Alain_Badiou_[=]_Articles_sur_le_cinéma

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  • 5/21/2018 Alain_Badiou_[=]_Articles_sur_le_cin ma

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    Alain Badiou

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    LE CINMA COMME FAUX MOUVEMENT ..........................................2

    PEUT-ON PARLER DUN FILM? .............................................................. 8

    NOTES SUR LE DERNIER DES HOMMES........................................13

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    Est-il possible dengager une pense du cinma partir de la notion

    dimage? Dimage en mouvement? De ce que Gilles Deleuze nomme

    prcisment limage-mouvement?

    Tout le point est me semble-t-il de tenir que le rel du cinma, ce sont

    des films, ce sont les oprations convoques dans quelques films. Tout comme il

    ny a de posie qu autant que dabord il y a des pomes, de mme il ny a le

    cinma quautant quil y a des films. Et un film nest pas la ralisation descatgories, mme matrielles, qui y sont supposes. Catgories comme image,

    mouvement, cadre, hors-champ, texture, couleur, texte, et ainsi de suite. Un film

    est une singularit opratoire, elle-mme saisie dans le processus massif dune

    configuration dart. Un film est un point-sujet pour une configuration.

    Ce sujet, comme tout sujet, doit dabord se penser comme opration

    soustractive. Un film opre par ce quil retire, limage y est dabord coupe. Le

    mouvement y est entrav, suspendu, retourn, arrt. Plus essentielle que la

    prsence est la dcoupe, non seulement par leffet du montage, mais dj et

    demble par celle du cadrage, et de lpuration domine du visible. Il importe

    absolument au cinma que ces fleurs montres, comme dans telle squence de

    Visconti, soient des fleurs mallarmennes, quelles soient les absentes de tout

    bouquet. Je les ai vues, ces fleurs, mais le mode propre selon lequel elles sont

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    captives dune dcoupe fait quil y a, indivisiblement, leur singularit et leur

    idalit.

    Toute la diffrence avec la peinture tant que ce nest pas de les voir qui

    fonde en pense lIde, mais de les avoir vues. Le cinma est un art du pass

    perptuel, au sens o le pass est institu de la passe. Le cinma est Visitation: de

    ce que jaurais vu ou entendu, lide demeure en tant quelle passe. Organiser

    leffleurement interne au visible du passage de lIde, voil lopration du

    cinma, dont les oprations propres dun artiste inventent la possibilit.

    Ainsi le mouvement, au cinma, doit-il tre pens de trois faons

    diffrentes. Dune part, il rapporte lide lternit paradoxale dun passage,dune Visitation. Il y a une rue, dans Paris, qui sappelle le passage de la

    Visitation, elle pourrait sappeler la rue du cinma. Il sagit l du cinma comme

    mouvement global. Dautre part, le mouvement, par des oprations complexes,

    est ce qui soustrait limage elle-mme, ce qui fait quelle est imprsente,

    quoiquinscrite. Car cest dans le mouvement que sincarnent les effets de coupe.

    Mme et surtout, comme on le voit chez Straub, quand cest larrt apparent du

    mouvement local qui fait voir lvidement du visible. Ou, comme chez Murnau,

    quand cest lavance dun tramway qui organise la topologie segmentaire dun

    faubourg ombrag. Disons que nous avons l les actes du mouvement local. Et

    enfin, le mouvement est circulation impure dans le total des autres activits

    artistiques, il loge lIde dans lallusion contrastante, elle-mme soustractive,

    des arts arrachs leur destination.

    Il est en effet impossible de penser le cinma en dehors dune sortedespace gnral o apprhender sa connexion aux autres arts. Il est le septime

    art en un sens tout particulier. Il ne sajoute pas aux sept autres sur le mme plan

    queux, il les implique, il est le plus-un des six autres. Il opre sur eux, partir

    deux, par un mouvement qui les soustrait eux-mmes.

    Demandons-nous par exemple ce que Faux mouvementde Wim Wenders

    doit au Wilhem Meister de Gthe. Il sagit l de cinma et roman. Il faut bien

    admettre que le film nexisterait pas, ou plutt naurait pas exist, sans le roman.Mais quel est le sens de cette condition? Ou plus prcisment: quelles

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    conditions propres au cinma cette condition romanesque dun film est-elle

    possible? Question tortueuse, difficile. On voit bien que deux oprateurs sont

    convoqus: quil y ait rcit, ou ombre de rcit ; quil y ait personnages, ou

    allusions de personnages. Quelque chose dans le film opre filmiquement en

    cho, par exemple, du personnage de Mignon. Cependant, la libert de la prose

    romanesque est de ne pas donner voir les corps, dont linfinit visible chappe

    la plus fine description. Ici, le corps est donn par lactrice, mais actrice est un

    mot du thtre, un mot de la reprsentation. Et voici que dj le film arrache le

    romanesque lui-mme par un prlvement thtral. Or on voit bien que lIde

    filmique de Mignon est prcisment loge, pour une part, dans cet arrachement.Elle est mise entre thtre et roman, mais aussi bien dans un ni lun ni lautre,

    dont tout lart de Wenders est de tenir le passage.

