Alastu Franc

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  • 8/13/2019 Alastu Franc

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    Ne suis-Je pas votre Seigneur ? Le symbolisme mtaphysique de la Prire rituelle

    selon la doctrine akbarienne*

    Sache que lexistence est divise entreadorateur (bid) et ador (mabd).Ladorateur est tout ce qui est autre queDieu, cest--dire le cosmos1 qui on adonn le nom de serviteur. Lador estce que lon nomme Dieu .

    (Ibn Arab,Futht, III, 78)

    1. Le Trsor cach

    Le Principe est en Soi absolument inconditionn, au-del de toute dtermination

    (taayyun) et relation (nisba), puisque Son Essence est indiffrencie, prive de

    multiplicit et de dualit (ahadiyyat al-dht), toute dtermination tant en fait

    logiquement prcde par un tat de non-dtermination (al-l taayyun)2. En

    vrit, Allh est indpendant des mondes (Cor., 3: 97) et selon un hadth, Allh

    tait et rien ntait avec Lui 3. Cette Essence ne comprend pas moins, un certain

    niveau de ralit, une multiplicit de relations qui sont le rsultat immdiat de la

    *Texte revu et corrig de l'article paru en italien et sign G. de Luca, avec le titre: Non sono Io il vostroSignore ?, Quaderni di Avallon 32, 1994, p. 60-100. Traduction franaise de Hassan Boutaleb.

    Abrviations utilises dans le texte: Cor. : Le Coran; Fut. : Ibn Arab, Al-Futht al-Makkiyya, Le Caire

    1911, 4 volumes, rimpression, s.d. (l ou il nous sera possible nous ferons rfrence ldition critique de

    Osman Yahya, Le Caire 14 volumes en utilisant labrviation O.Y); Fus. : Ibn Arab,Fuss al-Hikam, d. A.A. Aff, Le Caire 1946;ET :Etudes Traditionnelles, Paris;RST :Rivista di Studi Tradizionali, Torino.

    1 Par serviteur jentends le cosmos dans sa totalit et lhomme (Fut., II, p. 243; O.Y., XIV, p. 480).

    Tout ce qui se trouve dans les cieux et sur terre nest quun serviteur du Misricordieux (cf. Cor., 19: 93).

    2Lexpression al-l-taayyun (litt., ce qui est sans dtermination) pour dsigner ltre inconditionn de

    lEssence fait partie du langage technique de Sadr al-Dn al-Qnaw (m. 672/1274), le principal disciple dIbn

    Arab (m. 638/1240). Sur ltat inconditionn (itlq) de lEssence, voir Abd al-Razzq al-Qshn (m.

    730/1330), Istilht, Le Caire 1981, p. 48-49 et traduction anglaise: A Glossary of sufi technical Terms,

    Londres 1991, p. 20, n. 85.

    3Voir Bukhr,Bad al-khalq1, Tawhd22; Ibn Hanbal, II, 431; Hkim, 341; Ibn Hibbn, XIV, 11; Ibn Ab

    Shayba, XII, 203; Daylam, III, 268; Bayhaq, II, 9; al-Muttaq, X, 370; Ibn Arab cite souvent ce hadth et le

    commente dansFut., II, p. 56; O.Y., XII, p. 168-174.

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    NE SUIS-JE PAS VOTRE SEIGNEUR?2

    distinction qui se produit suite la premire dtermination, celle par laquelle

    lEssence Sauto-dtermine en tant quEntit unique (al-ayn al-wahda). Cette

    auto-dtermination rsulte de la connaissance que le Principe a de Soi, en Soi et

    par Soi, et cest cette connaissance mme qui permet toutes les qualifications duPrincipe telles, entre autres, Son unit (wahdati-Hi), Sa ncessit dtre (wujb

    wujdi-Hi), Sa principialit (mabdaiyati-Hi), de manire ce quelle devienne

    aussi la cause efficiente de toutes choses, puisque celles-ci ne sont que la

    dtermination de tout ce qui est compris dans Sa Science de manire synthtique

    et distinctive4.

    Toutefois, la premire dtermination (al-taayyun al-awwal)5 se distingue de

    lEssence seulement de manire logique et conceptuelle et non pas dans la ralit,

    puisque lEssence qui Se connat est lEssence mme (huwa ayn al-dht) et rien

    dautre6. Par rapport au Premier degr et la Premire dtermination, la Science(divine) est la manifestation de lEssence Elle-mme affirme Farghn au

    moyen de linclusion en elle des aspects de lUnicit (whidiyya) et leur

    ralisation de manire ce que la Science ait un objet de connaissance unique ,

    qui est Son Essence. Cest uniquement en rapport avec le second degr [que la

    Science] devient la manifestation de lEssence Elle-mme au moyen de Ses

    Oprations (shun) 7.

    4Voir Qnaw, Al-nuss al-ilhiyya,en marge du Sharh manzil al-sirn de Qshn, Thran 1315 H, p.

    275; ms. Zhiriyya 5914, f. 2a.

    5Les dterminations (taayyunt) sont considres comme les degrs hirarchiques de lAuto-manifestation

    de lEssence. Pour une plus ample lucidation sur les diverses perspectives de ce thme au sein de lcole

    akbarienne (les disciples et les spcialistes dIbn Arab), consulter W.C. Chittick: The Five Divine

    Presences from al-Qnaw to al-Qaysar ,Muslim World, LXII, 1982, p. 107-128; cf. aussi M. Chodkiewicz,

    LOffrande au Prophte de Muhammad al-Burhnpr , Connaissance des Religions, vol. IV, n 1/2

    (1988), p. 34-36.

    6 Selon Qnaw, elle ne se distingue de ltat de non-manifestation absolue (al-ghayb al-mutlaq), qui est

    lEssence du Principe et Son Ipsit (huwiyya), que par la dtermination du degr (martaba).

    7Sad al-Dn al-Farghn (m. 700/1300),Muntah al-madrik, Istanbul, 1293 H, p. 15. Lexpression uvre

    divine drive du verset coranique suivant: Chaque jour Il est une uvre ( Cor., 55: 29), o Son jour

    nous dit Ibn Arab quivaut au moment indivisible (n). Les Oprations (shun) divines sont les ralits

    essentielles de lexistence, cest--dire les possibilits dexistence en tant que support pour la manifestation

    (mazhar) des Actes divins. Voir W.C. Chittick: The Sufi Path of Knowledge, New York 1989, p. 98-99, et Ibn

    Arab,Les Illuminations de la Mecque, Paris 1989, p. 566 note 139; cf. aussi S. Hakim, Al-Mujam al-sf,

    Beyrouth 1981, p. 639-643. Sur la notion fondamentale de mazharchez Ibn Arab, voir W.C. Chittick, op.

    cit., p. 89-91, et labondance de rfrences aux Futhtquil donne dans Les Illuminations, op. cit., p. 560

    note 74.

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    NE SUIS-JE PAS VOTRE SEIGNEUR? 3

    Le premier degr (martaba) rsulte donc de lauto-manifestation (tajall) de

    lEssence Elle-mme et la Premire dtermination est donc lentification8et le

    rceptacle de la premire Thophanie (al-tajall al-awwal) faisant ainsi fonction

    dune certaine manire de miroir lEssence qui Sy rflchit9

    . Il est considrcomme tant l Isthme suprme totalisant (al-barzakh al-akbar al-jmi)

    puisquil joue le rle dintermdiaire entre lUnit exclusive (ahadiyya) et

    lUnicit (whidiyya), cest dailleurs pour cette raison quil est appel: le degr

    de lUnit absolue (al-wahda al-mutlaqa)10. Les connaissants sy sont rfrs en

    lui donnant diffrents noms indiquant toutefois une seule et mme ralit

    envisage selon des perspectives diffrentes ; parmi eux, Farghn mentionne en

    particulier le nom de Ralit des ralits (haqqat al-haqiq) en raison du fait

    que le tout y apparat comme une essence unique (ayn whida), tout comme il

    utilise les expressions Ralit ahmadienne (al-haqqa al-ahmadiyya) et stationdu : Ou encore moins (maqm aw-adn) qui reprsente laspect intrieur de la

    station de la distance de deux arcs (btin maqm qb qawsayn)11. En revanche,

    lorsque lEssence Se contemple en tant quUnicit12, inclusive de toutes les

    possibilits dexpressions, doprations, dtats, de formes et de rceptacles de

    manifestation, nous obtenons alors ce qui prend le nom de second degr, celui de

    8Pour lutilisation de cette expression en relation avec le terme taayyun voir W.C. Chittick, The Suf Path,

    op. cit., p. 83.

    9Cf.Muntah, p. 10.

    10Muntah, p. 9, 13

    11Muntahp. 13. Les deux Stations spirituelles se rfrent lAscension cleste (mirj) du Prophte et

    constituent, selon les termes coraniques (cf. Cor., 53: 9), dabord lextrme limite de sa ralisation ascendente

    (tadall) et ensuite celle descendente (tadan), modle de la ralisation spirituelle de tout saint

    muhammadien. En effet, selon Farghn, la Station de la distance de deux arcs serait une allusion aux deux

    aspects de la ahadiyyaet de la whidiyya incluses et synthtises dans Ou encore moins de la wahda al-

    mutlaqa (voir Muntah, p. 9, 13; cf. infra notes 145, 147). Farghn ne le dit pas expressment mais il

    apparat vident dans le texte que la Haqqa ahmadiyya est laspect intrieur de laHaqqa muhammadiyya,

    quivalent islamique du Logos, pour laquelle nous renvoyons M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints,

    Prophtie et saintet dans la doctrine dIbn Arab, Paris 1986, chap. IV, et S. Hakim, Mujam, op. cit., p.347-352(ibid., pour laHaqqat al-haqiq , p. 345-347). Voir galement M. Chodkiewicz en ce qui concerne

    le thme du mirj (op. cit., p. 101-102 et 181 sq.) et pour la signification de la distance de deux arcs ( ibid.,

    p. 110 note 1, p. 219) . Voir aussi Fut., II, p. 558; III, p. 543; IV, p. 39,51; Ibn Arab, Kitb al-isr il al-

    maqm al-asr, Beyrouth 1988, p. 133-142; Abd al-Karm al-Jl (m. 832/1428), Kitb al-asfr an rislat

    al-anwr, Damas 1929, p. 311-314.

    12 Qshn dfinit lUnicit (whidiyya) comme l Essence conue comme lorigine des Noms divins, et

    cest aussi lunicit de tous les noms de lEssence malgr leur multiplicit dans les Attributs (Istilht, p.

    47; Glossary, op. cit., p. 19 n. 81).

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    NE SUIS-JE PAS VOTRE SEIGNEUR?4

    la Fonction de divinit (ulhiyya) en laquelle se manifestent de manire

    distinctive les Oprations essentielles (al-shun al-dhtiyya) comprises

    synthtiquement dans le premier degr13.

    Les Oprations ne sont rien dautre que les Attributs divins (sift) et les ralitsessentielles des choses (haqiq al-ashy), leurs essences immuables (al-ayn

    al-thbita)14 lesquelles, ce niveau, sont expliques et diffrencies dans la

    prsence de la Science (al-hadra al-ilmiyya) par un acte deffusion divine quIbn

    Arab nomme Effusion Sanctissime (al-fayd al-aqdas)15.

    Dans une clbre tradition prophtique, Allh sexprimant par lintermdiaire de

    Son Prophte dclare: Jtais un Trsor cach et Jai aim tre connu, alors je

    crai le monde pour tre connu 16.

