6
IL ÉTAIT TEMPS DE REMETTRE LES PIEDS SUR TERRE Alain Ducasse, Catherine Le Borgne, Didier Tabuteau Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) | « Les Tribunes de la santé » 2004/4 n o 5 | pages 93 à 97 ISSN 1765-8888 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante-2004-4-page-93.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Alain Ducasse et al., « Il était temps de remettre les pieds sur terre », Les Tribunes de la santé 2004/4 (n o 5), p. 93-97. DOI 10.3917/seve.005.97 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.). © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.). Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 200.121.65.4 - 15/10/2015 17h07. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 200.121.65.4 - 15/10/2015 17h07. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

Alain Ducasse Artticulo Preguntas

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Alain Ducasse

Citation preview

Page 1: Alain Ducasse Artticulo Preguntas

IL ÉTAIT TEMPS DE REMETTRE LES PIEDS SUR TERREAlain Ducasse, Catherine Le Borgne, Didier Tabuteau

Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) | « Les Tribunes de la santé »

2004/4 no 5 | pages 93 à 97 ISSN 1765-8888

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante-2004-4-page-93.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Alain Ducasse et al., « Il était temps de remettre les pieds sur terre », Les Tribunes de la santé2004/4 (no 5), p. 93-97.DOI 10.3917/seve.005.97--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.).

© Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.). Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manièreque ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 20

0.12

1.65

.4 -

15/

10/2

015

17h0

7. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 200.121.65.4 - 15/10/2015 17h07. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

Page 2: Alain Ducasse Artticulo Preguntas

e n t r e t i e n

sève — hiver 2004

93

Chef à la tête de trois restaurants de haute cuisine à Monaco, Paris et New York, créateur de nouveaux restaurants, aubergiste, Alain Ducasse est aussi formateur et explorateur passionné de la cuisine méditerranéenne occidentale tant il est attaché à cette région à la terre dure, où l’olivier et les fruits « se battent pour avoir du goût, de la couleur et de l’odeur ». Propos sans langue de bois d’un curateur du goût poursuivant le chemin tracé malgré les crises sanitaires, la profusion de normes, l’agriculture intensive, le débat sur le OGM ou la mode du bio.

Sève : La crise de la « vache folle » a souligné le lien entre santé et alimentation. Comment avez-vous vécu cette crise, et comment appréciez-vous aujourd’hui ses conséquences ?

Alain Ducasse : Je vais être très clair. Le rôle d’un cuisinier est de prendre l’ingrédient, de préserver la saveur originelle du produit, de le goûter et voir si cela convient pour son plat final. Je n’ai ni les compétences ni les connaissances pour dire s’il y a un risque pour la santé. Je dois me référer à ceux qui les possèdent. La question se pose également pour les OGM. Si, en dehors de l’influence des lobbies agroalimentaires ou des pouvoirs politiques, le scientifique me dit avec certitude qu’il y a danger pour la santé, je l’écoute. Il faut me donner une information nette et précise et, si l’on ne sait pas, me le dire également car dans ce cas-là, je ne prends pas le risque. Si l’on ne sait pas, il faut mieux s’abstenir.

Sève : Avez-vous ressenti, du fait de cette crise, un changement dans le comportement de votre clientèle ?

Alain Ducasse : Oui, que ce soit aux États-Unis ou en Fran-ce, il y a eu une attention particulière à l’origine

ALAIN DUCASSE Il était temps de remettre les pieds sur terre

photo Vanessa Von Zitzewitz

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 20

0.12

1.65

.4 -

15/

10/2

015

17h0

7. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 200.121.65.4 - 15/10/2015 17h07. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

Page 3: Alain Ducasse Artticulo Preguntas

sève — hiver 2004

94

e n t r e t i e nde nos produits. Mais c’était une nécessité. Et pour nous c’était déjà une préoccupation quotidienne. Nous avons toujours voulu savoir comment nos produits avaient été élevés, chas-sés, pêchés, cultivés, stockés. À cette période, j’avais commencé des démarches pour importer du bœuf américain, mais je n’ai pas réussi à obtenir, dans les grands circuits, un correspon-dant capable de nous assurer qu’il n’y avait pas d’hormones dans ce bœuf. J’avais pourtant un vrai plaisir à déguster une belle pièce de bœuf à chaque fois que j’allais aux États-Unis, alors qu’ici je n’en mangeais plus. Je savais que le bœuf y était piqué aux hormones, je connaissais le risque que j’encourais, mais je n’en suis pas mort.

Sève : Et si on se projette à dix ou vingt ans, ne redoutez-vous pas l’excès lié à la découverte de plus en plus de risques, et à la suppression de plus en plus de saveurs ?