    Si maintenant je demande ce queMort Venisede Visconti doit Mort

    Venise de Thomas Mann, me voici aussitt dport dans la direction de la

    musique. Car la temporalit du passage est dicte, songeons la squence

    douverture, beaucoup moins par le rythme prosodique de Thomas Mann que par

    ladagio de la cinquime symphonie de Mahler. Supposons que lIde soit ici la

    liaison entre la mlancolie amoureuse, le gnie du lieu et la mort. Visconti monte

    la Visitation de cette ide dans la brche quune musique ouvre dans le visible,

    au dfaut de la prose, puisque l, rien ne sera dit, rien ne sera textuel. Le

    mouvement soustrait le romanesque la langue, et le retient dans une lisire

    mouvante entre musique et lieu. Mais leur tour, musique et lieu changent leurs

    valeurs propres, en sorte que la musique est annule par des allusions picturales,cependant que toute stabilit picturale est dissoute dans la musique. Ces

    transferts et dissolutions sont cela mme qui, la fin, aura fait tout le rel du

    passage de lIde.

    On pourrait appeler potique du cinma le nouage des trois acceptions

    du mot mouvement dont tout leffet est que lIde visite le sensible. Jinsiste

    sur le fait quelle ne sy incarne pas. Le cinma dment la thse classique, selon

    laquelle lart est la forme sensible de lIde. Car la visitation du sensible parlIde ne lui donne aucun corps. Lide nest pas sparable, elle nexiste au

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    cinma que dans son passge. Lide estvisitation.

    Donnons un exemple. Que se passe-t-il dans Faux mouvementquand le

    gros personnage lit enfin son pome? Si lon se rfre au mouvement global, on

    dira que cette lecture est comme une dcoupe sur les courses anarchiques,

    lerrance de tout le groupe. Le pome est install comme ide du pome par un

    effet de marge, dinterruption. Ainsi passe lide que tout pome est une

    interruption de la langue, conue comme simple outil de communication. Le

    pome est une mise en arrt de la langue sur elle-mme. Sauf que bien entendu

    que la langue nest ici, filmiquement, que la course, la poursuite, une sorte

    dessoufflement hagard. Si on se rfre au mouvement local, on dira que lavisibilit du lecteur, son propre effarement, le montre en proie lannulaton de

    soi dans le texte, dans lanonymat quil devient. Pome et pote se supriment

    rciproquement. Le rsidu est une sorte dtonnement dexister, tonnement

    dexister qui est peut-tre le vrai sujet de ce film. Si enfin on considre le

    mouvement impur des arts, on voit quen ralit, le potique dans le film est

    arrachement soi du potique suppos au pome. Car ce qui compte est

    justement quun acteur, lui-mme impurification du romanesque, lise un pome,

    qui nest pas un pome, pour que soit mont le passage dune toute autre ide ;

    savoir que ce personnage ne pourra pas, ne pourra jamais, en dpit de son dsir

    perdu, sarrimer aux autres, constituer partir deux une stabilit de son tre.

    Ltonnement dexister, comme souvent chez le premier Wenders, avant les

    anges, si je puis dire, est llment solipsiste, celui qui, ft-ce de trs loin, nonce

    quun allemand ne peut en toute tranquillit saccorder et se lier dautresallemands, faute que soit aujourdhui prononable, en toute clart politique, ltre

    allemand comme tel. La potique du film est ainsi, dans le nouage des trois

    mouvements, le passage dune ide qui nest pas simple. Au cinma, comme

    chez Platon, les vritables ides sont des mixtes, et toute tentative dunivocit

    dfait le potique. Dans notre exemple, cette lecture du pome fait apparatre, ou

    passer, lide dun lien dides: il y a un lieu, proprement allemand, entre ce

    quest le pome, ltonnement dexister, et lincertitude nationale. Cest cetteide qui visite la squence. Et pour que sa complexit, sa mixit, soit ce qui nous

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    aura convoqus penser, il faut le nouage des trois mouvements: le mouvement

    global, par quoi lide nest jamais que son passage, le mouvement local, par

    quoi elle est aussi autre que ce quelle est, autre que son image, et le mouvement

    impur, par quoi elle se loge dans des frontires mouvantes entre suppositions

    artistiques dsertes.