    Par Trsor cach, la tradition dsigne le degr de lUnit absolue, et indiqueune plnitude de possibilit (mumkint)17 comprimes en une essence unique

    13Cf. Muntah, p. 11,13,15. Nous ne trouvons pas cette distinction entre le premier et le second degr chez

    Ibn Arab ; tous les aspects qui sont considrs en mode systmatique chez les auteurs postrieurs se

    retrouvent fusionns, dans son uvre, en une exposition qui tend les unifier selon une logique plus

    respectueuse du caractre non systmatique de la mtaphysique. Le premier et le second degr sont

    indiffremment appels aussi la Nue obscure (am) et lExpir du Misricordieux (nafas al-Rahmn),

    ou encore lImagination absolue (al-khayl al-mutlaq), termes qui se rfrent plus spcifiquement au

    second degr, celui de la whidiyya. la rigueur, le terme Nue obscure a aussi t appliqu au premier

    degr, celui de la wahda,ainsi, nous verrons que tenant compte de leur distinction le Shaykh Ahmad al-Tijn (m. 1230/1815) a pu parler de deux Nues, une pour le premier degr et une pour le second (voir Al

    Harzim,Jawhir al-man, Le Caire 1977, II, p. 221-222; pour Ibn Arab, cf. W.C. Chittick, The Sufi Path,

    op. cit., p. 125-143; T. Izutsu, Sufism and Taoism, Berkley 1983, chap. II).

    14Le concept dessences immuables (ayn thbita), qui constitue une des notions majeures dIbn Arab,

    dsigne la possibilit de manifestation ltat principiel. Voir. W.C. Chittick,The Sufi Path, op. cit., p. 83-88;

    T. Izutsu, Sufism, op. cit., chap. XII; C. Chodkiewicz, Les premires polmiques autour dIbn Arab : Ibn

    Taymiyya, Thse de Doctorat de troisime cycle, Paris IV, 1984, p. 34-48 ; S. Hakim, Mujam, p. 831-839.

    15Fus., I, p. 49; voir aussi la traduction partielle de T. Burckhardt : Ibn Arab : La Sagesse des Prophtes,

    Paris 1956, et celle complte de Ch.-A. Gilis : Ibn Arab, Le Livre des Chatons des Sagesses, Beyrouth

    1418/1997. Sur le concept deffusion, qui pour Ibn Arab est synonyme de thophanie (tajall), voir T.

    Izutsu, Sufism, op. cit., chap. XI.

    16Cette tradition est considre comme apocryphe par les docteurs de la tradition car prive dune chane de

    transmission valable (voir S. Hakim, Mujam, p. 1266, hadth n 34); toutefois, Ibn Arab, bien quayant

    conscience de ce fait, en authentifie la validit conformment au dvoilement initiatique (Fut., III, p. 429).

    Pour le commentaire quIbn Arab fait de cette sainte tradition (hadth qudus), voir en particulierFut., II, p.

    232, 399 et III, p. 267. Voir en outreMuntha, p. 5-6 etJawhir al-man, op. cit., II, p. 31-33.

    17Chez Ibn Arab, le possible est ce dont lexistence est ncessaire pour un autre ( al-wjib al-wujd li-

    ghayrihi). Ce sont les Noms divins mmes qui constituent les possibles inclus dans la Science divine,

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    (ayn whida) avant18 que cette dernire ne manifeste la pluralit indfinie des

    essences19 dans la Science divine. La tradition du Trsor cach est donc

    lannonce, dans linpuisable plrme des Noms divins, de leur effusion sur le

    nant des essences de tout ce qui rclame lexistenciation. Une effusionsuccessive, qui prend le nom dmanation sanctissime (al-fayd al-muqaddass),

    permettra le passage relatif de ltat de thubt celui de wujd20, revtant ces

    possibles de lexistence et les faisant ainsi apparatre ad extra(fi-l-khrij), cest-

    -dire semblable quelque chose dextrieur au Principe21. Ils constituent donc

    tout ce qui est autre quAllh (kullu m siw Llh), cest dire le cosmos,

    faisant fonction de lieux piphaniques (mazhir) pour la manifestation de Ses

    Noms. En effet, selon Ibn Arab, lorsque Allh est considr en rapport

    lexistence, Il est alors lEssence des choses existantes (ayn al-mawjdt)

    lesquelles ne sont, en fait, autres que Lui du moment que les essences, qui en

    lesquels ont des essences immuables, dpourvues dtre propre, qui accompagnent ltre ncessaire ( wjib

    al-wujd) dans lternit sans dbut .

    18Il sagit dune antriorit purement logique et ontologique.

    19La multiplicit dessences, ou les possibilits de manifestation ltat principiel, est indfinie car cet ordre

    de possibilit ninclut pas la possibilit de non-manifestation. Linfinit appartient dans ce cas la wahda al-

    mutlaqa qui sidentifie la Possibilit universelle de R. Gunon, la premiere rflexion (cest--dire al-

    tajall al-awwal) de lInfini (qui est al-l taayyun), celle que la tradition de lExtrme-Orient appelerait : la

    perfection active (khien), en opposition la perfection passive (khuen) qui dsigne le premier degr de

    dtermination de lEssence (R. Gunon, Les tats multiples de ltre, Paris 1957, p. 18. Sur le Fayd al-muqaddas, voir Ch.-A. Gilis,Le livre des Chatons, op. cit., note 14, p. 44-45; S. Hakim,Mujam, op. cit., p.

    888-892.

    20 Cest--dire le passage de ltat permanent (thbit) et non manifest des possibilits de manifestation

    celui de ces possibilits mmes considres sous le rapport de lexistence, et par consquent appeles choses

    existencies (mawjdt). Nous ne disons pas de ltat de puissance celui dacte, car ltat de potentialit ne

    sapplique qu ce qui appartient lordre contingent de la manifestation. Toutefois, selon la doctrine dIbn

    Arab, lexistence (wujd) en mode absolu nappartient qu Allh, alors quaux choses existencies

    nappartient quune existence relative (wujd idf) et, en tout tat de cause, seulement apparente. Mme le

    nant des essences est galement relatif (al-adam al-idf) (Fut., II, p. 587) car le nant absolu (al-adam

    al-mutlaq), qui soppose ltre Ncessaire, est par sa nature mme impossible (muhl) (Fut., II, p. 248;

    O.Y., XIV, p. 519-520). Le possible dclare: Nous nous trouvons dans un tat de non-existence. Nouslavons connu et gout. Maintenant, ltre Ncessaire nous a ordonn dexister, mais nous ne connaissons pas

    lexistence et nous ny avons aucune autorit. Venez donc ! Aidons-Le contre cette non-existence impossible

    afin que nous puissions connatre par exprience directe ce quest cette existence (Fut., II, p. 248; O.Y.,

    XIV, p. 519-520). Sur limpossibilit du nant, voir R. Gunon,Les tats multiples de ltre, op. cit., p. 31.

    21 Le passage de lun lautre ne comporte aucune modification relle: Ce que tu tais dans ton tat

    dimmutabilit, tu le manifestes dans ton existence, pour autant quon puisse affirmer ton existence . Il ny

    a pas de forme existencie qui ne soit identique son prototype immuable ; ltre est sur elle comme un

    vtement (Fut., I, p. 302, cit par C. Chodkiewicz, Les premires polmiques, op. cit., p. 37-38).

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    Lui sont immuablement caractrises dun tat de non-manifestation, nont jamais

    respir le parfum de lexistence et demeurent en cet tat malgr la multiplicit des

    formes manifestes. LEssence est unique (al-ayn whida) du tout dans le tout.

    La multiplicit nexiste que par rapport aux Noms divins lesquels, eux-mmes, nesont que des relations et des ralits non manifestes (nisab wa umr

    adamiyya) 22.

    Je suis le nant manifest de Ta Lumire affirme lmir Abd al-Qdir dans un

    colloque extatique avec Dieu23. Lessence de la crature nabandonne pas son tat

    de non-manifestation, mais sa relation avec le nom divin auquel elle sert de

    support fait merger la seigneurie (rubbiyya) qui tait implicite dans la fonction

    de divinit (ulha ou ulhiyya) du fait que celle-ci comporte ncessairement

    quelque chose sur laquelle elle peut sappliquer. La ulhiyya sexplique au

    niveau de la Science divine, dans le degr de la Nue, lorsquil ny pas encorede traces de manifestation.; elle comporte la permanence dun objet de la

    Fonction divine (malh) et sa dtermination affirme Qashn alors que la

    rubbiyya comporte la ncessit quil y ait un objet de la seigneurie (marbb)

    et son actualisation . Elle dsigne alors le degr qui comprend uniquement les

    Noms qui rclament les choses existencies (mawjdt)24. La relation de

    lEssence avec les essences immuables est donc lorigine de tous les Noms divins,

    alors que sa relation avec lordre cosmique est lorigine des Noms de la seigneurie

    divine.

    22Fus., I, 76. Le fait que les Noms divins soient des ralits dmunies dexistence doit tre compris dans le

    sens que les ralits ne sont ni des entits ni des choses. Par rapport aux ralits des relations, les Noms sont

    des qualits prives dexistence (Fut., II, p. 516). Sur les Noms divins, voir W.C. Chittick, The Sufi Path,

    op. cit., p. 33-58 et T. Izutsu, Sufism, op. cit., chap. VII.

    23Lmir Abd al-Qdir al-Jazir, Kitb al-mawqif, Damas 1966, mawqif30, (I, p. 75); trad. partielle en

    langue franaise,crits spirituels, Paris 1982. Il sagit dun cho dun dialogue entre Dieu et Ibn Arab qui

    se situe dans la vision contemplative de lexistence et de lmergence des essences : Qui es-tu ? lui

    demanda Dieu. Il rpondit: Je suis le nant manifest (al-adam al-zhir). Comment le nant devient-il

    existence ? Et sil nexiste pas, ton existence mme nest pas valable ! Il lui rpondit: Cest pour cette

    raison que jai dit tre le nant manifest, puisquon ne peut attribuer au non-manifest une existencecontingente (Mashhid al-asrr al-qudsiyya, ms. Paris 6104, f. 13b.). Sur loscurit des essences, Ibn

    Arab affirme encore: Les essences des possibles (autrement dit les essences immuables) ne sont pas

    lumineuses car elles sont non manifestes (madma). Elles possdent certainement la permanence mais ne

    sont pas qualifies par lexistence car celle-ci est lumire (al-wujd nr) (Fus., I, p. 102; cf. T. Izutsu,

    Sufism, op. cit., 83-86 et 151-153).

    24Istilht, p. 147-148; Glossary, op. cit., p. 99 n. 449; voir aussi Tahanw, Kashf istilht al-funn, Le

    Caire 1972, III, p. 3-4. Sur le rapport entre la ulhiyya, exprime par le NomAllh, et la rubbiyya, exprime

    par le nom al-Rabb, voir T. Izutsu, Sufism, op. cit., chap. VIII.

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    NE SUIS-JE PAS VOTRE SEIGNEUR? 7

    Dans sesFuss al-Hikam, Ibn Arab rapporte ces propos de Sahl al-Tustr: La

    seigneurie a un secret et ce secret cest toi, autrement dit ton tre ; sil venait tre

    rvl, la seigneurie serait alors abolie 25. Serviteur et Seigneur sont deux termes

    irrductibles26

    , lun ne saurait subsister sans lautre ; le Seigneur donnantlexistence, le serviteur se rendant vassal pour la manifestation dun des Noms

    divins qui sirradie partir de la Seigneurie. Cette interdpendance des deux

    termes est la ralit essentielle de lexpression et Jai cr le monde pour tre

    connu , puisqu lapparition de la Seigneurie apparat aussi la rciprocit de

    Dieu et cosmos, de Seigneur et serviteur; lun ne peut tre connu quen

    relation lautre. LEssence tant au-del de toutes ces relations affirme Ibn

    Arab Elle nest pas divinit. Du moment que toutes ces relations puisent leur

    origine dans nos essences ternellement non manifestes, cest nous qui faisons de

    Lui une Divinit, puisque nous sommes le moyen travers lequel Il se connaitcomme Divin 27. Inversement, selon les propres termes du Prophte : Qui se

    connat soi-mme connat son Seigneur 28, nous ne pouvons connatre Dieu

    quen prenant pour rfrence ce quIl a cr29.

