une préforme, composéed’une superposition de renforts tissés ou non tissés, estinitialement mise en forme et placée dans un moulethermorégulé. Le vide est alors créé dans l’outillage et unmélange de faible viscosité (de 0,1 à 1 Pa·s) de résine etde durcisseur, est injecté. Lorsque l’injection est achevée,la résine est cuite sous pression dans le moule.

Lorsqu’il s’agit maintenant de réaliser une jonctionsouple sur la pièce composite, cette dernière subit unepost cuisson puis un dégraissage alcalin et un dépôt depromoteur d’adhérisation. La pièce ainsi préparée est pla-cée dans un moule contenant un insert métallique et danslequel l’élastomère est injecté et vulcanisé (figure 1).Cette technologie d’adhérisation nécessite donc l’emploid’un outillage supplémentaire et implique cinq à six opé-rations de fabrication pour aboutir à la pièce finale.

La technique de comoulage permet une fabricationdirecte de la pièce composite et de la jonction souplecomposite/caoutchouc/métal. L’insert métallique, le pa-tin de caoutchouc et la préforme sont placés dans l’ou-tillage, avant injection et cuisson du mélange résineépoxyde/durcisseur. Cette technologie permettrait une ré-duction drastique du nombre d’étapes de fabrication despièces composites possédant une jonction souple élasto-mère.

Par ailleurs, les matériaux organiques (élastomère etrésine époxyde) étant mis en contact avant la cuisson, ilspossèdent une grande réactivité qui pourrait conduire àla formation de liaisons physico-chimiques fortes entreeux. La figure 1 présente une comparaison entre leprocédé de fabrication traditionnel des jonctions souples(adhérisation) et le procédé de comoulage.

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Un joint structural entre un composite époxyde (RTM) et un patin de caoutchouc

Figure 1. Comparaison entre le procédé de fabrication standard de jonctions souples, par adhérisation, et du procédé de comoulage.

Le procédé de comoulage simplifie donc le procédé defabrication d’assemblages métal–composite. Cependant,deux points principaux restent à analyser :

• L’adhésion obtenue par comoulage est-elle similaire àcelle obtenue par adhérisation?

• Le procédé de comoulage est-il réalisable avec untemps de cycle suffisamment court pour envisager sonutilisation pour une fabrication en série de pièces ?

Nous présenterons uniquement la problématique con-cernant l’adhésion entre le caoutchouc naturel et la résineépoxyde et des solutions pouvant être apportées pourobtenir une adhésion forte entre ces deux matériaux parcomoulage.

3. ADHÉSION FORTE ENTRE LA RÉSINEÉPOXYDE ET LE CAOUTCHOUCNATUREL

Nous avons centré nos travaux sur le couple caout-chouc naturel/résine époxyde. En effet, il existe actuel-lement des traitements chimiques efficaces permettantd’obtenir une adhésion forte entre un substrat métalliqueet un patin de caoutchouc naturel ; de plus, le procédé decomoulage n’influe pas de manière significative sur lesprocessus d’adhésion métal/caoutchouc.

Les paramètres de mise en œuvre de la pièce com-posite par RTM sont favorables à une bonne adhésion

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entre la résine époxyde et le caoutchouc naturel. En effet,la pression appliquée sur le moule au cours de la cuis-son du composite, favoriserait un contact intime entrele caoutchouc naturel et la résine époxyde. Par ailleurs,l’application du vide au cours de l’injection de la résineépoxyde, limiterait la présence de porosités à l’interfacecaoutchouc naturel/époxyde, dues principalement à l’airemprisonné entre les deux matériaux.

Cependant, au-delà du procédé de mise en œuvre,l’adhésion entre ces deux matériaux dépend aussi de leuraffinité physico-chimique mutuelle.

3.1. Problèmes intrinsèques liés auxmatériaux choisis

Certains élastomères à base d’amines, seraient parti-culièrement adaptés au procédé de comoulage. En effet,ils permettraient d’obtenir une bonne adhésion avec la ré-sine époxyde. Cependant, le choix du caoutchouc naturelest pratiquement imposé lorsque l’on recherche à obtenirdes assemblages structuraux ayant une excellente tenueen fatigue.

3.1.1. Mécanismes d’adhésion possibleentre le caoutchouc naturelet la résine époxyde

Le caoutchouc naturel et le prépolymère époxydeont, respectivement, des énergies de surfaces de 31 et44 J·m−2, qui laissent supposer un mauvais mouillagede la surface du caoutchouc naturel par le prépolymère.Par ailleurs, la comparaison des paramètres de solubi-lité du prépolymère époxyde et du caoutchouc naturel(respectivement,δEP ≈ 9−12 (cal·cm−3)1/2 et δNR =8 (cal·cm−3)1/2) rendent peu probable un processus d’in-terdiffusion (en effet,|δNR− δEP|> 1,5 (cal·cm−3)1/2).