    Et de mme que la posie est arrt sur la langue par leffet dun artifice

    cod de son maniement, de mme les mouvements que noue la potique du

    cinma sont bien des faux mouvements.

    Le mouvement global est faux, de ce que nulle mesure ne lui convient.

    La substructure technique rgle un dfilement discret et uniforme, dont tout lartest de ne tenir aucun compte. Les units de dcoupe, comme les plans ou les

    squences, sont finalement composs, non dans la mesure dun temps, mas dans

    un principe de voisinage, de rappel, dinsistance ou de rupture, dont la pense

    vritable est une topologie bien plutt quun mouvement. Cest comme filtr par

    cet espace de composition, prsent ds le tournage, que simpose le faux

    mouvement par quoi lIde nest donne que comme passage. Disons quil y a

    Ide parce quil y a un espace de composition, et quil y a passage parce que cet

    espace se dlivre, ou sexpose, comme temps global. Ainsi, dans Faux

    mouvement, la squence des trains qui se frlent et sloignent est une

    mtonymie de tout lespace de composition. Son mouvement est pure exposition

    dun site o proximit subjective et loignement sont indiscernables, ce qui est en

    fait lIde de lamour chez Wenders. Le mouvement global nest que ltirement

    pseudo-narratif de ce site.Le mouvement local est faux, car il nest que leffet dune soustraction

    de limage, ou aussi bien du dire, lui-mme. Il ny a pas non plus ici de

    mouvement originel, de mouvement en soi. Ce quil y a, cest une visibilit

    contrainte, qui ntant pas reproduction de quoi que ce soit - disons en passant

    que le cinma est le moins mimtique des arts -, cre un effet temporel de

    parcours, pour que ce visible mme soit attest en quelque sorte hors-image,

    attest par la pense. Je pense par exemple la squence de La soif du mal, deWelles, o le gros policier crpusculaire rend visite Marlne Dietrich. Le temps

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    local nest ici induit que parce que cest bien Marlne Dietrich que Welles rend

    visite, et que lide na nulle concidence avec limage, qui devrait tre celle dun

    policier chez une putain vieillissante. En sorte que la lenteur presque

    crmonieuse de lentretien rsulte de ce que cette image apparente doit tre

    parcourue par la pense de telle sorte que, par une inversion des valeurs fictives,

    ce soit de Marlne Dietrich et dOrson Welles quil soit ici question, non dun

    policier et dune putain. Par quoi limage est arrache elle-mme pour tre

    restitue au rel du cinma. Ici du reste, le mouvement local soriente vers le

    mouvement impur, car lide, qui est celle dune gnration finissante dartistes,

    sinstalle la lisire du cinma comme film et du cinma comme configuration,ou comme art, la lisire du cinma et de lui-mme, ou encore du cinma

    comme effectivit et du cinma comme chose du pass.

    Et enfin le mouvement impur est le plus faux de tous, car il nexiste en

    ralit aucun moyen de faire mouvement dun art un autre. Les arts sont ferms.

    Nulle peinture ne se changera jamais en musique, nulle danse en pome. Toutes

    les tentatives directes dans ce sens sont vaines. Et pourtant le cinma est bien

    lorganisation de ces mouvements impossibles. Cependant, ce nest encore

    quune soustraction.La citation allusive des autres arts, constitutive du cinma,

    les arrache eux-mmes, et ce qui reste est justement la lisire brche o aura

    pass lide, telle que le cinma, et lui seul, en autorise la visitation.

    Ainsi le cinma, tel quaux films il existe, fait nud de trois faux

    mouvements. Cette triplicit est ce par quoi il dlivre comme pur passage la

    mixit, limpuret idale, qui nous saisit.Le cinma est un art impur. Il est bien le plus-un des arts, parasitaire et

    inconsistant. Mais sa force dart contemporain est justement de faire ide, le

    temps dune passe, de limpuret de toute ide.

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    Il y a une premire manire de parler dun film, qui est de dire "a ma

    plu", ou "a ma pas enthousiasm". Ce propos est indistinct, car la rgle du

    "plaire" laisse sa norme cache. Au regard de quelle attente tombe le jugement?

    Un roman policier peut aussi plaire ou ne pas plaire, tre bon ou mauvais. Ces

    distinctions ne font pas du roman policier en question un chef-doeuvre de lart

    littraire. Elles dsignent plutt la qualit, la couleur, du bref temps pass en sa

    compagnie. Aprs quoi vient une indiffrente perte de la mmoire. Appelons ce

    premier temps de la parole: le jugement indistinct. Il regarde lindispensablechange des opinions, lequel porte souvent, ds la considration du temps quil

    fait, sur ce que la vie promet ou soustrait de moments agrables et prcaires.