    25Fus., I, 90-91; Qashn, (Istilht, p. 102; Glossary, op. cit., p. 61) , outre la dfinition quil donne du

    secret de la seigneurie, parle aussi du secret de ce secret (sirr sirr al-rubbiyya). Le premier nous dit

    Qashn est le fait (pour la Seigneurie) de dpendre de celui qui Lui est sujet (marbb), puisque la

    seigneurie est une relation qui exige ncessairement deux termes corrlatifs. Un de ces deux termes est

    constitu par ce qui est sujet la Seigneurie, et il ne sagit de rien dautre que dessences immuables dans

    ltat de non-manifestation. Or, ce qui dpend de ce qui nest pas manifest est lui-mme non manifest .

    Quant au second, autrement dit le secret du secret de la seigneurie, il consiste en la manifestation du

    Seigneur selon la forme des essences, lesquelles, du moment quelles se manifestent, subsistent grce Lui et

    existent au moyen de Son existence, alors que le Seigneur subsiste par Lui-mme et Se manifeste au moyen

    de Ses dterminations (taayyunt) ... La Seigneurie ne drive en fait que du Principe alors que les essences

    sont ternellement en un tat de non-manifestation, si tant est que le secret de la Seigneurie possde un

    secret au moyen duquel il se manifeste et nest pas aboli . Les propos de Tustar sur le sirr al-rubbiyya

    sont rapports par diffrents auteurs avec de lgres variantes; ils sont cits dans leur forme la plus ancienne

    de manire anonyme dans le Qt al-qulb dAb Tlib al-Makk, Le Caire 1961, II, p. 179. Les diverses

    variantes sont rapportes par G. Bwering dans The Mystical Vision of Existence in Classical Islam, Berlin,

    1980, p. 196-197, cf. aussi ibid., p. 39 note 152.

    26 Il ny a aucune possibilit que la condition de serviteur (ubdiyya) et celle de Seigneur (rubbiyya)

    puissent se rencontrer. De toutes les choses, ces deux conditions sont celles qui manifestent entre elles le plus

    grand contraste ... Chaque couple dopposs dans le cosmos possde en soi quelque chose qui les unit, malgr

    leur opposition, except le couple serviteur/Seigneur (Fut., III, p. 371; cf. W.C. Chittick, The Sufi Path, op.

    cit., p. 324. Voir aussi S. Hakim,Mujam, op. cit., p. 506-512).

    27Fus., I, p. 81; cf. la trad. anglaise de R.W.J. Austin, The Bezels of Wisdom, Londres 1980, p. 92.

    28Clbre tradition prophtique gnralement accepte par les Maitres du soufisme, bien que les docteurs de

    la tradition la considrent comme apocryphe et la font plutt remonter Yahy b. Mudh al-Rzi (m.

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    NE SUIS-JE PAS VOTRE SEIGNEUR?8

    Toute chose dans le cosmos est soumise un aspect de la Seigneurie, toute ralit

    existencielle est un miroir de Ses Noms travers lequel Il connat Sa Divinit. Il

    ny a aucune proprit dans le cosmos qui ne soit sans support divin et sans

    attribut dominical 30

    . Le cosmos, dans sa totalit, nest quun serviteur31

    uniquede Son auto-manifestation Lui-mme, un adorateur de la Ralit divine grce

    laquelle il subsiste et reoit sa nourriture divine tout comme Lui, en tant que

    Divinit, est nourri de ladoration de Ses serviteurs, autrement dit de lensemble

    de Ses cratures32.

    Lensemble de la cration a donc pour finalit la connaissance du Principe divin et

    laffirmation de Sa Seigneurie. Cest la raison pour laquelle lexpression pour

    quils Madorent (li-yabud-N )33du verset coranique Je nai cr les jinn-s

    et les hommes que pour quils Madorent (Cor., 51: 56) a t interprte par Ibn

    Abbs dans le sens de pour quils Me connaissent ( li-yarifn)34 o paribda il faut comprendre adoration essentielle (al-ibda al-dhtiyya), celle

    qui sexplique par lacte mme de lexistenciation35. Envisag sous cet angle, tout

    ce qui se trouve dans lexistence adore donc Dieu, cest--dire le tout lui offre

    son propre culte ou service (ibda) selon les modalits de sa pauvret

    871/258 H). Cf. la prsentation de M. Chodkiewicz lEptre sur lUnicit absoluede Awhad al-dn Balyn,

    Paris 1982, p. 27 sq.; pour linterprtation quIbn Arab donne de ce hadth, voir Fut., I, p. 112, 328, 331,

    347, 353; II, p. 40, 298, 472, 508; III, p. 44, 73, 101, 289, 301, 356; IV, 245, etc.

    29Fus.,ibid., Fut., II, p. 255-256; O.Y., XIV, p. 570.30

    Fut., IV, 231.

    31Cf. note 1.

    32Cf.Fus., I, p. 187: Si la Divinit voulait de la subsistance pour Elle-mme, alors lexistence entire serait

    nourriture pour Lui. Si la Divinit dsirait pour nous de la subsistance, alors Il serait notre nourriture, selon

    Son dsir . Voir R.W.J. Austin, op.cit., p. 237;Les Illuminations, op. cit., p. 561 note 88.

    33Troisime forme de la racine BD, adorer, servir dont drive abd, serviteur. Cf. W.C. Chittick, The

    Sufi Path, op. cit., p. 311.

    34Fut., II, 214; O.Y., XIV, p. 274 (trad. dans Les Illuminations, op. cit., p. 245). Als, qui met cette

    interprtation directement en relation avec le hadth du Trsor cach, la fait remonter Mujhid ; cf. Rhal-man fi-tafsr al-Qurn, Beyrouth 1978, XXVII, p. 21.

    35 Allh a dit: Pour quils Madorent (Cor.52:56), mais ils ne Ladorent pas tant quils ne Le connaissent

    pas, et lorsquils Le connaissent, ils Ladorent alors dune adoration essentielle ; puis, lorsquil leur est

    ordonn dadorer, ils Ladorent alors dune adoration particulire, conjointement la subsistance de

    ladoration essentielle dordre commun (Fut., II, p. 410; cf. aussi ibid., II, p. 256, 308-309, 328). Qnaw,

    citant le mme verset coranique, nous dit que la disposition divine lexistenciation ( ijd), dont la

    manifestation nest autre que lexistence mme, est dfinie quelquefois comme tant adoration (ibda) et

    dautres fois comme tant connaissance (marifa) (voirIjz al-bayn, Le Caire 1969, p. 240)

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    ontologique essentielle et Le connat selon la connaissance qui lui provient de son

    essence immuable : Tout ce qui se trouve dans les cieux et sur terre chante les

    louanges de Dieu (Cor., 57:1).

    2. La Forme de Dieu

    Toutefois, de ce qui prcde, on comprend que bien que le tout offre son culte

    et sa glorification au Principe et Le connat, il ne le fait quen des termes et des

    limites que lui impose la manifestation dun Nom spcifique, puisque comme

    indiqu plus haut il ny a aucune chose dans lexistence qui, par le fait de

    possder un rang dfini dans lordre cosmique, ne soit soumise au statut du Nom

    qui est son Seigneur, cest--dire la Face particulire (al-wajh al-khss) delEssence oriente vers telle crature. Mais Le Principe divin affirme Ibn

    Arab voulut, en Ses Noms excellents dont la multitude est innombrable, voir

    leurs essences si tu veux, tu peux dire voir Son Essence mme36 dans un tre

    qui renferme la ralit totale (kawn jmi)37 car il est qualifi par lexistence

    (wujd), afin de rendre manifeste par lui Son propre secret Lui-mme 38. Cet

    tre omnicomprhensif est appel Homme (insn) et Vicaire (khalfa) de Dieu

    ajoute Ibn Arab entendant ainsi lHomme Parfait dsign par le nom

    dAdam39. Dans ses Futht, Ibn Arab prcise que le monde est le lieu de

    manifestation du Principe (mazhar al-Haqq) de manire complte ... Puis Allh a

    extrait de ce monde un compendium synthtique (mukhtasar majm) qui contient

    en soi toutes ses significations de la manire la plus parfaite et lui a donn le nom

    36Selon Abd al-Rahmn Jm (m. 898/1492), dans le premier cas, les Noms sont diffrencis les uns des

    autres selon le point de vue de lUnicit (martabat al-whidiyya) , dans le second cas, seule lEssence est

    prise en considration sans aucune diffrenciation, selon le point de vue de lUnit exclusive (martabat al-

    ahadiyya) (Jm, Sharh alFuss, p. 16, en marge du Sharh jawhir al-nuss fi hall kalimt al- fuss de

    Nbulus, Le Caire non dat.

    37 Cest--dire un tre unitaire (wahdn) dont le nom, la constitution et lattribut sont limage de la

    Synthse, et qui a pour caractristiques et particuliarits celles de rflchir la constitution universelle (al-

    shan al-kull), qui est la Premire dtermination (al-taayyun al-awwal) (Jm, ibid.).

    38Fus., I, p. 48-49, voir Ch.-A. Gilis,Le Livre des Chatons, op. cit., p. 43.

    39On trouve dans lesFutht (II, p. 642) un paragraphe trs ressemblant celui du dbut du chapitre dAdam

    dans les Fuss. Toutefois, ici Celui qui veut voir Soi-mme est le Soi (al-Huwa), lequel regarde les

    essences immuables mais nen trouve aucune qui puisse servir de support cette vision sauf lessence de

    lHomme Parfait (ayn al-insn al-kmil).

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    dAdam, et Il a dit lavoir cr Son Image 40. Tout ce que contient le monde est

    limage du Principe (al surat al-Haqq)41puisque le monde est lui-mme un

    compendium du Principe (mukhtasar al-Haqq)42 et lhomme, son tour, est un

    conpendium du monde appel pour cette raison aussi le petit monde (al-lamal-saghr), mais ds lors que cette expression sapplique lhomme en tant

    qutre vivant ou anim (insn haywan)43, il est bien entendu quil sagit

    seulement dun reprsentant de lHomme Parfait (khalfat al-insn al-kmil)

    puisque seul ce dernier est en troite relation avec toutes les ralits du monde

    (haqiq al-lam) et celles du Principe (haqiq al-Haqq), raison pour laquelle le

    vicariat lui a t attribu en propre 44.

    Lhomme na pas t cr par jeu, mais pour quil soit lunique tre cr Son

    image. Chaque chose de lunivers ignore le tout et ne connat de lui quune partie

    sauf lHomme Parfait, car Allh lui a enseign tous les Noms et lui a donn lasynthse des paroles, Il a fait sa forme parfaite et a assembl en lui la forme du

    Principe et celle du monde; cest ainsi quil devint un Isthme (barzakh) entre le

    Principe et la manifestation, un miroir prdispos grce auquel le Principe voit Sa

    40Fut., III, p. 11. Le hadth : Dieu a cr Adam selon Sa (sa) forme (ou son image) (Bukhr, Istidhn,

    I; Muslim,Birr, 115,Janna,28; Ibn Hanbal, II, p. 244, 251, 315 etc.; voir aussi W.C. Chittick, The Sufi Path,

    op. cit., p. 399 note 4 et M. Chodkiewicz, Le Sceau, op. cit., p. 91 note 1; la version complte est rapporte

    par D. Gril dans Ibn Arab,Les Illuminations, op. cit., p. 618, note 176). Ibn Arab cite souvent ce hadth eten fait un argument dcisif pour la khilfa de lHomme (voir par exemple Fut., I, p. 263; O.Y., IV, p. 179);

    sur la prminence de lHomme sur lensemble des tres crs car cr limage divine, cf. la rponse dIbn

    Arab au questionnaire de Tirmidh, Question 45, ibid., II, p. 71-72; O.Y., XII, p. 283-287). Sur la distinction

    entre limage divine exprime par la manifestation universelle et lHomme Parfait cf.Fut., IV, p. 231.

    41Fut., IV, p.8.

    42Fut., III, p. 315.

    43Ibid.