La recherche d’une adhésion forte entre deux maté-riaux passe par la création :

• de liaisons chimiques,

• de liaisons physiques,

• d’un accrochage mécanique.

Des études précédentes [3] ont montré qu’une adhé-sion forte entre une résine époxyde et le caoutchouc na-turel est possible en plaçant à l’interface un renfort nontissé. Cependant, la durabilité de l’assemblage ainsi quesa tenue en fatigue n’ont pas été validées.

Une adhésion spécifique entre la matrice époxyde et lecaoutchouc naturel ne peut être obtenue qu’en employantun agent de couplage réagissant avec les deux matériaux.

Le procédé de comoulage offre la double opportunitéde profiter de la réactivité chimique du mélange prépo-lymère époxyde/durcisseur pour créer des liaisons cova-lentes, accroître la mobilité des chaînes macromolécu-laires et favoriser ainsi les procédés d’interdiffusion ; lecomoulage devrait donc permettre d’obtenir des assem-blages ayant une résistance et une durabilité accrue parrapport à la technologie traditionnelle d’adhérisation.

En effet, l’adhésion obtenue par adhérisation est prin-cipalement liée à un mécanisme d’accrochage mécaniqueet d’adsorption thermodynamique [4]. Cependant, mêmesi des liaisons secondaires peuvent conduire à des assem-blages résistant mécaniquement, la présence de liaisonschimiques primaires devrait accroître la force des jointset améliorer la stabilité des interfaces vis à vis du vieillis-sement [5].

En conclusion, il semble préférable de favoriser uneadhésion spécifique entre le matériau composite et lecaoutchouc naturel.

3.2. Adhésion par comoulage : principe

Nous avons envisagé la possibilité d’utiliser des es-pèces chimiques réactives telles que les caoutchoucsfonctionnalisés comme l’ATBN (amine terminated buta-diene nitrile rubber— butadiène acrylonitrile à terminai-sons amines), le CTBN (carboxyl terminated butadienenitrile rubber — butadiène acrylonitrile à terminaisonscarboxyles), ou d’autres espèces fonctionnelles commeles polyisocyanates, capables de réagir et/ou de diffuser,respectivement, avec la résine époxyde et le caoutchoucnaturel.

En effet, les produits ATBN et CTBN sont très utilisésen tant qu’agents plastifiants des résines époxydes. Cesproduits sont également employés en tant que promoteursd’adhésion. Certains travaux ont mis en évidence la créa-tion de réactions chimiques entre les polymères CTBN etdiglycidyl éther du bisphénol A (DGEBA) [6]. Certainsauteurs ont même souligné le rôle majeur des liaisons chi-miques entre la DGEBA et le CTBN dans la stabilité desinterfaces [1], et sur les processus d’interdiffusions quisont à l’origine de la création d’un co-réseau macromo-léculaire enchevêtré. Les enduits CTBN sont d’ailleurspréchauffés pour favoriser leur miscibilité avec la résineDGEBA. La température de miscibilité dépend de la te-neur en acrylonitrile de l’enduit CTBN : la miscibilitéest d’autant plus facile que le taux en acrylonitrile estélevé [7, 8].

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Un joint structural entre un composite époxyde (RTM) et un patin de caoutchouc

Figure 2. Principes de la création de liaisons chimiques entre le caoutchouc naturel et la résine époxide par comoulage.

Diverses réactions chimiques peuvent intervenir entreles groupements réactifs portés par la matrice thermo-durcissable et par des espèces chimiques additionnelles(groupements amines, carboxyliques ou isocyanates).Ces réactions sont de trois types (figure 2) :

1. Réaction epoxyde–amine : attaque nucléophile surles cycles oxirannes du prépolymère DGEBA.

2. Réaction alcool–acide : réaction d’estérificationentre les groupements hydroxyles porté par le prépoly-mère DGEBA ou ceux créés durant la réaction de réticu-lation et les groupements carboxyles portés par les poly-mères réactifs.

3. Réaction alcool/amine–isocyanate : attaque nucléo-phile sur le carboneα des groupements isocyanates.

Des polymères liquides réactifs avec un coefficientde solubilité équivalent à celui du caoutchouc naturelpermettent d’améliorer l’adhésion. En effet, l’adhésionintrinsèque de hauts polymères entre eux serait due àune diffusion mutuelle des macromolécules au traversde l’interface. Le mécanisme nécessite que les chaînesmacromoléculaires possèdent une mobilité suffisante etque les polymères soient mutuellement solubles entreeux [9–12].