    Il y a une deuxime manire de parler dun film, qui est prcisment de

    le dfendre contre le jugement indistinct. De montrer, ce qui suppose dj

    quelques arguments, que ce film nest pas seulement situable dans la bance

    entre plaisir et oubli. Ce nest pas seulement quil soit bien, bien dans son genre,

    mais qu son propos quelque Ide se laisse prvoir, ou fixer. Un des signes

    superficiels de ce changement de registre esr que lauteur du film est mentionn,

    mentionn comme auteur. Alors que le jugement indistinct mentionne

    prioritairement les acteurs, ou les effets, ou une scne frappante, ou lhistoire

    raconte. Cette deuxime espce du jugement cherche dsigner une singularit

    dont lauteur est lemblme. Cette singularit est ce qui rsiste au jugement

    indistinct. Elle tente de sparer ce qui est dit du film du mouvement gnral de

    lopinion. Cette sparation est aussi celle qui isole un spectateur, qui a peru et

    nomme la singularit, de la masse dun public. Appelons ce jugement le

    jugement diacritique. Il argumente pour la considration du film comme style. Le

    style est ce qui est oppos lindistinct. Liant le style lauteur, le jugement

    diacritique propose quon sauve quelque chose du cinma, quil ne soit pas vou

    loubli des plaisirs. Que du cinma quelques noms, quelques figures soient

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    remarques dans le temps.

    Le jugement diacritique nest en ralit que la ngation fragile du

    jugement indistinct. Lexprience montre quil sauve moins les films que les

    noms propres dauteurs, moins lart du cinma que quelques lments disperss

    des stylistiques. Je serais assez tent de dire que le jugement diacritique est aux

    auteurs ce que le jugement indistinct est aux acteurs: lindex dune remmoration

    provisoire. Au bout du compte, le jugement diacritique dfinit une forme

    sophistique, ou diffrentielle, de lopinion. Il dsigne, il constitue, le cinma "de

    qualit". Mais lhistoire du cinma de qualit ne dessine la longue aucune

    configuration artistique. Elle dessine bien plutt lhistoire, toujours surprenante,de la critique de cinma. Car cest, toutes les poques, la critique qui fournit ses

    repres au jugement diacritique. La critique nomme la qualit. Mais ce faisant,

    elle est encore elle-mme beaucoup trop indistincte. Lart est infiniment plus rare

    que la meilleure critique ne peut le supposer. On le savait dj en lisant

    aujourdhui les critiques littraires lointains, mettons Sainte-Beuve. La vision que

    leur sens indniable de la qualit, leur vigueur diacritique, donne de leur sicle,

    est artistiquement absurde.

    En ralit, un oubli second enveloppe les effets du jugement diacritique,

    dans une dure certes diffrente de loubli que provoque le jugement indistinct,

    mais finalement aussi premptoire. Cimetire dauteurs, la qualit dsigne moins

    lart dune poque que son idologie artistique. Idologie dans quoi, toujours,

    lart vritable est une troue.

    Il faut donc imaginer une troisime manire de parler dun film, niindistincte, ni diacritique.

    Je lui vois deux traits extrieurs.

    Tout dabord, le jugement lindiffre. Car toute position dfensive est

    abandonne. Que le film soit bien, quil ait plu, quil ne soit pas commensurable

    aux objets du jugement indistinct, quil faille le distinguer: tout cela est

    silencieusement suppos dans le simple fait quon en parle, et nest nullement le

    but atteindre. Nest-ce pas la rgle quon applique aux uvres artistiquestablies du pass? Savise-t-on de trouver significatif que lOrestiedEschyle ou

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    la Comdie Humaine de Balzac vous aient "bien plu"? Quelles soient

    "franchement pas mal"? Le jugement indistinct est alors ridicule. Mais tout autant

    le jugement diacritique. Il nest pas non plus requis de schiner prouver que le

    style de Mallarm est suprieur celui de Sully-Prudhomme, lequel, entre

    parenthses, passait en son temps pour de la plus excellente qualit. On parlera

    donc du film dans lengagement inconditionn dune conviction dart, non afin

    de ltablir, mais afin den tirer les consquences. Disons que lon passe du

    jugement normatif, indistinct ("cest bien") ou diacritique ("cest suprieur"),

    une attitude axiomatique, qui demande quelles sont pour la pense les effets de

    tel ou tel film.Parlons donc de jugement axiomatique.

    La deuxime caractristique du jugement sur un film est quaucun

    lment du film ne peut y tre convoqu sans que soit tabli sa liaison au passage

    dune Ide impure.