    44Fut., III, p. 437; cf. ibid., II, p. 391; IV, p. 21; Uqla al-mustawfiz, d. Nyberg, Leyde 1919, p. 43. Sur la

    participation de lHomme aux ralits du Principe et de la manifestation, voir en particulier Fut., chap. 361

    (III, p. 294 sq.). La nature synthtique de lHomme Parfait vient du fait davoir t cr des Deux Mains

    divines (cf. ibid., I, p. 263; II, p. 4, 26, 67, 468, 641; III, p. 294-295); Le thme a t abondamment dvelopp

    par Ibn Arab dans un trait intitul Nuskhat al-Haqq, la Copie de Dieu (dans la Uqla, p. 42-45, Ibn

    Arab dfinit lHomme Parfait comme tant la Copie parfaite totalisante (al-nuskha al-kmila al-jmia).

    Voir aussi Ibn Arab, al-Tajalliyt al-Ilhiyya,d. O. Yahya, Thran 1988, p. 231 note 368; S. Murata, The

    Tao of Islam. A sourcebook on Gender Relationship in Islamic Thought, New York 1992, chap. 3; S. Hakim,

    Mujam, op. cit., p. 1057-1059; et aussi ibid., al-insn al-kmil(p. 158-168); khilfa (p. 412-422); mukhtasar

    (p. 395-397);sra (p. 702-708); sur la notion de khilfa selon la perspective akbarienne, voir en outre ltude

    importante de Ch.-A. Gilis,Les Sept tendards du Califat, Paris 1993.

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    propre Forme dans le miroir de lHomme ... ce que cette vision signifie, ici, est le

    fait que son tre soit dsign avec tous les Noms divins 45.

    LHomme Parfait est donc une Copie totalisante de tout ce qui se trouve dans le

    monde et de tous les noms de la Prsence divine (asm al-hadra al-ilhiyya)46

    ,cest pour cette raison quil est lultime crature apparue dans lexistence47 du

    moment que le compendium ne peut que rsumer ce qui prcedemment a t

    dtaill48. LHomme Parfait est donc lunique tre qui joue le rle de lieu de

    manifestation du Nom Totalisant (mazhar al-ism al-jmi) Allh49, et il apparat

    aussi pour cette mme raison comme tant le serviteur parfait totalisant (al-abd

    45Fut., III, p. 398. La fonction de Vicaire (khalfa) de Dieu confie lhomme et sa complte connaissance

    de toute chose se fonde sur le verset suivant du Coran : Et lorsque Dieu dit aux anges : Je vais instituer un

    vicaire sur la terre, ils dirent: Y placeras-Tu quelquun qui y smera le dsordre et y versera le sang alors

    que par la louange nous clbrons Ta gloire et magnifions Ta saintet? Il dit: Je sais ce que vous ne savez

    pas. Il apprit Adam tous les noms puis les prsenta aux anges et leur dit: Faites-moi connatre leurs noms

    si vous tes vridiques ! Ils dirent : Gloire Toi, nous ne savons que ce que Tu nous a enseign, en vrit

    cest Toi, le Tout-Savant, le Tout-Sage ! (2: 30-31). Sur la connaissance de tous les noms, cf. Fut., I, p.

    216; II, p. 68, 71, 88, 487, 489; III, p. 74). Quand la Synthse des paroles (jawmi al-kalim), il se rfre

    la connaissance qui a t donne au Prophte Muhammad selon un fameux hadth (Bukhr, Jihd, 122,

    Tabr, 22, Itism, 1, Muslim,Masjid, 5, 8; Nas, Jihd, 1, Tatbq, 100; Tirmidh, Siyar, 5) souvent cit

    par Ibn Arab, et cet autre: Jai pris connaissance de la science des premiers et des derniers (sur ce

    hadth voir W.C. Chittick, The Sufi Path, op. cit., p. 395, note 17). Selon Ibn Arab, la science dAdam est

    incluse en celle de Muhammad par le fait que la Synthse des paroles comprend tous les noms (Fut., II, p.

    88; O.Y. XII, p. 404-406; voir aussi II, p, 72; III, p. 142) et que la science des premiers comprend celledAdam (Fut.,II, p. 171; O.Y. XIII, p. 507).

    46Cf. Uqla, p.45.

    47 Cf. Fut., II, p. 603; IV, p. 299. Tout comme les autres traditions abrahamiques, lIslam considre aussi

    lhomme, dans lordre ontologique, comme tant lultime tre existenci de toute la manifestation. Dans la

    Tuhfat al-mursala, Muhammad Burhnpur, en raison de la nature synthtique de ltre humain, en fait un

    degr en soi, celui de totalisant ultime des sept degrs en lequel est organis ltre universel entier, partir

    du Principe inconditionn, auquel font suite cinq degrs de dtermination successive ( taayyunt)

    communment appels les cinq Prsences divines (al-hadrt al-khamst al-ilhiyya). Cf. M. Chodkiewicz,

    LOffrande au Prophte , op. cit., p. 35. Sur les cinq Prsences divines, voir larticle cit plus haut de

    W.C. Chittick: The Five Divine Presences .

    48Fut., III, p. 315.

    49 La sagesse de la Fonction divine affirme Dwud Qaysar (m. 751/1350) ayant t attribue Adam

    (cest--dire lHomme), par le fait quayant t cr pour la khilfa et que son degr comprend tous les degrs

    du cosmos, il devient ainsi le miroir qui rflchit le degr de la Fonction divine et il joue alors le rle de

    rceptacle pour la manifestation de tous les Noms divins. Aucune autre chose ne possde une semblable

    receptivit. Adam est en fait le lieu de la manifestation du Nom Allh (Khuss al-kalim fi man fuss al-

    hikam, Bombay 1300 H., p. 13; cf. W.C. Chittick, The Chapter Headings of the Fuss , Journal of the

    Muhyddin Ibn Arab Society , 2, 1984, p. 49).

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    al-jmi al-kmil), ou encore le serviteur universel (al-abd al-kull) du moment

    que tous les autres serviteurs ne sont que les serviteurs dun Nom divin donn

    lexclusion des autres Noms, alors que lHomme Parfait est le serviteur de tous

    les Noms et le serviteur dAllh (abd Allh)50

    par excellence. La pure servitude (al-ubdiyya al-mahda), qui ne prsente aucune forme de

    seigneurie (rubbiyya), ne sapplique proprement qu lHomme Parfait, alors que

    la Seigneurie, qui ne prsente aucune forme de servitude sous quelque forme que

    ce soit, ne sapplique correctement qu Allh. Lhomme est limage du Principe

    divin selon le rapport de la transcendance et de ltre pur de toute contamination

    dans sa ralit essentielle ; il est donc le lieu absolu de la Fonction divine (al-

    malh al-mutlaq), alors que le Principe divin est la Divinit absolue, et jentends

    par l lHomme Parfait 51.

    Cette participation aux deux termes extrmes de la ncessit (wujb) et de lapossibilit (imkn), qui choit du fait davoir t cr des Deux Mains divines,

    fait de lHomme lIsthme totalisant (al-barzakh al-jmi)52, lintermdiaire

    suprme de tous les tats de ltre (al-barzakh al-ala ou barzakh al-barzikh)53,

    mais lhomme ordinaire, ultime tre de lordre ontologique avoir t cr du fiat

    existenciateur (al-amr al-wujd), ne possde que potentiellement les degrs

    prcdents dont lHomme Parfait est la synthse. LHomme Universel

    50Et donc le Serviteur parfait (al-abd al-kmil). Cf. Fut., II, p. 571; III, p. 409; voir W.C. Chittick, The

    Sufi Path, op. cit., p. 30, 371.

    51Fut., II, p. 603. LHomme Parfait est encore plus parfait que le monde pris dans sa totalit, puisquil est

    la Copie du monde, lettre par lettre, auquel il faut ajouter le fait quil nadmet aucune diminution ... La

    diminution na lieu quen relation une levation prcdente, mais le serviteur universel (al-abd al-kull)

    na aucune levation dans sa servitude puisquil est dpouill des attributs (Fut., II, p. 615-616).

    52 Cf. Fut., II, p. 391; Uqla, p. 42; Insh al-dawir, d. Nyberg, Leyde, 1919, p. 22 (voir en outre la

    traduction anglaise de P. Fenton et M. Gloton: The Book of the Description of the Encompassing Circles ,

    in:Muhyddin Ibn Arab, a Commemorative Volume, Londres 1993, p. 28-29.

    53 Selon Qnaw, la perfection de la prsence de la ulhiyya exprime par le Nom Allh comporte les

    caractristiques de tous les Noms ... Entre la prsence de la ulhiyya et les Noms de lEssence il ny a aucun

    intermdiaire, contrairement ce qui advient entre les autres Noms par rapport elle. Il en est de mme pour

    lHomme lequel, sous le rapport de sa ralit essentielle et de son rang, na aucun intermdiaire entre lui et le

    Principe divin, car sa ralit essentielle est une expression de sa fonction dIntermdiaire totalisant (al-

    barzakhiyya al-jmia) entre les statuts de la ncessit et ceux des possibilits ... . De ce point de vue, la

    principialit et lantriorit sur toutes les choses existantes reviennent lHomme. Quant au secret de sa

    manifestation finale, il consiste en revanche dans le fait que tous les principes et les formes cres culminent

    et se runissent en lui en mode extrieur et intrieur ainsi quils emanaient de lui lorigine (Fukk, en

    marge du Sharh manzil al-sirn, de Qshn, Thran 1315 H., p. 188; ms. Zhiriyya, 5563, f. 3a; cf. W.C.

    Chittick, The Chapter Headings of theFuss, op. cit., p. 49-50).

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    comme la crit Gunon54 nexiste que virtuellement et dune certaine manire

    que ngativement, comme un archtype idal, jusqu ce que la ralisation

    effective de ltre total ne lui confre une existence actuelle et positive 55. La

    ralit essentielle et principielle de lHomme correspond ltat dcrit par laParole divine: Nous avons cr lhomme dans la meilleure des formes ( Cor.,

    95: 4); il sest donc retrouv dans lultime degr de lexistence, correspondant la

    Parole divine: Puis Nous lavons renvoy au plus bas des tres bas (Cor., 95:

    5)56, o il ne possde que virtuellement la possibilit de raliser la plnitude de

    son rang originel et la dignit califale qui lui revient par la Forme divine, selon

    la condition pose par la suite des versets cits : except ceux qui croient et

    accomplissent de belles uvres, lesquels auront une rcompense ininterrompue

    (Cor., 95: 6).

    Il convient de rpter que, bien quayant t cr selon la Forme divine, ltrehumain ne doit en aucune manire sarroger la proprit de ce qui ne lui appartient

    pas ; son statut originel consiste tre un serviteur : Tout ce qui se trouve dans

    les cieux et sur terre vient auprs du Tout-Misricordieux en serviteur (Cor., 19:

    93) et le serviteur comme laffirme Ibn Arab na t cr lorigine que pour

    appartenir Allh et tre ternellement un serviteur et non pas un seigneur. Si

    toutefois Allh le revt de la Robe dhonneur de la seigneurie (khilatu-s-siyda)

    lui ordonnant dapparatre en elle, il y apparatra en restant en soi un serviteur,

    mais seigneur par rapport qui le voit car celle-l est la parure de son Seigneur et

    Sa Robe dont Il la [seulement] revtu 57.

    La Robe dhonneur de la Forme divine autrement dit, celle de la fonction

    califale (khilfa) constitue donc pour lhomme un motif dpreuve, puisque cette

    investiture lui donne droit, mais en mme temps loblige, tre le destinataire

    ternellement dsign du Dpot de confiance (amna)58 constitu, auprs du

    54Sur lemploi de lexpression l Homme Universel pour traduire al-insn al-kmil(litt. lHomme Parfait),

    voir M. Chodkiewicz. L Offrande au Prophte, op. cit., p. 35 note 29.

    55R. Gunon,Le Symbolisme de la Croix, Paris 1970, chap. II; cf. M. Chodkiewicz, ibid.; S. Hakm,Mujam,

    op. cit., p. 167 note 36.

    56Nous suivons ici la traduction de D. Gril, La science des lettres, in :Les Illuminations de la Mecque, op.

    cit., p. 461, 625 note 252.

    57Fut., III, p. 136.