Alain Ducasse : Je pense que l’être humain a touché une sorte d’extrême en donnant des os de bœuf desséchés à des poissons et des farines de poisson aux animaux à quatre pattes. Il était temps de re-mettre les pieds sur terre. On était allés au bout de l’expérimentation. À croiser les aliments, finalement, on se demande si les bœufs ne vont pas nager et les poissons, marcher. Aujourd’hui, lorsqu’on va à Times Square, en plein Manhat-tan, on voit des paysans vendant des légumes, des fromages bio… Alors, bien sûr, il n’est pas nécessaire d’avoir un lieu parfaitement « cra-dot » pour faire de bons fromages ; ce n’est pas parce qu’on a un vieux moulin avec de l’huile rance de l’année dernière qu’on fera de la

bonne huile, mais ce n’est pas non plus parce qu’on a un établissement aux normes CEE que le fromage de chèvre sera bon. La route se trouve au milieu, il n’y a pas de règles mais il faut un peu de normes. J’ai une auberge où des poules courent et sont nourries avec des pelures de légumes. Je ne peux pas servir les œufs dans mon auberge car je n’ai pas d’agrément CEE pour mes poules ! En revanche, je peux servir les œufs d’un élevage industriel pondus depuis trois semaines…

Sève : Comment réagissez-vous à des campagnes, comme celle diligentée par le ministère de la santé, où l’on recommande aux Français de consommer cinq fruits et légumes par jour pour prévenir les cancers ? L’État a-t-il voca-tion à orienter notre alimentation ?

Alain Ducasse : Je pense que c’est pour faire plaisir au monde paysan. C’est bien, il faut défendre leurs pro-ductions et si on peut utiliser l’argent public à sensibiliser le consommateur, tant mieux. Un jour c’est les fruits, le lendemain c’est le veau, le surlendemain ce sera le poisson.

Sève : Les pouvoirs publics lancent également une grande offensive contre l’obésité, avec une campagne de sensibilisation du public. C’est une bonne initiative ?

Alain Ducasse : C’est très bien, mais dans six mois on passera à autre chose. Appartenait-il à Philippe Douste-Blazy de faire une guerre contre Coca-Cola ? Je m’interroge. Mais cela va dans le bon sens.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 20

0.12

1.65

.4 -

15/

10/2

015

17h0

7. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 200.121.65.4 - 15/10/2015 17h07. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

Page 4: Alain Ducasse Artticulo Preguntas

sève — hiver 2004

95

e n t r e t i e nSève : La loi Évin a-t-elle été facile à faire ap-pliquer dans vos établissements ? Certains clients peuvent apprécier la tradition d’un bon cigare après un bon repas…

Alain Ducasse : J’ai salué ces dispositions. Il reste que la loi n’est pas respectée et je trouve cela grave, inquiétant, dans un État de droit. Je trouve insupportable que des gens fument dans certains lieux publics sachant qu’il y a une loi qui l’in-terdit. Ils peuvent aller fumer dehors.

Sève : Considérez-vous qu’il était légitime, de la part des députés, de relayer la demande des producteurs viticoles d’étendre le champ de la publicité pour le vin, dans le cadre de la discussion parlementaire autour du texte sur les territoires ruraux ?

Alain Ducasse : Dans les pays du Nord où les gens boivent beaucoup, il y a toujours quelqu’un qui ne boit pas autour de la table. C’est un raisonnement sain car il n’interdit pas aux autres de boire une bouteille entière s’ils le veulent. Moi, je ne conduis pas lorsque j’ai eu l’occasion de boire lors d’un dîner. Les comportements changent. Je ne l’aurais pas fait dix ans auparavant.

Sève : Si on enlève la toque du grand chef, êtes-vous sensible aux questions de santé ?

Alain Ducasse : Je note que depuis trente ans, on réduit le beurre, la crème, la farine, on fait de plus en

plus attention à la santé, on sert de plus en plus de légumes - ils tiennent maintenant une place d’honneur dans notre cuisine - alors que jadis, le légume était le parent pauvre de la cuisine française, on le réservait aux malades ou on le laissait sur le bord de l’assiette. Ce qui n’exclut pas que, de temps en temps, on ait envie de se « taper la cloche » en mangeant des nourritures de bistrot lyonnais. Mais il y a une tendance générale à se nourrir mieux.

Sève : Et pourtant, parallèlement à cette dy-namique, on produit grâce à la recherche de plus en plus des légumes sans terre, des endives, des carottes, des tomates magnifi-quement rouges…

Alain Ducasse : Oui, des tomates qui ne savent même plus dans leur mémoire génétique qu’elles ont un jour poussé dans la terre. Mais encore une fois, savoir si une fraise hors sol est préférable à une fraise maltraitée sous le soleil d’Andalousie n’est pas mon sujet. Mon sujet est de savoir si elle est meilleure et si elle correspond au goût que j’ai envie de proposer à mes clients.