    Dans ma prcdente confrence ici-mme, jai dit, de lart du cinma,

    deux choses:

    - Quil traitait lide dans la guise dune visitation, dun passage.

    - Quil se rfrait tous les autres arts, quil en tait le plus-un. Et que

    donc son traitement de lide en capturait singulirement limpuret.

    Parler dun film examine les consquences du mode propre sur lequel

    une ide est ainsi traite par ce film. Les considrations formelles, de coupe, de

    plan, de mouvement global ou local, de couleur, dactants corporels, de son, etc...

    ne doivent tre cits quautant quils contribuent la "touche" de lide et lacapture de son impuret native.

    Un exemple: la succession des plans qui, dans le Nosferatude Murnau

    marquent lapproche du site du prince des morts. Surexposition des prairies,

    chevaux effars, coupes orageuses, tout cela dplie lide dun toucher de

    limminence, dune visitation anticipe du jour par la nuit, dun no mans land

    entre la vie et la mort. Mais aussi bien, il y a une mixit impure de cette

    visitation, quelque chose de trop manifestement potique, un suspens qui dportela vision vers lattente et linquitude, au lieu de nous la donner voir dans son

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    contour tabli. Notre pense nest pas ici contemplative, elle est elle-mme

    emporte, elle voyage en compagnie de lide plutt quelle ne sen empare. La

    consquence que nous en tirons est que justement la pense est possible dune

    pense-pome qui traverse lide, qui est moins une dcoupe quune

    apprhension par la perte.

    Parler dun film sera souvent montrer comment il nous convoque telle

    ide dans la force de sa perte; au rebours de la peinture, par exemple, qui est par

    excellence lart de lide minutieusement et intgralement donne.

    Ce contraste mengage dans ce que je tiens pour la difficult principale

    quil y a parler axiomatiquement dun film. Cest den parler en tant que film.Car quand le film organise rellement la visitation dune ide et cest ce que

    nous supposons puisque nous en parlons , il est toujours dans un rapport

    soustractif, ou dfectif, un ou plusieurs autres arts. Tenir le mouvement de la

    dfection, et non la plnitude de son support, est le plus dlicat. Surtout que la

    voie formaliste, qui ramne de prtendues oprations filmiques "pures", est une

    impasse. Rien nest pur, au cinma, cest intrieurement, et intgralement, quil

    est contamin par sa situation de plus-un des arts.

    Soit par exemple la longue traverse des canaux de Venise au dbut de

    Mort Venisede Visconti. Lide qui passe et que tout le reste du film la

    fois sature et rsilie est celle dun homme qui a fait ce quil avait faire dans

    lexistence, et qui donc est au suspens, soit dune fin, soit dune autre vie. Or

    cette ide sorganise par la convergence disparate de quantit dingrdients: il y a

    le visage de lacteur Dirk Bogarde, la qualit particulire dopacit et de questionque ce visage charrie, et qui relve bien, quon le veuille ou non, de lart de

    lacteur; il y a les innombrables chos artistiques du style vnitien, tous en fait

    rattachs au thme de ce qui est achev, sold, retir de lHistoire, thmes

    picturaux dj prsents dans Guardi ou Canaletto, thmes littraires, de Rousseau

    Proust; il y a, pour nous, dans ce type de voyageur des grands palaces

    europens, lcho de lincertitude subtile que trament, par exemple, les hros de

    Henry James; il y a la musique de Mahler, qui est aussi bien lachvementdistendu, exaspr, dune totale mlancolie, de la symphonie tonale et de son

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    appareillage de timbres (ici, les cordes seules). Et lon peut bien montrer

    comment ces ingrdients la fois samplifient et se corrodent les uns les autres,

    dans une sorte de dcompositionpar excs, qui justement donne lide, et comme

    passage, et comme impuret. Mais quest-ce qui est ici proprement le film?

    Aprs tout, le cinma nest que prise, et montage. Il ny a rien dautre. Je

    veux dire: rien dautre qui soit "le film". Il faut donc bien soutenir quenvisag

    selon le jugement axiomatique, un film est ce qui expose le passage de lide

    selon la prise et le montage. Comment lide vient-elle sa prise, voire sa sur-

    prise? Et comment est-elle monte? Mais surtout: quest-ce que le fait dtre

    prise et monte dans le plus-un htroclite des arts nous rvle de singulier, etque nous ne pouvions antrieurement savoir, ou penser, sur cette ide?