    58Selon ce qui est rappel dans le Coran : Nous avons prsent le Dpt de Confiance aux cieux, la terre

    et aux montagnes mais ils ont refus de sen charger et ont t saisi de crainte. Lhomme sen est charg

    alors, mais il est, en vrit, parfaitement injuste et ignorant (Cor., 33: 72). Ibn Arab commente ce verset

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    serviteur, des attributs du principe par lesquels il est appel tre caractris59.

    Lamna est en effet complmentaire de laKhilfa : Allh cra Adam selon Sa

    Forme prcise Ibn Arab Il lhonora alors de Ses plus Beaux Noms. Grce

    la puissance de la Forme [divine], il fut en mesure de porter le Dpt qui lui taitpropos. La ralit de la Forme lempchait de repousser le Dpt comme

    lavaient fait en revanche les cieux et la terre 60; mais le Dpt doit tre

    restitu61et seul celui qui nen aura point abus obtiendra la prosprit. Cest pour

    cette raison que la Station spirituelle la plus leve auprs dAllh est celle

    qui consiste en Son maintien du serviteur dans une vision constante de son tat de

    servitude et cela, quIl lui ait confr ou non linvestiture par les robes de la

    seigneurie 62. Ainsi, aprs avoir tabli la ralit de lHomme Parfait, insufflant

    de Son Esprit63 en lAdam primordial et, sachant quune fois lhomme uni la

    forme corporelle, il aura oubli sa dpendance originelle64, Dieu tablit un pacte

    dansFut., II, p. 630-631; voir en outre Jawhir al-man, op. cit., I, p. 206-207. Sur lpreuve du Califat

    voir Ch.-A. Gilis,Les Sept tendards, op. cit., chap. XXXI et le chap. XX sur le Dpt de Confiance.

    59Cf.Fut., II, p. 631.

    60Fut., II, p. 170; O. Y., XIII, p. 501.

    61Cf. Cor., 4: 58. Lamna fait de lhomme un seigneur vis--vis de la manifestation, celui qui dtient un

    royaume (mulk ; cf. Fut., II, p. 603) mais il ne le possde quen vertu de la prsence, en lui, de lEsprit

    suprme (al-rh al-azam) puisque cest cette prsence qui fait que lhomme peut tre juste titre un khalfa

    (cf., Sharh al-Tyyt al-kbra, attribu Qshn, en marge au commentaire de Nbulus, Le Caire non dat,

    p. 24). Cest lEsprit suprme qui reconnat en premier la fonction dominicale aprs que le Principe Se rvle

    lui par le tajall al-aqdas, et aprs cette reconnaissance le Principe lui confie le royaume de la

    manifestation. LEsprit Lui dit : Seigneur, je Tai entendu, Tu as dit que je possde un royaume (Fut.,

    I, p. 113; O.Y., II, p. 195; cf. avec la fonction dal-mut dans le Mishkt al-anwr de Ghazl ; trad.

    franaise de R. Deladrire,Le Tabernacle des lumires, Paris 1981, p. 30-31, 93-94, 111 note 118). Lhomme

    ne le possde qu titre de substitut, par niyba,non par une possession royale, et le prt doit tre restitu

    (Ahmad Sirhind (m. 1034/1624) revient souvent sur ce thme, voir Maktbt-i-Imm-i-rabbn, Karachi,

    1392H., II, 62, p. 409; 75, p. 437; 97, p. 499; 109, p. 530). Le terme dn dsigne aussi un tribut payer (jizya)

    (voir Qurtub, Al-Jmi li-ahkm al-Qurn, Le Caire 1966, I, p. 144). Lhomme ne demeure quun pur

    serviteur malgr sa participation la seigneurie, et le rgne nappartient en dfinitive qu Allh et cest Lui

    quil retourne. Au Jour de la Rsurrection, il sera dit: qui appartient aujourdhui le rgne ? Allh,

    lUnique, le Dominateur ! (Cor., 40: 16). En dernier lieu, ceci ne constitue quune particularisation du faitque ltre tout entier nappartient qu Allh. Il ny a rien dans lexistence except Dieu (cf. Fut., I, p.

    279; II, p. 54, 148, 160, 516; III, p. 68, 80, 373).

    62Fut., III, p. 32.

    63Voir Cor., 15: 29; 32: 9; cf.Fus., I, p. 49.

    64 Ibn Arab fait souvent driver le terme insn (lhomme) de la racine NSY, oublier. Cest la naturethomorphique mme de lhomme, lie sa condition corporelle, qui lui fait oublier sa servitude ontologique,

    en raison de livresse de se considrer comme un seigneur outre le Seigneur (cf. Fut., II, p. 244; O. Y. XIV, p.

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    avec les germes de lespce humaine, les faisant tmoigner en esprit le droit Sa

    Seigneurie : Et lorsque Dieu puisa des lombes des fils dAdam leurs

    descendances, Il les fit tmoigner contre eux-mmes : Ne suis-Je pas votre

    Seigneur? ils rpondirent : Oui, nous le tmoignons! (Cor., 7: 172)65

    CePacte intemporel se situe dans la condition primordiale (fitra) de lhumanit,

    lorsquil ny avait alors aucune trace de cette condition corporelle que lhomme

    devait inluctablement revtir. Dans cet tat, envelopp des Attributs de la

    Seigneurie, lhomme est prsent au Principe et absent soi ; il savoure

    lextinction en laquelle il a t cr dans lternit sans commencement66 , sans

    sortir de ltat de pure servitude67qui est sa condition originelle, puisquil a t

    cr pour tre un serviteur. Dieu dit : Je nai cr les jinn-s et les hommes que

    pour quils Madorent (Cor., 51: 56), et la nature propre du culte est la

    condition dhumilit (dhilla) prcise Ibn Arab mme si au dpart ils ne furentpas crs humbles, ils taient toutefois destins lhumilit 68.

    491-493; Ch.-A. Gilis, Les Sept tendards, op. cit., chap XXXI). Dautre part, ce nest que sur terre,

    autrement dit que dans la condition corporelle, que la khilfa peut tre ralise (cf. Cor., 2: 30; voir supra

    note 41). Ibn Arab, commentant un verset coranique o il est question de la terre (Cor., 14: 8), prcise:

    SIl a dit sur la terre, cest en raison de lhumilit parfaite de celle-ci, qui prserve la Station initiatique de

    la servitude ... voil pourquoi Allh a fait de la terre le support et la demeure du Califat (Fut., III, p. 410; cit.

    dans Ch.-A. Gilis,Les Sept tendards, op. cit., chap XVII, sur lhumilit de la terre).

    65Voir linterprtation dansFut., II, p. 247; III, p. 465; IV, p. 349, etc.;Fut., IV, p. 57-58, Ibn Arab prcise

    que le Pacte avec les fils dAdam concernant la seigneurie (rubbiyya) est le Second Pacte (al-mithq al-

    thn), prcd du Premier Pacte conclu avec les Prophtes, concernant le tawhd et leur assistance au

    Prophte Muhammad sa venue (cf. Cor., 3: 81; 33: 7; Qshn, Tawlt, publi sous le titre de Tafsr al-

    Qurn al-Karm et attribu Ibn Arab, Beyrouth non dat, I, p. 197). Le soufisme a developp, ds le

    dbut, son exgse spirituelle autour du thme du mithq, en particulier Sahl b. Abd Allh al-Tustar (voir

    Tafsr al-Qurn al-azm, Le Caire 1329 H, p. 40-41; cf. G. Bwering, The Mistical Vision, op. cit., p. 153-

    157; voir en outre : Ab al-Qsim Junayd, Kitb al-mithq, d par Abdel-Kader, The Life, Personality and

    Writing of Al-Junayd, Londres, 1976, p. 40-43 en arabe; trad. franaise de R. Deladrire: Junayd,

    Enseignement spirituel, Paris 1983, p. 155-160; Ab Tlib al-Makk, Ilm al-qulb, Le Caire 1964, p. 91-96,

    Ab al-Hasan Daylam, Kit. Atf al-alif al-malf al al-lm al-matf, Le Caire 1962, p. 33-34; Ruzbahn

    Baql, Aris al-bayn fi-haqiq al-Qurn, Cawnpore 1884, I, p. 290-293.66

    Junayd,Mithq, p. 41; trad. franaise,Enseignement spirituel,op. cit., p. 156-157.

    67 Cf. Fut., I, p. 381; O.Y., V, p. 474. En principe, Ibn Arab fait la distinction entre la servitude

    proprement dite (ubda) et la condition de serviteur (ubdiyya). La ubda est lattribution du serviteur

    Allh et non soi, en revanche lorsquil sattribue la servitude lui-mme, celle-ci est alors la ubdiyya et

    non la ubda (Fut., II, p. 128; O.Y., XIII, p. 163; cf.Les Illuminations, op. cit., p. 555 note 16, et infranote

    152).

    68Fut., I, p. 268; O.Y., IV, p. 202.

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    Comme la khilfa ne pouvait saccomplir que sur terre, cest encore sur la

    terre que se ralise aussi la servitude parfaite (al-ubdiyya al-mahda), laquelle,

    son tour, se ralise travers la ibda69. La ibda est le nom vritable du

    serviteur (abd), elle en constitue la personnalit, la demeure, ltat, le soi, laralit essentielle et la face (propre) 70affirme Ibn Arab. Pour lui, lorsque le

    serviteur sait ce que le Seigneur lui commande et lui interdit, il remplit alors le

    rle qui lui revient et sacquitte du droit de son Seigneur et de celui de sa

    servitude puisquil sest connu, et qui se connat soi-mme connat son

    Seigneur. Et celui qui connat son Seigneur Lui voue le culte qui Lui est d,

    conformment Son Commandement ... Or lhomme, portant en soi lensemble

    des ralits de lunivers, ds lors quil se connat par rapport cette ralit, il lui

    incombe alors daccomplir pour soi seul en tant quhomme le culte de

    lunivers entier. Sil nagit pas de la sorte, il ne sest alors pas connu par rapport ses ralits, car ce culte est essentiel 71.

    3. Le culte universel

    Ce culte auquel fait allusion Ibn Arab nest autre que le rite de la salt, terme

    que lon traduit gnralement par prire, laquelle on ajoute souvent les adjectifs

    rituelle ou canonique. Il serait en fait plus correct de parler de service

    69 Dieu nous demande de Lui offrir un culte sincre (cf. Cor., 98: 5) du moment que nous sommes des

    serviteurs par le culte et que nous sommes des serviteurs uniquement grce lIpsit divine , puisquElle

    est la ralit intrieure (btin) de lhomme (Fut., IV, p. 141). La ubdiyyaest dfinie comme nous lavons

    dj dit par le terme de ibda dhtiyya, le culte essentiel ou principiel (asliyya) demand par les

    essences des choses possibles dans la mesure o elles sont des possibles , alors que tous les actes pour

    lesquels le serviteur a besoin dune information divine, qui revient de droit son Seigneur, et revient sa

    condition de serviteur seront considres alors comme des actes cultuels subsidiaires (ibdt fariyya) (cf.

    Fut., II, p. 308; W.C. Chittick, The Sufi Path, op. cit., p. 311-312). Ces actes cultuels sont aussi dsigns par

    lexpression ibdat amriyya, culte enjoint ou ordonn, qui se manifeste par la promulgation des Lois

    traditionnelles par les Messagers divins (sur laibda et la distinction qui est faite entre la ibda dhtiyya et

    la ibdat amriyya, voir S. Hakm,Mujam, op. cit., p. 774-777).

    70Fut., II, p. 153; O.Y., XIII, p. 379.

    71Fut., II, p. 308-309.

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    divin72, ou mieux encore de sacrifice divin si cette ultime expression ne

    ncessitait pas une ample exposition qui en justifie lemploi dans le domaine de la

    tradition islamique73; quoi quil en soit, il sagit bien dun rite ayant une

    dimension universelle, comme le dmontre entre autre sa relation avec la doctrinedu califat. Jand (m. 700/1300), disciple de Qnw, dans son commentaire des

    Fuss, crit que lasalt est lunion du principe divin avec Son Serviteur parfait

    au moyen de la thophanie, la descente et labaissement... et dans sa salt le

    serviteur parfait parvient Lui, et Il en fait Son khalfa dans la cration, celui qui

    suit le Principe et est nomm Son Vicaire dans la manifestation, grce la Forme

    divine et sa condition de lieu piphanique parfait de lEssence, des Attributs et

    des Noms ... En effet la saltdu serviteur pour Allh, elle est le fait de le faire

    parvenir la ralit de son origine en tant quHomme Parfait, qui est une totalit

    universelle, et une fixation dans la Prsence partir de laquelle il s'est manifestet qui en porte limage (archtypale) 74.