Sève : Précisément, serez-vous attentif aux con-clusions de la grande étude nationale qui devrait être prochainement lancée pour mesurer l’effet des pesticides sur l’environ-nement et la santé ?

Alain Ducasse : Bien entendu. Les cours d’eau sont pollués, les poissons en meurent, les céréales sont touchées. Les pesticides sont un drame dans les campagnes,

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 20

0.12

1.65

.4 -

15/

10/2

015

17h0

7. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 200.121.65.4 - 15/10/2015 17h07. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

Page 5: Alain Ducasse Artticulo Preguntas

sève — hiver 2004

96

e n t r e t i e net je viens du monde paysan. Le monde agricole est à l’agonie, en mutation, et personne ne sait quelle direction il doit prendre : doit-il devenir un jardin de l’Europe, mettre en jachère ? Le monde agricole a été obligé de produire pour survivre, donc de traiter. Comment va-t-on prendre le virage ? Il va bien falloir faire marche arrière, accepter de payer plus cher un produit qui le mérite pour que le producteur puisse vivre de sa production raisonnée et raisonnable. Quand on pense qu’aujourd’hui, un litre de lait vaut moins cher qu’un litre d’eau minérale ! S’imagine-t-on ce qu’il y a en amont d’un litre de lait ? On ne mesure pas le travail du monde paysan.

Sève : Comment avez-vous vécu le débat sur l’assurance maladie ?

Alain Ducasse : Il va falloir que le consommateur accepte de mettre un peu la main à la poche car on ne peut pas toujours tout attendre de l’État. Je me sou-viens encore de la tentative de Jacques Barrot d’instaurer un tel mécanisme [le ticket modé-rateur d’ordre public, sous le gouvernement de Raymond Barre, Ndlr], et du recul qu’il a dû opérer presque immédiatement. Le rôle des politiques n’est pas facile.

Sève : La réforme de l’assurance maladie met en place le principe du médecin traitant. En avez-vous un ?

Alain Ducasse : C’est très bien le médecin traitant. Avant d’aller voir un spécialiste, je vais toujours voir un généraliste. En plus, je fais deux check-up

par an, c’est une obsession, c’est ma façon de faire, j’ai envie de savoir si je suis malade. Je pense qu’il vaudrait mieux surveiller en amont que soigner après.

Sève : Approuvez-vous le principe du dossier médical unique, craignez-vous pour la con-fidentialité des données personnelles qu’il contient ou faites-vous confiance ?

Alain Ducasse : C’est un très bon principe. Pourquoi s’en in-quiéter? Sincèrement, pensez-vous que nous ne sommes pas fichés ? En téléphonant, en prenant un ticket d’autoroute, on peut nous suivre à la trace. Moins, il est vrai, qu’aux États-Unis.

Sève : Que pensez-vous des nouveaux droits qui ont été reconnus aux patients depuis la loi Kouchner : l’accès au dossier médical, le droit d’être informé notamment ?

Alain Ducasse : Le danger immédiat c’est que le médecin ne prenne plus aucun risque car il y a toujours une contrepartie à la précaution. Pourtant, le droit de savoir est essentiel. J’ai été transfusé onze fois à la période du sang contaminé. Je suis allé voir mon médecin pour qu’il me prescrive une prise de sang. C’est lui qui m’a appris que, par chance, je n’avais rien. Je voulais absolument savoir.

Sève : Le prix Nobel de médecine vient d’être attribué à deux chercheurs américains, qui ont mis à jour les mécanismes de l’odorat et

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 20

0.12

1.65

.4 -

15/

10/2

015

17h0

7. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 200.121.65.4 - 15/10/2015 17h07. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

Page 6: Alain Ducasse Artticulo Preguntas

sève — hiver 2004

97

e n t r e t i e nde la mémoire des odeurs. On arriverait à en mémoriser environ dix mille au cours d’une vie, la biologie dévoile les secrets de la ma-deleine de Proust…

Alain Ducasse : À 12 ans, ma chambre était au-dessus de la cuisine de ma grand-mère. Je suis devenu cuisinier en souvenir des odeurs de cuisine du dimanche. Et je n’ai que des souvenirs d’odeurs, très peu de saveurs. Lorsque je mange un cèpe, avant, je l’ai senti.

Sève : Le mystère est percé, adieu la magie ?

Alain Ducasse : Il ne s’agit pas de magie, mais de connais-sance. C’est comme pour les vins, plus on en sait, mieux on se porte. Il faut partager la con-naissance.

Propos recueillis par Catherine Le Borgne et Didier Tabuteau, le 7 octobre 2004

On pourra se reporter au Grand Livre de cuisine d’Alain Ducasse, 500 recettes,

1 055 pages, Éditions ADF, 2002, 215 euros.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

-

- 20

0.12

1.65

.4 -

15/

10/2

015

17h0

7. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - - - 200.121.65.4 - 15/10/2015 17h07. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)