    Dans lexemple du film de Visconti, il est clair que prise et montage

    conspirent tablir une dure. Dure excessive, homogne la perptuation vide

    de Venise, comme la stagnation de ladagio de Mahler, comme aussi la

    performance dun acteur immobile, inactif, dont on ne requiert,

    interminablement, que le visage. Et par consquent, ce qui de lide dun homme

    au suspens de son tre, ou de son dsir, est ici captur, cest en fait quun tel

    homme est par lui-mme immobile. Les ressources anciennes sont taries, les

    nouvelles possibilits sont absentes. La dure filmique, compose dans

    lassortiment de plusieurs arts livrs leur dfaut, est la visitation dune

    immobilit subjective. Voici ce quest un homme dsormais livr au caprice

    dune rencontre. Un homme, comme dirait Samuel Beckett, "immobile dans le

    noir", jusqu ce que lui vienne le dlice incalculable de son bourreau, cest--dire de son nouveau dsir, sil vient.

    Or que de cette ide ce soit le versant immobile qui soit livr est

    proprement ce qui ici fait passage. On pourrait montrer que les autres arts, soit

    livrent lide comme donation au comble de ces arts la peinture ; soit

    inventent un temps pur de lide, explorent les configurations de la mouvance du

    pensable au comble de ces arts, la musique. Le cinma, par la possibilit qui

    lui est propre, en saisie et montage, damalgamer les autres arts sans lesprsenter, peut, et doit, organiser le passage de limmobile.

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    Mais aussi bien limmobilit du passage, comme on le montrerait

    aisment dans le rapport que certains plans de Straub entretiennent avec le texte

    littraire, sa scansion, sa progression. Ou aussi bien avec ce que le dbut de

    Playtime, de Tati, institue de dialectique entre le mouvement dune foule et la

    vacuit de ce quon pourrait appeler sa composition atomique. Par quoi Tati traite

    de lespace comme condition pour un passage immobile. Parler axiomatiquement

    dun film sera toujours dcevant, car toujours expos nen faire quun rival

    chaotique des arts primordiaux. Mais nous pouvons tenir ce fil: montrer comment

    ce film nous fait voyager avec cette ide, de telle sorte que nous dcouvrons ce

    que rien dautre ne pouvait nous faire dcouvrir: que, comme le pensait djPlaton, limpur de lide est toujours quune immobilit passe, ou quun passage

    est immobile. Et que cest pour cela que nous oublions les Ides.

    Contre loubli, Platon convoque le mythe dune vision premire et dune

    rminiscence. Parler dun film est toujours parler dune rminiscence: de quelle

    sur-venue, de quelle rminiscence, telle ou telle ide est-elle capable, capable

    pour nous? Cest de ce point que traite tout vrai film, ide par ide. Des liens de

    limpur, du mouvement et du repos, de loubli et de la rminiscence. Non point

    tant ce que nous savons que ce que nous pouvons savoir. Parler dun film est

    parler moins des ressources de la pense, que de ses possibles, une fois assures,

    dans la guise des autres arts, ses ressources. Indiquer ce quil pourrait y avoir,

    outre ce quil y a. Ou encore: comment limpurification du pur ouvre la voie

    dautres purets.

    &*/#J J,Q X"# R#Q&%#Q R#J Y*((#JZ#

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    Rien ne signale mieux le gnie de Murnau que lusage quil fait des

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    codes de lpoque. Car sa souveraine matrise ne va pas les fracturer, selon

    quelque disposition arrogante du dsir exprimental. Bien plutt il les apprivoise,

    et par lusage indirect, la fois ferme et surprenant, quil en propose, il les plie

    au service dune potique cohrente, o ces codes sont moins dtourns que

    relevs.

    Murnau donne toujours limpression dinventer tel ou tel artifice, dont

    nous savons pertinemment quil est courant dans le cinma des annes vingt. En

    sorte que, comme Eschyle ou Sophocle, il y a dans son art un classicisme

    suprieur, quelque chose dauroral, qui transforme le dj-vu en jamais-vu.

    Considrons trois de ces codes dpoque: la prise en compte du caractrede classe de la socit, les virtuosits techniques du muet, le jeu expressionniste

    des acteurs.

    Singulirement dans le cinma allemand et russe de ces annes, la

    question des classes investit limpuret cinmatographique, qui est sur ce point

    lcole du roman et du thtre. Elle le fait selon deux orientations majeures: un

    cinma populiste et misrabiliste, un cinma didactique ou rvolutionnaire.