    Il convient en outre de souligner la nature spcifiquement muhammadienne de ce

    rite puisque, lexception du Prophte75, nul tre na ralis aussi compltement

    et universellement la perfection de la servitude; la forme mme de la salt est

    troitement lie au nom Ahmad qui est le nom cleste du Prophte76, et

    72Ou l Office divin, comme le propose Hamidullah dans sa traduction du Coran. Par la salt, selon un

    hadth, sactualise le Service divin (khidmat Allh) sur terre (Kanz al-umml, VII, p. 288); elle est

    considre comme le pilier de la religion (imd al-dn) (ibid., VII; p. 284) ou, selon une variante, le pilierde la foi (ibid., I, p. 278).

    73Ajoutons brivement que, selon un autre hadth, lasaltest lOffrande sacrificelle, ou plus simplement le

    sacrifice (qurbn) de tout vertueux qui craint Dieu (Kanz al-umml, VII, p. 288; voir aussi, Ibn Hanbal, III,

    p. 321, 399).

    74 Muayyid al-Dn Jand, Sharh Fuss al-hikam, Mashhad 1982, p. 93; voir aussi Ch.-A. Gilis, Les Sept

    tendards, op. cit., chap. XVI.

    75 Cf. Ch.-A. Gilis, ibid., chap. XXXIIXXXIII. Lintime connexion qui unit la salt la Ralit

    muhammadienne acquiert une importance particulire par le fait quIbn Arab achve ses Fussen parlant

    justement de la salt. Rappelons que le Shaykh al-Akbar affirme avoir reu cet ouvrage au cours dune

    vision. Le chapitre final, ddi au Sceau des Prophtes, commente un hadth dans lequel le Prophte a ditentre autres : La fracheur des yeux (qurrat al-ayn) ma t donne dans la salt. Sur limportance des

    Fuss et leur place dans limmense uvre dIbn Arab, voir C. Addas, Ibn Arab ou la qute du soufre

    rouge, Paris 1989, p. 324 ss.

    76Parmi les noms du Prophte, Ahmad, Mahmd et Muhammad - drivs tous de la racine HMD, qui signifie

    louer - sont considrs respectivement comme ses noms cleste, paradisiaque et terrestre (Cf. M. Vlsan,

    La Prire pour le Ple , ET. 449 (1975), p. 97 note 3; Ch.-A. Gilis, Remarques complmentaires sur Om

    et le symbolisme polaire , ibid., p. 101-103; Ch.-A. Gilis, Ren Gunon et lavnement du troisime sceau,

    Paris 1991, p. 55.

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    ltablissement cinq du nombre des prires eut lieu au cours de son ascension

    travers les cieux (mirj)77, ascension qui constitue mystrieusement le secret

    mme de lasalt, dfinie dans la tradition comme tant le mirj du croyant 78.

    Pour quun rite ait une porte universelle, il doit de quelque faon symboliser leprocessus de la manifestation cosmique car celle-ci nest autre, en dfinitive,

    que la correspondance qui relie entre eux tous les degrs de lExistence

    universelle 79. Ce processus est reprsent dans la plupart des cas par une

    irradiation lumineuse existencielle (tajall ijd) qui dtermine le passage des

    tnbres de la possibilit indiffrencie la lumire du cosmos diffrenci80. La

    lumire divine constitue le support mme de lexistence ou, plus prcisment,

    lexistence mme, le lieu o la manifestation des essences immuables trouve

    son actualisation. Le Prophte a dfini lasaltcomme tant une lumire81et du

    moment que toute ibda est troitement lie un Nom ou une Ralit divinequi procde de ce mme Nom et confre au croyant des dons spirituels qui

    drivent uniquement de ce Nom, il en est de mme pour la salt au cours de

    laquelle Allh se manifeste au croyant travers Son Nom la Lumire (al-Nr)82.

    77 la suite du passage cit dans la note 74, Jand a rapproch de manire symbolique les cinq saltaux cinq

    prsences auxquelles lHomme Parfait sunit, et qui sont en correspondance avec les cinq Prsences divines,

    savoir : 1) sa ralit essentielle; 2) son esprit; 3) son corps ou sa forme extrieure; 4) la ralit suprieure du

    cur; 5) lintellect individuel. Quant lHomme Parfait, une autre prsence lui appartient, il sagit dune

    sixime ralit cache qui correspond lasalt al-witr, qui ntait obligatoire que pour le Prophte (Sharh al-

    Fuss, p. 94). Cf. M. Chodkiewicz, Un Ocan sans rivage, Ibn Arab, le Livre et la Loi, Paris 1992, p. 146

    (dans le chapitre ddi la salt dans la doctrine dIbn Arab). Voir en outre Ch.-A. Gilis, Les Sept

    tendards, op. cit., p. 39-41) lequel, en relation avec linstitution de la salt durant lemirj du Prophte,

    mentionne lpisode de la saltdAllh qui eut lieu en cette occasion (cette saltdivine est considre par

    Sirhind comme tant la ralit essentielle de la salt; cf.Maktbt, cit., III, p. 447-448).

    78Ce hadth est absent des recueils canoniques mais il est souvent cit par les autorits du soufisme, par ex.

    Maktbt, op. cit., I, p. 445 et 453 (cf. M. Chodkiewicz, Un Ocan, op. cit., p. 141; W.C. Chittick, The

    Bodily Positions of the Ritual Prayer , Sufi, The Magazine of Khaniqahi Nimatullahi12 (1991-92), p. 17).

    79R. Gunon,Aperus sur linitiation, Paris 1985, p. 119.

    80Cf. R. Gunon,ibid., chap. XLVI, et Le Rgne de la Quantit et les Signes des Temps, Paris 1970, p. 42-

    44.

    81Cf. le hadth : Lasaltest la lumire du croyant (Kanz al-umml, VII, p. 288). Cette lumire comporte

    une pluralit daspects, comme celui particulier mentionn dans la note suivante, ou celui essentiel dont il

    sera question dans la note 165; il convient de noter en outre que la racine mme du terme salt, qui voque

    lide de bruler par le feu ou dexposer aux flammes, comporte indirectement un aspect de lumire qui est li

    au feu.

    82Fut., I, p. 256; O.Y., IV, p. 135. Ibn Arab souligne le rapport entre lasaltet ce Nom divin rappelant que

    lorant converse secrtement avec son Seigneur (rfrence un hadth rapport par Bukhr, Mawqt, 8;

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    Le rite de lasalt est constitu dune srie de mouvements et de positions rituels

    au cours desquels sont rcites des sourates du Coran (ou une partie de celles-ci)

    et dautres invocations prescrites dans la Tradition prophtique. Dans ses Fuss,

    Ibn Arab ne prend en considration que les trois mouvements principaux de laprire accomplis durant le rite : la position verticale (qiym), linclination (ruk)

    et la prosternation (sujd). Il met ces trois mouvements en relation avec les trois

    tendances cosmiques fondamentales de la manifestation : lexistence procde

    dun mouvement intelligible, celui-l mme qui produit le monde et le fait passer

    de ltat de non- manifestation celui de manifestation. La salt synthtise

    lensemble des mouvements qui sont (essentiellement) au nombre de trois : un

    mouvement vertical ascendant (haraka mustaqma) correspondant la position

    droite ou debout de ladorateur; un mouvement horizontal (haraka ufqiyya)

    analogue la position incline et un mouvement descendant (haraka manksa)correspondant la prosternation rituelle. Le mouvement ascendant correspond

    entre autres au comportement par excellence de lhomme alors que la tendance de

    lanimal est horizontale et que celle des plantes est descendante83. Quand aux

    minraux, ils ne possdent pas de mouvement propre ; lorsquune pierre se meut,

    elle ne fait quobir en fait une impulsion externe 84. Ces trois tendances,

    analogues aux troisgunade la tradition hindoue, sont lorigine de la production

    du cosmos qui se dveloppe selon les directions de lespace et forment un systme

    tridimensionnel en lequel la manifestation entire est mesure85.

    Mlik,Muwatta,Nid, 29 ; Ibn Hanbal, II, p. 67) et que ce colloque intime est lumire ; en elle [la prire]

    Allh Sadresse lui par Son Nom al-Nr, la Lumire, et non par un autre Nom. Cest pour cette raison que

    lasaltelle-mme a t appele lumire ; par cela Allh fait savoir lhomme que lorsquil sadresse Lui

    par Son Nom la Lumire, Il le possde uniquement pour Soi et quau moment du colloque intime (munja),

    Sa Vision fait disparaitre tout tre cr (ibid.). Sur lemploi du terme munjapour dsigner lasalt chez Ibn

    Arab, voir M. Chodkiewicz, Un Ocan, op. cit., p. 135-136, 147 et 149.

    83Par le fait que les racines se dirigent vers le bas.

    84Fus., I, p. 224, et Ch.-A. Gilis,Le Livre des Chatons, op. cit., II, p. 708-709.

    85Cf. R. Gunon,Le Symbolisme de la Croix, op. cit., chap. IV et V. Tout comme lesguna, les haraktdont

    parle Ibn Arab reprsentent en fait p lutt des tendances que des mouvements, et cest pour cette raison

    que dans lesFuss, elles ne se distinguent pas clairement des postures rituelles. Bien quil ny ait en fait que

    trois tendances fondamentales de la manifestation, le dveloppement de cette dernire donne lieu ces

    dterminations substantielles tradionnellement connues sous le nom des cinq lments (al-ansir al-khams),

    lesquels ne constituent pas uniquement les conditions spciales de lexistence corporelle, mais aussi,

    transposs dans une conception dordre plus universel, les conditions mmes de toute manifestation. Les

    postures et les mouvements de lasaltsuivent un un le dveloppement de ces lments partir de lther

    primordial (al-unsur al-azam) reprsent par la position verticale (qiym) initiale. Dans lther est gnr

    un mouvement lementaire vibratoire qui manifeste la qualit sonore, et cest pour cette raison qu la

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    Ibn Arab affirme que lorsque Allh existencia la Substance universelle

    (hab)86 , celle-ci assuma comme premire forme celle dun Corps dot de

    hauteur, de largeur et de profondeur, et cest en ce Corps que se manifesta la

    Nature universelle (taba). Sa hauteur procdait de lintellect (aql), sa largeur delme (nafs) et sa profondeur de la force centripte (al-khal il-l-markaz)87, de

    sorte que la prsence de ces trois ralits cosmiques la firent apparatre en mode

    triple (muthallath).88 Il sagit ici du corps universel (al-jism al-kull), dont la

    forme primordiale est celle de la sphre89. Cette forme sphrique devint le corps

    cleste (falak) appel Trne (arsh), sur lequel le Principe Stablit par Son

    Nom le Tout-Misricordieux (al-Rahmn) 90.

    La ralisation de lHomme Universel crit Gunon est symbolise, dans la

    plupart des doctrines traditionnelles, comme un signe qui est partout le mme ... :

    il sagit du signe de la croix, qui reprsente parfaitement le mode dont est rejointecette ralisation, au moyen de la comunion parfaite de la totalit des tats de

    ltre, ordonns hirarchiquement en harmonie et conformit, dans lexpansion

    intgrale selon les deux sens de lamplitude et de l exaltation 91. Cette croix

    position du qiymest associe la rcitation des sourates coraniques. De llment ther procde llment Air

    (haw), qui est constitu par un mouvement diffrenci de mode horizontal. Nous avons ainsi le premier

    mouvement de lasalt, celui qui du qiymporte la position horizontale du ruk. De lAir procde le Feu

    (nr), constitu par un mouvement ascendant, qui dans la salt est reprsent par le redressement qui fait

    suite au ruk. Vient ensuite llment Eau (m), de nature descendante, auquel correspond en mode

    analogue le troisime mouvement de la salt, celui du redressement vertical qui porte ausujd. La limite dece dveloppement des lments est constitu par la Terre (ard), en laquelle la tendance descendante est

    reprsente au degr maximum de la mme manire que le sujd, au cours de la salt, cest la limite de la

    descente corporelle du serviteur (cf. R. Gunon, La thorie hindoue des cinq lments , dans tudes sur

    lHindouisme, Paris 1970, p. 45-68).