Par ailleurs, il a été reporté que l’adhésion entre deuxélastomères similaires ou dissemblables, est corrélée audegré d’intervulcanisation [13, 14]. Il est donc attenduque les polymères fonctionnalisés co-vulcanisent avec lecaoutchouc naturel.

Il apparaît clairement que la recherche d’une adhésionforte entre la résine époxyde et le caoutchouc naturelpasse par l’emploi de polymères réactifs, élastomèresou non, capables de réagir simultanément avec la résineépoxyde et le caoutchouc.

Ces polymères réactifs peuvent être utilisés, soit entant que dépôt à la surface du patin de caoutchouc naturel,soit mélangés à une matrice de caoutchouc naturel pourformer un compound réactif sans affecter notablement lespropriétés mécaniques de la matrice.

Nous avons caractérisé une série de dépôts de surfacepour le caoutchouc naturel, principalement des produitsà base d’ATBN, CTBN et d’isocyanates, pour évaluer lemeilleur traitement en matière de tenue mécanique desassemblages comoulés.

4. TECHNIQUES EXPÉRIMENTALESET MATÉRIAUX

4.1. Les matériaux de base

Nous avons réalisé les essais de comoulage avecun caoutchouc naturel standard. Cet élastomère possèdeune dureté de 43 shores, et n’a subi aucun traitementparticulier en vue d’une utilisation par comoulage. Il seprésente sous la forme de plaques calandrées de 8 mmd’épaisseur. Les plaques de caoutchouc naturel sontdécoupées aux cotes et placées dans le moule d’injectionRTM.

La résine époxyde employée est composée du prépo-lymère DGEBA et d’un durcisseur aminé. Ce matériauest transformé par RTM.

La résine époxyde est renforcée par un tissu unidirec-tionnel de fibres de verre de 640 g·m−2.

La pièce composite finale a une épaisseur de 5 mm etcontient 50 % en volume de fibres de verre.

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Figure 3. Fabrication des éprouvettes de pelage par comoulage.

4.2. Elastomères réactifs

Nous avons employé des polymères liquides réactifs,en tant que promoteurs d’adhésion. Ces produits sont àbase d’ATBN et de CTBN, et contiennent des taux va-riables d’acrylonitriles, fonctions destinées à accroître lamiscibilité de ces polymères réactifs avec le caoutchoucnaturel.

Par ailleurs, nous avons également employé un promo-teur d’adhérisation commercial composé essentiellementde polyisocyanates.

Ces polymères réactifs sont déposés à la surface dupatin de caoutchouc avant la mise en place de ce dernierdans le moule RTM.

4.3. Technique de fabrication et decaractérisation des éprouvettes

Les éprouvettes de pelage ont été fabriquées suivantla méthodologie décritefigure 3. Le patin de caoutchoucnaturel enduit de l’agent de couplage est placé dans lemoule RTM avec la préforme de fibres de verre. Le videest ensuite appliqué dans l’outillage et le mélange résineépoxyde/durcisseur est injecté dans le moule. La cuissonest réalisée sous pression à 110◦C durant environ 2 h30 min.

Les éprouvettes de pelages sont constituées d’unsubstrat de composite et d’un patin d’élastomère ayanttous les deux 5 mm d’épaisseur. La zone d’adhésion estde 25 mm de large et de 125 mm de long.

La force d’adhésion des jonctions élastomère traité/composite a été évaluée à partir d’essais de pelage à 90◦(suivant la norme NF T 46-058).

Les essais de pelage ont été réalisés à une vitesse de50 mm·min−1, la force d’adhésion a été déterminée surune zone de caractérisation de 25 mm de long.

5. RÉSULTATS ET DISCUSSION

Le tableau I regroupe les forces de pelage obtenuesavec cinq systèmes de comoulage (compound, polymèresréactifs, promoteur d’adhérisation).

Les faibles résultats obtenus avec le caoutchouc na-turel non traité confirment sa faible affinité physico-chimique avec la résine époxyde.

Les résultats obtenus avec le promoteur d’adhérisationsont similaires à ceux mesurés sur des éprouvettes ad-hérisées. Cette bonne adhésion obtenue avec ce promo-teur d’adhésion peut être attribuée à la formation d’unelarge interphase résistante entre le promoteur et la ma-trice époxyde. En effet, avant réticulation, la mobilité deschaînes macromoléculaires peut être suffisamment éle-vée pour pénétrer dans la couche de promoteur déposésur le caoutchouc naturel, comme il a été mentionné parailleurs [6].

De plus, l’adhésion entre le promoteur d’adhérisationet la matrice époxyde peut résulter de la formation deliaisons chimiques durant la cuisson des matériaux. Cespromoteurs d’adhérisation sont constitués d’espèces po-lyfonctionnelles isocyanates. Il est généralement admis

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Un joint structural entre un composite époxyde (RTM) et un patin de caoutchouc

TABLEAU IForces de pelage déterminées suivant la norme NF T 46-058 et correspondant aux différents systèmes de comoulage testés.