    Murnau peut sembler, dans Le dernier des hommes, participer en tout cas de la

    premire tendance. Le film, rduit son anecdote, est un mlodrame social. Mais

    quand on le voit, on se rend compte que ce que Murnau retient du dispositif

    classiste est la forme pure du Deux. Ce qui pourrait ntre que lhistoire sinistre

    dune dchance est lexploration filmique des ressources de la dualit. Il y a

    deux espaces, lhtel Atlantic et le quartier populaire o vit le personnage

    principal. Et une bonne partie du film est consacre lentre-deux. Cest leleitmotiv, constamment vari, du trajet qui mne le hros de lun lautre des

    deux espaces. En outre, le Deux se rduplique sans cesse, comme si tout le

    visible lavait pour loi. Cest ainsi que lhtel Atlantic est lui-mme divis en

    deux strates, celle des clients et de la direction, celle des employs, dont les lieux

    ne concident que pour des pripties o ne sopre nulle rencontre vritable.

    Mais son tour, la strate des employs se divise: entre le statut de portier, que le

    hros vit glorieusement, et le statut de gardien des toilettes, il y a un abmematriel, que nous prsente le terrible escalier qui descend vers ces toilettes

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    comme vers lenfer. Enfin, cette rcurrence du Deux est capte par ce qui en est

    le vritable signe filmique: les deux costumes, celui de portier, avec ses faux

    galons qui font que le hros larbore comme sil tait colonel, et la veste blanche

    de lhomme des toilettes. Comme pour le trajet de lhtel au quartier, le motif des

    deux costumes est le support de subtiles variations.

    Cest que lart de Murnau, dans ce film comme dans les autres, est trs

    souvent dextraire des diffrences spatiales ou sociales la pure opposition de

    deux emblmes matriels. Ainsi le Deux est finalement concentr dans le

    changement de costume, qui mtamorphose en signes la sociologie apparente des

    lieux et des fonctions. Par quoi Murnau parvient simultanment retenirlexactitude descriptive (on ne quitte pas linfinie matrialit des classes

    sociales), et installer le film dans une polarisation gnrale, esthtiquement

    transcendante son matriau classiste, qui autorise un traitement formel, et

    finalement idel, de lespace, des signes, et de ce qui schange entre eux.

    Si maintenant on considre les artifices techniques issus du cinma

    "davant-garde", surimpressions, dformations etc, on sait quils conduisent

    gnralement un cinma hystris par la volont visible de leffet. Or, la

    singularit de Murnau est quaucun de ces artifices nest absent du film, alors

    quun caractre majeur de son art est une totale dshystrisation. Murnau en effet

    (et Tabou est laboutissement de ce dsir) a pour mythe personnel un univers

    absolument dtendu, o se donne voir le calme essentiel, presque intemporel,

    du visible en son entier. Dans le film qui nous occupe, nombre de plans

    secondaires sur la ville, ses rues, ses passants, nont pas dautre objet que decontrarier la tension de lanecdote par une vision dtache, ternelle, sans souci

    de ce qui advient, du monde qui nous entoure. Il en rsulte que lusage des

    surimpressions ou des dformations est exclusivement destin inscrire les

    diffrents modes de lexcs: livresse, ou le rve. Ces formes ne sont pas

    larrogante proposition dun style. Elles drivent naturellement de ce que le

    personnage, cessant de se mouvoir dans le calme du monde, invente un autre

    rgime de la visibilit. La surimposition est dabord dans ltre mme, tel qu telou tel moment singulier il se donne pour le personnage. De l aussi que ces

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    artifices sont presque comme des citations: on les convoque comme ce qui est

    disponible pour un basculement vident dans un autre univers. Cest ainsi que la

    grande scne o le hros jongle avec la malle est non seulement traite par les

    moyens de la virtuosit technique, mais quelle cite, lvidence, les rgles du

    spectacle de cirque.

    Le jeu de lpoque, faute dtre soutenu par les paroles, est volontiers

    expressionniste, avec une suraccentuation gestuelle ou mimtique qui thtralise

    lacteur. Jannings peut sembler appartenir cette tendance, comme aussi les gros

    plans des commres du quartier. Mais en ralit, lusage que fait Murnau de ce

    jeu trs analytique, usage contrl et personnel, sinscrit dans une viseambitieuse, qui touche la question du proche et du lointain.

    Il faut bien voir que, dans le rapport mtaphysique au visible comme

    donation calme et intemporelle qui est celui de Murnau, la potique se donne

    dabord dans le lointain. Citons, dans le film, les parapluies derrire la porte, la

    circulation dans la ville, le jeu des fentres et des ombres Lhomme nest pour

    Murnau quun signe, dans un dploiement dunivers qui seul est vritablement

    rel. Le plan de Jannings sur son banc, dans les toilettes, montre exemplairement

    ce dont il sagit: le lieu, le mur, la lumire, font de lacteur, comme incorpor au

    visible, le signe pur de la dsolation, si pur que cette dsolation elle-mme

    participe en dfinitive de la beaut de tout ce qui est. Dans ces conditions, le gros

    plan et le jeu expressionniste quil agrandit nest jamais quune procdure

    disolement du signe, quand il faut indiquer quentre ce signe et le sens de

    lunivers, il y a une provisoire disjonction. La figure majeure est alors celle de lastupfaction: la fois incorpor et inaccord, le signe humain se spare

    visiblement de son destin dunivers, en sorte quil est intrieurement saisi par

    lirrel, dont le jeu en gros plan nous donne la texture.