    86Sur celle-ci et les notions successives de la cosmologie akbarienne cf. Fut., II, p. 430-434; voir aussi T.

    Burckhardt,La Cl spirituelle de lAstrologie musulmane daprs Mohyiddn Ibn Arab, Milan 1974, p. 22.

    87 Litt., le vide en direction du centre. Sur la notion du vide (khal) chez Ibn Arab, cf. Les

    Illuminations,op.cit., p. 568 note 154.

    88 En grammaire, lorsque ce terme se rapporte une consonne, cela signifie quelle peut recevoir les trois

    motions vocales, cest--dire les trois mouvements dont il est question dans ce passage desFuss.89

    Il nous est impossible de ne pas relever la concordance parfaite entre cet enseignement akbarien et celui de

    R. Gunon relatif la doctrine hindoue des trois guna et la forme sphrique primordiale (outre le chap. V

    dj cit, cf. les chap. VI et XVI du Symbolisme de la Croix).

    90Uqla,p. 56-57.

    91Le Symbolisme de la Croix, op. cit., p. 73. En note, lauteur prcise que les termes amplitude et

    exaltation sont issus de lsotrisme islamique, et ils sont en effet la traduction de ce que dans notre texte

    nous avons respectivement appel al-ardou largeur ( ne pas confondre avec al-ard, la terre) et al-tl, ou

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    est donc constitue dun axe vertical divis en deux parties gales qui reprsentent

    respectivement les tats infrieurs et suprieurs de ltre, et dun axe horizontal92

    qui reprsente ltat individuel humain dexistence. Commentant les trois

    mouvements intelligibles mentionns plus haut, Jand rapporte le mouvementdescendant lexistenciation du monde infrieur (al-alam al-sufl), lascendant

    lexistenciation du domaine des Noms divins et des relations dominicales

    conjointement celui des tres spirituels et aux mes individuelles; le troisime

    enfin, synthtique et intermdiaire entre les deux, lexistenciation de ltat

    central humain (al-lam al-insn al-jmi). Les trois mouvements de

    lirradiation lumineuse existenciatrice (al-tajall al-ijd) qui constituent, dans

    lordre divin, la Prire du Principe conformment la Parole coranique : Cest

    Lui qui accomplit lasaltsur vous, de mme que Ses anges, pour vous sortir des

    tnbres la lumire. Il est Misricordieux avec les croyants (Cor., 33: 43), serflchissent dans la saltdu serviteur o nous retrouvons par analogie les trois

    mouvements du qiym, du ruk et du sujd par lesquels le serviteur est uni

    Dieu et est en communion avec Lui93.

    Comme nous avons dj eu loccasion de lindiquer94, les termes employs

    suggrent un rapport troit entre la mtaphysique du langage et celle de la

    manifestation, qui est toujours considre comme tant un produit du Verbe

    crateur. En arabe, les trois voyelles a, u, i sont appeles harakt(mouvements) et

    leur relation avec les trois tendances cosmiques a dj t mise en vidence dans

    hauteur, qui reprsente le bras vertical de la croix et, en ce sens, rsume en soi aussi, la profondeur (umq).

    Sur ces termes, cf. larticle de M. Vlsan, Rfrences islamiques du Symbolisme de la Croix, dansLIslam

    et la fonction de Ren Gunon, Paris 1984, chap. IV.

    92Ou bien dune autre croix horizontale lorsque les trois dimensions de lespace sont reprsentes, formant

    ainsi une croix six branches qui mesure lespace entier et symbolise les six jours de la cration (cf. Le

    Symbolisme de la Croix, op. cit., chap. IV).

    93 Voir Muayyad Jand, Sharh al-fuss, p. 690-691; ms. Berlin, f. 331a; cf. aussi Ismail Hakki Bursevis

    Translation of and commentary on Fusus al-Hikam by Muhyiddin Ibn Arabi, by B. Rauf, Oxford 1991, IV, p.

    1102-1103, qui reprend et amplifie le commentaire de Jand. En ralit, il ne sagit pas du tout ducommentaire de Ismal Haqq Bursevi (m. 1725/1137H) mais de celui de Abd Allh Busnaw (m.

    1644/1054H) publi plusieurs fois au Caire et Istanbul, auquel on doit aussi une version arabe partiellement

    modifie, intitule Tajalliyt aris al-fuss(cf. O. Yahia,Histoire et Classification de luvre dIbn Arab,

    Damas 1964, I, p. 250 nn. 44, 45). Il suffirait, pour tablir la non authenticit de lattribution, de mentionner

    la vison du Prophte survenue lauteur en lan 1300 H (cf. la trad. anglaise, op. cit, I, p. 79). Les passages

    emprunts Jand sont vidents dans la version arabe du texte (Tajalliyt, ms. Shahit Ali, 1247, f. 529 a-b).

    Cf. en outre J. Canteins,La voie des lettres, Tradition cache en Isral et en Islam, Paris 1981, p. 23.

    94Cf.supranote 88.

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    certaines tudes, de mme que leur relation avec les trois mouvements

    fondamentaux de la prire95. Rappelons que dans la langue arabe, les lettres

    (hurf) sont toutes formes de consonnes lesquelles, envisages

    mtaphysiquement, symbolisent les essences immuables prives dexistence ; eneffet, les voyelles ne sont pas des lettres mais plutt ce qui anime les lettres, et

    elles sont aussi une expression immdiate de ce qui dans la doctrine dIbn

    Arab prend le nom de Souffle du Tout-Misricordieux (nafas al-Rahmn)96.

    95 Voir en particulier J. Canteins, ibid., p. 21-24, o lauteur souligne entre autres, la relation entre les

    voyelles et les trois lettres faibles (ou causales, hurf al-illa) de la langue arabe, qui sont lalif, le wwet

    la y, elles-mmes en rapport troit avec les trois positions de base de la salt, bien quen mode plus

    principiel (la position assise est ici dans un certain sens incluse dans la prosternation, les deux positions se

    rfrant un mme niveau). En outre, si lon considre les valeurs numriques des trois lettres faibles(1+6+10), celles-ci nous donnent 17, nombre qui correspond celui des rakatou cycles rituels compris dans

    lensemble des cinq saltquotidiennes obligatoires. Selon lejazm al-saghr, ou calcul bas sur la rduction

    des valeurs de chaque lettre lunit, le nombre 17 est aussi le rsultat de la somme des valeurs numriques

    des lettres qui composent le nom Ahmad, cest--dire alif-h-mm-dl dont la graphie correspond

    parfaitement la forme des positions corporelles assumes durant les trois mouvements principaux de la

    salt, plus la position assise finale appele al-tashahhud: !"#$ (Ahmad) = $ qiym, # ruk, "sujd, !

    tashahhud(cf. Abd al-Rahm al-Qd,Daqiq al-akhbr fi dhikr al-janna wa-n-nr, Le Caire sd., p. 3); voir

    aussi J. Canteins, Phonmes et Archtypes, contextes autour dune structure trinitaire: AIU, Paris 1972, p.

    11-18; D. Gril,La Science des Lettres dansLes Illuminations, op. cit., chap. VIII; M. Vlsan, op. cit., p. 62.

    Lenseignement du Shaykh al-Akbar sur ce sujet a t mieux interprt par Ch.-A. Gilis; cf. Les Sept

    tendards, op. cit., chap. XIII, qui reprend et complte ce qui avait dj t expos dans ses travaux

    prcdants, particulirement dans Remarques complmentaires sur Om , op. cit., auquel non renvoyons le

    lecteur pour approfondir le symbolisme des lettres faibles alif, ww, y, lesquelles, entre autres, se rfrent

    en mode direct la fonction polaire (qutbiyya) dans sa relation avec les trois mondes. Quand ce qui en

    revanche doit tre relev dans la relation que ces trois lettres ont avec les phases principielles de la salt, nous

    dirons seulement quelles sont des modifications contingentes du Souffle principiel considr dans ses

    rapports respectifs avec les trois mondes spirituel, intermdiaire et corporel, et quelles consituent ... une

    thophanie axiale, polaire et imprative , toutefois, come la justement soulign Gilis, le rapport de ces trois

    lettres avec les trois mondes doit tre soigneusement distingu de celui que lon peut tablir entre ces derniers

    et les voyelles a (fatha), u (dhamma), i (kasra) qui sont en relation avec ces trois lettres. Le symbolisme des

    lettres faibles est envisag ici un point de vue purement mtaphysique et se rapporte laspect immuable et

    silencieux du Verbe, qui demeure au repos tout en tant le principe mme du mouvement. En revanche,

    le symbolisme des sons-voyelles est cosmologique (... expression arabe de la doctrine des trois gunas) et serapporte aux directions fondamentales du souffle de la voix ... Le signe correspondant lensemble des trois

    lettres faibles, considres en tant que manifestatin primordiale du Verbe, est le sukn, dont le nom signifie

    silence, repos, et qui est, grammaticalement, la caractrist ique du mode impratif qui exprime le

    Commandement divin (cf. ibid, p. 105-106 note 15). Il faut toujours bien avoir lesprit ces diffrences de

    perspective si nous ne voulons pas confondre les multiples ordres de ralit qui interviennent simultanment

    dans le symbolisme la fois complexe et synthtique de la salt.

    96 Dans son commentaire arabe des Fuss, Busnaw, parlant du mouvement intelligible (al-haraka al-

    maqla) principiel duquel dcoulent les trois tendances cosmiques de la manifestation, lidentifie

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    Lunivers est gnr par ce Souffle qui est considr symboliquement comme

    tant le Livre du monde ou gnrateur (al-kitb al-takwn) dont lhomologue

    en ce monde est reprsent par le Livre rvl (al-kitb al-tadwn). Dans ce

    dernier cas, il appartient lhomme de vivifier au moyen du souffle expressionmicrocosmique du Souffle du Tout-Misricordieux les lettres de la Parole

    incre en actualisant pour soi, au moyen de la rcitation, le contenu immuable de

    la Sagesse divine : Nous leur ferons voir Nos Signes 97aux horizons et dans leurs

    mes, jusqu ce quil leur soit rendu clair quil est la vrit (Cor., 41: 53).

    4. Le qiym et Celle qui ouvre le Livre

    Tout comme les trois tendances cosmiques de la manifestation constituent ladescente du Principe travers les Actes, de mme la Rvlation (tanzl) en

    constitue la descente (nuzl)98au moyen de la Parole, et de manire analogue, tout

    comme dans les mouvements de la Prire se ralise lascension du serviteur

    travers les actes99 ; de mme lhomme effectue symboliquement, et en mode

    opratif, son ascension travers les demeures initiatiques (manzil) au moyen de

    la rcitation ; pour le Shaykh al-Akbar, les sourates sont les manzil100.

    Envisag sous cet angle, le point culminant de la ralisation spirituelle correspond

    la demeure de la sourate al-Ftiha, laquelle Ibn Arab fait allusion lorsquil la

    dfinit ainsi : la demeure de lImmensit qui comprend toutes les grandeurs

    lexpansion du Souffle misricordieux (al-nafas al-rahmn) sur les essences prdisposes lexistence.

    Voir tajalliyt, ms. Shahit Ali, 1247, f. 529 a-b). Sur le al-nafas al-Rahmn, voir le chap. 198 des Futht

    ddi particulirement cet argument ; cf. Ibn Arab, Les Illuminations, op. cit., p. 100-107; W.C. Chittick,

    The Sufi Path, op. cit., p. 127-130 etIndex, s.v. breath of the All-merciful; T. Izutsu, Sufism, op. cit., chap. IX;

    S. Hakim,Mujam, op. cit., p. 1063-1067.

    97Le terme ytsignifie la fois signes (au sens de prodiges de la nature) et versets.