Conditions Caoutchouc Accrochage Compound Compound Dépôt de Dépôt de Dépôt de Dépôt de Référence Caoutchoucnaturel non mécanique [2] réactif 1 réactif 2 CTBN-1 CTBN-2 ATBN-1 ATBN-2 caoutchouc naturel traitétraité [2] naturel adhérisé avec un

promoteurd’adhérisation

Force de 0,5 3–4 2 2 2 2 2 2 7 8pelage,

N·mm−1

Type de M M M M M M M M R/RC R/RCrupture

M : rupture interfaciale composite/élastomère ; R : rupture cohésive dans l’élastomère ; RC : rupture interfaciale caoutchouc naturel/promoteur ;CTBN-1 : faible taux d’acrylonitrile ; CTBN-2 : taux d’acrylonitrile moyen ; ATBN-1 : faible taux d’acrylonitrile ; ATBN-2 : taux d’acrylonitrilemoyen.

que ces espèces peuvent réagir avec les groupements hy-droxyles présents sur le réseau élastomère (principale-ment généré par l’oxydation du caoutchouc durant destraitements précédents), et avec les groupes hydroxylesprésents sur les macromolécules de DGEBA [15].

Les faibles résultats obtenus avec les autres dépôts etcompounds peuvent être attribués à l’absence de réactionchimique entre les espèces fonctionnelles et la matrice.

Dans le cas des polymères réactifs ATBN et CTBN,la faible force d’adhésion peut également être liée à unemigration des accélérateurs de vulcanisation du caout-chouc naturel vers le polymère fonctionnalisé, affaiblis-sant ainsi l’interface avec le caoutchouc naturel. Ce phé-nomène serait favorisé par une grande mobilité des accé-lérateurs de vulcanisation et par l’existence d’un gradientde concentration d’accélérateur entre le caoutchouc natu-rel et le polymère fonctionnalisé. L’existence d’un tel gra-dient de concentration entre deux élastomères induiraitune migration des différents composants sur une longuedistance [11]. Ce phénomène de migration serait amplifiésous l’effet de la température.

Enfin, des mécanismes de ségrégation du polymère ré-actif à l’interface peuvent conduire à une rupture en ap-parence cohésive. De tels mécanismes sont observablesavec des systèmes CTBN/matrice époxyde [8] et entre lecaoutchouc naturel/BR. Ce phénomène de ségrégation ré-sulterait d’une diminution de l’entropie de configurationdu système polymère pendant la phase de réticulation etconduirait à une augmentation de l’énergie libre de Gibbsdu mélange et à une diminution de la miscibilité du sys-tème de polymères.

Les résultats que nous avons obtenus jusqu’à présentne nous permettent pas de conclure de manière catégo-

rique sur les raisons des faibles niveaux d’adhésion me-surés avec certains systèmes de comoulage étudiés.

6. CONCLUSIONS

Le procédé de comoulage par RTM est une solutionalternative au procédé d’adhérisation pour la réalisationde jonctions souples composite/métal. Le procédé décritici permet une réduction significative du nombre d’opéra-tion de mise en œuvre et apporte une solution à la gestiondes effluents alcalins.

La première étape du développement de la technolo-gie de comoulage passe par l’obtention d’une adhésionforte entre le patin de caoutchouc naturel et de la résineépoxyde. L’emploi de polymères réactifs ATBN et CTBNne permet pas d’atteindre les niveaux d’adhésion obte-nus par la technique traditionnelle d’adhérisation. Jus-qu’à présent, nous ne pouvons pas expliquer en détailces faibles performances. Cependant on peut lier ces der-nières à :

• une migration des accélérateurs de vulcanisation ducaoutchouc naturel vers le polymère réactif,

• un processus de ségrégation des espèces durant lesphases de cuisson/vulcanisation affaiblissant les inter-faces.

Une force d’adhésion satisfaisante a été obtenue avecl’emploi d’un promoteur d’adhérisation à base de groupe-ments polyfonctionnels d’isocyanates. Ces performancespourraient résulter de la formation de liaisons primaireset secondaires entre la matrice époxyde et le caoutchoucnaturel, via les groupements isocyanates. Le niveau d’ad-

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hésion obtenu est comparable à celui des assemblages ad-hérisés.

L’utilisation de promoteurs d’adhésion à base d’iso-cyanates peut donc être une solution à court terme à l’em-ploi de la technologie de comoulage/RTM pour la réali-sation de jonctions souples entre un matériau compositeet un insert métallique.

Remerciements

Nous remercions Messieurs P. Georget et A. Bloino duCentre de recherche de la société Hutchinson pour leurcollaboration.

RÉFÉRENCES

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