    La libert de Murnau est tout aussi grande au regard de la question des

    genres. Le dernier des hommes est-il une comdie, ou un mlodrame? Dans la

    dtente universelle qui fait le fond de ltre, on passe de lun lautre au mme

    point. Cest ainsi que les trajets du portier, selon le mme rite et le mme rythme,peuvent dsigner la surabondance de la joie ou linfini de la dtresse. Les scnes

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    du quartier populaire, qui ressemblent du Tati, par le remplissement lent et

    multiforme de lespace, tiennent une lisire quivoque entre le comique matinal

    et la tragdie perscutoire. Toutes les scnes autour des valises et malles (objets-

    signes fondamentaux, comme le sont les deux costumes) peuvent tre enchantes

    ou accablantes. Cest que lunivers accepte univoquement quun objet, un lieu,

    un trajet, soient porteurs de significations opposes: son tre propre est encore en

    de de ces oppositions. Disons que la passion de Murnau est de filmer la malle,

    ou les costumes, ou le quartier, tels que finalement ils se donnent "rellement", et

    donc en dessous (ou au del) des variations de sens ou de genre quils supportent.

    Cest ainsi quil faut expliquer lnigme apparente du film: la grandecsure qui le traverse vers sa fin, et qui fait venir, juste aprs une image dexil

    absolu et de mort subjective, une squence quon dirait tire des scnes les plus

    drles de Chaplin, et singulirement de Les lumires de la ville. Cette csure

    nous dit que la fiction, et ses genres disparates, ne sont que des appareils capter

    une vrit de lunivers, vrit qui est distribuable au mme point (ici, pour le

    mme personnage) selon des genres opposs.La vrit na pas de genre. Elle est

    neutre, parce quelle est comme une lumire de lunivers lui-mme, et que ce qui

    importe Murnau est de faire venir cette lumire dans ses films, mettant au

    service de cette venue le disparate superficiel des images, des techniques et des

    genres.

    Murnau peut donc agencer librement des matriaux dpoque, partir

    dune thse que le cinma seul peut tenir: lunivers est incessamment relev par

    une grce dexister qui enveloppe la terreur quil gnre. Pourquoi le cinma?Parce que cet enveloppement est celui de la mobilit par la lumire. Nosferatu,

    ici, nous guide: la terreur y est proprement subvertie, de lintrieur de sa propre

    croissance, par une aura lumineuse qui commence ds les plans crpusculaires

    des prairies et des chevaux sauvages, et sachve dans ce matin solaire o mort et

    amour concident.

    Le cinma de Murnau est celui du temps de la lumire. Cest bien ce que

    rcapitule, dans le film, le grand plan gnral du quartier, qui nest que saisie surles murs, les toits et les fentres, du passage de ltre-lumire. Mais tout aussi

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    bien, du ct de lhtel Atlantic, le jeu entre les portes, qui sont la fois

    transparence et fermeture, et le dehors, toujours enchant. Le portier, quant lui,

    est le passeur, le signe qui circule entre la transparence et le dehors.

    Cette capture du mouvement et de ce qui est clos par lindiffrence calme

    de ce qui est ouvert, Murnau en aura donn sans doute la plus splendide

    transcription dans la squence de L'aurore, une fois encore dtache de toute

    anecdote, o il ny a que le tramway qui descend vers la ville, et o cest le

    mouvement lui-mme, et les lentes girations de ce quil permet de voir, qui sont

    emports vers limmobile, vers lternel.

    Pour Murnau, lopposition du noir et du blanc, qui dispose le visible dansson disparate, nest pas construction filmique dune matire. Elle est ce par quoi

    toute chose nest donne quautant quelle est la visible venue de son

    immatrialit.

    Der letzte Mann (Le dernier des hommes). Ral.: Friedrich-Wilhelm

    Murnau, 1924. Prod.: Ufa. Scn.: Carl Mayer. Photo: Karl Freund.Dc.: Robert

    Herlth, Walter Rhrig.Int.: Emil Jannings (le portier), Maly Delschaft (sa fille),

    Max Hiller (le fianc), Emilie Kurz (la tante), Hans Unterkirchen (le directeur),

    Georg John (le veilleur de nuit). NB. Muet. 105 mn.