    98Les deux termes drivent de la racineNZLqui exprime lide de descente.

    99Qui demeurent toutefois uniquement ceux du Principe. Ltre manifest ( kawn) na aucun rle dans les

    Actes, puisque lActe (pur) appartient entirement lUnique, au Dominateur , crit Ibn Arab (Uqla, p.

    57).

    100Fut., I, p. 192; O.Y., XII, p. 212. Lordre mme des sourates qui apparat dans le corpusde la Rvlation

    selon son aspect descendant sera considr alors en sens inverse, selon la perspective initiatique de la

    ralisation spirituelle. Cest ce que nous retrouvons nettement reprsent dans la quatrime section des

    Futht, celle ddie aux manzil, qui se dveloppe sur 114 chapitres, chacun desquels correspondant une

    sourate du Coran. Sur cet argument, voir M. Chodkiewicz, Un Ocan, op. cit., p. 87 sq.

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    muhammadiennes (manzil al-usma al-jmia li-l-azamt al-muhammadiyya)101.

    Elle est donc la demeure finale de lHomme Parfait puisquelle correspond celle

    de la synthse totalisante qui runit les deux extrmits (tarfayn): les aspects

    principiaux (haqqiyya) et les aspects craturels (khalqiyya), larc de la ncessit(wujb) et celui du possible (imkn); de toutes le demeures divines aucune ne

    remplit autant et aussi parfaitement ce qui doit revenir de droit la seigneurie et

    la condition de serviteur que cette demeure, et nous navons au fond [dans

    lexistence] rien dautre que Seigneur et serviteur 102.

    Cest pour cette raison que la rcitation de cette sourate a t rendue obligatoire

    durant la prire103: laFtiha est lessence de la prire et celle-ci nest pas valable

    sans la Ftiha104 . Ibn Arab nous dit dans ses Fussque la salhest un acte

    dadoration divis quitablement entre Allh et Son serviteur : une moiti revient

    Allh et une autre au serviteur conformment ce qui nous a t transmis dansune tradition divine. Le Trs-Haut a dit: Jai divis la prire entre Moi et Mon

    serviteur ; une moiti Me revient et lautre moiti revient Mon serviteur, et

    Mon serviteur revient ce quil demande105. Ainsi, lorsque le serviteur dit [au

    cours de la rcitation de la Ftiha]: Au Nom de Dieu le Tout-Misricordieux, le

    Trs-Misricordieux, Dieu dit : Mon serviteur Me mentionne. lorsque le

    serviteur dit : Louange Dieu, le Seigneur des mondes, Dieu dit : Mon

    serviteur Me rend grce. Lorsque le serviteur dit : le Tout-Misricordieux, le

    Trs-Misricordieux, Dieu dit : Mon serviteur Me loue. Lorsque le serviteur

    dit: Le Roi du Jour du Jugement, Dieu dit : Mon serviteur Me glorifie et sen

    remet Moi. La premire partie de la Ftiha appartient donc Dieu. Lorsque le

    serviteur dit: Cest Toi que nous adorons et cest en Toi que nous cherchons le

    101Fut., chap. 383 (III, p. 519-523).

    102Ibid., p. 523.

    103Selon le hadth : Pas de salt sans laFtihat a l-Kitb (lOuvrante le Livre) (Tirmidh, Mawqt, 69,

    116; Ibn Mj,Iqma,11).

    104 LaFtihaest lessence de la saltet le but de cette dernire nest autre que la Ftihaet sa rcitation

    crit Abd Allh Busnaw dans son commentaire la Taiyya dIbn Arab (voir Qurrat ayn al-shuhd wa

    mirt aris man al-ghayb wa-l-shuhd, ms. Zhiriyya, Tas. 409, f. 143b; le texte contient un long

    expos sur le sens sotrique de lasalt, cf. f. 143a-156a).

    105Il sagit dun fameux hadth quds(Muslim, Salt, 38, 40; Ab Dwud, Salt, 132; Ibn Hanbal, II, p. 241,

    285, 460, etc.) quIbn Arab cite souvent aussi dans les Futht. Cf. aussi le Mirt alrifn attribu

    Qnaw, dit et trad. par S.H. Askari, Reflection of the Awakened, Londres 1983, p. 28 et pt. Arabe p. 31-33

    qui interprte laFtihaselon la perspective indique dans notre contexte.

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    secours, Dieu dit : Ceci est rparti entre Moi et mon serviteur, et ce quil

    demande lui appartient, il y a dans ce verset un lment de participation. Le

    serviteur continue alors : Guide-nous sur la voie de la rectitude, la voie de ceux

    que tu as combls de bienfaits, non celle de ceux qui encourent Ta colre ni celledes gars, Dieu dit alors : Ces [versets] reviennent Mon serviteur et il aura ce

    quil demande. Les derniers versets sont donc uniquement pour le serviteur, tout

    comme les premiers appartenaient uniquement Dieu. De tout cela, on comprend

    donc (limportance et) la ncessit de rciter Louange Dieu, le Seigneur des

    mondes [cest--dire la Ftiha]: celui qui omet sa rcitation na pas accompli la

    Prire rpartie entre Allh et Son serviteur 106.

    La triplicit que nous avons vue dans les gestes rituels de la saltse retrouve de

    manire minente dans la Ftiha, puisquil ne peut tre question dune

    barzakhiyya totalisante que l o sont exprims deux termes complmentairesplus un troisime dun ternaire qui est la fois la somme et la synthse des deux

    prcdents. Les termes complmentaires de la Ftiha sont les plus universels,

    ceux auquels tous les autres, de quelque faon, sont reconduits, cest--dire le

    Seigneur (al-Rabb) et le serviteur (al-abd) car en fait, dans lexistence

    comme la dj expliqu Ibn Arab il ny a rien dautre que Seigneur et

    serviteur. Le terme intermdiaire, le lieu de la synthse et de la lunion des

    complmentaires, de la ncessit et de la possibilit, reprsents respectivement

    par la premire et par la troisime partie de laFtiha, est lHomme Parfait en tant

    que Khalfa dAllh.107Cette union (nikh) a lieu au niveau de la Nue obscure

    106Fus., I, p. 222-223; Ch.-A. Gilis, Le Livre des Chatons, op. cit., II, p. 705-706. Voir aussi la section des

    Futhtqui traite de la rcitation de la Ftihadurant lasalt(I, p. 420-426; O.Y., VI, p. 268-301). Cest donc

    travers laFtihaqua lieu le coloque intime (munja) entre Allh et Son serviteur. Dans la suite des Fuss,

    Ibn Arab ajoute : Du moment que la saltest un colloque intime, elle est donc remmoration (dhikr), et

    qui se remmore Dieu est avec Dieu et Dieu avec lui, ainsi quil est transmis dans la sentence divine : Je suis

    avec celui qui se souvient de Moi. Si celui qui se trouve avec Celui quil se remmore est dot de vue

    (intellectuelle), alors il Le voit. Voil donc ce que sont la contemplation et la vision, mais qui est dpourvu de

    la vue (intellectuelle) ne Le voit pas (cf. Abd Allh Busnaw, Risla raf al-hijb fi-ittisl al-basmala bi-

    ftihat al-kitb , ms. Carullah, majma 2129, f. 47b-48a; de Busnaw, outre le commentaire des Fusset laTiyyadj cits, voir aussi le Kitb tajall al-nr a l-mubn fi-mirt iyy-Ka nabud wa iyy-Ka nastan,

    o ces mmes arguments sont amplement dvelopps; ibid., f. 48b-52a).

    107Dfini comme tant la Ralit universelle de lHomme, ce degr qui correspond au verset : Cest Toi

    que nous adorons, et en Toi nous cherchons refuge est selon le mirt al-rifn le barzakhen lequel a

    lieu la descente seigneuriale (martabat al-tanazzul al-rabbn) et o le Seigneur revt les attributs du

    serviteur, alors quen mme temps a lieu lascension du serviteur qui revt les attributs seigneuriaux (op. cit.,

    p. 30-31; en arabe p. 36-39), cest--dire les sept attributs de ltre divin : la vie, la science, la volont, la

    puissance, loue, la vue et la parole ; attributs rpartis entre le Principe et lHomme. Lexpression al-sab al-

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    (am)108, o le Principe divin manifeste Son Autosubsistance immuable

    (qayymiyya)109, et mme la rcitation de la Ftiha au cours de la salt est

    excute dans la position verticale (qiym) qui symbolise la qayymiyya. La

    Ralit universelle de lHomme et sa barzakhiyya totalisante est un degr divinprincipiel antrieur lirradiation lumineuse existenciatrice qui dtermine la

    production du cosmos. Cest en effet sous ce rapport comme la affirm Qnw

    que la principialit et lantriorit sur toutes les choses existencies110revient

    lhomme, cest pourquoi elle peut tre appele la Ftiha du Livre de

    lexistence111. Cest en assumant cette position axiale que lorant se trouve dans

    la meilleure des constitutions (fi-ahsani taqwm) (Cor., 95: 4) et que le Principe

    Se rvle lui par tous Ses Noms et Attributs et le pare de la Robe de la Grandeur

    (kibriy) ; plus encore, il est lui-mme le Manteau de lImmensit (rid al-

    azma)112, celui qui peut assumer juste titre la fonction du califat113.

    mathn, les sept successifs, qui correspond un des noms de la sourate al-Ftiha, est une allusion ces

    sept attributs cits precdemment. Cf. Jl, Al-Insn al-kmil, Le Caire 1970, I, p. 129-130; voir aussi le

    Jawhir al-man, op. cit., I, p. 230-231.

    108Puisque la Nue obscure (am) est le barzakh suprme, le Mirt al-rifn la met en relation directe

    avec le verset intermdiaire de la Ftiha(op. cit, p. 31 et en arabe p. 39). Lide est bien de Qnaw puisque

    lexpression maqm al-tanazzul al-rabbn se retrouve dans son Mifth al-ghayb (voir S. Ruspoli,La Clef

    du Monde suprasensible de Sadroddn Qonyaw, Thse du Doctorat de III cycle, Paris IV, s.d., pt. I, tome I, p.

    130; p. 31-32 de la pt. arabe). Il est ncessaire de spcifier que cette barzakhiyya, qui est celle de lHomme

    Parfait, se situe dans lordre du Premier et du Second taayyun, considrs alors respectivement comme la

    Ralit ahmadienne et la Ralit muhammadienne; cf. supranote 13. Sur le barzakhsuprme et la Nue cf.

    W.C. Chittick, The Sufi Path, op. cit., p. 125-127.

    109 Le colloque intime travers la Parole divine est prescrit durant la position verticale (qiym) de la salt

    plus quen tout autre de ses tats en raison de la prsence de lattribut de lAutosubsistance (alqayymiyya),

    puisque le serviteur est debout (qim) durant la salt ...Il y a une science immense derrire laxialit du

    serviteur travers la Parole divine (Fut., I, p. 414; O.Y. VI, p. 226; cf. Qurrat ayn al-shuhd, f. 143a).

    110Fukk, p. 188; ms.Zhiriyya, 5563, f.3a.

    111 La rcitation de la Ftiha crit Jl symbolise la prsence de la Perfection divine (kamli-Hi) en

    lHomme, puisque lHomme est laFtiha de lExistence, ce travers quoi Allh a ouvert les serrures de tout

    ce qui existe; alors que le fait quil la rcite indique que la manifestation des secrets dominicaux ( al-asrr al-

    rabbniyya) dpend (de celle) des secrets de ltre humain (al-asrr al-insniyya) . Cf. Jl, Al-Insn al-

    Kmil, op. cit., II, p. 135).

    112 Selon la sentence divine: La Magnificence est Mon Manteau et la Puissance est Mon pagne (Cf.

    Muslim,Birr, 136; Ibn Mja,Zuhd, 16).

    113 Le Manteau affirme Ibn Arab est le Serviteur Parfait, cr selon la Forme [divine], celui qui runit

    en soi les ralits du pos